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CARACTÈRES ET ÉCRITURES

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CARACTÈRES CARACTÉROLOGIE ET ANALYSE DE LA PERSONNALITÉ

COLLECTION FONDÉE PAR RENÉ LE SENNE ET DIRIGÉE PAR ÉDOUARD MOROT-SIR

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CARACTÈRES ET ÉCRITURES

par

Émile CAILLE

AVANT-PROPOS PAR ÉDOUARD MOROT-SIR

DEUXIÈME ÉDITION

PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE 108, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, PARIS

1963

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DÉPOT LÉGAL 1 édition 1 trimestre 1957 2e — 2e — 1963

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réservés pour tous pays © 1957, Presses Universitaires de France

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A la mémoire de RENÉ LE SENNE en reconnaissance de l'intérêt

qu'il a manifesté à la préparation de cet ouvrage

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AVANT-PROPOS

Depuis 1947, et jusqu'à la veille même de sa mort, René Le Senne a consacré la plus grande partie de son temps à la collection « Caractères ». Il a suscité de nombreuses recherches ; il a suivi avec une attention passionnée l'élaboration des ouvrages les plus divers qui ont fait connaître dans le grand public les travaux de l'École française de Caractérologie.

René Le Senne accordait à sa collection une valeur exceptionnelle ; il avait placé en elle une haute espérance. Parfois, certains philosophes ont manifesté leur étonnement de voir le moraliste du Devoir ou le métaphysicien d'Obstacle et valeur se détourner apparemment de la voie philosophique pour apporter tous ses soins à telle ou telle étude caractérologique, et même pour s'engager avec quelques amis en qui il avait confiance dans des terres non défrichées encore et où les résultats nécessairement contestables ne pou- vaient être que des pierres d'attente. Cette surprise était le signe d'un jugement hâtif. Car les fervents de la caractérologie le savent : la secrète aspiration de la caractérologie est de participer activement au salut de l'humanité, en instaurant une science de l'homme qui révèle à chaque individu ses chances de vocation et de bonheur. Certes toute science est soulevée par une ambition analogue, depuis les mathématiques jusqu'à la médecine, et tend par cela même à convertir le réel en un système plus ou moins fortement architecturé de possibilités d'action. Mais il s'agit alors de la nature, de ce « monde » qui est notre milieu extérieur et avec lequel nous nous trouvons lié par un rapport essentiel. L'originalité de la caractérologie est ailleurs pour Le Senne : elle permet la première connaissance de soi et des autres ; elle reste objective sans être objectivante. Précisons encore qu'elle n'est pas la découverte d'un milieu intérieur parallèle au milieu physique, mais la conscience progressive

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d'une source de valeurs, et ainsi de puissances psychiques limitées et dispo- nibles — puissances qui peuvent être perdues ou au contraire, bénéficier d'une faveur exceptionnelle, d'une chance qui leur donne un épanouissement optimum.

La relation entre la caractérologie et une métaphysique de la valeur est alors fort simple, presque évidente. Elle ne signifie pas que le caractérologue doit se doubler obligatoirement d'un métaphysicien, mais qu'au moment où il développe sa théorie des caractères, il est spontanément un métaphysicien qui reconnaît, sans avoir besoin d'en faire la doctrine, le grand principe du spiritualisme axiologique : la richesse de l'esprit est dans la variété de ses expressions individuelles, de telle sorte que chaque esprit est même et autre que les autres esprits. Un tel principe implique la croyance dans la réalité du caractère comme structure d'unification et de différenciation humaines, et inversement la pratique de la caractérologie suppose un tel principe, qu'il soit ou non philosophé.

C'est pourquoi le moraliste du Devoir qui espérait donner à son pays une unité morale par delà les divergences religieuses et politiques, savait qu'il ne perdait pas son temps en dévouant presque exclusivement les dernières années de sa vie au développement des recherches caractérologiques : le carac- térologue est le premier serviteur de la Valeur.

Il en est aussi le défenseur. Le Devoir avait lancé une attaque contre la sociologie durkheimienne, portant les premiers coups à l'idole respectée. Or, à travers l'objectivisme durkheimien, c'est toute une conception des sciences de l'homme qui était mise en cause, et un certain naturalisme fort répandu à la fin du XIX siècle et associé à un principe méthodologique d'imitation des sciences physiques. Le Senne dénonce vigoureusement la redoutable conséquence : l'homme travaillant à sa propre perte, trahissant sa vocation, se détournant de sa chance. Et, comme il avait su le reconnaître très tôt, c'est l'hypostase « Société » qui exige la constitution de ces sciences devenues les instruments indispensables à l'œuvre gouvernementale de disci- pline des grandes masses, caractéristique des sociétés du XX siècle. Toute sociologie glorifiant la structure sociale est donc au principe des autres sciences à base déterministe — psychologie, histoire, sciences politiques et leurs dérivés techniques.

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Mais la caractérologie ne va-t-elle pas alors inaugurer un nouvel impé- rialisme épistémologique, pour contrebalancer l'ancien, d'origine libérale ou collectiviste ? Non, elle espère simplement agir à la manière d'un catalyseur et changer un état d'esprit trop répandu dans les sciences de l'homme. Elle ne prétend rien annexer ni absorber. Elle se présente comme nécessaire à l'homme social et à l'individu, tous deux se réunissant pour trouver un équilibre ou un compromis entre le destin des peuples et celui des personnes. Elle est ainsi l'introduction générale des sciences de l'homme, en ce sens qu'elle est pour toutes une sorte de connaissance préalable. Mais, répétons-le, elle n'a pas l'ambition de les remplacer.

Devant cet « alignement » de plus en plus inquiétant aujourd'hui de ce groupe de sciences, devant leur secret asservissement aux volontés sociales, quelles qu'elles soient — à une époque où le théoricien politique et le sociologue ont tacitement accepté de jouer le rôle de l'idéologue gardien d'une cité et initiateur de sa propagande, on comprend que René Le Senne ait engagé toutes les forces de sa générosité et de sa clairvoyance dans la direction spiri- tuelle d'une équipe de chercheurs venus des horizons les plus divers, mais tous animés par la même foi, la même confiance dans l'homme, la même espérance.

Le succès rapide de la collection « Caractères » fut la preuve de sa raison d'être, l'épreuve triomphante de sa justification.

Si le maître a disparu, la volonté de poursuivre est aussi forte chez ses disciples. L'œuvre qu'il a commencée continue. La lutte pour la paix du cœur n'est pas terminée. Elle ne finira qu'avec la vie humaine.

Le livre que nous présentons aujourd'hui, Caractères et Écritures, nous l'avons trouvé sur le bureau de René Le Senne en octobre 1954, et sa publication en était alors décidée. Depuis quelques années déjà, Le Senne s'était intéressé aux connexions entre la graphologie et la caractérologie et il a ainsi suivi avec la plus grande attention le développement des recherches de M. Émile Caille — graphologue qui a voulu apporter dans l'interprétation graphologique les lumières de l'analyse caractérologique. Comme il est

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mentionné au début de cet ouvrage, il y a longtemps que la graphologie, même dans ses commencements incertains, a fait appel à la psychologie. Mais la psychologie sur laquelle elle s'est appuyée était vague. Elle avait aussi le défaut d'être une psychologie générale et elle ne pouvait donc suggérer au graphologue un principe rigoureux de classification et d'explication des écritures.

Et telle est la première originalité de l'œuvre de M. Caille. Tout en respectant le domaine propre à chacune de ces disciplines, il a su prouver que la caractérologie doit procurer à la graphologie un complément nécessaire d'information, en même temps que, en sens inverse, la description caractérielle des écritures peut donner au caractérologue un procédé de diagnostic objectif qui viendra heureusement corroborer et parfois préciser les résultats des enquêtes par questionnaires. Les deux connaissances se trouvent ainsi renforcées ; leur corrélation garantit et consolide leur objectivité respective.

De plus, en allant du caractère à l'écriture, M. Caille a adopté une méthode synthétique qui, pour ne pas être exclusive, présente d'immenses avantages à ce stade de la recherche. Il ne s'agit pas de sous-estimer l'impor- tance d'une méthode analytique qui établirait, comme cela a déjà été fait souvent en graphologie, une exacte corrélation entre tel facteur psychique et telle particularité graphique. Mais de même qu'un détail psychique vient s'inscrire dans cet ensemble qu'est le caractère, de même une singularité graphique est un élément qui prend toute sa valeur dans cet ensemble qu'est le graphisme caractéristique d'un individu. L'hypothèse faite par M. Caille devait être aisément vérifiable : il y a des familles d'écritures, comme il y a des familles caractérielles ; et finalement on doit constater que ces deux familles se confondent. Pour le même individu, le « style caractériel » détermine l'allure générale du graphisme.

Enfin, le lecteur trouvera dans cette recherche le premier chapitre, et l'un des plus significatifs, d'une théorie générale des conduites caractérielles. Les caractérologue s ont déjà donné d'amples descriptions des types carac- tériels, utilisant simultanément la psychologie d'introspection et la psycho- logie de comportement. Nous connaissons les attitudes caractéristiques, et même les visages du passionné ou de l'amorphe, par exemple. Mais on n'a

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pas encore entrepris de faire l'étude de ce que l'on pourrait appeler la vection caractérologique des grandes conduites humaines. Et parmi ces conduites, l'une des plus symptomatiques, l'une des plus mystérieuses, qui est comme l'inscription symbolique de toute culture dans un réel informe, n'est-elle pas l'écriture ? M. Caille a reconnu les moments essentiels de ce geste total par lequel l'univers des significations se fixe et se transmet : c'est d'abord l'impulsion initiale, c'est ensuite cette passionnante relation entre l'agent et le vide d'un espace auquel il confère déjà une valeur graphique, c'est la lutte plus ou moins vive avec des formes imposées par la tradition, uniformisées par des modes, c'est encore ce dernier travail de stylisation qui se présente comme un enrichissement ou un appauvrissement des formes connues, c'est cette œuvre de direction et de parachèvement du geste graphique par lequel chaque écriture est l'expression fidèle d'un homme, et d'abord d'un caractère.

Et, en retrouvant par delà les écritures individualisées, la permanence de types graphiques fondée sur celle de types caractériels, M. Caille a apporté une première contribution dans un domaine d'études encore mal exploré. Son initiative a été récompensée, puisque l'épreuve des faits assure la validité de l'hypothèse.

Édouard MOROT-SIR.

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INTRODUCTION

I. — CARACTÉROLOGIE ET PSYCHOLOGIE

§ I. DE LA PSYCHOLOGIE ANALYTIQUE A LA PSYCHOLOGIE DIFFÉRENTIELLE

La psychologie a consisté longtemps en une analyse minutieuse des contenus de l'esprit. Les éléments de celui-ci étaient séparés arbitrairement pour la facilité de l'étude; on étudiait les facultés qui sont communes à tous les hommes, sans chercher à déterminer les différences qui existent entre ceux-ci. Il en est résulté des analyses, souvent très fines, mais abstraites, qui aboutissaient à des théories subjectives et recherchaient leurs aliments dans une introspection toujours plus pénétrante. La psychologie avait perdu de vue que l'objet essentiel de son étude était précisément cet homme, dont elle ne cherchait nullement à appréhender l'ensemble.

Dans le courant des idées « scientistes » de la fin du XIX siècle, une rupture avec les méthodes subjectives a été tentée. Les facultés de l'esprit furent alors étudiées sous une forme d'apparence scienti- fique. On utilisait des méthodes de laboratoire et on visait à obtenir des résultats chiffrés. Mais l'étude des comportements externes, séparés les uns des autres, apparaît vide de toute réalité vivante. Dissociés de l'élan intérieur qui leur donne un sens, ces comporte- ments semblent dénués de vie. Plus les éléments de l'esprit humain se trouvent décomposés, moins ils semblent compréhensibles. L'homme, dans son ensemble, restait plus que jamais un mystère.

De même, la psychotechnique, dont on ne peut nier l'intérêt

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dans certains domaines et surtout dans ceux qui sont plus voisins de la physiologie que de la psychologie, trouve rapidement ses limites. Son rôle se borne, en fait, à l'exploration, plus ou moins complète, de certains aspects extrinsèques de la personnalité. Elle n'obtient de l'individu que des aspects isolés, qu'elle s'interdit délibérément de relier à un ensemble. De toute évidence, il faudrait à la psychotechnique une base caractérologique sérieuse.

Du point de vue du caractère, écrit Guy Palmade, il est bien évident que, pour parvenir vraiment à porter un diagnostic, il nous faut une caractérologie (1).

Aucune de ces méthodes n'a réussi à étudier l'homme d'un point de vue synthétique et à atteindre, non des aspects de son individualité, mais l'essence même de celle-ci.

Cependant, l'idée de considérer l'être humain dans son ensemble, en prenant pour base, non des idées générales, mais des individus réels, n'est pas nouvelle. La route est longue qui, d'Aristophane à nos jours, en passant par les écrivains classiques et les romanciers du XIX siècle, a conduit à la caractérologie. On trouve, dans ces œuvres littéraires, des types disparates, finement décrits, mais évidem- ment aucun essai de classification.

Les premières tentatives de classification du caractère (2) remon- tent également très loin. La théorie d'Hippocrate, dont la fortune fut si singulière à travers les âges qu'elle est encore utilisée de nos jours, paraît être la plus ancienne. Les découvertes les plus récentes reposent, pour la plupart, soit sur une différenciation physiologique (sympathicotonique et vagotonique, par exemple), soit sur une expé- rience psychiatrique (cyclothymes et schizothymes de Kretschmer ou extravertis et introvertis de C. J. Jung).

L'école de Groningue a tenté, pour sa part, de constituer une

(1) La psychotechnique, P. U. F., p. 88. (2) Nous considérerons le caractère dans le sens précis et restreint que lui donne Le Senne « l'ensemble des dispositions congénitales qui forment le squelette mental d'un homme ».

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caractérologie objective et synthétique, qui ne se réduise ni à la physiologie ni à la psychiatrie, mais satisfasse aux conditions suivantes :

I. La caractérologie doit contenir toutes les autres typologies, mais les préciser, en introduisant de nouvelles et nécessaires distinc- tions. Ainsi, le nerveux d'Hippocrate se trouve divisé en nerveux et sentimental, par suite de la mise en jeu d'une nouvelle propriété : le retentissement. Le sanguin d'Hippocrate se trouve lui-même divisé en sanguin et colérique, par suite de la coupure produite par l'émotivité. L'introversion se retrouve chez le sentimental, mais elle est d'une autre nature que celle de l'apathique. Le sentimental est schizothyme, tandis que le colérique est un cyclothyme. La caractérologie, bien qu'elle soit partie de bases différentes, constitue alors une sorte de synthèse des typologies antérieures, dont elle limite la portée et le sens;

2. La caractérologie doit reposer sur des bases objectives. Celle de Groningue s'appuie sur une vaste enquête statistique portant sur 2 523 sujets, vérifiée par une analyse biographique de per- sonnages célèbres, ce qui a permis d'établir, par le jeu des corré- lations, des types caractériels bien différenciés. Ce n'est qu'après l'établissement de la liste des types retenus que leurs éléments consti- tutifs ont été recherchés. Les résultats d'ensemble de ces recherches, conduites par les savants hollandais Heymans et Wiersma, ont été systématisés et complétés par René Le Senne dans son ouvrage fondamental, Traité de Caractérologie (1);

3. La caractérologie doit laisser la porte ouverte aux chercheurs soucieux de préciser davantage les types ou encore de pousser plus avant la différenciation. Ce n'est pas une science figée, aux structures immuables. C'est une recherche vivante, en voie de continuelle

(1) P. U. F. — Nous désignerons, par la suite, le Traité de Caractérologie par l'abréviation Traité. Les pages auxquelles il sera renvoyé sont celles de la première édition.

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amélioration. Ce dynamisme créateur contraste avec le dogmatisme de la plupart des typologies précédentes. C'est ainsi que Gaston Berger a pu introduire cinq nouvelles possibilités de différenciation entre les individus, sans pour autant modifier en rien les bases pre- mières de la caractérologie (1).

§ 2. LES PROPRIÉTÉS CONSTITUTIVES

Les éléments de base, dont les combinaisons donnent les différents types, sont appelés propriétés constitutives. Il y a trois propriétés constitutives fondamentales dont la réalité objective a d'ailleurs été montrée. Sans insister sur le fondement physiologique de ces trois propriétés, il faut souligner qu'une place prépondérante leur a été donnée, parfois sous un autre nom, par presque tous les auteurs qui se sont occupés de caractérologie (2).

L'émotivité a été reconnue par tous les caractérologues. Elle a fait l'objet de l'étude des psychologues sous le nom de « vie affective ». Le meilleur critère qu'on en puisse donner est la disproportion entre l'importance objective d'un événement quelconque et la réaction affective par laquelle y répond l'individu. L'émotif est ému pour des riens. Plus la réaction est disproportionnée par rapport à l'événement, plus l'émotivité est vive. Au contraire, le non-émotif reste calme dans la plupart des circonstances, bien qu'il puisse cependant se trouver ému par un événement présentant pour lui une grande importance. A cet égard, on a trop tendance à penser aux extrêmes et à considérer les non-émotifs comme l'exception. Ceux-ci ne sont d'ailleurs pas dénués de toute affectivité, ce qui ne pourrait pas se concevoir chez un être vivant. Ils sont seulement moins émotifs que la moyenne des hommes. La distinction entre émotifs et non-émotifs n'est pas aussi tranchée qu'on le croit communément. Il ne s'agit pas de deux mondes

(1) Traité pratique d'analyse du caractère, P. U. F., 1950. Voir ci-dessous, p. 7. (2) La description complète de ces propriétés se trouve dans le Traité de

LE SENNE, pp. 61 à 103.

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complètement opposés, mais de variations d'assez faible intensité, les deux pôles extrêmes étant représentés par l 'homme le plus émotif et l 'homme le moins émotif, considérés par rapport à la moyenne de l'émotivité humaine.

L'activité a, elle aussi, été souvent reconnue par les psychologues. Une distinction s'impose à son sujet. L'activité caractérologique n'est pas forcément l'activité manifestée. L'agitation et le mouvement n 'ont rien à voir avec l'activité. L'activité provient d'une disposition spon- tanée à agir. L'actif recherche les occasions d'agir, au besoin il les crée. Elle est une tendance assidue à découvrir, à rechercher ou à créer les occasions

d'agir (1). Un des meilleurs critères que l 'on en puisse donner nous paraît être la réaction de l'individu devant l'obstacle. Chez l'actif, l'émergence d'un obstacle renforce l'action dépensée par lui dans la direction que l'obstacle vient couper. Au contraire, l'obstacle décourage l'inactif (2). Le suractif est celui pour lequel l'obstacle à vaincre est la raison même de s'intéresser à une entreprise. Mais là encore, il y a des nuances très nombreuses et le passage de l'activité à la non-activité se fait insensiblement d 'un individu à l'autre.

Le retentissement : Gross avait distingué, en se basant sur la réacti- vité attardée ou rapide du tissu nerveux, deux types humains à reten- tissement de longue ou de courte durée. C'est cette opposition, qui a été adoptée par l'école hollandaise, pour distinguer les primaires et les secondaires. Les primaires vivent surtout dans le moment présent sans se soucier du passé ni de l'avenir. Leurs joies et leurs chagrins sont de courte durée, car demain effacera ce qu'ils ressentent aujour- d'hui. Leurs réactions sont rapides et explosives, mais elles s'épui- sent rapidement. Au contraire, les secondaires demeurent sous l'im- pression. Leurs sentiments occupent longtemps le champ de leur conscience. Leurs réactions sont plus lentes, mais elles durent davantage. S'ils doivent répondre à une situation quelconque, ils

(1) A. LE GALL, Caractérologie des enfants et des adolescents, P. U. F., p. 38. (2) Traité, p. 77.

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font aussitôt appel au passé pour y trouver la source d'une réaction appropriée. Ils se préoccupent de l'incidence de cette réaction sur l'avenir.

Chez le primaire, le présent est pour le présent ; chez le secondaire pour l'avenir, ce qui fait que l'avenir est sous la dépendance du passé... La mule de Tistet Védène, dont parle Alphonse Daudet, gardait sept ans en réserve un coup de sabot pour qui l'avait molesté. Celui-ci est un primaire, celle-là est une secondaire (1).

Les combinaisons de ces trois propriétés essentielles donnent huit types caractérologiques bien différenciés :

Le nerveux, émotif-non-actif-primaire (EnAP). Le sentimental, émotif-non-actif-secondaire (EnAS). Le colérique, émotif-actif-primaire (EAP). Le passionné, émotif-actif-secondaire (EAS). Le sanguin, non-émotif-actif-primaire (nEAP). Le flegmatique, non-émotif-actif-secondaire (nEAS). L'apathique, non-émotif-non-actif-secondaire (nEnAS). L' amorphe, non-émotif-non-actif-primaire (nEnAP).

Le Senne ajoute à ces trois propriétés constitutives trois propriétés supplémentaires qui permettent de préciser la différen- ciation des types : — l'ampleur du champ de conscience; — l'intelligence analytique; — l'égocentrisme-allocentrisme (2).

La plus importante de ces trois propriétés supplémentaires, qui est aussi celle à laquelle nous nous référerons le plus souvent au cours de cet ouvrage, est l'ampleur du champ de conscience. Si l'esprit se braque sur un objet déterminé, sans s'en laisser distraire et en considérant cet objet comme isolé du reste de ses perceptions, le champ de conscience est étroit. Si, au contraire, les sensations et les idées forment un tout fluide

(1) Traité, p. 90. (2) Traité, pp. 104 à 122.

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et suivent un cours continu, le champ de conscience est large. Le caractère étroit reçoit les impressions avec plus d'intensité, parce qu'il les isole dans une lumière plus vive. Le large, qui les considère par rapport à un tout, dans une lumière atténuée, les reçoit avec moins d'intensité, mais avec plus de souplesse. Par exemple, l'étroit, occupé à un travail, se trouve tellement absorbé par sa tâche qu'il ne prête plus aucune attention à ce qui se passe autour de lui : il faut le secouer si on veut lui faire entendre quelque chose. Au contraire, le large, continue à écouter la radiodiffusion, surveille ses enfants qui jouent à côté de lui, suit à peu près une conversation, tout en continuant à travailler.

La prédominance de certaines tendances permet encore de faire de nouvelles différenciations. Gaston Berger dans son Traité pratique d'analyse du caractère distingue les tendances suivantes dont la prédominance ou la présence atténuée permet de différencier de façon plus précise les individus : — l'avidité; — les intérêts sensoriels; — la tendresse; — la passion intellectuelle.

Il ajoute en outre une nouvelle propriété constitutive : la polarité, qui s'appa- rentant à la combativité, permet de distinguer un type Mars (qui recherche la lutte et la compétition) et un type Vénus (toujours porté à la conciliation) (1).

Récemment, enfin, Robert Maistriaux a distingué les intelligences généralisantes et les intelligences particularisantes (2). Cette distinction est très féconde dans ses conséquences.

§ 3. ÉVOLUTION DE LA GRAPHOLOGIE

La graphologie a évolué dans un sens analogue à celui de la psychologie. D'abord analytique, elle a dressé un catalogue de « signes » graphiques, auxquels elle attribuait, tant bien que mal,

(1) Voir notre étude sur Le diagnostic de la polarité par l'écriture, La carac- térologie, n° 4, P. U. F.

(2) L'intelligence et le caractère, P.U.F., 1959.

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une signification psychologique. Puis, grâce aux typologies, elle a cherché à appréhender l'individu de façon plus globale. Finalement, elle est parvenue à le décrire de manière structurée, en plaçant chaque trait de caractère à sa place respective, déterminée par rapport à l'ensemble.

Graphologie et psychologie ont d'ailleurs toujours entretenu des rapports étroits. Sans doute, l'étude de la morphologie de l'écriture est en soi indépendante de la psychologie. Mais il est bien évident que seule celle-ci est susceptible de permettre à la graphologie l'exploitation de ses découvertes et de lui offrir des voies de recher- ches. La graphologie n'est, en réalité, qu'une branche de la psycho- logie dont elle est tributaire, dans une large mesure.

Qu'on imagine ce que serait la graphologie sans les acquisitions de la psycho- logie moderne et de la psychiatrie et l'on se rendra compte que les portraits faits en 1913 — c'est-à-dire il y a 40 ans — pouvaient être justes, mais non pas aussi complets que le portrait du même scripteur fait par un graphologue d'aujourd'hui, écrit G. E. Magnat (1).

Dès que les premières recherches sur l'écriture furent entreprises de façon sérieuse, c'est-à-dire au milieu du XIX siècle, cette dépendance entre la graphologie et la psychologie apparut. Et tout de suite, l'absence d'une psychologie propre à dépeindre l'homme réel s'est fait cruellement sentir. Les graphologues se trouvaient déroutés par la psychologie analytique, car ils travaillaient non pas dans le domaine des idées, mais dans celui, alors beaucoup moins bien exploré, de la réalité. Ils furent donc réduits à se constituer, pour eux-mêmes, une psychologie particulière qui leur permettait de donner de la vie à leurs interprétations. Ils cherchaient ainsi à résoudre un double problème : mettre sous un dénominateur commun tous les traits de caractère isolés que leur fournissaient leurs études et constituer les liaisons nécessaires entre les résultats, forcément morcelés, d'une analyse graphologique.

(1) La graphologie, n° 49, p. 20.

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L'abbé Michon (1), qui fut le premier à considérer l'écriture d'un point de vue scientifique, s'était à cet effet constitué une classification psychologique, qu'il croyait complète, mais qui, fondée sur la psycho- logie du moment, apparaît aujourd'hui arbitraire. L'abbé Michon sent bien la nécessité pour la graphologie de s'appuyer sur une classification psychologique. Mais, confondant le caractère et l'écri- ture, il ne se sert de la psychologie que pour trouver un cadre de classement des symptômes graphiques qu'il a relevés dans l'écriture.

Pour faire une analyse de l'âme humaine, il y a quatre groupes dominants à établir, qui se fondent en réalité en huit :

I. — 1. Les facultés; II. — 2. Les instincts; 3. La nature; 4. Le caractère; III. — 5. L'esprit; 6. Les aptitudes; 7. Les goûts; IV. — 8. Les passions.

Ce sont les quatre grands aspects sous lesquels se produit le travail psycho- logique (2).

Ces huit groupes sont eux-mêmes divisés en ordre et en genres, sans qu'à aucun moment une idée directrice n'apparaisse.

Cette classification n'a aucun fondement objectif, ni scientifique. La confusion qui en est résultée a nui considérablement à l'intelli- gence de l'ensemble d'un système graphologique, dans lequel les découvertes intéressantes sont pourtant nombreuses.

Crépieux-Jamin (3) perfectionna l'œuvre de Michon en intro- duisant une classification purement graphique des symptômes relevés dans l'écriture. Il fut cependant conduit, lui aussi, à faire appel à la psychologie. Adoptant la psychologie analytique de son temps, il fait intervenir des notions de valeur là où elles n'ont manifestement rien à faire. Il entend juger les scripteurs selon leur « supériorité » ou leur « infériorité » ou même leur « supériorité relative ».

(1) 1806-1881. (2) Système de graphologie, édition définitive, Payot, 1944, p. 102. (3) 1859-1940.

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C'est ainsi qu'il distingue dans l'intelligence trois degrés de supériorité : — le génie qui crée; — le talent qui réalise, critique et apprécie; — l'intelligence qui s'assimile et apprécie spécialement par contrastes;

Et trois degrés d'infériorité : — la médiocrité, marque d'une intelligence peu développée, toujours sans éclat; — l'absence de caractère spécial, c'est-à-dire l'insignifiance; — l'esprit commun (1).

« On ne sait trop, écrit Emmanuel Mounier d'où il tient que : activité, sensi- bilité, simplicité, modération et distinction sont les cinq qualités de « supériorité « générale » du caractère. Tout le vocabulaire est celui de la vieille psychologie descriptive (2). »

Crépieux-Jamin est aussi le créateur de la théorie des résultantes. A l'aide de deux ou plusieurs données caractérielles, on en trouve une autre, originale, qui découlerait nécessairement de l'alliance des premières.

Voici quelques exemples de résultantes : Complication + ardeur = esprit brouillon; Désordre + énergie médiocre = paresse; Clarté d'esprit + finesse + réflexion = perspicacité ; Esprit confus + imagination = utopie.

Cette conception, très analytique, lui permettait de tirer de l'examen d'une écriture des traits de caractère qui ne pouvaient pas en être déduits directement.

Crépieux-Jamin a surtout utilisé une psychologie de « bon sens », assez proche, en somme, de la psychologie populaire, qui voudrait que les individus fussent séparés en « bons » et en « méchants », selon une éthique assez simpliste. Sans doute, ses portraits étaient-ils ressemblants, mais ils manquaient de structure. Bien qu'il se soit efforcé, comme on le verra plus loin, de rattacher la signification des

(1) L'écriture et le caractère, 10 éd., p. 178. (2) Traité du caractère, Éd. du Seuil, p. 209.

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signes graphiques au milieu de l'écriture étudiée, l'utilisation pratique de sa méthode aboutit à une mosaïque de traits de caractère, sans unité psychologique. Victime des insuffisances de la psychologie analytique et évoluant dans le milieu « scientiste » de la fin du XIX siècle, qui considérait comme un dogme la supériorité de l'intel- ligence, Crépieux-Jamin ne put pas atteindre la réalité fondamentale de la personnalité. Celle-ci se présente comme un tout homogène et original et les traits de son caractère doivent être considérés par rapport à ce tout.

Les premières typologies devaient évidemment retenir l'attention des graphologues. L'adoption d'une typologie comble la lacune qui vient d'être signalée et présente l'avantage d'appréhender l'individu en bloc, en le rattachant à un type bien défini. Sans doute, le type diffère-t-il plus ou moins de l'individu réel, mais il groupe des indi- vidus ayant une certaine parenté psychologique. Dès lors, l'inter- prétation des symptômes graphiques devient plus facile et le portrait s'enchaîne logiquement en suivant une ligne bien nette. Cette évi- dence ne fut pas aperçue tout de suite et elle fait encore aujourd'hui l'objet de discussions. Crépieux-Jamin a considéré avec sympathie les efforts accomplis dans cette voie, mais sans y participer activement.

C'est au D Paul Carton (1) que revient, en France, le mérite d'avoir rattaché la graphologie à une typologie. Le D Carton (2), renouvelant la doctrine d'Hippocrate, avait mis au point des tableaux de signes graphiques, destinés à permettre le classement des scrip- teurs en nerveux, bilieux, sanguin et lymphatique. Cet effort réussit pleinement, et l'écriture révèle assez facilement les quatre types bien connus. Le D Carton avait ainsi, le premier, aperçu l'insuffisance de la base psychologique de la graphologie. Son œuvre contient en germe toute l'évolution future de l'étude de l'écriture. Mais il faut souligner qu'il s'était plutôt donné pour objet le diagnostic des types

(1) 1875-1948. (2) Le diagnostic de la mentalité par l'écriture, Le François, 1930.

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d'Hippocrate par l'emploi de plusieurs méthodes, parmi lesquelles la graphologie avait sa place, que le perfectionnement des doctrines graphologiques (1).

L'effort le plus considérable accompli dans cet ordre d'idée depuis Carton, a été fourni par Ania Teillard (2). Rattachant la graphologie au système typologique de Jung, Ania Teillard a conçu une méthode de diagnostic, au moyen de l'écriture, de l'extra- introversion et des quatre fonctions de Jung. Elle pratique une méthode assez intuitive, qui suggère plus qu'elle ne démontre; mais elle a incontestablement permis d'établir des correspondances, dont l'utilisation est assez aisée.

Parmi les tentatives étrangères, nous ne signalerons ici que l'œuvre impor- tante et récente de l'école allemande de Preuss (3). La société d'études Preuss a constitué un certain nombre de groupes caractérologiques destinés à fournir une base aux travaux graphologiques. Ce système, qui prend pour point de départ les quatre tempéraments d'Hippocrate, aboutit à douze types : — le lutteur; — le patient; — le cérébral; — le sensible; — le rayonnant; — l'amorphe; — le souriant; — le sombre, l'avide; — le droit; — le portefaix ; — l'inventif; — la victime.

La psychologie de ces types se retrouve dans la caractérologie : le patient, par exemple, est très proche du flegmatique. Sans sous-estimer l'effort de l'école

(1) L'œuvre de Carton a été précisée par Saint Morand, qui distingue, d'un point de vue purement graphologique, les écritures sur-vitales et les écritures sous- vitales (Les bases de l'analyse de l'écriture, Vigot Frères, 1943).

(2) Ania TEILLARD, L'âme et l'écriture, Stock, 1948. (3) Le système de Preuss a été exposé intégralement dans le n° 10 des Cahiers

de l'Alliance graphologique.

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de Preuss, on peut craindre que sa typologie ne suive pas les progrès de la psycho- logie. C'est, semble-t-il, une construction rigide et qui ne paraît guère susceptible d'évolution (1).

Les résistances n'ont pas manqué, parmi les graphologues, pour faire obstacle à l'utilisation des typologies. Le prestige dont jouit encore la pensée jaminienne est tel que beaucoup n'osent pas procéder à l'inventaire de la partie durable de l'œuvre du maître et abandonner ce qui est dépassé. Crépieux-Jamin a fourni un effort important de dissection de l'écriture. Il a laissé une classification dont la précision et la logique sont admirables. Il a, de plus, pressenti l'évolution future de la graphologie vers la recherche d'un aspect plus synthé- tique de la personnalité. C'est, a-t-on dit, le Linné de la Graphologie; il est loin d'en être le Claude Bernard. La partie interprétative de son œuvre souffre trop des insuffisances de la psychologie de son temps. Sans doute est-il tentant de continuer à introduire des diffé- renciations de valeur entre les individus. Mais le moment est venu de pousser plus loin l'effort d'analyse et de synthèse en suivant les progrès de la psychologie.

Accoutumés à pénétrer des individualités, les graphologues ont été déroutés par la notion de type. Résumant, sans pour autant les faire siennes, les objections faites à l'utilisation des types par les graphologues, Maurice Delamain écrit : « Les types sont peu nom- breux et les caractères des scripteurs sont infinis : ainsi, on court à l'erreur (2). » Les graphologues semblent avant tout redouter que l'attribution d'un type à l'auteur d'une écriture n'aboutisse à une description automatique du scripteur en se référant aux traits de caractère de ce type.

Dans le même ordre d'idées, le D Corman écrit : « ... dès que le questionnaire est terminé et que le psychologue a chiffré les valeurs des différents éléments,

(1) Signalons aussi que Max PULVER a recherché des correspondances grapho- logiques à la typologie de Kretschmer, mais il ne semble pas avoir tiré parti de ses découvertes (voir Trieb und Verbrechen in der Handschrift, Zurich, 1934).

(2) L'œuvre de Crépieux-Jamin, dans Crépieux-Jamin, Stock, 1942.

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d'où se déduit un diagnostic, par exemple : nerveux para-sentimental, à partir de ce moment-là, on ouvre un tiroir et l'on développe le type étiqueté sans jamais revenir en arrière vers le sujet vivant... (1). »

On voit évidemment le danger : quand on tient un maillon de la chaîne, on risque de la tirer tout entière.

Même les graphologues, qui utilisent ou recommandent l'utili- sation de la caractérologie, laissent parfois apparaître la crainte que l'analyse ne dévie ou ne s'éloigne de l'individu.

« Que (les résultantes caractérologiques) constituent un instrument de travail commode, approximativement vrai, dans sa généralité, c'est incontestable, mais une fois celle-là retrouvée au moyen de la caractérologie, ne faut-il pas aller plus loin dans l'individualité, la personnalité, du sujet étudié par la graphologie ? Celui-ci est toujours un peu différent de la moyenne de ses semblables, un peu plus contradictoire peut-être, à tout le moins un peu moins uniformisé. C'est justement la tâche du graphologue que de concevoir son essence autant que possible au travers des manifestations générales analogues. A cet instant le graphologue devra abandonner (2) la caractérologie pour suivre une psychologie plus riche, plus profonde et plus concrète, celle de l'individu, écrit Mme G. Boileau (3). »

Cette citation paraît bien résumer l'état d'esprit de nombreux graphologues qui n'utilisent la caractérologie qu'avec hésitation, presque à contre-cœur, et qui sont impatients de retrouver une « psychologie plus riche », sans toutefois bien préciser la nature de celle-ci.

Examinons dans quelle mesure ces objections sont fondées et recherchons si la caractérologie est réellement susceptible d'apporter à la graphologie un concours efficace.

Les graphologues, que la nature abstraite des types déroute parfois, recommandent de ne les utiliser qu'avec précaution, sinon avec méfiance. Cependant, en étudiant l'écriture pour analyser le caractère du scripteur, le graphologue fait déjà de la caractérologie.

(1) La graphologie, n° 46, p. 30. (2) Souligné par nous-même. (3) Les cahiers de l'Alliance graphologique, n° 11, pp. 21-22.

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Il cherche à rapprocher et à comparer le scripteur avec un autre individu ou un groupe d'individus connus. Aucune notation psycho- logique ne présente un caractère absolu. Elles sont toutes relatives, et affirmer qu'un individu est émotif, revient à reconnaître qu'il est plus émotif que d'autres. Crépieux-Jamin, en introduisant une distinction, très contestable, entre les écritures harmonieuses et les écritures inharmonieuses, faisait déjà de la caractérologie. D 'ailleurs n'écrivait-il pas lui-même : « Quand on a analysé un grand nombre d'écritures, on arrive à se faire une caractérologie graphologique (1), ou plutôt une classification arbitraire, mais précieuse, d'écritures et de caractères analogues (2). » Il a donc fait cette constatation capitale qu'il existe des séries d'écritures correspondant à des séries de caractères. C'est là le fondement même des recherches grapho-caractérologiques.

En réalité, écrit Le Senne (3), la caractérologie ne prétend pas elle-même retrouver les individus. Il suffit de pouvoir construire des êtres de raison... afin d'en faire comme des repères par rapport auxquels les individus vivants pourront se situer.

Les types caractérologiques représentent des régions aux frontières assez larges, à l'intérieur desquelles on peut placer un individu déterminé. Constater que Rouen se trouve en Normandie, ce n'est pas décrire cette ville, mais c'est déjà la situer dans une région connue. Reconnaître qu'un individu se classe dans la race alpine, ce n'est pas décrire cet individu, car de nombreux physiques différents peuvent appartenir à cette race, ou résulter du produit de la race alpine avec d'autres. Néanmoins, cette première indication délimite déjà les contours du personnage étudié. Les traits physiques qui se dégagent par la suite peuvent alors s'ordonner logiquement autour d'un tout connu et déjà étudié.

L'effort de classification auquel nous invite la caractérologie

(1) Souligné par nous-même. (2) L'écriture et le caractère, 10 éd., p. 412. (3) Traité, p. 43.

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n'empêche donc nullement le graphologue de rechercher sur quels points l'individualité qu'il étudie s'écarte du type-repère et dans quelle mesure elle s'en rapproche.

L'objection qui consiste à affirmer que les types caractérologiques sont abstraits — et c'est vrai dans une certaine mesure — et ne peu- vent pas représenter des individualités, n'a aucune valeur en soi.

« Le physicien qui traite de pendules ou de gaz parfaits, le chimiste, qui ne nous parle que corps purs, le biologiste, qui pense en admettant la réalité des espèces, usent de généralités que l'historicité de toute expérience dément. Faut-il en conclure que... la physique, la chimie, la biologie sont impossibles ? » interroge Le Senne (1).

Les sciences qui viennent d'être énumérées possèdent cependant des applications pratiques et leurs notions, pour conceptuelles qu'elles soient, arrivent à se plier à l'expérience avec une souplesse suffisante. On peut se demander, dans ces conditions, pourquoi la caractérologie ne pourrait pas être utilisée par la graphologie.

La détermination d'un type, délimitant une région dans laquelle peut se classer un scripteur, n'entraîne d'ailleurs pas l'adoption en bloc des traits de caractère correspondants à ce type. Pour prendre un exemple, si nous nous trouvons en présence d'un flegmatique, nous ne pouvons pas déduire, a priori, que le scripteur n'est pas sensuel, bien que la sensualité du type flegmatique soit plutôt atté- nuée (2). Nous ne pouvons surtout pas l'affirmer si l'écriture révèle, par ailleurs, des symptômes de sensualité. « La typologie, écrit en substance Maurice Delamain, ne conseille qu'à titre de probabilité l'attribution d'une qualité (3). » L'écriture permet de contrôler le bien-fondé de cette probabilité. D'après Maurice Delamain, dont le point de vue rejoint entièrement le nôtre, le graphologue reçoit, par le moyen de la typologie des suggestions sur le caractère du

(1) Traité, p. 43. (2) Continence sexuelle pour le flegmatique : 75,2 (max.), moy. : 59,2. (3) La graphologie, n° 45, p. 11.

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scripteur. L'attribution d'un type caractérologique permet de consi- dérer ce scripteur sous différents angles, d'examiner si certains traits de caractère, qu'il doit vraisemblablement posséder, sont bien les siens. C'est par un va-et-vient continuel entre le type décelé et l'indi- vidu vivant dont il a l'écriture sous les yeux, que le graphologue doit peindre son portrait. Le type caractérologique n'est ni figé ni rigide; il représente une synthèse qui vient de la vie et doit y retourner. La reconstitution de la personnalité par le moyen de l'écriture est une construction dynamique dont le type ne forme que le gros œuvre.

De tous temps, les « signes » relevés et classés dans l'écriture par les graphologues ont eu de nombreuses significations possibles. Ainsi, le D Stréletski donne, pour l'écriture mouvementée, les signi- fications suivantes :

« Imagination, grâce, gaieté, vivacité, exubérance, exaltation, optimisme, bavardage (1). »

Cette pluralité de significations est absolument légitime. Elle n'a jamais constitué une objection valable contre la graphologie. Il en est de même en médecine, par exemple, où des symptômes identiques peuvent être révélateurs de troubles différents.

Dans un autre ordre d'idée, si nous considérons un individu dont la poignée de main est molle, plusieurs explications peuvent nous venir à l'esprit sur la cause de cette constatation : — il s'agit d'un personnage adroit, souple, habile; — il s'agit d'un personnage peu sûr, fuyant; — il s'agit d'un personnage mou, dénué d'énergie, etc.

Les graphologues se sont évidemment préoccupés de permettre une différenciation des divers sens possibles des symptômes gra- phiques. Pour résoudre la difficulté et trouver l'interprétation appro- priée du signe, Crépieux-Jamin recommandait l'utilisation de syn- thèses d 'orientation. Il éprouvait ainsi le besoin de s'appuyer sur des

(1) Précis de graphologie pratique, Vigot, p. 32.

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synthèses pour éviter que l'étude de l'écriture, qui donne forcément des résultats morcelés, n'aboutisse à une description trop analytique de l'individu. Les synthèses d'orientation sont au nombre de cinq : — l'écriture organisée, qui est celle d'un scripteur écrivant couramment et sans

effort ; — l'écriture inorganisée, au contraire, est celle des individus peu cultivés; — l'écriture combinée, qui est celle dont les formes, plus ou moins liées et simplifiées,

s'organisent bien entre elles; elle comporte des liaisons et des simplifi- cations originales;

— l'écriture désorganisée, qui est celle dont les formes se désagrègent; — l'écriture harmonieuse ainsi définie : « L'harmonie de l'écriture est faite de ses

proportions heureuses, de sa clarté, de l'accord entre toutes ses parties. Les tracés simples, sobres, aisés, précisent davantage sa valeur. L'harmonie de l'écriture correspond à celle du caractère. C'est la grande marque de la supériorité (1). »

Selon les synthèses décelées dans une écriture, il y a lieu de considérer le côté positif des signes ou bien leur signification négative. On voit le caractère subjectif de ces notions. Il y a toujours, derrière elles, une idée de prétendue « supériorité ».

De son côté, Klages, aux prises avec les mêmes difficultés, préconise la recherche du niveau vital. Cette notion, qui attache moins d'importance que la précédente à la supériorité intellectuelle, est encore plus obscure. Elle se situe dans la psychologie de Klages qui rejette l'esprit pour rechercher la vie.

A quoi reconnaît-on qu'une écriture est au-dessous du niveau vital ? « A ce qu'elle paraît routinière, scolaire, conventionnelle, banale, triviale, sans physionomie, etc. (2). » Max Pulver (3) estime que la classification entre les interprétations positives et négatives, bonnes ou mauvaises « ne mène pratiquement qu'à un appauvrissement de la

(1) A. B. C. de la graphologie (P. U. F.), 2 éd., p. 79. Nous désignerons par la suite, cet ouvrage par l'abréviation A. B. C.

(2) KLAGES, Graphologie, Stock, p. 93. (3) 1889-1952.

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PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE

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OUVRAGES PARUS (in-16 jésus) : 1. Traité pratique d'analyse du caractère, par Gaston

BERGER, 6 éd F. 12 » 1 bis. Questionnaire caractérologique, par Gaston BERGER,

7 éd F. 1 » 2. Caractérologie des enfants et des adolescents, à l'usage

des parents et des éducateurs, par André LE GALL, 5 éd F. 15 »

3. L'intelligence et l'éducation intellectuelle. Investigations caractérologiques, par Paul GRIÉGER F. 10 »

4. La timidité. Contribution à l'hygiène du sentimental, par Ginette JUDET F. 7 »

5. Analyse caractérielle des élèves d'une classe par leur maître, par Roger GAILLAT F. 13 »

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F. 20 » 10. L'acte médical et le caractère du malade, par le

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Roger VERDIER F. 9 » 14. Caractérologie du criminel, par le Dr René

RESTEN F. 12 » 15. L'intelligence et le caractère, par Robert MAIS-

TRIAUX F. 15 » 16. La caractérologie ethnique, par Paul GRIÉGER F. 18 » 17. Le caractère de Pascal, par Lucien JERPHAGNON F. 16 » 18. Caractérologie des instituteurs, par Roger CRINER

F. 8 »

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