CALDERON - atjv.be · Calderon m'est apparu comme une grande métaphore de la condition humaine, et...

15
CALDERON De Pier Paolo Pasolini Traduction : Michèle Fabien DOSSIER PÉDAGOGIQUE

Transcript of CALDERON - atjv.be · Calderon m'est apparu comme une grande métaphore de la condition humaine, et...

Page 1: CALDERON - atjv.be · Calderon m'est apparu comme une grande métaphore de la condition humaine, et de la question de son devenir dans notre société. Sa forme extrêmement complexe

CALDERONDe Pier Paolo Pasolini

Traduction : Michèle Fabien

DOSSIER PÉDAGOGIQUE

Page 2: CALDERON - atjv.be · Calderon m'est apparu comme une grande métaphore de la condition humaine, et de la question de son devenir dans notre société. Sa forme extrêmement complexe

2

Distribution :

Mise en scène : Martin Staes-Polet

Avec

Cyril BriantLuc BrumagneVéroniqe DumontGwennaëlle La RosaThierry LefèvreLydia MartinezErico SalamoneHamida TachfineRamon Primo Calderon

Une coproduction Compagnie A et Atelier Théâtre Jean Vilar

Dates : du 15 au 25 février 2005

Lieu : Théâtre Jean Vilar

Durée du spectacle : à déterminer

Réservations : 0800/25 325

Contact écoles : Adrienne Gérard : 0473/936.976 – 010/47.07.11

Page 3: CALDERON - atjv.be · Calderon m'est apparu comme une grande métaphore de la condition humaine, et de la question de son devenir dans notre société. Sa forme extrêmement complexe

3

Sommaire

I. Note du metteur en scène

II. La naissance du projet

III. Note sur l’auteur

IV. La pièce

V. Les Ménines de Vélasquez

VI. Indications sur la pièce

VII. Le langage et le corps

VIII. Propos scéniques

Page 4: CALDERON - atjv.be · Calderon m'est apparu comme une grande métaphore de la condition humaine, et de la question de son devenir dans notre société. Sa forme extrêmement complexe

4

I. Note du metteur en scène pour les élèves

Si je m'adresse à vous avant la représentation c'est que jesais combien il est parfois difficile d'aborder le théâtre. Calderonest une pièce qui comporte une certaine complexité tant au niveaude sa forme que de ses références historiques. Je voudrais, autravers de ces quelques notes, vous permettre d'approcherpréalablement l'univers de Pasolini et de vous y familiariser, afinque vous puissiez être disponibles par recevoir le spectacle sansêtre noyé, et ainsi accéder à son sens profond.

Calderon a été pour moi et mon équipe une granderencontre. Au moment où je m'adresse à vous, nous n'en sommesqu'au début des répétitions, mais nous voyons déjà que Pasolininous emmène bien plus loin encore que nous ne l'avions imaginé.La pièce nous pousse à explorer plusieurs pistes de sesinterprétations possibles sans en fermer aucune, ce qui provoqueau niveau du jeu des acteurs une énergie vivante et dynamique.Ceci correspond à la vie de Pasolini : un personnage toujours enréinvention et indéfinissable.

Au plaisir de vous rencontrer,Bon spectacle,A tout bientôt.Martin

Page 5: CALDERON - atjv.be · Calderon m'est apparu comme une grande métaphore de la condition humaine, et de la question de son devenir dans notre société. Sa forme extrêmement complexe

5

“Pasolini n'a pas été un intellectuelqui s'est approprié la culture, mais un hommequi a vécu les problèmes de la culture de sontemps en y participant jusqu'à en mourir.

Cela définit aussi sa violence, jevoudrais dire aussi son infatigable férocitédans l'agression du réel, sa faim de réalité etde vérité vraie - son besoin de la recherche.

Et aussi son excès de vitalité. Et soninsatiable soif de langage”.

Roberto Roversi

Page 6: CALDERON - atjv.be · Calderon m'est apparu comme une grande métaphore de la condition humaine, et de la question de son devenir dans notre société. Sa forme extrêmement complexe

6

La bourgeoisie italienne, autour de moi,est une bande d'assassins.Et je n'espère certes pas un meilleur accueilde la bourgeoisie américaine.Dans le monde du capital la vie est un parià gagner ou à perdre :c'est la condition humainede la laïcité bourgeoise.Celui qui se découvre, ou avoue,ou ne craint pas le ridicule,finit mal : c'est la loi.Chers américains, non pacifisteset non spiritualistes,c'est-à-dire énorme majorité bien pensante,votre Dieu est un idiotcomme tout citoyen moyenqui désire de toutes ses forceset de tout son espritêtre comme les autres :c'est pour cet amour fou de l'égalitéqu'il la hait.

« Qui je suis », Pier Paolo Pasolini, ed. Arléa, 1995, p. 29

Page 7: CALDERON - atjv.be · Calderon m'est apparu comme une grande métaphore de la condition humaine, et de la question de son devenir dans notre société. Sa forme extrêmement complexe

7

II. La naissance du projet

L'aventure avec Calderon a démarré pour moi en 1996, lors d'un exercice auConservatoire de Paris.

Touché tant par le fond que par la forme de la pièce, j'ai demandé et obtenuauprès de la Communauté française de Belgique des subsides pour créer cespectacle. Après l'avoir proposé à plusieurs theâtres, un accord de coproduction a étésigné avec le théâtre Jean Vilar à Louvain-la-Neuve.

Dès le début du travail, les recherches se sont orientées vers la question de latransmission du récit au sein du langage poétique de Pasolini : le texte est écrit envers libres, ce qui donne une apparence de morcellement alors qu'une cohérence s'endégage a partir du moment où on prend le parti de quitter le langage quotidien pourrespecter à la lettre le rythme décidé par Pasolini. Nous nous sommes aussiinterrogés sur la genèse des filiations, qu'elles soient historiques ou familiales.

Nous avons également exploré l'utilisation du rêve dans l'univers théâtral, lasymbolique de chaque rêve et ses implications dans la compréhension globale de lapièce.

Calderon m'est apparu comme une grande métaphore de la conditionhumaine, et de la question de son devenir dans notre société.

Sa forme extrêmement complexe m'a tout particulièrement interessée car ellenous maintient entre rêve et réalité, nous empêchant de fermer le sens et de tomberdans la logique manichéenne du bien et du mal. Cette métaphore ouvre à la réflexionet notamment sur la difficulté d' “être” dans un système défini (familial, politique ousocial) dans lequel nous nous confrontons au pouvoir, à l'exclusion des différences,aux tabous...

A mon sens, dans nos sociétés occidentales où tout semble possible et àlaquelle il faut répondre promptement sous peine d'en être exclu, l'individu est amenéà se construire une identité essentiellement sur base de la possession de biens.

Nous avons le sentiment de jouir de plus en plus de liberté, du fait de lasatisfaction immédiate de nos besoins : mais en définitive, ne sommes-nous pas deplus en plus aliénés par le pouvoir de la consommation ?

La consommation ne donne-t-elle pas l'illusion d'être apte à combler tous nosmanques ?

Quelle autre attitude serait en mesure de remplacer cet inlassable besoin deconsommer ?

Comment passer de la dimension de l'Avoir à celle de l'Etre ?

Martin Staes-Polet

“Ce faisant, et d'oeuvre en oeuvre, Pier Paolo Pasolini renouvellecomplètement l'ordonnance traditionnelle de notre géographie culturelle. Il récusela chronologie historique qui régit ordinairement l'ordre de succession des grandescivilisations du passé, et il instaure la vision d'une frontière nouvelle, grave,indépassable, conflictuelle : un acte de dévoration qui a déjà touché 800 à 900millions d'hommes et en guette 3 milliards d'autres...”

Bernard Piniau

Page 8: CALDERON - atjv.be · Calderon m'est apparu comme une grande métaphore de la condition humaine, et de la question de son devenir dans notre société. Sa forme extrêmement complexe

8

III. Note sur l'auteur

Pier Paolo Pasolini, poète, romancier, peintre, cinéaste, journaliste ettraducteur, est né le 5 mars 1922 à Bologne (nord de l'Italie), quelques mois après laconstitution du Parti National Fasciste (novembre 1921).

Son père, fils de nobles désargentés, choisira la carrière militaire delieutenant d'infanterie pour sauver l'honneur de la famille. Il gagnera un modestesalaire et donnera à son fils une éducation petite-bourgeoise.

Pendant son enfance et son adolescence, Pasolini voyagera de ville en ville,suivant les déplacements fréquents qu'entraînent les obligations militaires de sonpère. Il entretiendra avec lui une relation conflictuelle et complexe, et marquera trèstôt son désaccord face à l'éducation fascisante et lourde de préjugés que son père luiimpose.

Sa mère, institutrice issue d'une famille paysanne, entretiendra avec son filsune relation fusionnelle. Elle l'accompagnera et l'épaulera tout au long de sa vie. Illui vouera d'ailleurs un culte sans limite.

A 17 ans, Pasolini édite son premier texte en Frioulant, dialecte de la régionnatale de sa mère.

C'est dans cette région d'Italie qu'il s'imprègnera durant la première moitié desa vie des souvenirs et des paysages dont on retrouve l'essence dans ses oeuvres dejeunesse.

C'est à Casarsa qu'il prend conscience de son attirance pour les hommes :amour qui n'osera pas encore dire son nom, mais qui sera pourtant indissociable desa personnalité profonde. La découverte de l'Eros homosexuel provoquera chez luiun conflit intérieur et un sentiment d'exclusion.

Il entame des études littéraires, s'intéresse au marxisme et adhère au PartiCommuniste. Il enseigne, et accusé d'homosexualité, sera exclu du corps professoral.Après ce scandale, son exclusion du parti s'inscrit à ses yeux dans la logique decirconstances politiques très délicates, créées par la défaite de la gauche en 1948, etne remettra pas en cause son choix idéologique. Il fuira Casarsa avec sa mère pours'installer à Rome. C'est dans les faubourgs qu'il découvrira le sous-prolétariat,monde inconnu qui réveillera sa conscience et le poussera à défendre la cause d'uneclasse sociale qui n'est pas la sienne.

Toute sa vie, il aima passionnément l'humain et ne fit pas de discriminationentre les individus “qui sont tous, pour moi, des pères et des mères”.

Ce qui domine son oeuvre est une nostalgie de la vie et une condamnation del'exclusion “qui n'ôte pas l'amour à la vie mais l'accroît plutôt”.

“Où vivre physiquement ?”

“Pasolini ne ménageait personne, la complaisance l'irritait : à fortiorin'attendait-il aucun apitoiement sur son sort personnel. Politiser l'érotique,rappeler le politique à son radicalisme existentiel, mettre en jeu dans ce débatles soucis de la science et de la théorie, de l'histoire et du quotidien, telle a étésa rigueur, son risque de parole aussi.

Les fausses objectivités de l'abstraction comme les fausses évidencesde la confession n'engagent à rien et ne font courir aucun risque à quiconque,ni à quoi que ce soit...

Science, subjectivité, politique, art, séparément, ronronnent.Par contre, se tenir “le long de la suture” de plusieurs registres

significatifs, voilà qui peut être explosif et détonnant.Pasolini avait choisi ce site pour “écrire” sa vie, se maintenant

constamment aux “points de frictions, de scandales, d'instabilité expressive...”Jean-Pierre Sag

Sa vie, son oeuvre et sa mort furent jalonnés de controverses, de procès(trente trois) pour la plupart gagnés, mais dont la régularité tenait de l'acharnement àle détruire, à l'empêcher de parler.

Cet anti-conformisme fit reculer toutes les censures.Pasolini fut assassiné la nuit du 1er novembre 1975 à Ostia.

Page 9: CALDERON - atjv.be · Calderon m'est apparu comme une grande métaphore de la condition humaine, et de la question de son devenir dans notre société. Sa forme extrêmement complexe

9

IV. La pièce

La pièce comporte seize épisodes et trois notes de l'auteur donnant desindications scéniques.

L'histoire se déroule à l'aube de la révolution bourgeoise de mai 1968. Cedrame retrace l'histoire de Rosaura, personnage qui n'a pas conscience de sonexistence propre.

En effet, elle se réveille à deux reprises sans avoir aucun souvenir de sesrêves. Ce n'est qu'au troisième réveil qu'elle se souvient de ce dont elle a rêvé.

Rosaura, sans passé, vient mettre en crise l'équilibre des vies dans lesquelleselle voyage, car elle refuse de croire ce que l'Autre définit comme étant sa vraie vie.

Ses trois réveils, comme des naissances dans des mondes inconnus, vont laconfronter à des conditions sociales différentes et à des formes changeantes dupouvoir. Le pouvoir est incarné par le personnage de Basilio.

Tout au long de la pièce, le pouvoir évolue indépendamment et parallèlementaux réveils de Rosaura.

Au premier réveil de Rosaura, dans une famille aristocratique, le pouvoirest symbolisé par la figure du père, incontestable et infaible, prenant vie à l'intérieurdu miroir, dans le tableau des Menines de Velásquez.

Au second réveil, dans une famille sous-prolétarienne, le roi Basilio esttoujours représenté à l'intérieur du tableau des Ménines, mais cette fois sans sa cour,redéfinissant son pouvoir et prenant une forme céleste.

Au troisième réveil dans une famille bourgeoise, le roi Basilio a quitté letableau des Ménines pour s'intégrer désormais à l'intérieur même du réveil deRosaura, incarnant cette fois son mari petit-bourgeois, figure du pouvoir qui s'estcomplètement assimilé à son monde environnant.

Rosaura, épouse de Basilio, encore plus inadaptée à ce milieu, vit sans avoiraucun moyen d'action alors que derrière sa porte éclate la révolution de mai 68.

C'est lors de ce troisième réveil que pour la première fois elle se souvient deson rêve, celui où elle est au bord de la mort dans un camp de concentration etqu'elle prend conscience de son passé, de sa propre existence dans un système oùrègne un pouvoir totalitaire et aliénant à l'extrême.

Crois-tu (...),que l'on puisse faire un rêve,ne pas s'en souvenir,et avoir, par ce rêve, sa vie changée ?Crois-tu qu'un père puisse faire un rêvedans lequelil se voit aimer son fils,je ne sais sous quelle apparence,que ce soit du père lui-même jeune homme,ou d'un étrangerqui est le père du père (jeune homme)ou l'identification à soi de sa propre mère...Personnepas même moi, ne connaîtra jamais ce rêve.

« Qui je suis », Pier Paolo Pasolini, ed. Arléa,1995, p.54

Page 10: CALDERON - atjv.be · Calderon m'est apparu comme une grande métaphore de la condition humaine, et de la question de son devenir dans notre société. Sa forme extrêmement complexe

10

V. Les Ménines de Velázquez

Le tableau des Ménines représente l'infante Marguerite-Thérèse, sesdemoiselles d'honneur, ses précepteurs, deux nains, ainsi qu'un peintre, c'est-à-direVélasquez lui-même qui s'est peint dans le tableau.

Si notre regard remonte en diagonale à partir du chien à l’avant-plan, onremarque au fond de la pièce un miroir qui reflète l’image du couple royal. Cetteimage reflétée suggère donc que le couple royal se trouve à la place à partir delaquelle nous, spectateurs, observons le tableau.

Au 17ème siècle, les personnages importants se trouvaient au centre destableaux : il était donc impensable que le couple royal occupe une positionhiérarchique inférieure à ses sujets.

Vélasquez détourne ici la règle classique de la représentation de lahiérarchie, qui veut que le souverain en soit la figure centrale, pour mieux mettre enévidence son pouvoir : en effet, bien que la représentation ne place pas le souverainau centre du tableau (reflet dans le miroir au fond de la pièce), c’est sa présence(hors champ) qui conditionne entièrement l’événement décrit. Bien qu’extérieur à lascène, le couple royal est pourtant au centre de toutes les attentions.

Page 11: CALDERON - atjv.be · Calderon m'est apparu comme une grande métaphore de la condition humaine, et de la question de son devenir dans notre société. Sa forme extrêmement complexe

11

VI. Indications sur la pièce

Pasolini s'inspire de La vie est un songe de Pedro Calderon de la Barca,auteur espagnol du 17ème siècle, pour écrire son Calderon.

Cette pièce occupe une place singulière dans l'oeuvre de Pasolini, surgissantaprès une longue période d'aridité créative et de remise en question idéologique.

Il a perdu la foi dans le marxisme et dans l'existence d'une loi historique.La rédaction de Calderon débutera en 1965 et sera régulièrement remaniée

jusqu'en 1972. La pièce sera la seule éditée du vivant de l’auteur, en 1973.L'auteur la qualifiera comme étant sa meilleure réussite formelle.La mouvance intellectuelle de l'époque reprochera à la pièce de n'avoir

aucun point de vue politique.

N.B. Le titre Calderon, en plus de l'allusion à l'auteur de La vie est un songe,dont la pièce de Pasolini est un pastiche, renvoie aux mots italiens et espagnols :“calderone-calderon” signifiant chaudron. De même qu'en frioulant (dialecte italien),“calderon” signifie métaphoriquement l'enfer.

Pasolini et l'engagement

Adriano Sofri, le leader de Lotta continua (parti de gauche) a déclaré, lors dela sortie de la pièce, que “d'un point de vue personnel la tragédie l'intéresse tout demême, mais que d'un point de vue politique, il n'a pas de commentaire à faire, sonimportance est nulle, elle ne fait pas le poids”.

Voici la réponse de Pasolini à ce commentaire, où il explique sa positionquant à une quelconque valeur politique de son texte. Il oppose la valeur politique« particulière », propre à chaque époque et société à une valeur politique « générale »qui essaie de présenter le rapport au pouvoir tel qu’il existe toujours.

“La pièce de théâtre sur laquelle Adriano Sofri a prononcé son jugement“impersonnel” est de moi : elle s'intitule Calderon et elle est sortie ces jours-ci (maisje l'ai commencée en 1965, à vrai dire, pour la refaire plusieurs fois par la suite : ledernier apport important date de 1972).

Je suis certain que Calderon est une de mes plus sûres réussites formelles......Je ne veux pas défendre le “caractère politique” de Calderon. Une

lecture de mon texte à travers la grille de l'actualisme politique est une lecture,qu'en tant qu'auteur, je ne peux que considérer comme réductrice. Je désireraisplutôt, si la chose était possible, que la grille fût celle d'une politiqueplatonicienne, celle du Banquet ou du Phèdre (car l'ambition d'un auteur neconnaît pas de limites). Par ailleurs, je ne puis nier que les “évènements” deCalderon appartiennent totalement, surtout dans les derniers “épisodes”, à l'actualitépolitique. Si dans les deux premières parties, Rosaura se réveille du sommeilmétaphorique caldéronien dans un état “aristocratique” et “sous-prolétarien” (ens'adaptant ensuite à la réalité de ce réveil), dans la troisième partie, en se réveillantdans le lit d'une petite-bourgeoise de l'époque de la consommation, l'adaptations'avère beaucoup plus difficile pour elle ; elle en vit l'aliénation et la névrose(exemplairement) et assiste à un véritable changement de nature du pouvoir. Elleassiste, en outre, à la contestation de 1967 et de 1968, comme à un nouveau typed'opposition au pouvoir et à l'aube d'un nouveau siècle où la classe ouvrière n'a étéqu'un rêve, rien qu'un rêve. Les “discours” des personnages tournent doncnécessairement autour de ces thèmes d'actualité politique.

Or, en fait, dans mon drame, tout cela est contemplé (sur la base d'unefoi dans le caractère absolu des valeurs formelles), comme si j'étais un habitantdu cosmos ; et je comprends que cela puisse paraître inacceptable à quelqu'unqui serait engagé dans une lutte politique quotidienne, si donnant l'illusion quecette fois-ci est la bonne (exigeant donc un état d'urgence où tout lui seraitsoumis).

Je ne veux pas opposer une vision qui me serait propre et qui seraithistoriquement conditionnée par l'expérience, bien ou mal vécue, à celle deAdriano Sofri et de ses camarades. Je ne suis pas père, je n'ai pas voulu être père.Bien des fois, je suis au contraire dans la situation d'un fils, par rapport à ces jeunes,quand ils parlent comme des ministères publics, alors que moi, au lieu de me trouverà la place d'un sénateur, je suis assis au banc des accusés.

Malheureusement, je n'ai jamais su croire, ces dernières années, que nous

Page 12: CALDERON - atjv.be · Calderon m'est apparu comme une grande métaphore de la condition humaine, et de la question de son devenir dans notre société. Sa forme extrêmement complexe

12

étions vraiment dans l'imminence de l'Avent ; malheureusement, je n'ai pas vécu laveille d'une Révolution. Tant pis pour moi. Je sais bien que c'est manquerd'ingénuité, peut-être aussi d'amour. Par ailleurs, j'aurais eu horreur de revendiquerpour les “pauvres” l'appartement d'un immeuble avec frigidaire et vidéo, plusquelque chose de joyeux et d'extrêment flou, qui semblait être l'idéal de Lottacontinua (“prenons la ville”). J'ai eu le sentiment, justement ces dernières années, encontradiction avec tout, que la pauvreté n'était pas le plus grand des maux. J'ai plutôtcommencé à regretter désespérément la pauvreté, la mienne et celles des autres.

Calderon est donc un drame politique que Adriano Sofri et en généralles jeunes révolutionnaires n'entendent pas considérer comme tel. Je crois, demon côté, qu'il y a dans cette oeuvre des éléments de caractère politique quidevraient les intéresser et précisément dans la mesure où ils peuvent influer surl'action politique et le modifier.

Dans ces trois réveils, Rosaura se trouve dans une dimension entiérementoccupée par le sens du pouvoir. Notre premier rapport, à la naissance, est donc unrapport avec le pouvoir, c'est-à-dire avec le seul monde possible que la naissancenous assigne. Ceux qui, comme Rosaura, sont inadaptables ou mal adaptables, aulieu de vivre cette existence préconstituée en tant que “membre normal”, la vivent en“bouc émissaire” : Si Rosaura, au lieu de rester dans ces limbes réservées aux âmesmalheureuses et nobles, naïves et héroïques, avait pu avancer dans la conscience desoi et donc de ses propres droits, prenant une position polémique et mêmerévolutionnaire contre le pouvoir, elle n'aurait pourtant jamais pu éviter d'entreteniravec lui ce “rapport d'intimité” ...

Il y a en Basilio quelque chose représentant le pouvoir dans la pièce, unetotale identification avec sa propre fonction dans le dernier rêve. C'est le pouvoirbourgeois, mais il a le caractère absolu du pouvoir, quelle que soit sa qualification(pouvoir des Soviets ou pouvoir de l'Imagination). Aucun de nous ne peut espérers'en retrouver intact. Accuser les autres de quelque connivence avec le pouvoir, c'estexercer une forme (inconsciente) bien plus grave de pouvoir.

Les gauchistes pendant des années (“Gauchisme -dit-on dans Calderon-maladie verbale du marxisme!”) ont fait du pouvoir (appelé “système”) l'objet d'un“transfert” : sur cet objet, ils ont déchargé toutes les fautes, délivrant ainsi, par lemoyen d'un mécanisme extrêmement archaïque, leur “conscience malheureuse”petite-bourgeoise...

...On ne peut mener une lutte intelligente contre un ennemi considéré commeun crétin invétéré.

Les jeunes de Lotta continua ont donc été limités dans leur action politiquepar ces deux données : a) ils n'ont pas su ou voulu reconnaître ce quelque chosed'”intime” qui les liait au pouvoir, dans l'espace duquel ils sont nés et ils se sontéduqués, en conservant de nombreux caractères sous l'étiquette de pureté absoluequ'ils se sont naïvement attribuée ; b) ils ont prononcé sur le pouvoir un jugement apriori négatif de stupidité, qui a fini par retomber sur leur lutte.

Une méditation, non démagogique, sur ce qu'est réellement le pouvoir,serait fort utile à ces jeunes révolutionnaires, même en ce qui concerne l'actionpolitique immédiate, qui est la seule qu'ils considèrent (peut-être à juste titre)comme valable.

18 novembre 1973”

« Descriptions de descriptions », Pier Paolo Pasolini, traduction de René deCeccaty, Rivage Poche/bibliothèque étrangère, 1995, p. 133-137

Page 13: CALDERON - atjv.be · Calderon m'est apparu comme une grande métaphore de la condition humaine, et de la question de son devenir dans notre société. Sa forme extrêmement complexe

13

VII. Le langage et le corps

Le langage théâtral de Pasolini est un langage de chair qui, pour prendre touteson ampleur, doit inévitablement passer par le corps.

Les personnages luttent avec le langage, cherchent leurs mots et élaborentdevant nous, dans l'instant présent, leur pensée. Lutte permanente entre l'âme et lecorps, entre l'expression de l'être et le signifiant.

Le vers de Pasolini provoque des ruptures, des retenues, qui donnent unerythmique et une tension à la parole proférée.

A mon sens, c'est dans le silence du vers, dans la respiration de celui-ci que setrouve la vibration des mots et la vie du récit. C'est pourquoi le travail de recherches'est axé essentiellement sur cette respiration organique qui structure le texte, et aussisur le langage spécifique que Pasolini attribue à chaque personnage : ce qui définitleur statut social et influe leur personnalité et leur énergie propre.

Le vers

Le vers pasolinien, c'est-à-dire l'obligation de prendre le temps de larespiration à chaque passage à la ligne, est une organisation du texte supplémentaire àcelle que détermine la ponctuation, sans la contredire.

La ponctuation donne la structure grammaticale du texte, elle l'organise demanière à donner le sens ; le vers donne le rythme organique de la profération dutexte.

“Organique” parce que, étrangement, la présence du vers interdit de ponctuerle texte par la respiration, c'est-à-dire de marquer les virgules et de s'arrêter au pointpour respirer. Il y a donc d'une part la ponctuation qui articule la pensée, le sens, etd'autre part le vers qui rythme la respiration, la présence du corps. Cette interdictionfaite au corps de reproduire la ponctuation écrite dans le dire fait du texte pasolinienun langage construit et vivant, “vivant” au sens du souffle, de l'énergie de celui qui ledit.

Exemple de vers

RosauraJe voudrais vous aimer encore...

SigismondAs-tu...as-tu jamais lu à l'école cette piècede Calderón qui s'appelle La vie est un songe?

RosauraJ'en ai seulement entendu parler.

SigismondIl y avait un roi, un prophète, qui avait lu dans le futurque son fils (Sigismond, comme moi, le hasard, tu vois?)le tuerait. Il le fit alors enfermer dans une tour,enchaîné, le tenant éloigné de la vie comme un monstre.Mais un jour, le roi se repentit. Et il voulutfaire une expérience, pour vérifier ses prophéties.Il fit libérer son fils, après l'avoir fait endormirprofondément avec de légendaires narcotiques,il le fit se réveiller au Palais Royal, dans un litextraordinaire, tout de lin et de brocarts. Pour Sigismond,cela était un rêve, évidemment. Dans le rêve, cependant,il vit une femme, dont il tomba amoureux. Le rêve devaitavoir une fin (et de fait, Sigismond réendormifut de nouveau enfermé dans sa tour) : le rêve devait avoir une fin,mais non cet amour. Dans le nouveaurêve, un sentiment persistait. Qu'est-ce qu'ila voulu dire par là, Calderón ?

Page 14: CALDERON - atjv.be · Calderon m'est apparu comme une grande métaphore de la condition humaine, et de la question de son devenir dans notre société. Sa forme extrêmement complexe

14

VIII. Propos scéniques

Rosaura

Pasolini maintient volontairement Rosaura dans un discours qui ne la met pasen prise directe avec le pouvoir, lui conférant une position naïve et héroïque. Elle estincapable d'avancer dans la conscience d'elle-même et n'a aucun contrôle sur le tempset les évènements.

Cette position passive provoque chez les autres protagonistes des vies qu'elletraverse des déséquilibres et des remises en questions.

Rosaura sera jouée par la même comédienne tout au long de la pièce.Elle se trouvera sur un lit, au centre du plateau, sans jamais pouvoir le quitter.

Ceci pour mettre en exergue le côté aliénant et enfermant de sa condition. Ce n'est quelorsqu'elle se souviendra de son dernier rêve, dans un camp de concentration, aumoment où elle reconnaît “sa vraie vie”, qu'elle mettra le pied à terre et investiral'espace.

Le pouvoir

Pasolini impose le tableau des Ménines de Velásquez comme toile de fondpour y faire évoluer, de façon incertaine, le pouvoir incarné par Basilio, et signifier,dans un premier temps, sa forme ancestrale. Image fixe, qui se détériore, parle etgémit.

Celui-ci sera présent sur le plateau dès le début du spectacle.Je souhaite qu'il soit une entité autonome, omniprésente, agissant à l'intérieur

et à l'extérieur des réveils de Rosaura.Le pouvoir cherchant à se redéfinir, s'inspirera des vies ou rêves de Rosaura

pour se comprendre et se recréer, non semblable à lui-même, mais différent, c'est àdire en pleine connaissance des codes du monde sur lequel il agit.

Basilio, émanant du tableau qui se trouvera en arrière plan, se redéfinira tantdans sa forme que dans son discours, quittant son espace pour investir celui deRosaura. La représentation des autres protagonistes du tableau sera prise en charge parles autres comédiens.

Les autres personnages

On observe de rêve en rêve des similitudes dans les noms de certainspersonnages différents.

Sigismond par exemple, incarne le père naturel de Rosaura dans le premierréveil, le père de son fils dans le deuxième et devient le grand-père dans le troisième.C'est ainsi que Pasolini franchit les barrières des tabous. C'est pourquoi les comédiensinterprèteront plusieurs personnages afin de créer ces liens de rêve en rêve.

Tous les personnages prenant leur existence dans les réveils de Rosaura serontprésents sur le plateau. Ce sont eux qui, le temps d'un réveil, imposeront à Rosaura lesdiktats de son existence.

Ils surgiront et disparaîtront dans l'espace de Rosaura comme les évènementspeuvent surgir et disparaître dans nos rêves.

Je désire par ce biais susciter un questionnement chez le spectateur : Qui rêvede qui ? Où se trouve la réalité de ce que nous voyons ? Qui confirme l'existence del'autre ? Où se trouve le personnage central du récit ?

Rosaura est bien à la recherche de son passé et de son identité, mais chacun icise sert de l'autre, pour se définir ou se redéfinir.

Page 15: CALDERON - atjv.be · Calderon m'est apparu comme une grande métaphore de la condition humaine, et de la question de son devenir dans notre société. Sa forme extrêmement complexe

15

Notre premier rapport, à la naissance est unrapport avec le pouvoir, c'est-à-dire avec leseul monde possible que la naissance nousassigne.

Pier Paolo Pasolini