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Jacques le Fataliste , Diderot Comment s’taient-ils rencontrs ? Par hasard, comme tout le monde. Comment s’appelaient- ils ? Que vous importe ? D’o venaient-ils ? Du lieu le plus prochain. O allaient-ils ? Est- ce que l’on sait o l’on va ? Que disaient-ils ? Le matre ne disait rien ; et Jacques disait que son capitaine disait que tout ce qui nous arrive de bien et de mal ici-bas tait crit l-haut. Le matre : C’est un grand mot que cela. Jacques : Mon capitaine ajoutait que chaque balle qui partait d’un fusil avait son billet. Le matre : Et il avait raison... » Aprs une courte pause, Jacques s’cria : «Que le diable emporte le cabaretier et son cabaret ! Le matre : Pourquoi donner au diable son prochain ? Cela n’est pas chrtien. Jacques : C’est que, tandis que je m’enivre de son mauvais vin, j’oublie de mener nos chevaux l’abreuvoir. Mon pre s’en aperoit ; il se fche. Je hoche de la tte ; il prend un bton et m’en frotte un peu durement les paules. Un rgiment passait pour aller au camp devant Fontenoy ; de dpit je m’enrle. Nous arrivons ; la bataille se donne. Le matre : Et tu reois la balle ton adresse. Jacques : Vous l’avez devin ; un coup de feu au genou ; et Dieu sait les bonnes et mauvaises aventures amenes par ce coup de feu. Elles se tiennent ni plus ni moins que les chanons d’une gourmette. Sans ce coup de feu, par exemple, je crois que je n’aurais t amoureux de ma vie, ni boiteux. Le matre : Tu as donc t amoureux ? Jacques : Si je l’ai t ! Le matre : Et cela par un coup de feu ? Jacques : Par un coup de feu. Le matre : Tu ne m’en as jamais dit un mot. Jacques : Je le crois bien. Le matre : Et pourquoi cela ? Jacques : C’est que cela ne pouvait tre dit ni plus tt ni plus tard. Le matre: Et le moment d’apprendre ces amours est-il venu ? Jacques : Qui le sait ? Le matre : tout hasard, commence toujours... »

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Jacques le Fataliste, Diderot

Comment s’etaient-ils rencontres ? Par hasard, comme tout le monde. Comment s’appelaient- ils ? Que vous importe ? D’ou venaient-ils ? Du lieu le plus prochain. Ou allaient-ils ? Est-ce que l’on sait ou l’on va ? Que disaient-ils ? Le maitre ne disait rien ; et Jacques disait que son capitaine disait que tout ce qui nous arrive de bien et de mal ici-bas etait ecrit la-haut.Le maitre : C’est un grand mot que cela. Jacques : Mon capitaine ajoutait que chaque balle qui partait d’un fusil avait son billet. Le maitre : Et il avait raison... »Apres une courte pause, Jacques s’ecria : «Que le diable emporte le cabaretier et son cabaret !Le maitre : Pourquoi donner au diable son prochain ? Cela n’est pas chretien.Jacques : C’est que, tandis que je m’enivre de son mauvais vin, j’oublie de mener nos chevaux a l’abreuvoir. Mon pere s’en apercoit ; il se fache. Je hoche de la tete ; il prend un baton et m’en frotte un peu durement les epaules. Un regiment passait pour aller au camp devant Fontenoy ; de depit je m’enrole. Nous arrivons ; la bataille se donne.Le maitre : Et tu recois la balle a ton adresse.Jacques : Vous l’avez devine ; un coup de feu au genou ; et Dieu sait les bonnes et mauvaises aventures amenees par ce coup de feu. Elles se tiennent ni plus ni moins que les chainons d’une gourmette. Sans ce coup de feu, par exemple, je crois que je n’aurais ete amoureux de ma vie, ni boiteux.Le maitre : Tu as donc ete amoureux ? Jacques : Si je l’ai ete !Le maitre : Et cela par un coup de feu ? Jacques : Par un coup de feu.Le maitre : Tu ne m’en as jamais dit un mot.Jacques : Je le crois bien.Le maitre : Et pourquoi cela ?Jacques : C’est que cela ne pouvait etre dit ni plus tot ni plus tard.Le maitre: Et le moment d’apprendre ces amours est-il venu ?Jacques : Qui le sait ?Le maitre : A tout hasard, commence toujours... »

Jacques commenca l’histoire de ses amours. C’etait l’apres-diner : il faisait un temps lourd ; son maitre s’endormit. La nuit les surprit au milieu des champs ; les voila fourvoyes. Voila le maitre dans une colere terrible et tombant a grands coups de fouet sur son valet, et le pauvre diable disant a chaque coup: «Celui-la etait apparemment encore ecrit la-haut... »

Vous voyez, lecteur, que je suis en beau chemin, et qu’il ne tiendrait qu’a moi de vous faire attendre un an, deux ans, trois ans, le recit des amours de Jacques, en le separant de son maitre et en leur faisant courir a chacun tous les hasards qu’il me plairait. Qu’est-ce qui m’empecherait de marier le maitre et de le faire cocu ? d’embarquer Jacques pour les iles ? d’y conduire son maitre ? de les ramener tous les deux en France sur le meme vaisseau ? Qu’il est facile de faire des contes ! Mais ils en seront quittes l’un et l’autre pour une mauvaise nuit, et vous pour ce delai.

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Bel-Ami, Maupassant

Quand la caissiere lui eut rendu la monnaie de sa piece de cent sous, Georges Duroy sortit du restaurant.

Comme il portait beau, par nature et par pose d’ancien sous-officier, il cambra sa taille, frisa sa moustache d’un geste militaire et familier, et jeta sur les dineurs attardes un regard rapide et circulaire, un de ces regards de joli garcon, qui s’etendent comme des coups d’epervier.

Les femmes avaient leve la tete vers lui, trois petites ouvrieres, une maitresse de musique entre deux ages, mal peignee, negligee, coiffee d’un chapeau toujours poussiereux et vetue toujours d’une robe de travers, et deux bourgeoises avec leurs maris, habituees de cette gargote a prix fixe.

Lorsqu’il fut sur le trottoir, il demeura un instant immobile, se demandant ce qu’il allait faire. On etait au 28 juin, et il lui restait juste en poche trois francs quarante pour finir le mois. Cela representait deux diners sans dejeuners, ou deux dejeuners sans diners, au choix. Il reflechit que les repas du matin etant de vingt-deux sous, au lieu de trente que coutaient ceux du soir, il lui resterait, en se contentant des dejeuners, un franc vingt centimes de boni, ce qui representait encore deux collations au pain et au saucisson, plus deux bocks sur le boulevard. C’etait la sa grande depense et son grand plaisir des nuits ; et il se mit a descendre la rue Notre-Dame-de-Lorette.

Il marchait ainsi qu’au temps ou il portait l’uniforme des hussards, la poitrine bombee, les jambes un peu entrouvertes comme s’il venait de descendre de cheval ; et il avancait brutalement dans la rue pleine de monde, heurtant les epaules, poussant les gens pour ne point se deranger de sa route. Il inclinait legerement sur l’oreille son chapeau a haute forme assez defraichi, et battait le pave de son talon. Il avait l’air de toujours defier quelqu’un, les passants, les maisons, la ville entiere, par chic de beau soldat tombe dans le civil.

Quoique habille d’un complet de soixante francs, il gardait une certaine elegance tapageuse, un peu commune, reelle cependant. Grand, bien fait, blond, d’un blond chatain vaguement roussi, avec une moustache retroussee, qui semblait mousser sur sa levre, des yeux bleus, clairs, troues d’une pupille toute petite, des cheveux frises naturellement, separes par une raie au milieu du crane, il ressemblait bien au mauvais sujet des romans populaires.

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Les Faux-Monnayeurs, Gide

« C’est le moment de croire que j’entends des pas dans le corridor », se dit Bernard. Il releva la tete et preta l’oreille. Mais non : son pere et son frere aine etaient retenus au Palais ; sa mere en visite ; sa sœur a un concert ; et quant au puine, le petit Caloub, une pension le bouclait au sortir du lycee chaque jour. Bernard Profitendieu etait reste a la maison pour potasser son bachot ; il n’avait plus devant lui que trois semaines. La famille respectait sa solitude ; le demon pas. Bien que Bernard eut mis bas sa veste, il etouffait. Par la fenetre ouverte sur la rue n’entrait rien que de la chaleur. Son front ruisselait. Une goutte de sueur coula le long de son nez, et s’en alla tomber sur une lettre qu’il tenait en main :« Ça joue la larme, pensa-t-il. Mais mieux vaut suer que de pleurer. »Oui, la date etait peremptoire. Pas moyen de douter : c’est bien de lui, Bernard, qu’il s’agissait. La lettre etait adressee a sa mere ; une lettre d’amour vieille de dix-sept ans ; non signee.« Que signifie cette initiale ? Un V, qui peut aussi bien etre un N… Sied-il d’interroger ma mere … « Faisons credit a son bon gout. Libre a moi d’imaginer que c’est un prince. La belle avance si j’apprends que je suis le fils d’un croquant ! Ne pas savoir qui est son pere, c’est ca qui guerit de la peur de lui ressembler. Toute recherche oblige. Ne retenons de ceci que la delivrance. N’approfondissons pas. Aussi bien j’en ai mon suffisant pour aujourd’hui. »Bernard replia la lettre. Elle etait de meme format que les douze autres du paquet. Une faveur rose les attachait, qu’il n’avait pas eu a denouer ; qu’il refit glisser pour ceinturer comme auparavant la liasse. Il remit la liasse dans le coffret et le coffret dans le tiroir de la console. Le tiroir n’etait pas ouvert ; il avait livre son secret par en haut. Bernard rassujettit les lames disjointes du plafond de bois, que devait recouvrir une lourde plaque d’onyx. Il fit doucement, precautionneusement, retomber celle-ci, replaca par-dessus deux candelabres de cristal et l’encombrante pendule qu’il venait de s’amuser a reparer.La pendule sonna quatre coups. Il l’avait remise a l’heure.« Monsieur le juge d’instruction et Monsieur l’avocat son fils ne seront pas de retour avant six heures. J’ai le temps. Il faut que Monsieur le juge, en rentrant, trouve sur son bureau la belle lettre ou je m’en vais lui signifier mon depart. »

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L’Etranger, Camus

Aujourd'hui, maman est morte. Ou peut-etre hier, je ne sais pas. J'ai recu un telegramme de l'asile : « Mere decedee. Enterrement de- main. Sentiments distingues. » Cela ne veut rien dire. C'etait peut- etre hier.

L'asile de vieillards est a Marengo, a quatre-vingts kilometres d'Alger. Je prendrai l'autobus a deux heures et j'arriverai dans l'apres-midi. Ainsi, je pourrai veiller et je rentrerai demain soir. J'ai demande deux jours de conge a mon patron et il ne pouvait pas me les refuser avec une excuse pareille. Mais il n'avait pas l'air content. Je lui ai meme dit : « Ce n'est pas de ma faute. » Il n'a pas repondu. J'ai pense alors que je n'aurais pas du lui dire cela. En somme, je n'avais pas a m'excuser. C'etait plutot a lui de me presenter ses condoleances. Mais il le fera sans doute apres-demain, quand il me ver- ra en deuil. Pour le moment, c'est un peu comme si maman n'etait pas morte. Apres l'enterrement, au contraire, ce sera une affaire classee et tout aura revetu une allure plus officielle.

J'ai pris l'autobus a deux heures. Il faisait tres chaud. J'ai mange au restaurant, chez Celeste, comme d'habitude. Ils avaient tous beaucoup de peine pour moi et Celeste m'a dit : « On n'a qu'une mere. » Quand je suis parti, ils m'ont accompagne a la porte. J'etais un peu etourdi parce qu'il a fallu que je monte chez Emmanuel pour lui em- prunter une cravate noire et un brassard. Il a perdu son oncle, il y a quelques mois.

J'ai couru pour ne pas manquer le depart. Cette hate, cette course, c'est a cause de tout cela sans doute, ajoute aux cahots, a l'odeur d'essence, a la reverberation de la route et du ciel, que je me suis as- soupi. J'ai dormi pendant presque tout le trajet. Et quand je me suis reveille, j'etais tasse contre un militaire qui m'a souri et qui m'a demande si je venais de loin. J'ai dit « oui » pour n'avoir plus a parler.

L'asile est a deux kilometres du village. J'ai fait le chemin a pied. J'ai voulu voir maman tout de suite. Mais le concierge m'a dit qu'il fallait que je rencontre le directeur. Comme il etait occupe, j'ai attendu un peu. Pendant tout ce temps, le concierge a parle et ensuite, j'ai vu le directeur : il m'a recu dans son bureau. C'etait un petit vieux, avec la Legion d'honneur. Il m'a regarde de ses yeux clairs. Puis il m'a serre la main qu'il a gardee si longtemps que je ne savais trop comment la retirer. Il a consulte un dossier et m'a dit : « Mme Meursault est en- tree ici il y a trois ans. Vous etiez son seul soutien. » J'ai cru qu'il me reprochait quelque chose et j'ai commence a lui expliquer. Mais il m'a interrompu : « Vous n'avez pas a vous justifier, mon cher enfant. J'ai lu le dossier de votre mere. Vous ne pouviez subvenir a ses besoins. Il lui fallait une garde. Vos salaires sont modestes. Et tout compte fait, elle etait plus heureuse ici. » J'ai dit : « Oui, monsieur le Directeur. » Il a ajoute : « Vous savez, elle avait des amis, des gens de son age. Elle pouvait partager avec eux des interets qui sont d'un autre temps. Vous etes jeune et elle devait s'ennuyer avec vous. »

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Chabert 1

Ces diverses exclamations partirent a la fois au moment ou le vieux plaideur ferma la porte avec cette sorte d’humilite qui denature les mouvements de l’homme malheureux. L’inconnu essaya de sourire, mais les muscles de son visage se detendirent quand il eut vainement cherche quelques symptomes d’amenite sur les visages inexorablement insouciants des six clercs. Accoutume sans doute a juger les hommes, il s’adressa fort poliment au saute-ruisseau, en esperant que ce patira lui repondrait avec douceur. – Monsieur, votre patron est-il visible ? Le malicieux saute-ruisseau ne repondit au pauvre homme qu’en se donnant avec les doigts de la main gauche de petits coups repetes sur l’oreille, comme pour dire : « Je suis sourd. » – Que souhaitez-vous, monsieur ? demanda Godeschal qui, tout en faisant cette question, avalait une bouchee de pain avec laquelle on eut pu charger une piece de quatre, brandissait son couteau, et se croisait les jambes en mettant a la hauteur de son œil celui de ses pieds qui se trouvait en l’air. – Je viens ici, monsieur, pour la cinquieme fois, repondit le patient. Je souhaite parler a M. Derville. – Est-ce pour affaire ? –Oui, mais je ne puis l’expliquer qu’a monsieur... – Le patron dort ; si vous desirez le consulter sur quelques difficultes, il ne travaille serieusement qu’a minuit. Mais, si vous vouliez nous dire votre cause, nous pourrions, tout aussi bien que lui, vous... L’inconnu resta impassible. Il se mit a regarder modestement autour de lui, comme un chien qui, en se glissant dans une cuisine etrangere, craint d’y recevoir des coups. Par une grace de leur etat, les clercs n’ont jamais peur des voleurs, ils ne soupconnerent donc point l’homme au carrick et lui laisserent observer le local, ou il cherchait vainement un siege pour se reposer, car il etait visiblement fatigue. Par systeme, les avoues laissent peu de chaises dans leurs etudes. Le client vulgaire, lasse d’attendre sur ses jambes, s’en va grognant, mais il ne prend pas un temps qui, suivant le mot d’un vieux procureur, n’est pas admis en taxe. – Monsieur, repondit-il, j’ai deja eu l’honneur de vous prevenir que je ne pouvais expliquer mon affaire qu’a M. Derville, je vais attendre son lever. Boucard avait fini son addition. Il sentit l’odeur de son chocolat, quitta son fauteuil de canne, vint a la cheminee, toisa le vieil homme, regarda le carrick et fit une grimace indescriptible. Il pensa probablement que, de quelque maniere que l’on tordit ce client, il serait impossible d’en tirer un centime ; il intervint alors par une parole breve, dans l’intention de debarrasser l’etude d’une mauvaise pratique. – Ils vous disent la verite, monsieur. Le patron ne travaille que pendant la nuit. Si votre affaire est grave, je vous conseille de revenir a une heure du matin. Le plaideur regarda le maitre clerc d’un air stupide, et demeura pendant un moment immobile. Habitues a tous les changements de physionomie et aux singuliers caprices

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produits par l’indecision ou par la reverie qui caracterisent les gens processifs, les clercs continuerent a manger, en faisant autant de bruit avec leurs machoires que doivent en faire des chevaux au ratelier, et ne s’inquieterent plus du vieillard. – Monsieur, je viendrai ce soir, dit enfin le vieux, qui, par une tenacite particuliere aux gens malheureux, voulait prendre en defaut l’humanite. La seule epigramme permise a la misere est d’obliger la Justice et la Bienfaisance a des denis injustes. Quand les malheureux ont convaincu la Societe de mensonge, ils se rejettent plus vivement dans le sein de Dieu. – Ne voila-t-il pas un fameux crane ? dit Simonnin sans attendre que le vieillard eut ferme la porte. – Il a l’air d’un deterre, reprit le dernier clerc. – C’est quelque colonel qui reclame un arriere, dit le premier clerc. – Non, c’est un ancien concierge, dit Godeschal. – Parions qu’il est noble ? s’ecria Boucard. –Je parie qu’il a ete portier, repliqua Godeschal. Les portiers sont seuls doues par la nature de carricks uses, huileux et dechiquetes par le bas comme l’est celui de ce vieux bonhomme. Vous n’avez donc vu ni ses bottes eculees qui prennent l’eau, ni sa cravate qui lui sert de chemise ? Il a couche sous les ponts. – Il pourrait etre noble et avoir tire le cordon, s’ecria le quatrieme clerc. Ça s’est vu ! – Non, reprit Boucard au milieu des rires, je soutiens qu’il a ete brasseur en 1789, et colonel sous la Republique. – Ah ! je parie un spectacle pour tout le monde qu’il n’a pas ete soldat, dit Godeschal. – Ça va, repliqua Boucard. – Monsieur ! monsieur ? cria le petit clerc en ouvrant la fenetre. – Que fais-tu, Simonnin ? demanda Boucard. –Je l’appelle pour lui demander s’il est colonel ou portier, il doit le savoir, lui. Tous les clercs se mirent a rire. Quant au vieillard, il remontait deja l’escalier. – Qu’allons-nous lui dire ? s’ecria Godeschal. – Laissez-moi faire ! repondit Boucard. Le pauvre homme rentra timidement en baissant les yeux, peut-etre pour ne pas reveler sa faim en regardant avec trop d’avidite les comestibles. – Monsieur, lui dit Boucard, voulez-vous avoir la complaisance de nous donner votre nom afin que le patron sache si... ? – Chabert. – Est-ce le colonel mort a Eylau ? demanda Hure, qui, n’ayant encore rien dit, etait jaloux d’ajouter une raillerie a toutes les autres. – Lui-meme, monsieur, repondit le bonhomme avec une simplicite antique.

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Chabert 2

Le jeune avoue demeura pendant un moment stupefait en entrevoyant dans le clair- obscur le singulier client qui l’attendait. Le colonel Chabert etait aussi parfaitement immobile que peut l’etre une figure en cire de ce cabinet de Curtius ou Godeschal avait voulu mener ses camarades. Cette immobilite n’aurait peut-etre pas ete un sujet d’etonnement, si elle n’eut complete le spectacle surnaturel que presentait l’ensemble du personnage. Le vieux soldat etait sec et maigre. Son front, volontairement cache sous les cheveux de sa perruque lisse, lui donnait quelque chose de mysterieux. Ses yeux paraissaient couverts d’une taie transparente : vous eussiez dit de la nacre sale dont les reflets bleuatres chatoyaient a la lueur des bougies. Le visage, pale, livide, et en lame de couteau, s’il est permis d’emprunter cette expression vulgaire, semblait mort. Le cou etait serre par une mauvaise cravate de soie noire. L’ombre cachait si bien le corps a partir de la ligne brune que decrivait ce haillon, qu’un homme d’imagination aurait pu prendre cette vieille tete pour quelque silhouette due au hasard, ou pour un portrait de Rembrandt, sans cadre. Les bords du chapeau qui couvrait le front du vieillard projetaient un sillon noir sur le haut du visage. Cet effet bizarre, quoique naturel, faisait ressortir, par la brusquerie du contraste, les rides blanches, les sinuosites froides, le sentiment decolore de cette physionomie cadavereuse. Enfin l’absence de tout mouvement dans le corps, de toute chaleur dans le regard, s’accordait avec une certaine expression de demence triste, avec les degradants symptomes par lesquels se caracterise l’idiotisme, pour faire de cette figure je ne sais quoi de funeste qu’aucune parole humaine ne pourrait exprimer. Mais un observateur, et surtout un avoue, aurait trouve de plus en cet homme foudroye les signes d’une douleur profonde, les indices d’une misere qui avait degrade ce visage, comme les gouttes d’eau tombees du ciel sur un beau marbre l’ont a la longue defigure. Un medecin, un auteur, un magistrat, eussent pressenti tout un drame a l’aspect de cette sublime horreur dont le moindre merite etait de ressembler a ces fantaisies que les peintres s’amusent a dessiner au bas de leurs pierres lithographiques en causant avec leurs amis. En voyant l’avoue, l’inconnu tressaillit par un mouvement convulsif semblable a celui qui echappe aux poetes quand un bruit inattendu vient les detourner d’une feconde reverie, au milieu du silence et de la nuit. Le vieillard se decouvrit promptement et se leva pour saluer le jeune homme ; le cuir qui garnissait l’interieur de son chapeau etant sans doute fort gras, sa perruque y resta collee sans qu’il s’en apercut, et laissa voir a nu son crane horriblement mutile par une cicatrice transversale qui prenait a l’occiput et venait mourir a l’œil droit, en formant partout une grosse couture saillante. L’enlevement soudain de cette perruque sale, que le pauvre homme portait pour cacher sa blessure, ne donna nulle envie de rire aux deux gens de loi, tant ce crane fendu etait epouvantable a voir. La premiere pensee que suggerait l’aspect de cette blessure etait celle-ci : « Par la s’est enfuie l’intelligence ! » – Si ce n’est pas le colonel Chabert, ce doit etre un fier troupier ! pensa Boucard. –Monsieur, lui dit Derville, a qui ai-je l’honneur de parler ? – Au colonel Chabert. – Lequel ?

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–Celui qui est mort a Eylau, repondit le vieillard. En entendant cette singuliere phrase, le clerc et l’avoue se jeterent un regard qui signifiait : « C’est un fou ! »

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Chabert 3

Huit jours apres les deux visites que Derville avait faites, et par une belle matinee du mois de juin, les epoux, desunis par un hasard presque surnaturel, partirent des deux points les plus opposes de Paris, pour venir se rencontrer dans l’etude de leur avoue commun.

Les avances qui furent largement faites par Derville au colonel Chabert lui avaient permis d’etre vetu selon son rang. Le defunt arriva donc voiture dans un cabriolet fort propre. Il avait la tete couverte d’une perruque appropriee a sa physionomie, il etait habille de drap bleu, avait du linge blanc, et portait sous son gilet le sautoir ronge des grands-officiers de la Legion d’honneur. En reprenant les habitudes de l’aisance, il avait retrouve son ancienne elegance martiale. Il se tenait droit. Sa figure, grave et mysterieuse, ou se peignaient le bonheur et toutes ses esperances, paraissait etre rajeunie et plus grasse, pour emprunter a la peinture une de ses expressions les plus pittoresques. Il ne ressemblait pas plus au Chabert en vieux carrick, qu’un gros sou ne ressemble a une piece de quarante francs nouvellement frappee. A le voir, les passants eussent facilement reconnu en lui l’un de ces beaux debris de notre ancienne armee, un de ces hommes heroiques sur lesquels se reflete notre gloire nationale, et qui la representent, comme un eclat de glace illumine par le soleil semble en reflechir tous les rayons. Ces vieux soldats sont tout ensemble des tableaux et des livres. Quand le comte descendit de sa voiture pour monter chez Derville, il sauta legerement comme aurait pu faire un jeune homme. A peine son cabriolet avait-il retourne, qu’un joli coupe tout armorie arriva. Mme la comtesse Ferraud en sortit dans une toilette simple, mais habilement calculee pour montrer la jeunesse de sa taille. Elle avait une jolie capote doublee de rose qui encadrait parfaitement sa figure, en dissimulant les contours, et la ravivait. Si les clients s’etaient rajeunis, l’etude etait restee semblable a elle- meme, et offrait alors le tableau par la description duquel cette histoire a commence. Simonnin dejeunait, l’epaule appuyee sur la fenetre, qui alors etait ouverte ; et il regardait le bleu du ciel par l’ouverture de cette cour entouree de quatre corps de logis noirs.– Ah ! s’ecria le petit clerc, qui veut parier un spectacle que le colonel Chabert est general et cordon rouge ?–Le patron est un fameux sorcier, dit Godeschal.– Il n’y a donc pas de tour a lui jouer, cette fois ? demanda Desroches.– C’est sa femme qui s’en charge, la comtesse Ferraud ! dit Boucard.– Allons, dit Godeschal, la comtesse Ferraud serait donc obligee d’etre a deux ?...– La voila ! dit Simonnin.En ce moment, le colonel entra et demanda Derville.– Il y est, monsieur le comte, dit Simonnin.– Tu n’es donc pas sourd, petit drole ? dit Chabert en prenant le saute-ruisseau par l’oreille et la lui tortillant a la satisfaction des clercs, qui se mirent a rire et regarderent le colonel avec la curieuse consideration due a ce singulier personnage.Le comte Chabert etait chez Derville, au moment ou sa femme entra par la porte de l’etude.

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– Dites donc, Boucard, il va se passer une singuliere scene dans le cabinet du patron ! Voila une femme qui peut aller les jours pairs chez le comte Ferraud et les jours impairs chez le comte Chabert.– Dans les annees bissextiles, dit Godeschal, le compte y sera.

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Chabert 4

En 1840, vers la fin du mois de juin, Godeschal, alors avoue, allait a Ris, en compagnie de Derville, son predecesseur. Lorsqu’ils parvinrent a l’avenue qui conduit de la grande route a Bicetre, ils apercurent sous un des ormes du chemin un de ces vieux pauvres chenus et casses qui ont obtenu le baton de marechal des mendiants, en vivant a Bicetre comme les femmes indigentes vivent a la Salpetriere. Cet homme, l’un des deux mille malheureux loges dans l’hospice de la Vieillesse, etait assis sur une borne et paraissait concentrer toute son intelligence dans une operation bien connue des invalides, et qui consiste a faire secher au soleil le tabac de leurs mouchoirs, pour eviter de les blanchir peut-etre. Ce vieillard avait une physionomie attachante. Il etait vetu de cette robe de drap rougeatre que l’hospice accorde a ses hotes, espece de livree horrible.– Tenez, Derville, dit Godeschal a son compagnon de voyage, voyez donc ce vieux. Ne ressemble-t-il pas a ces grotesques qui nous viennent d’Allemagne ? Et cela vit, et cela est heureux peut-etre !Derville prit son lorgnon, regarda le pauvre, laissa echapper un mouvement de surprise et dit :– Ce vieux-la, mon cher, est tout un poeme, ou, comme disent les romantiques, un drame. As- tu rencontre quelquefois la comtesse Ferraud ?–Oui, c’est une femme d’esprit et tres agreable; mais un peu trop devote, dit Godeschal.– Ce vieux bicetrien est son mari legitime, le comte Chabert, l’ancien colonel ; elle l’aura sans doute fait placer la. S’il est dans cet hospice au lieu d’habiter un hotel, c’est uniquement pour avoir rappele a la jolie comtesse Ferraud qu’il l’avait prise, comme un fiacre, sur la place. Je me souviens encore du regard de tigre qu’elle lui jeta dans ce moment-la.

Ce debut ayant excite la curiosite de Godeschal, Derville lui raconta l’histoire qui precede. Deux jours apres, le lundi matin, en revenant a Paris, les deux amis jeterent un coup d’œil sur Bicetre, et Derville proposa d’aller voir le colonel Chabert. A moitie chemin de l’avenue, les deux amis trouverent assis sur la souche d’un arbre abattu le vieillard, qui tenait a la main un baton et s’amusait a tracer des raies sur le sable. En le regardant attentivement, ils s’apercurent qu’il venait de dejeuner autre part qu’a l’etablissement.– Bonjour, colonel Chabert, lui dit Derville.– Pas Chabert ! pas Chabert ! je me nomme Hyacinthe, repondit le vieillard. Je ne suis plus un homme, je suis le numero 164, septieme salle, ajouta-t-il en regardant Derville avec une anxiete peureuse, avec une crainte de vieillard et d’enfant. – Vous allez voir le condamne a mort ? dit-il apres un moment de silence. Il n’est pas marie, lui ! Il est bien heureux.– Pauvre homme, dit Derville. Voulez-vous de l’argent pour acheter du tabac ?Avec toute la naivete d’un gamin de Paris, le colonel tendit avidement la main a chacun des deux inconnus, qui lui donnerent une piece de vingt francs; il les remercia par un regard stupide, en disant :

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– Braves troupiers !Il se mit au port d’armes, feignit de les coucher en joue, et s’ecria en souriant :– Feu des deux pieces ! vive Napoleon !Et il decrivit en l’air avec sa canne une arabesque imaginaire.– Le genre de sa blessure l’aura fait tomber en enfance, dit Derville.– Lui en enfance ! s’ecria un vieux bicetrien qui les regardait. Ah ! il y a des jours ou il ne faut pas lui marcher sur le pied. C’est un vieux malin plein de philosophie et d’imagination. Mais, aujourd’hui, que voulez-vous ! il a fait le lundi. Monsieur, en 1820, il etait deja ici. Pour lors, un officier prussien, dont la caleche montait la cote de Villejuif, vint a passer a pied. Nous etions nous deux, Hyacinthe et moi, sur le bord de la route. Cet officier causait en marchant avec un autre, avec un Russe, ou quelque animal de la meme espece, lorsqu’en voyant l’ancien, le Prussien, histoire de blaguer, lui dit : « Voila un vieux voltigeur qui devait etre a Rosbach. – J’etais trop jeune pour y etre, lui repondit-il, mais j’ai ete assez vieux pour me trouver a Iena. » Pour lors, le Prussien a file, sans faire d’autres questions.– Quelle destinee ! s’ecria Derville. Sorti de l’hospice des Enfants trouves, il revient mourir a l’hospice de la Vieillesse, apres avoir, dans l’intervalle, aide Napoleon a conquerir l’Egypte et l’Europe. – Savez-vous, mon cher, reprit Derville apres une pause, qu’il existe dans notre societe trois hommes, le pretre, le medecin et l’homme de justice, qui ne peuvent pas estimer le monde ? Ils ont des robes noires, peut-etre parce qu’ils portent le deuil de toutes les vertus, de toutes les illusions. Le plus malheureux des trois est l’avoue. Quand l’homme vient trouver le pretre, il arrive pousse par le repentir, par le remords, par des croyances qui le rendent interessant, qui le grandissent, et consolent l’ame du mediateur, dont la tache ne va pas sans une sorte de jouissance: il purifie, il repare, et reconcilie. Mais, nous autres avoues, nous voyons se repeter les memes sentiments mauvais, rien ne les corrige, nos etudes sont des egouts qu’on ne peut pas curer. Combien de choses n’ai- je pas apprises en exercant ma charge ! J’ai vu mourir un pere dans un grenier, sans sou ni maille, abandonne par deux filles auxquelles il avait donne quarante mille livres de rente ! J’ai vu bruler des testaments ; j’ai vu des meres depouillant leurs enfants, des maris volant leurs femmes, des femmes tuant leurs maris en se servant de l’amour qu’elles leur inspiraient pour les rendre fous ou imbeciles, afin de vivre en paix avec un amant. J’ai vu des femmes donnant a l’enfant d’un premier lit des gouts qui devaient amener sa mort, afin d’enrichir l’enfant de l’amour. Je ne puis vous dire tout ce que j’ai vu, car j’ai vu des crimes contre lesquels la justice est impuissante. Enfin, toutes les horreurs que les romanciers croient inventer sont toujours au- dessous de la verite. Vous allez connaitre ces jolies choses-la, vous ; moi, je vais vivre a la campagne avec ma femme. Paris me fait horreur.–J’en ai deja bien vu chez Desroches, repondit Godeschal.

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Dom Juan texte 1, Acte I scène 1

Sganarelle: … mais par precaution, je t'apprends (inter nos,) que tu vois en Dom Juan, mon maitre, le plus grand scelerat que la terre ait jamais porte, un enrage, un chien, un diable, un Turc, un heretique, qui ne croit ni Ciel, ni Enfer, ni loup-garou, qui passe cette vie en veritable bete brute, en pourceau d'Epicure, en vrai Sardanapale, qui ferme l'oreille a toutes les remontrances qu'on lui peut faire, et traite de billevesees tout ce que nous croyons. Tu me dis qu'il a epouse ta maitresse, crois qu'il aurait plus fait pour sa passion, et qu'avec elle il aurait encore epouse toi, son chien, et son chat. Un mariage ne lui coute rien a contracter, il ne se sert point d'autres pieges pour attraper les belles, et c'est un epouseur a toutes mains, dame, demoiselle, bourgeoise, paysanne, il ne trouve rien de trop chaud, ni de trop froid pour lui; et si je te disais le nom de toutes celles qu'il a epousees en divers lieux, ce serait un chapitre a durer jusques au soir. Tu demeures surpris, et changes de couleur a ce discours; ce n'est la qu'une ebauche du personnage, et pour en achever le portrait, il faudrait bien d'autres coups de pinceau, suffit qu'il faut que le courroux du Ciel l'accable quelque jour: qu'il me vaudrait bien mieux d'etre au diable, que d'etre a lui, et qu'il me fait voir tant d'horreurs, que je souhaiterais qu'il fut deja je ne sais ou; mais un grand seigneur mechant homme est une terrible chose; il faut que je lui sois fidele en depit que j'en aie, la crainte en moi fait l'office du zele, bride mes sentiments, et me reduit d'applaudir bien souvent a ce que mon ame deteste. Le voila qui vient se promener dans ce palais, separons-nous; ecoute, au moins, je t'ai fait cette confidence avec franchise, et cela m'est sorti un peu bien vite de la bouche; mais s'il fallait qu'il en vint quelque chose a ses oreilles, je dirais hautement que tu aurais menti.

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Dom Juan texte 2, Acte I scène 2

DOM JUAN.— Quoi? tu veux qu'on se lie a demeurer au premier objetP qui nous prend, qu'on renonce au monde pour lui, et qu'on n'ait plus d'yeux pour personne? La belle chose de vouloir se piquer d'un faux honneur d'etre fidele, de s'ensevelir pour toujours dans une passion, et d'etre mort des sa jeunesse, a toutes les autres beautes qui nous peuvent frapper les yeux: non, non, la constance n'est bonne que pour des ridicules, toutes les belles ont droit de nous charmer, et l'avantage d'etre rencontree la premiere, ne doit point derober aux autres les justes pretentions qu'elles ont toutes sur nos cœurs. Pour moi, la beaute me ravit partout, ou je la trouve; et je cede facilement a cette douce violence, dont elle nous entraine; j'ai beau etre engage, l'amour que j'ai pour une belle, n'engage point mon ame a faire injustice aux autres; je conserve des yeux pour voir le merite de toutes, et rends a chacune les hommages, et les tributs ou la nature nous oblige. Quoi qu'il en soit, je ne puis refuser mon cœur a tout ce que je vois d'aimable, et des qu'un beau visage me le demande, si j'en avais dix mille, je les donnerais tous. Les inclinations naissantes apres tout, ont des charmes inexplicables, et tout le plaisir de l'amour est dans le changement. On goute une douceur extreme a reduire par cent hommages le cœur d'une jeune beaute, a voir de jour en jour les petits progres qu'on y fait; a combattre par des transports, par des larmes, et des soupirs, l'innocente pudeur d'une ame, qui a peine a rendre les armes, a forcer pied a pied toutes les petites resistances qu'elle nous oppose, a vaincre les scrupules, dont elle se fait un honneur, et la mener doucement, ou nous avons envie de la faire venir. Mais lorsqu'on en est maitre une fois, il n'y a plus rien a dire, ni rien a souhaiter, tout le beau de la passion est fini, et nous nous endormons dans la tranquillite d'un tel amour; si quelque objet nouveau ne vient reveiller nos desirs, et presenter a notre cœur les charmes attrayants d'une conquete a faire. Enfin, il n'est rien de si doux, que de triompher de la resistance d'une belle personne; et j'ai sur ce sujet l'ambition des conquerants, qui volent perpetuellement de victoire en victoire, et ne peuvent se resoudre a borner leurs souhaits. Il n'est rien qui puisse arreter l'impetuosite de mes desirs, je me sens un cœur a aimer toute la terre; et comme Alexandre, je souhaiterais qu'il y eut d'autres mondes, pour y pouvoir etendre mes conquetes amoureuses.SGANARELLE.— Vertu de ma vie, comme vous debitez; il semble que vous ayez appris cela par cœur, et vous parlez tout comme un livre.

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Dom Juan texte 3, Acte III scène 1

SGANARELLE.— Mais laissons la la medecine, ou vous ne croyez point, et parlons des autres choses: car cet habit me donne de l'esprit, et je me sens en humeur de disputer contre vous. Vous savez bien que vous me permettez les disputes, et que vous ne me defendez que les remontrances.DOM JUAN.— Eh bien!SGANARELLE.— Je veux savoir un peu vos pensees a fond. Est-il possible que vous ne croyiez point du tout au Ciel?DOM JUAN.— Laissons cela.SGANARELLE.— C'est-a-dire que non. Et a l'Enfer?DOM JUAN.— Eh.SGANARELLE.— Tout de meme. Et au diable, s'il vous plait?DOM JUAN.— Oui, oui.SGANARELLE.— Aussi peu. Ne croyez-vous point l'autre vie?DOM JUAN.— Ah, ah, ah.SGANARELLE.— Voila un homme que j'aurai bien de la peine a convertir. Et dites-moi un peu, encore faut-il croire quelque chose. Qu'est ce que vous croyez?DOM JUAN.— Ce que je crois? SGANARELLE.— Oui.DOM JUAN.— Je crois que deux et deux sont quatre, Sganarelle, et que quatre et quatre sont huit.SGANARELLE.— La belle croyance, que voila! Votre religion, a ce que je vois, est donc l'arithmetique? Il faut avouer qu'il se met d'etranges folies dans la tete des hommes, et que pour avoir bien etudie, on en est bien moins sage le plus souvent. Pour moi, Monsieur, je n'ai point etudie comme vous, Dieu merci, et personne ne saurait se vanter de m'avoir jamais rien appris; mais avec mon petit sens, mon petit jugement, je vois les choses mieux que tous les livres, et je comprends fort bien que ce monde que nous voyons, n'est pas un champignon qui soit venu tout seul en une nuit. Je voudrais bien vous demander qui a fait ces arbres-la, ces rochers, cette terre, et ce ciel que voila la-haut, et si tout cela s'est bati de lui-meme? Vous voila vous, par exemple, vous etes la; est-ce que vous vous etes fait tout seul, et n'a-t-il pas fallu que votre pere ait engrosse votre mere pour vous faire? Pouvez-vous voir toutes les inventions dont la machine de l'homme est composee, sans admirer de quelle facon cela est agence l'un dans l'autre, ces nerfs, ces os, ces veines, ces arteres, ces... ce poumon, ce cœur, ce foie, et tous ces autres ingredients qui sont la et qui... Oh dame,

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interrompez-moi donc si vous voulez, je ne saurais disputer si l'on ne m'interrompt, vous vous taisez expres, et me laissez parler par belle malice.DOM JUAN.— J'attends que ton raisonnement soit fini.SGANARELLE.— Mon raisonnement est qu'il y a quelque chose d'admirable dans l'homme, quoi que vous puissiez dire, que tous les savants ne sauraient expliquer. Cela n'est-il pas merveilleux que me voila ici, et que j'aie quelque chose dans la tete qui pense cent choses differentes en un moment, et fait de mon corps tout ce qu'elle veut89? Je veux frapper des mains, hausser le bras, lever les yeux au ciel, baisser la tete, remuer les pieds, aller a droit, a gauche, en avant, en arriere, tourner...

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Dom Juan texte 4, Acte V scènes 5 et 6

DOM JUAN, UN SPECTRE en femme voilee, SGANARELLE.LE SPECTRE, en femme voilee.— Dom Juan n'a plus qu'un moment a pouvoir profiter de lamisericorde du Ciel, et s'il ne se repent ici, sa perte est resolue. SGANARELLE.— Entendez-vous, Monsieur?DOM JUAN.— Qui ose tenir ces paroles? Je crois connaitre cette voix.SGANARELLE.— Ah, Monsieur, c'est un spectre, je le reconnais au marcher.DOM JUAN.— Spectre, fantome, ou diable, je veux voir ce que c'est.

Le Spectre change de figure, et represente le temps avec sa faux a la main.

SGANARELLE.— O Ciel! voyez-vous, Monsieur, ce changement de figure? DOM JUAN.— Non, non, rien n'est capable de m'imprimer de la terreur, et je veux eprouver avec mon epee si c'est un corps ou un esprit.

Le Spectre s'envole dans le temps que Dom Juan le veut frapper.

SGANARELLE.— Ah, Monsieur, rendez-vous a tant de preuves, et jetez-vous vite dans le repentir.DOM JUAN.— Non, non, il ne sera pas dit, quoi qu'il arrive, que je sois capable de me repentir, allons, suis-moi.

SCENE VI

LA STATUE, DOM JUAN, SGANARELLE.LA STATUE.— Arretez, Dom Juan, vous m'avez hier donne parole de venir manger avec moi.DOM JUAN.— Oui, ou faut-il aller?LA STATUE.— Donnez-moi la main.DOM JUAN.— La voila.LA STATUE.— Dom Juan, l'endurcissement au peche traine une mort funeste, et les graces du Ciel que l'on renvoie, ouvrent un chemin a sa foudre.DOM JUAN.— O Ciel, que sens-je? Un feu invisible me brule, je n'en puis plus, et tout mon corps devient un brasier ardent, ah!

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Le tonnerre tombe avec un grand bruit et de grands eclairs sur Dom Juan, la terre s'ouvre et l'abime, et il sort de grands feux de l'endroit ou il est tombe.

SGANARELLE.— [Ah! mes gages, mes gages!] Voila par sa mort un chacun satisfait, Ciel offense, lois violees, filles seduites, familles deshonorees, parents outrages, femmes mises a mal, maris pousses a bout, tout le monde est content; il n'y a que moi seul de malheureux, qui apres tant d'annees de service, n'ai point d'autre recompense que de voir a mes yeux l'impiete de mon maitre, punie par le plus epouvantable chatiment du monde. [Mes gages, mes gages, mes gages!]

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La Fontaine, Les Animaux malades de la peste VII 1

Un mal qui repand la terreur,Mal que le Ciel en sa fureurInventa pour punir les crimes de la terre,La Peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom)Capable d'enrichir en un jour l'Acheron,Faisait aux animaux la guerre.Ils ne mouraient pas tous, mais tous etaient frappes :On n'en voyait point d'occupesA chercher le soutien d'une mourante vie ;Nul mets n'excitait leur envie ;Ni Loups ni Renards n'epiaientLa douce et l'innocente proie.Les Tourterelles se fuyaient :Plus d'amour, partant plus de joie.Le Lion tint conseil, et dit : Mes chers amis,Je crois que le Ciel a permisPour nos peches cette infortune ;Que le plus coupable de nousSe sacrifie aux traits du celeste courroux,Peut-etre il obtiendra la guerison commune.L'histoire nous apprend qu'en de tels accidentsOn fait de pareils devouements :Ne nous flattons donc point ; voyons sans indulgenceL'etat de notre conscience.Pour moi, satisfaisant mes appetits gloutonsJ'ai devore force moutons.Que m'avaient-ils fait ? Nulle offense :Meme il m'est arrive quelquefois de mangerLe Berger. Je me devouerai donc, s'il le faut ; mais je penseQu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi :Car on doit souhaiter selon toute justiceQue le plus coupable perisse.- Sire, dit le Renard, vous etes trop bon Roi ;

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Vos scrupules font voir trop de delicatesse ;Et bien, manger moutons, canaille, sotte espece,Est-ce un peche ? Non, non. Vous leur fîtes SeigneurEn les croquant beaucoup d'honneur.Et quant au Berger l'on peut direQu'il etait digne de tous maux,Etant de ces gens-la qui sur les animauxSe font un chimerique empire.Ainsi dit le Renard, et flatteurs d'applaudir.On n'osa trop approfondirDu Tigre, ni de l'Ours, ni des autres puissances,Les moins pardonnables offenses.Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples matins,Au dire de chacun, etaient de petits saints.L'Ane vint a son tour et dit : J'ai souvenanceQu'en un pre de Moines passant,La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et je penseQuelque diable aussi me poussant,Je tondis de ce pre la largeur de ma langue.Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net.A ces mots on cria haro sur le baudet. Un Loup quelque peu clerc prouva par sa harangueQu'il fallait devouer ce maudit animal,Ce pele, ce galeux, d'ou venait tout leur mal.Sa peccadille fut jugee un cas pendable.Manger l'herbe d'autrui ! quel crime abominable !Rien que la mort n'etait capableD'expier son forfait : on le lui fit bien voir.Selon que vous serez puissant ou miserable,Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.

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La Fontaine, Les Obseques de la lionne VIII 14La femme du Lion mourut :Aussitot chacun accourutPour s'acquitter envers le PrinceDe certains compliments de consolation,Qui sont surcroit d'affliction.Il fit avertir sa ProvinceQue les obseques se feraientUn tel jour, en tel lieu ; ses Prevots y seraientPour regler la ceremonie,Et pour placer la compagnie.Jugez si chacun s'y trouva.Le Prince aux cris s'abandonna,Et tout son antre en resonna.Les Lions n'ont point d'autre temple.On entendit a son exempleRugir en leurs patois Messieurs les Courtisans.Je definis la cour un pays ou les gensTristes, gais, prets a tout, a tout indifferents,Sont ce qu'il plait au Prince, ou s'ils ne peuvent l'etre,Tachent au moins de le paretre,Peuple cameleon, peuple singe du maitre,On dirait qu'un esprit anime mille corps ;C'est bien la que les gens sont de simples ressorts.Pour revenir a notre affaireLe Cerf ne pleura point, comment eut-il pu faire ?Cette mort le vengeait ; la Reine avait jadisEtrangle sa femme et son fils. Bref il ne pleura point. Un flatteur l'alla dire,Et soutint qu'il l'avait vu rire.La colere du Roi, comme dit Salomon,Est terrible, et surtout celle du roi Lion :Mais ce Cerf n'avait pas accoutume de lire.Le Monarque lui dit : Chetif hote des bois

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Tu ris, tu ne suis pas ces gemissantes voix.Nous n'appliquerons point sur tes membres profanesNos sacres ongles ; venez Loups,Vengez la Reine, immolez tousCe traitre a ses augustes manes.Le Cerf reprit alors : Sire, le temps de pleursEst passe ; la douleur est ici superflue.Votre digne moitie couchee entre des fleurs,Tout pres d'ici m'est apparue ;Et je l'ai d'abord reconnue.Ami, m'a-t-elle dit, garde que ce convoi,Quand je vais chez les Dieux, ne t'oblige a des larmes.Aux Champs Elysiens j'ai goute mille charmes,Conversant avec ceux qui sont saints comme moi.Laisse agir quelque temps le desespoir du Roi.J'y prends plaisir. A peine on eut oui la chose,Qu'on se mit a crier : Miracle, apotheose !Le Cerf eut un present, bien loin d'etre puni.Amusez les Rois par des songes,Flattez-les, payez-les d'agreables mensonges,Quelque indignation dont leur coeur soit rempli,Ils goberont l'appat, vous serez leur ami.

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La Fontaine, La Laitiere et le pot au lait VII 9

Perrette sur sa tete ayant un Pot au laitBien pose sur un coussinet,Pretendait arriver sans encombre a la ville. Legere et court vetue elle allait a grands pas ; Ayant mis ce jour−la, pour etre plus agileCotillon simple, et souliers plats.Notre laitiere ainsi trousseeComptait deja dans sa penseeTout le prix de son lait, en employait l'argent,Achetait un cent d'oeufs, faisait triple couvee ;La chose allait a bien par son soin diligent.Il m'est, disait−elle, facile,D'elever des poulets autour de ma maison :Le Renard sera bien habile,S'il ne m'en laisse assez pour avoir un cochon.Le porc a s'engraisser coutera peu de son ;Il etait quand je l'eus de grosseur raisonnable :J'aurai le revendant de l'argent bel et bon.Et qui m'empechera de mettre en notre etable,Vu le prix dont il est, une vache et son veau,Que je verrai sauter au milieu du troupeau ?Perrette la−dessus saute aussi, transportee.Le lait tombe ; adieu veau, vache, cochon, couvee ;La dame de ces biens, quittant d'un oeil marriSa fortune ainsi repandue,Va s'excuser a son mariEn grand danger d'etre battue. Le recit en farce en fut fait ; On l'appela le Pot au lait.

Quel esprit ne bat la campagne ?Qui ne fait chateaux en Espagne ?

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Picrochole, Pyrrhus, la Laitiere, enfin tous,Autant les sages que les fous ?Chacun songe en veillant, il n'est rien de plus doux : Une flatteuse erreur emporte alors nos ames :Tout le bien du monde est a nous,Tous les honneurs, toutes les femmes.Quand je suis seul, je fais au plus brave un defi ;Je m'ecarte, je vais detroner le Sophi ;On m'elit roi, mon peuple m'aime ;Les diademes vont sur ma tete pleuvant :Quelque accident fait−il que je rentre en moi−meme ; Je suis gros Jean comme devant.

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La Fontaine, Le Songe d’un habitant du Mogol XI 4

Jadis certain Mogol vit en songe un vizirAux Champs Elysiens possesseur d'un plaisirAussi pur qu'infini, tant en prix qu'en dureeLe meme songeur vit en une autre contree Un ermite entoure de feux,Qui touchait de pitie meme les malheureux.Le cas parut etrange, et contre l'ordinaireMinos en ces deux morts semblait s'etre mepris.Le dormeur s'eveilla tant il en fut surpris.Dans ce songe pourtant soupconnant du mystere, Il se fit expliquer l'affaire.L'interprete lui dit «Ne vous etonnez point ;Votre songe a du sens; et, si j'ai sur ce point Acquis tant soit peu d'habitude,C'est un avis des dieux. Pendant l'humain sejour,Ce vizir quelquefois cherchait la solitude ;Cet ermite aux vizirs allait faire sa cour.» Si j'osais ajouter au mot de l'interprete,J'inspirerais ici l'amour de la retraiteElle offre a ses amants des biens sans embarras,Biens purs, presents du ciel, qui naissent sous les pas.Solitude ou je trouve une douceur secrete,Lieux que j'aimai toujours ne pourrai-je jamais,Loin du monde et du bruit, gouter l'ombre et le frais?Oh! qui m'arretera sous vos sombres asiles ?Quand pourront les neuf soeurs, loin des cours et des villes,M'occuper tout entier, et m'apprendre des cieuxLes divers mouvements inconnus a nos yeux,Les noms et les vertus de ces clartes errantesPar qui sont nos destins et nos moeurs differentes !Que si je ne suis ne pour de si grands projets,

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Du moins que les ruisseaux m'offrent de doux objets !Que je peigne en mes vers quelque rive fleurie !La Parque a filets d'or n'ourdira point ma vie,Je ne dormirai point sous de riches lambrisMais voit-on que le somme en perde de son prix ?En est-il moins profond, et moins plein de delices ?Je lui voue au desert de nouveaux sacrifices.Quand le moment viendra d'aller trouver les morts,J'aurai vecu sans soins, et mourrai sans remords.