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SOMMAIRE Les propos de la présidente Par Laure de la Chapelle Henrotin, l’incroyable témoin Par Christian Crépin Charles Benoist, la source sûre Par Laure de La Chapelle Conte de Noël 2015 Par Jean Pierre Gautier CAHIERS LOUIS XVII DÉCEMBRE 2015 - n°54

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SOMMAIRE

Les propos de la présidente Par Laure de la Chapelle

Henrotin, l ’ incroyable témoin Par Christian Crépin

Charles Benoist, la source sûre Par Laure de La Chapelle

Conte de Noël 2015 Par Jean Pierre Gautier

CAHIERS LOUIS XVII

DÉCEMBRE 2015 - n°54

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LesproposdelaPrésidente

Jusqu’àl’époqueactuelle,lesrecherchessurlesortdufilsdeLouis XVI se cantonnaient aux archives et aux documentsdécouvertsaucoursdupremiersiècleaprèslamortofficielledupetitCapet.Quant aux publications récentes concernant les cœurs desdeux frères, Louis-Charles et Louis-Joseph, elles sont axéessur l’étude de la famille Pelletan jusqu’en 1894 et sur uneanalyse ADN cataloguant le seul viscère qui nous restecommeundescendantHabsbourg.Jeneparlepasdes savantesétudes sur les resteshumainstrouvésdans le cimetièreSainte-Marguerite,basées sur lesexhumationsfaitesaudix-neuvièmesiècle.Mais qu’en est-il de la question primordiale qui se posetoujours et n’a jamais eu de réponse satisfaisante? Sil’enfant qui est mort au Temple en 1795 n’était pas LouisXVII,avons-nousaumoinsunehypothèsevalable?LesdeuxarticlesquenouspublionsdansceCahierpeuventouvriruneporte récente, jamais explorée jusqu’ici. Et malgré lesavatarsdecesdeuxtémoignages,ilssontàconsidéreraveclaplusgrandeattention.N’oublionspas,biensûr,denousdétendreà lafindecetteterrible année 2015, avec un rafraîchissant conte de Noël,bien propre à nous faire oublier les soucis d’une époquetroublée et qui, par certains côtés, rappelle fâcheusementlesprodromesdelaRévolutionFrançaise,la«tropfameusecatastrophe»selonl’expressiondeJeanPierreGautier,notrevice-Président.

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HENROTIN,l’incroyabletémoin

EnquêtedeChristianCrépin,présentéeparLauredeLaChapelle

C’est peu de dire que les révélations récentes sur l’énigme de Louis XVII nefoisonnentpas.C’estlecaractèrerarissimedesadécouvertequiattiratoutdesuitemonattentionlorsqueChristianCrépinmefitpartd’unarticletrouvéparluidanslarevuedesAmbassades,obscureparutiond’avantlaSecondeGuerreMondiale. Comment, en 1938, un auteur totalement inconnu des historienspouvait-il apporter des éléments nouveaux dans cette recherche où toutsemble avoir été dit, catalogué, décortiqué, où des conclusions sans surprisesontannuellementrééditées?

Queditcetauteur?Quiadonc l’audaced’intervenirdansunechassegardéedes historiens? Voici les principaux extraits de l’article en question, titré«l’EnigmedesBourbons»etsigné:comteRobertH.[Henrotin]SantarèsdelaMarck(sic):

«…LeDauphinest-ilmortauTemple?Aucunacteofficieldecedécèsn’existe.Lesaffirmationsréitéréesetbaséessurdesminutessansvaleurhistoriquedesgouvernements de la Révolution, des deux Empires, de Louis XVIII, deCharlesX, de Louis-Philippe, de la IIIème République, ne constituent aucunepreuve. Elles peuvent servir la raison d’Etat sans plus. Il était d’ailleursnécessaireàcesgouvernementsd’affirmerlamortduDauphindeFrance.

Intérêts politiques d’une part, intérêts dynastiques et familiaux d’autre partsubsistent encore. Aussi, ne pouvant rien tirer de précis de cette confusionhistorique, je vais m’efforcer d’apporter au débat sans parti pris quelquesobservationspersonnellesetqui,ainsi,n’engagerontquemoi.

Desrévélationsinédites

Deuxfaitsdominentcesobservations:

Pour des raisons que je n’ai pas à exposer ici, je tiens de source sûre que lebarondeThugutqui futpremierMinistred’Autricheaumomentdesguerresnapoléoniennesetquifut intimementmêléauxgrandsactesdelaRévolutionFrançaise,étaitconvaincudesprétentionsdeNaundorff (lireévidemment:de

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la survie de Louis XVII, le prétendant étantapparubienaprès leministèredubarondeThugut,1794à1801)

LeducdeBrunswick (mort en1806) également. Cesdeuxhautes convictions(qui en valent d’autres) étaient exprimées dans des écrits joints à une lettreadresséeparunsecrétaireducomtedeLaMarckàunepersonnalitéespagnoledelafamilledeRomanones.

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D’autrepart, et d’après lemême informateur, les détails de l’enlèvementduTemple auraient été consignés dans un document remis par unmembre del’entourageducomtedeLaMarckàlafamilleMetternich.

LesBourbonsd’Espagne,d’ailleurs,nesauraientignorercesfaits,puisqueaussibien une certaine partie des papiers du comte de LaMarck ayant trait à lapériode révolutionnaire, apportée en Espagne vers 1880, ont été remis à laCourdeMadridparundesesplusfidèlesserviteursvers1905.

Enfin,lesecondfaitseplacetoutprèsdenous.

En1924,jerentraisdeDelft.Macuriositéavaitétéattiréeparl’existencedansunenclosdecettepetitecitéhollandaise,d’unepierretombaleportantcetteinscription:«Ici repose Louis XVII, Charles-Louis, duc de Normandie, roi deFranceetdeNavarre,néàVersaillesle27mars1785,décédéàDelftle10août1845.»

«Emu,parcequ’unmembredemafamille,Autrichien,amideMirabeau,avaitété intimement lié à la Reine Marie-Antoinette (Auguste Raymond de laMarck), je parlai de cette inscription au ministre de France à La Haye,M.Charles Benoist. Je n’avais à l’époque, je l’avoue, parce qu’encore jeune,qu’une imparfaite connaissance des Naundorff. J’en avais souvent entenduparler, pas toujours défavorablement, mais le côté historique du drame desBourbonsm’avaitjusqu’alorséchappé.

Parl’aimableentremiseduministredeFrance(CharlesBenoist),jepusprendreconnaissance,nonseulementdesdélibérationsdesEtatsGénérauxHollandaisconcernant la demande de naturalisation faite par Adelberth (fils deNaundorff),maisaussidediversactes juridiquesserapportantauxBourbons-Naundorff.»

[Ici, Henrotin de la Marck rapporte les épisodes bien connus des jugementsconcernantlafamilleNaundorffenHollandeaucoursdesannées1888et1891]

«Mais il y a mieux, et il faut souvent du courage pour prendre certainesresponsabilités.LemêmeministredeFrancequejeviensdecitermeditàmoi-mêmeetàlamêmeoccasion,textuellementceci:

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«LaquestionNaundorffestforttroublante, je l’avoue.Quelest lebien-fondédetellesprétentions?J’enparlaisunjouravecClémenceaupendantlaguerre,alorsquenotreentretienroulaitsur lesOrléans.LePrésidentduConseildansun moment d’énervement, s’exclama, parlant de ces derniers: Qu’ils mefoutentlapaixoualorsj’enverraiuncertaindossiermassuequiruineraitd’unseul coup leurs prétentions». Ce dossier massue, malheureusement pour lavérité et l’histoire n’a jamais été ouvert, et il n’est même plus à l’heureactuelle,dansaucunearchiveministérielle.

Quel puissant l’a reçu en dépôt des «vigilants de l’Etat» et à qui letransmettra-t-on?Arme terrible, le jour où l’on voudrait ruiner, en effet, lesprétendantsàlalégitimitédelaCouronneFrançaise,quecellequirévéleraitladescendanceeffectivedeLouisXVII.

LemystèredesBourbonsresteentier.Ilestpourtantsoluble.Quilerésoudra?Quand?Etcomment?Làestl’énigme!»

Lestribulationsd’unétrangepersonnage

Ces révélations posent à l’évidence le problème de l’auteur de l’article de larevue des Ambassades. Et c’est avec une patience d’archiviste que ChristianCrépinapu reconstituer lespéripétiesde sonexistence, le recoursperpétueld’Henrotinàdifférentspseudonymes(deLaMarckoucomteRobertSantarès),nefacilitantpasvraimentlesrecherches.

EmileEugèneJustinRobertHenrotinnaquitle13janvier1900àDonchery,prèsde Sedan, dans les Ardennes françaises. Il était fils de Gaston Henrotin,serrurier,etdeMarie-MargueriteGilbert.

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JosephAugusteHenrotin,pèredeGastonetmaître serrurierétaitégalementoriginaire de Donchery, mais en remontant à la génération précédente, onretrouve un Henry-Joseph Henrotin né à Tellin, province de Luxembourg, auSud-est de Dinant, où un ancêtre paternel était décédé en 1831. Le nomd’Henrotinestd’ailleurstrèsrépanduenpaysdeLiège.Faut-ilrappelerquelecomtedeLaMarck,l’amideMirabeau,faisaitpartied’unegrandefamilledelanoblesse belge, possessionnée aussi bien en pays de Liège qu’en France, àRaismes,prèsdeValenciennes?Bienquemenu fretin, la familleHenrotinnepouvait ignorer les anciens seigneurs des pays belge et ardennais sous laRévolution. Retrouver le nomde LaMarck à LaHaye, dans les circonstancesque nous verrons, inspira sûrement Robert Henrotin dans le choix d’uneparentéimaginaire:comteRobertH.deLaMarck.

Est-cepourdonnerplusdepoidsàsonpersonnagequ’ilprétenditégalementserattacherducôtématernelàunGilbertdeBourbon-Parme?Samère,néeGilbert,nepouvaitpourtantpasinvoqueruneascendanceaussiillustre.

Maisrevenonsàlaviedenotrepseudocomteardennais.

Après la Guerre 14-18, et sans qu’on ait d’autres détails sur ses premièresannées, on retrouve Robert Henrotin, dans le registre de recensementmilitaire. Il fait partie de la classede 1920,mais s’était engagédéjà en 1918pourquatreansàlamairiedeMarseille.

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Ilestaffectédanslespaysrhénansd’octobre1919au21juin1922,périodeoùonleretrouvemaréchaldeslogisau276èmerégimentd’artillerieengarnisonàLandau, en Allemagne. C’est sans doute à Landau qu’il rencontra sa futurefemme,uneHollandaise.

IlrevintsemarieràDoncheryle2mai1921avecMarieAugustaJeanneAngèleRoovers, née enHollande, àGorinchem, en 1898. Le père d’Angèle, CornelisRoovers était professeur à l’école triennalede LaHaye.Cemariage conduisitHenrotinauxPays-Bas,à lasuitedesabelle-famille.Nous l’yretrouveronsen1922àLaHaye,au237ruevanAerssenstaat.

Ilyétaitenréservedel’arméeactiveavecuncertificatdebonneconduite.

Le registre porte une inscription incomplète en marge «consul rott…».Travaillait-il à Rotterdam, au consulat? C’est en tout cas dans un milieudiplomatique qu’il fit la connaissance d’unministre de France en poste à LaHaye qui eut sur lui une influence déterminante et qui fut la source de sesrévélationssurl’affaireLouisXVII.Nousyreviendrons.

MaissuivonsHenrotindanslasuitedesespérégrinations.

ToujoursenHollandeen1924,ilallavoirlatombedeNaundorffàDelft.

En1926,ilestàAbidjanenCôted’Ivoire.

Du6mai1927au2février1929,ilestauMaroc.

En1929onleretrouveàMarseille,puisàBoulogne-sur-Seine.Le7mai, ilestrenvoyé dans ses foyers et se retire à Sedan avec un certificat de bonneconduite.

Que lui arriva-t-il en septembrede lamêmeannéedans sonpaysd’origine?Accusé d’abus de confiance, il est condamné à 4 mois de prison, 50 francsd’amende,estcassédesongradeetredevientsoldatde2èmeclasse.

En1932, il estàMontreuil-sur-Seine,en1934àParis (12ème),puisàChalons-sur-Marne.

Divorcédesapremièreépousehollandaise,ilseremariele29mars1937àJoosTen Moode, aux environs de Bruxelles, avec Anne Villani, originaire deMarseille(ildivorceraen1952).

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Déchudesongrade,ils’engagedanslaLégionEtrangèresouslenomdeSylvioRuiz Santarès, se prétend de nationalité espagnole,mais est condamné pourinsoumissionle2juillet1937.

C’estàcetteépoquequ’ilsemetàécrire,danslaligneinspiréeparsonMentor,Charles Benoist, ancien ministre de France à La Haye, mort opportunémentpourHenrotin,quin’auraitsansdoutepasosérévélédessecretsdynastiquesduvivantd’unpersonnagetropconnu.

Nous y reviendrons, mais il faut d’abord nous occuper de la fin de carrièred’Henrotin, qui semble s’être désintéressé du sort de Louis XVII au profitd’aventurespolitiquesetfinancièresplusoumoinsavouables.

Unespionraté

ChristianCrépinasuivisapiste,d’abordàVichyvers1940.Henrotinprétendyavoir été engagé comme agent secret et avoir accompagné en ArgentineMarcel Peyrouton, ancien administrateur colonial dont il avait dû faire laconnaissance en Afrique du Nord. On devine que soldat déchu et désormaissansgrade,Henrotinavaitpréférénepasfairelaguerrecomme2èmeclasse.

Il émigra donc, mais finit par être arrêté par la police de Montevideo enUruguay comme faux espion.Wikipedia le débusquedansun article de2010intitulé «Robert de laMarck, un espia de fuste». L’auteur en estMercedesTerra,«Universitat de la Republica de Uruguay». La police uruguayenne

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l’expulsa vers la France et Bordeaux sur le bateau à vapeur le Kerguelen, endatedu7août1950.

Par ailleurs, Christian Crépin a découvert un document de la CIA en date defévrier1952etdéclassifiéen2006,quinousapprendcequisuit:

«Roberto Henrotin de Santarès a tenté le 31 mars 1949 de vendre àl’ambassade américaine de Buenos Aires un certain nombre de rapports depoliceargentinsetsedécritlui-mêmecommecitoyenfrançaisnéle13janvier1900, envoyé par le gouvernement de Vichy en mission économique enArgentineen1941; ilaensuitedémissionnédeson lienofficieletestrestéàBuenosAires,oùilaétéemprisonnéen1948pourimportationfrauduleusedecamions.Henrotinaaffirméqu’ilavaittraduitquelquesdocumentsdelapolicefédéraleargentinependantqu’ilétaitenétatd’arrestationrelativementàcetteaccusation.Sonoffredevendreunecopiedecesdocumentsaétérefuséeparl’ambassadeaméricaine.

AMontevideo, le 24 février 1950,Henrotin laisse àun fonctionnairedehautrang de l’Uruguay trois documents censés faire partie d’une série ayant sonorigine à la légation soviétique à Montevideo. Les documents consistaientapparemmenteninstructionsdel’UnionSoviétiquedeSud-Amérique(USSA)àdesdirigeantscommunistesà travers l’AmériqueduSud.Henrotinprétendaitlesavoirobtenusd’uncommunistefrançaisenUruguay[…].

Une analyse approfondie faite par des experts sur le communisme au siègeOSO conclut que les documents étaient des faux. Henrotin fut arrêté par lesautoritésuruguayennesle19juillet1950surdessoupçonsd’espionnagepourle gouvernement argentin. Lors de son interrogatoire, il admit qu’il avaitfabriqué les rapportsUSSAetavouaégalementqu’ilavaitétéemployépar lapolice fédérale argentine, avec un salaire mensuel régulier, commecommunisteetanti-PeronenUruguay,afinderendrecomptedesactivitésdesexiléspolitiquesd’Argentine.Ilaétéexpulséenaoût1950del’UruguayverslaFrance.

LematérielHenrotin a euune influence considérable sur les programmesdecertainsgouvernementsd’AmériqueduSudpourtraiteraveclescommunistes.Peron apparemment les croyait authentiques (Nota: Henrotin les aurait-ilfabriquéssurordre?).

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Alorsqu’Henrotinavaitadmissonstatutd’agentrémunérédelapolicefédéraleargentine, il n’y a eu aucune indication que desmotifs politiques spécifiquespro-PeronétaientderrièrelafabricationdesdocumentsUSSA.»

Henrotin,prisdans lemaillagecompliquédesrivalitésentreEtatsd’Amériquedu Sud, voulut se lancer dans l’espionnage à un haut niveau, qui n’étaitvisiblementpasdans ses capacités. Il échouamisérablement,et finitparêtreexpulsé. En fait, le tournantqu’avaitpris sonexistenceaprès sadéchéanceàtitremilitairelepoussaàdeschoixdeplusenplusdiscutables,quifinirentparleperdre.

Quedevint-ilaprèssonexpulsionverslaFrance?Onnelesaitpas:maisilestvraisemblablequelorsdesonretourdanslesannées1950,etdecrainted’êtrepoursuivipouravoircollaboréaveclerégimedeVichyen1940,ilsesoitréfugiéen Espagne franquiste, pays qu’il connaissait sans doute pour s’être dit denationalitéespagnoleen1936.

Laissons le personnage falot d’Henrotin à sa triste fin de vie, et revenons àl’époqueoùils’intéressaàlasurvivancedeLouisXVII,entrelesannées1936et1940.

Henrotin lui-mêmeayant reconnuqu’iln’étaitpasà la sourcedes révélationsde la revuedesAmbassades,maisqu’il les tenaitdupersonnage leplushautplacédansunemissiondiplomatique,leplusàmêmed’avoirensapossessionou de se faire communiquer des documents non consultables par le public,nous devons nous intéresser à sa «source sûre», la seule qui peut nousinspirer confiance: l’ambassadeur de France aux Pays Bas, qui se nommaitCharlesBenoist.

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CharlesBENOIST,lasourcesûre

DequiHenrotin tenait-il en1938ces révélations inédites sur le sortde LouisXVIIsouslaRévolution?Etd’abord,oùetàquelleépoquefut-ilmisaucourantparune«sourcesûre»?

Une première réponse nous est fournie par son article de la revue desAmbassades. En 1924, Henrotin revenait de Delft, où se situe la tombe duprétendantNaundorff.IlétaitdoncauxPaysBas,oùl’avaitconduiten1922sonmariage avec une Hollandaise, et plus précisément à La Haye, où il devaitoccuperunemploisubalterneàl’ambassadeouauconsulat.

Trèsjeune(ilavait22ans)etdéjàambitieux,ilvaréussiràfairelaconnaissanceduMinistredeFranceàLaHaye,CharlesAugustinBenoist,dontilciteplusieursfoislafonctionofficielleetdontillivreégalementlenom.Illerévèledefaçontransparente comme une source «sûre». On ne peut que le suivre sur ceterrain, Benoist étant la plus haute autorité française à La Haye, où il futministreplénipotentiairedeFrancede1919à1924.

Cen’estdoncpasàHenrotinqu’ilfauts’adresserpourjugerdelapertinencedesonarticle,maisàlasourceuniquedesesrenseignements,leministreCharlesBenoist.

CharlesBenoist,journalisteduTemps.

Ministre, Benoist ne le fut qu’une fois, de 1919 à 1924. Député, il le futplusieursfois,entre1902et1919.Maisl’essentieldesacarrièrefutcelled’unjournalisteinfluentetperspicace,d’abordauTemps,puisàlaRevuedesDeuxMondes.

Néen1861àCourseulles, dans leCalvados, «ce surdoué fut, tour à tourousimultanément, journaliste, grand reporter, professeur, historien, essayiste,hommepolitiqueetdiplomate.»(FrançoisBroche).

Cen’estpasunesinécurequedelesuivredanslespéripétiesd’uneexistenceaussirichequevariée.

En 1889, il part pour le Temps enmission à Rome où il reste jusqu’enmars1890. Ses articles sont écrits sous un pseudonyme: Sybil. Henrotin suivra

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l’exempledupseudonyme,nonpourdissimulersonidentité,maisavecl’espoird’attirerl’attentionsursapersonneetsesambitions.

En 1890, premièremission de Charles Benoist à La Haye, où il note pour leTempsuneimportanteinfiltrationallemandeenHollandeetdénombre40.000AllemandsàAmsterdam;lejournalisterevientparlaBelgiqueetBruxellesoùiltrouveleJournaldeBruxellesdéchaînécontrelesHollandais.

En novembre 1891, lors d’un second séjour à Rome, Benoist analyse la crisefinancièreetmonétaireenItalie.

CharlesBenoist,journalistedelaRevue

Auprintemps1893,Benoistquitta leTempspour laRevuedesDeuxMondes,oùilfutdenouveauemployéàdesmissionsàl’étranger.

Il profiterad’un séjourenBelgiquepourécrireune«Petitehistoirepolitiquedu royaume de Belgique», écrit où se révèlent ses connaissances de droitconstitutionnel.

DenouveauàLaHayeen1898,ilassisteàl’avènementdelareineWilhelmine.

DelaHollandeaucantondesGrisonsenSuisse,Benoistestuntémoinintéressépar ladémocratiehelvétique.Mais sesobjectifs, fort sérieux,ne l’empêchentnullement de donner libre cours à son tempérament facétieux. Benoist aimeplaisanterauxdépensdesesinterlocuteurs:

«LesuisseDecurtius,encréditauprèsdupapeLéonXIII,s’inquiètedenepasvoir venir un témoignage de faveur en provenance de Rome quand il prendl’initiatived’uneconférencedetravailpourlapréparationd’uneencyclique.

-C’est,dit-il,quelePapeestnerveux.

-Comment,sinerveuxquecela?rétorqueBenoist

-Maisoui,iladescaprices,descolères,iljettesonculotteenl’air!

«Decurtius, luiditalorsCharlesBenoist,nerépétezjamaisàpersonnecequevousvenezdemeconfier.Etd’abord,précisez:qu’est-cequ’uneculotte?

-Ehbien,c’estcepetitchoserondquelesprêtresmettentsurlatête.

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-Pasdutout,cen’estpassurlatêtequeseportelaculotte.Vousvoulezdiresacalotte!

Benoistconclut:Decurtiusn’étaitpashommeàs’interromprepoursipeu…

(Souvenirstome2,p.120)

Après la Suisse, la Revue envoya Charles Benoist en Espagne, où il lui falluttrouverunhôtel.

«Je fis connaissance des auberges espagnoles et j’éprouvai la vérité duproverbe charmant, qui leur comparant l’amour, avertit qu’on y trouve cequ’on y apporte. Devant la sortie, à la gare, étaient rangés deux omnibus.L’écriteaudel’unannonçait:HôteldeFrance,celuidel’autre:Anticafondadela Rafaëla. L’esprit patriotique me poussait vers le premier; le goût de lacouleur locale, vers le second. Je laissai la décision auhasard, et n’eus pas àm’enrepentir;car lesdeuxvéhicules,ayantroulédeconserve,tournèrentaumêmecoinderueetentrèrentdanslamêmecour.L’hôtelmoderneetl’Anticafonda n’étaient qu’un seul et même établissement. Ce n’est d’ailleurs pointcalomnier sa cuisine que de ne pas la recommander!» (Souvenirs, tome 2,p.135).Bonexempledel’espritpercutantdenotrejournaliste.

Que l’on ne croie pas que ce caractère primesautier le dispensa d’écrire unequarantained’ouvragesd’analysespolitiquesapprofondiescomme:laCrisedel’Etat moderne (1895), la Réforme parlementaire (1902) ou la Monarchiefrançaise(1935)unsujetplusprochedesespréoccupations.

Titulaire de la chaire d’histoire constitutionnelle à l’Ecole Libre des SciencesPolitiques(1895),éluàl’AcadémiedesSciencesmoralesetpolitiquesen1908,CharlesBenoistapparaîtcommeunanalystepolitiquereconnuetappréciédel’éliteintellectuelledesontemps.

DesesdeuxséjoursenEspagne,en1894,1896-1897,iltiralamatièred’undeseslivreslesplusimportants:CanovasdelCastillo,quifutundesacteursdelarésurrection de la monarchie espagnole sous la régence de la reine Marie-Christine,néearchiduchessed’Autriche.Notonsqu’undesesministresétaitlecomte de Romanones, cité dans l’article d’Henrotin, comme correspondantd’unsecrétaireducomtedelaMarck.

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En 1895, Benoist assista aux années décadentes de la monarchie austro-hongroise (Souvenirs, tome2,p.232): «J’étais àVienneenmadoublequalitéderédacteurpolitiquedelaRevuedesDeuxMondesetdeprofesseuràl’EcoleLibre des Sciences Politiques où j’avais à étudier, dans mes leçons, lesinstitutionsdel’Autriche-Hongrie».

En1897,CharlesBenoistterminaitsonpériplepar l’étudede laHongrie,où ilrencontralesnationalisteshongroiscélèbres,lesApponyi,lesKarolyi,lesZichy,lesEsterhazy;etplusparticulièrementlecomteJulesAndrassy,filsdeceluiqui«pendulaveille,commedisaitlemarquisdelaTourduPin,étaitchancelierlelendemain»(Souvenirs,tome2,p.352).

CharlesBenoist,députédeParis

En1898,notrejournalistetoucheàtoutdécidadeseprésenteràladéputationàParis.CenefutpasuneminceaffaireetiléprouvaquelquesdifficultésdansleVIèmearrondissement:«Laplaceavaitétéoccupéedurantunelégislatureparun fantoche de brasserie et de loge, que la franc-maçonnerie avait juché auplushautbarreaudesesdignités,etquisenommaitAlbertPétrot.RemplacéparAndréBerthelot, le filsdugrandchimiste,quiaspiraitàquitter l’HôteldeVillepourlepalaisBourbon,lesiègelégislatifétaitvacant.Danssonensemble,lacirconscriptionétaitmédiocrepourmoi,quantàsesopinions:tropradicale

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dansl’undesesdeuxquartiers,tropcléricaledansl’autre.Detoutefaçon,onn’eûtpulivrerlecombatsansdésavantageabsoluqueseulàseul.Maiscenefutpaslecas.

Lelieutenant-colonelMonteil,lefameuxexplorateurafricain,apercevantsurlacartedeParisunvide,ysautaàpiedsjoints.Quand,plustard,jeluidemandaila raison qui l’y avait poussé, il me répondit: «Eh bien quoi! L’Hôtel de laSociétédeGéographien’est-ilpassurleVIèmearrondissement?».Vainementje soumis à sa réflexion que le boulevard Saint-Germain (siège de laditeSociété)àcetendroit,estde lacirconscriptionvoisine, ladeuxième,etqu’ausurplus, pas un des membres de la Société n’y habite, il n’en voulut pasdémordre (Souvenirs, tome 3, p.6). Le lieutenant-colonel Monteil, battu àplatescouturestournasesvastesdesseinsversunautrebut,etd’abordverslaprésidencedelaRépublique…».

Quatre ans après, en 1902, Charles Benoist fut élu. Ce ne fut pas sansopposition.Etuntractrépanduparsesadversairesnousfaitdevinerlescôtésinconnus de sa personnalité, qu’en bon disciple de Machiavel, il cherchatoujoursàdissimuler:

Citoyens,

M.CharlesBenoist,candidatduComitéConservateuretdescerclescatholiques,candidat des journauxmonarchistes, continue lesmanœuvres équivoques parlesquelles il espère tromper quelques électeurs républicains. Vainement cetapologiste de la monarchique et cléricale Autriche, de la monarchique etcléricaleEspagne,cetadmirateurfanatiquedusacréCollègedesCardinaux,cedétracteur passionné de la France républicaine voudrait aujourd’hui se renierlui-mêmeeteffacerlesouvenirdesattaquesqu’ilaprodiguéesauxinstitutionsdémocratiquesetausuffrageuniversel…

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Avec quelque exagération, n’a-t-on pas là une clé pour déchiffrer la penséesecrète de Charles Benoist? Pensée qui se dévoilera d’ailleurs à la fin de sacarrièrequandilrejoindralesrangsdespartisansdeCharlesMaurras.

Fin observateur de la politiquedes cabinets deClémenceau, Briand, Caillaux,préoccupé par la question du Maroc et les négociations avec l’Espagne,absorbéparunprojetdemissionàMadrid,Benoistseratoujoursprêtpourdesvoyagesàl’étranger.PendantlaGrandeGuerre,ils’occupepeudespéripétiesmilitaires,maisacceptedeuxmissionsàRome, l’uneaudébut, l’autreà la finde 1915. Si bien qu’en 1916, on le croit ambassadeur de France à Rome.Ecoutons-lenousenparler:«Auprintemps1916,jetravaillaisàlabibliothèquede l’Institut. Mon confrère et ami, Alfred Rébelliau, qui en était alors leconservateur,vintàmoietm’apostropha:«Jenevoussavaispassicachottier.Pourquoi ne nous avez-vous pas dit que vous étiez ambassadeur à Rome? –Quelle est, repartis-je, cette plaisanterie? – Rien de plus sérieux!» et il allachercherl’almanachduGothapour1916.J’ylusentouteslettres:Rome,palaisFarnèse,ambassadeur:S.Exc.M.CharlesBenoist…etlalistedupersonnel.M.Camille Barrère (le titulaire officiel) avait disparu (Souvenirs, tome 3 p.277).Erreur sans doute,mais qui dévoilait à coup sûr la secrète envie de Benoistd’occuper ce poste prestigieux à Rome. Faute d’être nommé dans la VilleEternelle,ilaccepteratroisansplustardd’êtrenomméministredeFranceàLaHaye.

Enattendant, toujoursdéputé jusqu’en1919,Benoist rumine ladéceptiondeses expériences parlementaires. Un problème de réforme électorale qu’ildésapprouvait acheva de le désappointer et il renonça tout de bon à ladéputation. En conclusion, il asséna à la fin du récit de ses souvenirs à laChambrecemotdésabusé:«J’avaisappris l’impuissanceduparlementarismeomnipotent.»(Souvenirs,tome3,p.367).

CharlesBenoist,ministredeFranceàLaHaye

Un jour de septembre 1919, M. Stephen Pichon, ministre des AffairesEtrangères, demanda à Benoist s’il n’avait plus l’intention de poser sacandidature aux prochaines élections, et dans ce cas, s’il accepterait uneambassade. Benoist suggéra Athènes,mais Pichon lui offrit LaHaye. Il fallaitl’avaldeClémenceau,qui,aprèsquelquesplaisanteriesà l’adressedePichon,

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dont l’idée,après tout«n’étaitpas sibête»,acceptadenommerBenoistenHollande,enluiprécisant:«Ilyalàunefemme,lareine,trèsintelligente,maismalentourée,ilfautluiparler;vouspouvezlefairemieuxqu’undiplomatedemétier.».C’étaitbienvu,maisànotregrandedéception,CharlesBenoist,dansses souvenirs se cantonna à la question de la présence des Hohenzollern enHollande, de l’arrivée de l’ex-Empereur au départ de l’ex-Kronprinz, du 10novembre1918au10novembre1923.

Benoist fut d’ailleurs rappelé en 1924 par Edouard Herriot et le Cartel desgauches,sansautreexplicationetàsongranddésappointement.

IlrepritdoncàParis,sonrôledejournaliste,particulièrementàl’EchodeParis,auquelilavaitautrefoiscontribuéparl’envoidebulletinssouslepseudonymede «Junius», avant de tomber, comme il l’écrit lui-même, dans le grandsilence.

Lesraisonsd’un«GrandSilence.»

C’estlaquestionessentiellequenousavonsmaintenantàexaminer.PourquoiCharlesBenoist,cepersonnagedisert,cedéputéactif,cetécrivainà laplumefacile, n’a-t-il jamais parlé dans ses Souvenirs des recherches sur la périoderévolutionnaire et d’une possible survie de Louis XVII dont fait étatHenrotindansl’articledelarevuedesAmbassades?

Ilestdifficiledepenserqu’unjournalistedeformation,habituéàenquêteràunniveauélevésur lerenouveauet lachutedesgouvernementsetdesempires,l’auteurd’unlivresurlaMonarchieFrançaise,n’aitpasapprofondiaucoursdesonambassadeenHollande laproblématiquede lasurvivanceéventuelledesBourbons, telleque la rapporteHenrotinen1938.Si leministreaeuaccèsàdesdocumentsdéposésà LaHayeà l’époque révolutionnaire, s’il a suivi leurparcoursdansletemps,pourquoin’enavoirjamaisfaitétat?

Lerécitdesesannéesd’ambassadeauxPaysBas,axéuniquementsurledestindelafamilleimpérialeallemandedéchue,estparticulièrementdécevant.Ilestvraiquenousn’avonsenmainqu’unseulchapitredesSouvenirsdeBenoistenHollande, des années 1919 à 1924, le seul destiné à être rendu public. Parcontre,nousnepossédonspaslejournalqu’ilacommencéàrédigeren1921,etdontiln’apubliéquedemaigresextraits.

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Prudent, Henrotin se garda bien de révéler les confidences que lui fitl’ambassadeur sur ses rechercheshistoriquesavant lamortde cedernier, en1936. Il risquait fort d’être démenti, car le silence de Charles Benoist, sonMentor, l’homme qu’il admirait et suivait dans ses choix politiques, était unsilencevoulu,unsilencepolitique.

Ils’agissaitdepréserverleschancesd’unedynastieàaccéderaupouvoir,qu’undossierbienargumentérisquaitderéduireànéant.

Intérêtdynastique,nousditHenrotindanssonarticle.CepassagedelafindesSouvenirsdeCharlesBenoistvaluidonnerraison,etnousapprendrelescausesdecesilence,quicouvre,unefoisdeplus,unsecretd’Etat.

«Toutceque jeviensd’écriremontreclairementque la longueévolutionquim’aamenéàlaMonarchiedansunevieillessedépourvued’ambition,aétéunpurtravaildelatête.Lecœurnes’enestmêléqueplustard,quandlamaisonde France s’est ouverte à moi, avec une bonté, une grâce, une simplicitéroyales.

En1929,Mgr leducdeGuisevoulutbienmeconfier l’éducationpolitiquedeMgr leComtedeParis. Le jeunePrinceavaitvingtetunans. Jepuisaffirmerquerienn’aétéécartéouomisdanscetteéducationpolitiqueduPrince.Aucunn’aétécommeluipréparéaugouvernement.Oùqu’ilposelepied,ilsaitoùilva. Et comme sa volonté a pour objet fixe de n’être point, le cas échéant,inférieurà sadestinée, si laProvidenceou laFortune leprendun jourpar lamain,ilsuffitqu’ilsoitroi,pourqu’ilsoitungrandroi.ToutcedontlaFranceabesoin,ill’apporte.Lereste,c’estauxFrançaisdelefaire.

Avec le général de Gondrecourt, j’ai conduit le comte de Paris en Pologne.Partout, il a traîné tous les cœurs après lui, et les Polonais n’ont pas été lesderniers àmanifester. Dès qu’ils l’ont vu, ils l’ont adopté tout de suite. Sonvoyage s’est poursuivi comme sous un souffle de bienvenue et rien qu’en semontrant,ilafaitsaluerlaFrance.MaismonattachementpourleFilsnedoitpasmefaireoubliermarespectueusegratitudepourlePère.NulFrançais,plusque le duc de Guise, n’est spécifiquement français par son caractère et sesqualités.Bienpeu lesontautantque luiparcettequalitéprimordialeque j’ainommée«lesens français».C’est lebonsens faithomme.Peu loquace, trèsréfléchiaimantàtourneretàretourner leschoses,à lesconsidérersoustous

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leurs aspects, lent à se prononcer, précis dans ses paroles, il a un jugementinfaillible,etdepuisqu’ilm’apermisdesuivresapenséeetsesdirections,jenel’ai jamais vu se tromper, pas plus sur les hommesquedans les affaires. Il atoutsonmondedanslesyeuxetdechacunilsaitexactementlefortetlefaible,sisacourtoisiesouverainenesouffrepasquel’ons’enaperçoive.M’ayantmisauprèsde lui, ilm’a toujoursvouluauprèsde lui, aumariagedePalerme,aubaptême des enfants royaux, et je lui ai voué, pour m’y avoir associé, unereconnaissancequinepériraqu’avecmoi.»

Cet aveu en forme de conclusion révèle la mainmise totale de la Maisond’OrléanssurCharlesBenoist.Onl’appréciaitenfinàsajustemesure,onavaitbesoindeses lumières, iloubliaitsesdéboirescommedéputéet l’ingratitudeduministèrequiavaitmisfinàsacarrièreauxAffairesEtrangères.

Comment supposer qu’il aurait pu trahir dans ses Mémoires les intérêtsdynastiquesdelafamilled’Orléans,àlaquelleils’étaitsitotalementinféodé,etqu’il oserait jeter la suspicion sur leur légitimité? La simple évocation del’existencedupetitCapetluiauraitsembléunefélonie.

Henrotinl’avaitfortbiencomprisetattenditprudemmentledécèsdeCharlesBenoist pour se jeter à son tour dans l’analyse politique, et les articles surl’avenirdelamonarchie.

Avait-il été définitivement impressionné par la personnalité du ministre deFrance? Lui servit-il quelque tempsd’indicateur?On remarqueeneffetqu’ilquittalaHollandeetsafemmehollandaiseaprès1924,commel’ambassadeurdémisdesesfonctions.Curieusement,ilsemble,de1937à1940,avoircalquésavieetsesintérêtssurcelledesonMentor.

DanslarevuedesAmbassades,ilpublieplusieursarticles:

• En août 1937: La question des Habsbourg (signé comte Sylvio RobertSantarès)

• Enaoût1938:Unelettreàproposdel’affaireNaundorff(signéSantarès)• Danslejournall’Ordre,enmars1939:l’ItalienenEspagne(signécomte

RobertdeSantarès)

Ces textes sont inspirés par les missions de Charles Benoist en Italie et enEspagne,ainsiqu’àsonintérêtpourlesquestionsdynastiques.

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D’autresarticles,égalementsignésRobertdeSantarès,seréfèrentdirectementà l’activité de Benoist, rapporteur en 1905 d’un projet de Code du Travail. Ils’agitdu«Procèsdel’or»(1938)etde«LaValeurdutravail»(1940).Maisàpartir de 1940, il s‘oriente vers d’autres centres d’intérêt et tombemanifestement sous l’influence de Marcel Peyrouton, ancien ministre desColonies. Il partira avec lui enArgentine, puis enUruguay, où l’on connaît latristefindesacarrière.

Nous l’y laisserons, pour revenir au texte de la Revue des Ambassades et àl’enquête sur l’Enigme des Bourbons, directement issue des recherches deCharlesBenoist.

LesdocumentsdeLaHaye

Lespremierstextescitésdans laRevuedesAmbassadesémanentduministreThugut, à la tête du ministère des Affaires Etrangères autrichiens dontdépendaientlesPays-Bas.Onapprend,parunelettreadresséeàStahrembergen Angleterre, que Thugut doutait fortement en 1795, de la mort du petitCapet.IlsoupçonnaitlesbrigandsdelaConventiondel’avoirdissimulédansunendroit secret d’où l’on pourrait éventuellement le retirer. Quant au duc deBrunswick,beau-frèreduroid’AngleterreGeorgeIII,unpassagedeCapetversl’Angleterreauraitpuprovoquerdeséchangesdecorrespondance.Onsaiteneffetqu’unedesprincipalesvoiesde l’émigration,pour lesréfugiéspassésdeFrance en Belgique, était un départ pour le Royaume-Uni en partant deRotterdamversHarwich.

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De tels documents auraient été acheminés vers l’Espagne dans les années1880,présentésdansune lettredusecrétaireducomtede laMarck.Cetitre,donné en France avant 1791 à Auguste Raymond, prince d’Arenberg, révèlel’importance du rôle que joua cet aristocrate belge dans le destin du fils deLouisXVI.Nousconnaissonsparailleurslenomdesonsecrétaire,JeanPhilippeStaedtler,actifdepuis lesannéesde laRestauration jusqu’àsamorten1877.Basé à Bruxelles, il était tout à la fois intendant et secrétaire d’Augusted’Arenberg,ainsiquedupluscélèbredesAnglais,leducdeWellington.

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Quantaudestinatairedesdocuments, lecomtedeRomanones, ilprésidait legouvernement de la Régente Marie-Christine d’Espagne, une Saxe-Teschen,petite-fille de l’archiduc Charles, le frère de l’empereur François II. Qui peutoublierleprojetdemariagedemadameRoyaleaveccegénéralcélèbre?

Last, but not least, les détails de l’enlèvement du Temple auraient étéconsignés dans un document, remis par le comte de LaMarck au comte deMetternich-Winneburg (pèredudiplomateClémentVenceslas)etministredel’AutricheauxPays-Basen1793et1794. Ilne fautpas s’enétonner,puisquec’étaitlavoiehiérarchiquenormalepourtransmettredesrapportsàlaCourdeVienne. L’arrivéed’un telprocès-verbaldans lebureaudeThugutàViennead’ailleurs été notée par Pellenc, ancien secrétaire de Mirabeau et quelquetempsemployéparleministèreautrichien.

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TouscesdocumentsauraientétéenvoyésauxBourbonsd’Espagne,àMadrid,puisauxarchivesde laCour,où,étantdonné leurcaractèredesecretd’Etat,M.Crépinn’avaitaucunechancequ’ilsluisoientcommuniqués.

Conclusion

Encoreunefois,«legrandSilence»s’étendcommeunechapesurledestindupetit Louis-Charles. Et pourtant, nous avions eu une lueur d’espoir endécouvrant dans la revuedesAmbassades (publication relativement récente)unarticlequisedémarquaitenfindesvoiesdéjàempruntéesàlarecherchedeLouis XVII. Un nouvel acteur: le comte Auguste de la Marck, une nouvelledirection: l’Europe du Nord, via Bruxelles et La Haye, une bifurcationinattendueversl’EspagneetlesArchivesroyales.

Maiscettelueurs’estviteéteinte.Leseulhommequiauraitpuguidernospassur cette piste prometteuse, Charles Benoist, fut discrètement pris enmainspar des intérêts dynastiques, toujours présentsmalgré les deux cents ans del’histoirede laTourduTemple.Ce littérateurbavardsetut,son journalde laHaye ne fut pas publié. Mais les traces en demeurent, et nous avonsfermementl’intentiondefairerevivrecettenouvellerecherche.

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ContedeNoël2015

La fiche

égarée

César Gonzague Alphonse Sigismond de La Mare de La Tour,surnomméQuatreenraisondesesdeuxparticules(deetde)parsesancienscamaradesderégiment,avaitprisuneretraitebienméritéedeColonelaprèsuneguerrede1870,qui,malgrésesprouesses,avaitétéperdue.

Selonlui,lafauteenrevenaitmoinsauxPrussiensqu'auxrépublicainsqui depuis longtemps espéraient la chute de l'Empire lors d'uneconflagrationquelconqueetàcette finavaientrognésur lescréditsmilitaires les dernières années .On a pu vérifier, du reste, cetteconstancedansl'erreuretdansseseffets,entreautresàSedan,passeulementen1870,maisaussiunpeuplustard,en1940!

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DansunepetitevilledeFrance,encorehabitéepardesFrançaisen1871,ilexistaitunebibliothèquemunicipaledontledirecteurvenaitmalencontreusementdedécéderaprèsunrepasdiététiquecomposéseulement de quelques entrées de charcuterie, d'un morceau deboudin avec sa garniture de purée de pommes de terre, d'un bonrosbeef,defromagesdivers,dequelquesdesserts :seulementdeuxéclairsauchocolataccompagnésdedeuxautreséclairsaucafé,cettefois pour ne pas faire de jaloux, de quelques choux à la crème,d'oeufsàlaneige,spécialitéducuisinier,pâtissierlocalqu'ilnefallaitpasvexer.

MonsieurleMaireétaitembarrassépourluitrouverunsuccesseuradhoc, le secrétaire demairie étant déjà très occupé, l'instituteur quiavecsesopinionstrèsengagéesdanslemauvaissens,auraitrempli,si on l'avait laissé faire les rayons de la bibliothèque des œuvrescomplètesdeVoltaire,deRousseau,ettuttiquanti.

Quant à Monsieur le Curé, il n'en n'était pas question pour deuxraisons principales venant s'ajouter à d'autres, d'abord parce qu'ilauraitcomblélesrayonsd'ouvragesdesPèresdel'Eglisequ'iln'avaitdurestepas lusetensuiteparcequ'ils'étaitdepuisquelquestempsspécialisédanslarédactionquiluiprenaittoutsontempsdesermonsdudimanchepourpromouvoir lavertudesfemmes,sesconfessionsrécentesluienayantrévélél'impérieusenécessité.

Restaient quelques notables, Monsieur Legros, pharmacien, trèsmaigremaisaussi trèsmyopequiavaitbiendumalàdéchiffrer lesordonnancesdudocteur,quisefaisaitunplaisirdemallesécrirecarildétestaitlepharmacien.Ilenrésultaitparfoischezlesmaladesdesaffections bizarres dues au mauvais choix des médicaments. Unecertainedameensavaitquelquechose,obligéedegarderlachambreunedizainedejours,enraisondeproblèmesgastriques.

Monsieur Grosboulon, industriel, fabricant d'aiguilles, très imbu delui-mêmeetqui affirmaitpéremptoirementquandon lui faisaitdescomplimentssursaréussite,qu'ilétait,àluitoutseul,lefruitdeses

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œuvres.LeMaire,méfiant,pensaitdelà,àjustetitre,qu'ilnedevaitpas posséder une culture générale suffisante pour bien gérer unebibliothèque.

Mademoiselle Ouimaisnon, dame patronnesse, qui conduisait lesenfantsvers leparadisenpassantpar leurpremièrecommunionetquiavaitl'habitudederépondreàceuxdesesélèvesquiluiposaientparfois des questions à la fois logiques etmétaphysiques : Tais-toi.Apprends!

Le choix était en réalité difficile car tantôt les candidats possiblesétaient trop occupés, tantôt insuffisants au niveau de la culturegénéraleetparfoislesdeux.

C'estalorsquelemaireeutl'idéequineluiplaisaitguèredurestedese tourner vers le château. Il faut savoir qu'en France, en généralquand tout va mal, ce qui est assez fréquent, les populations ontl'habitude ancestrale de se tourner en dernier recours vers lechâteau,commeleursancêtresjadispourseprotégerdesinvasions.L'exemple illustre de ce phénomène est resté dans les mémoires.Aprèsledésastrede1870,onconstatal'émergenced'une«nouvelleChambre Introuvable»composéesurtoutdemembreséminentsdela Noblesse. Il s'en fallut du reste de peu, que la MonarchieTraditionnelle soit enfin rétablie en la personne du comte deChambord. Pour des raisons trop simplement expliquées, et quirecèlent encore une importante part demystère, la suite fut touteautreetlaFranceretombadanslesmagouillesdespartis,c'est-à-direenrépublique.

Donc,MonsieurleMaire,àsoncorpsdéfendant,aprèsavoirexaminétoutes les possibilités ou plutôt les impossibilités de trouver unremplaçantpourlabibliothèque,sedirigeavers lechâteau, luiaussicomme tant d'autres avant lui, pour solliciter le comte César de laMare de La Tour qui devait, de son point de vue, et malgré sesréticences,détenir lesqualitésnécessairespourdiriger lepersonnel

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restreintd'unebibliothèqueaprèsavoircommandéunrégimentetlaculturegénéraledespersonnesdesonmilieu.

Le comte était dans sa salle de gymnastique où le maire alla leretrouveretledialoguesuivants'engagea:

« Mes respects, Monsieur le comte, excusez -moi de venir vousdérangerde si bonmatin,mais j'ai un vrai problèmeet je souhaitevousenentretenir,sivousenavezconvenance,sijenevousdérangepastrop,si…

Trêve de circonvolutions, Monsieur le Maire, allez au fait, de quois'agit-il?

Ehbienvoilà,voussavezquenotredirecteurdela,bibliothèquevientdenousquittersuiteàunebizarremaladiefoudroyante.

Rien de bizarre, il bouffait trop c'est tout et cela aurait dû arriverdepuis longtemps, répondit le Colonel, qui tenait comme un pointd'honneurà continuerd'utiliser levocabulairedirectet imagéde laCavalerie.

Certes,maismaintenantjedoisluitrouverunremplaçantetcen'estguère facile,aussi j'aipenséàvous,pourmeconseilleroumêmesicela vous convenait occuper cet importante fonction culturelle. Jesais que vous êtes déjà fort occupé avec vos chasses tant à courrequ'a tir, vos chevaux, votre amicale des anciens du 8ème dragons,votreprésidencedel'associationdesancienscombattants,delaSPAlocale,etc,etc…

Après tout, pourquoi pas répondit le Colonel, pensant qu'il allaitpasser un bon moment, ne serait-ce qu'à purger les rayons desouvragesqu'iln'affectionnaitpasdutout.Deplus,lepetitpersonneldemeurait pour faire les travaux ingrats et la réception générale.Quantàluiilétaitdécidéàseréserverlesclientslecteursimportantsquesonprestigeferaitvenir.

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Quelques joursplus tard, leColonelpritpossessiondesonnouveaudomainelorsd'unepetitecérémonie,enprésencedumaireetdesonconseilmunicipal, deMonsieur le Curé, du garde champêtre et dupersonneldelabibliothèque.

Cederniercomprenait,avecuneffectifthéoriquedehuitpersonnesuneffectif réelde seulement troisen lapersonnedeMademoiselleColette, lavigilantesecrétairequiveillaitànepasconfier lesbeauxlivresàn'importequi,àinterdireauxjeunesettrèsrareslecteurslesouvrageslicencieux,etsurtoutàcequ'onluirapporteleslivresdanslesdélaisimpartisd'uneduréedequinzejours.

MonsieurLerat,fonctionnaireretraitéetchasseurdepapillons,d'uneextrêmegentillesse,maisparfaitementdistrait,affectéenplusd'unemémoire défaillante qui passait son temps à classer et reclasser. Ilétaitdéconseillédes'adresseràluipourtrouverunlivrequelconquesauf à s'engager dans une conversation intéressante au sujet deslépidoptèresdel'AsieCentralecomparésavecceuxdelaCorrèze.

On trouvait enfin, tout en bas de l'échelle hiérarchique, Charlot,surnomméGros Poulot comme un fils de Louis-Philippe, et dont lascolarité avait atteint très vite ses limites. On l'avait placé là, enattendant le Service Militaire et avant ses fiançailles avecMademoiselle Lebel comme on disait jadis dans nos campagnes.Promu balayeur en chef, grand ordonnateur du plumeau et deséponges, il assumait la tâche de nos modernes techniciennes desurface.

Lemairesecrutobligédeprononcerunpetitdiscourspréliminaireencestermes:

Ehben, voilà, voilà!Monsieur le comtede LaTour abien voulu secharger de la direction de notre bibliothèque après le décèsimprévisibleetsoudaindenotreexcellentanciendirecteur,dontlestravauxresteront,resteront...

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Danslestiroirs,conclutleColonelquiavaithâtedeprendrelaparoleetquienmêmetempsrenditserviceaumairequinesavaitplustropcommentterminersonapologie.

Mes amis, hum, hum, aujourd'hui, en ma personne c'est un peul'Armée qui vous prend en main. Soyez assuré de sa bienveillancemais aussi de sa vigilance quant au respect de l'ordre et du bontravail. Vous allez me montrer chacune de vos tâches, afin que jeconnaissevosméthodes,aprèsquoijevousprescrirailesmiennesquinemanquerontpasd'améliorerlefonctionnementgénéral.

Autravail!Etvive laFrance!Vive le8èmedragons,et tout lesaintFrusquinpourlereste!

Ayant terminé son discours par cette péroraison énergique maisbrève, le Colonel parcourut les rayons en compagnie deMademoiselleColetteàquiilfaisaitl'honneurdedonnerlebrasetlerestedel'assistancelesuivitencortège.

Toutsepassapourlemieuxjusqu'aumomentoùpourbienanalyserle fonctionnement de ses nouveaux service, le Colonel demanda àl'excellent M. Lerat, archiviste par devoir et grand prédateur delépidoptèrespargoût,deluitrouverlegrandDictionnairedeMoreri.

Le pauvre homme fut bien embarrassé. Il se souvenait avoir rangéquelquesmoisplustôtleslivresdelaLettreMmaisaprès?Fallait-ilchercher àMoouMau? Sa longuehésitationdevenait inquiétantecarlecoloneln'avaitpaslaréputationd'êtretrèspatient.

HeureusementCharlotvintviteàsonsecours.

Ahsi,jesais,cesontlesdeuxgrosbouquinspoussiéreuxaufonddela dernière pièce au dernier rayon de gauche que personne ne vajamaischercher.

Trèsbien,monamidit leColonel.Vousêtes fortefficacecomme laréservedelaGarde!

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Depuiscemomenthistorique,Charlotquandilallaitboireuneboléedemaîtrecidreavecsescopainsleurdisait:«VousdevriezêtrefierslesgarsdepouvoirtrinqueraveclaréservedelaGarde!»

Laréunionseterminaparunesortedelunchd'autantplusappréciéque l'épousedumairequi l'avaitpréparén'avaitpas lésinénisur lesaucisson, ni sur le cidre, même pas sur le petit verre de calvadosclôturantlaréunion.

Lelundisuivantlecolonelcommençasesmisesaupoint.Ilenrésultaun ordre du jour qui devait se répéter chaque fois de la façonsuivante:

Matinée : Purgedesouvragesqui n'avaientpas ledondeplaire auColonel.

Premièrephase:repérage.

Deuxièmephase:examenduColoneletaprès,sadécision.

Troisièmephase:éliminationoureconduiteaurayoninitial.

Cetteopérationaussidélicatequenécessairesedéroulapendant lapremière semaine. Les œuvres complètes de Rousseau furent lespremièresàbénéficierdecetteéliminationroborative. Il futbientôtsuivi de Diderot à la demande expresse de M le Curé. Le ColonelhésitaunpeupourVoltairequiavait fait l'élogedeFontenoyetsesœuvres prirent la route du château, avec un certain nombred'auteurs libertinsduXVIIIème siècledont le colonel se réservait lalectureavanttoutedécision.

Les œuvres des révolutionnaires de tous poils girondins commemontagnards et autres ravageurs prirent le chemin du dépotoir enpassant par les poubelles. Les après-midi continuèrent à êtreréservées aux lecteurs dont l'effectif était du reste plus réduit queceluideslectrices.

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La semaine suivante fut consacrée à donner à la bibliothèque unenouvellestructurelogique.

Commedejustelaplusbellepièced'entréeavecsesbeauxlambrisetsesmeublesgrillagésàl'anciennefutaffectéeàlalittératuremilitairequi,entreparenthèses,envautbiend'autres,etmêmequi,auxyeuxdu Colonel, les surpassait toutes et de loin! C'est pourquoi, il mittous ses soins à ordonner aumieux et à bien ranger avec l'aide deCharlot promu à cette noble tache les grands auteurs encommençant par l'Antiquité, de Polybe à Plutarque, en passant parXénophon. Ils furent tous placés aux rayons bien visibles, surtoutCésar,prénomdonnéenpremierauColonel,etquiluiconvenaitfortbien en son for intérieur. La chronologie fut minutieusementrespectéedepuislachansondeRolandenpassantparlesChroniquesde JoinvilleetdeFroissart, lesnombreusesbiographiesdeTurenne,les grands théoriciens du XVIIIème siècle, deGuibert à Folard. Unenobleplacefutréservéeàl'EmpereurNapoléonetsagesteetmêmeNapoléonIIIquin'avaitpaseudechance,récemmentàSedan,maisqui avait écrit de doctes ouvrages sur l'art militaire antique. Parcontresonessaisur«l'extinctiondupaupérisme»futreléguédanslapièceannexeausous-sol,aupurgatoiredesn'importequoi.

Les historiques régimentaires furent classés en bon ordre dans lesrayons,c'est-à-direqueceuxdesdragonsfurentplacés lespremiersavant toute la cavalerie. Vinrent ensuite l'infanterie, les armessavantes,artillerieetgénie,lestroupesd'Afrique,etc.

UnrayontoutentierfutaffectéauxGardesRoyalesetImpériales.Lesbiographiesdesmaréchauxeurentaussiunebonneplaceà côtédecertains généraux, sauf ceux de la période révolutionnaire pourlesquelslecoloneln'éprouvaitpasunegrandesympathieetauxquelsil réserva uneplace d'honneur au fin fonddes pièces d'archives oùpersonneduresten'allaleschercher,fautededemandes.

Lesautrespiècesfurentlaisséesàl'ordrealphabétiqueinitial,cequinechangeapasleshabitudesdemademoiselleColette.

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D'une façon générale, il n'y eut pas de grands changements, saufpourlanouvellepièceconsacréeàl'ArtMilitaire,fréquentéesurtoutpar les collégiens qui rêvaient de revanche et quelques ancienscombattantsde1870,désireuxdemieuxcomprendre lesraisonsdeladéfaite.

Inillotempore,après1870etavant1914,lesFrançaisétaientencoretrès patriotes, attachés à la terre natale dont on venait de perdredeuxprovincesetlesyeuxfixéssurlalignebleuedesVosges.

Par contre le lectorat féminin n'y trouva guère son compte.Mademoiselle Courtevue, par exemple, célibataire endurcie et trèsromantique,avaitchoisidanslapremièrepiècelecélèbreouvrageduMaréchal de Saxe: « Mes Rêveries » croyant trouver là une belleidylle sentimentale, mais, ô déception !, il n'était question que deformationsmilitaires,delanciers,d'escadrons,etc.

Enparcourant sonnouveaudomainequine valaitpas la courde lacaserne,maisnostalgieaidant, leColonel,parvenudans ladernièrepièceannexeintitulée:«Archivesdiverses»,eutleregardattiréparunensembledefichiershétéroclitesportantsurleurscouverclesdessuitesdechiffresdontpersonneneconnaissaitpluslesréférencesetquelétaitlesystèmebyzantinqu'ilfallaitutiliserpours'yretrouver?

Ilouvrituneboîteà touthasard,à labillebaude,et s'emparad'unefichequidépassaitunpeudulot.Sontexteétaitintéressantetrédigéd'une belle écriture qu'on n'enseigne plus depuis belle lurette. Sontitreétait:«L'évasiondeLouisXVII».Voilàquiestintéressant,pensaleColonel,maislasuitelefutbeaucoupmoins.Lafichesibienécriterenvoyait àunnumérod'uneautre fiche intituléemystérieusement2458BX12.

Ayantbattulerappeldesonpersonnelàlafaçondontilcommandaitune charge de cavalerie, le Colonel leur intima l'ordre suivant:«Trouvez-moi tout de suite la fiche correspondant au numéro2458BX12».

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Commedebienentendu,personnenesavaitplusoùchercheretlesréponses infructueuses se succédaient. Après des jours, puis dessemainesetdesmois,larecherchefutinterrompueparleColonelenpersonne, dont l'attention était désormais fixée sur les exploits del'Arméed'Afrique,seszouaves,turcos,chasseursd'Afrique,spahisettuttiquanti...

Et les fichiers continuèrent leur vie tranquille, sans aucundérangement.

Letempspassa.

SurvintuneautreguerrecontrelesPrussiens.Entretemps,leColonelavaitdepuislongtempstraverséleStyx.Sonchâteaun'étaitpasrestédans sa famille,maisétaitdevenue laproieprovisoired'unhommed'affaires Grec, le sieur Escropoulos disciple de Mercure, un peuarmateur,unpeutrafiquant,flirtantuntantinetaveclaCausaNostra,qui disparut un jour, au large de Lesbos, sans laisser de traces. Ducoup, le château devint la propriété de la commune et le nouveaumairedutassumerlalourderesponsabilitédesagestion.

La bibliothèque aussi changea plusieurs fois de directeur et lapremièrepiècesomptueusefutelleaussi,àchaquefois,garnied'unnouveaucontenu.

UnprofesseurdeLettresenretraite,inaugurasesnouvellesfonctionsen éliminant tous les ouvrages de caractère militaire pour lesremplacerpardespoètesanciensetmodernes.

La véritéoblige à sireque si les ouvragesmilitaires n'avaient guèrequitté leurs rayons, la situation ne s'améliora pas avec la poésie etquand leprofesseurde lettresdémissionnapour causede santé, lemaireleremplaçaavecplaisirparunscientifiquebienportantdontlepremiersoinfutdevirerenmassetoutelesoeuvrespoétiquesdansles profondeurs des archives et de les remplacer par des traitésscientifiques qui n'eurent guère de succès, mais aussi par des

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ouvragesdepratiquesdiverses,jardinage,décoration,cuisine,etc.Lebricolage n'était pas encore représenté car à l'époque quand onachetaitunbuffetonnevouslivraitpastroisplanches,unsachetdevisetunobscurmanueldemontage!

Après 1968, la maladie du changement inutile eut pour résultatimmédiatdeviderlessallesd'archivesd'uncertainnombredelivreset aussi des vieilles boîtes d'archives, fichiers et autres qui furentlivrésauxbrocanteurs.

C'est ainsi qu'au hasard d'une brocante, Monsieur Moreau-Godon,historien distingué, en cherchant une boîte pour contenir sesnouvellesfiches,tombasurunesolide,ancienneetbienpoussiéreusepetitecaisseadhocquicontenaitdesvieillesfichesnumérotées.

Aprèsunelonguediscussionsurleprix,partieintégranteduplaisirdelabrocante,ileutleplaisirderamenerchezluilacaisse,soncontenuetlapoussièreenplus,cequientraînadelapartdesonépouseuneréflexion peu amène, d'une profonde portée philosophique. Il étaitquestion globalement des femmes qui s'épuisent à faire leménagealorsqueleursmariss'évertuentàtoutsalir.

MonsieurMoreau-Godons'étantréfugiédanslecalmedesonbureaucommençaàexaminerlecontenudesatrouvaille.Ellerenfermaitunensemble important de vieilles fiches dont l'écriture avait passé unpeuavecletempsmaisquiétaientencorelisiblespourlaplupart.

C'est ainsi qu'au hasard il s'empara de la fameuse fiche 2458BX12,objet de la recherche infructueuse du Colonel, bien des annéesauparavant.

Elle résumait le travail à la fois important et sincère de Suvigny,avocat d'Avranches, qui avait réuni un certain nombre derenseignementsdu champde l'évasionéventuelle, horsduTemple,dupetitLouisXVII.Parcontre,laconclusionenfaveurdeRichemontn'avaitpasétéretenueparlerédacteurquiavaitrajoutéenPScette

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phrase sybiline : « J'ai bien connu dans ma jeunesse un vieuxbonhomme qui s'habillait à l'ancienne et qui savait quelque chosed'important au sujet de l'évasionqu'il évoquait de tempsen tempsauprès de son auditoire de jeunes enfants que nous étions alors.L'évadéduTemplecen'étaitniRichemont,niquelquesautresdontonavaitparlé,c'était…quelqu'und'autre.»

Mevoilàbienavancé,pensaMonsieurMoreau-Godonquifutunpeudéçu,maissanspluscarcen'étaitpassaspécialité.Ilétudiaitsurtoutla guerre de Cent Ans, les avatars du Prince Noir, les fantaisiestactiques de du Guesclin, etc. Du coup, il laissa traîner la fameusefichequifutramasséeparlacuisinièrequi,n'ayantriend'autresouslamain,notaauversounerecettedelasaucebéchamel.

Sictransitgloriamundi!