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  • EXTRA-MUROS

    TRAVERS LE CHAMP DE LAVE DU HOLUHRAUNPAGE 44

    HISTOIRE

    MATTMARK :UN DRAME TOUT SAUF INVITABLEPAGE 14

    ARCHOLOGIE

    SUR LES TRACES DU PLUS ANCIEN VILLAGE DEUROPEPAGE 10

    LE MAGAZINE SCIENTIFIQUE DE LUNIVERSIT DE GENVE

    N 123 DCEMBRE 2015

    LA VRAIE NATURE DES MATHSP. 20 DISCIPLINE ARIDE POUR LES UNS, FASCINANTE POUR LES AUTRES, LES MATHMATIQUES CONSTITUENT LE MEILLEUR LANGAGE POUR DCRIRE LES LOIS DE LA NATURE. LE PNR SWISSMAP OFFRE UNE STRUCTURE ET DES MOYENS POUR DOPER LA RECHERCHE DANS CE DOMAINE

  • CAMPUS N123 RECHERCHE XXX

    Pensez ramasser et trier vos dchets

    unige.ch/unipropre

    UNI PROPRECEST FACILE

  • 3CAMPUS Universit de Genve Presse Information Publications Rue Gnral-Dufour 24 1211 Genve 4 [email protected] www.unige.ch/campus/ SECRTARIAT, ABONNEMENTS T 022/379 77 17 F 022/379 77 29 RESPONSABLE DE LA PUBLICATION Didier Raboud RDACTION Vincent Monnet Anton Vos CORRECTRICE Samira Payot www.lepetitcorrecteur.com GRAPHISME Bontron&Co, Sandra Marongiu IMPRESSION Atar Roto Presse SA, Vernier PUBLICIT Go ! Uni-Publicit SA Rosenheimstrasse 12 CH-9008 St-Gall/Suisse T 071/544 44 80 F 071/244 14 14 [email protected]. | Campus est membre du Swiss Science Pool www.swiss-science-pool.com Reprise du contenu des articles autorise avec mention de la source. Les droits des images sont rservs.

    04 ACTUS

    RECHERCHE10 ARCHOLOGIESUR LES TRACES DU PREMIER VILLAGE EUROPEN

    Un sondage ralis sur un site immerg dans le Ploponnse a mis au jour un fragment de cramique qui pourrait appartenir un village nolithique.

    14 HISTOIREMATTMARK, 50 ANS APRS

    La premire tude scientifique denvergure consacre lavalanche qui a caus la mort de 88 travailleurs suisses et trangers dans la valle de Saas montre que ce drame tait tout sauf imprvisible.

    18 LANGAGELA SUISSE, OBJET MULTICULTURELLes rsultats de la plus vaste enqute jamais mene en Suisse sur lacqui-sition des langues et le rapport laltrit montrent des comptences leves mais mal exploites en termes de matrise des langues natio-nales ainsi quune position contraste vis--vis de limmigration.

    20 SWISSMAP, UN PNR DDI AUX MATHMATIQUESDiscipline aride pour les uns, fascinante pour les autres, les mathmatiques constituent le meilleur langage pour dcrire les lois de la nature. Exemple avec les travaux du Ple Swissmap, dirig par Stanislav Smirnov, laurat de la mdaille Fields 2010 et professeur la Section des mathmatiques.

    27 LES MATHS, TOUT UN ARTLa pratique des mathmatiques demande une bonne dose de crativit et dintuition. Pour Hugo Duminil-Copin, professeur la Section de mathmatiques, elle sapparente une discipline artistique et peut sapprcier selon des critres esthtiques et motionnels.

    31 JAI MAL AUX MATHS MAIS JE ME SOIGNERarement populaires auprs des lves, les mathmatiques ne manquent pourtant pas dattrait. Dveloppant la crativit et lesprit critique, sollicitant peu lapprentis-sage par cur, elles ont jou un rle essentiel dans le dveloppement des socits humaines.

    36 LA NATURE MISE EN QUATIONSLanalyse numrique sintresse aux fondements mathmatiques et aux mthodes permettant de rsoudre les quations de la phy-sique qui dcrivent la nature. Genve dispose dune solide tradition en la matire. Prsentation.

    PHOTO DE COUVERTURE : ISTOCK

    DOSSIER : LA VRAIE NATURE DES MATHMATIQUES

    RENDEZ-VOUS

    LE MAGAZINE SCIENTIFIQUE DE LUNIVERSIT DE GENVE

    N123 DCEMBRE 2015

    40 LINVIT UNE VIE TROP LONGUE EST UNE PERTEEzekiel Emanuel, directeur du Dpar-tement dthique mdicale et des politiques de sant lUniversit de Pennsylvanie, a dcid de renoncer toute action mdicale visant prolonger sa vie au-del de 75 ans.

    44 EXTRA-MUROS DANS LES LAVES DU HOLUHRAUN On arrive mieux prvoir le dbut dune ruption de lave fluide que sa fin. Luca Caricchi sest rendu en Islande sur les lieux dune ruption rcente pour tenter de combler cette lacune.

    48 TTE CHERCHEUSE LOUIS JURINE ENTRE OMBRE ET LUMIRE Considr comme lun des meilleurs chirurgiens dEurope vers 1800, Louis Jurine a rapidement disparu de lhistoriographie malgr des dcou-vertes de premier plan, comme celle du 6e sens des chauves-souris.

    50 LIRE 52 THSES DE DOCTORAT

  • ACTUS

    LES UNIVERSITS DE LA LERU RAPPORTENT 70 MILLIARDS DEUROSLa contribution des 21 universits membres de la Ligue europenne des universits de recherche (LERU) lconomie europenne slve 71,2 milliards deuros, en termes de valeur ajoute brute, et plus de 900 000 emplois. Cest ce que dmontrent les rsultats dune tude publie en septembre et ralise par la socit de consulting indpen-dante BiGGAR Economics sur mandat de la LERU.

    UN PONT ENTRE HAUTES COLES ET INDUSTRIESLe Laboratoire de technologie avance, fruit dune collaboration entre lUniversit de Genve et la HES-SO Genve, a t inaugur le 17 novembre. Lobjectif de cette nouvelle structure, prside par Christophe Renner, professeur la Facult des sciences, est de renforcer les interactions entre les hautes coles et lindustrie. Elle ambitionne galement dapporter des solutions techniques originales aux petites, moyennes et grandes entreprises.

    NOUVEAU CENTRE CONTRE LE DIABTETouchant prs de 500 000 personnes en Suisse, le diabte est depuis plus de trente ans lun des domaines de recherche phares de la Facult de mdecine. Afin de renforcer encore ses comptences en la matire, lUniversit cre le Centre facultaire du diabte. Il permettra de rassembler lexpertise de lensemble des mdecins et des scientifiques genevois travaillant sur ce trouble mtabolique.

    SCIENCES DE LA TERRE

    LE POUVOIR REFROIDISSANT DES VOLCANS SE PRCISE Les ruptions volcaniques ont pour effet de refroidir temporairement la plante cause du soufre quelles jectent dans latmosphre. Il est toutefois difficile de dterminer prci-sment lampleur du phnomne, car les deux mthodes utilises pour lestimer ne donnent pas les mmes rsultats. Les simulations du climat par ordinateur prdisent en effet des priodes de refroidissement entre 2 et 4 fois plus impor-tantes et nettement plus durables que les recons-titutions obtenues partir de ltude des cernes de croissance des arbres. Cette incohrence a pu tre leve dans un article publi le 31aot dans la revue Nature Geoscience par une quipe dont fait partie Markus Stoffel, matre denseigne-ment et de recherche lInstitut des sciences de lenvironnement.Les dendrochronologues ont ralis une nouvelle reconstitution des tempratures estivales de lh-misphre Nord pour les 1500 dernires annes en ajoutant dans leur analyse la densit de cernes, une variable nglige jusque-l. Ils ont ainsi pu constater que les priodes de refroidissement qui suivent les ruptions sont en ralit plus prononces que prvu.

    Les physiciens du climat ont, quant eux, recalcul le refroidissement engendr par les ruptions de Samalas et de Tambora, surve-nues en Indonsie en 1257 et 1815, en prenant en compte la localisation des volcans, la saison de lruption, la hauteur dinjection du dioxyde de soufre et le cycle de vie des arosols soufrs dans latmosphre. Ces nouvelles simulations montrent que les perturbations des changes de rayonnement, dues lactivit volcanique, ont t largement surestimes jusque-l.En conclusion, les deux approches revisites saccordent dsormais aussi bien sur lampleur des priodes de refroidissement que sur leur persistance moyenne, value deux-trois ans.

    PHYSIQUE

    LES GALAXIES PRIMITIVES ET LA FIN DES GES SOMBRES Les toutes premires galaxies apparues aprs le big bang taient petites mais nombreuses. Et leur luminosit cumule a contribu de manire dcisive mettre fin aux ges sombres qui ont rgn durant les premires centaines de millions dannes de lUnivers. Ce rsultat, obtenu grce lanalyse de plus de 250 galaxies primitives dcouvertes laide du tlescope spatial Hubble, offre de nouveaux lments de rponse lun des dfis les plus importants de la cosmologie obser-vationnelle, savoir lidentification des sources de lumire responsables dun pisode cl de lhis-toire de lUnivers, celui de la Rionisation .Ralise par une quipe internationale dastro-nomes mene par lEcole polytechnique fd-rale de Lausanne et laquelle a particip Daniel Schaerer, professeur au Dpartement dastro-nomie (Facult des sciences), cette tude doit paratre dans la revue Astrophysical Journal.Les ges sombres de lUnivers commencent

    380 000 ans aprs le big bang et durent quelque 400 millions dannes. Ils prennent fin lorsque sallument les premires toiles. Ces gantes la vie trs brve explosent en de puissantes super-novas dont le rayonnement ionise les atomes dhydrogne environnants, rendant lUnivers progressivement transparent.Afin de localiser ces sources de lumire pri-mitives, les chercheurs ont utilis les images prises par le tlescope Hubble dans le cadre de son programme Frontier Fields. Les astronomes ont ainsi dcouvert 252 galaxies naines de pre-mire gnration telles quelles taient entre 600 et 900millions dannes aprs le big bang. En observant le rayonnement ultraviolet de ces galaxies, ils ont pu dterminer avec une bonne certitude que les galaxies les plus petites et les plus rpandues sont impliques dans la rionisa-tion de lhydrogne et ont jou un rle indispen-sable dans les dbuts de lUnivers.

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  • CAMPUS N123 ACTUS 5

    LE DIES ACADEMICUS HONORE DIX PERSONNESLa crmonie 2015 du Dies academicus sest droule le vendredi 9 octobre Uni Dufour. Six doctorats honoris causa ont t dcerns loccasion de cette crmonie. Ils ont t attribus Irina Bokova, directrice gnrale de lUnesco, Elisabeth Decrey Warner, prsidente de lorgani-sation humanitaire internationale lAppel de Genve, Henri Bismuth, prsident honoraire de lAcadmie nationale de chirurgie de France, Frank Lestringant, professeur de littrature franaise lUniversit de Paris IV-Sorbonne, Judy Wajcman, professeure de sociologie la London School of Economics et Christiane Nord, professeure extraordinaire de traductologie lUniversit de lEtat-Libre Bloemfontein. Le prix Latsis a, quant lui, t dcern Juan Diego Gomez, docteur s sciences informatiques la Facult des sciences. Le prix mondial Nessim-Habif est revenu Hanns Mhler, professeur de pharmacologie de lUniversit de Zurich et de lETHZ et la Mdaille de lUniversit Susanne Suter et Peter Suter, tous deux professeurs honoraires de lUNIGE. Enfin, le Bodmer Lab a t rcompens par la mdaille de lInnovation pour la numrisation de la collection Bodmer.

    UN OBSERVATOIRE SCIENTIFIQUE DDI AUX FAMILLES LObservatoire des familles est hberg par lInstitut de recherches sociologiques de la Facult des sciences de la socit depuis le 1er octobre. Cette nouvelle structure a pour objectif de fournir des informations scientifiques prcises sur ltat des familles et de leurs difficults Genve. Ses activits de recherche seront coordonnes par les professeurs Claudine Burton-Jeangros, Clmentine Rossier et Eric Widmer (Facult des sciences de la socit).

    BIOLOGIE

    QUATRE MOLCULES VEILLENT SUR LE SOMMEIL DES GRAINES Pour viter quune graine ne germe au mauvais moment ou au mauvais endroit, celle-ci est maintenue temporairement dans un tat de dor-mance ds le moment o elle est relche par la plante. Dans un article paru le 3 septembre dans la revue Nature Communications, Luis Lopez Molina, professeur associ au Dpartement de botanique et de biologie vg-tale (Facult des sciences), a identifi quatre molcules impliques dans le contrle de ce sommeil artificiel.En 2010, le chercheur genevois avait dj montr, chez la plante-modle Arabidopsis thaliana, que lembryon est gard assoupi grce lacide abscissique (ABA) que l endosperme, une couche monocellulaire prsente dans l enve-loppe, relche continuellement vers lintrieur

    ultra-protg de la graine. Cette phytohormone est un des garde-fous qui empchent les faux dparts comme une germination durant la mau-vaise saison, mme dans des conditions appa-remment favorables. Elle augmente aussi les chances de dispersion de la semence, vitant aux rejetons dune plante ou dune espce dentrer en comptition entre eux.Dans ce nouvel article, les chercheurs vont plus loin en dcouvrant le mcanisme molculaire permettant lacheminement de lABA de len-dosperme o il est produit vers lembryon. Ils ont ainsi dcouvert un rseau de quatre trans-porteurs. Deux dentre eux agissent de concert pour exporter lhormone hors de lendosperme tandis que les deux autres se chargent de son importation dans lembryon.

    NEUROSCIENCES

    UNE BONNE SIESTE PERMET DE TRIER LES SOUVENIRS UTILES Au cours du sommeil, le cerveau rorganise les souvenirs rcents en renforant ceux qui sont les plus importants au dtriment de ceux qui le sont moins. Et les informations que le systme nerveux central juge essentielles de retenir sont ce que les scientif iques appellent les rcompenses , savoir des informations qui permettent de satisfaire les besoins de base, comme trouver de la nourriture, des parte-naires sexuels, de largent ou de la reconnais-sance sociale. Cest ce que rvle une tude dirige par Sophie Schwartz, professeure au Dpartement de neurosciences fondamentales (Facult de mdecine), qui est parue le 16 octobre dans la revue eLife.Pour obtenir ce rsultat, les auteures ont conu une exprience lors de laquelle 31 volontaires ont d apprendre des sries dimages tout en tant placs dans une IRM (imagerie par rso-nance magntique) enregistrant l activit de leur cerveau.Les chercheuses ont pu constater que les volon-taires ayant fait une sieste juste aprs l ap-prentissage au contraire des autres se souviennent mieux des images associes des rcompenses leves. Une analyse plus pousse a rvl que certains lments caractristiques de lactivit crbrale

    survenant pendant le sommeil favorisent la rorganisation des souvenirs.De plus, une priode de sommeil suivant imm-diatement lapprentissage permet un dialogue plus efficace entre les zones du cerveau impli-ques dans la consolidation de la mmoire et de traitement de la rcompense, et donc une meil-leure remmoration des souvenirs rcompenss. Et ce, mme aprs trois mois. Selon les chercheuses, ce travail peut inspirer des stratgies ducatives combinant sommeil et apprentissage. Il permet aussi de mieux com-prendre les effets dvastateurs que le manque de sommeil peut avoir sur les performances une poque o lon constate une diminution du temps pass dormir.

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    LINSTITUT DE FRANCE HONORE ALEXANDRE FONTAINELAcadmie des sciences morales et politiques de lInstitut de France a dcern le Prix Louis Cros 2015 lhistorien Alexandre Fontaine, matre-assistant la Facult de psychologie et des sciences de lducation, pour son ouvrage Aux heures suisses de lcole rpublicaine (Demopolis Paris, mars 2015).

    DICK VAN DER MAREL REOIT LE PRIX FRANK ISAKSON 2016Professeur au Dpartement de physique de la matire quantique (Facult des sciences), Dirk van der Marel sest vu dcerner le prix Frank Isakson 2016 de lAmerican Physical Society pour ses recherches sur les effets doptique dans les solides. Il partage cette distinction avec David Tanner de lUniversit de Floride. Le prix Isakson est dcern tous les deux ans par la Socit amricaine de physique et rcompense une recherche exceptionnelle en optique de la physique de la matire condense.

    ANTOINE FLAHAUT LA PRSIDENCE DU SOMMET MONDIAL DE LA SANTLe professeur Antoine Flahault, directeur de lInstitut de sant globale (Facult de mdecine), a t lu prsident du Sommet mondial de la sant le 13 octobre dernier. Cet vnement runit chaque anne les leaders et reprsentants des sciences, de la politique, de lindustrie et de la socit civile Berlin afin de dbattre des dfis actuels de la recherche mdicale et des soins de sant. Un sommet rgional se tient galement au printemps dans le pays du prsident en exercice. Du 19 au 21 avril 2016, ce sommet aura lieu Genve.

    MDECINE

    UNE FAILLE DANS LE STAPHYLOCOQUE DORUn projet men par l Universit de Stanford (Californie) auquel l Universit de Genve a collabor a permis didentifier les compo-sants des cellules humaines qui modulent la virulence des staphylocoques dors, une des causes principales d infections de la peau et des tissus mous ainsi que de pneu-monies svres. Cette tude est parue le 21 octobre dans la revue des Proceedings of the National Academy of Sciences.Le pouvoir invasif du staphylocoque dor, dont de nombreuses souches sont dsormais rsis-tantes aux traitements antibiotiques, est en grande partie d l a-toxine, qui provoque la dsintgration des cellules humaines. Ct humain, les composants appels jonc-tions adhrentes , qui permettent dunir les cel-lules entre elles, contribuant ainsi la formation des tissus, joueraient un rle important dans la propagation de cette infection. Lun dentre eux se nomme PLEKHA7. Il sagit dune protine dcouverte par lquipe de Sandra Citi, pro-fesseure au Dpartement de biologie cellulaire (Facult des sciences) et coauteure de larticle.Les chercheurs ont constat que les cellules modifies de manire ce quelles nexpri-ment pas la PLEKHA7 parviennent rcup-rer dune lsion due la-toxine. De plus, des souris transgniques, galement dpourvues de PLEKHA7, ayant t infectes avec une souche

    bactrienne multirsistante (MRSA) ont montr une meilleure gurison dinfections de la peau ainsi quun taux de survie nettement plus mar-qu la suite dune pneumonie.

    Selon les auteurs de ltude, PLEKHA7 pour-rait aggraver la toxicit de la bactrie en trans-mettant des signaux poussant les cellules sautodtruire. Les chercheurs estiment que cette protine, par le fait quelle contrle la gra-vit de la maladie et quelle est un composant non essentiel la survie, reprsente une cible intressante pour une ventuelle thrapie visant rduire la virulence des souches MRSA.

    MDECINE

    RDUIRE LA FLORE INTESTINALE PROTGE CONTRE LOBSITDes chercheurs genevois ont russi dmon-trer que, chez les souris, labsence de microbiote (qui dsigne lensemble des micro-organismes, essentiellement des bactries, vivant dans les intestins) a un effet inattendu contre lobsit. Elle dclenche en effet un mcanisme mta-bolique au cours duquel le tissu adipeux blanc qui, sil est trop abondant, entrane lobsi-t et une rsistance linsuline est transfor-m en cellules semblables du tissu adipeux brun, protgeant le corps contre le surpoids et ses consquences nfastes.Ce rsultat, paru le 17 novembre dans la revue Nature Medicine, a t obtenu par une quipe de chercheurs dirigs par Mirko Trajkovski, professeur au Dpartement de physiologie

    cellulaire et mtabolisme (Facult de mdecine). Llimination du microbiote chez la souris a t ralise par l administration dantibio-tiques. Les effets du traitement sur les cellules adipeuses perdurent plusieurs semaines. Pour autant, les auteurs de larticle estiment que le traitement de lobsit par antibiotiques fortes doses est irraliste, principalement en raison du risque de rsistance. Lide consisterait donc explorer des moyens alternatifs de suppression ou de modification du microbiote et en identi-fiant les gnes bactriens responsables de leffet contre lobsit.

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  • CAMPUS N123 ACTUS

    ABONNEZ-VOUS CAMPUS!Dcouvrez les recherches genevoises, les dernires avances scientifiques et des dossiers dactualit sous un clairage nouveau. Des rubriques varies vous attendent traitant de lactivit des chercheurs dans et hors les murs de lAcadmie. LUniversit de Genve comme vous ne lavez encore jamais lue!

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    Universit de GenvePresse Information Publications24, rue Gnral-Dufour1211 Genve 4Fax 022 379 77 [email protected]/campus

    THIERRY COURVOISIER LA TTE DE LEUROPEAN ACADEMIES SCIENCE ADVISORY COUNCILProfesseur au Dpartement dastronomie et prsident des Acadmies suisses des sciences, Thierry Courvoisier sera le prochain prsident de lEuropean Academies Science Advisory Council pour la priode 2017 2019.

    ELISABETH PRHL DISTINGUE CHICAGO Doctorante en conomie, Elisabeth Prhl a obtenu une bourse du prestigieux Becker Friedman Institute for Research in Economics (Universit de Chicago). Ce subside lui est octroy pour ses travaux sur un algorithme permettant de rsoudre des modles dquilibre gnral dynamique stochastique avec agents htrognes.

    MDECINE

    LA PROTINE NEF, CL DE VOTE DU DISPOSITIF INFECTIEUX DU VIH Une quipe de chercheurs, dont font partie des membres du Dpartement de mdecine gn-tique et dveloppement (Facult de mdecine), a dcouvert comment le virus de limmunodfi-cience humaine (VIH) sy prend pour dtourner une des dfenses des cellules quil entend atta-quer. Dans un article paru dans la revue Nature du 8 octobre, les auteurs dcrivent le mode daction, jusque-l inconnu, de la protine Nef. Cette dernire, produite par un des neuf gnes du VIH, est connue pour jouer un rle fonda-mental dans la rplication du virus et dans le dveloppement de la maladie du sida.La protine Nef est synthtise notamment lorsque le virus sapprte infecter une cellule. Son rle consiste neutraliser une autre pro-tine, situe la surface de la victime cette fois-ci, et dont la fonction est justement de la protger contre les assauts du VIH. Cest cette protine de dfense, appele SERINC5, que les chercheurs ont identifie.Linfection se droule en ralit en deux temps. Quand le virus entre pour la premire fois dans une cellule cible, il y parvient facilement. Une fois lintrieur de sa victime, le virus se

    reproduit normalement. Son problme com-mence lorsquil en ressort en bourgeonnant. Durant cette tape, il se constitue une nouvelle membrane partir de celle de la cellule infecte. Ce faisant, il emporte avec lui des protines SERINC5. Ds lors, quand le virus essaie de sattaquer une seconde cellule, SERINC5 agit comme un signal dalarme prvenant de lar-rive du pathogne et empche toute nouvelle infection. Le problme, cest que Nef dtourne cette dfense en inhibant laction de SERINC5. La protine joue ainsi un rle vital pour le VIH et son dveloppement infectieux.Ltude montre galement que Nef parvient presque toujours neutraliser la protine SERINC5 sauf quand cette dernire est forte-ment exprime. Dans ce cas, la capacit din-fection du virus se rduit grandement. Pour les auteurs de larticle, une piste thrapeutique consisterait renverser lquilibre des forces et favoriser massivement SERINC5.

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  • 8 CAMPUS N123 ACTUS

    PHILIPP KRGER REOIT LE PRIX MOSKOWITZProfesseur assistant la Facult dconomie et de management, Philipp Krger est le laurat 2015 du Moskowitz Prize for Socially Responsible Investing. Cette distinction lui est attribue pour une tude qui montre une raction positive des marchs boursiers une loi obligeant des entreprises rvler leur taux dmission de gaz effet de serre.

    LE PRIX CLOTTA DOMI-NIQUE SOLDATI-FAVREDominique Soldati-Favre, professeure au Dpartement de microbiologie et mdecine molculaire et vice-doyenne de la Facult de mdecine, sest vu dcern le prix Clotta 2015 en novembre. Le prix Clotta rcompense des personnalits suisses et trangres ayant acquis des mrites particuliers dans des domaines spcifiques de la recherche en sciences mdicales.

    ASTRONOMIE

    UN BREVET SUR LINVENTION DUNE SOURCE ULTRA-STABLE Des collaborateurs du Dpartement dastrono-mie (Facult des sciences) ont mis au point la source de lumire la plus stable du monde. Cet instrument, sur lequel un brevet europen vient dtre dpos, est destin calibrer les appa-reils monts sur le satellite suisse CHEOPS, un chasseur dexoplantes dont la mise en orbite est prvue pour fin 2017.CHEOPS est conu pour tudier les caractris-tiques des exoplantes orbitant autour dtoiles situes proximit du systme solaire. Grce la photomtrie de haute prcision, le satel-lite dtectera le transit dune plante devant son astre, en mesurant une diminution de lumino-sit provoque par cette clipse partielle. Les chercheurs pourront ensuite en dduire la taille, la masse et la densit du compagnon.Seulement, la dtection dobjets de la taille de la Terre exige des instruments monts sur le satellite dtre capables de mesurer la lumino-sit des toiles avec une prcision exception-nelle, de lordre de 0,002 %. Pour y parvenir, il est ncessaire de tester leur stabilit, avant

    quils ne soient mis en orbite. Lopration exige un faisceau lumineux de rfrence dune pr-cision quivalente. Une source de lumire de qualit suffisante nexistant pas, il a fallu la dvelopper.Contrairement dautres procds qui stabilisent la lumire sa source, le systme dvelopp par les ingnieurs et techniciens de l Universit de Genve contrle l intensit du faisceau lumineux aprs coup, grce un dispositif en boucle. Un dtecteur mesure en continu le flux lumineux sortant et corrige en direct les moindres variations en ouvrant ou en fermant lgrement un obturateur install en amont sur le passage de la lumire. De cette faon, le fais-ceau produit par lappareil conserve sa stabilit. Le systme fonctionne tellement bien que des responsables de la mission TESS, un satel-lite amricain de recherche dexoplantes, en ont command un exemplaire , prcise Franois Wildi, ingnieur au Dpartement dastronomie et membre du Ple national de recherche PlanetS.

    LES CELLULES DOIVENT LEUR SOUPLESSE DES RESSORTS EN SPIRALELa membrane dune cellule est trs lastique. Elle peut se dformer la demande, notamment lors du processus de division ou quand un virus se dtache de la surface de la cellule. Dans ces deux cas, cette remarquable souplesse est due un complexe de protines nomm ESCRT-III, dont le fonctionnement est rest obscur jusqu rcemment. Dans un article paru le 30 octobre dans la revue Cell, des chercheurs du Ple de recherche national Chemical Biology (Facult des sciences) ont montr que ESCRT-III forme une spirale la surface de la cellule et quelle agirait comme un ressort de montre. Plusieurs de ces spirales sont visibles sur limage dune vsicule lipidique (voir ci-contre), prise au microscope lectronique.

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    Une varit de manioc transgnique (Manihot esculenta) enrichie la vitamine B6 a t cultive avec succs en plein champ exprimental. Cette ralisation, fruit dune collaboration interna-tionale laquelle a particip lquipe de Teresa Fitzpatrick, professeure au Dpartement de botanique et de physiologie vgtale (Facult des sciences), a t publie le 8 octobre dans la revue Nature Biotechnology. Selon les auteurs, cette nouvelle plante gntiquement manipule pourrait tre intressante pour certaines popu-lations africaines, grandes consommatrices de manioc et prsentant des carences endmiques en vitamine B6. Cette dernire est un compos essentiel pour l tre humain dans la mesure o elle inter-vient dans plusieurs ractions du mtabolisme dacides amins, dhydrates de carbone ainsi que dans la synthse de plusieurs neurotrans-metteurs. Une carence permanente de cette substance provoque des maladies ou des dys-fonctionnements neurologiques graves ainsi que des problmes circulatoires et dermatologiques.Le corps humain est incapable de produire lui-mme la vitamine B6 et doit donc sen pro-curer via lalimentation. Les sources sont abon-dantes, les plus riches tant la volaille (dinde, poulet), les foies (buf, agneau, veau), les bananes, les pommes de terre, les pois chiches, les pistaches... Malheureusement, dans les pays en voie de dve-loppement, certaines populations dpendent dune seule culture, explique Teresa Fitzpatrick. Elles ne sont pas toujours en mesure de diversifier et d quilibrer leur alimentation avec des apports rguliers de viandes ou de lgumes. Cest le cas en Afrique o le manioc reprsente laliment de base pour prs de 250 millions de personnes et o de nombreuses rgions pr-sentent des carences en vitamine B6. La racine et les feuilles de cette plante contiennent la pr-cieuse molcule, mais leurs teneurs naturelles sont entre 2 et 3 fois trop faibles pour assurer lapport journalier recommand. Il existe bien des supplments contenant de la vitamine de synthse, mais ils ne fournissent pas toujours la substance sous la bonne forme et avec la

    meilleure biodisponibilit (cest--dire sa propension tre utilise par l organisme), poursuit la chercheuse. De plus, la distribution de tels complments se heurte des problmes logistiques importants puisque les populations souffrant de carences vivent souvent dans des rgions recules. Cette solution nest donc ni bon march ni durable. Lquipe de Teresa Fitzpatrick contribue depuis plusieurs annes la slection dune varit naturelle de manioc enrichie la vitamine B6. Sans succs, ce jour. Do le recours aux organismes gntiquement modifis (OGM) qui se rvle la seule stratgie efficace et durable.En collaboration avec des chercheurs de lEcole polytechnique fdrale de Zurich et des Universits de Shanghai et dUtrecht, les biolo-gistes genevois ont produit des lignes transg-niques dans lesquelles ils ont introduit quelques exemplaires supplmentaires des gnes nces-saires la synthse de la vitamine B6.Les chercheurs ont alors slectionn les plantes transgniques produisant davantage de vita-mines pour les tudier en laboratoire, puis en

    plein champ Shanghai. Rsultat : les trans-gnes naffectent pas l expression des autres gnes de la plante, et la nouvelle proprit est stable durant au moins deux cycles de vie.Les tubercules et les feuilles ont ensuite t bouillis durant trente minutes afin den ter les substances toxiques et les rendre comestibles. Ce traitement a diminu de moiti la teneur totale en vitamine B6, mais celle-ci reste encore entre 8 et 19 fois plus leve dans le manioc OGM que dans la varit sauvage. Mieux, la biodisponibilit de la prcieuse substance est galement entre 4 et 8 fois suprieure. Un adulte consommant prs de 50 g de feuilles ou 500 g de tubercules OGM par jour obtiendrait la quantit ncessaire de vitamine B6 recommande , note Teresa Fitzpatrick.La mthode ayant permis de produire le manioc OGM enrichi la vitamine B6 na pas t bre-vete. les auteurs de la recherche estiment que les transgnes et la technologie utiliss pour les obtenir devraient tre librement accessibles toutes les parties intresses.

    BIOLOGIE VGTALE

    UN MANIOC OGM POUR LUTTER CONTRE LA CARENCE EN VITAMINE B6

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  • 10 CAMPUS N123 RECHERCHE ARCHOLOGIE

    Julien Beck aime bien les dfis. En dcouvrant l t dernier coup sur coup les restes dune cit de lge du bronze ainsi quun tesson de cra-

    mique du Nolithique au fond de la baie de Kiladha dans le Ploponnse, le charg de cours au Dpartement des sciences de lAnti-quit (Facult des lettres) a t servi. Alors que les fondations de la ville fortifie sont visibles sous peine 1 3 mtres deau (lire encadr en page 12), le fragment de terre cuite, exhum grce un forage exploratoire, tait enfoui sous 10 mtres deau et 2 mtres de boue. Il na lair de rien, de prime abord, mais pour l archologue genevois, il reprsente le meil-leur argument connu ce jour en faveur de la prsence, au fond de cette anse du golfe de Nauplie, quelques dizaines de mtres du rivage, dun trsor prhistorique : le plus vieux village europen, datant du VIIe millnaire avant lre chrtienne. Si lhypothse est vrifie, alors elle obligerait corriger sensible-ment la thorie dcrivant la diffusion de lagri-culture sur le Vieux Continent en suggrant notamment que les premiers paysans taient capables de voyager par voie maritime.Mais avant de crier victoire, il convient de le trouver, ce village. Un seul tesson, cest encore un peu maigre. Julien Beck doit donc attendre les rsultats de carottages et de mesures go-physiques. Sils sont positifs, il pourra sattaquer au problme suivant qui nest pas mince, savoir

    mener des fouilles sous-marines et dans la boue.Lavantage dun tel milieu, cest quil peut pr-server dventuels objets organiques, comme le bois. Le dsavantage, cest quil est instable, la boue coulant ou seffondrant au fur et mesure que lon creuse. Larchologue genevois, qui tra-vaille dans la baie de Kiladha sous lgide de lEcole suisse darchologie en Grce et en col-laboration avec le Service grec des antiquits

    sous-marines, se donne jusqu lt prochain (lui et son quipe ont reu un permis de fouiller au moins jusquen 2018) pour trouver une solu-tion satisfaisante et lgante qui lui permettrait dexplorer le site archologique sans dfigurer le beau paysage qui lhberge.Lide de chercher un village nolithique cet endroit est ancienne. Elle est ne dans la grotte de Franchthi, qui surplombe la baie de Kiladha. Cette vaste caverne contient des traces doccu-pation humaine durant au moins 35 000 ans.

    UN SONDAGE RALIS SUR UN SITE IMMERG DANS LE PLOPONNSE A MIS AU JOUR UN FRAGMENT DE CRAMIQUE ENFOUI SOUS 10 MTRES DEAU ET 2 MTRES DE BOUE. IL POURRAIT APPARTENIR UN VILLAGE NOLITHIQUE DONT LA PRSENCE SI LOIN AU SUD POURRAIT BOULEVERSER LA THORIE DCRIVANT L ARRIVE DE L AGRICULTURE EN EUROPE

    SUR LA ROUTE DU NOLITHIQUE

    LE TESSON QUI ANNONCE LE PLUS ANCIEN VILLAGE EUROPEN

    SI LHYPOTHSE EST VRIFIE, ELLE POURRAIT SUGGRER QUE LES PREMIERS PAYSANS TAIENT CAPABLES DE VOYAGER PAR VOIE MARITIME

  • LA MANUVRE POUR REMONTER LE CAROT-TIER : GEORGI BOBOV, ARCHOLOGUE BULGARE, ET DIMITRIS SAKELLA-RIOU, GOLOGUE GREC, TOUS DEUX MEMBRES DE LQUIPE DIRIGE PAR JULIEN BECK, DE LUNIGE

    Elle est fouille ds les annes 1960 par une quipe amricaine de lUniversit dIndiana qui choisit une approche trs minutieuse, pionnire pour lpoque. Le travail est si bien men quau-jourdhui encore des chercheurs continuent publier des livres bass sur ces donnes. Nous savons quau cours du Nolithique, la grotte de Franchthi tait utilise mais pas comme lieu dhabitation, prcise Julien Beck. Le niveau de la mer tait alors plus bas quaujourdhui et la baie de Kiladha tait totalement merge. Elle formait une jolie plaine ctire, un endroit idal pour btir un village et cultiver des champs. Les vestiges no-lithiques dcouverts dans la grotte proviendraient de ses habitants, agriculteurs et leveurs, qui l au-raient utilise sporadiquement pour diverses activi-ts. Il faut dire que la caverne offre un espace abrit considrable.

    La possibilit dun village Dans les annes 1970, les archologues amricains pensent dj la possibilit dun village, mais les quelques coups de sonde exploratoires quils mnent dans la baie ne fournissent pas de rsultats dter-minants. Lide est alors plus ou moins aban-donne, jusqu la parution dune tude en dcembre 2013 dans la revue Antiquity. En appliquant la mthode de datation au carbone 14 sur des graines domestiques trouves dans la grotte de Franchthi, des chercheuses franaises russissent dater plus prcisment les plus anciennes couches nolithiques du site. Et l, surprise ! Ces semences carbonises remontent au dbut du VIIe millnaire avant lre chr-tienne, ce qui en font les plus anciens tmoins ce jour de lagriculture sur tout le continent europen.

    SituationLa grotte de Franchthi se situe sur la baie de Kiladha, au Ploponnse. Elle conserve des traces doccupation humaine durant 35 000 ans.

    Au Palolithique : loccu-pation tait saisonnire. On trouve des obsidiennes vieilles de 15 000 ans origi-naires de lle de Milos.

    Au Msolithique : loccu-pation est plus pisodique. On retrouve des restes de petite faune, de fruits de mer et de poisson, dont du thon.

    Au Nolithique : des restes de plantes et danimaux domestiques sont retrouvs dans des couches remontant 7000 ans avant lre chrtienne. La grotte est abandonne vers 3000 ans avant lre chrtienne.

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    APBaie de

    Kiladha

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    Golfe de Nauplie

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    Grotte de Franchthi

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  • UNE CIT DE LGE DU BRONZEEn marge de leurs travaux visant dcouvrir un village nolithique dans la baie de Kiladha, au Ploponnse, Julien Beck, charg de cours au Dpartement des sciences de lAntiquit (Facult des lettres), et ses collgues ont inspect la plage de Lambayanna situe peine 300 mtres plus au nord de la grotte de Franchthi (lire ci-contre). Au cours dune premire visite en t 2014 dans le cadre de lexpdition Terra Submersa ralise avec le bateau solaire PlanetSolar, ils y ont dcouvert des alignements de pierres sous peine 1 3 mtres deau cristalline.En y retournant lt dernier, ils se sont aperus quil sagissait en ralit de murs appartenant

    des btiments et des fortifications datant du IIIe millnaire avant lre chrtienne, soit en plein ge du bronze. Ils ont identifi trois structures circulaires de 10 mtres sur 18, probablement des tours ou des bastions, relis entre eux par une muraille, le tout dlimitant une surface de 1,2 hectare. Il nest pas exclu que la cit se prolonge sous les champs sur la terre ferme. En trois semaines, nous avons rcolt plus de 6000 objets (essen-tiellement des tessons de cramique trs bien conservs), sextasie Julien Beck. Ils taient l depuis des millnaires, poss sur le fond, 20 m peine de la plage. Et on na pas encore commenc fouiller. La quantit est telle quil semblerait

    bien que les habitants aient abandonn lendroit brusquement. Le seul site de la rgion datant de la mme poque est celui de Lerne, galement sur les rives du golfe de Nauplie mais plus au nord, et qui a servi depuis un sicle de rfrence. Il contient lui aussi des fortifications avec les fondations de tours, mais ces dernires sont nettement plus petites (3 m sur 5) que celles de Lambayanna.Selon larchologue genevois, la dcouverte de la baie de Kiladha oblige les spcialistes reconsidrer ce quils savent de la Grce conti-nentale durant lpoque du Bronze ancien, qui est celle de lAncien Empire gyptien et de la civilisation cycladique.

    UN

    IGE

  • 13 CAMPUS N123 RECHERCHE ARCHOLOGIETRONON DU MUR DE FORTIFICATION DUNE CIT DU IIIE MILLNAIRE AVANT LRE CHRTIENNE, DCOUVERT AU LARGE DE LA PLAGE DE LAM-BAYANNA.

    Ce qui interpelle les scientifiques, cest que la thorie dominante dcrit la diffusion du mode de vie nolithique, apparu il y a 12 000 ans au Proche-Orient, de manire exclusivement terrestre. Selon elle, aprs avoir travers la Turquie et franchi les dtroits du Bosphore et des Dardanelles, les paysans ou la transmis-sion de leur savoir-faire font donc leur entre en Europe via le nord-est de la Grce et le sud-est de la Bulgarie. Et ce nest que dans un deu-xime temps quils se rpandent sur le reste du continent, y compris dans le Ploponnse. Pourtant, les premiers sites nolithiques du nord de la Grce et du sud de la Bulgarie sont sensiblement plus rcents que celui de la grotte de Franchthi. Comment expliquer ce paradoxe ? Il est possible que l agriculture soit arrive en Europe aussi par voie maritime, propose Julien Beck. Et cette route aurait trs bien pu prcder celle qui passe par les terres. Cette hypothse a t ngli-ge jusqu prsent. Il faut dire quil nexiste aucune preuve irrfutable en sa faveur. Nous navons par exemple jamais retrouv en mer Mditerrane des-quif datant de cette poque.

    Dautres indices indirects un peu partout dans le monde attestent toutefois que l homme matrise la navigation en mer avant mme le Nolithique. On trouve dailleurs dans la grotte de Franchthi des obsidiennes provenant de lle de Mlos et qui nont pu atterrir l que par la mer. Munis de radeaux ou de pirogues rudi-mentaires, les agriculteurs ont en effet trs bien pu longer la cte turque, passer dle en le et suivre le rivage grec par cabotage la recherche dun lieu favorable. Or, l Argolide, la rgion dans laquelle se trouve la grotte de Franchthi, bnficie justement dun climat chaud et sec qui, plus que le reste de la Grce, ressemble celui qui rgne au Proche-Orient. Il est donc tout fait concevable que les paysans, venus avec des graines et des animaux acclimats aux

    conditions rgnant dans le Levant, aient choisi cet endroit plutt quun autre pour augmenter les chances de succs de leurs cultures et leur levage.Ce scnario est cependant difficile vrifier. Notamment parce que presque toutes les plaines ctires de cette poque se retrouvent actuel-lement sous plusieurs mtres deau cause de laction conjugue de la monte du niveau de la mer et de lactivit tectonique relativement intense de cette rgion. En dautres termes, il y a 9000 ans, le territoire europen du dbut du Nolithique est beaucoup plus vaste quau-jourdhui et les restes dventuels villages ctiers datant de cette poque, sils nont pas totalement disparu, sont dsormais engloutis et pigs sous des mtres deau et de boue.

    Topographie de la baie Quoi quil en soit, la nouvelle datation des niveaux nolithiques de la grotte de Franchthi relance lintrt pour l hypothtique village englouti. Aprs avoir obtenu le permis de fouiller, Julien Beck et son quipe se rendent une premire fois sur place en t 2014 bord du bateau solaire PlanetSolar (lire Campus 113) lors de l expdition Terra Submersa. Au cours de cette campagne, des mesures gophysiques permettent de dessi-ner la topographie sous-marine et de retrou-ver, au fond de la baie, le lit dun fleuve faisant un coude en bas de la grotte de Franchthi que les archologues amricains avaient dj dtec-t. Elles rvlent galement une couche de dpts, de quelques centaines de mtres carrs de superficie. Bien quil soit trop tt pour laffir-mer, Julien Beck pense quil pourrait sagir des vestiges du village convoit. Les murs des maisons que nous connaissons de cette poque taient en briques crues et ont d tre dissoutes par l eau de mer, explique-t-il. Les fon-dations, en revanche, taient en pierre. Elles sont peut-tre restes. Au cours de lt 2015, Julien Beck retourne sur le site. Il est, cette fois-ci, accompagn dun gologue de lUniversit de Berne et dun sp-cialiste en acoustique de lUniversit Libre de Bruxelles. Lobjectif : raliser des forages ain-si que des mesures go-acoustiques, une tech-nique exprimentale destine dtecter des structures de densit diffrente dans les sdi-ments et qui na encore jamais t employes en archologie sous-marine. Contre toute attente, il naura fallu que deux jours pour donner raison aux espoirs de Julien Beck et remonter le fameux tesson de cramique.

    Anton Vos

    MUNIS DE RADEAUX OU DE PIROGUES RUDIMENTAIRES, LES AGRICULTEURS ONT PU TRAVERSER LA MER DLE EN LE PAR CABOTAGE LA RECHERCHE DUN LIEU FAVORABLE

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    50 ANS APRS LES FAITS, LA PREMIRE TUDE SCIENTIFIQUE DENVERGURE CONSACRE AU DRAME DE LA VALLE DE SAAS, DANS LEQUEL 88 TRAVAILLEURS SUISSES ET TRANGERS ONT TROUV LA MORT, MONTRE QUE CELUI-CI TAIT TOUT SAUF IMPRVISIBLE.

    CAMPUS N123 RECHERCHE HISTOIRE

    Mattmark, 30 aot 1965. La catastrophe

    par Toni Ricciardi, Sandrio Cattacin, Rmi Baudou, Ed. Seismo, 174 p.

    Il est 17h15, ce lundi 30 aot 1965, sur les hauteurs de Saas-Almagen, lorsquune avalanche de plus de 2 millions de mtres cubes pulvrise le chantier de ce qui est

    alors appel devenir le plus grand barrage en terre dEurope. En quelques secondes, la cantine, les ateliers et les baraquements dans lesquels dorment encore les ouvriers des quipes de nuit sont avals par la montagne avant que le silence ne se fasse total. Bilan : 88 morts, dont 56 Italiens, 23 Suisses, 4 Espagnols, 2 Allemands, 2 Autrichiens et 1 apatride. Un demi-sicle aprs les faits, la pre-mire tude scientifique denver-gure sur ce drame montre, dune part, que l vnement tait loin dtre imprvisible comme l ont prtendu les autorits fdrales ds le lendemain et, dautre part, quil a marqu un tournant majeur dans lhistoire politique et sociale de la Suisse .Sur les plans des ingnieurs, avec son mur de 120 mtres de haut et son rservoir de 100 mil-lions de mtres cubes, le barrage de Mattmark au mme titre que celui de Mauvoisin ou de la Grande-Dixence, projets la mme poque devait incarner la puissance et le savoir-faire dun pays qui, faute de charbon, avait choisi dassurer sa marche vers le progrs en domesti-quant lnergie hydrolectrique.

    Dans les faits, ce titanesque chantier a surtout mis en vidence le retard accumul par la Suisse en matire de scurit au travail, son mpris lgard de la main-duvre immigre et lin-curie dun systme conomique fond sur une logique rsolument fordiste.

    Les causes de ce terrible fiasco sont, comme souvent, multiples. La premire est lie au sort dplorable qui est alors rserv aux travailleurs trangers. Indsirable dans les grandes villes certains restaurants de Berne et de Zurich nh-sitant pas placarder sur leur devanture des affiches indiquant Fr Italiener Verboten la main-duvre migrante est loge dans des bara-quements souvent insalubres, touche un salaire de misre et multiplie les heures de travail.

    EN QUELQUES SECONDES, LA CANTINE, LES ATELIERS ET LES BARAQUEMENTS DES OUVRIERS SONT AVALS PAR LA MONTAGNE

    LE CHANTIER DU BARRAGE AU LENDEMAIN DE LAVALANCHE MEUR-TRIRE DU 30 AOT 1965.

    ACCIDENT FATAL

    MATTMARK : CHRONIQUE DUNE CATASTROPHE ANNONCE

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  • LE BARRAGE DE MATT-MARK EST SITU 2100 M DALTITUDE, AU SUD DE LA VALLE DE SAAS, EN VALAIS.

    IL EST EXPLOIT DEPUIS 1969 ET FOURNIT 650 GWH PARTIR DUN RSERVOIR DUNE CAPACIT DE 100 MILLIONS DE MTRES CUBES DEAU, CE QUI PER-MET DE SATISFAIRE LES BESOINS NERGTIQUES DE 150 000 MNAGES ENVIRON.

    SA CONSTRUCTION A NCESSIT 97 000 TONNES DE CIMENT, 2800 TONNES DACIER, 1500 TONNES DEXPLOSIFS ET 14 MIL-LIONS DHEURES DE TRA-VAIL POUR UN BUDGET DENVIRON 500 MILLIONS DE FRANCS.

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  • 17 CAMPUS N123 RECHERCHE HISTOIRE

    Larrive massive de travailleurs italiens en Suisse partir de 1880 a provoqu de faon presque mca-nique une lvation du statut des Suisses, explique Sandro Cattacin, professeur au Dpartement de sociologie (Facult des sciences de la soci-t) et coauteur du livre. Mais il fallait trouver le moyen de marquer la diffrence entre cette popu-lation se trouvant tout en bas de l chelle sociale et les ressortissants nationaux, d o des condi-tions de travail tout fait dplorables. Sur le chantier de Mattmark, les machines tournent ainsi 24 heures sur 24 et six jours sur sept, raison donze heures de labeur quotidien en moyenne. Le tout 2100 m daltitude et par des tem-pratures qui peuvent atteindre -30 C en hiver.Autre facteur aggravant : la conni-vence qui existe alors entre syndi-cats, pouvoirs publics et conomie. Cette forme de no-corporatisme se traduit par le fait que ni la Suva (Caisse nationale suisse d assurance en cas daccidents) ni les syndicats ne sont en mesure dimposer leur volon-t aux entreprises qui font peu prs ce quelles veulent, prcise Sandro Cattacin. Autrement dit, cette poque, la paix du travail consiste surtout fermer les yeux sur les abus et les excs. Consquence : la Suisse conservera jusqu la fin des annes 1960 le triste privilge dtre le pays de lOrganisation de coopration et de dveloppement conomiques (OCDE) dans lequel le nombre daccidents mortels dans les secteurs de lindustrie et du btiment est le plus lev. Enfin, le projet de barrage, prsent en 1954, prend du retard suite des querelles juridiques et commerciales lies aux droits dexploita-tion de cette manne que reprsente lnergie bleue . Et le budget, dj serr au dpart, rai-son pour laquelle on renonce une construction en bton arm au profit dun barrage en terre remployant les pierres et roches extraites sur place, est lui aussi rapidement dpass.Dans un tel contexte, personne ne soulve la moindre objection lorsquil est dcid dinstal-ler, sur le flanc de la montagne, 2000 mtres daltitude, une petite ville comprenant des dortoirs, une cantine, des ateliers de rparation et

    une esplanade, destine loger les 200 ouvriers prsents en moyenne sur le chantier. Lemplacement retenu, juste sous la langue du glacier dAllalin, est pourtant rput peu sr. Et, dans la rgion, lavalanche de 1949, dans laquelle une dizaine de personnes ont pri, est encore dans les mmoires. Mais laveuglement est tel que les experts iront jusqu ignorer les signes prcurseurs de la catastrophe, qui se tra-duisent par des boulements de plus en plus frquents et de plus en plus intenses les jours prcdant lavalanche.

    Bien que ces risques aient t connus de tous du temps mme de la conceptualisation du projet, ils semblent navoir t daucun poids dans les dis-cussions sur la ralisation du barrage, tant la scu-rit du projet primait sur celle des ouvriers affects au chantier , rsument les auteurs de ltude.Pire : au lendemain du drame, il nest pas question dadmettre officiellement la moindre responsa-bilit de la part de la Suisse. Face aux requtes et aux accusations de la presse et du gouver-nement italien, pays qui compte le plus grand nombre de victimes, la Confdration fait le dos rond en sabritant derrire la thse de la catas-trophe naturelle invitable et imprvisible. Une version des faits que la justice confirmera deux reprises. Dabord en acquittant les 17 inculps lors du procs qui se tient en 1972, puis en rejetant l appel des familles des vic-times qui, comble de lhumiliation, se voient mme contraintes de payer la moiti des frais de procdure.

    Pour la Suisse, il sagit dune question stratgique, dans la mesure o ce drame corne son image de pays moderne, efficace et sr, complte Sandro Cattacin. Il faut donc classer l affaire au plus vite et, si possible, en vitant les remous. Les travailleurs de Mattmark ne sont toutefois pas tout fait morts pour rien. La froideur de la stratgie gouvernementale et la complaisance dune partie des mdias nationaux contrastent en effet fortement avec lmotion populaire sus-cite par le choc bien au-del de nos frontires. Cet vnement a eu une influence durable sur l histoire migratoire contemporaine de la Suisse, confirme Sandro Cattacin. Il a en effet relan-c le dbat l chelle europenne sur le statut et les conditions de travail des migrants en dmon-trant la ncessit dune gestion plus humaine et plus rigoureuse dans ce domaine. Dans les annes qui suivent, la Confdration entame ainsi un processus de redfinition des politiques de scurit sur les grands quipe-ments et les infrastructures territoriales. Une commission italo-suisse destine prvenir les accidents du travail est par ailleurs constitue. Comme le soulignent les auteurs, lengagement dune rflexion sur la protection civile, partir de linstitutionnalisation dun corps permanent dintervention en cas de catastrophe, doit ga-lement beaucoup cette tragdie.Dans la foule, le ton change aussi du ct des syndicats, qui ouvrent progressivement leur porte aux travailleurs trangers. La solidarit dune partie de la population sex-prime, quant elle, par une vaste campagne de don qui, entre 1965 et 1992, a permis dallouer plus de 4 millions et demi de francs aux proches des victimes. Ce qui na pas empch plus de 550 000 citoyens (soit 46 % des votants) daccepter, peine cinq ans plus tard, l initiative contre l emprise trangre lance par James Schwarzenbach.

    Vincent Monnet

    www.mattmark.ch

    BIEN QUE CES RISQUES AIENT T CONNUS DE TOUS, ILS SEMBLENT NAVOIR T DAUCUN POIDS DANS LES DISCUSSIONS SUR LA RALISATION DU BARRAGE

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    PASSANTE DANS LES RUES DE LAUSANNE DEVANT UNE AFFICHE DE L UNION DMOCRATIQUE DU CENTRE CONCERNANT UNE CONSULTATION SUR INTERNET, 17 AOT 2010.

    Suisse Socit multiculturelle. Ce quen font les jeunes aujourdhui

    par Franois Grin, Jacques Amos, Klea Faniko, Guil-laume Frst, Jacqueline Lurin, Irne Schwob, Edition Rugger, 625 p.

    CAMPUS N123 RECHERCHE LANGAGE

    LA SUISSE ET LES AUTRES

    LE MULTICULTURALISME LPREUVE DES FAITSLES RSULTATS DE LA PLUS VASTE ENQUTE JAMAIS MENE EN SUISSE SUR L ACQUISITION DES LANGUES ET LE RAPPORT L ALTRIT MONTRENT DES COMPTENCES LEVES MAIS MAL EXPLOITES EN TERMES DE MATRISE DES LANGUES NATIONALES

    Le projet multiculturel est-il vou un chec total, comme laffirmait Angela Merkel en octobre 2010 ? A la lec-ture des rsultats de lenqute Suisse

    Socit multiculturelle, on serait tent de penser que la chancelire allemande est alle un peu vite en besogne ou, du moins, que ce qui est peut-tre vrai pour l Allemagne ne l est pas forcment pour la Suisse. Analysant la question sur le plan de la diversit linguistique des jeunes Suisses, dune part, et au niveau de leur posi-tionnement face la problmatique migratoire, de lautre, ces travaux montrent en effet que, dans ce domaine, toute tentative de raccourci est prilleuse tant il est vrai que les attitudes reposent sur des enjeux complexes et contrasts. Explications avec Franois Grin, professeur la Facult de traduction et dinterprta-tion et directeur de lObservatoire Economie-Langues-Formation, qui a pilot ltude.

    Comptences en stock Le premier enseigne-ment qui ressort de cette gigantesque enqute opre auprs de 41 000 jeunes hommes lors du recrutement de 1500 femmes de nationalit suisse (ce qui en fait la plus vaste tude mene ce jour sur le sujet dans notre pays), est que le stock de comptences linguistiques en Suisse est important mais quil demeure peu visible ou mal valoris.Selon le tableau bross par les chercheurs dans un volumineux rapport de plus de 600 pages, 11 % des jeunes Almaniques et 25 % des jeunes Romands disposent ainsi de la double nationa-lit. A lchelle nationale, 30 % des individus interrogs ont un ou deux parents trangers et un quart dentre eux comptent autant dtran-gers que de Suisses parmi leurs amis. Limmense majorit des personnes interroges (98 %) a pour langue maternelle un des quatre idiomes nationaux. Cependant ce ne sont pas moins de 126 langues diffrentes qui sont mentionnes

    lorsquon interroge ces mmes jeunes sur leur frquentation des langues trangres. En termes quantitatifs, cest langlais qui est le plus sou-vent cit (85 % des cas), suivi du franais (68 %), de l allemand (21 %), de l italien (14 %), de l espagnol (6 %), des langues slaves de l ex- Yougoslavie (3 %), puis de lalbanais (2 %). Au vu de ce qui prcde, la Suisse apparat donc bel et bien comme une socit foncirement multiculturelle, contrairement ce que laissent penser certains discours manant des mdias ou du monde politique.

    Qute de sens Les donnes rassembles par lquipe de Franois Grin mettent cependant en vidence la complexit quimplique cette diversit, notamment sur le plan de la cohsion nationale. Pour plus de 50 % des Romands et prs de 40 % des Almaniques et des Tessinois, l identification la rgion dorigine passe en effet avant l attachement au pays dans son ensemble. Plus proccupant : les capacits parler une autre langue nationale que la sienne stagnent un niveau relativement bas, seule une minorit des gymnasiens (41 % en Suisse al-manique et 25 % en Suisse romande) atteignant le niveau requis par le systme denseignement, soit le niveau B2, cens permettre de participer une conversation, de lire le journal ou de rdi-ger un texte cohrent.Un problme qui, selon les chercheurs, est moins li un manque de motivation qu une absence de sens. Car si la plupart des personnes interroges se disent dsireuses dapprendre des langues pour autant quon les soutienne dans cette dmarche, elles estiment dans le mme temps les cours de langues nationales ennuyeux et inutiles. Cette tendance, nettement plus mar-que du ct masculin quau sein de lchantil-lon fminin contraste avec le regard pos sur langlais qui jouit dun prjug favorable et dont lenseignement est bien considr.

  • CAMPUS N123 RECHERCHE LANGAGE

    Si chec de l cole il y a, ce nest pas forcment l chec de l institution, des mthodes ou des ensei-gnants, commente Franois Grin. Les prsup-poss des lves jouent en effet un rle important. Les jeunes Suisses vivent dans un environnement o l exposition l anglais est trs forte, alors que les langues nationales sont marginalises. Dans un tel contexte, le message souvent prsent comme pragmatique l anglais d abord et tant pis pour les langues nationales , qui est serin l envi dans les mdias, a un impact dltre sur les attitudes. Mme si les voix de la vertu essaient de rappeler que l apprentissage des langues nationales est important pour toutes sortes de raisons, le discours simplificateur semble plus efficace. Un fait dautant plus regrettable que sur le strict plan comptable, la matrise dune autre langue nationale que la sienne peut, selon les rgions, tre plus rentable que celle de langlais.

    Ouverture gradue Le second volet de lenqute, qui porte sur les attitudes envers l altrit, confirme que louverture face ltranger a ten-dance tre plus grande en milieu urbain et par-mi les sympathisants de gauche. Les chercheurs sont cependant alls un peu plus loin en analy-sant la manire dont les diffrents enjeux lis limmigration et lintgration se structurent dans lesprit des jeunes citoyens suisses.

    A cet gard, cest la question de louverture la prsence trangre en tant que telle qui suscite les rponses les plus contrastes, avec des degrs dacceptation qui varient considrable-ment selon lappartenance politique ou le lieu de rsidence, le niveau socioculturel nayant pas dans ce domaine une influence dtermi-nante. Les mmes diffrences, bien que moins marques, existent propos de la possibilit de mettre en place des arrangements ponctuels lis des habitudes culturelles. Lhomognit des rponses est en revanche assez grande en ce qui concerne le refus de relativiser les normes civiques qui rgissent la vie en socit (galit entre les sexes, censure dans les mdias, union entre personnes de mme sexe, etc.). Nos rsultats montrent que nos jeunes compa-triotes peuvent considrer favorablement la pr-sence de communauts trangres sur le sol national et en mme temps attendre delles une volont din-tgration se traduisant par l adhsion une srie de normes perues comme non ngociables , pr-cise Franois Grin. Et ceci tout en admettant, au cas par cas, des accommodements ponctuels permet-tant d adapter certaines situations pratiques aux besoins religieux ou culturels des personnes d ori-gine trangre. En dautres termes, cela signifie que l exigence dintgration ne doit pas tre confondue avec un refus de la prsence trangre. Se dire hostile

    au port du voile dans l espace public ne signifie donc pas automatiquement que l on est favorable une Suisse sans trangers. Mandats par une commission parlementaire, les chercheurs prsentent galement la fin de leur enqute une srie de propositions esquissant quelques pistes daction destination des poli-tiques. Parmi celles-ci, Franois Grin insiste sur la ncessit de donner davantage de sens lenseignement des langues nationales en intro-duisant lenseignement bilingue au niveau du secondaire II (cole post-obligatoire) tant pour les lves du collge que pour ceux de lcole de culture gnrale ou les apprentis. Pour enrayer la tendance actuelle, le professeur appelle gale-ment de ses vux une volution du discours poli-tique face auquel il est devenu difficile dadopter une position vitant des simplifications dange-reuses : Les lecteurs, regrette le professeur, sont dsormais souvent coincs entre une extrme droite dont le programme consiste faire croire que les enjeux de l immigration sont un tout monolithique qui doit tre rejet en bloc et une gauche qui assi-mile toute rserve par rapport des manifestations daltrit (port du voile, dni de l galit de genre, crime dhonneur) de la xnophobie.

    Vincent Monnet

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  • Dossier ralis par

    Vincent Monnet et Anton Vos

    21 CAMPUS N123 DOSSIER MATHMATIQUES

    PLE DE RECHERCHE NATIONAL

    DISCIPLINE ARIDE POUR LES UNS, FASCINANTE POUR LES AUTRES, LES MATHMATIQUES CONSTITUENT LE MEILLEUR LANGAGE POUR DCRIRE LES LOIS DE LA NATURE. EXEMPLE AVEC LES TRAVAUX DU PLE SWISSMAP, DIRIG PAR STANISLAV SMIRNOV, LAURAT DE LA MDAILLE FIELDS 2010 ET PROFESSEUR LA SECTION DES MATHMATIQUES

    LA VRAIE NATURE DES MATHS

    Dossier ralis par Vincent Monnet et Anton Vos

  • Campus : Le Ple de recherche national (PRN) SwissMAP (Swiss Institute for Advanced Research in Mathematics and Physics) est ax sur la physique mathmatique. Que recouvre cette notion ?Stanislav Smirnov : Elle peut se comprendre aussi bien comme lintersection que comme lunion des mathmatiques et de la physique. Au dpart, cette terminologie dsignait une discipline tentant de dcrire les phnomnes naturels avec la rigueur propre aux mathmatiques. Elle sest ensuite largie pour regrouper lensemble des problmes mathma-tiques soulevs par les thories physiques. Aujourdhui, on y a ajout des sujets purement mathmatiques qui ont trou-v une utilit en physique. Les recherches de Vaughan Jones, actuellement professeur l Universit de Vanderbilt aux Etats-Unis et qui a effectu sa thse Genve entre 1975 et 1979, illustrent bien ce dernier point. Le travail qui lui a valu la mdaille Fields en 1990 concerne la topologie des nuds, un sujet fondamental, trs abstrait. Pourtant, certains de ses rsultats les Polynmes de Jones, notamment ont t exploits dans un tout autre domaine, la thorie quantique des champs, qui tente dexpliquer la physique lchelle des particules lmentaires. Quoi quil en soit, la collaboration entre la physique et les mathmatiques nest pas nouvelle. Elle existe depuis les Grecs de lAntiquit. Isaac Newton (1642-1727) la pouss un degr indit notamment dans son ouvrage majeur, Principes mathmatiques de la philoso-phie naturelle. SwissMAP poursuit le mouvement et tentera doprer la synthse des recherches actuelles en mathma-tiques et en physique.

    Pourquoi est-il ncessaire de crer un Ple dans ce domaine ?La premire ide consiste renforcer les liens existant entre lUniversit de Genve et lEcole polytechnique fdrale de Zurich (ETHZ) qui codirige dailleurs le PRN. Ces deux institutions possdent historiquement un trs haut niveau en physique thorique et en mathmatiques. LEPFZ a en effet compt dans ses rangs des personnalits comme le phy-sicien Wolfgang Pauli et les mathmaticiens Heinz Hopf et Hermann Weyl. Genve a pour sa part hberg le phy-sicien Ernst Stckelberg et le mathmaticien Georges de Rham. Aujourdhui encore, notre Section de mathma-tique, qui est de taille modeste par rapport ses concur-rentes internationales, se classe parmi les 50 meilleures du monde. SwissMAP souhaite poursuivre et intensifier cette tradition de qualit et de coopration en y joignant dautres institutions : le CERN (Organisation europenne pour la recherche nuclaire), les Universits de Berne et de Zurich ainsi que lEcole polytechnique fdrale de Lausanne. Le rle du Ple est de crer les conditions ncessaires pour structurer la recherche et canaliser les efforts sur un nombre restreint de sujets. On espre ainsi sattaquer des pro-blmes de trs haut niveau. Nous avons dfini cinq axes de recherche (gomtrie, topologie et physique, thorie des champs, systmes quantiques, mcanique statistique, tho-rie des cordes). Ce sont des domaines pour lesquels la Suisse dispose de trs bons chercheurs et dans lesquels il existe des problmes importants rsoudre.

    Le budget de SwissMAP pour quatre ans est de 11,2 mil-lions de francs. A quoi va-t-il servir ?SwissMAP se distingue de tous les autres PRN par le fait quil est exclusivement dirig vers la science fondamentale et ne possde pas de composante exprimentale. Largent que nous recevons du Fonds national pour la recherche scien-tifique nest donc pas destin monter des laboratoires ou acheter du matriel de mesure coteux. Il servira surtout intensifier les interactions entre les chercheurs, inviter les meilleurs mathmaticiens et physiciens tout au long de l anne, mettre sur pied des programmes ducatifs en direction des collgiens notamment pour assurer la relve, organiser des master classes, etc.

    En quoi consiste une master class en mathmatiques ?Il sagit dun programme dtudes de niveau de la matrise universitaire qui dure un an et se droule Genve. Il sadresse des tudiants trangers et suisses et propose des cours donns par des spcialistes venus du monde entier. Le sujet change chaque anne. La master class qui est actuel-lement en cours est consacre la mcanique statistique. Lanne prochaine, elle se concentrera sur le thme de la gomtrie, topologie et physique. Ces cours (rapportant 60 crdits) sont ouverts aux tudiants les plus prometteurs ayant atteint le niveau de matrise universitaire (voire du baccalaurat universitaire pour les plus dous). Cette anne,

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    SWISSMAP SE DISTINGUE DES AUTRES PRN PAR LE FAIT QUIL NE POSSDE PAS DE COMPOSANTE EXPRIMENTALE STANISLAV SMIRNOV, DIRECTEUR

    DU PLE DE RECHERCHE NATIONAL SWISSMAP

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    DE LNINGRAD GENVEN en 1970 Lningrad (aujourdhui Saint-Ptersbourg), Stanislav Smirnov a t influenc par son grand-pre, mathmaticien de formation, qui a fait carrire en tant quingnieur et professeur de mcanique. Cest lui qui, le premier, donne Stanislav le got des sciences. Le jeune homme se sent mme tellement laise dans ce domaine quil remporte la mdaille dor avec des scores parfaits aux Olympiades internationales de mathmatiques en 1986 et 1987.Stanislav Smirnov commence ses tudes lUniversit dEtat de Saint-Ptersbourg tandis que le Rideau de fer se lzarde en Europe. Cest une priode intense pour ltudiant, parti-culirement en 1991 et 1992, tandis que lUnion sovitique seffondre et que la nouvelle Russie se cre. Ctait une poque pleine despoir et denthousiasme, se rappelle Stanislav Smirnov. Nous participions aux vnements, aux manifestations. Nous pensions que le monde et la Russie taient en train de changer pour le mieux. La ralit savre plus rude que prvu. Du jour au lendemain, le systme ducatif, gratuit sous le rgime communiste, devient la charge des tudiants. Le chaos rgne dans les facults.En 1992, Stanislav Smirnov, qui termine alors son baccalaurat universitaire, accepte une invitation du Californian Institute of Technology pour y mener une thse. Aprs quelques annes passes dans louest des Etats-Unis, le jeune mathmaticien poursuit son parcours acadmique par lUniversit de Yale, lInstitut Max Planck des mathmatiques de Bonn, lInstitut for Advanced Studies de Princeton, lInstitut royal de technolo-gie de Stockholm puis, enfin, en 2003, lUniversit de Genve o il obtient un poste de professeur.

    Je connaissais dj lUniversit, explique-t-il. Ma femme y avait fait sa thse. Elle travaille dailleurs toujours dans la mme section que moi, en tant que professeure. Au cours des annes, le chercheur collectionne les distinctions comme le prix Salem et le Clay Research Award en 2001, le prix Rollo Davidson en 2002 ou encore le prix de la Socit mathmatique europenne en 2004. Le sommet est atteint en 2010 avec la mdaille Fields, la plus haute distinc-tion en mathmatiques, lquivalent dun prix Nobel en termes de prestige (le montant de la rcompense tant toutefois nettement plus modeste).Les prgrinations de Stanislav Smirnov ne lont toutefois jamais coup de sa patrie. Le mathmaticien conserve en effet un poste partiel lUniversit de Saint-Ptersbourg o il codirige un laboratoire et aide moderniser le systme denseignement. Aujourdhui, il y a un trou gnration-nel dans la science russe, explique Stanislav Smirnov. Il y a de jeunes tudiants trs brillants et de vieux chercheurs encore trs actifs et de trs haut niveau. Mais les premiers cherchent partir et les seconds ont atteint lge de la retraite. Le pays manque cruellement de chercheurs entre 30 et 60 ans. Ils existent, mais il y en a beaucoup moins quavant. Jessaie de contribuer rsoudre ce problme. Je pense que cest bien pour lEurope et le monde que la science russe puisse se relever compltement et reprendre une place de premier plan.

    Les trois Mdailles Fields de lUNIGE

    Vaughan Jones (1990)

    N en Nouvelle-Zlande, il a effectu sa thse Genve entre 1975 et 1979.

    Stanislav Smirnov (2010)

    De nationalit russe, il est professeur la Section de mathmatiques depuis 2003.

    Martin Hairer (2014)

    N Genve, il a dfendu sa thse de doctorat lUNIGE en 2001.

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  • il y en a une douzaine, originaire du Chili, du Brsil, des Etats-Unis, du Canada, du Royaume-Uni, de France, dItalie, de Finlande et de Russie. Ces master classes sont galement utiles pour les tudiants genevois puisque les cours sont ouverts tous. Elles permettent, entre autres, damliorer la visibilit des mathmatiques suisses l international et de multiplier les possibilits de contacts.

    Les contacts humains jouent-ils un rle important dans la pratique des mathmatiques ?Depuis une trentaine d annes, les mathmatiques deviennent une discipline dquipe. Alors que par le pass, elles se sont spcialises en branches distinctes, nous vivons aujourdhui un mouvement inverse, un ge de synthse qui exige des changes constants. On le remarque dans la litt-rature scientifique. Les articles sont de plus en plus signs par deux voire trois auteurs. Cest plus amusant de travailler plusieurs. En outre, la discipline sest galement complexifie. Il est trs profitable dexploiter des connais-sances venues de plusieurs horizons. Les rsultats les plus intressants de ces dernires dcennies ont dailleurs t obtenus grce la combinaison de diffrents sujets.

    Les mathmatiques ont donc beaucoup profit de lexplo-sion des moyens de tlcommunicationCest vrai. Le courrier lectronique a permis depuis long-temps dintensifier les changes dides. Cela dit, ces dernires se transmettent plus efficacement par vidocon-frence, lorsquon se parle les yeux dans les yeux. Mais rien ne vaut une vraie rencontre en chair et en os lorsquil sagit de suivre un raisonnement ou de comprendre une dmons-tration. Malgr lexplosion des moyens de communication qui caractrise notre poque, nous navons dailleurs pas diminu nos dplacements. Au contraire. Les mathmati-ciens nont jamais autant voyag quaujourdhui.

    Les problmes mathmatiques qui vous proccupent trouvent-ils souvent leur solution au coin dun tableau noir lors de discussions informelles ?Notre matriel est effectivement trs sommaire, il peut se rsumer du papier, un tableau noir et de quoi crire. Du coup, un collgue peut vous ouvrir les yeux en proposant une approche laquelle vous navez pas pens et un tableau noir peut suffire pour jeter ou tester sommairement une ide. Mais les solutions nous tombent aussi dessus aprs avoir rflchi longtemps un problme puis en le laissant

    momentanment de ct. A cet gard, lhistoire du math-maticien franais Henri Poincar (1854-1912) est clbre. Tandis quil planchait depuis un moment sur des quations diffrentielles, il dcide de se changer les ides en partant pour une campagne de prospection gologique. Au moment du dpart, alors quil monte dans le vhicule et que son esprit est totalement ailleurs, il voit brusquement et avec une grande clart que son systme dquations est iden-tique un autre, utilis dans un domaine trs diffrent de mathmatiques, celui de la gomtrie non euclidienne. Cette vision subite lui permettra deffectuer une perce importante dans son champ de recherche.

    Existe-t-il en mathmatiques des coles de pense diffrentes ?On ne peut pas gnraliser, surtout lre de la globalisation et dInternet qui favorisent luniformisation des ides. Cela dit, on peut distinguer quelques archtypes de math-maticiens. Du ct franais, la socit secrte de Nicolas Bourbaki, qui sest runie la premire fois en Auvergne la fin des annes 1930, a obtenu de nombreux rsultats importants notamment en algbre. Son mode de travail et de pense, fond sur labstraction et la gnralisation, a influen-c beaucoup des mathmaticiens franais qui ont suivi. En Russie, l do je viens, la dmarche est peut-tre plus pragmatique. On commence avec des exemples puis on gnralise ensuite. On essaie demprunter des intuitions venues dautres domaines, surtout de la physique.

    Quen est-il de la Suisse ?La Suisse est place au centre de lEurope et a connu de ce fait de nombreux changes et influences scientifiques, que ce soit de la France, de lAllemagne et mme de la Russie avec laquelle les changes sont anciens. En effet, les trois premiers mathmaticiens de Russie taient suisses. A la fin du XVIIe et au dbut XVIIIe sicle, le tsar Pierre le Grand, dsireux de moderniser son pays et de rduire le foss scientifique qui le spare du reste de lEurope, tente dattirer des savants sa cour. Cest ainsi que, sur la recommandation du grand mathmaticien allemand Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716), il invite les frres blois Nicolas et Daniel Bernoulli venir enseigner dans sa nouvelle Acadmie des sciences Saint-Ptersbourg. Tomb malade, Nicolas meurt en 1727, huit mois seulement aprs son arrive Saint-Ptersbourg. Il est alors remplac par un autre Suisse, Leonhard Euler. Celui-ci restera plus de trente ans en tout en Russie (il y est dailleurs enterr). Dans mon pays, on le considre comme un mathmaticien russe dorigine suisse. Il a cr lcole de mathmatique russe. Celle que jai suivie trois sicles plus tard.

    DANS MON PAYS, ON CONSIDRE LEONHARD EULER COMME UN MATHMATICIEN RUSSE DORIGINE SUISSE

    SwissMAPLe Ple national de recherche en bref

    Leading house : Univer-sit de Genve (Stanislav Smirnov)

    Co-leading house : Ecole polytechnique fdrale de Zurich

    Partenaires : CERN, Universits de Berne et de Zurich, Ecole polytechnique fdrale de Lausanne

    Budget : 28 millions de francs pour quatre ans (2014-2017), dont 11,2 mil-lions de francs provenant du FNRS.

    Thmes : Gomtrie, topologie et physique Thorie des champs Systmes quantiques Mcanique statistique Thorie des cordes

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    STANISLAV SMIRNOV EN DMONSTRATIONComme souvent en mathmatiques, les travaux qui ont valu en 2010 la mdaille Fields (la plus haute distinction de la discipline) Stanislav Smirnov, professeur la Section de mathma-tiques, se basent sur des noncs assez simples. Lide de dpart de la percolation , le nom don-n la thorie dont il est question ici, consiste dterminer la probabilit de trouver, dans un matriau idalis ayant une certaine porosit, un chemin continu pour que de leau puisse le traverser de part en part.Un peu comme dans le jeu du labyrinthe destin aux enfants, il sagit de trouver un trajet reliant le point A au point B. A la diffrence prs que, dans la version adulte de ce passe-temps, les choses se compliquent assez rapidement. Les labyrinthes sont alatoires et il ne suffit pas de trouver un trajet. Il faut aussi savoir calculer leur probabilit dexistence et bien dautres choses encore.Une manire de visualiser le problme de la percolation consiste prendre une feuille quadrille et colorier les artes en bleu si leau peut sy couler ou en jaune dans le cas contraire. A chaque fois, la couleur est dtermine laide du hasard. Si celui-ci est de 50-50, alors on peut choisir le bleu ou le jaune de chaque arte en jouant pile ou face. Pour favoriser une cou-leur plutt que lautre, il suffit de piper la pice de telle manire quelle tombe davantage sur une face plutt que sur lautre. Au final, une fois la feuille remplie, on peut vrifier si leau parvient scouler ou non en jouant au labyrinthe, ou plutt en cherchant un chemin dartes bleues contigus reliant le bord du haut celui du bas.Si la pice servant dterminer la couleur de chaque carr est fortement biaise en faveur du bleu, il est presque certain que leau peut circu-ler. En revanche, dans le cas contraire, il est qua-siment sr que le liquide ne passe pas. Ce qui est remarquable avec ces modles de percolation, cest quentre ces deux extrmes, la probabilit de voir leau scouler ne varie pas rgulirement. En ralit, elle passe par un seuil. En dautres termes, l eau sera presque srement bloque tant que

    le pourcentage de carrs bleus reste en dessous dune certaine valeur. Prs de cette limite, la pro-babilit que leau puisse scouler augmente alors trs rapidement. La valeur de ce seuil est appele le point critique.Si ces modles intressent tant les physiciens, cest quil existe dans la nature de nombreux ph-nomnes prsentant de tels points critiques, aussi qualifis de transitions de phase. Leau chaude au niveau de la mer, par exemple, se met bouillir 100 C mais pas avant. Le magntisme appa-rat dans certains matriaux ds que lon passe sous une certaine temprature (dite de Curie). Un feu de fort se rpand massivement si lcart entre chaque arbre est infrieur une certaine valeur. Idem pour la propagation dune maladie en fonction de son degr de conta-gion. Un sol de glaise retient leau, une terre meuble la laisse passerLe problme, bien sr, cest que la nature, en gnral, ne ressemble pas un rseau de petits carrs trs rguliers de 0,5 cm de ct. Tout dabord, le comportement notre chelle dun systme est dtermin par le comportement statistique de ses composants lchelle micros-copique, voire atomique dans cer-tains cas. Il convient donc daffiner le maillage du modle lextrme en esprant que les rsultats obte-nus tendent vers une valeur limite unique (appe-le limite dchelle ) et ne divergent pas au cours de la miniaturisation. De plus, le rseau peut tre compos de carrs mais aussi de triangles, de losanges, dhexagones.En 1992, John Cardy, physicien de lUniversit dOxford au Royaume-Uni, en se basant sur un certain nombre dhypothses et darguments, parvient tablir une formule prcise qui donne la probabilit dcoulement de l eau dans un matriel poreux, dans le cas de la limite dchelle et prs du point critique. Cest une prouesse,

    du point de vue de la physique. Le problme, cest quil sagit dune intuition physique. Et il faut la transformer en une dmonstration math-matique rigoureuse.Cest l que Stanislav Smirnov entre en scne. Aprs avoir tabli des fondations mathmatiques solides de la thorie de la percolation, il montre en 2001 que cette probabilit critique, ou point critique, existe dans un rseau triangulaire en deux dimensions et dans la limite dchelle et que sa valeur est identique celle obtenue par la formule de Cardy. Sa preuve repose sur une approche indpendante de celle utilise jusque-l par les physiciens.

    Ces derniers poussent un soupir de soulagement devant les travaux de Stanislav Smirnov. Et ce dautant plus que le mathmaticien, continuant sur sa lance, utilise des mthodes similaires pour dmontrer la validit dun autre modle, celui dIsing, qui dcrit des phnomnes comme le magntisme, le mouvement des gaz, le traitement dimage ou encore lcologie.

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    LENSEMBLE DE MANDELBROT DSIGNE UNE FIGURE FRACTALE. DU NOM DU MATHMATIQICIEN FRANCO-AMRICAIN BENOT MANDELBROT QUI EN OBTIENT LA PREMIRE REPRSENTATION).

    IL SAGIT DE LA REPRSEN-TATION GRAPHIQUE DES RSULTATS DUNE QUATION MATHMATIQUE SUR LES NOMBRES COMPLEXES. ON Y RETROUVE LA MME FORME DE BASE APRS DES AGRANDISSE-MENTS SUCCESSIFS.

    LES POINTS FAISANT PARTIE DE LENSEMBLE DE MANDEL-BROT SONT FIGURS EN NOIR. LES COULEURS NONT AUCUNE IMPORTANCE MATHMATIQUE. ELLES INDIQUENT LE NOMBRE DITRATIONS (CYCLES DE CALCULS EFFECTUS PAR ORDINATEUR) NCESSAIRES POUR POUVOIR DCLARER LE POINT COMME FAISANT OU NON PARTIE DE LENSEMBLE DE MANDELBROT.

    LES NOMBRES COMPLEXES SONT UNE EXTENSION DES NOMBRES RELS CONTENANT EN PARTICULIER LE NOMBRE i TEL QUE i2 = -1.

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    MOTIONS ESTHTIQUES

    LES MATHS, TOUT UN ARTLA PRATIQUE DES MATHMATIQUES DEMANDE UNE BONNE DOSE DE CRATIVIT ET DINTUITION. POUR HUGO DUMINIL-COPIN, PROFESSEUR LA SECTION DE MATHMATIQUES, ELLE SAPPARENTE UNE DISCIPLINE ARTISTIQUE ET PEUT SAPPRCIER SELON DES CRITRES ESTHTIQUES ET MOTIONNELS

    On peut donc dmontrer des thormes de plusieurs faons ?Oui, bien sr. Un rsultat possde de nombreuses preuves. Du point de vue mathmatique, une preuve nest pas for-cment meilleure quune autre. Certaines sont plus simples tandis que dautres sont plus complexes et apportent parfois un clairage diffrent sur le phnomne tudi. En ralit, on sait souvent l avance si un nonc est vrai ou faux. Lintrt et la beaut dune dmonstration rside surtout dans le fait quelle est capable dexpliquer pourquoi. Et si elle est belle et simple, alors cela signifie que lon a probablement trouv une preuve naturelle, dans le sens quelle retranscrit la raison profonde pour laquelle le rsultat est vrai.

    La nature obit-elle aux rgles des mathmatiques ?La nature est tout autant physique, biologique ou encore chimique que mathmatique. Toutes ces sciences sentremlent. Le chimiste et dsormais mme le biologiste doivent se mettre tudier la physique pour comprendre les phnomnes auxquels ils sintressent. Quant la phy-sique, cela fait trs longtemps quelle sentremle avec les mathmatiques. Un grand nombre de concepts en physique ont merg de dveloppements raliss en mathmatiques et vice versa. Les gens ont limpression que les mathmatiques, tant plus abstraites, sont loin de la ralit. Jaurais tendance affirmer le contraire. Cest justement parce quelles sont abstraites quelles permettent dexpliquer de nombreux ph-nomnes naturels. Moins une chose est applique, moins elle est limite une exprience ou un phnomne prcis. Les mathmatiques sont universelles et elles permettent donc daider dautres sciences dans leur dmarche explicative.

    Campus : Pensez-vous quil existe une forme de beaut dans les mathmatiques ?Hugo Duminil-Copin : Il en existe dans la faon darriver un rsultat, dans les ides et les concepts dvelopps pour le dmontrer et le comprendre. Ces ides et ces concepts, je les apprcie exactement comme on peut le faire avec une uvre dart, un concept en philosophie ou en histoire.

    Une formule, un rsultat final, ne vous touche pas autant ?Une formule retranscrite sur un tableau noir reprsente la dernire tape dun processus. Le rsultat lui-mme nest pas une fin en soi : je suis beaucoup plus intress par la dmarche. Il peut y avoir des rsultats trs importants dont je naime pas les preuves, car je les trouve trop complexes, trop tarabiscotes. Je suis mme plus sensible des dmons-trations alternatives de thormes dj connus depuis long-temps mais qui suivent une dmarche innovante, faisant appel de nouvelles ides.

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    Quelle est limportance dune preuve mathmatique pour un physicien ?Cela dpend du physicien, bien sr. Certains estiment quils nont pas besoin de telles preuves, que la nature sen charge notre place. Le physicien amricain Philip Warren Anderson, qui a reu le prix Nobel de physique en 1972, est de ceux-l. Il a dcouvert un phnomne de la physique de la matire condense appel localisation dAnderson dont lexpression mathmatique na jamais pu tre dmon-tre formellement. Cen est devenu un dfi majeur en phy-sique thorique. Lors dune grande confrence, un minent mathmaticien a rappel cette lacune. Anderson sest alors lev et sest offusqu : Comment osez-vous dire cela ? On lui a rtorqu : Mais alors, qui a apport la preuve de la localisation dAnderson ? Et Anderson de rpondre : Moi... moi et la nature ! Pour de nombreux autres phy-siciens, les mathmaticiens se rendent malgr tout utiles. Il peut en effet exister pour un phnomne naturel diffrentes explications sur lesquelles les physiciens ne parviennent pas se mettre daccord. Lorsque le mathmaticien apporte une preuve (sinspirant souvent darguments venant de la phy-sique), il peut du mme coup dsigner laquelle des hypo-thses est la bonne. En plus, sil parvient comprendre, par une belle dmonstration, le concept qui se cache der-rire, il peut aider le physicien gnraliser son rsultat un ensemble de phnomnes plus tendu. Cela rpond lob-jectif unificateur de la physique qui est dexpliquer la nature avec le moins de rgles possible.

    Les mathmatiques, cest la vrit incarne ?Il est important de se battre contre lide que les scienti-fiques, en gnral, peuvent tout expliquer. La notion de vri-t en mathmatiques repose sur les axiomes. Ces derniers

    sont des noncs dont on estime quils sont vrais sans avoir besoin de les prouver. Il en existe un petit nombre qui varie selon les thories. Certains de ces axiomes affirment des choses qui semblent videntes tout un chacun : ce sont les pierres de base de l difice mathmatique. Dautres fixent les rgles permettant de mener des dmonstrations. A partir de ces noncs, on peut prouver de nouveaux rsultats et avancer ainsi de thorme en thorme. Par consquent, si un mathmaticien ne se trompe pas dans son raisonnement, le rsultat quil obtient au bout de sa dmons-tration est toujours vrai. Il ny a pas moyen de le contester. Sauf quil est vrai conditionnellement aux axiomes. Un choix daxiomes diffrent mnerait potentiellement une autre notion de vrai.

    Y a-t-il un meilleur systme daxiomes quun autre ?Un systme daxiomes doit rpondre quelques rgles. Si le jeu daxiomes choisi permet de montrer que quelque chose et son contraire sont vrais, alors il est incohrent. Et a, cest gnant pour lensemble de ldifice thorique bti sur cette base. Le systme daxiomes des mathmatiques actuelles ne devrait pas poser ce genre de problmes. Et quand bien mme il serait incohrent, je ne pense pas que lensemble des mathmatiques seffondrerait. Il suffirait de changer un peu les axiomes pour retrouver une consistance et la majorit des preuves resterait vraie dans ce nouveau systme de vrit. En effet, ce nest pas parce que votre maison seffondre en raison de la mauvaise qualit des matriaux que le savoir-faire du maon est remettre en question. Cela dit, le rai-sonnement sur le systme daxiome et donc la notion de vrit va plus loin. Il existe en mathmatiques des noncs dont il est impossible de prouver formellement quils sont vrais ou faux. En quelque sorte, il nexiste pas de systme daxiomes parfait.

    Vous voulez dire que les mathmatiques ne peuvent pas tout prouver ?Exactement. Le thorme dincompltude du mathma-ticien autrichien Kurt Gdel affirme quavec un systme daxiomes trs restreint, par exemple celui qui contiendrait la thorie des entiers naturels (les nombres 0, 1, 2, 3, 4), il existe des noncs dont on ne peut pas montrer, avec des

    LES GENS ONT LIMPRESSION QUE LES MATHMATIQUES, TANT PLUS ABSTRAITES, SONT LOIN DE LA RALIT. JAURAIS TENDANCE AFFIRMER LE CONTRAIRE HUGO DUMINIL-COPIN, PROFESSEUR

    LA SECTION DE MATHMATIQUES

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    rgles mathmatiques, quils sont vrais ou faux. On pourrait augmenter le nombre daxiomes pour finalement russir la dmonstration, mais cela permettrait galement de formu-ler de nouveaux noncs qui seraient leur tour indmon-trables. Gdel a donc apport en 1931 la preuve que lon ne peut pas tout prouver. Pour certains, cest un problme. Moi, je trouve au contraire que cest un beau symbole. Il faut avoir conscience des limites des math-matiques. Comme un peintre avec ses couleurs et ses pinceaux, nous peignons des thormes avec des axiomes et des rgles de logique.

    La pratique des mathmatiques exige-t-elle de la crativit ?Je pense que oui, et beaucoup din-tuition. La manire de voir les mathmatiques est trs person-nelle, ce qui fait la richesse de la discipline. La personne avec qui jai pu parler le plus facilement de mon travail, comme si lon prati-quait le mme mtier, est un ami compositeur. Lui et moi avons la mme dmarche consistant parfois laisser notre cerveau vagabon-der. Il est important de lcher prise quand un problme devient trop difficile quitte y revenir plus tard. Le moment de la journe, de la semaine ou de l anne que l on choisit pour sintresser un problme compte beaucoup. Certains instants, dpendant de nombreux facteurs tels que la vie prive ou professionnelle, sont plus propices que dautres pour linspiration sur tel ou tel sujet. Il faut que les ides arrivent. Et, en gnral, elles arrivent leur rythme. Cela ne sert rien de les forcer.

    Quel est votre principal outil de travail ?Mon outil de travail, avant tout, cest mon cerveau. Je peux travailler nimporte o. En gnral, je nai pas besoin de papier ou de crayon. Pour tre plus prcis, je devrais dire mon cerveau et celui de mes collgues. Cest une discipline qui se pratique en quipe.

    Vous a-t-on dj qualifi dartiste ?Non. Les gens nont pas conscience que la pratique des mathmatiques repose avant tout sur la crativit et limagination. Puisquils gardent en tte limage dune dis-cipline difficile et scolaire, une preuve mathmatique leur semble bien loin dune uvre quils pourraient apprcier. Du coup, les gens trouvent plutt bizarre que lon sintresse

    cette discipline, plus encore quon la trouve belle.

    Et entre collgues ?Les mathmaticiens sont trs sensibles aux ralisations des autres. Quand je lis des preuves de collgues, je ressens des motions. Je peux trouver des preuves surprenantes, belles, tristes parfois... Bref, cela mvoque quelque chose. Jai beaucoup dadmiration pour mes collgues. Je trouve quils font preuve dune crativit excep-tionnelle et pour moi, ce sont effecti-vement des artistes.

    LE MATHMATICIEN AUTRICHIEN KURT GDEL A DONC APPORT EN 1931 LA PREUVE QUE LON NE PEUT PAS TOUT PROUVER

  • FP

  • RAREMENT POPULAIRES AUPRS DES LVES, LES MATHMATIQUES NE MANQUENT POURTANT PAS DATTRAIT. DVELOPPANT LA CRATIVIT ET LESPRIT CRITIQUE, SOLLICITANT PEU L APPRENTISSAGE PAR CUR, ELLES ONT GALEMENT JOU UN RLE ESSENTIEL DANS LE DVELOPPEMENT DES SOCITS HUMAINES

    TACTIQUE DIDACTIQUE

    JAI MAL AUX MATHS, MAIS JE ME SOIGNE

    Juges arides, inutiles et trop abstraites, les math-matiques suscitent rarement lenthousiasme auprs des jeunes. Largement partag dans les pays occi-dentaux, ce dsamour nest pourtant ni univer-

    sel ni inluctable. Didacticien la Section des sciences de lducation et au sein de lInstitut universitaire de forma-tion des enseignants