Camus Albert L Homme Revolte

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    Lhomme rvolt

    Albert CAMUS

    Jean Grenier

    Et ouvertement je vouai mon cur la terre grave et souffrante, et souvent, dans la nuit sacre je lui promis de laimer fidlement jusqu la mort, sans peur, avec son lourd fardeau de fatalit

    et de ne mpriser aucune de ses nigmes. insi, je me liai elle dun lien mortelHolderlin, La Mort dEmpdocle

    Introduction : !a"surde et le meurtre

    Il y a des crimes de passion et des crimes de logique. Le Code pnal les distingue, assecommodment, par la prmditation. Nous sommes au temps de la prmditation et du crim par ait. Nos criminels ne sont plus ces en ants dsarms qui in!oquaient le"cuse de lamour.sont adultes, au contraire, et leur ali#i est irr uta#le : cest la p$ilosop$ie qui peut ser!ir % tm&me % c$anger les meurtriers en 'uges.

    Heat$cli , dans !es #auts de #urlevent , tuerait la terre enti(re pour possder Cat$ie,

    mais il naurait pas lide de dire que ce meurtre est raisonna#le ou 'usti i pas un syst(me. laccomplirait, l% sarr&te toute sa croyance. Cela suppose la orce de lamour, et le caract(re

    orce damour tant rare, le meurtre reste e"ceptionnel et garde alors son air de raction. M partir du moment o), aute de caract(re, on court se donner une doctrine, d(s linstant o) le crimse raisonne, il proli (re comme la raison elle*m&me, il prend toutes les igures du syllogismtait solitaire comme le cri, le !oil% uni!ersel comme la science. Hier 'ug, il ait la lau'ourd$ui.

    +n ne sen indignera pas ici. Le propos de cet essai est une ois de plus daccepter ralit du moment, qui est le crime logique, et den e"aminer prcisment les 'usti ications : ceest un e ort pour comprendre mon temps. +n estimera peut*&tre quune poque qui, en cinquans, dracine, asser!it ou tue soi"ante*di" millions d&tres $umains doit seulement, et da#o&tre 'uge. Encore aut*il que sa culpa#ilit soit comprise. u" temps na- s o) le tyran rasait!illes pour sa plus grande gloire, o) lescla!e enc$a n au c$ar du !ainqueur d ilait dans le

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    !illes en &te, o) lennemi tait 'et au" #&tes de!ant le peuple assem#l, de!ant des crimes candides, la conscience pou!ait &tre erme, et le 'ugement clair. Mais les camps descla!es sola #anni(re de la li#ert, les massacres 'usti is par lamour de l$omme ou le go/t de lsur$umanit, dsemparent, en un sens, le 'ugement. Le 'our o) le crime se pare des dpouilles dlinnocence, par un curieu" ren!ersement qui est propre % notre temps, cest linnocence qui somme de ournir ses 'usti ications. Lam#ition de cet essai serait daccepter et de"aminer trange d i.

    Il sagit de sa!oir si linnocence, % partir du moment o) elle agit, ne peut semp&c$er tuer. Nous ne pou!ons agir que dans le moment qui est le n0tre, parmi les $ommes qui nouentourent. Nous ne saurons tant que nous ne saurons pas si nous a!ons le droit de tuer cet autde!ant nous ou de consentir quil soit tu. 1uisque toute action au'ourd$ui d#ouc$e sur l

    meurtre, direct ou indirect, nous ne pou!ons pas agir a!ant de sa!oir si, et pourquoi, nous de!ondonner la mort.

    Limportant nest donc pas encore de remonter % la racine des c$oses, mais, le montant ce quil est, de sa!oir comment sy conduire. u temps de la ngation, il pou!ait &tre utide sinterroger sur le pro#l(me du suicide. u temps des idologies, il aut se mettre en r(ga!ec le meurtre. 2i le meurtre % ses raisons, notre poque et nous*m&me sommes dansconsquence. 2il ne les a pas, nous sommes dans la olie et il ny a pas dautre issue que retrou!er une consquence ou de se dtourner. Il nous re!ient, en tout cas, de rpondre clairemen% la question qui nous est pose, dans le sang et les clameurs du si(cle. Car nous sommes %question. Il y a trente ans, a!ant de se dcider % tuer, on a!ait #eaucoup ni, au point de se ni par le suicide. 3ieu tric$e, tout le monde a!ec lui, et moi*m&me, donc 'e meurs : le suicide taitquestion. Lidologie, au'ourd$ui, ne nie plus que les autres, seuls tric$eurs. Cest alors quotue. c$aque au#e, des assassins c$amarrs se glissent dans une cellule : le meurtre est lquestion.

    Les deu" raisonnements se tiennent. Ils nous tiennent plut0t, et de a4on si serre que no

    ne pou!ons plus c$oisir nos pro#l(mes. Ils nous c$oisissent, lun apr(s lautre. cceptons d&tc$oisis. Cet essai se propose de poursui!re, de!ant le meurtre et la r!olte, une r le"iocommence autour du suicide et de la notion da#surde.

    Mais cette r le"ion, pour le moment, ne nous ournit quune seule notion, celle la#surde. son tour, celle*ci ne nous apporte rien quune contradiction en ce qui concerne

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    meurtre. Le sentiment de la#surde, quand on prtend da#ord en tirer une r(gle daction, rend meurtre au moins indi rent et, par consquent, possi#le. 2i lon ne croit % rien, si rien nsens et si nous ne pou!ons a irmer aucune !aleur, tout est possi#le et rien na dimportanc1oint de pour ni de contre, lassassin na ni tort ni raison. +n peut tisonner les crmatoirecomme on peut aussi se d!ouer % soigner les lpreu". Malice et !ertu sont $asard ou caprice.

    +n dcidera alors de ne pas agir, ce qui re!ient au moins % accepter le meurtre dautrusau % dplorer $armonieusement limper ection des $ommes. +n imaginera encore de rempllaction par le dilettantisme tragique et, dans ce cas, la !ie $umaine nest quun en'eu. +n peuen in se proposer dentreprendre une action qui ne soit pas gratuite. 3ans ce dernier cas, aute!aleur suprieure qui oriente laction, on se dirigera dans le sens de le icacit immdiate. 5ntant ni !rai ni au", #on ou mau!ais, la r(gle sera de se montrer le plus e icace, cest*%*d

    plus ort. Le monde alors de sera plus partag en 'ustes et in'ustes, mais en ma tres et escla!insi, de quelque c0t quon se tourne, au c6ur de la ngation et du ni$ilisme, le meurtre a s

    place pri!ilgie.2i donc nous prtendons nous installer dans lattitude a#surde, nous de!ons nous prpare

    % tuer, donnant ainsi le pas % la logique sur des scrupules que nous estimerons illusoires. 7entendu, il y audrait quelques dispositions. Mais, en somme, moins quon ne croit, si lon 'uge par le"prience. 3u reste, il est tou'ours possi#le, comme cela se !oit ordinairement, de

    aire tuer. 8out serait donc rgl au nom de la logique si la logique y trou!ait !raiment socompte.

    Mais la logique ne peut trou!er son compte dans une attitude qui lui ait aperce!oir tour tour que le meurtre est possi#le et impossi#le. Car, apr(s a!oir rendu au moins indi rent lade tuer, lanalyse a#surde, dans la plus importante de ses consquences, init par le condamnLa conclusion derni(re du raisonnement a#surde est, en e et, le re'et du suicide et le maintientcette con rontation dsespre entre linterrogation $umaine et le silence du mondei. Le suicidesigni ierait la in de cette con rontation et le raisonnement a#surde consid(re quil ne pourra

    souscrire quen niant ses propres prmisses. 9ne telle conclusion, selon lui, serait uite odli!rance. Mais il est clair que, du m&me coup, ce raisonnement admet la !ie comme le seul #incessaire puisquelle permet prcisment cette con rontation et que, sans elle, le pari a#surnaurait pas de support. 1our dire que la !ie est a#surde, la conscience a #esoin d&tre !i!anComment, sans une concession remarqua#le au go/t du con ort, conser!er pour soi le #n

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    e"clusi dun tel raisonnement 3(s linstant o) ce #ien est reconnu comme tel, il est celui dtous les $ommes. +n ne peut donner une co$rence au meurtre si on la re use au suicide. 9esprit pntr de lide da#surde admet sans doute le meurtre de atalit; il ne saurait acceptemeurtre de raisonnement.

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    mani(re, la premi(re c$ose qui ne se puisse nier cest la !ie dautrui. insi, la m&me notion qunous laissait croire que le meurtre tait indi rent lui 0te ensuite ses 'usti ications ; nretournons dans la condition illgitime dont nous a!ons essay de sortir. 1ratiquement, un teraisonnement nous assure en m&me temps quon peut et quon ne peut pas tuer. Il noa#andonne dans la contradiction, sans rien qui ne puisse emp&c$er le meurtre ou le lgitimmena4ants et menacs, entra ns par toute une poque en i!re de ni$ilisme, et dans la solitcependant, les armes % la main et la gorge serre.

    Mais cette contradiction essentielle ne peur manquer de se prsenter a!ec une ouldautres % partir du moment o) lon prtend se maintenir dans la#surde, ngligeant son !rcaract(re qui est d&tre un passage !cu, un point de dpart, lqui!alent, en e"istence, du doumt$odique de 3escartes. La#surde en lui*m&me est contradiction.

    Il lest dans son contenu puisquil e"clut les 'ugements de !aleur en !oulant maintenir la!ie, alors que !i!re est en soi un 'ugement de !aleur. 5espirer, cest 'uger. Il est s/rement au" dedire que la !ie est un c$oi" perptuel. Mais il est !rai que lon ne peut imaginer une !ie pri!e detout c$oi". 3e ce simple point de !ue, la position a#surde, en acte, est inimagina#le. Elle esinimagina#le aussi dans son e"pression. 8oute p$ilosop$ie de la non*signi ication !it sur ucontradiction du ait m&me quelle se"prime. Elle donne par l% un minimum de co$renlinco$rence, elle introduit de la consquence dans ce qui, % len croire, na pas de suite. 1arrpare. La seule attitude co$rente onde sur la non*signi ication serait le silence, si le silenson tour ne signi iait. La#surdit par aite essaie d&tre muette. 2i elle parle, cest quellecompla t ou, comme nous le !errons, quelle sestime pro!isoire. Cette complaisance, cetconsidration de soi, marque #ien lqui!oque pro onde de la position a#surde. 3une certainmani(re, la#surde qui prtend e"primer l$omme dans sa solitude le ait !i!re de!ant un miroirLe dc$irement initial risque alors de de!enir con orta#le. La plaie quon gratte a!ec tant dsollicitude init par donner du plaisir.

    Les grands a!enturiers de la#surde ne nous ont pas manqu. Mais, inalement, leu

    grandeur se mesure % ce quils ont re us les complaisances de la#surde pour nen garder que"igences. Ils dtruisent pour le plus, non pour le moins. A Ceu"*l% sont mes ennemis, Nietzsc$e, qui !eulent ren!erser, et non pas se crer eu"*m&mes. B Lui ren!erse, mais pour tende crer. Et il e"alte la pro#it, ustigeant les 'ouisseurs A au groin de porc B. 1our uircomplaisance le raisonnement a#surde trou!e alors le renoncement. Il re use la dispersion

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    d#ouc$e dans un dnuement ar#itraire, un parti pris de silence, ltrange asc(se de la r!olt5im#aud, qui c$ante A le 'oli crime piaulant dans la #oue de la rue B, court % Harrar pour plaindre seulement dy !i!re sans amille. La !ie tait pour lui A une arce % mener par touMais, % l$eure de la mort, le !oil% qui crie !ers sa s6ur : A irai sous la terre et, toi, tu marc$dans le soleil D B

    La#surde, considr comme r(gle de !ie, est donc contradictoire. uoi dtonnant % cquil ne nous ournisse pas les !aleurs qui dcideraient pour nous de la lgitimit du meurtre nest pas possi#le, dailleurs, de onder une attitude sur une motion pri!ilgie. Le sentiment la#surde est un sentiment parmi dautres. uil ait donn sa couleur % tant de penses dactions entre les deu" guerres prou!e seulement sa puissance et sa lgitimit. Mais lintensitdun sentiment nentra ne pas quil soit uni!ersel. Lerreur de toute une poque a t dnonc

    ou de supposer nonces, des r(gles gnrales daction % partir dune motion dsespre, donmou!ement propre, en tant qumotion, tait de se dpasser. Les grandes sou rances, comme grands #on$eurs, peu!ent &tre au d#ut dun raisonnement. Ce sont des intercesseurs. Mais onsaurait les retrou!er et les maintenir tout au long de ces raisonnements. 2i donc il tait lgitime dtenir compte de la sensi#ilit a#surde, de aire le diagnostic dun mal tel quon le trou!e en soic$ez les autres, il est impossi#le de !oir dans cette sensi#ilit, et dans le ni$ilisme quellsuppose, rien dautre quun point de dpart, une critique !cue, lqui!alent, sur le plan dle"istence, du doute systmatique. pr(s quoi, il aut #riser les 'eu" i"es du miroir et entrdans le mou!ement irrsisti#le par lequel la#surde se dpasse lui*m&me.

    Le miroir #ris, il ne reste rien qui puisse nous ser!ir pour rpondre au" questions dusi(cle. La#surde, comme le doute mt$odique, a ait ta#le rase. Il nous laisse dans limpassMais, comme le doute, il peut, en re!enant sur lui, orienter une nou!elle rec$erc$e. Lraisonnement se poursuit alors de la m&me a4on. e crie que 'e ne crois % rien et que toua#surde, mais 'e ne puis douter de mon cri et il me aut au moins croire % ma protestation. premi(re et la seule !idence qui me soit ainsi donne, % lintrieur de le"prience a#surde, est

    r!olte. 1ri! de toute science, press de tuer ou de consentir quon tue, 'e ne dispose que de cett!idence qui se ren orce encore du dc$irement o) 'e me trou!e. La r!olte na t du spectacle dla draison, de!ant une condition in'uste et incompr$ensi#le. Mais son lan a!eugle re!endiqulordre au milieu du c$aos et lunit au c6ur m&me de ce qui uit et dispara t. Elle crie, elle e"elle !eut que le scandale cesse et que se i"e en in ce qui 'usquici scri!ait sans tr&!e sur la m

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    Mais trans ormer, cest agir, et agir, demain, sera tuer alors quelle ne sait pas si le meurtre lgitime. Elle engendre 'ustement les actions quon lui demande de lgitimer. Il aut donc #ique la r!olte tire ses raisons delle*m&me, puisquelle ne peut les tirer de rien dautre. Il quelle consente % se"aminer pour apprendre % se conduire.

    3eu" si(cles de r!olte, mtap$ysique ou $istorique, so rent 'ustement % notre r le"i9n $istorien, seul, pourrait prtendre % e"poser en dtail les doctrines et les mou!ements qui ssucc(dent. 3u moins, il doit &tre possi#le dy c$erc$er un il conducteur. Les pages qui sui!e proposent seulement quelques rep(res $istoriques et une $ypot$(se nest pas la seule possi#leelle est loin, dailleurs, de tout clairer. Mais elle e"plique, en partie, la direction et, presquenti(rement, la dmesure de notre temps. L$istoire prodigieuse qui est !oque ici est l$istoirde lorgueil europen.

    La r!olte, en tout cas, ne pou!ait nous ournir ses raisons quau terme dune enqu&te sses attitudes, ses prtentions et ses conqu&tes. 3ans ses 6u!res se trou!ent peut*&tre la r(gdaction que la#surde na pu nous donner, une indication au moins sur le droit ou le de!oir dtuer, lespoir en in dune cration. L$omme est la seule crature qui re use d&tre ce quelleLa question est de sa!oir si ce re us ne peut lamener qu% la destruction des autres et de lm&me, si toute r!olte doit sac$e!er en 'usti ication du meurtre uni!ersel, ou si, au contrairsans prtention % une impossi#le innocence, elle peut dcou!rir le principe dune culpa#ilraisonna#le.

    I. L$omme r!olt

    uest*ce quun $omme r!olt 9n $omme qui dit non. Mais sil re use, il ne renonc pas : cest aussi un $omme qui dit oui, d(s son premier mou!ement. 9n escla!e, qui a re4u deordres toute sa !ie, 'uge soudain inaccepta#le un nou!eau commandement. uel est le contenu dce A non B

    Il signi ie, par e"emple, A les c$oses ont trop dur B, A 'usque*l% oui, au*del% nA !ous allez trop loin B, et encore A il y a une limite que !ous ne dpasserez pas B. En sommenon a irme le"istence dune ronti(re. +n retrou!e la m&me ide de la limite dans ce sentimdu r!olt que lautre A e"ag(re B, quil tend son droit au*del% de la ronti(re % partir de laqun autre droit lui ait ace et le limite. insi, le mou!ement de r!olte sappuie, en m&me tem

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    sur le re us catgorique dune intrusion 'uge intolra#le et sur la certitude con use dun #droit, plus e"actement limpression, c$ez le r!olt, quil est A en droit deF B. La r!olte ne ! pas sans le sentiment da!oir soi*m&me, en quelque a4on, et quelque part, raison. Cest en que lescla!e r!olt dit % la ois oui et non. Il a irme, en m&me temps que la ronti(re, toquil soup4onne et !eut prser!er en de4% de la ronti(re. Il dmontre, a!ec ent&tement, quilen lui quelque c$ose qui A !aut la peine deF B, qui demande quon y prenne garde. 3uncertaine mani(re, il oppose % lordre qui lopprime une sorte de droit % ne pas &tre opprimdel% de ce quil peut admettre.

    En m&me temps que la rpulsion % lgard de lintrus, il y a dans toute r!olte uad$sion enti(re et instantane de l$omme % une certaine part de lui*m&me. Il ait dinter!enir implicitement un 'ugement de !aleur, et si peu gratuit, quil le maintient au milieu de

    prils. usque*l%, il se taisait au moins, a#andonn % ce dsespoir o) une condition, m&me si 'uge in'uste, est accepte. 2e taire, cest laisser croire quon ne 'uge et ne dsire rien, et, dancertains cas, cest ne dsirer tout, en gnral, et rien, ne particulier. Le silence le traduit #ieMais % partir du moment o) il parle, m&me en disant non, il dsire et 'uge. Le r!olt, au setymologique, ait !olte* ace. Il marc$ait sous le ouet du ma tre. Le !oil% qui ait ace. Il ce qui est pr ra#le % ce qui ne lest pas. 8oute !aleur nentra ne pas la r!olte, mais tomou!ement de r!olte in!oque tacitement une !aleur. 2agit*il au moins dune !aleur

    2i con usment que ce soit, une prise de conscience na t du mou!ement de r!olte : perception, soudain clatante, quil y a dans l$omme quelque c$ose % quoi l$omme psidenti ier, /t*ce pour un temps. Cette identi ication 'usquici ntait pas sentie rellement. Cidenti ication 'usquici ntait pas sentie rellement. 8outes les e"actions antrieures amou!ement dinsurrection, lescla!e les sou rait. 2ou!ent m&me, il a!ait re4u dans ragir dordres plus r!oltants que celui qui dclenc$e son re us. Il y apportait de la patience, les re'eta peut*&tre en lui*m&me, mais, puisquil se taisait, plus soucieu" de son intr&t immdiatconscient encore de son droit. !ec la perte de la patience, a!ec limpatience, commence a

    contraire un mou!ement qui peut stendre % tout ce qui, aupara!ant, tait accept. Cet lan e presque tou'ours rtroacti . Lescla!e, % linstant o) il re'ette lordre $umiliant de son supriere'ette en m&me temps ltat descla!e lui*m&me. Le mou!ement de r!olte le porte plus loquil ntait dans le simple re us. Il dpasse m&me la limite quil i"ait % son ad!ersademandant maintenant % &tre trait en gal. Ce qui tait da#ord une rsistance irrducti#le

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    l$omme de!ient l$omme tout entier qui sidenti ie % elle et sy rsume. Cette part de lui*mquil !oulait aire respecter, il la met alors au*dessus du reste et la proclame pr ra#le % tm&me % la !ie. Elle de!ient pour lui le #ien supr&me. Install aupara!ant dans un compromlescla!e se 'ette dun coup GA puisque cest ainsiF B dans le 8out ou 5ien. La conscience !ieau 'our a!ec la r!olte.

    Mais on !oit quelle est conscience, en m&me temps, dun tout, encore assez o#scur, dun A rien B qui annonce la possi#ilit de sacri ice de l$omme % ce tout. Le r!olt !eut tout, sidenti ier totalement % ce #ien dont il a soudain pris conscience et dont il !eut quil sdans sa personne, reconnu et salu* ou rien, cest*%*dire se trou!er d initi!ement dc$u pa

    orce qui le domine. la limite, il accepte la dc$ance derni(re qui est la mort, sil doit & pri! de cette conscration e"clusi!e quil appellera, par e"emple, sa li#ert. 1lut0t mourir de#ou

    que de !i!re % genou".La !aleur, selon les #ons auteurs, A reprsente le plus sou!ent un passage du ait au dro

    du dsir au dsira#le Gen gnral par lintermdiaire de communment dsirii B. Le passage audroit est mani este, nous la!ons !u, dans la r!olte. 3e m&me le passage du A il audrait que c

    /t B, au A 'e !eu" que cela soit B. Mais plus encore, peut*&tre, cette notion du dpassemenlindi!idu dans un #ien dsormais commun. Le surgissement du 8out ou 5ien montre que lar!olte, contrairement % lopinion courante, et #ien quelle naisse dans ce que l$omme a de pstrictement indi!iduel, met en cause la notion m&me dindi!idu. 2i lindi!idu, en e et acceptemourir, et meurt % loccasion, dans le mou!ement de sa r!olte, il montre par l% quil se sacrau #n ice dun #ien dont il estime quil d#orde sa propre destine. 2il pr (re la c$ance demort % la ngation de ce droit quil d end, cest quil place ce dernier au*dessus de lui*m&agit donc au nom dune !aleur, encore con use, mais dont il a le sentiment, au moins, quelle est commune a!ec tous les $ommes. +n !oit que la irmation implique dans tout acte de r!ostend % quelque c$ose qui d#orde lindi!idu dans la mesure o) elle le tire de sa solitudsuppose et le ournit dune raison dagir. Mais il importe de remarquer d'% que cette !aleur

    pre"iste % toute action contredit les p$ilosop$ies purement $istoriques, dans lesquelles la !aleest conquise G si elle se conquiert au #out de laction. Lanalyse de la r!olte conduit au moau soup4on quil y a une nature $umaine, comme le pensaient les recs, et contrairement au postulats de la pense contemporaine. 1ourquoi se r!olter sil ny a, en soi, rien de permanent prser!er Cest pour toutes les e"istences en m&me temps que lescla!e se dresse, lorsquil 'u

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    que, par tel ordre, quelque c$ose en lui est ni qui ne lui appartient pas seulement, mais qui est lieu commun o) tous les $ommes, m&me celui qui linsulte et lopprime, ont une communau pr&teiii.

    3eu" o#ser!ations appuieront ce raisonnement. +n notera da#ord que le mou!ement der!olte nest pas, dans son essence, un mou!ement go-ste. Il peut a!oir sans doute desdterminations go-stes. Mais on se r!oltera aussi #ien contre le mensonge que contrloppression. En outre, % partir de ces dterminations, et dans son lan le plus pro ond, le r!ne prser!e rien puisquil met tout en 'eu. Il e"ige sans doute pour lui*m&me le respect, mais dala mesure o) il sidenti ie a!ec une communaut naturelle.

    5emarquons ensuite que la r!olte ne na t pas seulement, et orcment, c$ez lopprimmais quelle peut na tre aussi au spectacle de loppression dont un autre est !ictime. Il y a do

    dans ce cas, identi ication % lautre indi!idu. Et il aut prciser quil ne sagit pas duidenti ication psyc$ologique, su#ter uge par lequel lindi!idu sentirait en imagination que celui que lo ense sadresse. Il peut arri!er au contraire quon ne supporte pas de !oir in ligedautres des o enses que nous*m&mes a!ons su#ies sans r!olte. Les suicides de protestation #agne, parmi les terroristes russes dont on ouettait les camarades, illustrent ce grand mou!emeIl ne sagit pas non plus du sentiment de la communaut des intr&ts. Nous pou!ons trou!r!oltante, en e et, lin'ustice impose % des $ommes que nous considrons comme ad!ersaires. Il y a seulement identi ication de destines et prise de parti. Lindi!idu nest don pas, % lui seul, cette !aleur quil !eut d endre. Il aut, au mois, tous les $ommes pourcomposer. 3ans la r!olte, l$omme se dpasse en autrui et, de ce point de !ue, la solidarit$umaine est mtap$ysique. 2implement, il ne sagit pour le moment que de cette sorte dsolidarit qui na t dans les c$a nes.

    +n peut encore prciser laspect positi de la !aleur prsume par toute r!olte en lacomparent % une notion toute ngati!e comme celle du ressentiment, telle que la d in2c$eler i!. En e et, le mou!ement de r!olte est plus quun acte de re!endication, au sens ort

    mot. Le ressentiment est tr(s #ien d ini par 2c$eler comme une auto*into"ication, la scrtin aste, en !ase clos, dune impuissance prolonge. La r!olte au contraire racture l&tre et l% d#order. Elle li#(re des lots qui, stagnants, de!iennent urieu". 2c$eler lui*m&me met lacsur laspect passi du ressentiment, en remarquant la grande place quil tient dans la psyc$olodes emmes, !oues au dsir de possession. la source de la r!olte, il y a au contraire u

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    principe dacti!it sura#ondante et dnergie. 2c$eler a raison aussi de dire que len!ie colorortement le ressentiment. Mais on en!ie ce quon na pas, tandis que le r!olt d end ce qu

    est. Il ne rclame pas seulement un #ien quil ne poss(de pas ou dont on laurait rustr. Il !iseaire reconna tre quelque c$ose quil a, et qui a d'% t reconnu par lui, dans presque tous les

    comme plus important que ce quil pourrait en!ier. La r!olte nest pas raliste. 8ou'ours selon2c$eler, le ressentiment, selon quil cro t dans une Jme orte ou ai#le, de!ient arri!isme aigreur. Mais, dans les deu" cas, on !eut &tre autre quon est. Le ressentiment est tou'ourressentiment contre soi. Le r!olt, au contraire, dans son premier mou!ement, re use quotouc$e % ce quil est. Il lutte pour lintgrit dune partie de son &tre. Il ne c$erc$e pas da#oconqurir, mais % imposer.

    Il sem#le en in que le ressentiment se dlecte da!ance dune douleur quil !oudrait !oi

    ressentie par lo#'et de sa rancune. Nietzsc$e et 2c$eler ont raison de !oir une #elle illustrationcette sensi#ilit dans le passage o) 8ertullien in orme ses lecteurs quau ciel la plus grandsource de licit, parmi les #ien$eureu", sera le spectacle des empereurs romains consums en er. Cette licit est aussi celle des $onn&tes gens qui allaient assister au" e"cutions capitaLa r!olte, au contraire, dans son principe, se #orne % re user l$umiliation, sans la deman pour lautre. Elle accepte m&me la douleur pour elle*m&me, pour!u que son intgrit respecte.

    +n ne comprend donc pas pourquoi 2c$eler identi ie a#solument lesprit de r!olte aressentiment. 2a critique du ressentiment dans l$umanitarisme G dont il traite comme de la onon c$rtienne de lamour des $ommes sappliquerait peut*&tre % certaines ormes !adidalisme $umanitaire, ou au" tec$niques de la terreur. Mais elle tom#e % au" en ce qconcerne la r!olte de l$omme contre sa condition, le mou!ement qui dresse lindi!idu pour ld ense dune dignit commune % tous les $ommes. 2c$eler !eut dmontrer que l$umanitarissaccompagne de la $aine du monde. +n aime l$umanit en gnral pour ne pas a!oir % aimer &tres en particulier. Cela est 'uste, dans quelques cas, et on comprend mieu" 2c$eler lorsqu

    !oit que l$umanitarisme est reprsent pour lui par 7ent$am et 5ousseau. Mais la passion dl$omme pour l$omme peut na tre dautre c$ose que du calcul arit$mtique des intr&ts,dune con iance, dailleurs t$orique, dans la nature $umaine. En ace des utilitaristes et prcepteur dEmile, il y a, par e"emple, cette logique, incarne par 3osto-e!sKi dans I!an

    aramazo!, qui !a du mou!ement de r!olte % linsurrection mtap$ysique. 2c$eler, qui le sai

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    rsume ainsi cette conception : A Il ny a pas au monde assez damour pour quon le gaspille un autre que sur l&tre $umain. B M&me si cette proposition tait !raie, le dsespoir !ertiginquelle suppose mriterait autre c$ose que le ddain. En ait, elle mconna t le caract(re dcde la r!olte de aramazo!. Le drame dI!an, au contraire, na t de ce quil y a trop damour sano#'et. Cet amour de!enu sans emploi, 3ieu tant ni, on dcide alors de le reporter sur l&tr$umain au nom dune gnreuse complicit.

    u demeurant, dans le mou!ement de r!olte tel que nous la!ons en!isag 'usquici, onnlit pas un idal a#strait, par pau!ret de c6ur, et dans un #ut de re!endication strile. +n e"igeque soit considr ce qui, dans l$omme, ne peut se rduire % lide, cette part c$aleureuse qui peut ser!ir % rien dautre qu% &tre. Est*ce % dire quaucune r!olte ne soit c$argressentiment Non, et nous le sa!ons assez au si(cle des rancunes. Mais nous de!ons prendr

    cette notion dans sa compr$ension la plus large sou peine de la tra$ir et, % cet gard, la r!od#orde le ressentiment de tous c0ts. Lorsque, danses #auts de #urlevent , Heat$cli pr (reson amour % 3ieu et demande len er pour &tre runi % celle quil aime, ce nest pas seuleme 'eunesse $umilie qui parle, mais le"prience #r/lante de toute une !ie. Le m&me mou!emen

    ait dire % Ma tre EcK$art, dans un acc(s surprenant d$rsie, quil pr (re len er a!ec sle ciel sans lui. Cest le mou!ement m&me de lamour. Contre 2c$eler, on ne saurait donc trinsister sur la irmation passionne qui court dans le mou!ement de r!olte et qui le distingueressentiment. pparemment ngati!e, puisquelle ne cre rien, la r!olte est pro ondmen positi!e puisquelle r!(le ce qui, en l$omme, est tou'ours % d endre.

    Mais, pour inir, cette r!olte et la !aleur quelle !$icule ne sont*elles point relati!es !ec les poques et les ci!ilisations, en e et, les raisons pour lesquelles on se r!olte sem#le

    c$anger. Il est !ident quun paria $indou, un guerrier de lempire Inca, un primiti de l riqcentrale ou un mem#re des premi(res communauts c$rtiennes na!aient pas la m&me ide der!olte. +n pourrait m&me ta#lir, a!ec une pro#a#ilit e"tr&mement grande, que la notion dr!olte na pas de sens dans ces cas prcis. Cependant un escla!e grec, un ser , un condottiere

    la 5enaissance, un #ourgeois de la 5gence, un intellectuel russe des annes => et un ou!ricontemporain, sils pou!aient di rer sur les raisons de la r!olte, saccorderaient sans aucdoute sur sa lgitimit. utrement dit, le pro#l(me de la r!olte sem#le ne prendre de sans prciqu% lintrieur de la pense occidentale. +n pourrait &tre plus e"plicite encore en remarqua!ec 2c$eler, que lesprit de r!olte se"prime di icilement dans les socits o) les ingalit

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    sont tr(s grandes Grgimes des castes $indoues ou, au contraire, dans celles o) lgalit a#solue Gcertaines socits primiti!es . En socit, lesprit de r!olte nest possi#le que dans groupes o) une galit t$orique recou!re de grandes ingalits de ait. Le pro#l(me de la r!olna donc de sans qu% lintrieur de notre socit occidentale. +n pourrait &tre tent alda irmer quil est relati au d!eloppement de lindi!idualisme si les remarques prcdentesnous a!aient mis en garde contre cette conclusion.

    2ur le plan de l!idence, tout ce quon peut tirer de la remarque de 2c$eler, en e et, cque, par t$orie de la li#ert politique, il y a, au sein de nos socits, accroissement dans l$ommde la notion d$omme et, par la pratique de cette m&me li#ert, insatis action correspondanteli#ert de ait ne sest pas accrue proportionnellement % la conscience que l$omme en a prisecette o#ser!ation, on ne peut dduire que ceci : la r!olte est le ait de l$omme in orm, q

    poss(de la conscience de ses droits. Mais rien ne nous permet de dire quil sagit seulement ddroits de lindi!idu. u contraire, il sem#le #ien, par la solidarit d'% signale, quil sagisdune conscience de plus en plus largie que lesp(ce $umaine prend delle*m&me au long de a!enture. En ait, le su'et inca ou le paria ne se posent pas le pro#l(me de l r!olte, parce quilt rsolu pour eu" dans une tradition, et a!ant quils aient pu se le poser, la rponse tant lsacr. 2i, dans le monde sacr, on ne trou!e pas le pro#l(me de la r!olte, cest quene !rit onny trou!e aucune pro#lmatique relle, toutes les rponses tant donnes en une ois. Lmtap$ysique est remplace par le myt$e. Il ny a plus dinterrogations, il ny a que des rponset des commentaires ternels, qui peu!ent alors &tre mtap$ysiques. Mais a!ant que l$ommentre dans le sacr, et pour quil y entre aussi #ien, ou d(s quil en sort, et pour quil en soraussi #ien, il est interrogation et r!olte. L$omme r!olt est l$omme situ a!ant ou apr(s lesacr, et appliqu % re!endiquer un ordre $umain o) toutes les rponses soient $umaines, cestdire raisonna#lement ormules. 3(s ce moment, toute interrogation, toute parole, est r!oltalors que, dans le monde du sacr, toute parole est action de grJces. Il serait possi#le de montrainsi quil ne peut y a!oir pou un esprit $umain que deu" uni!ers possi#les, celui du sacr G o

    pour parler le langage c$rtien, de la grJce! , et celui de la r!olte. La disparition de lun qui!aut% lapparition de lautre, quoique cette apparition puisse se aire sous des ormes dconcertaL% encore, nous retrou!ons le 8out ou 5ien. Lactualit du pro#l(me de la r!olte tient seulemenau ait que des socits enti(res ont !oulu prendre au'ourd$ui leur distance par rapport au sacr Nous !isons G!i!ons dans une $istoire dsacralise. L$omme, certes, ne se rsume pa

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    linsurrection. Mais l$istoire dau'ourd$ui, par ses contestations, nous orce % dire que la r!est lune des dimensions essentielles de l$omme. Elle est notre ralit $istorique. moins d

    uir la ralit, il nous aut trou!er en elle nos !aleurs. 1eut*on, loin du sacr et de ses !aleua#solues, trou!er la r(gle dune conduite telle est la question pose par la r!olte.

    Nous a!ons pu d'% enregistrer la !aleur con use qui na t % cette limite o) se tienr!olte. Nous a!ons maintenant % nous demander si cette !aleur se retrou!e dans les ormcontemporaines de la pense et de laction r!oltes, et, si elle sy trou!e, % prciser son contenMais, remarquons*le a!ant de poursui!re, le ondement de cette !aleur est la r!olte elle*m&mLa solidarit des $ommes se onde sur le mou!ement de r!olte et celui*ci, % son tour, ne trode 'usti ication que dans cette complicit. Nous serons donc en droit de dire que toute r!olte qsautorise % nier ou % dtruire cette solidarit, $ors du sacr, ne prend !ie quau ni!eau de

    r!olte. Le !rai drame de la pense r!olte est alors annonc. 1our &tre, l$omme doit sr!olter, mais sa r!olte doit respecter la limite quelle dcou!re en elle*m&me et o) les $ommeen se re'oignant, commencent d&tre. La pense r!olte ne peut donc se passer de mmoire : eest une tension perptuelle. En la sui!ant dans ses 6u!res et dans ses actes, nous aurons % dirc$aque ois, si elle reste id(le % sa no#lesse premi(re ou si, par lassitude et oie, elle lou#lcontraire, dans une i!resse de tyrannie ou de ser!itude.

    En attendant, !oici le premier progr(s que lesprit de r!olte ait aire % une r le"da#ord pntre de la#surdit et de lapparente strilit du monde. 3ans le"prience a#surde, sou rance est indi!iduelle. partir du mou!ement de r!olte, elle a conscience d&tre collectielle est la!enture de tous. Le premier progr(s dun esprit saisi dtranget est donc dreconna tre quil partage cette tranget a!ec tous les $ommes et que la ralit $umaine, danstotalit, sou re de cette distance par rapport % soi et au monde. Le mal qui prou!ait un $omme de!ient peste collecti!e. 3ans lpreu!e quotidienne qui est la n0tre, la r!olte 'oue lem&me r0le que le A cogito B dans lordre de la pense : elle est la premi(re !idence. Mais c!idence tire lindi!idu de sa solitude. Elle est un lieu commun qui onde sur tous les $ommes

    premi(re !aleur. e me r!olte, donc nous sommes.

    II. La r!olte mtap$ysique

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    La r!olte mtap$ysique est le mou!ement par lequel un $omme se dresse contre sacondition et la cration tout enti(re. Elle est mtap$ysique parce quelle conteste les ins l$omme et de la cration. Lescla!e proteste contre la condition qui lui est aite % lintrieurson tat; le r!olt mtap$ysique contre la condition qui lui est aite en tant qu$omme. Lesclare#elle a irme quil y a quelque c$ose en lui qui naccepte pas la mani(re dont son ma trtraite; le r!olt mtap$ysique se dclare rustr par la cration. 1our lun et lautre, il ne sag pas seulement dune ngation pure et simple. 3ans les deu" cas, en e et, nous trou!ons u 'ugement de !aleur au nom duquel le r!olt re use son appro#ation % la condition qui estsienne.

    Lescla!e dress contre son ma tre ne se proccupe pas, remarquons*le, de nier ce maen tant qu&tre. Il le nie en tant que ma tre. Il nie quil ait le droit de le nier, lui, escla!e, en t

    que"igence. Le ma tre est dc$u dans la mesure m&me o) il ne rpond pas % une e"igence qnglige. 2i les $ommes ne peu!ent pas se r rer % une !aleur commune, reconnue par tousc$acun, alors l$omme est incompr$ensi#le % l$omme. Le re#elle e"ige que cette !aleur sclairement reconnue en lui*m&me parce quil soup4onne ou sait que, sans ce principe, le dsoet le crime rgneraient sur le monde. Le mou!ement de r!olte appara t c$ez lui comme unre!endication de clart et dunit. La r#ellion la plus lmentaire e"prime, parado"alementlaspiration % un ordre.

    Ligne % ligne, cette description con!ient au r!olt mtap$ysique. Celui*ci se dresse sun monde #ris pour en rclamer lunit. Il oppose le principe de 'ustice qui est en lui au principdin'ustice quil !oit % l6u!re dans le monde. Il ne !eut donc rien dautre, primiti!ement, quersoudre cette contradiction, instaurer la r(gle la r(gle unitaire de la 'ustice, sil le peut, ou dlin'ustice, si on le pousse % #out. En attendant, il dnonce la contradiction. 1rotestant contrecondition dans ce quelle a dinac$e!, par la mort, et de dispers, par le mal, la r!oltmtap$ysique est la re!endication moti!e dune unit $eureuse, contre la sou rance de !i!re de mourir. 2i la peine de mort gnralise d init la condition mortelle, le r!olt re use

    reconna tre la puissance qui le ait !i!re dans cette condition. Le r!olt mtap$ysique nest do pas s/rement at$e, comme on pourrait le croire, mais il est orcment #lasp$mateu2implement, il #lasp$(me da#ord au nom de lordre, dnon4ant en 3ieu le p(re de la mort et lsupr&me scandale.

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    5e!enons % lescla!e r!olt pour clairer ce point. Celui*ci ta#lissait, dans sa protestation, le"istence du ma tre contre lequel il se r!oltait. Mais, en m&me temps,dmontrait quil tenait dans sa dpendance le pou!oir de ce dernier et il a irmait son pro pou!oir : celui de remettre continuellement en question la supriorit qui le dominait 'usquici. cet gard, ma tre et escla!e sont !raiment dans la m&me $istoire : la royaut temporaire de lest aussi relati!e que la soumission de lautre. Les deu" orces sa irment alternati!ement, dlinstant de la r#ellion, 'usquau moment o) elles sa ronteront pour se dtruire, lune des dedisparaissant alors, pro!isoirement.

    3e la m&me mani(re, si le r!olt mtap$ysique se dresse contre une puissance dontsimultanment, il a irme le"istence, il ne pose cette e"istence qu% linstant m&me o) conteste. Il entra ne alors cet &tre suprieur dans la m&me a!enture $umilie que l$omme,

    !ain pou!oir qui!alent % notre !aine condition. Il le soumet % notre orce de re us, linclinson tour, de!ant la part de l$omme qui ne sincline pas, lint(gre de orce dans une e"istenca#surde par rapport % nous, le tire en in de son re uge intemporel pour lengager dans l$isttr(s loin dune sta#ilit ternelle quil ne pourrait trou!er que dans le consentement unanime de$ommes. La r!olte a irme ainsi qu% son ni!eau toute e"istence suprieure est au mocontradictoire.

    L$istoire de la r!olte mtap$ysique ne peut donc se con ondre a!ec celle de lat$ism2ous un certain angle, elle se con ond m&me a!ec l$istoire contemporaine du sentimreligieu". Le r!olt d ie plus quil ne nie. 1rimiti!ement, au moins, il ne supprime pas 3ieu, lui parle simplement dgal % gal. Mais il ne sagit pas dun dialogue courtois. Il sagit du polmique quanime le dsir de !aincre. Lescla!e commence par rclamer 'ustice et init pa!ouloir la royaut. Il lui aut dominer % son tour. Le soul(!ement contre la condition sordonne une e"pdition dmesure contre le ciel pour en ramener un roi prisonnier dont on prononcera dc$ance da#ord, la condamnation % mort ensuite. La r#ellion $umaine init en r!olutmtap$ysique. Elle marc$e du para tre au aire, du dandy au r!olutionnaire. Le tr0ne de 3i

    ren!ers, le re#elle reconna tra que cette 'ustice, cet ordre, cette unit quil c$erc$ait en !ain dasa condition, il lui re!ient maintenant de les crer de ses propres mains et, par l%, de 'usti ierdc$ance di!ine. lors commencera un e ort dsespr pour onder, au pri" du crime sil

    aut, lempire des $ommes. Ceci nira pas sans de terri#les consquences, dont nous connaissons encore que quelques*unes. Mais ces consquences ne sont point dues % la r!o

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    elle*m&me, ou, du moins, elles ne !iennent au 'our que dans la mesure o) le r!olt ou#lie sorigines, se lasse de la dure tension entre oui et non et sa#andonne en in % la ngation de toc$ose ou % la soumission totale. Linsurrection mtap$ysique nous o re dans son premmou!ement le m&me contenu positi que la r#ellion de lescla!e. Notre tJc$e sera de"aminerque de!ient ce contenu de la r!olte dans les 6u!res qui sen rclament, et de dire o) m(nentlin idlit, et le idlit, du r!olt % ses origines.

    Les ils de Ca-n

    Les premi(res t$ogonies nous montrent 1romt$e enc$a n % une colonne, sur les con inmonde, martyr ternel e"clu % 'amais dun pardon quil re use de solliciter. Esc$yle accr

    encore la stature du $ros, le cre lucide GA nul mal$eur !iendra sur moi que 'e ne laie pr!ule ait de crier sa $aine de tous les dieu" et, le plongeant dans A une orageuse mer de dsesp

    atal B, lo re pour inir au" clairs et % la oudre : A $D

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    puissance a!eugle qui se su#it comme on su#it les orces naturelles. Le sommet de la dmesu pour un rec est de aire #attre de !erges la mer, olie de #ar#are. Le rec peint sans doutedmesure, puisquelle e"iste, mais il lui donne sa place, et par l% une limite. Le d i d c$apr(s la mort de 1atrocle, les imprcations des $ros tragiques maudissant leur destinnentra nent pas la condamnation totale. Pdipe sait quil nest pas innocent. Il est coupa#malgr lui, il ait aussi partie du destin. Il se plaint, mais ne prononce pas les paroles irrpara#l

    ntigone elle*m&me, si elle se r!olte, cest au nom de la tradition, pour que ses r(res trou!entrepos dans la tom#e, et que les rites soient o#ser!s. En un certain sens, il sagit a!ec elle dunr!olte ractionnaire. La r le"ion grecque, cette pense au" deu" !isages, laisse presque tou'ourcourir en contre*c$ant, derri(re ses mlodies les plus dsespres, la parole ternelle dPdipqui, a!eugle et misra#le, reconna tra que tout est #ien. Le oui squili#re au non. M&me lors

    1laton pr igure a!ec Callicl(s le type !ulgaire du nietzsc$en, m&me lorsque celui*ci scriA Mais que !ienne % para tre un $omme ayant le naturel quil autF il sc$appe, il oule pieds nos ormules, nos sorcelleries, nos incantations et ces lois qui, toutes, sans e"ception, scontraires % la nature. Notre escla!e sest insurg et sest r!l ma tre B, m&me alors, il pronle mot de nature, sil re use la loi.

    Cest que la r!olte mtap$ysique suppose une !ue simpli ie de la cration, que lerecs ne pou!aient a!oir. Il ny a!ait pas, pour eu", les dieu" dun c0t, et de lautre les $ommes

    mais des degrs qui menaient des derniers au" premiers. Lide de linnocence oppose % culpa#ilit, la !ision dune $istoire tout enti(re rsume % la lutte du #ien et du mal leur tatrang(re. 3ans leur uni!ers, il y a plus de autes que de crimes, le seul crime d initi tandmesure. 3ans le monde totalement $istorique qui menace d&tre le n0tre, il ny a plus de auau contraire, il ny a que des crimes dont le premier est la mesure. +n se"plique ainsi le curieumlange de rocit et dindulgence quon respire dans le myt$e grec. Les recs nont 'amais de la pense, et ceci nous dgrade par rapport % eu", un camp retranc$. La r!olte, apr(s tout, simagine que contre quelquun. La notion du dieu personnel, crateur et donc responsa#le

    toutes c$oses, donne seule son sens % la protestation $umaine. +n peut dire ainsi, et sa parado"e, que l$istoire de la r!olte est, dans le monde occidental, inspara#le de celle dc$ristianisme. Il aut attendre en e et les derniers moments de la pense antique pour !oir!olte commencer % trou!er son langage, c$ez des penseurs de transition, et c$ez personne p pro ondment que c$ez Qpicure et Lucr(ce.

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    La reuse tristesse dEpicure rend d'% un son nou!eau. Elle na t, sans doute, dangoisse de la mort qui nest pas trang(re % lesprit grec. Mais laccent pat$tique que precette angoisse est r!lateur. A +n peut sassurer contre toutes sortes de c$oses; mais en ce qconcerne la mort, nous demeurons tous comme les $a#itants dune citadelle dmantele. Lucr(ce prcise : A La su#stance de ce !aste monde est rser!e % la mort et % la ruine1ourquoi donc remettre la 'ouissance % plus tard A 3attente en attente, dit Qpicure, noconsumons notre !ie et nous mourons tous % la peine. B Il at donc 'ouir. Mais quelle tran 'ouissance D Elle consiste % a!eugler les murs de la citadelle, % sassurer le pain et leau, lom#re silencieuse. 1uisque la mort nous menace, il aut dmontrer que la mort nest rieComme Qpict(te et Marc* ur(le, Qpicure e"ile la mort de l&tre. A La mort nest rien % ngard, car ce qui est dissous est incapa#le de sentir, et ce qui ne sent point nest rien pour nous

    Est*ce le nant Non, car tout est mati(re en ce monde et mourir signi ie seulement retournllment. L&tre, cest la peirre. La singuli(re !olupt dont parle Qpicure rside surtout dala#sence de douleur; cest le #on$eur des pierres. 1our c$apper au destin, dans un admira#mou!ement quon retrou!era c$ez nos grands classiques, Qpicure tue la sensi#ilit; et da#ord premier cri de la sensi#ilit qui est lesprance. Ce que le p$ilosop$e grec dit des dieu" nsentend pas autrement. 8out le mal$eur des $ommes !ient de lesprance qui les arrac$e asilence de la citadelle, qui les 'ettes sur les remparts dans lattente du salut. Ces mou!ementdraisonna#les nont dautre e et que de rou!rir des plaies soigneusement #andes. C pourquoi Qpicure ne nie pas les dieu", il les loigne, mais si !ertigineusement, que lJme na pldautre issue que de semmurer % nou!eau. A L&tre #ien$eureu" et immortel na point da anen cre % personne. B Et Lucr(ce, renc$rissant : A Il est incontesta#le que les dieu", par lnature m&me, 'ouissent de limmortalit au milieu de la pai" la plus pro onde, trangers %a aires dont ils sont tout % ait dtac$s. B +u#lions donc les dieu", ny pensons 'amais et!os penses du 'our ni !os songes de la nuit ne !ous causeront de trou#les B.

    +n retrou!era plus tard, mais a!ec des nuances importantes, ce t$(me ternel de la

    r!olte. 9n dieu sans rcompense ni c$Jtiment, un dieu sourd est la seule imagination religieusdes r!olts. Mais, alors que

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    tant accompli, alors seulement, Qpicure, comme un dieu au milieu des $ommes, c$ante!ictoire dans un c$ant qui marque #ien le caract(re d ensi de sa r!olte. A ai d'ou em#/c$es, 0 destin, 'ai erm toutes les !oies par lesquelles tu pou!ais matteindre. Nous nnous laisserons !aincre ni par toi, ni par aucune orce mau!aise. Et quand l$eure de lin!ita#dpart aura sonn, notre mpris pour ceu" qui sagrippent !ainement % le"istence clatera dace #eau c$ant : $D ue dignement nous a!ons !cuD B

    Lucr(ce, seul de son temps, !a pousser #eaucoup plus loin cette logique et la aird#ouc$er dans la re!endication moderne. Il na'oute rien, sur le ond, % Qpicure. Il re useaussi, tout principe de"plication qui ne tom#e pas sous le sens. Latome nest que le derniere uge o) l&tre, rendu % ses lments premiers, poursui!ra une sorte dimmortalit sourda!eugle, de mort immortelle, qui pour Lucr(ce comme pour Qpicure, igure le seul #on$e

    possi#le. Il lui aut cependant admettre que le atomes ne sagr(gent pas seuls et, plut0t que consentir % une loi suprieure et, pour inir, au destin quil !eut nier, il admet un mou!eme

    ortuit, le clinamen, selon lequel les atomes se rencontrent et saccroc$ent. 3'%, remarquonsse pose le grand pro#l(me des temps modernes, o) lintelligence dcou!re que soustrairel$omme au destin re!ient % le li!rer au $asard. Cest pourquoi elle se orce de lui redonnerdestin, $istorique cette ois. Lucr(ce nen est pas l%. 2a $aine du destin et de la mort se satis acette terre i!re o) les atomes ont l&tre par laccident, et o) l&tre par accident se dissipeatomes. Mais son !oca#ulaire tmoigne pourtant dune sensi#ilit nou!elle. La citadelle a!euglde!ient camp retranc$, $oenia mundi, les remparts du monde, sont une des e"pressions cls dela r$torique de Lucr(ce. Certes, la grande a aire dans ce camp est de aire taire lespraMais le renoncement mt$odique dQpicure se trans orme en une asc(se rmissante quicouronne par ois de maldictions. La pit, pour Lucr(ce, est sans doute de A pou!oir toregarder dun esprit que rien ne trou#le B. Mais cet esprit trem#le cependant de lin'ustice qui

    aite % l$omme. 2ous la pression de lindignation, de nou!elles notions de crime, dinnocende culpa#ilit et de c$Jtiment courent % tra!ers le grand po(me sur la nature des c$oses. +n

    parle du A premier crime de la religion B, Ip$ignie et son innocence gorge; de ce trait di!in A sou!ent passe % c0t des coupa#les et !a, par un c$Jtiment immrit, pri!er de la !ie deinnocents B. 2i Lucr(ce raille la peur des c$Jtiments de lautre monde, ce nest point, commQpicure, dans le mou!ement dune r!olte d ensi!e, mais par un raisonnement agressi

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    pourquoi le mal serait*il c$Jti, puisque nous croyons assez, d(s maintenant, que le #ien nest prcompens

    Qpicure lui*m&me, dans lpope de Lucr(ce, de!iendra le re#elle magni ique quil n pas. A lors quau" yeu" de tous, l$umanit tra nait sur terre une !ie a#'ecte, crase sous poids dune religion dont le !isage se montrait du $aut des rgions clestes, mena4ant les mortede son aspect $orri#le, le premier, un rec, un $omme, osa le!er ses yeu" mortels contre elle, eonctre elle se dresserF Et par l%, la religion est % son tour ren!erse et oule au" pieds, et nola !ictoire nous l(!e 'usquau" cieu". B +n sent ici la di rence quil peut y a!oir entre c #lasp$(me nou!eau et la maldiction antique. Les $ros grecs pou!aient dsirer de!enir dedieu", mais en m&me temps que les dieu" d'% e"istants. Il sagissait alors dune promotiL$omme de Lucr(ce, au contraire, proc(de % une r!olution. En niant les dieu" indignes e

    criminels, il prend lui*m&me leur place. Il sort du camp retranc$ et commence les premi(attaques contre la di!init au nom de la douleur $umaine. 3ans luni!ers antique, le meurtre esline"plica#le et line"pia#le. C$ez Lucr(ce, d'%, le meurtre de l$omme nest quune rponse meurtre di!in. Et ce nest pas un $asard si le po(me de Lucr(ce se termine sur une prodigieusimage de sanctuaires di!ins gon ls des cada!res accusateurs de la peste.

    Ce langage nou!eau ne peut se comprendre sans la notion dun dieu personnel qucommence % se ormer lentement dans la sensi#ilit des contemporains dQpicure, et de LucrCest au dieu personnel que la r!olte peut demander personnellement des comptes. 3(s quir(gne, elle se dresse, dans sa rsolution la plus arouc$e, et prononce le nom d initi . !ec Cla premi(re r!olte co-ncide a!ec le premier crime. L$istoire de la r!olte, telle que nous la!i!ons au'ourd$ui, est #ien plus celle des en ants de Ca-n que des disciples de 1romt$e. En sens, cEst le 3ieu de l ncien 8estament, surtout, qui mo#ilisera lnergie r!olte.In!ersement, il aut se soumettre au 3ieu d #ra$am, dIsaac et de aco# quand on a ac$e!comme 1ascal, la carri(re de lintelligence r!olte. LJme qui doute le plus aspire au plus gran 'ansnisme.

    3e ce point de !ue, le Nou!eau 8estament peut &tre considr comme une tentati!e derpondre, par a!ance, % tous les Ca-n du monde, en adoucissant la igure de 3ieu, et en susciun intercesseur entre lui et l$omme. Le C$rist est !enu rsoudre deu" pro#l(mes principau", lmal et la mort, qui sont prcisment les pro#l(mes des r!olts. 2a solution a consist da#ordles prendre en c$arge. Le dieu $omme sou re aussi, a!ec patience. Le mal ni la mort ne lui s

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    plus a#solument imputa#les, puisquil est dc$ir et meurt. La nuit du olgot$a na autandimportance dans l$istoire des $ommes que parce que dans ces tn(#res la di!inita#andonnant ostensi#lement ses pri!il(ges traditionnels, a !cu 'usquau #out, dsespoir incluslangoisse de la mort. +n se"plique ainsi le !ama sa"actani et le doute a reu" du C$rist %lagonie. Lagonie serait lg(re si elle tait soutenue par lespoir ternel. 1our que le dieu soit u$omme, il aut quil dsesp(re.

    Le gnosticisme, qui et le ruit dune colla#oration grco*c$rtienne, a tent pendant desi(cles, en raction contre la pense 'uda-que, daccentuer ce mou!ement. +n conna t lmultiplicit dintercesseurs imagins par

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    cration telle que les r!olts la conce!aient. usqu% 3osto-e!sKi et Nietzsc$e, la r!olte nsadresse qu% une di!init cruelle et capricieuse, celle qui pr (re, sans moti con!aincantsacri ice d #el % celui de Ca-n et qui, par l%, pro!oque le premier meurtre. 3osto-e!sKiimagination, et Nietzsc$e, en ait, tendront dmesurment le c$amp de la pense r!olte demanderont de comptes au dieu damour lui*m&me. Nietzsc$e tiendra 3ieu pour mort dalJme de ses contemporains. Il sattaquera alors, comme 2tirner son prdcesseur, % lillusion3ieu qui sattarde, sous les apparences de la morale, dans lesprit de son si(cle. Mais, 'usqueu", la pense li#ertine, par e"emple, sest #orne % nier l$istoire du C$rist GA ce plat romaselon 2ade et % maintenir, dans ses ngations m&mes, la tradition du dieu terri#le.

    8ant que l+ccident a t c$rtien, au contraire, les Q!angiles ont t le truc$ement entrele ciel et la terre. c$aque cri solitaire de r!olte, limage de la plus grande douleur tai

    prsente. 1uisque le C$rist a!ait sou ert ceci, et !olontairement, aucune sou rance ntait in'uste, c$aque douleur tait ncessaire. En un certain sens, lam(re intuition du c$ristianisme son pessimisme lgitime quant au c6ur $umain, cest que lin'ustice gnralise est ausssatis aisante pour l$omme que la 'ustice totale. 2eul le sacri ice dun dieu innocent pou! 'usti ier la longue et uni!erselle torture de linnocence. 2eule la sou rance de 3ieu, et la pmisra#le, pou!ait allger lagonie des $ommes. 2i tout, sans e"ception, du ciel % la terre, eli!r % la douleur, un trange #on$eur est alors possi#le.

    Mais % partir du moment o) le c$ristianisme, au sortir de sa priode triomp$ante, setrou! soumis % la critique de la raison, dans la mesure e"acte o) la di!init du C$rist a t nila douleur est rede!enue le lot des $ommes. sus rustr nest quun innocent de plus, que reprsentants du 3ieu d #ra$am ont supplici spectaculairement. La# me qui spare le mades escla!es sou!re de nou!eau et la r!olte crie tou'ours de!ant la ace mure dun 3ieu 'alou".Les penseurs et les artistes li#ertins ont prpar ce nou!eau di!orce en attaquant, a!ec de prcautions dusage, la morale et la di!init du C$rist. Luni!ers de Callot igure assez #ien monde de gueu" $allucinants dont le ricanement, da#ord sous cape, inira par sle!er 'usqu

    ciel a!ec le 3on uan de Moli(re. 1endant les deu" si(cles qui prparent les #oule!ersements, % ois r!olutionnaires et sacril(ges, de la in du R

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    La ngation a#solue

    Historiquement la premi(re o ensi!e co$rente est celle de 2ade, qui rassem#le en une seulenorme mac$ine de guerre les arguments de la pense li#ertine 'usquau cur Meslier et

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    principe line"istence de 3ieu pour cette raison claire que son e"istence supposerait c$ez luindi rence, mc$ancet ou cruaut. La plus grande 6u!re de 2ade se termine sur undmonstration de la stupidit et de la $aine di!ines. Linnocente ustine court sous lorage et criminel Noirceuil 'ure quil se con!ertira si elle est pargne par la oudre cleste. La oud poignarde ustine, Noirceuil triomp$e, et le crime de l$omme continuera de rpondre au cridi!in. Il y a ainsi un pari li#ertin qui est la rplique du pari pascalien.

    Lide au moins, que 2ade se ait de 3ieu est donc celle dune di!init criminelle qucrase l$omme et le nie. ue le meurtre soit un attri#ut di!in se !oit assez, selon 2ade, danl$istoire des religions. 1ourquoi l$omme serait*il alors !ertueu" Le premier mou!ement d prisonnier est de sauter dans la consquence e"tr&me. 2i 3ieu tue et nie l$omme, rien ne peinterdire quon nie et tue ses sem#la#les. Ce d i crisp ne ressem#le en rien % la ngat

    tranquille quon trou!e encore dans le 'ialogue de =TUV. Il nest ni tranquille, ni $eureu", celuiqui scrie : A 5ien nest % moi, rien nest de moi B et qui conclut : A Non, non, et la !ertu e!ice, tout se con ond dans le cercueil. B Lide de 3ieu est selon lui la seule c$ose A quil puisse pardonner % l$omme B. Le mot pardonner est d'% singulier c$ez ce pro esseur de torMais cest % lui*m&me quil ne peut pardonner une ide que sa !ue dsespre du monde, econdition de prisonnier, r utent a#solument. 9ne dou#le r!olte !a dsormais conduire lraisonnement de 2ade : contre lordre du monde et contre lui*m&me. Comme ces deu" r!oltsont contradictoires partout ailleurs que dans le c6ur #oule!ers dun perscut, sonraisonnement ne cesse 'amais d&tre am#igu ou lgitime, selon quon ltudie dans la lumi(re la logique ou dans le ort de la compassion.

    Il niera donc l$omme et sa morale puisque 3ieu les nie. Mais il niera 3ieu en m&mtemps qui lui ser!ait de caution et de complice 'usquici. u nom de quoi u nom de linstincle plus ort c$ez celui que la $aine des $ommes ait !i!re entre les murs dune prison : linstise"uel. uest cet instinct Il est, dune part, le cri m&me de la nature!i, et, dautre part, llana!eugle qui e"ige la possession totale des &tres, au pri" m&me de leur destruction. 2ade nie

    3ieu au nom de la nature W le matriel idologue de son temps le ournit alors en discomcanistes W et il era de la nature une puissance de destruction. La nature, pour lui, cest le ssa logique le conduit dans un uni!ers sans loi o) le seul ma tre sera lnergie dmesure du dsL% est son royaume en i!r, o) il trou!e ses plus #eau" cris : A ue sont toutes les craturesla terre !is*%*!is dun seul de nos dsirsD B Les longs raisonnements o) les $ros de 2

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    dmontrent que la nature a #esoin du crime, quil aut dtruire pour crer, quon laide donccrer d(s linstant o) lon dtruit soi*m&me, ne !isent qu% onder la li#ert a#solue du prison2ade, trop in'ustement comprim pour ne pas dsirer le"plosion qui era tout sauter. En cela,soppose % son temps : la li#ert quil rclame nest pas celle des principes, mais des instincts.

    2ade a r&! sans doute dune rpu#lique uni!erselle dont il nous ait e"poser le plan pun sage r ormateur, Oam. Il nous montre ainsi quune des directions de la r!olte, dansmesure o), son mou!ement sacclrant, elle supporte de moins en moins de limites, est lali#ration du monde entier. Mais tout en lui contredit ce r&!e pieu". Il nest pas lami du gen$umain, il $ait les p$ilant$ropes. Lgalit dont il parle par ois est une notion mat$matiquelqui!alence des o#'ets que sont les $ommes, la#'ecte galit des !ictimes. Celui qui pousse sodsir 'usquau #out, il lui aut tout dominer, son !rita#le accomplissement est dans la $aine. L

    rpu#lique de 2ade na pas la li#ert pour principe, mais le li#ertinage. A La 'ustice, crit singulier dmocrate, na pas de"istence relle. Elle est la di!init de toutes les passions. B

    5ien de plus r!lateur % cet gard que le ameu" li#elle, lu par 3olmanc dans !a )&ilosop&ie dans le "oudoir , et qui porte un titre curieu" : *ran+ais, encore un effort si vousvoule (tre rpu"licains. 1ierre lossoXsKi!ii a raison de le souligner, ce li#elle dmontre au"r!olutionnaires que leur rpu#lique repose sur le meurtre du roi de droit di!in et quenguillotinant 3ieu le V= 'an!ier =T>Y, ils se sont interdit % 'amais la proscription du crime etcensure des instincts mal aisants. La monarc$ie, en m&me temps quelle*m&me, maintenant lde 3ieu qui ondait les lois. La 5pu#lique, elle, se tient de#out toute seule et les m6urs doi!eny &tre sans commandements. Il est pourtant douteu" que 2ade, comme le !eut lossoXsKi, ait le sentiment pro ond dun sacril(ge et que cette $orreur quasi religieuse lait conduit auconsquences quil nonce. 7ien plut0t tenait*il ses consquences da#ord et a*t*il aper4u ensulargument propre % 'usti ier la licence a#solue des m6urs quil !oulait demander agou!ernement de son temps. La logique des passions ren!erse lordre traditionnel duraisonnement et place la conclusion a!ant les prmisses. Il su it pour sen con!aincre dapprc

    ladmira#le succession de sop$ismes par lesquels 2ade, dans ce te"te, 'usti ie la calomnie, le !et le meurtre, et demande quils soient tolrs dans la cit nou!elle.

    1ourtant, cest alors que sa pense est le plus pro onde. Il re use, a!ec une clair!oyane"ceptionnelle en son temps, lalliance prsomptueuse de la li#ert et de la !ertu. La li#ertsurtout quand elle est le r&!e du prisonnier, ne peut supporter de limites. Elle et le crime ou e

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    nest plus la li#ert. 2ur ce point essentiel, 2ade na 'amais !ari. Cet $omme qui na pr&c$ qudes contradictions ne retrou!e une co$rence, et la plus a#solue, quen ce qui concerne la peincapitale. mateur de"cutions ra ines, t$oricien du crime se"uel, il na 'amais pu supportercrime lgal. A Ma dtention nationale, la guillotine sous les yeu", ma ait cent ois plus de que ne men a!aient ait toutes les 7astilles imagina#les. B 3ans cette $orreur, il a puis lcourage d&tre pu#liquement modr pendant la 8erreur et dinter!enir gnreusement en a!dune #elle*m(re qui pourtant la!ait ait em#astiller. uelques annes plus tard, Nodier de!arsumer clairement, sans le sa!oir peut*&tre, la position o#stinment d endue par 2ade : A un $omme dans le paro"ysme dune passion, cela se comprend. Le aire tuer par un autre danscalme dune mditation srieuse, et sous le prte"te dun minist(re $onora#le, cela ne scomprend pas. B +n trou!e ici lamorce dune ide qui sera d!eloppe encore par 2ade : celu

    qui tue doit payer de sa personne. 2ade, on le !oit, est plus moral que nos contemporains.Mais sa $aine pour la peine de mort nest da#ord que la $aine d$ommes qui croien

    assez % leur !ertu, ou % celle de leur cause, pour oser punir, et d initi!ement, alors quils seu"*m&mes criminels. +n ne peut % la ois c$oisir le crime pour soi et le c$Jtiment pourautres. Il aut ou!rir les prisons ou aire la preu!e, impossi#le, de sa !ertu. partir du moment lon accepte le meurtre, serait*ce une seule ois, il aut ladmettre uni!ersellement. Le crimiqui agit selon la nature ne peut, sans or aiture, se mettre du c0t de la loi. A Encore un e!ous !oulez &tre rpu#licains B !eut dire : A cceptez la li#ert du crime, seule raisonna#le,entrez pour tou'ours en insurrection comme on entre en grJce. B La soumission totale au md#ouc$e alors dans une $orri#le asc(se qui de!rait pou!anter la rpu#lique des lumi(res et de l #ont naturelle. Celle*ci, dont la premi(re meute, par une co-ncidence signi icati!e, a!ait #r/le manuscrit des-ent vingt journes de odome, ne pou!ait manquer de dnoncer cette li#ert$rtique et 'eter % nou!eau ente quatre murs un partisan si compromettant. Elle lui donnait, m&me coup, la reuse occasion de pousser plus loin sa logique r!olte.

    La rpu#lique uni!erselle a pu &tre un r&!e pour 2ade, 'amais une tentation. En politiqu

    sa !raie position est le cynisme. 3ans saocit des mis du crime, on se dclare ostensi#lement pour le gou!ernement et ses lois, quon se dispose pourtant % !ioler. insi, les souteneurs !ote pour le dput conser!ateur. Le pro'et que 2ade mdite suppose la neutralit #ien!eillante dlautorit. La rpu#lique du crime ne peut &tre, pro!isoirement du moins, uni!erselle. Elle do

    aire mine do#ir % la loi. 1ourtant dans un monde sans autre r(gle que celle du meurtre, sou

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    ciel du crime, au nom dune criminelle nature, 2ade no#it en ralit qu% la loi inlassa#le dsir. Mais dsirer sans limites re!ient aussi % accepter d&tre dsir sans limites. La licencedtruire suppose quon puisse &tre soi*m&me dtruit. Il audra donc lutter et dominer. La loi monde nest rien dautre que celle de la orce; son moteur, la !olont de puissance.

    Lami du crime ne respecte rellement que deu" sortes de puissances : celle, onde sur $asard de la naissance, quil trou!e dans sa socit, et celle o) se $isse lopprim, quand, % ode sclratesse, il par!ient % galer les grands seigneurs li#ertins dont 2ade ait ses $rordinaires. Ce petit groupe e puissants, ces initis sa!ent quils ont tous les droits. ui doutem&me une seconde, de ce redouta#le pri!il(ge est aussit0t re'et du troupeau, et rede!ien!ictime. +n a#outit alors % une sorte de #lanquisme moral o) un petit groupe d$ommes et d

    emmes, parce quils dtiennent un trange sa!oir, se placent rsolument au*dessus dune ca

    descla!es. Le seul pro#l(me, pour eu", consiste % sorganiser pour e"ercer, dans leur plnituddes droits qui ont ltendue terri iante du dsir.

    Ils ne peu!ent esprer simposer % tout luni!ers tant que luni!ers naura pas accept lloi du crime. 2ade na m&me 'amais cru que sa nation consentirait le ort supplmentaire qu

    erait A rpu#licaine B. Mais si le crime et le dsir ne sont pas la loi de tout luni!ers, silsr(gnent pas au moins sur un territoire d ini, ils ne sont plus principe dunit, mais ermentscon lit. Ils ne sont plus la loi et l$omme retourne % la dispersion et au $asard. Il aut donc de toutes pi(ces un monde qui soit % la mesure e"acte de la nou!elle loi. Le"igence dunitd4ue par la Cration, se satis ait toute orce dans un microcosme. La loi de la puissance 'amais la patience datteindre lempire du monde. Il lui aut dlimiter sans tarder le terrain o) ese"erce, m&me sil aut lentourer de #ar#els et de miradors.

    C$ez 2ade, elle cre des lieu" clos, des c$Jteau" % septuple enceinte, dont il esimpossi#le de s!ader, et o) la socit du dsir et du crime onctionne sans $eurts, selon ur(glement implaca#le. La r!olte la plus d#ride, la re!endication totale de la li#ert a#outit lasser!issement de la ma'orit. Lmancipation de l$omme sac$(!e, pour 2ade, dans ces

    casemates de la d#auc$e o) une sorte de #ureau politique du !ice r(gle la !ie et la mortd$ommes et de emmes entrs % tout 'amais dans len er de la ncessit. 2on 6u!re a#ondedescriptions de ces lieu" pri!ilgis o), c$aque ois, les li#ertins odau", dmontrant au!ictimes assem#les leur impuissance et leur ser!itude a#solues, reprennent le discours du duc d7langis au petit peuple des-ent vingt journes de odome: A

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    2ade $a#itait de m&me la tour de la Li#ert, mais dans la 7astille. La r!olte a#solusen ouit a!ec lui dans une orteresse sordide do) personne, perscuts ni perscuteurs, ne psortir. 1our onder sa li#ert, il est o#lig dorganiser la ncessit a#solue. La li#ert illimite dsir signi ie la ngation de lautre, et la suppression de la piti. Il aut tuer le c6ur, cetA ai#lesse de lesprit B;le lieu clos et le r(glement y pour!oiront. Le r(glement, qui 'oue un rcapital dans les c$Jteau" a#uleu" de 2ade, consacre un uni!ers de m iance. Il aide % to pr!oir a in quune tendresse ou une piti impr!ues ne !iennent dranger les plans du #o plaisir. Curieu" plaisir, sans doute, qui se"erce au commandement. A +n se l(!era tous les 'our% di" $eures du matinF BD Mais il aut emp&c$er que la 'ouissance dgn(re en attac$emen

    aut la mettre entre parent$(ses et la durcir. Il aut encore que les o#'ets de 'ouissannapparaissent 'amais comme des personnes. 2i l$omme est A une esp(ce de plante a#solume

    matrielle B, il ne peut &tre trait quen o#'et, et en o#'et de"prience. 3ans la rpu#liqu #ar#ele de 2ade, il ny a que des mcaniques et des mcaniciens. Le r(glement, mode demplde la mcanique, donne sa place % tout. Ces cou!ents in Jmes ont leur r(gles, signi icati!emcopie sur celle des communauts religieuses. Le li#ertin se li!rera ainsi % la con ession pu#liqMais lindice c$ange : A 2i sa conduite est pure, il est #lJm. B

    2ade, comme il est dusage en son temps, #Jtit ainsi des socits idales. Mais % lin!erde sont temps, il codi ie la mc$ancet naturelle de l$omme. Il construit mticuleusement la cde la puissance et de la $aine, en prcurseur quil est, 'usqu% mettre en c$i res la li#ert quconquise. Il rsume alors sa p$ilosop$ie dans la roide compta#ilit du crime : A Massacrs a!le =er mars := . 3epuis le =er mars :V . 2en retournent : =Z. 8otal : ?Z. B 1rcurseur sans doutemais encore modeste, on le !oit.

    2i tout sarr&tait l%, 2ade ne mriterait que lintr&t qui sattac$e au" prcursemconnus. Mais une ois tir le pont*le!is, il aut !i!re dans le c$Jteau. ussi mticuleu" que sole r(glement, il ne par!ient pas % tout pr!oir. Ils peut dtruire, non crer. Les ma tres de ccommunauts tortures ny trou!eront pas la satis action quils con!oitentF 2ade !oque

    sou!ent la A douce $a#itude du crime B. 5ien ici, pourtant, qui ressem#le % la douceur; plut0t rage d$omme dans les ers. Il sagit en e et de 'ouir, et le ma"imum de 'ouissance co-ncide ale ma"imum de destruction. 1ossder ce quon tue, saccoupler a!ec la sou rance, !oil% linsde la li#ert totale !ers lequel soriente toute lorganisation des c$Jteau". Mais d(s linstant o) lecrime se"uel supprime lo#'et de !olupt, il supprime la !olupt qui ne"iste quau moment

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    prcis de la suppression. Il aut alors se soumettre un autre o#'et et le tuer % nou!eau, un auencore, et apr(s lui lin init de tous les o#'ets possi#les. +n o#tient ainsi ces morneaccumulations de sc(nes rotiques et criminelles dont laspect ig, dans les romans de 2adlaisse parado"alement au lecteur le sou!enir dune $ideuse c$astet.

    ue !iendrait aire, dans cet uni!ers, la 'ouissance, la grande 'oie leurie des corpconsentants et complices Il sagit dune qu&te impossi#le pour c$apper au dsespoir et qui portant en dsespoir, dune course de la ser!itude % la ser!itude, et de la prison % la prison. 2nature seule est !raie, si, dans la nature, seuls le dsir et la destruction sont lgitimes, alors, de destruction en destruction, le r(gne $umain lui*m&me ne su isant plus % la soi du sang, courir % lanantissement uni!ersel. Il aut se aire, selon la ormule de 2ade, le #ourreau nature. Mais cela m&me ne so#tient pas si acilement. uand la compta#ilit est close, qua

    toutes les !ictimes ont t massacres, les #ourreau" restent ace % ace, dans le c$Jteau solitauelque c$ose leur manque encore. Les corps torturs retournent par leurs lments % la natu

    do) rena tra la !ie. Le meurtre lui*m&me nest pas ac$e! : A Le meurtre n0te que la premi!ie % lindi!idu que nous rappons; il audrait pou!oir lui arrac$er la secondeF B 2ade mdlattentat contre la cration : A a#$orre la natureF e !oudrais dranger ses plans, contrecarsa marc$e, arr&ter la roue des astres, #oule!erser les glo#es qui lottent dans lespace, dtruirequi la sert, protger ce qui lui nuit, linsulter en un mot dans ses 6u!res, et 'e ny puis russir. B a #eau imaginer un mcanicien qui puisse pul!riser luni!ers, il sait que, dans la poussi(re deglo#es, la !ie continuera. Lattentat contre la cration est impossi#le. +n ne peut tout dtruire, il a tou'ours un reste. A e ny puis russiF B, cet uni!ers implaca#le et glac se dtend soudadans latroce mlancolie par laquelle, en in, 2ade nous touc$e quand il ne le !oudrait pas. Nous pourrions peut*&tre attaquer le soleil, en pri!er luni!ers ou nous en ser!ir pour em#rasermonde, ce serait des crimes, celaF B +ui, ce serait des crimes, mais non le crime d initi . Il marc$er encore; les #ourreau" se mesurent du regard.

    Ils sont seuls, et une seule loi les rgit, celle de la puissance. 1uisquils lont accept

    alors quils taient les ma tres, ils ne peu!ent plus la rcuser si elle se retourne contre eu". 8ou puissance tend % &tre unique et solitaire. Il aut encore tuer : % leur tour, les ma tre se dc$i2ade aper4oit cette consquence et ne recule pas. 9n curieu" sto-cisme du !ice !ient clairer un peu ces #as* onds de la r!olte. Il ne c$erc$era pas % re'oindre le monde de la tendresse etcompromis. Le pont*le!is ne sera pas #aiss, il acceptera lanantissement personnel. La o

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    dc$a ne du re us re'oint % son e"trmit une acceptation inconditionnelle qui nest pas sgrandeur. Le ma tre accepte d&tre % son tout escla!e et peut*&tre m&me le dsire. A Lcaussi serait pour moi le tr0ne des !olupts. B

    La plus grande destruction co-ncide alors a!ec la plus grande a irmation. Les ma tre 'ettent les uns sur les autres et cette 6u!rer rige % la gloire du li#ertinage se trou!e A parsemde cada!res de li#ertins rapps au sommet de leur gnie!iii B. Le plus puissant, qui sur!i!ra, serale solitaire, l9nique, dont 2ade a entrepris la glori ication, lui*m&me en d initi!e. Le !oil%r(gne en in, ma tre et 3ieu. Mais % linstant de sa plus $aute !ictoire, le r&!e se dissipe. L9nise retourne !ers le prisonnier dont les imaginations dmesures lui ont donn naissance; il scon ond a!ec lui. Il est seul, en e et, emprisonn dans une 7astille ensanglante, tout enti #Jtie autour dune 'ouissance encore inapaise, mais dsormais sans o#'et. Il na triomp$ que

    r&!e et ces dizaines de !olumes, #ourrs datrocits et de p$ilosop$ie, rsument une asc(smal$eureuse, une marc$e $allucinante du non total au oui a#solu, un consentement % la men in, qui trans igure le meurtre de tout et de tous en suicide collecti .

    +n a e"cut 2ade en e igie; il na tu de m&me quen imagination. 1romt$e init d+nan. Il ac$(!era sa !ie, tou'ours prisonnier, mais cette ois dans un asile, 'ouant des pi(ces suune estrade de ortune, au milieu d$allucins. La satis action que lordre du monde ne donnait pas, le r&!e et la cration lui en ont ourni un qui!alent drisoire. Lcri!ain, #ieentendu, na rien % se re user. 1our lui, du moins, les limites scroulent et le dsir peut a 'usquau #out. En ceci, 2ade est l$omme de lettres par ait. Il a #Jti une iction pour se donlillusion d&tre. Il a mis au*dessus de tout A le crime moral auquel on par!ient par crit B. mrite, incontesta#le, est da!oir illustr du premier coup, dans la clair!oyance mal$eureusdune rage accumule, les consquences e"tr&mes dune logique r!olte, quand elle ou#lie moins la !rit de ses origines. Ces consquences sont la totalit close, le crime uni!ersellaristocratie du cynisme et la !olont dapocalypse. Elles se retrou!eront #ien des annes aprlui, Mais, les ayant sa!oures, il sem#le quil ait tou dans ses propres impasses, et quil se

    seulement dli!r dans la littrature. Curieusement, cest 2ade qui a orient la r!olte sur lec$emins de lart o) le romantisme lengagera encore plus a!ant. Il sera de ces cri!ains dont il dque A la corruption est si dangereuse, si acti!e, quils nont pour #ut en imprimant leur a rsyst(me que dtendre au*del% de leurs !ies la somme de leurs crimes; ils nen peu!ent plus amais leurs maudits crits en eront commettre, et cette douce ide quils emportent au tom#e

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    les console de lo#ligation o) les met la mort de renoncer % ce qui est B. 2on 6u!re r!olttmoigne ainsi de sa soi de sur!ie. M&me si limmortalit quil con!oite est celle de Ca-n, ilcon!oite au moins, et tmoigne malgr lui pour le plus !rai de la r!olte mtap$ysique.

    u reste, sa postrit m&me o#lige % lui rendre $ommage. 2es $ritiers ne sont pas tocri!ains. ssurment, il a sou ert et il est mort pour c$au er limagination des #eau" quaret des ca s littraires. Mais ce nest pas tout,. Le succ(s de 2ade % notre poque se"plique un r&!e qui lui est commun a!ec la sensi#ilit contemporaine : la re!endication de la li#erttotale, et la ds$umanisation opre % roid par lintelligence. La rduction de l$omme en ode"prience, le r(glement qui prciser les rapports de la !olont de puissance et de l$ommo#'et, le c$amp clos de cette monstrueuse e"prience, sont des le4ons que les t$oriciens de puissance retrou!eront, lorsquils auront % organiser le temps des escla!es.

    3eu" si(cles % la!ance, sur une c$elle rduite, 2ade a e"alt les socits totalitaires aunom de la li#ert rntique que la r!olte en ralit ne rclame pas. !ec lui commencenrellement l$istoire et la tragdie contemporaines. Il a seulement cru quune socit #ase sur li#ert du crime de!ait aller a!ec la li#ert des m6urs, comme si la ser!itude a!ait ses limites. Notre temps sest #orn % ondre curieusement son r&!e de rpu#lique uni!erselle et sa tec$nda!ilissement. Sinalement ce quil $a-ssait le plus, le meurtre lgal, a pris % son compte dcou!ertes quil !oulait mettre au ser!ice du meurtre dinstinct. Le crime, dont il !oulait qui

    /t le ruit e"ceptionnel et dlicieu" du !ice dc$a n, nest plus au'ourd$ui que la mor$a#itude dune !ertu de!enue polici(re. Ce sont les surprises de la littrature.

    !a rvolte des dand/s

    Mais l$eure est encore au" gens de lettres. Le romantisme a!ec sa r!olte luci rienne nser!ira !raiment que les a!entures de limagination. Comme 2ade, il se sparera de la r!olteantique par la pr rence accorde au mal et % lindi!idu. En mettant laccent sur sa orce de

    et de re us, la r!olte, % ce stade, ou#lie son contenu positi . 1uisque 3ieu re!endique ce quil de #ien en l$omme, il aut tourner ce #ien en drision et c$oisir le mal. La $aine de la mort etlin'ustice conduira donc, sinon % le"ercice, du moins % lapologie du mal et du meurtre.

    La lutte de 2atan et de la mort dans le )aradis perdu, po(me pr r des romantiques,sym#olise ce drame, mais dautant plus pro ondment que la mort est Ga!ec le p&c$ len a

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    2atan. 1our com#attre le mal, le r!olt, parce quil se 'uge innocent, renonce au #ien et en antenou!eau le mal. Le $ros romantique op(re da#ord la con usion pro onde, et pour ainsi dreligieuse, du #ien et du mali". Ce $ros est A atal B, parce que la atalit con ond le #ien etmal sans que l$omme puisse sen d endre. La atalit e"clut les 'ugements de !aleur. Elle remplace par un A Cest ainsi B qui e"cuse tout, sau le Crateur, responsa#le unique descandaleu" tat de ait. Le $ros romantique est A atal B aussi, parce qu% mesure quil gran

    orce et en gnie la puissance du mal grandit en lui. 8oute puissance, tout e"c(s se cou!re alodu A Cest ainsi B. ue lartiste, le po(te en particulier, soit dmoniaque, cette ide tr(s ancientrou!e une ormulation pro!ocante c$ez les romantiques. Il y a m&me, % cette poque,imprialisme du dmon qui !ise % tout lui anne"er, m&me les gnies de lort$odo"ie. A Ce quque Milton, o#ser!e 7laKe, cri!ait dans la g&ne lorsquil parlait des anges et de 3ieu, dan

    laudace lorsque des dmons et de len er, cest quil tait un !rai po(te, et du parti des dmonsans le sa!oir. B Le po(te, le gnie, l$omme lui*m&me, dans son image la plus $aute, scalors en m&me temps que 2atan : A dieu, lesprance, mais a!ec lesprance, adieu crainadieu remordsF Mal, sois mon #ien. B Cest le cri de linnocence outrage.

    Le $ros romantique sestime donc contraint de commettre le mal, par nostalgie dun #ieimpossi#le. 2atan sl(!e contre son crateur, parce que celui*ci a employ la orce pour rduire. A Qgal en raison, dit 2atan de Milton, il sest le! au*dessus de ses gau" par la orcLa !iolence di!ine est ainsi condamne e"plicitement. Le r!olt sloignera de ce 3ieuagresseur et indigne", A le plus loin de lui est le mieu" B, et rgnera sur toutes les orces $ostileslordre di!in. Le prince du mal na c$oisi sa !oie que parce que le #ien est une notion d inie utilise par 3ieu pour les desseins in'ustes. Linnocence m&me irrite le 5e#elle dans la mesure oelle suppose un a!euglement de dupe. Ce A noir esprit du mal quirrite linnocence B suscitainsi une in'ustice $umaine parall(le % lin'ustice di!ine. 1uisque la !iolence est % la racine decration, une !iolence dli#re lui rpondra. Le"c(s du dsespoir a'oute encore au" causes dudsespoir pour mener la r!olte % cet tat de $aineuse atonie, qui suit la longue preu!e d

    lin'ustice, et o) dispara t d initi!ement la distinction du #ien et du mal. Le 2atan de

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    Le meurtre, en e et, !a de!enir aima#le. Il su it de comparer le Luci er des imagierMoyen ge au 2atan romantique. 9n adolescent A 'eune, triste et c$armant B G

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    Logiquement, car cette o#stination dans le satanisme ne peut se 'usti ier que pala irmation sans cesse rpte de lin'ustice et, dune certaine mani(re, par sa consolidation.douleur, % ce stade, ne para t accepta#le qu% la condition quelle soit sans rem(de. Le rc$oisit la mtap$ysique du pire, qui se"prime dans la littrature de damnation dont nous nsommes pas encore sortis. A e sentais mas puissance et 'e sentais des ers B G1etrus 7orel .ces ers sont c$ris. Il audrait sans eu" prou!er, ou e"ercer, la puissance quapr(s tout on n pas s/r da!oir. 1our inir, on de!ient onctionnaire en lgrie et 1romt$e, a!ec le m&m7orel, !eut ermer les ca#arets et r ormer les m6urs des colons. Il nemp&c$e : tout po(te, p&tre re4u, doit alors &tre maudit"i. C$arles Lassailly, le m&me qui pro'etait un roman p$ilosop$ique, 4o"espierre et Jsus5-&rist , ne se couc$e 'amais sans pro rer, pour se soutenir,quelques er!ents #lasp$(mes. La r!olte se pare de deuil et se ait admirer sur les planc$es. 7i

    plus que le culte de lindi!idu, le romantisme inaugure le culte du personnage. Cest alors quest logique. Nesprant plus la r(gle ou lunit de 3ieu, o#stin % se rassem#ler contre un desennemi, impatient de maintenir tout ce qui peut l&tre encore dans un monde !ou % la mortr!olte romantique c$erc$e une solution dans lattitude. Lattitude rassem#le dans une unitest$tique l$omme li!r au $asard et dtruit par les !iolences di!ines. L&tre qui doit mourresplendit au moins a!ant de dispara tre, et cette splendeur ait sa 'usti ication. Elle est un p

    i"e, le seul quon puisse opposer au !isage dsormais ptri i du 3ieu de $aine. Le r!oltimmo#ile soutient sans ai#lir le regard de 3ieu. A 5ien ne c$angera, dit Milton, cet esprit i"e,$aut ddain n de la conscience o ense. B 8out #ouge et court au nant, mais l$umiso#stine, et maintient au moins la iert. 9n #aroque romantique, dcou!ert par 5aymon

    ueneau, prtend que le #ut de toute !ie intellectuelle est de de!enir 3ieu. Ce romantisme, au!rai, est un peu en a!ance sur son temps. Le #ut ntait alors que dgaler 3ieu, et de se mainteni% son ni!eau. +n ne le dtruit pas, mais, par un e ort incessant, on lui re use toute soumissiondandysme est une orme dgrade de lasc(se.

    Le dandy cre sa propre unit par des moyens est$tiques. Mais cest une est$tique de

    singularit et de la ngation. A

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    une unit, par la orce m&me du re us. 3issip en tant que personne pri!e de r(gle, il seco$rent en tant que personnage. Mais un personnage suppose un pu#lic; le dandy ne peut poser quen sopposant. Il ne peut sassurer se son e"istence quen la retrou!ant dans le !isagdes autres. Les autres sont le miroir. Miroir !ite o#scurci, il est !rai, car la capacit dattention dl$omme est limite. Elle doit &tre r!eille sans cesse, peronne par la pro!ocation. Le dandest donc orc dtonner tou'ours. 2a !ocation est dans la singularit, son per ectionnement dla surenc$(re. 8ou'ours en rupture, en marge, il orce les autres % le crer lui*m&me, en niant l!aleurs. Il 'oue sa !ie, aute de pou!oir la !i!re. Il la 'oue 'usqu% la mort, sau au" instants o) iest seul et sans miroir. [tre seul pour le dandy re!ient % n&tre rien. Les romantiques nont pasi magni iquement de la solitude que parce quelle tait leur douleur relle, celle qui ne peutsupporter. Leur r!olte senracine % un ni!eau pro ond, mais du-leveland de la## 1r!ost,

    'usquau" dada-stes, en passant par les rntiques de =UY , 7audelaire et les dcadents de = plus dun si(cle de r!olte sassou!it % #on compte dans les audaces de A le"centricit B. 2i toont su parler de la douleur, cest que, dsesprant de 'amais la dpasser autrement que par d!aines parodies, ils prou!aient instincti!ement quelle demeurait leur seule e"cuse, et leur !raieno#lesse.

    Cest pourquoi l$ritage du romantisme nest pas pris en c$arge par Hugo, pair dSrance, mais par 7audelaire et Lacenaire, po(tes du crime. A 8out en ce monde sue le crime, d7audelaire, le 'ournal, la muraille et le !isage de l$omme. B ue du moins ce crime, loi dumonde, prenne igure distingue. Lacenaire, premier en date des gentils$ommes criminels, emploie e ecti!ement; 7audelaire a moins de rigueur, mais du gnie. Il crera le 'ardin du mo) le crime ne igurera quune esp(ce plus rare que dautres. La terreur elle*m&me de!iendra sensation et o#'et rare. A Non seulement 'e serais $eureu" d&tre !ictime, mais 'e ne $a-rais pd&tre #ourreau pour sentir la r!olution des deu" mani(res. B M&me son con ormisme a, c$e7audelaire, lodeur du crime. 2il a c$oisi Maistre pour ma tre % penser, cest dans la mesurece conser!ateur !a 'usquau #out et centre sa doctrine autour de la mort et du #ourreau. A Le !r

    saint, eint de penser 7audelaire, est celui qui ouaille et tue le peuple pour le #ien du peuple. Bsera e"auc. La race des !rais saints commence % se rpandre sur la terre pour consacrer ccurieuses conclusions de la r!olte. Mais 7audelaire, malgr son arsenal satanique, son go/t pou2ade, ses #lasp$(mes, restait trop t$ologien pour &tre un !rai r!olt. 2on !rai drame, qui la ale plus grand po(te de son temps, tait ailleurs. 7audelaire ne peut &tre !oqu ici que dans

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    mesure o) il a t le t$oricien le plus pro ond du dandysme et donna des ormules d initi!elune des conclusions de la r!olte romantique.

    Le romantisme dmontre en e et que la r!olte a partie lie a!ec le dandysme; lune dses directions est le para tre. 3ans ses ormes con!entionnelles, le dandysme a!oue la nostalgdune morale. Il nest quun $onneur dgrad en point d$onneur. Mais il inaugure en m&mtemps une est$tique qui r(gne encore sur notre monde, celle des crateurs solitaires, ri!auo#stins dun 3ieu quils condamnent. partir du romantisme, la tJc$e de lartiste ne sera pluseulement de crer un monde, ni de"alter la #eaut pour elle seule, mais aussi de d inir uattitude. Lartiste de!ient alors mod(le, il se propose en e"emple : lart est sa morale. !ec luicommence lJge des directeurs de conscience. uand les dandys ne se tuent pas ou ne de!ienne pas ous, ils ont carri(re et posent pour la postrit. M&me lorsquils crient, comme

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    Il a #esoin de 3ieu a!ec qui il poursuit une sorte de som#re coquetterie. rmand Hoog"ii a raisonde dire que, malgr le climat nietzsc$en de ces 6u!res, 3ieu ny est pas encore mort. Ladamnation m&me, re!endique % cor et % cri, nest quun #on tour quon 'oue % 3ieu. 3osto-e!sKi, au contraire, la description de la r!olte !a aire un pas de plus. I!an aramazo prend le parti des $ommes et met laccent sur leur innocence. Il a irme que la condamnatiomort qui p(se sur eu" est in'uste. 3ans son premier mou!ement, au moins, loin de plaider pour lmal, il plaide pour la 'ustice quil met au*dessus de la di!init. Il ne nie donc pas a#solumenle"istence de 3ieu. Il le r ute au nom dune !aleur morale. Lam#ition du r!olt romantiqutait de parler % 3ieu dgal % gal. Le mal rpond alors au mal, la super#e % la cruaut. Lide

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    ces conditions, m&me si la !ie immortelle e"istait, I!an la re userait. Il repousse ce marc$.naccepterait la grJce quinconditionnelle et cest pourquoi il pose lui*m&me ses conditions.r!olte !eut tout, ou ne !eut rien. A 8oute la science du monde ne !aut pas les larmes desen ants. B I!an ne dit pas quil ny a pas de !rit. Il dit que sil y a une !rit, elle ne peuqu&tre inaccepta#le. 1ourquoi 1arce quelle est in'uste. La lutte de la 'ustice contre la !rit eou!erte ici pour la premi(re ois; elle naura plus de cesse. I!an, solitaire, donc moraliste, ssu ira dune sorte de don*quic$ottisme mtap$ysique. Mais quelques lustres encore et immense conspiration politique !isera % aire, de la 'ustice, la !rit.

    1ar surcro t, I!an incarne le re us d&tre sau! seul. Il se solidarise a!ec les damns etcause deu", re use le ciel. 2il croyait, en e et, il pourrait &tre sau!, mais dautres seradamns. La sou rance continuerait. Il nest pas de salut possi#le pour qui sou re de la

    compassion. I!an continuera % mettre 3ieu dans son tort en re usant dou#lement la oi commere use lin'ustice et le pri!il(ge. 9n pas de plus, et du6out ou rien, nous passons au6ous ou personne.

    Cette dtermination e"tr&me, et lattitude quelle suppose, auraient su i au" romantiquMais I!an"iii, #ien quil c(de aussi au dandysme, !it rellement ses pro#l(mes, dc$ir entre le ouet le non. partir de ce moment, il entre dans la consquence. 2il re use limmortalit, que lreste*t*il La !ie dans ce quelle a dlmentaire. Le sens de la