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[COLLÈGE SAINT-HADELIN, VISÉ]

SOIXANTE ANS APRÈS

DEUX OU TROIS CHOSES QUE JE N’AI PAS DITES

SOMMAIRE Page Devoir de mémoire 3 La promotion de 1956 4 Rappel de quelques données objectives 4 Quelques données plus fines 5

Profil de l’institution – Les enseignés 7 Internat 7 Sélection « élitiste » par l’argent 7

Profil de l’institution – Les enseignants 9 1956 9 1958 et après 11

Quelques caractéristiques de l’enseignement catholique diocésain de l’époque 12 Un enseignement non mixte aux allures de petit séminaire déguisé 12 Petites considérations sur la « coéducation » et la mixité 13 1950 13 1960 et après 13 La Gloire du collège et Les Plumes du coq 14 La pédophilie : le déni et l’omerta 16 1950-1956 16 2015 17 Les Lazaristes 21 1950 21 Le Concile Vatican II (1962-1965) 21 Les Missions 22 Patrimoine culturel tronqué 23 Histoire 25 Formation religieuse 26 1950-1956 26 1954-1955 : cours d’apologétique 26 1955-1956 27 Le communisme et l’excommunication 27 Le mariage 27 Créationnisme et évolutionnisme 28 Les dogmes 29 Prosélytisme 31

Aujourd’hui et demain 31 Mixité sociale 31 Spécificité idéologique 32 Y a-t-il encore un enseignement catholique ? 34

Notes finales 36

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orsque Nica Colson, de vingt ans mon aîné [ainé* 1], était respon-sable de la partie des anciens de la revue L’Union, il m’avait sollicité et souvent relancé pour que je lui donne des « papiers » pour la re-

vue du collège. Pendant plus de dix ans, je me suis exécuté de fort bonne grâce et lui ai fourni des « souvenirs interdits » souvent sous-titrés « propos provos » 2. Il ne m’a pas censuré, même s’il a quelquefois cru bon de solliciter un nihil obstat auprès de… qui de droit. Lorsqu’il a rendu son tablier, je me suis tu 3. La plupart des articles publiés dans « L’Union » ont été repris dans mon ouvrage Carnet de bord d’un enseignant… libre (Paris, L’Harmattan, 2012, pp. 37-104) 4.

C’est donc exceptionnellement, et pour une toute dernière fois, que je re-prends mon clavier pour égrener quelques autres souvenirs et les confronter à quelques constats que j’ai pu faire non seulement tout le long d’une carrière passée dans l’enseignement libre, mais aussi et surtout pour les confronter aux événements [évènements*] qui ont marqué la décennie écoulée.

J’ai suffisamment évoqué le collège de jadis avec un brin de nostalgie mâti-née d’un humour que je voulais à peine impertinent pour que je m’autorise aujourd’hui – le temps de la prescription étant venu – à révéler quelques as-pects bien plus sombres d’un collège qui a été aussi cela : une machine à jugu-ler la liberté de pensée et de conscience, dans un contexte parfois glauque.

DEVOIR DE MÉMOIRE

Avons-nous un devoir de mémoire ? Si oui, de quelle mémoire ? Et faire mémoire de quoi et pourquoi ?

Cette année 2015 aura été fertile en commémorations, de la défaite napo-léonienne sur le champ de bataille de Waterloo à la commémoration de la fin

1 Pour les adeptes de la « nouvelle orthographe » – et pour ne pas avoir l’air d’un vieux schnock cacochyme, – je donne, entre parenthèses et affectée de l’astérisque, – l’« ortho-graphe rectifiée » telle qu’elle est proposée par les autorités compétentes en la matière, même si l’usage ne suit pas. 2 On peut retrouver mes contributions les plus substantielles dans « L’Union », http://www.collegesainthadelin.be/pagescontinues/anciens/anciens6.htm , n° 138, pp. 3-4 ; n° 141, pp. 10-11 ; n° 144, p. 10 ; n° 146, pp. 8-9 (sur Montherlant et La Ville) ; n° 150, pp. 7-8 ; n° 153, pp. 8-10 ; n° 157, pp. 5-6 ; n° 158, pp. 5-6… 3 Dans « L’Union » n° 202, de février 2004, pp. 14-17, je lui avais rendu hommage dans un article intitulé « Parce que c’estoit luy ; parce que c’estoit moy. » 4 http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=35919

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de la seconde guerre mondiale. Si les témoins directs encore en vie des évé-nements [évènements*] évoqués risquent de nous proposer une vision tron-quée et très subjective de ce qu’ils ont vécu, que dire des historiens ? Un lea-der politique français, vénérateur de sainte Jeanne d’Arc, ne cesse de nous rebattre les oreilles en niant la shoah et en déclarant que l’existence des chambres à gaz est « un point de détail de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale », qui ne concernerait, somme toute, qu’entre cinq et six millions de Juifs, tandis que d’autres s’obstinent à ne voir dans le massacre d’un million et demi d’Arméniens aucun signe de génocide… Toute commémoration, aussi loin remonte-t-elle dans le passé, est l’objet de controverses. N’est-ce pas un journaliste anglais, Stephen Clarke, qui ose nous démontrer, avec tout l’humour britannique qui le caractérise, Comment les Français ont gagné Waterloo (Albin Michel, 2015) ? Les regards que les Flamands et les Wallons jettent, cent ans après les faits, sur la première guerre mondiale, et sur les « collabora-teurs », sont parfois très différents et sujets à polémique, alors que rares sont ceux qui osent s’interroger sur le sens du terme « patriotisme » souvent évo-qué pour célébrer le courage des anciens combattants – anciens, parce qu’ils ne sont pas tombés au champ d’honneur et ont survécu, et héros parce qu’ils ont été du côté des vainqueurs, – et, par exemple, sur l’opportunité des choix qui avaient été faits par nos hommes politiques de l’époque, alors que les Pays-Bas, p. ex., étaient parvenus à rester en dehors du conflit, etc., etc.

Voilà des considérations bien prétentieuses pour justifier que l’on « fasse mémoire » – avec un souci d’objectivité et de vérité en dépistant les non-dits et en dépassant les tabous, – de la promotion 1956 du collège, dont on pourra célébrer le soixantième anniversaire au terme de l’année scolaire 2015-2016 5. Ceci exclut que je fasse un écrit de circonstance, que je joue les thuriféraires et pratique l’autocongratulation à coups de goupillon gorgé d’eau bénite. C’est que… Il y a d’ailleurs ce qu’on en a dit ou écrit – dont le récit établi par l’abbé Hanlet à l’occasion du 75e anniversaire de la création du collège (1956) et sur-tout Le collège Saint-Hadelin un jeune de cent ans (1982, 135 p.) – que nous pou-vons d’une part opposer à nos propres souvenirs et à ceux de nos condis-ciples et que nous pouvons mettre « en perspective » par rapport à des évé-nements [évènements*] particuliers qui, en trois quarts de siècle, ont agi sur

5 Sous le titre « Impressions mêlées d’un jubilaire », j’avais déjà donné à « l’Union », n° 212, pp. 9-11, un premier lot de réflexions sur ce que nous avions vécu au collège entre 1950 et 1956.

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l’enseignement secondaire dit catholique et ont profondément modifié sa physionomie : je cite en vrac le Pacte scolaire, le Concile Vatican II, la loi sur l’omnivalence des diplômes de l’enseignement secondaire et l’examen de maturi-té, l’enseignement dit « rénové », la généralisation de la mixité (des élèves et des corps professoraux), la disparition des internats…, sans parler des notions à la mode de mixité sociale, de multilatéralité, de décret inscriptions et d’EPE (« enca-drement pédagogique alternatif » parfois qualifié par les journalistes de « cours de rien »)…

Me méfiant des dangers que peut nous réserver notre « oublieuse mé-moire », j’ai soumis le projet de cet article, pour avis et contrôle de la véracité des faits évoqués, à ceux de mes anciens condisciples qui possèdent une adresse électronique, à des amis qui ont fréquenté à la même époque d’autres collèges diocésains (Namur, Herve…), à d’anciens élèves (des années 1970), à quelques amis. J’ai tenu compte, évidemment, des nuances qu’ils ont appor-tées à mes souvenirs.

LA PROMOTION DE 1956

Rappel de quelques données objectives

Une promotion de 22 finalistes : 14 diplômés d’« humanités anciennes » (gréco-latines) et 8 diplômés d’« humanités modernes » (Sc. A).

Le collège ne comptait que ces deux sections. Encore convient-il de dire que ces deux sections n’étaient pas considérées de la même manière, pour la raison suivante : seules les humanités gréco-latines donnaient accès (1) au séminaire (le latin, langue du culte, était quasiment une langue sacrée) et (2) à l’université lorsqu’on prétendait y décrocher un diplôme décerné à « titre lé-gal » (médecine, pharmacie, droit, philosophie et lettres…), tandis que les diplômés des deux sections avaient, eux, accès aux orientations délivrant des diplômes décernés à « titre scientifique », parfois moyennant un examen d’entrée (école d’ingénieurs, psychopédagogie, sciences économiques et/ou politiques…), distinction qui a d’ailleurs disparu il y a quelques années à peine (au début des années 1990).

Il y avait donc 14 diplômés en gréco-latines dont 5 entraient au séminaire (36 %, soit plus d’un tiers). L’un de ces cinq-là a abandonné le séminaire au terme de la première année de philosophie, un autre au terme de tout son cursus de formation – philosophie + théologie – (après avoir été ordonné

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sous-diacre et diacre) à trois semaines de l’ordination, et, des trois qui ont été ordonnés prêtres, un seul est resté dans le giron du clergé.

Tous les diplômés de gréco-latines ont accompli des études universitaires (médecine, droit, notariat, philosophie et lettres, sciences économiques, sciences politiques, ingénieur…) ou des études au séminaire, et seuls trois ont fait l’école normale (primaire et secondaire ou « régendat ») 6. À l’exception de trois des leurs, qui n’ont pas poursuivi d’études post-secondaires, les diplômés de la section scientifique ont aussi poursuivi des études supérieures (ingénieur, vétérinaire…).

De cette promotion, à l’heure actuelle, deux sont décédés. Il s’agit de Paul Tans (Sc. A), vétérinaire, décédé jeune, victime d’un accident de la route, et de Gustave Joassart (G.-L.), décédé en 2014 7.

Quelques données plus fines

D’où venaient ces rescapés de 1956 ? Remontons tout au début des années cinquante. Personnellement, je suis entré au collège en 1948, pour y faire ma cinquième primaire. Pour y être inscrit, je devais satisfaire à certaines exi-gences, et je présume qu’il en a été ainsi pour mes condisciples : être de sexe masculin, fournir un certificat de baptême et subir un « examen d’entrée » devant les instituteurs Lepot et Halkein. Et j’ai eu en 5e année primaire un merveilleux instituteur, M. A. Vanderwekene. Cette année-là, celui-ci est mon-té avec nous en 6e année 8. Il a d’ailleurs terminé sa carrière comme directeur de l’école primaire.

6 Un seul d’entre nous, que j’ai connu comme un grand « guindailleur » [= noceur en français de référence] à l’université, ne se retrouve pas dans l’annuaire des diplômés de l’ULg. 7 < http://www.enaos.net/P1230.aspx?IdPer=301956&IdAN=%20143791 >. Curieuse destinée que celle de ce charmant condisciple – fils de Gustave Joassart, (directeur de la FN de 1923 à 1950 : < http://mgklord.free.fr/doss0003.htm > – qui, après des études de droit, est devenu marchand d’armes de guerre pour le compte de la FN, dont le terrain d’action était l’Afrique et le Moyen-Orient, avant de s’installer à son compte et d’y établir ses bureaux à Ryad. On lira à son sujet deux articles intéressants sur Internet : le blog d’Alain Vancau, un ancien ami d’université, <http://www.christianvancautotems.org/article-ma-bio-222-3e-trimestre-1987-annee-de-mes-50-ans-103551204.html> et un article du journal « Le Soir » du 10 juillet 1996 : < http://archives.lesoir.be/des-commandes-pour-20-milliards-dans-le-collimateur-d-u_t-19960710-Z0CC0Q.html >. 8 Voir « L’Union » n° 132, pp. 10-11.

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Puis vinrent les « humanités ». J’ignore sur la base de quels critères les élèves étaient répartis entre les « gréco-latines » et les « modernes » 9. Nous étions ± 40 en sixième latine (1re actuelle). Dès la fin de la cinquième (= 2e), classe de l’Abbé Hanlet, il n’en restait déjà plus que la moitié. Chacun se sou-vient de la formule-fétiche de notre titulaire lorsqu’il invectivait un élève in-suffisamment… productif : « Vendez vos livres, achetez une pioche. » Nous n’étions donc plus que 14 en fin de rhétorique, mais nous avions récupéré quelques redoublants en cours de route : alors que nous étions censés être nés en 1938, quelques-uns d’entre les nôtres comptaient, en 1956, une, deux, voire trois années de retard 10.

Même si Terre des hommes de Saint-Exupéry a paru en 1939 (déjà), bien peu de nos enseignants semblaient être sensibles à ce que l’auteur dénonçait : « Un enfant qui ne réalise pas son potentiel, c’est Mozart qu’on assassine. Tout enfant qui ne devient pas ce qu’il peut être, c’est Mozart qu’on assassine 11. »

À peine un tiers d’entre nous étaient internes (7 sur 25), ce qui semble peu par rapport à la population totale d’internes du collège.

Le liber memorialis consacré au centenaire du collège nous dit, p. 56, que « la population scolaire (primaire + secondaire) dans l’immédiat après-guerre est de 568 élèves (368 externes + 157 internes). Corps professoral : 13 profes-seurs prêtres, 4 laïcs, 11 instituteurs. Et, p. 58, en 1955 : 610 élèves (380 ex-ternes ; 230 internes), 351 (primaire) + 259 (secondaire ; proportion d’internes ?) ; 11 professeurs prêtres et 7 laïcs. Cela laisse supposer une pro-portion d’internes proche de 50 %. »

9 Il n’y avait ni orientation scolaire ni PMS à l’époque. Dans un article un rien pamphlétaire (Cumint qu’on d’vint ploketî, l’écrivain wallon verviétois, Jean Wisimus (dans Dès rôses èt dès spènes, 1926, pp. 45-46) nous décrit la distribution arbitraire des élèves à l’athénée de Verviers entre « latines » et « commerciales » au début du vingtième siècle. Par contre, un ami marchois, aujourd’hui octogénaire, me certifie que, après la seconde guerre mondiale encore, la distribu-tion des élèves entre « latines » et « modernes » se faisait, à l’Institut Saint-François (au-jourd’hui disparu), sur la seule base de l’origine sociale des élèves. 10 Un seul d’entre nous était un an avant l’âge (il n’avait pas fait de troisième primaire). 11 Ceux qui, parmi les lecteurs de cet article, ont été ou sont enseignants, doivent eux aussi se demander, humblement, combien de Mozart ils ont assassinés…

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PROFIL DE L’INSTITUTION – LES ENSEIGNÉS

Internat

1956 – Il y avait donc 230 internes. Au début des années 50, ceux-ci ne re-tournaient « dans leurs foyers » qu’aux grands congés (Toussaint, Noël, Car-naval…). En 1956, ils pouvaient désormais rentrer chez eux tous les week-ends [weekends*] 12.

1970-1980 – Ibid., p. 66 : « Ce nombre diminua peu à peu pour différentes raisons, dont la raison financière. (…) Au cours des années suivantes, nom-breux furent les étrangers qui vinrent faire des études complètes ou partielles à Saint-Hadelin : Rwandais, Iraniens, Espagnols, Italiens, Hollandais, Algé-riens, Turcs, Français, Américains, Canadiens, Colombiens, et surtout Zaïrois. Il fut un temps même où les étrangers étaient majoritaires à l’internat. » Cette énumération sonne à nos oreilles comme un hallali. Un tel descriptif explique que l’internat, à l’instar de pas mal d’autres internats dans notre pays, portait en lui les germes sociologiques de sa disparition 13.

Sélection « élitiste » par l’argent

Le collège se limitait à ces deux sections, après une tentative avortée de création d’une section latin-mathématique 14. Il laissait donc à d’autres con-grégations, – prêtres de don Bosco, aumôniers du travail, frères maristes ou frères des écoles chrétiennes, etc. – le soin de dispenser des formations moins nobles.

12 Témoignage d’un ancien condisciple interne : « Je me retrouve très bien dans tout ce que tu as raconté de ce passé. Dans le présent texte, que j’ai lu d’une traite, c’est une sorte de synthèse que je découvre de ce passé. Tu y mets les points sur les "i" : la relation à l’argent, l’endoctrinement, le regard biaisé par la religion, les professeurs sans titre pédagogique, l’arbitraire parfois. (…) Je me suis rendu compte bien des années après de ce que la vie en internat m’avait appauvri sur le plan culturel et relationnel. Mais il m’a fallu des années pour en prendre conscience. Décidément, c’était un autre monde ! » 13 Témoignage d’un ancien de 1968 : « On a connu l’arrivée massive d’internes congolais. Ce n’est qu’il y a deux ou trois ans que l’abbé VP*** m’a parlé de la menace de grève des prêtres du collège qui ne voulaient plus que l’abbé Th*** accueille autant de Congolais qui payaient mal et pour lesquels eux devaient payer en abandonnant une grosse partie de leur rémunéra-tion. L’abbé To*** m’a confirmé cette rébellion. » 14 Selon la législation de l’époque, on distinguait, dans l’enseignement dit général ou « huma-nités », les sections fortes (gréco-latines, latin-mathématique, scientifique A) et les sections faibles (latin-sciences, scientifique B, sciences économiques).

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Mais d’où venaient les élèves ? Les externes venaient, à pied ou à vélo, par-fois en micheline, des alentours – d’un hinterland d’un rayon d’environ 10 kilomètres – et les internes francophones venaient de la ville aux tentations de laquelle leurs parents cherchaient à les soustraire, tandis que les néerlando-phones venaient de régions plus lointaines (des Fourons ou de la région lim-bourgeoise qui se situe au-delà d’Eben-Emael) pour y apprendre le français.

La sélection sociale se faisait par l’argent. Et le collège devait être considéré comme une entreprise commerciale. Pour inscrire leur enfant au collège, les parents devaient s’acquitter d’un « minerval » (le mot est un belgicisme)… substantiel 15, qui, selon des estimations que j’ai pu faire a posteriori, correspon-dait au moins au droit actuel d’inscription à l’université. Pour les internes, il fallait y ajouter le prix de la pension, qui était relativement élevé. À un point tel que, le cas échéant, le collège n’hésitait pas à transgresser ses propres règles : ainsi, on n’hésita pas un seul instant à inscrire à l’internat deux char-mants garçons, de religion musulmane, dispensés d’ailleurs d’assister aux cours de religion : il s’agit de Ferry (ou Ferey ou Fereïdoum) et de Bahram Mir Djalali 16, fils d’un général iranien chargé par le shah d’Iran d’acheter en Europe des armes de guerre, entre autres à la FN. Il arrive, n’est-ce pas, que l’argent ait fort peu d’odeur.

L’existence de ce minerval pouvait s’expliquer par le fait que l’enseignement n’était obligatoire – et forcément gratuit – que jusqu’à 14 ans, depuis la loi de 1914, entrée en vigueur après la guerre. Et on peut penser que, de 12 à 14 ans, il y avait deux catégories d’élèves, ceux qui suivaient les cours du quatrième degré primaire cul-de-sac (7e et 8e), enseignement forcément gratuit, et ceux qui entraient en « humanités », moyennant paiement du cé-

15 Le pacte scolaire de 1958, coulé en Arrêté Royal le 29 mai 1959, a interdit de demander désormais ce minerval à l’inscription. Il reste que les écoles libres ont encore perçu des frais de scolarité divers (manuels scolaires, excursions, retraites, feuilles polycopiées…) que diffé-rentes circulaires ministérielles ont tenté, au cours des années, tant bien que mal de limiter. À ce sujet, le ministère a dû faire face à un phénomène nouveau lié au développement des ma-chines à polycopier et à photocopier : le piratage sans vergogne, par les enseignants, des ma-nuels scolaires dont les auteurs voyaient leurs droits d’auteurs bafoués. 16 Voir « L’Union » n° 213 de novembre 2006, pp. 7-8. Notre condisciple Gui Metten, lors-qu’il était ambassadeur de Belgique à Téhéran, avait retrouvé notre ancien condisciple Ba-hram, devenu chirurgien et dont la spécialité était d’opérer des transsexuels. C’est de cette expérience de chirurgien que ce dernier nous parlait dans l’article précité, intitulé « Bahram Mirdjalali et la transsexualité en Iran ».

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lèbre « minerval ». Par ailleurs, c’est seulement en 1983 que la loi a rendu la scolarité obligatoire jusqu’à 18 ans.

Avant cette « scolarité obligatoire », au début des années 1960, l’externat s’est développé sous l’action convergente de deux autres phénomènes : l’afflux des baby-boomers nés dès la fin de la seconde guerre mondiale et la prolongation naturelle de la scolarité. Phénomènes semblables dans toutes les écoles secondaires d’ailleurs 17.

PROFIL DE L’INSTITUTION – LES ENSEIGNANTS

1956 – Selon le liber memorialis déjà cité, le corps professoral, exclusivement masculin, comprenait, en 1956, « onze professeurs prêtres et sept professeurs laïcs » (p. 58).

Ayons le courage de le dire, aucun de ces professeurs prêtres, en dehors de l’abbé Lemaire qui était quand même titulaire d’un diplôme de candidat en

17 Point de vue d’un ancien de 1965 (donc neuf ans après moi) : « Globalement, quelles se-raient les impressions de quelqu’un qui vous a suivi de dix ans ? Globalement, les mêmes. Quelques nuances. L’internat avait déjà perdu de sa préséance, et les internes rentraient chez eux tous les week-ends [weekends*]. La pression ‘vers le séminaire’ était évidemment moins forte. Mais la chape de plomb religieuse restait. Même l’abbé Menten trouvait que Suenens, habillé en ‘clergyman’ (mot oublié) avait l’air d’un parfait singe. Le minerval avait disparu, mais il restait les frais de livres par exemple. Une chose que vous ne signalez pas, mais que j’ai ressentie, c’est la discrimination latente des (bourgeois) Visétois envers les (bouseux) campa-gnards. Étant de ces derniers, je trouvais choquant que les prix honorifiques décernés au défilé de fin d’année dans la salle des fêtes, prix du genre ‘élève méritant’, allaient toujours à des Visétois. La proportion du corps professoral laïcs-religieux était en train de s’inverser. (…) Élitisme ? (…) Mais est-ce le fruit d’un élitisme voulu ou du moins consenti, ou plutôt le résultat des options proposées, des choix parentaux et des réputations d’école (ce à quoi les décrets inscription ont cherché à remédier, mais aggravant le mal plus que l’atténuant) ? À la séance académique à laquelle j’ai assisté (en 2015), une chose qui m’a frappé, c’est l’assurance, la bonne conscience sirupeuse, le manque d’autocritique, l’absence de remise en question – qui me semble(nt) d’ailleurs l’apanage de toutes les « bonnes » écoles. On est sûr [sur*] d’être dans le bon, la preuve c’est que les gens se disputent pour y amener leur gosse, cercle vicieux parfait ! J’aimerais faire une remarque à propos des mots d’un de vos condisciples, qui dit en substance que l’éducation reçue à l’époque lui semble meilleure que ce que l’on fait au-jourd’hui. C’est qu’en 50 ans la sociologie de l’école a été bouleversée ! Massification, accès jusqu’à 18 ans, libération des esprits post-soixante-huitarde, concurrence des autres sources de savoir, etc. Il y aurait mille choses à dire. En 1956, l’éducation que vous avez reçue était celle d’une élite ! L’école d’aujourd’hui ne s’adresse plus à une élite, mais à tout le monde : c’est bien plus difficile – mais c’est tout à son honneur (…). »

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philologie classique, n’avait reçu ni de formation pédagogique ni de formation scientifique les préparant à enseigner les disciplines qui leur étaient attribuées. Dans ces domaines, ils étaient donc d’authentiques autodidactes et certains ne s’en tiraient pas mal (ex. : l’abbé Hanlet 18, l’abbé Menten 19…). Ajoutons à cela qu’un certain nombre de ces prêtres étaient d’origine flamande 20 – le diocèse de Liège couvrait à l’époque la région limbourgeoise de Saint-Trond, Hasselt… – et parlaient un français parfois approximatif : ils s’appelaient Co-lémont, Colleye, Janssens, Lambrechts, Smeyers… 21.

En ce qui concerne les laïcs, ce « mal nécessaire » selon l’expression consa-crée, chargés de cours dits secondaires (mathématique, sciences, éducation physique…) – ingénieur agronome, instituteur…, – il convient de dire qu’ils ne possédaient pas les « titres requis ou jugés suffisants » tels qu’on les exi-geait dans l’enseignement officiel. De plus, ils étaient mal payés par l’évêché

18 Nous l’avions affublé du sobriquet « Πρεσβυς » (le vieux). Lorsque, carrière terminée, il avait été désigné comme aumônier auprès d’une petite congrégation religieuse de Dolhain, il n’hésitait pas à me rendre visite spontanément à mon domicile verviétois, lorsque j’étais pré-cisément enseignant à Verviers. 19 Lorsque, dans le milieu des années soixante, le collège a décidé de célébrer avec une cer-taine solennité le jubilé sacerdotal des abbés Hanlet et Menten, ce dernier m’avait choisi, parmi tous ses anciens élèves, pour lui faire le discours d’hommage. Je n’ai pas retrouvé ce discours, mais je ne désespère pas de le retrouver un jour. 20 Témoignage d’un ancien de la promotion de 1968 : « En faisant quelques recherches sur la question fouronnaise, j’ai trouvé que le collège était, entre les deux guerres, un fameux repaire de curés flamingants, qu’il était le siège du Davidsfonds dans la région. » 21 Point de vue d’un ami, doyen émérite de la Faculté de Philosophie, Arts et des Lettres à l’UCL (octogénaire), germaniste d’origine flamande : « Souvent, j’ai comparé avec ma propre expérience en Flandre. Ainsi, tu parles de certains profs flamands qui parlaient un français approximatif ; chez nous, on avait un père passioniste francophone qui enseignait les maths dans un néerlandais lui aussi approximatif. (…). J’ignorais que les Flamands avaient eu une préférence pour les Hutus. Concernant l’enseignement de la religion et l’influence de celle-ci sur le choix des livres à lire (et à ne pas lire), ton expérience ressemble très fort à la nôtre en Flandre. Que tout ça est loin ! Mais comme tu le notes aussi, les tendances intégristes ont la vie dure. Ce qui me fait penser à une récente émission de Frank Ferrand sur TV5 Monde concernant la passion du Christ, émission où on se base notamment sur le Jésus de Petitfils pour prouver que les évangiles sont des récits historiques. » [NB Ce correspondant a publié dans « La Revue Générale » (2012, vol. 6) un article qui éreinte sans appel l’ouvrage pseudo-scientifique de Petitfils.]

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qui gardait par-devers lui une partie (environ ¼) des traitements qui lui étaient versés par le Ministère 22.

Grand paradoxe : la formation dispensée était de qualité si on en juge par les résultats post-secondaires obtenus par les rhétoriciens diplômés. À moins que ceux-ci ne soient devenus, par la force des choses, de grands autodi-dactes… Et il y avait eu tant de déchets…

1958 et après. – Le Pacte scolaire, auquel s’opposait paradoxalement à l’époque l’Église de Belgique, allait mettre un terme relatif à ces inégalités. D’une part, la loi, concession obligée, allait reconnaître [reconnaitre*] aux prêtres enseignants « ministres d’un culte reconnu » la capacité pédagogique pour enseigner TOUTES les disciplines (y compris l’éducation physique…) [sic] ; d’autre part, les enseignants laïcs devraient posséder désormais « les titres requis ou jugés suffisants » tels que définis par AR, les mêmes qu’à l’État, et on leur garantissait les mêmes barèmes que dans l’enseignement offi-ciel – ils seraient payés directement par le Ministère et plus via l’Évêché, – même si la mise en place de ces dispositions a pris des années. Le « statut de stabilité » a mis plus de dix ans à être adopté définitivement, ce qui n’a pas empêché, au milieu des années 70, le P.O. de l’école de Ciney que je dirigeais à l’époque, de licencier une de mes professeures, célibataire, qui avait eu la mauvaise idée d’épouser… un divorcé, et cela au mépris d’un article de l’AR qui garantissait le respect de la vie privée des enseignants. Et le P.O. a finale-ment dû s’en mordre les doigts. Il est vrai que, dans l’enseignement féminin, jusqu’au début des années 60, on faisait signer aux femmes enseignantes un contrat de travail par lequel elles s’engageaient à démissionner en cas de… mariage. Mais cela se pratiquait aussi dans les banques… (entre autres). Autre caractéristique : même si la guerre scolaire avait opposé violemment les parti-sans des réseaux d’enseignement (libre / officiel), nos parents n’hésitaient pas, le plus souvent, à nous envoyer poursuivre nos études dans une université d’État (ULg) toute proche. Et c’est ainsi que le personnel enseignant du très catholique collège Saint-Hadelin, titulaire de diplômes universitaires, était issu, pour la plupart d’entre eux, d’une université d’État 23. Même les trois direc-

22 Nica Colson, qui fut l’âme de la revue « L’Union » pendant tant d’années, sorti du collège en 1936 et diplômé de l’ULg en 1942, n’a jamais envisagé de faire sa carrière dans l’enseignement libre. Il a enseigné à l’athénée de Spa. 23 Lorsque je me rendais, avec mes rhétoriciens, aux journées d’information organisées par l’UCL, toujours logée à Leuven avant la scission, le vice-recteur de l’époque, Mgr Devroede,

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teurs laïcs du collège, qui se sont succédé, sont tous issus de l’université de Liège : Henri Swinnen (Lic. 1965 – Agrég. 1966), Gilbert Lesoinne (1969 – 1970), Sabrina Russo (1995 – 1995) 24.

QUELQUES CARACTÉRISTIQUES VISIBLES DE L’ENSEIGNEMENT CA-

THOLIQUE DE L’ÉPOQUE

Un enseignement non mixte aux allures de petit séminaire déguisé

Il fallait donc, en 1950, produire un certificat de baptême pour pouvoir s’inscrire au collège, même si je crois que le collège avait déjà renoncé à cette exigence en 1956. Être collégien externe impliquait l’assistance quotidienne à la messe avec recommandation de la communion fréquente, qui exigeait qu’on soit à jeun. Les externes venant de loin ont été assez rapidement dis-pensés d’assister à cette messe quotidienne. En contrepartie, obligation était faite à tous, sous le directorat de l’abbé Falmagne, d’assister, à la chapelle, avant les cours, à une « méditation » quotidienne, d’une durée de dix minutes à un quart d’heure, animée par le directeur lui-même. Chaque dimanche, les externes devaient aller faire signer par le curé de leur paroisse, au terme de la messe dominicale, leur « carnet de messe ». De plus, il était fortement recom-mandé – pieuse et le plus souvent vaine recommandation – de se choisir un confesseur directeur de conscience, de préférence le titulaire de classe. Chaque rentrée scolaire était marquée par une retraite de trois jours. En rhé-torique, on y ajoutait une « retraite de vocation ». Diverses manifestations religieuses ponctuaient la vie scolaire : pèlerinage à pied à la chapelle de Wix-hou à Argenteau, chapelet récité en fin de récréation de midi pendant le mois de mai, procession à l’intérieur du collège lors de la chandeleur, prière avant et après les cours, mobilisation lors du « carême de partage »…

En 1982, selon le liber memorialis déjà cité, pp. 71 et sv., sous le titre « la formation religieuse », le collège utilisait encore sensiblement les mêmes tech-niques de « formation »… ou de « formatage ».

me confia que le meilleur recruteur d’étudiants en médecine à l’UCL était… un professeur de l’ULg : il est vrai que le professeur Dubuisson, qui deviendrait un peu plus tard recteur de l’ULg, avait la réputation d’être un « mofleur » [belg. = « examinateur qui a la réputation de faire échouer de nombreux étudiants »] particulièrement sanguinaire. 24 « L’Union », n° 245, décembre 2015, p. 6, propose le portrait d’un professeur d’économie : « Ce professeur a une compagne, n’est pas marié et n’a pas encore d’enfants. (…) Il a égale-ment enseigné l’économie à l’Athénée royal d’Aywaille. »

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Petites considérations sur la « coéducation » et la mixité

1950. – En 1950, le collège était réservé aux garçons. Les seules personnes de sexe féminin présentes au collège étaient les quelques religieuses, apparte-nant à une congrégation italienne, chargées d’assurer l’intendance à l’internat. En dehors de ce que permettait le passe-plat du réfectoire, elles n’avaient au-cun contact avec le sexe masculin. Lorsqu’elles assistaient à certains offices, elles le faisaient à partir d’une loggia latérale nichée très haut dans la nef et cachées derrière une sorte de moucharabieh ou de triforium, mais qualifions plus simplement cette sorte de jubé de tribune latérale 25, décourageant d’éventuels regards indiscrets… Seul, le bruit du glissement furtif d’un prie-Dieu nous informait de la présence de l’une d’entre elles.

À la même époque, l’athénée de Visé était déjà mixte, mais je doute fort que le corps professoral l’ait été. C’est ainsi que, tout au début des années 50, ma cousine germaine Ginette Belleflamme a accompli le cycle supérieur de ses « humanités » à l’athénée et a eu comme condisciple Floriane André, la veuve d’Oscar de Froidmont. Il était d’ailleurs impossible de faire ces études au Sa-cré-Cœur, qui n’était encore à cette époque qu’une école professionnelle pour jeunes filles. Par contre, dans les lycées, établissements exclusivement fémi-nins, le corps professoral était, lui aussi, totalement féminin.

1960 et après. – Il aura fallu attendre 1997 pour voir la Communauté fran-çaise faire de la mixité une obligation légale 26. C’est seulement en 1979-1980 que le collège ouvrait ses portes à la… coéducation. Il va sans dire que la gé-néralisation de la mixité dans l’enseignement secondaire a été préjudiciable à l’enseignement féminin, les filles se rendant dans les écoles de garçons et non l’inverse. Les causes en sont sûrement [surement*] sociologiques… Le per-sonnel enseignant s’est mis aussi à la mixité dans le courant de la décennie 1970. Ce ne fut pas un choix délibéré, mais le résultat d’une féminisation in-tensive de la profession. Les femmes se sont à ce point bien intégrées dans le corps professoral que personne n’a trouvé à redire lorsque le pouvoir organi-sateur a confié la direction actuelle du collège à une femme dont le nom, par

25 Voir « L’Union » n°157, p. 6. 26 Sur le sujet de la mixité, on peut lire : <http://www.lalibre.be/debats/opinions/garcons-et-filles-a-l-ecole-une-evidence-51b8e4c0e4b0de6db9c5488a>.

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ailleurs, fleure bon la Méditerranée. Depuis septembre 2015, la direction du DOA est également confiée à une femme 27.

La Gloire du collège et Les Plumes du coq

Ce n’est pas sans malice que j’emprunte à Montherlant (voir La Relève du matin) la première partie du titre de ce paragraphe. J’aurais tout aussi bien pu évoquer La Ville dont le prince est un enfant. Nul mieux que Montherlant n’a dé-crit, à mon sens, l’atmosphère du collège que j’ai connu. Sans que l’on ait à reprocher aux personnages de Montherlant des comportements concrets d’homosexualité ou de pédophilie, il y est toutefois question d’« amitiés parti-culières » : l’abbé de Pradts est maladivement jaloux de l’amitié que porte un condisciple, André Sevrais, à son « protégé » Serge Souplier…. Il me semble qu’il en était ainsi au collège 28. Ces amitiés particulières se développaient dans un contexte propre au conditionnement religieux dont nous étions l’objet 29. Nul n’a mieux évoqué que Conrad Detrez l’étouffoir que pouvait être l’exigence de l’examen de conscience et de la confession. Dans L’Herbe à brûler [bruler*], ouvrage pour lequel il a obtenu le Prix Renaudot, il écrit : « Le prêtre insistait, fouillait mon âme. Il cherchait, disait-il, à déceler en moi les racines du mal les plus profondes et les plus lointaines, à isoler, à exhumer des re-coins de mon être la dernière parcelle de péché. Et il était grand, mon péché ; c’était comme une bête à plusieurs têtes et tentacules de toutes les grosseurs […] Il extirperait le mal, tout le mal, soufflait-il, descendrait au tréfonds de ma conscience. »

Un mot sur Conrad Detrez. Je sais que le collège n’aime pas faire mémoire de cet ancien élève, dont la célébrité « trouble » jette une ombre sur l’image que le collège aimerait donner de lui-même. Mais voilà, Conrad Detrez, d’un

27 (« L’Union », n° 245, décembre 2015, p. 4 propose le portrait de M. Denis, professeur d’éducation physique depuis 33 ans Parmi les changements constatés depuis qu’il travaille au CHSV, il pointe ceux-ci : « (1) Avant, il y avait 350 élèves et aujourd’hui 1 200. (2) Le départ des prêtres. (3) L’arrivée des filles. ») 28 Je pense, entre autres, à ce que disait, avec une certaine complaisance (et probablement en toute ignorance), l’abbé Lemaire des « doux éphèbes grecs » dont s’entouraient, dans l’Antiquité, les philosophes et autres péripatéticiens ? Quand on sait que l’expression popu-laire « va te faire voir chez les Grecs » veut dire « va chez les pédés »… on reste rêveur. 29 Témoignage d’un condisciple de l’époque à la lecture de cet article : « Bons et moins bons souvenirs du collège… de l’humour (quelquefois sarcastique !)… plein de vérités sur ce que nous avons ‘subi’ et ‘enduré’ sans trop rechigner à l’époque, acceptant d’être ‘étouffés’ par les préceptes catholiques… »

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an notre aîné [ainé*], a croisé notre route 30, avant d’aller terminer son secon-daire au collège de Herstal 31. Son roman de 1975, Les Plumes du coq 32, est donc incontournable lorsqu’on veut étudier l’histoire du collège. Dans la présenta-tion qu’il signe lors de la réédition de cet ouvrage chez Babel/Labor, en 1995, Jean-Louis Lippert écrit : « Religion, révolution, amour, nul ne fut combattant plus fanatique de ces trois couleurs que Conrad Detrez. Nul, dans la mé-fiance, le désespoir et la disgrâce, ne paya davantage le prix d’une triple dé-faite. (…), Conrad Detrez revisite, des années après (le roman est paru en 1975), le monde clos et austère du pensionnat catholique où il fit ses classes. Monde étrange en proie à l’hystérie religieuse. (…) Et dans ce récit hyperbo-lique et terrible, dénonciation d’une éducation religieuse trop stricte, l’écrivain laisse libre cours à sa veine baroque et fantastique. » (4e de couverture)

S’il est admis actuellement que l’homosexualité est liée à la nature de l’individu, est-il inopportun de se demander en quoi l’éducation religieuse dispensée à cette époque aurait pu être, ou ne pas être, un élément déclen-

30 Voir L’union n ° 134, p. 9. En novembre 2015, un historien flamand, Peter Daerden, origi-naire de Bilzen, met la dernière main à une biographie, en néerlandais, de Conrad Detrez. Il m’interroge en même temps qu’il m’informe : « Conrad Detrez a eu un séjour très troublant au collège. En 1949, en 6e latine, il quitte le collège déjà après deux mois ! La raison n’est pas connue. Est-ce qu’il y aurait un rapport avec Maertens (démissionné en 1949-1950) ? Qui sait... Mais en 1950 il recommence sa 6e latine. Après la 4e latine, il quitte le collège de nou-veau, cette fois pour aller au collège St-Lambert à Herstal (ou il n’a pas eu de problèmes). Étrangement, c’était la direction qui l’avait forcé de quitter le collège. On ignore les raisons. Étrange coïncidence aussi que Maertens habitait dans ma ville natale, Bilzen. » Et un autre message : « La 4e latine à Visé était désastreuse pour Conrad, il était recalé pour 4 matières. Après, à Herstal, il n’était plus interne, et je crois qu’il était plus heureux là. » Ainsi donc, Conrad Detrez aurait donc été, lui aussi, un Mozart assassiné. 31 L’itinéraire de Conrad Detrez est très particulier : né en 1937, originaire de Roclenge-sur-Geer, mort en 1985 (probablement le premier écrivain de langue française à être mort du sida), est un écrivain, à la fois romancier et poète belge d’expression française naturalisé fran-çais en 1982. Son œuvre fiévreuse et baroque, nourrie de son enfance paysanne (son père était boucher) et de sa jeunesse séminariste en Belgique, de son éveil brutal à la politique et à la sexualité en Amérique du Sud, puis de sa reconnaissance d’écrivain et sa mission de conseiller politique de Mitterrand en Amérique centrale, notamment à l’ambassade de France au Nica-ragua, est marquée par la propension à la bouffonnerie, à l’excès, au fantastique, alliant la tradition flamande aux formes réalistes et fantastiques de la littérature latino-américaine. Elle mêle le mysticisme, l’espoir révolutionnaire et un érotisme homosexuel sans ostentation. (D’après wikipedia) 32 Voir, entre autres analyses, <http://ler.letras.up.pt/uploads/ficheiros/5951.pdf>. Bel article que signe José Dominguez de Almeida, de l’université de Porto.

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chant de cette tendance latente, si on admet que tout individu est à la fois le produit de ses gènes et de son éducation 33 ? Mais je m’engage là sur un terrain très scabreux.

La pédophilie : le déni et l’omerta

1950-1956. – Le collège Saint-Hadelin a-t-il échappé, lorsque nous y étions collégiens, au fléau de la pédophilie ? Il faut avoir le courage et l’honnêteté de répondre « non », et je crois que, depuis soixante ans, on vit encore dans le déni. Aujourd’hui, il devrait y avoir prescription et on peut – et même on DOIT – regarder ce lourd passé en face. Seul indice significatif et révélateur pour ceux qui savent, une petite phrase. Dans le liber memorialis déjà souvent cité, on peut lire, p. 56, ceci : « Le directorat très bref de Monsieur l’abbé Maertens, ancien professeur de Saint-Trond, qui, après dix-huit mois, fut ap-pelé à la cure de Schulen, a été suivi de celui de l’abbé L. Falmagne 34. » Voilà, en creux, un aveu implicite. Nous étions au seuil du secondaire. On bavardait entre élèves et certains rapportaient d’étranges confidences… sur ce qui se passait à l’internat. Lorsque nous rapportions ces choses à nos parents, ils nous enjoignaient de nous taire 35. On était en pleine année scolaire. Un nou-veau directeur, austère, au profil taurin, apparut soudain dans les couloirs. On racontait qu’il était une « vocation tardive », donc solide. On disait aussi qu’il avait procédé à un grand nettoyage tant du côté des prêtres enseignants que

33 Voir, p. ex. l’article suivant : < http://www.lemonde.fr/week-end/article/2011/04/08/l-homosexualite-n-est-pas-un-choix_1504178_1477893%20.html >. 34 Le liber memorialis dont il est question ci-dessus entretient l’ambiguïté sur les dates du direc-torat de l’abbé Ma(e)rtens : p. 120, « l’abbé Maertens aurait été directeur en 1948-1949 et l’abbé Falmagne en 1949-1954 » ; p. 121 « l’abbé Falmagne aurait été directeur en 1950-1957 et l’abbé Thimister en 1954-1975 ». Dans l’Annuaire des anciens (1985), je lis, p. 48c, que l’abbé Alphonse Martens a été « titulaire de 6e en 36-41 », et « directeur en 48-50 ». Nulle part on ne précise le mois de l’année scolaire où l’abbé Ma(e)rtens a été limogé. Selon mes souvenirs, cela s’est passé, assez étrangement, en pleine année scolaire. 35 Commentaire d’un ancien élève verviétois (promotion 1972), carrière de DRH : « Dès l’instant où la hiérarchie catholique pose des interdits contraires à un fonctionnement naturel de l’être humain, il ne faut pas s’étonner que des frustrations évoluent vers des déviances et particulièrement s’il y a un rapport de forces. Si je fais abstraction du sort malheureux de la victime, les plus graves responsabilités sont-elles entre les mains des hiérarchies, des promo-teurs de l’omerta ou du coupable ? »

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du côté des internes 36. Le « baas », comme nous l’appelions, a été à mes yeux un grand directeur.

Mais qui a procédé à la « mutation » de l’abbé Maertens ? Il s’agit d’un an-cien du collège, Mgr Guillaume-Marie van Zuylen. Lorsqu’on consulte sa bio-graphie, on découvre en effet qu’« il devient, le 7 février 1949, vicaire général du diocèse au décès de Mgr Boes. Ses nouvelles charges sont les secteurs de l’Enseignement, de l’Action Catholique et des Œuvres Sociales. Et c’est en juillet 1951 que le Pape Pie XII le nomme évêque coadjuteur de Mgr Kerkhofs, avec droit de succession. Il est sacré évêque en la cathédrale Saint-Paul de Liège, le 8 septembre 1951, par Mgr Kerkhofs… » (http://liege.diocese.be/default.asp?SHORTCUT=432). En conséquence de quoi, tout porte donc à croire que c’est lui qui a pris la décision de nommer l’abbé Falmagne directeur du collège et de « muter » en stoemelings son triste prédécesseur, l’abbé Maertens, dans une obscure paroisse flamande.

Au début des années cinquante, il était donc évêque coadjuteur et ve-

nait chaque année présider la cérémonie de remise des prix. La cérémonie

était solennelle : le coadjuteur, en costume d’apparat, – avec la mitre, la sou-

tane mauve, la bague, et tout ! – occupait le siège central au premier rang de

la « salle des fêtes ». Tous les élèves, après avoir été proclamés, devaient défi-

ler devant lui, mettre un genou en terre et lui baiser l’anneau épiscopal.

Quelques années ont passé. En 1961, il était devenu évêque ; j’avais terminé

l’université et, service militaire également terminé, j’étais au début de ma car-

rière d’enseignant chez les frères à Verviers. Au terme de l’année scolaire

1962-1963, le frère directeur de mon école mettait brutalement fin au contrat

d’engagement d’un de nos collègues laïcs. Nous étions inquiets, parce que

nous ne comprenions pas ; une petite délégation d’entre nous (dont j’étais) a

36 Témoignage d’un ancien condisciple de 1956 : « Il y en eut un autre [cas de pédophilie], découvert après 1956 et, à chaque fois, ce qui fut mis en avant, c’est la ‘bonne réputation’ du collège : on exporte le problème... » – Témoignage d’un ancien de 1965 : « J’ai eu un profes-seur (3e latine à l’époque) dont certaines attitudes nous paraissaient bizarres, mais on parlait peu à l’époque. Plus tard, quelqu’un, sorti dix ou quinze ans après moi, m’en parla, et confir-ma mes soupçons sur ces vilaines manières. Mais je ne sais si l’affaire a éclaté au grand jour. Il était arrivé pendant mon cursus, vous ne l’avez donc pas connu. » – Témoignage d’un ancien de 1968 : « Pendant mon passage au collège (1961-1968), j’ai aussi connu deux départs mysté-rieux d’enseignants : l’abbé L*** et M. T***. »

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osé interroger notre directeur qui nous a confié que ce professeur, J. S., s’était

rendu coupable de faits de… pédophilie, et était même allé jusqu’à

« s’épancher » par écrit auprès d’une de ses victimes, que les parents concer-

nés avaient accepté de ne pas porter plainte [sic] à condition que ce professeur

fût licencié.

Au mois de septembre suivant, nous avons appris avec stupeur que

Mgr Guillaume-Marie van Zuylen, – vénérable ancien du CSHV n’est-ce pas, –

évêque en titre du diocèse de Liège, avait désigné – à la suite d’un éventuel

lobbying syndicalo-politique, avons-nous supposé – cet ex-professeur en qua-

lité de professeur de… religion catholique à l’athénée de Pepinster, où il a

terminé sa carrière, avant de se convertir au protestantisme. Or, tout le monde

sait que seul l’Ordinaire du lieu est habilité à désigner les professeurs de reli-

gion catholique dans l’enseignement officiel. Donc… Le frère directeur de

l’époque est décédé, Mgr van Zuylen également, ainsi que le professeur con-

cerné (qui est décédé en octobre 2013). C’est de l’histoire ancienne, pourrait-

on dire. Mais :

– certains de ses condisciples de l’école normale de Malonne, encore en vie en 2015, se souviennent qu’à l’internat de Malonne, ce futur professeur avait déjà fait l’objet de sanctions en raison de ses « préférences » sexuelles ; – certains de mes anciens collègues verviétois se souviennent, aujourd’hui encore, et ne comprennent pas le choix de Mgr van Zuylen ; – certains de mes anciens élèves verviétois, lorsqu’ils viennent me rendre vi-site – et après un demi-siècle, ne vous en déplaise, ils sont plutôt nombreux à venir me saluer… à plus de 80 kilomètres de chez eux – ne manquent jamais d’évoquer avec étonnement cet événement.

À titre d’exemple, voici un extrait d’un courrier que j’ai reçu récem-

ment (le 15 septembre 2015), en provenance d’un ancien élève verviétois

(promotion 1967), ingénieur civil (ULg, promotion 1972) :

« Il y a un sujet qui me perturbe depuis 40 ans, et dont j’ose à peine vous parler.

J’avais un très grand ami à Saint-Michel que vous avez connu : G. H. 37.

37 Décédé en 1975. Était en train de terminer ses études de médecine.

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Nous avions un professeur d’histoire qui s’appelait Monsieur S. J’avais toujours trouvé étrange que Georges allait passer des mercredis

après-midis chez ce professeur qui avait, pour moi, un genre que je qualifierais de « bizarre ».

Pour tout dire, je le trouvais emprunté, maniéré, avec un regard un peu louche, et je ne serais pas étonné si l’on me disait qu’il était un peu pédophile. Bon, je sais que ce mot est à la mode, mais on découvre quand même beaucoup de choses depuis quelques années et l’affaire Dutroux. »

En voilà encore un à qui il a bien fallu révéler la vérité… 40 ans après.

Je n’ai pas eu connaissance de pratiques semblables dans l’enseignement féminin. Par ailleurs, je ne nie pas que ces pratiques douteuses auraient pu concerner d’autres milieux, mais à une tout autre échelle.

2015. – L’archevêque Léonard, au moment où il envoyait sa démission au pape, a fait l’objet d’une condamnation en justice : « La cour d’appel civile de Liège a condamné Monseigneur Léonard dans une affaire de protection de pédophile. La plainte avait été introduite par Joël Devillet. Enfant de chœur en 1987 à Aubange, il avait été victime de faits de mœurs alors qu’il n’avait que 14 ans. Il a été abusé jusqu’en 1991 par l’abbé Hubermont. Joël Devillet reprochait à l’Église d’avoir tenté d’étouffer l’affaire et de lui avoir conseillé de ne pas porter plainte. La cour d’appel estime que 5 % de cette incapacité de travail est imputable à la faute de Mgr Léonard. À raison de 2 000 euros le point, la cour condamne Mgr Léonard à indemniser Joël Devillet à raison de 10.000 euros 38. » La presse a suffisamment fait état au cours des cinquante dernières années des problèmes de pédophilie dans l’Église de Belgique et d’ailleurs pour que je sois dispensé d’en remettre encore une couche 39.

38 Journal « La Libre Belgique » : <http://www.lalibre.be/actu/belgique/monseigneur-leonard-condamne-pour-avoir-fait-preuve-de-passivite-dans-une-affaire-de-pedophilie-5539165535704bb01beb8f52>. 39 Par ailleurs, ce 10 juin 2015, « le pape François a donné son feu vert mercredi à la création au Vatican d’une instance judiciaire chargée de juger les évêques dans le cas où ils auraient couvert des abus sexuels commis par des prêtres dans leur diocèse. Les évêques pourront être jugés pour manquement à leur devoir professionnel, en vertu du droit canon, par cette nouvelle instance judiciaire à l’intérieur de la Congrégation pour la doctrine de la foi. » (« Le Soir » du 10/06/2015.) – En avril 2016, des responsables de haut niveau de l’Église catholique romaine sont encore dans le déni : <http://www.skynet.be/actu-sports/monde/article/1646847/un-eveque-francais-ne-saurait-dire-si-la-pedophilie-est-un-peche>. Un évêque français ne « saurait dire » si la pédo-philie est un péché. Selon l’agence Belga : Pour l’évêque français Stanislas Lalanne, la pédo-

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L’enseignement catholique est-il délivré de ces démons ? Évidemment non, puisqu’il est avéré que, malgré la disparition du clergé, certains laïcs sont aussi impliqués dans de telles affaires. Deux attitudes, au moins, s’imposent. Pour le passé, en application de l’examen de conscience souvent requis plus que recommandé, et de la nécessité de la contrition sincère, il importe de re-connaître [reconnaitre*] humblement ces erreurs 40. Pour l’avenir, chacun doit

philie est « un mal » mais il ne « saurait pas dire » si c’est un péché, des propos qui ont choqué les victimes d’un prêtre pédophile qui s’en sont émus mercredi. « La pédophilie est un mal. Est-ce que c’est de l’ordre du péché ? Ça, je ne saurai pas dire, c’est différent pour chaque personne. Mais c’est un mal et la première chose à faire c’est de protéger les victimes ou les éventuelles victimes », a déclaré mardi l’évêque de Pontoise (nord-ouest de Paris) sur RCF, réseau de 63 radios chrétiennes francophones. Mgr Lalanne intervenait dans le cadre d’une émission consacrée à « L’Église de France face à la pédophilie » alors que l’un des prélats français les plus en vue, le cardinal et archevêque de Lyon (est) Philippe Barbarin, est l’objet d’une enquête judiciaire pour non dénonciation d’agressions sexuelles par un prêtre de son diocèse. Un peu plus tard, devant les réactions de certains auditeurs, l’évêque a précisé : « C’est un mal profond. Les choses sont très, très claires. Est-ce que c’est péché ou pas ? Je ne sais pas et ça peut être différent suivant chacun. Donc on ne peut pas généraliser ». « La diffi-culté, c’est quelle conscience la personne a de ce mal ? Comment elle s’en sent responsable ? (...) Quand on commet un péché, on a conscience qu’on blesse la relation à l’autre et qu’en blessant la relation à l’autre, on blesse la relation avec Dieu », a expliqué l’évêque de Pontoise. « On est dans l’ordre du péché mais est-ce que cet homme est pécheur au sens strict du terme ? Je ne peux pas le dire, à chaque fois, on ne peut pas parler de façon générale », a conclu Stanislas Lalanne. Dans un communiqué publié le lendemain, les membres de l’association La Parole Libérée, qui a révélé les agressions contre des mineurs commises par un prêtre à Lyon, ont dénoncé une « communication de l’Église de France empreinte de maladresses et d’amateurisme » et des propos qui résonnent « de manière violente et dégra-dante pour les victimes d’actes de pédophilie ».(Belga) Logomachie et aporie confondues. 40 Un ancien de cette époque semble minimiser le problème de la pédophilie – qui vaut en général aux coupables, selon le code pénal, ± 10 ans d’emprisonnement, – dont il avoue même avoir « été un peu victime », en affirmant que « la solution était le déplacement et on se taisait ». Mais c’est cela qui était criminel, c’était l’estompement de la norme. Et je constate qu’il est encore, en 2015, dans le déni de la gravité de la faute. Quand il dit, « on se taisait », qui est ce « on » ? C’étaient les gens d’Église qui entendaient se situer au-dessus des lois et les « fidèles » soumis qui acceptaient aveuglément l’autorité cléricale… … [L’autorité cléricale ? Quand je pense qu’à chaque distribution des prix, nous devions défiler devant l’évêque coad-juteur en grand apparat, nous agenouiller devant lui et lui baiser l’anneau épiscopal… Bel exemple de pédagogie de l’asservissement…] Horresco referens ! Mais les crimes de la pédophi-lie, il y avait déjà des âmes bien-pensantes qui les dénonçaient. [On est effrayé de voir que ces crimes ont traversé, au vingtième siècle, toute la chrétienté, du Canada aux États-Unis en passant par toutes les régions du monde.] Il est trop facile de s’en tirer par une pirouette en disant que « c’était comme ça, point ! ». Pour les autres catégories de pédophiles laïcs (pères

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s’engager à ne jamais se dérober à la justice des hommes : il est exclu que, désormais, on lave encore (et forcément mal), son linge sale en famille.

Autre fléau : la drogue. Tout directeur qui affirmerait, en 2015, qu’il n’a jamais été ou n’est pas confronté dans son établissement à un problème de drogue serait ou un menteur ou un immense niais. Nier le problème n’est pas le résoudre. Définir clairement à l’égard de toute la communauté éducative les méthodes d’éducation que l’école a mises en place pour faire face à ce fléau me semble être la meilleure solution ; la politique de l’autruche, la politique de l’omerta, sous prétexte que la révélation de tels faits serait nuisible à la « répu-tation » de l’école, est l’attitude la plus détestable qui soit.

Les Lazaristes

1950-1956. – À plusieurs reprises, il a été fait état, dans cette revue, de l’existence du petit séminaire de Devant-le-Pont placé sous l’autorité des La-zaristes 41. L’un d’entre ces « petits séminaristes » s’appelait Charles De B***. Il était encore notre condisciple en 3e latine (4e actuelle). Lorsque je lui avais demandé s’il avait bien l’intention de devenir prêtre, il m’avait répondu avec une grande candeur : « Bien sûr [sur*] que non, mais ils paient mes

incestueux, médecins, éducateurs…), la justice fonctionnait, y compris pour les cas éventuels de pédophilie relevés dans l’enseignement officiel. Hors de l’Église, les faits de pédophilie étaient donc déjà dénoncés, faisaient et font l’objet de poursuite en justice. Tu écris : « Tu sais comme moi, que la culture et les habitudes ont changé. » Première nouvelle : la culture chan-gerait avec le temps !… Je suis horrifié. C’est là qu’il y a un grave vice de raisonnement : non, on accède à la Culture (avec un grand C) par la connaissance, progressivement, et la mission première de l’école est de favoriser cet accès. La censure, oui, peut occulter la culture, la nier, l’altérer… C’est comme cela que Jean-Marie Le Pen peut considérer que les chambres à gaz et les fours crématoires ne sont qu’un « accident de l’histoire »… [Mais je ne suis pas dupe. Le Pen sait, mais ça l’arrange politiquement d’adopter une telle posture.] Accéder à la culture demande beaucoup d’humilité, une grande honnêteté intellectuelle, le refus de toute manipu-lation, etc. Nous n’avons pas tous le même « niveau de culture ». À ce sujet, il faut bien re-connaître que les programmes et les manuels sensibles de l’enseignement libre (français, langues anciennes, histoire) et de l’enseignement officiel différaient considérablement sur bien des points. Quand on comparait avec l’enseignement officiel, on mesurait le fossé qui séparait les deux réseaux. « Et les habitudes ont changé ? » Le Code pénal, lui, n’a pas changé. L’Église entendait s’y soustraire ; mais elle, et elle seulement. Il a peut-être fallu « l’affaire Dutroux » pour que des consciences se réveillent… 41 Sous la plume d’André Renson, on a pu lire, dans « L’Union», n° 161, p. 6, un premier article sur les Lazaristes, et surtout, dans le n° 201, de novembre 2003, pp. 4-5, un article intitulé « Les Lazaristes à Devant-le-Pont (Visé) 1938-1962 ».

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études… ». Sans mettre en question la bonne foi et la générosité de ces con-grégations, il faut bien reconnaître [reconnaitre*] que l’existence des petits séminaires, petits noviciats, juvénats et autres alumnats devait déjà interpeller [interpeler*] pas mal d’entre nous. Aller cueillir des enfants presque au ber-ceau dans des familles pieuses et nécessiteuses pour les endoctriner dès le plus jeune âge pose évidemment question.

Le Concile Vatican II (1962-1965) a remis en question bien des façons de faire. Toutes ces institutions ont disparu les unes après les autres. Non seulement les petits séminaires ont disparu, mais les grands séminaires ont difficilement résisté à la débâcle. Anecdote : lorsque, au début de ma carrière, j’étais enseignant chez les frères à Verviers, nous avons vu débarquer dans notre école, pour une semaine, en 1963 ou 1964, un « frère recruteur » qui rencontrait un certain nombre de très jeunes adolescents qui lui étaient en-voyés par les professeurs (religieux) de religion. Notre colère a été grande. Il n’y a plus jamais eu de « frère recruteur ».

Je me demande par ailleurs, et ceci va en faire hurler quelques-uns, si l’éducation dispensée dans ces institutions ne s’apparentait pas à ce qui se passe, à l’heure actuelle, via Internet, en matière de formation (et d’intoxication) des… djihadistes, appel à la violence en moins 42. Encore que, si on se souvient des croisades, des guerres de religion (pour des raisons que l’on considérerait [considèrerait*] aujourd’hui comme futiles : transsubstantia-tion, commerce des indulgences, confession, culte des saints…), de l’Inquisition, de la Saint-Barthélemy, de la persécution des cathares… on doit bien admettre que la violence était là aussi omniprésente.

Les Missions

1950-1956. – Là aussi, et avec le recul, je me souviens qu’une année, lors du « Carême de Partage », traditionnellement consacré à venir en aide aux missions, le Directeur Falmagne avait fait venir le premier évêque noir, le Ruandais Mgr Bigirumwami 43. On nous le présentait comme appartenant à la

42 Le Christ n’a-t-il pas dit, lui aussi : « Abandonne tout et suis-moi. » ? Lu, sous la plume d’un ancien, prêtre : « Jésus est mon libérateur. Il me libère des liens excessifs vis-à-vis de la famille qui pourrait être étouffante ou restrictive. Aux yeux de Jésus, la famille est davantage consti-tuée par les liens de la Foi que par les liens du sang. » (J. H.) Les recruteurs de djihadistes incitent aussi les candidats à abandonner leurs familles, leurs proches… 43 Voir :< https://en.wikipedia.org/wiki/Aloys_Bigirumwami >.

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race tutsie, la race de ceux qui allaient gouverner le pays. À l’âge de 10 ans, il était entré au séminaire… Il avait été ordonné évêque en 1952.

Le Ruanda-Urundi, comme on disait à l’époque, faisait partie de l’empire colonial auquel l’Allemagne, défaite à l’issue de la guerre 1914-1918, avait dû renoncer lors du Traité de Versailles en 1919. C’est à notre pays que la SDN avait confié en 1923 un mandat sur ce qui constituerait plus tard le Rwanda et le Burundi. L’administration indirecte reposant sur l’aristocratie locale était renforcée dans une assez grande ignorance des rouages de la société indigène, composée dans les deux régions des ethnies Twa, Hutu et Tutsi, mais avec des structures très différentes. « Les futurs chefs sont formés aux écoles colo-niales confiées à des missions catholiques. Des infrastructures sont mises en place ainsi qu’un plan de lutte contre les famines. Cependant, l’évangélisation énergique menée par les pères blancs, en éradiquant les traditions religieuses, changeait aussi la structure sociale. » (wikipedia 44)

Mgr Bigirumwami était, en ce temps-là, le seul évêque noir. Il était une belle vitrine à montrer à nos compatriotes, un beau produit d’exportation. Je n’oublie pas toutefois que, lors de l’indépendance du Congo, en 1960, l’enseignement belge n’avait produit que cinq universitaires et que Kasa-Vubu était un ancien séminariste, alors que, dans le même temps, la France avait pensé à former des élites dans ses ex-colonies. Ayant été amené à côtoyer et même à donner l’hospitalité, dans mon foyer, à des étudiantes originaires du Burkina Faso, du Zaïre, du Rwanda, du Burundi, qui venaient faire leur école normale dans l’école de Ciney que je dirigeais à l’époque, j’ai été conduit, sur l’action missionnaire accomplie dans le continent africain par les nôtres, à me faire une « philosophie » un peu différente de ce que véhicule la version offi-cielle. Certaines Rwandaises et certaines Burundaises étaient chez moi lors du génocide rwandais… et nous regardions les informations à la télé ensemble. Et pourquoi, par exemple, les Flamands se sentaient-ils proches des Hutus, tandis que les Wallons et francophones se sentaient plutôt proches des Tut-sis ? Pensons à Radio-Mille-Collines... En cette année 2015, le Burundi est en ébullition. On peut et on doit se poser cette simple question : en quoi les mis-sionnaires ont-ils, par leur action, contribué ou non à la situation actuelle ? En

44 Je n’ignore pas qu’il faut être très prudent lorsqu’on cite wikipedia. J’y ferai cependant référence à plusieurs reprises pour des raisons de commodité : les informations ont été véri-fiées et le lecteur pourra s’y référer aisément.

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tout cas, pour répondre à cette question, essayons de ne pas tomber dans un manichéisme primaire 45.

Patrimoine culturel tronqué

Les œuvres et les extraits étudiés en latin et en grec avaient fait l’objet d’un choix… attentif. Tous les manuels scolaires dont nous disposions avaient pour auteurs des « sj ». En ce qui concerne le corpus littéraire français, la sé-lection était brutale, en raison, entre autres, des interdits proclamés par l’Index des livres prohibés 46. J’ai déjà abordé ce problème. Je n’y reviendrai donc pas. Disons simplement qu’escamoter le siècle des Lumières (de Voltaire, de Dide-rot, de Montesquieu, et même de Rousseau…) en le ramenant au seul André Chénier, me semblait assez gros. En ce qui concerne les œuvres les plus con-temporaines, il faut dire que les œuvres d’Émile Zola, d’André Gide ou d’Anatole France faisaient l’objet d’un interdit total, alors que nous devions lire René Bazin, Péguy, Bernanos, Claudel… 47 [À la même époque, les li-

45 L’hebdomadaire « Le Vif-L’Express » consacre son numéro 28 du 10-16 juillet 2015 au thème « La grande manipulation de l’histoire de Belgique » et explique « comment on a ma-quillé les faits et fabriqué des gloires nationales ». On y trouve une critique acerbe de l’abbé Schoonjans qui y allait de son couplet : « L’effort des Belges au Congo fut admirable. Ils en ont fait la plus belle colonie du monde. Valoriser, moderniser, embellir, enrichir un pays sauvage, c’est pieux… » 46 Les textes publiés dans les « Modèles français » faisaient parfois l’objet d’un toilettage inat-tendu. Ainsi, dans la Ballade des Dames du temps jadis de Villon, le vers célèbre où le poète évoque le triste sort réservé à Abélard – « Où est la très-sage Héloïs, / Pour qui fut chastré et puis moine / Pierre Esbaillart, à Saint-Denis ? » – avait été transformé par le RP Bodaux SJ en « pour qui fut cloîtré [cloitré*] et puis moine », ce qui est à tout le moins redondant, tandis que le RP Hanquet SJ, plus proche de la version originale, préférait évoquer le châtiment plutôt que l’émasculation : « pour qui fut châtié et puis moine ». Un ancien de 1965 me signale : « Notre édition d’Homère contenait le passage de la rencontre entre Ulysse et Nausicaa, au chant VI de l’Odyssée : la numérotation des vers laissait voir qu’il en manquait un : vérification faite, ce vers signalait qu’Ulysse, naufragé, avant de se montrer à la belle princesse, prit un buisson pour cacher sa nudité ; encore Homère ne précisait-il pas l’état émotif de cette nudi-té… – Dans le poème de Rimbaud Les effarés « Noirs dans la neige et dans la brume, / Au grand soupirail qui s’allume, / Leurs culs en rond, // À genoux cinq petits, – misère ! –, / Regardent le boulanger faire / Le lourd pain blond… », le professeur (…) avait cru bon de remplacer, dans la copie stencilée (technologie du temps !) culs par dos. » 47 Témoignage d’un condisciple : « J’ai épousé, il y a 47 ans, une institutrice qui, bien que sortant de l’école normale des Rivageois [ndlr : « école de la Communauté Wallonie-Bruxelles »], a fait toute sa carrière dans l’enseignement libre. Je me suis rendu compte à ce

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braires faisaient fortune en vendant de la paralittérature : les œuvres siru-peuses, « à l’eau de rose », de Delly ou de Max du Veuzit, ou encore la « litté-rature de gare » de Georges Simenon… ou encore l’hebdomadaire « Les bonnes soirées » (publié de 1922 à 1988) qu’un de nos condisciples qualifiait déjà de « petite crasse ». Mais aujourd’hui, reconnaissons-le, ce n’est pas mieux…] Le seul manuel d’histoire de la littérature que nous ayons eu était celui de l’abbé Jean Calvet, le Manuel illustré d’histoire de la littérature française 48.

L’essayiste et écrivain le plus célèbre du collège est l’abbé Camille Hanlet. En dehors de La Technique du style et autres ouvrages pédagogiques, il a publié un gros ouvrage Les Écrivains belges contemporains de langue française, 1800-1946 (Dessain, 1946, 2 vol., 1302 pages). Même « La Libre Belgique », journal bien-pensant s’il en est, avait cru bon, dans la recension qu’elle avait publiée de l’ouvrage, de l’éreinter en raison de son caractère partial : la littérature belge était analysée à la lumière des seuls critères moraux propres à l’époque.

Petite anecdote personnelle. Lorsque, entrant à l’université pour y faire des études de Lettres, j’ai demandé à l’évêché, par soumission à l’égard de l’éducation reçue, l’autorisation de lire des livres mis à l’index, j’ai reçu cette autorisation, valable pour un an, rédigée en latin, mais il y était dit explicite-ment qu’elle ne portait pas sur toutes les œuvres. Était, p. ex., exclue de cette

moment-là combien nous avions été privés de bonnes lectures et donc d’ouverture d’esprit à cause de l’index. Elle devait lire Voltaire, Zola, Gide, etc., … à 15 ans. » 48 « Jean CALVET était adhérent de l’Association de défense de la mémoire de l’ex-Maréchal PETAIN à la source des persécutions anti-juives dès juin 1940. Cet érudit a publié de gros ouvrages de littérature où on peut juger de la pertinence de ses jugements et de la filiation idéologique qui s’y rattache : « On ne voit pas quel élément essentiel la Réforme a apporté à la pensée française. » / « Rabelais a un goût [gout*] étrange pour la grossièreté et l’impudeur. » / « Calvin a fait de sa religion une contrefaçon du catholicisme. » / « La morale de Molière manque de délicatesse et d’élévation. » / « La science de Voltaire a fait son temps : aucun homme sérieux ne va s’alimenter à cette source. » / « L’encyclopédie est une œuvre de des-truction de toute autorité insinuée adroitement. » / « Lamartine a négligé de travailler sa langue » / « L’art de George Sand a vieilli très vite et il nous semble aujourd’hui bien fané. » / « Balzac écrit mal et a des sentiments vulgaires » / «Stendhal est aujourd’hui exalté au-dessus de sa valeur. » / « On ne lit plus Zola en France et personne n’ose en dire du bien. » / « Jo-seph de Maistre condamne la révolution comme satanique, c’est un très grand écrivain. ». – Concédons qu’en classe de poésie, nous avons disposé du Choix de poèmes contemporains à l’usage des classes de seconde du très catholique Franz Weyergans, et, en classe de rhétorique, du même auteur, du Théâtre et roman contemporains, choix de textes à l’usage des classes de première.

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autorisation La Vie de Jésus d’Ernest Renan 49. Je n’ai pas renouvelé cette de-mande.

Par ailleurs, je reste pantois lorsque j’apprends que, tous réseaux confon-dus, certains professeurs font lire à leurs élèves, en 2015, des œuvres nau-séeuses de Michel Houellebecq, entre autres…

Histoire

Nous l’ignorions à l’époque : mais les manuels scolaires de chacun des ré-seaux devaient être approuvés par des « conseils de perfectionnement » propres à chaque réseau. C’est ainsi que La technique du style, de Camille Han-let, même si la couverture du livre ne faisait pas état du statut de prêtre de son auteur, était interdit dans l’enseignement officiel. Mais il en était de même dans l’enseignement libre. Ainsi, pas question d’étudier l’histoire dans les ma-nuels de Louis Gothier ; l’enseignement libre avait ses propres auteurs. Pour nous, c’était l’abbé J[ean] Schoonjans 50. Quand on sait que l’« histoire » est « le récit explicatif des faits humains de portée sociale qui se sont déroulés dans le passé » (Vercauteren), on comprend que chaque auteur y va de sa propre explication. Mais cela, je ne l’ai pas compris à l’époque. Il a fallu que je fré-quente l’université pour prendre conscience de ce problème 51.

49 Lorsqu’il publia, en 1961 (à la veille du Concile), son Histoire de Jésus, Arthur Nisin, profes-seur au collège patronné d’Eupen, a échappé de peu à la « mise à l’Index » de son ouvrage. 50 « Ses publications comportent pour l’essentiel des manuels scolaires (1926, 1928, 1934, 1945) et des ouvrages historiques pour la jeunesse (Vos aînés [ainés*], 1930, réalisé dans une perspective d’Action catholique, et bien sûr [sur*] Nos Gloires, auxquels s’ajoutent un essai tiré de ses leçons publiques (L’inquisition, 1932) et des prises de position léopoldistes (Pour la couronne, 1947). Ses talents de pédagogue et de dessinateur sont visiblement appréciés. Inspiré de Pirenne, de Terlinden et de van der Essen, son point de vue sur l’histoire de Belgique est aussi celui des milieux « belgicistes », catholiques, francophones et monarchistes dont il fait partie. Le ton patriotique et édifiant de Nos Gloires, ainsi que la propension à dresser une galerie de célébrités, semblent être un fil rouge de ses écrits depuis l’Entre-deux-guerres. En dépit de sa sincérité, de sa bonne conscience et de ses professions de foi d’objectivité histo-rique, Schoonjans propose une version tendancieuse et, à plus d’une reprise, réductrice voire trompeuse, du passé national. » Voici une critique de l’auteur qui nous est proposée sur un site de l’UCL : <http://vital-test.sipr.ucl.ac.be/pr/boreal/object/boreal%3A121526>. 51 On lira avec intérêt l’ouvrage de Cédric ISTASSE, Les manuels scolaires d’histoire pour l’enseignement secondaire belge francophone (XIX

e-XXe siècles), Louvain-la-Neuve, 2005.

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FORMATION RELIGIEUSE

1950-1956. – Là, nous atteignions des sommets.

1953-1954. –Petite anecdote encore. Au début de la 3e latine (aujourd’hui 4e), notre nouveau titulaire, l’abbé Lambrechts avait choisi de nous faire pren-dre tel manuel de religion. Nous avons assisté à l’irruption, en classe, du direc-teur l’abbé Falmagne qui, devant les élèves, a déclaré que ce manuel était in-terdit et qu’il fallait le remplacer par un autre, puis le directeur est sorti. À la suite de quoi, l’abbé Lambrechts a jeté violemment et ostentatoirement ce manuel imposé sur l’estrade. Nous avons dû acheter ce nouveau manuel et le professeur ne nous l’a jamais fait ouvrir.

1954-1955. – Classe de poésie. Cours essentiellement d’apologétique : entre autres sujets, l’abbé Lemaire s’efforçait de nous démontrer l’historicité du Christ à la faveur de quelques témoignages d’historiens non chrétiens. « En réalité, il n’existe aucune preuve définitive de leur [de Socrate, de Bouddha et de Jésus] existence historique. (…) Leurs tombes ni leurs ossements n’ont été conservés. Il n’existe nulle monnaie, nulle trace archéologique qui leur soient contemporaines et qui puissent attester de leur existence ou valider les évé-nements [évènements*] de leur vie, comme ce fut le cas pour les grands mo-narques tels Alexandre le Grand ou Jules César 52.» On nous parlait des Évan-giles (il y en avait quatre), mais on laissait de côté les évangiles apocryphes, les manuscrits de la Mer Morte (découverts entre 1947 et 1956) et plus encore, forcément, l’évangile de Judas découvert en 1978 53. Au fond, on éliminait tout ce qui embêtait.

De plus, on ne parlait pas des éventuels frères et sœurs de Jésus ni qu’il eût pu avoir également une épouse.

Mais surtout, on ne nous parlait pas de l’historicité de la résurrection de Jé-sus dont jamais aucune preuve historique n’a été donnée. Le christianisme ne repose-t-il pas cependant tout entier sur l’affirmation de la résurrection du Christ et de son Ascension 54 ?

52 Frédéric LENOIR, Socrate, Jésus, Bouddha, trois maîtres de vie. Fayard, 2009, 300 p., pp. 21-22. 53 Évangile tellement différent des évangiles canoniques qu’on n’en parle pas dans un ensei-gnement qui ne s’adresse pas à des spécialistes des religions. 54 Le lecteur peut également se référer aux ouvrages sérieux de Simon Claude MIMOUNI, Jacques le Juste, frère de Jésus de Nazareth (Bayard, 2015) et Les Chrétiens d’origine juive dans

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1955-1956. – Classe de rhétorique.

Une partie du cours est consacrée au communisme.

1956. – Adhérer au communisme entraînait [entrainait*] l’excommunication. Le 14 juillet 1949, « sa Sainteté le Pape Pie XII vient de décréter l’excommunication majeure contre tous les communistes militants qui seraient catholiques. Ce qui signifie qu’ils n’auront plus droit aux sacre-ments et autres secours de l’Église. L’excommunication touche tous les membres de l’Église catholique « qui font profession de la doctrine matéria-liste et antichrétienne des communistes » 55. La nouvelle est communiquée dans un décret de portée historique de la Sacrée Congrégation du Saint-Office, portant l’approbation du Souverain Pontife. C’est la quatrième fois que le Pape se sert de l’excommunication pour combattre le communisme, dans les récentes années 56.

2015. – Je gage que la plupart des croyants se demandent aujourd’hui en quoi consiste cette… sanction. Ils pourraient aussi se demander ce que recou-vrait la notion de « communisme »…

Une autre partie du cours était consacrée au mariage.

1956. – Là, nous atteignions des sommets. On a eu droit à des considéra-tions de droit canon sur les conditions qu’il fallait remplir pour bénéficier d’un mariage religieux, sur les causes qui empêchaient le mariage ou condui-saient à l’annulation d’un mariage religieux, etc. En ce qui concerne la place de la femme (qui doit suivre son mari et qui lui doit obéissance, c’est bien con-nu), on a eu droit à des questions théoriques du type que voici : « Si, à l’accouchement, l’accoucheur (médecin ou sage-femme [sagefemme*]) doit choisir entre la vie de la mère ou de l’enfant, que doit-il faire ? » Réponse : « Il doit sauver l’enfant. » Je n’imagine pas un seul instant que notre bon abbé Menten, qui faisait aussi un cours de religion dans une école de jeunes filles, soit allé leur débiter les mêmes fadaises marquées au coin d’une telle misogy-

l’Antiquité (Albin Michel 2004) et, enfin, de Simon Claude MIMOUNI et Pierre MARAVAL, Le christianisme des origines à Constantin (PUF, 2006). 55 Le cardinal Van Roey, primat de Belgique, martèle l’interdit : « Un chrétien n’a pas le droit de lire la presse communiste. » 56 Cette information a été rappelée dans le journal montréalais « Le Devoir » (journal québé-cois) du 25 mai 2015 : < http://www.ledevoir.com/societe%20/medias/86256/14-juillet-1949-les-communistes-excommunies >.

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nie. Procréation et contraception : à l’époque, les familles s’en référaient à Pierre Dufoyer qui publiait (1952) des ouvrages sur le mariage, « le livre du jeune homme », « le livre de la jeune fille », « le livre des époux », etc. En ma-tière de contraception, Pierre Dufoyer – pas l’abbé Lemaire, évidemment – évoquait la méthode Ogino, la méthode des températures…

1964-1966 – Le Concile. Apparition de la pilule contraceptive, après le sté-rilet (1928) et la vasectomie. Prise de position du chanoine de Locht : « Né à Bruxelles, en 1916, Pierre de Locht est prêtre catholique et docteur en théolo-gie. D’expert appelé à siéger à Rome dans la Commission pontificale sur la famille (1964-1966), il a progressivement pris des positions « non tradition-nelles ». Il se retrouve de ce fait quelques années plus tard mis au ban de l’Église catholique par sa hiérarchie. Si ses prises de position (notamment sur la contraception et l’avortement) ont fait grand bruit dans la société et ont secoué l’Église catholique, elles ont surtout permis à de nombreux croyants de se libérer d’une morale d’interdits. Elles ont aussi amené bien des incroyants à considérer sous un jour nouveau les relations avec les chrétiens. » (wikipedia)

1990 – En Belgique, vote de la loi « proposant la dépénalisation condition-nelle de l’avortement ». Le Chanoine de Locht a pris position pour la dépéna-lisation de l’avortement dans les années 80 s’attirant les foudres « célestes » et il fut à deux doigts d’être écarté de son poste d’expert en sciences familiales et sexologiques à l’Université Catholique de Louvain. » (Ibid.)

2015 – Des autorités ecclésiastiques (dont l’évêque d’Anvers) militent en faveur du mariage gay, etc.

Du créationnisme à l’évolutionnisme.

1956. – La position officielle de l’Église est celle du « créationnisme ». Tout au plus l’abbé Lemaire évoque-t-il Teilhard de Chardin, S. J., qui avait été obli-gé de rentrer dans le rang 57.

57 Note d’un ancien condisciple : « L’abbé Lemaire aurait mieux fait de nous parler du Cha-noine Lemaître, ce Belge qui avait prévu la fuite des galaxies, une conséquence logique de la relativité générale (1915) de son ami Albert Einstein. Cette fuite des galaxies, observée deux ans plus tard par l’astronome américain Hubble, a permis à ce dernier de bénéficier d’un grande renommée alors que Lemaître avait annoncé le « Big Bang » avant lui en l’appelant l’atome primitif. »

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1996 – Après Vatican II, l’Église catholique reste discrète sur cette doc-trine jusqu’au… 23 octobre 1993. Lors d’une intervention du pape Jean-Paul II devant l’Académie pontificale des Sciences, il déclare que « près d’un demi-siècle après la parution de l’Encyclique (Humani generis), de nouvelles connais-sances conduisent à reconnaître [reconnaitre*] dans la théorie de l’évolution plus qu’une hypothèse », nuançant en précisant qu’il faut parier davantage pour ces variations de théories de l’évolution. Par ailleurs, il affirme que cer-taines d’entre elles « qui, en fonction des philosophies qui les inspirent, consi-dèrent l’esprit comme émergeant des forces de la matière vivante ou comme un simple épiphénomène de cette matière, sont incompatibles avec la vérité de l’homme. » (wikipedia)

2015 – Les théories créationnistes ont encore de beaux jours devant elles. Il suffit de voir leur succès dans certains États des USA : le Texas, par exemple 58.

Et les dogmes dans tout cela ?

1950-1956 – Évidemment, on nous a rebattu les oreilles avec ces vérités indiscutables : le dogme est un point de doctrine contenu dans la révélation divine, proposé dans et par l’Église, soit par l’enseignement du magistère or-dinaire et universel (dogme de foi), soit par le magistère extraordinaire (dogme de foi définie) et auquel les membres de l’Église sont tenus d’adhérer. Parmi ceux-là, relevons : le dogme de la transsubstantiation (Concile de Trente, 1545-1563) ; dogme de l’Immaculée Conception de Marie (bulle pontificale de 1854) ; dogme de l’infaillibilité du pape (proclamé lors du Concile Vatican I, en 1871, au terme d’une partie politique de bras de fer entre partisans du galli-canisme et partisans de l’ultramontanisme), dogme de l’Assomption de Marie (Constitution apostolique Munificentissimus Deus de Pie XII, 1950), qui signifie que Marie, mère de Jésus de Nazareth, est montée au ciel avec son corps. Et ceci sans compter les dogmes de la Communion des Saints, de l’enfer, de l’Eucharistie, de l’immortalité, de la présence réelle, de la Providence, de la Rédemption, du péché originel, de la Trinité… 59.

58 Voir le journal « Le Point » du 13.09.2013 : <http://www.lepoint.fr/monde/texas-quand-des-enseignants-creationnistes-jugent-les-ma nuels-scolaires-13-09-2013-1730798_24.php>. 59 Lire surtout : < http://disputationes.over-blog.com/article-debat-theologique-autour-de-certaines-theories-exegetiques-modernes-76074871.html >.

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Ces dogmes ne manquaient pas de nous interpeller [interpeler*]. A fortiori, à une époque où les hommes sont allés sur la lune et où ils explorent les es-paces intersidéraux, on se demande bien ce qu’auraient pu aller y faire le Christ et la Vierge... sans combinaison spéciale (> spatiale). Mais je ne doute pas qu’il se trouvera, encore aujourd’hui, des casuistes et autres sophistes pour tenter de démontrer l’indémontrable 60.

2015. – Que reste-t-il de tout cela ? En 1982, dans le Liber memorialis déjà cité, p. 72, on peut lire : « La formation religieuse par les cours de religion fut évidemment maintenue avec une certaine évolution sur le plan méthodolo-gique. » [sic] On peut supposer qu’il n’y a là qu’une formulation maladroite de la part de la rédaction. Évidemment, le contenu des cours de religion avait aussi changé, déjà 61.

Désormais, au Québec, le cours de religion catholique a été remplacé par un cours intitulé « éthique et culture religieuse » 62.

Petite digression : à la suite de sa Révolution tranquille (décennie 1960), le très catholique Québec a consacré la séparation de l’Église et de l’État. Cela a entraîné [entrainé*], entre autres mesures, la suppression d’un certain nombre

60 Et cela ne rate pas. Dans son journal paroissial, mon curé-doyen se croit obligé d’expliquer : « L’Ascension d’abord ! Laissons de côté ces représentations qui montrent le Seigneur s’élevant à la manière de «Fantômas». Le message de cette fête, prolongement de la fête de Pâques, est double. Elle nous dit que Jésus relevé de la mort n’est pas redevenu vivant comme avant mais qu’il est entré dans une vie autre, une vie intense de communion divine à laquelle nous sommes appelés. Par ailleurs, avec l’Ascension commence le temps de l’Église. Il revient aux disciples de chaque époque de poursuivre dans l’Esprit le travail inauguré par le Seigneur Jésus. L’Esprit de Pentecôte aide à conjuguer l’Évangile au présent et dans toutes les langues et les cultures. Un dynamisme formidable dont nous voyons des traces quand le dialogue l’emporte sur l’incompréhension, quand les langues se mélangent au service d’une plus grande fraternité. » Voir : <http://www.doyennederochefort.be/article-c-est-le-mois-le-plus-beau-117376149.html>. C’est moi qui souligne. C’est clair : il n’y a même pas eu de résurrection : « Jésus relevé de la mort n’est pas redevenu vivant comme avant mais (…) il est entré dans une vie autre. » C.Q.F.D. : du paralogisme à l’aporie…. ou vice versa. Pirouette, caca-huète… 61 (« L’Union », n° 245, décembre 2015, p. 7, nous propose le portrait d’un professeur de religion professeur depuis 25 ans : « Selon lui, il n’y a que de faibles changements par rapport aux élèves. Il a toujours connu des élèves qui n’étaient pas directement intéressés par son cours. L’écoute repose donc sur son travail. » 62 Voyez les programmes : < http://www.education.gouv.qc.ca/%20programme-ethique-et-culture-religieuse/ >.

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de jours fériés à connotation religieuse. Ainsi sont désormais des jours ou-vrés : l’Ascension, l’Assomption, la Toussaint (1er et 2 novembre), le lundi de Pentecôte. Seuls restent fériés : le vendredi saint et le lundi de Pâques, la Noël… et le jour de l’an 63.

Prosélytisme

Notre titulaire de la classe de rhétorique, l’abbé Lemaire, avait reçu le so-briquet de « Lelotte ». C’est qu’il faisait grand cas du père Fernand Lelotte, S. J., dont les publications étaient nombreuses. Parmi celles-ci, la collection « Les convertis du XX

e siècle » (Foyer Notre-Dame) où on vantait le chemi-nement spirituel d’écrivains et penseurs comme Henri Ghéon, Francis Jammes, Max Jacob, Paul Claudel 64, Léon Bloy, Jacques et Raïssa Maritain,

63 <http://www.revenuquebec.ca/fr/nous_joindre/feries.aspx> – Dans « L’Union » (n° 245, décembre 2015, p. 10), sur « l’interdiction du port du voile au Collège », on peut lire : « Pour ce qui est de notre avis [celui de deux élèves de 3J], nous comprenons la réaction des musulmans au sujet de ce règlement et nous les soutenons. Cependant, nous sommes égale-ment soumis à modifier, nous aussi, certains aspects de notre vie quotidienne : par exemple, la suppression dans notre calendrier scolaire des références à la religion catholique, comme les vacances de Pâques, de Noël… afin de ne pas heurter les autres communautés religieuses. Pour que ces différentes communautés religieuses parviennent à vivre en harmonie, il y a lieu d’impliquer [lire : appliquer, pratiquer ?] la tolérance et d’accepter toutes ces différences. » – À la page 11 du numéro 247 de « L’Union » (mars 2016), dans un article intitulé « Au fil du temps, les avis changent », les auteurs publient des interviews d’anciens élèves de différentes époques. Je constate que plus on remonte dans le temps, plus les avis sont sévères. En ce qui concerne « les anciens d’environ 45 ans », je constate qu’ils trouvent que « certains profes-seurs manquaient d’écoute et de dimension humaine », et les auteurs de l’article (des élèves) ajoutent : « il faut comprendre qu’à l’époque, ce n’était pas le rôle, la mission confiée à un établissement scolaire ». Cette affirmation me laisse pantois... et ils mettent dans le même panier : la présence d’abbés dans le corps professoral (sont-ce ceux qui « manquaient d’écoute et de dimension humaine » ?), les piscines intérieure et extérieure, le déplacement des élèves à vélo..., des vieilleries bien désuètes, quoi... et d’ajouter... « ils sont tous deux d’accord pour dire que l’école dispose d’une qualité d’étude [sic] et d’une discipline nécessaire à la prépara-tion d’études supérieures et à la vie d’adulte ». En dehors de (ou par-delà) la maladresse de formulation (qu’est-ce qu’une qualité d’étude dont l’école disposerait ?), je constate qu’à aucun endroit il n’est question, ni du projet éducatif et pédagogique de l’école, ni des orientations idéologiques qui sont censées le sous-tendre... et qui justifieraient l’existence d’un réseau distinct de l’officiel. 64 Parmi les convertis, prenons, p. ex., Claudel : d’une part presque plus personne ne lit au-jourd’hui l’œuvre de Claudel, mais ensuite, quand on sait ce qu’a été sa vie privée (il a eu, à la faveur d’une relation, qui a duré cinq ans, avec une femme mariée, Rosalie Scibor-Rylska, épouse Vetch, une fille adultérine, Louise) ; quand on sait le sort qu’il a réservé à sa sœur

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Alexis Carrel, Jacques Rivière… Rien que du beau monde, quoi ! De là à nous inviter à…, de là à nous inciter à…

Heureusement, à cette époque, Roger Garaudy, homme politique commu-niste français, philosophe, écrivain, ne s’était pas encore converti au catholi-cisme… Ce qu’il fit au début des années 1970, mais il quitta ensuite le catholi-cisme pour se convertir à l’Islam. À partir de 1996, il a fait parler de lui par des prises de position négationnistes qui lui valurent d’être condamné pour contestation de crimes contre l’humanité, diffamation raciale et incitation à la haine raciale. Il faut toujours se méfier des convertis…

AUJOURD’HUI ET DEMAIN

Mixité sociale

Le Collège Saint-Hadelin pratique-t-il la « mixité sociale », valeur tellement prônée et mise en avant par les ministres, y compris les ministres CDH, de l’éducation obligatoire ? On peut en douter. Et pour des raisons à la fois ex-trinsèques et intrinsèques. Intrinsèques, parce que le collège n’est pas une école multilatérale, qui intégrerait [intègrerait*] à la fois les enseignements général, technique et professionnel, comme l’avait voulu, dans le principe, l’enseignement qu’on a qualifié, à l’époque, de « rénové ». Et extrinsèques, qui découlent d’ailleurs des raisons précédentes, parce que les parents, quand ils choisissent une école pour leurs enfants, sont encore amenés à le faire sur la base de critères sociologiques complexes, fussent-ils inconscients.

Spécificité idéologique

L’épithète catholique est encore utilisée dans la terminologie officielle pour distinguer ces écoles du « réseau libre subventionné » et idéologiquement en-gagées, des autres écoles libres de ce type, les écoles protestantes, juives, libres-penseuses…

Lorsqu’on consulte les sites Internet de ces écoles et qu’on analyse, quand ils sont donnés, leurs « projets pédagogiques ou éducatifs », le terme catholique est rarement utilisé. On aime à mettre en avant les « valeurs chrétiennes »

Camille (maîtresse de Rodin, et qu’il a fait interner jusqu’à la fin de sa vie) ; quand on sait son intérêt pour l’argent… on peut s’interroger sur la nature de sa foi… et de la charité chrétienne qu’elle postule. Louise ne saura qu’à 28 ans qui était son vrai père, mais concédons que Clau-del, malgré sa réputation d’avarice, sera toujours généreux envers elle. Bien sûr, nous sommes tous pécheurs… même lorsque nous sommes convertis…

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qu’on essaie de promouvoir. Sans entrer dans les détails, je dirai que je me suis souvent demandé en quoi ces valeurs étaient différentes de celles qu’on défend dans l’enseignement officiel. Réponse : pratiquement rien ne les dis-tingue. Il n’est même pas nécessaire d’être croyant pour y adhérer. Frédéric Lenoir, déjà cité (voir la note 46), spécialiste de l’histoire des religions, déve-loppe cette thèse : en dehors d’une croyance dans un au-delà hypothétique, les valeurs chrétiennes et les valeurs laïques se croisent.

Et le collège Saint-Hadelin n’échappe pas à la règle. Il suffit, pour s’en convaincre, d’aller visiter la page suivante sur le site même du collège : <http://www.collegesainthadelin.be/pagescontinues/presentation/projeteducatif.htm>.

Je lis, entre autres : « Dans le respect de la liberté de conscience, [l’école] ouvre l’intelligence, le cœur et l’esprit des élèves au monde, aux autres et à Dieu, que Jésus nous a fait connaître [connaitre*]. Ces objectifs se traduisent plus concrètement comme suit :

– éveiller la personnalité de chacun aux dimensions de l’humanité (corpo-relles, intellectuelles, affectives, sociales et spirituelles) ;

– mettre chacun en rapport avec les œuvres de la culture (artistiques, litté-raires, scientifiques et techniques) ;

– accueillir l’enfant dans sa singularité ; – accorder un soutien privilégié à ceux qui en ont le plus besoin ; – aider les jeunes à accéder à l’autonomie et à l’exercice responsable de la

liberté 65 ; – les aider à devenir des acteurs responsables, efficaces et créatifs. »

Voilà donc une école qui pratique le libre examen. Comme les autres écoles « catholiques » d’ailleurs.

Ceci explique naturellement pourquoi, par exemple, entre autres raisons, telle école libre catholique de Bruxelles peut accueillir une population scolaire à plus de 90 % d’origine maghrébine et/ou musulmane.

Ce projet pédagogique rencontre les propos que le biologiste Jean Rostand tint lorsqu’il prononça son discours de réception à l’Académie française.

65 Comment concilier l’inféodation à une doctrine et l’éducation au libre examen en aidant les « jeunes à accéder à l’autonomie et à l’exercice responsable de la liberté » ? Autant essayer de résoudre la quadrature du cercle, non ?

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C’était en 1960. L’académicien récipiendaire définissait sa conception de l’éducation en ces termes : « Dans l’enseignement qu’on distribuera aux jeunes citoyens, (…), former les esprits sans les conformer, les enrichir sans les en-doctriner, les armer sans les enrôler, leur communiquer une force dont ils puissent faire leur force, les séduire au vrai pour les amener à leur propre véri-té, leur donner le meilleur de soi sans attendre ce salaire qu’est la ressem-blance. » Il convient de préciser qu’on cite souvent cette phrase en l’amputant de ce qui est omis dans les points de suspension « (…) » notés supra. Jean Ros-tand avait en réalité ajouté : « s’interdire toute pesée confessionnelle ou philo-sophique » et il concluait : « qui ne voit la difficulté de suivre à la rigueur un tel programme, mais en est-il un autre pour satisfaire une conscience ombra-geuse quant au respect des âmes ? »

Les cours de religion ont vu leurs contenus complètement modifiés où l’histoire comparée des religions occupe une place non négligeable 66.

Au moment même où l’enseignement officiel se trouve confronté à l’application d’un arrêt de la Cour constitutionnelle qui a déclaré le 25 mars 2015 que les réseaux publics (Communauté, communes, provinces) ne pou-vaient forcer les parents (ou l’élève majeur) à choisir entre les deux cours de religion ou de morale et au moment même où la ministre propose un E.P.A. (encadrement pédagogique alternatif) 67, on peut se demander si les cours de religion tels qu’ils sont devenus dans l’enseignement dit catholique ne rencon-trent pas déjà les préoccupations de la ministre 68.

66 Les programmes de cours de religion peuvent être lus et consultés à l’adresse suivante : <http://enseignement.catholique.be/segec/index.php?id=600&specialise=0&doctypte=1>. 67 Voir le journal « Le Vif - L’express » du 26 mai 2015 : < http://www.levif.be/actualite/belgique/quelle-alternative-pour-les-eleves-dispenses-des-cours-de-morale-religion/article-normal-392991.html >. 68 Le gouvernement luxembourgeois a adopté une position plus radicale encore : « À la ren-trée scolaire 2016, les petits Luxembourgeois auront désormais un cours unique, intitulé « vie et société ». Ce dernier remplacera le cours de religion catholique ou de morale. Le choix était laissé jusqu’ici entre ces deux options. On notera qu’à la différence de notre système, côté réseau officiel, les autres religions n’ont jamais été données dans les écoles du Luxembourg. Massivement, dans un Luxembourg resté très traditionnel, les élèves suivent aujourd’hui un cours de religion catholique. Par habitude. Le cours de religion catholique servait aussi jusqu’ici de catéchèse au Luxembourg. Les enfants s’y préparaient à faire leur communion, sans autre « suivi » dans les paroisses elles-mêmes. Côté belge, les préparations aux commu-nions, ou aux fêtes laïques, se font totalement en dehors des écoles. » (Journal « Vers

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Y a-t-il encore un enseignement catholique ?

La question en fera bondir plus d’un. Et pourtant ?

Ce 1er juillet 2015, le SEGEC (sécrétariat général de l’enseignement catho-lique) nous informe : « Aucun enseignant travaillant dans une école catholique en Fédération Wallonie-Bruxelles ne pourrait être licencié au seul motif qu’il n’est pas baptisé, a indiqué mercredi le secrétariat général de l’enseignement catholique 69. »

Depuis des années, l’U.C.L., l’Université (très !) Catholique de Louvain(-la-Neuve) s’interroge et est traversée par des courants contradictoires dont le plus important plaide en faveur de la suppression de ce « C » particulièrement gênant aux yeux des contestataires. Qu’on me permette, à ce propos, de faire une citation un peu longue. Elle est de Vincent Engel, professeur à ladite U.C.L., qui a publié dans « Le Soir » un article intitulé «Les ennemis de l’intérieur» : pour un nouveau pacte scolaire » 70 :

« Si la Fédération Wallonie-Bruxelles ne se classe pas mal en termes de fi-nancement accordé à l’enseignement, elle est un des plus mauvais élèves en

l’Avenir » du 08/06/2015 : <http://www.lavenir.net/cnt/DMF20150607_00660849>]. Voir aussi : < http://www.sudinfo.be/885860/article/a-la-une-du-journal-numerique/2013-12-19/le-luxembourg-supprime-les-cours-de-religion-la-belgique-pourrait-suivre >. 69 Voir : < http://www.lalibre.be/actu/belgique/il-ne-faut-pas-etre-baptise-pour-enseigner-dans-une-ecole-catholique-francophone-559426a13570e4598cade4e9>. 70 Vincent Engel, dans « Le Soir » du 09 mai 2015, a écrit : < http://www.lesoir.be/873756/article/debats/chroniques/2015-05-09/ennemis-l-interieur-pour-un-nouveau-pacte-scolaire >. On lira avec intérêt la publication suivante que vient d’éditer le CRISP : < http://www.crisp.be/2015/11/le-decret-definissant-le-paysage-de-l-enseignement-superieur-francophone-decret-marcourt/ >. Ou encore : « L’organisation de l’enseignement supérieur n’est plus philosophique » dans « La Libre Belgique » (23/114/2015). On peut y lire ceci : « On connaît la spécificité de l’histoire belge, construite assez largement autour des fameux trois piliers que sont les piliers chrétien, socialiste et libé-ral. Dans l’enseignement, cette structure s’est déclinée en réseaux qui perdurent encore dans l’enseignement obligatoire. Mais dans l’enseignement supérieur ? Alors que ce dernier est en chantier dans le cadre du décret Paysage du ministre Marcourt (PS), le Crisp, le Centre de recherches et d’informations socio-politiques - qui publie dès cette semaine quatre courriers hebdomadaires dédiés à l’enseignement supérieur - a tenu à évoquer cette question. Ce qu’y pointent les sociologues Jean-Emile Charlier et Michel Molitor est leur effritement, tout au-tant que leur résistance dans les moments de crise. » http://www.lalibre.be/actu/belgique/l-organisation-de-l-enseignement-superieur-n-est-plus-philosophique-5651ff9b3570ca6ff9191d49

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termes de résultats et de qualité. Malgré son légendaire Décret Inscription, une des plus fabuleuses aberrations jamais mises en place, notre enseignement est terriblement inégalitaire et la réussite dépend essentiellement de l’origine sociale des élèves. Ce qui signifie surtout : l’argent investi est mal utilisé. Il l’est pour de multiples raisons, et il ne sera pas possible ici de les pointer toutes ; mais relevons-en quelques-unes.

D’abord, les différents réseaux. Je sais, c’est un point auquel presque per-sonne n’ose toucher, mais je suis de ceux pour qui cette cohabitation est une aberration complète. Et je ne pointe pas seulement l’existence du misérable réseau provincial (et du maintien de l’échelon provincial en général, qui est lui aussi un vestige archéologique) ; il faudrait avoir le courage de mettre en place un seul et unique réseau d’enseignement et d’organiser de manière cohérente et pragmatique l’offre faite aux parents et aux enfants. Vu la complexité et la sensibilité, il faudra sûrement [surement*] un processus long et des mesures transitoires ; mais le bon sens nous y contraindrait, si le bon sens avait droit de cité. Partant, évidemment, il conviendra de supprimer tous les cours de religion et de morale pour les remplacer par un cours commun, offrant aux élèves des bases suffisantes pour comprendre les différentes religions et cou-rants de pensée, mais aussi la philosophie et la citoyenneté. Bien sûr [sur*], cela ne fera pas plaisir aux professeurs de morale et de religion, mais on ne crée pas un programme éducatif seulement pour faire plaisir aux enseignants, même s’il est capital qu’ils en éprouvent dans leur métier. »

Voilà qui propose probablement, chez certains en tout cas, bien des pers-pectives inattendues. J’ouvre simplement la porte à la réflexion des anciens en les invitant à la lucidité 71.

Et enfin, pour satisfaire les nostalgiques, signalons que la presse et Internet nous annoncent (le 13/04/2015) la création, en septembre 2015, d’une école

71 L’ancien élève verviétois déjà cité propose le commentaire suivant : « (1) Enseignements religieux. Aujourd’hui Jésus Christ a changé de nom, il s’appelle Argent Pouvoir. Je pense que notre époque était régie par des valeurs qui généraient des règles. Pour l’équilibre sociétal : accepter de vivre en communauté en suivant des règles est préférable au « tout pour moi, rien pour toi ». (2) Enseignement orienté. Il est préférable à notre enseignement tout azimut qui vise à une différenciation de notre société en deux groupes : les forts (financiers ou intellec-tuels) et les faibles. Pour demain, je crains la disparition de la classe moyenne (vous et moi soit « Monsieur tout le monde »). Je suis convaincu que l’enseignement suivi à notre époque [i.e. 1965-1970] nous préparait mieux à la vie et ce sans le dire. »

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(privée) catholique traditionnelle, entre Overijse et La Hulpe, dont l’enseignement se fondera sur le « catéchisme de Malines » (des années 1950). Elle s’appellera Sint-Ignatius 72, dans la plus pure tradition jésuitique… et sera néerlandophone. Cela ne s’invente pas. Mgr Lefebvre est ressuscité !

Par ailleurs, d’autres se réjouiront – ou ne se réjouiront pas – d’apprendre que le 1er septembre 2015, une École fondamentale libre confessionnelle islamique « La Vertu » a ouvert ses portes à Bruxelles 73. On a aussi annoncé l’ouverture d’une 1re année secondaire.

Notes finales

(1) Commentaire d’un ancien condisciple de 1956 : « C’est avec beaucoup de plaisir que j’ai relu ton texte et j’en tire la confirmation de nombreuses constatations faites au cours d’une vie qui, tout doucement (on n’est pas pres-sé !), se dirige vers la fin. Bien d’accord avec toi pour penser que nous étions proches du niveau de contraintes intégristes. Un point positif quand même : nous avons appris à obéir, ce qui était primordial pour les futurs dirigeants que nous sommes devenus. Pour commander, il faut d’abord apprendre à obéir. Cela nous a peut-être inconsciemment aidés à surmonter certaines dif-ficultés de la vie. Qui sait ? »

(2) Commentaire d’un autre ancien condisciple de 1956 : « Certes, le Col-lège a contribué à me construire une image du monde – en lien avec d’autres sources d’influence, comme ma famille, les mouvements de jeunesse, etc. Nous avions une vue bien plus restreinte de la société que la jeunesse d’aujourd’hui (en termes de moyens disponibles), et pourtant... Au-delà de la serre chaude, le collège a aiguisé ma curiosité, et c’est ce qui m’a permis d’en prendre distance par après. Je me retrouve bien dans l’expérience de vie de Michaël Singleton 74 et de son changement de perspective : il a digéré son passé clérical sans le renier – c’est un peu ma situation actuelle. » (3) Commentaire d’un autre (encore) ancien condisciple de 1956 : « Comme

72 <http://esperancenouvelle.hautetfort.com/archive/2015/04/12/une-nouvelle-ecole-catholique-sint-ignatius-a-maleizen-5602088.html>. 73 <http://www.enseignement.be/index.php?page=24797&etab_id= 95351>. 74 <http://www.levif.be/actualite/international/la-papaute-monarchie-absolue-etait-elle-dans-le-programme-de-jesus/article-normal-401173.html>. Interview publiée dans « Le Vif-L’Express ». La personne qui est interviewée est un « ancien missionnaire des Pères blancs, le Belgo-Britannique Michael Singleton [qui] est devenu un éminent anthropologue, fondateur du Laboratoire d'anthropologie prospective de l’UCL ».

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tu le signales, l’analyse que tu nous nous transmets aujourd’hui était déjà celle que tu faisais à la fin de tes études secondaires. C’est en soi remarquable et sans doute exceptionnel. Chez la plupart d’entre nous, et de moi-même en particulier, la réflexion n’est venue que bien plus tard, au contact d’autres formes d’enseignement et de leçons tirées d’un champ beaucoup plus vaste de confrontations idéologiques et d’expériences personnelles. Comment pourrait-il en être autrement ? Nous vivions dans un monde de certitudes, où l’école (confessionnelle) et le milieu familial s’épaulaient mutuellement. Nous estimions être détenteurs de la vérité absolue. Il était hors de question de songer à la remettre en cause. Tous les garde-fous étaient en place (choix des manuels scolaires, livres à l’index...) pour éviter le risque de confrontation avec des idées ou réalités qui s’écartaient des valeurs dispensées, sur lesquelles le moindre doute n’était pas de mise. (…) La discipline du Collège était rigoureuse. Tu en donnes de multiples exemples. J’ajouterai l’interdiction – sous peine d’exclusion – de fréquenter le kiosque de la place (l’aubette comme on disait à l’époque) qui apparemment distribuait des revues licencieuses (?). Un surveillant était chargé du strict respect de cet interdit. Jusqu’au jour où il m’avait demandé d’aller discrètement lui acheter un journal dans ce même kiosque. Quelle hypocrisie ! J’y avais vu une forme de provocation ou un piège. (…) En fait le principal reproche que je crois devoir adresser à l’enseignement reçu (en dehors de la qualité et de la disponibilité du corps professoral) est de n’avoir jamais développé chez nous l’esprit critique et la faculté de jugement personnel. Pour les raisons évoquées plus haut. J’ai pu le constater davantage encore (quelques décennies plus tard) par comparaison avec le système français. (…) Remarquable réseau d’enseignement, rigoureux, mais très ouvert au développement personnel des élèves et à la liberté d’expression. (…) Ces lycées veillaient à favoriser cet esprit critique et le sens de la discussion. Les cours de philosophie (qui manquent cruellement dans notre enseignement secondaire) allaient dans le même sens. Quant à la religion, elle était hors programme pour ceux qui le souhaitaient. Pour terminer, j’ajouterai justement un mot sur la religion telle que dispensée à l’époque dans nos écoles libres. On avait beau nous dire que Dieu est amour, nous restions troublés – voire traumatisés – par l’enfer, le péché mortel qui nous condamnait au feu éternel. Et nous faisions des comptes d’apothicaires pour savoir à quel moment un péché véniel se transformait en péché mortel. Enjeu fondamental ! Certes, il y avait la confession. Mais celle-ci, comme le recours recommandé au directeur

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de conscience, était un moyen de maintenir l’emprise sur nos âmes et de veiller à nous garder dans le giron de l’Église. Le sens de la culpabilité –savamment entretenu – (avec le péché originel) était ancré au plus profond de nous et développait dans nos vies d’adolescents des penchants narcissiques qui n’étaient pas sans danger. Certes les choses ont bien changé. Et l’on est peut-être passé d’un excès à un autre. Mais il s’agit là d’un autre débat. »

(4) Auguste Fourneau, ancien enseignant de Rochefort, octogénaire, auteur de L’Appel des cloches, Prof chez les cathos 75, m’écrit ceci : « Des signes de renou-veau ? On m’a hier [juillet 2015] donné à lire, publiés dans La Pensée et les Hommes (N° 97), les actes d’un tout récent colloque sur le thème Les 150 ans de la Ligue de l’Enseignement et de l’Éducation permanente et les 55 ans du Pacte Scolaire. On y voit certains laïcs proposer des orientations infiniment plus évangéliques que celles assenées [assénées*] à Saint-Hadelin, à la méditation du matin. »

(5) J’ai également soumis mon texte à un ami, professeur d’université émé-rite (ULg), sorti d’un collège diocésain, lui aussi en 1956. Voici son avis : « Ce collège-là, dont tu évoques surtout les faiblesses, voire les vices, avait aussi des mérites dont on parle moins. [Cet ami ignore que j’ai écrit des tas de choses très positives sur mon collège : voir note 2.] J’y suis plus sensible aujourd’hui, alors qu’à l’époque je renâclais surtout sur les défauts. Pour le collège d’aujourd’hui, j’avoue que depuis longtemps je ne vois plus ce qu’il peut avoir de catholique (mais n’est-ce pas là une évolution générale de notre société, qui dépasse largement l’enseignement) ? Beaucoup de points communs avec ce que j’ai connu au collège de Herve (messe quotidienne, minerval, corps pro-fessoral exclusivement masculin, religieux, en partie flamand, programmes sélectifs, particulièrement du point de vue de l’histoire littéraire, etc.). (…) Ton texte qui aurait été un brûlot [brulot*] dans les années 60 (et qui t’aurait envoyé au bûcher [bucher*] quelques siècles plus tôt) risque de ne choquer personne aujourd’hui, que ceux qui le trouveront peut-être trop indulgent. Reste-t-il encore dans l’enseignement catholique des personnes pour défendre je ne dis pas les dogmes mais les valeurs catholiques ? » – Dans un autre cour-riel, il précise : « Je pense que ces notes riches ne manqueront pas d’intéresser, et peut-être d’instruire, de nombreux lecteurs. Bravo. »

(6) J’ai également proposé le projet de mon article à un ami, diplômé du collège Saint-Louis à Namur, promotion 1952, ancien directeur d’école dans l’enseignement libre. Voici son commentaire : « Ton article m’a, bien sûr

75 Éditions Traces de vie, 2010, 248 pages.

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[sur*], fort intéressé. Tout y est tellement vrai. Quelle mémoire ! L’ancien combattant que je suis, comme toi, a pris un fameux coup de jeune en lisant tes lignes. Retourner soixante ans en arrière, ce n’est pas rien. Revivre l’histoire de notre enseignement et de nos écoles ! Je te livre quelques très modestes commentaires. Voilà un bel article qui intéressera à n’en pas douter les anciens de Saint-Hadelin comme il m’a intéressé. J’y ai retrouvé évidem-ment l’atmosphère et les particularités du collège diocésain que j’ai fréquenté moi-même à Namur (Institut Saint-Louis, où n’existaient que des humanités gréco-latines) aussitôt après la guerre. J’en suis sorti en 1952 et aujourd’hui, soixante ans après, je pourrais formuler les mêmes critiques que toi. Notre société a beaucoup changé ; les écoles ont beaucoup changé forcément. Dans les écoles du XXI

e siècle, tout est différent. Les nôtres étaient le reflet de la société et de l’Église de cette époque. Toutes les exagérations que tu relèves aujourd’hui, et elles sont très nombreuses, nous paraissaient normales, à nous et à nos parents : exercices religieux multiples, cartes de messe, retraites, etc. Il ne pouvait en être autrement. Nous les condamnons aujourd’hui à juste titre mais elles ne nous rendaient pas malheureux, je crois. Mais qu’en était-il dans les écoles des communautés religieuses pour filles ? Les lecteurs, jeunes et moins jeunes, liront avec plaisir quelles furent les transformations de l’enseignement libre après le pacte scolaire. C’est effectivement un « devoir de mémoire » que tu accomplis. Il y a une chose que tu ne signales pas. C’est la situation particulière des écoles catholiques qui sont nées avec le pacte sco-laire ou même avant, souvent à l’initiative des paroisses, pour contrer les écoles officielles. Souvent, elles partaient de rien si ce n’est de la disponibilité et de la générosité d’un corps professoral réduit à sa plus simple expression. Ce fut le cas de mon école. Un prêtre directeur et quelques professeurs laïcs. Ils étaient taillables et corvéables à merci mais, chose étonnante, la plupart ont accepté généreusement études avant et après les cours, surveillances diverses, heures supplémentaires non payées, recrutement dans les familles, accompa-gnement des élèves dans les cars de l’école, « fancy fairs », soupers et fêtes, peinture des locaux pendant les vacances, etc. Ils avaient le sentiment de con-tribuer à la naissance d’une école. Les débuts ont été fort difficiles et exi-geants ; puis ils ont eu la satisfaction de voir démarrer l’institution. Les survi-vants (une poignée) appellent ces débuts la « période héroïque » et racontent des anecdotes inimaginables qui feraient s’esclaffer les professeurs d’aujourd’hui. Cette période a duré des années. Rien de comparable évidem-ment avec l’atmosphère, l’organisation, le style et l’esprit de cette école que

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j’avais connue à Namur. C’était un autre monde. Pourrait-on parler d’exploitation ? Je pense que pas mal d’écoles florissantes aujourd’hui ont connu cette situation. Ma femme pourrait te raconter aussi ses débuts à Ciney. Mais pour en revenir à tous les points que tu évoques, je partage entièrement le jugement de ton ami, professeur d’université. »

(7) En janvier 2015, un internaute hollandais a lu ce document. Ce Hollan-dais, domicilié à Mook (P.-B.), a vu beaucoup de ressemblances entre son « petit séminaire » (non déguisé, dit-il) de Rolduc, qu’il a fréquenté de 1948 à 1954 dans le secondaire, et à la suite de quoi il y a accompli deux années de philosophie, avant de renoncer au sacerdoce. Il souligne également quelques différences. Voici ce qu’il m’écrit : « Merci pour cette vue d’ensemble! Et l’évocation de toute l’atmosphère ! Quelques indications : – Nous étions tous internes. En 1954, environ 350 ! – Même différence entre professeurs prêtres pour les cours ‘importants’ de latin, grec et les langues modernes et quelques laïcs pour la gymnastique, le dessin... – Nous avions des professeurs dont nous ne connaissions pas la formation, mais aussi des diplômés d’université, même quelques-uns avec un doctorat, comme notre prof de français qui avait écrit en 1936 à l’univ. de Nimègue une dissertation sur Taine et Renan et l’idée de Dieux, (voir : (http://www.persee.fr/doc/phlou_0776-555x_1938_num_41_57_3878_t1_0113_0000_2). – Un de nos profs du grec avait même publié une grammaire et syntaxe que nous utilisions. – Quelle ressemblance : la messe, les retraites, la confession, prix honorifiques à la fin d’année par l’évêque, les ‘pèlerinages’ vers une chapelle, la lecture in-terdite (et je reconnaissais les noms des favorisés Bernanos, Claudel, Maritain ...), même passage d’Homère sur Odysseus et Nausikaa (notre prof traduisait : « elle préparait l’eau du bain pour lui ») – Ce qui se passait à notre insu, c’était une crise interne entre professeurs ‘modernes’ et ‘traditionnels’. C’est seulement des années plus tard que cette histoire d’une vraie guerre a été décrite.... Surtout contre le ‘président’ ultra-conservateur. (…) Dans des livres commémoratifs comme votre article, par beaucoup de témoignages de professeurs encore vivants à ce moment-là... – Nous n’avions que les humanités gréco-latines. Pour ceux pour qui on pré-voyait une faillite à la promotion il y avait en dernière année une ‘classe sémi-

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naire’ pour les faire passer à la philosophie, sans promotion. Ceux qui quit-taient leur ‘vocation’ après étaient pas mal dupés ! – Beaucoup d’élèves venaient de petits villages du Limbourg néerlandais, re-crutés par le curé ou d’autres prêtres... Et il y avait un système de bourses du diocèse pour les parents qui ne pouvaient pas payer. – En fin d’année on devait montrer son bulletin au curé de la paroisse... – Pédophilie. On chuchotait que tel ou tel garçon était le favori de tel prof. Son ‘kindje’ disait-on. Et qu’il ne fallait pas prendre tel prêtre pour se confes-ser, car on courait le risque qu’il nous prenne sur ses genoux... Mais je n’en ai pas su plus de mon temps. Néanmoins, quelques années plus tard, un de nos profs parmi les plus vénérés (excellent prof d’histoire et chef des liturgies) était ‘démasqué’, ayant eu une relation avec un garçon pendant plusieurs an-nées ! Le garçon venait dans sa chambre presque tous les soirs. Les profs du même couloir n’avaient jamais rien vu... Ne voit-on pas ce qu’on ne connait pas ou ce qui n’est jamais discuté ? – Amitiés particulières. Nous étions avertis de ne pas nous y engager, sans qu’il nous soit expliqué ce que c’était exactement... Mais on nous menaçait de l’exclusion, ce qui a effectivement frappé des élèves. Pour éviter ces amitiés, on ne pouvait jamais se séparer du groupe pendant le temps des récréations. Les promenades se faisaient obligatoirement toujours en groupe, gardé par un prêtre, jamais à deux. – Cours d’apologétique. Permettez-moi une note sur ‘l’historicité de la vie de Jésus’. Récemment un pasteur protestant (Dominee van der Kaaij) a recom-mencé cette vieille discussion en niant toute historicité de Jésus. J’en ai profité pour lire un peu à ce sujet. Voici un lien vers Peerbolte (Prof à Amsterdam) qui donne un résumé sur toute la littérature sur le sujet. Concluant que la ma-jorité des ‘experts’ sont pour le moment d’accord sur l’historicité de Jésus (http://www.ntt-online.nl/het-geding-om-de-historiciteit-van-jezus/) 76.

76 Et en 2015. Parmi les spécialistes de l’historicité du Christ, il y a surtout Simon-Claude Mimouni, professeur au collège de France (http://www.levif.be/actualite/belgique/l-entreprise-jesus-frere-la-these-qui-secoue-les-fondations-du-christianisme/article-normal-444655.html) Voir : Jacques le Juste, frère de Jésus de Nazareth, Bayard, 2015 ; Le christianisme des origines à Constantin, avec Pierre Maraval, PUF, 2006 ; Les Chrétiens d'origine juive dans l'Antiquité, Albin Michel, 2004. Voici, selon lui, l’essentiel des connaissances actuelles : Oui, le Christ a existé et a même été crucifié. Il a fait partie d’une fratrie, dans laquelle Jaques a joué un rôle très important, surtout après la mort de Jésus. Cette famille était à la tête d’une secte (d’un « clan ») qu’on a appelée par la suite le « christianisme ». C’est cette famille qui a inventé la

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Je pourrais encore continuer longtemps. Je viens de lire de nouveau des ar-ticles sur l’histoire de Rolduc... »

Guy BELLEFLAMME

[promotion 1956]

légende de la résurrection du Christ et de son Ascension. Par rapport à ces thèses, les thèses de van der Kaaij semblent bien audacieuses.