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CARNET DE ROUTE Il en rêvait et il l'a fait. Jeune pilote hélicoptère mais armé d'une solide expérience professionnelle sur avion, Olivier Jouis a entrepris de voler solo vers le point le plus septentrional de l'Europe occidentale. Un voyage où tourisme et culture n'ont pas eu de place tellement l'aventure mécanique a été intense. Notre auteur est revenu enthousiaste et totalement convaincu de la fiabilité du petit Robinson R22. 433 - Février 2010 - Aviation & Pilote 49 48 Aviation & Pilote - 433 - Février 2010 PAR OLIVIER JOUIS PHOTOGRAPHIES DE L'AUTEUR T armac de l’aéroport d’Arvids- jaur, Suède, le 18 août 2008, le soutier s’approche pour ravi- tailler mon hélicoptère R22. « Where are you flying to?» Je lui réponds : «I am heading up North». Le petit aérodrome, siège de l’école des pilotes cadets de la SAS, baigne dans le soleil de cette belle fin journée du mois d’août. Je viens de franchir les limites géographiques du cercle polaire arctique. Il est 22h00 et après 6 heures de vol en 3 étapes, mon corps courbaturé me rappelle que le R22 est une petite machine qui n’est pas faite pour le grand gabarit qui est le mien. Je viens de passer le 65 e parallèle et le soleil ne se couchera pas avant 23h30 pour se lever 4 heures plus tard. Le soutier semble dubitatif, mi-étonné, mi-goguenard: « Vous venez de Paris dans ce jouet et vous voulez voler jus- qu’au Cap Nord ? » Pari fou et chal- tournantes sur la gamme Eurocopter et premier breveté sur le Cabri de Guim- bal, j’abordais le petit Robinson avec beaucoup de « retenue » si ce n’est de scepticisme vis-à-vis de la fiabilité de cette machine conçue il y a plus de 25 ans. Arrivé en Suède sans aucun pro- blème, mon scepticisme s’est progressi- vement converti en enthousiasme. Mis en confiance, je me surprends à vanter ses qualités et sa fiabilité à mes amis de l’Aéro-Club de Hogonas, premier aéro- drome suédois où je pose mes patins. Je décide alors de poursuivre jusqu’à Linkoping où un ami me pressait de le visiter. Réveillé à 6 heures du matin par le bruit du vent, je me précipite dehors pour surveiller mon hélico. Inquiet, je réalise que j’ai omis la veille d’atta- cher les pales de la machine. Dehors, la manche à air est à l’horizontale. Un vent établi à 25 kt, laminaire mais sans rafales susceptibles de faire battre les pales. Mon petit R22 semble ne pas avoir souffert de cette nuit mouvemen- tée. Condamné au sol à l’inactivité par cette météo un peu trop « virile » pour mon insecte d’hélicoptère, j’en profite pour relire le manuel de vol. Celui-ci me confirme que tout décol- lage par vent supérieur à 15 nœuds est interdit. Le R22 est un bipale, et les démarrages sont toujours délicats par grand vent avec le risque de heurter la poutre de queue. Suivant l’adage des pilotes « l’aviation légère est un moyen LE CAP NORD EN R22 HEADING UP NORTH de déplacement rapide pour gens pas pressés», je décide de remettre mon départ au début d’après-midi. Linkoping est un terrain qui mérite le détour : c’est le siège du constructeur national Saab, qui y assemble, dans une usine enterrée, le fameux chas- seur Gripen, challenger monomoteur du Rafale de Dassault. Héritage de la guerre froide, cette usine qui emploie 5000 personnes est à 80% sous terre. En hiver, pendant les longues nuits polaires, les gens qui y travaillent ne voient donc pas la lueur du soleil de toute la journée. Arrivée en finale der- rière deux chasseurs en formation, la tour m’annonce des rafales à 27 nœuds, bien au-delà de ce que préconise le manuel de vol. Un rapide coup d’œil à la jauge carburant m’indique que les alternatives offertes sont réduites : soit se poser avec un fort vent soit attendre en vol au-dessus du terrain une baisse hypothétique de la force du vent, au ris- que d’entamer mes réserves. La finale ne pose pas de problème. En revanche, ma translation entre les bâtiments pour rejoindre le parking se révèle plutôt sportive à cause des turbulences géné- rées par ces obstacles. Je me remémore les paroles d’Aymeric, mon instructeur sur R22 chez Helioxygène : « le vent qui vient de la gauche est ton ami», à l’inverse des machines Eurocopter dont les pales tournent dans le sens inverse, dextrogyre. « Posé pas cassé », je suis soulagé de baisser le pas géné- ral, après cette petite navigation de deux heures dans les turbulences. Le comportement très sain du R22 dans ces conditions limites me rassure. Nul besoin de surcontrôle dans les rafales, signe d’une bonne stabilité dynamique. Il subit l’accélération verticale ou hori- zontale mais revient assez rapidement dans sa position et son attitude initiales sans intervention excessive de la part du pilote. Ce hors-d’œuvre se révèlera fort utile pour m’aider à affronter avec sérénité les conditions météo sévères qui m’attendent quelques jours plus tard, plus haut, à des latitudes plus élevées... Je suis accueilli à Linkoping par mon ami Michael, agent Eurocopter pour la Suède. Habitué à convoyer les appareils de ses clients depuis l’usine de Marignane, il n’est visiblement pas étonné de mon périple en R22. Au fil de la conversation, où il me relate ses expériences de vol à travers la Suède, il réussit à me convaincre de pous- ser mon périple plus au nord, cartes et fiches terrains à l’appui. La Suède est un pays très bien doté en matière d’infrastructures aéroportuaires, avec un terrain en moyenne tous les 200 km, chacun pourvu d’une approche aux instruments. De surcroît, l’excellente couverture en moyens de radionaviga- tion me permettra également d’écono- miser les piles de mon GPS. Je prépare néanmoins toutes mes navigations en appelant le terrain pour m’assurer de la disponibilité du carburant et des horaires d’ouverture. Si le plan de vol est obligatoire pour tous les aéronefs étrangers, cette formalité, effectuée par téléphone, permet d’avoir égale- lenge personnel. 10 jours de vacances à consommer et 60 heures de vol de « mûrissement » à effectuer avant de poursuivre vers la licence de pilote professionnel hélicoptère. Plutôt que d’acquérir cette expérience en faisant voler les amis ou la famille autour de Paris, j’ai décidé de joindre l’utile à l’agréable en m’offrant cet été ma petite aventure en Scandinavie. Ambitieux défi, mon expérience sur le petit R22 est très mince : seu- lement 15 heures après la qualifica- tion de type. Malgré mon expérience avion, je suis un jeune pilote hélico avec seulement 80 heures « au comp- teur ». Pari risqué et assumé seul, car l’autonomie réduite de l’appareil m’in- terdit de toute manière d’emmener un quelconque « accompagnant ». Tous les pleins faits (110 litres), j’emmène également un équipement de survie, un gilet de sauvetage, du matériel de camping de type polaire, un téléphone satellite, des réserves d’huiles et des bidons d’essence pour « allonger les pattes » de ma machine. Au final, il ne reste que 30 kg pour atteindre la masse maxi décollage de 622 kg. Initialement, ma destination finale était Stockholm. Je n’avais d’ailleurs pas emmené avec moi la documenta- tion aéronautique pour poursuivre mon voyage au delà. Après 12 heures de vol effectuées en 2 jours, atteindre la Suède était déjà pour moi un véritable accomplissement. Initié aux voilures Posé à 4 000 ft, au bord de la mer, sur la calotte d’un glacier. Bien que néophyte, l’auteur a bénéficié de son expérience de pilote de ligne avion, avec 2500 hdv, dont 500 sur A320. Posé près d’une ferme au milieu de nulle part, l’hélico est l’ami de la vessie du pilote... Passé le cercle polaire, la forte déclinaison magnéti- que rend le compas inexploitable et le GPS bien utile !

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CARNET DE ROUTE

Il en rêvait et il l'a fait. Jeune pilote hélicoptère mais armé d'une solide expérience professionnelle sur

avion, Olivier Jouis a entrepris de voler solo vers le point le plus septentrional de l'Europe occidentale.

Un voyage où tourisme et culture n'ont pas eu de place tellement l'aventure mécanique a été intense. Notre auteur est revenu enthousiaste et totalement

convaincu de la fiabilité du petit Robinson R22.

433 - Février 2010 - Aviation & Pilote 49 48 Aviation & Pilote - 433 - Février 2010

PAR OLIVIER JOUISPHOTOGRAPHIES DE L'AUTEUR

Tarmac de l’aéroport d’Arvids-jaur, Suède, le 18 août 2008, le soutier s’approche pour ravi-tailler mon hélicoptère R22. « Where are you flying to?» Je

lui réponds : «I am heading up North». Le petit aérodrome, siège de l’école des pilotes cadets de la SAS, baigne dans le soleil de cette belle fin journée du mois d’août. Je viens de franchir

les limites géographiques du cercle polaire arctique. Il est 22h00 et après 6 heures de vol en 3 étapes, mon corps courbaturé me rappelle que le R22 est une petite machine qui n’est pas faite pour le grand gabarit qui est le mien. Je viens de passer le 65e parallèle et le soleil ne se couchera pas avant 23h30 pour se lever 4 heures plus tard. Le soutier semble dubitatif, mi-étonné, mi-goguenard: « Vous venez de Paris dans ce jouet et vous voulez voler jus-qu’au Cap Nord ? » Pari fou et chal-

tournantes sur la gamme Eurocopter et premier breveté sur le Cabri de Guim-bal, j’abordais le petit Robinson avec beaucoup de « retenue » si ce n’est de scepticisme vis-à-vis de la fiabilité de cette machine conçue il y a plus de 25 ans. Arrivé en Suède sans aucun pro-blème, mon scepticisme s’est progressi-vement converti en enthousiasme. Mis en confiance, je me surprends à vanter ses qualités et sa fiabilité à mes amis de l’Aéro-Club de Hogonas, premier aéro-drome suédois où je pose mes patins. Je décide alors de poursuivre jusqu’à Linkoping où un ami me pressait de le visiter.

Réveillé à 6 heures du matin par le bruit du vent, je me précipite dehors pour surveiller mon hélico. Inquiet, je réalise que j’ai omis la veille d’atta-cher les pales de la machine. Dehors, la manche à air est à l’horizontale. Un vent établi à 25 kt, laminaire mais sans rafales susceptibles de faire battre les pales. Mon petit R22 semble ne pas avoir souffert de cette nuit mouvemen-tée. Condamné au sol à l’inactivité par cette météo un peu trop « virile » pour mon insecte d’hélicoptère, j’en profite pour relire le manuel de vol. Celui-ci me confirme que tout décol-lage par vent supérieur à 15 nœuds est interdit. Le R22 est un bipale, et les démarrages sont toujours délicats par grand vent avec le risque de heurter la poutre de queue. Suivant l’adage des pilotes « l’aviation légère est un moyen

LE CAP NORD EN R22

HEADING UP NORTHde déplacement rapide pour gens pas pressés», je décide de remettre mon départ au début d’après-midi.

Linkoping est un terrain qui mérite le détour : c’est le siège du constructeur national Saab, qui y assemble, dans une usine enterrée, le fameux chas-seur Gripen, challenger monomoteur du Rafale de Dassault. Héritage de la guerre froide, cette usine qui emploie 5000 personnes est à 80% sous terre. En hiver, pendant les longues nuits polaires, les gens qui y travaillent ne voient donc pas la lueur du soleil de toute la journée. Arrivée en finale der-rière deux chasseurs en formation, la tour m’annonce des rafales à 27 nœuds, bien au-delà de ce que préconise le manuel de vol. Un rapide coup d’œil à la jauge carburant m’indique que les alternatives offertes sont réduites : soit se poser avec un fort vent soit attendre en vol au-dessus du terrain une baisse hypothétique de la force du vent, au ris-que d’entamer mes réserves. La finale ne pose pas de problème. En revanche, ma translation entre les bâtiments pour rejoindre le parking se révèle plutôt sportive à cause des turbulences géné-rées par ces obstacles. Je me remémore les paroles d’Aymeric, mon instructeur sur R22 chez Helioxygène : « le vent qui vient de la gauche est ton ami», à l’inverse des machines Eurocopter dont les pales tournent dans le sens inverse, dextrogyre. « Posé pas cassé », je suis soulagé de baisser le pas géné-ral, après cette petite navigation de deux heures dans les turbulences. Le comportement très sain du R22 dans

ces conditions limites me rassure. Nul besoin de surcontrôle dans les rafales, signe d’une bonne stabilité dynamique. Il subit l’accélération verticale ou hori-zontale mais revient assez rapidement dans sa position et son attitude initiales sans intervention excessive de la part du pilote. Ce hors-d’œuvre se révèlera fort utile pour m’aider à affronter avec sérénité les conditions météo sévères qui m’attendent quelques jours plus tard, plus haut, à des latitudes plus élevées...

Je suis accueilli à Linkoping par mon ami Michael, agent Eurocopter pour la Suède. Habitué à convoyer les appareils de ses clients depuis l’usine de Marignane, il n’est visiblement pas étonné de mon périple en R22. Au fil de la conversation, où il me relate ses expériences de vol à travers la Suède, il réussit à me convaincre de pous-ser mon périple plus au nord, cartes et fiches terrains à l’appui. La Suède est un pays très bien doté en matière d’infrastructures aéroportuaires, avec un terrain en moyenne tous les 200 km, chacun pourvu d’une approche aux instruments. De surcroît, l’excellente couverture en moyens de radionaviga-tion me permettra également d’écono-miser les piles de mon GPS. Je prépare néanmoins toutes mes navigations en appelant le terrain pour m’assurer de la disponibilité du carburant et des horaires d’ouverture. Si le plan de vol est obligatoire pour tous les aéronefs étrangers, cette formalité, effectuée par téléphone, permet d’avoir égale-

lenge personnel. 10 jours de vacances à consommer et 60 heures de vol de « mûrissement » à effectuer avant de poursuivre vers la licence de pilote professionnel hélicoptère. Plutôt que d’acquérir cette expérience en faisant voler les amis ou la famille autour de Paris, j’ai décidé de joindre l’utile à l’agréable en m’offrant cet été ma petite aventure en Scandinavie.

Ambitieux défi, mon expérience sur le petit R22 est très mince : seu-lement 15 heures après la qualifica-tion de type. Malgré mon expérience avion, je suis un jeune pilote hélico avec seulement 80 heures « au comp-teur ». Pari risqué et assumé seul, car l’autonomie réduite de l’appareil m’in-terdit de toute manière d’emmener un quelconque « accompagnant ». Tous les pleins faits (110 litres), j’emmène également un équipement de survie, un gilet de sauvetage, du matériel de camping de type polaire, un téléphone satellite, des réserves d’huiles et des bidons d’essence pour « allonger les pattes » de ma machine. Au final, il ne reste que 30 kg pour atteindre la masse maxi décollage de 622 kg.

Initialement, ma destination finale était Stockholm. Je n’avais d’ailleurs pas emmené avec moi la documenta-tion aéronautique pour poursuivre mon voyage au delà. Après 12 heures de vol effectuées en 2 jours, atteindre la Suède était déjà pour moi un véritable accomplissement. Initié aux voilures

Posé à 4 000 ft, au bord de la mer, sur la calotte d’un glacier. Bien que néophyte, l’auteur a bénéficié de son expérience de pilote de ligne avion, avec 2500 hdv, dont 500 sur A320.

Posé près d’une ferme au milieu de nulle part, l’hélico est l’ami de la vessie du pilote...

Passé le cercle polaire, la forte déclinaison magnéti-que rend le compas inexploitable et le GPS bien utile !

Duissent adio digna conum ing eu feu feu facillam eugiam ea feu feugue eummolut aut nos enim vullutp atuercilit praesse quipit lute del utpat, qui eum dolore moloborper acincilit euipit alit in henismo loborer ostrud ming et, sequipit amcon hendigna am volorem quatem zzrit ip

aussi le point de départ des groupes de chasseurs qui viennent traquer les ours, nombreux dans cette partie du pays à ce que l’on me dit. Au nord et à l’ouest de la Suède, le pays est entouré de montagnes qui forment une frontière naturelle avec le riche voisin norvégien. La nature change, les hauts sapins ont désormais cédé la place aux arbustes où se nourrissent les troupeaux de rennes que je survole régulièrement.

Le terrain prend de l’altitude, et les premières neiges apparaissent suivies de glaciers. Je quitte la Suède pour une brève incursion en Finlande jusqu’à Enontekio, le pays du Père Noël. Ter-rain fermé, carburant indisponible. Il est 21h00, et la nuit ne tombera pas avant trois heures. Bilan carburant fait, je décide de poursuivre mon vol vers la Norvège jusqu’à Kutokeino, la « capitale » des Lapons. La Lapo-nie, également dénommée Sumiland, n’est pas un état à proprement parler, mais le peuple lapon est une réalité dans cette partie de la Scandinavie. Peuple migrant, vivant principalement de l’élevage de rennes, ses membres sont établis sur les trois pays, Finlande, Suède et Norvège, à travers lesquels ils bénéficient d’une liberté de circulation totale. L’un de mes hôtes lapons en Nor-vège, qui m’a chaleureusement accueilli chez lui après que la visibilité dégra-dée m’ait « intimé l’ordre imminent » de me poser, me racontait qu’il était l’heureux et modeste propriétaire d’un troupeau de... sept mille têtes. Consi-dérés comme une minorité longtemps opprimée, les parlements des trois états leur ont accordé des droits spéciaux, notamment fonciers, afin de réparer les erreurs du passé. Je rejoins l’aéroport d’Alta, mais trop tard pour pouvoir être ravitaillé à temps et profiter de la fenêtre météo fantastique qui m’aurait permis d’atteindre le Cap Nord le soir même. Il est vrai qu’en route, je me suis attardé à me poser près d’un troupeau de rennes en pleine montagne pour tenter de réaliser quelques photos.

La rupture est totale avec les paysages relativement plats de la Suède et de la Finlande. Je passe sans transition du survol d’un haut plateau à une falaise qui tombe à pic sur un immense fjord au fond duquel est niché le petit port d’Alta. Une violente rafale de vent me surprend au passage d’un col. Sueur froide, regard circulaire sur tous les instruments moteurs, j’ajuste mon gilet de sauvetage à la vue de l’eau glacée 1000 mètres plus bas.

6h00 du matin, impossible de refer-

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ment accès à une prévision météo très détaillée avec en prime, un exposé sur les Notams en vigueur.

Envie de voir la planète de plus près, besoin de chasser la monotonie de ces longues heures au-dessus de paysages de forêts et de lacs, je me surprends à voler de plus en plus bas. Absence d’obstacles, notamment de ces grandes lignes électriques qui sont le cauchemar du pilote d’hélicoptère en France, très peu de trafic, une météo clémente qui me permet de me faufiler entre deux fronts, la surconfiance me guette. En volant à quelques mètres au-dessus de la cime des arbres, façon vol tactique, quelle garantie ai-je de réussir une autorotation dans la plus proche clairière ? En pratiquant le vol de pente aux heures chaudes de la journée pour économiser de la puissance, et donc du carburant, j’oublie que ma vie est accrochée à ce petit rotor à deux pales qui ne m’offre que quelques secondes de réaction en cas de panne moteur. Sueur froide dans les mains, réaction saine et salutaire, je me fixe désormais

une hauteur mini au-dessous de laquelle je ne descendrai plus. Deux heures de vol depuis ce matin, je suis à la recher-che d’une aire où me poser. Premier passage au-dessus des rives de ce petit lac, un deuxième passage pour évaluer la puissance disponible en stationnaire, et je suis en finale sur ce bout de terre pour une petite pause bien méritée. A un mètre de hauteur, en stationnaire, le sol que j’imaginais assez solide pour accueillir nos 600 kg m’apparaît tout d’un coup très meuble. Je réalise que je suis en train de me poser dans un marécage où mes chances de redécol-ler seraient nulles. Adieu la pause, je remets les gaz.

Quelques minutes plus loin, la chance me sourit et j’aperçois une ferme au milieu de nulle part. De la fumée sort de la cheminée : un café en perspective. Posé dans la cour de la ferme, le terrain accuse un fort dévers que j’avais mal apprécié lors des sur-vols de reconnaissance. Les occupants, intimidés par cette visite inopinée, se sont réfugiés à l’intérieur de la bâtisse en bois, mi-cabane au Canada, mi-isba

russe. Après quelques minutes, deux jeunes garçons sortent et m’invitent à venir partager le café tant espéré. J’ai le sentiment d’être un extra- ter-restre. Seul l’adolescent de la famille parle un anglais scolaire. Les échanges sont limités. En revanche, les regards s’éclairent quand mes interlocuteurs comprennent, incrédules, que je viens de Paris dans mon petit oiseau à voilure tournante.

Kiruna, dernière ville importante du nord de la Suède, cité minière et industrielle, est connue du monde entier pour son hôtel entièrement construit en glace, rendu célèbre par le célèbre agent de sa Gracieuse Majesté dans le dernier opus « Demain ne meurt jamais ». A la recherche d’un havre pour m’y reposer, je suis déçu d’apprendre que la température estivale trop élevée depuis quelques années fait disparaître l’hôtel et qu’il faut le reconstruire régulièrement pour l’hi-ver suivant. Preuve, s’il en est encore besoin, de la réalité du phénomène de réchauffement climatique. Kiruna est

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mer l’œil depuis que le soleil s’est levé il y a deux heures. Un rapide coup d’œil par la fenêtre me confirme que la fenê-tre météo qui m’a permis de voler d’une seule traite jusqu’à ces latitudes est en train de se refermer. Je descends jusqu’à l’aéroport pour discuter avec le prévisionniste de mes chances de voler aujourd’hui jusqu’au Cap nord. La visibilité se réduit localement au passage des averses mais cela reste jouable. Seule ombre au tableau : le petit aérodrome d’Honningsvag, le plus au nord de l’Europe après celui des îles Svalbard, est fermé pour entretien de la piste. Mais mon petit hélicoptère n’a pas besoin de toute la piste pour se poser ! Discussion, négociation avec la tour qui m’interdit de venir m’y poser. De surcroît, j’apprends que l’atterris-sage au Cap Nord n’est pas autorisé.

Je suis découragé, voilà que la météo et l’administration se liguent pour me faire échouer si près du but. Je décide néanmoins de me rapprocher du port de Hammerfest, où j’atterris sous une pluie battante. Le Super Puma des garde-côtes norvégiens vient se poser quelques instants plus tard et ses pilotes confirment que « ce n’est pas un temps à mettre ses pales en l’air ».

Je me réfugie dans l’unique restau-rant du village où ma déception fait peine à la serveuse. Elle m’apprend que sa sœur travaille à la base météo installée sur le rocher du Cap Nord. Lueur d’espoir. Elle l’appelle sur le

champ pour s’enquérir des possibilités d’atterrir en hélico. Quelques mots avec son chef qui me confirme par email l’autorisation d’atterrir. Je fonce à l’aé-roport où entretemps, visibilité et vent se sont améliorés.

Je dépose un plan de vol : destina-tion Cap Nord. Mon interlocuteur me gratifie d’un « have a safe flight ! » un peu inquiétant. Je survole les derniers fjords et après une heure de vol, un rocher immense semble marquer la fin du continent. Le vent s’est levé et un front barre l’horizon sur la mer. Dans cinq minutes, il sera sur moi et je serai prisonnier, à sa merci. Déci-sion : il faut se poser dans les trois minutes. Repérage, finale, stationnaire à 3 mètres au-dessus du sol. Le vent a nettement forci, et mon hélicoptère fait des embardées impressionnantes. Pas besoin de manche à air : à vitesse nulle, mon anémomètre indique une valeur que je qualifierai d’indécente. En étant trop proche de la falaise, je réalise que je suis dans la turbulence du vent qui vient la frapper 300 mètres plus bas. Je recule de 200 mètres où je rencontre un vent beaucoup plus faible et plus laminaire. A l’image des sur-feurs qui attendent la bonne vague pour se lever, je reste quelques instants à me faire secouer en espérant une accalmie. Décision : je me pose maintenant, ou retour à la case départ ! Petit dévers, sol lunaire constitué de grosses pierres où j’identifie une petite zone qui semble

Autoportrait bien mérité à l’arrivée : « Le Cap Nord, j’y suis ! »

Cosmos 1999? Non, juste la station météo du Cap Nord. Notez la cale sous le patin gauche pour éviter l’entrée en résonance avec le sol inégal.

Le R22 et son « grand » cousin le Super Puma à Hammerfest. Visibilité et plafond « nominaux » pour la région.

© Jeppesen 2010. Do not use for navigation.

convenir. Kiss landing de précision. Je freine le rotor. Mes jambes tremblent. Un coup d’œil au badin. Le vent a été généreux avec moi en me ménageant une période d’accalmie. 71° 10'6'' : les coordonnées du bout de l’Europe. Impression de bout du monde.

En face de moi, de l’autre côté du pôle Nord, c’est le Canada et la Russie. A ces latitudes, la déclinaison magnétique couplée à la forte inclinai-son rendent mon compas totalement inexploitable. Je vérifie les piles de mon GPS et m’extrais de la machine pour aller me réfugier au centre météo. On y vend des cartes postales pour que ceux qui ont atteint ce lieu puissent témoigner qu’ils « y étaient ». Petit café avec la charmante bienfaitrice aux yeux verts qui m’a donné le sésame pour venir jusqu’ici en hélicoptère. Le front passe et laisse place à une accalmie. La chance est toujours avec moi.

Retour au terrain d’Alta où m’attend le soutier, à l’heure convenue le matin. Puis redécollage dans la foulée. Tout à la satisfaction d’avoir réussi mon pari, j’omets de vérifier la météo. Je laisse le fjord derrière moi pour attaquer l’as-cension d’une montagne en remontant le lit d’un torrent. Le vent me pousse, et je monte avec une puissance réduite jusqu’au plateau sur lequel je suis un sentier. Passage de col. J’évite des nua-ges isolés mais de plus en plus rap-prochés. Tout d’un coup, la visibilité se réduit au passage d’un petit lac de

un papier où un ami lapon m’avait écrit le numéro de téléphone à appeler en cas de problème. Au bout du fil, Ulf Grinda, pionnier de l’hélicoptère en Suède, pilote aux vingt mille heures de vol, propriétaire de la plus ancienne compagnie d’aviation du pays. Client de lancement de l’EC 120 d’Eurocop-ter, il a participé à la mise au point de l’appareil notamment pour les tests grand froid. Il a introduit l’usage de l’hélicoptère chez les Lapons pour regrouper leurs immenses troupeaux de rennes à l’occasion des transhu-mances. Je lui expose mon cas et il m’invite à venir me poser chez lui pour ravitailler. Ce voyage est décidément dirigé par une bonne fée. Dans ce pays vaste au climat rude, il m’explique que la solidarité entre pilotes est une nécessité.

Cap sur la Norvège où la route du retour doit passer par Oslo; je retrouve les grandes étendues de forêt de pins qui font la fortune d’Ikéa. Il est midi, et la faim commence à me tirailler. Au loin, une fumée. Je survole le camp. Quelques passages afin de repérer une large clairière pour un posé à proxi-mité du camp. Collectif ramené vers le bas progressivement. L’hélicoptère se cabre. En mettant pied à terre, je m’enfonce dans ce qui semble être de la mousse. Je ne vois plus les patins de l’hélicoptère. Il semble stable mais je préfère le caler avec des pierres et partir l’esprit tranquille en direction du camp où les chasseurs m’invitent à partager leur repas. Mais que chasse-t-on par ici ? L’ours bien évidemment.

Pour me convaincre, ils me montrent le trophée de la matinée. Un second est blessé et tourne dans les environs du camp. Pour repartir et franchir le bois qui me sépare de ma machine, deux hommes armés m’accompagnent ... en cas de mauvaise rencontre. Quand je pense aux bivouacs que j’ai fait seul au milieu de nulle part ces derniers jours, je crois que ma bonne étoile a veillé sur moi.

Cette dernière ne me quittera pas jusqu’à mon retour à Paris, après 57 heures de vol en 10 jours. Au final, le

R22 s’est admirablement comporté mais à mon avis, ce n’est une machine ni pour les grands pilotes ni pour les longs trajets. La Scandinavie est une destination idéale pour un voyage aéronautique : infrastructures aéropor-tuaire et de navigation de premier plan, aviation civile compétente et aimable, disponibilité de l’AVGAS satisfaisante. Les taxes sont raisonnables et le coût de l’hébergement est comparable à celui de la France. Une destination idéale pour une sortie aéroclub, hors des sentiers battus. y

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équipes de sauvetage. Moteur coupé, je profite de la beauté du paysage : posé sur un glacier qui plonge dans la mer, la visibilité est extraordinaire.

En reprenant l’air, je suis le parcours du glacier. Passage des séracs. Puis un immense fjord. Sur ma droite, l’ar-chipel des Lofoten s’étend sur plus de 150 kilomètres. Je me suis assuré que le propriétaire du camping situé sur la dernière île peut accueillir mon héli-coptère. Posé au milieu des rochers, au pied d’immenses falaises, je bivouaque dans le petit village de Å, première lettre de l’alphabet, dernière île de cet archipel irréel.

Sur le chemin du retour, je me pose sur l’île qu’un ami s’est achetée pour y restaurer une maison. Il m’assure qu’il y a largement assez d’espace pour y accueillir mon hélicoptère. En fait d’île, c’est un caillou grand comme un terrain de basket, donc posé d’extrême précision requis. La plage me semble plus accueillante mais je dois redécoller 10 minutes plus tard, mon hôte m’ayant averti que la marée allait monter...

Je reprends mon vol vers la Suède où, paradoxe, le carburant coûte moins cher que chez le voisin norvégien, pays pourtant producteur de pétrole. Arrivé à Ostersund, je me retrouve piégé dans un aéroport fermé où personne ne peut me ravitailler.

En fouillant mes poches, je retrouve

montagne bordé de neige. Au bout, je devine une cabane. Le plafond me contraint à ne voler qu’à une dizaine de mètres au-dessus du lac.

Cette cabane semble me ten-dre les bras pour y passer la nuit. Personne pour le comité d’accueil, porte non close. A l’intérieur, du bois pour le feu et des vivres de première nécessité, et le livre d’or du refuge. Après une nuit réparatrice, je m’offre au petit matin un bain de... 10 secon-des dans le lac au milieu des glaçons. Tempête de ciel bleu, vol de rêve au milieu des glaciers. Je ne résiste pas au plaisir d’aller fouler ce blanc immaculé. J’applique les règles du vol montagne : évaluation du vent et de la qualité de la neige avant le poser. Elle a l’air plus dure dans la partie plate du glacier, renforcée par l’effet venturi du vent. Stationnaire, posé de précaution, centimètre par centimètre pour évaluer la densité de la neige. Je sens que l’hélicoptère s’enfonce tout en se cabrant. Nous sommes à 4000 pieds et ma marge de puissance s’est réduite. J’ouvre la porte tout en soutenant la machine au collectif et je réalise que le patin a disparu sous la neige. Je décide de poursuivre en avant en glissant vers une zone de rochers. La neige est plus dure et je peux enfin me poser sans crainte de voir ma machine s’enfoncer dans la neige. J’imagine avec angoisse les explications que j’aurai dû fournir aux

Une piste avion coin-cée entre deux fjords en Nor-vège, arrêt chez Eidar et Brit, 8 enfants, 2 Piper Cub : la transmis-sion de la passion de l’air est assurée !

Posé dans une Île de l’archi-pel des Lofoten, l’hélicoptère, synonyme de sauve-tage, est le bienvenu, malgré les apparen-ces…

Même en été, les glaciers atteignent la mer.

Pour les longues navigations, il est préférable d’être bidextre pour éviter l’engourdisse-ment.

Retour à l’héliport de Paris, après 67 heures de vol.