Cannes Journal de bord JOUR 8 / Paterson

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69e Festival de Cannes COMPETITION JOURNAL DE BORD Retrouvez-nous chaque jour à Cannes avec un film à l’honneur dans notre journal de bord. JOUR 8 PATERSON / JIM JARMUSCH Après avoir brillamment saisi la mélancolie de l’éternité dans la lente et interminable existence des êtres de la nuit (ONLY LOVERS LEFT ALIVE), Jim Jarmusch revient en compétition officielle avec un film plus prosaïque, redécouvrant dans les rituels du quotidien, la poésie frugale de la banalité.

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« Paterson vit à Paterson, New Jersey, cette ville des poètes - de William Carlos Williams à Allan Ginsberg aujourd’hui en décrépitude. Chauffeur de bus d’une trentaine d’années, il mène une vie réglée aux côtés de Laura, qui multiplie projets et expériences avec enthousiasme et de Marvin, bouledogue anglais. Chaque jour, Paterson écrit des poèmes sur un carnet secret qui ne le quitte pas… »

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69e Festival de Cannes

COMPETITIONJOURNAL DE BORD Retrouvez-nous chaque jour à Cannes avec un film à l’honneur dans notre journal de bord.

JOUR 8

PATERSON / JIM JARMUSCH Après avoir brillamment saisi la mélancolie de l’éternité dans la lente et interminable existence des êtres de la nuit (ONLY LOVERS LEFT ALIVE), Jim Jarmusch revient en compétition officielle avec un film plus prosaïque, redécouvrant dans les rituels du quotidien, la poésie frugale de la banalité.

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POÉSIE SANS FIN «  Paterson vit à Paterson, New Jersey, cette ville des poètes - de William Carlos Williams à Allan Ginsberg aujourd’hui en décrépitude. Chauffeur de bus d’une trentaine d’années, il mène une vie réglée aux côtés de Laura, qui multiplie projets et expériences avec enthousiasme et de Marvin, bouledogue anglais. Chaque jour, Paterson écrit des poèmes sur un carnet secret qui ne le quitte pas… »

Dans une vie sans démesure, rythmée par les rituels d’un foyer où règnent une paisible harmonie, Paterson est conducteur de bus, mais aussi poète. Dans ce quotidien routinier que n’importe quel réalisateur aurait filmé comme morne et insignifiant, il saisit d’infinis détails, allant d’une boîte d’allumettes à une cascade de pluie, pour constituer des poèmes à la prose singulière. Paterson et Laura jouissent d’un bonheur serein et s’émerveillent comme l’agent Cooper dans TWIN PEAKS , poète à sa manière, s’enthousiasme d’une tarte aux cerises ou d’une tasse de café noir.

Si Jodorowsky (voir journal de bord n°4) célèbre l’onirisme dans l’exaltation des couleurs et des sentiments à l’écran, il se trouve plutôt chez le cinéaste américain, d a n s l ’ a s s u é t u d e e t l ’ i m p r o b a b l e magnificence de la banalité. Une constance que l’on retrouve dans le rigorisme formel

des haïkus, dont la beauté épurée se fige en quelques mots dans une situation ou dans un mouvement. Lorsque le personnage principal conduit son bus en écoutant d’une oreille attentive les conversations de ses passagers, on assiste déjà peut-être à la genèse de l’inspiration. Dans PATERSON, le bonheur ne se trouve ni dans l’excès, ni dans l ’ amb i t i on , ma is dans les rêve r ies improbables de Laura (touchante et enivrante Golshifteh Farahani) et dans le fond de bière de Paterson qui se rend chaque soir dans le même bar. Ce couple raisonnable s’aime d’un amour inconditionnel, aux antipodes de la passion déchirante et des crises d’hystérie. Rien ne semble les perturber sinon une boîte aux lettres qui s’affaisse quotidiennement et dont il faut replanter le mât.

Le film s’imprègne à mesure que les scènes se répètent, bercé par la voix sourde et lénifiante de Adam Driver, il passe comme un bruissement de vent ou un baiser matinal. Il est une invitation permanente à la poésie, loin de l’image romanesque et torturée des artistes, Jarmusch fait l’éloge du poète du dimanche, du rêveur coutumier, qui au rythme des tickets compostés, assemble dans les méandres de ses songes éveillés, la prose rudimentaire des détails sublimés. Finalement qu’il y a-t-il de plus précieux pour atteindre la plénitude, qu’un carnet vierge offrant l’infini et les vers familiers des poètes que l’on aime ?

Jordan More-ChevalierPublié le 18/05/16