Cahiers Pedagogiques 429

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janvier-février 2005, 60 e année, 10 429-430 cahiers pédagogiques changer la société pour changer l’école, changer l’école pour changer la société Dossier 1 Dossier 2 Cette fameuse motivation De la retraite « Donner autant à ceux qui ont moins » une interview de François Dubet Exemplaire réservé : LOQUET CASSANDRE

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Cette fameuse motivation

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Page 1: Cahiers Pedagogiques 429

janvier-février 2005, 60e année, 10 429-430

cahierspédagogiquesc h a n g e r l a s o c i é t é p o u r c h a n g e r l ’ é c o l e , c h a n g e r l ’ é c o l e p o u r c h a n g e r l a s o c i é t é

Dossier 1

Dossier 2

Cette fameuse motivation

De la retraite

« Donner autant à ceux qui ont moins » une interview de François Dubet

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Sommaire, n° 429-430, janvier-février 2005

Coordonné par Jean- Michel Zakhartchouk

Coordonné par Jacques George et Marie-Claude Grandguillot

Couverture : Élisabeth Dubois. Illustrations : Dum (dossier 1), Isabelle Maury (dossier 2).

Cette fameuse motivation

De la retraite

Éditorial, Jean- Michel Zakhartchouk : Les raisons d’un nouveau dossier ................................................................6

1. « Motiver », qu’est-ce que cela veut dire ? Entretien avec Roland Viau : .......................................................................... 7Jacques Lecomte : Trois clés ..........................................................................10

Robert-Vincent Joule : La pédagogie de l’engagement .................11

André Antibi : Un redoutable frein : la constante macabre .........14

Stéphanie Leloup : Pourquoi s’ennuient-ils ?.. ....................................15

Françoise Clerc : L’illusion de la motivation ......................................... 17

2. Se construire un projet Elisabeth Bergé : Un projet d’écriture en lycée professionnel .. 18

Claire Bihan : Du foot à la citoyenneté ..................................................19

Michaël Nachon et Nathalie Wallian : Les « sports co » motivent ? Pas si évident ! .......................................21

Olivier Dargent et Géraldine Dargent : Objectif Mars ..................... 22

Béatrice Jouin : Quand le vilebrequin tourne… ................................ 24

Emmanuel Weiss : Trois projets interdegrés en REP ....................... 26

Emmanuelle Avignon, Julien Fadat : On va vous prouver qu’on peut le faire ! ........................................... 27

Catherine Wagnon-Favoreel : Un projet à vivre en classe primaire spécialisée ................................28

Marie Anne Aïdekon, Catherine Leduc-Claire : Des BEP se forment en Afrique .................................................................30

3. D’autres façons de travaillerMichel Calmet : Combats « à mémoire » ................................................32

Jacky Arlettaz : « Allez les petits ! » ....................................................... 35

Pierre-Stéphane Proust : Belles lettres en maternelle .....................36

Denis Sestier et Yvan Hochet : Jouer ou travailler : faut-il vraiment choisir ? ................................... 38Cinq témoignages ..............................................................................................40

Évelyne Marchand : Apprendre pour faire apprendre ................... 44

4. Les nouvelles technologies motivent-elles ? Denis Fabé : http://www.motivation.classe ...........................................46

Maryline Gimbert : L’ordinateur n’a rien perdu de son attrait .. 48

Fabien Fenouillet : L’informatique motive-t-elle ? ............................50

5. Estime des autres, estime de soiBrigitte Prot : Chercher des points d’appui ..........................................51

Marie-Dominique Kaddour et Catherine Léon : Double tutorat au collège Gustave Flaubert ......................................53

Eric de Saint-Denis : Du décrochage scolaire à la réussite au bac . 55

Gardy Bertili : Comment limiter les dégâts ? .......................................57

Marie-Odile Dugray : Mais si, vous pouvez réussir ! ..........................58Martine Bellouard : Surprendre, valoriser, aider à apprendre .....60

Christine Vallin : On devrait réfléchir à tout ça avant ................... 62

Dominique Moinard : Interdit de dire « j’y arrive pas ! » ...............63

Laure Laborde : « C’est incroyable… JE RESPIRE ! » .........................64

Bibliographie ........................................................................................................66

6. Textes proposés sur le site www.cahiers-pedagogiques.comEric de Saint-Denis : le raccrochage scolaire au micro-lycée de Sénart • Brigitte Rollet : L’évitement d’effort • Serge Boimare : Peur d’apprendre et médiation culturelle • Philippe Perrenoud : Travail du sens et sens du travail à l’école • Rolande Hatem : les effets-miroir de la motivation

Odile Veslin : Une saveur unique ................................ 67Editorial Marie-Claude Grandguillot et Jacques George : Les retraites et la société............................................ 69Christiane Chassagne : Plaisirs et regrets ................... 70Jacques Carbonnel : Ceux qui changent tout, ceux qui ne changent rien…...................................... 71Chantal Cambronne : Tout recommence à la retraite .................................. 71Entretien avec Christine Garçon : L’université du temps libre de Gap............................ 73Élizabeth Thuriet : Où l'on reparle de méthodes de travail… ................ 73Jeanne Moll : Continuer sur sa lancée........................ 74Odile Veslin : Un parfum de gratuité ......................... 77Catherine R. Thomas-Anthérion : Comment vieillissent les enseignants ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79Yvon Robert : Jouer sur les fonctions et sur les tâches .................... 81Blandine Triplet : Envie d'autre chose…..................... 83Xavier Gaullier : Un vrai programme ......................... 84bibliographie ............................................................... 84

BILLET DU MOIS :Gerard Giraud : Lapsus ou ignorance ?

ACTUALITÉS ÉDUCATIVES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1

Entretien avec François Dubet : Donner autant à ceux qui ont moinsMarie-Christine Chycki : Sur mes cahiers d’écolier, j’écris ton nom, Liberté…

L’ÉCOLE DE CHARB . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4

DOSSIER 1 - Cette fameuse motivation . . . . 5

DOSSIER 2 - De la retraite . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67

FAITS ET IDÉES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85

Jean-Pierre Garel : Apprendre, coopérer, réussir : l’apport de l’EPS

Jean-François Marcel : Équipe le moins, peut le plusMichèle Costard : Projet d’un CDI citoyen

DES LIVRES POUR NOUS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91

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Billet du mois

« Cent minutes pour convaincre », 19 novembre 2004 : notre ministre expose ses grandes orientations pour l’école. Olivier Mazerolle, le présentateur, aborde la question des TPE. Voulant bien faire, il cherche à expliciter le sigle : « travaux pratiques encadrés », hésitant, les yeux scotchés sur un feuillet que l’on voit trembler. C’est pas bien, monsieur le journaliste, de venir en cours sans connaître sa leçon.

On attendait une prompte et souriante réaction du Super ministre, le vrai spécialiste (sinon, pourquoi l’aurait-on nommé là ?). Calme plat. Sans sour-ciller, il laisse passer l’approximation avec indulgence, portant au crédit de l’impopulaire Claude Allègre l’invention de ce dispositif exotique. Mais qu’ils soient « pratiques » ou « personnels » importe peu : on comprend qu’ils constituent en eux-mêmes une quasi-erreur à corriger d’urgence. Il suffit pour cela de les déclarer « intéressants » tout en les privant d’enjeu.

Poursuivant, le ministre précise avec force qu’il a pris la décision de « les maintenir en 2de en en 1re ». Patatras : il n’y a pas de TPE en 2de… Le profes-seur Fillon voulait-il vérifier que la classe suivait (l’astuce est aussi vieille que les punitions collectives) ? On se prend à se féliciter d’avoir allumé le téléviseur : qu’est-ce qu’on rit ! Le ministre insiste : il faut supprimer les TPE en terminale pour redonner leur place aux matières fondamentales comme le français. On suppose qu’il suggère en réalité de supprimer aussi les TPE en 1re puisque c’est là que les élèves passent leur épreuve anticipée… Allez, transformons les TPE en IDD pour les trouver « très bien » en 2de et en 3e. Mais attention à ne pas gêner le « brevet des collèges » !

Plus tôt, il avait fait du CE1 la première année du primaire. Il citera ensuite les BTS comme « formation universitaire ». Il pensait sans doute aux DUT. On se dit alors que le comique n’est peut-être pas volontaire. Emporté par la passion et voulant citer « les bac », il s’exclame enfin « le bac scientifique, le bac littéraire et euh, euh… le bac économique ». Les bacheliers technolo-giques et professionnels, eux, rient jaune. Finalement, contré par le journa-liste Alain Duhamel sur le sujet des inégalités à l’école, il ne sait que lui demander… ce qu’il a à proposer lui-même !

Un conseil, monsieur le ministre : avant de faire la leçon, on ne se contente pas de relire le résumé du chapitre… Et savez-vous ce qui vous pend au nez ? C’est que les enseignants vous retournent l’appréciation qu’ils réservent aux élèves dilettantes : « Vous avez des capacités mais vous ne semblez pas motivé par votre travail. Ressaisissez-vous : vous en avez les moyens ! » Un public moins bienveillant ne manquerait pas de se demander qui vous a préparé à donner des réponses sans connaître les questions… qui sont au programme.

Lapsus ou ignorance ?

Gerard Giraud, académie de Versailles

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L’école peut mieux faireLe mensuel Alternatives écono-miques consacre son dossier centralde décembre 2004 à « L’échec del’école pour tous » et détaille lesmesures proposées pour luttercontre les inégalités : l’appréciationest plutôt négative. Au lieu deréduire les inégalités, les pratiquesde la majorité des enseignants etl’orientation les renforcent, et l’ef-fort en direction des publics lesmoins favorisés demeure faible.Certaines mesures du plan Fillon,dont l’origine remonte en réalitéplutôt au précédent gouvernementet à Jack Lang en particulier, vontmême accroître les inégalitéssociales : la mise en place de la nou-velle 3e par exemple.Le dossier dans son ensemble offreune analyse nuancée et complète,étayée par des statistiques, avec desarticles sur le niveau (qui monte tou-jours), une analyse des accusationsportées contre l’école qui serait res-ponsable, en partie, du chômage, etune proposition : puisque le nombred’élèves a explosé entre la SecondeGuerre mondiale et le milieu desannées quatre-vingt-dix, et quemaintenant le mouvement semble àl’arrêt, s’il était temps de passer à laqualité?

Le site d’Alternatives économiques(achat au numéro et abonnementen ligne) : http://www.alternatives-economiques.fr

Mettez vos pas dansceux de TélémaqueCe joli nom désigne un fonds debibliothèque composé de livres de lit-térature de jeunesse et de livresdidactiques. On peut le consulter enligne, de même que le fonds de litté-rature jeunesse de l’« Atelier du livre »de Melun, ainsi que les fonds docu-mentaires des quatre centres duréseau CRDP de l’académie de Créteil.Le sommaire de l’espace Télémaquevous donne accès à des fiches péda-gogiques, bibliographies, comptesrendus d’animations, exemples depratiques, répertoires d’adresses,références officielles.Le secteur « animation pédagogique »constitue des mallettes thématiques(livres de littérature de jeunesse, livresdidactiques, dossier d’accompagne-ment pédagogique), destinées au prêt.

http://www.crdp.ac-creteil.fr

Droits partagés, desdroits de l’homme auxdroits de l’enfantEn constituant une base de donnéesqui réunit les documents multimédiade 1789 à nos jours, recueillis dansdes sources publiques ou privéessouvent difficiles d’accès - docu-ments princeps, textes juridiquesnationaux et internationaux, docu-ments historiques et contemporains,textes philosophiques et littéraires -ce site veut répondre au besoin de

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INFOS - PUBLICATIONS

1les cahiers pédagogiques n° 429-430, janvier-février 2005

— Dans votre récent livre L’école des chances1,vous développez l’idée de l’équité comme moyenindispensable pour parvenir à l’égalité effective.Pouvez-vous préciser ce point ?— L’égalité des chances construit une com-pétition unique et neutre, suffisamment pro-tégée des inégalités sociales pour que laréussite ne tienne qu’au mérite et aux com-pétences des individus placés dans les mêmesconditions de formation. La notion d’équité,elle, part de l’idée que, en réalité, l’offre sco-laire n’est pas homogène et que les élèvessocialement différents ne sont pas dans dessituations identiques. Pour tendre vers cetidéal d’égalité des chances, il faut dès lorspratiquer l’équité, répartir les moyens pourfavoriser les défavorisés. Alors que l’écolefrançaise fonctionnait selon un modèle théo-rique d’égalité des chances, nous découvronsque, dans une société inégalitaire, non seu-lement l’école reproduit les inégalités, maisaussi qu’elle en « rajoute une couche » car ellene parvient pas à proposer la même offre sco-laire à tous. La carte scolaire, par exemple,renforce la ségrégation sociale et spatiale dansla mesure où ceux qui le peuvent « fuient »les zones difficiles et que les parents ne sontpas informés de façon égale sur les jeux desfilières. De façon générale, plus les élèves sontbons, plus ils suivent des études qui coûtentcher à la collectivité, or ils ont aussi degrandes chances d’être issus de milieux rela-tivement favorisés. C’est ainsi que, si l’onne va pas contre les tendances naturelles dusystème, on favorise les favorisés.Ajoutons que le système de l’égalité deschances, même quand il fonctionne bien,peut être très dur pour les perdants qui peu-vent se sentir coupables de ne pas réussir,alors que les vainqueurs ont toutes les rai-sons de croire naïvement en leur légitimité.— Que pensez-vous à cet égard de la fameuse« discrimination positive » ?— Avant de penser discrimination positive,il faudrait commencer par donner autant àceux qui ont moins et éviter la discriminationtout court ; la qualité de l’offre de forma-tion devrait être identique partout.On parle beaucoup des effets pervers de ladiscrimination positive, des ZEP parexemple, et il est vrai qu’il peut y avoir desphénomènes d’assignation qui amènent debons élèves à fuir l’école classée en ZEP. Ilfaut aussi réfléchir aux effets de seuil ; quandon est juste au-dessus de ceux qui bénéficientde moyens spécifiques, on peut se sentir

injustement traité. Il y a aussi le risque devoir les individus obligés de s’affilier à ungroupe pour bénéficier de moyens discrimi-nants. Cependant, il faut développer lesmesures pour ceux qui ont moins, à la foissur le plan collectif et sur le plan des indivi-dus. Rappelons que si l’on considère unepopulation d’enfants d’ouvriers et d’enfantsde cadres, l’écart est toujours plus grand àl’intérieur de chaque catégorie entre bonset moins bons qu’entre les deux catégories.Il faut donc cibler les moyens sur les indivi-dus, aider à la carrière scolaire des « bons »élèves de milieux moins favorisés, même s’ilfaut trouver des situations les plus adaptéescar il n’est pas simple de se retrouver parfoisdans des lycées d’élite quand on vient d’unquartier populaire. Or, notre système gèredavantage des flux que des individus en rai-son de sa croyance selon laquelle l’égalité estl’égalité des procédures.— Vous défendez avec vigueur l’idée de soclecommun de connaissances et compétences.Pouvez-vous expliquer pourquoi ?— Imaginons qu’on ait atteint l’égalité deschances, nos obligations vis-à-vis des « vain-cus » de la compétition scolaire restent entières.Tout le monde doit pouvoir bénéficier d’uneculture générale commune. J’assume parfai-tement l’idée de SMIC culturel, rejetée parcertains avec des arguments étranges, commele slogan paradoxal de l’excellence pour tous:s’il y a excellence, il y a forcément des moinsexcellents et on ne leur doit guère quand onleur a proposé l’excellence!— Que répondez-vous à ceux qui affirment quele socle commun avalise les inégalités, crée uneécole à deux vitesses, etc. ?— Mais celle-ci existe actuellement ! Il y aune vaste hypocrisie qui veut nous faireoublier que c’est l’école actuelle qui est à plu-sieurs vitesses et qui est ségrégative. En prin-cipe, le socle commun est une manière des’opposer à cela puisqu’il suggère que lasélection commence après que les élèves onttous atteint ce socle. Certains reprochent ausocle tel qu’il apparaît dans le rapport Thélotde manquer d’ambition. Qu’ils se battentpour plus d’ambition au lieu d’être a prioricontre ! On dirait plutôt que ceux qui ontactuellement des avantages de réussite déci-sifs refusent toute atteinte à ces privilèges,tout déplacement du curseur, et il y a unesorte d’alliance des classes moyennes pour

François Dubet : «Donner autantà ceux qui ont moins»Entretien avec François Dubet, professeur de sociologie à l'université de Bordeaux,membre de la commission Thélot.

1 François Dubet, L’école des chances, Seuil, La République des idées, 96pages, 2004 (Recension à venir).

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connaître et de comprendre le com-bat ininterrompu pour la défense desdroits de l’homme et les valeurs quil’animent.

droitspartages. net propose une trèsriche documentation multimédiamais aussi des séquences pédago-giques, dans un esprit de pédagogieouverte et interactive et de mutuali-sation des expériences. Il concerneles programmes des classes du pri-maire à la terminale. Il est réalisédans un cadre associatif, l’objectifétant que le site et la base restentaccessibles gratuitement à tous lesmembres du secteur éducatif et desassociations d’éducation populaire.

La Ligue des droits de l’homme aconçu Droits partagés, des droits del’homme aux droits de l’enfant pourrépondre aux attentes des ensei-gnants. Soutenu par des partenairesinstitutionnels et associatifs, ce projetest réalisé en coproduction par l’asso-ciation « Droits partagés » et par lesCeméa. Il a besoin du soutien de tousles militants pédagogiques pour êtreconstamment actualisé et revivifié.

Site : droitspartages. net - Courrier :[email protected]

Le Dalloz des jeunes etle poids du cartableLes très sérieux codes Dalloz s’enri-chissent d’une nouvelle édition duCode Junior, guide complet des droitset obligations des moins de 18 ans,par Dominique Chagnollaud, avecmise à jour des dernières dispositions(lois, circulaires Éducation nationale,jurisprudence…) et une présentationclaire du fonctionnement de la justi-ce. Peut-on ouvrir le courrier de sesenfants? Que risque un jeune quitélécharge de la musique surInternet? Et même le poids maxi-mum autorisé du cartable…

[email protected]

De Mexico à Berlin,l’éducation est-elleperformante?Il ne se lit pas comme un romanmais c’est une référence indispen-sable : le recueil de statistiquesannuelles de l’OCDE, Regards surl’éducation, est paru en sep-tembre 2004. Il propose une batteried’indicateurs sur les systèmes éduca-tifs, leurs performances, les investis-sements en ressources humaines etfinancières qui leur sont consacrés,leur fonctionnement, leur évolution.

http://www.oecd.org

Idéographix etExographixCe ne sont pas les noms de nouveauxcopains d’Astérix, mais de très sérieuxlogiciels mis au point par l’AFL,Association française pour la lecture.

Idéographix est un logiciel ouvertqui comprend un module à destina-tion de l’enseignant (bureau de lec-

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2 les cahiers pédagogiques n° 429-430, janvier-février 2005

ne rien changer à l’existant. On n’entend pra-tiquement jamais les premiers concernés (lesclasses populaires) qui ne se donnentd’ailleurs pas le droit de parler puisqu’ils ontéchoué à l’école. Actuellement, s’ajoute auscandale de la reproduction sociale (lesenfants d’ouvriers deviennent le plus sou-vent ouvriers) un second scandale : l’écoleparvient à persuader ceux qui échouent qu’ilsn’ont aucune légitimité pour se saisir desquestions scolaires puisque leur orientationrésulte de leur indignité scolaire.— Mais pour réaliser l’objectif du socle com-mun, il y a forcément à travailler sur la péda-gogie. Souvent, vous vous dites incompétent enla matière, mais peut-on faire abstraction de lapédagogie ?— Une chose me paraît évidente : plusl’école sera efficace, plus elle sera juste. Ondoit cette efficacité aux élèves les plus défa-vorisés. Quel doit être le rôle du ministère?Certainement de dire quels sont les objectifs,de gérer les moyens et de s’assurer de la réa-lisation des objectifs. Mais je ne suis pas cer-tain que le rôle de l’État soit d’intervenir dansla pédagogie qui devrait être l’affaire des per-sonnes compétentes. On sait aujourd’hui cequi marche : le travail en équipe, la présenceaccrue dans l’établissement, la continuité del’instruction et de l’éducation… Le minis-tère doit créer les conditions de ce travail plu-tôt que de rétablir la punition collective.Une des raisons qui me font défendre le rap-port Thélot, même si je n’en approuve pasla totalité, c’est qu’il résiste à la vague actuellede nostalgie et de tentation réactionnaire. Iln’y est pas question de « restauration de l’au-torité » et de sélection précoce ; il va un peuà contre-courant. Le monde de l’éducationqui était historiquement progressiste est

actuellement envahi par une idéologie rétro-grade (renforcement de l’arsenal disciplinaire,rejet des parents, etc.) par une idéologie dusauvetage; les « lettres » et les savoirs d’abord!— Comment expliquez-vous ce gouffre nostal-gique ?— Je ne suis pas certain que l’opinionpublique soit aussi nostalgique que le sontles enseignants. Nous sommes dans un paysoù l’identité républicaine a été forgée parl’école. Les enseignants ont été les agentsde cette fonction sacrée. Le changementactuel est moins vécu comme une mutationque comme une catastrophe. Tout un imagi-naire professionnel en est déstabilisé. Maisil y a un paradoxe : alors que cet imaginairea été largement forgé par les instituteurs,ceux-ci se sont mieux adaptés aux change-ments que les professeurs du secondaire. Uninstituteur pense que sa légitimité profes-sionnelle vient de sa capacité pédagogique,alors qu’un professeur est toujours tenté defonder sa légitimité sur ses savoirs, or ceux-ci ne suffisent plus dans une école de masse.— Mais est-ce qu’on ne peut pas espérer deschangements venant des nouveaux enseignants,qui seraient plus pragmatiques, plus prêts à évo-luer, comme cela ressort du récent livre de VanZanten et Rayou?— Le problème est surtout celui de la res-ponsabilité politique. Le monde enseignantest comme il est, à la fois généreux et scep-tique. Mais tout se passe comme si personnene contrôlait le système éducatif. Les syndi-cats majoritaires ont une responsabilité danscette impuissance qui dure depuis plusieursdécennies. Ceci peut rendre pessimiste.— À côté de ce pessimisme de la raison, ne peut-il y avoir quand même un « optimisme de l’ac-tion » pour reprendre la formule de Gramsci ?

Célébrer le centenaire de la loi de 1905? Ne pas rester silencieux dans un débat qui agitele monde enseignant et la société française? Sans doute, mais pas seulement. S’il est impor-tant de clarifier ce que ce principe implique pour le fonctionnement de l’école face à desconflits comme celui du « voile islamique », il fallait aussi, vingt-trois ans après le der-nier dossier des Cahiers sur ce thème, reconsidérer les évolutions au long cours.

Ce dossier prend le temps d’analyser la notion de laïcité dans le contexte actuel, de laconsidérer sous divers angles et regards, y compris celui de représentants des « grandes »religions. Il veut ensuite explorer les situations diverses, en allant voir sur le terrain com-ment s’enseigne, se vit et se cherche cette valeur essentielle, de l’école au lycée, du coursd’histoire à celui de philo en passant par l’enseignement des SES ou de l’arabe, et par lavie scolaire au quotidien.

Donnant la parole à des points de vue contrastés sur la laïcité, ce dossier n’est pas neutrepour autant. Il affirme que l’école laïque doit à la fois faire vivre ensemble tout un mondede différences sans pour autant que chacun abdique ses valeurs essentielles, et travaillerla capacité des élèves à distinguer le croire et le savoir, à développer une approche ration-nelle du monde.

Une telle ambition ne laissera pas le lecteur indifférent !

Dossier coordonné par Patrice Bride, Hervé Dupont, Élisabeth Thuriet.

N O T R E P R O C H A I N N U M É R O mars 2004 - n° 431

La laïcité à l’école aujourd’hui

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ture avec outils d’investigation dansles textes, traitement de textes etapproche lexicologique) et un autre,Exographix, pour les élèves : quaran-te exercices sur le texte, la phrase, lemot. Niveaux concernés : cycles 2 et3, collège, formation d’adultes.

Le logiciel est conçu pour que l’ob-jectif ne soit pas d’arriver au résultatn’importe comment, mais de s’en-traîner en diminuant le recours auxaides et le temps d’effectuation.

Version de démonstration sur lesite : http://www.lecture.org

Petite poche et lecteursdébutantsLes éditions Thierry Magnier (rueRicher, Paris) proposent une collectionPetite poche destinée « aux débutantslecteurs qui aiment lire ». Plusieurs deces romans ont été sélectionnés pourle prix Tam Tam ou celui desIncorruptibles. Un CD a été enregistréavec la lecture de quatre des romansde la collection par des comédiens.

Contact : Amélie Annoni [email protected]

Orientation, conseil declasse… quelles valeurs,quelles pratiques?« Éducation & Devenir » a publié enoctobre 2004 le n° 3 de ses Cahierssous le titre « Pour une politiqued’orientation en établissement sco-laire », premier volet de deux numé-ros consacrés au problème central del’orientation. Ce premier cahierattache une importance particulièreau conseil de classe ; il sera suivi d’unautre, consacré, lui, aux enjeux poli-tiques de l’orientation et aux poli-tiques nationales et académiquesmises en œuvre. On y trouvera desarticles de fond, des témoignages etdes fiches techniques qui affichentbien sûr les valeurs de cette associa-tion, mais sans les figer dans desmodèles rigides : des points de diver-gence apparaissent entre certainsarticles de fond ou témoignages. Cecahier se veut un outil au service,non seulement des adhérents etabonnés à E & D, mais aussi à celuides parents, des professeurs, des per-sonnels d’éducation et d’orientation,des chefs d’établissements qui veu-lent s’emparer de l’autonomie queconfère la loi aux établissements.

Sommaire : http://education.deve-nir.free.fr/cahier3_or. htm « Pour une politique d’orientationen établissement scolaire »Cahier d’Éducation & Devenir, n° 3,12,50 €. Tél. : 0491612262 Fax :0491100734 e-d@worldonline

Existent-elles?Prenant au sérieux la question despratiques interdisciplinaires, Argos,la revue des BCD et CDI, repose laquestion une fois de plus dans son

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3les cahiers pédagogiques n° 429-430, janvier-février 2005

— Il est bien évident que le métier d’ensei-gnant se transforme, en même temps quel’imaginaire de l’école reste figé et entraînedes crispations croissantes. C’est pour celaque les gens sont malheureux. On ne peutpas vivre éternellement dans un grand écartentre ce que l’on fait et ce que l’on déclare.On s’aperçoit en outre qu’un grand nombred’élèves « ne veulent plus jouer », ne tra-vaillent pas, deviennent violents, exercent unemploi pendant leurs études car ils ont l’im-pression de se former là davantage qu’àl’école, ce qui est très inquiétant. On peutavoir le sentiment d’un délitement derrièreun décor de grands principes. L’école n’estpas responsable de tout, mais elle a ses res-

ponsabilités propres et je trouverais regret-table qu’elle s’enferme derrière le rejet desresponsabilités sur « les autres », refusant ainside se transformer.Mais bien sûr, on peut agir. Et si je crois qu’ily a des choses à faire, c’est d’abord grâce àdes gens comme vous. Dans tous les établis-sements de France, on sait bien qu’il y a dela générosité, de l’enthousiasme, de l’éner-gie. Même si ce n’est pas très facile pour ceuxqui innovent, qui veulent faire bouger leschoses et se retrouvent aussi seuls dans lasalle des profs que face à l’administration.

Propos recueillis par Philippe Watrelot etJean-Michel Zakhartchouk, novembre 2004.

Parmi les 14 propositions de F. Fillon - tellesqu’elles nous ont été communiquées débutdécembre 2004 - l’une, particulièrementlourde de sous-entendus, laisse perplexe : « leprincipe de la liberté pédagogique sera inscritdans la loi ». Est-ce à dire que jusqu’à pré-sent, les enseignants français vivent sous unecontrainte telle que l’on juge nécessaire degarantir leur liberté ?Quelles sont ces forces qui « dans la classe »font obstacle aux initiatives des enseignants?Ce pourrait être les programmes : mais il vade soi qu’il n’est pas question de les ignorer :« La Nation […] fait confiance aux enseignants[…] pour répondre aux objectifs fixés par l’É-tat. » Je croyais - naïvement sans doute - quec’était ce que je vivais depuis trente ans quej’enseigne…Ce pourrait être l’inspection dont les visites- plutôt rares dans le second degré, certes unpeu plus fréquentes dans le premier degré -sont encore trop souvent synonymes destress. Va-t-on faire droit à nos anciennesrevendications visant à promouvoir une éva-luation du travail des enseignants moinsponctuelle et arbitraire? Plus centrée sur unecoformation et moins sur une distributionaléatoire d’avancement ? Ce serait à souhai-ter, mais les propos du ministre recueillisdans une interview 1 sont hélas tout autres :« L’enseignant pourra adapter sa pédagogie àsa classe et à sa propre expérience. Mais il y aune contrepartie : l’évaluation de l’efficacité desa méthode par l’inspection » et le ministrerajoute : « Je trouve incohérent que l’on sanc-tionne un professeur au motif que sa méthode neserait pas dans le moule. Ce qui compte, ce sontles résultats. » On comprend bien ici que l’ef-fet Le Bris joue à plein et qu’il ne fallait rienmoins qu’une loi pour « libérer » les institu-

teurs victimes des recherches pédagogiquesmenées depuis plusieurs décennies… etqu’un appel à l’inspection pour mesurer leurefficacité.Mais qu’en sera-t-il du devenir des élèvesd’une classe à l’autre ? D’un cycle à l’autre ?Passeront-ils du tâtonnement expérimentalde l’un au cours dicté de l’autre ? Dans laréalité des pratiques, cette belle promessede liberté ne tient pas : le ministre le préciselui-même : « Cela suppose aussi de formaliserdavantage le travail pédagogique en équipedans l’établissement. » À cet effet, est pro-posée la mise en place d’un « conseil péda-gogique »2.Au nom du pragmatisme, on flatte donc laconception libérale du métier d’enseignant,seul maître dans sa classe, et on marginalisela recherche pédagogique. Dans le mêmetemps apparaît un outil destiné à développerle travail en équipe et à harmoniser les pra-tiques… Que faut-il croire ?Enfin, faudra-t-il que les enseignants quivoudraient faire vivre sérieusement ce« conseil » soient plus présents dans l’éta-blissement ? Et sur quel temps ? Mais biensûr ce serait faire injure au corps enseignantde croire qu’il ne compte pas déjà dans sonemploi du temps des moments d’intenseconcertation…

Marie-Christine Chycki, enseignante en lycée, Rennes

Sur mes cahiers d’écolier, j’écriston nom, liberté…

1 In Document de travail soumis à consultation par le ministre,novembre 2004.2 Avant-projet de loi du 25-11-2004. Article L 421-4-1.

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APPEL À CONTRIBUTIONSnuméro de septembre 2004 : « lescompétences transversales existent-elles ? » Réponse demandée à MichelCaillot (université Paris V) qui traiteavec exhaustivité la question etconclut sans surprise de façon dubi-tative, mais en jetant les bases d’ac-tivités pédagogiques intéressantespour construire le transfert, du côtéde la métacognition en particulier.Le lecteur est alors armé pourdécouvrir le reste du dossier et inter-roger les pratiques interdisciplinairesqui y sont exposées.

http://www.crdp.ac-creteil.fr/argos/

1000 mots pourapprendre à lire enfrançais, anglais etallemandL’association « Enseignement public etinformatique » (EPI) participe active-ment à la lutte contre l’illettrisme et àl’apprentissage des langues étrangèresdès l’école. Le programme 1000 motspour apprendre à lire, réalisé par Jean-Marc Campaner et diffusé sur le cédé-rom Educampa 1, est maintenantadapté à l’anglais et à l’allemand. Ilutilise un corpus établi à partir desmanuels de lecture en usage danschaque langue, et des listes de motsprésentant un intérêt par rapport auxexercices proposés. L’objectif pourl’élève est l’initiation à la lecture danssa langue native et l’approche d’unelangue étrangère s’appuyant sur denombreux types d’exercices.

Pour faire connaissance avec cecédérom:www.epi.asso.fr/revue/94/b94p139.htm [email protected]

Pour tout savoir surl’enseignementprimaire et secondaireÀ partir de plusieurs sources (dontL’AEF, l’Agence éducation formation),AEFC - Analyses-études-formation-conseil, dans un partenariat avecTarsus - Groupe MM, organisateur dusalon Educatec, a réalisé un outil quipropose à fin juillet 2004 un pointcomplet sur le cadre et les acteurs,les principaux chiffres, les évolutionsstructurelles et organiques de l’écoleet de l’enseignement secondaire ; unzoom sur le dossier des TICE ; des élé-ments d’analyse complémentaires.Au travers de ces grandes théma-tiques, le « Panorama de l’enseigne-ment primaire et secondaire » veutfournir les clés pour comprendre lesystème éducatif et les tendancesde fond, pour mieux analyser lesenjeux, anticiper les changementset décrypter l’actualité.Cet outil a vocation à évoluer : uneversion mise à jour est prévue pour larentrée 2005.

AEFC : 7, impasse Charrière, 75005 Paris. Educatec/TarsusGroupe MM, 31/35, rue Gambetta,92154 Suresnes. [email protected]

A C T U A L I T É S É D U C A T I V E S

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Les lycées des métiers sont apparus en 2000 àl’initiative du ministre de l’Enseignement pro-fessionnel, J.-L. Mélenchon. Il s’agissait, encoreet toujours, de revaloriser l’image de cet ordred’enseignement. Mais l’approche était nou-velle : au lieu de reproduire la répartition hié-rarchisée entre général, technologique etprofessionnel, l’idée était de promouvoir desensembles liés à un corps de métiers : métiersde la mer, d’art, du bâtiment ou de l’accom-pagnement social. Dès lors, les passerellesentre les BEP, les Bac pro, les Bac STI, STT et lesBTS ne sont plus symboliques ou lointainesmais proposent une réelle offre de formationlocale qui s’efforce de rassembler dans unmême lieu toutes ces possibilités pour un ouplusieurs métiers.

Quelle image cette approche nouvelle peut-elle déterminer chez les principaux intéressés,élèves et parents? Comment faire connaître cechangement radical dans la formation profes-sionnelle initiale? La démarche adoptée modi-fie-t-elle radicalement les points de vue,notamment dans la perspective d’une forma-tion tout au long de la vie ? Les liens avec lesentreprises et les employeurs sont-ils plus res-serrés ou se sont-ils relâchés?

Quelques années plus tard, où en est-on? Cettedémarche exclut-elle les autres types d’éta-blissements ? Faut-il continuer à agir sur lesstructures, la polyvalence, la taille des lycées?Quelle est la cohérence de ce type d’initiativeavec le débat actuel sur le collège dont la « nou-velle » 3e pourrait assurer une pré-orientationou intéresser tous les élèves à la réalité du tra-

vail, de l’emploi et de la formation?

Enfin, nous désirons poser la question poli-tique de ce type d’approche et de sa mise enœuvre. Les élèves concernés, les milieux socio-professionnels les plus impliqués sont-ils unepriorité pour le gouvernement ou un pro-blème qu’il règle de manière démagogiqueen l’abandonnant aux régions sans leur don-ner les moyens d’une mise en œuvre forcé-ment coûteuse ? Comment réorganiser lesétudes professionnelles, y compris dans le sec-teur tertiaire, vers un bac professionnel en 3ans, tout en conservant l’étape indispensabledu BEP ? Quels programmes et quelle orga-nisation pour les examens dans ce cadre? Peut-on agir sur la motivation des élèves et leurproposer un parcours de formations plus longque celui qu’ils souhaitent ? Comment faireen sorte que le BEP ne soit plus qu’une étapepour la plupart et que le Bac pro vienne ajus-ter la compétence aux besoins des entreprisestout en servant les valeurs émancipatrices del’Éducation nationale ?

Projets d’articles, de témoignages, à faireparvenir à : Alain Suran, lycée GeorgesClémenceau, 130, rue de Neuilly, 93250 Villemomble. Tél. : 01493574 [email protected].

Ou à : Daniel Peltier, lycée Louis Lumière,32, av. de l’Europe, BP 25, 77500 [email protected].

Ou à : Richard Étienne, 61, rue de la Chasse-aux-papillons, 34980 Saint-Gély-du-Fesc.Tél. : 046784 0539. [email protected]

«Lycée des métiers» : quel avenir ?

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dossierCette fameuse motivation…

Coordonné par Jean-Michel Zakhartchouk

«Les connaissances qu'on entonne de force dans les intelligencesles bouchent et les étouffent. Pour digérer le savoir, il faut l'avoiravalé avec appétit. »

Anatole France, Le crime de Sylvestre Bonnard (1881).

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EDITORIAL

6 les cahiers pédagogiques n° 429-430, janvier-février 2005

EDITORIAL

Les raisons d’un nouveau dossier« Comment motiver efficacement les élèves ? » : cette ques-tion est arrivée en tête parmi toutes celles du débat natio-nal sur l’école de 2004. Comment interpréter ce classement?Que nous dit-il sur l’état actuel de la réflexion sur le sys-tème scolaire ?On peut bien sûr en faire une lecture optimiste. Il est bonde se demander comment l’école peut donner davantagede « raisons d’apprendre » aux élèves, comment les ensei-gnants doivent s’y prendre pour les faire travailler, condi-tion de la réussite. Il est intéressant de voir implicitementaffirmer que la motivation n’est pas donnée d’avance, qu’ilfaut la construire et (puisqu’on se pose la question du com-ment) qu’il est possible d’y parvenir si on s’en donne lesmoyens. Nous voilà loin des mouvements de menton auto-ritaristes et des affirmations péremptoires qui ignorent ledoute et nient la difficulté de mettre réellement chacun autravail.On peut aussi faire une lecture moins réjouissante: la moti-vation, concept mou qui dispense de penser… Par ce terme,on psychologise des problèmes qui relèvent en réalité descontenus d’enseignement ou des conditions sociales et cul-turelles dans lesquelles s’inscrivent les apprentissages. N’enreste-t-on pas à la superficie des choses en voulant cher-cher, tel un Graal, cette « fameuse motivation » (d’où la teinted’ironie du titre de ce dossier) ? D’autant que si les élèvesne la rencontrent pas, on pourrait vite renoncer et décré-ter qu’on ne peut rien faire, du moment qu’ils ne sont pasmotivés. Ajoutons qu’on risque d’oublier, en se posant laquestion du déclenchement de la motivation, que l’essen-tiel est de la faire durer ! Allumer la flamme, certes, maiscomment l’entretenir, éviter qu’elle s’éteigne devant l’aus-térité des savoirs, les contraintes de la durée, l’absence debénéfice immédiat… Parmi d’autres, Françoise Clerc rap-pelle ici avec force les limites de cette notion et les ambi-guïtés de son succès.Ces réserves faites, reste le souci quotidien des enseignantsque les élèves travaillent et aient envie d’apprendre. Qui,dans sa classe, ne se pose cette question ? C’est bien pourproposer quelques pistes de réponses que nous avons misen chantier ce numéro des Cahiers qui se veut d’abord pra-tique et utile.En 1992, nous avions déjà publié sur le sujet un dossierépuisé rapidement, puis, quelques années plus tard, un horssérie qui en reprenait plusieurs articles, lui aussi assez viteépuisé 1. Bien avant le succès du thème lors de la consulta-tion nationale, nous avions décidé de revenir sur le sujetpour faire état des recherches récentes et rendre comptede multiples expériences vécues dans des classes, de la mater-nelle au lycée (en incluant largement le lycée professionnel).

Notre dossier comprend cinq grandes parties :Un état des lieux théorique, présentant déjà des outils etdes pistes de réflexion indispensables, avec le regard de spé-cialistes.Une première série de réponses autour de la pédagogie deprojet, manière de stimuler les élèves et de travailler le sensdes apprentissages.Une présentation de manières « différentes » de travaillerqui permettent un développement de la créativité et quisollicitent l’imagination pédagogique, source de motiva-tion… aussi pour les enseignants.Une partie spéciale sur les nouvelles technologies. On n’ytrouvera cependant pas de réponse simple à la question :« l’ordinateur motive-t-il ? ».Une dernière partie rassemble tout ce qui va dans le sensde la « restauration de l’estime de soi » et concerne notam-ment les élèves ayant décroché ou risquant de décrocher.André Giordan, en final, nous propose une mise en pers-pective de la question au-delà du court terme, en interro-geant le fonctionnement des classes et de l’école.On le verra aisément : le sujet est multiple. « La » motiva-tion (mais ne faut-il pas utiliser le pluriel ?) est liée à ladifférenciation pédagogique, à la gestion de l’hétérogénéité,à l’école plurielle. Il s’agit de stimuler les uns, ceux qui trou-vent tout « nul », de valoriser ceux qui se croient « nuls »,de donner de la sécurité aux autres, de mettre en place desévaluations à la fois réalistes et motivantes (un dossier esten préparation sur ce sujet), de s’appuyer tantôt sur ce quiest familier, tantôt sur l’inconnu qui amène vers de nou-veaux rivages, de ne pas oublier les facteurs externes (l’en-vironnement de l’école, les copains, la famille) tout entravaillant d’abord la motivation dite « intrinsèque » (quandcroire dans sa réussite fait réussir, quand se sentir acteuraccroît le sentiment de maîtrise…). Alors, la question de lamotivation ne se réduit plus à la recherche de techniquesmiracles ; elle met en jeu tout le sens de l’activité scolaire.Mais que cette complexité ne nous décourage pas : on peutcommencer par agir sur un des multiples leviers que pro-pose ce dossier… le reste suit !Le dossier n’est pas clos, il est rouvert en permanence danschaque numéro des Cahiers.

Jean-Michel Zakhartchouk

Jean-Michel Zakhartchouk

1 On pourra trouver sur le site quelques articles de ces anciens numéros.

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Les réponses d’un chercheurEntretien avec le Québécois Roland Viau, un des grands spécialistes internationaux de la motivation.

- Pouvez-vous nous dire comment vousêtes arrivé à quelques conclusions sur lamotivation ? Sur quoi se fondent vosrecherches? Comment passer de situationsde laboratoire à la salle de classe ?- Ma formation de chercheur est celled’un psychopédagogue, c’est-à-dired’une personne qui se préoccupe d’étu-dier des phénomènes psychologiquesliés à l’élève en situation d’apprentis-sage scolaire. C’est dire que tous mestravaux de recherche et les études surlesquelles je m’appuie portent sur lesproblèmes de démotivation à apprendreen contexte scolaire. Chaque année enAmérique du Nord, il se publie envi-ron 300 travaux scientifiques qui trai-tent de la motivation scolaire : de toutecette documentation et des travaux quenous menons au Québec, on peut voirse dessiner des tendances et dégager degrandes conclusions.N’ayant pas une formation spécifiquede psychologue, je n’ai pas été porté àmener des études en laboratoire.D’ailleurs, les chercheurs contempo-rains en psychologie délaissent de plusen plus les laboratoires pour faire leursétudes sur le terrain. Ces dernières ontcertes l’inconvénient d’être moins« contrôlables » par le chercheur, maiselles ont l’avantage de rendre comptede la complexité de la réalité. Il ne fautpas oublier que les problèmes de moti-

vation à apprendre à l’école sont desphénomènes humains très complexesqui ne peuvent se résoudre par destrucs ou par une recette miracle. Si leschercheurs désirent vraiment aider lesenseignants à solutionner ces pro-blèmes, il importe qu’ils leur offrentun portrait réaliste et précis de la situa-tion et non une image aseptisée nereflétant pas ce qu’ils vivent en classe.- Lorsqu’on évoque la motivation, il y

a certainement plusieurs approches.Comment articuler l’approche plus psy-chologique avec l’approche sociologiquequi est parfois oubliée ?- Les premiers travaux sur la motiva-tion scolaire ont été menés sous unangle psychologique, en Amérique duNord tout au moins. Cette situation estnormale, car la dynamique motiva-tionnelle est un phénomène qui animeintrinsèquement l’élève. On ne peutpas être motivé pour l’élève, comme onne peut apprendre à sa place; c’est à luid’être motivé. Certes, on peut influen-cer cette dynamique, mais elle luiappartient et c’est là-dessus que mestravaux ont d’abord porté. Commeplusieurs chercheurs, je me suis mispar la suite à essayer de comprendreles facteurs externes à l’élève quiinfluent sur sa dynamique motiva-tionnelle, facteurs relatifs à la société,à l’environnement familial, à l’établis-

sement scolaire et enfin à la classe.C’est sur ce plan que l’approche socio-logique est nécessaire. Elle nous aidesurtout à mieux comprendre l’impactdes trois premières catégories, soit lesfacteurs relatifs à la société, à la familleet à l’établissement scolaire.Mais le problème que je vois actuel-lement réside dans le fait que lesouvrages d’approche sociologique quisont publiés aident sûrement les ensei-gnants à mieux comprendre l’in-fluence des facteurs externes sur ladémotivation des élèves, mais leur endisent peu sur le « comment » y remé-dier en classe. À ma connaissance, peud’ouvrages sociologiques se sont attar-dés sur les modes d’intervention pou-vant susciter la motivation des élèves.Dans mes ouvrages, par exemple, il ya toujours au moins un chapitre consa-cré à l’intervention. Pour nous cher-cheurs, et quelle que soit l’approcheque nous utilisons, il est important detoujours se rappeler que nous devonsbien sûr aider les enseignants à mieuxcomprendre les problèmes qu’ils ren-contrent dans leurs classes, mais nousdevons également les aider à lesrésoudre.- De vos recherches sur la motivation,

qu’est-ce que vous ressortiriez commeidées-forces qui pourraient être utiles auxenseignants d’aujourd’hui, aussi bien en

1 - « Motiver », qu’est-ce que cela veut dire ?

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positif (qu’est-ce qu’il faudrait plutôtfaire?) qu’en négatif (qu’est-ce qu’il fau-drait mieux ne pas faire ?)- Pour répondre à votre question, jereviendrais si vous le voulez bien auxfacteurs relatifs à la classe, sur les-quels les enseignants ont le plus depouvoir. Actuellement, selon l’état desrecherches menées dans les écoles enAmérique du Nord, cinq facteurs ontplus d’influence que les autres : lesactivités pédagogiques que l’ensei-gnant propose à ses élèves, ses modesd’évaluation, le système de privilègeset de sanctions qu’il met en place, leclimat de la classe et l’enseignant lui-même. Bien sûr, on peut proposer auxenseignants plusieurs idées pour faireen sorte que chacun de ces facteursfavorise la motivation des élèves plu-tôt que de leur nuire.Au regard des activités pédagogiquesen classe, il importe que l’enseignantmette l’accent sur des activités danslesquelles les élèves sont les principauxacteurs. De plus, pour que ces activi-tés suscitent leur motivation, elles doi-vent: a) tenir compte de leurs intérêts ;b) être les plus authentiques possible,c’est-à-dire être à l’image du métier oude la profession à laquelle ils aspirent

ou rêvent ; c) leur proposer un défi àrelever ; d) leur donner la possibilitéde faire des choix.Pour que l’évaluation nuise le moinspossible à la motivation à apprendre desélèves, il faut qu’elle soit centrée davan-tage sur le processus d’apprentissageque sur les produits qui en résultent,comme les examens. Certes, un ensei-gnant doit sanctionner, mais il doit sur-tout aider les élèves à s’améliorer, à secorriger et à voir ce qu’ils savent et cequi leur reste à apprendre. Voici troissuggestions : a) faire en sorte que lesélèves ne voient pas leurs erreurscomme « des fautes pénalisantes », maiscomme des étapes incontournables dansleur processus d’apprentissage; b) leurdonner l’occasion non seulement devoir ce qu’ils ne savent pas, mais aussice qu’ils ont bien réussi et ce qu’ils doi-vent améliorer ; c) les aider à voir lesprogrès qu’ils ont accomplis. Sur cedernier point, le portfolio ou le dossierd’apprentissage, dans lequel sont colli-gés les travaux importants de l’élève, estun outil intéressant à exploiter.

Donc, le meilleur conseil que l’on peutdonner à un enseignant est de n’uti-liser les sanctions et les récompensesqu’en cas de nécessité et avec beau-coup de parcimonie.Un bon climat de classe est essentiel àla motivation à apprendre. Si les élèvesne se sentent pas en sécurité, ils ne peu-vent être motivés à apprendre. À cetégard, nous proposons surtout auxenseignants de minimiser la compéti-tion entre les élèves et de favoriser plu-tôt la collaboration. Dans les classesmulti-ethniques, cette tâche relève sou-vent du défi. Faire en sorte que chaqueélève, quelle que soit son origine ou salangue, ait un sentiment d’appartenanceà la classe, qu’il se sente accepté et res-pecté par les autres et qu’il trouve unemotivation à apprendre en équipe estune tâche énorme pour un enseignant,nous en sommes conscients, mais com-bien nécessaire et essentielle.Enfin, quant à l’enseignant lui-même,les études actuelles mettent l’accent surl’importance de ses comportements« démotivants » pour les élèves, surtout

envers ceux qui sont considérés faibleset démotivés. Rabaisser les élèves, lesdénigrer, les prendre en pitié, les igno-rer sont tous des comportements quisuscitent de la démotivation.Mes travaux m’amènent à ajouterl’importance pour un enseignantd’être un modèle d’apprentissage pourles jeunes, car il faut bien admettre quepeu d’entre eux voient des adultesprendre plaisir à apprendre. Si lesenseignants ne sont pas des modèlespour les jeunes, les seuls qu’il leur restesont ceux que la télévision, le cinémaet les jeux vidéo leur présentent. Cesvedettes de l’écran sont loin d’être desmodèles de personnes qui aimentapprendre.Bien sûr, un grand nombre d’ensei-gnants tentent de convaincre par laparole leurs élèves du plaisir d’ap-prendre, mais de nos jours, cela estinsuffisant. Pour susciter le plaisird’apprendre, il faut que les élèvesvoient leurs enseignants apprendre etsurtout aimer le faire, qu’ils les voientpassionnés par leur matière, se ques-tionner, chercher, imaginer et êtremotivés à le faire. Redevenir desmodèles d’apprentissage pour lesélèves et les respecter, voilà l’idée-forceque l’on doit retenir.Même si ma réponse à votre questionest un peu longue, j’aimerais termineren demandant aux enseignants d’êtreresponsables en s’assurant que les fac-teurs sur lesquels ils ont du pouvoirsont favorables plutôt que défavorablesà la motivation de leurs élèves. Dumême coup, je leur demande égale-ment de ne pas se sentir coupables si,malgré le fait qu’ils ont tout fait poursusciter la motivation de leurs élèves,certains d’entre eux demeurent démo-tivés. Les enseignants ne doivent pasprendre toute cette responsabilité surleurs épaules. Les parents, les déci-deurs politiques, les administrateurssont des acteurs qui ont également unrôle important à jouer sur la motiva-tion scolaire des enfants.- Voyez-vous des différences culturelles

entre nos deux pays, nos deux systèmes ?Est-ce que par exemple en France, on n’apas plus tendance que chez vous à évo-quer le négatif chez les élèves, au risquebien sûr de les démotiver ?- Votre histoire, vos traditions et votreculture amènent probablement vosenseignants et ce, pour le meilleur oupour le pire, à être effectivement plussévères et intransigeants envers lesélèves que nous ne le sommes auQuébec. Mais, vous savez, ce n’est pastant la rigueur d’un enseignant qui

Si un enseignant considère qu’il estinévitable de donner des sanctionspour garder une certaine disciplinedans sa classe, il importe que ses élèvescomprennent bien qu’ils ne sont paspunis parce qu’ils ont fait des erreursd’apprentissage, mais bien parce qu’ilsn’ont pas les comportements sociauxappropriés. Il ne faut pas oublier quel’école est un lieu d’apprentissage. Orapprendre comporte inévitablementdes erreurs ; il ne faudrait donc pastomber dans le piège de punir lesélèves parce qu’ils apprennent !Il est également périlleux d’allouerdes privilèges ou des récompensespour renforcer les élèves dans leurapprentissage, car cela peut provoquerce que les chercheurs appellent l’ef-fet de surjustification. Cet effet se pro-duit lorsque la motivation intrinsèqueà apprendre d’un élève diminue du faitd’un usage abusif des notes ou desrécompenses comme moyen de le fairetravailler. En d’autres termes, le faitde constamment évaluer et récom-penser un élève l’invite à ne plus tra-vailler pour le plaisir d’apprendre,mais pour les conséquences de l’ap-prentissage, c’est-à-dire pour les notesou pour les récompenses annoncées.

DOSSIER Cette fameuse motivation…

8 les cahiers pédagogiques n° 429-430, janvier-février 2005

Pour susciter le plaisir d’apprendre, il faut queles élèves voient leurs enseignants apprendre et

surtout aimer le faire.

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influe sur la motivation de ses élèves,que la façon dont elle leur est com-muniquée. On ne peut reprocher à unenseignant d’être rigoureux, exigeantet honnête. On peut cependant luireprocher de dénigrer un élève, de lerabaisser aux yeux de ses camarades etde lui manquer de respect. Ces com-portements, que l’on voit probable-ment tout autant chez des enseignantsquébécois que chez des enseignantsfrançais, ne peuvent qu’amener unélève à juger qu’il n’a pas sa place àl’école. Au risque de nous répéter, pourapprendre, il faut se sentir en sécurité,car apprendre, c’est risquer, tenter etexplorer. Or lorsque l’on se sent atta-qué par des sarcasmes et dénigré parune personne d’autorité, on n’ose plus.Plusieurs ados expriment bien cettesituation en utilisant un langage carcé-ral : « On se la ferme, on fait son tempset on en sort le plus rapidement pos-sible ». Malheureusement, aux yeux desélèves, certains de leurs enseignantssont devenus des « gardiens de l’ordre »,plutôt que des modèles à suivre.- En France, la question de la motiva-

tion vient en tête des sujets abordés dansle « grand débat national sur l’école » entermes de « comment motiver les élèves ».Est-ce qu’au Québec le thème est aussipopulaire ? On constate en même tempschez nous les faibles connaissances théo-riques de la motivation. Par exemple, neconfond-on pas être motivé et être inté-

ressé ou aimé?- Au Québec, la motivation en

contexte scolaire est un thème toutaussi important qu’en France. Lesenseignants québécois sont aussi impa-tients de savoir comment motiver leursélèves que leurs collègues français.Malheureusement, je constate queplusieurs enseignants résument en unmot tous les problèmes qu’ils rencon-trent: la démotivation des élèves. C’estdommage, car il ne faut pas oublier quepour apprendre, il faut le vouloir biensûr, mais aussi le pouvoir et en avoirl’opportunité. Or, plusieurs des pro-blèmes que les enseignants rencontrentne relèvent pas de la motivation del’élève, mais du « pouvoir apprendre »,c’est-à-dire des capacités qu’a ce der-nier à le faire, et de l’opportunité réelleque l’enseignant lui offre de se mettreen projet d’apprendre.À propos des théories, ce que j’aiconstaté lors de mes séjours enFrance, c’est que sur le plan psycho-logique, la motivation en contextescolaire est souvent abordée sous unangle psychanalytique. Peut-être quecela peut expliquer la tendance dansvotre pays à confondre désir, motiva-tion, intérêt et passion. Certes, on peutrêver que les élèves désirent avidementapprendre et être passionnés par l’école,mais soyons réalistes, souhaitonsd’abord et avant tout qu’ils soient moti-vés à apprendre ce qu’on leur enseigne.

Inspirés par les travaux anglo-saxons,mes collègues et moi, au Québec,optons plutôt pour des modèles cogni-tifs et sociocognitifs de la motivation.Ces modèles ont l’avantage d’avoir étéélaborés spécifiquement pour rendrecompte de la motivation à apprendreen contexte scolaire. Ils doivent biensûr être améliorés, mais ils nous aidentdéjà à proposer des pistes d’interven-tion aux enseignants.Ceci dit, des ouvrages de qualité sur lamotivation ont été publiés en France.Je pense entre autres aux ouvrages deCécile Delannoy et de MoniqueCroizier ainsi qu’aux réflexions desphilosophes Jean Houssaye et GeorgesSnyders sur la motivation à apprendreet la joie d’aller à l’école. On ne peutignorer également les travaux de vosvoisins les Belges. À ce titre, les édi-tions De Boeck à Bruxelles publientrégulièrement de bons ouvrages didac-tiques et pratiques sur la motivationscolaire.

Roland Viau, université de Sherbrooke.

Interview réalisée par Jean-Michel Zakhartchouk.

1 - « Motiver », qu’est-ce que cela veut dire ?

9les cahiers pédagogiques n° 429-430, janvier-février 2005

Les attitudes essentielles du pédagogueDans un long article du n° 300 des Cahiers pédagogiques,« À l’origine, la relation humaine », Jacques André énonçaitles attitudes qui lui paraissaient essentielles pour un ensei-gnant qui veut bâtir une motivation durable, solide. Il sefonde pour cela sur son expérience de pédagogue et d’en-traîneur sportif, mais aussi sur les théories de Carl Rogers.

La confiance dans le potentiel humain, dans la capacité qu’al’être humain de solliciter de lui-même ses aptitudes pour sedévelopper et de réguler les divers actes de sa vie. C’est lepréalable indispensable qui doit habiter le manager. C’est cepari sur les ressources humaines pour la plupart inexploi-tées, sur l’auto-éducabilité, sur la capacité personnelle dusujet à s’orienter positivement pour lui-même et les autresqui est à l’origine de la liberté et de la confiance qu’on luiaccorde. Mais il faut bien souligner ici le fait que le moni-teur ne pourra intégrer cette attitude que s’il a lui-mêmeconfiance en lui, que s’il s’accepte, que s’il ne se méfie pasde sa propre personne. C’est ensuite cette confiance fonda-mentale qui sera à l’origine des comportements d’attentefavorable et des messages positifs stimulants.

La congruence ou authenticité. C’est en ne jouant pas derôle, en cherchant à être profondément lui-même sans

masque ni façade qu’il invitera l’autre à s’autoriser àl’expression personnelle de lui-même, ce qui libérerachez lui des trésors d’énergie et aura pour second effetde créer une communication interpersonnelle plus pro-fonde et plus dynamisante.

L’acceptation inconditionnelle. Cet intérêt profond pourl’autre différent de soi-même, cette acceptation non feintede la différence, qui se manifeste par une écoute active etune attitude corporelle congruente fait que l’autre se sentreconnu comme un être signifiant, important… « Toute lagrandeur d’un homme consiste à donner à l’autre le senti-ment de sa propre grandeur », disait Dickens. C’est ce sen-timent de grandeur, de dignité, qui répond à un puissantbesoin commun à tous, qui contribue, lui aussi, à accroîtrel’énergie psychologique. J. A.

Jacques André développe sa conception de la motivationdans un ouvrage à paraître en 2005 : Éduquer à la motiva-tion. Pour lui, plus que les méthodes, ce sont les attitudes del’éducateur qui importent. Aussi privilégie-t-il l’approcheaffective. On peut aussi lire « La motivation dans le sport »paru dans le hors série Motivation, ou « L’irrationnel durationnel » dans le dossier Apprendre à raisonner, (244-245).

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Trois clésJacques Lecomte

Oui, l’enseignant peut renforcer ou au contraire freiner la motivation par son attitude, son comportement : tel est le message optimiste du grand psychologue américain Albert Banduradont les recherches apportent un éclairage particulièrement riche à notre sujet.

DOSSIER Cette fameuse motivation…

Le psychologue Albert Banduraet ses collègues ont réalisé denombreuses recherches sur le

sentiment d’efficacité personnelle. Ellesmontrent notamment à quel point cetélément joue un rôle essentiel dans laréussite scolaire. Parmi les élémentssusceptibles de favoriser la motivationdes élèves décrits par ces auteurs, onpeut retenir en particulier la manièrede présenter les objectifs à atteindre,le rôle des récompenses, l’impact dusentiment d’efficacité pédagogique desenseignants.

Comment présenter les objectifs à atteindreSelon Albert Bandura, la meilleurefaçon de maintenir la motivation d’unélève consiste à combiner un objectif àlong terme, qui fixe l’orientation duprojet, avec une série de sous-objectifs

des opérations mathématiques et ontdéveloppé un fort sentiment d’efficaci-té en mathématiques ainsi que de l’in-térêt envers ces activités. Par contre,ceux qui ont suivi cet apprentissage avecdes objectifs lointains ou sans objectifont conservé des doutes sur leurs apti-tudes et ont bien moins réussi.De même, les élèves de classes de rat-trapage à qui l’on enseigne la lectureobtiennent de meilleures performancesen lecture si on les incite à augmen-ter leur efficacité dans l’utilisation destratégies de compréhension, que si onleur propose un objectif général.

Les récompenses sont parfois utiles,parfois néfastesUne question essentielle dans l’ensei-gnement est de savoir si les récom-penses, en particulier les notes, facilitentou freinent la motivation des élèves.

accessibles, destinés à guider et à main-tenir les efforts de l’élève tout au longde son parcours. Ces objectifs à courtterme fournissent des récompensesimmédiates, guident l’élève pour qu’ilpuisse mener à bien les activités encours et augmentent son sentimentd’efficacité personnelle en lui indiquantses progrès. Moins un élève croit en lui,plus il a besoin d’un feedback de pro-grès qui soit explicite, proche dans letemps et fréquent, afin de le convaincredu développement de ses capacités.Cette aptitude des sous-objectifs à faci-liter la motivation est bien mise en évi-dence dans une étude où des enfantsont suivi un apprentissage autodirigécomportant soit des sous-objectifsproches consistant à maîtriser diversescompétences mathématiques, soit unobjectif lointain consistant à maîtrisertoutes les compétences dans le futur,soit encore aucun objectif. Les élèvesà qui on a présenté des sous-objectifsproches ont fait de rapides progrès, sontparvenus à une maîtrise substantielle

10 les cahiers pédagogiques n° 429-430, janvier-février 2005

Plus la récompense pour la performancereflétant la compétence est importante, plus

l’augmentation d’intérêt pour l’activité est forte.

Certains chercheurs ont affirmé querécompenser les élèves pour une acti-vité risque surtout de réduire leur inté-rêt envers celle-ci. Ces récompensesdites « extrinsèques » sont censéesdiminuer l’intérêt « intrinsèque », c’est-

à-dire l’intérêt pour l’activité elle-même. Cependant, les connaissancesactuelles montrent que les effets desrécompenses sur l’intérêt sont bienplus complexes que cela : elles peuventaugmenter cet intérêt, le réduire oun’avoir aucun effet.Les récompenses favorisent l’intérêtde l’élève quand elles visent à souli-gner ses bons résultats, augmentantou confirmant ainsi son sentimentd’efficacité personnelle. Dans ce cas,plus la récompense pour la perfor-mance reflétant la compétence estimportante, plus l’augmentation d’in-térêt pour l’activité est forte. De plus,quand cette récompense est accom-pagnée de propos valorisant la per-formance obtenue, l’élève maintientun intérêt élevé pour l’activité.

« Mieux vaut y croire »La conviction plus ou moins impor-tante d’un enseignant sur sa capacitéà motiver et à enseigner à des élèvesdifficiles a un impact non négligeablesur les résultats de ces derniers, quelque soit leur niveau d’aptitude initia-le. Les élèves apprennent beaucoupplus de la part d’enseignants impré-gnés d’un sentiment d’efficacité quede ceux envahis de doutes sur eux-mêmes. Il n’y a là rien de magique :l’opinion que l’enseignant a de sescapacités influence ses comporte-ments et ses attitudes.

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Ainsi, les enseignants ayant un senti-ment élevé d’efficacité pédagogiquepensent qu’il est possible d’apprendreaux élèves difficiles grâce à un effortsupplémentaire et à des techniquesappropriées, et qu’ils peuvent sollici-ter le soutien de la famille. Ils consa-crent plus de temps aux activitésscolaires, fournissent aux élèves en dif-ficulté le soutien nécessaire pour réus-sir et valorisent leurs bons résultats.Ils ont tendance à s’appuyer sur la per-suasion plutôt que sur un contrôleautoritaire et à soutenir la croissancede l’intérêt intrinsèque de leurs élèves.Par contre, les enseignants qui ont unfaible sentiment d’efficacité pédago-

gique doutent fortement de la capa-cité d’amélioration des élèves et esti-ment qu’ils ne peuvent pas fairegrand-chose si ceux-ci ne sont pasmotivés. Ils pensent également queleur impact sur le développementintellectuel des élèves est fortementlimité par les influences négatives dufoyer et du voisinage. Ils consacrentplus de temps à des activités non sco-laires, se focalisent plus sur la matièreenseignée que sur la formation desélèves, abandonnent rapidement lesélèves qui n’obtiennent pas des résul-tats rapides et les critiquent pour leurséchecs. Or, moins les professeursconsacrent de temps à l’enseignement

scolaire, moins les élèves progressent.Ces enseignants sont souvent sub-mergés par les problèmes en classe,n’ont pas confiance en leur aptitudeà gérer la classe, sont stressés et éner-vés par la mauvaise conduite desélèves. Ils ont plutôt recours à unmode de discipline caractérisé par desrègles strictes et basé sur la sur-veillance et sur les sanctions pouramener les élèves à étudier.

Jacques Lecomte, université Paris X, traducteur en français d’Albert Bandura.

1 - « Motiver », qu’est-ce que cela veut dire ?

11les cahiers pédagogiques n° 429-430, janvier-février 2005

Mieux connaîtreAlbert BanduraLe hors série de la revue Savoirs,publiée par l’Harmattan:« Autour de l’œuvre d’AlbertBandura »Dans ce dossier, de nombreuxauteurs présentent diversesfacettes du travail de cetAméricain dont la théorie socio-cognitive s’efforce d’intégrer desapproches apparemment contra-dictoires (psychanalyse, behavio-risme) pour privilégierl’interaction. Bandura a fait desrecherches dans les domaines lesplus divers afin d’étayer cettethéorie (l’éducation étant un deces domaines). Les conclusionsqu’on peut tirer des diversesrecherches convergent avec toutce qui est exposé dans le présentdossier. Par exemple « Il vautmieux éviter de présenter lestâches proposées comme destests diagnostiques de l’aptitude,dans un contexte de compétitionou de comparaison interperson-nelle, ou dans des situations quiaugmentent la visibilité sociale. Ils’agit d’amener les apprenants àse focaliser sur les progrèsaccomplis et sur la façon d’ac-croître leur maîtrise plutôt quesur l’évaluation de leur rang parrapport aux autres. »

PPoouurr oobbtteenniirr llaa rreevvuuee ::

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La pédagogie de l’engagementRobert-Vincent Joule

Incontestablement, le recours à la sanction et à l’argumentationreprésente pour les enseignants et pour les parents un puissantlevier. En revanche, les résultats seront beaucoup plussignificatifs si les élèves sont amenés à s’engager librement dansleur démarche d’apprentissage. Mais prenons garde à lamanipulation dès qu’on use de « techniques » pour obtenir queles élèves soient volontaires !

Si la sanction présente l’avanta-ge d’augmenter la probabilitéde voir les élèves se comporter

conformément à nos attentes, elleprésente un inconvénient majeur :les élèves peuvent faire l’économiede ce qu’ils sont (leur personnalité,leurs valeurs, leurs motivations)pour expliquer leur comportement.Ils disposent d’une raison touteprête : éviter une punition ou obte-nir une récompense. Pas étonnant,dans ces conditions, qu’on ne par-vienne pas à affecter ce que les psy-chologues sociaux nomment la« motivation intrinsèque ». De nom-breuses recherches montrent, eneffet, que des étudiants rémunéréspour faire un travail donné sontmoins enclins à poursuivre ce travaillorsque plus personne ne le leurdemande que des étudiants ayant faitle même travail sans être rémunérés(cf. notamment, Deci et Ryan, 1985).

L’argumentation présente, quant à elle,l’avantage de fournir aux élèves d’ex-cellentes raisons de faire ce qu’ils ontà faire. Malheureusement, l’argumen-tation ne favorise guère l’obtention descomportements recherchés. Il ressortd’une recherche longitudinale récem-ment réalisée aux États-Unis (Peterson,Kealey, Mann, Marek & Sarason, 2000)que la probabilité d’être fumeur à 17ans n’est pas plus faible chez des élèvesayant pourtant suivi pas moins de 65séances de « sensibilisation » entre 8 anset 17 ans (condition expérimentale) -et donc parfaitement informés desméfaits du tabac - que chez des élèvesn’ayant pas suivi ces séances (conditioncontrôle). Et cette recherche n’estqu’une des très nombreuses recherchesqui illustrent le décalage qu’il peut yavoir entre nos idées et nos actes. Onpeut être parfaitement convaincu de lanécessité de donner son sang et nejamais le faire ; de la même manière un

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DOSSIER Cette fameuse motivation…

élève peut être parfaitement convain-cu de la nécessité d’apprendre durantle week-end ses conjugaisons ou sestables de multiplications et passer sontemps à faire autre chose.

Pour une pédagogie engageantePar bonheur, sanction et argumenta-tion ne sont pas les seuls leviers sus-ceptibles de favoriser la motivationscolaire. Il en est d’autres, dont un aumoins a fait l’objet de très nombreuxtravaux scientifiques: l’engagement. Cestravaux, qui relèvent de la psycholo-gie sociale expérimentale, remontentaux années quarante. Ils montrent quel’on peut influencer autrui - pour lemeilleur et pour le pire - dans sesconvictions, ses choix et ses compor-tements, sans recourir à l’argumenta-tion et encore moins à la sanction, enrecourant de façon appropriée à ce quenous avons appelé des « techniques desoumission librement consentie »(Joule et Beauvois, 1998). Il en existe,une bonne dizaine dont l’efficacité estaujourd’hui bien établie (pour syn-

qu’un étudiant a plus de chance de visi-ter un site Web, si, la mention « cliquezici » est remplacée sur l’écran de sonordinateur par la mention « vous êteslibres de cliquer ici ». Il faut savoir aussiqu’un étudiant a plus de chance de sefaire offrir un ticket de bus par uninconnu si, après avoir formulé sarequête, il ajoute: « Évidemment, vousêtes libre de me dépanner ou pas »(Guéguen, Pascual, & Dagot, 2004).Ce principe doit nous inciter à mettreen place, chaque fois que cela est com-patible avec les impératifs et lescontraintes scolaires, des espaces deliberté (travaux facultatifs, choix dulivre à résumer, choix des modalitésde travail, etc.). Il y a tout à gagner etrien à perdre.Le principe du primat de l’action. Ceprincipe consiste avant toute chose àobtenir des actes. Mais attention,conformément au principe précédent,ces actes doivent être obtenus dans uncontexte de liberté. Aussi, mieux vaut-il commencer par des actes peu coûteux,

thèse : Joule et Beauvois, 2002). Leurintérêt est de conduire à la responsa-bilisation les gens en arrivant à modi-fier librement leur comportement et àintérioriser les traits et les valeurssocialement utiles recherchées.Pris dans leur ensemble, les travauxsur l’engagement et sur les techniquesde soumission librement consentiedébouchent sur quelques principesd’actions qui, bien utilisés, peuventpermettre d’optimiser nos pratiquespédagogiques.Le principe de liberté. Ce principe consis-te, chaque fois que cela est possible àdoter les élèves d’un statut de décideurlibre et responsable: « À vous de voir…vous êtes libres de faire comme bonvous semble… ». Le recours à ce prin-cipe présente deux avantages. Commeon s’en doute, il favorise la rationalisa-tion du comportement attendu et par-delà l’appropriation et l’intériorisationdes valeurs requises par notre fonc-tionnement social. Mais contrairementà ce que l’on pense, il ne réduit pas noschances de voir les élèves faire ce qu’onattend d’eux. Il peut même les aug-menter sensiblement. Il faut savoir

l’essentiel étant que les élèves établis-sent un lien entre ce qu’ils sont et cequ’ils ont pu faire ou, si l’on préfère,se reconnaissent dans ce qu’ils ont fait.De très nombreuses recherches mon-trent que de tels actes sont susceptiblesd’en appeler d’autres. C’est pour cetteraison que les psychologues sociaux lesqualifient volontiers d’« actes prépa-ratoires ». Il a été notamment montré(Beauvois, 2001) que des élèves deCM1 amenés, à la demande d’un adul-te, à accepter de goûter une soupequ’ils n’aiment pas (acte préparatoire)acceptent, plus volontiers que desélèves auxquels rien n’a été demandé,qu’on leur fasse ultérieurement unepiqûre afin de tester de nouvellesaiguilles censées faire moins mal. Onleur aura toutefois expliqué qu’il fautpar précaution essayer ce genre depiqûre avant de s’en servir à grandeéchelle pour la vaccination des enfants(comportement altruiste attendu).Récemment, dans le cadre d’un pro-gramme européen de recherches visantà promouvoir l’éco-citoyenneté (Joule,2004), des élèves de CM1 et CM2 ontété amenés, à la demande de leur ins-

titutrice ou de leur instituteur, à mettre« librement » un autocollant appelantà une meilleure maîtrise de l’énergiesur la porte du réfrigérateur familial,ou encore à faire « librement » uneobservation chez eux afin de noter leshabitudes familiales qui pourraient êtrechangées sans que cela ne soit gênantpour personne (actes préparatoires),par exemple, éteindre la veille du télé-viseur avant de se coucher 1. Ils étaientultérieurement invités à s’engager parécrit à réaliser un comportement éco-citoyen donné (comportement atten-du), par exemple, prendre une doucheplutôt qu’un bain, engagement pris parprès de 100 % des élèves dans la plu-part des classes.Le principe de naturalisation. Ce prin-cipe consiste à aider l’élève à tisser unlien entre ce qu’il est (sa personnalité,ses goûts, ses aptitudes) et ce qu’il a fait,lorsque ce qu’il a fait correspond à nosattentes, afin de favoriser la « naturali-sation » du trait socialement désirable.Si l’élève s’est « bien comporté » danstelle ou telle circonstance, s’il vient, parexemple, de réussir un exercice diffi-cile de mathématique on utilisera desphrases comme: « Ça ne m’étonne pasde toi, tu es un bon élève », « Je vois quetu as la bosse des maths », etc., afin defavoriser l’établissement par l’élève d’unlien entre lui-même (sa nature) et soncomportement ou sa performance sco-laire. Dans la recherche de Beauvois(2001) certains élèves s’entendaientdire, par l’adulte, qu’ils étaient desenfants courageux après leur accepta-tion de goûter la soupe. Les résultatsmontrent que ces élèves sont encoreplus nombreux que ceux auxquels onn’a rien dit à accepter la piqûre et doncà se montrer altruistes. Et pourtant plu-sieurs jours séparent la requête relati-ve à la soupe et celle relative à la piqûre.C’est dire l’efficacité du principe denaturalisation.Le principe de dénaturalisation. À l’in-verse du précédent, ce principe consis-te à tout faire - que l’on soit enseignantou que l’on soit parent - afin que l’élè-ve n’établisse pas de lien entre ce qu’ilest (sa personnalité, ses goûts, ses apti-tudes) et ce qu’il a fait lorsque ce qu’ila fait ne correspond pas à nos attentes.Il s’agit cette fois de procéder à une« dénaturalisation » du trait indésirable.Lorsque son comportement laisse àdésirer, par exemple, lorsque sa copiede mathématiques est médiocre, ondira, idéalement, avant même que l’élè-ve ne puisse se dire : « Ma copie estmauvaise parce que je ne suis pas douéen maths » : « Écoute-moi, Hugo, 5/20signifie que ta copie n’est pas bonne,

12 les cahiers pédagogiques n° 429-430, janvier-février 2005

Mettre en place des espaces de liberté (travaux facultatifs, choix du livre à résumer,

choix des modalités de travail, etc.). Il y a tout à gagner et rien à perdre.

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5/20 ne signifie pas que tu n’es pas douéen maths, personnellement je suismême persuadé du contraire… ». Lerecours au principe de dénaturalisationpermet donc à l’élève de ne pas consi-dérer qu’il est dans sa nature d’échouerdans telle ou telle matière. Il suffit par-fois de pas grand-chose pour redonnerà un élève en difficulté le goût du tra-vail scolaire. À cet égard, les travaux surl’engagement nous invitent à ne pas enrester là, mais à obtenir dans un climatde confiance que l’élève s’engage sur lechamp, librement cela va sans dire, (cf.le principe de liberté) à faire une choseprécise (cf. le principe du primat de l’ac-tion), par exemple : réviser, le soirmême, ses tables de multiplication à lamaison: « Hugo, je voudrais que tu medises ce que tu comptes faire pour queta copie, la prochaine fois, soit bonne? »Cette façon de poursuivre l’échange apour avantage de responsabiliser l’élè-ve en le laissant lui-même définir lestermes d’un contrat de travail. S’il està court d’idées, on pourra alors toujourslui suggérer: « Est-ce que tu serais d’ac-cord pour…, évidemment, c’est à toide décider. »

Des principes pour agirIl s’agit là des principaux principes surlesquels repose la « pédagogie de l’en-gagement » (Joule, 2004). Cette péda-gogie n’est autre qu’une pédagogie del’action et de la responsabilisation. Ils’agit d’une pédagogie de l’action, cartout est fait pour mettre les élèves enmouvement, pour les rendre « acteurs »et pas seulement « actifs », pour les ame-ner à prendre des décisions et mêmedes engagements au sens fort du terme.Il s’agit d’une pédagogie de la respon-sabilisation dans la mesure où ces déci-sions et ces engagements sont obtenusdans des conditions telles que les élèvesne peuvent que s’y reconnaître, ceux-ci ne pouvant en appeler qu’à ce qu’ilssont - en définitive, des élèves respon-sables - pour en rendre compte.Ces principes doivent évidemment êtreaffinés. Mais ils ont le mérite d’êtreconformes aux connaissances issues dela psychologie sociale expérimentale.Sur le plan pratique, ils nous ont per-mis de réduire l’absentéisme scolaire,d’augmenter la probabilité que desélèves de 3e fassent les démarches sou-haitées en matière d’orientation sco-laire et professionnelle, de promouvoirl’écocitoyenneté dans des écoles pri-maires, d’augmenter la probabilité queles étudiants fassent des travaux facul-tatifs, et même de doubler la probabi-lité que des élèves en difficulté trouventun emploi au terme d’une formation 2.

Certes, la pédagogie n’est pas unescience mais une pratique. Il n’endemeure pas moins que cette pra-tique, comme toute pratique, estsusceptible d’être éclairée par lesavancées des connaissances scienti-fiques, connaissances relevant dessciences de l’éducation bien sûr, maisaussi, connaissances sociologiques,psychologiques, psycho-sociales, etc.On regrettera peut-être que cesconnaissances puissent potentielle-ment donner lieu à des applicationsparfaitement immorales. C’est vrai.Mais cela n’est pas propre auxconnaissances dont il vient d’êtrequestion dans cet article. Cela est vraide toutes connaissances scientifiques,celles-ci pouvant, l’Histoire l’a mon-tré, aussi bien être mises au service descauses plus nobles, qu’au service descauses les plus sombres. On se sou-vient, qu’au milieu des années qua-rante, Hoppenheimer s’est servi de lacélèbre formule d’Einstein E = mc2

pour construire la bombe atomique.Il ne viendrait pourtant à personnel’idée de jeter au panier cette formu-le. On s’en sert d’ailleurs tous les jourspour produire de l’énergie utile.

Robert-Vincent Joule, directeur du laboratoire de psychologie sociale de l’université de Provence.

1 - « Motiver », qu’est-ce que cela veut dire ?

13les cahiers pédagogiques n° 429-430, janvier-février 2005

1 « Est-ce que vous seriez d’accord? Évidemment chacun est libred’accepter ou de refuser… Qui veut bien mettre un autocollantchez lui? Ou qui veut bien faire une observation chez lui? »2 Cf. notamment Joule et Beauvois, 1998.

« N’importe quelle personne peut me motiver si on m’aide à trou-ver des raisons, un but, qui valent certains sacrifices. »« Rien ne m’a motivé cette année ; de plus l’acharnement de mesparents m’a encore plus découragé. J’aurais été motivé si j’avais eul’occasion de partir de chez mes parents pour pouvoir travailler aucalme. Mes parents croient mettre des barrières où il faut, alors qu’ilsles mettent où il faut pas. »« Lorsque je suis motivée, je produis de bons résultats dans tout ceque j’entreprends. Je fais du bien autour de moi. Mon copain m’amotivée en me disant qu’il faut que je travaille pour NOTRE futuravenir. »« Je pense que la motivation vient aussi de se sentir bien en soi. D’êtrebien chez soi et aussi d’avoir une bonne ambiance au lycée, dans laclasse notamment. Et d’avoir aussi des professeurs encourageants. »« Ma mère peut me motiver, mais pas dans le sens où elle va me dire« si tu as de bonnes notes, tu auras un scooter » par exemple. Elle medit que je dois travailler pour moi, pour dans ma vie future, pourêtre cultivé, car c’est important d’avoir une ouverture d’esprit. »

Des lycéens de Nice

P a r o l e s d ’ é l è v e s

RéférencesR-V. Joule (2004) « Des intentionsaux actes citoyens. » Cerveau & Psycho, n° 7, 12-17.

R-V. Joule (2004) « Relancerl’attention et l’intérêt des élèves par une pédagogie del’engagement » in M.C. Toczek et D. Martinot (Eds.),Le défi éducatif,Paris, Armand Colin.

R-V. Joule & J.-L. Beauvois (1998),La soumission librement consentie,Paris, Presses universitaires deFrance.

R-V. Joule & J.-L. Beauvois (2002),Petit traité de manipulation àl’usage des honnêtes gens,Grenoble, Presses universitaires de Grenoble.

N. Guéguen, N. Pascual, & L. Dagot(2004) Se soumettre en touteliberté : la technique du « vous êteslibre de… » in J.-L. Beauvois, R.V.Joule & J.-M. Monteil (Eds.)Perspectives cognitives et conduitessociales, vol. 9, Rennes, Pressesuniversitaires de Rennes.

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Un redoutable frein :la constante macabre

André Antibi

André Antibi expose ici l’idée qu’il défend depuis de nombreuses années et qu’il développe dans unrécent petit livre1: oui, on peut décourager et démotiver les élèves si on suit cette « constantemacabre » qui menace constamment notre enseignement.

DOSSIER Cette fameuse motivation…

Imaginons un professeur excellenten présence d’élèves excellents. Sidans un tel contexte toutes les notes

sont bonnes, l’enseignant est montrédu doigt et passe pour un professeurlaxiste, peu crédible et pas vraimentsérieux. Ainsi, sous la pression de lasociété, les enseignants, le plus souventinconsciemment, sont obligés de jouerun rôle de sélectionneurs malgré eux.En d’autres termes, quoique l’on fasse,il faut qu’il y ait un certain pourcen-tage d’élèves en situation d’échec, une« constante macabre » en quelquesorte. Ce phénomène est-il simple-ment un exemple de situation pouvantêtre représentée par une courbe deGauss ? Non ! La courbe en cloche deGauss n’impose nullement que lamoyenne soit à 10 sur 20 et qu’il y aitun pourcentage non négligeable demauvaises notes 2.Cette « constante » existe peu dans l’en-seignement primaire ; elle est très peuprésente également dans des filières oùune sélection a eu lieu antérieurement(lycées professionnels, grandes écolespar exemple).Il est certain qu’aucun remède effica-ce ne pourra être trouvé pour luttercontre l’échec scolaire tant que la« constante macabre » existera. Tousles problèmes d’enseignement neseront pas réglés pour autant. Maisnous pourrons au moins les repérer,les analyser et les traiter en toutetransparence.Une solution efficace et réalisable rapi-dement existe. Il suffit d’indiquer trèsprécisément à l’élève le type d’exer-cices qu’il devra résoudre, sans piège ;et d’accepter alors, sans culpabiliser,que toutes les notes soient bonnes siles élèves ont rempli leur contrat. Il nes’agit certainement pas de supprimerles notes, ni de mettre des bonnesnotes artificiellement à tous les élèves.Il s’agit essentiellement d’inciterdavantage d’élèves à travailler en lesplaçant dans une situation où leursefforts seront récompensés. Cette solu-

tion est en vigueur dans certains pays,le Canada ou les États-Unis parexemple, où contrairement au nôtre,les élèves sont encouragés et prennentainsi confiance en eux.

Motivation et constante macabreLe lien entre ce phénomène pervers etla motivation des élèves me sembleclair. En effet, la note, perçue à justetitre comme un critère de réussite oud’échec, joue un rôle très importantchez la plupart des élèves.Ainsi, quoique fasse l’enseignant pourmotiver sa classe, un certain pourcen-tage d’élèves sera découragé et démo-tivé. Lors des nombreux entretiensque j’ai eus sur ce thème, j’ai pu merendre compte que certains collèguesn’ont pas conscience de l’importancede la note. Ils pensent par exemplequ’il est possible de motiver un élèvequi a quatre sur vingt à un devoir en leréconfortant et en lui disant aimable-ment que ce n’est pas grave s’il com-prend le corrigé. L’absence de touteforme de mépris dans un tel compor-tement est évidemment positive, maiscela ne suffit pas en général à éviterle découragement de l’élève, surtout sicette situation se reproduit.Les enseignants ont tendance, incons-ciemment, à confondre leur propremotivation et celle de leurs élèves.C’est ce qui ressort très nettement derecherches et d’expérimentations 3.Cette confusion est d’autant plusregrettable que, a priori, les goûts desenseignants, professionnels des mathé-matiques, n’ont aucune raison d’êtreles mêmes que ceux des élèves. Ainsi,alors que nous attachons une grandeimportance à l’évaluation des connais-sances des élèves, nous ne nous pré-occupons pas suffisamment del’évaluation, même sommaire, de leurmotivation.

Motiver en mathématiquesJe suis convaincu que les mathéma-tiques sont une discipline qui peut êtreprésentée de façon ludique et très

motivante. On peut s’en rendre comp-te aisément lorsque, hors évaluation(et donc hors constante macabre), desélèves seuls ou en groupe cherchentcertains exercices. Les nombreux ral-lyes mathématiques organisés par lesIREM (Instituts de recherche pourl’enseignement des mathématiques)permettent d’illustrer ce fait.Signalons que les mathématiques,discipline qui joue un rôle importantpour l’orientation et la sélection,souffrent davantage de la constantemacabre que certaines disciplinesconsidérées (à tort, à mon avis) commenon prioritaires.Je terminerai en insistant sur le pointsuivant : il est tout à fait possible demotiver sans sortir du strict cadre desmathématiques. De nombreux travauxconfirment ce point. Le théorème dePythagore, par exemple, n’a-t-il pas unaspect magique ? Le fait que les troishauteurs d’un triangle sont concou-rantes n’a-t-il pas également un aspect« magique », de même que la sommedes angles d’un triangle soit toujourségale à 180°? Mais encore faut-il faireressortir l’aspect magique de ces pro-priétés et ne pas les présenter demanière abrupte.

André Antibi, professeur à l’université Paul Sabatier de Toulouse, chercheur en sciences de l’éducation.

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1 André Antibi est l’auteur de La constante macabre, ou com-ment a-t-on découragé des générations d’élèves? 160 pages,Ed. Math’Adore - VUPS, 2003. Dès 1989, il écrivait dans lesCahiers : Une suggestion pour combattre la constante macabre(n° 273).2 Cette constante macabre se présente parfois sous des formessurréalistes et caricaturales: à certains concours de haut niveau,la barre d’admission est parfois de 6 ou 7 sur 20 ; dans cer-taines classes préparatoires, réservées souvent aux meilleursélèves, on trouve parfois des notes négatives…3 La motivation en mathématiques : celle du professeur? cellede l’élève?Bulletin APMEP, actes du colloque de Gérardmer, 1999.

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Pourquoi s’ennuient-ils ?…Stéphanie Leloup

L’antonyme de la motivation : l’ennui? Pas si simple. En tout cas, il est important d’analyser de prèsles causes de cet « ennui » qui a fait il y a quelques mois la une de l’actualité éducative. Les résultatsd’une enquête auprès de lycéens et quelques conclusions iconoclastes sur ce thème ambigu.

Tous les élèves s’ennuient aumoins un peu au lycée, dumoins tous ceux que nous avons

rencontrés. Si un certain consensuss’installe pour attribuer cette absencede motivation aux enseignants1, qui « nesont pas assez enthousiastes 2 », « qui ne s’in-téressent qu’aux meilleurs », « qui devraientchanger leur façon de faire cours » et plusparticulièrement qui devraient « arrê-ter de faire copier pendant des heures »,tous les élèves ne s’ennuient pas demanière identique. On peut repérercinq formes d’ennui différentes.Tout d’abord, certains lycéens font deleur ennui le signe de leur résistanceà adhérer au modèle proposé parl’école. Ils estiment que pour s’inté-grer au lycée, il leur faut réprimer eneux quelque chose qu’ils ressententcomme étant tout simplement leur« vraie » personnalité. Devoir se plieraux évaluations, aux horaires de l’ins-titution leur paraît hors de leur por-

tée. Les heures de cours empiètentsur ce précieux temps libre qui leurpermet de vivre pleinement, ce quiles amène à proposer comme remè-de à l’ennui la suppression pure etsimple de certains cours : « C’est pourça que je sèche des cours parfois… Oui,des après-midi entières parfois. Je medis : Il faut bien profiter de la vie, de lajeunesse. Et puis, à long terme, cela n’au-ra aucune importance. »D’autres élèves constatent amèrementque le lycée ne ressemble en rien à unparc d’attractions. « Où est le baby-footpour s’amuser à la récréation ? », sedemandent-ils. « Pourquoi on ne repeintpas le lycée? Le gris, c’est triste. » Ils sup-portent mal de ne rien faire, il fautabsolument en classe que leurs ensei-gnants les « occupent », un peu commeon « occupe » un pays.Si les « mauvais » élèves s’ennuient plusque les élèves « brillants »3, il ne fautpas croire pour autant que l’ennui

épargne totalement les « bons » élèves.Pour ceux-ci, l’ennui vient du ryth-me des cours, trop lent, qui leur donnel’impression de stagner dans la matiè-re, de ne pas progresser. Qu’on ne s’ytrompe pas : cet ennui n’est pas réser-vé aux « surdoués » : un redoublantabordant une 2e fois le programmed’une discipline qu’il pense maîtriserconnaîtra le même sentiment.Évidemment, ceux qui ont des diffi-cultés estiment au contraire que lesprofesseurs ne prennent pas assez letemps d’expliquer, qu’ils n’arriventpas à suivre. Ce qui fait que le plusennuyeux en fait dans un cours peutêtre « de ne pas comprendre ce que toutle monde comprend. Le prof explique,tout le monde a un peu compris, et moij’ai rien compris, et ça, ça m’énerve ».L’ennui devient alors une façon deprotéger son narcissisme.Plus préoccupant est le dernier typed’ennui, celui qui prend la forme d’unedistance entre les élèves et le lycée, etplus particulièrement d’une distanceentre les lycéens et les savoirs ensei-gnés. Non seulement les savoirs sco-laires ne semblent pas désirables eneux-mêmes pour les lycéens, mais ilsn’aident pas, d’après eux, à être auto-nome et adulte. Ils doivent être appriset assimilés, puisqu’ils donnent lieu àune évaluation, mais ils ne font pas senspour l’élève. Ils ne sont pas « concrets ».Le « concret » est le thème phare de cesélèves. Est « concret » tout ce qui estdirectement utile soit dans la vie per-sonnelle, soit dans la vie active. Ceslycéens sont dès lors les premiers àdénoncer le caractère « abstrait » del’enseignement qui leur est proposé,« abstrait » étant alors à entendrecomme gratuit, ne servant à rien. À lalimite, l’école n’est utile qu’à formerles futurs enseignants, et à sélection-ner les « bons » et les « mauvais » élèves.La relation au professeur devient ainsile seul critère qui sépare les coursennuyeux des cours intéressants.

Ennui et matières scolairesEst-ce à dire que la matière en elle-même ne joue aucun rôle dans l’en-

1 - « Motiver », qu’est-ce que cela veut dire ?E

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nui ? Si l’on admet que le caractère« ennuyeux » n’est pas la caractéristiquede l’objet discipline scolaire, mais d’unerelation entre un objet (la discipline)et un sujet (l’élève), il ne peut doncexister des matières plus ennuyeusesque d’autres. Néanmoins, toutes lesmatières n’apparaissent pas commeégales face à l’ennui. Certaines disci-plines ont été plus souvent citées qued’autres comme inutiles et sans inté-rêt : il en va ainsi par exemple, et demanière statistiquement significative,pour les mathématiques et la physique.Si certaines causes d’ennui sont com-munes à toutes les disciplines (diffi-culté de la matière, manque d’intérêtpersonnel de l’élève pour les sujetsproposés), certaines sont propres auxdisciplines scientifiques (manque d’ex-pression personnelle, trop « d’abs-traction »…). Cependant, il n’est pasindispensable de rechercher de mul-tiples causes à cet ennui, car dans cetteaffaire, le lien ennui - performance sco-laire apparaît comme crucial. Certes,les élèves ne disent pas clairement : « sije m’ennuie dans telle discipline, c’est parceque j’ai de mauvaises notes ». Au contrai-re, ils commencent souvent par essayerde prouver l’inutilité de la matière enquestion. Ce n’est qu’en dernier res-sort que l’élève « avoue », le terme n’estpas trop fort, que finalement il ne réus-sit pas dans la discipline qu’il a déni-grée : « Les maths. J’ai toujours détestéles maths. Premièrement parce que je n’envois pas l’utilité, deuxièmement parce quej’ai la confirmation que cela ne me ser-vira pas, et troisièmement parce que je necomprends pas ! Cela ne sert pas, je necomprends pas et je m’ennuie. » L’utilitéou l’inutilité d’une discipline sembleen fait être plus un prétexte pour jus-tifier un manque de compétence que lereflet d’une réalité.

Un bon alibi ?Les élèves ne sont pas les seuls à utili-ser l’ennui pour « sauver la face ».L’enseignant qui peine à transmettrele savoir préférera lui aussi accuser lesélèves de ne pas s’intéresser à son cours.L’institution scolaire elle-même, dontl’une des fonctions est de classer lesélèves sur une échelle de réussite, peutelle aussi instrumentaliser l’ennui : ilpermet de sélectionner ceux qui sontcapables de sacrifier leurs penchantsimmédiats pour telle matière à leursintérêts futurs, il permet de détermi-ner les meilleurs stratèges, ceux quichoisiront la « meilleure » filière. Onpeut donc penser que le véritableengouement pour le thème de l’ennuine s’explique certainement pas uni-quement par le seul changement des

conduites des élèves, qui seraient demoins en moins « motivés », mais éga-lement par le rôle de cohésion dumonde scolaire que remplit cet ennui.En définitive, la plupart des acteurs dusystème éducatif n’auraient-ils pasbeaucoup à perdre si l’ennui à l’écoledisparaissait ?

Stéphanie Leloup, professeure en économie gestion, lycée Bazin, Charleville-Mézières.

DOSSIER Cette fameuse motivation…

16 les cahiers pédagogiques n° 429-430, janvier-février 2005

1 Avec 24 % des citations, les professeurs sont la premièrecause d’ennui pour les lycéens. Les résultats présentés dansle cadre de cet article sont issus d’une thèse. Leloup S., L’ennuiscolaire : du manque de motivation au décalage des attentes,thèse pour le doctorat en sciences de l’éducation, universitéde Reims Champagne-Ardenne, 2003, 767 p., directeur :Gilles Baillat.2 L’ensemble des citations provient de l’enquête réalisée aucours des années 2001-2002 auprès de lycéens de Champagne-Ardenne.3 Les élèves qui obtiennent une moyenne dans une disciplinesupérieure à 12/20, ont statistiquement moins de chance queles autres de déclarer s’ennuyer dans ladite discipline.

Des parcours semés d’embûchesStéphane Beaud, lors d’une tableronde à l’IUFM de Paris endécembre 2003 sur la motivation,analysait les difficultés des élèvesqui, n’ayant « pas trop malmarché » au collège, ont du mal àtrouver les bonnes façons de fairelorsque les études demandent del’autonomie et une persévérancepas toujours acquises dans certainscontextes sociologiques. Extrait deses propos.

« Le collège du quartier, c’étaitsuper, un monde un peu protégé,des profs qui s’occupaient desélèves, qui les maternaient, avec quion pouvait parler. Certains jeunesont abandonné le projet de BEPpour aller au lycée général qui est lerêve de tous. Ils sont ensuite allés aulycée où ils ont côtoyé des« bourges » et ça a été un premiergrand choc. Ils ont découvert l’alté-rité sociale. Et puis, la fac pourlaquelle ils ne sont pas vraimentprêts. Surtout les garçons. Pour eux,l’école, c’était surtout : bien écouteren classe, participer. Mais là où çan’allait pas, c’était le travail à lamaison et le passage par l’écrit. Lapression du groupe est très fortepour celui qui veut bosser. QuandNassim a refusé deux fois, trois foisde se joindre aux copains plutôt quede travailler, il finit par céder pourne pas faire « son fier ». Et Brahimdoit se « protéger des copains » enallant clandestinement à la biblio-thèque, quitte à être traité de« traître au quartier ».Le problème se pose beaucoupmoins pour les filles. Elles sontdavantage à la maison où ellesprennent des habitudes scolaires.Elles se mettent à lire peu à peu.Elles ont une stratégie (échapper àl’échec qui se peut se traduire parun mariage précoce) et commen-cent un processus d’acculturation

qu’il faut encourager. La mêmeélève de terminale ES qui fréquentele club théâtre et lit Tchekhov,demande Sulitzer pour Noël. Il nefaut surtout pas les décourager enleur reprochant « de mauvaises lec-tures » mais au contraire voir là lesigne d’une entrée dans la culture.Les garçons que j’ai continué à ren-contrer régulièrement à la fac, eux,n’ont pas ces habitudes de travailpersonnel. On voit bien là nos res-ponsabilités d’enseignants. Enlycée, plutôt que de leur donnerune image négative de la fac, ilfaudrait leur faire acquérir desméthodes de travail. À l’université,il faudrait développer un cursusplus adapté, moins monodiscipli-naire. Il faut plus que jamaisdéfendre l’université parce que,lorsqu’elle fait bien son travail, elledonne de grandes possibilités d’ou-verture intellectuelle, offre mainte-nant des perspectives d’études àl’étranger (programmes Erasmus)tout en sachant aussi qu’il y abeaucoup de transformations àapporter au niveau du DEUG.En même temps, il faut expliquer auxjeunes qui veulent aller en BTS ou enIUT l’importance du dossier à consti-tuer, et les conseiller pour passer desentretiens : ils n’en maîtrisent pas lescodes, il faut les travailler avec eux.Passer un entretien, c’est parexemple savoir justifier sa candidatu-re, en expliquer les motivations; unetelle forme de communication estpleine de codes sociaux implicitesqu’ils ne découvriront peut-être pasd’eux-mêmes.C’est cela aussi, travailler à la démo-cratisation scolaire. »

Stéphane Beaud, maître de confé-rences en sociologie à l’université deNantes, auteur de 80 % niveau bac…et après?, La Découverte, 2002.

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17les cahiers pédagogiques n° 429-430, janvier-février 2005

L’illusion de la motivationFrançoise Clerc

La motivation ne doit pas être une « tarte à la crème » qui nous dispense d’une réflexionrigoureuse. Françoise Clerc propose ici d’y repérer les enjeux sociaux qui traversent l’école : unelecture qui nous aide à sortir du psychologisme.

La motivation - ou la non-motivation - est devenue l’ex-plication à tout faire dans de

nombreux domaines. Un sportif a-t-ilgagné une compétition ? Il expliqueson succès par sa motivation. Un élèvequi échoue à un devoir n’était pasmotivé. Un chef d’entreprise expliqueles gains de productivité par la moti-vation de son personnel… Cette pré-valence de la notion n’a pas échappéaux chercheurs qui ont tenté tant bienque mal d’en rendre compte.Mais une lecture attentive des produc-tions sur le sujet laisse perplexe. Autantles efforts pour se démarquer de l’opi-nion commune ont produit quantité deconcepts rigoureusement définis, autantleur intérêt pour analyser les conduitessemble réduit. Tout au plus a-t-on l’im-pression de progresser dans l’analysedes impressions subjectives.Dans le domaine de l’apprentissagenotamment, il n’est nul besoin derecourir à la motivation pour analy-ser les performances des sujets. Lagrande majorité de nos apprentissagesse réalisent sans que nous éprouvionsla moindre motivation. Ce sont lesapprentissages de l’expérience, lesapprentissages incidents que nousaccomplissons sans même le savoir quimodifient durablement et efficacementnos comportements. Les publicitairesen savent quelque chose puisqu’unebonne part de leur activité profes-sionnelle repose sur l’existence de cesphénomènes. Symétriquement, nouspouvons éprouver une grande motiva-tion pour un apprentissage (ou pour cequ’il nous permettrait d’accomplir) sanspour autant pouvoir le réaliser. FrançoisTruffaut, dans une lettre à Suzanne, sonassistante, se plaint de ne pas parvenirà apprendre l’anglais: il en reste, mal-gré ses efforts, à un usage hésitant dansles conversations ordinaires. Pourtantil est « motivé ». Il a envie de l’ap-prendre, en admirateur convaincu ducinéma américain. Il en a besoin car ilsouhaite faire distribuer ses films auxÉtats-Unis. Il en a la volonté puisqu’ilprend des cours à chacun de ses séjours.Mais, la motivation ne suffit pas : cha-

cun d’entre nous a certainement faitcette expérience intime.

Des enjeux sociauxUn examen plus approfondi des dis-cours sur la motivation fait apparaîtreque, loin d’être un attribut de la per-sonne, celle-ci est toujours estimée auregard d’une situation sociale préci-se: évaluation, compétition, etc. D’unemanière générale, elle est associée à lanécessité de prouver ses capacités. Sicette observation est juste, il faudraitdonc changer de cadre d’analyse et pas-ser du registre psychologique (affectifet cognitif) pour entrer dans le registredes rapports sociaux.Lorsqu’un enseignant dit qu’un de sesélèves n’est pas motivé, il croit vrai-ment décrire une réalité. La surprisevient parfois de l’élève lui-même: il n’apas nécessairement eu l’impression dene pas être motivé. Simplement sescodes comportementaux ne sont paslisibles par le professeur. Quand on estadolescent, on ne manifeste pas d’en-thousiasme à l’énoncé d’un exercicescolaire, quelle que soit l’impressionressentie. Il est de bon ton d’affecterd’être blasé, de manifester de la non-chalance. Si, par chance, le professeurmontre qu’il est déçu, alors on a mar-qué son indépendance aux yeux descamarades. La motivation s’exprime àtravers des comportements sociaux dif-férents selon les classes sociales : lescodes, non seulement ne sont pas par-tagés, mais ils suscitent des attitudes derejet d’un groupe social à l’autre. Cequi est inconvenant pour les uns est aucontraire perçu positivement pour lesautres. À l’inverse, manifester sa moti-vation peut être une façon d’acheterla paix. De nombreux élèves en diffi-culté le savent. Ils s’engagent sans délaidans l’exécution d’une consigne, fonttout ce que le professeur demande avecune égale énergie… sans avoir comprisce qu’on attend d’eux. Mais ils saventque ce comportement leur attire labienveillance des adultes. Plus grave,la non-motivation peut être le résultatd’un sentiment d’absurdité. Ionescomontre, dans une caricature magistra-

le 1, comment un dialogue entre le pro-fesseur et la petite élève peut dériververs l’absurde simplement parce quechacun développe sa propre logique.Il serait donc plus juste d’appréhenderla motivation comme un des ingré-dients de la communication pédago-gique et d’y repérer la manifestationdes enjeux sociaux qui traversent l’éco-le. Ce changement de cadre de réfé-rence, loin d’être une astuce destinée à« noyer le poisson », me semble per-mettre d’envisager d’autres perspec-tives pour la lutte contre la désaffectiondes jeunes pour l’école. Il s’agirait desortir du « psychologisme » dont l’usa-ge immodéré de la notion de motiva-tion est l’un des indices, pour poser laquestion de savoir comment chaqueélève s’y prend pour « sauver la face etles meubles » lorsqu’il est confronté àla culture de l’école pour laquelle il nedispose pas d’instruments d’interpré-tation, sous le regard des copains, eux-mêmes démunis, mais collectivementbien décidés à survivre. La classe n’estpas une addition d’individus plus oumoins doués, plus ou moins intéres-sés par le travail scolaire. C’est un grou-pe avec une vie intense, dont les adultessont exclus (par leur statut) et se sontexclus (parce qu’ils ne supportent pluscertaines formes de la vie adolescente).Cette coupure, pour compréhensiblequ’elle soit, est productrice d’illusionset de malentendus : illusion que lesélèves sont des individus et qu’ils déci-dent librement d’être ce qu’ils sont,malentendus sur les codes, sur lesobjectifs, sur l’expérience non parta-gée. Les situations scolaires et leurdynamique sociale, la classe en parti-culier, sont au cœur du problème etc’est sur elles qu’il conviendrait d’agirde toute urgence. Mais veut-on (peut-on) s’y atteler?

Françoise Clerc, professeure en sciences de l’éducation, université Louis Lumière, Lyon 2.

1 - « Motiver », qu’est-ce que cela veut dire ?

1 La pièce La leçon (Folio).

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Un projet d’écriture en lycée professionnel

Élisabeth Bergé

Susciter le désir d’apprendre, donc de faire (car en lycée professionnel, les deux se déclinentensemble), c’est un défi qui demande à l’enseignant de s’investir dans l’inventivité pédagogique,mais surtout d’être convaincu que tout cela en vaut la peine. Il y faut autant de désir que d’énergie.

Assoupi, endormi, anesthésiéou négatif, résistant, révolté ?Même si ce ne sont pas les seuls

indices, ils sont récurrents et sont lessymptômes désignés d’un diagnosticde démotivation chez l’élève de lycéeprofessionnel. En 1re BEP vente, cetteannée, j’ai retrouvé les profils attenduset supposés. J’ai lancé en début d’an-née dès la rentrée un atelier de lectu-re écriture sur le roman noir américain.L’idée était de rencontrer la classe ensollicitant leurs projections sur le sujet,leurs connaissances et leurs attentes.Je trouve toujours un peu artificiellesles prises de contact des premierscours et j’ai préféré entrer directementen matière.J’ai présenté le thème et la progression àla classe. Pas de « standing ovation » maisdu « wait and see ». La difficulté de ceprojet, c’était d’une part de croiser plu-sieurs types d’activités, lecture, écri-ture, démarche documentaire, de casserune logique de progression linéaire,d’autre part d’articuler le travail d’équi-pe, enfin d’avoir accès librement aumatériel informatique.

Croiser les activités, certes, maislesquelles et comment?Un parcours de lecture suivie sur unenouvelle de Dashiell Hammett, Papiertue-mouches, avec constitution de fiches

sur les caractéristiques d’un genre aété organisé pour la classe et parallè-lement six groupes de deux élèves cha-cun engageaient en documentationavec le professeur documentaliste, unerecherche sur l’approfondissement deces caractéristiques et leur confronta-tion avec celles du film noir américain.Ils devaient produire à l’issue de cetterecherche des panneaux thématiquesou des comptes rendus sur PowerPoint ou d’autres sortes d’outils detype plaquette documentaire, commedes propositions de scénarios.Puis, il s’agissait pour eux de présen-ter le résultat à la classe et d’être éva-lués par deux jurys, l’un constituéd’enseignants de français, de tech-niques documentaires, d’anglais et enprésence de notre directrice, et l’autreconstitué de représentants d’élèves.L’évaluation prenait en compte les cri-tères liés à la production documentai-re, aux savoirs disciplinaires, mais aussià la prestation orale, sachant que pourdes élèves de vente cette compétencetransversale est déclinée en exigencesprofessionnelles (aptitude à identifierla cible, à informer, à convaincre…).Ce compte rendu qui s’est reproduittrois fois a constitué une véritableponctuation dans ce parcours de lec-ture et les supports réalisés ont étéd’une étonnante originalité. Ils ont

tous fait l’objet d’une exposition dansles couloirs de l’école et dans les locauxde la documentation.En même temps, les élèves produi-saient une nouvelle policière dans lecadre d’un concours international. Laprocédure d’accès et les consignesd’écriture étaient données sur Internet.Chacun devait respecter les consignes,les meilleurs écrits étaient retenus pourle concours ; les autres étaient conser-vés pour être édités par l’établissementdans un « livre d’or » avec d’éventuellesillustrations, et vendus, puisqu’il s’agitd’un BEP vente, dans le cadre du lycée,pour financer un projet de classe pourl’an prochain.Enfin lors d’une après-midi lecture,certains viendraient lire leur nouvel-le aux élèves et aux enseignants de laclasse en choisissant des supportsvisuels et sonores.Le projet s’est achevé par la projec-tion de Miller’s crossing des frèresCohen, exploité dans le cadre du coursd’anglais.

Un projet à tiroirs bien soutenuCe travail n’a été possible qu’avec laparticipation du professeur documen-taliste qui a accompagné les groupesdans la procédure documentaire et per-mis la réalisation des supports ; avecle professeur d’anglais qui a articulé ses

18 les cahiers pédagogiques n° 429-430, janvier-février 2005

2 - Se construire un projet

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activités sur le projet de français ; avecla complicité d’un professeur d’infor-matique, mais aussi de la vie scolairequi a permis l’accès aux cavernes d’AliBaba que sont pour nous, professeursd’enseignement général, les salles d’in-formatique ; enfin avec le soutien dela direction qui a validé toutes cesétapes en officialisant les productionsd’élèves et en leur donnant un écho surl’établissement. Beaucoup d’élémentsfacilitateurs pour un projet à tiroirs àl’organisation complexe. Si je croisnécessaire de le rappeler, c’est que l’ap-prentissage une fois de plus trouve sadynamique, sa régénération dans le tra-vail d’équipe et au-delà dans la solli-citation des autres partenaires del’établissement. L’enseignant ainsi estconforté dans ces relais, et l’élève sortdu cadre classe restrictif pour trouverune sorte de médiatisation.Tout a été respecté, les modalités duconcours, la gestion du temps. Unevéritable fièvre de l’écriture en a saisiplus d’un, pas tous ! Le contrat a étérespecté, ils écrivaient avec leurs mots,dans leur langue et moi, je retravaillaisavec eux ce matériau, pour le rendrelisible, cohérent, permettre sa valida-tion et sa transmission.Alors ont-ils été pour autant remoti-vés, réconciliés avec le français, ces tor-turés de l’orthographe, ces muselés del’écrit ? La motivation de ces élèves nese perd pas, ne s’acquiert pas non plusdéfinitivement, elle se rejoue chaquejour pour l’enseignant dans ce dosagesubtil de tâtonnements et de certitudes.Osons conclure sur une certitude, quele goût d’apprendre se nourrit de pro-jets qui mettent nos élèves de plus enplus en situation de produire « pourde vrai », avec des stratégies très diver-sifiées, face à différents acteurs péda-gogiques et dans des perspectives devalorisation innovantes. Osons réaf-firmer que le lycée professionnel estdepuis longtemps un laboratoire desstratégies de motivation des élèves, etqu’un dispositif comme le PPCPcondense des réponses qui ont faitleurs preuves.

Élisabeth Bergé, enseignante en français-histoire-géographie au lycée Pigier à Toulouse, formatrice.

Élisabeth Bergé est coauteur avecFrançoise Vuillequez de Accompagnerles PPCP, CRDP d’Amiens et CRAP,collection « Repères pour agir ».

2 - Se construire un projet

19les cahiers pédagogiques n° 429-430, janvier-février 2005

Du foot à la citoyennetéClaire Bihan

Un projet de classe dans l’académie de Rouen. Dans « projet », ily a l’idée de « lancer en avant ». Ici, à partir d’une initiative del’EPS, le projet tente de « lancer » une classe, un groupementd’individus, chacun avec leur propre motivation, vers une activitécommune et une véritable coopération.

Notre projet de classe a été orga-nisé et mis en place en 1999-2000 en 6e, puis chaque année

a progressé jusqu’en 3e. Au départ lesélèves recrutés sont tous très motivéspar le football. Certains ont des résul-tats scolaires corrects mais la plupartsont en difficulté. Enfin, certains sonten rupture par rapport au système sco-laire et se sont fait particulièrementremarquer en primaire par leur com-portement. Tout cela nous donne uneclasse très hétérogène et difficile àmanier en 6e. Mais au fur et à mesureque les élèves grandissent, les entraî-neurs de football remarquent un réelchangement de comportement sur lesterrains en situation de match.La finalité de l’ensemble du projet,c’est le développement de la citoyen-

neté et de la vie collective. Noussommes partis de cette définition de lacitoyenneté: connaissance des lois, desdroits et des devoirs sociaux, esprit cri-tique pour pouvoir faire des choix,capacité à vivre dans un groupe, à s’yintégrer, y prendre des responsabili-tés et y respecter les règles collectives.Comme l’activité sportive est le vec-teur « fédérateur » de ce projet, lesenseignants d’EPS et l’entraîneur defootball offrent aux élèves une pratiqueconséquente : quatre heures d’EPSplus une heure d’entraînement defootball par jour en 6e et deux fois deuxheures par semaine pour les 5e, 4e et3e. Ce vecteur est utilisé par l’ensembledes enseignants qui peuvent ancrer lesapprentissages dans le thème de l’ac-

de lettres ou d’articles dans le journaldu collège, à l’écriture d’une charte.Ajoutons deux jours de vie communeen début d’année, lors d’un mini-stage,et une journée en fin d’année au stadepour effectuer le bilan et des perspec-tives pour l’année suivante.

Une organisation éducativeElle est spécifique pour ces classes etmet en place tout d’abord une obser-vation régulière du comportement etdes compétences transversales défi-nis en équipe pédagogique et étudiéspar les élèves en autoévaluation. (cf.tableau). Un ensemble de sanctionsinspirées du sport s’applique au moyendes « cartons » : le jaune pour une peti-te faute, le rouge correspondant à 2

tivité sportive. Bien sûr, une concer-tation régulière est indispensable.Il y a une sortie par trimestre, en rap-port avec le projet, selon une progres-sion entre la 6e et la 3e : visite d’uncentre de formation pour jeunes foot-balleurs, match de football de ligue 2avec observation des comportementsdes joueurs et des spectateurs, ren-contres avec des joueurs et des entraî-neurs de ligue 1, visite du stade deFrance, match à l’étranger: Angleterre,Allemagne…Les interventions diverses visent à faireréfléchir les élèves sur les rapportsentre l’activité physique, le corps et lasanté. Concrètement, cela va de la pré-paration d’un tournoi de handball pourles CM2 à l’organisation d’une « coupedu monde » au collège, à la publication

Les interventions diverses visent à faire réfléchirles élèves sur les rapports entre l’activité physique,le corps et la santé.

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jaunes ou pour une grosse faute et,avant chaque départ en vacance, en 6e,le carton bleu pour récompenser l’élè-ve ayant respecté au mieux le projet.Développer le sens civique demandede trouver des situations de prise deresponsabilité et d’autonomie. L’élèvepart avec une carte à points commepour le permis de conduire ; à chaquecarton jaune il perd une case, lorsquec’est un rouge, deux cases, enfin 6 casesmarquées entraînent une sanction telleque la colle. La responsabilité est déve-loppée dans le fait que l’élève peutrécupérer des cases. Pour cela il doitpasser un contrat avec l’enseignant quilui a mis un carton rouge par exemple.Le contrat est écrit en double exem-plaire et présenté à l’enseignant. S’ilest accepté, il est signé par les deuxparties et mis en application immé-diate. Le contrat ayant été respecté ettenu dans le temps, l’élève peut retour-ner voir le professeur qui effacera lescases marquées par lui-même. Une

telle action volontaire de l’élève favo-rise une explication claire de ce quele professeur attend de l’élève. Celui-ci, investi dans sa démarche, comprendainsi le système dans lequel il se trou-ve et l’accepte d’autant plus.De plus, à partir de la définition dela citoyenneté donnée plus haut, ilnous a paru important de travailler surl’apprentissage du comportement àchaque moment de la journée. Chaqueenseignant essaie de porter une atten-tion particulière durant ses cours surles points suivants et participe à uneévaluation « comportementale » (tableaun° 2) : prise de parole pendant leséchanges, prises de décision dans lesséquences de négociation des projets,autoévaluation à partir de référentielsfournis par les enseignants puis crééspar les élèves (4e, 3e).D’autre part, l’élève travaille sur unthème qu’il présentera sous forme dedossier en fin de cycle du collège. Pourcela, la classe fait de nombreuses ren-

contres avec des interventions variées(arbitre, joueur professionnel de foot-ball, responsable d’une commissioncontre la violence sur les stades enNormandie, kinésithérapeute, méde-cin sportif…).Nous sommes également attentifs aurespect des engagements dans les actionsmenées, à la capacité de travailler engroupe, à la gestion des tâches collec-tives (rangement de matériel, ménagede la classe…). Les élèves sont amenésaussi à pratiquer entre eux le tutorat(expliquer le cours à ceux qui n’ont pascompris lors des études).

De nets effets de motivationSi au niveau 6e le projet est en placedepuis maintenant 4 ans et rentre danssa 5e année, la continuité est difficilepour les classes de 5e, 4e, et 3e. Il fautreconnaître que c’est un projet quidemande un réel travail d’équipe oùchacun a un rôle à jouer. Il est parfoisdifficile de garder sa spécificité et en

DOSSIER Cette fameuse motivation…

20 les cahiers pédagogiques n° 429-430, janvier-février 2005

NicolasCécile

Respecter (matériel,consignes, autres)

VV

S’organiser

DN

Prendre la parole

NN

Prendre une décision

DN

Évaluer

NN

Tableau d’évaluation des compétences transversales n° 1.

Autonomie

Vie sociale

S’adapte à la vie de groupe

Participe à la vie de groupe

Respecte les règles de la vie de classe

Prend des initiatives

A le sens des responsabilités

S’organise et travaille seul(e)

ÊTRE CITOYEN ET ACTIF DANS LE GROUPE

Tableau n° 2. Évaluation comportementale.

Compétences transversales NV D

Attitudes

scolaires

générales

Désire apprendre et manifeste de la curiosité

Est capable d’un effort soutenu

Écoute le professeur

Écoute les autres élèves

Respecte les consignes

Mène un travail à son terme

Sait gérer son temps

Présente son travail avec rigueur, clarté et précision

Est capable de mémoriser

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même temps d’agir ensemble dans lamême direction. Par exemple le systè-me de sanctions, pour qu’il soit par-lant pour les élèves et les parents, doitêtre appliqué de manière identique partous les professeurs. C’est ainsi quel’on peut s’apercevoir que l’échelle dessanctions en fonction des actionsd’élèves est bien différente d’une per-sonne à une autre !Nous nous efforçons cependant demontrer aux élèves notre unité : pources sanctions, un tableau des pénalitésest affiché dans la classe et précise lesconditions pour recevoir une croix, uncarton jaune ou un carton rouge. Lesélèves eux-mêmes sont amenés à mar-quer leur sanction. Ainsi il y a un dia-logue qui s’instaure entre l’enseignantet l’élève.De plus, la réflexion à partir des com-pétences transversales choisies pour éva-luer l’élève au niveau de la « citoyenneté »et la vie collective nous amènent à consi-dérer l’élève dans sa totalité (démarcheplus familière aux enseignants d’EPSqu’à d’autres). Nous pouvons ainsi

observer un changement dans les dis-cussions au conseil de classe où l’équi-pe s’oblige, après le constat, à proposerà chaque élève un projet de progression.Au niveau des apprentissages scolaires,les élèves en difficulté scolaire le res-tent mais certains, qui n’étaient pas-sés en 6e que sur la demande desparents se voient passer en 5e grâce àleur travail, ce qui est très positif pourleur motivation. Dans un questionnai-re rempli par les parents pour un bilanen fin d’année, ceux-ci disent voir net-tement les progrès dans l’autonomiede leurs enfants et une réelle motiva-tion pour venir à l’école: au lieu d’avoirmal au ventre ou de pleurer, ils selèvent avec le sourire. Par contre, ilexiste un vrai problème d’organisationet de fatigue en début d’année de 6e.La motivation des jeunes pour le sportest bien réelle et perdure. Il nous semblevraiment intéressant d’utiliser cettemotivation pour aider nos élèves à trou-ver du sens à leur apprentissage: danscette perspective, l’EPS a donc beau-coup à apporter.

Voir tableau 1Pour chaque colonne il y a possibilitéde mettre une victoire, un nul ou unedéfaite. En de tels termes, les élèvescomprennent bien le sens de leuraction.Les enseignants évaluent les élèves, etces derniers s’autoévaluent. Il sembleensuite intéressant de comparer pourexpliquer à l’élève ce que l’on attendde lui.À chaque conseil de classe, ces tableauxsont repris pour l’élève et des expli-cations sont notées pour envoyer àla famille avec le bulletin scolaire.L’objectif est de faire un bilan com-portemental par rapport au projet etde donner des pistes pour progres-ser. Les parents sont ainsi inclus dansle projet et peuvent aider leur enfant.

Claire Bihan, professeure, collège Bobée, à Yvetot (76).

2 - Se construire un projet

21les cahiers pédagogiques n° 429-430, janvier-février 2005

Les « sports co » motivent ? Pas si évident !

Michaël Nachon et Nathalie Wallian

À l’école primaire, les jeux traditionnels collectifs, comme l’épervier ou encore la balle au prisonnier,remportent un franc succès auprès des enfants. À l’opposé, et depuis quelques années, dès qu’il estquestion de sports collectifs, l’enthousiasme n’est plus toujours le même. Pourquoi donc?

Chaque acteur pédagogique saitbien que les pratiques de sportcollectif sont l’occasion de véri-

tables apprentissages, ainsi que des sup-ports privilégiés à l’éducation motrice,cognitive et sociale des élèves. Dans cecontexte, interpréter le jeu, coopérer ets’opposer en respectant des règles,manipuler efficacement balles et bal-lons pour agir ensemble, sont autantd’objectifs éducatifs potentiellementenvisageables par les enseignants.Malgré cela, les sports collectifs ten-dent à passer de mode à l’école, commele montrent nombre de recherches.Enfants et adolescents semblent de plusen plus nombreux à ne plus s’épanouirdans ces disciplines sportives quimêlent réflexions et actions techniques,tactiques et stratégiques.

Pourquoi les élèves sont-ils aussi peuenthousiastes à l’idée « d’apprendre lessports d’équipe »? Pourquoi sont-ils deplus en plus réticents à l’approche d’uncycle de football à l’école? Commentexpliquer qu’ils ne veulent pas apprendreen basket-ball et qu’ils ne veulent plusjouer au volley-ball? Si les élèves sont deplus en plus démobilisés par ce type d’ac-tivités physiques et sportives, et ce qu’ilssoient ou non en difficulté avec leur corpset leur motricité, c’est qu’une réflexionurgente pour renouveler les contenuss’impose.

Adieu le jeu…Le quotidien des élèves en sports col-lectifs est souvent marqué par le soucide l’enseignant de reproduire et d’es-sayer, encore et toujours, des exercices

d’apprentissage préconçus, pour lesrendre capables de reconstruire men-talement - et de mémoriser avec la plusgrande exactitude - gestes techniqueset combinaisons collectives pensés parl’enseignant. Les traitements didac-tiques et les interventions pédago-giques sont alors calqués sur le modèledu haut niveau.Pour exemple, lors d’un cycle de bas-ket-ball, combien de séances consistentdans un premier temps à apprendre àdribbler, passer, shooter, et envisagentdans un second temps une applicationde ces habiletés techniques dans le jeuen match, en fin de séance? À partir dusimple, l’objectif est quasiment toujoursd’aboutir au compliqué. Avec la mêmevision, les mouvements de l’équipe sontdans cette logique décomposés et ensei-

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gnés à l’aide de processus d’imitation deformes de jeu souvent tirés du hautniveau. Ils sont réinjectés dans le jeu col-lectif en fin de leçon, sans tenir comp-te des préoccupations et des questionsque se posent les élèves sur le jeu.Au final, comment motiver des élèvesà s’éprouver physiquement dans un jeuqui n’en est plus un? Car c’est bien celadont il s’agit. Puisque l’aspect ludiqueest relégué, dans toutes ses dimensions,à l’arrière-plan des préoccupationspédagogiques, les cycles de sports col-lectifs sont désormais le théâtre d’ap-plications sensori-motrices et cognitivesartificielles et décontextualisées.

Moi, j’ai une idée !Pour lutter contre cette fuite de l’au-thenticité des savoirs, il est nécessaired’imaginer d’autres manières d’ap-prendre et de vivre le métier d’élève.Un certain nombre de propositionsefficaces sont envisageables.Premièrement, il semble intéressantde laisser une large place au débat entreélèves, à l’expression de leurs expé-riences et de leurs différences, au par-tage de leurs interprétations du jeu.Ainsi, au début de chaque séance, etentre deux séquences de match, il estpossible d’aménager un temps de dia-logue sur le jeu. Le pari consiste à lesconfronter aux problèmes rencontréscollectivement et individuellementdans l’action, et à trouver des solutionspossibles. Par exemple, entre deuxélèves : « Moi je ne sais pas défendre ; -Comment tu fais ? - Je cours comme ça ;- Non, c’est en suivant ton partenaire desyeux que tu peux lui prendre le ballon ! »Dans ce cas, il faut admettre que le rôlede l’enseignant quitte le champ de latradition « magistrale ». Il devient unguide, souvent surpris par les proposi-tions qui émergent du discours desjeunes apprenants. Il peut questionnerles groupes pour faire émerger diffi-cultés et solutions : « Qu’avez-vousobservé? – Comment expliquez-vous cela?– Quels sont vos projets? » Il a égalementla possibilité de faire confronter lespoints de vue pour susciter des argu-mentations constructives : « Es-tu d’ac-cord avec lui ? – Qu’en pensez-vous? » Ilse doit enfin d’encourager à essayerconsécutivement dans le jeu lesréponses validées collectivement.Il offre de la sorte à ses élèves unedynamique d’apprentissage qui est unvéritable espace de création ludique.C’est ainsi que, prise au jeu des toursde paroles, Stéphanie - élève de 6e –,explique à ses coéquipiers : « Moi j’aiune idée, en défense il faut qu’on soit col-lés aux attaquants comme si c’était du

miel et que nous, on est des abeilles ! »Au travers des débats, l’enseignementdevient dynamique d’un savoirauthentique.De plus, toutes les situations d’ap-prentissage doivent découler de ce queles élèves ont perçu en jouant – et ontdonc verbalisé. C’est un moyen effica-ce pour réaliser un véritable enseigne-ment « par le sens ». Les élèves sonttoujours motivés pour trouver desréponses aux problèmes qu’ils seposent. Ils ne sont pas toujours moti-vés à solutionner des problèmes qu’onleur pose. Le jeu n’est donc plus « appli-cation », il devient « invention ». Parce

que tous les élèves ont le pourvoir de sechanger en ce qu’ils veulent, l’appren-tissage par le jeu en sports collectifsprend une nouvelle place que lui avaitabandonnée l’école traditionnelle.

Michaël Nachon, Nathalie Wallian, l’UFR STAPS de Besançon.

À lire : J.-F. Gréhaigne, P. Godbout, & N. Mahut, (1999).« L’enseignement des jeux par lacompréhension : une revue de ques-tions ». Revue STAPS, 48, 81-93.

DOSSIER Cette fameuse motivation…

22 les cahiers pédagogiques n° 429-430, janvier-février 2005

Objectif MarsOlivier Dargent et Géraldine Dargent

En 2de, la planétologie motive rarement les élèves… comme lesenseignants. Les données sont souvent ardues, avec desréférences mathématiques qui deviennent autant de difficultés etde sources de démotivation. Le projet sur l’exploration martienne2003-2004, « Objectif Mars », a réussi le pari de motiver ou deremotiver élèves, enseignants, parents et les autres membres dela communauté éducative.

Le projet « Objectif Mars » cor-respond au suivi de l’explora-tion martienne 2003-2004, au

moment où les deux sondes américainesSpirit et Opportunity ainsi que l’orbi-teur européen Mars Express explorentsimultanément la surface de Mars. Lebut du projet est de suivre ces mis-sions spatiales et d’en étudier lesenjeux scientifiques. Des recherchessur Internet (voir bibliographie) et surdes publications scientifiques (Scienceet vie junior, La Recherche, Ciel et espa-ce…) donnent accès à des connaissancesdiverses sur les différentes missions.À partir des données recueillies, desmaquettes de Mars Express et Nozomiont été réalisées, ainsi que des panneauxsur plusieurs thèmes de l’explorationmartienne (historique de l’explorationmartienne, outils embarqués sur Spirit,Nozomi, les tempêtes solaires…). Lesrecherches ont débuté avec les travauxd’une classe de 2de dans le cadre desthèmes au choix (4-6 semaines) « Lesuivi d’une mission spatiale en cours,ou son élaboration ». La motivation etl’enthousiasme des élèves ont permis

de prolonger et de pérenniser ce travailsur l’année, sous la forme d’un « pro-jet éducatif et culturel » (PEC), avec lesélèves les plus motivés. Les difficultésrencontrées ont pu être surmontées parune coopération plus large et la réali-sation d’un réseau de compétencesinterdisciplines, interdispositifs et inter-établissements, avec l’implication dedifférents niveaux scolaires.

Un travail en réseau et l’utilisationd’InternetDans une logique de réseau soutenupar l’outil Internet, le projet initié parune classe de 2de du lycée Marie Curies’est élargi à d’autres classes (5e, 4e, 1re

S, TS et BTS), chaque niveau tra-vaillant sur un thème et avec un niveaude formulation adapté. Outre cettepédagogie par projet, le partage decompétences de ce partenariat verticala été une source importante de moti-vation, surtout pour les élèves les plusjeunes par rapport aux classes supé-rieures. Ainsi, par exemple, des diffi-cultés rencontrées en 4e ont pu êtrelevées par des élèves de 1re S qui, par

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le biais d’Internet, ont fourni les expli-cations nécessaires. Le projet s’est éga-lement ouvert sur différents dispositifsde travail (IDD en 5e-4e ; cours en 4e,partie Histoire de la vie, histoire de laTerre ; cours en 2de, La Terre, planètedu système solaire ; TPE en 1re S et TS ;PEC au lycée…) Une autre source demotivation a été de rassembler collègeset lycées du bassin sur un projet com-mun : ce décloisonnement a grande-ment ouvert l’élève à la connaissanceet aux autres. Le sentiment de tra-vailler pour un projet de grandeampleur, de se sentir un maillon utile,voire indispensable, au sein du projets’est révélé être un élément importantpour tous.L’outil informatique correspond à lapratique coutumière de la plupart desélèves. Même si l’équipement enpostes et l’accessibilité du matériel,très inégaux selon les établissements,ont parfois posé problème, Internet,outil d’information gratuite à grandeéchelle, de communication directeavec le savoir et les autres public restetrès attractif pour les élèves. Il a doncété privilégié, sans exclusivité, pourla recherche d’informations, pour lacommunication entre les membres duréseau et pour la diffusion de cetteexposition sous la forme d’un siteInternet (en projet).

Une source de motivation :l’actualitéLe thème même du projet, l’actua-lité spatiale, ancre l’investissementde chacun dans des préoccupationsconcrètes et contemporaines. Lesmédias (télévision, journaux…) et lessites Internet sont les relais des décou-vertes scientifiques et permettent lesrecherches. Travailler sur un sujetd’actualité, comprendre la science entrain de se faire, réfléchir sur lesenjeux et les débats scientifiques, ontpermis de développer une motivationliée à des enjeux contemporains. Lessites Internet, en particulier ceux de laNASA et de l’ESA sont à ce sujet trèsintéressants : ils permettent de suivreau jour le jour les missions en cours,avec des documents originaux, desexplications scientifiques, des simula-tions, un espace pour les scolaires…Cependant, ils présentent des limitesen particulier chez les jeunes élèvesde collège (4e) chez qui sont souventconfondues des vues d’artistes et desimages scientifiques réelles, ainsi queles valeurs spécifiques de chacun desdocuments. Ce manque de discerne-ment entre virtuel et réel - souventrenforcé par les pratiques ludiques desélèves sur les consoles de jeux - doitêtre relevé et corrigé par l’enseignant.De même, ce dernier doit être vigilantpour aider l’élève à distinguer les

images réelles des missions de cellesde leur préparation prises sur Terre.

Des perspectives :un réseau européenLe réseau de travail numérique parta-gé a pour projet de s’étendre en 2004-2005 au niveau européen. Se rajoutentà toutes les transversalités établies en2003-2004 les diversités de langues, desystèmes éducatifs, de curricula, de dis-positifs qui peuvent être autant derichesses et de sources d’intérêt pourles élèves et les autres membres de lacommunauté éducative. Cependant, lataille du réseau paraît importante àprendre en compte. Un réseau tropgrand dépersonnalise le travail de cha-cun et un réseau trop restreint n’est pasassez motivant. Suite à l’expérience duréseau « Objectif Mars 2003-2004 » ilapparaît qu’une participation de 5-6établissements est un bon équilibre,autant pour la motivation des élèves quepour la gestion du projet par les ensei-gnants. Un relais ministériel, par le biaisdu groupe d’étude SDTICE planéto-logie (site d’Educnet) devrait permettrede faire connaître ce type de dispositifpouvant engager élèves et enseignantssur un sujet aussi difficile et « réservéà des spécialistes » que l’astronomie.

Olivier Dargent, enseignant de SVT, lycée M. Curie,Nogent-sur-Oise (60). Groupe d’étude SDTICE, ministère de l’Éducation nationale.

Géraldine Dargent, enseignante de SVT, Collège F. Dolto, Lamorlaye (60).Groupe d’étude LIREST, ENSCachan (94)

Bibliographie succincte :- J.-P. Astolfi, E. Darot, Y. Ginsburger-Vogel, et J. Toussaint(1997) Mots-clés de la didactique dessciences, Paris-Bruxelles, De BoeckUniversité.

- F. Forge, F. Costard, et P. Lognonné(2003) La planète Mars, histoired’un autre monde, Belin, Pour laScience, Bibliothèque scientifique.

- F. Rocard (2003) Planète rouge,Mars : mythes et explorations, Quaides sciences, Dunod.

BOEN n° 6, 12 août 1999, HS.

Image Doc, « Objectif Mars »,n° 180, décembre 2003.

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Quand le vilebrequin tourne…Béatrice Jouin

Comment donner du sens à une discipline générale, comme les sciences physiques, lorsque des élèves suivent une formation professionnelle?

En lycée professionnel, pour cesélèves qui ont connu souventl’échec au collège, l’enseigne-

ment des sciences physiques, commetout l’enseignement général, se doit des’inscrire dans une perspective de for-mation professionnelle.1 Je me suisintéressée en particulier à l’apprentis-sage du concept de force en BEPMaintenance des véhicules automo-biles. Avant de faire des propositionsde séquence, j’ai mené une confronta-tion entre les sciences physiques et latechnologie de l’automobile afin derepérer les complémentarités et lesspécificités des deux disciplines, dupoint de vue des finalités, du discourssur les objets comme des concepts etdes compétences à développer.

La confrontation avec la technologieJ’ai comparé les instructions officielleset celles des manuels scolaires deniveau BEP pour les deux disciplines.Des spécificités apparaissent dans lesfinalités : compréhension en vue de

l’action sur le véhicule automobilepour la technologie, acquisition deconnaissances et de méthodes pourles sciences physiques. Ces spécifi-cités concernent également le regardque l’on porte sur les objets. Dansl’enseignement professionnel ils sontétudiés de façon détaillée, d’un pointde vue à la fois structurel, fonction-nel et analytique, en fonctionnementet dans des cas de dysfonctionne-ment. En sciences physiques, ils sontvus de façon idéalisée quand seule lacaractéristique pertinente par rap-port à la question posée est prise encompte.Pourtant, des complémentarités sontpossibles sur ces deux aspects. À pro-pos des finalités, dans la mesure oùla technologie utilise certains savoirs

sur les systèmes du véhicule automo-bile pour l’apprentissage du conceptde force. J’ai ainsi fait débuter chaqueleçon par un problème technique àrésoudre. Cela a par ailleurs été l’oc-casion de mobiliser les connaissancestechnologiques des élèves, capables dedécrire les relations entre les objetsintervenant dans certains fonctionne-ments des systèmes du véhicule auto-mobile : « Quand le vilebrequin tourne,il fait exercer une force sur la bielle, etla bielle exerce sur le piston et après le pis-ton exerce une force sur le mélange etaprès le mélange sort. »J’ai privilégié les contenus qui étaientutilisés dans le domaine professionnel.Ainsi, dans la mesure où les systèmesd’un véhicule peuvent se trouver alter-nativement en équilibre et en mouve-

enseignés en sciences physiques ; etsur les objets, car l’approche scienti-fique peut être envisagée comme l’unedes composantes de l’approche tech-nologique, quand est étudié le prin-cipe de fonctionnement d’un système.Des synergies sont également envisa-geables en ce qui concerne les compé-tences à développer, car la recherchede paramètres influant sur un phéno-mène et l’émission d’hypothèses sui-vie d’une validation expérimentale,moments déterminants de la démarcheexpérimentale en sciences, peuventêtre comparées à la démarche de dia-gnostic de panne de la technologie.En revanche, dans les manuels de tech-nologie de l’automobile, est utiliséeune propriété de la force, la « trans-mission d’une force à travers une liai-son mécanique », spécifique à latechnologie et en opposition avec lespropriétés de la force en physique.

Conséquences pour l’enseignementCette connaissance du domaine pro-fessionnel m’a permis de m’appuyer

ment, j’ai étudié dans la même séquen-ce les aspects statique, dynamique et derésistance des matériaux de la force,habituellement enseignés de façon sépa-rée dans le temps.J’ai proposé une étude particulière desforces pressantes, qui interviennentdans les systèmes hydrauliques ethydropneumatiques, et des forces defrottement, qui permettent d’expli-quer comment le véhicule avance maisqui entraînent des inconvénients dansd’autres systèmes.Concernant la propriété de transmis-sion des forces au niveau d’une liaison,j’ai présenté en parallèle, à titre d’in-formation, la logique et le discours desdeux disciplines :- En sciences physiques, en mécanique,tous les objets sont considérés de lamême façon, ce sont des objets d’étu-de. La mécanique permet d’étudierl’équilibre ou le mouvement de cesobjets en fonction des autres objets eninteraction avec eux. La force permetde décrire ce qui se passe entre deuxobjets, force exercée par l’un des objetssur l’autre.- En technologie, il s’agit souventd’étudier le fonctionnement de sys-tèmes comprenant plusieurs éléments.Les différents éléments ont un rôledans ce fonctionnement. En méca-nique, un des problèmes qui se poseest la conséquence pour un élément(d’arrivée) des mouvements d’un autreélément (de départ). Les élémentssitués entre les deux ont une fonctionde transmission. En technologie, onparle de forces qui se transmettentd’un élément à un autre.Du point de vue des stratégies péda-gogiques, j’ai choisi de proposer dansquasiment toutes les leçons une phased’émission d’hypothèses suivie d’unevalidation expérimentale, en référen-ce au processus de diagnostic de pannedu domaine professionnel. De plus,il faut rappeler l’importance de l’ex-périmentation et de la manipulationdans la construction des savoirs par lesélèves de lycée professionnel.Ainsi, dans la leçon sur les forces defrottement, les élèves ont cherché les

DOSSIER Cette fameuse motivation…

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« C’est pas pareil quand on agit avec les mainset quand on agit avec la tête. Avec la pratique,

on voit mieux ! »

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2 - Se construire un projet

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facteurs qui pouvaient influer sur la« force de frottement statique limite »,c’est-à-dire la plus petite force de frot-tement susceptible de mettre un objeten mouvement. Les élèves proposentcomme paramètres :- le poids de l’objet, utilisant ce termeou encore « la matière » de l’objet,- les dimensions de la surface decontact, utilisant les expressions « lesupport de l’objet », « la surface decontact »,- la nature du contact, dans des for-mulations comme « si le sol est glissant »,« si la surface est plate », « la peinture dusupport ».Ils ont dû ensuite, par groupes, fairedes hypothèses sur l’influence de l’unde ces paramètres et proposer desexpérimentations permettant de vali-der leur hypothèse.

Les réactions des élèvesTous les élèves ont perçu la relationavec leur domaine professionnel. Ilsexpriment une motivation évidente :« C’est notre domaine, ça nous attire beau-coup plus » - et l’intérêt que cela consti-tue pour leur formation: « Si on le saitdéjà, ça va faire avancer les choses. Cequ’on a fait en sciences, quand on arriveen techno, on passe directement au sujet eton ne perd pas de temps. Sinon, les pro-fesseurs doivent nous expliquer, alors qu’ondoit faire autre chose ».Ils expriment à la fois la différenceet les liens entre ce qu’ils ont étudiéen sciences physiques et l’enseigne-ment professionnel : en sciences « onexplique », on « montre », on « fait desexpériences », alors qu’en technologieon « donne les forces », on « voit justela théorie », on « doit appliquer » ; « en

sciences on explique et en atelier, quandon parle, on doit savoir, donc il faut avoircompris avant ». Concernant le lienentre la recherche des paramètresinfluant et l’émission d’hypothèse sui-vie d’une validation expérimentale, etla démarche de diagnostic de panne,un élève explique : « C’est ça qu’onnous a appris à faire en physique, unedémarche de diagnostic. »Les élèves ont également progressédans leur représentation du fonc-tionnement du véhicule : « À proposdu démarrage d’une voiture, j’ai com-pris que c’était grâce au sol que la voi-ture peut démarrer, sinon il n’y auraitpas de mouvement. » Ou : « Quand onregarde un véhicule, on ne se dit pas qu’ily a autant de forces, il y a beaucoup deparamètres qui entrent en compte pourle fonctionnement du moteur. »Ils ont apprécié la phase expérimenta-le : « Comme on l’avait fait nous-mêmes,on s’en rappelle. » Ou encore : « C’est paspareil quand on agit avec les mains etquand on agit avec la tête. Avec la pra-tique, on voit mieux! » Ils ont en outreacquis une prudence par rapport àleurs représentations initiales: « Quandon est passé à la pratique, j’ai vu et çam’a vraiment surpris… et ça m’a faitchanger d’idée. » Ou encore : « Des foison se dit des choses dans notre tête, on sedit que peut-être c’est vrai, peut-être cen’est pas vrai. »Ces réactions indiquent que les élèvesont trouvé plus de sens à un ensei-gnement des sciences physiques arti-culé avec la formation professionnelle.Et donc plus d’envie d’apprendre.

Béatrice Jouin, PLP au LP J.-P. Timbaud,Aubervilliers, formatrice à l’IUFM de Créteil.

Mon pense-bête pour réussirDes qualités

Aimer son travail : manifester sonplaisir d’être là. Dégager de la cha-leur humaine dans le contact avecles élèves.

Pratiquer la politesse exigée desélèves : leur dire « bonjour » parexemple.

Manier un brin d’humour.

Être disponible ou du moinsessayer de l’être aux momentsdéterminants.

Savoir sacrifier sa préparation pourmettre les choses au clair (vie declasse, savoir-vivre, relation profes-seur/élève, relation entre élèves) ;savoir s’adapter auximprévus quand un problème sur-git dans la classe, par exemple. Nepas se laisser absorber par le seul« savoir ».

Ne pas avoir besoin de recourirsystématiquement à un rapportde force ou d’opposition pourmaintenir le calme : susciter uneambiance favorable au travailcar sereine ; faire prendreconscience aux élèves qu’ils sonten classe pour travailler.Instaurer une discipline compriseet admise de tous. Marquer untemps d’arrêt dès qu’il y a undébut de bavardage.

Exprimer de la sympathie pourles élèves, même si on doit lesrappeler à l’ordre, voire mêmeles sanctionner.

Être ponctuel.

Une méthode pédagogique

Bien construire le cours : séquence,séance, le contenu, les activités.Organiser un cours clair et ordon-né. Par exemple, proposer desquestions écrites clairementdétaillées en sous-questions ; fairedes liens avec les cours antérieurspour montrer aux élèves qu’ilssavent, qu’ils ne sont pas en terretotalement inconnue.

Minuter un cours qui ne laisse pasl’élève inactif, tout en lui laissant letemps de réflexion intériorisée,personnelle.

Une interaction prof/élèves réussie

Se mettre au niveau de ses élèves.

S’adresser au groupe mais faire ensorte que chaque élève se senteconcerné : sur un problème rencon-tré, le professeur renvoie, parexemple, la question à un élève quia réussi ou à un élève qui hésite.

Susciter l’implication des élèves. Lesvaloriser.

Aller vers les difficultés des élèvespour les mettre en confiance et lesaider à voir ce qu’il faudrait faire.S’occuper réellement des élèves endifficulté.

S’assurer que l’explication est clai-re. Interroger les élèves pour qu’ilsdisent s’ils ont compris ou non, s’ilssont d’accord ou non. Reformulerclairement, à l’oral, le travail écritou oral que les élèves doivent faire.

Rolande Hatem,collège Saint-Nicolas, Igny.

1 C’est l’idée que j’ai défendue dans une thèse de didactiquedes sciences physiques soutenue à l’ENS de Cachan en 2000et intitulée « Problèmes de l’enseignement des sciences phy-siques en lycée professionnel, dans sa fonction de disciplinede service par rapport à la technologie, dans le domaine dela mécanique automobile ».

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Trois projets interdegrés en REPEmmanuel Weiss

Mener des projets interdegrés est un moyen d’impliquer les élèves de tout un secteur et unlevier de motivation, surtout dans un réseau d’éducation prioritaire1. On trouvera ici troisexemples de ces réalisations.

• Un défi lectureLes défis lecture se pratiquent déjà au collège depuis plusieurs années, de façoninterne et par niveau. Ils sont un moyen simple de stimuler le goût de la lectu-re autour d’un jeu, de favoriser chez les élèves une lecture active au fil ou auterme de laquelle ils prépareront des questions.Le défi a porté sur quatre livres2. Les CM2 de l’école J. Jaurès et les élèvesdu collège L. de Vinci ont formulé des questions, soumises aux équipes en pré-sence le jour dit. Chaque bonne réponse faisait avancer le pion de l’équipe surune piste de jeu de l’oie. Pour finir, un goûter a eu lieu et un livre a été offertaux membres de l’équipe gagnante. Parallèlement, les élèves de chaque éta-blissement ont préparé des affiches ou dessins liés aux thèmes des livres pro-posés qui ont été exposés.En général, les élèves sont plus motivés pour lire les ouvrages proposés. Lesélèves en difficulté dans ce domaine sont valorisés par rapport à l’effort qu’ilsfournissent. Ils participent, même s’ils n’ont pas pu lire tous les livres. Il ne s’agitpas de les évincer à cause de leurs difficultés en lecture mais de diversifier le tra-vail proposé en fonction du niveau de chacun.Ainsi les livres sont plus ou moins difficiles pour une meilleure adaptation auxcapacités du moment des élèves.Pour certains, lire un livre en entier est l’objectif à atteindre et représente desérieux efforts.Enfin, la motivation est également fondée sur la dynamique d’un groupe à tra-vers un travail coopératif qui succède à la lecture personnelle.

Anne Guibard, Caroline Germain, Véronique Melka, Pascale Everte,enseignantes.

• Projet sciences.Cette action a réuni chaque semaine, d’octobre à mars, une classe de 4e du col-lège Léonard de Vinci et deux classes de CM1 de l’école Jean Jaurès. Les thèmeschoisis concernaient l’électricité (connaître les éléments d’un circuit électrique,savoir en réaliser un, différencier un montage en série et en dérivation…).La finalité du projet : la réalisation, en binôme, d’un jeu « quiz » (avec circuitélectrique) sur une planche en bois. Le choix des questions permettait uneapproche pluridisciplinaire, grâce à la variété des sujets : le sport, les insectes,la Révolution française, l’espace…Les élèves de CM1 ont été répartis par groupes de trois et encadrés par lescollégiens. Les élèves de 4e faisaient profiter les plus jeunes de leurs connais-sances et de leur savoir-faire.On peut tirer un bilan très positif du projet, avec notamment une réelle fiertépour les élèves de CM1 d’être reconnus par leurs aînés, de rentrer en contactdès à présent avec le monde du collège. Ils ont été ravis d’apprendre en mani-pulant et en réalisant des expériences.Les élèves de 4e se sont rendu compte qu’il était difficile d’expliquer et de trans-mettre de nouvelles connaissances et de nouveaux savoir-faire, ce qui fait peut-être changer le regard sur leurs professeurs !

M. El From, professeur.

• Lecture aux enfants de grande section par lesenfants de 6e

Ce projet concerne une classe degrande section de l’école maternelleet une classe de 6e du collège ThomasMasaryk. Plusieurs fois dans l’année,une dizaine de collégiens se rendenten maternelle pour lire pendant uneheure des albums choisis par lesenseignants. Cette activité multipliepour les enfants de GS les occasionsde lecture. En effet, très peu ont desparents qui leur lisent des livres et lesemmènent à la bibliothèque ; de plusle livre est raconté à un petit nombred’enfants, le contact avec le livre estplus direct (en classe, le livre est lu augroupe classe). Les enfants appro-fondissent leurs connaissances del’objet livre : il a un contenu, quelqu’en soit le lecteur, il est source deplaisir partagé.Côtoyer des élèves plus âgés encore enapprentissage, qui ne sont plus dejeunes enfants et pas encore des adultespermet aux élèves de GS de se proje-ter dans leur futur statut de lecteur.Pour ces collégiens accompagnés parleur professeur de mathématiques, cetéchange devient un moment de lectu-re plaisir. Ils n’ont pas de pression, carils ne sont pas jugés par leurs auditeurs.Ils prennent ainsi de l’assurance et per-sévèrent dans leur apprentissage de lalecture.

Fabienne Buzzi, Véronique Broutin, Anne Khaled.

Comptes rendus coordonnés parEmmanuel Weiss, coordonnateurREP Chatenay-Malabry (92).

DOSSIER Cette fameuse motivation…

26 les cahiers pédagogiques n° 429-430, janvier-février 2005

1 Parmi les avantages positifs de ces projets, il en est un quiest fondamental : c’est la lutte contre la fuite scolaire. En effet,le collège est situé en ZEP. L’école élémentaire est hors ZEPmais faisant partie du secteur elle envoie les CM2 au collège.Ces élèves étaient une poignée à rejoindre l’établissementdu secteur il y a quelques années et maintenant presque tousles élèves vont en 6e à Léonard de Vinci.2. L’œil du Loup de D. Pennac, David l’étrange de V. Robinson, LaColère de la Momie de R.Stine et L’Enfant Océan de J.-C.Mourlevat.

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2 - Se construire un projet

On va vous prouver qu’on peutle faire !

Emmanuelle Avignon, Julien Fadat

Comment faire adhérer les élèves à un projet qui au départ n’est pas le leur? Comment les faires’intéresser à des notions comme le développement durable ou le commerce équitable? Commentles lancer dans un long travail de quatre mois autour d’un thème qui, au premier abord, paraîtardu? Peut-être en leur proposant un défi… qu’ils peuvent parfaitement relever ?

Notre collège ZEP propose,depuis plusieurs années, auxélèves, des activités autour

du cinéma, en saisissant des occa-sions telles que des concours pourfaire réaliser des films. Aussi avons-nous répondu à l’appel du conseilgénéral des Hauts-de-Seine de réa-liser un spot sur le sujet du déve-loppement durable en utilisant pourcela le cadre de l’itinéraire de décou-verte en 5e.Cependant, le thème ne paraissaitpas évident. Aussi, avons-nous invitéd’abord les élèves à commencer àtravailler dans le cadre de l’IDDcinéma, à se documenter, à initierdes recherches, avec rendez-vous aubout de quatre séances pour déciderensemble : les élèves auraient-ils vrai-ment envie de faire ce film, de s’inves-tir autour de ces notions difficiles? Lesélèves, en fin de compte, devaient prou-ver à leurs professeurs qui n’étaient passpécialistes de la question, loin s’en faut,qu’un tel projet était réalisable, avec sesexigences de qualité et de rigueur,même s’il ferait appel bien sûr à la créa-tivité et à l’imagination. Étonnés, nousavons vu la classe relever le défi etmener le projet jusqu’au bout.En plusieurs mois, la classe est par-venue à réaliser un film de cinqminutes (qui existe maintenant sousla forme d’un cédérom) sur le thèmede la société équitable. Ce travail aremporté le premier prix du conseilgénéral du 92 dans le cadre duconcours des voyages européens (unesemaine à Berlin) ainsi que le prixspécial de la chaîne télévisée « la 5 ».Léonard dévoile l’invisible, présentécomme une campagne de publicité,veut, au travers de deux mini-fictionset d’une interview filmée de respon-sables d’Artisans du Monde, faireréagir le spectateur face au non res-pect de notre environnement maissurtout dénoncer la situation précairede nombre de citoyens.

Tout le monde a trouvé sa placeTout au long du projet, de nombreusescompétences scolaires ont été tra-vaillées. La liste en est riche: recherchedocumentaire sur le développementdurable, le commerce équitable, l’aideaux pays du tiers-monde; utilisation duCDI; technique de l’interview; résumédes recherches et présentation orale àla classe avec réponse aux questions descamarades concernant ces recherches;participation à un débat et écouted’avis différents ; production de diffé-rents écrits (rédaction de courriers auministre du Développement durable,au groupe Max Havelaar, scénarios decourt métrage) ; travail sur le cinéma:l’image filmée, l’image de soi, construc-tion d’un film, technique de la vidéo,montage d’un film… ; réflexion etdébats sur des thèmes de société: la por-tée réelle du commerce équitable, les

rapports Nord-Sud, la notion d’équité,la dégradation de l’environnement ;analyse de spots publicitaires ; élabora-tion de slogans, d’affiches, de chansons.Tout cela n’était ni évident, ni facileau départ pour ces élèves dont beau-coup ont des difficultés scolairesimportantes. Peu à peu, tout le mondea trouvé sa place dans ce projet.Pour arriver à la réalisation du film,de nombreuses séances se sontenchaînées : recherches documen-taires, débats, écritures de scénarios,réalisations d’affiches, de slogans,d’interviews, de sorties, de story-boards, puis tournages et montage.Pour certains élèves, ce fut l’occasionde révéler, de développer des qualités,des compétences inattendues.

Ajoutons que les élèves ont toujourstravaillé de manière coopérative enpetits groupes. Chaque groupe pré-sentait l’état de ses recherches auxautres, ainsi la motivation se relançaitsans cesse.À chaque échange des groupes il yavait un président de séance pour régu-ler la prise de parole et un secrétairequi, aidé d’un enseignant, consignaitl’essentiel des décisions dans un jour-nal de bord.En fait, on peut tirer de notre expé-rience quelques enseignements :Ce qui a motivé les élèves c’est la« non-motivation » des enseignants faceà un sujet qu’ils trouvaient trop ardu.Les profs ont alors fait confiance auxélèves, laissant un espace d’initiatives

Ce projet a aussi montré l’intérêt à tra-vailler en IDD. En effet, chacun desdeux enseignants était, à la fois anima-teur et observateur, ce qui permettait unéchange enrichissant et une régulationsouple en temps réel (si un enseignantintervient trop, par exemple). Jamais lesenseignants n’ont travaillé à la place desélèves même pour gagner du temps. Ilsn’ont fait que les guider, les laissant ainsitrouver progressivement leur place etrévéler leurs compétences.Par ailleurs, le technicien, metteuren scène n’est intervenu que vers lafin du projet comme il était prévu,c’est-à-dire après que le travail derecherche et d’écriture ait été effec-tué avec la participation de tous lesélèves. Ainsi, un piège a été évité : desélèves s’échappant du travail d’écri-ture pour se focaliser sur la techniquede tournage.

Les élèves ont toujours travaillé de manièrecoopérative en petits groupes. Chaque groupeprésentait l’état de ses recherches aux autres, ainsila motivation se relançait sans cesse.

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Les arts plastiques ont l’intérêt dene pas réactiver les échecs pas-sés et peuvent être un tremplin

vers de nouveaux apprentissages. Ainsipeuvent-ils faciliter la réhabilitation desoi pour des élèves qui ont toujoursconnu l’échec. Ce qui était essentiel,c’est qu’au fil des séances, chacun puis-se exprimer son désir de créer, de réus-sir quelque chose, de découvrir le plaisird’être et de faire parmi les autres.

Mise en place et conditions de laréussiteIl fallait à la fois, pour mener à bience projet, stimuler le désir, donnerconfiance et donner envie de continuerl’activité. Et pour cela, aider ceux quicraignaient leur incompétence, rassu-rer, accompagner. Je suis, ainsi, deve-nue la personne ressource : être làquand il fallait et donner un coup demain aussi respectueux qu’efficace touten faisant attention à ce que l’enfantreste « maître de son œuvre ». Il fal-lait faire avec lui mais pas pour lui.Une condition de fonctionnement :s’assurer d’un espace « lieu et temps »

sécurisant. J’ai institué, dès la deuxiè-me séance, un certain nombre derituels. Ils concernaient, essentielle-ment, la mise en route et la fin de l’ac-tivité (prise de possession collectivepuis individuelle du « territoire »,temps de « décrochage », rédactiond’un « cahier bilan ») et étaient desti-nés à en favoriser le déroulement parl’installation de points de repères iden-tiques de vendredi en vendredi.Autre condition : la permanence dumême adulte et du même groupe depairs. L’activité picturale devait sedérouler dans une salle complètementindépendante de l’espace classe : laBCD. C’était un lieu à part qui avaitses propres lois, ses propres exigences,différentes de celles de l’espace clas-se mais néanmoins complémentaires.

Faire grand…Il a fallu au départ accepter de ne passavoir exactement où l’on allait, nonseulement individuellement mais aussiavec son groupe, en faisant confiance eten comptant sur les idées de chacun.Nous avons, ainsi, élaboré et vécu

dont la classe s’est emparée pour prou-ver qu’elle voulait ce sujet et pour réa-liser le film.Les élèves les plus fragiles ont été valo-risés à la mesure de leurs efforts. Il ya eu certes peu de réinvestissement auniveau du travail scolaire quotidien.Cependant le travail fourni a permis ledéveloppement de compétences (durespect des consignes au fait de bienposer sa voix). De même leur com-portement a évolué : une élève aaccepté de se voir en vidéo sans pro-testations alors qu’au départ elle nesupportait pas son image.Ce qui a aidé aussi les élèves c’estla situation en elle-même qui est« cadrante » car on est obligé de secontrôler, d’être concentré quand « çatourne ». Sinon la sanction est immé-diate: la séquence est un échec et il fautrecommencer.Ayant vécu cette expérience, les élèvesn’ont qu’une envie : la renouveler.

Emmanuelle Avignon, professeure de français, Julien Fadat, professeur d’EPS, collège Léonard de Vinci, Chatenay-Malabry.

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28 les cahiers pédagogiques n° 429-430, janvier-février 2005

Un projet à vivre en classe primairespécialiséeCatherine Wagnon-Favoreel

L’« Aventure picturale » : une illustration de la pédagogie duprojet comme manière de mobiliser de jeunes Lillois de 6 à 13 ansen grande difficulté, autour des arts plastiques.

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ensemble un grand projet pictural quia permis à ces enfants en échec de neplus rester figés dans le présent, de seprojeter dans l’avenir. Le temps a alorspris du sens ; il est devenu quelquechose de vécu qui engage tous les élèvesd’une même classe vers un même butpour une date fixée: créer une granderéalisation picturale qui se devait d’êtreachevée pour le jour où l’expositionaurait lieu ; temps fort dans l’activitéscolaire, moment exceptionnel! Chacunapporterait sa part de création person-nelle dans cette œuvre collective tropgrande, de toute façon, pour être réa-lisée par une seule personne.Faire grand, pour moi, c’était : œuvrerdans le sens d’un déconditionnement ;donner à l’enfant l’occasion de « s’écla-ter » mais dans une surface précise,sécurisante par ses limites; et miser surle spectaculaire. Pour les jeunes, c’était:constater qu’on leur faisait, enfin,confiance ; surmonter une épreuve ;libérer le geste, aller plus loin…

À l’heure du bilanÀ aucun moment, la motivation n’esttombée. Les élèves ont été impliqués,au maximum, dans les choix et les pro-positions. Au cours de l’activité pictu-rale, aucun leader ne s’est manifestédans ce groupe d’élèves de 9 ans et plus,âge où l’on s’affirme. Or ces leaders exis-taient; j’avais pu les côtoyer au cours desmatières plus « strictes » comme le fran-çais ou les mathématiques.L’objectif premier du projet pictural,c’est-à-dire le réinvestissementconstructif de l’énergie des élèves,n’était pas facilement évaluable. Pouressayer de repérer et d’analyser lesapports de ce projet tout au long deson déroulement, j’ai donc essayéd’utiliser différents outils qui ontrendu possible un va-et-vient perma-

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1 UPI : « Unité pédagogique d’intégration », dispositif collec-tif d’intégration en collège ou en lycée destiné à la scolarisa-tion d’élèves en situation de handicap liée à des déficiencesauditives, visuelles, motrices ou présentant des troubles impor-tants des fonctions cognitives.

nent entre les moments de bilan et lesmoments de réalisation (pratique natu-relle de l’évaluation formative) : unegrille d’évaluation individuelle, uncahier de bord, un cahier bilan.Finalement, nous sommes allés plusloin que nos espérances.

Catherine Wagnon-Favoreel, enseignante spécialisée, professeur d’UPI 1, lycée Depoorter, Hazebrouck

Le lecteur soucieux d’en savoir pluspeut prendre contact avec l’auteur à l’adresse < [email protected] >et se reporter à son ouvrage quidéveloppe la pédagogie présentéedans cet article : « l’Aventurepicturale : un projet à vivre en classespécialisée » CRDP d’Amiens, 1998.

«L’aventure picturale»Point de départLecture d’un conte de moninvention intitulé Le poisson d’or

Activité de communication etd’expression orale puis picturale.Comparaison des différents dessinspour faire ressortir les pointscommuns, les divergences. Dans lamajorité des cas, les poissons étaientréduits au plus élémentaireschématisme. Ils ne se distinguaientque par leur couleur… et encore !

Une question émerge alors : quefaire, dans les séances suivantesd’arts plastiques, en rapport, biensûr, avec ce qui s’était déjà vécu?

DiscussionTout, au cours de cette « aventurepicturale », sera sujet à discussion, àremise en question, ce qui permettrad’entretenir la motivation enconsolidant le groupe. Rien ne peutêtre fait sans son adhésion.Les élèves décident de rechercher« toutes les formes de poissonspossibles et imaginables ». Visite à« Nausicaa » (le Centre national dela mer de Boulogne-sur-Mer),projection de la cassette « La petitesirène » et recherches de documentsà la bibliothèque municipale.

Tri des différentes formes :classement par analogie; sélectionde dix d’entre elles, les plus farfelues,les plus inattendues…Agrandissement des formes choisies ;traçage, sur du carton épais, defaçon à construire des gabarits.

Mais comment « remplir » lesdifférentes silhouettes obtenues?Le besoin s’est fait sentir de réaliserquelque chose de spectaculaire avecles éléments ainsi obtenus. Certainsont proposé de les coller sur ungrand support. Mais quellesdimensions donner au fond?

Cela a donné l’occasion d’uneséance de maths sur les mesures de longueurs en fonction del’emplacement mural dont ondisposait.

Quelle forme attribuer à ce fond?Une « forme sortant del’ordinaire », « des poissons pasenfermés dans des bocaux »…L’idée retenue a été celle de dessinsd’aquariums renversés d’où lespoissons s’échapperaient.

Passage à la réalisationChoix des critères pour le« remplissage » des formes ; chacun apu découvrir des techniques en

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faisant varier divers paramètrescomme l’outil, le médium ou le plan,combiner des techniques pour eninventer de nouvelles, préméditer ounon les effets. Un matériel très variéet très hétéroclite a été utilisé,ouvrant sur des « possibles », despinceaux et rouleaux de grosseur etde matière différentes aux éponges,Cotons-Tige, plumes d’oies, bâtonsde glace, peignes, tampons à récurer,brosses à dents… Pour la réalisationdu fond, quelle matière utiliser quiévoque l’eau et fasse ressortir lespoissons? On a opté pour ledéchirage de bandes ondulées dansdes nappes en papier, dans les tonsbleu/vert, dont la texture gaufréecréait un aspect de matière.

Finition du projetAssemblage du fond et des formespour composer l’œuvre ; ajoutd’algues pour décorer le bas del’œuvre et de bulles qui sortaient dela bouche des poissons.Signature de l’œuvre par tous lesélèves. Quel grand momentd’émotion ! Les élèves se sentaient« quelqu’un » comme les grandsartistes et, en plus, cela voulaitdire que leur travail de longuehaleine était fini, enfin, presque,car était venu le temps del’exposer et de devoir accepter leregard de l’« autre ».

L’expositionRéalisation d’affiches, de « tracts »pour inviter, par écrit, les parents, lepersonnel de l’école ou les « gensde l’extérieur ». Invitationpersonnelle et par oral des autresclasses de l’école.Organisation de la visite : les« acteurs » étaient disponibles pourexpliquer aux visiteurs lesdifférentes étapes du projet, de saconception à sa réalisation, et pourrépondre aux éventuelles questions.À l’issue de la visite, les« spectateurs » devaient remplir le« livre d’or ».

L’œuvre était exposée mais aussi lesimpressions des « élèves acteurs »et une frise récapitulative desdifférentes étapes de l’activitépicturale.À chaque étape correspondaient undessin ou une photographie et unephrase ou un texte.Pourquoi cette frise? Il étaitimportant de laisser une trace dulong travail accompli… de seremémorer la chronologie desévénements, des joies et desdifficultés rencontrées… pour bienl’intégrer et pour pouvoir larestituer aux visiteurs del’exposition… Pour donner du sensà ce qui avait été fait.

Catherine Wagnon-Favoreel

Des BEP se formenten AfriqueMarie Anne Aïdekon, Catherine Leduc-Claire

Un stage effectué au Bénin pour des élèves de BEP, tel est leprojet d’une équipe enseignante dont le pari a atteint son but :aider ces jeunes à trouver du sens à leur formation et leur donnerenvie de la poursuivre.

C’est l’histoire d’une rencontreentre des hommes et des femmes« baignés » de cultures africaines

et d’un établissement « arc-en-ciel » 1,c’est-à-dire un établissement privécatholique dans lequel se côtoient desenfants et adolescents issus de toutes lesreligions, monothéistes ou non, detoutes les origines ethniques et de tousles milieux socio-économiques.Au départ, un grand défi, en 2002 :faire effectuer la « période de forma-tion en entreprise », pour des élèves deBEP CSS 2 dans les hôpitaux, crècheset centres pour handicapés de Cotonouau lieu de les effectuer sur les terrainstraditionnels de l’Ile-de-France. Maisaussi le pari qu’une immersion « bru-

ciées avec une permanente référenceaux réalités du terrain, aux nécessitésdu moment et aux besoins de chacun,du groupe et des professionnels.En mars 2004, l’aventure est recon-duite.Chaque fois, l’un des soucis est detrouver « le nerf de la guerre » sachantque les initiateurs du projet souhaitentque le coût ne puisse pas être un modede sélection des élèves 3. L’organisationlogistique sera facilitée, les enseignantsconcernés ayant de solides liens dansl’ensemble du pays.Pour cette deuxième opération, il a étédécidé de faire partir 16 élèves: 13 fillesde BEP CSS, comme la première fois,

tale » même si elle avait été longuementpréparée, aurait, humainement et pro-fessionnellement, des conséquencespositives et inoubliables pour toutesles personnes engagées.On allait pouvoir être loin du coursthéorique, déconnecté des réalités,enfin on allait pouvoir travailler sur « lavraie vie », nouer des relations réellesentre élèves et adultes, avec toutesleurs contraintes, mais des contraintesqui seraient explicitées et parfois négo-

et 3 élèves dont 2 garçons de BEPvente, afin de diversifier les contacts etles échanges. Tous les lieux de stageont été trouvés et visités, validés parl’équipe.

Un stage pas comme les autresIl serait vain d’essayer de décrire toutle processus, mais nous avons tentéd’en faire une présentation détailléesous forme de « carte mentale »4 afin debalayer tous les aspects du projet, tanten amont qu’en aval de la réalisation.

Enfin on allait pouvoir travailler sur « la vraie vie », nouer des relations réelles entreélèves et adultes, avec toutes leurs contraintes,mais des contraintes qui seraient explicitées et

parfois négociées avec une permanente référenceaux réalités du terrain.

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2 - Se construire un projet

Notre expérience prouve qu’à des mil-liers de kilomètres, il est possible derespecter les objectifs professionnelsd’un examen occidental, même si l’en-vironnement et les coutumes diffèrent.Les tuteurs de stage ont joué le jeu.Leur encadrement a même été pourles jeunes, plus proche et plus enri-chissant qu’il aurait pu l’être enFrance. Les élèves ont eu un « droit deregard » sur les entreprises et institu-tions qu’ils fréquentaient, ils étaientainsi incités à observer, à faire remon-ter leurs remarques, leurs suggestions.Ils étaient entendus et donc valorisés ;mais cela les obligeait aussi à travaillersur le contrôle de leurs observations,tant au plan du fond qu’au plan de laforme : tout un apprentissage sur leterrain, de savoir-faire indispensablesdans toute vie professionnelle.

apprentissage de la durée, de la res-ponsabilité individuelle et collective,de la prise de risque, de la nécessitéd’assumer la conséquence de seschoix est sans doute celui qu’onpourra retenir comme le plus fonda-mental. Au-delà des apprentissagesprofessionnels, de la découverte desmodes de vie et des économies del’Afrique subsaharienne, ces jeunesont pu mettre en perspective leur vieoccidentale, leurs problèmes person-nels, familiaux (et ils en ont souventd’importance), par rapport à la réa-lité de cette Afrique démunie de toutou presque, de cette Afrique joyeusecependant, de cette Afrique ouverteet accueillante dans laquelle, peut-être, bien des valeurs ont gardé deleur sens.

Un projet collectifNous avons été constamment attentifsà ce que l’initiative ne soit pas celle dequelques adultes aventureux, mais unprojet commun. L’équipe y a réussipuisque dans la classe de CSS concer-née, seules 14 élèves partaient, et c’estcependant toute la classe qui s’estmobilisée pour faire rentrer des fondsafin de financer le voyage.Ce sont certaines élèves elles-mêmesqui sont allées plaider leur causeauprès des associations de parentsd’élèves afin d’obtenir une subvention.

essayer ensuite d’obtenir les concoursd’entrée dans les écoles d’infirmières.Auparavant, ces élèves arrêtaient leurparcours scolaire au BEP et seulementcertaines tentaient les concours d’ac-cès aux formations d’aide-soignante.Un autre aspect très positif de l’ex-périence, c’est d’avoir fait cohabiterdes sections de CSS et de vente, lesélèves se sont non seulement côtoyés,mais ont appris à se connaître et à sereconnaître, sans méfiance, partageantleurs acquis professionnels, les unsdemandant même parfois aux autresde les emmener sur leur lieu de stageau moins une fois, « pour voir ».Pour beaucoup d’entre eux, c’était lapremière fois qu’ils étaient devant laresponsabilité de mener à bien unprojet, avec un avant, un début, unpendant, une fin et un après : cet

Si on s’attarde sur l’intérêt de stagesen crèches, par exemple, il vient, entreautres, du fait qu’ils ont permis d’éta-blir un comparatif entre éducationsoccidentale et africaine : l’approche del’enfant et l’apprentissage de l’auto-nomie y différent, l’enfant africainn’étant pas « l’enfant roi » et l’adulteconservant son rôle d’adulte.Les stages de vente, quant à eux, sesont avérés plus complets et plus richesque les stages en France, les élèvesayant accès à de nombreuses informa-tions sur l’entreprise, ses résultats, sesstratégies, qui sont l’objet d’une sortede « blocus » sur notre territoire.

Le retour de la motivationIl n’est pour s’en convaincre que delire et d’écouter les 16 élèves pendantet après le séjour africain ainsi que lesenseignants qui ont encadré ces jeuneset qui les ont retrouvés, après 22 jourssur place puis 15 jours de vacances deprintemps, transformés. Il faut voirles bulletins trimestriels de la plupartde ces jeunes qui attestent un retourde la motivation et donc de l’envie deréussir…Suite au premier projet, on avait puremarquer que toutes les élèves ayantséjourné en Afrique avaient décidé depoursuivre leur cursus, post BEP ets’inscrivaient en première d’adapta-tion afin de passer un bac SMS5 pour

On pourrait encore aller plus loin, parexemple en mettant en œuvre une liai-son par courriel afin que chaque soir,par petits groupes, les «Africains » ren-dent compte de leur journée aux cama-rades et professeurs restés en Franceet que ces derniers, le matin, puissenttransmettre les dernières informations.Et encore en impliquant toute la clas-se de BEP VAM en amont du projetpour construire la publicité du projetet « le service après-vente » avec leursprofesseurs.Pour y parvenir, certes, l’engagementdes enseignants encadrants est lourd,sans un instant de répit. Il est aussibeaucoup exigé des élèves : lever trèsmatinal, temps de transports trèsimportants et inconfortables dans lesembouteillages et la pollution deCotonou, journée de travail, nourri-ture inhabituelle, chaleur et humidité,maux divers, éloignement de la famil-le et des amis, tâches domestiques,réunions nocturnes aux fins de remé-diation, de rédaction du journal debord personnel, des bilans collectifs…Il nous semble que mener à bien un telprojet permet à des élèves parfois enmanque de repères, souvent en défautde motivation, de donner un sens autravail scolaire, de lui donner une placedans la réalité de leur vie, au présentet au futur, parfois aussi, pour certains,de commencer à donner un sens à leurvie, tout simplement.

Marie Anne Aïdekon, chef de projet,

Catherine Leduc-Claire,chef d’établissement, lycée Saint-Benoist de l’Europe, 93170 Bagnolet.

1 L’expression a été utilisée par Monseigneur Olivier deBéranger, évêque de Saint-Denis, lors d’une de ses visites pas-torales à Saint-Benoist de l’Europe en 2003.2 Il s’agit exclusivement de filles. La filière est celle des car-rières sanitaires et sociales. C’est la classe de terminale BEPqui est concernée pour une période de 3 semaines.3 Le conseil régional, l’organisme de gestion de l’établisse-ment, les associations de parents d’élèves de l’établissementet du département financeront en partie le projet. L’association« Banlieues du Monde » apportera sa caution morale, et lesélèves gagneront par le biais d’opérations diverses les sommesnécessaires pour alléger le coût restant à la charge des familles.Le groupe ACCOR Afrique prendra en charge gratuitement l’or-ganisation de certains temps de loisirs.4 Le logiciel « mindmanager » a été utilisé pour produire ledocument présenté. Il est consultable (et utilisable gratuite-ment) sur le site : www.mmdfrance.com.5 Bac technologique : sciences médico-sociales.

Cet apprentissage de la durée, de la responsabilitéindividuelle et collective, de la nécessité d’assumerla conséquence de ses choix est sans doute celuiqu’on pourra retenir comme le plus fondamental.

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Combats « à mémoire »Michel Calmet

On verra ici l’intérêt de la pratique des arts martiaux, et en particulier du judo, à l’école. L’auteurest un enseignant d’EPS qui a expérimenté les nombreux outils1 qu’il propose. Ici, le combat « à mémoire » consiste à reproduire ce qui a été réussi.

Rappelons que le judo est uneactivité physique de combatrécente, elle a été mise au point

à la fin du XIXe siècle au Japon commeméthode d’éducation physique. Lessports de combat sont perçus d’unepart par les enseignants comme néces-sitant une maîtrise technique impor-tante, associée (pour le judo ou lesactivités d’origines asiatiques) à la maî-trise d’un vocabulaire spécifique ;d’autre part, les médias valorisent lavictoire, le gain du match, en ne pré-sentant quasiment que les grandescompétitions. Pourtant le judo, à sonorigine, est structuré pour comprendredeux principes : l’entraide et la pros-périté, d’une part ; l’utilisation opti-male de l’énergie, d’autre part.Au sein des fédérations françaises dejudo et de karaté, 80 % des pratiquantsne s’inscrivent pas dans les cham-pionnats officiels. Ils font donc unepratique en club, hors compétitionofficielle, ce qui ne veut pas dire horsconfrontation. Tous passent des cein-tures qui représentent leur connais-sance de l’activité. Ces pourcentagesnous amènent à considérer que lesceintures et leurs examens techniquesmatérialisent les buts d’implicationdans la tâche à accomplir et les résul-tats en championnats officiels les butsd’implication de l’ego.

Un rapport pacifié à l’autreAu sein de l’Éducation nationale,paradoxalement, les sports de combat(lutte, boxe et escrime) sont peuenseignés alors que ces activités sonttoujours présentées comme éduca-tives par les fédérations sportives. EnEPS, la pratique des activités phy-siques de combat est de l’ordre de 3 à5 %. Ce décalage peut s’expliquer carles productions pédagogiques sontessentiellement centrées sur l’obten-tion des résultats alors que les élèveset les professeurs d’EPS attendentplus du développement des habile-tés motrices, et souhaitent apprendrede nouveaux gestes.Notre intention est de proposer uneréflexion où le judo est étudié et pra-tiqué comme un jeu d’équilibre etde relations. Il s’agit bien de prendrel’équilibre de l’autre dans le cadrede confrontations adaptées mais enrespectant des équilibres physiques(contrôler la chute de l’autre) et sociaux(respecter l’autre). Ces confrontationsdoivent permettre un rapport pacifiéà autrui2. Il s’agit donc d’allier oppo-sition et coopération au sein de cetteactivité. À l’école, les enfants viventplusieurs heures par jour en commu-nauté. « Ce qui rend possible l’apparitionde la coopération, c’est que les joueurs peu-

vent être amenés à se rencontrer à nou-veau. »3 S’appuyer sur la coopérationne signifie pas supprimer le côté oppo-sition dans les combats, c’est permettreque la confrontation s’organise à nou-veau. C’est à partir du combat que nousmenons cette réflexion, et le « combatà mémoire » peut ici servir d’exemple.Les élèves ont le droit de projeterl’autre (de le mettre à terre) en res-pectant des contraintes gestuelles (nepas saisir les jambes avec les mains etconserver l’équilibre debout lors de laprojection pour contrôler l’autre). Lecombat devient « à mémoire » lors-qu’une projection est réussie. Dans cecadre d’opposition aménagée, cetteopposition est interrompue et les deuxcombattants doivent refaire en coopé-ration ce qui a été réussi, en recréantle contexte du combat. L’objet ducombat devient alors d’être capable demontrer aux autres ce que l’on a réus-si (et donc compris ponctuellement)dans le combat. On se dégage ainsi desbuts d’implication de l’ego pour se cen-trer sur les buts d’implication dans latâche. Cela permet de développer desformes de mise en communauté destechnologies nécessaires à la compré-hension de cette activité. Le « combatà mémoire » apprend à traiter l’adver-saire non pas comme un ennemi, maiscomme un partenaire de jeu. « Le seul

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enjeu du combat c’est la chute et l’immo-bilisation, mort symbolique dont on se relè-ve et qu’on ne craint plus. L’adversaireest devenu partenaire. »4 La techniqueabordée est issue des comportementsdes apprenants, elle est porteuse desens pour eux car c’est de leur vécuqu’il s’agit. Les gestes réussis par lesuns peuvent être de nouveaux gestespour les autres. Travaillés et affinés, ilsserviront de base pour l’élaborationd’une prestation technique. Prendrel’équilibre, puis le rendre pour com-prendre devient alors l’axe de travail.Les règles d’or qui régissent l’activitépeuvent alors s’écrire ainsi :Ne pas faire mal, ne pas se faire mal, nepas laisser faire mal.L’enjeu du combat ne prévaut jamais surl’intégrité de l’autre.Savoir interrompre le combat à bonescient.Le plus fort fait progresser l’autre.Libre choix du partenaire.Les deux premières règles sont clas-siques. La troisième reste classique sion l’applique quand le partenaire ledemande ou le manifeste (plainte suiteà un choc), ou bien si les combattantssont proches d’autres combattants ouproches des limites de l’aire de com-bat. Elle prend une dimension nouvellesi on l’applique dans le « combat à

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« Comment motiver et faire travailler efficacement les élèves ? »La réponse du Crap à la question 8 du « Grand débat » :

Les enseignants engagés dans lesmouvements pédagogiques sontsoucieux d’inciter chaque élève àaller au bout de ses possibilités : ilsne peuvent donc que valoriser l’ef-fort, le travail, l’investissement dansles activités proposées à l’école.Mais cela ne se décrète pas à coupd’injonctions et de plus ne doit pasêtre opposé à la nécessaire « moti-vation ». Celle-ci ne précède pasdavantage la mobilisation de l’élèvecomme une sorte de préalablequ’elle ne naîtrait miraculeusementde la mise au travail. L’intérêt des dispositifs comme laMain à la pâte, les IDD, les PPCP, lesTPE, mais aussi toutes les formes depédagogies du projet est qu’ils sontdes moyens :

• d’améliorer la communicationentre professeurs et élèves, en parti-culier par l’émergence de nouvellespostures de l’enseignant (quicherche avec ses élèves, qui construitavec eux, qui accompagne) ;

• de combattre la passivité, grâcenotamment à la production qui estdemandée aux élèves (laquellenécessite des apprentissages techniques et la mise en œuvre de compétences, mais avec unefinalité, un sens) ;

• de diminuer « l’ennui », grâce àdes contenus souvent stimulants, aulieu d’un savoir prédigéré, grâceaussi à une mise en activité desélèves qui ne se confond pas avecun activisme récréatif. De plus, la

part de choix qui est donnée auxélèves est un élément supplémentai-re de cette motivation dont chacunconnaît l’importance pourapprendre. Les élèves ne sont plusseulement actifs, mais acteurs.

Dans ces dispositifs, les enseignantspeuvent s’essayer à de nouvellesmanières de faire cours, ce qui asouvent des retombées positives surl’ordinaire de la pédagogie. Il nes’agit pas d’en faire un îlot dans unensemble reposant trop souvent surla seule relation « frontale » (celle-cin’étant qu’une forme de travailparmi d’autres).

Dans les dispositifs favorisant cettepédagogie active, l’essentiel estbien de poursuivre des objectifs

mémoire » car elle amène un dialogueconstructif. Les quatrième et cinquiè-me règles amènent une dimensionsociale importante. Le plus fort devientaussi coformateur et il chute lui aussi,à son tour, dans le cadre du « combatà mémoire ». Le libre choix du parte-naire permet de réguler le problème del’élève « barbare » ou « amazone ». Cedernier, cette dernière va se retrouversans partenaire tant à l’entraînementque lors de l’évaluation. Il sera alorsdifficile de montrer les compétencesacquises. Dans la classe, le plus fortreste accepté s’il ne fait pas mal ou s’iln’abuse pas de son statut, les élèvescomprennent bien alors que le coursde judo « est la scène où le droit du plusfort n’est jamais la force qui bafoue ledroit »5. Mais tout le groupe devramontrer son investissement et sa com-préhension sur deux points qui sont,d’une part, la confrontation réelle enconfiance (projections et chutes sontrespectivement contrôlées et maîtri-sées) et, d’autre part, la prestation tech-nique issue de leur propre pratique etstructurée avec l’aide de l’enseignant.Les motivations des apprenants appa-raissent dans ces comportements etdans leurs réflexions. Elles touchent àdifférents domaines comme la sécuri-té, l’énergétique, les relations, le senti-ment de compétence :

« La sensation de se battre contre unadversaire sans se faire mal. »« Avoir transpiré autant, car vu de l’ex-térieur on ne se rend pas compte de lacondition physique que cela demande. »« Pour un premier cycle, c’est très éprou-vant, physique, tout ce que j’aime. »« C’est une bonne idée de refaire ces prisesréussies, car bien souvent, pour les débu-tants, on a du mal à se rendre compte dumouvement qui a déclenché la chute. »« Que ce soit moi ou mon adversaire quichute, il n’y a jamais de perdant, carmême si l’on tombe plus souvent que l’ad-versaire, on gagne à apprendre la prise,donc on n’a pas tout perdu. »

Michel Calmet, Faculté des sciences du sport, Montpellier.

1 Enseigner le judo, Scérén-CNDP, Amiens.2 B. Rey (1998) « Savoir scolaire et relation à autrui », Cahierspédagogiques n° 367.3 F. Marie et E. Charlot (1999) « Le judo », film L’art du com-bat, La sept/Arte.4 Ibid.5A. Ehrenberg (1991) Le culte de la performance, Calman-Lévy,Paris.

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d’apprentissage et l’acquisition decompétences. Cela demande unvéritable accompagnement desenseignants, par la formation initia-le et continue, mais aussi par leséchanges de pratiques, au-delà desdécoupages disciplinaires (le regardde professeurs d’autres disciplinespermet d’élargir la palette desmanières d’enseigner, donne desidées nouvelles, etc.). Il faut à cetégard remettre en route la diffusiond’expériences innovantes et de pra-tiques efficaces (ce qui avait été lerôle du Conseil national de l’innova-tion), mais aussi développer la colla-boration entre enseignants etchercheurs telle qu’elle avait com-mencé à se mettre en place à l’occa-sion de la « Charte pour l’école duXXIe siècle ».

On ne doit pas demander trop ettrop vite aux dispositifs institution-nels mis en place ces dernièresannées (alors qu’on ne demande pasl’équivalent aux cours ordinaires).Nous sommes favorables à une éva-luation de leur efficacité, mais surune période longue et avec des cri-tères clairs. Mais cela implique de lesvaloriser, d’où par exemple l’impor-tance de leur intégration obligatoireà l’évaluation terminale (brevetpour les IDD, bac pour les PPCP et lesTPE). On peut déjà s’appuyer sur lesrapports de l’inspection générale quimettent en évidence les aspectspositifs de ces dispositifs (alors qu’ils

font des réserves sur la façon dontse passent les séances d’aide dans lesecondaire).

Pour revenir à la motivation, onsait que les facteurs déterminantssont la réussite (qui entraîne laréussite), l’estime de soi et leregard positif de l’enseignant, lefait qu’il croit à la réussite de sesélèves. Ceci se travaille aussi en for-mation, mais implique aussi derevoir les manières d’évaluer lesélèves. Le fait d’établir (avec euxdans une certaine mesure) les cri-tères, de développer les aspectsformatifs de l’évaluation va dans lesens de la motivation.

La question n’est pas de savoir si lesélèves travaillent trop ou pas assez.Il leur est nécessaire de travaillerbeaucoup pour réussir, mais celadoit avoir du sens pour eux, s’ap-puyer sur de solides méthodes, etaussi sur la coopération entre élèvesqui doit être développée. L’aide autravail personnel reste essentielle,mais doit être pensée collectivementavec quelques principes fondamen-taux : réflexion des élèves sur leursmanières de travailler, rechercheavec eux des bonnes procédures,conseils méthodologiques donnés demanière vivante et concrète.

Les solutions à l’échec ne peuventêtre que variées. Le redoublementen règle générale est inefficace,mais il peut, dans des cas précis,

être utile si on sait partir de là oùest l’élève, si on obtient de celui-ciune adhésion à ce redoublement, sion le prépare en amont et si onaccompagne ce qui ne peut êtrequ’un dispositif ponctuel, uneseconde chance.

Dans le secondaire, les regroupe-ments d’élèves en difficulté sontégalement rarement des solutions.On sait que, bien plus que l’hétéro-généité, c’est l’homogénéité d’uneclasse sans éléments moteurs quipose problème. Mais une équipevolontaire d’enseignants, avec unprojet de réussite, peut cependantpermettre des raccrochages positifs.Là encore, l’accompagnement estindispensable.

On le voit, travailler à améliorer lamotivation des élèves, leur per-mettre de travailler mieux (ce quiest la seule façon de les faire tra-vailler plus), nécessite une mobilisa-tion des acteurs, qui elle-même peutêtre motivante pour eux, les entraî-ner dans une dynamique que l’onvoit parfois à l’œuvre justementdans les IDD, PPCP ou TPE. Et, à cetégard, il convient au lieu de vouloirtout miser sur le recentrage dans laclasse, de remettre au premier planla notion de « projet d’établisse-ment » ou le projet d’école.

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« Allez les petits ! »1

Jacky Arlettaz

Le sport de haut niveau s’intéresse beaucoup à la question de la motivation. Nous avons demandé àun pédagogue qui a été entraîneur de rugby si on pouvait tirer parti, pour l’école, des évolutionsde ce sport très innovant et de la façon dont la motivation y est prise en compte.

La plupart des disciplines spor-tives ont troqué leur habit dudimanche (rencontres obligent)

pour leur habit de lumière (médiasobligent). Le rugby n’a pas échappé àcette mutation. Toutefois la transfor-mation de son jeu est surtout due à laredistribution des tâches données auxjoueurs : d’un jeu par poste (premièreligne, demi de mêlée, ailier…), on estpassé à un jeu où le rôle est prépondé-rant ; d’une mémorisation de savoir-faire, appris par avance, à une culturede l’analyse de situations afin deconstruire des réponses pertinentesdont l’équipe peut bénéficier. L’histoiren’est-elle pas écrite de la même maniè-re dans l’enseignement?Mais en passant d’un conditionne-ment à ce qu’on pourrait appeler le« socio-constructivisme », on peut sedemander ce qu’est devenue la moti-vation. Puisque les situations d’ap-prentissage sont devenues moinsrépétitives, puisque la part du joueurest devenue plus importante, il a falludévelopper des compétences nouvellesplus proches de l’adaptation que dela programmation. De plus, le passa-ge subit au professionnalisme a modi-fié la fréquence des entraînements : ila fallu, pour ne pas lasser, inventer,innover, surprendre pour apprendre.Lorsqu’on demande à William Macary,entraîneur du Montpellier RCH (clubdu top 16 2) ce qui lui paraît détermi-nant pour motiver ses joueurs, ilrépond : « Les impliquer dans un projetde club et particulièrement le projet de jeuélaboré pour l’équipe: jouer sur une plusforte responsabilisation du joueur. »Dans cette perspective, il peut êtreintéressant de regarder ce qu’il peuty avoir de commun entre le travail d’unentraîneur et celui d’un enseignant, enle considérant comme celui qui aideà apprendre :- La concentration, la mobilisation doi-vent être à leur paroxysme le jour del’épreuve (match, évaluation somma-tive, examen). L’apprentissage termi-né, il faut faire valoir les compétencesacquises.- On ne peut tenir la concentration desparticipants à son optimum entre deux

épreuves, (d’où décompression totale,oxygénation de l’esprit par des exer-cices ludiques, dérivatifs pour lesjoueurs) 3.- Il faut profiter de ces intervalles pourinstaller un climat de maîtrise (éva-luation formative, remise en causevidéo, ateliers d’entraînements pourles sportifs).- On doit développer le travail engroupes de besoin, pédagogie diffé-renciée, ateliers techniques.- Le maître, l’entraîneur préparentindividuellement à affronter l’épreu-ve (imagerie mentale, sophrologie,entretien individuel, évaluation for-mative).Enfin arrive l’épreuve. Là, les nécessitésde la compétition vont révéler les limitesde la comparaison. La victoire devientune fin en soi, l’émulation s’éloigne, ainsique le plaisir. « Le rugby est un sport decombat, poursuit W. Macary, il est doncnécessaire de tirer sur la corde affecti-ve pour demander aux joueurs un dépas-sement de soi dans l’effort et même undon de soi dans le sacrifice physique. Ilfaut trouver les mots justes pour impli-quer les joueurs dans un projet collectiftout en leur donnant la possibilité des’exprimer individuellement. Le grou-pe est un moyen plus confortable pouroser, tenter, se mettre en valeur. On doitdonc procéder à une revalorisation del’ego, susciter des certitudes, reclarifierles priorités et positiver ce qui a été faitjusqu’alors. »Ce climat de performance dénature leclimat de maîtrise préparatoire : lanotion d’adversaire devient prépon-dérante. Il ne faut pas être meilleur,il faut l’être plus que les autres.

Les différences entre le sport et la classeC’est d’abord la lisibilité. En classe,peu de choses sont détectables : leschoix, les stratégies, les options prisespar l’élève sont souvent mystérieuxalors que l’observation lors d’entraî-nements permet de mieux com-prendre, comparer voire hiérarchiserdes comportements : les joueurs eux-mêmes peuvent en faire le constat etdonnent à voir, et donc la remédiation

s’en trouve facilitée.La comparaison sociale en classe ne sefera que lors des évaluations somma-tives. Ce décalage entre la notation etl’apprentissage me paraît être unesource de motivation autant que dedémotivation : l’image de l’élève, lepotentiel supposé, le regard du profsont toujours liés au passé et non à lasituation présente. Pour ceux qui ontconfiance, tout va bien, pour les autresne nous étonnons plus des décro-chages, des abandons.En classe peut-on, de plus, distinguerl’habileté de l’effort comme en sport ?Difficilement. Ceux qui arrivent aubout sont-ils les meilleurs ou les plusrésistants ?Les séquences ne sont pas découpéesde la même façon : plus régulières ensport (match hebdomadaire) d’oùcomportement routinier.Il reste tout de même à l’école un savoirdésintéressé : apprendre seulementpour le plaisir d’apprendre.En passant du monde amateur (amare= aimer) au monde professionnel, lerugby s’est éloigné du monde scolai-re. Seule la promesse économique (etparfois même « égonomique »!) semblerester source de motivation… Celleque l’école ne peut plus tenir. Alorsl’enseignant, tour à tour passeur, pous-seur, sauteur (obstacle en vue) prendune autre dimension que celle d’en-traîneur.

Jacky Arlettaz, directeur de Segpa, formateur IUFM, ex-entraîneur de rugby, Argelès-sur-Mer.

1 Hommage au regretté Roger Couderc, « que les moins devingt ans ne peuvent pas connaître ».2 L’élite du rugby français.3 Mon expérience d’entraîneur m’a confirmé que la motiva-tion ne se noue pas forcément dans les moments que l’on croit(ceux de la compétition, de l’entraînement) : dans ces moments-là, elle ne fait que se manifester. Et lorsque C. Singer nous ditque « le plus difficile n’est pas d’atteindre l’Amérique maisde quitter l’Espagne », je pense que les mots furtifs, aléatoires,les échanges informels autour d’une table ou pendant les fas-tidieux trajets loin encore du stade et de la compétition, sontpeut-être les plus déclenchants. Ces mots soufflés qui gonflentla voilure et invitent au voyage.

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Belles lettres en maternellePierre-Stéphane Proust

Une façon originale, et assez simple à mettre en œuvre, d’entraîner les élèves vers la créativité enjouant avec un modeste courrier magnifié en production artistique.

Le terme « art postal » désignel’ensemble des créations artis-tiques voyageant à découvert par

la poste. Ces œuvres ont le plus sou-vent l’aspect d’enveloppes ou de cartesillustrées à la main mais aussi d’objetsinsolites peints ou décorés. Pratiquerl’art postal, c’est le plaisir de créer, decorrespondre, d’échanger et de rece-voir des œuvres « artistiques » de toutenature. Jeu avec le timbre, jeu avecl’adresse, jeu avec ses correspondants,jeu avec l’institution postale et sesemployés, telle est la palette des pos-sibilités et des plaisirs offerts par cetteforme d’art et de communication.

De la passion au projet d’équipePour l’amateur de courriers anciensque je suis, nourri par une passion pourl’histoire de la poste, la découverte del’art postal né il y a deux siècles et demia été une révélation, un choc émotion-nel devant la singularité et l’esthétismede ces enveloppes illustrées à la main.Courriers du cœur, lettres d’artistes,de grands voyageurs, de soldats, d’en-fants… constituent autant de témoi-gnages illustrés du passé et de l’histoire.Relancé et conceptualisé dans lesannées soixante sous le nom de mail artpar l’artiste américain Ray Johnson,l’art postal connaît un regain d’inté-rêt et compte de plus en plus de pra-tiquants et d’adeptes.

C’est cette passion pour l’art postalque j’avais envie de partager et de faireconnaître à mes élèves de grande sec-tion et à mes collègues. La pratique decette activité me semblait alors unexcellent moyen pour développer unepédagogie active tenant compte desmotivations naturelles ou spontanéesdes enfants que sont le dessin, le jeu,la curiosité, le plaisir, l’action…Ainsi en 1998, notre école maternelleà Mondeville (168 enfants, 6 ensei-gnants, 5 ATSEM) se lançait dans ceprojet pluridisciplinaire de l’art postalen visant un large champ de compé-tences disciplinaires, transversales etdu domaine de la langue.Restait à l’enfant à découvrir et à vivrecet art au cœur de la correspondanceet de l’échange, et aux enseignantsd’engager un vaste processus de com-munication au sein de l’école, avec lemonde environnant et des correspon-dants de tous horizons.

La démarche pédagogiqueNos objectifs sont à la fois de décou-vrir l’art postal (observation, contem-plation de courriers illustrés…) et dele vivre (dans sa réception et dans laproduction, mais aussi dans la verba-lisation et la conceptualisation), le toutdébouchant sur des expositions.Le déroulement a été le suivant :

1er trimestre :- Mise en place d’une exposition dansl’école de 180 créations d’art postal(prêt d’une collection). Destinéeà lancer le projet, cette expositionsensibilise enfants, parents, artistesintervenants et partenaires (mairie,inspection académique, OCCE, asso-ciation de parents d’élèves, presse,musée de la poste de Caen…)- Début des rencontres et créationsavec des artistes.- Organisation des ateliers de décloi-sonnements et réalisation d’œuvres.- Opération « 50 bouteilles à la poste » :des bouteilles décorées contenant cha-cune un message qui, présentait notreécole et notre souhait d’échanger descréations artistiques par la poste.Destination postale : 50 groupes sco-laires français et francophones répar-tis dans le monde (de la Réunion auQuébec, en passant par le Bénin, etc.)et choisis un peu au hasard.- Récupération de courriers dans lesfamilles et dans des entreprises(repérages des éléments de l’enve-loppe, tris, classements par formats,couleurs, timbres, oblitérations…).- Visite du musée de la poste de Caen.- Lettre et enveloppe décorées au PèreNoël.2e trimestre- Succès de l’opération « 50 bouteillesà la poste ». Une trentaine d’écoles detous horizons nous répondent.- Exposition permanente des œuvresreçues avec repérage des provenancessur carte du monde.- Créations régulières, par les 6 classes,d’œuvres pour dynamiser l’échangeavec les écoles maternelles et primairesengagées dans le projet.- Répartition et d’organisation desréponses.- Visite du centre de tri de Caen(grands).3e trimestre- Nouvelles invitations d’artistes dansl’école.- Visite du musée des beaux-arts deCaen.

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- Lettre et enveloppe illustrées adres-sées pour la fête des mères avec letimbre « cœur ».- Organisation de l’exposition de find’année : invitations, affiches, présen-tation des créations par pays, visite gui-dée par les enfants…- Et, à la rentrée 1999, exposition àl’inspection académique du Calvados.

Un riche bilanLes compétences transversales viséesont été nombreuses : localisation,repérage de déroulements chronolo-giques, traitement de l’informationà travers les récits de visites… Lesapprentissages disciplinaires aussi :arts visuels, géométrie, maîtrise dela langue à travers les productionsécrites et orales, géographie.Près d’un millier de correspondancescollectives ou individuelles ont étééchangées avec les écoles, les artistes, lesproches, les partenaires, le Père Noël.

Plus de 300 créations reçues (enveloppesillustrées, objets divers, herbiers, col-lages photos, boîtes, cartes, etc.) souventavec message ou lettre jointe.Plus de 600 envois artistiques expédiésde l’école.

Les enfants se sont pris au jeuCôté enfants, on peut dire que lestemps de découverte, de contact avecles œuvres reçues ont été des momentsprivilégiés, appréciés de tous et ontconstitué des supports d’activités lan-gagières riches et variées. Les œuvresont suscité interrogations, question-nements, commentaires, hypothèses.Les temps forts, expositions, visites,rencontres, envois personnels… ontmotivé fortement le langage. À lamaison, suite à un petit questionnaireremis aux familles des enfants degrande section, 70 % des grands ontsouvent parlé des activités liées auprojet.

L’art postal a suscité l’attrait pour lacorrespondance écrite. En maternelle,il s’agit de dictées à l’adulte et de pro-ductions d’écrits : nom, adresse,phrases ou lettres recopiées. Lesenvois individuels fortement chargésd’affectif (destinés aux familles, auPère Noël…) ont eu beaucoup de suc-cès. Plusieurs enfants ont demandé àdes moments divers à correspondreavec un proche. À la maison, quelquesenfants ont pratiqué spontanément lacorrespondance illustrée pour fairecomme à l’école. Chacun a prisconscience du caractère fonctionnelde l’écrit.De plus, l’art postal a permis uneouverture sur le monde et sur d’autrescultures, même si la localisation descorrespondants sur la carte de Franceet le planisphère est restée difficilepour des enfants de maternelle.Les enfants de maternelle sont entrésréellement dans cette dynamique àpartir de la réception des premièrescréations. Très vite, le facteur a étéattendu avec impatience et au-delà dela singularité de ces envois, les indiceset messages ont pris de plus en plusd’importance. Pris au jeu, les enfantsdécuplent leurs capacités pour déchif-frer, lire, puis répondre.Aussi, à l’heure des messages électro-niques et de la prolifération de la télé-phonie mobile, la correspondanceillustrée reste un moyen de commu-nication des plus attrayants et une acti-vité pédagogique d’une grande richesseassociant les plaisirs de la création, del’art, de l’écriture manuscrite et del’échange épistolaire.

Pierre-Stéphane Proust,professeur des écoles, école maternelle Joliot Curie, Blainville-sur-Orne (Calvados).

Ce travail a été aussi réalisé encollaboration avec Élisabeth Levasseurqui fut une des correspondantes de ceprojet à l’île de la Réunion. Elle adepuis été l’initiatrice de plusieursprojets d’art postal sur l’île.

À la suite de cette expérience, unfichier d’activités a été publié sous letitre : « L’art postal : une dynamiquepour la communication orale, écrite etartistique ». Pour en savoir plus, écrireà : [email protected]

Site Web : http://www.artpostal.fr.tc

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Jouer ou travailler : faut-ilvraiment choisir ?

Denis Sestier et Yvan Hochet

Depuis quelques années le réseau Ludus regroupe, dans l’académie de Caen, des professeursd’histoire géographie qui conçoivent et utilisent des jeux pédagogiques dans leur classe. Est-ce biensérieux ? La suite vous prouvera que oui…

On oublie trop souvent que nosélèves sont d’abord des enfantsdont les centres d’intérêts -

pour des raisons variées - sont parfoistrès éloignés des préoccupations deleurs enseignants. N’étant pas com-plètement maître des contenus, c’estpar les pratiques pédagogiques quel’enseignant peut aider à réduire la dis-tance entre l’élève et le savoir. Par saproximité avec le monde de l’enfance,par sa simplicité, par la rupture qu’ilentraîne avec le quotidien du collège,le jeu est un formidable outil de mobi-lisation des élèves, et en particulier deceux que ne motivent guère les acti-vités plus traditionnelles.

Proximité et simplicitéL’école maternelle est très souvent citéeen exemple. Or, ce qui la caractérisele mieux, c’est l’utilisation raisonnéedu jeu pour permettre aux enfantsd’acquérir des connaissances ou des

lement en fonction des objectifs qu’onlui fixe mais aussi d’une manière géné-rale dans sa « jouabilité ». La difficulté(mais elle est pour l’enseignant paspour l’élève) consiste donc à créer lesjeux qui sans rien sacrifier sur le fond(les connaissances ou les méthodes quel’on veut enseigner) permettent demettre en activité tous les élèves touten leur offrant des chances raison-nables de réussite.

Rupture dans les modesd’apprentissageUtilisé à bon escient, de manière récur-rente mais pas systématique, le jeu estune bonne façon de varier les approches

de nouveau utilisé de manière signifi-cative beaucoup plus tard dans certainesgrandes écoles, ENA, écoles de com-merce ou écoles militaires (voir infra).D’autre part, si tous les élèves sontcapables de jouer, tous n’ont pas lesmêmes facilités face à la lecture ou àl’écriture. Or, la plupart des activitésproposées au collège sont basées surces capacités : autant dire qu’avantmême de commencer à travailler, cer-tains élèves sont déjà en difficulté. Riende tout cela avec le jeu : il est très rarequ’un élève refuse de jouer parce qu’ila peur d’échouer. Bien mieux, il arriveque le jeu renverse les hiérarchies tra-ditionnelles et qu’il mette en valeur desélèves plus en retrait face à des acti-vités classiques. Gageons que cet élèvequi s’est trouvé valorisé en classe serad’autant plus motivé la séance sui-vante. Il importe bien sûr que le jeusoit particulièrement réfléchi, non seu-

comportements nouveaux. Et c’est effi-cace ! Car l’école maternelle s’appuiesur le monde et les préoccupations del’enfant pour le faire progresser.Pourtant, dès lors qu’il franchit - pourla quitter - les portes de la maternelle,l’enfant doit brutalement dire adieu àcette forme d’apprentissage. Comme sice qui fonctionne pour des petits n’étaitplus valable ensuite. Pourtant, hors del’école, l’enfant continue à jouer et àapprendre par ce biais et cela dure bienlongtemps après l’entrée en CP. Ducoup, les activités proposées sont beau-coup plus éloignées des préoccupationset des centres d’intérêt des enfants.Curieusement, le jeu pédagogique est

pédagogiques : si la pédagogie diffé-renciée a des chances d’exister en classec’est peut-être par la variété desapproches proposées aux enfants dudébut à la fin de l’année. Rien de moinsmotivant que de toujours travailler dela même manière. Le jeu permet d’in-troduire des ruptures, de marquer destemps forts, de soutenir l’intérêt et decréer des souvenirs communs qui sontaussi à l’origine du plaisir d’êtreensemble. Ainsi, une petite étude menéeen classe a permis de constater que70 % de nos élèves étaient incapablesde citer précisément une séance clas-sique de l’année passée. Ils étaient plusde 70 % à pouvoir citer une séancedurant laquelle ils avaient joué… Est-il besoin de faire des commentaires?Certes, beaucoup d’enseignants consi-dèrent que le « ludique » (terme trèstendance) permet « d’accrocher » lesélèves, mais ils pensent que pourapprendre il est indispensable d’enrevenir aux bonnes vieilles méthodes.En d’autres termes : « On joue un peupour vous faire plaisir mais après onarrête les bêtises et on se remet sérieu-sement au travail. » Nous pensons,pour notre part, que si le jeu est unoutil de motivation, il est aussi un outild’apprentissage. Les deux sont indis-sociables. D’ailleurs, fort peu déve-loppé à l’école, du primaire au lycée,le jeu est beaucoup plus utilisé - para-doxe! - dans l’enseignement supérieur.Sait-on par exemple que le « wargame »(appelé en France jeu d’histoire), quiconsiste à reconstituer des bataillesavec des pions ou des figurines a étéinventé par des militaires allemandspour préparer la guerre de 1870? Sait-on encore que le jeu de rôle est très fré-quemment utilisé dans les grandesécoles pour apprendre les joies de lanégociation commerciale ou interna-tionale ? Plus près de nous, lors de lamise en place de l’euro, qui ne se sou-vient de la multitude de jeux qui ontété créés pour entraîner des per-sonnes âgées ou les hôtesses de caissedes supermarchés ? Et les enfants des

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70 % de nos élèves étaient incapables de citerprécisément une séance classique de l’année passée.Ils étaient plus de 70 % à pouvoir citer une séancedurant laquelle ils avaient joué… Est-il besoin de

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écoles, eux, ne pourraient pasapprendre avec le jeu ?Les résultats scolaires de nos élèvessont-ils meilleurs avec ou sans le jeu ?Ce serait mentir que de prétendreque le jeu règle tous les problèmes dedifficulté scolaire. Néanmoins, nousconstatons que les connaissances desélèves sont au moins aussi importantesaprès un jeu, et dans certains cas, ellessont mêmes meilleures: les élèves com-prennent bien mieux la division de laGrèce en cités et la suprématie athé-nienne après avoir joué à 480 qu’avecune leçon plus classique. De la mêmemanière, Benidorm leur permet de sai-sir plus facilement et rapidement lesenjeux spatiaux des littoraux méditer-ranéens, tandis que Fief oblige les élèvesà… réclamer que le cours sur le MoyenÂge avance: sans cours, pas de jeu!En résumé, la vertu essentielle du jeupédagogique est qu’il place de factol’élève dans un état d’esprit, dans unedynamique favorable aux apprentis-sages.

Jouer, d’accord, mais à quoi ?

Nous ne trouverons pas sur le marchéle jeu idéal pour notre classe. Il nousfaut le créer. En effet, nos attentes nesont pas celles du grand public. Nosimpératifs sont didactiques, pédago-giques, matériels également (faire jouer28 élèves n’est pas la même chose qued’organiser une partie de Monopolyà la maison). En revanche une multi-tude de jeux du commerce peut servirde base tant pour les règles et les méca-nismes que pour le matériel.Les jeux les plus simples à mettre enœuvre sont probablement les jeuxd’émulation. Pour s’en convaincre ilsuffit d’organiser, à la fin d’un cours,une petite compétition par équipe. Endemandant aux élèves de créer desquestions sur la leçon et de se lancerdes défis d’équipe à équipe. Nulle pré-paration pharaonique, peu de tempsnécessaire (15 à 20 minutes de jeu peu-vent suffire) mais bénéfice assuré.Faites le bilan avec vos élèves: qu’avez-vous appris avec ce jeu ? Le résultatdépasse en général les espérances. Cetype de jeu peut également être utilisépour préparer une évaluation simplede connaissances.Dans le cadre d’un IDD par exemple,cela peut donner lieu à une mise enœuvre plus ambitieuse avec fabricationde cartes et, pourquoi pas d’un pla-teau. Le professeur de technologiepeut être utilement mis à contribution.De la même manière la formulationdes questions et des règles un exercice

de maîtrise de la langue auquel les col-lègues de lettre peuvent s’associer.Le jeu d’émulation peut être déclinéde multiples manières : jeu de ques-tions/réponses, on vient de le voir,jeu de l’oie, jeu de cartes, puzzles, jeudes erreurs, jeu de classification (parexemple, classer une série de docu-ments le plus vite possible en fonc-tion de la civilisation à laquelle ils serapportent), jeu d’identification (voirpar exemple sur notre site le jeu descourants de la peinture), etc.Souvent plus riche mais égalementplus difficile à concevoir est le jeu desimulation. Ce type de jeu permet,comme son nom l’indique, de simu-ler des mécanismes complexes souventtrès difficiles à faire comprendre à dejeunes élèves (par exemple, que com-prend réellement un élève de 6e à ladémocratie athénienne?). Il permet demieux appréhender la complexité dessituations mais aussi de mettre enœuvre les nécessaires interactions quipermettent de donner chair à l’histoire,la géographie mais aussi l’éducationcivique 1. Ainsi, jouer la gestion d’unecommune est plus parlant (et pas plus

réducteur !) pour les élèves que d’étu-dier un organigramme, un texte ou uneinfographie. De la même manière, lejeu Cuba 1962 offre aux élèves de seplacer dans la peau des acteurs de cettecrise et de la comprendre beaucoupmieux, comme la notion de guerrefroide, que par un cours plus classique.

Denis Sestier, professeur d’histoire-géographie, collège de St-Martin de Fontenay2, et Yvan Hochet, collège lycée expérimental, Hérouville-Saint-Clair.

Le site du réseau Ludus est à la disposition de ceux qui voudraientapprofondir ce sujet et trouver desexemples de jeux testés en classe :http://www.discip.crdp.ac-caen.fr/histgeo/

1 Si l’on admet que l’éducation civique doit former des citoyensactifs alors le jeu de simulation, en particulier le jeu de rôle, estparticulièrement indiqué.2 [email protected]

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Des petits momentsd’écritureSouvent, durant les cours d’histoire, je prends unmoment pour raconter. Un moment de silence, decalme et d’écoute. Je raconte une histoire, unebataille, un mythe, etc. Il y a, entre autres, le mythede Déméter, la vie de Clovis, la vie à bord des naviresau XVIIIe siècle ou encore de la bataille de Verdun. Jesuis toujours surpris par l’attention dont sontcapables les élèves à écouter ces histoires, ces récits.

Des souris et des questionsUne vieille recette, mais qui marche : créer le ques-tionnement, créer l’attente pour enrôler les élèves.Soit le choix du roman de Steinbeck, Des souris etdes hommes, en 3e.Quand je distribue le roman, je recueille, sans sur-prise, une motivation modérée. « Pourquoi avez-vouschoisi celui-là ? » demande un à qui le titre et la cou-verture n’inspirent pas confiance. Je lui propose delui répondre… plus tard, quand nous auronsavancé. Je donne des photocopies de couvertures deplusieurs éditions (trouvées sur Google-images).Consigne de travail maison, classique : émettre deshypothèses sur les personnages et sur l’histoire avecces couvertures et le chapitre I. À l’heure suivante,échanges d’hypothèses, même peu probables, à par-tir des couvertures et du chapitre : deux hommes,une femme, histoire d’amour, de crime (la femmeen rouge), histoire d’homosexualité, histoire d’unpère et de son fils ? Et les souris, au fait ?Justement, entrons dans le premier chapitre. Jen’ignore pas qu’ils sont un certain nombre à ne pasl’avoir lu comme demandé. On fait le point rapide-ment sur le lieu, le moment, en (re) lisant certainspassages. Puis je lance une recherche par groupes :dans cette arrivée et dans le long dialogue qui suitentre George et Lennie (une dizaine de pages),trouver 4 à 6 passages qui nous permettent de mettredes noms sur leur relation. La recherche est à la por-tée même des élèves en délicatesse avec la lecture,tout en obligeant à faire un pas de plus : ils regar-dent un dialogue, ils cherchent une parole qui per-mette de faire une hypothèse sur les relations entreces deux hommes, ils voient si ce genre de parole estisolé ou fréquent dans ces pages. Je circule entre lesgroupes pour pousser les élèves jusqu’à la dénomina-tion d’une relation. Le travail est bien sûr inégald’une table à l’autre mais, une demi-heure plustard, la mise en commun est fructueuse : relation desupériorité, de protection, paternelle ou fraternelle,de domination/soumission, de cohabitation forcée,d’amitié, il y a tout cela dans ces quelques pages,apparemment… On clôt alors par les questions quese pose le lecteur, et elles fusent (accélérées peut-être par l’imminence de la sonnerie, sait-on jamais ?)à propos de ces relations étranges, mais aussi ausujet d’événements antérieurs auxquels il est faitdes allusions mystérieuses. Sans compter Lennie(« Il ne serait pas un peu bizarre, un peu fou ? »,demande l’un) et bien sûr… les souris 1.

Ce temps (1h 30 environ) n’a sans doute pas déclen-ché la passion, mais a mis tout le monde au travailet donné l’envie d’en savoir plus. Sans que ce soitformulé ainsi, on a saisi l’« épaisseur » d’un texte quine livre pas tous ses secrets d’un coup.Qu’est-ce que ça a supposé de ma part ? Une « rumi-nation », avant de commencer, sur la façon dont j’al-lais ouvrir la porte de ce roman. Le travail sur lescouvertures (classique de la maternelle au lycée) nesuffit pas : on est encore à l’extérieur du texte. Celuisur les ambiguïtés de la relation via le dialogue m’aété suggéré par la lecture d’une analyse du romanqui proposait une vision noire de George en mani-pulateur de Lennie : il y avait donc autre chose à voirdans cette histoire qu’une belle et triste amitié?Restait à choisir une situation de travail adéquate enclasse (avec le risque inhérent à tout choix). Bref, j’aipassé du temps à retourner en plusieurs sens laquestion de l’« entrée en motivation » (conçuecomme entrée en compréhension plus que commehabillage attrayant) pour cette lecture particulière 2.Et dire qu’il faudra recommencer au prochainroman…

Florence Castincaud, collège Berthelot, Nogent-sur-Oise.

1 L’étude du premier chapitre n’est pas terminée. Elle se poursuivra par un travailplus fin sur le personnage de Lennie.2 « Chaque album, chaque texte doit être abordé avec un dispositif didactiquepropre, à construire en fonction des problèmes de lecture qu’il pose […] ce quiimplique que le maître consente à faire preuve de créativité dans sa manière d’abor-der les textes. » Catherine Tauveron, « Comprendre et interpréter le texte littéraire àl’école », Repères n° 19, 1999, INRP.

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Dans les cinq textes qui suivent, on lira le récit de situations concrètes dans lesquelles ont été mis en œuvredes outils simples pour motiver.

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Mais, en l’occurrence, il ne s’agit pas simplementd’écouter ou de regarder. Il s’agit aussi de com-prendre. Pour ce faire, je mets en place le petit pro-cédé suivant : durant l’écoute du récit, les élèvespeuvent écouter simplement, prendre des notes oubien dessiner. Libres à eux de trouver le moyen deretenir les informations qui leur paraissent être lesplus significatives.À la fin du récit commence le petit moment d’écri-ture. Seuls, ils écrivent des petits textes de dix ouquinze lignes résumant ce qui a été dit. Travail trèsdifficile, nécessitant un esprit de synthèse qui n’estjamais assez sollicité au collège.Les élèves connaissent l’étape suivante : lire à hautevoix leur propre texte à leurs camarades réunis engroupe de quatre. Travail d’évaluation et d’autoéva-luation, là encore difficile, mais très motivants poureux car, une fois l’obstacle de la première fois fran-chi, ils lisent sans trop de difficulté leur texte et sur-tout écoutent, critiquent, corrigent les textes deleurs camarades. Car ils doivent en choisir un. Et ilsdécident, seuls, celui qui est le plus clair, le plusjuste, le plus compréhensif pour tous.Vient enfin la restitution générale : chaque groupe litle texte choisi ; chaque groupe pris d’un esprit cocar-dier défend alors son texte, espérant être choisicomme le texte lauréat qui sera recopié par tous lesélèves de la classe. L’émulation qui règne alors dansla classe est très valorisante pour tous, élèves et pro-fesseur. Les textes sont souvent modestes et impar-faits, mais toujours personnels. Je peux ainsi avoirun retour sur ce que j’ai raconté et ce qui n’a pas étécompris. Et en multipliant ces petits momentsd’écriture, les textes grandissent toujours en qualité.

Régis Guyon, professeur d’histoire-géographie,collège P. Brossolette, La Chapelle-Saint-Luc.

«Rendez-vous à lapage 104 »Au programme, l’étude d’un roman en classe de2de : oui, mais comment faire lire les cinq centspages d’un roman du XIXe siècle à mes 36 élèves ?Parmi eux, plusieurs « allergiques » au livre,quelques « liseuses-prêtes-à-tout-ingurgiter »(davantage que de liseurs) et une majorité lisant« uniquement ce qui est imposé par le prof ». J’aiparfois contourné l’obstacle en choisissant l’étuded’un court roman, comme Pierre et Jean deMaupassant. Il m’est arrivé aussi de rejoindre lechœur des « pleureuses » de la salle des profs : lamoitié de la classe seulement avait lu l’œuvre etj’avais pris des élèves en flagrant délit d’utilisationd’un résumé ou d’extraits choisis.

Cette année, je lance un défi à mes élèves : l’objectifde la quatrième séquence sera de réussir à lireGerminal. Séance de démarrage classique : je lis àvoix haute la première et la dernière page du roman,leur laisse le choix de l’édition, donne desrecherches à faire sur les couvertures et… rendez-vous trois semaines plus tard à la fin de la premièrepartie, qu’ils ont à lire sans consigne particulière.Ce jour-là, un bon tiers de la classe n’a pas réussi àtout lire, certains ont à peine commencé : c’est tropdur. Je crée alors la surprise en leur distribuant untableau synthétique de cette centaine de pages : cha-pitre par chapitre, j’ai relevé le lieu et le momentainsi que les éléments essentiels classés en troisrubriques : événements privés, conflit social, aspectsdocumentaires. Nous balayons ensemble cette pre-mière partie et je montre comment la lecture pro-cède par sélection d’informations et paranticipations. J’annonce qu’on va ainsi lire les sixautres parties. Nous commençons en demi-groupes : la moitié de la classe, en module, lit ladeuxième partie et remplit le tableau pour en faireétat à la classe entière et réciproquement pour latroisième partie : la lecture du roman devient uneaffaire collective ! On peut choisir de lire ou pas lapartie dont on n’est pas responsable. On choisitaussi, dans le groupe, l’axe de lecture que l’on pré-fère parmi les trois rubriques présentées au départ :la lecture est affaire de goût, de sensibilité et si l’onn’est pas intéressé par l’aspect documentaire, on a ledroit de passer vite. Étonnement : quelques-unssont choqués… Plaisir de constater qu’en unedemi-heure on peut ainsi balayer 50 pages… Alorsla lecture des 547 pages deviendrait possible ? Lemême procédé est repris pour les parties 4 et 5 enlecture à la maison (classe divisée en deux). Quandje sens la classe s’essouffler, je résume la sixièmepartie et nous lisons ensemble des extraits. La der-nière partie est lue individuellement. Le tout duretrois semaines, avec des rendez-vous de travail surle texte, par exemple : « Pour telle date, il faut savoiroù en est la grève des mineurs pour travailler sur ladimension naturaliste du roman. »Le bilan fait apparaître que tous ont parcouru unefois la totalité et ont relu plusieurs fois les passagesétudiés ensemble; beaucoup se sont servis du tableaupour relire des morceaux mal compris à la premièrelecture ou mieux situer un passage. S’ils n’ont pastous aimé le roman (ce n’est pas le but d’ailleurs), ilsont majoritairement apprécié cette méthode et ontété surpris d’y arriver. Seuls quelques bons lecteursl’ont jugée peu utile « parce que de toute façon ilsavaient tout lu depuis le début ». Et pendant lesséances d’analyse du texte, j’ai eu l’impression quetous savaient de quoi on parlait !Motiver c’est peut-être aider, donner les moyens demaîtriser, accompagner l’effort… pour découvrir leplaisir.

Hélène Eveleigh, professeure de français en lycée, académie de Créteil.

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Les activités optionnelles, qui font l’objetd’un choix, s’opposent par bien des aspects à l’étude imposée, souvent austère etexigeante. Mais on ne peut décréter tropvite qu’il suffirait de s’inspirer des premièrespour remotiver les élèves : où serait dans cecas l’effort d’analyse et de rigueur ? L’auteur analyse ici une dichotomie qu’ilinterprète avec un certain pessimisme : son propos pourra prêter à controverse.

Ma pratique professionnelle, depuis deux ans, m’aconduit à aborder le texte théâtral de deux façonsdifférentes : en cours de français avec des 1res etdans l’option théâtre arts du spectacle, avec desélèves de la 1re à la terminale de séries très diffé-rentes. Tout ou presque sépare ces deux mondes : lecours de 1re est tendu vers l’objectif du baccalau-réat, l’option en souffre moins, du fait qu’il est trèsimprobable qu’un élève ait en dessous de dix survingt le jour de l’examen.Ce constat est de taille. En effet, les élèves ont desdemandes qui diffèrent. Un élève de 1re préparantle bac de français a besoin d’un commentaire com-posé, fait par le prof, et, en l’état, attesté, voire auto-risé. Les horaires qui nous sont impartis et le« sérieux » (pour l’avenir !) de cette discipline nepermettent que très rarement des excursions amu-santes dans la mise en scène et la mise en pratique.En revanche, l’option théâtre comporte sa difficultéen amont de l’examen, pendant les deux ou troisannées où l’élève a suivi l’enseignement. De plus,celui-ci est proposé par deux personnes qui se par-tagent les tâches tout en formant une équipe : l’en-seignant et l’intervenant culturel.Le premier est le pédagogue, celui qui organise lesséquences d’enseignement, juge de la façon des’adresser à un public diversifié, distille avec mesureles exercices de toutes sortes de manière à ne pasdécourager, propose des spectacles à aller voir,observe les séances et prend des notes. Le secondest le professionnel du spectacle (au sens noble de ceterme : ce qui va être vu), il propose des activitésqui engagent le corps sous bien des aspects jamaisutilisés en cours, il conseille sur le jeu, donne unevision du théâtre comme art vivant où le texte n’estpas forcément majoritaire, il fait part de son expé-rience de comédien.

Saveur du savoir, certes…Pour avoir joué les deux rôles, je peux affirmer queles deux positions ne sont pas du tout les mêmes.Ce que je me permets à l’option, ce que j’acceptedes élèves, à aucun moment je ne l’eusse fait encours. Mais les élèves non plus, comme je l’ai déjàexpliqué, n’ont pas les mêmes attentes. Quant autexte, par exemple, le jouer et le décortiquer sontdeux activités différentes. Je peux, dans le secondcas, m’inspirer du travail d’un, de plusieurs acteurs,

des remarques d’un metteur en scène (Louis Jouvetsur le personnage d’Elvire dans Don Juan parexemple), du rôle des objets, des costumes, etc.Dans le premier cas, de la même façon, les élèvesattendent autre chose : leur motivation est ailleurs.Le recours à l’explication ne vient que par raccroc.Cependant, je constate que l’enthousiasme desquelques courageux qui viennent à l’option contras-te fort avec la docilité du groupe à qui je fais courspour préparer un écrit et un oral. C’est donc appa-remment qu’il y a là plus de motivation que dans uncours de français. En effet, la formation d’un regardn’a en français que peu de place, et si l’aspect cultu-rel y est favorisé, c’est plus sous une forme qui rap-pelle le gavage.Il est vrai que moi-même je garde des souvenirs descours que j’ai eus, mais si vagues, si liés à la sensa-tion éprouvée que je me demande si mes cours ontbien une utilité. C’est ainsi qu’un élève, au sortird’une heure sur Les Caractères de La Bruyère oùj’avais fait une lecture linéaire, m’a demandé un peuinquiet (pour moi visiblement) : « Monsieur, quandvous lisez un livre, vous faites toujours comme ça ? »J’y ai entendu la question pertinente de l’oppositionentre l’étude anatomisante et le plaisir de savourer.En outre, les demandes réitérées des élèves en coursde français de jouer du théâtre, de faire vivre ce quiapparaît comme immobile sur le papier va dans cesens. Cela dit, il me semble que cette différencenette de motivation est liée à l’amenuisement desexigences face au texte dans le cas de l’option, demême qu’au choix qu’elle représente.C’est pourquoi je crois que poser le problème de lamotivation sur le même plan entre ces deux expé-riences fait courir le risque de préférer le plaisir, lasaveur, la dégustation rapide à l’effort, à larecherche et à l’analyse. Certes, analyse et plaisirpeuvent se révéler indissociables, et l’on peut sepassionner pour l’effort, savourer une analyse. Jedoute cependant que le chemin que nous prenons(l’institution scolaire j’entends) aille en ce sens. Lapratique du théâtre au lycée en est un bon exemple :les options artistiques sont appréciées pour le jeu etpour la bonne ambiance qui y règne, moins pour leregard du jeu de l’autre. Le programme de 1re com-porte bien un objet d’études sur texte et représenta-tion, mais que faire avec quatre heures par semaineet plus de trente élèves qui attendent d’avoir destextes sur une liste, les connaissances requises etune formation à l’écrit ?En fin de compte, on peut se poser la question : leplaisir peut-il vraiment coexister avec l’effort et larigueur? Il faut en tout cas se méfier des recettesmiracles…

Frédéric Chasseloup de Châtillon, professeur de lettres, lycée.

La partie n’est pas égale…

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TechnenthousiasmeUne enseignante témoigne du caractèreattractif de la technologie - paradoxe, peut-être, à l’heure où sciences et techniques mar-quent un recul dans les choix d’orientation desbacheliers. Mais la motivation dont il est ques-tion ici est-elle due intrinsèquement à lamatière ou à la façon dont on l’enseigne?

D’autres l’ont écrit mieux que moi, la technologiepeut offrir à tous les élèves matière à s’intéresser etoccasion de s’investir. Chaque séance hebdoma-daire constitue une ouverture sur le monde écono-mique, les techniques, les métiers, de même qu’unrendez-vous avec soi-même par la mise en œuvrede compétences spécifiques dans des activités indi-viduelles ou collectives. La curiosité des jeunesélèves est généralement intacte lorsqu’ils arriventau collège. « Qu’est-ce que c’est ? » « À quoi sert cettemachine ? » Ils m’assaillent de questions et je m’ef-force de leur répondre, même si parfois ce n’est pasvraiment le moment.Et puis le programme à traiter apporte son lot dedifficultés comme, par exemple, les premièresnotions de dessin technique. Les réalisations surprojet qui sont au cœur des programmes permet-tent d’ancrer cet apprentissage dans une démarcheauthentique, en prise sur le réel. De même, parlerdu métier de son père ou de sa mère, rapporter par-fois des documents sur ce sujet à l’intention descamarades, peut être très valorisant. Et quelle satis-faction pour tous de confronter avec succès leurproduction aux données du cahier des charges etaux plans induits par celui-ci ! Le choix des sup-ports des réalisations est de ce fait primordial.Laissés au choix de l’enseignant, ils doivent êtrecompatibles avec les centres d’intérêt des élèves.

L’équipement du collège a également une large partdans la motivation en technologie. Lorsque les ate-liers sont correctement pourvus et gérés, ce quin’est pas une réalité partout, l’éventail des res-sources pédagogiques est très large, attractif etrégulièrement renouvelé. J’ai le souvenir dequelques années scolaires passées à essayer d’inté-resser des élèves à travailler sur des ordinateurs enleur temps complètement obsolètes. C’était beau-coup plus difficile. La pratique du dessin techniquedont je parlais précédemment a beaucoup évoluédans l’entreprise ces dernières années.L’informatique met désormais à disposition desoutils qui permettent une description des objetstechniques en trois dimensions, bouleversant leurconception et leur réalisation. Notre enseignementdoit suivre cette évolution.Mais le matériel ne suffit pas. Certains élèves sedémobilisent devant l’écran d’ordinateurs les plusperformants. D’autres, le nez sur une fiche deprocédure ou un contrat de phase, ne compren-nent pas le sens de ce qu’ils font : en informa-tique, cela s’appelle « pédagogie du clic obligé ».Quant à la méthode inductive, très largement pré-conisée en technologie, elle permet à l’élèved’être actif dans ses apprentissages ; cependantelle n’entraîne pas nécessairement la motivation.C’est ainsi que vingt années d’expériences sur leterrain ainsi que quelques lectures de référenceme portent à varier constamment les approches.Et plus les élèves avancent vers la classe de 3e, etplus c’est nécessaire.Alors, devant la complexité de ce qu’André Giordanappelle « le cocktail allostérique », il m’arrive encorede quitter l’atelier avec la même interrogation : « Ai-je été à la hauteur aujourd’hui ? »

Christine Meucci, professeure de technologie, collège Léonard de Vinci, Sainte-Geneviève (Oise).

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Apprendre pour faire apprendreÉvelyne Marchand

Comment motiver des enseignants à travailler sur un sujet tel que l’éducation à l’environnement?Et surtout comment les aider à motiver leurs élèves?

DOSSIER Cette fameuse motivation…

Une séquence de travail.L’expression de la représentationQue mettez-vous derrière le mot« environnement » ? Cette questionnous amène à définir le terme selonles propres mots des enseignants, etnous partons ainsi tous sur la mêmedéfinition.L’observation de son propre environnementSelon le nombre d’enseignants à la ses-sion (une vingtaine de personnes dansl’idéal), on constitue des groupes derecherche pourvus de consignes pré-cises sur une observation à réaliser ausein du bâtiment où nous nous trou-vons. La précision des consignesdépend de la durée d’intervention :plus elle est courte, plus les consignessont proches du terrain. Voici quelquesexemples de consignes :1. Quel est le système de chauffage dubâtiment ? (description de la chau-dière, du système de distribution dela chaleur)2. Identifiez les lieux à l’intérieur dubâtiment où les lampes fonctionnent.

En qualité de responsable del’éducation à l’environnement,je suis amenée à intervenir en

formation initiale ou continue desenseignants pendant les journées réser-vées aux correspondants « environne-ment ». Il s’agit surtout de travaillersur les moyens de développer à la foisune démarche scientifique et unedémarche citoyenne chez les élèves, leplus souvent à travers des projets.Le principe développé dans les for-mations est de faire vivre aux ensei-gnants ce que leurs propres élèves vontétudier, puis analyser comment ils l’ontvécu, ce qu’ils ont ressenti, et de déter-miner ce qui a permis leur propremotivation afin de la décentrer surleurs propres pratiques.

3. Déterminez les lieux de productiondes déchets dans ce bâtiment. Queltype de déchets recense-t-on? Et parrapport à quel lieu? Quelles démarchesentreprendriez-vous avant de mettreen place une collecte sélective?4. Recensez les points d’eau existant ausein de ce bâtiment. Déterminez l’usagede l’eau pour chacun de ces points.Quels conseils pourriez-vous appor-ter pour réduire la consommation d’eauau sein de cet établissement?5. Réalisez le plan des espaces vertsdans l’enceinte du bâtiment.6. Établissez un tableau de données àpartir de renseignements obtenusauprès de dix stagiaires venus au stage:moyen de déplacement pour venir jus-

qu’ici ? Décrivez les contraintes et lesavantages de tous les moyens de trans-port.D’autres consignes peuvent bien sûrêtre suggérées.Restitution des observations par les stagiairesAprès un rapport de chaque groupe,j’apporte, sur les enjeux de nos com-portements, des informations qui per-mettent une prise de conscience desstagiaires par rapport à notre rôle entant que citoyen.La transposition dans le vécu estalors très simple. Nous parlons de cequi se passe chez soi ou dans sapropre collectivité, ou auprès d’ar-tisans…La détermination des acteurs et des responsabilitésLes acteurs locaux sont alors nomméset nous étudions quel est exactementleur champ de compétences avant d’al-ler vers une approche plus globale.Bien sûr, nous nous recentrons sur lesresponsabilités du citoyen dans unedémarche de diminution des nuisances

et avec le souci de réfléchir aux solu-tions qu’on peut proposer aux diffé-rents acteurs. Très vite, les stagiairess’aperçoivent qu’il faut pousser lesinvestigations pour devenir une forcede proposition. Ils découvrent alors lapertinence des témoignages de pro-fessionnels qui peuvent être interpel-lés lors de leurs recherches.

Analyse de la séquence de formationElle se fait sous forme de questionsécrites dont voici quelques exemples :Comment ils ont vécu cette séquence ?Ce qui leur a plu et pourquoi ?Ce qui leur a moins plu et pourquoi ?Où ils ont trouvé des difficultés ?Ce qui leur a permis une meilleure com-préhension de l’environnement.Et deux questions plus précises sur lamotivation :- Se sentent-ils motivés pour travailleravec leurs élèves sur l’environnement?« Oui, cela nous paraît tout à fait réali-sable et facile à développer avec nosélèves, notamment en s’inspirant desconsignes qui ont été données ici. De plusles élèves devront se renseigner auprèsd’acteurs de la vie quotidienne (électri-ciens, éboueurs, plombiers, directeur del’établissement, gestionnaire éventuelle-ment, laborantins, fleuristes, etc.) et celaleur permettra de connaître des métiers àtravers le témoignage des professionnels. »- Si oui, qu’est-ce qui a permis cetaccroissement de motivation?Sont évoqués : « la convivialité deséchanges, des exemples concrets d’inter-vention auprès des élèves et l’analyse despratiques utilisées qui permet d’ôter lapeur des nouveaux sujets, et de se proje-ter sur l’acquisition de nouvelles connais-sances à travers les travaux d’élèves etqui rompt ainsi la monotonie de la rou-tine ». L’enrichissement personnel etprofessionnel est aussi mentionné.Ainsi nous reparlons de l’animation,des méthodes pédagogiques utilisées,des qualités ou défauts de l’animatriceet du respect des questions des élèveset de leurs exploitations par les élèveseux-mêmes. La capacité à motiver les

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Le principe développé dans les formations est de faire vivre aux enseignants

ce que leurs propres élèves vont étudier

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élèves est évoquée à travers la pratiquevécue lors de cette même séquence. Sile temps le permet, la démarche deprojet par l’élève est abordée, en ana-lysant toutes les contraintes que lesenseignants rencontrent.

Évaluation de la séquenceJe réalise toujours une légère évalua-tion écrite sur le sentiment général desstagiaires. Des signes permettent dedétecter une motivation accrue desenseignants : le sourire des stagiaires,leur participation très active aux dis-cussions, leur remerciement chaleu-

reux et l’accroissement de leur curio-sité par un afflux de questions à la finde la session de formation.Toutes ces marques de reconnais-sance sont autant d’éléments quimotivent le formateur à persévérerdans sa démarche de formation !

Évelyne Marchand, ADEME 1, responsable de l’éducation à l’environnement en Picardie.

3 - D’autres façons de travail ler

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1 Créée en 1992, l’ADEME est un établissement public dontles missions sont la maîtrise de l’énergie, le développementdes énergies renouvelables, la gestion des déchets, la luttecontre la pollution de l’air et les nuisances sonores, la pré-vention et le traitement de la pollution. L’ADEME met en œuvretrois modes d’intervention: la recherche, l’expertise et le conseil,l’information et l’action sur les comportements, auprès dedifférentes cibles telles que les collectivités locales, les entre-prises, les agriculteurs et le grand public.

Les points d’appui ne manquent pasSavoir parler du sens de ce qu’on enseigne

de temps à autre, en acceptant de soulever un problème éthique,politique, métaphysique…

Annoncer l’objectif en termes compréhensibles par l’élève

en permettant à l’élève de se représenter ce qu’il saura faire au terme de l’apprentissage.

Ne pas émietter inutilement l’apprentissage

en sachant, quand on le peut, ne pas multiplier les « prérequis » avant d’en venir à la tâche globale qui représente un enjeu intéressant.

Ne pas dévaloriser la tâche proposée

par exemple en la présentant comme facile ou adaptée à un « mauvais niveau ».

Prévoir l’activité de l’élève

aussi précisément qu’on prévoit celle de l’enseignant ! Vérifier si, pendantle cours, il y a bien un moment où c’est l’élève qui va agir.

Se situer dans la « zone proximale de développement »,

proposer des tâches qui soient assez difficiles pour être stimulantes mais à portée de réussite, moyennant une aide.

Redonner confiance dans l’aptitude à réussir

même devant un état des lieux défavorable (individuel ou collectif), doser les constats réalistes et les propositions positives.

Repenser le rôle de l’évaluation

entre exigences institutionnelles, coutumes des élèves et volontéd’évaluer pour faire réussir, trouver des modes d’évaluation formatifs et sommatifs clairs pour tous.

Proposer des tâches valorisantes et complexes

Aider à apprendre,organiser la réussite

Tableau élaboré d’après Cécile Delannoy, La motivation, Hachette Éducation, 1997

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http://www.motivation.classeDenis Fabé

Ce n’est pas tant l’ordinateur qui motive que les ouvertures didactiques qu’il permet.L’enseignant « branché » étonne et plaît, mais il est surtout celui qui cherche obstinément àfaciliter les apprentissages.

Depuis trois ans, je propose àmes élèves de construire un siteWeb1 qui serait la trace de notre

travail commun. On y trouve, outre lesséquences et la présentation du pro-gramme officiel, le cahier de textes duprofesseur, ses principes et ses modesd’enseignement, les comptes rendusde cours rédigés par les élèves, leursproductions et leurs projets, un web-zine, les pages personnelles de chacundes élèves, en un mot: tout ou presquesur le travail de français dans notre col-lège. J’ose l’affirmer, mes élèves sem-blent « motivés » par ce site et partoutes les activités qui y affèrent. Jepasse même, en début d’année dumoins, pour un « prof branché » et ce,malgré mon âge et mon « look » desplus classiques…J’aimerais donc essayer d’interrogercette motivation qui semble ne pasfaiblir.

Un peu de vie en français ?D’abord, première évidence, l’outilinformatique est encore auréolé d’uncertain modernisme qui attire la majo-rité de mes élèves. « Avec monsieurUntel, on n’a pas que des manuels… On

peut faire nos rédacs par email… On peutmême les animer. »Bien sûr, ma petite Margaux trouve, àl’inverse, que ces NTIC si enthousias-mantes sont en fait horriblement « rin-gardes ». Elle ne comprend pas qu’onpuisse passer son temps à (mal) écriresur un clavier alors qu’il est plus richede raturer, d’effacer, sur un brouillon.Elle se refuse à chercher sur le net desdocuments qu’elle trouve plus facile-ment au CDI. Mais Margaux est un casisolé à qui il arrive malgré tout de merendre certains de ses devoirs par e-mail.Ensuite, seconde évidence, l’outilinformatique permet à certains demettre en œuvre des compétences sou-vent ignorées en classe de français.Deux de mes élèves sont des mordus« d’animation Flash, de Power Point etde Java script ». Pouvoir utiliser cescompétences en cours de français pro-voque l’admiration de tous et de leurenseignant en particulier, surtout lors-qu’il s’agit de mettre en page, en sonet en images un poème de Victor Hugo.Enfin, et pour certains du moins, l’or-dinateur et l’Internet restaient jusqu’àprésent des outils - des « instruments

de jeu » - qui n’avaient droit de citéqu’en dehors du collège2. Comme parmiracle, les voici qui ont fait irruptiondans la classe… Au premier abord, ilsemblerait donc que l’ordinateur soità la fois le symbole de la modernité etle signe qu’un peu de la vraie vie peutadvenir en classe de français…Mais l’effet de nouveauté passé et l’as-sociation travail scolaire et ordinateuratténuent les évidences que je viensd’évoquer… Comme le dit A. Giordan:« Les NTIC ne sont pas des « machinesmiracles » qui vont résoudre tous nos pro-blèmes sans que nous n’ayons plus rien àfaire. Les NTIC sont une chance de plusqu’il faut saisir. » Elles doivent être consi-dérées plutôt « comme un ensemble d’ou-tils qui peut faciliter le travail desenseignants et des apprenants en enlevantdes tâches répétitives et en permettantd’apprendre par soi-même ». Mais « Pourcela, il faut changer la relation pédago-gique en passant du schème classique: l’en-seignant transmet un savoir à l’apprenant,à un nouveau schème où c’est l’apprenantqui acquiert de nouveaux savoirs et oùl’enseignant joue le rôle de facilitateur enaidant l’apprenant. »3

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Un nouveau champ des possibles

En fait, l’ordinateur peut devenir unformidable vecteur de motivation…si le professeur lui-même est moti-vé, non pas tant par l’outil, mais partous les possibles - didactiques, péda-gogiques, relationnels voire citoyens- que la « machine » ouvre, et dont ildoit s’emparer quand ils existent,qu’il doit inventer quand ils n’exis-tent pas encore.Je n’évoquerai ici que certaines deshypothèses qui pourraient « expliquer »cette motivation et qu’il serait bond’expliciter plus avant .L’ordinateur et plus particulièrementle site Web permettent donc :- De mettre en ligne une banque dedonnées propres à la classe, toujoursconsultable, réactualisable par le pro-fesseur comme par les élèves.- De proposer des textes, des images,des références variés en lien avec lesséquences mais aussi en résonance avecles savoirs enseignés.- D’offrir des espaces de travail et derecherche hors de la classe où chacunpeut se donner des tâches à accomplirselon ses besoins ou ses envies. SiGuillaume m’envoie régulièrementquelques exercices d’orthographe récu-pérés sur le site, Cécile et Aliénor ontsouhaité rendre compte de leur pointde vue sur « Lille 2004, capitale euro-péenne de la culture ».- De publier sur le net des productionset de rendre visible ce qui d’ordinairereste enfermé dans les cartables.« J’aime quand on écrit pour d’autres.[…] Imaginez que quelqu’un veuille fil-mer nos scénarios sur « caméra tableau »,ça serait génial… », a rêvé Amandine.- De recevoir des commentaires, desencouragements d’internautes incon-nus, et d’en être fiers.- De mettre en place des dispositifsparticuliers : écrire à deux, se relire,lire les autres, intervenir dans leur tra-vail, et ainsi créer de la coopérationpour inventer « une réelle société d’ap-prentissage ». (Meirieu).- De rénover, par là même, le dialogueavec le professeur, à deux, autour d’unécran.- De pouvoir choisir et proposer, encours, des tâches différentes, des textesplus ou moins complexes pour quechacun travaille selon ses compétences.- D’inventer des actes scolaires nou-veaux: outre l’écriture directe avec l’or-dinateur et l’apprentissage des logiciels,travailler avec l’ordinateur permet aussid’apprendre à améliorer ses produc-

tions par le « copier coller », à interro-ger sa langue grâce au correcteur ortho-graphique, à illustrer, à mettre en page,à devenir « lisible ».- De rechercher des écritures nou-velles : si l’écriture scolaire reste pri-mordiale, le site permet de devenirsuccessivement « journaliste de laclasse » en rédigeant le compte rendudu cours, critique de cinéma dans lewebzine, documentaliste, fureteur duWeb à la recherche de la biographied’un auteur, voire animateur de pro-jets collectifs.- De multiplier les façons d’appré-hender l’utilité du savoir : pourquoi nepas étudier le portrait pour créer unepage personnelle postée sur l’Internet?- D’échanger entre élèves de la clas-se, mais aussi avec d’autres élèves,ailleurs, par la simple création d’uneadresse électronique 4.- De rendre ses devoirs par courrierélectronique, et d’attendre la répon-se sous forme de correction person-nalisée.- De demander de l’aide à distance -une consigne mal comprise, une dif-ficulté de grammaire, un « blocaged’écriture », un conflit avec un prof ouun camarade. La classe quitte alors lesmurs du collège.- De proposer aux parents d’être lespremiers lecteurs des travaux et ainsi

susciter la discussion autour de l’écran,de les inviter aussi à apprendre le net,à écrire dans le projet de leur enfant…Quelle n’a pas été la surprise du papade Guillaume quand il a découvert, surla page personnelle de son fils, le petittexte qu’il avait « griffonné sur le coinde la table, sans vraiment trop y faireattention ! »…… Et cela fait déjà trois ans que j’es-saie d’explorer tous ces possibles, d’endécouvrir d’autres, trois ans que j’ypasse mes soirées, trois ans que j’essaiede me perfectionner dans l’usage deslogiciels et de leurs étranges didacti-ciels, trois ans, enfin, que je n’arriveplus à me démotiver.

Denis Fabé, professeur de français, collège de Provin (59).

4 - Les nouvelles technologies motivent-el les ?

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1 http://classe.provin.free.fr/2 Cette pratique de l’informatique personnelle est souventregardée, par beaucoup, comme la marque d’une générationou d’un âge adolescent. Elle est même parfois perçue, par desparents ou des professeurs un peu perdus, comme un obstacleou une concurrence dangereuse au travail scolaire.3 Dans Le multimédia va-t-il remplacer l’école? A. Giordan,H. Platteaux. Actes du Colloque National Le multimédia dansl’Éducation, les enjeux d’une mutation culturelle, Éditions CRDPde Grenoble, 1996.4 Mes élèves ont accès au net soit au CDI, soit chez eux, soitdans des clubs informatiques en ville ou au collège.

Pour un problème de vie de classe : [3e]

MardiAlors voilà dans la classe j’ai 1problème personnel et 1 autrecollectif :- Tout à l’heure en allemand j’aiparlé et je me suis fait engueulépar Mme L… alors que les filles(charlotte M… et Amandine L…)parlaient avec leurs voix decrécerelles elles riaient et ellesn’ont rien eu jusqu’à la fin ducours. Je trouve ça injuste !- En histoire, tous les élèves disentque Romain est le chouchou :la prof l’interroge tout le tempsque se soit pour corriger lesdevoirs, pour répondre auxquestions posées, lire un texte àhaute voix…On en a marre ! Nous aussi onaimerait faire de la classe « unesociété d’apprentissage » 1… Je

vous parle sur Internet pour ne pasfaire un scandale sans vousprévenir, et pour pas gênerRomain. Au nom de toute laclasse, je me suis engagé à vousparler !Voilà ça fait du bien! Un de vosélève : Malik D.

Jeudi soirMerci de votre discours. Je croisque tout le monde a compris. Jen’avais pas pensé à votre idée.Romain a compris qu’il n’était passeul et qu’il fallait qu’il laisse lesautres répondre. Ca s’est passécomme ça aujourd’hui. On l’afélicité à la fin du cours. J’ai lu letexte de Cyril pour le cahier detexte [compte rendu de laséance]. Il dit qu’on est encoredans la compétition et qu’onn’est pas prêt à devenir unesociété mais qu’à force çaviendra. Je voudrais que ça soit

Courriels d’élèves

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L’ordinateur n’a rien perdu de son attrait

Maryline Gimbert

Pour sa thèse sur l’informatique au collège, cette enseignante de technologie a pu observerpendant sept semaines une classe de 6e de ZEP s’initiant aux fonctions de base d’un traitement de texte : leur motivation ne faiblit pas ! Il y a là une piste à suivre qui renvoie aux processusd’acquisition des connaissances, notamment à l’apprentissage implicite.

Ce qui m’a tout d’abord frappéedans cette 6e dont certainsélèves sont en difficulté1, c’est

la concentration sur le travail : pen-dant ces sept séances d’une heuretrente, les dix élèves du groupe sontrestés appliqués devant leur ordina-teur, sans s’agiter, sans montrer aucunsigne d’ennui, en suivant scrupuleu-sement la progression proposée parleur enseignante.

Un lieu, une organisationLes cours de technologie se déroulenten classe entière (21 élèves), mais celle-ci est divisée en deux groupes équi-valents, l’un d’eux travaille sur la partieconstruction électronique du pro-gramme pendant que l’autre s’initie autraitement de texte. Les deux activitésont lieu simultanément avec une seuleenseignante dans la même salle, équi-

pée de dix ordinateurs de générationsdifférentes avec des versions disparatesdu même logiciel 2.Pour le groupe informatique, l’ensei-gnante a proposé un livret de 31 pagescomprenant des fiches indiquant lesmodes opératoires de modification destextes et des pages de présentation destextes modifiés. Les textes originauxont été préalablement enregistrés dansun dossier sur les disques durs dechaque ordinateur. La tâche des élèvesreste la même pendant toute la séquen-ce, elle consiste à ouvrir un à un chaquefichier texte puis à utiliser les res-sources du logiciel pour le modifier etobtenir la présentation exacte du modè-le reproduit dans le livret. Chaquepoint du programme est traité dansdeux textes consécutifs ; par exempledeux lettres saisies au kilomètre doi-

vent être modifiées avec centrage etretraits de texte pour obtenir une pré-sentation normalisée. Les élèves doi-vent ensuite enregistrer les textesmodifiés dans un dossier spécifique quel’enseignante consulte entre les séancespour constater les progrès ou les dif-ficultés. En cas de problème, l’ensei-gnante intervient brièvement au débutde la séance suivante.Au début du premier cours, un tra-vail écrit a été donné au groupe « élec-tronique », si bien que l’enseignante apu se consacrer à la mise en route despostes informatiques, tous différents.Lors des séances suivantes l’ensei-gnante a surtout encadré la partie élec-tronique qui nécessite l’utilisationd’outillage pouvant présenter un cer-tain danger (perceuses, fers à sou-der…). Les conditions matérielles ne

DOSSIER Cette fameuse motivation…

48 les cahiers pédagogiques n° 429-430, janvier-février 2005

comme ça.Voilà. Ca va mieux. Et avecmadame L aussi… elle avait l’airpas bien comme dans le texte de laprof qu’on a lu en classe. Je croisqu’on comprend un peu mieux.Malik D.Ma sœur vous dit bonjour.

Pour annoncer un « travail libre ».

Bonjour Monsieur, comment allez-vous?Moi bien.J’ai des projets pour les vacances :je pense que je vais faire des textessur les biographies des personnagesdu film « ketchup ». Surtout cellede la dame aux petites annonces.C’est dommage que cette séquencese termine aussi vite. Mais bon, j’aiquand même hâte de découvrir laprochaine séquence en espérantqu’elle soit encore « plus mieux »que celle d’avant.Allez sur ce, je vous laisse.BONNES VACANCES!!!

Pour demander des explications.

Bonsoir monsieur.Je crois que je n’ai pas bien comprisl’histoire des fiches de personnagesà finir. Qu’est ce que vous appelezles habitudes de vie? Est-ce qu’il fautdire ce qu’il pense ou ce qu’il fait?Répondez-moi vite.Emeline

« Coucou, j’existe ! »

MonsieurJe voulais juste essayer de voir sima boîte à lettres marchait encore.J’ai été sage aujourd’hui, même enMaths. C’est tout.A vendredi, vous pouvez merépondre.Pierre.

En introduction à un devoir renduen fichier joint.

Monsieurje vous envoie mon devoir justeavant l’heure limite. Il va être22h30 et j’avais jusqu’à 23h59.

Je crois que j’ai réussi ce devoir.Mais il doit rester des fautes. Mamère m’a dit que le correcteur neles corrigeait pas toutes. Il en arepéré au moins une dizaine, lesautres j’ai pas réussi à les voir.Bonne lecture. Corrigez vite etn’oubliez pas la note cette fois.Valentin

Pour demander une rectification.

MonsieurVous avez oublié une phrase dansmon compte rendu, celle où jedisais que les filles n’arrêtaient pasde rigoler. C’EST IMPORTANT! Si onne le dit pas, elles vont continuer !Clément.

1 Référence à un texte de Ph. Meirieu étudié en classe.

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4 - Les nouvelles technologies motivent-el les ?

Chacun est constructeur de son parcours, chacun utilise les fiches d’aide dont il a besoin et suit son propre rythme. L’enseignante estl’organisatrice de la situation d’apprentissage et joue le rôle de ressource pendant le cours.

sont donc pas idéales ; pourtant lesélèves ont travaillé avec concentration,sans bavardages ni déplacements.Leurs seules conversations enregis-trées sont des demandes d’aide qui ces-sent dès que l’élève a compris, et mêmeles élèves mauvais lecteurs semblentavoir le désir de réussir seuls, ils uti-lisent leur livret, surtout les modèlesde textes. L’autre groupe qui travailleavec de l’outillage et des machinesnouvelles ne les distrait pas. Les élèvespassent rapidement à la fiche suivan-te dès qu’ils ont terminé un texte, seulun élève n’est pas parvenu à la fin desobjectifs assignés par le programme àcause d’absences.

Qu’est-ce qui motive?Visiblement, ces élèves sont heureuxde « faire de l’informatique ». L’outiln’a pas perdu son attrait pour lesjeunes près de vingt ans après sonintroduction dans le système scolai-re. L’image sociale renvoyée par l’or-dinateur est toujours positive, il restesymbole de modernité (être perfor-mant en jeu vidéo est valorisant auprèsdes camarades ainsi que savoir réaliser

tous. Les copies de textes modifiés,présentes dans le livret, sont très uti-lisées par tous les élèves qui voientle but à atteindre et qui adhèrent àce but comme à un minidéfi.Une des raisons de l’intérêt pour letraitement de texte chez les élèves endifficulté est aussi l’attrait du travail« propre » : même lorsque les consignesn’ont pas été respectées, le documentimprimé est toujours sans rature,impeccablement propre ce qui appor-te une fierté certaine et un sentimentde réussite très valorisant. Dans les pre-miers textes ils pouvaient changer laprésentation de leur nom (taille, poli-ce, couleur, style…), de plus un exer-cice de mise en forme de la page degarde du classeur laissant libre coursà leur désir d’expression (WordArt,Clip Art) a renforcé leur enthousiasme.L’utilisation d’un livret de 31 pages pardes élèves en difficulté en lecture peutsembler une gageure. Pourtant ce livreta été constamment utilisé, surtout lescopies de texte. En effet, les jeunes gar-daient sous les yeux le modèle et pre-naient des repères visuels très stricts

certaines opérations comme téléchar-ger des musiques ou des films…).Tout au long de ces séances les élèvessont en activité autonome. Chacun estconstructeur de son parcours, chacunutilise les fiches d’aide dont il a besoinet suit son propre rythme. En référen-ce au « triangle pédagogique », on peutdire que le « processus apprendre », quiporte sur le rapport direct savoir-appre-nant, est ici dominant. L’enseignanteest l’organisatrice de la situation d’ap-prentissage et joue le rôle de ressourcependant le cours.Certes, l’activité ici paraît très for-melle et ne se situe pas dans la péda-gogie de projet… un des traitsdistinctifs de la discipline technolo-gie. En revanche, les objectifs assignéspour chaque texte (imprimer undocument exactement conforme aumodèle) et pour l’ensemble de laséquence (utiliser les possibilités dutraitement de texte pour présenter desdocuments) sont clairs et compris par

qu’ils cherchaient à reproduire àl’écran, alignements, retour à la ligne…Les fiches les plus courantes dans lesmanuels de technologie comportentdes consignes 3 qui nécessitent une lec-ture interprétation, avec souvent l’obs-tacle du vocabulaire, avant que l’élèvene recherche la suite d’actions (sou-ris clavier) qui va lui permettre d’ob-tenir ce qui est demandé. Ici l’élève« voit » tout de suite que le titre est plusgros que le reste et qu’il y a un espa-ce, son « seul » problème est de cher-cher comment grossir l’écriture dutitre puis comment faire de l’espace endessous. En limitant les obstacles auxobjectifs spécifiques, le livret évite queles élèves ne soient confrontés à desproblèmes récurrents, notamment decompréhension de texte.

Partir de ce qu’on sait faireDe plus, les supports proposés sontvariés (poésies, lettres, listes, page deprésentation…) et les exercices sont

très progressifs : un seul objectif nou-veau par texte avec réutilisation systé-matique de modes opératoires connus,ce qui permet toujours à l’élève deréinvestir ce qu’il connaît déjà. Ainsientré dans la tâche, il poursuit en cher-chant dans les autres fiches les modesopératoires qu’il ne connaît pas. Lesfiches de consignes le guident pas à pasdans les différentes actions à réaliseravec beaucoup de copies d’écran et peude texte. Lors de l’entretien final, lesélèves reconnaissent l’utilité du livretqui les a bien aidés, ils assurent quece livret leur a permis de ne pas« s’énerver » lorsqu’ils butaient sur unedifficulté, ils étaient rassurés par cetteressource toujours disponible et quileur permettait d’avancer seuls. Ils onttoutefois indiqué qu’ils n’ont pas com-pris certains mots qu’ils citent (ce quiprouve qu’ils ont lu le livret et retenucertains termes).La combinaison d’un outil attrayant,d’une méthode à visée constructivisteet d’un livret ressource bien conçu aengendré une séquence d’activité inten-se pour les élèves qui ont montré unemotivation certaine. On peut objecterque cette séquence se limite à l’ap-prentissage de savoir-faire mais il s’agitbien ici de la construction d’une suitede processus opératoires menant à larésolution d’un problème. L’évaluationde fin de séquence a démontré la maî-trise par tous (sauf un élève souventabsent) des compétences du pro-gramme de 6e. Dans cette séquence iln’y a pas eu de temps de structurationdes connaissances ni de résumé àapprendre, pourtant l’apprentissageest avéré. Une recherche du côté del’apprentissage implicite peut certai-nement aider à comprendre les pro-cessus cognitifs mis en œuvre par lesélèves dans ce type d’organisationpédagogique.

Maryline Gimbert,collège J.-E. Blanche, Saint-Pierre-lès-Elbeuf(Seine-Maritime).

1 Dans la classe de Roberte Leroux au collège du Mont Vallotà Elbeuf2 Le logiciel utilisé est Works de Microsoft mais les versions nesont pas les mêmes sur tous les postes (de la version 3.1 à la2000).3 1 Mettez le titre en gras 2 Sautez deux lignes après le titre3 Faites un retrait de 2cm au début du deuxième paragraphe…

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L’informatique motive-t-elle ?Fabien Fenouillet

On pense que l’usage de l’informatique a un impact positif sur la motivation de l’élève. Mais il est bon d’interroger les évidences…

Tous les enseignants se rendentcompte de la modification péda-gogique qu’impose l’introduc-

tion de l’ordinateur en classe: le simplepositionnement des ordinateurs dansune salle de cours à des incidences surles possibilités pédagogiques. La ques-tion est aussi de savoir si les élèves ontles ordinateurs à disposition soit en per-manence, soit dans une salle annexe, soitau travers d’ordinateurs portables, soitavec une possibilité de connexionInternet, soit avec une fiabilité d’utili-sation sans faille…Ces conditions sont essentielles pourla pédagogie que l’enseignant peutmettre en place : l’impact de l’infor-matique sur la motivation de l’élève sepose à chaque fois d’une manière dif-férente. Autrement dit, cet impactn’est-il pas un effet secondaire de lamodification des pratiques pédago-giques, indépendamment de la pré-sence d’un l’ordinateur ?

Nous savons tous que le modèledominant à l’école est celui d’unepédagogie frontale, qui limite l’initia-tive individuelle (souvent réduite à desréponses brèves dans le cadre fixé parle discours de l’enseignant). Pour laplupart des théories motivationnelles,tout ce qui concourt à augmenter l’au-todétermination ou plus simplementla liberté d’action de l’individu a unimpact positif sur sa motivation. Orl’apprentissage sur ordinateur offred’emblée une plus grande liberté d’ap-prentissage. Sans prendre en considé-ration la pratique pédagogique, il estainsi possible de dire que, sur ordina-teur, l’apprenant ne subit générale-ment pas les connaissances à assimiler;au contraire ce sont ses actions et sesréactions qui guident l’apprentissage.

On a donc ici plus de liberté et unegamme d’initiatives le plus souventabsentes d’une démarche d’apprentis-sage plus classique.Dans ce contexte, il n’est pas surpre-nant de voir des individus, à qui ondonne une marge de manœuvre plusimportante, faire preuve de plus derésolution et être plus actifs quand l’oc-casion se présente. En fait, l’utilisationde l’informatique est quasiment incom-patible avec une pédagogie frontale.D’où la difficulté qu’a représenté l’in-troduction de l’ordinateur qui vient, enquelque sorte, concurrencer le discoursde l’enseignant. La question n’est plusalors de susciter l’initiative et l’actionmais plutôt de les canaliser.

Qui dit motivation ne dit pasapprentissage…Dans une étude effectuée sur desélèves de CM2 (Fenouillet et al. 1999)qui devaient apprendre un cours sur

la préhistoire à partir de supports dif-férents, ordinateur ou papier, lesrésultats à propos de motivation sonttrès contradictoires. Les élèves sedéclarent significativement plus inté-ressés par le fait d’apprendre sur ordi-nateur que sur papier. D’ailleurs ilspassent également significativementplus de temps à lire le texte sur lapréhistoire (40 minutes) que lesautres qui ont le support papier (20minutes). Cependant, cet intérêt n’apas de retentissement sur le sujet lui-même puisque, cette fois, le niveaud’intérêt est identique entre lesgroupes. De plus, il s’avère que ceuxqui ont appris sur ordinateur ont desscores deux fois plus faibles au testfinal que ceux qui ont appris surpapier alors qu’ils ont passé deux fois

plus de temps à lire le texte (ces résul-tats ont été depuis répliqués avec denombreux élèves dans le cadre del’apprentissage sur Hypertexte).Cette étude indique donc que l’intro-duction de l’informatique a certes unimpact sur la motivation de l’élève,mais qu’il convient d’une part de faireune différence entre contenu (la pré-histoire) et contenant (l’ordinateur oule papier) et d’autre part d’interrogerl’évidence selon laquelle la motivationa un impact positif sur l’apprentissage.

Fabien Fenouillet, université Lille 3, UFR des sciences de l’éducation, équipe « Savoirs et rapport au savoir ».

DOSSIER Cette fameuse motivation…

50 les cahiers pédagogiques n° 429-430, janvier-février 2005

L’introduction de l’informatique a certes un impact sur la motivation de l’élève,

mais il faut interroger l’évidence du lien entre motivation et apprentissage.

Bibliographie :M. Déro (1996) « L’enseignementavec ordinateur », in Lieury et al.Manuel de Psychologie del’éducation et de la formation, Dunod, Paris.

F. Fenouillet (2003) Motivation,mémoire et pédagogie, Paris, L’Harmattan.

F. Fenouillet (2003) La motivation,Les topos, Dunod.

F. Fenouillet (2001) « Relation entreperception de compétences,sentiment d’autodétermination etprojet », in De la motivation à laformation, L’Harmattan.

F. Fenouillet, B. Tomeh, & I. Godquin, (1999) « Motivation etinformatique en contexte scolaire »,Pratiques Psychologiques, 3, 81-91.

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5 - Estime des autres, estime de soi

Chercher des points d’appuiBrigitte Prot

L’auteure assure depuis une dizaine d’années des formations autour de la motivation. Elle expliqueici le sens et les objectifs de son travail.

Mon activité de formatricecomporte des interventionsauprès des élèves: travail avec

des classes, du primaire au lycée, à par-tir de leurs représentations de ce qui lesmotive et les démotive, audits de classesen situation de crise, accompagnementde groupes, bilans de motivation etaccompagnements individuels.Je propose des formations, des confé-rences et un accompagnement sur cemême thème aux professionnels del’enseignement et de l’éducation autourde quatre axes : aider les élèves à semotiver aujourd’hui ou comment faireémerger le sens des apprentissages ;professionnaliser ses pratiques et tra-vailler en équipe, mieux communiqueravec les élèves et leurs parents, se moti-ver pour son métier aujourd’hui.Un éclairage sur le fonctionnement etles enjeux de la motivation précèdel’analyse de situations rencontréesdans les pratiques. Après un repéragedes obstacles, leviers et besoins, seconstruit la réponse aux questions :« Que mettre en place? » « Pour quoi? »« Comment? ».Je travaille également avec les parentsd’élèves : comment aider les enfants,mieux définir leur place, mieux com-muniquer avec les enseignants ?

La nécessité du sensCe travail fait référence à l’approchesystémique, à l’école rogérienne et àcelle de Palo Alto. Le nourrissent éga-lement les travaux d’EmmanuelMounier et de Paul Diel autour de lapersonne. Il trouve son sens dansl’articulation des propositions auprèsde tous les acteurs d’une situationd’apprentissage. La reconnaissancede sa complexité et de la nécessité deson approche systémique me sembled’extrême actualité : elle permet derépondre à des besoins repérés dansla réalité d’une situation, où sont prisen compte tous les axes et acteurs.L’objectif de ce travail est toujours depermettre l’émergence du sens de l’ap-prentissage chez les élèves, afin qu’ilsreconnaissent leur identité scolaire etprennent leur place ; chez les adultes,nous recherchons un changement despratiques pédagogiques pour aller versun positionnement adulte profession-nel et le développement d’une attitu-de adulte parentale.Dans un contexte de non respect de lapersonne et de viagralisation de lamotivation, l’urgence de répondre à unbesoin de sens est là ! Il s’agit de mettreen place des actions pour lutter contrele décrochage des élèves et le décou-

ragement des enseignants, en refusantcette imposture qui fait que la moti-vation devient objet de consommation,servie par des techniques plus que dis-cutables sur le plan éthique…Proposer aux élèves les outils d’émer-gence du sens de leur apprentissage etde leur projet, c’est leur permettred’adopter une attitude de sujets, jamaisréduits à leur travail, à leur comporte-ment ni à leurs résultats. Arthur, quiconfond sa personne et le zéro sur sacopie, répète « je suis nul », entame enpermanence son estime de soi, et n’aplus l’énergie nécessaire pour croireen sa progression possible ni en sacapacité d’agir…Ma pratique m’apprend que, pour semotiver, l’élève a besoin de réponsesclaires aux trois grandes questions: Pourquoi apprendre? Pourquoi apprendre?Comment faire ? Aider un élève à yrépondre suppose, pour les profes-sionnels de l’enseignement et de l’édu-cation, de s’affirmer dans une autorité, etnon un pouvoir ni une attitude laxiste.Il s’agit d’investir son propre espace,pour permettre à l’élève d’occuper lesien. Dans une situation avec un élèveou une classe, équivalente à 100 %, l’en-seignant possède un champ d’action etune part de responsabilité équivalents

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à 50 %. L’élève de même. Si l’adulteoccupe 80 % du territoire (propose duprémâché, assiste, accepte la manipu-lation), l’élève manque d’espace pourtenter son pas. De même, s’il en inves-tit seulement 15 %, il ne s’affirme passuffisamment dans sa pratique pour quel’élève trouve sa place; ce dernier dis-pose alors de trop d’espace, voire depouvoir, pour « faire ».

Se connaîtreL’élève a besoin d’être informé sur sasituation scolaire actualisée.Beaucoup d’élèves que je rencontreaujourd’hui possèdent peu d’infor-mations quant à leurs points d’appuiet besoins, éléments clés de leur moti-vation. Ils ne retiennent que leurs« manques », exprimés en des termesflous et définitifs (en difficulté, enéchec, « peut mieux faire »…). Comment, alors, ancrer une motiva-tion ? (voir encadré). Dans l’établisse-ment, il s’agit de mettre en place lesdispositifs et outils qui en ouvrent l’es-pace : pédagogie différenciée effecti-ve, clarté de l’évaluation et du statutde l’erreur, lisibilité des objectifs etéchéances, définition de la situationscolaire réelle de l’élève, valorisationeffective des progrès et des réussiteset repérage précis des besoins quirequièrent une remédiation. Unecommunication équilibrée est indis-pensable pour lutter contre l’infanti-lisation et la culpabilisation, dans lerespect de l’espace et de la parole dechacun, élève et adulte.Pour ce dernier, cela signifie identifierson champ d’action et de responsabi-lité, ses compétences et ses besoinspour se positionner en tant que pro-fessionnel (voir encadré). Cette atti-tude « assertive » permet de construireun travail en équipe et en réseau pourune cohérence de pratiques autour depriorités.

Brigitte Prot, formatrice, Institut supérieur de pédagogie de Paris.

Brigitte Prot a fondé l’associationACMÉE (Agir pour la communicationet la motivation dans l’éducation etl’enseignement) www.acmee.fr. Elle a écrit Profession : motivatrice -Réveiller le désir d’apprendre(Éd. Noêsis, 97) et J’suis pas motivé, je fais pas exprès !

52 les cahiers pédagogiques n° 429-430, janvier-février 2005

DOSSIER Cette fameuse motivation…

La dynamique de la motivationInscrire sa pratique dans une dyna-mique de motivation signifie raison-ner professionnellement selon lalogique ternaire « points d’appui,besoins et objectifs » et la rendrelisible dans tous ses champs d’action.

Un exemple dans ma pratique deprofesseur de français : Virginieobtient 06/20 à sa rédaction. Pourqu’elle puisse comprendre le sens desa note et voir ce qu’elle peut fairepour progresser, je fais apparaîtresur la première page de sa copie :

- D’abord, ses points d’appui : les sixpoints correspondent à une ortho-graphe correcte, une articulationclaire entre les idées et à la maîtrisede la technique de l’introduction,

- Ensuite, ses besoins : son travail nevaut « que » 06, car une partie est

hors-sujet, la technique de larecherche des idées et celle de laconclusion ne sont pas maîtrisées etune consigne relative au vocabu-laire n’est pas respectée,

- Enfin, un objectif pour le prochaindevoir évalué selon les mêmes cri-tères : maîtriser la technique de laconclusion (l’un des besoins repérésaccessible à l’élève dans le laps detemps qui sépare les deux travaux).

Lorsque cette dynamique préside àl’expression des appréciations sur lesbulletins scolaires et à la prise deparole de chacun lors d’un conseilde classe (un point d’appui, unbesoin et un objectif), il y a exerciced’une priorité pour la motivation.

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Double tutorat au collègeGustave FlaubertMarie-Dominique Kaddour et Catherine Léon

Dans un collège parisien ordinaire, des enseignants et leur chef d’établissement se mobilisent pourfaire vivre l’hétérogénéité et entraîner les élèves sur le chemin de la réussite. Motivation : que lesadultes commencent !

Fatima est maintenant une élèvede 3e avec des résultats correctsqui lui permettent d’envisager

un passage en lycée général. Son pro-jet est d’entrer en 1re ES, pour passerun bac ouvert car elle n’a pas encorechoisi le domaine dans lequel elle vou-drait « se former pour un métier futur ».Elle revient de loin, Fatima! Entrée en5e en échec scolaire, pour elle, les bonsélèves étaient des « bouffons »… C’estpar hasard qu’elle a été affectée en tantque redoublante dans une classe de 5e

où nous avions décidé d’organiser undouble « tutorat ».À l’origine de cette idée il y a deuxenseignantes que le hasard a réuniesen salle des professeurs. L’une, pro-fesseure de mathématiques, arrivait del’étranger et découvrait la réalité ducollège unique : comment gérer uneclasse où des élèves brillants côtoientun nombre croissant d’enfants en dif-ficultés ? Comment ne pas laisser surla touche les élèves lents ou ayant dumal à comprendre? Ayant une certai-ne expérience du travail personnali-sé, elle a mis en place dans ses classesune forme de travail où les élèvesrapides aident les élèves qui réussis-sent moins bien. L’autre, professeurede français, avait co-rédigé un rapportsur une expérience de tutorat entre desélèves de 3e et des élèves de 6e.C’est tout naturellement qu’elles ontassocié ces démarches pour mettre enplace un double « tutorat » dans uneclasse de 5e. Rien n’était joué audépart : les deux professeures à l’ori-gine du projet ont présenté celui-ci àl’équipe pédagogique de la classe lorsde la prérentrée, en ne sachant rien aupréalable de l’engagement des uns etdes autres. De fait l’adhésion a étéquasi unanime. Les personnalitésétaient pourtant très diverses. Cettediversité même a été source de riches-se par les échanges qu’elle a suscités.Des duos d’élèves sont créés à l’initia-

tive des élèves et avec l’accord des pro-fesseurs de l’équipe. Le terme de « tuto-rat horizontal » plutôt que « monitorat »a été retenu pour nommer ce dispositifentre élèves, entre pairs. À l’extérieur descours, sous la surveillance d’un adulte(au CDI ou dans une salle de classe), cesduos se retrouvent chaque semaine régu-lièrement selon leurs disponibilités ettravaillent les points du cours faisant dif-ficulté. Un tuteur dans une matièrepeut devenir, selon ses besoins, tutorédans une autre. Se crée ainsi une véri-table coopérative de techniques d’ap-prentissage : les élèves échangent leursméthodes, leurs savoir-faire en utilisantun vocabulaire qui leur est propre.

Les progrès de FatimaUn tutorat vertical, plus classique, entreun professeur et un ou plusieurs élèvesest venu compléter le dispositif. Sept

professeurs de l’équipe ont acceptéd’être les adultes référents, ou tuteurs,d’un groupe de trois ou quatre élèves.Dans ce climat, l’évolution de Fatimaa été rapide. Elle a appris à travailleravec d’autres, à partager, à prendre duplaisir dans l’apprentissage à plu-sieurs. En travaillant avec les « bouf-fons », elle a appris à les connaître, àavancer à leur rythme, à aimer tra-vailler. L’ambiance de la classe a viteété transformée par cette solidarité, cetravail partagé. Les bons élèves ontappris à regarder les autres différem-ment, et réciproquement.En 4e, Fatima s’est sentie frustrée. Letutorat qui lui a permis d’entrer dansune scolarité active et à progresser lui

manquant, elle a, tout naturellement,mis en place par sa propre initiative untutorat « sauvage » avec des anciens desa classe de 5e et quelques nouveauxadeptes, contournant les difficultés desalle de travail à trouver au collège !

Dynamique de la solidaritéDonnons la parole à quelques élèvess’exprimant lors d’une réunion de find’année.Stéphane, élève en grande difficulté,facilement découragé: « Mon tuteur m’abien expliqué et j’ai commencé à com-prendre. Il m’a donné la force de conti-nuer à travailler. » Il est maintenant en3e avec un solide projet de lycée pro-fessionnel.« Ce qui m’a plu c’est de s’aider les uns lesautres », affirme Maximilien, enfantparticulièrement timide et très solitai-re en début d’année.

Étienne, brillante tête de classe : « Lesélèves de la classe se sont mieux connuset plus appréciés » et Hanae, excellen-te elle aussi, ajoute : « J’ai beaucoupaimé pouvoir expliquer mes connais-sances aux autres élèves de la classe. J’aiainsi évolué en approfondissant chaqueleçon avec mon élève tutoré. Je trouveque les élèves se sont rapprochés grâceà ce système. »« Le tuteur nous explique avec des motsplus simples et donc nous comprenons plusfacilement », conclut Sagara.C’est ainsi qu’une dynamique de clas-se fondée sur la solidarité, le respectmutuel et le goût du travail s’est miseen place. Elle est renforcée par desréunions au moment des heures de vie

En travaillant avec les « bouffons », cette élèveredoublante, en échec, a appris à les connaître, à avancer à leur rythme, à aimer travailler.

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de classe où les élèves s’exprimentlibrement aussi bien sur les difficultésmatérielles que sur les réorganisationsde certains duos.Les professeurs et même les élèvesont remarqué que certains prenaientconfiance, levaient la main en classe,s’impliquaient davantage dans le tra-vail, en classe comme dans le tutoratélève-élève. Lors des conseils de clas-se l’attitude positive de cette classe aété signalée par tous. De plus, desprogrès dans les notes ont pu êtremesurés. Certains élèves tuteurs ontpu exprimer leur satisfaction devantles progrès de leurs tutorés !

Des enseignants transformésChez les professeurs, une évolution estapparue très vite grâce à une impli-cation de plus en plus nette de l’équi-pe tout entière. Après l’accord deprincipe du début d’année il s’agis-sait là aussi d’avancer ensemble en for-mant une équipe respectueuse despersonnalités de chacun.

Travailler ensemble demande du tempset des plages horaires libres pour tous.Le seul moment de réunion possibleétait l’heure du déjeuner. De fil enaiguille, l’habitude a été prise d’un repasen commun: qui apportait une bouteillede vin, qui un gâteau… ou un pâté aucanard. Ces instants partagés sont deve-nus des moments d’écoute et de dia-logue. La contrainte de la réunion s’estrapidement transformée en momentsde plaisir, et d’enrichissement. L’équipeest née là, très certainement.Travailler en équipe ne veut pas direse conformer à une pensée unique. Aumoment de la première réunion deconcertation, un mois après la mise enplace du tutorat vertical, l’équipe s’estrendu compte que chacun avait uneapproche et déjà un début de pratiquetrès différents. Les uns voyaient dansces rencontres avec les élèves unmoment propice à l’aide à la métho-dologie ou au soutien scolaire, d’autresun moment d’échange, de dialogueentre un adulte et un élève, ou encoreun moment de libre expression où desproblèmes plus personnels pouvaientêtre abordés. Spontanément chacun

l’élève tutoré. Par ailleurs, les respon-sables « INNOvation-VALOrisation »du rectorat de Paris nous ont soutenusau long des trois années tant par unaccompagnement que par des journéesde rencontres avec d’autres équipes.Les réunions repas et les formationsont créé du plaisir à travailler ensemble,et les élèves l’ont senti. De plus, lorsquele chef d’établissement a lancé l’idée duDSA (dispositif de socialisation etd’apprentissage) appelé SAS à l’origi-ne (structure d’aide et de soutien), c’esten partie dans cette équipe qu’il a trou-vé une écoute favorable et la volonté deconstruire le dispositif à Flaubert. Entrois ans le fond de l’équipe est restéstable, mais a aussi su s’élargir.On peut affirmer que l’équipe desenseignants a découvert ou redécou-vert le plaisir d’enseigner et de tra-vailler ensemble. Chacun a souventexprimé le bonheur qu’il ressentaitdans le travail avec cette classe parti-culière, dans les échanges avec lesautres membres de l’équipe mais aussidans les relations interpersonnelles quis’établissaient avec les élèves tutorés.« Il y a eu un avant tutorat et un après! »

Les façons d’être en classe ont étémodifiées. La proximité avec les élèvesest plus grande et la perception deleurs individualités bien meilleure.

Une aventure qui fait des émulesDe leur côté, les parents ont pu s’ex-primer lors d’un conseil de classe: « Letutorat a renforcé les liens des élèves entreeux et avec les enseignants. La très gran-de cohésion du groupe classe a favorisé laprogression des enfants en difficulté et lesmeilleurs élèves en ont aussi tiré profit.L’hétérogénéité du groupe, vécue initia-lement comme problématique, s’est révé-lé être, avec les moyens mis à dispositionet une équipe d’enseignants volontairessur un projet, un élément déterminantpour chacun des élèves de cette classe àexprimer au mieux leurs capacités. »Une certaine émulation se dessine main-tenant au collège Gustave Flaubert. Desélèves d’autres classes de 5e ont deman-dé pourquoi eux ne bénéficiaient pas dututorat et des collègues enseignants ontexprimé la vision positive de cetteaction. L’équipe engagée est en train demettre en place le double tutorat à l’en-semble du niveau 5e pour la rentrée2004. La logistique lourde de ce dispo-sitif élargi n’est possible que grâce ausoutien de l’administration. Il est bienévident que pour qu’une innovationdevienne une pratique, ce soutien estnécessaire.Chaque membre de l’équipe sera res-ponsable d’une classe de 5e. Il recrée-ra la double dynamique vécue depuistrois ans avec les élèves et les ensei-gnants de sa classe.Et l’aventure continue !

Marie-Dominique Kaddour, Catherine Léon, professeures, collège Flaubert, Paris.

avait, sur le terrain, avancé à sa maniè-re et était convaincu que sa méthodeétait la seule et la meilleure. La pre-mière mise en commun a été animée,voire houleuse !D’un commun accord, il a été décidéde ne pas se figer dans des règles et desméthodes préétablies. Cette variétédans les démarches est devenue sour-ce de richesse : ne pas s’enfermer dansun cadre fixé a priori, mais favoriserla diversité liée à la personnalité, àl’histoire de chaque membre de l’équi-pe. Petit à petit, les pratiques se sontmêlées, chacun prenant et donnant auxautres. La mayonnaise avait pris.Ces déjeuners de travail sont devenusaussi l’occasion de traiter les questionsd’organisation, de communication avecles collègues du collège mais aussi deréfléchir à des cas d’élèves. À cesréunions se sont jointes très vite uneCPE et la principale adjointe. L’équipea eu une autre occasion de se souderlors d’un stage sur site abordant la déli-cate relation entre l’adulte tuteur et

DOSSIER Cette fameuse motivation…

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« Il y a eu un avant tutorat et un après ! » Les façons d’être en classe ont été modifiées.

La proximité avec les élèves est plus grande et laperception de leurs individualités bien meilleure.

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Du décrochage scolaire à la réussite au bac

Éric de Saint-Denis

En attendant un prochain dossier sur le décrochage scolaire et les moyens d’y remédier, voici un exemple de travail mené dans des structures alternatives pour réconcilier des élèves avec les apprentissages… et avec l’examen.

Le microlycée de Sénart est unestructure expérimentale del’Éducation nationale qui

accueille des lycéens qui ont arrêtél’école depuis un temps plus ou moinslong et qui décident d’y revenir, desélèves décrocheurs raccrocheurs. Cettestructure située dans l’académie deCréteil a été ouverte en septembre 2000et rescolarise 80 jeunes pour l’année2003-2004. Les élèves du microlycéeont souvent vécu des trajectoires sco-laires très particulières liées à des situa-tions personnelles plus ou moinslourdes. Le pari du microlycée, où l’ap-proche du jeune est globale et le suiviscolaire le plus individualisé possible,est de tenir compte de ces situations etde permettre à ces élèves de reprendre

une scolarité en vue d’une réussite aubaccalauréat. Il est donc possible, dansle cadre limité du microlycée, de s’in-terroger sur la motivation de ces élèvesface à l’examen final, sur ce qui lesmotive à refuser le bac, ne pas y allerou s’y présenter et tout faire pour yéchouer, puis sur ce qui les motive àtenter de le préparer à nouveau. Lamotivation à fuir et à courir après cet« obscur objet de leur désir » n’est-ellepas, en fait, de même nature, l’une ren-voyant à l’autre, dans un véritable jeude miroir ?

Vouloir et ne pas vouloirPour la majorité des élèves du micro-lycée, la question du baccalauréat estun sujet d’angoisse, là où la norme est

celle de la seule inquiétude. Ils ontquitté un système où les rails de l’ordrescolaire traditionnel dirigent la gran-de majorité des élèves vers l’examenfinal sans les laisser se poser trop dequestions. Pour des raisons familialesou sociales, parce que les résultats sco-laires du cycle terminal sont accep-tables et acceptés, le bac est à leursyeux une épreuve certes difficile, maissurmontable. Au microlycée, un pour-centage important d’élèves, 20 à 30 %selon les années, ne s’est pas présentéaux épreuves du bac après les avoirpourtant préparées toute l’année, quece soit en fin de 1re ou en fin de ter-minale. Diane a pu même être admis-sible et ne pas s’être présentée auxépreuves orales, Tarik ne pas même

Le faire sortir de sa coquilleCe jour-là, le cours d’allemand ne s’était pas passé commed’habitude. Le visage de Mike s’était animé, son corpsétait devenu plus tonique, il commençait à chuchoter avecson voisin, levait le doigt pour participer et, à la fin del’heure, avait quitté la classe de bonne humeur en disant :« Madame, elle est passée vite l’heure d’aujourd’hui! »

Qu’était-il arrivé?

Pour un moment, il était sorti de sa coquille, il était passéde l’inaction à l’action, de la frustration au plaisir, de laspirale de l’échec à la spirale de la réussite.

Ce jour-là, j’avais réuni les conditions pour qu’il se moti-ve. J’avais expliqué la leçon de grammaire en utilisantune métaphore (le déterminant et le nom sont mari etfemme, le pronom est un éternel célibataire, etc. Celavous rappellera peut-être La grammaire est une chansondouce 1.). Puis j’avais proposé un exercice très facile(j’étais certaine qu’il était largement à sa portée) qu’ilavait fait sans difficulté. Il avait pris confiance et acceptéd’en faire d’autres plus difficiles…

Par la suite, j’ai remarqué qu’il était toujours motivélorsque nous faisions des activités où le corps était sollici-té. Par exemple, former des groupes d’élèves debout dansla classe : les maris, les femmes et les éternels célibatairesde la leçon citée plus haut, et les faire se déplacer enfonction des phrases que je lisais à voix haute. Il montraitbeaucoup d’intérêt lorsqu’il s’agissait de représenter des

choses abstraites sous la forme d’un schéma (par exemple,un trait horizontal pour le radical d’un verbe et un ovaleà son extrémité droite pour la terminaison). Lors de l’éva-luation, qui était conçue de manière classique, il mobili-sait ses connaissances grâce aux expériences corporellesou visuelles qu’il avait vécues.

Ce jeune garçon est l’exemple type de l’élève qui ne refu-se pas l’effort lorsqu’il sent qu’il est capable de réussir. Ilacceptera même de faire un pas vers l’inconnu si lesconditions sont réunies pour qu’il se sente en confiance.Ainsi la motivation ne peut exister sans un sentiment decompétence. « Cet exercice est difficile mais je suiscapable de le faire. »

Depuis, j’ai multiplié les activités corporelles et visuellesdans cette classe et j’ai constaté deux choses :Mike et les autres élèves en difficulté participent plusrégulièrement au cours ; et le centre de gravité du grou-pe est en train de se déplacer, en ce sens qu’il devientplus homogène (lors de la dernière évaluation, la note laplus basse était 07,5/20 au lieu de 03/20 avant le débutde l’expérience).

Isabelle Lehman, professeure d’allemand,collège Robert Schuman, Hombourg-Haut (ZEP).

1 Allusion au livre d’Éric Orsenna, La grammaire est une chanson douce, Stock, 2000.

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avoir été chercher les résultats de sonadmissibilité… pourtant réussie !Marie a perdu sa convocation, puisoublié de se réveiller le matin desépreuves anticipées de français bienqu’elle soit en section littéraire ! Ils onttous mille et un prétextes pour ne passe donner les moyens de réussir uneépreuve qu’ils fuient pour des motifsqui ont souvent peu à voir avec leurniveau scolaire. Ils ont déserté l’écoleet ses repères, obéissant ainsi à unemotivation personnelle où la peur del’échec est difficile à démêler de la peurde la réussite, ne s’autorisant plusgrand-chose, castrés de la possibilité àessayer. Ils sont dans une situation oùles enjeux de l’examen les renvoient àdes enjeux personnels complexes ettrop angoissants.

Redevenir élèveDernier grand rite de passage à l’âgeadulte avec le permis de conduire, lebac est devenu, avec la massification,une épreuve ordinaire que tous, oupresque, se doivent d’affronter. Il estle sésame des études supérieures, maissurtout il ouvre au monde et permet

de franchir une étape collective et indi-viduelle symbolique. Les élèves décro-cheurs l’affrontent plus qu’ils ne s’yconfrontent. Pour les uns, la famillefait peser sur le baccalauréat, qu’il fautexplicitement ou implicitement à toutprix réussir… ou échouer selon lessituations, le poids de la trahison socio-familiale, poids trop lourd à porter etqu’ils refusent, prenant leurs jambesà leur cou et laissant ce fardeau sur lebord d’une route où ils continuent decourir, désormais plus légers. Ne paspasser le bac est alors la solution la plusconfortable. Pour les autres, à l’inver-se, c’est justement cette trahison quiles motive, toujours soucieux de s’op-poser au désir familial… mais sans yparvenir réellement. Dans beaucoupde cas, l’image du père est détermi-nante, véritable passeur social vers lemonde adulte du travail ou plus glo-balement vers le monde professionnel.Trop abîmée, elle ne permet plus aujeune de grandir, à l’élève de s’élever,à la réussite au bac d’être pensable.

L’examen final devient alors un objec-tif impossible à atteindre surtoutlorsque l’image de l’adulte a été à nou-veau esquintée par le monde scolaire.Une parole déplacée, une situationd’injustice, parfois un rien impercep-tible aux yeux de l’adulte concerné,peut fermer la porte de la réussite sco-laire et rendre le bac inaccessible.Ces injustices peuvent avoir été vécuesau lycée mais elles peuvent, ultimepied de nez du système aux élèves lesplus fragiles, exister le jour même del’examen. Paul passe au bac STT uneépreuve sur informatique à fort coef-ficient, et se voit signifier par l’inter-rogateur qu’il « est nul ». Paul ne seprésente pas aux épreuves suivantes,se retient de sauter sur l’interrogateur(il ne s’était pas toujours retenu dansle passé face à de telles situations) etattend un an avant de représenter lebac… et de le réussir ! Bakou échoueau bac avec 9,97 de moyenne, lesmembres du jury ayant sans doutejugé que Bakou devait être condamnéà une année supplémentaire… degalère scolaire. Dégoûté mais comba-

tif, Bakou échoue au microlycée, etreprépare son bac, qu’il obtient faci-lement, en conservant les bénéficesqu’il a déjà obtenus (les notes au-des-sus de 10/20) puisqu’il y est, commeles autres élèves du microlycée, ins-crit en candidat libre. Il obtient sonbac l’année suivante.

Même s’il faut du temps…Le bac est, en France, surinvesti et cesurinvestissement a un coût pour lesélèves les plus fragiles. Le microlycéea choisi, parce que le bac demeure unenjeu majeur du parcours scolaire fran-çais, de faire de cet examen l’objectifprincipal de la rescolarisation des élèvesdécrocheurs raccrocheurs. Si l’équi-pe éducative se met à l’abri d’une déri-ve où la rescolarisation ne serait que dela resocialisation, choisir le bac commeobjectif premier est surtout très struc-turant pour des élèves qui doivent ainsise confronter à leur « motivation » sco-laire à travers une épreuve importan-te aux yeux de tous. Cette interrogation

sur les motivations liées au bac est unobjet de travail entre l’élève et l’adul-te qui en est le référent, chaquemembre de l’équipe éducative étant leréférent de 8 à 10 jeunes.Il s’agit de travailler d’abord à la res-tauration de l’image de soi chez l’élè-ve. Dans le cadre de la relationpédagogique et didactique, la relationhumaine est souvent privilégiée, et lesmembres de l’équipe tentent deconstruire une image structurante del’adulte et du monde qu’il incarne,image à laquelle le jeune est suscep-tible d’adhérer, afin de l’aider à gran-dir, à s’élever, à (re)devenir élève. Ainsiles enseignants construisent avec lesélèves une véritable « alliance » qui per-met à ces derniers de penser alors quela réussite scolaire (re)devient possible.Cette alliance est un véritable compa-gnonnage entre deux partenaires liéspar un objectif commun: la réussite del’un est la réussite de l’autre.Les stratégies adoptées touchent ensui-te à la redéfinition d’un cadre scolairequ’il faut désacraliser, à la didactiquedes disciplines, à la question de l’éva-luation, toujours discutée en équipe etavec les élèves, à celle du sens des savoirset des apprentissages. L’élève doitreprendre le pouvoir sur son propretravail en acceptant de se confronterà l’évaluation, en se l’appropriant.Cette appropriation permet alorsd’envisager le baccalauréat comme unobjet personnel et non plus commeun objet extérieur à soi, auquel il fau-drait échapper, même au prix dudécrochage scolaire. Il s’agit égale-ment de faire comprendre aux élèvesles règles du jeu du baccalauréat et,par ailleurs de rendre le plus trans-parent possible les règles du jeu sco-laire. Il faut, dans la plupart des cas,à travers le travail d’une ou de plu-sieurs années scolaires, désacraliserl’examen final en accordant du tempsà ce processus de désacralisation quiaccompagne le processus de (re)moti-vation. Ces processus obéissent à desrythmes propres à chaque élève et lemicrolycée fait tout pour accorder letemps nécessaire à une rescolarisation.Sébastien a même pu, après avoir faitdeux secondes, deux premières et deuxterminales en lycée traditionnel, pas-ser deux nouvelles années de Terminaleau microlycée et y réussir son bac !

Miroir de soiCette gestion du temps scolaire esttoujours délicate. Celle de la désacra-lisation scolaire l’est moins mais elleest également l’une des conditions dela réussite. Elle s’opère au microly-

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Les stratégies adoptées touchent à la redéfinitiond’un cadre scolaire qu’il faut désacraliser,

à la didactique des disciplines, à la question de l’évaluation, à celle du sens des savoirs

et des apprentissages.

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cée à travers de multiples vecteursdont l’absence de salle des profs, desonnerie pour aller en cours ou de pro-viseur sur la structure elle-même (lemicrolycée ayant par ailleurs un pro-viseur de rattachement). Cette désa-cralisation générale du cadre scolairevise essentiellement à la réappropria-tion de ce cadre et donc de sa sanctionfinale, le baccalauréat. Tout concourtalors à rendre l’examen plus ordinai-re, à en faire un objet de désir commeun autre, à le rendre plus accessible àdéfaut de le rendre moins « obscur ».Ainsi, les motivations à passer le bacet à le réussir renvoient, dans un jeude miroir sans fin, à celles qui expli-quent la désertion scolaire, en par-ticulier face à son examen final.L’équipe éducative du microlycée tra-vaille l’objectif du bac et, à travers lui,tente de réconcilier le jeune avecl’école, lieu de rencontre avec le savoirautant qu’institution structurante. Enredevenant élève au microlycée, lejeune choisit de se (re)confronter àlui-même. Il peut le faire de diffé-rentes façons, soit en allant au bac eten le réussissant (60 % ont le baccomplet et 21 % ont au moins troisbénéfices), soit en choisissant finale-ment, et avec l’aide d’adultes bien-veillants, un autre chemin que l’école.Quoi qu’il en soit, il a grandi, apprisle libre choix et interrogé ses motiva-tions les plus personnelles. Audrey,lors du dernier conseil de classe del’année passée, disait à l’équipe : « Jene sais pas ce que j’ai appris au micro-lycée, mais en tout cas, j’ai beaucoupappris sur moi. » Miroir de la société,le baccalauréat reste avant tout, pourles élèves décrocheurs, un miroird’eux-mêmes.

Éric de Saint-Denis, professeur d’histoire-géographie, fondateur du microlycée de Sénart.

5 - Estime des autres, estime de soi

57les cahiers pédagogiques n° 429-430, janvier-février 2005

Comment limiter les dégâts ?Gardy Bertili

Quand tout concourt à démotiver une classe, quand on s’efforcemalgré tout de limiter la démotivation… Une situation quebeaucoup d’entre nous connaissent.

Dès la rentrée, les difficultés s’ac-cumulent pour la 2de BEPvente action marchande. Au

départ, trente élèves venant de prèsd’une vingtaine de collèges. Très vite,près d’un tiers de la classe est renou-velé avec des départs pour d’autreslycées ou voies de formation. Certainscollègues refusent d’exercer dans cetteclasse pour cause de non respect deleurs vœux, ou encore d’incompatibi-lité d’humeur. À cela, il faut ajouter desproblèmes d’absences de professeurspour maladie ou pour non affectation.Le professeur principal ne rencontreles élèves que deux heures par semai-ne. Malgré toute l’énergie et la bonnevolonté déployées, elle éprouve du malà gérer tous les problèmes et lesrequêtes de l’équipe, des parents, et des

élèves qui s’estiment victimes de l’am-biance délétère de la classe. Un pro-fesseur de vente est enfin recruté, maiselle débute, elle n’a pas l’expériencerequise pour faire face aux difficul-tés héritées.Et ne parlons pas des emplois dutemps. Dès la rentrée, ils sont contes-tés par tous, trop de trous et d’inco-hérences pédagogiques. Et voilà quechacun le contourne, le modifie àsouhait sans même l’aval du provi-seur adjoint. Les élèves en abusent,justifiant leurs absences par desoublis de changements de cours nonnotifiés sur leur carnet de corres-pondance, ou implicites.Bien évidemment, le climat de la clas-se se détériore. On passe du chahut, des

Il n’y a pas que les notes qui comptent !Ce truisme issu de la sagesse univer-selle de la salle des profs mérited’être vérifié. Hier, nous cherchionsà compléter un schéma de la « tran-sition démographique » à travers lalecture d’un texte. Ce n’est pas unetâche enthousiasmante! Après unpremier temps de 5 minutes, je pro-pose une autoévaluation : ceux quin’ont rien trouvé s’évalueront dansla tranche 0-3, ceux qui n’ont qu’unélément dans la tranche 7-9, ceuxqui en ont deux… etc. Cette autoé-valuation est relevée dans unefeuille individuelle que je n’irai pasvoir : cela ne m’intéresse pas !

Nous poursuivons. Nous recherchonscette fois les causes de la baisse dela natalité. La recherche se faitfébrile : les repères ont été donnés :c’est 5 minutes et une autoévalua-tion à la clé. Ceux qui n’avaient rien

trouvé démarrent, ceux qui avaientun élément en cherchent fébrile-ment deux, trois…

Alors? Quelle est la composante desnotes qui est ici en œuvre? Il n’y apas de compétition (le relevé indivi-duel de l’autoévaluation s’est faittrès discrètement). Il n’y a pas leregard du prof. Il y a quelque chosede l’ordre de l’estime de soi-même,estime si souvent attaquée juste-ment par le processus de la notationpublique. Des élèves cherchent à semontrer à eux-mêmes qu’« ils peu-vent», à accroître leur propre senti-ment de compétence, leur croyanceen leur réussite.

Nous sortons de cette séance opti-mistes, eux et moi.

Dominique Natanson,lycée Nerval, Soissons.

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Notre travail se déroule sur troisgrands axes : un enseignementtransversal qui fait le lien entre

la partie professionnelle et la partiegénérale, soutenu par un travail d’équi-pe ; une vision individualisée de l’élè-ve et une attention importante auxdifficultés personnelles ; la mise enplace d’un temps hors-scolaire soit enPFE 1, soit en projet pédagogique.

Un enseignement transversalTravailler ensemble est une nécessitési nous voulons être cohérents et effi-caces. Nous voulons manifester notrevolonté de « globalité » : les enseignantsdu professionnel et du général échan-gent entre eux, notamment sur lecontenu professionnel, ce qui surprendtoujours les élèves, car cette attitudecasse un peu l’idée reçue d’une hié-rarchie entre les enseignements. Deplus cela permet à tous (élèves et pro-fesseurs) de construire des liens entreles notions vues dans les enseigne-ments généraux et professionnels, par

exemple entre sciences et entretien destextiles en classe de CAP EAT 2.Cette habitude de travailler en équi-pe pédagogique est due aussi à la sta-bilité des enseignants au sein del’établissement. Pour beaucoup, noussommes là depuis longtemps, donc,nous nous connaissons bien et échan-geons sur nos pratiques. L’enseignantn’est pas seul face à sa classe. Leséquipes pédagogiques se réunissentrégulièrement. Cela permet d’intégrerplus facilement les nouveaux collègues.Le rôle du professeur principal estbien sûr essentiel dans ce dispositif.Dans presque toutes les classes pro-fessionnelles, un classeur est à la dis-position des collègues pour noter lesincidents, les comptes rendus d’en-tretien avec les élèves. Ceux-ci peu-vent consulter la fiche les concernant.Cette trace écrite permet parfois auxélèves de prendre conscience de leurdysfonctionnement. C’est au regarddes incidents accumulés que certains

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cris d’animaux, de l’immaturité, à l’im-pertinence, l’envoi de projectiles sur letableau, et enfin, à l’insolence, à la vio-lence verbale, voire aux menaces. Lasituation se crispe. Pas seulement entreélèves mais aussi entre élèves et pro-fesseurs, et entre collègues. Le travaild’équipe déjà peu existant se raréfie.La vie scolaire comme la direction sontsubmergées de demandes d’interven-tions dans les cours, d’exclusions decours, punitions et sanctions.L’organisation et le fonctionnementdu lycée ont poussé à la démobilisationet à la démotivation, dès le mois deseptembre, ces élèves déjà fragilisés parune orientation que beaucoup ne sou-haitaient pas et par une absence deprojet.Pour éviter que les choses ne se dégra-dent, nous avons travaillé dans troisdirections.

Donner du sens à la présence aulycée de ces élèvesDes réunions de l’équipe pédagogique,avec les parents ont permis de créerentre nous davantage de cohérence.D’une politique d’exclusions de cours,de mise à la porte, nous avons optépour une politique de fermeté systé-matique mais aussi d’écoute, d’asso-ciation des élèves à la vie de la classe,de renforcement du rôle des délégués,et de la valorisation des élèves présentset travailleurs. Les retards et absencesinjustifiés sont systématiquement rat-trapés (l’élève est pris en charge dansun cours) avec un travail noté. Toutesles déviances sont punies, et nousavons substitué aux retenues d’autresformes de punitions : des exposésdevant d’autres classes, travailler deuxjours avec les surveillants et CPE, res-ponsabilité de la classe pendant unesemaine. Par ailleurs, les élèves à com-portements répréhensibles font l’ob-jet d’un suivi régulier sur quatresemaines au maximum avec une fichede suivi et un bilan de fin de semaineavec un référent volontaire. Ce bilandonne lieu à des objectifs précis àatteindre et il est signé par les parents,condition nécessaire pour l’obtentiond’une nouvelle fiche le lundi.Pour créer une identité de classe, unrepas commun et une journée d’inté-gration ont été organisés. Par ailleurs,à tour de rôle, un couple d’élèves estchargé de faire le bilan de la classe dela semaine. Un rapport écrit et oral estprésenté à la classe le vendredi qui lediscute et l’amende. Des propositionssont faites pour améliorer le fonction-nement. Et chaque élève commenceà trouver ainsi sa place.

Travailler sur l’orientation et le projet professionnel et personnelIl est permis à certains élèves totale-ment démotivés d’effectuer des stageslongs (2 à 4 mois) avec accord du CIOet la mission locale en vue d’une éven-tuelle réorientation, ou d’une explo-ration de la vie professionnelle ouencore, d’une intégration dans unCFA. Une convention est signée entrel’entreprise et l’établissement et l’élè-ve ne perd pas le bénéfice de son ins-cription au lycée jusqu’à la décisionfinale. Tous les autres élèves bénéfi-cient d’une rencontre individualiséesur leur orientation. Quelques-unscomptent se réorienter ou se diriger

vers un CFA vente. Enfin, cinq à sixélèves bénéficient d’un suivi particu-lier entre le CIO, les parents et le lycée.Une aide sur deux ans à la construc-tion du projet est proposée.Quelle classe aurons-nous l’an pro-chain ? Nul ne peut le prédire. Maisnous avons progressé avec la 2de VAMau-delà des difficultés persistantes.Peut-être la réussite au BEP sera-t-elleaussi au rendez-vous?

Gardy Bertili, CPE, lycée professionnel Jean Perrin, Saint-Cyr L’école(Yvelines).

Mais si, vous pouvezréussir !Marie-Odile Dugray

En lycée professionnel, il s’agit de faire acquérir un diplômequalifiant mais aussi de redonner confiance à des élèves qu’il fautréconcilier avec l’école. Un exemple de pratiques visant la« remotivation »

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l’année. Les informations jugées inté-ressantes sont ensuite transmises au pro-fesseur principal. Enfin le rapportheures prof/élève permet ce suivi indi-vidualisé. Beaucoup de nos élèves viventdes situations psychologiques et socialesdifficiles et sans faire le travail des pro-fessionnels, nous essayons d’écouter etd’orienter car nous savons que les élèvesne sont pas que des élèves!

Un temps hors scolaireLes PFE symbolisent tout à fait ladémarche en lycée professionnel : lesenseignants du général rendent visi-te aux élèves sur place ainsi que lescollègues du professionnel. Les élèves,souvent en situation de réussite, sesentent valorisés devant un représen-tant de la communauté scolaire. Et ilspeuvent voir la cohérence de l’équi-pe pédagogique à l’œuvre.

arrivent à reconnaître qu’ils ne vontpas bien et à adopter une démarcheplus positive.

Une vision individualisée de l’élèveNous savons que les élèves arriventdu collège avec un vrai sentimentd’échec et souvent l’impressiond’avoir été laissés pour compte mêmesi ce n’est pas le cas. L’idée fonda-mentale est d’aller pas à pas enessayant de faire comprendre auxélèves ce qu’ils font quand ils le font.Nous nous efforçons donc d’être trèsexplicites quant à nos attentes encours, comportement et production.Nous utilisons par exemple des fichesde guidance en classe de BEP CSS 3

ou bien une feuille de fonctionnementprésentant dans le détail le déroule-ment du cours d’anglais en classe deBEP VAM ou de bac pro commerce.Nous essayons aussi au maximumd’accueillir les élèves en tant qu’indi-vidus uniques pouvant bénéficier d’unenseignement et d’une aide de notrepart. Nous organisons avec soin la ren-trée. Le proviseur accueille les classespar niveaux en présentant le lycée eten rappelant le fonctionnement. Puisles élèves sont pris en charge par lesprofesseurs principaux et l’équipepédagogique. Une visite des lieux estsouvent organisée par les élèves de ter-minale (CAP, BEP ou bac pro).Pour certaines sections, nous effec-tuons également, par binômes de deuxprofesseurs, des entretiens individuelsde dix minutes. Ainsi les enseignantsdécouvrent très rapidement les élèves.Pour une classe de 2de BEP de 32élèves en moyenne, il est essentiel queles liens s’instaurent très rapidement.Il ne s’agit pas d’éliminer les cas pou-vant poser de gros problèmes mais derepérer les élèves qui auront assuré-ment des difficultés. Par exemple cetteannée, nous accueillons en 2de BEPVAM (vente action marchande) uneélève anglophone installée depuis seu-lement deux ans en France. Nousavons pu, après beaucoup de temps etd’énergie, proposer des heures desoutien en français. Ce n’est pas lasolution miracle mais c’est une aidesupplémentaire.En BEP bioservices, nous organisons,au cours de la première semaine, lavisite d’une entreprise du secteur d’ac-tivités dans lequel, les élèves serontamenés à travailler.Pour la classe de bac pro commerce,nous avons instauré un tutorat. Chaqueprofesseur suit plus particulièrementdeux ou trois élèves de la classe. Lesentretiens ont lieu plusieurs fois dans

L’enseignant peut aussi être amené àavoir un nouveau regard sur l’élève qui,dans le domaine professionnel, s’épa-nouit, prend des initiatives… Cela neveut pas dire que l’enseignement paralternance est de loin la seule solution.Il nous semble important d’aider l’élè-ve à acquérir des compétences profes-sionnelles mais aussi des outils pour seconstruire une vie et non pour la subir.C’est aussi dans cette perspective quenous organisons des PFE à l’étranger :en GB et en Finlande pour les bac pro(quatre semaines dans un magasin), enFinlande pour les BEP CSS (troissemaines dans des jardins d’enfants)et des échanges avec une « école pro-fessionnelle » en République tchèqueet en Pologne pour les BEP CSS.Nous nous efforçons ainsi de les ouvrirsur le monde sur un plan culturel, de

5 - Estime des autres, estime de soi

Fonctionnement du cours d’anglais

Matériel utilisé :1 classeur grand format.Des feuilles à grands carreaux.Le livre ou des photocopies.

Contenu du cours :• Études de documents (texte, photo, publicité etc.) à travers un travail derecherche, des interventions orales en cours, des exercices écrits (en anglais).• Points de grammaire à travers une leçon et des exercices (en français).

Évaluations/Devoirs :• 1 petit test écrit en début de cours (5 minutes) portant sur quelques motsde vocabulaire du cours précédent, 1 ou 2 verbes irréguliers, 1 ou 2 phrasesen liaison avec la partie grammaire.• 1 contrôle à la fin de chaque chapitre en liaison avec le document centralportant sur les informations étudiées, le vocabulaire et le point de grammaire.• 1 contrôle général de vocabulaire et des verbes irréguliers par trimestre.• 1 devoir d’expression écrite en anglais en relation avec le chapitre étudié.

Exigences :• J’attends de chaque élève qu’il progresse par rapport à son niveau deconnaissances du début d’année.• Les leçons doivent être apprises par cœur (vocabulaire et points de gram-maire), pour vous permettre de construire des connaissances solides et decomprendre la suite du cours.• J’attends également que le travail demandé soit fait de façon soignée et renduà la date exigée pour les travaux notés mais aussi pour les exercices.• Le classeur doit être tenu correctement et apporté à chaque cours.

Pendant la partie orale du cours personne n’écrit : il y a un temps pour tra-vailler à l’oral et un temps pour noter les informations (le vocabulaire sera notédans la marge).

En résumé, je m’engage à aider chacun d’entre vous en préparant des coursles mieux organisés possibles dans le cadre de mon enseignement. Je suis là pourexpliquer et répondre aux questions, encourager chacun. Mon rôle est de vousapporter des connaissances, le vôtre est de les acquérir. Par conséquent j’attendsque vous vous investissiez également! Apprendre peut aussi être un plaisir…BON COURAGE A TOUS. D. Féat

Un exemple de document pour les élèves

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leur apporter une dimension citoyen-ne et enfin de leur permettre au niveauprofessionnel de s’adapter plus facile-ment à des systèmes et à des modes devie différents. Ce n’est pas toujoursfacile de mettre en place ces échangescar nous attendons des élèves qu’ilssoient acteurs de ce genre de projet.Pour conclure, il faut dire que la situa-tion est loin d’être idéale. Nous nousheurtons surtout à des barrières psy-chologiques. Les élèves sont persua-dés qu’ils sont incapables de réussir. Ilfaut donc leur prouver le contraire,baliser l’enseignement, progresser pasà pas pour les mettre en confiance, touten étant rigoureux et en évitant toutedémagogie.Enfin, nous devons aussi faire face auxréticences de certains collègues. Tousn’adhèrent pas forcément à ce qui estdécrit dans cet article. Cela a au moinsle mérite d’exister et d’être un supportà la réflexion.

Marie-Odile Dugray, professeur de lettres histoire,

Dominique Féat, professeur de lettres anglais, lycée Simone Signoret, (76).

Il s’agit d’abord de « surprendre » lejeune, en assurant dès la rentrée,un accueil positif.

Nous avons choisi de mettre en placedes journées d’accueil3 en partant deuxjours à vélo (80 km) dans un cadre quinous coupe de tout vécu scolaire pré-cédent. C’est pour le groupe tout entierle temps de vivre ensemble des ateliersde communication permettant aux unset aux autres de faire connaissance etde s’accepter, d’apprendre à exprimersans jugement leurs craintes, leursattentes, leurs blocages ou interroga-tions quant à l’année à vivre ensemble.Il s’agit de valoriser cette parole enco-re fragile et de communiquer sonregard positif et confiant sur chacundes jeunes.La nuitée ensemble est pour nous unélément important de la réussite de cetemps d’accueil. Accepter de dormiren dortoirs (garçons et filles séparés),c’est accepter de s’exposer dans sa quo-tidienneté, laisser transparaître un élé-ment du privé dans la sphère collective,et de ce fait, déjà communiquer impli-citement aux autres qu’on est prêt àvivre ensemble des temps différentscertes, mais qui construisent la rela-tion, la proximité et l’écoute.La nuitée nous permet aussi de réin-vestir les notions de la loi et des sanc-tions car il va sans dire que dans cettesituation de proximité spatiale, lanécessité de respecter des règles de vieen commun se fait plus forte pourgarantir le confort émotionnel et phy-sique de chacun.Dès le deuxième jour, nous savons legroupe en forte consolidation, car cha-

cun est en mesure d’identifier la quasi-totalité des membres de ce groupe parles noms4 et par certaines caractéris-tiques relevées à travers les échanges.Cette constitution très rapide du grou-pe classe lors des deux journées d’ac-cueil laisse du temps, de l’énergie àl’enseignant par la suite ; il peut, alors,plus vite entrer avec la classe dans lesprojets à vivre ensemble dans l’année.L’accueil ne se résume pas aux deuxpremières journées hors les murs. Ilse poursuit en pointillé sur une pério-de de quatre semaines qui permettentau jeune de découvrir l’institution etson environnement ainsi que lesobjectifs de sa formation, et d’énon-cer clairement ses attentes quant àl’enseignement qui lui est prodigué età l’accompagnement qui lui est pro-posé, base d’une future charte de viede classe.

Les efforts et la réussiteL’objectif de ces journées d’accueil estau fond de redonner l’envie de se leverle matin pour aller à l’école. On a peut-être « perdu » une semaine de cours,mais on a tant gagné pour la suite.Dans les activités proposées, on intro-duit l’effort et l’obligation d’aller jus-qu’au bout: c’est très important car laréussite sera plus tard transposée dansle domaine scolaire. Ce sera un souve-nir commun de succès, une référence.L’équipe utilise toutes les occasions devaloriser les élèves pendant l’accueil :réparer les vélos, marquer un but aufoot, soutenir un copain, montrer sesconnaissances dans un domaine de pré-dilection… Nous avons utilisé de nom-breux outils : la carte de visite pour se

DOSSIER Cette fameuse motivation…

60 les cahiers pédagogiques n° 429-430, janvier-février 2005

Surprendre,valoriser,aider à apprendreMartine Bellouard

Comment accueillir des jeunes qui parviennent en lycéeprofessionnel après un parcours scolaire difficile, commentprendre en compte leur singularité? Voici des réponses proposéespar quatre équipes d’enseignants1 dans le cadre du CNFETP2 deLyon. Elles puisent dans toutes les ressources des individus et deséquipes.

1 Période de formation en entreprise2 Entretien des articles textiles3 Carrières sanitaires et sociales.

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présenter autrement, le photolangagepour exprimer son ressenti (aujour-d’hui, je me sens…), le jeu Motus pourdire pourquoi on est ici, exprimer toutsimplement son histoire et ses causes,peut-être sa souffrance.Dire et être écouté, vérifier en fait queles histoires et les ressentis se ressem-blent : c’est le moment de poser lepassé en l’exprimant. Ce n’est pas dela psychologie sauvage, c’est un tempsd’écoute privilégié.

Bouger, enfin…Une autre manière de remotiver vaêtre de proposer aux élèves des acti-vités prenant en compte l’agilité, lesrepères spatio-temporels, l’écoute etl’exécution de consignes, la concen-tration, la mémoire, la représentationspatiale, la notion de rythme et la toni-cité afin de débloquer les tensions ducorps pour favoriser les apprentissages.

source de désordre et d’indiscipline. Laméthode du TRI (travail à rythme indi-vidualisé), qui permet cette progres-sion « à son rythme », est employéeactuellement en classe de BEP CAS5

en mathématiques et partiellement enfrançais. Elle donne à chacun le droitd’aller plus lentement ou plus rapide-ment sans que cela perturbe le reste dela classe. L’élève peut demander desexplications individuelles au professeursans avoir l’impression de retarder lesautres et sans avoir peur de subir desremarques désagréables de leur part.Au contraire, les camarades sont sou-vent sollicités, soit par le professeur,soit par un élève, pour aller donner uneexplication. Le jeune s’aperçoit alorsqu’il n’est pas « nul » et qu’il est capablede donner un coup de main à d’autres,comme le professeur.Permettre des déplacements ordonnésdans la classe, cela fait aussi partie dela méthode. Les élèves se déplacentpour montrer leurs travaux au profes-seur, pour aller s’autocorriger avec desfiches, pour réaliser des travaux surposte informatique, pour aider quel-qu’un. Ces déplacements effectués demanière calme stimulent physique-ment les élèves qui supportent souventtrès mal de rester assis toute une jour-née. Cela évite cette passivité souventcitée dans les bulletins scolaires.

Trop souvent, l’élève subit l’enferme-ment dans la classe et l’immobilité à saplace. Les exercices de psychomotri-cité visent donc à replacer le corps, enlien avec l’intellect, dans une démarcheactive et tonique, pour pouvoir sou-tenir un effort intellectuel prolongé.Le fait que ces activités aient un carac-tère fortement ludique reste un élé-ment de motivation très marqué.D’une part ce genre d’exercice permetde casser ou de soutenir le rythme dansles apprentissages car ils correspon-dent à des temps de respiration, destemps de « travail autrement » dansl’emploi du temps de l’élève. D’autrepart nous constatons que, par le jeu,l’élève a d’autant plus envie de réus-sir. L’enjeu est bien sûr de se concen-trer, de mobiliser son attention, defaire preuve d’une écoute optimale,mais aussi de se faire plaisir, d’autantplus qu’on se met souvent en situationde réussite dans le groupe.Pour que ça marche, il convient deproposer la prise en compte du corpsdès les journées d’accueil, alors que lesélèves ne se connaissent que très peu,et à bon escient, pour qu’ils en mesu-rent les effets alors qu’ils ne sont pas« vraiment à l’école ».

Miser sur la pédagogie différenciéeIl est essentiel également de mettre en

œuvre une pédagogie à rythmes diffé-renciés, qui permet au jeune d’expé-rimenter par lui-même l’apprentissagequ’on lui demande de maîtriser, sansamertume à l’encontre des camaradesqui comprennent plus vite, et sans ran-cune pour ceux qui ont besoin de plusde temps. En binôme, on peut aussi sti-muler le pair, le convaincre, ou êtreconvaincu que les apprentissages sontpossibles. Cela se conduit facilementen 3e à projet professionnel, en CAP. Ils’agit de proposer aux élèves un par-cours ou des séquences d’enseignementdifférenciées en français, en maths (surla même demi-journée), en enseigne-ment technologique, à l’aide d’undocument qui guide le travail. Dans cescas-là, les enseignants sont des média-teurs qui vivent la confrontation dusavoir avec leurs élèves, tout en rendantvisible leur cheminement: autre maniè-re de lutter contre cet ennui qui est

L’attention des élèves durant une heurede cours est très différente d’un indi-vidu à l’autre. Avec la méthode TRI,cela n’a plus aucune importance.La méthode est tout à fait compatibleavec les programmes. De nombreuxcollègues l’utilisent dans des classesd’examen (CAP, BEP, bac, BTS) sansque cela nuise aux élèves un peu pluslents. Il vaut certainement mieux avoiracquis les notions essentielles au lieude survoler le programme sans riencomprendre.Du côté de l’enseignant, la méthode luipermet de se libérer du temps pourceux qui en ont réellement besoin.Certains élèves sont capables de com-prendre le cours avec uniquement lesexplications écrites. Ils continuent alorsleurs apprentissages sans avoir le sen-timent désagréable d’ennui en écoutantdes explications inutiles pour eux. Ilspeuvent aussi donner des explicationsà leurs camarades. Cette stimulationglobale des élèves rend la classe dyna-mique et renvoie aux jeunes une imaged’eux-mêmes plus positive.Associée à la pédagogie de projet, voireà des face à face pédagogiques, elleengage plus l’élève dans « l’aventuredu savoir ».Pour l’équipe des enseignants, il fautparvenir à « se lancer », d’où la néces-sité de prendre en compte la réalitépsycho-émotionnelle de chacun de sesmembres, les peurs6 que « la nouveau-té » peut susciter, et les accepter, lesréduire en bon stress, favorable à larecherche d’un équilibre qui favorisela maîtrise de compétences nouvelles.D’où l’importance d’un travail inter-établissements. Les effets constatéssont encourageants et donnent enviede poursuivre…

Martine Bellouard, CNFETP.

5 - Estime des autres, estime de soi

les camarades sont souvent sollicités pour allerdonner une explication. Le jeune s’aperçoit alorsqu’il n’est pas « nul » et qu’il est capable de donnerun coup de main à d’autres, comme le professeur.

1 LP Japy, Le Mollard, des Monts du Lyonnais et Saint-Joseph,dans la région lyonnaise.2 Centre national de formation de l’enseignement techniqueprivé (http://www.cnfetp-lyon.org).3 Ce travail, mis en place depuis 1991, a été conforté parChristian Staquet lors de la publication de son livre Accueillirles élèves, une rentrée positive, Chronique sociale.4 Comme il est dit dans le « Dispositif de prévention des vio-lences dans les lycées professionnels », utilisable dès la ren-trée septembre 2001, dans la fiche 4 : Nommer les choses etles gens. Plus un jeune est violent moins il reconnaît l’existencede l’autre ; l’autre est ramené à une dimension d’objet qu’onutilise. Le monde se réduit à deux entités : la première qui com-prend eux-mêmes et quelques amis, et la seconde, les choseset des gens autres. Le travail de prévention passe par l’obli-gation de mettre des noms sur ce qui n’est pas soi.5 Communication administrative et secrétariat.6 « Les questions à se poser pour réduire ses peurs », Projecturen° 57 juin 2002, p. 17.

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On devrait y réfléchir avant…Christine Vallin

Le collège Jean Mermoz de Chauffailles (Saône-et-Loire) présente deux particularités : celle d’êtrerattaché à une section professionnelle productique mécanique et celle d’avoir en son sein plusieursprofesseurs animant des discussions philosophiques. Ces deux particularités se sont ici associées.

Ils vont avoir 16, 17 ou 18 ans et arri-vent pour leur heure d’« aide indi-vidualisée ». Ce sont les élèves de

la classe de 2de BEP productique. Uneheure souvent difficile à organiser. Ilssont censés venir avec un travail précisqui demande un accompagnement, maisla plupart du temps leur cartable estquasiment vide et leur envie de travaillerfluctuante. Comme le travail du jour n’apas été dûment prévu la semaine pré-cédente, je suppose qu’ils vont arriveravec l’espoir de laisser l’heure s’écouler.Mais j’ai un projet « pour le cas où »…Projet que je sors de mon cartable,emprunté à Mac Giver puisque « le casoù » est effectif…Nous avions abordé en discussion phi-losophique le thème de la dépendan-ce avec, pour horizon, celui de laliberté. Je leur propose donc, pourpoursuivre la réflexion entamée, devisionner un passage du film « I commeIcare » avec Yves Montand, le passagereprenant une expérience de psycho-sociologie, celle, célèbre, de Milgram 1.Je ne suis d’ailleurs pas sûre que maproposition soit judicieuse mais il mesemble qu’elle répond à deux besoinsde la classe : celui d’une réflexion surcertains comportements quotidiensqui les concernent eux comme tout lemonde d’ailleurs, celui de la réaffir-mation de principes de dialogue qui nepassent pas par la verdeur du langa-ge, par l’ironie constante, par la com-pétition verbale qui se transforme viteen foire d’empoigne.À l’écran, l’expérience de Milgram acommencé. Il s’agit, dit-on, de vérifierl’impact de la punition sur la mémoi-re. En cas d’erreur, un « moniteur » esttenu d’administrer à son élève unedécharge électrique croissante, la pre-mière commençant à 15 volts. En fait,on apprend qu’aucun courant ne par-venait à la chaise électrifiée et que l’élè-ve, complice des expérimentateurs,

devait simuler la douleur à chaquedécharge… L’expérience consistaituniquement à observer chez le moni-teur les mécanismes d’obéissance à uneconsigne de domination, mécanismesqui nous caractérisent, vous et moi…Commence alors le temps de la dis-cussion. Les élèves ont compris lesmécanismes entrevus dans le film : lablouse blanche symbolisant une auto-rité, l’aspect scientifique qui viendraitjustifier ce que l’éthique n’accepteraitpas, la distance matérielle et relation-nelle entre le moniteur et l’élève.- Ils ne se connaissent pas. On fait plusattention aux gens que l’on connaîtqu’aux autres. Jamais il n’aurait fait celaà quelqu’un de sa famille.Ils ont aussi noté le sentiment de non-implication dans une tâche noyéeparmi d’autres, prise dans une struc-ture ici soi-disant scientifique qui pré-tend endosser la responsabilité ; rappeldu génocide juif à leur programmed’histoire.- Moi, j’aimerais bien savoir commentj’aurais réagi dans une situation pareille.CV : - Voyez-vous des situations ana-logues d’obéissance ou d’influence dans lavie quotidienne ?- En classe, on obéit aux profs.CV : - Que représentent donc les profspour que vous leur obéissiez ?- Une autorité éducative.- Le fait qu’ils aient des connaissances.- Mais parfois au contraire on refused’obéir, on met un peu le bazar. On refu-se de les croire.CV : - Vous ne les croyez pas quand ilsvous disent que 2 et 2 font 4 ?- C’est plutôt que si quelqu’un commen-ce à faire un peu n’importe quoi, on se ditqu’on peut le faire aussi.- J’ai vu dans un reportage que cela exis-te depuis la maternelle. Lorsque l’un

d’entre eux commence à taper sur la table,tous se mettent à faire la même chose.Dans un groupe, certains sont des leaders,d’autres ont tendance à les suivre.- En fait on devrait se préparer, réfléchiravant à tout ça pour pouvoir se regardersoi, réagir quand quelque chose se passe.- Mais parfois on est pris dedans.- Pour ne pas en arriver à faire n’impor-te quoi, il faut avoir un but.Ils connaissent bien ces mécanismesdiffus dans un groupe, ces relationsautour d’un meneur. Ils ont vécul’étonnement, le regret parfois d’avoiragi de manière précipitée, ils ont peut-être eu conscience d’avoir « été agis ».J’ai senti au fur et à mesure de la dis-cussion une implication naissant deleur expérience, de leurs questionne-ments sans doute, de ces réponses quele film avait esquissées. Implication pas-sant, pour certains, par la prise de paro-le, pour d’autres, par l’écoute de ce quise disait. Tous sauf un ont souhaité étu-dier d’autres résultats d’expériences.Malebranche ou Kant pourront sansdoute être « glissés » la prochaine fois,mais parce qu’ils répondront en échoà ce qui a été dit, à ce que les élèvesvivent eux-mêmes. Ainsi, celui qui aabordé cette idée du « but » sait de quoiil parle : un « champion » en course defond. Il y aurait également à creuserdans la pratique qu’un autre élève a dukaraté : considère-t-on dans les sportsde combat son adversaire de la mêmemanière si on le connaît et si on ne leconnaît pas?

Christine Vallin, professeure d’éducation musicale.

DOSSIER Cette fameuse motivation…

62 les cahiers pédagogiques n° 429-430, janvier-février 2005

1 Le but de l’expérience est d’étudier la soumission à l’autorité.

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5 - Estime des autres, estime de soi

Interdit de dire « j’y arrive pas ! »

Dominique Moinard

Avec les « grandes sections » de maternelle, la question de la motivation ne se pose pas aussicrûment qu’au collège ou au lycée. À cinq ans l’envie de savoir, de faire, d’imiter les grands peutsembler suffire. Et pourtant il faut, là aussi, des coups de pouce, des stimulations qui permettent dene laisser personne de côté.

juste en vocabulaire, un mot reconnu(ou deviné) dans un écrit, un niveaugagné dans les jeux de logique sur ordi-nateur, un montage réussi qui fonc-tionne en science, savoir quel jour onest aujourd’hui, un comptage correct,un lancer de balles efficace, une comp-tine récitée sans erreurs, un travailpropre et même une aide envers uncamarade… De quoi satisfaire tous lesprofils d’élève.

L’affichage permanent et évolutifsur les murs de la classe.En maternelle où les matières ne sontpas encore cloisonnées puisque tout estdans tout, on ne manque pas une occa-sion d’utiliser les situations de la viecourante pour faire, par exemple, des

Ce que j’essaie de mettre enœuvre pour motiver mes petitsélèves est sans doute très trans-

férable dans des tranches d’âge supé-rieur. J’ai quatre principes de base queje voudrais décrire ici.

Le « rite félicitatoire ».Dès qu’un enfant connaît une réussi-te, quelle que soit sa matière ou sonimportance, je présente les félicitationsd’une façon très rituelle : une poignéede mains scandée par le rythme descinq syllabes du mot: « fé-li-ci-ta-tion ».Ça n’a l’air de rien mais encourager uneréussite, même modeste, vaut mieuxque de s’appesantir sur des échecs queje préfère ignorer. Dans une journée,les occasions sont assez nombreusesd’adresser ainsi les félicitations: un mot

Plafonnant forcément à 25 pour lesplus doués, les bâtons montent dans lessemaines qui suivent pour tous lesautres, à l’aide des activités quoti-diennes qui nécessitent de connaîtreles prénoms de la classe. Il faut attendreen général le mois de novembre pourque tous les bâtons aient atteint leurgrandeur maximale.

Le cahier de réussite au lieu dulivret d’évaluation.Institué depuis peu de temps, ce cahierde réussite trouve son origine dans laloi d’orientation de 1989. Jusqu’à cettedate on ne parlait pas encore d’éva-luation en école primaire. Seuls lesélèves de l’élémentaire (à partir du CP)devaient subir tous les mois une série

mathématiques, des graphiques, descourbes, des diagrammes en bâton.Comme la lecture est limitée auxquelques dizaines de mots connus, onutilise très souvent les prénoms de laclasse pour faire les courbes, qui, fortheureusement sont évolutives et ser-vent ainsi de « moteur » de réussite. Unexemple concret : le premier tableauaffiché dès le mois de septembre estcelui du nombre d’étiquettes prénomsreconnues pour chaque élève. En abs-cisse les 25 prénoms de la classe, enordonnée, les nombres de 0 à 25 repré-sentés par des cases. Évalué dès les pre-miers jours de l’année, ce diagrammeen bâtons est une vraie montagne russepuisqu’il varie de 1 à 25 en passant parquasiment tous les intermédiaires.

de contrôles qui se déclinaient ennotes. À la maternelle, il n’y avait rien.Puis la loi d’orientation a aboli lescontrôles notés pour imposer les éva-luations des compétences qui sontcodées dans un livret. Celui-ci s’estimposé dans les trois cycles du pri-maire, donc maternelle incluse.Nous avons jugé ce livret d’évaluationaustère et surtout peu parlant pour lesparents. Comment, dans ces condi-tions, associer les jeunes élèves à leurpropre évaluation?Or, si la loi d’orientation rend obliga-toire les évaluations, elle n’impose pasun livret particulier, chaque école peutse construire le sien.Dans notre école nous avons com-mencé par rebaptiser le nôtre « cahierde réussite » mais pas seulement pourtirer sur la ficelle du lexique positif.Son fonctionnement diffère en ceciqu’il s’adresse tout autant aux élèvesqu’aux parents. Nous avons retenu 96compétences qui se trouvent à piedd’égalité puisque chacune se déclinesur une page entière de ce cahier. Undessin accompagne l’écrit pour quel’enfant puisse comprendre de quellecompétence il s’agit. Par exemple, àla page qui évalue la capacité à tenircorrectement son crayon, se trouve ledessin du crayon tenu entre les troisdoigts. Lorsque l’on est d’accord avecl’enfant pour dire que cette compé-tence est acquise, l’enfant peut alorscolorier la case de l’année (petite,moyenne ou grande section) dans lapage du cahier. Certaines compétencespermettent qu’on y colle l’évaluationattestant de sa réussite. Par exemple,remettre les quatre images dans l’ordrepour la reconstituer. Ou bien savoirécrire entre deux lignes.

Interdit de dire « j’y arrive pas ».Il y a peu de choses que je ne sup-porte pas. Mais parmi celles-ci lascène suivante : un élève devant satâche à accomplir attendant passive-

Dans une journée les occasions de féliciter sontassez nombreuses : un mot reconnu dans un écrit,un niveau gagné dans les jeux de logique, un montage réussi en science, savoir quel jour on est aujourd’hui… De quoi satisfaire tous les profils d’élèves.

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Réunis à l’occasion du « débatnational sur l’avenir de l’école »,les délégués élèves de la 6e à la

3e ont dit avec détermination qu’ilsvoulaient prendre une place et jouerun rôle dans la société. Ils vivent« leur » collège comme le lieu et letemps d’un engagement dans un pro-cessus collectif d’instruction et d’édu-cation. Ils demandent à l’école de leurdonner les moyens de comprendre lemonde et d’exprimer leur pensée.Les élèves n’hésitent pas à décrire lesobstacles qu’ils rencontrent dans l’ac-te d’apprendre. L’école constitue lascène et le facteur d’une déchirure iden-titaire: les voix tremblent en dénonçantle décalage socio-culturel, la pression,

vécue comme « excessive », exercée pardes parents « démunis » devant l’institu-tion scolaire.Face aux obstacles, les élèves, pour laplupart issus de l’immigration, affir-ment leur volonté de ne pas baisser lesbras et spontanément énoncent ce quiles pousse en avant : « la volonté d’évi-ter le piège de l’exclusion et d’améliorersa situation », « le sentiment de construi-re sa personnalité ».Vivant très souvent l’exclusion socia-le, ils ne font pas preuve d’un idéalis-me absurde: ils soulignent l’importancedes conditions de travail, du cadre devie, insistent sur la nécessité de la pré-sence des adultes et d’un climat deconfiance. Ils expriment leur désir de

« quitter leur petit univers », de dévelop-per un esprit d’ouverture, leurs besoinsde relier l’école et la vie. Le terme « plai-sir » revient à maintes reprises : « plaisirde se repérer dans les informations », « plai-sir de découvrir des réponses, des questionsqui nourrissent la curiosité ».

Se reconnaîtrePuis silence. Après avoir repris sa res-piration, Maryam, élève de 3e se lanceet témoigne du bonheur de la décou-verte du pouvoir de l’argumentation :« C’est fantastique de découvrir des pointsde vue différents. Parler permet de faireexister les problèmes. En cours, en for-mation des délégués, lors des réunions duclub “citoyenneté”, j’ai abordé des sujets

dont je n’avais jamais osé parler. »D’autres élèves, des filles essentielle-ment, acquiescent. Les adolescentesprécisent qu’elles apprécient la miseen synergie du soutien individualisé,du travail en groupe, du travail engroupe classe. Une idée s’impose àmoi : les collégiennes se donnent lesmoyens de subvertir l’ordre scolaire.Par la redéfinition collective du mes-sage pédagogique, elles tentent dedéjouer les pièges de la pédagogie invi-sible, de reconstituer les présupposés,de découvrir les implicites, les clés, lescodes de la culture scolaire.À ma grande surprise, elles évoquentla sensation de faire une expérienceintellectuelle et mettent l’accent sur

ment l’arrivée de l’adulte qu’il inter-pelle bruyamment en disant : « j’yarrive pas ».J’essaie alors de garder mon calme enexpliquant qu’effectivement, la seulefaçon que je connaisse de ne pas y arri-ver consiste à ne pas essayer. De toutefaçon, on a le droit de rater, de ne pasy arriver tout de suite, mais on n’a pasle droit de ne pas essayer. Aussi, par-tant de ce principe, le « j’y arrive pas »a été déclaré, non sans humour, stric-tement interdit. Si on rencontre desdifficultés, on doit alors dire : « j’y arri-verai » tout en continuant d’essayer, jecomprends alors le message et je peuxpasser aider. La nuance sémantique estd’importance car dans la formule auto-risée, outre son côté optimiste, on lais-se entendre le côté tout à fait provisoirede l’échec autant que la certitude d’yarriver dans un avenir qui reste à défi-nir peut-être dans dix minutes, demain,dans une semaine, dans un mois, peuimporte, le tout étant d’y arriver.Que l’on ne me dise pas que le sensdu futur ne peut être acquis avant 5ans, la petite anecdote suivante vamontrer le contraire. Les enfants ado-rent éteindre les ordinateurs en pres-sant le bouton rouge de la barrette desprises multiples, les 5 écrans faisantrideau en même temps, pas besoind’expliquer la superbe impression« d’agir sur le monde » ainsi procurée.Cependant ils ne peuvent le fairequ’avec ma permission puisque je doisauparavant quitter les programmes etsortir de Windows. Or, un jour quej’étais occupé à cette tâche, Julien vientvers moi en demandant tout douce-ment: Je pourrai éteindre les ordinateurs?Et moi, la tête ailleurs, de répondre sansréfléchir: Minute, il faut d’abord que jeferme! Réplique de Julien, tranquille-ment, sans se fâcher : J’ai dit : je pour-rai éteindre les ordinateurs ?Je me suis senti bête !

Dominique Moinard, professeur des écoles maternelles, Legé (44).

DOSSIER Cette fameuse motivation…

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« C’est incroyable… JE RESPIRE ! »Laure Laborde

Dans les collèges dits difficiles, peut-être encore plus qu’ailleurs,les élèves ont quelque chose à faire de l’école. Ils l’investissentplus ou moins, la violentent plus ou moins, mais elle est, poureux, le lieu d’une émancipation, d’une prise de conscience de soiet de l’autre. Et les échanges avec eux peuvent être des momentsde découverte, voire d’admiration.

ils soulignent l’importance des conditions de travail, du cadre de vie, insistent sur la nécessité de la présence des adultes et d’unclimat de confiance.

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l’obligation de prendre du temps, letemps de la mise en conscience, letemps de la maturation, le temps de larétrospection, le temps d’arrêt qui per-met à chaque élève de se reconnaîtredans son histoire personnelle.

Respiration« La liberté est une sensation. Cela se res-pire1. »Lors de cette demi-journée banalisée,les élèves ont témoigné de leurs plaieset de leurs bosses, des changementsqui leur ont permis d’amorcer unretour à soi.Leur parole a ravivé mes convictions.Ce qui est à proscrire sur le plan édu-catif est ce qui nuit à la personne. Toutce qui favorise l’estime de soi est àconseiller. La motivation passe par lesentiment de la compétence. Bien sou-vent le désir de savoir n’arrive pas à êtremobilisé dans le cadre scolaire parce quel’enfant, l’adolescent(e) n’arrive pas àdécoller de ses préoccupations person-nelles. Certains voient même s’accen-tuer leurs peurs lorsqu’ils doiventaffronter la situation d’apprentissage.Ils ne peuvent assumer le manque, lanécessité de construire des liens, d’ac-céder à la symbolisation qu’impose l’ac-te de penser. L’anxiété occupe leuresprit. Elle fige leurs capacités de rai-sonnement.L’angoisse ressentie par les élèves enperdition est comparable à celle éprou-vée par Descartes au début de laMéditation Seconde. Après avoir toutdémoli, le philosophe constate aveceffroi l’ampleur des dégâts : « Commesi tout à coup, j’étais tombé dans une eauprofonde, je suis tellement surpris, que jene puis ni assurer mes pieds dans le fond,ni nager pour me soutenir au-dessus2. »Lorsque tout contact avec autrui etavec l’environnement est détruit, lapersonne est engloutie dans un videvertigineux.Pour sortir de cet état asphyxiant d’im-mersion en soi, les élèves tentent decouper le fil de la pensée en faisant« disjoncter » leur esprit, en s’enfer-mant dans l’opposition verbale ou phy-sique. Par la violence et les cris, lecorps - si souvent méprisé dans notretradition éducative - prend le relais dela pensée.Descartes est sorti du désarroi total parle cogito. Notre travail de pédagogueconsiste d’abord à permettre à l’enfant,à l’adolescent(e) de saisir son être, d’en-trer en possession de sa personne, etd’abord de sa respiration3, de son ryth-me vital. Les contraintes ne peuventêtre intégrées comme légitimes que si

les activités qu’elles régissent appa-raissent comme compatibles avec lesbesoins fondamentaux de la personne.Les clubs du foyer socio-éducatif, laformation des délégués sont perçus parles élèves comme des espaces-tempsde liberté. Aussi, les pédagogues doi-vent-ils s’en saisir pour favoriser laconstruction d’un rapport personnelau savoir, consolidé par une référenceaux autres. C’est pourquoi, pour ter-miner, je voudrais évoquer quelquesprojets « citoyens ».

Création contemporaineQue proposer lors de la formation desdélégués et des activités périscolairesafin de persuader les adolescents qu’ilsne sont pas seuls face aux difficultés,« qu’on va s’accrocher » ?De nombreuses aventures humainesm’ont persuadée qu’il est intéressantde parier sur les créations contempo-raines. Le choix peut surprendre: alorsque nous cherchons à sortir d’unesituation d’indifférenciation dénuée detout repère, pourquoi se rendre latâche plus ardue en faisant appel à uneœuvre dont « l’auteur s’est arrangé pourque nous ne puissions trouver un pointarchimédique, qui soit « fixe et assuré4 » ?Après un travail de préparation, quipeut passer par la création d’une « bulled’intimité » protégeant les élèves et lesartistes, l’œuvre contemporaine par-vient à attirer, « appâter » les jeunes etparticulièrement ceux dévastés par uneimpression de perte, d’abandon, de dis-parition de leur personne. Elle les ras-sure parce qu’elle exprime l’incertitudefondamentale, dit la mélancolie irré-médiable mais aussi la conjure dans unconte moderne qui, par son intelligen-ce acérée et sa sensibilité, voire sa sen-sualité, provoque un immense plaisir.Après avoir croisé sur leur route lesjeunes adultes précipités dans les toi-lettes de la boîte de nuit de Ne pas5, lesage Shlomo qui, dans Mein Kampf(farce)6, tente d’apprendre à pleurer àHitler, l’indépendante et volontai-re Katrin des Européens, combats pourl’Amour 7, et d’autres personnages per-dus, désabusés, mais qui persévèrentet poursuivent leur quête malgré tout,les élèves apaisés, dynamisés com-mencent à se retrouver.Si l’école veut casser les barrières,combattre les enfermements, éviter lesghettos, elle se doit d’accompagner lesmodes d’expression innovants, parexemple en construisant une associa-tion rigoureuse avec les lieux culturels.Il n’y a pas d’antinomie entre, d’unepart, la culture « la plus classique » et,d’autre part, les formes d’expression

exigeantes qui surgissent, parfois àproximité, sans emprunter les circuitsétablis tant commerciaux qu’institu-tionnels. Pour autoriser chaque enfant,chaque adolescent(e) à apprivoiser sarespiration, son rythme vital, sa viementale, pour créer la circulation de laparole, l’école ne doit pas vivre la créa-tivité culturelle comme une menacemais s’en saisir comme d’une chance.

Laure Laborde, conseillère principale d’éducation, collège Michelet, Saint-Ouen (93).

Le titre de l’article est inspiré de Paul Valéry, Mon Faust, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade,tome II, p. 322.

1 Paul Valéry, Respirer, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade,tome II, p. 1157.2 Descartes, Œuvres philosophiques, Édition Alquier, Garnier,tome II, p. 414.3 Par respiration, j’entends la fonction biologique mais aussila capacité d’exprimer, de rentrer en contact, d’échanger avecle monde, de rencontrer autrui.4 Michel Philippon, D’un monde réaliste à un univers énucléé :quelques étapes de la pensée moderne, Modernités 5, Pressesuniversitaires de Bordeaux, 1998, p. 171.« Par la « modernisation » de la pensée, on passe d’un mondequi s’organise autour d’une pierre sacrée, à un monde qui gra-vite autour d’un tombeau vide. » Ibid., p. 162.5 Ne pas… laisser à la portée des enfants… oublier d’avoirvingt ans, spectacle conçu et réalisé par Bruno Lajara, textes(violemment intimistes) de Denis Lachaud, coproduction Mainsd’Œuvres, Point Éphémère, ViesàVies.6 George Tabori, Mein Kampf (farce), texte français d’ArmandoLlamas, Actes Sud Papiers.7 Les Européens, combats pour l’amour, pièce d’Howard Baker,traduction Mike Sens, en coproduction avec Mains d’Œuvres.Un grand merci à la metteuse en scène Nathalie Garraud etaux artistes de la compagnie Du Zieu dans les Bleus pour ladensité des échanges avec les élèves de la 3e d’insertion.

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Chappaz Georges (dir), Construire et entretenir la motivation, Actes d’université d’été, équipe HERMES, CRDP de Marseille, 1996.

Croizier Monique,Motivation, projet personnel, apprentissages. ESF éditeur, 1995.

Darveau Paul et Viau Roland,La motivation à l’école : le rôle des parents, Éditions du Renouveau Pédagogique, Saint-Laurent (Québec) 1997.

Delannoy Cécile, La motivation, Hachette. 1997.

Fenouillet Fabien, La motivation, Topos, Dunod, 2003.

Houssaye Jean « Les trois facettes de la motivation » in Jean-Claude Ruano-Borbalan (directeur) Éduquer et Former 1e édition, p. 235-237, Éditions Sciences Humaines. 1998,et l’article « La motivation » in La pédagogie, uneencyclopédie pour aujourd’hui, ESF éditeur, 1993.

Lieury Alain & Fenouillet Fabien, Motivation et réussite scolaire, éd. Dunod, 1996.

Perrenoud Philippe, Métier d’élève et sens du travail scolaire, ESF éditeur, 1995.

Snyders Georges, La joie à l’école, Presses universitairesde France, 1986.

Viau Roland, La motivation en contexte scolaire, Bruxelles Éditions De Boeck, 1998.

Viau Roland, « La motivation : condition essentielle de réussite » in Jean-Claude Ruano-Borbalan (directeur),Éduquer et Former 2e édition, p. 113-121, Éditions Sciences Humaines, 2001.

Une somme d’Albert Bandura : Autoefficacité, le sentiment d’efficacité personnelleTraduction de Jacques Lecomte (éditions de Boeck, 859 pages 2003).Un imposant pavé, mais où on peut puiser de nombreuxéléments passionnants. Le chapitre 6 est consacré aufonctionnement cognitif. Il y est question de l’efficacitépersonnelle des élèves ainsi que de l’efficacité collective.Pour Bandura, et d’après les résultats de nombreusesobservations, à la base de la réussite de certaines écoles,on trouve les principes de « l’unité de projet, lacapacitation collective, la responsabilité partagée et l’appelaux compétences ». Il insiste sur le travail d’équipe et surune évaluation qui encourage et qui informeconstamment des progrès réalisés…

Revues

Sciences humaines, n° 92, mars 1999, dossier « Les ressorts de la motivation ».

Le monde de l’éducation, n° 324, avril 2004, dossier « Comment les motiver ».

Revue de psychologie de la motivation, décembre 2003,« L’école en chantier… » Ce numéro propose un entretien toujours savoureux avecnotre ami André de Péretti, des articles sur l’estime desoi, la démocratie à l’école ou le développement des com-pétences psychosociales à l’école. Contributions deDaniel Favre, André Giordan, Claire Héber-Suffrin…(http://psychomotivation.free.fr )

Éléments de bibliographie

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dossier

De la retra i teDossier coordonné par Jacques George et Marie-Claude Grandguillot

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La retraite, c’est, à l’évidence, un état plutôt qu’unparcours, un arrêt, l’heure de tirer un trait, de se taire, sesoustraire, s’abstraire, de se retirer au coin de son âtre, loindes rites sociaux, niché, tel le rat de la fable, dans lefromage de sa pension ; quelque chose de traînant, de tari,peut-être de traître… La retraite, une tare ?La retraite : le temps de s’étirer, de mettre pied à terre,d’errer sans craindre le retard, de se distraire, de rire descontraintes anciennes et de s’en créer, librement, denouvelles, de respirer un air autre, de retenir, mieux, des’approprier le temps, cette rareté, le temps pour enfinchoisir d’être…La retraite, un art ?Images irritantes, tarte à la crème, théâtre aux rôles toutécrits, support sournois de jugements de valeur… Est-ilpossible de parler de sa retraite sans être rattrapé parquelque théorie que le propos se bornerait à illustrer ?Retraite prolongeant une activité professionnelle dont onne voudrait (ou ne pourrait) se défaire, ou revendiquant larupture, l’exploration d’horizons neufs, retraite zen oumilitante, retraite violon d’Ingres ou retraite service… Àl’idée de m’inscrire sous l’un de ces titres, de couler dansun de ces moules mon petit bricolage à la saveur unique, ilme prend une envie de… battre en retraite !

Odile Veslin, professeure à la retraite.

Une saveur unique

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68 les cahiers pédagogiques n° 429-430, janvier-février 2005

Jacques George et Marie-Claude GrandguillotEDITORIAL

Les retraites et la sociétéLe projet de ce dossier est bien antérieur au débat sur lesretraites qui a secoué le pays en 2003 et notre propos n’estpas de le relancer, mais d’attirer l’attention sur quelquesquestions et contradictions qui restent trop souvent dansl’ombre.On aurait dû le prévoir depuis longtemps, les générationsnombreuses nées dans les années d’après-guerre arrivent àl’âge de la retraite, la durée moyenne de vie et celle de lapériode non active ont beaucoup augmenté et devraientcontinuer à le faire. Explications? Un choc démographiqueest intervenu en une génération: l’espérance de vie à la nais-sance, qui était en 1944 de 62,2 ans pour les hommes et 67,6pour les femmes, est passée en 2003 à 75,8 et 82,9 ans. En1944 un homme qui prenait sa retraite à 60 ans avait enco-re 2,2 années à vivre ; aujourd’hui, il en a 15,8, des annéespendant lesquelles il sera le plus souvent en bonne santé.On ne peut que se féliciter de ce progrès, même s’il a pro-fité et profite toujours très inégalement aux intéressés,notamment selon leur métier1. Un autre changement va s’yajouter : les baby boomers (les classes plus nombreuses néesdans les vingt années qui ont suivi la Libération) com-mencent à arriver à l’âge de la retraite. Et enfin, ces géné-rations ont fait moins d’enfants que les précédentes. Lacombinaison de tous ces facteurs va entraîner une aug-mentation importante du nombre des retraités (+ 42 %d’ici 2020, + 84 % d’ici 2050) et de leur proportion (les plusde 65 ans passeront de 16,3 % de la population en 2003 à26,4 %, plus du quart, en 2050). Les centenaires, quin’étaient que 261 en 1945, seront 165000 en 2050…D’où une augmentation importante du nombre des per-sonnes âgées plus ou moins dépendantes, même si leur pro-portion semble rester stable (6,4 % des plus de 65 ans) etdes besoins accrus en soins médicaux, maisons de retrai-te, etc., et financement2. Au siècle dernier, le risque était dene pas arriver jusqu’à l’âge de la retraite ; aujourd’hui, il estde faire face, bien plus tard, à la dépendance, et c’est cechangement de risque qui devrait inspirer les politiques dela vieillesse.Cette situation fait surgir des questions difficiles à résoudre,qui sont loin d’être seulement techniques.

Les inégalités sont flagrantes, autant entre les catégories depopulation (sept ans de différence d’espérance de vie entreles femmes et les hommes, cinq ans entre les ingénieurs etles manœuvres) qu’entre les régimes de retraite3. Enfin, siles retraités ont aujourd’hui une situation bien plus enviablequ’hier, il y a à côté d’eux tous ceux qui ne touchent quele minimum vieillesse (588 euros), légèrement inférieurau seuil de pauvreté (602 euros, défini comme la moitiédu revenu médian) ; ils sont 734 000, soit 23 % de ceuxqui ne touchent que les minima sociaux.Mais on se mobilise plus facilement pour défendre un statuquo que pour réduire ces inégalités.On recule l’âge de la retraite, mais les entreprises préfèrentembaucher des jeunes plutôt que de conserver des sala-riés plus âgés, réputés moins performants. « Les préretraitesà 55 ans, cela signifie la vieillesse dans l’entreprise à 50 ans »,écrit Xavier Gaullier4, et la plupart des salariés aspirent àpartir en retraite dès que possible. Comme, en même temps,la durée des études s’accroît, « la France a les étudiants lesplus âgés et les retraités les plus jeunes ».Les mesures décidées ou annoncées pour la retraite n’as-surent à l’horizon 2020 que la moitié des besoins de finan-cement ; on n’a donc pas fini d’en reparler. Par contre, onattend toujours la grande politique de l’emploi. Et aussiune politique hardie sur la dépendance, qui devrait sedéployer largement avec le nombre croissant de personnestrès âgées.Une grande partie des débats s’est focalisée sur le dilem-me répartition-capitalisation, en oubliant qu’il faut plu-sieurs décennies pour que la capitalisation produise desrevenus utiles. La retraite des fonctionnaires échappe à cedilemme, puisqu’elle est un engagement de l’État, ins-crit au Grand livre de la dette publique. Au-delà, on a troppeu compris que, comme souvent, il y a deux débats. L’unsur le financement : sources de ce financement, montantdes pensions, répartition ou capitalisation, âge de la retrai-te, etc., toutes questions assurément importantes. Là, onne dit pas assez que la réforme de 2003 repose plus surdes vœux que sur des certitudes (baisse du taux de chô-mage, maintien en activité des salariés proches de l’âge de

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la retraite au lieu de les pousser vers les préretraites,5 pour-suite de l’augmentation de l’espérance de vie) et surtoutqu’elle n’assurera que la moitié du financement néces-saire en 2020.L’autre débat est le suivant : si les retraités ne produisentplus, ils consomment toujours, mais ils ne peuvent consom-mer que ce qui a été produit par les travailleurs actifs, selonleur nombre et leur productivité. Le nombre croissant desretraités, c’est, outre une demande médicale accrue, unedemande plus grande de services, de déplacements et detourisme, de logements adaptés, etc. ; dans certains secteurs,on voit poindre la pénurie, et partout on a trop négligéune approche prospective. Et le pouvoir d’achat des retrai-tés pèse lourd dans la demande totale. C’est dire que la ques-tion des retraites est aussi une question des actifs.L’évolution technique et économique fait qu’une mêmepersonne changera plusieurs fois d’activité au cours de savie professionnelle. Mais la formation tout au long de lavie se cherche encore, et la protection sociale reste orga-nisée selon le cycle ternaire traditionnel : jeunesse- acti-vité- retraite.Enfin, notre société considérera-t-elle toujours la massegrossissante des personnes âgées sous l’angle de leur inuti-lité et de l’assistance qu’il faut leur apporter, au moindrecoût bien entendu, ou voudra-t-elle valoriser le poten-tiel d’expérience, de culture et de disponibilité qu’ellesreprésentent ? Quelle place saura-t-elle faire ou conserveraux jeunes retraités qui ont encore et pour dix ou vingtans l’esprit vif et le corps alerte ? N’est-ce pas un gâchisdes expériences et des compétences que de les remplacersystématiquement par des plus jeunes, que ce soit dansles institutions politiques ou les associations? Mais ces plusjeunes doivent pouvoir entrer dans la carrière sans attendreque les aînés n’y soient plus, comme dit la Marseillaise, ety apporter un esprit de renouveau. Pour rester générale-ment implicite, cette sorte de lutte des classes d’âge n’enest pas moins préoccupante.Au-delà des questions techniques, il faut se demander com-ment une retraite de longue durée peut ne pas être un temps

vide, et comment aménager, pour les enseignants, le pas-sage de l’activité à la retraite, ne serait-ce que pour éviterle gâchis de cette mise à l’écart brutale et totale de personnesayant engrangé expérience et compétences.Il resterait à étudier dans quelle mesure l’organisation del’enseignement en classes d’âge est la meilleure, voire laseule formule possible, ou s’il ne faudrait pas, dans la pers-pective de la formation tout au long de la vie, valoriser lescontacts entre générations différentes.

Marie-Claude Grandguillot, Jacques George, professeurs à la retraite.

1 À 35 ans, un ouvrier a encore une espérance de vie de 38 ans, contre 44,5 ans pour un cadre.2 Une allocation personnalisée d’autonomie a été créée en 1997, puis étendue en 2002, puisrestreinte en 2003.3 Rappel significatif : en 1853, on distingue les fonctionnaires qui ont droit à la retraite à 60ans (service sédentaire) et ceux qui peuvent partir dès 55 ans (service actif). En 1876, les insti-tuteurs sont classés dans le service actif, ce qui se comprend quand on connaît leurs conditionsde vie d’alors ; et avec eux, tous les fonctionnaires qui relèvent du premier degré, dont lesdirecteurs, professeurs et économes des écoles normales, ce qui semble moins justifié.4 Xavier Gaullier, Revue Esprit, décembre 2003.5 Une étude récente (Le Monde 19.10.2004) montre que seulement 38 % des salariés étaientencore en poste effectif au moment où ils prennent leur retraite ; les autres étant en préretrai-te, en chômage indemnisé ou en longue maladie.

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Plaisirs et regretsChristiane Chassagne

DOSSIER

Qui suis-je? Une ancienne prin-cipale de collège, en milieu rural(pays de Cognac, Charente)

retraitée depuis 1995.Ma retraite a été voulue et choisie pourplusieurs raisons.Place aux jeunes ! Je me disais naïve-ment que si une « vieille » sortait à unbout de la chaîne, un ou une jeuneajouterait son maillon à l’opposé.Croyance pas si naïve que ça puisquenotre fille a été reçue au Capes enjuillet 1997. Hasard ? Qui sait ?Et puis, avec le montant d’une retraite,je restais quand même parmi les finan-cièrement privilégiées (de plus, monmari est encore en activité).Enfin, raison plus ou moins avouée àl’époque, j’en avais un peu assez d’unehiérarchie de plus en plus ignoranteou méprisante de la « base » et de sesdifficultés. Applique les textes et tais-toi… Surtout pas de vagues… et pasde moyens, tout à fait dans la ligne dece qu’écrit Marie-Danielle Pierrelée 1.

Que faire du temps dégagé?Ce qui est sûr, c’est que mon temps nesera jamais vide.En premier lieu, me rendre utile, maissurtout pas dans le milieu de l’aide autravail scolaire, à laquelle je crois pour-tant. J’avais assez donné, et puis je nevoulais pas reprendre d’une main ceque je lâchais de l’autre. Je me tournevers le caritatif solidaire. Une associa-tion correspondante de la Banque ali-mentaire m’accueille. Découverte d’unmonde différent, pensais-je : débar-dage des denrées, répartition dans lescolis, accueil des bénéficiaires, collecteannuelle… Mais oh! surprise, pendantces cinq années, je retrouve commebénéficiaires nombre de parentsd’élèves que j’avais connus au collège ;c’est dire si leur situation financière etsociale s’est détériorée. À chaque dis-tribution de colis (une par quinzaine)j’ai « le moral dans les chaussettes »,comme disent les jeunes.

rencontrés et appréciés. Écrire unlivre résumant le travail de quatre anssur une expérimentation en éducationdes choix. Refaire le chemin, classer,ordonner la documentation accumu-lée, revoir les évaluations, interviewerles anciens collègues, les anciensélèves, lire, chercher, écrire, raturer,tout jeter à la corbeille, recommencer.Syndrome de la page blanche ou aucontraire trop pleine. Soulagement depenser qu’on a encore des choses àdire et à vivre ou revivre.Satisfaction du bouquin entre lesmains - même s’il ne prétend pas bou-leverser le monde de l’orientation.Surprise de constater que des col-lègues le lisent… de moins en moinsnombreux au fil du temps.Et puis oublier, je passe à autre chose.Intervenir auprès de futurs profs àl’IUFM pour y témoigner d’un travailsur les relations parents-école. Plaisir

Et maintenant ce sont leurs enfants(donc anciens élèves) en âge de fon-der un foyer qui arrivent en tantqu’ayants droit. S’ils sont là, à qui lafaute ? Chaque fois que j’accueilleJean, Aurélien ou Claudine, c’est leurparcours scolaire qui revient à mamémoire. Qu’avons-nous (qu’ai-je)manqué pour les retrouver ici ?Envie d’abandonner ? Culpabiliser ?J’endosse mal et c’est une épreuvelorsque je dois assurer cet accueil oumettre à jour le fichier des bénéficiaires(j’ai été secrétaire de l’association).Le président départemental de laBanque alimentaire avait fixé commeobjectif pour 2000 : redonner le goût dutravail aux ayants droit… pour cesjeunes, on devrait dire « donner » le goût,puisqu’ils ne l’ont même pas eu àl’école. La tâche me dépassait et medésespérait parfois.

Partager l’expérienceAutres occupations : répondre auxsollicitations diverses de formateurs

de retrouver parents et enseignants del’époque pour plancher ensemble denouveau. Plaisir de revivre nos ren-contres et de constater qu’il nous estresté une expérience, des réflexions quinous ont permis de cheminer, de fran-chir des étapes et d’évoluer. Plaisir departager avec ces jeunes collègues ceque nous avons appris et vécu, notreenthousiasme et nos envies d’avancer.Boulimie de lectures, diverses maisaussi liées à mon ancienne fonction,boulot, avec, bizarrement, des périodessans aucun livre… Repos des neu-rones ?

Et des manques?Oui. Regret des activités socio-éduca-tives avec les élèves, séances de fou rireau club théâtre en préparation d‘unefête sportive… Vente des chocolatinesdans un coin de préau avec les respon-sables du jour, histoire de voir les unset les autres, de jeter un œil sur la récré.Nostalgie des voyages en Italie, enAndalousie : se perdre à Rome avecGuillaume, retrouver Delphine à Sévilleet Julien à Grenade…Manquent aussi des longues discus-sions avec les collègues : on refaisaitl’Éducation nationale en deux coupsde cuillère à pot. C’était un défoule-ment, qui ne faisait de mal à personne.À la retraite, il est plus difficile de ren-contrer les profs, ils sont trop occupés,et finalement moi aussi.Pour terminer, un conseil : commen-cez donc la vie active par la retraite.

Christiane Chassagne, principale à la retraite.

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1 Marie-Danielle Pierrelée, L’insurgée, Seuil, 1990.

Me rendre utile, mais surtout pas dans le milieu de l’aide au travail scolaire. J’avais assez donné,

et puis je ne voulais pas reprendre d’une main ce que je lâchais de l’autre.

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De la retraite

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1 Je n’ai parlé que des hommes et je n’ai pas parlé de la famil-le (l’art d’être grand-père).

D’abord je ne l’ai pas prise tout desuite. Il me fallait m’habituer.J’ai attendu deux ans pour m’y

faire. Pour le dire autour de moi, pourme le dire. Je suis parti à soixante-deuxans. Il faut préciser que j’avais une placequi me permettait d’attendre, j’étaisdevenu chef de service, directeur duCDDP 31. Peut-être que si j’étais restéprofesseur d’EPS dans un collège,même avec quinze heures semaine, jel’aurais prise plus tôt. Les séances à lapiscine avec les 6e, les matins d’hiver,ou les longues après-midi sur le terrainde foot ou de rugby, avec des 3e agitées,en plein vent d’autan, ça use énormé-ment.Je m’étais arrangé pour remplir montemps, avant de la prendre. J’avais étéélu conseiller municipal, désigné pre-mier adjoint. Ainsi j’étais déjà sûrd’avoir un emploi du temps balisé pardes réunions obligatoires. Je n’avais pasdémissionné du CA du foyer rural nidu comité de rédaction des Cahierspédagogiques. J’avais toujours un agendaque j’étais obligé de consulter plusieursfois par jour.Je vois au moins trois catégories deretraités autour de moi.Ceux qui changent tout : ils se met-tent à voyager, à peindre, à danser, àfaire des randonnées, à apprendrel’arabe… Des choses totalement nou-velles pour eux. J’en connais mêmeun qui n’avait jamais mis les piedsdans un terrain de camping, il s’estacheté un motor-home et le voilà envadrouille perpétuelle dans toutel’Europe.Ceux qui, en gros, ne changent rien àleur vie. J’en fais partie. Mon emploidu temps ressemble beaucoup, dans sastructure, à celui que j’avais quand jetravaillais. Les activités ne sont pastout à fait les mêmes, mais le mode devie est identique. Je n’ai même pascoupé complètement avec la formationpuisque, depuis 1992, date de mondépart à la retraite, je continue à par-ticiper aux universités d’été organiséesà Marseille, chaque année, par l’uni-versité de Provence.

Et il y a ceux qui font les deux : ilscontinuent à s’occuper comme avantla retraite, mais ils recommencent àaller au théâtre, écouter des confé-rences, faire des croisières, travaillerrégulièrement leur jardin, commequand ils étaient jeunes.Toutes ces activités dépendent de leurforme physique, de leur santé mentaleet de leur dynamisme. Les effets duvieillissement se font sentir et on com-mence à entrer dans les statistiques.Quand vous lisez, à quarante ans,qu’un homme sur deux de plus de cin-quante ans est hypertendu et risque unaccident vasculaire cérébral ou car-diaque s’il ne se soigne pas, cela ne fait

J’ai quitté avant terme « le plus beaumétier du monde » et, non seule-ment je n’en éprouve pas la

moindre nostalgie, mais je dois avouerque je n’ai jamais été aussi heureuse detoute ma vie. Et ce doit être autre chosequ’une illusion puisque les gens quime connaissent de longue date medisent que je rajeunis de jour en jouret que jamais je n’ai été aussi épanouie.Certes, je n’ai nulle envie de me citeren exemple. Je suis bien tropconsciente que la façon dont se vit laretraite dépend de l’histoire de cha-cun, et en particulier de son parcoursprofessionnel. Je ne veux pas déve-lopper ici ce qui a fait l’objet d’unlivre1. Mais disons, très brièvement,que j’ai connu le chahut dans ce qu’ila de plus horrible, que je n’en ai jamaisvraiment guéri, même si la situation

s‘est améliorée par la suite, et qu’àcause de ce handicap l’enseignement,jusqu’à mon dernier jour, a été unesource de stress dont je ne mesuraismême pas le poids avant de m’arrê-ter. C’est bien simple, aujourd’hui,dans ma huitième année sans école, jepeux seulement commencer à parlerde ce que j’ai vécu, sans me sentir pourautant dévalorisée ou en état d’infé-riorité par rapport à qui que ce soit. Etje mesure chaque jour le soulagementde ne plus aller en cours, au point qu’ilm’arrive même parfois d’oublier quel’école existe et d’être surprise envoyant passer dans ma rue des enfantsleur cartable sur le dos.La retraite, pour moi, est-elle seule-ment un lourd fardeau que j’ai pu enfindéposer, quelque chose comme le sou-lagement du migraineux lorsque s’ar-

pas le même effet que lorsqu’on le lità soixante ans. On se fait vaccinerchaque année contre la grippe. Un demes amis disait, pour me décrire sonétat général, qu’il avait une mémoiremitée, qu’il n’élaborait plus que desconcepts flous et qu’il avait des érec-tions molles.Ainsi va la vie des retraités1.

Jacques Carbonnel, professeur d’EPS à la retraite,ancien directeur de CDDP.

Ceux qui changent tout,ceux qui ne changent rien…Jacques Carbonnel

Tout recommence à la retraiteChantal Cambronne

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rête la douloureuse névralgie? Bien sûrque non, mais tout est lié, tout se tient,un nœud qui se défait dénoue d’autresnœuds et mon angoisse enfuie a jouétoutes ces dernières années un rôlelibérateur, bien au-delà de ce que j’au-rais pu imaginer.Qu’ai-je fait de cette liberté nouvelle ?Depuis près de vingt ans déjà j’écri-vais. Mais je n’avais pas encore prisconscience, d’une part qu’il était abso-lument vital pour moi d’écrire, d’autrepart qu’écrire, contrairement à ce quiavait pu se passer autrefois, ne m’iso-lait pas des autres, ne me coupait pasde la vie, mais au contraire était - peut-être parce que je m’engage totalementdans ce que j’écris - une façon privi-

légiée de communiquer, de rencontrerdes gens à un niveau d’emblée profond,essentiel. Par l’écriture, en effet, je necesse d’entrer en relation avec de nou-velles personnes : des chercheurs, desadolescents, des demandeurs d’emploi,des voisins. Et j’aime que ce que j’écrissuscite un écho chez les autres, lestouche, provoque des questions, et par-fois leur donne le désir d’écrire, dedire : « Moi aussi, j’ai des choses à dire. »Que dire encore ? Je venais tout justede terminer mes études lorsque j’aiquitté mes parents et une vie très sagepour me marier. J’ai eu ensuite beau-coup d’enfants et beaucoup de sou-cis. Et là, avec cette retraite, pour lapremière fois de ma vie, j’ai un senti-

ment de grande liberté, celle de pou-voir disposer à ma guise de mon temps,d’être disponible, de pouvoir accepterune rencontre, une sortie, sans avoirl’angoisse du travail qui ne se fait paspendant ce temps-là, de choisir ce quime convient et d’écarter ce qui ne meconvient pas.Cela ne veut pas dire que je me pré-lasse, que je laisse couler le temps dansune oisiveté qui ne correspondraitd’ailleurs nullement à ce que je suis. Jecontinue à me lever tôt le matin, à tra-vailler, parce que j’aime travailler, àm’associer - par la parole, par l’écri-ture - aux luttes et aux espoirs de tousceux qui se battent pour un monde dif-férent, plus juste, éloigné de la pen-sée unique et du consensus mou quisemblent régir notre société.J’ai le sentiment, aujourd’hui, de pou-voir tout simplement être celle que jesuis, d’occuper la place qui est lamienne, et qui me convient. Il m’a fallucertes du temps, beaucoup de tempspour en arriver là. Mais qu’importe !J’ai encore des mois et des annéesdevant moi, du moins je l’espère, etje compte bien les vivre pleinement.

Chantal Cambronne, professeure à la retraite.

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Pour les sauver de la sénilité…Un esprit a beau se renouveler par l’étude, il s’appauvrit encore plus qu’il nereçoit. On vieillit vite dans l’université ; je ne parle pas du corps, presque tousnos vieux professeurs sont frais, gaillards et droits, j’entends la tête, l’esprit ;tout cela fatigue et s‘en va. On se couche homme d’esprit et l’on est toutétonné de se réveiller ganache. Rien ne crétinise comme l’enseignement. Il mesemble que de cinq ans en cinq ans, on devrait accorder un congé de dix-huitmois aux professeurs, ce serait le seul moyen de les sauver de la décadence.Mais à les pousser toujours et sans relâche, comme on le fait maintenant, ilsdeviendront tous poussifs.

Francisque Sarcey, Journal de jeunesse, lettre écrite à l’École normale, 1849.Cité par Antoine Prost, Histoire de l’enseignement en France 1800-1967,Colin, coll. U, 1968.

1 Le Chahut, Édition Le bord de l’eau, 2001.

Pas de club du 3e âgeC’est la première fois qu’une société voit un père et un filsen retraite, un grand-père ou une grand-mère àl’université en même temps que leurs petits-enfants. Maistous ces changements de société, on ne les a pas assezpensés, anticipés. Je souhaiterais que l’université soit unemaison ouverte, où les gens de tous les âges viennentdavantage. Que ce ne soit pas un déversoir deconnaissances - à 60 ans, le diplôme, ça m’est égal! - maisune somme de réflexions et d‘échanges d’expériences…

Ma retraite, je la vois donc comme une activité à créer,pas comme une inscription dans un club de peinture oude bridge, en cercle fermé, entre gens du même âge.

Pour moi, vivre dans la société, c’est s’impliquer,participer. Et on ne participe pas à la société qu’avec duloisir. Alors il faut que chaque nouveau retraité trouvequelque chose à sa mesure, selon son choix.

Pierre Caro1, ancien chef de PME.

1 in Nantes retraite active, juin 2002.

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Comme beaucoup d’autres sansdoute, je m’étais dit : « Aller à destrucs du 3e âge? Moi jamais ! » Etpuis voilà que non seulement le 3e

âge arrive, mais en plus, ils sontbien commodes ces cours, en jour-née ou début de soirée, où, pour unprix modique, on peut se mettre ouse remettre à une langue ou à unhobby. Je me suis donc inscrite àplusieurs cours et, entre autres, j’aidécidé de commencer l’italien.Nous voilà une grosse vingtaine depersonnes dans une grande salleclaire. Je me sens plutôt jeune dansce groupe où les femmes sont large-ment majoritaires. L’enseignanteentre et nous parle en italien avecentrain. Protestations dans la salle :« On nous avait dit que c’était uncours débutant ! ». La méthode estéprouvée, l’enseignante solide, laréponse vient en italien, suffisam-ment explicite pour faire taire lescontestataires, qui sont plutôt desinquiets d’ailleurs. Le cours com-mence : « Mon nom est… » ;« Comment t’appelles-tu? » etc.Dès la 2e séance nous voilà embar-qués dans un sketch, et dès cetteséance aussi les difficultés des uns etdes autres commencent à appa-raître. Certains sont de faux débu-tants, c’est indéniable, mais laplupart commencent à zéro.Parmi les vrais débutants, il est ungroupe pour lequel la difficultémajeure consiste à « entrer » dansune autre langue, à admettre quel’italien n’est pas que du français où

chaque mot s’écrirait ou se pronon-cerait de façon différente, mais qu’ily a des constructions, des façons des’exprimer qui sont différentes.Comme nous attendons le début ducours dans le petit salon à côté de lasalle de cours, nous pouvons discu-ter et « réviser » ensemble. J’assisteà un dialogue croustillant entredeux dames de la même vallée voisi-ne, qui se connaissent bien, l’une seplaignant de la difficulté d’ap-prendre une langue étrangère etl’autre lui rétorquant : « C’est bienfait pour toi, tu n’avais qu’à pastant faire la fière autrefois en refu-sant de parler patois au village. »À part ceux qui sont vraiment entrès grosse difficulté et qui sedécouragent vite, en premièreannée, on constate surtout une dif-férence entre ceux qui travaillentleurs cours chez eux et ceux qui nefont de l’italien que pendant laseule heure hebdomadaire.

L’habitude d’étudier

Début de la 2e année, les choses secompliquent ! Nous ne sommes quetrès peu de rescapés de l’année pré-cédente. Je vais à un cours de débutde soirée, il y a plus d’actifs dans legroupe que l’an passé. La plupartdes personnes présentes ont déjàfait de l’italien au lycée ou ailleurset se débrouillent nettement mieuxque moi. Le syndrome de la mauvai-se élève (que j’ai été souvent étédurant ma scolarité) va-t-il encorefrapper? Je m’accroche et, à forcede ramer, arrive à rester au niveau.

En même temps je constate que lesdifficultés de mes condisciples sonttrès variables selon leur formationantérieure.Chez ceux et celles qui travaillentvraiment leurs cours, il y a un incon-testable problème de méthodequand ils n’ont fait que peud’études. Leur côté scolaire parfoisest presque attendrissant. J’ai dumal à ne pas sourire en les enten-dant… Ils s’aperçoivent qu’ils nepeuvent plus se contenter d’ap-prendre par cœur les dialogues dulivre ; prendre des notes pendant uncours ne leur vient pas toujours àl’idée et quand ils s’y lancent, ilsaffrontent de grosses difficultés ;qu’il faille apprendre du vocabulairesupplémentaire noté pendant lesconversations en cours paraît à cer-tains non seulement comme unedifficulté infranchissable mais aussià la limite de la trahison de la partde l’enseignante… Ces propos etréactions me renvoient à des situa-tions de conseil de classe et surtoutaux rencontres avec les parentsquand j’étais professeur principal. Jene sais si je saurai un jour medébrouiller en italien mais, une foisde plus, je constate que l’habituded’étudier est une sacrée supérioritépour qui arrive à l’âge où « on n’ena plus besoin ». Voilà bien des pro-pos que je n’aurais jamais pensétenir à « mes » parents d’élèves !

Élizabeth Thuriet,professeure à la retraite,étudiante à l’UTL de Gap.

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L’université du temps libre de Gap

Entretien avec Christine Garçon

L’université du temps libre(UTL) de Gap a été créée en1994. La première année, elle

a compté 270 étudiants, en 2004 elledépassait les 1 000. Elle a commencéavec 15 cours, elle en dispense actuel-lement 40. Une telle progression endix ans montre bien qu’elle répond àun besoin et qu’elle a trouvé sa placedans la ville ! Sa devise, le plaisir d’ap-prendre, s’appuie sur trois principes debase : ouverture, culture, humanisme.

Les motivations des participants sontvariables et souvent imbriquées. Veniren cours à l’UTL c’est à la fois unmoment d’apprentissage, de décou-verte ou de redécouverte de savoirs,mais aussi de sociabilité où la relationintergénérationnelle a une place trèsimportante. L’UTL organise non seu-lement des cours, mais aussi des confé-rences, des visites et des voyages. Lesconférences ont des sujets très éclec-tiques, de l’histoire locale à la politique

ou à la religion, l’UTL n’hésitant pasà organiser une intervention sur unsujet qui sera débattu ailleurs dans laville sous une autre forme, comme avecl’association Littera et ses week-endslittéraires. Ces croisements contri-buent à donner une cohérence à la vieculturelle de la ville.La majorité de ceux qui enseignent àl’UTL sont eux-mêmes enseignants.Pour certaines matières, il est difficilede trouver des intervenants : manque

De la retraite

Où l’on reparle de méthodes de travail…

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de disponibilité des personnes ou dif-ficulté à choisir quelqu’un dont l’ob-jectivité et la neutralité soient garanties,s’agissant par exemple du domaine dudéveloppement personnel.L’UTL en se développant se heurteaux inévitables problèmes de locaux,d’autant qu’elle a maintenant étendula plage horaire de ses cours de 9h jus-qu’à 21h30 certains soirs, ce qui a per-mis aux actifs de venir en plus grandnombre.

Pour quel public ?Toutes les catégories socio-profes-sionnelles sont présentes, à plus oumoins forte proportion. Les commer-çants viennent surtout le lundi. Les20-30 ans sont surtout des mères defamille, présentes aux heures où lesenfants sont à l’école. Dans la tranche30-50 ans on trouve beaucoup d’actifsqui viennent surtout aux cours d’éco-nomie et d’informatique (l’initiation àInternet rencontre un très gros succèsauprès de toutes les catégories). Ilsviennent souvent en soirée. Dans lescours du soir, les hommes et lesfemmes se retrouvent en proportionquasi égale. L’UTL profite aussi del’effet 35 heures.En 2002-2003, on comptait 70 % defemmes. Les plus de 60 ans formaient40 % des effectifs, la tranche 50-60 ans20 %. Sans surprise, les enseignantssont nombreux : 60 % de l’effectif,qu’ils soient en activité ou en retraite.Parmi les 3000 heures et plus dispen-sées pendant une année scolaire, en 40cours (divisés ou non en niveaux) et 60enseignants, l’anglais occupe une placede choix : c’est le champion toutescatégories des cours de langues les plusdemandés. Ensuite viennent l’infor-matique puis la formation générale :philosophie, lettres, histoire. C’est unendroit où il n’y a pas de complexes àlaisser paraître son ignorance. Avecl’aspect social, c’est sûrement ce quifait le succès de cette structure. Dansl’ensemble, les gens sont assidus mêmesi on note une baisse de fréquentationaprès les vacances de février 1.

C. Garçon, directrice de l’UTL de Gap.

Propos recueillis par ÉlisabethThuriet, professeure à la retraite.

Où en suis-je, dans ce tempsintermédiaire entre le pleinexercice d’une vie profession-

nelle intense, articulée à une vie fami-liale qui ne le fut pas moins, et cetteautre saison de la vie qui précède l’ul-time sortie? N’est-ce pas pour me sen-tir vivre et vibrer jusqu’au bout que jecontinue d’enseigner, d’écrire, de tra-vailler dans une association, d’inter-venir dans des formations, comme sije voulais conjurer l’âge et, pourquoine pas la nommer… la mort ?Sans doute y a-t-il de cela, qui noustravaille au plus profond, peut-être ya-t-il aussi d’autres raisons liées à monhistoire, et j’allais dire aussi à ma phi-losophie, à ma façon de concevoir lavie et de m’y inscrire en tant qu’hu-main parmi d’autres.

La vie comme mouvementContinuer de transmettre ce que j’aireçu moi-même, à l’école, par l’écolequi m’a ouvert tant d’horizons, au-delàdu petit village dont j’ai toujours eu -aussi loin qu’il m’en souvienne - enviede m’évader, et grâce aux multiplesrencontres que j’ai eu la chance de fairetout au long de mon parcours… C’estle mouvement de la vie qui me porte,le mouvement jamais linéaire, ni uni-

forme, mais toujours sous-jacent,comme dans une œuvre musicale. Letemps de la retraite succède au tempsintrépide du milieu de la vie, mais iln’y a pas eu pour moi de cassure, d’in-terruption brusque, juste un change-ment de mesure avec surtout -privilège suprême - la possibilité dechoisir désormais parmi les activitésque je souhaitais poursuivre.Dans le mouvement de la vie, celle quenous tenons d’autres et qui nous faitfils ou fille de…, est inscrit le geste fon-damental de recevoir et de donner, detransmettre ce qui est de l’ordre del’héritage. Je dois à mes parents l’im-mense chance d’avoir acquiescé à mondésir de partir, dès l’âge de onze ans,malgré la peine qu’ils en ont eu, etd’avoir pu, grâce à l’école normale,poursuivre des études et réaliser monprojet de devenir enseignante. J’étaissur une trajectoire qui n’a cessé de meporter. Mais j’ai aussi rencontré desprofesseurs de lettres, de langues etd’histoire qui ont stimulé mon désird’apprendre, dans deux directionsessentiellement.En découvrant, grâce à la passion quianimait mes maîtres, les œuvresléguées par les romanciers et les poètesdes siècles passés, puis plus tard les

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1 L’UTL ouvre d’octobre à fin mai et ferme pendant les vacancesscolaires de la zone.

Continuer sur sa lancéeJeanne Moll

Les forces de vie dont on a été porteur depuis longtemps nedéclinent pas avec la retraite : transmettre, s’engager, maintenirle lien entre les générations et même contribuer à la formationen fonction des compétences qu’on a acquises, autant de tâchesqu’assument avec bonheur les retraités.

Et les élèves?Comme d’autres fonctionnaires, les enseignants qui en éprouvent le besoin,ou le désir, peuvent bénéficier d’une cessation progressive d’activité à partirde 57 ans, faire par exemple 50 % de leur service en étant rémunérés à 60 %.Quand ils atteignent 60 ans, ils peuvent partir en retraite totale ou bien à lafin de l’année scolaire ou bien le jour même de leur soixantième anniversaire.Si l’année scolaire a un sens, si elle est organisée pour faire progresser ungroupe d’élèves en fonction des programmes, n’est-il pas regrettable qu’unprofesseur parte en cours d’année, faisant fi du suivi et de la cohérence desapprentissages? J.G.

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Ce que nous devons aux maîtres quinous ont enthousiasmés, nous ne leurrendons pas directement : nous nousacquittons de notre dette envers euxen transmettant à notre tour aux géné-rations plus jeunes ce que nous avons,grâce à eux, acquis et fait fructifier.Ainsi se perpétue le mouvement de lavie, comme par les enfants que nousmettons au monde.

La vie comme tissu de rencontresLes contacts avec les jeunes, les col-lègues et les personnalités que j’ai eula chance de rencontrer tout au longde ma vie professionnelle, les bénéficesnarcissiques que j’en tire n’agissent-ils pas comme une sorte de droguedont je veux continuer de rechercherles effets ? D’ailleurs, au plaisir d’en-seigner, d’écrire, d’intervenir dans desformations, de réfléchir en équipe,peut-on mettre fin à une date précise?Sans doute pas. En même temps, jecomprends les collègues qui n’ont pastoujours choisi le métier de leur plein

œuvres des pédagogues et des psy-chanalystes qui ont pensé l’éducation,j’ai pu me familiariser avec les mou-vements d’idées qui ont façonné notresensibilité, notre histoire et notre cul-ture européennes, et me situer dans unhéritage. D’autre part, l’apprentissagede l’allemand et la possibilité d’allerrégulièrement l’été chez ma corres-pondante, en Sarre (dès 1948, alors quela ville de Deux-Ponts était encore enruines) et, plus tard, un an d’études enAllemagne, m’ont ouvert les yeux etl’esprit vers un ailleurs qui m’a commeaimantée : l’ailleurs de la langue étran-gère et des us et coutumes d’un autrepays, à la fois proche et lointain.Ce que je découvrais, au fil des années,à la fois dans le passé et chez ceux quivivent différemment, à proximité denous, s’était pour ainsi dire croisé etcristallisé en moi. Je le vivais avec telleintensité que je ne pouvais que par-tager mes découvertes étonnées, avecdes lycéens d’abord, puis avec les étu-diants de l’université et les stagiairesde l’IUFM.

a reçu soi-même en partage. Ainsifonctionnent les relais où l’on se passele témoin, ainsi se créent des réseauxd’humanité où ceux qui sont tentésde désespérer de l’humanité retrou-vent quelques raisons de croire mal-gré tout en elle.

« Le temps découvre la vérité »C’est une allégorie fréquemmentreprésentée dans la peinture classique.Généralement, on y voit un vieilhomme dénudant une jeune femme.Qu’est-ce à dire, sinon que le désir esttoujours vivace, même avec l’âge, quel’élan de vie, le désir d’amour et derelation ne s’éteignent pas avec lesannées? D’ailleurs, les retraités qui enont les moyens sont nombreux à cou-rir le monde, à vouloir découvrir sesbeautés, à cultiver leur curiosité. Quileur en voudrait ?L’image du temps qui découvre lavérité signifie aussi peut-être qu’onapprend à voir l’essentiel, on a engrangétant d’expériences que l’on a peu à peu

gré et qui, ayant travaillé dans desconditions difficiles, n’ont qu’une hâte,à la retraite : couper avec leur vie anté-rieure. Cependant, il y a bien des pro-fessions où on ne se préoccupe pas dela limite d’âge, sans parler des gens dela terre qui ne s’arrêtent pas à 60 ou 65ans de travailler : quand ils cèdent leurbien à leur fils ou à leur fille, ils n’encontinuent pas moins de les seconderdans les marges.Pour nous, professionnels de l’éduca-tion qui, légalement, sommes mis à laretraite, les marges sont légion où nousn’avons pas à craindre de marcher surles plates-bandes des professionnels enexercice. Ce sont toutes les associationsqui ont besoin de bénévoles. Je connaispar exemple des collègues qui partentplusieurs semaines par an en Roumanieou dans des pays africains pour inter-venir, gratuitement bien sûr, dans desinstituts de formation qui sont trèsdemandeurs. Cet engagement, ici oulà-bas, témoigne d’un souci de don-ner à son tour aux frères humains quin’ont pas eu notre chance ce que l’on

appris à distinguer une forme de vérité,celle du partage, celle de l’amour, dela solidarité, autant de valeurs aux-quelles aspirent les jeunes quand onveut bien prendre le temps de les écou-ter. On a gagné une sorte de sérénitéqui fait que généralement les petits-enfants apprécient notre proximité,notre regard quelque peu détaché surles choses de la vie. « Tu es vieille », ditun jour une petite élève à une institu-trice remplaçante qui en effet n’avaitplus 20 ans. Au lieu de se vexer, l’ins-titutrice répondit : « Ah bon? À quoi tuvois ça? » Et la petite répondit : « Parceque tu ne cries pas ! » N’est-ce pas unbeau compliment de la part d’un enfantdont les jeunes enseignants savent troppeu que lui et ses camarades ont besoinde calme, de sécurité affective, pourpouvoir apprendre ? Peut-être les« Anciens », comme les appellent par-fois affectueusement leurs petits-fils,sont-ils plus disposés - parce que moinsdirectement et moins souvent impli-qués - à entendre ce que leur disententre les lignes ou plus directement lesenfants de leurs enfants, ou bien lesélèves à qui ils viennent en aide pour lesdevoirs. Le dialogue intergénérationnelprend toute sa place dans la vie mouve-mentée et souvent turbulente quemènent les jeunes, il est un moyen poureux de relier le passé et le présent, de lesaider à se situer dans l’histoire familiale.Les grands-parents racontent des his-toires, lisent avec les petits, parlent deleur propre enfance, on joue à des jeuxde société, on organise des sorties enbicyclette ou en chemin de fer, on estheureux tout simplement, d’autant plusqu’on sait que le temps qu’on passeensemble est mesuré.Je ne pense pas qu’on revive les émo-tions d’autrefois, liées à l’émerveille-ment de la naissance de nos propresenfants et au bonheur parfois mêléd’inquiétude de les voir grandir.L’attendrissement, la joie que nouséprouvons auprès de nos petits-enfantssont mêlés de fierté, mais aussi du désirà peine voilé de leur restituer quelquechose que nous n’avons pas assezdonné à nos propres enfants, de la pré-sence, c’est-à-dire du temps, lorsquenous étions pris par de multiples res-ponsabilités. C’est comme si nousréparions quelque chose auprès d’eux,comme si nous nous acquittions d’unedette jamais éteinte.

Former au changement de regardMon temps, occupé par la vie familialeet amicale, ponctué d’activités socio-culturelles, est aussi marqué par monengagement au service de l’association

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« Tu es vieille », dit un jour une petite élève à uneinstitutrice remplaçante qui en effet n’avait plus20 ans. Au lieu de se vexer, l’institutrice répondit :« Ah bon? À quoi tu vois ça ? » Et la petiterépondit : « Parce que tu ne cries pas ! »

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des groupes de soutien au soutien -l’AGSAS (ou Balint pour enseignants),créée par le psychanalyste JacquesLévine.Si je continue d’œuvrer dans cedomaine trop peu fréquenté de la for-mation, situé entre deux rives, entrepédagogie et psychanalyse précisément,c’est pour que soit davantage prise encompte la dimension de l’intersubjec-tivité dans les rapports humains, pourque les professeurs qui le souhaitent sesentent soutenus, à travers un travail degroupe, dans leur recherche de com-préhension des difficultés qu’ils ren-contrent. En animant une fois par moisdes groupes de soutien au soutien qu’onpourrait nommer d’analyse de pra-tiques relationnelles, je cherche - nouscherchons - à l’instar de ce que nousa appris et continue de nous apprendreJ. Lévine, à sensibiliser les profes-sionnels de l’éducation à la complexitéet à la conflictualité du psychisme del’enfant et de l’adulte (voir encadré).L’esprit qui traverse la méthode estempreint de foi en l’humain, en cejeune qui a connu des vicissitudesdiverses et qu’on ne peut abandonnersur le bord de la route. Cet esprit par-ticipe pour moi d’une éthique de laresponsabilité dont je sais, pour avoircollaboré parfois à leurs travaux, queles gens du Crap la partagent égale-ment. Si je m’investis à l’AGSAS, c’estque je la ressens comme une grandefamille de pensée, comme une com-munauté de recherche, d’échanges etde dialogue entre pédagogues et psy-chanalystes qui essaient modestementde promouvoir une autre idée del’école et une autre conception desrelations interhumaines.Et si je m’y sens à l’aise, c’est sansdoute parce qu’elle est un lieu inter-médiaire et fécond, un entre-deux quifacilite le questionnement et le mou-vement de va-et-vient : de la pratiqueà la théorie et vice-versa, de la grandepersonne à l’enfant et réciproquement,du moi au groupe et inversement, dufamilier à l’inconnu qui est au fond denous et qui à la fois nous fascine etnous fait craindre l’étranger.On n’a jamais fini d’apprendre et des’étonner.

Jeanne Moll, professeure à la retraite, Baden-Baden et Strasbourg.

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L’AGSAS, pour un changementde regardCréée par Jacques Lévine en 1993, l’AGSAS forme des psychanalystes ou desnon psychanalystes qui animent des groupes de « soutien ».

Dans le premier temps de la méthode, l’enseignant dit ses difficultés, sesblessures face à un enfant, puis nous cherchons ensemble à ce que se fissurele mur d’incompréhension qui sépare souvent les uns et les autres : ainsi,nous invitons les participants du groupe à imaginer ce que ressent l’enfantdit difficile, nous les invitons à faire des hypothèses sur ce qui le tourmente.Le but poursuivi est un changement de regard : l’enfant souffre en réalité, ilsouffre de vécus de cassures, de défaites narcissiques et ce qu’il nous donneà voir par son comportement dérangeant, c’est une mise en scène incons-ciente de sa souffrance. Ce que J. Lévine appelle l’écoute ou le regard tripo-laire consiste, dans le deuxième temps de la méthode qu’il a élaborée, àessayer de se représenter d’abord la dimension accidentée - l’intériorité - età la distinguer par exemple de l’attitude arrogante, - de l’enfant. Mais l’édu-cateur se doit aussi de croire que, malgré cela, il y a en son élève une dimen-sion intacte de vie qui demande à être accompagnée, un désir de grandir etd’être reconnu comme « un interlocuteur valable » aux yeux des autres.Seule, la recherche d’intelligibilité qui succède au temps du dire des difficul-tés permet de passer au troisième temps, celui de la recherche du modi-fiable, des leviers de changement pour remettre le jeune en devenir.

Pour tous renseignements concernant l’AGSAS et ses activités, ainsi que laméthode du soutien au soutien, vous pouvez consulter le site : Agsas. free.fr. Pour acheter les revues au numéro ou vous abonner en adhérant à l’as-sociation, vous pouvez vous adresser à Renée Pinelle, 8, rue Philippe deMetz, 92270 Bois Colombes (Tél. 01301514 61).

L’AGSAS a publié en 2001 un livre collectif : Je est un autre. Pour un dia-logue pédagogie- psychanalyse (ESF), sous la direction de J. Lévine et deJ. Moll, qui en est à sa seconde édition. Voir aussi J. Lévine et M. DevelayPour une anthropologie des savoirs scolaires (ESF, 2003).

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Un parfum de gratuitéOdile Veslin

Pourquoi s’obliger à rompre d’un coup? On peut imaginer un passage en douceur de l’activitéprofessionnelle à une retraite où la formation occupe encore une grande place.

J’étais, il y a quelques années, uneenseignante en activité ; me voicimaintenant à la retraite. Deux états,

deux statuts, entre lesquels la transi-tion temporelle a été brève : deux moisde vacances d’été qui ressemblaientfort à celles des années précédentes,sauf que cette fois les vacances allaientdurer, se transformer en vacance.Étrange singulier, plus vaste, plus longque son pluriel… Les vacances sontdélimitées, de telle date à telle date ;la vacance qui s’ouvrait n’avait, théo-riquement, pas de terme autre que mapropre fin.Pas de doute : les mots disent bien queje suis passée d’une situation claire-ment identifiée à une autre différente.Pourtant, je n’ai pas vraiment éprouvéde rupture, un peu comme, guettantle passage du jour à la nuit, on ne par-vient jamais à le saisir : il y a toujoursun peu de nuit déjà alors qu’il fait

encore clair, un peu de jour encorealors qu’on n’y voit presque plus…Qui a dit: «Toutes choses sont muableset proches de l’incertain »? Si l’on s’in-téresse à l’expérience vécue, et non austatut, aux papiers officiels où l’oncoche une case et pas la voisine, il enva de même pour retraite et activitéprofessionnelle.

Une occasion qu’on saisit…Ainsi, ma retraite avait commencéavant sa date officielle : une CPA (ces-sation progressive d’activité) avait déjàintroduit dans la période laborieuse desblancs, des espaces, distendu le maillagedes obligations, desserré le carcan. Etje ne parle pas seulement de tempslibéré, mais aussi d’investissement plusléger, presque ludique, les enjeux atté-nués ouvrant la porte au jeu… Devantle retour de telle activité, je me disaisque je la pratiquais pour la dernièrefois, et elle en devenait un peu autre…J’étais encore là, présente, mais à

d’absolument nécessaire : c’était uneopportunité, je verrais bien…Me retournant vers cette décision àlaquelle je n’ai pas mûrement réfléchi,je lui trouve pourtant une certainesignification dans ma vie, en termes decontinuité, de changement, et de tri-cotage des deux processus.

La vertu des agendasContinuité, d’abord, par la conserva-tion d’un rythme : sans doute ne suis-je pas très douée pour la liberté, maisinventer chaque matin ce que l’on vafaire, sans rien de régulier, de déjà enplace, qui ponctue le déroulement dutemps, cela me paraît difficile. Commesi le retour, même espacé, de certainesactivités auxquelles on va se rendrequ’on en ait envie ou pas, parce qu’ons’y est engagé et que d’autres vous yattendent, contribuait par lui-mêmeà construire du sens. Ce n’est pas unhasard si le support des dates quenous fixons avec les autres s’appelle

quelque distance, l’obligation prenant,par la conscience de sa fin imminente,comme un parfum de gratuité.Anticipation de la retraite, donc, dansl’activité professionnelle. Et, surtout,poursuite d’une activité autre que deloisir dans la retraite. Celle que j’aientreprise pourrait être décrite entermes de recherche, de projet, de déci-sion « cette histoire mythique vers quoitend la vie dès qu’on la raconte », ditheureusement Camille Laurens. Il mesemble plus juste de parler de hasard,de glissement, peut-être d’intuition ?J’avais toujours aimé écrire et faireécrire, il n’y avait pas d’atelier d’écri-ture dans le programme varié del’« université inter âges du Dauphiné »(UIAD), j’ai proposé d’en ouvrir un, ila démarré en octobre 1997 (j’étais à laretraite depuis le premier septembre).Je n’ai pas eu le sentiment de me hâter,de me précipiter dans quelque chose

« agenda » : ces « choses à faire » sontdes jalons dans la fuite des jours ; cer-tains, dont je suis, apprécient les petitssignes à la fois exigeants et amicauxqu’elles vous envoient de loin en loin.Continuité encore dans le fait de par-ticiper à une institution. Je n’ai jamaisbeaucoup adhéré au discours qui stig-matise la rigidité des institutions, leurlourdeur, leurs règles inutiles, le car-can dont elles emprisonneraient lejaillissement de l’invention indivi-duelle, l’alibi qu’elles offrent à laparesse et à la peur. Tout cela existe,mais il n’empêche qu’il n’y a rien deplus humain que la dynamique insti-tuante. J’en garde une sympathie pourles institutions qu’elle fait naître etdont il dépend de nous qu’elles vivent.Hors de toute institution, peut-être mesentirais-je un peu orpheline (est-ce,tout bêtement, parce que je suis néeentre les murs d’une école ?).Continuité, surtout, parce qu’il s’agis-sait encore d’enseignement, ou plu-tôt de formation. J’aimais transmettre(transmettre en classe la richesse dela langue française ou, en formationd’enseignants, le « bon usage » del’évaluation), initier d’autres per-sonnes à un domaine, agir sur leursreprésentations mentales, contribuerà leur transformation. La relationqui se crée par savoir interposé m’atoujours semblée particulièrement…savoureuse, que j’occupe la place del’élève ou celle du maître. Ancienneélève, je garde un souvenir reconnais-sant de ceux qui m’ont permis - quelsque soient par ailleurs leurs défauts,leurs faiblesses - de construire les atti-tudes mentales, les connaissances, lescompétences concrètes grâce aux-quelles je suis qui je suis. J’ai pro-bablement joué parfois un rôlesymétrique auprès de mes élèves dusecondaire ou d’enseignants en for-mation. Même si je suis persuadéequ’il vaut mieux quitter les chosesavant qu’elles ne vous quittent, iln’était pas encore mûr, pour moi, à60 ans, de sortir de cette chaîne dela transmission, qui nous prolonge,vers l’amont et l’aval, parmi lesautres hommes.

Inventer chaque matin ce que l’on va faire, sansrien de régulier, de déjà en place, qui ponctue ledéroulement du temps, cela me paraît difficile.

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D’autres gratificationsBeaucoup de continuité, donc. Un peude changement aussi, même s’il paraî-tra modeste aux adeptes de la rupture.En quoi consiste-t-il ?D’abord, en tant que bénévole et nonplus salariée, je vis différemment letravail: ni plus superficiel ni désinvolte,il en est plus libre, plus continûmentchoisi, peut-être plus fier (« On ne mepaierait pas pour ce que ça vaut, je pré-fère le donner ! »). Cela autorise, parailleurs, la gratification : je ne suis pasrétribuée en argent, mais en plaisir defaire, de continuer à vivre intellec-tuellement, d’être d’une certaine façonutile, en reconnaissance par les per-sonnes. Un troc, finalement, que j’es-père à peu près honnête.Le changement est aussi dans lecontenu, la matière de l’activité, mêmesi, ex-professeur de français, je ne mesuis pas, avec des ateliers d’écriture,considérablement éloignée de mon ter-rain initial. En fait, les ressources quej’utilise ici ne doivent pas grand-choseà la formation traditionnelle des ensei-gnants de français. C’est à l’occasionde rencontres personnelles, de stages,de lectures, et de ma propre activitéd’écriture que je me suis bricolé unpetit arsenal théorique et pratique oùprennent naissance mes propositions,dans un éclectisme tranquille par rap-port aux écoles ou aux tendances aux-quelles je me suis frottée. Enseignanteen activité, je serais tenue à plus derigueur et de cohérence, ou plutôt àune cohérence imposée de l’extérieurexcluant peut-être certaines synthèses:fabrication technique ou expression desoi, mon expérience me dit que c’estcompatible, personne n’exige que jetranche entre les deux.D’autre part, les objectifs, les pro-grammes, les examens ne m’autori-saient pas, quand j’enseignais, à faireautant que je l’aurais voulu la seulechose que j’aimais vraiment : inciterà l’écriture, faire découvrir l’usagecréatif, et pas seulement informatif ouutilitaire, du langage. Dans mes ate-liers à l’UIAD, je peux ne faire que ceque j’aime, à charge seulement d’ap-prendre aux autres à l’aimer.Ce qui change aussi, ce sont les élèves,par l’âge évidemment, et plus encorepar les conditions : eux aussi sontvolontaires, hors obligation scolaire.Leur appétit, leur curiosité, leur dis-ponibilité, leur enthousiasme, sontceux dont tout enseignant a pu rêverquand sa vocation s’éveillait. Leurattente - enrichissement personnel etnon qualification - colore aussi diffé-

remment la conduite de l’activité. Ensomme, ces ateliers d’écriture àl’UIAD me permettent d’enseigner ceque j’aime, comme j’aime, à des élèvesdésireux de l’apprendre: un idéal rare,il faut bien le reconnaître, de la situa-tion pédagogique !Activité/retraite, continuité/rupture:il me semble que ces oppositions tran-chées n’aident pas à comprendre… Leciel s’assombrit, mais le jour est encorelà, et l’entrée dans la nuit sera indéci-

dable… La métaphore vient me rap-peler que, parlant de la retraite, nousparlons aussi implicitement de lavieillesse et de la mort qui vient. Maisceci est une autre question, le déve-loppement d’un autre processus (com-mencé) et l’invite à d’autres textes.

Odile Veslin, professeure à la retraite.

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Des organisations pour agirLe défi de demain sera d’offrir des modes d’insertion sociale aux plus de 75 ans qui ne seront pas dépendants. (Robert Rochefort, directeur du CREDOC, Le Monde, 14.9.2003).

- La première uunniivveerrssiittéé dduu ttrrooiissiièèmmee ââggee est ouverte à Toulouse en1973 ; depuis, et pour éviter de refaire des ghettos de personnes âgées, lesappellations d’« université tous âges » ou « inter-âges » ou autres « univer-sités du temps libre » ont prévalu. On y reprend souvent un slogan quivient du Japon : « on commence à vieillir quand on a fini d’apprendre ».Leur intérêt est double : entretenir l’activité intellectuelle pour luttercontre le vieillissement, et sortir de l’isolement tout en trouvant une imagede soi plus valorisante.

Il y en a une cinquantaine, certaines fonctionnent comme départementd’une université, d’autres sont des structures créées spécifiquement. Lesactivités débordent souvent le cadre universitaire de cours ou conférencespour comporter par exemple du bridge, de la sophrologie, de l’aquagym,des activités artistiques, ou tout simplement du tourisme. En même temps,les universités populaires, nées au XIXe siècle, se développent à nouveau.

- Le GGrroouuppeemmeenntt ddeess rreettrraaiittééss éédduuccaatteeuurrss ssaannss ffrroonnttiièèrreess (GREF) aété créé (avec l’appui de L. Jospin) en 1989, sur une idée de Gabriel Cohn-Bendit après que, quittant le lycée expérimental de Saint-Nazaire dont ilavait été un instigateur, il était allé enseigner un an au Burkina-Faso.L’actuel président est Yannick Simbron (voir encadré ci-contre).

- Les CCEEMMEEAA, en lien avec l’Unesco, mènent en Afrique des actions consa-crées à la petite enfance, par exemple la création de centres d’accueil.

- LLiirree eett ffaaiirree lliirree désigne une vaste opération qui repose sur le plaisir delire et le lien entre les générations. L’idée est née à Brest en 1984, d’un insti-tuteur qui cherchait de l’aide pour faire vivre la bibliothèque de son école.Elle a été relayée par l’« Office des retraités brestois », puis développée auplan national en 1999 par Alexandre Jardin, appuyé sur un collectif d‘écri-vains, dont Philippe Delerm et Tahar Ben Jelloun. Des associations départe-mentales, en lien avec la Ligue de l’enseignement et l’UNAF, coordonnent lesactions, dont les formes sont diverses. Des retraités bénévoles, enseignantsou non, vont dans les écoles, après la classe ou à l’heure du déjeuner, racon-ter des histoires, en lire et faire lire les enfants, les aider pour leurs devoirs,selon le projet d’école. L’opération, sponsorisée par quelques grandes entre-prises est un succès ; plus de 4000 écoles, plus de 10000 bénévoles sont main-tenant concernés, des stages de formation sont organisés.

Adresses utiles : • GREF, 3, rue de la Chapelle, 75018 Paris. Tél. 01552690 10.

• CEMEA, Fédération internationale, secteur petite enfance, 24, rue Marc-Seguin, 75018 Paris.

• Institut national pour la retraite active, INRAC, 21, rue d’Hauteville, 75010 Paris.

• Lire et faire lire, 10, boulevard Edgar-Quinet, 75014 Paris.

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Le GREF : êtreretraités maisrester actifs« Constitué dans un esprit desolidarité, de partenariat etd’échange, le GREF propose sa contribution bénévole, dansles domaines éducatifs, à tous les projets qui visent, dans unesprit de laïcité, à : promouvoirune éducation qui permette le meilleur développement despotentiels individuels, favoriserl’apprentissage concret de la démocratie, encourager lelibre réinvestissement des savoirs acquis au service de la collectivité. » Telle est la première phrase de la charteconstitutive de l’association.

Aujourd’hui le GREF regroupeprès de 800 adhérents organisésen délégations régionales ; seschamps d’intervention sontdivers :

- La francophonie, en appui àune pédagogie de la citoyenne-té et de l’éducation à la démo-cratie, à une revivification desvaleurs de liberté, égalité, fra-ternité et solidarité ;

- L’aide aux systèmes éducatifsdes États pour qu’ils atteignentl’objectif de l’éducation pourtous définie par l’ONU à Dakaren 2000 ;

- L’appui aux écoles communau-taires non formelles pour que lespopulations s’approprient leursécoles, dans leur langue ;

- La création de centres de res-sources, lieux de formation etd’aides diversifiées aux initia-tives locales ;

- La formation professionnellecomme enjeu du développe-ment de l’action sociale enmatière de santé, d’hygiène,d’environnement, de loisirs.

Le GREF agit aussi en Francepour des actions d’éducation audéveloppement en s’appuyantsur son expérience internationa-le et pour des initiatives socialeslà où les pouvoirs publics sontabsents.

Repenser la vie professionnelleLes enseignants vieillissent-ils autrement que les autres ? Si de nombreuses études montrent que leur métier les a gardésen bonne santé pour la retraite, la lassitude qui peut lesenvahir, s’installer au fil des années, mériterait d’être mieuxprise en compte. On néglige le plus souvent d’organiser un peuplus les étapes de la vie professionnelle comme d’assurer latransmission de l’expérience : par exemple, pourquoi ceux quipartent en retraite ne laisseraient-ils pas à leurs successeurs ouà l’établissement une partie au moins de leur documentationscientifique ou pédagogique ?

Comment vieillissentles enseignants ?Catherine R. Thomas Anthérion

Il y a de quoi être optimistes : les enseignants, en dépit de leur sentiment de fatigue, ont plus d’atouts que d’autres pourbien vieillir !

Ce titre en forme de questionpeut paraître insolite et mêmeimpertinent : les enseignants ne

vieilliraient donc pas de la même façonque leurs contemporains ?La question se pose à la lumière desconnaissances nouvelles concernant levieillissement cognitif physiologique etpathologique. Avec l’âge peut apparaîtreune modification significative des per-formances cognitives mais sans que cesoit constant: cela dépend des sujets etsurvient à des âges variables. Ajoutonsque le risque de trouver ses capacitéschangées augmente avec le niveau d’exi-gence, la tendance à comparer ou nonses performances actuelles à celles devingt ans en arrière ou à celles d’unconjoint ou d‘un collègue plus perfor-mant, ou encore avec l’oubli de ses capa-cités antérieures parfois déjà déficientes!

La mémoire se transformePhysiologiquement, le langage nechange pas globalement avec l’âge. Denombreux travaux de psycholinguis-tique, parfois longitudinaux, ont mon-tré que l’on conservait bien avec l’âge

son niveau de vocabulaire, sa connais-sance de la syntaxe, ses capacités àdénommer, à produire des mots entemps limité, son orthographe, etc. Ducôté de la mémoire, les performancesen mémoire immédiate, tout en restantcorrectes, sont moins bonnes que lerappel des souvenirs anciens (on estincapable de se rappeler ce qu’on amangé la veille et l’on se souvient deson repas de première communion! Oul’on peut encore réciter les poésiesapprises dans l’enfance). Certainsdomaines sont fragilisés, comme le sou-venir des noms propres qui s’émousseen moyenne vers cinquante ans : cer-tains enseignants savent bien quequelques années avant la retraite (pourcertains, longtemps avant !), ils avaientplus de mal à mémoriser les noms desélèves qu’avant, et d‘autres n’ont res-senti cette gêne qu’après la retraite.Lorsqu’on restitue un souvenir, on pro-cède par évocation (rappel libre : cematin j’ai rencontré madame Martin), ouon est aidé par un indice (rappel indicé:il s’agissait d’une dame habillée en rouge:

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c’est madame Martin), ou encore onreconnaît le bon item parmi d‘autres(reconnaissance: s’agissait-il de madameMartin ? Madame Dupont ? MadameDurand ?). Avec l’âge, le rappel librepeut être déficitaire, mais le rappelindicé et la reconnaissance permettentd’avoir des performances normales.C’est pourquoi on prend davantage denotes, on utilise plus d‘associationsd’idées, on s’aide d’indices, du contexteoù l’on a appris l’information (J’ai ren-contré quelqu’un, mais qui ? C’était aumarché… Ah oui, madame Martin y vaà la même heure que moi) pour restituerun souvenir. On fonctionne aussi bienmais différemment.Par ailleurs, les ressources attention-nelles connaissent un certain ralen-tissement, une plus grande sensibilitéà l’interférence (ne plus se rappelerce qu’on était en train de faire si onest dérangé), des difficultés à faireplusieurs choses à la fois, une concen-tration moins bonne. Ces mêmes dif-ficultés s’observent chez les sujetsanxieux qui sont particulièrementsensibles au vieillissement physiolo-gique. L’apprentissage d’une capaciténon travaillée depuis longtemps peut

poser problème, comme par exemplela remise à l’anglais que l’on n’a paspratiqué depuis le lycée !En dehors de ce vieillissement cognitifphysiologique (somme toute modeste)auquel peuvent s’ajouter des facteursintercurrents tels que l’apparition deproblèmes sensoriels, on décrit dessujets présentant des troubles cognitifslégers qui peuvent développer dans lesannées à venir une maladie d’Alzheimeret qu’il convient donc de surveiller. Etbien sûr, demeure le spectre du vieillis-sement pathologique avec la survenued’une maladie d’Alzheimer.C’est en étudiant cette maladie, en par-ticulier du point de vue épidémiolo-gique, que l’on a été amené à se poserla question du rôle du niveau socio-culturel (c’est-à-dire essentiellementdu niveau d‘études des sujets et plusrarement de leurs activités profes-sionnelles ou de loisirs) comme facteurde risque de la maladie.

ayant donné leur accord) du point devue cognitif. On a en particulier cher-ché si les sujets développant un étatdémentiel se distinguaient de ceux quirestaient indemnes par les activitéspratiquées telles que la lecture, lesvoyages ou la garde des petits enfants.Résultat, l’activité la plus « payante »est le jardinage, avec tous les com-mentaires possibles comme le carac-tère apaisant, dynamisant, équilibrantde cette occupation somme toute peuintellectuelle !Une chose reste sûre, le cerveau n’estpas un muscle! On a montré ainsi quesi des sujets pouvaient développerpar un « entraînement intensif » descapacités mnésiques, celles-ci res-taient « hyperspécifiques ». Parexemple, des sujets jeunes étudiantsont pu apprendre de façon immédiatedes listes de près de 80 mots (alorsqu’ils n’en retenaient spontanémentque 9), essentiellement grâce à des

Contre Alzheimer, lecture oujardinage ?Dans un grand nombre d’études, ilapparaît qu’un haut niveau scolaire(baccalauréat puis études supérieures)« protège » de la survenue de la mala-die d’Alzheimer, alors que l’illettrismeest un facteur favorisant. Les auteursne s’accordent pas complètement: seloncertains, le développement des réseauxneuronaux diffère selon les sujets enfonction des stimulations cognitives ;pour d’autres, la majorité, un sujet dehaut niveau culturel a simplement plusde capacités adaptatives si la maladiesurvient ; en résumé, les sujets de hautniveau culturel « feraient » autant lamaladie que les sujets les moins ins-truits, mais la survenue de celle-ci seraitdécalée dans le temps.Ces données alimentent ainsi l’idéeque l’on peut développer son cerveau,entraîner sa mémoire, retarder l’appa-rition de la maladie d’Alzheimer.L’étude épidémiologique PAQUID(en région Aquitaine) suit depuismaintenant plus de dix ans près de3 000 sujets de plus de 65 ans sélec-tionnés sur les listes électorales (et

techniques d’imagerie mentale, maisne profitaient de ce gain dans aucuneautre tâche de mémoire ! Dans ce sens,le fait d’apprendre par cœur des poé-sies ne « relance » en rien la mémoire ;pire, cela déprime les personnes n’yparvenant pas, qui avaient déjà le plussouvent des difficultés étant enfants,ou qui n’ont rien appris « par cœur »depuis longtemps. Par contre, réap-prendre les fables de La Fontaine avecses petits-enfants ne peut que déve-lopper la concentration, la motivationet le plaisir.Toutes les activités commele scrabble, le bridge, la poursuite decours doivent être entreprises avant toutpar plaisir, pour se motiver, se stimuler,développer son attention et par contre-coup elles retentiront positivement surla mémoire; en aucun cas elles ne doi-vent l’être sous la contrainte. Les sujetsisolés, repliés sur eux-mêmes, serontévidemment moins préservés du pointde vue cognitif.

Des enseignants décidémentfavorisésLe fait d’avoir un certain niveau cul-turel facilitera la curiosité, le choixmultiple des activités. Il permettraaussi de mieux mettre en place desstratégies opérantes pour la mémori-sation si besoin, comme la prise denotes, la rédaction d‘un journal, lerecours à des associations d’idées, desindices, des moyens mnémotechniquesou au contexte. L’aide proposée dansdes ateliers mémoire sera d’autant plusprofitable. En ce qui concerne l’atten-tion, le recours à des méthodes derelaxation, de yoga voire de sophro-logie, les activités du type gymnastiquedouce, chorale, activités artistiques,seront très utiles. Malheureusement,elles ne s’adressent souvent qu’à unepopulation ayant un certain bagageculturel et une curiosité intellectuellede longue date. En somme, les ensei-gnants ne vieillissent probablement pasdifféremment du reste de la popula-tion… mais ont un niveau d’exigenceet une « éducation » qui les rendentpeut-être plus aptes que d’autres àcompenser les modifications cognitivesdues à l’âge.

Catherine R. Thomas-Antérion,neurologue, CHU de Saint-Étienne.

80 les cahiers pédagogiques n° 429-430, janvier-février 2005

Une chose reste sûre, le cerveau n’est pas unmuscle ! On a montré ainsi que si des sujets

pouvaient développer par un « entraînementintensif » des capacités mnésiques, celles-ci

restaient « hyperspécifiques ».

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De la retraite

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Tenir comptedes fragilitésLa MGEN verse des allocationsjournalières à ceux de sesmembres qui ont des arrêtsmaladie cumulés de plus de troismois dans la même année ; celaconcerne 2,2 % de ses adhé-rents, ils ont plus de 50 ans pourla moitié d’entre eux, pour unedurée moyenne de 143 jours(161 pour les hommes et 136chez les femmes), contre 102 il ya cinq ans. « On remarque unépuisement, en particulier chezles adhérents de plus de 50 ans,un phénomène de burn-out,d’usure et de grossesdifficultés » par rapport à la ges-tion de la classe. Et cela est évi-demment à confronter avec lesallongements de carrière prévus.Cependant, la directrice de lafondation MGEN pour la santépublique estime qu’en matièrede santé mentale il n’y a « aucu-ne différence entre enseignantset non-enseignants » et que,« quand différence il y a, ce sontles non-enseignants (les ouvriersnotamment) qui ont le plus deproblèmes ». Les enseignantsont « des mécanismes compen-satoires propres », les vacances,une vie sociale et culturelleriche. Mais la MGEN lance uneétude longitudinale sur unecohorte d’enseignants « pourvoir comment se construit leurfragilité sur vingt, trente ouquarante ans » (Lettre de l’édu-cation, 5.4.2004).

Le problème se pose peut-êtrede façon particulière pour lesenseignants d’EPS. Un IPR hono-raire cite le cas d’une enseignan-te qui refuse après 50 ans de semettre en maillot de bain ; ilpropose une « bivalence àdouble détente » qui permet-trait aux enseignants d’EPS depasser à une autre discipline àpartir de 45 ou 50 ans (Hyper,association des enseignantsd’EPS, mars 2004).

J.G.

Aux yeux de l’employeur qu’estle ministère de l’Éducationnationale, l’enseignant de vingt-

cinq ans et celui de cinquante-cinq sonttotalement interchangeables. L’un etl’autre peuvent être nommés dans lesmêmes établissements, dans les mêmesclasses, dans les mêmes conditions.L’administration du ministère ne tientaucun compte des caractéristiquespersonnelles. C’est l’enseignant quidemande son affectation. Et le choixfinal se fait sur des critères qui n’ontque peu à voir avec les données qui par-ticularisent les professeurs.Aucune entreprise productrice debiens ou de services ne fonctionne decette façon. La plupart des servicespublics, quelle que soit leur nature, nefonctionnent pas non plus ainsi, en netenant aucun compte des qualités despersonnes. Il ne s’agit pas pour autantde considérer qu’ailleurs tout est par-fait, mais on peut se demander néan-moins comment de telles différencesdans le management des personnelspeuvent exister.

Quelle adéquation entre les posteset les personnes?La principale raison, c’est bien sûr queles personnels, même s’ils regrettentindividuellement une telle situation,en déplorant qu’on ne prenne pasmieux en compte leurs caractéristiquespropres, sont attachés à ce mode degestion et soutiennent massivementlors des élections professionnelles lesorganisations syndicales qui ne veu-lent pas changer cet état de fait.Mais il faut reconnaître aussi que per-sonne au ministère, ni dans les cabi-

nets, ni dans les inspections générales,ni parmi les cadres de l’administrationcentrale ou des services académiques,ne fait de propositions d’ensemblepour faire évoluer ce mode de gestion.Certes, il y a toujours eu la gestion par-ticulière des professeurs des classespréparatoires ou celle des enseignantsen réadaptation. Et récemment, on acréé les « postes à exigences particu-lières » (PEP). Mais cela ne constituepas une politique des personnels.Le problème de l’âge n’est pas disso-ciable, à mon sens, de l’ensemble desquestions qui touchent à la recherched’une bonne adéquation entre lespostes et les personnes. Et si, juridi-quement, ceux-ci sont quasimentinterchangeables, dans la réalité, lesuns et les autres sont, bien sûr, extrê-mement différents. Il n’y aura jamaisune politique de bonne gestion despersonnels de l’Éducation nationaletant que les responsables du ministèreet des syndicats n’accepteront pas deregarder ensemble la réalité et deconfronter leurs analyses respectives.Il y a une trop longue histoire d’aveu-glement commun pour que des solu-tions soient trouvées sans une volontéde lucidité partagée.Dans le cadre de cet article j’évoque-rai essentiellement les problèmes liésà l’âge, mais ce n’est qu’un aspectd’une question unique: celle de la ges-tion des personnels.

Une heure n’est pas une heure…

Le verrou fondamental, à faire sauterdans tous les cas de figure, c’est lanotion d’heure d’enseignement. Tantque le service des enseignants sera

Jouer sur lesfonctions et sur les tâchesYvon Robert

À vingt-cinq et à cinquante-cinq ans, on n’a pas la mêmeexpérience, ni la même énergie, les mêmes goûts, intérêts,soucis et désirs… L’administration pourrait-elle tenir compte deces caractéristiques ? Oui, dit cet inspecteur en retraite, àcondition de faire sauter le verrou de la gestion centralisée etaveugle des personnels.

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défini exclusivement en heures d’en-seignement, tant que le groupe classesera défini en heures d’enseignement,tout comme le temps quotidien, heb-domadaire ou annuel des élèves, toutcomme le fonctionnement des établis-sements scolaires, il ne sera pas pos-sible de progresser. Tant que tous lesdiscours ministériels, (en tout cas ceuxdestinés au grand public) se réduirontà des déclarations martiales sur lessavoirs fondamentaux qui ne cessentde se perdre, le primat des heures d’en-seignement l’emportera sur tout etrégira cette uniformité absurde dumétier d’enseignant.Or chacun sait bien, à commencer parles enseignants eux-mêmes, que lesheures d’enseignement ne sont pasidentiques et ne peuvent donc pasconstituer une unité de compte homo-gène. Il y a des heures où l’enseignantdélivre un savoir de façon magistrale,d’autres où il dirige des travaux indi-viduels, rend compte d’un devoir. Ily a des heures où les élèves « prati-quent », dans des laboratoires de phy-

sique, de sciences ou de langues, desheures où ils écrivent, seuls ou engroupes ou encore répondent à desinterrogations orales individuelles oubien réalisent des recherches docu-mentaires…Aujourd’hui, c’est à chaque enseignantqu’il appartient d’organiser, seul, larépartition de toutes ces tâches au seinde son horaire de travail individuel.Bien sûr, on rencontre de nombreuxenseignants qui essayent de les organi-ser en partie collectivement. Mais c’està eux d’en prendre l’initiative. Les res-ponsables d’établissements n’ont paspour mission d’intervenir dans cedomaine. Ils peuvent inciter avec pru-dence, impulser avec diplomatie,entraîner par charisme. Mais il suffitde quelques changements de personneset les organisations les plus intéres-santes et les plus novatrices disparais-sent aussitôt pour n’être reconstruitesplus tard, peut-être, qu’avec beaucoupde temps et de difficultés. Personne nereconnaît, ni en termes de promotion,

tudes des uns et des autres : on pour-rait ne pas faire la même chose toutesa vie d’enseignant ; on a, par exemple,souvent plus d’énergie, pour « tenir »une classe à trente-cinq ans qu’à cin-quante-cinq. Selon les périodes de lavie professionnelle, un enseignantpourrait consacrer plus de temps qued’autres à suivre individuellement lesélèves, à diriger des recherches docu-mentaires ou des travaux pratiques, àfaire des interrogations orales…Je sais bien que cela est extrêmementcomplexe à mettre en œuvre et sup-pose, pour les représentants de l’auto-rité comme pour ceux des personnels,une capacité à négocier les conditionsde travail tant au niveau local qu’auniveau national. Je sais bien qu’il y fau-dra du temps. Mais si on pense quele travail des enseignants, dans sesdiverses modalités, a des conséquencessur la réussite des élèves, il est néces-saire de s’engager dans une telle direc-tion, en commençant par une analyseexhaustive, dans le métier d’ensei-

ni en termes de rémunérations, les qua-lités de ceux qui savent mieux qued’autres proposer et mettre en placedes modes de travail plus efficaces pourla réussite des élèves et plus satisfai-sants pour les personnels.Personne ne contestera que présen-ter un savoir devant une trentained’élèves qu’il faut convaincre et dontil faut capter l’attention à chaque ins-tant ne nécessite pas les mêmes qua-lités que de corriger oralement etindividuellement des devoirs pour queles erreurs soient comprises et évitéeslors des devoirs suivants.

Engager des expérimentationsIl ne s’agit en aucun cas de réserver destâches en fonction des âges - et il n’ya pas que les problèmes liés à l’âge !Mais s’il était admis qu’au lieu d’adop-ter l’unique fonctionnement en heuresun établissement avait la liberté d’or-ganiser les tâches de ses personnels enfonction d’objectifs définis, il seraitplus facile de prendre en compte,enseignant par enseignant, les apti-

gnant, des tâches possibles et utilespour les élèves.Il est clair aussi que de tels change-ments ne se décrètent pas et ne peu-vent en aucun cas être mis en œuvredans tous les établissements au mêmemoment. Il faut s’engager dans un tra-vail de recherches et d’expérimenta-tions faisant l’objet d’évaluationsrigoureuses, et en même temps dansune politique d’incitation active enversles personnels qui sont demandeursd’autres modalités de travail.

Explorer les facettes du métierBien d’autres questions, au-delà de ladiversité des tâches des enseignants,mériteraient d’être revues. Je ne pro-poserai ici que quelques pistes qui doi-vent être approfondies.Il convient, par exemple, d’introduiredans les établissements secondaires,dans toutes les disciplines, la notiond’enseignants associés, comme dansl’enseignement supérieur. Les ensei-gnants pourraient ainsi rencontrer pro-fessionnellement des salariés d’autresunivers, ce qui pourrait déboucher pro-gressivement sur des possibilités demobilité professionnelle.S’il faut permettre à des enseignantsde changer de métier après vingt ouvingt-cinq ans d’exercice, il faut aussique des salariés puissent devenir ensei-gnants après vingt ou vingt-cinq ansd’une autre activité professionnelle. Ilfaut, bien entendu, que dans ce cas ilssoient rémunérés comme s’ils étaientenseignants depuis le début de leur vieprofessionnelle.Il est aussi nécessaire de multiplier lesfonctions complémentaires à celle del’enseignement stricto sensu, outre cellesde chef d’établissement ou d’inspec-teur. Il y a des responsabilités pédago-giques à définir dans les établissements:on pourrait d’abord « enrichir » la notionde professeur principal, créer des res-ponsables de niveau ou de disciplines…Permettre d’être à la fois documenta-liste ou conseiller principal d’éducationtout en étant enseignant d’une disci-pline dans une classe… Et pourquoi lesproviseurs, les principaux, les inspec-teurs, les formateurs, les conseillerspédagogiques ne continueraient-ils pasà exercer des activités d’enseignement?Cela changerait aussi bien leur imageque celle des enseignants, et influeraitnotablement sur les relations entre lesuns et les autres. Dans un hôpital, lechef de service reste un médecin…Pour finir ce trop bref article qui n’ad’autre objectif que d’appeler audébat, j’évoquerai les débuts et les fins

82 les cahiers pédagogiques n° 429-430, janvier-février 2005

Selon les périodes de la vie professionnelle, un enseignant pourrait consacrer plus de temps

que d’autres à suivre individuellement les élèves,à diriger des recherches documentaires

ou des travaux pratiques, à faire des interrogations orales…

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de carrière. Si nous souscrivons à uneconception diversifiée du métier deprofessionnel de l’enseignement et del’éducation, préoccupons-nous parti-culièrement de l’entrée dans le métier.La formation initiale doit être assuréesur plusieurs années et ne pas com-mencer seulement après les concoursde recrutement. Une formation pro-fessionnelle comportant des temps depratique de la classe devrait com-mencer dès la deuxième année desétudes supérieures.De même il faut trouver des modali-tés de fin de carrière beaucoup plusétalées. Ne pourrait-on imaginer que,sous certaines conditions, des retrai-tés, y compris de l’enseignement, puis-sent continuer à assurer des activitéséducatives rémunérées dans les éta-blissements scolaires ?M’objectera-t-on la déréglementationqu’on introduirait par ces pratiques? Jedirai d’une part que je suis convaincuqu’on peut suivre une formation pro-fessionnelle à tout âge et qu’aucune règlene doit être immuable. D’autre part, quetoute nouvelle règle doit absolumentêtre négociée avec les représentants despersonnels et doit être assortie de bienplus de marges de liberté qu’elle n’encomporte aujourd’hui.

Yvon Robert 1, ancien chef de l’inspection généralede l’administration de l’Éducationnationale.

De la retraite

83les cahiers pédagogiques n° 429-430, janvier-février 2005

1 Yvon Robert avait été nommé par Alain Savary directeurdes personnels enseignants.

Aujourd’hui, et depuis la créa-tion des IUFM, entrent dansl’Éducation nationale des per-

sonnes au parcours professionnel etpersonnel de plus en plus riche etdiversifié. Mais que devient ce par-cours une fois que l’on franchit laporte de la grande maison ? Y a-t-ilmoyen pour les enseignants de modu-ler leurs fonctions, leurs responsabi-lités au fil de leur carrière ?Il me semble que l’implicite qui prévautc’est: « On est instituteur à vie, sinon, c’estqu’on n’a pas la vocation ! » On peutpourtant être passionné par son métieret en avoir un jour assez. Envie d’évo-luer vers d’autres horizons, de déve-lopper de nouvelles compétences… Lagestion quotidienne du groupe, les sol-licitations constantes, la pression desprogrammes, la prise en compte desélèves en difficulté, le travail en équipe,l’écoute des parents… N’y a-t-il paslà de quoi être fatigué au bout de dix,quinze, vingt ans de carrière?

Comment faire autre chose?L’Éducation nationale manque delieux où cette lassitude puisse êtreentendue. Bien sûr, il y a, encore troprares à mon goût, des stages de for-mation continue sur la difficulté dumétier, des groupes d’analyse des pra-tiques, des cellules d‘écoute dans lesrectorats… En dehors de ces lieux,mieux vaut se méfier de ce que l’onraconte de sa fatigue et à qui on le dit.Cela ne fait pas partie de la culture dela maison !Il y a bien sûr ce qu’au fil des ans jereconnais comme un réel privilège (aurisque de faire bondir quelques-uns…),ce temps de vacances où je peux rechar-ger les batteries, prendre du recul,penser à autre chose, participer aux ren-contres Crap… et puis quand je serai àla retraite…Mais si se ressourcer pouvait êtrechanger d’orientation, faire autrechose ? Pour un instituteur, il existe

quelques possibilités. Devenir maîtred’application ou conseiller pédago-gique, mais ce n’est pas donné à toutle monde… S’orienter vers l’AIS etdevenir psychologue scolaire ourééducatrice ? Lorsqu’une collègues’engage dans cette voie, très souventles ex-collègues lui demandent : « Ahoui, tu as changé ? Tu en avais marre dela classe ? », avec parfois une pointed’envie et de jalousie à l’égard de ceuxqui ne travaillent qu’avec un petitnombre d’élèves… Quant à assurerquelques heures de formation conti-nue ou de formation initiale et parta-ger ses expériences avec d’autrescollègues, depuis la fin des Mafpen,c’est bien difficile.Il reste à inventer des chemins moinsuniformes, des parcours plus souples.Se ressourcer, ce pourrait être sortir desa classe de temps en temps, allerquelques heures auprès d’un collèguepour travailler en collaboration, pourobserver (il faudrait alors un institu-teur supplémentaire dans l’école). Ouencore avoir la possibilité de mener unprojet personnel dans le domainesocial, culturel, artistique… Les congésmobilité, formation et disponibilitédevraient alors être plus accessibles àtous, avec cumul des salaires pour lespersonnels exerçant à mi-temps.Bref, il faut favoriser davantage lamobilité et permettre le contact avecune autre réalité que celle de l’école.Pour ma part, je suis à mi-temps cetteannée et fort heureuse de l’être !

Blandine Triplet, professeure des écoles depuis quinze ans.

Envie d’autrechose…Blandine Triplet

Un sentiment de lassitude peut saisir quelqu’un qui aime sonmétier : quelles voies existent pour l’enseignant désireux de semesurer à de nouvelles tâches en diversifiant ses compétences?

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Seconde carrière des enseignantsD’après la lettre de VousNousIls du 10 décembre 2004 (http://www.vousnousils.fr), des projets de décrets prévoient qu’à partir de la rentrée 2005 des enseignants, justifiant d’au moins quinze ans de services d’enseignement, pourront être détachés pour une année renouvelable dans les administrations, les collectivités territoriales et les établissements publics administratifs

Les candidats seront sélectionnés par une commission d’instruction etd’orientation, créée auprès des recteurs qui statuera sur la demande.

À l’issue de son année de détachement, l’administration d’accueil déciderad’intégrer immédiatement l’enseignant, de le renvoyer à son corps d’origine ou de le maintenir en détachement une année supplémentaire.

Indicationsbibliographiques

Xavier Gaullier, Les temps de lavie. Emploi et retraite. ÉditionsEsprit, 1999.

Xavier Gaullier, La protectionsociale et les nouveaux parcoursde vie, Esprit, février 2001.

Vincent Gourdon, Histoire des grands-parents,Perrin, 2001. Un gros livre (460pages), très érudit, qui porte sur-tout, à cause des sources dispo-nibles, sur les famillesbourgeoises, depuis leXVIIIe siècle. C’est une véritablehistoire de la vie quotidienne etdes rapports entre générations.

Jean-Michel Gaillard, Heurs et malheurs de la retraitepour tous, L’Histoire,octobre 2003.

Claude Olivenstein, Naissance de la vieillesse, OdileJacob, 2000. Une interrogation,une méditation, sur le vieillisse-ment. La vieillesse est différentepour chacun, « la conquête d’uneliberté est l’apanage d’unevieillesse réussie ». « Le début dela vieillesse est pour beaucoupl’heure de la vérité sentimentaleou affective. »

Un vrai programmeXavier Gaullier

Nous emprunterons à Xavier Gaullier ce programme d’études, qui devrait être un véritableprogramme d’action.

Plutôt que de voir le vieillissementde la population comme unecatastrophe, il serait préférable de

le voir comme un ensemble de défis àrelever qu’on ne peut qu’énumérer ici.Un défi scientifique : comprendre levieillissement biologique pour tenterd’en mieux contrôler, voire d’en retar-der les effets.Un défi culturel : reconnaître que lavieillesse n’est pas une maladie, maisune étape de la vie vécue différemmentselon les pays, les époques, les géné-rations, les milieux sociaux, les sexes…Un défi social : le risque vieillesse, quipendant longtemps a été confondu

avec la retraite, comprend maintenantdeux autres problèmes : le risque finde carrière et le risque dépendance.Un défi médical : parce que le systèmefrançais de santé est presque exclu-sivement centré sur le curatif et nonsur le suivi des maladies chroniques.D’où la nécessité de substituer à uneapproche biomédicale une approcheglobale médico-sociale, et d‘évitertout autant une sous-médicalisationproche de l’abandon qu’une surmé-dicalisation de pointe peu efficace.Un défi psychologique : apprendre à gérerles différentes pulsions liées à l’âge,comme « l’âgisme » (le racisme anti-

vieux), le jeunisme, le déni de lavieillesse, la hantise de la finitude, lerejet (ou l’obsession) de la mort.Un défi idéologique et éthique : respec-ter la dignité des personnes affaibliespar les maux du corps et de l’espritdans leurs modes de vie, dans les soinsprodigués, dans leur façon de mourir.Enfin un défi démocratique : reconnaîtrele droit inconditionnel à l’existence età la qualité de la vie des personnes sansutilité sociale.

Xavier Gaullier, Revue Esprit, décembre 2003.

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FAITS & IDÉES

Un premier résultat positif de la participation detous les élèves aux cours d’EPS est de répondreau désir de pratiquer des activités physiques et

sportives malgré les altérations corporelles. On pourraitcroire que les représentations usuelles qui s’attachent ausportif, en valorisant le corps sain, « beau » et performant,dissuadent des adolescents marqués par une déficiencemotrice ou une maladie somatique de se donner à voir àleurs camarades valides dans l’exercice physique et de ris-quer des regards stigmatisants. En fait, au collègeG. Braque, tous les jeunes que nous avons rencontrésexpriment le désir d’une pratique corporelle, sportive oude loisir, et témoignent de sa pratique effective ainsi quedu plaisir qu’ils en retirent.L’intérêt des élèves pour les cours d’éducation physiqueest renforcé par les progrès qu’ils y réalisent et dont ils sontconscients. Ainsi, dans ce même collège, tous donnent sanshésiter des exemples de ce qu’ils ont appris en EPS. Lamobilisation d’un corps « handicapé » ou malade, habi-tuellement réduit à ses manques, objet de soins et de répa-rations, révèle en particulier, à ces élèves et aux autres, despossibilités de désir, de jeu et d’action qui favorisent laconquête d’une autonomie ouvrant sur l’intégration socialeet qui fondent l’exercice d’un pouvoir d’autant plus grati-fiant qu’il surprend.Sylvain (présente une dystonie 1): « Avant j’avais un handi-cap des jambes, je pouvais plus m’asseoir. Je me suis fait opé-rer, on m’a implanté des piles au niveau du bassin, avec desfils jusqu’au cerveau, ça commande mon corps. Maintenant jepeux marcher, je peux faire comme les autres. J’aime le sport,maintenant que j’en fais j’aimerais en faire plus. »Au collège P. Mendès France, la réussite en EPS des élèvesatteints dans leurs fonctions cognitives ne s’apprécie pastotalement dans les mêmes termes. En effet, pour la majo-rité de ceux qui présentent des troubles dus en l’occurrence

à la trisomie 21, la réussite est à considérer moins du côtéde la restauration d’un corps dévalué et de l’autonomie phy-sique conquise que de leurs progrès réalisés en EPS, de leursatisfaction à évoluer dans un contexte ordinaire et des rela-tions qui s’établissent avec les autres élèves. De ces pointsde vue, les enseignants d’EPS de ce collège dressent unbilan très positif, confirmé par la satisfaction exprimée parles jeunes eux-mêmes.Amélie (présente une déficience intellectuelle, ancienne élève del’UPI) : « J’aime mieux être avec les autres (pour les coursd’EPS, plutôt qu’entre élèves de l’UPI) sortir un peu de monmonde. Nous, on aimerait beaucoup mieux sortir plus souventavec eux. »Lors des cours d’EPS en situation d’intégration que nousavons observés, l’engagement des élèves de l’UPI témoi-gnait d’une motivation pour l’activité physique dans cesconditions, corroborée par leur forte participation aux acti-vités de l’association sportive de l’établissement, communesà tous les élèves (badminton, escalade…).On a pu noter que la présence des jeunes de cette UPI asuscité, au début, une certaine distance de la part des autres.Cette distance initiale, vite réduite, n’a pas existé dans lescollèges qui accueillent des élèves présentant une déficiencephysique. Dans les trois établissements, l’observation deséances et l’avis des enseignants convergent vers le constatde coopérations très positives dans l’ensemble, les élèvesrecevant, quelle que soit leur déficience, l’aide des autrescollégiens quand le besoin s’en faisait sentir.Mathieu (élève « ordinaire »): « Il y en a dans notre classe quiavaient une vision d’eux (les élèves de l’UPI, qui présentent unedéficience intellectuelle), avant, pas très bien. Et maintenant,ça va mieux. En fait en début d’année, quand on est arrivé en6e, on évitait de les approcher. Et puis maintenant, ben…Je trouve même qu’on travaille plus qu’avant. Ça nous aideplutôt qu’ils soient là. Des fois quand le professeur explique aux

Apprendre, coopérer, réussir :l’apport de l’EPS

Avec la multiplication des Unités pédagogiques d’intégration (UPI), les professeurs d’EPS des établissementsoù sont implantés ces dispositifs sont conduits à enseigner à des élèves en situation de handicap. Jean-Pierre Garel a cherché à identifier les effets de cet enseignement dans trois collèges qui accueillent desjeunes présentant une déficience motrice ou une maladie invalidante (au collège de Trémonteix, à Clermont-Ferrand, et au collège G. Braque, à Reims), et des troubles importants des fonctions cognitives (au collègeP. Mendès France, à Riom).

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Cet article complète le dossier du mois dernier (n° 428)« De l’enseignement spécialisé à l’intégration dans l’école ».

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UPI, nous, on ne le savait pas non plus et ça nous aide aussi. »Enfin, il faut noter un effet inattendu de la présence del’UPI sur la perception des facteurs handicapants qui peu-vent affecter n’importe quel élève du collège. Au collègeG. Braque, par exemple, les élèves ordinaires qui présen-tent une obésité ne sont plus soumis aux mêmes activitésque les autres quand celles-ci peuvent devenir traumati-santes. Par ailleurs ils font l’objet d’une évaluation qui metl’accent sur leurs progrès personnels. Ces adaptations onteu pour conséquence une diminution considérable dunombre de dispenses d’EPS.

Une réussite construiteLa réussite de tous les élèves en situation d’intégration neva pas de soi. Ainsi, lors d’activités qui exigent des prisesd’informations et de décisions rapides et pertinentes,comme dans les sports collectifs, certains élèves présentantd’importants troubles cognitifs sont tellement en difficultéqu’ils ne gagnent pas à être mêlés aux autres collégiens.Dans les trois collèges, les enseignants ont donc élaboré desprojets individualisés dont la souplesse permet à chacundes élèves de l’UPI de participer à des cours d’EPS en situa-tion d’intégration mais aussi à des cours « entre soi », ausein d’un petit groupe, en fonction de ses capacités et dutype d’activité physique proposée en classe ordinaire.Julie (présente une infirmité motrice cérébrale) : « C’est bienqu’ils nous aient mis cette heure (d’EPS), avec un vrai prof enplus. C’est pas quelqu’un qui vient nous faire… Non, non, ilest dans le collège. C’est un peu comme si on était les autres. »Les démarches pédagogiques sont fondées sur une concep-tion de l’intégration scolaire qui ne fait pas de la socialisa-tion un objectif exclusif. Les apprentissages ne sont pasnégligés, portant pour partie sur des contenus semblablesà ceux des autres élèves mais aussi sur des aspects plus spé-

cifiques. Ce sont, par exemple pour un élève myopathe, desconnaissances sur soi lui permettant d’apprécier les limitesd’un seuil de fatigue à ne pas dépasser, et, pour un jeune sedéplaçant en fauteuil roulant à propulsion manuelle, la com-pétence nécessaire pour se déplacer avec habileté dans sonenvironnement. L’acquisition des connaissances et des com-pétences est ainsi recherchée avec le souci de les adapter àla singularité de chacun, de conjuguer tolérances et exi-gences, de différencier l’enseignement sans perdre de vuel’accès à une culture commune.Les professeurs d’EPS des collèges considérés exprimentla satisfaction légitime d’avoir su conduire des jeunes, donttout leur disait qu’ils n’avaient guère de capacités physiquesou intellectuelles, à des performances que l’on pouvait apriori considérer comme improbables.Au-delà, il y a la satisfaction d’avoir contribué à l’épa-nouissement de ces adolescents défavorisés par le sort etd’avoir réussi à promouvoir la coopération entre des jeunestrès différents, dont certains sont particulièrement vulné-rables à l’exclusion ; ce qui, dans un contexte social et cul-turel où la capacité de vivre ensemble est une finalitéprivilégiée du système éducatif, n’est pas là le moindredes bénéfices.

Jean-Pierre Garel, professeur honoraire au Cnefei, laboratoire Relacs(recherche littorale en activités corporelles et sportives),Ulco (université du littoral Côte d’Opale).

FAITS & IDÉES

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1 La manifestation physique de la dystonie correspond à des contractions prolongées, involon-taires des muscles d’une ou de plusieurs parties du corps, entraînant souvent une torsion ou unedistorsion de cette partie du corps.

ERRATUMDans l’article d’Ignace Rak « Pour un enseignement exigeant » paru dans le dossier du n° 428, décembre 2004,deux erreurs se sont glissées :

- L’encadré de la page 31 « Missions de l’enseignement technologique » aurait dû porter le titre « Missions del‘éducation technologique ». L’enseignement technologique désigne en effet l’enseignement dispensé au lycéealors que l’éducation technologique désigne ce qui est dispensé au collège dans la discipline « technologie ».

- De plus ce texte n’est pas tiré du rapport Legrand mais de Martinand, J.L. (2003). « L’éducation technologique àl’école moyenne en France, problèmes de didactique curriculaire », in L’enseignement des sciences, desmathématiques et des technologies (revue canadienne), volume 3, n° 1, p. 101-116.

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La loi d’orientation de 1989 a instauré l’équipe pédago-gique. En instituant les conseils des maîtres, de cycles etd’école, elle a contraint les enseignants à travailler collec-tivement. Le terme « contraint » n’est pas neutre. En effet,non seulement ce travail collectif est placé par le législateurau sein du service de l’enseignant (dans le cadre de la 27e

heure) mais, en plus, l’école est tenue de « rendre descomptes » sur l’utilisation de ce temps obligatoire enenvoyant les comptes rendus de ces rencontres à l’IEN.Nous pouvons donc constater que si les pratiques collec-tives se sont d’abord développées à partir d’une injonc-tion ministérielle, l’évolution du « travail enseignant » estaujourd’hui clairement repérable.

Le point de vue des enseignantsL’enquête présentée ici s’attache à préciser le commentde cette évolution en repérant, au sein des pratiques péda-gogiques, celles qui sont prioritairement influencées par lecollectif. Le questionnaire demandait aux enseignants depréciser si des pratiques listées relevaient :- plutôt de leur expérience professionnelle,- plutôt de l’influence des pratiques de l’école, sur le modede l’adhésion aux manières de faire dominantes de l’équipe,- plutôt de l’influence des pratiques de l’école, sur le modedu rejet des manières de faire dominantes de l’équipe.

Un partenariat pédagogique coloré par l’équipeLes relations professionnelles, qui renvoient au partenariatpédagogique, sont le plus influencées par le collectif (éva-luées aux environs de 40 à 50 %). Cela concerne d’abordles relations avec les acteurs de « l’intérieur » de l’école, lesautres enseignants mais aussi les aides éducateurs. Dansle prolongement, nous trouvons également les « acteursponctuels » de l’école, les enseignants du RASED et lesintervenants extérieurs. Le troisième degré d’influenceconcerne les relations avec l’environnement de l’école mêmes’il relève de niveaux différents par les relations avec leCLAE ou les conseillers pédagogiques.L’équipe pédagogique semble fonctionner par cerclesconcentriques avec comme épicentre l’espace profession-nel. Elle pèse d’abord sur les relations « au quotidien » del’enseignant, donc de manière régulière et prégnante.

Des pratiques d’évaluationParmi les pratiques pédagogiques « individuelles » de l’en-seignant face à ses élèves, nous constatons que l’évalua-tion est fortement influencée par l’équipe pédagogique. Autravers du livret scolaire d’abord, souvent construit parl’équipe pédagogique, mais aussi par les modalités de misesen œuvre des évaluations et la « notation » utilisée (lettres,scores, etc.). En revanche, le « quant à soi » de l’enseignantest préservé pour les appréciations utilisées, un peu moinstoutefois pour celles formulées dans le livret scolaire.

Je ferai l’hypothèse que si les pratiques évaluatives sont aussilargement influencées par l’équipe pédagogique, c’est quel’évaluation se situe à l’interface du pédagogique et du social.Évaluer est une démarche pédagogique, bien sûr, au ser-vice des apprentissages des élèves, mais c’est également uninstrument de communication principalement auprès desparents. En communicant à partir de l’évaluation, l’ensei-gnant construit son image et l’on peut comprendre larecherche d’une certaine cohérence de cette image au niveaude l’école.

L’équipe pour l’organisation et les pratiques de la classeL’équipe pédagogique semble également fédérer des pra-tiques pédagogiques. Ainsi, nous avons d’abord tous lesprojets de l’école (spectacle, journal, etc.) y compris desprojets assez ambitieux, comme les séjours en classe dedécouverte.Cette dynamique se prolonge avec la participation à desopérations ponctuelles (les « journées » ou « semaines » dela presse, de l’environnement, etc.) mais elle concerne aussile quotidien de la classe à deux niveaux différents, celui descommandes annuelles du matériel de classe et, à un degrémoindre, celui des progressions ou des répartitions descontenus d’enseignement.Quand les enseignants reconnaissent l’influence de l’équi-pe pédagogique, ils l’envisagent très nettement sur le modede l’adhésion, c’est-à-dire qu’ils adoptent sans difficulté lesmanières de faire de l’école dans laquelle ils exercent. Lestrois seuls items où le pourcentage de rejet dépasse les 6 %concernent les valeurs qui apparaissent comme non négo-ciables, qu’il s’agisse des valeurs pédagogiques ou des valeursplus politiques, au sens large du terme, celles qui sous-ten-dent les engagements militants dans le domaine périsco-laire ou syndical.Une autre question s’attachait à préciser les moments pro-fessionnels durant lesquels s’exerçait cette influence du col-lectif. Il s’agit d’abord des temps durant lesquels ils sont àl’école (le « hors » de l’école est classé en dernier) et entreeux. La dimension formalisée des rencontres est valori-sée. Les temps informels ainsi que leur régularité sont unpeu moins cités mais loin d’être négligeables toutefois. Ainsile caractère exceptionnel de la réunion de prérentrée la posi-tionne légèrement en retrait par rapport aux deux moda-lités de travail les plus mentionnées, les conseils de cycle etles conseils des maîtres.

Quelles prises en compte de l’équipe pédagogique?Ces transformations sont nettement ancrées dans le quoti-dien et ce sont les pratiques collectives qui influencent leplus nettement les pratiques individuelles de « tous les jours ».Il n’en demeure pas moins que la « création » de l’équi-pe pédagogique incombe au ministère. On est en droit

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Équipe le moins, peut le plusL’équipe pédagogique est une notion de plus en plus présente dans le discours sur l’école primaire etcet article se propose d’évaluer un aspect de sa « réalité quotidienne » à partir d’une enquête réaliséeauprès des enseignants.

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alors de se demander pourquoi cette nouvelle entité estaussi peu prise en compte par l’Éducation nationale. Jevois pour ma part trois domaines qui pourraient éven-tuellement être concernés :Le dispositif d’inspection : comment évaluer un enseignantindépendamment de l’équipe à laquelle il appartient ?La formation continue : le niveau équipe pédagogique appa-raît comme un niveau pertinent pour impulser une évolu-tion des pratiques, y compris individuelles, évolution quiconstitue l’objectif de toute formation continue.L’affectation des enseignants: elle relève pour l’instant d’unedémarche strictement individuelle. Ne serait-il pas envi-sageable que la composition de l’équipe pédagogique (en

termes de diversification des compétences, d’équilibre dansl’expérience ou dans la mixité, etc.) puisse être prise encompte (selon des modalités à étudier bien sûr) ?

Jean-François Marcel, sciences de l’éducation, GPE-CREFI, université de Toulouse II le Mirail.

Je distingue deux types de formation : celle qui a pour fina-lité la connaissance et la maîtrise technique de l’outilInternet, et celle qui vise à son utilisation raisonnée etcitoyenne. Si ces deux formations peuvent être abordées demanière distincte, j’ai fait le choix de les mêler dans la for-mation que j’ai mise en place cette année. En effet, l’ECJSm’a paru être un cadre propice pour réfléchir avec les élèvesà la fois à ce qu’est l’outil technique Internet et à son uti-lisation raisonnée. Par ailleurs, ce choix permet selon moiaux élèves d’être éduqués réellement à la citoyenneté enmettant en relation, et non pas en les abordant de manièredissociée, les savoirs et les expériences.Par ailleurs, parallèlement à cette formation centrée surl’ECJS, j’ai été à l’origine de la rédaction de la charteInternet du lycée par les personnels et les élèves réunis ausein d’un groupe de travail hétérogène. Toutefois, si l’éla-boration de cette charte a été également formatrice, ce n’estpas une action que l’on mène tous les ans dans un établis-sement.Donc, l’ECJS s’est trouvé au cœur de mon dispositif de for-mation à l’usage raisonné et citoyen d’Internet. Un pro-fesseur a accepté de travailler en collaboration sur le thèmedu « citoyen face à Internet ». La finalité de ce travail étaitdouble :- Conduire les élèves vers un comportement de citoyen faceà Internet et aux informations qu’il propose en les infor-mant et en les responsabilisant.- Réfléchir ensemble, élèves et enseignants, aux droits etdevoirs en tant qu’utilisateur d’Internet, et ainsi participer

à la réflexion menée par le lycée sur la rédaction de la charteInternet.

Les problématiques liées à InternetLes élèves ont mené des recherches à partir du fonds duCDI et d’Internet sur les thèmes qu’ils avaient choisis envue de réaliser des panneaux d’exposition à destination del’ensemble du lycée. Ces thèmes permettaient d’avoir unevision globale des enjeux de la citoyenneté face à Internetsur le plan technique, sur ses contenus et sa législation. Avecce tour d’horizon, les élèves pouvaient ainsi prendreconscience de la nécessité d’une réflexion citoyenne face àInternet. Ils ont problématisé chacun des thèmes et ontapporté quelques réponses, par exemple :• L’Internet, aspect technique : quelle est son histoire? Quil’a créé et pourquoi ?Internet a été créé aux USA à des fins militaires.• Créer un site Internet : doit-on suivre des contraintes juri-diques pour créer un site ?Tout site doit être déclaré à la CNIL1.• La liberté d’expression et les contenus illicites : peut-ontout dire sur Internet ?Les propos racistes, xénophobes, pédophiles… sont interdits surInternet.• La Netiquette : qu’est-ce que c’est ? Quels sont ses prin-cipes fondamentaux?C’est un code de bonne conduite pour utiliser sa messagerie etparticiper à des forums.

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Références :

Jean-François Marcel (2002) « Approche ethnographiquedes pratiques enseignantes durant les tempsinterstitiels », Spirale n° 30, p. 103 - 120.

Jean-François Marcel (Dir.) (2004) Les pratiquesenseignantes hors de la classe, Éditions L’Harmattan, Paris.

Projet d’un CDI citoyenHabitué au travail d’équipe et à l’interdisciplinarité, utilisateur confirmé des technologies, y compris d’Internet,responsable d’un lieu dans lequel existent des règles de vie, le documentaliste tient une place privilégiée pour éduquerà la citoyenneté à Internet. Il fait du CDI un lieu de médiation dans cette éducation, en réfléchissant avec l’ensemblede l’équipe éducative, à la mise en place d’une formation à l’usage raisonné d’Internet et à la maîtrise de l’outil.En quoi peut consister une formation à l’usage citoyen d’Internet au lycée ?Et comment faire en sorte que l’offre des accès à Internet soit cohérente dans un établissement scolaire ?

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• Les hackers : qui sont-ils ? Y a-t-il une différence entre leshackers et les pirates ?Les hackers s’opposent aux grandes multinationales informa-tiques, tel Microsoft.• La gendarmerie face à Internet : existe-t-il une coopéra-tion internationale ?Oui, mais peu de personnes y travaillent en comparaison du fluxd’informations véhiculées sur Internet.• Le téléchargement : quels sont les enjeux du télécharge-ment pour l’économie culturelle ?Le téléchargement est contraire au droit d’auteur, donc il va àl’encontre de la rémunération des artistes.

Internet et esprit critiqueC’est en menant leur recherche que les élèves ont été for-més à l’outil technique Internet et à son utilisation rai-sonnée : en effet, ils ont découvert certaines de sesfonctionnalités, appris à formuler leur requête de rechercheavec logique et précision suivant le thème choisi afin d’op-timiser leur stratégie de recherche, et à savoir modifier jus-tement cette stratégie quand elle aboutit à une impasse. Demême la formation dans la pratique de la recherche mêmepermet de former les élèves aux dangers d’Internet, etnotamment en leur apprenant à faire preuve d’esprit cri-tique. Il s’agit donc de s’interroger sur la validité des infor-mations d’un document. Qui est son auteur? S’agit-il d’unsite personnel ou institutionnel ? Peut-on dater le docu-ment ? A-t-on un moyen de contrôler la véracité des infor-mations trouvées ? Certains des propos sont-ils choquants(racistes, pédophiles…) ? Par ailleurs, le choix de réaliserune exposition participait également de l’exercice de lacitoyenneté des élèves, qui, en la réalisant, avaient pourobjectif d’informer les autres élèves sur le sujet d’Internet,et avaient ainsi à leur égard une responsabilité citoyenne.Je trouve dommage de n’avoir pu mener ce travail qu’avecun groupe d’élèves. Néanmoins, j’ai pu constater que l’in-térêt des élèves était prépondérant pour cet enseignement,et donc que le sujet devait nécessairement plaire pour queles élèves s’impliquent dans la réflexion. En outre, les savoirs(c’est-à-dire les notions acquises lors des recherches sur lesthèmes choisis, ainsi que les notions de citoyenneté, deloi, de droit, de devoir…) et les expériences (notamment laparticipation des élèves eux-mêmes à la mise en place deleur éducation à la citoyenneté), ont pu être mis en relationdans ce travail. Finalement, ces points positifs doivent ser-vir de base à une réflexion sur la mise en place d’une réelleéducation à la citoyenneté, une réflexion que doit menerl’ensemble de la communauté éducative.

La citoyenneté face à Internet : débatLié à l’ECJS, le débat a occupé également une place cen-trale dans mon plan de formation. Selon moi, la confron-tation des élèves à d’autres points de vue est essentielle dansleur éducation à la citoyenneté, mais aussi dans la ques-tion de l’utilisation raisonnée d’Internet qui est présentedans l’école, dans notre vie quotidienne personnelle et pro-fessionnelle. J’ai donc organisé une conférence débat dansl’amphithéâtre du lycée avec deux intervenants extérieurs.Ouverte à l’ensemble du lycée, cette conférence s’est dérou-lée en deux temps forts : les contributions de chaque inter-venant, puis les échanges que j’animais entre l’assistance etles intervenants : un responsable d’un service multimédiadans une bibliothèque municipale où une charte d’utilisa-

tion informatique et Internet a été réalisée récemment et leresponsable d’édition du site Internet d’une commune quia créé depuis peu son site Internet. Venant de deux insti-tutions différentes, ces intervenants représentaient égale-ment des points de vue différents : le premier apportant desréflexions proches de celles menées dans un établissementscolaire, tandis que les préoccupations d’une communerépondent davantage à la logique de l’« économie Internet ».Ces interventions constituaient également un regard exté-rieur qui pouvait être utile dans la rédaction finale de lacharte Internet du lycée. Leurs interventions ont permisd’aborder à la fois des aspects techniques et juridiquesd’Internet : la création d’un site Internet, le droit d’auteuret celui de l’image, et la notion de traçabilité sur Internet.Cette conférence débat a été l’occasion de mobiliser desélèves et des enseignants qui n’étaient pas conscients, leplus souvent, de la nécessité de s’interroger sur la citoyen-neté face à Internet. En effet, pourquoi s’interroger, puisquepour les élèves Internet est le seul outil de recherche inté-ressant (car apparemment facile à utiliser), et que les infor-mations qui s’y trouvent n’ont pas besoin d’être vérifiéescar « normalement cela doit être bon ». Néanmoins, seulsquelques professeurs avec lesquels je collabore régulière-ment (essentiellement des collègues de lettres et de lettreshistoire-géographie) ont participé à la conférence. Afin deprolonger les échanges, nous avons décidé avec mon col-lègue d’inviter les élèves ayant travaillé en ECJS à débattre

entre eux des thèmes de leur recherche. La qualité deces débats, tant dans le réinvestissement des contenus quedans leur gestion de cet espace démocratique, nous aimpressionnés.

Améliorer la démarcheToutefois, il me semble qu’une intervention auprès d’uneclasse précise serait plus enrichissante pour les élèves qu’undébat dans un amphithéâtre où ils se trouvent noyés dansla masse, sont peu attentifs et préparés de manière insuf-fisante à ce débat. Cela pourrait prendre la forme d’une pla-nification de plusieurs intervenants différents dans toutesles classes de 2de dans un premier temps, puis en fonctiondes résultats de cette expérimentation, un élargissementaux classes de 1re et de terminale. Ces interventions pour-raient par ailleurs être l’occasion de collaborer avec les par-tenaires de proximité de l’établissement scolaire, telle unecommune, une entreprise ou une association. Poursuivantcette idée, la création de cyberespaces, ainsi que la miseen place d’initiations à l’utilisation d’Internet assurées encollaboration par des professeurs et des aides éducateursformés à l’informatique, seraient des projets qu’un éta-blissement scolaire pourrait mener en partenariat avec lacommune de rattachement. Pour cela, les partenaires doi-

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La formation dans la pratique de larecherche même permet de former lesélèves aux dangers d’Internet, etnotamment en leur apprenant à fairepreuve d’esprit critique.

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vent avoir les mêmes objectifs, ce qui peut être difficilelorsque l’on relève d’institutions de statut différent, natio-nal pour l’un et communal pour l’autre. Par ailleurs, untel projet nécessiterait un effort financier conjoint, à lafois pour l’achat de matériel informatique et la rémunéra-tion de personnels qualifiés que ce soit pour la maintenanceou la formation des élèves. Au niveau de l’établissement sco-laire, le recrutement des assistants d’éducation pourrait êtreenvisagé.

Une gestion plus cohérenteCette proposition de plan de formation dépend toutefoisdes équipements informatiques dont dispose un établis-sement scolaire. Il ne s’agit pas seulement de manque demoyens, puisque l’État et les régions ont entrepris depuisquelques années un effort important d’équipement infor-matique pour l’ensemble des lycées ; mais on constate leplus souvent, une gestion pas toujours très cohérente decet équipement. Donc, émerge la nécessité de réfléchir àune organisation judicieuse des accès Internet au lycée.Après avoir écarté l’idée de la création d’une salle en accèslibre, ce sont des bornes avec des fonctions prédéterminées(une borne pour utiliser sa messagerie et « chatter », uneautre pour permettre aux élèves d’effectuer des recherchespersonnelles par exemple) qui seront mises en place dès

la prochaine rentrée dans des lieux de passages visiblespar les membres du personnel de l’établissement. Ce choixprésente nécessairement des limites : la maintenance tech-nique de ce matériel informatique diversement manipulé,mais surtout le nombre de ces bornes par rapport à l’effectiftotal des élèves qui sont susceptibles de vouloir consulterInternet. Un premier bilan ne pourra être fait que quelquessemaines après la rentrée.Finalement, le plan de formation que j’ai mis en place cetteannée concerne l’ensemble de l’équipe éducative et s’ins-crit dans la politique documentaire qu’impulse le docu-mentaliste et qui est intégrée au projet d’établissement.

Michèle Costard, documentaliste au lycée Jules Verne de Mondeville

Pas de rubrique ce mois-ci… et pourtant nous savonsque de nombreux lecteurs apprécient ces textes qui, surun ton personnel, nous parlent de la classe et de l’établis-sement, au quotidien.Pas de rubrique ce mois-ci… Car Florence Lenoble quien avait la responsabilité, me passe le relais et il faut amé-nager la transition.Pas de rubrique ce mois-ci… Mais elle reprend le moisprochain !Envoyez-moi vos textes ou vos idées :[email protected] : Hélène Eveleigh, 130, rue de Neuilly, 93250 Villemomble.

Voici ce que vous y découvrirez et, si la « souris » vousdémange, ce que vous pourrez y écrire :

De petits textes…Pour parler du métier tel qu’on le vit,avec ses moments de crise ou de plaisir,avec le quotidien de la classe et l’extraordinaire qui, parfois,nous surprend,avec des jeunes et des adultes qui aiment ou détestent l’écolemais y passent ensemble leurs journées.Pour raconter cela, de façon personnelle, avec passion, avechumourPour rêver par écritPour saisir un moment sur le vif et le partager.

« Et chez toi ça va ? »

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1 CNIL : Commission nationale informatique et libertés

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Travailler avecles familles,parents-profes-sionnels : un nouveau partage de larelation éducativeLaurent Ott, Éditions Erès.Un proverbe africain dit qu’il fauttout un village pour élever unenfant. Laurent Ott nous parle à par-tir de sa place d’éducateur présidentde l’association INTERMEDES/MaisonRobinson, une structure de perma-nence éducative en milieu ouvert àLongjumeau.

Hier ignorées par les institutionssociales éducatives de proximité, lesfamilles sont maintenant le passageobligé de leur action. On assisteraitmême à une sorte d’inversion : c’estl’hôpital qui a gagné la maison, lesfamilles sont sommées de comblerun vide institutionnel, de constituerune alternative à des solutions insti-tutionnelles inadaptées. « Lesparents qui font aveu de solitude etqui sollicitent spontanément de l’ai-de déroutent les institutions éduca-tives » p. 44. Cette survalorisationdes familles a pour corollaire lethème de la démission des mêmesfamilles, « l’outil » n’étant jamaisassez performant. La famille « del’action sociale » est la famille idéa-lisée. Les familles sont à la foisprises en compte comme nécessaireset ignorées dans leurs singularités.Leur résistance à certaines mesuresou à certaines décisions fait partiedes préventions que les institutionsont contre elle, à l’inverse de l’aidequ’elles pourraient leur apporter.« Il s’agit en fait d’une lutte de pou-voir entre deux institutions qui neparviennent pas à accepter leurincomplétude, ni ce qu’elles doiventchacune à l’autre » p. 43. Le modèlescolaire du conflit avec les famillesest dans un défaut d’explication desinstitutions aux familles, et lemodèle thérapeutique qui lui faitsuite propose « carrément de corri-ger les familles dans leurs attitudeserronées » p. 56.

Dans les années soixante-dix, la cri-tique de la banlieue en faisait deslieux de grisaille « métro, boulot,dodo », les banlieusards étaient vic-times d’un certain urbanisme.Aujourd’hui, la présentation desbanlieues entraîne une image dan-

gereusement négative des jeunes,de leur place et de leur rôle dans lacité. Tout le thème de la perte d’au-torité, du désastre éducatif(Finkielkraut…) dans lequel lesjeunes dégradent l’espace public,« oublie » le caractère fondamenta-lement politique des attitudes decontestation des banlieues, qui nepeut s’interpréter seulement du côtédu fait divers, comme un repli iden-titaire et antirépublicain qu’il suffi-rait de réprimer par la loi.

Dans cette analyse, le local rejoint leglobal. Les relations des familles auxinstitutions éducatives contiennentl’analyse politique de la société : lafamille devient le lieu d’une résistan-ce passive qui pousse à une identifi-cation communautaire de type« ethnique ».

Il faudrait « accompagner » et nonplus vouloir « orienter », prendre lesparents là où ils en sont, cesser de seplaindre de leur consumérisme parexemple (et de les juger pour ce traitde comportement)… « travailler avecl’autorité des familles » (y croiredéjà), « élever le don au rang d’outilhautement éducatif », « accepterque la convivialité puisse aussi êtreun but en soi ».

L’actualité est inquiétante à cesujet : Les Renseignements générauxont recensé, dans plus de 300 des630 quartiers sensibles suivis pareux, des signes de repli communau-taire : tissu associatif communautai-re, commerces ethniques, portd’habits orientaux et religieux, graf-fitis antisémites et anti-occidentaux,difficulté à maintenir des Françaisd’origine dans le quartier. Le repli alieu sur le ghetto, un lieu vide desens… C’est un univers fragmenté :le monde des garçons n’est pluscelui des filles, ceux qui réussissentne vivent pas sur la même planèteque ceux qui échouent… (Le Mondedu 5 juillet 2004)

Il est urgent de reconstruire le villa-ge éducatif dont nous parle le pro-verbe africain et aller vers « undéveloppement de type communau-taire ouvert ». C’est ce à quoi s’em-ploient ce livre, son auteur LaurentOtt et la Maison Robinson… dontsont narrées au passage les étapesdu développement récent.

Roland Petit

Enfants ensouffrance,élèves en échecouvrir descheminsFrancis Imbert,ESF éditeur 2004.La souffrance propre à notre tempsdécoule d’un défaut de parole,nous dit Francis Imbert. La « paroleconstituante » est absente dans unmonde « sans loi » où se délitentles repères. Du coup, la règle, l’ha-bitude, les « ça-va-de-soi » pren-nent la place manquante. Y comprisdu côté des enseignants où l’identi-fication au « corps » (au sens de« corps enseignant ») figure laréponse la plus accessible aux diffi-cultés du métier, là où il faudrait del’initiative, de la mise-en-jeu de soi.La classe est perçue comme un face-à-face mortifère, une corrida (p. 143 et sq.). La judiciarisation dela société est aussi aux mains desenseignants (p. 138) et la demandede déscolarisation une demandecourante ! La devise de l’écolepourrait être : « Nul n’entre ici s’iln’est pas éduqué et bien éduqué sipossible. » (p. 130) La formation esttrop courte pour prendre conscien-ce et distance avec cette fusiondans « l’abri du corps ». F. Imbertparle même de la « non-profession-nalisation croissante des ensei-gnants du premier degré. » (p. 80)

Il faut rétablir l’autorité au sens« étymologique », l’augmentation…devenir soi-même auteur pour per-mettre à l’élève de devenir égale-ment auteur de sa propre vie, deson apprentissage. Il faut retrouverles mots. Autoriser et s’autoriser.« Le véritable éducateur est celuiqui croît en faisant croître. »(p. 226) La désymbolisation, due àla désintégration de l’autorité et dupère, donne les enfants-bolides.C’est avec ces enfants-bolides etnon contre eux (corrida, mains cou-rantes) que l’école doit renouer lesfils symboliques.

Il faut « soigner » l’institution autantque les personnes qui y circulent, yvivent et la font vivre. C’est la condi-tion pour rouvrir des chemins etfaire cesser la souffrance, l’arrêt, lesurplace… (la souffrance au sens descolis « en souffrance »).L’autorisation passe par le groupe depairs et par la relation au « père » :relations verticales et horizontales(ou latérales). Ce sont ces relations

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latérales et verticales que met en jeu(en travail, en mouvement) le« conseil », et c’est la prise en comp-te de ces liens verticaux et horizon-taux qui fait la spécificité etl’efficacité de ce dernier, à la diffé-rence de l’idée d’autorité courante,autorité verticale (et descendante).

Un livre très savant, qui décrit sou-vent, selon une exigence universitai-re, l’enchaînement et la successiondes penseurs et des concepts.Chaque idée est illustrée de nom-breuses citations dénotant une éru-dition immense, ce qui parfoisralentit la lecture et la perception duparcours emprunté. Ces illustrationsont des provenances multiples (litté-rature, cinéma, sciences humaines) etune temporalité un peu « brassée »(des citations du début du siècle der-nier sont interprétées comme décri-vant les phénomènes actuels etmêlées à des considérations contem-poraines sur l’état de nos présentsrapports sociaux).

Toutes les analyses et les nombreusesétudes de cas, les monographies dece livre parfois un peu trop bellespour convaincre vraiment, conver-gent vers la défense du conseil de laclasse et de la pédagogie institution-nelle qui font du partage de la paro-le d’une part, et de la créationd’institutions pédagogiques, d’autrepart, un moteur de la pédagogieelle-même:

Aussi ce livre se termine sur un appelà réagir à poursuivre l’échange deparoles sur [email protected]

Roland Petit

Des enfantssourds à l’écoleordinaire.L’intégration, des principes auxpratiquespédagogiquesJean-Yves Le Capitaine,L’Harmattan, 2004.Question de principe ou question depratiques? Si on parle aujourd’hui descolarisation plutôt que d’intégrationscolaire, c’est que l’intégrationimplique une différence de statut deceux que l’on veut intégrer. La scolari-sation, elle, pose le problème de lacapacité de l’école à accueillir le jeunesourd. Mais cela interroge les pra-tiques traditionnelles :« L’introduction de sujets sourds oumalentendants dans la situation ordi-naire de la classe et de l’école consti-tue un problème qui peut être sourced’innovation, sous certaines condi-tions, favorisant à la fois les enfantshandicapés et ceux qui ne le sontpas. » Et en même temps« L’intégration des enfants sourds, enparticulier des enfants sourds pro-fonds et qui ont besoin de la languedes signes, […] leur dispersion dansune scolarisation de proximité, sépa-rés par classes d’âge selon les modèlesdes établissements de l’Éducationnationale, produit en même temps ladisparition ou la suppression du lieu,de l’espace, de la communauté danslesquels s’apprenaient l’identité et lalangue, et sans lesquelles celles-ci ne

s’apprennent pas. L’intégration scolai-re ici normalise, mais en dépossédantles enfants de ce qui les ferait grandirnormalement, et en les mettant par-fois dans des situations de souffranceimportante. »

Le livre de J.-Y. Le Capitaine appro-fondit ces questions, dans leur évolu-tion historique, des premièresinstitutions pour les enfants sourdsaux lois de 1975 et de 1989. Il porteun regard critique : le ghetto peutêtre une institution spécialisée, ilpeut aussi se recréer au seinmême de l’institution ordinaire. Il estbasé sur des entretiens avec desenseignants d’école maternelle ouélémentaire travaillant en CLIS oudans des regroupements spécialisésd’enfants sourds, à la recherche deschangements que la présence d’en-fants sourds induit dans la classe oudans l’école. C’est au fond une formed’hétérogénéité et à ce titre le livreest important aussi pour ceux quienseignent à des élèves« ordinaires » mais en difficultés etréfléchissent sur les pratiques quecela appelle.

Alors : adaptation de l’enfant handi-capé à la structure scolaire, ou adap-tation de cette structure à l’enfanthandicapé?

« Ce qui s’ébauche aujourd’hui, c’estla prise en compte dialectique de cesdeux adaptations en termes d’inter-action, et dans une perspective com-plexe ».

« Alain Savary disait que l’intégra-tion des enfants handicapés doit êtreun cheval de Troie dans l’Éducationnationale pour la forcer à mieuxaccueillir tous les enfants, desmeilleurs aux handicapés non-offi-ciels, en fait des enfants des couchespopulaires nommés parfois handica-pés socio-culturels, sains de corps et

Courants de la pédagogiecontemporaineJean Beauté,Lyon, Chronique sociale, 2004.Cette cinquième édition ne diffèredes précédentes que par une biblio-graphie plus sélective et mise à jour,le texte n’ayant pas du tout changé.Mais le livre reste ce qu’il était : uneprésentation simple, claire et synthé-tique des concepts, idées et pro-blèmes de la pédagogie aujourd’hui,un outil d’initiation et de travail. Unindex des concepts et un des auteursen facilitent l’utilisation.

Manuel de survie (version papier)François Muller,Éditions L’Étudiant, 2004.Le « manuel de survie » mis au pointpar François Muller à la rentrée 2004sur site (http://lemanuel.fr.fm/) estmaintenant disponible en versionpapier aux éditions L’Étudiant, avecune préface d’André de Peretti.Extraits : « On peut se réjouir, eneffet, du foisonnement et de la fraî-cheur des conceptions et desméthodes que ce manuel met entrenos mains. Dans la nécessaire forma-

tion continue, pour toute ancienne-té et pour tout début, chacun estmis à l’aise pour effeuiller cette« somme ». Il peut y trouver de quois’encourager à l’originalité respon-sable de ses prestations profession-nelles. Il peut y trouver appui pours’exercer à un compagnonnage créa-teur avec des collègues de cursus etde disciplines multiples… »

L’auteur, François Muller, a enseigné àtous les niveaux et dans des établisse-ments très divers. Il est responsable dela mission « Innovations valorisationdes réussites » de l’académie de Paris.

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dont l’esprit n’a souffert que de lasituation familiale, sociale ou scolai-re où ils se sont trouvés. »

Jacques George

Restaurer le goûtd’apprendre,chronique d’uneannée à l’écoleélémentaire avecces enfants qu’ondit « terribles»Catherine Hurtig-Delattre,préface de Nicole Mosconi,L’Harmattan, 2004.Un livre passionnant dont on nepeut arrêter la lecture lorsqu’on l’acommencée, une chronique qui selit comme un roman alors qu’il nes’agit nullement de fiction. Ce livrecommence par un prologue quinous dit que « c’est l’histoire d’ungroupe d’enfants qui n’a pas eu dechance à l’école » (p. 17), « l’histoi-re d’une enseignante et d’une équi-pe qui cherchaient des réponsesface à cet échec de l’école » (p. 19).C’est une histoire certes mais c’estsurtout un texte structuré par uneprofonde réflexion éthique etpédagogique.

Les cinq chapitres du livre (Ladémarche de l’équipe: une nécessaireréflexion éthique; Offrir l’hospitalitédans la maison du savoir : accueillir,écouter, exiger ; Donner par le savoir

des clefs pour construire son identitéet entrer dans le monde; Chemineravec les enfants ; Peut-on conclure?)explorent l’ensemble des questionsessentielles des pratiques de classe àl’école élémentaire.

Dans un style simple, clair et précis,Catherine Hurtig-Delattre qui estenseignante dans une école de REPet formatrice à l’IUFM de Lyon,nous ouvre la porte de sa classe et,bien plus, de son école. Elle nousmontre les détails qui font le quoti-dien (et donne de nombreux outilsqui seront précieux pour de nou-veaux enseignants). Surtout, ellenous permet de comprendre lesréflexions personnelles et collec-tives qui président à ses choix. Ellenous fait partager ses interroga-tions et son cheminement person-nel avec ses élèves, avec sescollègues et aussi avec les associa-tions pédagogiques avec lesquelleselle travaille depuis longtemps. Eneffet, Catherine Hurtig-Delattre quine revendique aucune appartenan-ce et se définit plutôt comme « gla-neuse », s’intéresse de près àdifférents mouvements pédago-giques et met en œuvre nombre deleurs démarches (notamment cellesde la pédagogie Freinet ou de lapédagogie institutionnelle).

En bref, un ouvrage passionnant àlire tant par des enseignants del’école élémentaire que par ceux ducollège. Un livre pour des débu-tants bien sûr, qui trouveront làune mine d’informations pour pen-ser et organiser leur travail maisaussi un livre pour des enseignantsconfirmés qui pourront y puiserune nouvelle énergie, une forcepour poursuivre leur difficile tâchequotidienne. Et enfin, un livre pourles parents d’élèves. En effet, jecrois que des parents pourront,

avec ce livre, pénétrer non seule-ment l’univers de l’école et de laclasse mais aussi mieux comprendrecomment des enseignants tra-vaillent avec leurs enfants.

Françoise Carraud

Pratiquer laphilosophie à l’école 15 débats pourles enfants ducycle 2 au collègeF. Galichet, Nathan, 2004.Ancien élève de Normale Sup, agré-gé, professeur des universités en phi-losophie, on ne pourra soupçonnerl’auteur de légèreté philosophique,comme on le fait pour beaucoup deceux qui se lancent dans de nou-velles pratiques… François Galichetnous propose aujourd’hui un guidepour aider enseignants et élèves duprimaire et de collège à« pratiquer » en classe la philosophie(il a refusé le mot « enseigner »).

On trouvera, dans cet ouvrageremarquable de rigueur philoso-phique et de clarté pédagogique,une introduction définissant les diffé-rents types de débat et la spécificitédu débat philosophique, ses caracté-ristiques (universalité, implication,irréalité, totalisation), une réflexionsur les énoncés philosophiques (dis-tincts de l’opinion, de l’hypothèse et

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Le monde n’est pas unjouetPhilippe Meirieu,Desclée de Brouwer, 2004.Philippe Meirieu, bien connu des lec-teurs des Cahiers, nous livre ici uneréflexion philosophique et politique :comment comprendre la transforma-tion du monde en une gigantesqueludothèque ? Car on a le droit dejouer. Le devoir même. Mais pas toutle temps, pas avec n’importe qui niavec n’importe quoi. Enfants, il nousfaut apprendre le monde en nousexerçant sur des réalités possibles,

avec des règles acceptables, dans descadres limités. Adultes, il nous fautapprivoiser nos fantasmes de toute-puissance en les exprimant dans unregistre symbolique, hors de toutehiérarchie et sans perspective dedomination psychologique ou maté-rielle. Le jeu n’est possible que s’ilest borné.

Philippe Meirieu s’interroge et nousinterroge en s’appuyant sur l’analysede multiples événements de la viefamiliale, sociale, scolaire : de l’édu-cation du tout petit enfant à la for-mation du citoyen, de la mode à latélésurveillance, des jeux vidéo àl’éducation à l’environnement, des

débats sur l’autorité à ceux sur latélé-réalité, il balaye la plupart despréoccupations éducatives d’aujour-d’hui. Comment réagir au quotidien,de la naissance à l’adolescence et au-delà devant les triomphes du capriceet l’instrumentalisation du monde auservice de nos fantasmes de toute-puissance ? Comment agir pour pré-parer un autre monde, un monde oùle jeu redevienne une occupationsans danger ? Un monde qui dureplus que nous et soit plus accueillantet solidaire ?

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de la foi), et sur les trois dimensionsdu philosopher (réflexive, herméneu-tique, pédagogique).

On y trouvera également quelquesconseils sur les conditions matérielleset institutionnelles de l’organisationd’un débat en classe, ainsi que l’inté-rêt d’un cahier de philosophie.

On trouvera une quinzaine de fichesordonnées autour de questionsfortes (« Est-ce que tout le monde estpareil ? Comment savoir si je ne suispas en train de rêver? Jusqu’à quelpoint les hommes sont égaux? À quiappartient la terre?… »), ou denotions essentielles pour des enfantsd’hommes (amitié, amour, adulte,langage, justice, liberté, normalité,justice, violence, racisme, sagesse).Chaque fiche précise ce qui faitdébat, les problèmes soulevés, les dis-tinctions conceptuelles utiles, et pro-pose des exercices préparatoires audébat ou le prolongeant. L’ensembleest illustré de citations d’enfantsextraites de scripts de classes (corpusissu d’un groupe de recherche forma-tion de l’IUFM d’Alsace).

Un outil précieux de formation philo-sophique et didactique pour ceux quidébutent ou veulent approfondir.

Laissons conclure le philosophe J.-L. Nancy, qui déclare dans l’avant-propos : « Ce que nous appelonsencore « enseignement de la philoso-phie » doit connaître une mutation àlaquelle aucune réforme de pro-

grammes de la seule terminale nepeut suffire. La première et minimalecondition en est, de toute évidence,le développement d’une culture phi-losophique ou pré-philosophique… Ilfaut qu’aujourd’hui le jeune élèvepuisse découvrir l’exercice de la pen-sée réfléchie et critique bien avantd’être formellement exposé àl’épreuve des textes, opérations etoutils proprement philosophiques…C’est une nécessité, c’est même uneurgence. Sans vouloir être pompeuxil faut l’affirmer : c’est un impératifcatégorique de la démocratie. »

Michel Tozzi

Luc Ferry, une comédie du pouvoir,2002-2004Emmanuel Davidenkoff et Didier Hassoux,Hachette Littératures, 2004.On a fait du rangement au CDI pen-dant les vacances ; à la rentrée, jeparcours les manuels, les ancienslivres qu’on va mettre à la réserve. Et je tombe sur la fameuse Lettre àceux qui aiment l’école. Comme cela

semble loin ! Une dizaine d’exem-plaires auxquels personne n’a tou-ché. Je repense à cela en lisant cetouvrage sur notre ancien ministre,dû pour l’essentiel à un des meilleursjournalistes spécialisés en éducation,ouvrage qui est une véritable chargeau vitriol. On s’amusera de la comé-die du pouvoir, des anecdotes savou-reuses et souvent cruelles, on sedemandera peut-être (comme lefont les auteurs dans le prologue)quel est l’intérêt de publier un tellivre sur quelqu’un qui ne compteplus guère aujourd’hui, mais on entrouvera peut-être la justificationdans ces pages très justes où lesauteurs fustigent tout ce que la poli-tique de Luc Ferry a pu avoir derégressif (en particulier le recul desambitions en matière culturelle, lamise à mort sournoise du Conseilnational de l’innovation). Et, au-delàdu cas Ferry, on peut, hélas, conti-nuer à constater qu’un ministrepeut, dans notre République encoretrop monarchique, transformer tellepréoccupation personnelle, telle idéesurgissant soudain dans son esprit,en décision politique ou en circulai-re. Que ce soit par exacerbation del’ego d’un « éternel jeune homme »ou par électoralisme…

Jean-Michel Zakhartchouk

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Courrier des lecteurs

Un article vous a donné des idées, interpellé, irrité, enthousiasmé…Vous désirez donner votre avis sur le dossier qui est au centre de ce Cahier…Vous désirez simplement nous faire part d’une analyse ou d’une réflexion…Adressez votre texte à [email protected] le publierons dans la rubrique « Avis des lecteurs » qui sera ouverte prochainement sur le site des Cahiers pédagogiques : www.cahiers-pedagogiques.com.D’autre part, la rubrique « Courrier », dans la revue, se fera l’écho des débats et des réflexions dont vous nous ferez part de cette façon.Nous souhaitons des échanges dynamiques et réactifs !

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CAHIERSPÉDAGOGIQUES

Une revue indépendante, pour une école démocratique, plus juste et plus efficaceCroiser sans dogmatisme les réflexions, pratiques et expériences de cha-cun, enseignants et personnels du secondaire et du primaire, chercheurs, formateurs, éducateurs, parents

Discuter sans réserves de tout ce qui pose problème dans le champ profes-sionnel, des réformes en cours, du fonctionnement de l’école dans toutes ses dimensions

Dépasser les simplismes, parce que les raccourcis sur le niveau qui monte ou qui baisse ou sur l’école d’antan n’ont jamais fait avancer d’un iota les apprentissages et l’éducation de la jeunesse d’aujourd’hui

Ces principes qui animent l’équipe des Cahiers pédagogiques sont également ceux du Cercle de recherche et d’action pédagogiques (Crap), l’association qui les publie. Adhérer au Crap-Cahiers pédagogiques, c’est donc soutenir la revue, c’est aussi participer, par des rencontres, des échanges par une liste de diffusion électronique, à la vie d’une association d’acteurs du monde éducatif soucieux de faire évoluer leurs pratiques, de réfléchir sur les problèmes de l’école pour mieux la faire progresser.

n Pour adhérer au CRAP : 30 € pour l’année civile

n Pour un premier abonnement à la revue en choisissant la formule qui vous convient (numérique ou papier, numéro de début de l’abonnement, option hors-série, mode de règlement par CB, chèque ou prélèvement automatique) : 45 € pour les particuliers, 52 € pour les établissements scolaires et les collectivités

n Pour commander un numéro paru, au format papier ou PDF, un livre, pour un réabon-nement : toutes les modalités sur notre site ou en nous contactant au 01 43 48 22 30.

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10 rue Chevreul, 75011 Paris. - Tél. : 01 43 48 22 30 - Fax : 01 43 48 53 21Courriel : [email protected]

Directrice de publication : Florence Castincaud

Rédaction en chef : Patrice Bride, Christine Vallin

Rubriques :n Actualités éducatives : Nicole Prioun Des livres pour nous : Jean-Michel Zakhartchoukn Et chez toi, ça va ? : Hélène Eveleighn Faits & idées : Élisabeth Bussiennen Depuis le temps… : Yannick Mével

Comité de rédaction : n Michèle Amiel n Nathalie Bineau n Patrice Bride n Élisabeth Bussienne n Florence Castincaud n Marie-Christine Chycki n Françoise Colsaët n Jacques Crinon n Richard Étienne n Hélène Eveleigh n Vincent Guédé n Sylvie Grau n Régis Guyon n Anne Hiribarren n Françoise Lorcerie n Pierre Madiot n François Malliet n Yannick Mével n Laurent Nembrini n Raoul Pantanella n Nicole Priou n Michel Tozzi n Christine Vallin n Jean-Michel Zakhartchouk

Bureau du CRAP :n Président : Philippe Watrelot

n Trésorier : Jean-Michel Faivre n Autres membres : Florence Castincaud, Régis Guyon, Philippe Pradel, Nicole Priou,

Jean-Michel Zakhartchouk

Correspondants académiques du CRAP :n Aix-Marseille : Alain Zamaron n Amiens : Rémi Duvert n Besançon : Baptiste Guillard

n Bordeaux : Marie-France Ravier n Clermont-Ferrand : Réjane Lenoir n Grenoble : Évelyne Chevigny

n Guadeloupe : Judith Salin n Lille : Véronique Vanhaesebrouck n Lyon : Monique Ferrerons

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n Reims : Régis Guyon n Rennes : Chantal Picarda n Strasbourg : Robert Guichenuy

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Le Crap-Cahiers pédagogiques est soutenu pour son fonctionnement par le ministère de l’Éducation nationale.

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CAHIERSPÉDAGOGIQUES

Ils soutiennent les Cahiersn Jean-Louis Auduc n François Audigier n Anne Barrère n Christian Baudelot n Francine Best n Alain Bouvier n Dominique Bucheton n Anne-Marie Chartier n André De Peretti n Michel Develay n François Dubet n Roger-François Gauthier n Daniel Hameline n Violaine Houdart n Phillipe Joutard n Claude Lelièvre n Danièle Manesse n Philippe Meirieu n Hubert Montagner n Jean-Pierre Obin n Claude Pair n Philippe Perrenoud n Eirick Prairat n Antoine Prost n Patrick Rayou n Bruno Suchaut n Vincent Troger n Anne-Marie Vaillé n Agnès Van Zanten

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