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COURRIER JURIDIQUE DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE JANVIER-FÉVRIER-MARS 2010 - N° 59 - 10 euros DOSSIER SPÉCIAL AIDES D’ÉT A T Actualités du droit des aides d’État au cours de l’année 2009 Le rôle des juridictions judiciaires en matière d’aides d’État Éclairage sur deux arrêts récents rendus par le TUE PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE Les lois HADOPI : instrument juridique efficace de lutte contre la contrefaçon des œuvres sur Internet ? FISCALITÉ La taxe générale sur les activités polluantes et les déchets La qualification des prélèvements affectés au financement de la sécurité sociale DROIT PUBLIC Contrôle des produits « halal » et respect du principe de laïcité La Poste : l’établissement public est mort, vive la société anonyme ! ÉTUDE LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ DEVANT LE JUGE ADMINISTRATIF DROIT DES ENTREPRISES La décision rendue par l’AMF sur EADS Les alertes professionnelles, ou «whistleblowing » en droit Français, la fin d’un tabou ? COMMANDE PUBLIQUE Arrêté du 14 décembre 2009 : nouvel outil de la dématérialisation La jurisprudence Commune de Béziers, ou une redéfinition de l’office du juge du contrat D I R E C T I O N D E S A F F A I R E S J U R I D I Q U E S C J F I DROIT DE L ’UNION EUROPÉENNE Traité de Lisbonne : repenser les stratégies d’influence et les méthodes de travail au sein des ministères financiers

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COURRIER JURIDIQUE DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIEJANVIER-FÉVRIER-MARS 2010 - N° 59 - 10 euros

DOSSIER SPÉCIAL AIDES D’ÉTATActualités du droit des aides d’État

au cours de l’année 2009Le rôle des juridictions judiciaires

en matière d’aides d’ÉtatÉclairage sur deux arrêts récents

rendus par le TUE

PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLELes lois HADOPI : instrument juridiqueefficace de lutte contre la contrefaçon

des œuvres sur Internet ?

FISCALITÉLa taxe générale sur les activités polluantes

et les déchetsLa qualification des prélèvements affectés au

financement de la sécurité sociale

DROIT PUBLICContrôle des produits « halal »et respect du principe de laïcité

La Poste : l’établissement public est mort,vive la société anonyme !

ÉTUDELA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ

DEVANT LE JUGE ADMINISTRATIF

DROIT DES ENTREPRISESLa décision rendue par l’AMF sur EADS

Les alertes professionnelles,ou «whistleblowing » en droit Français,

la fin d’un tabou ? COMMANDE PUBLIQUEArrêté du 14 décembre 2009 :

nouvel outil de la dématérialisationLa jurisprudence Commune de Béziers,ou une redéfinition de l’office du juge

du contrat

D I R E C T I O N D E S A F F A I R E S J U R I D I Q U E S

C J F I

DROIT DE L’UNION EUROPÉENNETraité de Lisbonne : repenser les stratégies

d’influence et les méthodes de travailau sein des ministères financiers

SommaireÉditorial ................................................................................................................................... Page 1

ÉtudeLa question prioritaire de constitutionnalité devant le juge administratifPar Régis Fraisse ................................................................................................................. Page 2

Dossier spécial Aides d’ÉtatActualités du droit des aides d’État au cours de l’année 2009Par Alexandra Cuisiniez et Virginie Parizot ........................................................................... Page 13

Le rôle des juridictions judiciaires en matière d’aides d’État : un panorama à découvrirou redécouvrirPar Agnès Maîtrepierre ......................................................................................................... Page 18

Éclairage sur deux arrêts récents, rendus par le Tribunal de l’Union européenne enmatière d’aides d’ÉtatPar Anne Le Roux et Marie Blocteur ..................................................................................... Page 23

Propriété intellectuelleLes lois Hadopi : instrument juridique efficace de lutte contre la contrefaçon des œuvressur Internet ?Par Emmanuelle Grimault ..................................................................................................... Page 32

Droit des entreprisesCommentaire de la décision rendue par l’Autorité des marchés financiersle 27 novembre 2009, concernant EADSPar Marie-Clotilde Trioreau et Arielle Legret .......................................................................... Page 37

Les alertes professionnelles ou « whistleblowing » en droit Français, la fin d’un tabou ?Par Pauline Girot de Langlade .............................................................................................. Page 42

Droit de l’Union européenneL’entrée en vigueur du traité de Lisbonne : repenser les stratégies d’influence et lesméthodes de travail au sein des ministères financiersPar Anne Marchal ................................................................................................................. Page 47

FiscalitéLa taxe générale sur les activités polluantes et les déchets : un contentieux florissantou une usine à gaz ?Par Agnès Maîtrepierre ......................................................................................................... Page 51

La qualification des prélèvements affectés au financement de la sécurité sociale :la jurisprudence de la Cour de cassationPar Xavier Prétot ................................................................................................................... Page 55

Droit publicContrôle des produits « halal » et respect du principe de laïcitéPar Serge Marasco ............................................................................................................... Page 60

La Poste : l’établissement public est mort, vive la société anonyme !Par Tatiana Ayrault et Lila Zarfaoui ........................................................................................ Page 66

Commande publiqueArrêté du 14 décembre 2009 : nouvel outil de la dématérialisationPar Véronique Vogel ............................................................................................................. Page 73

La jurisprudence Commune de Béziers, ou une redéfinition de l’office du juge du contratPar Anne Breillon .................................................................................................................. Page 80

Ce numéro est imprimé sur du papier recyclé

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 2010 1

Éditorial

Le Courrier juridique des finances a renouvelé son comité éditorial, et accueille de nouveauxcontributeurs. Ce numéro traduit cette évolution. Des personnalités de haut niveau vous livrentleur analyse de spécialiste sur des sujets qu’elles ont eu à traiter dans le cadre de leurs fonctions,ou sur leur démarche.

Régis Fraisse, Chef du service juridique du Conseil constitutionnel, présente dans ces colonnesune étude magistrale sur la question prioritaire de constitutionnalité devant le juge administratif.À travers un exposé didactique de la procédure devant chaque juridiction, du tribunal administratifau Conseil constitutionnel, en passant par les cours d’appel et le Conseil d’État, Régis Fraisseapporte un éclairage essentiel sur une procédure nouvelle, appelée à nourrir un contentieuxpotentiellement très abondant.

La Cour de cassation est également représentée dans ces pages. L’article de Xavier Prétot,Conseiller en service extraordinaire à la Cour de cassation et Professeur associé à l’universitéPanthéon-Assas, est consacré à la délicate question de la qualification des prélèvements affectésau financement de la sécurité sociale, dont le régime juridique doit beaucoup à la jurisprudencede la Cour.

Les deux sujets traités par Agnès Maîtrepierre, Conseiller référendaire à la chambre commerciale,ont alimenté l’actualité juridique. La taxe générale sur les activités polluantes, qui fait applicationdu principe pollueur-payeur, est un des principaux leviers d’action du Grenelle de l’environnement.L’article sur le rôle des juridictions de l’ordre judiciaire en matière d’aide d’État s’inscrit dansune actualité encore sensible : le Tribunal de l’Union européenne a rendu, fin 2009, deux décisionsemportant des conséquences pécuniaires non négligeables pour le budget de l’État.

Ces décisions sont d’ailleurs commentées dans un dossier spécial sur les aides d’État, sujetde travail quotidien à la direction des affaires juridiques de Bercy. Ce dossier retrace l’actualitéde ce droit à part dans l’ordre juridique européen, et préfigure les nouveaux éléments qui figurerontdans le prochain « Vademecum des aides d’État ». Rappelons qu’une édition mise à jour decet ouvrage, dont le succès ne se dément pas, paraîtra au début du mois de mai.

Catherine Bergeal,

Directrice des affaires juridiques

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 20102

Étude

La présente étude, publiée quelques joursaprès l’entrée en vigueur de la questionprioritaire de constitutionnalité (QPC), a pourbut d’apporter aux justiciables, aux avocatset aux magistrats une première aidepratique. Compte tenu de la diversité desprocédures applicables devant les juridictionsayant vocation à mettre en œuvre ce nouveaudroit, il a paru nécessaire de la cantonner àune seule catégorie de juridictions. Le choixs’est porté sur la juridiction administrativede droit commun : les tribunaux adminis-tratifs, les cours administratives d’appel etle Conseil d’État.

1. La QPC devant le tribunaladministratif

1.1. L’introduction de la question

1.1.1. Les conditions de forme

1.1.1.1. Bénéficier ou non des conseilsd’un avocat

Dès lors que l’article 61-1 de la Constitutionexige que la question soit posée « àl’occasion d’une instance en cours devantune juridiction », les règles relatives à lareprésentation par un avocat sont cellesapplicables à l’instance « en cours ».

Devant les tribunaux administratifs, lesexceptions au principe de la représentationobligatoire sont si nombreuses1 que laplupart des litiges sont dispensés del’obligation de ministère d’avocat.

Toutefois, compte tenu de la complexité dudroit, l’intervention de ce praticien estvivement conseillée pour tout justiciable qui

ne maîtrise pas suffisamment le droit publicen général et le contentieux administratifen particulier.

En tout état de cause, le justiciable quibénéficie de l’aide juridictionnelle devant lejuge qui a transmis la QPC continue à enbénéficier pour cette dernière devant leConseil d’État ainsi que, le cas échéant,devant le Conseil constitutionnel. Pourl’avocat, cela se traduit par une majorationde sa rétribution2.

1.1.1.2. Produire un mémoire distinctet motivé

Si l’exigence d’un mémoire distinct estconnue de la procédure contentieuseadministrative3, c’est la première fois qu’unetelle règle est instituée pour l’exposé d’unmoyen. Il est vrai que ce moyen estparticulier puisque, s’il prospère, il peutaboutir à l’abrogation d’une dispositionlégislative.

Selon l’article R. 771-3 du code de justiceadministrative (CJA), ce mémoire distinctainsi que, le cas échéant, l’enveloppe quile contient, portent la mention « questionprioritaire de constitutionnalité ». Cettemention, qui n’est pas impartie à peined’irrecevabilité, contrairement à l’exigencedu mémoire distinct et motivé, est destinéeà ne pas retarder le traitement rapidedes QPC.

La question prioritaire de constitutionnalitédevant le juge administratif

Par Régis Fraisse

En offrant à tout justiciable la possibilité de contester une disposition législativecontraire aux droits et libertés de valeur constitutionnelle, le constituant a vouludonner à chacun un droit nouveau et replacer la Constitution au sommet de l’ordrejuridique : « Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction,il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés quela Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette questionsur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans undélai déterminé ».

1 Art. R. 431-2 et R. 431-3 du CJA, et R. 97 du codeélectoral.

2 Décret n° 2010-149 du 16 février 2010 modifiantle décret du 19 décembre 1991 portant applicationde la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aidejuridique.3 C’est le cas pour le référé suspension (art. R. 522-1 du CJA), le sursis à l’exécution de décisionsjuridictionnelles (art. R. 811-17-1 et R. 821-5-1) ouune intervention (art. R. 811-17-1 et R. 821-5-1).

La QPC doit êtreposée « àl’occasion d’uneinstance en coursdevant unejuridiction »

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Étude

De même, dès lors que le Conseil constitu-tionnel a décidé de mettre en place uneprocédure dématérialisée, il est conseilléaux parties et, le cas échéant, à leur avocatd’indiquer, dans les mémoires et obser-vations qu’ils produiront à tous les stadesde la procédure, l’adresse électronique quisera ultérieurement utilisée par le Conseilconstitutionnel pour la notification des acteset pièces de procédure, si la question luiest renvoyée.

La deuxième exigence veut que ce mémoiresoit motivé. Il s’agit d’une règle d’autant plusimpérative que le juge ne peut pas souleverd’office une QPC et que « seuls l’écrit ou lemémoire « distinct et motivé » ainsi que lesmémoires et conclusions propres à cettequestion prioritaire de constitutionnalitédevront […] être transmis » au Conseilconstitutionnel dès lors qu’il n’est « pascompétent pour connaître de l’instance àl’occasion de laquelle la question prioritairede constitutionnalité a été posée4 ».

Une absence de motivation pourra entraînerl’irrecevabilité d’office du moyen, sans queles parties en soient préalablementinformées ou aient été invitées à régulariser(non-application des articles R. 611-7et R. 612-1 du CJA). Cette irrecevabilitépourra être prononcée par l’ordonnance oule jugement statuant sur la requête. Unemotivation insuffisante ne présente pas lemême risque5 mais pourra entraîner unrefus de transmission au Conseil d’État aumotif que ne serait pas remplie la troisièmecondition prévue par l’article 23-2 del’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre1958 et relative au caractère suffisammentsérieux de la question.

Aussi, les parties et leurs conseils doivent-ils apporter le plus grand soin à la motivationde la QPC qu’ils souhaitent poser. Leurmémoire, pour être complet, doit comporterles quatre éléments qui vont être développésci-dessous : l’identification de la dispositionlégislative et les trois conditions fixées parl’article 23-2 de l’ordonnance de 1958 :l’applicabilité de cette disposition au litige,la non-validation par le Conseil constitu-

tionnel ou, dans la négative, la justificationdes circonstances nouvelles de nature àpermettre un nouveau contrôle et, enfin, lecaractère suffisamment sérieux de laquestion.

1.1.2. Le contenu du mémoire

1.1.2.1. Identifier la disposition légis-lative

La disposition législative doit êtreprécisément identifiée dans sa versionapplicable : « tel article ou tel alinéa de telarticle de telle loi ou de tel code ». Sacitation complète est même recommandée.L’indication de son origine, facilementconsultable sur le site Légifrance, peutégalement être opportune : « tel article detel code, dans sa rédaction issue de telarticle de telle loi ».

Elle doit avoir été adoptée par l’autoritédisposant du pouvoir législatif, en principepar le Parlement, auquel cas elle porte alorsle nom de « loi ». Mais, à certainespériodes de notre histoire, le pouvoirlégislatif a été attribué au pouvoir exécutifqui légiférait alors par ordonnances6. Ce futle cas des ordonnances du Gouvernementprovisoire de la République française7 ou decelles prises d’octobre 1958 à février 1959sur le fondement de l’article 92 de laConstitution8.

En revanche, les ordonnances prises surle fondement de l’article 38 de laConstitution et, depuis 2003 pour l’outre-mer, sur celui de son article 74-1, ne sontpas des dispositions législatives tantqu’elles n’ont pas été ratifiées par leParlement. Celles de l’article 38 doivent fairel’objet d’une loi d’habilitation et deviennentcaduques si le projet de loi de ratificationn’est pas déposé dans le délai fixé par la

4 Décision n° 2009-595 DC du 3 décembre 2009,cons. 27.5 Sauf si est utilisé le 7° de l’article R. 222-1 du CJAapplicable aux « moyens qui […] ne sont manifes-tement pas assortis des précisions permettant d’enapprécier le bien-fondé ».

6 Pour des actes législatifs plus anciens, voir :Odent, « Contentieux administratif », 6ème éd., Paris,Les Cours de droit, 1977-1981, fasc. I, p. 214 et sq.7 Par exemple, l’ordonnance n° 45-174 du 2 février1945 relative à l’enfance délinquante.8 Par exemple, l ’ordonnance n° 58-1275 du22 décembre 1958 relative au contentieux de lasécurité sociale, qui a été introduite dans le codede la sécurité sociale par le décret n° 85-1353 du17 décembre 1985, étant précisée qu’unecodification par décret ne modifie pas la formelégislative de la disposition codifiée.

L’absence demotivation peutentraînerl’irrecevabilitéd’office dumoyen

Les ordonnancesprises sur lefondement del’article 38doivent êtreratifiées pourfaire l’objetd’une QPC

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 20104

Étude

loi d’habilitation9. Celles de l’article 74-1bénéficient d’une habilitation permanentemais deviennent caduques si elles n’ont pasété ratifiées dans le délai de dix-huit moissuivant leur publication10.

Il est donc nécessaire de rechercher sil’ordonnance a été ratifiée. Cette recherchepeut être facilitée en consultant le site del’Assemblée nationale qui répertorie, danssa rubrique « Documents parlementaires11 »,les ordonnances ratifiées depuis 2002, oucelui du Sénat qui comporte une étudejuridique de grande qualité sur lesordonnances12.

S’il s’agit d’un article codifié dans la partielégislative d’un code, il convient de vérifiersi cette disposition a bien une « formelégislative » au sens de l’article 37 de laConstitution en recherchant, comme il estdit ci-dessus, quelle est la nature de ladisposition qui l’a introduite dans le code.

1.1.2.2. Dire en quoi la dispositionlégislative est applicable aulitige

La première condition que pose l’article 23-2de l’ordonnance de 1958 pour que la QPCsoit transmise est que « la dispositioncontestée est applicable au litige ou à laprocédure, ou constitue le fondement despoursuites ».

Si l’on met à part les rares dispositionslégislatives applicables à la procédureadministrative contentieuse et cellesconstituant le fondement des poursuites en

matière de contravention de grande voirie,la plupart des mémoires posant une QPCdevraient comporter une motivation relativeà l’applicabilité au litige de la dispositionlégislative contestée. Ce devrait être la seulepartie du mémoire faisant état des faits dulitige.

La plupart du temps, cette justification seraévidente. Parfois, elle le sera moins,notamment lorsque plusieurs législationspeuvent trouver à s’appliquer ou lorsqu’unacte réglementaire s’intercale entre ladisposition législative et la décisionattaquée : l’atteinte aux droits et libertésdoit provenir de la loi et non d’un acteréglementaire ou d’une décision individuelle.

Si un requérant se voit opposer parordonnance un refus de transmission au motifque cette condition n’est pas remplie, alorsque l’instruction établira par la suite que ladisposition était bien applicable, il pourra,sur le fondement de l’article R. 771-10 duCJA, demander au tribunal statuant au fondde se rétracter en déclarant non avenu cerefus et, en conséquence, de procéder àcette transmission. C’est le seul cas où cetterétractation est possible.

1.1.2.3. Constater que la dispositionlégislative n’a pas été validéepar le Conseil constitutionnel

La deuxième condition est que ladisposition législative « n’a pas déjà étédéclarée conforme à la Constitution dansles motifs et le dispositif d’une décision duConseil constitutionnel, sauf changementdes circonstances ».

Pour vérifier cette condition, les services duConseil constitutionnel ont établi un fichier,dénommé en interne « fichier positif », quirecense depuis 1959 l’ensemble desdispositions des lois ordinaires validéesdans les motifs et le dispositif des décisionsdu Conseil constitutionnel. Ce fichier,continuellement mis à jour, peut êtreconsulté par les internautes sur le site duConseil constitutionnel. Il se présente sousforme de tableau avec un tri par dispositionlégislative et un tri par décision du Conseilconstitutionnel.

Il a été établi en se fondant sur la règle quiveut que, lorsque le Conseil constitutionnela écarté un ou plusieurs griefs présentés

9 Cas d’une ordonnance devenue caduque : CE,2 avril 2003, Conseil régional de Guadeloupe,n° 246748.10 Voir : Ordonnance n° 2009-538 du 14 mai 2009ayant pour objet de remédier à la caducité del’ordonnance n° 2007-1134 du 25 juillet 2007 portantextension et adaptation à la Nouvelle-Calédonie dediverses dispositions relatives aux communes etaux sociétés d’économie mixte locales, faute deratification dans le délai de dix-huit mois.11 L’accès aux ordonnances se fait par la sous-rubrique « Vote de la loi »(http://www.assembleenationale.fr/13/documents/index-ordonnances.asp).12 Les ordonnances : Bilan au 31 décembre 2007,« Les documents de travail du Sénat, Série Étudesjuridiques », n° EJ 4, mars 2008( h t t p : / / w w w. s e n a t . f r / e j / e j _ o r d o n n a n c e /ej_ordonnance.html).

Le « fichierpositif », sur lesite du Conseilconstitutionnel,recense lesdispositionslégislativesvalidéesdepuis 1959

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Étude

par les requérants contre une dispositionlégislative, celle-ci a été déclarée conformeà la Constitution dans son intégralité et nonau regard des seuls droits et libertésinvoqués.

Ce fichier n’a pas de valeur officielle. Il neconstitue qu’une aide permettant auxjusticiables et aux juridictions de vérifierfacilement dans le texte des décisions sila deuxième condition, prévue parl’article 23-2 de l’ordonnance de 1958, estremplie.

Il est précisé, en outre, que les dispositionsqui y sont recensées sont les dispositionsdans leur rédaction validée par le Conseilconstitutionnel, c’est-à-dire à la date de lapromulgation de la loi déférée.

Prenons l’exemple d’un producteurd’électricité hydraulique qui conteste devantle tribunal administratif l’imposition forfaitairesur les entreprises de réseaux, à laquelle ilest assujetti, au motif qu’elle serait contraireau principe d’égalité devant les chargespubliques. Cette imposition repose sur lesarticles 1635-0 quinquies et 1519 F du codegénéral des impôts. En inscrivant dans lacellule de recherche du tableau : 1519 F,puis : 1635, on s’aperçoit que ces deuxdispositions ont été déclarées conformesà la Constitution dans le considérant 74 etdans l’article 2 du dispositif de la décisionn° 2009-599 DC du 29 décembre 2009. Unerapide vérification sur le site de Légifrancemontre que la rédaction des articlescontestés est bien celle qui a été déféréeau Conseil constitutionnel : article 2 de laloi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009.

Autre exemple plus complexe, celui d’unedisposition validée par le Conseilconstitutionnel et ultérieurement codifiée.Prenons l’exemple d’un étranger quiconteste un refus de séjour au motif que laprocédure prioritaire appliquée à l’examende sa demande d’asile est contraire au droitd’asile garanti par le préambule de laConstitution de 1946. Cette procédure estprévue par les articles L. 741-4 et L. 742-1du code de l’entrée et du séjour desétrangers et du droit d’asile13, non modifiésdepuis la création de ce code. Une rapide

recherche sur le fichier positif montre queces articles n’ont pas été déclarésconformes à la Constitution. Mais s’agissantd’un code récent, il est opportun deconsulter la table de correspondance entreles nouvelles références et les anciennesréférences qui a été établie lors de lacodification et qui figure sur le site deLégifrance. On constate alors quel’article L. 741-4 est issu de l’article 8,alinéas 3 à 8, de la loi n° 52-893 du 25 juillet1952 relative au droit d’asile etl’article L. 742-1 de son article 9, alinéa 1.En inscrivant dans la cellule de recherchedu tableau : 52-893, on s’aperçoit que lesarticles 8 et 9 ont été déclarés conformesà la Constitution dans les considérants 48et 58 et dans l’article 1er du dispositif de ladécision n° 2003-485 DC du 4 décembre2003.

Quant au « changement des circonstances »prévu par l’article 23-2 de l’ordonnance, ildevrait être exceptionnel dès lors que, pourle Conseil constitutionnel, il doit être limitéaux « changements intervenus, depuis laprécédente décision, dans les normes deconstitutionnalité applicables ou dans lescirconstances, de droit ou de fait, quiaffectent la portée de la dispositionlégislative critiquée14 » sans englober lescirconstances individuelles et propres auprocès en cours. Dans tous les cas, si unjusticiable souhaite invoquer ce changementdes circonstances pour écarter la chosejugée par le Conseil constitutionnel, il devraprésenter une motivation à la fois argumentéeet pertinente.

1.1.2.4. Expliquer en quoi la questionn’est pas dépourvue decaractère sérieux

Cette condition est moins stricte que celleapplicable devant le Conseil d’État puisquepour que celui-ci la renvoie au Conseilconstitutionnel, il faut que la questionprésente un caractère sérieux15. La notionde « caractère sérieux », souvent utiliséepar les textes de procédure, esttraditionnellement décrite comme « denature à faire naître un doute dans un espritéclairé ». Une question fantaisiste, dilatoire

13 Un exemplaire de ce code, à jour au 1er mars 2010,figurant sur le site du Conseil Constitutionnel, faitapparaître en gras les dispositions déclaréesconformes à la Constitution.

14 Décision n° 2009-595 DC du 3 décembre 2009,cons. 13.15 Article 23-5, alinéa 3, de l’ordonnance de 1958.

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Étude

ou manifestement infondée devrait donc fairel’objet d’un refus de transmission parle juge.

Le mémoire doit donc procéder à uneanalyse sommaire de la compatibilité de ladisposition législative avec les droits etlibertés qui figurent dans :

• la Constitution du 4 octobre 1958 telleque modifiée à plusieurs reprises ; parexemple l’autorité judiciaire, gardiennede la liberté individuelle (art. 66) ;

• les textes auxquels renvoie le Préambulede la Constitution du 4 octobre 1958, àsavoir :

- la Déclaration des droits de l’hommeet du citoyen de 1789, qui contientla majeure partie des droits etlibertés,

- le Préambule de la Constitutionde 1946,

- les principes fondamentaux reconnuspar les lois de la République(auxquels renvoie le Préambule dela Constitution de 1946) : parexemple, la liberté d’association oula liberté d’enseignement,

- la Charte de l’environnementde 2004.

La jurisprudence du Conseil constitutionnel,qui peut être consultée sur son site interneten texte intégral ou en analyses classéesde façon thématique, est une sourceincontournable pour qui veut procéder àcette analyse sommaire de façon optimale.En effet, si le Conseil constitutionnel a déjàdéclaré contraire à la Constitution unedisposition similaire à celle contestée parla QPC, le caractère sérieux sera évident.En revanche, s’il l’a déclarée conforme, lamotivation devra être beaucoup plusargumentée pour franchir les filtres dupremier juge mais surtout celui du Conseild’État.

En outre, le fichier du Conseil d’État,consultable sur internet et recensant lesQPC transmises au Conseil d’État etrenvoyées ou non au Conseilconstitutionnel, constituera une aideprécieuse pour l’examen de ce critère.

1.2. La procédure et la décision

1.2.1. La procédure

1.2.1.1. Il s’agit d’une procédured’urgence

* L’obligation de statuer « sans délai »

La portée de cette obligation est éclairée parle commentaire de la décision du3 décembre 2009 publiée aux Cahiers duConseil constitutionnel et consultable sur sonsite : « Comme le Conseil constitutionnel l’ajugé en 2003 à propos des délais impartisau premier président de la cour d’appel pourse prononcer sur la demande d’effetsuspensif de l’appel émanant du procureurde la République, « sans délai » signifie« dans le plus bref délai ». Le but recherchépar cette disposition est que le tempsd’examen de la transmission et du renvoi dela question prioritaire de constitutionnalité,puis le temps d’examen de la questionprioritaire de constitutionnalité elle-mêmes’impute sur le délai d’instruction de l’affaireet ne la rallonge pas. »

On peut penser que, sauf circonstanceparticulière, « le plus bref délai » danslequel le tribunal administratif doit seprononcer est de l’ordre de deux à trois moislorsqu’une procédure contradictoire a étédiligentée.

Toutefois, le tribunal n’est pas tenu detransmettre une QPC mettant en cause, parles mêmes motifs, une dispositionlégislative dont le Conseil d’État ou leConseil constitutionnel est déjà saisi(art. R.* 771-6 du CJA). Il s’agit là d’uneexception justifiée par l’objectif de valeurconstitutionnelle de bonne administration dela justice. À cet effet, tant le Conseil d’État,comme il a été dit, que le Conseilconstitutionnel indiqueront sur leur site, àl’attention des justiciables et desjuridictions, les QPC transmises ourenvoyées, selon un classementchronologique pour les lois et alphabétiquepour les codes.

* Le caractère « prioritaire » dela QPC

Ce caractère « prioritaire » est directementlié à l’obligation de statuer « sans délai ».Il signifie que le juge, saisi d’une QPC, doit

La dispositionlégislative doitêtre conforme àl’ensemble dubloc deconstitutionnalité

Les délais detransmission etd’examen de laQPC sont brefs

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Étude

« se prononcer par priorité sur la trans-mission de la question de constitutionnalitéau Conseil d’État » avant de trancher lelitige, et notamment d’examiner les moyensde conventionnalité.

En particulier, ce caractère prioritaire, quis’inscrit dans le cadre de l’autonomieprocédurale que la Cour de justice de l’Unioneuropéenne reconnaît aux États membresdans la mise en œuvre du droit européenpar les juridictions nationales, se borne àinstituer un ordre d’examen des questionsqui, sauf abrogation de la loi, ne dessaisitpas le juge qui a transmis la question deson pouvoir d’écarter une loi contraire auxexigences communautaires. Il respecteainsi, comme l’a démontré le Conseil d’Étatbelge dans un avis du 3 mars 2009, tant leprincipe de coopération loyale énoncé àl’article 5 du traité sur l’Union européenneque la jurisprudence Simmenthal16 de laCour de justice.

Cette priorité d’examen connaît toutefoistrois tempéraments dans sa portée ou seseffets :

• Elle reste applicable dans le cas où lejuge peut ne pas surseoir à statuer (encas de délai déterminé ou d’urgence),c’est-à-dire en matière de référé, decontentieux électoral, de reconduite àla frontière, de refus de séjour assortid’une obligation de quitter le territoirefrançais… Mais, dans ce cas, le jugen’a pas, s’il décide de transmettre laquestion, à attendre la réponse duConseil d’État ou du Conseilconstitutionnel pour trancher lesquestions de conventionnalité (troisièmealinéa de l’article 23-3 de l’ordonnancede 1958).

• Elle ne suspend pas l’instruction del’affaire : une expertise peut êtreordonnée, une enquête diligentée, unequestion posée à la Cour de justice del’Union européenne.

• Elle n’interdit pas au juge, lorsque lesursis à statuer risquerait d’entraîner desconséquences irrémédiables ou manifes-tement excessives pour les droits d’unepartie, de statuer sur les points qui doiventêtre immédiatement tranchés (quatrièmealinéa de l’article 23-3 de l’ordonnancede 1958).

Dans les cas où le sursis à statuer a étéprononcé, c’est la réception de la décisiondu Conseil d’État refusant de renvoyer laQPC au Conseil constitutionnel ou, en casde renvoi, de celle du Conseil constitutionnelqui permet au juge d’examiner les autresquestions du litige, et notamment cellesrelatives à la conventionnalité.

1.2.1.2. La procédure doit, en principe,être contradictoire

La procédure contradictoire n’est pasrequise :

• lorsque le président du tribunaladministratif, le vice-président du tribunaladministratif de Paris ou les présidentsde formation de jugement peuventrecourir à l’article R. 222-1 du CJAnotamment pour rejeter des requêtesmanifestement irrecevables nonsusceptibles de régularisation(art. R.* 771-8 du CJA) ;

• lorsqu’il est manifeste que la questionne doit pas être transmise au Conseild’État, parce que la disposition n’est pasde forme législative, qu’elle n’est pasmanifestement applicable au litige,qu’elle a été validée par le Conseilconstitutionnel sans qu’un changementde circonstances ne soit invoqué ou quela question n’est évidemment passérieuse (art. R.* 771-5 du CJA).

Dans les autres cas, la procédure devraitêtre contradictoire afin que les parties quine sont pas à l’origine de la questionpuissent disposer d’un délai, même bref,pour présenter des observations sur lesquatre éléments détaillés ci-dessus.

En tout état de cause, une question nedevrait pas pouvoir être transmise auConseil d’État sans procédurecontradictoire préalable.

1.2.2. La décision

Afin de permettre de statuer en urgence, ladécision se prononçant sur la transmissionde la QPC peut être prise, sans audiencepublique et sans conclusions du rapporteurpublic, par un juge unique : le président dutribunal administratif, le vice-président du

16 CJCE, 9 mars 1978, Simmenthal, n° 106/77.

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 20108

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tribunal administratif de Paris, un desprésidents de formation de jugement ou undes magistrats désignés à cet effet par lechef de juridiction (art. R*. 771-7 du CJA).Elle peut également être rendue par uneformation collégiale après audience publiqueet conclusions du rapporteur public,notamment si l’intérêt de la question lejustifie.

En principe, l’ordonnance ou le jugementavant dire droit dessaisit le juge du fond,lequel ne peut se rétracter, comme on l’avu ci-dessus, qu’en cas de conflitd’appréciation sur la loi applicable au litige.

La transmission de la question au Conseild’État est opérée par le greffe du tribunaladministratif et non par les parties.

2. La QPC devant la couradministrative d’appel

2.1. La cour administrative d’appelsaisie pour la première fois

L’article 23-1 de l’ordonnance du 7 novembre1958, dans sa rédaction issue de la loi du10 décembre 2009, dispose qu’« un telmoyen peut être soulevé pour la premièrefois en cause d’appel ». En ce cas, laquestion prioritaire de constitutionnalité estsoumise aux mêmes règles qu’en premièreinstance (art. R.* 771-11 du CJA) : ainsi lemémoire distinct et motivé, l’urgence, lecaractère prioritaire, la possibilité de statuerà juge unique et le sursis à statuer (avecses exceptions) trouvent à s’appliquer dansles mêmes conditions et sous les mêmesréserves.

La seule spécificité procédurale qui mérited’être signalée est celle relative à l’obligationde ministère d’avocat qui est presquegénéralisée en appel17.

2.2. La cour administrative d’appelsaisie en appel

Le justiciable qui estimerait que c’est à tortque la QPC qu’il a posée devant le tribunaladministratif n’a pas été transmise auConseil d’État ne peut contester ce refusqu’à l’occasion d’un recours contre la

décision réglant tout ou partie du litige(art. 23-2 de l’ordonnance de 1958). Encorefaut-il, s’il était requérant en premièreinstance, que les conclusions de sa requêteprincipale aient été rejetées. Sinon, il seraitsans intérêt à faire appel et à contester lerefus de transmission.

Il peut en aller autrement si la partie adversefait appel du jugement du tribunaladministratif. Dans ce cas, il lui serapossible, par la voie du recours incident,de contester le refus de transmission.

Quelle que soit la nature de l’appel, lacontestation du refus de transmission doittoujours, à peine d’irrecevabilité, faire l’objetd’un mémoire distinct et motivé,accompagné d’une copie de la décision derefus de transmission. Il en est de mêmedes mémoires en défense et en réplique.

Lorsque la cour administrative d’appel estsaisie en appel, elle n’est pas tenue destatuer « sans délai », même si l’objectifdoit être de faire en sorte que le jugementde l’affaire ne soit pas retardé de façonanormale par la transmission de la QPC.En revanche, le caractère prioritaire del’examen de la question lui est applicable,de même que le sursis à statuer. Elle peuttoutefois ne pas surseoir à statuer si elleest elle-même tenue de se prononcer dansun délai déterminé ou en urgence (troisièmealinéa de l’article 23-3 de l’ordonnancede 1958).

3. La QPC devant le conseild’État

3.1. Le Conseil d’État en tant que filtre

Ce n’est pas la partie demanderesse maisle tribunal administratif ou la couradministrative d’appel qui est chargé detransmettre la question et le dossier auConseil d’État.

Concomitamment à cette transmission, lesparties sont informées qu’elles ont lapossibilité de produire des observationsdevant le Conseil d’État dans le délai d’unmois. Il ne s’agit nullement d’une obligation.

Si des observations sont présentées, ellesdoivent l’être par un avocat au Conseil d’Étatsi l’affaire n’est pas dispensée du ministère

17 Art. R. 811-7 du CJA.

La QPC peut êtreposée « pour lapremière fois encause d’appel »

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 2010 9

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d’avocat devant le juge qui a transmis laquestion, comme devant la cour adminis-trative d’appel. Dans le cas contraire, cequi est le cas en règle générale pour letribunal administratif, elles peuvent êtresignées par le justiciable lui-même.

En revanche, les observations oralesdoivent toujours être présentées par unavocat au Conseil d’État.

Les formations contentieuses du Conseild’État ont un délai de trois mois pour statuersuivant la réception de la décision detransmission sur le renvoi de la questionprioritaire de constitutionnalité. Passé cedélai, l’affaire serait automatiquementtransmise au Conseil constitutionnel.

Le Conseil d’État procède au renvoi de laQPC si les conditions prévues aux 1° et 2°de l’article 23-2 sont remplies (applicabilitéau litige et non-validation par le Conseilconstitutionnel) et que la question estnouvelle ou présente un caractère sérieux.Le caractère sérieux correspond donc à unexamen plus approfondi que celui effectuépar le juge du fond. Quant au caractèrenouveau, le Conseil constitutionnel aprécisé, dans sa décision du 3 décembre2009, que : « le législateur organique aentendu, par l’ajout de ce critère, imposerque le Conseil constitutionnel soit saisi del’interprétation de toute dispositionconstitutionnelle dont il n’a pas encore eul’occasion de faire application ; que, dansles autres cas, il a entendu permettre auConseil d’État et à la Cour de cassationd’apprécier l’intérêt de saisir le Conseilconstitutionnel en fonction de ce critèrealternatif ; que, dès lors, une questionprioritaire de constitutionnalité ne peut êtrenouvelle au sens de ces dispositions au seulmotif que la disposition législativecontestée n’a pas déjà été examinée par leConseil constitutionnel » (cons. 21).

3.2. Le Conseil d’État saisi pour lapremière fois

Le moyen tiré de ce qu’une dispositionlégislative porte atteinte aux droits etlibertés garantis par la Constitution peutêtre soulevé, y compris pour la premièrefois en cassation, à l’occasion d’uneinstance devant le Conseil d’État.

Comme devant le tribunal et la couradministrative d’appel, trouvent à s’appliquerle mémoire distinct et motivé, l’urgence,mais avec un délai fixé à trois mois, lecaractère prioritaire et le sursis à statuer(avec possibilité de statuer si urgence)(art. 23-5 de l’ordonnance de 1958).

Les règles concernant le ministère d’avocatsont, en revanche, différentes. Elles varientselon les attributions exercées par leConseil d’État :

• Lorsque le Conseil d’État est juge enpremier et dernier ressort, le ministèred’avocat n’est pas obligatoire dès lorsqu’il s’agit de recours pour excès depouvoir ou en appréciation de légalité,de contentieux électoral ou de litigesconcernant la concession ou le refus depension18.

• Lorsque le Conseil d’État est juged’appel (essentiellement pour lecontentieux des élections municipaleset cantonales, le référé-liberté et lesquestions préjudicielles d’appréciationde la légalité des actes administratifs),le ministère d’avocat n’est pasobligatoire dès lors qu’il entre dans lescas mentionnés à l’alinéa précédent19.

• Lorsque le Conseil d’État est juge decassation, le ministère d’un avocat auConseil d’État est nécessaire (àl’exception des pourvois dirigés contreles décisions de la commission centraled’aide sociale ou des cours régionalesdes pensions20).

3.3. Le Conseil d’État saisi en appel ouen cassation

De la même façon qu’il est possible decontester un refus de transmission devantla cour administrative d’appel, le Conseild’État peut être saisi d’un tel refus encassation, plus rarement en appel.

18 R. 432-1 et R. 432-2 du CJA.19 R. 432-1 et R. 432-2 du CJA.20 R. 821-3 du CJA.

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 201010

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Les règles applicables à ces voies derecours sont applicables avec lesparticularités suivantes :

• production d’un mémoire distinct etmotivé (art. R.* 771-16 du CJA) ;

• en cassation, non-obligation de statuerau préalable sur l’admission du pourvoi(art. R.* 771-17 du CJA) ;

• délai de trois mois pour statuer, à peinede dessaisissement, et caractèreprioritaire de la QPC ;

• mais pas d’obligation de renvoyer auConseil constitutionnel une QPC mettanten cause, par les mêmes motifs, unedisposition législative dont le Conseilconstitutionnel est déjà saisie.

4. La QPC devant le Conseilconstitutionnel

Le Conseil constitutionnel doit statuer dansun délai de trois mois. Ce délai de trois moiscourt à compter de la réception de ladécision de renvoi du Conseil d’État ou, dansl’hypothèse où il ne serait pas prononcédans le délai imparti21, à compter de laréception de la question.

Une fois saisi, le Conseil constitutionnel nepeut plus être dessaisi puisque« l’extinction, pour quelque cause que cesoit, de l’instance à l’occasion de laquellela question a été posée est sansconséquence sur l’examen de la question »(art. 23-9 de l’ordonnance de 1958).

4.1. La procédure

La procédure devant le Conseilconstitutionnel fait intervenir non seulementles parties à l’instance au cours de laquellela question a été posée mais égalementcertaines autorités politiques, à savoir, pourune disposition législative nationale, lePrésident de la République, le Premierministre, les présidents de l’Assembléenationale et du Sénat et, pour une loi dupays de Nouvelle-Calédonie, le président duGouvernement de cette collectivité, leprésident du congrès et les présidents desassemblées de province.

4.1.1. La procédure est contradictoire

Le caractère contradictoire de la procédureest assurée par l’information des parties etdes autorités mentionnées ci-dessus et parla communication des observationsproduites par l’une ou plusieurs d’entreelles.

L’information revêt plusieurs formes.

Ainsi, les parties, ou leurs représentants,et les autorités sont informées par lesecrétariat général du Conseil constitu-tionnel :

• de l’enregistrement de la décision duConseil d’État renvoyant au Conseilconstitutionnel une question prioritairede constitutionnalité ou, en l’absence dedécision, de l’enregistrement de cettequestion ;

• de la possibilité – il ne s’agit pas d’uneobligation – de produire des premièresobservations, accompagnées, le caséchéant, de pièces, avant l’expirationd’un délai qui devrait être supérieur àquinze jours mais inférieur à un mois ;

• de ce que l’expiration de cette date, quine pourra être reportée, aura pour effetde rendre irrecevables les premièresobservations et pièces reçuespostérieurement ;

• de la possibilité de produire, avant unedate qui leur sera précisée, dessecondes observations qui ne peuventavoir pour objet que de répondre auxpremières ;

• de la possibilité d’assister à une auditionsi le Conseil constitutionnel décide d’yrecourir pour les besoins de l’instructionet, éventuellement, de présenter desobservations ;

• de l’éventualité, pour le Conseilconstitutionnel, de relever d’office un griefcontre la disposition législative qui estl’objet de la question et d’un délai pourprésenter des observations ;

• de la fixation de la date d’audience etde la possibilité qu’elles ont de présenterdes observations orales parl’intermédiaire de leur avocat ou avocat

21 Art. 23-7 de l’ordonnance de 1958.

Le Conseilconstitutionneldoit statuer dansun délai detrois mois

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au Conseil d’État et à la Cour decassation, en ce qui concerne lesparties, ou par les agents désignés parles autorités.

Les premières observations sont commu-niquées à l’ensemble des parties etautorités politiques de façon simultanée. Ilen est de même des secondes observationset de tout autre acte de procédure.

Afin de faciliter l’échange de l’ensemble deces pièces, il est demandé aux parties ouà leurs représentants, dès l’enregistrementde la question, d’indiquer une adresseélectronique, si celle-ci ne l’a pas étéantérieurement. Un système d’accusé deréception électronique est prévu. En casd’impossibilité, tout autre moyen pourra êtreutilisé par le secrétariat général (voiepostale, télécopie, notification adminis-trative ou consulaire…). De même, commeil est pratiqué depuis le 1er novembre 2009,les communications entre le Conseilconstitutionnel et les autorités politiques seferont par voie électronique.

4.1.2. L’audience est publique

L’audience a lieu devant la formationplénière, composée des membres nommésou de droit à l’exception de celui qui auraitestimé devoir s’abstenir pour un motifd’impartialité, aurait acquiescé à unedemande de récusation ou, en l’absenced’acquiescement, aurait été récusé par lecollège dans les conditions fixées parl’article 3 du règlement de procédureapplicable à la QPC, étant précisé que « leseul fait qu’un membre du Conseilconstitutionnel a participé à l’élaboration dela disposition législative faisant l’objet dela question de constitutionnalité neconstitue pas en lui-même une cause derécusation ». Le quorum est fixé à septmembres, sauf cas de force majeure inscritau compte rendu sommaire de la séance(art. 14 de l’ordonnance de 1958).

L’audience est publique. Toutefois, leprésident peut, à la demande d’une partieou d’office, restreindre la publicité pour lasauvegarde de l’ordre public, la protectiondes mineurs ou la protection du respect dela vie privée des personnes. Il ne peutordonner le huis clos des débats qu’à titreexceptionnel et pour les mêmes motifs.

Les parties, leurs représentants et, le caséchéant, les agents désignés par lesautorités politiques sont introduits dans lasalle d’audience.

Après la lecture de la question prioritairede constitutionnalité et le rappel des étapesde la procédure, le président, qui, commedans toute juridiction, est chargé de lapolice de l’audience et peut prendre toutemesure utile au bon déroulement desdébats, donne la parole aux avocats ouavocats au Conseil d’État et à la Cour decassation, en ce qui concerne les parties,et aux agents désignés par les autorités.Une fois les débats terminés, le présidentlève la séance après avoir indiqué qu’il ensera délibéré et annonce la date à laquellela décision sera rendue publique.

En raison de l’exiguïté de la salled’audience, les débats seront retransmisen direct par vidéo dans la salle Thémissituée au rez-de-chaussée de l’aileMontpensier du Palais-Royal et ouverte aupublic. Avec l’accord des parties présentes,ils pourront également donner lieu à unediffusion sur le site internet du Conseilconstitutionnel.

4.2. La décision et ses effets

La décision, rendue quelques jours aprèsl’audience, fait l’objet d’une large publicité.Non seulement elle est publiée au Journalofficiel, et, le cas échéant, au Journal officielde la Nouvelle-Calédonie, en raison de soneffet erga omnes, mais elle est égalementnotifiée :

• aux parties ;

• au Conseil d’État, qui a renvoyéla QPC ;

• le cas échéant, à la juridiction qui l’atransmise au Conseil d’État ;

• au Président de la République, auPremier ministre et aux présidents del’Assemblée nationale et du Sénat ;

• et, lorsqu’elle porte sur une loi du paysde la Nouvelle-Calédonie, au présidentdu Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, au président du congrès etaux présidents des assemblées deprovince.

L’audience a lieudevant laformationplénière duConseilconstitutionnel

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 201012

Étude

Elle fait également l’objet d’une publicité surle site internet du Conseil constitutionnel.

Les effets de la décision varient selon lasolution apportée à la QPC.

4.2.1. La disposition législative estconforme à la Constitution

La décision par laquelle le Conseilconstitutionnel, saisi par le Conseil d’Étatd’une QPC, juge que la dispositionlégislative qui était l’objet de cette question,est conforme à la Constitution a troisconséquences majeures :

• en application du dernier alinéa del’article 62 de la Constitution, cettedécision n’est susceptible d’aucunrecours et s’impose « aux pouvoirspublics et à toutes les autoritésadministratives et juridictionnelles » ;

• toute nouvelle QPC relative à cettedisposition devra, hors le cas rarissimedu « changement des circonstances »,faire l’objet d’un refus de transmissionau Conseil d’État ou de renvoi au Conseilconstitutionnel ;

• le juge a quo, qui aura sursis à statuer,retrouvera sa pleine compétence pourtrancher le litige dont il est saisi, ycompris en ce qui concerne les moyensde conventionnalité ou de conformitéavec le droit européen.

4.2.2. La disposition législative estinconstitutionnelle

La décision par laquelle le Conseilconstitutionnel, saisi par le Conseil d’Étatd’une QPC, juge que la dispositionlégislative qui était l’objet de cette question,n’est pas conforme à la Constitution a troisconséquences majeures :

• comme l’indique le deuxième alinéa del’article 62 de la Constitution, « unedisposition déclarée inconstitutionnellesur le fondement de l’article 61-1 estabrogée à compter de la publication dela décision du Conseil constitutionnel oud’une date ultérieure fixée par cettedécision » ;

• afin d’éviter tout vide juridique ou toutesituation préjudiciable, le Conseilconstitutionnel peut moduler dans letemps les effets de cette abrogation,selon une technique qu’il pratique defaçon exceptionnelle dans le contrôle apriori 22, à l’ instar d’autres courssuprêmes23 ou constitutionnelles ;

• afin de satisfaire la garantie des droits,en particulier, l’effectivité du recours aujuge et la sécurité juridique, le mêmealinéa de l’article 62 de la Constitutionprévoit que le Conseil constitutionnel« détermine les conditions et limitesdans lesquelles les effets que ladisposition a produits sont susceptiblesd’être remis en cause », pouvant allerjusqu’à prévoir une extension des effetsde l’abrogation à des situations ayantfait l’objet de décisions de justicedevenues définitives.

Régis Fraisse, Chef du service juridiquedu Conseil constitutionnel

22 Le Conseil constitutionnel a ainsi reporté de sixmois les effets d’une déclaration d’inconstitutionnalité,« afin de permettre au législateur de procéder à lacorrection de l’incompétence négative constatée »(décision n° 2008-564 DC du 19 juin 2008, Loi relativeaux organismes génétiquement modifiés, cons. 58).23 Conseil d’État, Assemblée, 11 mai 2004,Association AC ! et autres.

« Une dispositiondéclaréeinconstitutionnellesur le fondementde l’article 61-1est abrogée »

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 2010 13

Dossier spécial Aides d’État

1. Un droit en constante évolutionet adaptation.

1.1. Les aides d’État représentent unepart importante de l’économieeuropéenne, et interviennent danstous les secteurs

En 2008, le montant total des aides d’Étatconsenties par les 27 États membres aatteint 279,6 milliards d’euros, soit, 2,2 %du PIB de l’Union européenne. Ce montanttotal englobe les aides au secteurmanufacturier, au secteur des services, àl’industrie houillère, au secteur del’agriculture, au secteur de la pêche et àune partie du secteur des transports.

Si l’on exclut les mesures de crise, le totaldes aides d’État s’est élevé à 67,4 milliardsd’euros en 2008, soit 0,54 % du PIB del’Union européenne.

Les cinq pays qui ont accordé les aidesles plus élevées représentent 40,5 milliardsd’EUR, soit 60 % du total des aides. Il s’agitde l’Allemagne, de la France, de l’Italie, del’Espagne et du Royaume-Uni (chiffresissus du rapport de la Commission du7 décembre 2009, tableau de bord desaides d’État).

Une grande diversité de mesures sontconcernées. Elles bénéficient à des secteurséconomiques très variés, revêtent des formesétendues (subventions, exonérations fiscaleset sociales…), et intègrent de plus en plusdes préoccupations sociales et environne-mentales.

Dans ce contexte, la Commission a adoptéde nouveaux textes, afin d’encadrer lesprocédures, et aider les États en établissantles critères de compatibilité des aides. Ellea ainsi adopté des lignes directricesrelatives à l’application des règles enmatière d’aides d’État au financementpublic des réseaux à haut débit (JOUE C235 du 30 septembre 2009, page 7). Ce

texte fournit un cadre aidant les Étatsmembres à accélérer, et étendre ledéploiement des réseaux à haut débit surleurs territoires.

1.2. Les aides et la crise

La Commission a réagi promptement à lacrise économique et financière, dèsl’automne 2008.

Elle a adopté de nombreux textes àdestination des établissements financiers,notamment pour leur recapitalisation, et àdestination de l’ensemble des entreprisespour faciliter leur accès aux financements.

La Commission a autorisé de nombreusesaides individuelles (pour les établissementsfinanciers), et de nombreux régimes d’aides(pour l’ensemble des entreprises), sur lefondement de ces textes pendantl’année 2009. Elle a rapidement examiné lesmesures qui lui étaient soumises, commeelle y était tenue par les textes adoptés enla matière, donnant son accord en 24 heureslorsque c’était nécessaire.

Pour autant, ce contexte de crise l’a pasrendue nécessairement plus clémente, etne l’a pas empêchée d’ouvrir desprocédures formelles d’examen concernantcertaines mesures. Par exemple, elle aouvert cette procédure concernant le plande restructuration de la Bayern LB, banquecommerciale internationale, dans le cadredu plan de restructuration présenté parl’Allemagne (décision de la Commission du12 mai 2009, aide d’État C-16/09, JOUE C134 du 13 juin 2009).

Il reste loisible de se demander si, àl’occasion de la crise, la Commission a faitpreuve de suffisamment de souplesse,sachant qu’elle a clairement réaffirmé queles nuances et assouplissements apportésà l’existant n’avaient pas vocation àmodifier, même de manière temporaire, lanature des textes existants.

Actualités du droit des aides d’Étatau cours de l’année 2009

Par Alexandra Cuisiniez et Virginie Parizot

Le droit des aides d’État a été particulièrement riche pendant l’année 2009 : desaffaires importantes ont été traitées par la Commission et la CJUE, tandis que denombreux textes ont été publiés. Le contexte de la crise économique a permis demarquer le caractère parfois essentiel de l’intervention de l’État dans l’économie.

Le montant desaides d’Étatconsenties dansl’UE a atteint279,6 milliardsd’euros en 2008

Durant la crise, laCommission aparfois autorisédes aides en24 heures

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 201014

Dossier spécial Aides d’État

2. Un droit faisant l’objet d’ajus-tements au fil de la pratique dela Commission

2.1. Le caractère très rigoureux de laprocédure de notification auprèsde la Commission a nécessitél’adoption de règles plus souplesdans certains cas

L’article 108 § 3 du TFUE impose le respectd’une notification préalable à la Commissionde tout projet d’aide nouvelle, et lasuspension de toute aide mise en œuvre,tant que cette dernière n’a pas donné sonaccord.

La méconnaissance de cette procédureemporte l’illégalité de l’aide nouvelle encause, et implique la récupération auprèsdu bénéficiaire final.

La Commission est également chargée decontrôler, dans le respect des règles deprocédure prévues à l’article 108 TFUE, lacompatibilité des aides avec le marchécommun. Cette procédure de contrôle desaides nouvelles peut durer de deux à dix-huit mois, avant qu’une décision finale surl’existence d’une aide ou sa compatibilitésoit rendue.

Il s’agit de procédures lourdes que laCommission a voulu simplifier. À la suitede son plan d’action du 7 juin 2005, qui avaitlancé le programme de réforme de la quasi-totalité des règles et procédures applicablesaux aides d’État, plusieurs textesprocéduraux ont ainsi été adoptés.

2.2. Les règles de notification ont étésimplifiées

Une communication relative à la procéduresimplifiée de traitement de certains typesd’aides a été adoptée le 29 avril 2009 (JOUEC 136 du 16 juin 2009). Pour certainescatégories d’aides, définies précisément, laCommission a instauré une procédure depré-notification permettant d’établir descontacts étroits avec la Commission, etpermettant aux États de lui faire part deleur volonté de notifier un projet d’aide. Àl’issue de cette phase, la Commissionindique si l’affaire continue à être examinéeselon une procédure simplifiée, ou si ellereste soumise à la procédure normale.

Si la procédure simplifiée est appliquée, elleentrainera la phase de notification,permettant à l’État de faire parvenir officiel-lement son projet d’aide. La Commissionne devrait pas avoir besoin de nouvellesdemandes de renseignements, ce quiaccélère la procédure. Il est égalementprévu de pouvoir revenir à la procédurenormale.

À ce jour, il n’existe pas encore en Francede cas de mise en œuvre de cetteprocédure simplifiée. Les cas dans lesquelsla procédure simplifiée pourrait s’appliquersont très restrictifs, ce qui explique peut-être le faible succès que connait jusqu’àprésent cette procédure.

Un code de bonnes pratiques pour laconduite des procédures de contrôle desaides d’État, adopté le 16 juin 2009,complète cette nouvelle procédure simplifiée(JOUE C 136 du 16 juin 2009).

Il généralise une phase de prénotification,permettant à la Commission d’exercer uncontrôle efficace et d’accélérer le traitementdes dossiers. Il s’appliquera à toutes lesaides n’entrant pas dans le champ durèglement général d’exemption parcatégorie, et qui ne sont pas concernéespar la communication sur la procéduresimplifiée.

Ce texte se fonde sur une relationcroissante entre la Commission et les Étatsmembres : la Commission devra proposerdes contacts plus étroits et réguliers avecles États membres avant la notification.Cette étape préalable vise à améliorer laqualité et l’exhaustivité de la notification etouvre la voie à un traitement plus rapide desnotifications, lorsqu’elles sont formellementsoumises à la Commission. De leur côté,les États membres devront répondre le plusrapidement possible et de façon complèteaux demandes de renseignements de laCommission.

Enfin, concernant le traitement des plaintes,le code permettra d’améliorer la procédured’instruction en prévoyant des délaisindicatifs et une meilleure information desplaignants. Ce dernier point étant importantcompte tenu de l’augmentation continue dunombre de plaintes par des concurrentsd’une entreprise ayant bénéficié d’une aide,auprès de la Commission.

La Commissionintervient demanièrepragmatique afinde simplifier lesrèglesprocédurales

Une procédurede pré-notification detout projet d’aidenouvelle a étéinstaurée

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Dossier spécial Aides d’État

3. Des sanctions de plus en plussévères

3.1. L’administration française assureavec de plus en plus de diligencel’exécution des décisions derécupération

Les décisions de récupération sontexécutées de plus en plus rapidement.

Il s’agit d’ailleurs d’une tendance propre àl’ensemble de l’Union européenne, puisquedurant le premier semestre 2009, en ce quiconcerne l’exécution des décisions derécupération pendantes, le nombre total decas de récupérations pendants a encorediminué, passant à 43 (contre 50 à la mi-2007 et 94 fin 2004). Le montant des aidesillégales et incompatibles récupéréesdepuis 2000 a encore augmenté, passantde 2,3 milliards d’euros en décembre 2004à 9,4 milliards d’euros à la date du 30 juin2009. Cela signifie que le pourcentaged’aides illégales et incompatibles devantencore être récupérées a chuté de 75 % àla fin 2004 à 9 % environ au 30 juin 2009.

À cette évolution, trois raisons principalespeuvent être envisagées :

• l ’application de la jurisprudence« Deggendorf »,

• la volonté d’éviter les recours devant laCour de justice,

• la volonté d’éviter la médiatisation decertaines importantes affaires derécupérations.

3.1.1. L’application de la jurisprudence« Deggendorf »

Cet arrêt de la Cour de justice (CJCE, 15 mai1997, Deggendorf, aff. C-355/95 P) interditl’octroi d’aides nouvelles à une entreprisetant qu’elle n’a pas remboursé toutes lesaides qu’elle devait. Cela devient, dans lapratique de la Commission, une véritablecondition rappelée systématiquement, danstoute négociation sur un nouveau régimed’aides d’État.

3.1.2. La volonté d’éviter les recoursdevant la Cour de justice

Les États craignent une condamnation enmanquement pour non-exécution desdécisions de la Commission. C’est ce qui

s’est produit dans l’affaire du régime d’aidesdit « 44 septies », régime fiscal avantageuxreconnu incompatible par la Commission,au sujet duquel elle a pris une décision derécupération. N’ayant pas exécuté cettedécision de récupération dans les temps,les autorités françaises ont été condamnéesen manquement par la Cour de justice(CJCE, 13 novembre 2008, aff. C-214/07).

Les États craignent également unmanquement sur manquement impliquantune condamnation à verser une sommeforfaitaire et une astreinte. Un exemple ena été donné en 2009, la Grèce ayant étécondamnée en manquement surmanquement pour non-récupération d’uneaide d’État à 16.000 euros par jour de retarddans la mise en œuvre des mesuresnécessaires pour se conformer à l’arrêt du12 mai 2005 et à une somme forfaitaire de2 millions d’euros (CJCE, 7 juillet 2009,Commission c/ Grèce, aff. C-369/07).

3.1.3. La volonté d’éviter la média-tisation de certaines importantesaffaires de récupérations

Quelques décisions de récupérationconcernent de très grosses entreprises, etsont très visibles et répercutées dans lapresse. Ainsi, deux affaires ont fait l’objetd’actualité récente :

• À la suite d’un arrêt du Tribunal depremière instance, confirmant la décisionde récupération de la Commission, l’aideaccordée à France Telecom a du êtrerécupérée par l’État (TPI, 30 novembre2009, aff. T-427/04 et T-17/05).

• L’État avait récupéré une aide d’unmilliard d’euros auprès d’EDF,conformément à une décision derécupération de la Commission. Or, leTribunal de première instance (TPI,15 décembre 2009, aff. T-156/04) apartiellement annulé cette décision.L’État a dès lors dû rembourser cetteaide à son bénéficiaire. Cet arrêt soulèvedes problématiques juridiques nouvelles,et pose des difficultés en termes deprocédures administrative et comptableinternes.

Le montant desaides illégalesrécupérées estpassé de2,3 milliardsd’euros endécembre 2004 à9,4 milliardsd’euros au30 juin 2009

Certainesdécisions derécupérationconcernent detrès grossesentreprises

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 201016

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3.2. Cette tendance implique plus decoopération entre les institutionscommunautaires et les autoritésnationales

3.2.1. Les juridictions nationales jouentun rôle important pour fairerespecter le droit des aides d’État

* Le juge national est le juge de droitcommun du droit communautaire.

* Le principe de notification de toutenouvelle aide d’État crée un droit pour lejusticiable (concurrent d’une entrepriseaidée par exemple), qui peut se prévaloirde cette violation devant le juge national.Le juge national ne peut pas apprécier lacompatibilité d’une aide, contrairement à laCommission qui est seule à disposer decette compétence, mais doit apprécier s’ily a ou non présence d’une aide.

* Le juge national a donc des prérogativesen la matière, mais il peut apparaîtrecomme trop encadré dans son pouvoird’appréciation, lorsqu’une procédureparallèle devant la Commission européennea lieu. En effet, i l doit respecterl’appréciation qu’a faite la Commission, saqualification juridique des faits, et assurerl’effet utile du droit communautaire et desdécisions communautaires. Cela,notamment en matière de récupération desaides, peut nécessiter l’inapplication decertaines dispositions de droit national (enmatière de retrait des actes administratifspar exemple) qui iraient à l’encontre de l’effetutile du droit communautaire.

* La Commission a publié en 2009 unecommunication sur l’application des règlesen matière d’aides d’État par les juridictionsnationales (JO C 85 du 9 avril 2009). Cettecommunication a pour but d’aider lesjuridictions nationales à appliquer les règlesen matière d’aides d’État. En 2006, laCommission avait commandé une étude afind’avoir une vision plus précise des typesde recours formés par des particuliers enmatière d’aides d’État devant les juridictionsnationales. Il avait alors été démontré, queles recours devant les juridictions nationalesétaient, en majorité (à environ deux tiers),introduits soit par des contribuables contreune imposition prétendument discrimi-natoire d’une charge fiscale, soit par desbénéficiaires d’aides s’opposant à une

récupération. Ce constat revient à dire queles recours, effectués par des particuliersdevant le juge national ne se font pasnécessairement dans une optiqueconcurrentielle, comme on aurait tendanceà le croire.

Cette communication rappelle égalementles nombreuses mesures qui sont à ladisposition du juge national face à une aideillégale. Le fait que la violation du droit desaides d’État emporte nécessairement desconséquences et des sanctions se trouvedonc renforcé par cette communication(même si la récupération ne doit pas êtreconsidérée comme une sanction, maiscomme un rétablissement de la situationconcurrentielle initiale).

Le juge national dispose en effet d’unarsenal de mesures face à une aide illégale :

• empêcher le versement de l’aide illégale,

• récupérer l’aide illégale (qu’elle soitcompatible ou non),

• ordonner le versement d’intérêts au titrede la période d’illégalité,

• accorder des dommages et intérêts auxentreprises concurrentes et aux autrestiers,

• et ordonner des mesures provisoirescontre l’aide illégale.

L’affaire à rebondissements sur le Centred’exportation du livre français (CELF), ausujet de laquelle il a été répondu à la questionpréjudicielle posée par le Conseil d’État, parla Cour le 11 mars 2010 (aff. C-1/09, questionpréjudicielle présentée par le Conseil d’Étatle 2 janvier 2009), illustre cependant lesdifficultés du juge national à déterminer,exactement, son rôle, ses pouvoirs, et lamarge d’appréciation dont il dispose, enmatière d’aides d’État. Reste à déterminersi cet arrêt mettra enfin un terme à uneaffaire, ayant généré tant de contentieux.

C’est pourquoi cette communication estbienvenue.

Une plus grandecoopérationentre lesinstitutionscommunautaireset les autoritésnationales

L’affaire CELF(C-1/09, 2 janvier2009) révèle lesdifficultés dujuge national

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3.2.2. Les autorités nationales assurentla légalité de l’octroi des aidesd’État en les notifiant, ainsi que larécupération de ces aides lorsquela Commission le demande

* Les administrations, et le MINEIE enparticulier, sont en première ligne sur cepoint, et éprouvent des difficultés deplusieurs ordres :

• Des difficultés juridiques, d’ordre fiscal,et administratif notamment quant auxrègles de retrait des actes administratifs.

• Des difficultés administratives en matièrede coordination et d’organisation desservices administratifs. Les servicesdéconcentrés doivent notamment mettreen place des procédures spécifiqueslorsque la récupération concerneplusieurs entreprises dans le cadre d’unrégime d’aides.

• Des difficultés inhérentes au fait mêmede récupérer des aides tenant à l’impactmédiatique que cela a, à l’opinionpublique, aux répercussions sur la visionde l’Europe. Ces difficultés d’autant plusgrandes à appréhender en période decrise.

* La Commission a publié en 2007 unecommunication sur la récupération desaides d’État (« Vers une mise en œuvreeffective des décisions de la Commissionenjoignant aux États membres de récupérerdes aides d’État illégales et incompatiblesavec le Marché commun », le 25 octobre2007). Celle-ci montre le caractèreparticulièrement rigide du droit de larécupération, et le peu de moyens dedéfense à la disposition tant de l’entrepriseconcernée, que de l’État.

* En particulier, le moyen tiré de laprotection de la confiance légitime estapprécié de manière tellement stricte parla Commission et le juge communautaire,qu’il est finalement assez peu invoquédevant le juge communautaire. Ce principeet la notion plus large de « circonstancesexceptionnelles » permettent de justifier dene pas récupérer des aides auprès desentreprises.

Ainsi, depuis le 1er janvier 2009, seules12 affaires portées devant le Tribunal et laCour de justice mentionnent ce principe.Dans une affaire concernant l’entreprise« KFC », le principe tiré de la protection de

la confiance légitime avait été accueilli enpremière instance par le Tribunal, ce quiest suffisamment rare pour être souligné,mais a été annulé par la CJCE dans le cadredu pourvoi au motif que le Tribunal avaitcommis une erreur de droit (CJCE,17 septembre 2009, Commission c/ KFC,aff. C-519/07). C’est également la questionde la confiance légitime qui a motivé laquestion préjudicielle posée par le Conseild’État dans le cadre de l’affaire CELFmentionnée auparavant.

4. Un droit à part dans le paysagejuridique communautaire

Le droit des aides d’État est il à part au seindu droit de la concurrence ? Il a été affirméqu’il s’agissait d’un droit moins économiqueque les autres disciplines du droit de laconcurrence (ententes, concentrations, abusde position dominante), pour lesquellesl’étude du marché pertinent est plusapprofondie et plus systématique. Or, cetteconstatation se concilie difficilement avec lefait que le droit communautaire fait peser surquasiment toute activité une présomption decaractère économique.

Le plan d’action sur les aides d’État de laCommission de 2005 avait tenté de faireémerger la notion de défaillance de marchédans le droit des aides d’État. Cinq ansaprès, cette référence à la défaillance demarché est quasiment restée lettre morte.Cela suppose une appréciation plusdétaillée des aides, et la prise en compted’éléments économiques externes.Aujourd’hui, cette notion n’a pas plus étéexplicitée par la Commission ou le jugecommunautaire, hormis dans des secteursextrêmement précis (dans le cadre deslignes directrices sur les aides au hautdébit, ou en matière d’aide d’État à laformation professionnelle par exemple). Desexplicitations de cette notion seraientparticulièrement utiles dans les domainesnouveaux, dans lesquels il existe finalementassez peu d’éléments d’appréciation, et peude jurisprudence communautaire.

Une communication sur l’évaluationéconomique des aides d’État estactuellement en discussion. Ce texte offrirasans doute des pistes de réflexionintéressantes.

Alexandra Cuisiniez et Virginie Parizot,(Direction des affaires juridiques)

Certainesquestions restentà aborder afin derendre le droitdes aides d’Étatplus proche desautres branchesdu droit del’Unioneuropéenne

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Le droit des aides d’État connaît un regaind’intérêt, sans doute sans précédent, dansle contexte actuel marqué par la criseéconomique et financière. Alors que leniveau global des aides publiques avaittendance à baisser depuis 2002, et ce dansl’ensemble des États membres de l’Unioneuropéenne, celui-ci a presque quintupléen 2008 par rapport à l’année précédente1.Si cette hausse a d’abord et surtoutintéressé le secteur bancaire, elle ne s’ylimite plus, mais s’étend désormais à laplupart des secteurs économiques dans lecadre du plan de relance adopté en 2009par la Commission européenne afin defaciliter l’accès des entreprises au crédit,devenu de plus en plus restrictif, et favoriserainsi, à plus long terme, une reprise desinvestissements, de la croissance et del’emploi2.

Ce nouvel essor des aides publiquesn’échappe pas au contrôle de laCommission : cette dernière continue, ycompris en période de crise, à encadrer lapolitique des États membres en la matière,sans se départir de l’objectif assigné par leConseil européen de Lisbonne, enmars 2000, en faveur d’aides moinsnombreuses et mieux ciblées, plusfavorables au jeu de la concurrence. Cet

objectif, qui a inspiré le plan d’action surles aides d’État lancé en 2005, s’estaccompagné d’une recherche de l’efficacitédans le contrôle de celles-ci. Cetterecherche s’est traduite par une double« mutation dans l’organisation du contrôle »non seulement, par une simplification de laprocédure administrative devant laCommission, mais aussi, par un meilleurpartage des responsabilités entre laCommission et les États membres3. Sansaller aussi loin que le règlement 1/2003 dansla décentralisation de la mise en œuvre dudroit communautaire de la concurrence4, laCommission, constatant le nombre encorerelativement restreint des recours formésen matière d’aides d’État par les particuliersdevant les juridictions nationales, encouragevivement, dans une récente communication,le développement de ces procédures, ce quine peut que contribuer à renforcer le rôledes juges nationaux dans le contrôle desaides d’État5.

Le rôle des juridictions judiciaires en matière d’aidesd’État : un panorama à découvrir ou redécouvrir

Par Agnès Maîtrepierre

Les aides d’État sont au cœur de l’actualité et le droit communautaire qui lesrégit confère aux juridictions nationales une mission déterminante en la matière,dont l’importance vient d’être encore rappelée par la Commission européenne.De ce point de vue, le rôle des juridictions nationales n’est pas fondamentalementdifférent. Il leur revient, qu’elles appartiennent à l’ordre administratif ou à l’ordrejudiciaire, de contribuer au contrôle des aides d’État. Si elle est généralementmoins connue que celle des juridictions administratives, la contribution desjuridictions judiciaires s’avère significative et mérite d’être découverte ouredécouverte.

1 C’est ce qui ressort du rapport de la Commissioneuropéenne, du 7 décembre 2009, sur les aidesd’État accordées par les États membres de l’Unioneuropéenne (COM.2009.661), disponible sur le siteInternet de la DG concurrence de la Commission.2 Communication de la Commission sur le cadrecommunautaire temporaire pour les aides d’Étatdestinées à favoriser l’accès au financement dansle contexte de la crise économique et financièreactuelle (JO n° C83 du 7 avril 2009), modifiée à cejour à deux reprises, le 28 octobre 2009 (JO n° C261,du 31 octobre 2009) et le 8 décembre suivant (JOn° C303 du 15 décembre 2009).

3 L. Idot, « Regards sur les mutations du droit desaides d’État » , Rev. Concurrences, 2009-4,page 79.4 Règlement du Conseil du 16 décembre 2002, relatifà la mise en ouvre des règles de concurrenceprévues aux articles 81 et 82 du traité (JO n° L 1du 4 janvier 2003). Sur l ’étendue de ladécentralisation opérée par ce règlement dans lamise en œuvre des règles communautaires deconcurrence, voir A. Maîtrepierre, « Commentairearticle par article des traités UE et CE », HelbingLichtenhahn, Dalloz, Bruylant, 2ème éd. 2010, sousdir. I. Pingel (commentaire article 83 CE).5 Communication relative à l’application des règlesen matière d’aides d’État par les juridictionsnationales (JO n° C 85 du 9 avril 2009). Dans unepremière communication qui remonte à l’année 1995,la Commission avait déjà manifesté son attachementau rôle des juridictions nationales dans le contrôledes aides d’État en établissant des mécanismes decoopération et d’échange d’informations avec celles-ci (JO n° C 312 du 23 novembre 1995). Une dizaine[Suite en bas de colonne suivant]

Le niveau globaldes aidespubliques apresquequintuplé en 2008

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En France, cette perspective intéresse, nonseulement, les juridictions de l’ordreadministratif, dont le rôle est généralementassez bien connu en la matière, mais aussi,celles, très variées, de l’ordre judiciaire,dont le rôle demeure encore largementméconnu, sauf par un cercle restreint despécialistes6. D’où l’intérêt de le découvrirou le redécouvrir en identifiant et enexaminant les litiges portés devant celles-ci. Ces litiges peuvent être classés en deuxcatégories : la première, qui constitue uncontentieux traditionnel mais néanmoinscomplexe, recouvre les litiges en paiementou en remboursement ; la seconde, que l’onpeut qualifier d’émergente, concerne leslitiges en indemnisation.

1. les litiges en paiement ou enremboursement : un conten-tieux traditionnel de plus enplus complexe

C’est là que réside, à ce jour, l’essentiel ducontentieux des aides d’État devant lesjuridictions judiciaires. Ce contentieuxoppose les redevables de taxes auxorganismes de recouvrement, ainsi qu’àl’administration fiscale ou douanière. Dansce contentieux, l’analyse à laquelle doit selivrer le juge judiciaire, conformément aux

exigences posées par la jurisprudencecommunautaire, devient de plus en pluscomplexe.

1.1. Les litiges en paiement

Le plus souvent sont en cause descotisations destinées au financement decertains organismes interprofessionnelsagricoles, dont l’activité consiste à adopterdiverses mesures dans le secteur concerné(promotion des produits agricoles,développement de leur qualité, encoura-gement de leur production). Ces cotisationssont rendues obligatoires par arrêtésinterministériels. Les organismes auxquelselles sont destinées, qui sont généralementdes associations et parfois desétablissements publics industriels etcommerciaux, en réclament le paiementauprès d’agriculteurs ou d’entités agricoles.Ces redevables s’y opposent en soulevantdiverses exceptions d’illégalité, tirées dudroit communautaire, notamment del’article 88, paragraphe 3, du traité CE(devenu, depuis l’entrée en vigueur du traitéde Lisbonne, l’article 108, paragraphe 3, dutraité sur le fonctionnement de l’Unioneuropéenne, dit TFUE.

Pour un exemple de ce type de contentieux,dans le secteur vinicole, voir : Cass. Com.,26 janvier 1999, n° 97-11.225 : la Cour decassation contrôle l’analyse des juges dufond sur la qualification d’une aide d’État,en tant qu’aide existante ou en tant qu’aidenouvelle, et sur les conséquences endécoulant quant à la légalité de l’aideconsidérée au regard des exigencesrésultant de l’ancien article 88, para-graphe 3, du traité, consistant, d’une part,à notifier un projet d’aide nouvelle à laCommission et, d’autre part, à surseoir àl’exécution de celui-ci dans l’attente d’unedécision finale de la Commission sur sonéventuelle compatibilité avec le marchécommun.

1.2. Les litiges en remboursement

Dans le prolongement de ces litiges enpaiement, le juge judiciaire connaît denombreux litiges en remboursement desommes déjà payées, destinées à financerdiverses mesures dont la légalité estcontestée, là aussi, au regard des règlesdu traité en matière d’aides d’État.

[Suite du bas de colonne précédent]d’années plus tard, à la demande de la Commission,un bilan a été dressé sur l’état de la pratiquejuridictionnelle en la matière ; il révèle une netteaugmentation du contentieux entre 1999 et 2006puisque l’on est passé de 116 à 357 procéduresdans les 15 anciens États membres. Le rapportcomplémentaire, qui a été diffusé en octobre 2009pour englober les 27 actuels États membres, faitétat de 305 nouvelles affaires entre janvier 2006et la mi-2009, dont la plupart ont été portées devantles juridictions françaises, italiennes et allemandes(ces rapports, intitulés « Études sur l’applicationdes règles en matière d’aides d’État au niveaunational », sont disponibles sur le site Internet de laDG concurrence de la Commission).6 Dans l’ordre judiciaire, le contrôle des aides d’Étatimplique une grande variété de juridictions : nonseulement les juridictions composées de magistratsprofessionnels (comme les tribunaux d’instance,les tribunaux de grande instance, les cours d’appelet, au sommet, la Cour de cassation), mais aussi,les juridictions mixtes (composées de magistratsprofessionnels et non professionnels, comme lestribunaux des affaires de sécurité sociale) et desjuridictions exclusivement composées de magistratsnon professionnels (comme les tribunaux decommerce).

Les litigesopposant lesredevables àl’administrationfiscaleconstituent uncontentieuximportant

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Dossier spécial Aides d’État

Ces litiges peuvent soulever différents typesde questions, telles que, entre autres :

• La qualification, encore une fois, de lataxe en cause, comme étant une aidenouvelle ou existante (voir le contentieuxde la taxe parafiscale de stockage descéréales, qui a donné lieu à plusieursrenvois préjudiciels à la Cour de justiceémanant de différents tribunaux degrande instance7).

• Le caractère suffisant du lien entre lataxe litigieuse et les diverses mesuresd’aide qu’elle finance : cette exigence àlaquelle est désormais subordonnée, envertu de la récente jurisprudencecommunautaire, l’illégalité de la taxe,ouvrant droit à son remboursement,impose au juge d’examiner s’il existe,selon la réglementation nationale, un liend’affectation contraignant entre la taxeet l’aide, en ce sens que le produit de lataxe est nécessairement affecté aufinancement de l’aide, de sorte que ceproduit influence directement l’impor-tance de l’aide et, par conséquent,l’appréciation de la compatibilité de cettedernière avec le marché commun ; lacomplexité de cet examen a conduitdiverses juridictions judiciaires (tribunaldes affaires de sécurité sociale, courd’appel, Cour de cassation) à poser unesérie de questions préjudicielles à la Courde justice à propos de la taxe d’aide aucommerce et à l’artisanat, puis de la taxesur les ventes directes de médicamentsréalisées par les laboratoirespharmaceutiques (entre temps abrogée),dont étaient exonérés les grossistesrépartiteurs, investis de missions deservice public, ce qui invitait les juges àaffiner encore leur analyse au regard dela jurisprudence communautaire Ferringet Altmark8.

• L’office du juge dans l’établissement dela preuve de l’existence d’une aide d’Étatau sens de cette jurisprudencecommunautaire : dans l’arrêt LaboratoireBoiron précité, la Cour de justice, enréponse à une question posée sur cepoint par la Cour de cassation, a préciséque le juge national est tenu d’ordonnerune expertise ou d’enjoindre à une partieou à un tiers la production d’un acte oud’une pièce lorsqu’il constate que ledemandeur est dans l’impossibilité ouen grande difficulté pour rapporter lapreuve qui lui incombe de l’existenced’une aide d’État (dès lors que cettepreuve repose sur des donnéesauxquelles le demandeur n’a pasaccès) ; la Cour de cassation en a tiréles conséquences en cassant troisarrêts qui n’avaient pas ordonnéd’expertise9.

• La répartition des compétences entre laCommission et les juridictionsnationales dans le contrôle des aidesd’État : la Cour de cassation a étéamenée à rappeler, à plusieurs reprises,la jurisprudence communautaireconstante en la matière, et ce à proposde sommes versées au titre de l’octroide mer et du droit additionnel à celui-ci,ce qui l’a conduite à examiner aupréalable (sans se prononcer néanmoinssur la question qui n’était pas soulevéepar le pourvoi mais qui le sera sans doutedevant la cour d’appel de renvoi aprèscassation) si le régime d’octroi de merdécoulant de la loi du 17 juillet 1992,constitue une aide d’État nouvelle, quiaurait du être notifiée, en application del’ancien article 88, paragraphe 3, dutraité, à la Commission, en l’état deprojet, avant d’être mise à exécution, etsi l’éventuelle illégalité de cette mesureest de nature à affecter la légalité de lataxe litigieuse10.

Tous ces litiges, en paiement ou enremboursement de taxes ou decontributions obligatoires, représententencore la grande majorité du contentieux

7 Renvois préjudiciels ayant abouti à : CJCE,19 novembre 1991, Aliments Morvan, aff. C-235/90(Rec. p. I-541) ; et CJCE, 11 juin 1992, Sanders etGuyomarc’h, aff. C-149/91 et C-150/9 (Rec. p. I-3899).8 Sur la première taxe : renvoi préjudiciel par : Cass.Com., 16 novembre 2004 (n° 03-12.565) ; réponsepar : CJCE, 27 octobre 2005, Distribution CasinoFrance e.a., aff. C-266 à C-270, C-276 et C-321à C-325/04 (Rec. p. I-948) ; conséquences par :Cass. Com., 4 juillet 2006 (même numéro) ; sur laseconde taxe : renvoi préjudiciel par : Cass. Com.,14 décembre 2004 (n° 02-31.241) ; réponse par :CJCE, 7 septembre 2006, Laboratoires Boiron,aff. C-526/04 (Rec. p. I-7529) ; conséquences par :Cass. Com., 26 juin 2007 (même numéro).

9 Cass. Civ. 2ème, 14 mars 2007, n° 04-30-053 ; Cass.Com., 26 juin 2007, précité (Laboratoires Boiron) ;Cass. Civ. 2ème, 10 avril 2008, n° 07-13.225.10 Cass. Com., 23 septembre 2008 (n° 06-20.945et 06-20.947) ; Cass. Com., 29 septembre 2009(n° 08-17.995, 08-17.996, 08-17.997, 08-17.998,08-17.999, 08-18.000, 08-18.001 et 08-18.002).

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Dossier spécial Aides d’État

des aides d’État dont le juge judiciaire a àconnaître, même si la possibilité d’exciperde l’illégalité de la mesure d’aide considéréea été sensiblement réduite, depuis unedizaine d’années, par la jurisprudencecommunautaire. En marge de ce conten-tieux, un autre contentieux mérite d’êtresignalé, celui des litiges en indemnisation.Pour l’instant, il demeure très réduit, maisil n’est pas exclu qu’il se développe à l’aveniret que l’on assiste ainsi à une diversificationcroissante du contentieux des aides d’Étatdevant le juge judiciaire.

2. Les litiges en indemnisation :un contentieux émergeant

Ce contentieux peut revêtir deux formesdifférentes : il peut rechercher la responsa-bilité, soit du bénéficiaire d’une aide d’Étatillégale, soit de l’État lui-même, étantprécisé que, lorsque la responsabilité del’État est en cause, le juge judiciaire peut,dans certains cas, être compétent pourconnaître du litige.

2.1. Actions des concurrents contre lesbénéficiaires d’une aide d’Étatillégale

Dans un arrêt du 11 juillet 1996, SFEI, aff.C-39/94 (Rec. p. I-3547), rendu sur renvoipréjudiciel du tribunal de commerce deParis, dans un litige opposant plusieurssociétés d’acheminement du courrierexpress à La Poste et à ses filiales, aprèsque la Poste a consenti à ces dernièresune assistance logistique et commerciale,critiquée comme étant une aide d’État, laCour de justice a indiqué que le traitén’imposait pas d’obligation spécifique aubénéficiaire d’une aide d’État, maisseulement à celui qui la dispense. Elle ena déduit que le droit communautaire n’offrepas de base suffisante pour retenir laresponsabilité de cet opérateur lorsque cedernier n’a pas vérifié si l’aide qu’il a reçuea été dûment notifiée à la Commission.Toutefois, elle a pris le soin de préciser que« si, en vertu du droit national de laresponsabilité extra-contractuelle,l’acceptation par un opérateur économiqued’un soutien illicite de nature à occasionnerun préjudice à d’autres opérateurséconomiques est susceptible, danscertaines circonstances, d’engager sa

responsabilité, le principe de non-discrimination peut conduire le juge nationalà retenir la responsabilité du bénéficiaired’une aide d’État versée en violation del’article 93, paragraphe 3, du traité [devenul’article 88, paragraphe 3, du TCE, puisl’article 108, paragraphe 3, du TFUE] »(point 75 de l’arrêt).

Trois ans plus tard, la Cour de cassation atiré les conséquences de cette jurispru-dence dans une affaire opposant unesociété française, soumissionnaire à unmarché public, à une société italiennel’ayant évincée de ce marché en raison d’uneoffre à moindre prix. Prétendant que cettedifférence de prix n’avait été rendue possibleque grâce à des aides versées par l’Étatitalien à sa concurrente italienne, la sociétéfrançaise l’a assignée en France, devant untribunal de commerce, en concurrencedéloyale, afin d’obtenir l’indemnisation deson préjudice. La Cour de cassation aapprouvé l’arrêt de la cour d’appel quiavait rejeté cette action, en l’absence depreuve du lien de causalité entre l’octroi del’aide publique italienne et l’éviction de lasociété française (Cass. Com., 15 juin1999, n° 97-15.684). Ce faisant, a étéadmis, implicitement mais nécessairement,la possibilité de retenir la responsabilité debénéficiaires d’aides d’État illégales sur lefondement de la concurrence déloyale, quiest soumis au régime de droit commun dela responsabilité civile prévu à l’article 1382du code civil, lequel exige la réunion de troisconditions (une faute, un dommage et unlien de causalité direct eux). Cettejurisprudence, que l’on peut qualifier d’avant-gardiste11, peut être rapprochée de celle quipermet à un opérateur économique derechercher la responsabilité d’un de sesconcurrents, pour concurrence déloyale, dufait de l’emploi par ce dernier d’un de sesanciens salariés, lorsque celui-ci a souscritune clause de non-concurrence au bénéficede son ancien employeur : la responsabilité

11 Il ressort du rapport de 2006 sur l’application desrègles en matière d’aides d’État au niveau national,précité, que cette jurisprudence demeure isolée :si la Cour suprême autrichienne s’est prononcéedans le même sens quelques années plus tard,en 2002 et 2004, la situation dans les autres Étatsmembres (au nombre de 13 dans ce rapport) restelargement incertaine et même, dans certainesaffaires, comme en Allemagne et au Royaume-Uni,plutôt défavorable à l’admission de ce type derecours en responsabilité contre le bénéficiaired’une aide d’État illégale.

Le « bénéfi-ciaire » d’uneaide d’État n’aaucuneobligationspécifique

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 201022

Dossier spécial Aides d’État

du nouvel employeur est encourue, pourtierce complicité de la violation par le salariéde cette clause de non-concurrence, dèslors que ce nouvel employeur a euconnaissance de cette clause ou qu’il anégligé de vérifier l’existence d’un telengagement.

Même si, en pratique, l’action enindemnisation des concurrents contre lesbénéficiaires d’une aide d’État illégales’avère difficile à mettre en œuvre, il n’endemeure pas moins que leur situation restepeu confortable puisque, non seulement, envertu de la jurisprudence communautaire,une aide illégale doit, en principe, êtrerécupérée auprès d’eux, et ils doivent enoutre être condamnés au paiement desintérêts au titre de la période d’illégalité12,mais, en plus, en vertu de la jurisprudenceadministrative, le fait d’accepter le bénéficed’une aide publique, sans s’assurer aupréalable de sa légalité, constitue une faute,de nature à exonérer partiellement laresponsabilité de l’État qui l’a illégalementoctroyée, ce qui a pour effet de limiter lemontant de l’indemnisation par l’État deceux qui en ont bénéficié avant de devoir larestituer avec intérêts13.

2.2. Actions des concurrents ou desbénéficiaires contre l’État

Le plus souvent, les concurrents desbénéficiaires d’aides publiques illégalespeuvent préférer agir en indemnisationcontre l’État dispensateur de l’aide plutôtqu’à l’encontre des bénéficiaires eux-mêmes. Comme on vient de le voir, cesderniers peuvent également agir enindemnisation contre l’État dispensateur,avec le risque de se heurter, en vertu dudroit national, à une exonération partielle

de la responsabilité de celui-ci. Le jugeadministratif étant le juge « naturel » de laresponsabilité de l’État, le juge judiciairen’a pas vocation à connaître de ces typesde litiges, que ces derniers mettent encause la responsabilité de l’État du fait dulégislateur ou du fait de l’administration.

En revanche, le juge judiciaire seraitvraisemblablement compétent pour statuerdans l’hypothèse où la responsabilité del’État serait recherchée par un opérateur dufait de la méconnaissance manifeste dudroit communautaire des aides d’État parune juridiction judiciaire, comme la Cour decassation, dont les décisions ne sont passusceptibles de recours internes. Cette voiede droit a été ouverte par la Cour de justicedans l’arrêt du 30 septembre 2003, Köbler,C-224/01 (Rec. p. I-10239) et a été déve-loppée en matière d’aides d’État dans l’arrêtdu 13 juin 2006, Traghetti del Mediterraneo,C-173/03 (Rec. p. I-5177).

À ce jour, ce cas de figure demeure un casd’école. Nous espérons qu’il le restera.

L’ensemble de ces litiges en indemnisationillustrent bien à quel point les juridictionsadministratives et judiciaires se complètentet s’enrichissement mutuellement par unjeu d’interactions et d’avancées successivesqui contribue à assurer l’effectivité etl’efficacité du contrôle des aides d’État. Lerôle des juridictions judiciaires n’est pas desmoindres dans ce domaine. À suivrede près…

Agnès Maîtrepierre, Conseillerréférendaire à la chambre commer-ciale de la Cour de cassation14

12 L’obligation pour le juge national d’ordonner larécupération d’une aide illégale n’est écartée qu’encas de circonstances exceptionnelles (CJCE, SFEI,précité) ou lorsque, au moment où le juge nationalstatue, la Commission a déclaré cette aidecompatible avec le marché commun, mais ce dernierreste néanmoins tenu de condamner le bénéficiairede l’aide au paiement des intérêts au titre de lapériode d’illégalité (CJCE, 12 février 2008, CELF,aff. C-1999/06, Rec. p. I-469).13 À propos des aides dites Borotra : TA Clermont-Ferrand, 23 septembre 2004, société Fontanille(AJDA 2005, p. 385) ; CAA Paris, 23 janvier 2006,société Groupe Salmon Arc en Ciel (AJDA 2006,p. 766).

14 Cet article synthétise et actualise une allocutiondonnée le 14 mars 2008 dans le cadre desEntretiens du Palais Royal sur le thème des aidesd’État : A. Maîtrepierre, « Le rôle du juge judiciaireet de la Cour de cassation en matière d’aidesd’État », Rev. Concurrences, n° 3-2008, suppl.électronique.

Les concurrentsdes bénéficiairesd’aides peuventagir contre l’État

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 2010 23

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Dans l’affaire France Télécom, la procédureadministrative a été initiée en 2001 par uneplainte de l’association des collectivitésterritoriales pour le retour de la taxeprofessionnelle de France Télécom et de laPoste dans le droit commun.

À la suite de cette plainte, la Commissiona ouvert, le 30 janvier 2003, la procédureformelle d’examen à l’égard de l’exonérationfiscale dont France Télécom (FT) abénéficié entre 1991 et 1993 et du régimeparticulier d’imposition applicable à cetteentreprise à partir de 1994. Par une décision2005/709/CE du 2 août 2004, la Com-mission a considéré que FT avait bénéficiéd’une aide d’État illégale entre le 1er janvier1994 et le 31 décembre 2002. En effet,bénéficiant d’un régime particulierd’imposition, cette société a payé pendantcette période un montant de taxeprofessionnelle inférieur à celui qu’elle auraitdû payer en application du régime de droitcommun. La Commission a estimé que lemontant concerné se situait dans unefourchette entre 798 et 1.140 millionsd’euros en capital auquel s’ajoutent lesintérêts1. Le montant exact de l’aide àrécupérer défini par la Commission encollaboration avec les autorités françaisesa été fixé à 928 millions d’euros, horsintérêts.

Les autorités françaises et FT ont saisi leTribunal de deux recours en annulationcontre la décision du 2 août 2004 de laCommission.

Le 18 octobre 2007, la France a étécondamnée en manquement par un arrêtde la CJCE, sur une saisine de laCommission, du fait de l’absenced’exécution, dans le délai imparti, de ladécision 2005/709/CE du 2 août 2004.

Le 23 novembre 2007, FT et la BNPP ontconclu une convention concernant la misesous séquestre d’un montant de757,2 millions d’euros. Cette somme devaitêtre transférée à l’État français dansl’hypothèse où le recours contre la décisionde la Commission serait rejeté par leTribunal. La Commission a donné sonaccord de principe à la mise en place d’untel compte mais a souhaité que le montantdes sommes placées soit augmenté afinde correspondre au montant brut de928 millions d’euros, plus intérêts et aprèscorrection faite de l’impôt sur les sociétés.

Dans l’affaire Électricité de France (EDF),la loi n° 97-1026 du 10 novembre 1997,portant mesures urgentes à caractère fiscalet financier, est à l’origine du litige portépar EDF devant le Tribunal. Adoptée enprévision de la libéralisation du marché del’électricité, cette loi avait notamment pourbut d’augmenter le montant des capitauxpropres d’EDF. Son article 4 a, parconséquent, prévu que les ouvrages duréseau électrique d’alimentation générale(RAG), la concession de transportd’électricité accordée par l’État à EDF,étaient réputés constituer la propriété d’EDFdepuis l’origine de la concession. Jusquelà, l’application du principe des biens deretour conduisait à considérer ces ouvragescomme des dettes2. La contre-valeur desdroits de l’État concédant a été inscrite endotation au capital, sans faire l’objet de laconstatation d’un produit imposable, pourun montant de 14,119 milliards de francs.

Par une décision rendue le 16 décembre2003, la Commission européenne aconsidéré que « le non paiement par EDF,

Éclairage sur deux arrêts récents, renduspar le Tribunal de l’Union européenne

en matière d’aides d’ÉtatPar Anne Le Roux et Marie Blocteur

Par deux décisions du 30 novembre 2009, France Telecom, et du 15 décembre2009, EDF, le Tribunal de l’Union européenne a clarifié les liens entre exonérationfiscale et aide d’État.

1 Dus à partir de la date à laquelle les aides encause ont été mises à la disposition du bénéficiairejusqu’à la date de leur récupération.

2 Bien que la concession ne précisait pas le régimede propriété des biens du réseau et ne comportaitpas de clause de rétrocession à l’État de ces biens,des provisions pour le renouvellement desimmobilisations concédées ont été ajoutées au biland’EDF à partir de 1987 afin que l’entreprise puisseremettre les biens en bon état au terme de laconcession.

CJUE30 novembre2009, FranceTélécom, T-427/04et T-17/05 ; CJUE,15 décembre2009, EDF,T-156/04

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 201024

Dossier spécial Aides d’État

en 1997, de l’impôt sur les sociétés sur lapartie des provisions créées en franchised’impôt pour le renouvellement du RAGcorrespondant aux 14,119 milliards defrancs de droits du concédant reclassés endotation en capital constitue une aide d’Étatincompatible avec le marché commun ».Elle a alors enjoint à l’État de récupérerauprès d’EDF l’aide au principal, assortiedes intérêts de retard. EDF a remboursé lasomme de 1.223.650.000 euros que lui aréclamé l’État et a formé un recours devantle Tribunal.

Le Tribunal a rendu son arrêt, dans l’affaireFrance Télécom, le 30 novembre 2009 et,dans celle d’EDF, le 15 décembre 20093.Ces deux décisions apportent desprécisions sur la notion d’aide à caractèrefiscal accordée à des entreprises publiques.

1. L’affaire France Télécom : lerégime particulier de taxeprofessionnelle dont a bénéficiéFT de 1994 à 2002 constitue uneaide d’État

Le 30 novembre 2009, le Tribunal a rejetéles deux recours en annulation des autoritésfrançaises et de FT et a confirmé la décisionde la Commission ordonnant la récupérationdes aides d’État versées en faveur de FTentre 1994 et 2002.

1.1. Le Tribunal examine d’abord laquestion de l’existence de l’aide

* Les requérantes la remettaient en causepour plusieurs motifs :

• l’absence de sélectivité du régimeparticulier d’imposition dont avaitbénéficié FT depuis 1994, celui-ci étantjustifié par l’économie générale dusystème fiscal ;

• le caractère global du régime fiscalspécifique à FT institué par la loi n°90-5684 pour l’ensemble de la période1991-2002, qui ne traduisait pas lavolonté des pouvoirs publics d’octroyerun avantage particulier à FT ;

• la nécessité d’opérer une compensationentre l’excédent d’imposition auquel FTa été soumise de 1991 à 1993 et l’écartd’imposition dont elle a bénéficiéde 1994 à 2002.

* Le Tribunal confirme l’analyse de laCommission selon laquelle l’avantage aubénéfice de FT reposait sur la différenceentre la taxe professionnelle effectivementpayée par FT et celle qu’elle aurait dû payeren vertu du droit commun, du 1er janvier 1994au 1er janvier 2003.

Cet avantage ne pouvait être constaté unefois pour toutes à un moment précis, maisdevait l’être chaque année au titre de laquellela taxe professionnelle était due par FT. Eneffet, les règles applicables à FT entre 1991et 1993 étaient différentes de celles envigueur entre 1994 et 2002. Durant lapremière période, le prélèvement forfaitaires’est entièrement substitué à tous lesimpôts (dont la cotisation de taxeprofessionnelle) dus annuellement par FTà l’État. En revanche, l’assujettissement deFT au régime particulier d’imposition, durantla seconde période, a entraîné chaqueannée un écart d’imposition en matière detaxe professionnelle au bénéfice del’entreprise.

Par conséquent, selon le Tribunal, laCommission ne pouvait pas procéder à uneanalyse globale et a priori de l’ensemble desdispositions pertinentes de la loi n° 90-568en vigueur de 1991 à 2002, mais a raisonnéannée par année, à juste titre. Elle pouvait,sans méconnaître son obligation de procéderà un examen global des mesuressusceptibles d’instituer des aides d’État,distinguer le régime particulier d’impositionde celui du prélèvement forfaitaire.

* De plus, selon le Tribunal, la seulecirconstance qu’une mesure déterminéed’exonération soit compensée, du point devue du bénéficiaire, par l’aggravation d’unecharge spécifique distincte et sans rapportavec la première ne fait pas échapper lapremière à la qualification d’aide d’État.

Il constate que l’allègement de chargesentraîné par l’application à FT du régimeparticulier d’imposition5 entre 1994 et 2002,

3 Respectivement T-427/04, T-17/05 et T-156/04.4 Du 2 juillet 1990 relative à l’organisation du servicepublic de la poste et des télécommunications.

5 Ce régime a assujetti France Télécom à descotisations de taxes professionnelles inférieures àcelles du droit commun.

EDF a rembourséla somme de1,224 milliardsd’euros et aformé un recoursdevant le TUE

Le TUE aconfirmé larécupération desaides d’Étataccordées àFrance Télécom

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 2010 25

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ne pouvait être compensé par l’impositiond’une charge spécifique différente, telle quele prélèvement forfaitaire, versement sesubstituant à d’autres impôts que la taxeprofessionnelle de 1991 à 1993. En outre, lefait que le prélèvement forfaitaire et le régimeparticulier d’imposition aient été tous les deuxinstitués par la loi n° 90-568 ne permettaitpas d’établir que l’assujettissement de FTau prélèvement forfaitaire était inhérent àl’instauration du régime particulierd’imposition.

La Commission a donc refusé, à juste titre,d’opérer une compensation entre lesmontants du prélèvement forfaitaire acquittépar FT de 1991 à 1993 et les écartsd’imposition résultant, le cas échéant, durégime particulier d’imposition, pour lesannées 1994 à 2002.

* Enfin, selon le Tribunal, le caractèresélectif de l’aide en cause ne fait pas dedoute puisque le régime particulierd’imposition était applicable à FT et à uneseule autre entreprise. Il conclut qu’aucundes arguments avancés par FT n’a permisde démontrer que le régime fiscaldérogatoire lui ayant conféré un avantageétait justifié par la nature et l’économiegénérale du système.

1.2. Le Tribunal écarte les différentsarguments des requérantes, relatifsà l’impossibilité de se soumettre àl’injonction de récupération del’aide formulée par la Commissiondans sa décision du 2 août 2004

* Les requérantes contestaient cetteobligation à plusieurs titres :

• le principe de la confiance légitime pourcirconstances exceptionnelles selonlequel elles pouvaient légitimementpenser que le régime particulierd’imposition applicable à FT neconstituait pas un avantage pouvant êtrequalifié d’aide d’État ;

• l ’absence de précision par laCommission des paramètres néces-saires au calcul du montant de l’aide àrécupérer, en violation du principe desécurité juridique ;

• l’application du délai de prescription dedix ans, à partir du mois de juin 2001,date à laquelle la Commission a envoyéune première demande d’informations àl’État français.

* Le Tribunal rappelle que le bénéficiairede l’aide peut invoquer la protection de laconfiance légitime, à condition de disposerd’assurances suffisamment précises,découlant d’une action positive de laCommission lui permettant d’estimer qu’unemesure ne constitue pas une aide d’Étatau sens de l’article 87 § 1 du TCE6. Enoutre, un État membre dont les autoritésont accordé une aide d’État en violation del’obligation de notification ne saurait invoquerla confiance légitime des bénéficiaires del’aide, pour se soustraire à l’obligation deprendre les mesures nécessaires àl’exécution d’une décision de laCommission ordonnant la récupération del’aide.

Le Tribunal relève que l’aide n’a pas éténotifiée mais qu’elle a été examinée par laCommission à la suite d’une plainte. Enconséquence, sauf à démontrer l’existencede circonstances exceptionnelles ayant pufonder la confiance légitime de FT dans lecaractère régulier de l’aide en cause (cequi n’a pas été fait en l’espèce), lesrequérantes ne pouvaient se prévaloir duprincipe de protection de la confiancelégitime du bénéficiaire de l’aide pour faireéchec à la décision de récupération.

* De plus, la Commission n’est pas tenued’indiquer dans la décision ordonnant larécupération d’une aide illégale, le montantprécis de l’aide à restituer. Il suffit que lecalcul du montant de l’aide à récupérerpuisse être effectué, au vu des indicationsfigurant dans la décision, sans difficultéexcessive. Ceci était bien le cas enl’espèce.

* Enfin, le Tribunal confirme que le délai deprescription court à compter de la date àlaquelle l’aide, dont la récupération estordonnée par la Commission, a été octroyée.Lorsque l’octroi de l’aide dépend de l’adoptiond’actes juridiques contraignants, il s’agit dela date d’adoption de ces actes.

Selon la Commission, l’aide en cause étaitconstituée par l’écart d’imposition entre lemontant des cotisations de taxeprofessionnelle que l’entreprise aurait dûacquitter si elle avait été soumise à l’impôtde droit commun et celui qui a étéeffectivement mis à sa charge en vertu des

6 Cet article est devenu l’article 107 § 1 du TFUE.

Le régime fiscaldont a bénéficiéFrance Télécomn’était pas justifiépar l’économiegénérale dusystème

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 201026

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dispositions fiscales particulières auxquelleselle était assujettie. Cet écart d’impositiondevait être vérifié chaque année, en fonctiondu niveau des taux d’imposition votésannuellement par les collectivités locales surle territoire desquelles FT possédait desétablissements.

Pour cette raison, l’aide en cause ne pouvaitêtre considérée comme ayant étéaccordée, au sens de l’article 15, alinéa 2du règlement 659/1999, avant l’année 1994,date d’adoption des actes juridiquescontraignants, permettant de constater, pourla première fois un écart d’imposition. Ledélai de prescription n’avait donc pas expiréle 28 juin 2001, date à laquelle laCommission a adressé à la France unepremière demande d’information. Ce délaia recommencé à courir à cette même dateet n’avait pas expiré le 2 août 2004, dated’adoption de la décision attaquée.

2. L’affaire EDF : la notion del’investisseur privé peut s’appli-quer, lorsque l’État accorde uneexonération fiscale à uneentreprise

La période à laquelle s’est déroulée laprocédure ayant conduit à la décisioncontestée a été marquée par l’ouvertureprogressive à la concurrence, en Europe,du secteur de l’électricité. En 1997, EDFétait une entreprise publique détenueentièrement par l’État. Elle est devenue,en 2004, une société anonyme dont l’Étatdoit détenir au moins 70 % du capital etdes droits de vote. Au cours de cettepériode, EDF a investi dans de nombreusessociétés étrangères. C’est dans ce contextequ’est intervenue la décision de laCommission. Cette dernière n’a, en effet,pas caché que « les aides examinées ontcontribué de facto à financer l’expansionagressive d’EDF par l’acquisition de partsà l’étranger. Un tel usage de ces fondssemble sortir du cadre de ce que l’on peutconsidérer comme une mission de servicepublic admissible7 ».

Le Tribunal a, au terme d’une procédureinitiée par le recours d’EDF contre ladécision de la Commission, annulé cette

dernière dans son arrêt du 15 décembre2009. Il a considéré que la Commission avaitcommis une erreur de droit, en n’examinantpas le critère de l’investisseur privé. C’estlà le principal intérêt de l’arrêt qui, sur lesautres points, réitère une jurisprudenceclassique8.

2.1. Le Tribunal procède à une nouvelleinterprétation du critère del’investisseur avisé

L’arrêt apporte des précisions nouvelles surla notion de l’« investisseur privé ». Cettenotion revêt, en France, une importanceparticulière en raison des nombreusesparticipations détenues par l’État dansl’économie9. En droit de l’Union européenne,l’intervention des pouvoirs dans le capitald’une entreprise, sous quelque forme quece soit, peut, en effet, constituer une aided’État lorsque les conditions de l’article 107sont remplies10. Le critère de l’investisseurprivé conduit à vérifier si, placé dans unesituation analogue, un investisseur privéaurait agi de la même façon que l’actionnaireintervenant au profit de l’entreprise. Si telest le cas, la qualification d’aide est écartée.

En l’espèce, la Commission soutenait quele critère de l’investisseur avisé n’était pasapplicable. Elle disposait pour celad’arguments solides, notamment le faitqu’un investisseur privé ne dispose pas deprérogatives fiscales. Par conséquent,l’usage de son pouvoir fiscal par l’Étatexcluait, selon elle, l’applicabilité du critèrede l’opérateur privé. À ses yeux, l’Étatn’avait pas agi en tant qu’actionnaire, maisen tant que pouvoir de régulation. Le

7 Paragraphe 79 de la décision d’ouverture de laprocédure.

8 Notamment sur la question de la violation des droitsde la défense (pts 78 et s.) et sur celle del’affectation des échanges entre États membres(pts 134 et s.). Le principe du respect des droitsde la défense n’est, en effet, pas applicable àl’entreprise concernée dans une procédure enmatière d’aide d’État, ouverte seulement à l’encontrede ce dernier. Par ailleurs, la Commission n’a pas àdémontrer l’incidence réelle d’une affectation, parl’aide, sur les échanges intra-communautaires.9 Ministère de l’économie et ministère du budget,« Vade-mecum des aides d’État », la Documentationfrançaise, 2009, p. 27.10 Aux termes de cet article une mesure est qualifiéed’aide d’État si l’avantage qu’elle procure est sélectif,affecte la concurrence et les échanges entre lesÉtats-membres et est octroyé par l’État au moyende ses ressources.

L’arrêt T-156/04apporte desprécisionsnouvelles sur lanotiond’« investisseurprivé »

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 2010 27

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Tribunal lui-même admet, dans l’arrêt, quelorsque les autorités publiques accordentune exonération fiscale, elles utilisent leursprérogatives de puissance publique11. Deplus, la Commission faisait valoir que si untel opérateur avait voulu procéder au mêmeinvestissement, il aurait dû préalablements’acquitter de ses obligations fiscales, cequi aurait alourdi le coût de l’opération.

La question de savoir si le critère del’investisseur privé pouvait être appliquélorsque l’État a utilisé ses compétencesfiscales pour recapitaliser une entreprise nes’était encore jamais posée devant leTribunal ou la Cour. Les arguments de laCommission semblaient donc pouvoirprospérer. Le Tribunal rejette cependant sonapproche au profit d’une analyse beaucoupmoins formelle.

En effet, le Tribunal consacre plusieursdéveloppements à une interprétationgénérale du critère en cause. Le point dedépart de son raisonnement repose sur ladistinction, classique, entre les cas oùl’intervention de l’État présente un caractèreéconomique et ceux où son interventionrelève des actes de puissance publique.Selon une jurisprudence constante, lecritère de l’investisseur avisé ne s’appliqueque dans la première hypothèse12. Ce n’estqu’ensuite que le Tribunal introduit unraisonnement nouveau, mais qui transpose,en réalité, une approche de la jurisprudencecommunautaire développée dans d’autresdomaines13. Pour déterminer si les mesuresd’intervention prises par un État sont denature économique, il précise, en effet,qu’« il importe d’apprécier ces mesures, nonen fonction de leur forme, mais bien enfonction de leur nature, de leur objet et desrègles auxquelles elles sont soumises touten tenant compte de l’objectif poursuivi parles mesures en cause14 ». Ce rejet d’uneapproche formelle de l’intervention étatiques’accompagne, ensuite, d’un constat

pratique qui contredit la position de laCommission : selon le Tribunal, l’accès parl’État à des ressources financièresdécoulant de l’exercice de la puissancepublique ne suffit pas pour affirmer que sesagissements relèvent de ses prérogativesde puissance publique. S’il est démontré,ensuite, que l’intervention de l’Étatconstitue un investissement comparable àcelui que réaliserait un investisseur privé,alors celle-ci ne peut pas constituerune aide.

2.2. Le Tribunal se penche, ensuite, surle cas d’espèce.

Après avoir énoncé que le caractèrelégislatif de l’intervention de l’État ne suffitpas à écarter son caractère économique,le Tribunal rappelle que l’article 4 de la loin° 97-1026 à l’origine du litige n’est pas unedisposition fiscale, mais une dispositioncomptable ayant une incidence fiscale. Ilen découle que la Commission ne pouvaitrefuser d’examiner la mesure à l’aune ducritère de l’investisseur avisé, au motif quela créance de l’État sur EDF était de naturefiscale et que son intervention avait pris laforme d’une loi. Une telle analyse se justifienotamment, selon le Tribunal, parce qu’uneaugmentation de capital peut résulter del’incorporation d’une créance détenue parun actionnaire privé à l’égard de l’entreprise.Peu importe le fait qu’un investisseur privéne puisse pas disposer d’une créancefiscale sur une entreprise. Le Tribunalécarte également l’analyse, par laCommission, de la mesure comme un« cadeau fiscal ».

Le Tribunal rejette aussi l’appréciationfiscale portée par la Commission dansl’affaire, notamment lorsqu’elle faisait valoirqu’un investissement privé aurait étépréalablement soumis à imposition et auraitdonc eu un coût plus élevé. Même s’il avaitété plus important, il aurait fallu vérifier qu’unopérateur privé n’aurait pas supporté un telsurcoût pour recapitaliser l’entreprise.

Enfin, le Tribunal condamne fermement laposition de la Commission dans l’affaire,dans un point qui mérite d’être presqueintégralement cité : « admettre l’applicationdu critère de l’investisseur privé pourraitconduire à valider toute forme d’exonérationfiscale opérée par les États membres, car

11 Pt 225.12 Voir par exemple : CJCE, 14 septembre 1994,Espagne c/ Commission, C-278/92 et C-280/92, Recp. I-4103, pt 22.13 Voir, par exemple, son approche des actessusceptibles de faire l’objet d’un recours enannulation. La Cour considère qu’il ne faut pas seréférer à la forme de l’acte, mais à sa véritablenature. CJCE, 30 juin 1993, Parlement c/ Conseil,aff. C-181/91, Rec. p. I-3685, pts 13-14.14 Pt 229 de l’arrêt.

Le critère de« l’investisseurprivé » s’appliquelorsque l’État autilisé sescompétencesfiscales pourrecapitaliser uneentreprise

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 201028

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elles satisferaient toujours à ce critère. Enpremier lieu, il y a lieu de rappeler que l’onn’est pas en présence d’une simpleexonération fiscale accordée à uneentreprise, mais bien de la renonciation àune créance fiscale dans le cadre d’uneaugmentation de capital d’une entreprisedont l’État est seul actionnaire. En deuxièmelieu, l’on ne saurait préjuger du résultat del’application de ce critère, à défaut de quoiil serait inutile ou inapproprié. En troisièmelieu, en tout état de cause, il ne saurait êtreexclu que, en l’espèce, l’application ducritère de l’investisseur privé puisseconduire à considérer que l’intervention del’État ne correspondait pas au compor-tement qu’aurait pu avoir un investisseurprivé. L’argumentation de la Commission estdès lors dépourvue de pertinence ».

Le Tribunal annule, par conséquent, ladécision de la Commission.

3. Les suites de ces deux arrêts

Ces arrêts ont eu de très importantesconséquences financières pour le budgetde l’État. Conformément aux dispositionsde la convention de mise sous séquestre,la somme de 1.017.113.696 euros, enprovenance du compte séquestre ouvert àla BNPP par FT, a été reversée au budgetde l’État. L’annulation de la décision de laCommission dans l’affaire EDF a, en droitfrançais, privé de base légale le titre deperception sur lequel les autoritésfrançaises s’étaient fondées pour récupérerl’aide, se conformant à leurs obligationscommunautaires. EDF a demandé à l’Étatle remboursement de la somme qu’elle avaitdû verser à l’État en 2004 en application dutitre. L’État a fait droit à cette demande, eta reversé à EDF la somme de 1.224 millionsd’euros le 30 décembre 2009.

Les procédures administrative etcontentieuse dans ces deux affaires ne sontcependant pas closes, et les recours formésdevant les juridictions de l’Union n’ont pasd’effet suspensif15. D’une part, FT a forméun pourvoi devant la Cour de justice. Celle-ci pourrait annuler l’arrêt du Tribunalconfirmant la décision de la Commission.Si la décision de la Commission estannulée, l’État devra alors reverser à FT le

montant du compte séquestre, augmentédes éventuels intérêts. D’autre part, laCommission a formé un pourvoi devant laCour de justice contre l’arrêt du Tribunaldans l’affaire EDF. Même dans l’hypothèseoù son recours serait rejeté, elle pourraitconclure, lors du réexamen de l’affaire quel’État français a bien accordé une aide,après avoir appliqué le critère del’investisseur avisé. Dans ce cas, lesautorités françaises devraient ordonner larécupération de l’aide auprès d’EDF, ce quipourrait conduire à un nouveau contentieuxdevant les juridictions communautaires.

Ces affaires ont soulevé la question de lanature de la créance détenue par l’État surles entreprises auxquelles il accorde uneaide fiscale qui fait l’objet d’une décisionde récupération de la Commission. Cettequestion a en effet une incidence sur lesrègles applicables à la récupération et aupoint de départ du calcul des intérêts. LeGouvernement a saisi le Conseil d’Étatd’une demande d’avis. Dans son avis, rendule 16 février 2010, ce dernier a considéréque ni la créance de l’État sur EDF,résultant de la décision de la Commission,ni la créance d’EDF sur l’État, résultant del’arrêt du Tribunal annulant la décision dela Commission, n’avaient de caractèrefiscal. Par conséquent, les règles de calculdes intérêts de la somme due par l’État àEDF sont celles prévues par l’article 1153du code civil, et non celles du livre desprocédures fiscales. Les intérêts dus parl’État à EDF doivent donc être calculés àcompter de la date de réception, par l’État,de la demande de remboursement d’EDF,et non à compter du versement de lasomme qui doit être remboursée.

Anne Le Roux et Marie Blocteur(Direction des affaires juridiques)

15 Art. 278 TFUE.

De trèsimportantesconséquencesfinancières pourle budget del’État

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 2010 29

Dossier spécial Aides d’État

TRIBUNAL

Arrêt du Tribunal de première instance du 30 novembre 2009 – France et France Télécom c/ Commission

(Affaires jointes T-427/04 et T-17/05)

(« Aides d’État – Régime d’imposition de France Télécom à la taxe professionnelle au titre des années 1994à 2002 – Décision déclarant l’aide incompatible avec le marché commun et ordonnant sa récupération –Avantage – Prescription – Confiance légitime – Sécurité juridique – Violation des formes substantielles –Collégialité – Droits de la défense et droits procéduraux des tiers intéressés »)

(2010/C 24/79)

Langue de procédure : le français

Parties

Parties requérantes :

République française (représentants : initialement G. de Bergues, R. Abraham et S. Ramet, puis G. de Bergues,S. Ramet et E. Belliard, et enfin G. de Bergues, E. Belliard et A.-L. Vendrolini, agents) ; et France Télécom SA(Paris, France) (représentants : initialement A. Gosset-Grainville et L. Godfroid, puis L. Godfroid, S. Hautbourget M. van der Woude, avocats)

Partie défenderesse :

Commission des Communautés européennes (représentants : C. Giolito et J. Buendía Sierra, agents)

Objet

Demande d’annulation de la décision 2005/709/CE de la Commission, du 2 août 2004, concernant l’aide d’Étatmise à exécution par la France en faveur de France Télécom (JO 2005, L 269, p. 30).

Dispositif

1) Les recours sont rejetés.

2) La République française et France Télécom SA sont condamnées aux dépens.

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 201030

Dossier spécial Aides d’État

TRIBUNAL

Arrêt du Tribunal du 15 décembre 2009 – EDF c/ Commission

(Affaire T-156/04)

(« Aides d’État – Aides accordées par les autorités françaises à EDF – Décision déclarant l’aide incompatibleavec le marché commun et ordonnant sa récupération – Droits procéduraux du bénéficiaire de l’aide –Affectation des échanges entre États membres – Critère de l’investisseur privé »)

(2010/C 37/41)

Langue de procédure : le français

Parties

Partie requérante :

Électricité de France (EDF) (Paris, France) (représentant : M. Debroux, avocat)

Partie défenderesse :

Commission européenne (représentants : J. Buendía Sierra et C. Giolito, agents)

Partie intervenante au soutien de la partie requérante :

République française (représentants : G. de Bergues et A.-L. Vendrolini, agents)

Partie intervenante au soutien de la partie défenderesse :

Iberdrola SA (Bilbao, Espagne) (représentants : J. Ruiz Calzado et É. Barbier de La Serre, avocats) FR C 37/32Journal officiel de l’Union européenne 13.2.2010

Objet

Demande tendant à l’annulation des articles 3 et 4 de la décision de la Commission relative à des mesures d’aideen faveur d’EDF et du secteur des industries électriques et gazières (C 68/2002, N 504/2003 et C 25/2003),adoptée le 16 décembre 2003.

Dispositif

1) Les articles 3 et 4 de la décision de la Commission relative à des mesures d’aide en faveur d’EDF et dusecteur des industries électriques et gazières (C 68/2002, N 504/2003 et C 25/2003), adoptée le 16 décembre2003, sont annulés.

2) La Commission européenne supportera ses propres dépens ainsi que ceux d’Électricité de France (EDF).

3) La République française supportera ses propres dépens.

4) Iberdrola SA supportera ses propres dépens.

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Propriété intellectuelle

1. La responsabilisation desinternautes

1.1. Par l’ajout d’une obligation desurveillance de l’usage licite del’accès à Internet

L’article 11 de la loi Hadopi 11 introduit uneobligation de surveillance à la charge del’internaute par l’ajout dans le code de lapropriété intellectuelle (CPI) d’unarticle L. 336-3 selon lequel : « la personnetitulaire de l’accès à des services decommunication au public a l’obligation deveiller à ce que cet accès ne fasse pasl’objet d’une utilisation à des fins dereproduction, de représentation, de mise àdisposition ou de communication au publicd’œuvres ou d’objets protégés par un droitd’auteur ou par un droit voisin sansl’autorisation des titulaires des droits prévusaux livres I et II lorsqu’elle est requise ».

Cette obligation ne peut avoir pourconséquence d’entraîner la responsabilitépénale de l’internaute, à l’exception du casde la « négligence caractérisée »,mentionnée par le nouvel article L. 335-7-1du CPI.

En cas de « négligence caractérisée », unepeine complémentaire de suspension del’abonnement à Internet peut être prononcée.

1.2. Par la création d’une peinecomplémentaire de suspension del’abonnement à Internet, plusadaptée à la situation des inter-nautes que la sanction pénale

1.2.1. Une peine complémentaire desuspension de l’abonnement àInternet

Les lois Hadopi instaurent une peinecomplémentaire à l’encontre de l’abonné,pour les actes susceptibles de constituer unmanquement à l’obligation de surveillance de

l’usage licite de son accès à Internet. Cettepeine complémentaire consiste en unesuspension de l’accès à un « service decommunication au public en ligne », assortiede l’interdiction pour l’abonné de souscrire,pendant la même période, un contrat portantsur un service de même nature, auprès detout opérateur. La suspension n’entraîne paspour autant la résiliation de l’abonnement etl’abonné qui souhaiterait le résilier doit ensupporter les frais de résiliation.

Cette peine complémentaire a pour objectifde constituer une sanction, plus adaptéeque la sanction pénale, à la situation desinternautes qui téléchargent des œuvresillégalement. En effet, les sanctions pénalesparaissent disproportionnées au regard dela situation d’internautes qui ne sont pas,dans la majorité des cas, à proprementparler des délinquants. La conséquence enest qu’actuellement des sanctions pénalessont rarement prononcées et toujours dansle but de constituer un exemple.

1.2.2. Une peine complémentaireapplicable aux délits de contre-façon

Le nouvel article L. 335-7 du CPI prévoitd’assortir d’une peine complémentaire desuspension de l’abonnement à Internet lessanctions associées aux délits decontrefaçon définis aux articles L. 335-22,

Les lois Hadopi : instrument juridique efficace de luttecontre la contrefaçon des œuvres sur Internet ?

Par Emmanuelle Grimault

La loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet, dite« Hadopi 1 », et la loi relative à la protection pénale de la propriété littéraire etartistique sur Internet, dite « Hadopi 2 », tentent d’empêcher la contrefaçon desœuvres sur Internet, notamment par le biais du téléchargement illégal.

1 Loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 favorisant ladiffusion et la protection de la création sur Internet.

2 Article L. 335-2 du CPI : « Toute édition d’écrits,de composition musicale, de dessin, de peintureou de toute autre production, imprimée ou gravéeen entier ou en partie, au mépris des lois etrèglements relatifs à la propriété des auteurs, estune contrefaçon et toute contrefaçon est un délit.La contrefaçon en France d’ouvrages publiés enFrance ou à l’étranger est punie de trois ansd’emprisonnement et de 300.000 euros d’amende.Seront punis des mêmes peines le débit,l ’exportation et l ’ importation des ouvragescontrefaisants.Lorsque les délits prévus par le présent article ontété commis en bande organisée, les peines sontportées à cinq ans d’emprisonnement et à500.000 euros d’amende. »

L’internaute estresponsabilisépar uneobligation desurveillance deson accès àInternet

La suspension del’abonnement àInternet est plusadaptée que lasanction pénale

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Propriété intellectuelle

L. 335-33 et L. 335-44 du CPI commis parla voie d’un service de communication aupublic en ligne.

1.2.3. Une peine complémentaireapplicable aux contraventionsprévues par le code de lapropriété intellectuelle

L’article 8 de la loi Hadopi 25 prévoit unepeine complémentaire de suspension del’abonnement à Internet pour lescontraventions de la cinquième classeprévues par le code de la propriétéintellectuelle et commises par la voie d’unservice de communication au public enligne. Selon le nouvel article L. 335-7-1 duCPI, cette peine complémentaire peut êtreprononcée en cas de « négligence carac-térisée », selon les mêmes modalités que

pour les délits de contrefaçon, à la seuledifférence que la durée maximale de lasuspension est d’un mois au lieu d’un an.

La « négligence caractérisée », n’est pasclairement définie dans la loi. À cet égard,le Conseil constitutionnel a précisé danssa décision du 22 octobre 20096 qu’ilappartenait au pouvoir réglementaire, dansl’exercice de la compétence qu’il tient del’article 37 de la Constitution, de définir leséléments constitutifs de la « négligencecaractérisée ».

En tout état de cause, les contraventionsmentionnées par ce nouvel article du CPIn’ont pas encore été créées à ce jour.

1.3. Par l’instauration d’une procédurespécifique plus adaptée à lasituation des internautes

1.3.1. Le système de la « réponsegraduée » et le nouveau rôleconfié la Haute autorité pour ladiffusion des œuvres et ladiffusion des droits sur Internet(Hadopi)

La peine complémentaire de suspension del’abonnement à Internet est prononcée selonla procédure dite de la « réponse graduée »,prévue au nouvel article L. 331-26 du CPI.

Selon cet article, lorsqu’elle est saisie defaits susceptibles de constituer unmanquement à l’obligation d’usage licite deson accès à Internet, la Haute autorité pourla diffusion des œuvres et la protection desdroits sur Internet (Hadopi) peut envoyer unerecommandation à l’abonné, par l’intermé-diaire de son fournisseur d’accès à Internet,afin de lui rappeler son obligation desurveiller l’usage licite de son accès àInternet et de lui enjoindre de respecter cetteobligation. Cette recommandation doitégalement contenir une information surl’offre légale de contenus culturels en ligne,l’existence de moyens de sécurisation del’accès à Internet ainsi que sur les dangerspour le renouvellement de la créationartistique et pour l’économie du secteurculturel des pratiques ne respectant pas ledroit d’auteur et les droits voisins.

3 Article L. 335-3 du CPI : « Est également un délitde contrefaçon toute reproduction, représentationou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d’uneœuvre de l’esprit en violation des droits de l’auteur,tels qu’ils sont définis et réglementés par la loi.Est également un délit de contrefaçon la violationde l’un des droits de l’auteur d’un logiciel définis àl’article L. 122-6. Est également un délit decontrefaçon toute captation totale ou partielle d’uneœuvre cinématographique ou audiovisuelle ensalle de spectacle cinématographique. »4 Article L. 335-4 du CPI : « Est punie de trois ansd’emprisonnement et de 300.000 euros d’amendetoute fixation, reproduction, communication ou miseà disposition du public, à titre onéreux ou gratuit,ou toute télédiffusion d’une prestation, d’unphonogramme, d’un vidéogramme ou d’unprogramme, réalisée sans l’autorisation, lorsqu’elleest exigée, de l’artiste-interprète, du producteur dephonogrammes ou de vidéogrammes ou del’entreprise de communication audiovisuelle. Estpunie des mêmes peines toute importation ouexportation de phonogrammes ou de vidéogrammesréalisée sans l’autorisation du producteur ou del’artiste-interprète, lorsqu’elle est exigée. Est punide la peine d’amende prévue au premier alinéa ledéfaut de versement de la rémunération due àl’auteur, à l’artiste-interprète ou au producteur dephonogrammes ou de vidéogrammes au titre de lacopie privée ou de la communication publique ainsique de la télédiffusion des phonogrammes. Est punide la peine d’amende prévue au premier alinéa ledéfaut de versement du prélèvement mentionné autroisième alinéa de l’article L. 133-3. Lorsque lesdélits prévus au présent article ont été commis enbande organisée, les peines sont portées à cinqans d’emprisonnement et à 500.000 eurosd’amende. »5 Loi n° 2009-1311 du 28 octobre 2009 relative à laprotection pénale de la propriété littéraire et artistiquesur Internet. 6 Décision n° 2009-590 du 22 octobre 2009.

La Haute autoritése voit confier lamise en œuvrede la procédurede la « réponsegraduée »

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Propriété intellectuelle

En cas de renouvellement, dans un délaide six mois à compter de l’envoi de larecommandation, de faits susceptibles deconstituer un manquement à l’obligationd’usage licite de son accès à Internet, unenouvelle recommandation peut être envoyéeà l’abonné, selon les mêmes modalités.L’Hadopi peut décider d’assortir cetterecommandation d’une lettre remise contresignature ou de tout autre moyen propre àétablir la preuve de la date d’envoi de cetterecommandation.

En tout état de cause, les recomman-dations doivent mentionner la date et l’heureauxquelles les faits susceptibles deconstituer un manquement ont étéconstatés mais ne doivent pas divulguer lecontenu des œuvres ou objets protégésconcernés par ce manquement. Ellesindiquent également les coordonnéestéléphoniques, postales et électroniques oùpeuvent être adressées des observations etobtenues, sur demande expresse, desprécisions sur le contenu des œuvres ouobjets protégés concernés par lemanquement qui lui est reproché.

En revanche, ainsi que l’a rappelé le Conseilconstitutionnel dans sa décision du 10 juin20097, la sanction de suspension del’abonnement internet reste dévolue aupouvoir judiciaire, car il n’appartient pas àune autorité administrative, mêmeindépendante, de limiter le droit à la libertéd’expression et de communication posé àl’article 11 de la déclaration des droits del’homme et du citoyen.

1.3.2. Une procédure de sanctionsimplifiée : l’ordonnance pénale

L’article 6 de la loi Hadopi 2 ajoute unarticle 495-6-1 au code de procédure pénalequi permet aux délits prévus par lesarticles L. 335-2, L. 335-3 et L. 335-4 duCPI de faire l’objet de la procédure simplifiéede l’ordonnance pénale, dès lors qu’ils sontcommis au moyen d’un service decommunication au public en ligne.

L’ordonnance pénale est une procéduresimplifiée de jugement des infractions pourcertains délits et contraventions. Il s’agitd’une procédure allégée, dans laquelle un

juge unique statue sur les faits, sansqu’aucune des parties ne soit entendue. Ils’agit donc d’une procédure noncontradictoire. En contrepartie, les peinesencourues sont moins sévères, la peined’emprisonnement étant nécessairementexclue. Cela dit, celui qui est mis en causedans le cadre de cette procédure peutdemander le renvoi de l’affaire pour la fairejuger selon la procédure classique enformant opposition à la décision du juge.

Cette procédure simplifiée ne peuts’appliquer si le mis en cause est mineurau moment des faits. Ce point n’est pasnégligeable, concernant une catégoried’infraction pour laquelle le nombre de miseen cause de mineurs peut être important.

Enfin, si cette procédure simplifiée n’exclutpas la possibilité pour le titulaire des droitsd’auteur (ou des droits voisins) de demanderdes dommages et intérêts, il devra pour celainitier une procédure parallèle, les intérêtscivils ne pouvant faire l’objet d’uneordonnance pénale dans cette hypothèse,ainsi qu’en a décidé le Conseil constitu-tionnel8.

1.4. Les infractions commises parcourrier électronique n’entrent pasdans le champ d’application deslois Hadopi

Que ce soit pour les délits de contrefaçonou pour les contraventions prévues par lecode de propriété intellectuelle, les loisHadopi ne visent que les infractionscommises par le moyen d’un « service decommunication au public en ligne ».

La loi pour la confiance en l’économienumérique du 21 juin 2004 (LCEN9) définitles services de communication au publicen ligne comme ceux ayant pour objet la« transmission, sur demande individuelle,

7 Décision n° 2009-580 du 10 juin 2009.

8 Le texte initial prévoyait la possibilité, pour letitulaire des droits, de demander au juge de statuer,par la même ordonnance pénale, à la fois sur l’actionpublique et sur les intérêts civils. Par sa décisionn° 2009-590 du 22 octobre 2009, le Conseilconstitutionnel en a décidé autrement, considérantque les modalités pratiques de mise en œuvre decette faculté donnée au juge pénal n’étaient passuffisamment détaillées dans la loi et en a de ce faitsupprimé la disposition.9 Article 1er du IV de la loi n° 2004-575 du 21 juin2004 pour la confiance en l’économie numérique.

L’ordonnancepénale entraîneune procéduresimplifiée et dessanctions moinssévères

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Propriété intellectuelle

de données numériques n’ayant pas uncaractère de correspondance privée, par unprocédé de communication électroniquepermettant un échange réciproque d’infor-mations entre l’émetteur et le récepteur ».

Dès lors, les infractions au droit d’auteur etaux droits voisins commises par l’intermé-diaire des courriers électroniques nerentrent pas dans le champ d’applicationdes lois Hadopi.

2. De nouvelles obligations à lacharge des fournisseursd’accès à Internet (FAI)

L’article 5 de la loi Hadopi 1 introduit unarticle L. 331-35 dans le CPI, selon lequelles fournisseurs d’accès à Internet (FAI) :

• font figurer dans les contrats conclusavec leurs abonnés, la mention claire etlisible de l’obligation de surveillance del’utilisation licite par l’abonné de sonaccès à Internet, les mesures quipeuvent être prises par l’Hadopi, et lessanctions pénales et civiles encouruesen cas de violation des droits d’auteuret des droits voisins ;

• informent leurs abonnés et les personnesreconduisant leur offre d’abonnement surl’offre légale de contenus culturels enligne, l’existence de moyens desécurisation permettant de prévenir lesmanquements à l’obligation de surveil-lance de leur accès à Internet ainsi quesur les dangers pour le renouvel-lementde la création artistique et pourl’économie du secteur culturel despratiques ne respectant pas le droitd’auteur et les droits voisins.

Par ailleurs, l’article 4 de la loi Hadopi 2ajoute un alinéa à l’article L. 331-36 du CPI,comportant l’obligation pour les FAId’informer la commission de protection desdroits de l’Hadopi de la date à laquelle adébuté la suspension d’un abonnement àInternet décidée par la Haute autorité.

Enfin, l’article 7 de la loi Hadopi 2 ajouteau CPI un article L. 335-7 qui prévoit uneamende maximale de 5.000 euros pour leFAI qui ne mettrait pas en œuvre la peinede suspension d’un abonnement à Internetqui lui aurait été notifiée par la Hauteautorité.

3. Le cas particulier du « strea-ming10 » échappe, au moinspartiellement, aux lois Hadopi

La question de savoir si les lois Hadopis’appliquent à la diffusion et à laconsultation d’œuvres via un site de« streaming » ne se pose, bien entendu,que pour les sites non autorisés de« streaming ».

En effet, certains sites internet de« streaming » offrent gratuitement desœuvres à destination du public, et celégalement. Il s’agit des sites pour lesquelsdes accords ont été passés avec lestitulaires des droits sur les œuvres. C’estle cas, par exemple, du site de musique enligne Deezer11.

3.1. Celui qui met le contenu àdisposition du public sur le site de« streaming » est concerné par leslois Hadopi

Les lois Hadopi ne créent pas d’infractionsspécifiques, mais renvoient à des infractionsexistantes, notamment aux délits decontrefaçon définis aux articles L. 335-2,L. 335-3 et L. 335-4 du CPI.

Il convient donc de se référer à ces articlespour déterminer s’ils s’appliquent au casde celui qui met à disposition du public uneœuvre protégée, sans autorisation dutitulaire des droits, sur un site de« streaming ».

Dans la mesure où ces sites ne diffusent,en principe, que des fichiers musicaux ouvidéo, il convient de se référer uniquement

10 Le « streaming » (ou diffusion en flux continu)est une technique qui permet de diffuser une vidéoou un fichier musical sur Internet, en continu ouavec un léger différé. Le fichier n’est en principepas stocké définitivement sur le disque dur del’ordinateur, mais i l est au moins stockétemporairement dans la mémoire vive de l’ordinateur.Le « streaming » est en principe légal, quand ilrespecte les droits d’auteur (droit de représentation,de reproduction et droit moral).11 Deezer est le premier site de « streaming »français permettant une écoute de musique en lignevia une inscription gratuite à avoir négocié ladiffusion légale par rémunération en proportion desrecettes publicitaires avec les sociétés de gestiondes droits d’auteur et maisons de disques.

De nouvellesobligations sontmises à la chargedes FAI

Le « streaming »entrepartiellementdans le champdes lois Hadopi

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Propriété intellectuelle

aux articles L. 335-3 et L. 335-4 du CPI, quidéfinissent respectivement la contrefaçoncomme :

« Toute reproduction, toute représentationou diffusion, par quelque moyen que ce soit,d’une œuvre de l’esprit en violation des droitsde l’auteur. »

Ou comme :

« Toute fixation, reproduction, communi-cation ou mise à disposition du public àtitre onéreux ou gratuit, ou toute télédiffusiond’une prestation, d’un phonogramme, d’unvidéogramme ou d’un programme. »

Or, l’article L. 122-2 du CPI définit lareprésentation comme « la communicationde l’œuvre au public par un procédéquelconque, et notamment : 1° Par récitationpublique, exécution lyrique, représentationdramatique, présentation publique, projectionpublique et transmission dans un lieu publicde l’œuvre télédiffusée ; 2° Par télédiffusion.La télédiffusion s’entend de la diffusion partout procédé de télécommunication de sons,d’images, de documents, de données et demessages de toute nature. Est assimilée àune représentation l’émission d’une œuvrevers un satellite. »

Dès lors, la mise à disposition du publicd’une œuvre sur un site de « streaming »peut parfaitement être assimilée à unetélédiffusion et, de ce fait, à une représen-tation.

L’article L. 335-3 du CPI s’applique donc àce mode de mise à disposition d’une œuvreau public.

En conséquence, le nouveau régime prévupar les lois Hadopi de lutte contre lacontrefaçon sur Internet s’appliquepleinement au « streaming », pour celui quimet l’œuvre à disposition du public.

3.2. Celui qui accède aux œuvresdiffusées sur le site de « streaming »n’est, en revanche, pas concernépar les lois Hadopi

Celui qui accède à une œuvre protégée viaun site de « streaming » diffusantillégalement des œuvres serait-il le grandoublié des lois Hadopi ?

En principe, il est vrai que les lois Hadopisont indépendantes des protocoles utiliséspour la consultation des œuvres. Calibréespour s’attaquer aux échanges de « peer topeer12 », le texte est cependant juridi-quement neutre et devrait donc s’appliquerindifféremment au « peer to peer » et au« streaming ».

Mais cela ne signifie pas pour autant quela qualification juridique de l’actionconsistant à accéder à une œuvre protégéevia un site de « streaming » correspondeaux infractions que visent les lois Hadopi.

En premier lieu, il convient de noter que lareprésentation de l’œuvre ne concerne pasle cas de celui qui accède à l’œuvre un sitede « streaming », qui n’y accède que pourson compte personnel et ne procède doncpas à une communication au public del’œuvre.

En revanche, l’accès à une œuvre via unsite de « streaming » constitue-t-il unereproduction de l’œuvre ?

Rappelons que l’article L. 122-3 du CPIpose le principe selon lequel : « Lareproduction consiste dans la fixationmatérielle de l’œuvre par tous procédés quipermettent de la communiquer au publicd’une manière indirecte. Elle peut s’effectuernotamment par imprimerie, dessin, gravure,photographie, moulage et tout procédé desarts graphiques et plastiques, enregis-trement mécanique, cinématographique oumagnétique. […] »

Dans le cas de l’accès au moyen d’un sitede « streaming », il semblerait qu’il y aitbien une reproduction de l’œuvre, mais demanière temporaire uniquement.

En effet, les données sont téléchargées encontinu dans la mémoire vive de l’ordinateur,transférées dans un lecteur multimédia pouraffichage puis remplacées par de nouvellesdonnées.

12 Le « peer to peer » signifie littéralement « pair-à-pair ». Il désigne un modèle de réseau informatiqueproche du modèle client-serveur mais où chaqueclient est aussi un serveur. Le « pair-à-pair » peutêtre centralisé (les connexions passant par unserveur intermédiaire) ou décentralisé (lesconnexions se faisant directement). Il s’agit du modeprincipal de téléchargement illégal sur Internet.

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 201036

Propriété intellectuelle

Or, la reproduction temporaire dans la mémoirevive d’un ordinateur répond aux exceptionsau droit de reproduction, et notamment à celleprévue à l’article L. 122-5-6° du CPI.

Selon cet article, « lorsque l’œuvre a étédivulguée, l’auteur ne peut interdire : […]6° La reproduction provisoire présentant uncaractère transitoire ou accessoire,lorsqu’elle est une partie intégrante etessentielle d’un procédé technique et qu’ellea pour unique objet de permettre l’utilisationlicite de l’œuvre ou sa transmission entretiers par la voie d’un réseau faisant appel àun intermédiaire. […] »

En conséquence, l’accès par un internauteà une œuvre protégée via un site de« streaming », même illégal, ne constituepas un acte de contrefaçon et le régime deslois Hadopi n’est donc pas dans ce casapplicable.

En revanche, il va de soi que celui quiutiliserait un logiciel qui lui permettrait destocker définitivement des fichiers,initialement consultés en « streaming », nepourrait se prévaloir de l’exception prévue àl’article L. 122-5 6° du CPI13. Il se verrait dèslors appliquer le régime prévu par les loisHadopi en cas de contrefaçon.

Conclusion

Les lois Hadopi ne couvrent pas toutes lessituations d’atteintes au droit d’auteur et auxdroits voisins. Ainsi, i l est possibled’accéder à une œuvre diffusée illégalementen « streaming » sans se voir appliquer lerégime de ces lois.

En revanche, celui qui met l’œuvre en lignepar ce même procédé tombe sous le coupde ces lois. Or, quel moyen plus efficacepour inciter au respect des œuvres que des’attaquer directement à ceux qui diffusentles œuvres ?

Cet exemple traduit parfaitement laphilosophie des lois Hadopi : absenced’exhaustivité mais amélioration réelle desmoyens de lutte contre la contrefaçon.

Emmanuelle Grimault (Direction desaffaires juridiques)

13 Il existe en effet des logiciels de déblocagepermettant d’enregistrer de manière non temporairele flux de données.

Les lois Hadopine couvrent pastoutes lessituationsd’atteintes audroit d’auteur

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Droit des entreprises

Autorité publique indépendante et « gardiennede l’information des investisseurs et du bonfonctionnement des marchés d’instrumentsfinanciers », l’AMF dispose de pouvoirs enrapport avec ses missions et effectue à cetitre des contrôles et des enquêtes1.

Chargée de relever, aux termes del’article L. 621-15 du code monétaire etfinancier, l’util isation d’informationsprivilégiées (ou « manquement d’initié »), lamanipulation des cours et la diffusion defausses informations, l’AMF peut prononcerdes sanctions pécuniaires.

L’enjeu de l’affaire EADS était important.La sanction pécuniaire encourue était dedix millions d’euros ou du décuple dumontant des profits réalisés par lesdirigeants.

Le service de surveillance des marchés,placé sous l’autorité du secrétaire généralde l’AMF, avait détecté de nombreusescessions d’actions d’EADS, consécutivesà la levée d’options par certains desdirigeants d’EADS. Cette constatation avaitdécidé le secrétaire général à ouvrir uneenquête sur le marché de ces titres.

Il résultait de l’enquête que dix-septdirigeants anciens et actuels d’EADS etd’Airbus ainsi que le groupe françaisLagardère et le constructeur automobileallemand Daimler, ses deux actionnairesprivés de référence, avaient vendumassivement, au cours du premiersemestre de l’année 2006, les actions qu’ilsdétenaient, peu avant que ne soientannoncés les retards dans la constructionde l’A 380 le 13 juin 2006.

Au vu du rapport d’enquête examiné etapprouvé par le collège, celui-ci a décidéde saisir la commission des sanctions et anotifié plusieurs griefs aux dirigeantsd’EADS, aux groupes Lagardère et Daimlerainsi qu’à la société EADS.

La notification des griefs s’articule autourde deux axes :

• il était reproché aux dirigeants d’EADS,aux groupes Lagardère et Daimler d’avoircédé des actions d’EADS, alors qu’ilsétaient en possession d’informationsprivilégiées relatives aux objectifs demarge et de résultats opérationnelsd’Airbus et du groupe EADS, à larévision du programme de livraison del’A 380 et à l’accroissement significatifdes coûts de développement duprogramme A 350 ;

• i l était reproché à EADS d’avoircommuniqué au public, le 8 mars 2006,des informations inexactes, imprécisesou trompeuses sur la poursuite par legroupe d’un objectif de margeopérationnelle de 10 % et sur saprévision de résultat opérationnel au titrede l’exercice 2006.

L’AMF est organisée, depuis sa création parla loi du 1er août 20032, autour de deuxorganes majeurs, le collège et la commissiondes sanctions. Cette séparation garantit lerespect des principes posés par l’article 6de la convention européenne de sauvegardedes droits de l’homme et des libertésfondamentales, en confiant le pouvoir desanction à un organe distinct de celui chargéde la notification des griefs.

Il incombait principalement à la commissiondes sanctions de se prononcer sur la naturedes informations détenues par les dirigeantsd’EADS et donc sur leur capacité à intervenirsur le marché, en cédant les actions résultantde la levée de leurs options. Les contoursde l’obligation d’abstention dépendaient, enréalité, de la reconnaissance du caractèreprivilégié ou non des informations enpossession des dirigeants.

Commentaire de la décision rendue parl’Autorité des Marchés Financiers le 27 novembre 2009,

concernant EADSPar Marie-Clotilde Trioreau et Arielle Legret

Après trois ans de procédure, l’Autorité des marchés financiers (AMF) a mis horsde cause, dans une décision rendue publique le 17 décembre 2009, les dirigeantsd’EADS soupçonnés de manquement d’initié.

1 Article L 621-9 du code monétaire et financier.2 Loi 2003-706 du 1er août 2003 dite de « sécuritéfinancière ».

La sanctionpécuniaireencourue était de10 millionsd’euros ou dudécuple dumontant desprofits réalisés

L’AMF estorganisée autourde deux organesprincipaux

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Droit des entreprises

La commission des sanctions a estimé queces informations ne constituaient pas un« ensemble de circonstances », dont il auraitété possible de tirer une conclusion quant àleur effet possible sur le cours du titred’EADS. Un « investisseur raisonnable »n’aurait pas non plus été en mesure de lesutiliser « comme l’un des fondements de sesdécisions d’investissement ». Dès lors cesinformations ne pouvaient pas être qualifiéesde privilégiées.

La commission a écarté également les griefsde fausse information au public notifiés àEADS. En effet, il n’a pu être démontré qu’aumoment où les informations sur les résultatsprévisionnels ont été communiquées aupublic, EADS savait déjà que ces objectifsne pourraient être atteints.

Cette décision de la commission dessanctions qui est dans la droite ligne de sajurisprudence a toutefois surpris l’opinionpublique, peu au fait du droit boursier.

1. Une décision qui s’inscrit dansun mouvement de renfor-cement des garanties procé-durales des mis en cause

La commission des sanctions se livre,comme elle le fait dans tous les dossiers,à un examen approfondi de l’enquête. Elleest la gardienne des garanties procéduralesdont bénéficient tous les mis en cause.

1.1. La commission des sanctions veutdes preuves

Aux termes de l’article 621-1 du règlementgénéral de l’AMF : « Une information privi-légiée est une information précise qui n’a pasété rendue publique, qui concerne,directement ou indirectement, un ouplusieurs émetteurs d’instruments financiers,et qui si elle était rendue publique, seraitsusceptible d’avoir une influence sensiblesur le cours des instruments financiersconcernés ou le cours d’instrumentsfinanciers qui leur sont liés.

Une information est précise, si elle faitmention, d’un ensemble de circonstancesou d’un événement qui s’est produit ou quiest susceptible de se produire et s’il estpossible d’en tirer une conclusion quant àl’effet possible de ces circonstances ou decet événement sur le cours des instrumentsfinanciers concernés ou des instrumentsfinanciers qui leur sont liés. »

Il appartenait donc à la commission dessanctions de vérifier si les éléments consti-tutifs de l’information privilégiée étaient ounon réunis.

Alors que l’AMF se prononce habituellementsur des éléments de nature financière, laconnaissance de résultats ou l’imminenced’une opération sur le capital, elle étaitamenée à statuer pour la première fois surdes informations de nature industrielle.

L’examen des conclusions de la commissiondes sanctions relatif au premier grief,constitué selon le rapport d’enquête par laperception par les mis en cause d’un écartentre les indications du plan d’affaires 2006-2008/2010 d’EADS et les attentes dumarché, est à cet égard très instructif. « Lefaible nombre des analyses reprises par lerapport d’enquête et leur caractère trèsdispersé, les anticipations de résultatopérationnel fluctuant entre 3,5 et5,5 milliards d’euros ainsi que la naturemême de l’OP3 font que la moyennearithmétique d’opinions divergentes d’ana-lystes financiers fondées sur des hypothèseshétérogènes n’a pas une pertinencesuffisante pour être, à elle seule, assimiléeaux attentes du marché et constituer parsuite un élément utilement comparable auxdonnées du plan d’affaires d’EADS ». Lacommission a considéré au vu de ceséléments que « la perception d’un écart entreles attentes du marché et les objectifs demarge et de résultats opérationnels neconstituait pas un ensemble de circons-tances dont il aurait été possible de tirer uneconclusion quant à son effet possible sur lecours du titre. […] » Par conséquent cetteinformation ne présentait pas les caractèresd’une information privilégiée au sens del’article 621-1 du règlement général de l’AMF.

S’agissant des griefs liés à une informationprivilégiée relative à des retards sur leprogramme de livraisons de l’A 380, alors quel’enquête avait retenu que le responsable duprogramme avait indiqué qu’il y avait unehaute probabilité qu’il y ait des retards surles livraisons, il ne résulte pas del’instruction que dans le contexte existantà la date des faits reprochés, l’informationinvoquée par les notifications ait porté surun ensemble de circonstances suffisammentprécis pour qu’un investisseur raisonnablel’utilise.

3 OP : plan opérationnel.

L’AMF a statuépour la premièrefois sur desinformations denatureindustrielle

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Cette déclaration est mise en balance avecles difficultés habituellement rencontréesdans le secteur aéronautique. La commis-sion a estimé que les difficultés connues desmis en cause à la date des cessionsreprochées, n’étaient pas substantiellementdifférentes de celles usuellement rencontréesen matière aéronautique et susceptiblesd’être surmontées par la mise en œuvre demesures d’amélioration du processus deproduction.

De même, alors que l’augmentation signi-ficative des coûts de développement duprogramme A 350 avait été retenue dans lanotification des griefs, la commissionconsidère qu’« aucune propositioncommerciale n’ayant été formulée »,« aucune décision du conseil d’administrationn’ayant été prise pour faire évoluer leprogramme à la date des faits reprochés » ilne pouvait être retenu à la charge des misen cause la possession d’une informationprivilégiée.

La commission reprend la même analyses’agissant de la fausse information au publicreprochée à EADS. « Il ressort des termesmêmes du rapport d’enquête qu’il nepeut être démontré qu’au moment desfaits, il était impossible pour EADS deréaliser à la fin de l’exercice un EBIT4

compris entre 3,2 et 3,4 milliardsd’euros. »

L’absence de précision des informationsrelevée par la commission des sanctionsentraîne, faute d’élément matériel desmanquements reprochés, la mise hors decause des personnes poursuivies.

1.2. La commission, gardienne desgaranties procédurales

Le renforcement de ces garanties résulte del’application de l’article 6 de la conventioneuropéenne de sauvegarde des droits del’homme et des libertés fondamentales auxautorités administratives, réalisée par uneinterprétation extensive de la notion de

matière « pénale ». Celle-ci découle, d’aprèsla cour de Strasbourg, de l’existence d’unequalification textuelle d’infraction, maissurtout de la gravité de la sanction encouruedevant les autorités indépendantes.

Les exceptions de procédure soulevées parles mis en cause n’ont pas été retenues enl’espèce par la commission des sanctions.Celle-ci prend toutefois un soin particulierà démontrer que les droits de la défenseont été respectés. La commission rappellemême des évolutions procédurales, enmatière de visite domiciliaire notamment.

La loi du 4 août 2008 de modernisation del’économie a habilité le Gouvernement àprendre, par voie d’ordonnance, lesdispositions du domaine de la loi visant àadapter dans le sens d’un renforcement desdroits de la défense, les législationsconférant à l’autorité administrative unpouvoir de visite et de saisie. C’est ainsique l’ordonnance n° 2009-233 du 26 février2009 a modifié l’article L. 621-12 du CMFrelatif aux visites domiciliaires que peuventeffectuer les enquêteurs de l’AMF. Elleintroduit la possibilité pour les personnesen cause de former un recours sur le fondcontre l’ordonnance autorisant la visitedomiciliaire, ainsi que contre l’exécution dudroit de visite5.

Ces dispositions renforcent les droits de ladéfense et permettent la mise en conformitédes procédures de l’AMF avec les décisionsrendues par la Cour européenne des droitsde l’Homme (CEDH), dans son arrêt du21 février 2008, affaire Ravon et autrescontre France6.

L’indépendance de la commission dessanctions par rapport au collège est jugécruciale par les juges de Strasbourg, maiségalement par les juges nationaux. C’esten effet à la suite d’une condamnation dela commission des opérations de boursepar la cour d’appel de Paris en mars 2000

4 Le résultat opérationnel (ou EBIT : Earning beforeinterest tax and depreciation) représente le soldeentre les produits d’exploitation, et les charges :coûts des ventes, frais administratifs etcommerciaux. Ce résultat est donc mesuré avantéléments financiers, charges exceptionnelles etimpôt sur les bénéfices. Il ne prend en compte quedes charges, des consommations externes, desachats, ou les frais de personnel.

5 Jusqu’alors seul un pourvoi en cassation dirigécontre l’ordonnance autorisant la visite domiciliaireétait autorisé.6 Dans cet arrêt, la CEDH avait considéré que lesdispositions concernant les voies de recours contreles visites domiciliaires prévues par l’article L. 16 Bdu Livre des procédures fiscales étaient contrairesaux règles du procès équitable car les requérantsn’avaient pas eu accès à un tribunal pour obtenir, àl’issue d’une procédure répondant aux exigencesde l’article 6 paragraphe 1 de la convention, unedécision sur leur contestation.

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pour non-respect de l’article 6 de la CEDHque cette séparation entre le collège et lacommission des sanctions a été introduite.

Les règles du procès équitable imposentque les personnes qui poursuivent (enl’espèce le collège de l’AMF) et celles quistatuent sur la culpabilité et la sanction (enl’espèce la commission des sanctions del’AMF) soient distinctes. Les fonctions demembre de la commission des sanctionssont bien évidemment incompatibles aveccelles de membre du collège7.

Cette composition a d’ailleurs été reprisepour l’autorité de contrôle prudentiel issuede la fusion de la commission bancaire, del’autorité de contrôle des assurances et desmutuelles, du CECEI et du CEA.

2. Des questions en suspens2.1. Que reste t-il de l’obligation

d’abstention pesant sur lesdirigeants ?

Le devoir d’abstention pèse sur les titulairesd’une information qualifiée de « privilégiée ».À défaut d’une telle reconnaissance, lestitulaires d’une information peuvent en toute« légalité » intervenir sur les marchés.

L’article L. 621-18-2 du code monétaire etfinancier et les articles 223-22 A et suivantsdu règlement général de l’AMF dressent uneliste des personnes ayant la qualitéd’initiées. Elles ont l’obligation de déclarerà l’AMF les opérations qu’elles effectuentsur les « actions » de l’émetteur au seinduquel elles exercent leurs fonctions « ainsique les transactions opérées sur desinstruments qui leur sont liés ». L’AMFexerce, par cette surveillance, sa missionprincipale de protection des acteurs desmarchés financiers.

La sanction réprimant les manquementsd’initié protège le marché d’asymétriesd’informations que certains « initiés »pourraient utiliser à leur profit exclusif. Laqualification des informations détenues parles dirigeants revêt une acuité particulièredans la mesure où une part non négligeablede leurs rémunérations est fondée sur lesstock-options, c’est-à-dire sur l’espérancede plus-values réalisées en revendant lesactions obtenues en exerçant ces options.Lorsqu’ils sont détenteurs d’informationsprivilégiées, ils sont tenus à une totaleabstention.

La commission des sanctions a appliquél’article 621-1 du règlement général de l’AMFaux termes duquel l’information privilégiéeest une information qu’un « investisseurraisonnable serait susceptible d’utilisercomme l’un des fondements de sesdécisions d’investissement » peut expliquerla prudence de la commission dessanctions.

Certains considèrent que la loi devrait êtreréformée sur ce point. C’est l’avis de ColetteNeuville, présidente de l’ADAM (Associationde Défense des Actionnaires Minoritaires) :« si la définition du manquement d’initié nepermet pas de condamner les dirigeantsd’EADS, alors qu’il a été démontré qu’ilsavaient bien connaissance de certainesinformations peu de temps avant qu’ils nevendent leurs actions, les textes devraientalors être modifiés8 ».

En l’absence d’une modification des textes,il n’est en effet pas sûr que cette décisionbénéficie nécessairement aux dirigeants. Ladélicate qualification de la nature del’information qu’ils détiennent, laisse planerau-dessus de leur tête une véritable épéede Damoclès. Les contours de l’obligationd’abstention paraissent flous. Les dirigeantssont-ils désormais en mesure de procédereux-mêmes à la qualification de l’informationen leur possession ?

2.2. Intégrité des marchés versus respectdes droits des mis en cause : versune meilleure conciliation ?

Les garanties procédurales ayant pour objetla protection des mis en cause ne doiventpas pour autant conduire à gêner lesmécanismes de contrôle des marchésfinanciers.

7 La CEDH a réaffirmé ce principe dans un arrêtDubus du 11 juin 2009, dans lequel elle a jugé quel’organisation de la Commission bancaire (autoritéde contrôle des établissements de crédit etd’investissement, France) conduisait au cumul desfonctions d’instruction, de poursuite et de jugementpar celle-ci (Requête n° 5242/04, Dubus SAc/ France). Elle estime qu’il y a eu violation del’article 6 de la CEDH (droit au procès équitable), laCommission bancaire ayant procédé à l’enquête, auxpoursuites, et au prononcé du jugement. La Courconclut au manque d’impartialité et d’indépendancede la Commission bancaire et condamne la France.Suite à cette condamnation la France a réformé lesprocédures de visites et saisies dans les différentsdomaines existant (Autorité de la Concurrence, droitdu travail, droit des télécommunications…). 8 AFP Vendredi 18 décembre 2009.

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À l’heure actuelle, les décisions renduespar la commission des sanctions nepeuvent être contestées que par lesintéressés. Ainsi un recours contre unedécision de sanction ne peut nuire à lapersonne condamnée qui, en l’absence derecours de l’autorité de poursuite, ne peutvoir sa sanction aggravée.

Dans son plan stratégique, l’AMF souhaitel’introduction d’un droit de recours d’intérêtgénéral permettant au collège de saisir lejuge des griefs écartés par la commissiondes sanctions ou de lui demander uneaggravation des sanctions prononcées. Untel dispositif permettrait de rééquilibrer laprocédure actuelle qui réserve aux seulespersonnes mises en cause la possibilité defaire appel d’une décision de la commissiondes sanctions.

Ce droit a été accordé à l’autorité decontrôle prudentiel, autre autorité de contrôleinstituée par l’ordonnance n° 2010-76 du21 janvier 2010 portant fusion des autoritésd’agrément et de contrôle de la banque etde l’assurance. Aux termes de l’articleL. 612-16 IV du code monétaire et financierles « décisions prononcées par lacommission des sanctions peuvent fairel’objet d’un recours de pleine juridictiondevant le Conseil d’État par les personnessanctionnées et par le président de l’Autoritéde contrôle prudentiel, après accord de laformation du collège à l’origine de lanotification des griefs, dans un délai dedeux mois suivant cette notification. En casde recours d’une personne poursuivie, leprésident de l’Autorité peut dans les mêmesconditions, former un recours, dans un délaide deux mois à compter de la notification àl’Autorité de contrôle prudentiel du recoursde la personne poursuivie ».

Remarquons que le droit de se pourvoir encassation a aussi été donné au Présidentde l’autorité de la concurrence contre unedécision de la cour d’appel de Pariscensurant une sanction infligée par l’Autoritéde la concurrence9.

D’autres propositions sont faites dans cedocument : le renforcement du caractèrecontradictoire de la procédure en amont de lanotification des griefs afin que le collège saisi

du rapport d’enquête ait connaissance desobservations des personnes susceptiblesd’être mises en cause. Est égalementenvisagée par l’AMF la possibilité pour lecollège d’accéder au dossier du rapporteur etde présenter des observations.

Mais cette réflexion ne s’arrête passimplement au réexamen des modalités derecours des décisions de l’AMF. Lors deses vœux à la presse, le 28 janvier dernier10,Le président de l’AMF, Jean Pierre Jouyet,a annoncé une modification prochaine desenquêtes et des procédures qui sontmenées au sein de l’AMF.

Une charte des droits et devoirs desenquêteurs permettra de définir de manièreplus détaillée l’usage des pouvoirsd’enquête du collège.

Le Président de l’AMF a proposé l’attri-bution d’un pouvoir de transaction aucollège qui pourrait ainsi sanctionnerrapidement les « petites affaires » et avoirplus de moyens pour s’occuper des affairesplus importantes11.

Il indique également vouloir amorcer uneréflexion afin d’élaborer de nouvellesmodalités de coordination avec les servicespénaux en charge de l’instruction et de lasanction de certaines infractions pénales,comme les délits d’initiés et la diffusion defausse information au public. On rappelleraà ce titre que la justice pénale a été saisiede l’affaire EADS et que le juge pénal n’estpas tenu par lé décision de l’AMF dans cetteaffaire. Dans le passé, le juge pénal ad’ailleurs eu l’occasion de ne pas partagerl’analyse de l’AMF12.

Marie-Clotilde Trioreau et Arielle Legret(Direction des affaires juridiques)

9 Cette possibilité a été créée par l’ordonnancen° 2008-1161 du 13 novembre 2008 et codifiée àl’article L. 464-8 du code de commerce.

10 Petites affiches, 10 février 2010 (précité ci-dessus).11 Ce qui existe déjà au niveau de l’Autorité de laconcurrence.12 Ainsi dans un arrêt Soros du 14 juin 2006, où lesfaits étaient proches, la Cour de cassation avaitcondamné M. Soros, alors que l’AMF l’avait mis horsde cause.

Seuls lesintéresséspeuventcontester lesdécisions de lacommission dessanctions

La justice pénalea été saisie del’instruction duvolet pénal del’affaire EADS

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La réception en droit français de cesdispositifs d’alerte professionnelle n’a pasété évidente. Ils ont fait l’objet dès le départ,de sérieuses réserves de principe tant dujuge français que de la commissionnationale de l’informatique et des libertés(CNIL). Aujourd’hui, l’institution, dans lesentreprises françaises, de ces dispositifsd’alerte est autorisée dans de stricteslimites.

1. La reconnaissance et l’exten-sion progressive du domainedes dispositifs d’alerte profes-sionnelle en droit français

1.1. Une réserve de principe

La CNIL, dans deux délibérations du 26 mai2005, avait initialement refusé la mise enplace des dispositifs d’alerte professionnellepar deux sociétés (Mc Donald France et LaCompagnie européenne d’accumulateurs).La CNIL a considéré qu’ils pouvaient« conduire à des systèmes organisés dedélation professionnelle » contraires à la loin° 78-17 du 6 janvier 1978 relative àl’informatique, aux fichiers et aux libertés.

Par la suite, le tribunal d’instance deLibourne, par une ordonnance de référé du15 septembre 2005, a exigé le retrait del’affichage de notes par la filiale françaised’une société américaine, BSN-Glasspack,invitant les salariés à utiliser un dispositifd’alerte, au motif qu’il existait « undommage potentiel éminent pour leslibertés individuelles de salariés, victimesde dénonciations anonymes recueillies parle biais d’un dispositif privé échappant àtout contrôle, sans que l’ intérêt del’entreprise ne permette de le justifier ». Iln’a toutefois pas tranché le débat au fond.

1.2. La reconnaissance des dispositifsd’alerte professionnelle en droitfrançais

La CNIL a toutefois adopté, le 10 novembre2005, un document d’orientation dans lequelelle admet les dispositifs d’alerte « dès lorsque les droits des personnes mises encause directement ou indirectement dansune alerte sont garantis, au regard desrègles relatives à la protection des donnéespersonnelles ».

Elle a, ensuite, adopté, le 8 décembre 2005,en application de l’article 25.II de la loiinformatique et libertés1, une autorisationunique2 pour les dispositifs d’alerteprofessionnelle qui répondent à uneobligation législative ou réglementaire etportent sur des domaines comptables,bancaires, le contrôle des comptes et lalutte contre la corruption3.

Par ailleurs, le législateur est venu protégerles personnes qui auraient recours auxdispositifs d’alerte professionnelle. Ainsi, laloi relative à la lutte contre la corruptionadoptée le 13 novembre 2007 interdit desanctionner un salarié qui dénonce debonne foi, les faits de corruption dont il aeu connaissance4.

Les alertes professionnelles ou « whistleblowing » endroit Français, la fin d’un tabou ?

Par Pauline Girot de Langlade

La loi américaine Sarbanes-Oxley, votée par le Congrès américain en juillet 2002,impose aux sociétés cotées à la bourse américaine et donc aux filiales françaisesde groupes américains et aux sociétés françaises cotées sur le marché américain,d’instituer des dispositifs d’alerte professionnelle, dits de « whistleblowing »,permettant aux salariés de dénoncer des pratiques illicites, dont ils auraient euconnaissance à l’occasion de leurs fonctions.

1 Article qui permet à la CNIL d’autoriser par décisionunique tous les traitements qui répondent à unemême finalité, portent sur des catégories de donnéesidentiques et ont les mêmes destinataires oucatégories de destinataires.2 Délibération n° 2005-305 du 8 décembre 2005portant autorisation unique de traitementsautomatisés de données à caractère personnel misen œuvre dans le cadre de dispositifs d’alerteprofessionnelle (décision d’autorisation uniquen° AU-004).3 Article 1er de l’autorisation unique.4 Article L. 1161-1 du code du travail : « Aucunepersonne ne peut être écartée d’une procédure derecrutement ou de l’accès à un stage ou à une[Suite en bas de colonne suivant]

Les dispositifsd’alerteprofessionnelleont peiné às’imposer endroit français

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Enfin, l’administration du travail a diffusé unecirculaire qui donne à l’administration deséléments d’appréciation des dispositifsd’alerte et permet aux sociétés de mettreen place des dispositifs conformes à lalégislation française5.

1.3. Un domaine en extension

Dès 2005, ont été autorisés les dispositifsd’alerte professionnelle portant sur lesdomaines comptables, bancaires, lecontrôle des comptes et la lutte contre lacorruption.

Mais un rapport « Chartes d’éthique, alerteprofessionnelle et droit du travail français :état des lieux et perspectives6 » proposait,dès novembre 2006, la mise en place dansles entreprises de dispositifs d’alerteprofessionnelle avec un champ plus largeque celui autorisé par la CNIL, et ce aumoyen de conventions ou accords collectifsfixant les modalités de fonctionnement, ou,à défaut, par une décision du chefd’entreprise après consultation du comitéd’entreprise ou des délégués du personnel,et information de l’inspecteur du travail etdes salariés.

Ce rapport proposait de définir la notion dedispositif d’alerte professionnelle, commeun ensemble de règles organisant lapossibilité pour un salarié, ou toute autrepersonne exerçant une activité dans une

entreprise, de signaler au chef d’entrepriseou à d’autres personnes désignées à ceteffet :

• des actes contraires à des dispositionslégislatives ou réglementaires, auxdispositions des conventions et accordscollectifs de travail applicables àl’entreprise, ou à des règles d’origineéthique ou professionnelle, qui nuisentgravement au fonctionnement del’entreprise ; des atteintes aux droits despersonnes et aux libertés individuelles,qui ne seraient pas justifiées par lanature de la tâche à accomplir niproportionnées au but recherché ;

• des atteintes à la santé physique etmentale des salariés.

Ce rapport n’a toutefois pas été suivi demesures législatives ou réglementaires.

Néanmoins, le Conseil de la concurrence,aujourd’hui Autorité de la concurrence, suravis de la CNIL, accepte, depuis 20077, queles entreprises s’engagent à mettre en placedes systèmes d’alerte professionnellepermettant à leurs salariés de dénoncer despratiques anticoncurrentielles, afin de pouvoirbénéficier de la procédure dite de « noncontestation des griefs » (article L. 464-2 IIIdu code de commerce8).

Par ailleurs, la loi n° 2009-967 du 3 août2009 de programmation relative à la miseen œuvre du Grenelle de l’environnement,prévoit l’extension des dispositifs d’alerteprofessionnelle aux risques d’atteinte àl’environnement9.

[Suite du bas de colonne précédent]période de formation en entreprise, aucun salariéne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objetd’une mesure discriminatoire directe ou indirecte,notamment en matière de rémunération, deformation, de reclassement, d’affectation, dequalif ication, de classification de promotionprofessionnelle, de mutation ou de renouvèlementde contrat pour avoir relaté ou témoigné de bonnefoi, soit à son employeur, soit aux autoritésjudicaires ou administratives, de faits de corruptiondont il aurait eu connaissance dans l’exercice deses fonctions. Toute rupture du contrat de travailqui en résulterait, toute disposition ou tout actecontraire est nul de plein droit. »5 Circulaire DGT n° 2008-22 du 19 novembre 2008relatives aux chartes éthiques, dispositifs d’alerteprofessionnelle et au règlement intérieur.6 Rapport remis au ministre délégué à l’emploi ennovembre 2006.

7 Voir par exemple : décision du 26 juin 2007 (n° 07-D-21) relative à des pratiques mises en œuvre dansle secteur de la location-entretien du line, décisionn° 08-D-13 relative à des pratiques relevées dansle secteur de l’entretien courant des locaux.8 Procédure par laquelle une entreprise renonce àcontester les griefs émis contre elle et à prendredes engagements et ce afin de réduire le montantde l’amende qui doit lui être imputée. Voirl’ordonnance n° 2004-1173 du 4 novembre 2004 quipermet au Conseil de la concurrence « d’accepterdes engagements proposés par les entreprisesou organismes et de nature à mettre un terme auxpratiques anticoncurrentielles ».9 Article 53.

Les dispositifsd’alerteprofessionnelleont été étendus àde nouveauxdomaines

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 201044

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2. Un régime sous contrôle

2.1. Les dispositifs d’alerte profession-nelle doivent être conformes audroit du travail et aux dispositionsla loi informatique et libertésde 1978, telles que reprisesnotamment dans le documentd’orientation du 10 novembre 2005et la délibération du 8 décembre2005 de la CNIL

Les dispositifs d’alerte sont soumis àplusieurs contraintes. En particulier :

• Les institutions représentatives dupersonnel, le Comité d’entreprise(article L. 2323-32 du code du travail) etle Comité d’hygiène, de sécurité desconditions de travail (article L. 4612-1),doivent être consultés avant la mise enplace du dispositif d’alerte professionnelle.

• Ces dispositifs doivent être facultatifs etcomplémentaires à d’autres systèmesd’alerte et leur objet restreint à undomaine spécifique.

• Les données conservées doivent êtreobjectives, adéquates, ne pas êtreexcessives, et leur confidentialitégarantie. En revanche, les alertesanonymes ne doivent pas être encou-ragées, et doivent toujours s’entourer deprécautions particulières. Le recueil etle traitement des données doit êtreconfié à une organisation spécifique(interne ou prestataire externe) dont lepersonnel est spécialement formé etastreint à une obligation renforcée deconfidentialité. Toute personne visée parune alerte doit avoir accès aux donnéesla concernant et doit pouvoir demanderleur rectification ou suppression(articles 39 et 40 de la loi informatiqueet liberté). Les données recueilliesdoivent par ailleurs être conservées dansun délai limité (article 6, 5° de la loiinformatique et liberté). En cas detransfert des données hors UE, la sociétédestinataire doit avoir adhéré au SafeHarbor, si elle est aux États-Unis, avoirconclu avec l’entité transférant lesdonnées un contrat de transfert dedonnées conforme au modèle de lacommission européenne, ou avoir adoptéune Charte jugée par la Cnil commeayant un degré de protection suffisant.

• L’entité responsable du dispositif doit êtreidentifiée, ainsi que les catégories depersonnel pouvant utiliser le dispositifd’alerte ou être dénoncés.

• Les salariés visés par les alertes doiventen être informés (article 32 de la loiinformatique et liberté et article L. 1222-4du code du travail).

• Le dispositif doit indiquer que l’utilisateurde bonne foi ne peut faire l’objet desanction.

2.2. Le juge judiciaire contrôle la licéitédes dispositifs d’alerte profession-nelle

Les dispositifs d’alerte professionnelle, dansla mesure où ils impliquent un traitementde données personnelles, doivent fairel’objet d’une autorisation préalable de laCNIL. Ainsi, les dispositifs d’alerte ayantun champ plus large que celui fixé par laCNIL, dans son autorisation unique et nerépondant pas à une obligation législativeou réglementaire, l’entreprise doit obtenir,avant sa mise en œuvre, une autorisationparticulière, conformément à l’article 25.I dela loi. À cette occasion, la CNIL vérifie laconformité du dispositif à la loi informatiqueet libertés.

En revanche, les entreprises, instituant desdispositifs d’alerte dont le domaine estcouvert par l’autorisation unique, n’ont pasà obtenir d’autorisation préalable de la CNILmais seulement à lui adresser unengagement de conformité. Il s’agit d’unesimple procédure déclarative. Les dispositifsd’alerte professionnelle ne sont alors pascontrôlés par la CNIL. Ils peuvent néanmoinsêtre contrôlés par le juge judiciaire.

2.2.1. Le juge judicaire vérifie si ledomaine matériel des dispositifsd’alerte professionnelle est biencouvert par l’autorisation uniquede la CNIL

Un litige impliquant la société DassaultSystème, a permis à la Cour de cassationde préciser, pour la première fois, l’étenduedu contrôle du juge judiciaire.

Pour lesdomainescouverts parl’autorisationunique,l’autorisationpréalable de laCNIL n’est pasnécessaire

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Dassault Système avait adopté un code deconduite, instituant notamment, undispositif d’alerte professionnelle qui visaitnon seulement les manquements sérieuxen matière comptable, financière, ou de luttecontre la corruption, conformément àl’article 1er de l’autorisation unique, maiségalement les « manquements graves » auxprincipes du code d’éthique lorsque est misen jeu « l’intérêt vital du groupe » ou« l’intégrité physique ou morale d’unepersonne ».

Le TGI de Nanterre, dans un jugement du19 octobre 200710, a considéré que l’objetdu dispositif s’écartait du champ del’autorisation unique de la CNIL fixé dans ladélibération du 8 décembre 2005. Il nepouvait donc faire l’objet d’un simpleengagement de conformité. La cour d’appelde Versailles11 avait infirmé ce jugement, aumotif que l’article 3 de l’autorisation uniquepermettait que des faits non visés àl’article 1er puissent, par exception, êtrecommuniqués lorsque l’intérêt vital de lasociété ou l’intégrité physique ou moraledes employés sont en jeu.

La Cour de cassation a censuré la décisionde la cour d’appel. Dans un arrêt du8 décembre 200912, elle a rappelé que lechamp de l’article 1er de la délibération dela CNIL du 8 décembre 2005 vise les seulsdomaines financiers, comptables,bancaires et de lutte contre la corruption.Or, selon la Cour de cassation, pourbénéficier de l’autorisation unique et doncfaire l’objet d’un simple engagement deconformité, les dispositifs d’alerteprofessionnelle ne doivent pas avoir d’autrefinalité que celle définie dans l’article 1er dela délibération de la CNIL, l’article 3 n’ayantpas pour effet de permettre à l’entreprised’étendre ou modifier le domaine d’undispositif faisant l’objet d’un engagement deconformité devant la CNIL.

2.2.2. Le juge judiciaire vérifie égale-ment si les autres conditions devalidité des dispositifs d’alerteprofessionnelle sont respectées

Dès 2006, un tribunal13 s’était prononcé, aufond, sur l’absence d’atteinte, dans le cadred’un dispositif d’alerte professionnelle, auxdroits et libertés des travailleurs et sur lerespect de la loi informatique et liberté,notamment au regard de la délibération dela CNIL du 8 décembre 2005. En l’espèce,il a considéré que le dispositif est licite dansla mesure où il ne pouvait être utilisé quepour répondre à des intérêts dont la légitimitéétait établie (domaines comptables, contrôledes comptes et lutte contre la corruption),que l’identité de l’émetteur est confidentielleet que la personne visée par l’alerte a undroit d’accès et de rectification des donnéesla concernant.

Le TGI de Nanterre a, de la même façon,examiné la licéité du dispositif institué parDassault Système, au regard de la loide 1978 et considéré que l’objet était tropvaste et était donc « susceptible d’encou-rager les dénonciations calomnieuses et deporter atteinte gravement aux salariés viséspar des alertes en les stigmatisant » et étaitdonc contraire à l’article 7 de la loiinformatique et liberté. Il a égalementconsidéré qu’une partie des conditionsfixées par la loi de 1978 telles quel’obligation de confidentialité, la sécurité desdonnées, l’information des personnesconcernées, les conditions de conservationet de destruction des données n’étaient pasrespectées. La cour d’appel de Versaillesdans son arrêt du 17 avril 2008 avait infirméle jugement du TGI de Nanterre, considérantque dans la mesure où le dispositif a faitl’objet d’une déclaration auprès la CNIL,l’entreprise n’était pas tenue de rappelerdans le code de conduite l’ensemble desarticles de la délibération du 8 décembre2005 portant autorisation unique, maisseulement les points principaux.

Mais, la Cour de cassation a égalementcensuré la décision de la cour d’appel surcette question, considérant que le dispositifn’était pas conforme à la loi informatique etliberté. Selon la Cour de cassation, l’acte10 TGI Nanterre, 2ème chambre, 19 octobre 2007,

Fédération des travailleurs de la métallurgie CGT c/ Société Dassault Système.11 CA Versailles, 17 avril 2008.12 Cass. Soc., 8 décembre 2009. 13 TGI Lyon, 19 septembre 2006.

Seuls certainsdomaines sontvisés parl’article 1er de ladélibération dela CNIL du8 décembre 2005

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 201046

Droit des entreprises

instituant le dispositif d’alerte doit préciserles conditions d’information des personnesvisées par l’alerte, telles qu’elles sontprévues par la loi et reprises dans ladélibération de la CNIL, sous peine de nullitédu dispositif.

Il convient, enfin, d’indiquer que le TGI deCaen, dans un jugement du 6 novembre200914, a également censuré un dispositifd’alerte professionnelle, au motif qu’il étaitdisproportionné par rapport aux objectifspoursuivis. En outre, en application du codedu travail, le Comité d’hygiène, de sécuritédes conditions de travail aurait du émettreun avis. En l’espèce le dispositif prenait laforme d’un site internet accessible à tous,dont l’objet portait sur des sujets d’ordregénéral, dont le traitement des donnéesn’était pas suffisamment encadré etencourageait les dénonciations anonymes.

** *

Ainsi, les dispositifs d’alerte professionnelleont finalement été admis en droit français,et ce, notamment, afin que les sociétésfrançaises cotées aux États-Unis puissentse conformer à la législation américaine.Toutefois, en l’absence de cadre législatifen France, il est revenu à la CNIL et aujuge judicaire de fixer les conditions de leurmise en œuvre, en particulier les modalitésde collecte et de traitement des données.Or, le juge judiciaire a une interprétationstricte des principes et dispositionslégislatives auxquels ces dispositifs sontsoumis, ce qui l’amène bien souvent à lescensurer.

Pauline Girot de Langlade (Directiondes affaires juridiques)

14 TGI Caen, 5 nov. 2009, Comité d’entreprise BenoisGirard et autres c/ Benois Girard.

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 2010 47

Droit de l’Union européenne

1. Participer activement à la négo-ciation des textes

1.1. La procédure législative ordinaireconsacre le Parlement européenen tant que co-législateur

L’article 294 TFUE reprend en grande partieles termes de l’article 251 TCE, et consacrela procédure de codécision en tant que« procédure législative ordinaire ». Lamodification principale de la procédure portesur le renforcement du rôle du Parlementeuropéen. Jusqu’à présent, la phasedécisionnelle débutait par un premierexamen du Conseil, après avis duParlement européen. Désormais, tout texteprésenté par la Commission est transmisau Parlement, qui « adopte une position enpremière lecture », avant transmission dela proposition au Conseil.

Cette procédure s’étend à des domainesexistants (par exemple : modalités de lasurveillance multilatérale en matière depolitique économique (art. 121 TFUE) etmesures nécessaires pour éliminer lesdistorsions sur le marché intérieur dues auxdisparités entre dispositions nationales(art. 116 TFUE)), mais également à denouveaux domaines (par exemple :mesures relatives à la création de titreseuropéens pour la protection des droits depropriété intellectuelle dans l’Union(art. 118 TFUE) et politique européenne dutourisme (art. 195 TFUE)).

Dans ce contexte « d’équilibrage » des deuxbranches du pouvoir législatif européen auprofit du Parlement, le renforcement deséchanges entre les ministères financiers etcette institution peut être réalisé via la« Mission Parlement européen » duministère, mais également par l’intermédiairedu secrétariat général aux affaireseuropéennes, l’un et l’autre en contact avecles parlementaires français.

1.2. Le rôle du Parlement national estrenforcé

L’article 12 du traité sur l’Union européenneénonce que « les Parlements nationauxcontribuent activement au bon fonction-nement de l’Union » et énumère ensuite tousles cas où les traités (TUE et TFUE)reconnaissent un rôle aux Parlementsnationaux. Ces diverses situations sontprécisées dans le protocole sur le rôle desParlements nationaux dans l’Unioneuropéenne.

Ce protocole garantit, tout d’abord, un droità l’information renforcé des Parlementsnationaux :

• les institutions de l’Union leurtransmettent « tout projet d’actelégislatif » et tout document deconsultation dès sa publication(article 12a TUE) ;

• ils sont informés de toute demanded’adhésion à l’Union (article 49 TUE) ;

• ils peuvent disposer d’une informationspécifique concernant la mise en œuvredes politiques de l’Union relatives àl’espace de liberté, sécurité et justice.

Il leur accorde également un pouvoir decontrôle de la répartition des compétences(article 12b TUE) : le protocole prévoit eneffet que les Parlements nationaux peuvent« adresser aux présidents du Parlementeuropéen, du Conseil ou de la Commission,un avis motivé concernant la conformitéd’un projet d’acte législatif avec le principede subsidiarité ». Ils disposent pour celad’un délai de huit semaines à compter dela transmission d’un projet d’acte législatif.Le protocole leur accorde aussi lapossibilité, via leur Gouvernement, de saisirla CJUE de tout acte contraire au principe

L’entrée en vigueur du traité de Lisbonne : repenser lesstratégies d’influence et les méthodes de travail au sein

des ministères financiersPar Anne Marchal

Le traité de Lisbonne, entré en vigueur le 1er décembre 2009, modifie la procédurede négociation des textes ainsi que la procédure contentieuse. Ces modificationsimpactent les méthodes de travail des ministères de l’économie et du budget, quidoivent repenser leurs stratégies d’influence et faire preuve d’une vigilance accrueface au risque contentieux.

Le traité deLisbonnediversifie leslieux et moyensd’influence auniveau européen

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 201048

Droit de l’Union européenne

de subsidiarité. Ceci confère auxParlements nationaux la double possibilitéd’exercer un contrôle politique a priori et uncontrôle juridictionnel a posteriori du respectdu principe de subsidiarité.

Le traité leur octroie un nouveau pouvoird’opposition qui s’illustre particulièrementen matière de révision des traités.L’article 48 TUE met en place une procédurede révision simplifiée dite « clausepasserelle » générale qui permet au Conseild’étendre, à l’unanimité, le champ de lamajorité qualifiée ou de la procédurelégislative ordinaire. Dans ce cas, lesParlements nationaux disposent d’un délaide six mois après transmission de ladécision du Conseil pour s’y opposer.

Avant l’entrée en vigueur de cesstipulations, les Parlements nationauxbénéficiaient seulement d’une procédured’information sur certains actes desinstitutions en préparation1.

La loi constitutionnelle n° 2008-103 du4 février 2008 a modifié la Constitution, afinde prendre en compte les nouvellesprérogatives reconnues aux Parlementsnationaux par le traité de Lisbonne.

Depuis le 1er décembre 2009, date del’entrée en vigueur du traité de Lisbonne etconformément à la loi constitutionnelle, letitre XV de la Constitution comporte deuxnouveaux articles :

• l’article 88-6 qui consacre la possibilitépour l’Assemblée nationale et le Sénatd’émettre un avis motivé sur laconformité d’un projet d’acte législatif auprincipe de subsidiarité, ainsi que deformer un recours sur ce point devant laCJUE à l’encontre d’un acte législatifeuropéen ;

• l’article 88-7 qui confère aux deuxchambres la possibilité de s’opposer àune révision des traités au titre de laprocédure simplifiée ou de la coopérationjudiciaire civile et en précise lesmodalités.

Cette révision constitutionnelle a égalementétendu le champ de l’article 88-4 àl’ensemble des projets d’actes législatifseuropéens.

Le rôle des ministères, dans la transmissionaux deux chambres des documentsexplicatifs sur les textes cours d’adoptionou adoptés, sera précisé dans unecirculaire.

1.3. Le rôle des experts nationaux estsur le point d’être précisé

Le traité de Lisbonne introduit une distinctionentre les actes délégués (article 290 TFUE)et les actes d’exécution (article 291 TFUE).Ces deux nouvelles catégories d’actesjuridiques vont nécessiter, pour leurélaboration, la participation d’expertsnationaux. Cette participation est encore àdéfinir, à la fois pour ce qui relève desprocédures de comitologie existantes maisqui vont être réécrites (actes d’exécution) etdes nouvelles procédures à mettre en place(actes délégués).

Les « actes d’exécution » correspondentaux mesures de mise en œuvre des actesjuridiques européens, dont l’adoption relèveen principe des États membres2. Sous lerégime précédent (article 202 CE), leConseil, titulaire des compétencesd’exécution, les déléguait à la Commission.Des comités composés d’experts nationauxétaient toutefois chargés d’assister celle-cidans l’exercice de ses fonctions d’exécution.Cette procédure d’encadrement, dite« comitologie », a été formalisée parplusieurs décisions successives du Conseil,dont la dernière date de 2006.

Le traité de Lisbonne consacre désormais,lorsqu’il est nécessaire d’assurer des« conditions uniformes d’exécution desactes juridiquement contraignants del’Union », la compétence de principe de laCommission pour l’adoption de ces actes,le Conseil ne détenant plus qu’unecompétence d’attribution. Les Étatsmembres resteront néanmoins associés àl’élaboration des actes d’exécution à traversla procédure de comitologie.

1 Cette procédure était organisée en France parl’article 88-4 de la Constitution et explicitée par lacirculaire du Premier ministre du 27 septembre 2004,relative à la procédure de transposition en droitinterne des directives et décisions-cadres négociéesdans le cadre des institutions européennes.

2 François-Xavier Priollaud, David Siritzky, Le traitéde Lisbonne : texte et commentaire article par articledes nouveaux traités européens (TUE-TFUE), LaDocumentation française, 2008, p. 364.

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 2010 49

Droit de l’Union européenne

L’article 291 § 3 prévoit que « les règles etprincipes généraux relatifs aux modalitésde contrôle par les États membres del’exercice des compétences d’exécution parla Commission » seront encadrés par unrèglement adopté conformément à laprocédure législative ordinaire, ainsi quel’ont précisé le Parlement européen, leConseil et la Commission dans unedéclaration commune du 22 décembre2009. Les travaux sur ce règlement deprocédure, qui encadrera la participationdes experts nationaux aux processus, ontlieu au sein d’un nouveau groupe « Amisde la Présidence » qui s’est réuni fin janvier.L’adoption de ce texte est l’un des objectifsde la présidence espagnole. La décisionde 2006 sur la comitologie continue des’appliquer jusqu’à l’adoption du règlement.

Les « actes délégués » sont des actes « deportée générale qui complètent ou modifientcertains éléments non essentiels de l’actelégislatif ». L’article 290 TFUE prévoit quele législateur délègue ce pouvoir à laCommission. Dans une communication du9 décembre 20093, la Commission asouhaité préciser le cadre général danslequel ces délégations de pouvoir devaients’inscrire. Elle s’est notamment engagée àconsulter systématiquement, lors de laphase préparatoire, les experts desautorités nationales de tous les Étatsmembres qui seront responsables de lamise en œuvre des actes délégués une foisceux-ci adoptés. À cette fin, elle constituerade nouveaux groupes d’experts ou pourraavoir recours aux groupes d’expertsexistants.

2. Accroître la vigilance lors de laphase contentieuse

2.1. Le raccourcissement de laprocédure de manquement surmanquement

La procédure de manquement prévue auxarticles 226 et 228 du traité CE, qui a pourobjectif d’obliger les États membres à semettre en conformité avec le droitcommunautaire, était composée de deuxphases préalables avant la saisine de laCour par la Commission (mise en demeure

puis avis motivé). Plusieurs annéespouvaient ainsi s’écouler avant que ne soientinfligées des sanctions pécuniaires à unÉtat membre condamné4.

Le traité de Lisbonne supprime, lors de laprocédure de manquement sur manquement(article 260 § 2 TFUE), la phase de l’avismotivé, raccourcissant ainsi la procéduremenant au prononcé de sanctionspécuniaires. La procédure est donc simplifiéeet devrait inciter les États membres à semettre en conformité avec le droitcommunautaire plus rapidement.

2.2. La possibilité de prononcer dessanctions pécuniaires pour noncommunication des mesures detransposition, dès la premièreprocédure en manquement(article 260 § 3)

Selon cette stipulation, « lorsque laCommission saisit la Cour d’un recours envertu de l’article 258, estimant que l’Étatmembre concerné a manqué à sonobligation de communiquer des mesures detransposition […] elle peut […] indiquer lemontant d’une somme forfaitaire ou d’uneastreinte à payer par cet État, qu’elle estimeadaptée aux circonstances ». Il avait déjàété précisé, dans l’affaire dite « despoissons sous taille5 », que les deux typesde sanctions pécuniaires (astreinte etsomme forfaitaire) pouvaient se cumuler.

Cette disposition accroît l’efficacité du recoursen manquement prévu à l’article 258 TFUE.En cas de non-communication des mesuresnationales de transposition dans le délaiimparti par une directive, la Commission peutsaisir la Cour, d’un recours en manquementcontre l’État fautif, mais également d’unedemande d’infliger une sanction pécuniaire.Cette possibilité n’est actuellement ouverte à

3 COM (2009) 673 final, 9 décembre 2009.

4 Par exemple, la France a été condamnée enmanquement pour non transposition dans les délaisde la directive 2001/18 sur les OGM le 14 juillet 2004(affaire C-419/03). La CJCE, saisie par laCommission, au titre de l’article 228 CE pour nonexécution du premier arrêt en manquement acondamné la France à une amende de 10 millionsd’euros le 9 décembre 2008 (affaire C-121/07).Quatre années se sont donc écoulées entre lesdeux condamnations.5 Affaire C-304/02, Commission contre France,12 juillet 2005.

Le groupe desAmis de laPrésidenceexaminera enmars laproposition derèglement relatifaux actesd’exécution

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 201050

Droit de l’Union européenne

la Commission qu’à l’issue de la secondeprocédure destinée à sanctionner l’inexé-cution du premier arrêt en manquement.

Une plus grande efficacité du mécanismede sanction des États, en cas de nonexécution du droit communautaire, est ainsirecherchée.

Les services ministériels doivent donc fairepreuve de diligence dans l’insertion du droitdérivé en droit national et d’une vigilanceaccrue, en cas de mise en cause pour non-conformité au droit communautaire.

Anne Marchal (Direction des affairesjuridiques)

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 2010 51

Fiscalité

La taxe générale sur les activités polluantesou TGAP, instituée il y a un peu plus de dixans, en 1999, est née de la fusion d’unesérie d’écotaxes, toutes affectées àl’Agence pour la défense et la maîtrise del’environnement (l’ADEME). Si les modalitésde perception et de paiement des diversestaxes, dont elle est issue, ont été ainsiunifiées et placées pour la plupart sous ladirection de l’administration douanière,cette taxe demeure marquée par la pluralitéde ses composantes. Elle ne se limite pasaux déchets, mais s’étend aux émissionspolluantes, aux lubrifiants, aux huiles etpréparations lubrifiantes, aux lessives, auxmatériaux d’extraction, aux imprimés et auxinstallations classées. S’agissant plusprécisément des déchets, la TGAPrecouvre à la fois les déchets ménagers etassimilés (DMA) et les déchets industrielsspéciaux (DIS). La nouvelle politique desdéchets, dessinée par le Grenelle del’environnement, s’est concentrée sur lesDMA à travers l’engagement 245 consistantà renchérir progressivement et de façonlisible le traitement, afin de favoriser laprévention et le recyclage, d’une part, enaugmentant le taux de la TGAP sur lesdécharges, c’est-à-dire les installations destockage (un doublement du taux d’ici 2015)et, d’autre part, en créant une taxe sur lesincinérateurs, modulée en fonction del’efficacité environnementale et énergétiqueet affectée à des mesures de prévention.Si le taux de la TGAP sur les DMA est déjànettement supérieur à celui frappant lesDIS, et le sera de plus en plus en raison del’engagement pris lors du Grenelle del’environnement, il n’en demeure pas moinsque ce dernier taux est loin d’êtrenégligeable1. Il va sans dire que cette

taxation fait peser sur les entreprises dusecteur un surcoût financier, qui serépercute en tout ou partie sur lesproducteurs de déchets du fait de sonintégration dans la fixation du prix de laprestation de stockage ou d’incinération.L’enjeu financier qui s’y attache expliquesans doute la récente progression ducontentieux en la matière. Si cette taxe adonné l’occasion à la Cour de cassationd’apporter d’utiles précisions sur laprocédure de délivrance d’une autorisationde mise en recouvrement et sur ladétermination de la juridiction territoria-lement compétente pour connaître de lacontestation de cet acte2, ce qui intéressel’ensemble des droits recouvrés parl’administration douanière, et passeulement la TGAP déchets, l’essentiel dela jurisprudence en la matière, qui nemanquera pas de se développer, porte surl’assiette de la taxe et sur ses redevables,c’est-à-dire sur son champ d’application àla fois matériel et personnel.

1. L’assiette de la TGAP déchets

La TGAP déchets est assise sur le poidsde ceux qui sont reçus ou transférés versun autre État membre, par les exploitantsd’installations d’élimination (que ce soit par

La taxe générale sur les activités polluantes et lesdéchets : un contentieux florissant ou une usine à

gaz ?Par Agnès Maîtrepierre

La taxe générale sur les activités polluantes, une écotaxe qui a été sous le feu del’actualité avec le Grenelle de l’environnement, connaît depuis peu un certainsuccès dans les prétoires. On peut se demander si ce contentieux émergeant nerisque pas de devenir florissant, compte tenu de l’ampleur des intérêts financiersen jeu et de la complexité des questions que suscite son application.

1 Pour l’année 2010, le taux de la TGAP sur les DISs’élève à 10,36 euros par tonne de déchetsréceptionnés dans une installation d’élimination outransférés vers une telle installation dans un autre[Suite en bas de colonne suivant]

[Suite du bas de colonne précédent]État membre de l’Union européenne, et à 20,67 eurospar tonne de déchets réceptionnés dans uneinstallation de stockage ou transférés vers une telleinstallation dans un autre pays européen. Quant autaux de la TGAP sur les DMA, il varie entre 60 et10 euros par tonne de déchets réceptionnés outransférés dans un autre État membre.2 Voir, respectivement : Cass. Com., 6 mai 2008,n° 07-12.567 ; et Cass. Com., 8 décembre 2009,n° 08-15.231 ; tirant les conséquences, sur leprincipe des droits de la défense, de : CJCE,18 décembre 2008, Sopopré, aff. C-349/07 (Rec.p. I-10369).

La TGAP est néeen 1999 de lafusion deplusieursécotaxes

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 201052

Fiscalité

stockage ou par incinération), lesquelsconstituent les redevables (articles 226sexies, I, 1, et 266 octies, 1, du code desdouanes). Ces dispositions ont opposé,devant la Cour de cassation, plusieursentreprises à l’administration douanière, etce sur deux questions, celle de la notionde déchet, celle de l’origine du déchet.

1.1. La notion de déchet

La notion de déchet n’est pas définie par lecode des douanes, mais par le code del’environnement. Son article L. 541-1-IIprécise que cette notion recouvre « toutrésidu d’un processus de production, detransformation ou d’utilisation, toutesubstance matériau, produit ou, plusgénéralement, tout bien meuble abandonnéou que son destinataire destine àl’abandon ». Cette définition est issue dela transposition de la directive 75/442/CEEdu Conseil, du 15 juillet 1975, sur lesdéchets, telle que modifiée par la directive91/156/CEE du Conseil, du 18 mars 1991,avant d’être codifiée, après plusieursmodifications successives, par la directive2006/12/CE du Parlement et du Conseil, du5 avril 2006, qui présente le même intitulé.

La notion de déchet, au sens de cesdirectives, a donné lieu à une abondantejurisprudence de la Cour de justice, saisiele plus souvent par la voie de renvoispréjudiciels émanant des juridictions desÉtats membres. Cette jurisprudence estparticulièrement complexe : elle repose surune conception extensive de la notion dedéchet, par le recours à un faisceaud’indices, tout en réservant des hypothèsesdans lesquelles, à condition de satisfaire àune série d’exigences cumulatives, unproduit est susceptible d’échapper à laqualification de déchet.

Bien que cette jurisprudence communau-taire rende peu aisé cet exercice dequalification d’un produit, la Cour decassation a décidé de la transposer à laTGAP déchets. En effet, même sil’institution de cette taxe n’a pas étéimposée par le droit communautaire, ellerépond aux objectifs poursuivis par lapolitique de l’Union européenne dans ledomaine de l’environnement, consistant àmettre en œuvre, de manière effective, leprincipe « pollueur-payeur », qui figure à

l’article 174, paragraphe 2, du traité CE(devenu, depuis l’entrée en vigueur du traitéde Lisbonne, l’article 191, paragraphe 2, duTFUE). Ce principe est énoncé à l’article 15de la directive déchets, et se trouveconsacré par la Charte de l’environnement,laquelle fait désormais partie du bloc deconstitutionnalité. La convergence desobjectifs va de pair avec une convergencedes notions.

Conformément à cette logique, la Cour decassation a tiré les conséquences de lajurisprudence communautaire sur la notionde déchets, dont elle a pris le soin – parsouci pédagogique – de rappeler à la foisminutieusement et synthétiquement lateneur, dans deux récents arrêts, l’un derejet, l’autre de cassation, de décisions quiavaient retenu la qualification de déchets3.

1.2. L’origine des déchets

Dans un arrêt du 20 novembre 2007, la Courde cassation a précisé que « l’assiette desdroits à recouvrer au titre de la TGAP estconstituée par le poids des déchets reçuspar l’exploitant de l’installation d’éliminationconcernée, qui proviennent d’autrespersonnes que celle qui exploite cetteinstallation, à l’exclusion de celui desdéchets que cette dernière produit4 ».

En l’espèce, l’exploitant de l’installationprocédait à l’élimination de déchetsd’origines diverses : certains étaientproduits par lui, d’autres l’étaient pard’autres sociétés du même groupe, d’autresencore l’étaient par des sociétés françaisesou étrangères, extérieures au groupe. Aprèss’être acquittée d’une certaine somme autitre de la TGAP sur les DIS, l’exploitant del’installation s’est vu notifier un avis de miseen recouvrement pour une somme supplé-mentaire, qu’il a contesté sans succès

3 Cass. Com., 21 octobre 2008, n° 07-12.737(cassation) ; Cass. Com., 8 décembre 2009, n° 08-15.231, précité (rejet). À rapprocher de : Cass.Com., 17 juin 2008, n° 07-14.394 (rejet). Pour uncommentaire du premier arrêt, voir A. Maîtrepierre,dans « Application du droit communautaire par laCour de cassation (juillet 2008 à juin 2009) », sousla direction de L. Azoulai, Europe , n° 12,décembre 2009, p. 10.4 Cass. Com., 20 novembre 2007, n° 06-19.658,commenté, notamment, par Ph. Billet, « Poids etorigine des déchets », Environnement, 2008-1,comm. 10.

La notion dedéchet est issuede latranspositiond’une directiveeuropéenne

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 2010 53

Fiscalité

devant l’administration douanière, puis enpremière instance et en appel. La courd’appel a retenu que l’opérateur étaitredevable de la TGAP pour la totalité desdéchets qu’il avait reçus pendant la périodeconsidérée, y compris ceux qu’il avait lui-même produits. Elle s’est fondée en ce senssur un argument textuel : le code desdouanes prévoit que la taxe en cause estdue en raison de la réception des déchetsen fonction de leur poids, sans opérer dedistinction quant à leur provenance. Cettesolution pouvait sans doute se réclamer d’unsouci pratique de simplification, afin dedéterminer le montant des droits dus sansavoir à procéder à une ventilation desdéchets éliminés en fonction de leurprovenance.

Toutefois, l’argument textuel pouvait êtreaisément retourné en sens contraire : quidit réception des déchets, dit production deceux-ci à l’extérieur ; des déchets produitsà l’intérieur ne peuvent, par définition, y êtrereçus. En outre, plus fondamentalement, lasituation des déchets produits parl’exploitant de l’installation d’éliminationn’est pas comparable à celle des déchetsproduits à l’extérieur, qui sont ensuiteacheminés vers l’exploitant : le transport dedéchets fait courir des risques spécifiquesà l’environnement. C’est précisément laraison pour laquelle cette opération eststrictement encadrée par le règlement1013/2006 du Parlement et du Conseil, du14 juin 2006, concernant le transfert desdéchets. La taxation des déchets produitsà l’extérieur, à l’exclusion de ceux produitsà l’intérieur, est de nature à inciter lesopérateurs à réduire la production dedéchets qui sont ensuite transférés pourêtre éliminés ou, du moins, à les éliminersur place.

2. Les redevables de la TGAPdéchets

À ce jour, l’identification des redevables dela TGAP déchets s’est posée à deuxreprises devant la Cour de cassation. Dansles deux cas étaient en cause desexploitants d’installations d’élimination deDIS. La question qui se posait était de savoirsi, soit l’origine des déchets éliminés, soitleur affectation à un certain type devalorisation, étaient susceptibles d’avoir uneincidence sur leur qualité de redevables.

2.1. La qualité de redevable et l’originedes déchets éliminés

Dans un arrêt, prononcé le même jour quecelui précédemment exposé à propos del’assiette de la TGAP déchets, la Cour decassation a précisé que « la TGAP, prévueà l’article 266 sexies-I.1 du code desdouanes est due par toute société exploitantune installation d’élimination de déchetsindustriels spéciaux, notamment parincinération et par traitement physico-chimique ou biologique, dès lors que cetteinstallation n’est pas exclusivement utiliséepour les déchets que cette société produit,mais aussi pour ceux provenant d’autressociétés, peu important que ces sociétésappartiennent à un même groupe5 ».

La situation litigieuse s’apparentait à celleexaminée dans l’affaire précitée. L’opérateuren cause procédait à l’élimination dedéchets d’origines diverses : certainsétaient produits par lui, d’autres l’étaient pard’autres sociétés, françaises ou étrangères,mais appartenant toutes au même groupe.Sa contestation contre l’avis de mise enrecouvrement qui lui avait été notifié a étérejetée en première instance mais a étéaccueillie en appel au motif que la sociétéexploitant l’installation n’utilise cettedernière que pour les déchets produits parle groupe auquel elle appartient, àl’exclusion de ceux provenant de l’extérieur.

Sur pourvoi formé par l’administrationdouanière, cette analyse a été censurée parla Cour de cassation. Plusieurs argumentsmilitaient en ce sens.

Un argument textuel tout d’abord, tiré d’uneinterprétation a contrario de l’article 266sexies-I.1, du code des douanes : ce texteprévoit que la taxe est due par « toutexploitant d’une installation d’élimination deDIS […] non exclusivement utilisée par lesdéchets que l’entreprise produit ».Autrement dit, dès lors que l’entrepriseexploitante ne se limite pas à éliminer desdéchets qu’elle produit, elle est redevablede la taxe. Ce n’est que dans l’hypothèseoù elle se limite à cette activité qu’elle yéchappe. Le bénéfice de cette exonération

5 Cass. Com., 20 novembre 2007, n° 06-14.935,commenté, notamment, par Ph. Billet, « Utilisationpar les sociétés d’un même groupe d’uneinstallation d’élimination de déchets gérée parl’une d’elles », Environnement, 2008-1, comm. 9.

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 201054

Fiscalité

est réservé, par le texte, à l’entrepriseexploitante, et ne saurait être étendu àd’autres sociétés du même groupe, dès lorsque, selon une jurisprudence constante dela Cour de cassation, un groupe de sociétésest dépourvu de toute personnalité juridique,de sorte qu’il ne peut être assimilé à lanotion de société, qui en est seule pourvue,ou à celle d’entreprise, qui emprunte sapersonnalité à celle de la société quil’exploite.

Au-delà de ces considérations textuelles,la solution retenue par la Cour de cassations’inscrit dans la logique des objectifspoursuivis par l’institution de la TGAP : lalimitation des activités polluantes (celleexercée par l’installation d’élimination et,en amont, celle dont émane la productiondes déchets destinés à être éliminés, àlaquelle est susceptible de s’ajouter celledu transport de ces déchets), et ce grâce àune mise en œuvre effective du principe« pollueur-payeur » (la TGAP, dont estredevable l’exploitant de l’installation, étantgénéralement répercutée sur le producteurde déchets).

Cela étant, si l’exploitant d’une installationd’élimination de déchets d’origines diversesest redevable de la TGAP, il n’en demeurepas moins qu’en vertu de l’arrêtantérieurement commenté, les déchets qu’ilproduit sont exclus de l’assiette de la taxedont il est redevable, de sorte qu’il n’estimposé que sur le poids des déchets quisont produits à l’extérieur.

2.2. La qualité de redevable etl’affectation de l’installation à uncertain type de valorisation

Par dérogation au principe posé àl’article 266 sexies, I.1, du code desdouanes, déjà évoqué, selon lequel la TGAPest due par tout exploitant d’une installationd’élimination de DIS, non exclusivementutilisée pour les déchets que l’entrepriseproduit, l’article 266 sexies, II, du mêmecode précise que cette taxe ne s’appliquepas « aux installations d’élimination de DISexclusivement affectées à la valorisationcomme matière par incorporation desdéchets dans un processus de productionou tout autre procédé aboutissant à la ventede matériaux ».

Une société exploitant un ensembleindustriel constitué d’une carrière de pierreset d’une usine de fabrication de ciment avaitrevendiqué le bénéfice de cette exonérationpour les DIS qu’elle avait reçus et utiliséscomme matière première pour la fabricationdu ciment. L’administration douanière s’yétait opposée en considérant que l’instal-lation en cause n’était pas exclusivementaffectée à la valorisation comme matière,comme l’exige le texte pour bénéficier del’exonération, mais également à lavalorisation comme énergie (les déchets enquestion servant également à alimenter lefour utilisé pour la fabrication du ciment).Toute la question était de savoir si lavalorisation des déchets comme matièreétait opérée par une installation spécifique,distincte de celle procédant à la valorisationcomme énergie. S’appuyant sur lesconstatations factuelles de la cour d’appel,qui avait retenu l’existence d’une installationspécifique, la Cour de cassation a approuvésa décision de lui accorder le bénéfice del’exonération revendiquée6.

Autant dire que la TGAP déchets n’a pasfini de susciter des interrogations et denécessiter des éclaircissements. Lecontentieux en la matière n’est sans doutequ’à ses débuts. Il est vraisemblablementpromis à un bel avenir, compte tenu del’importance des enjeux financiers en causeet de la complexité des questions que posela confrontation des normes (nationales,communautaires ou internationales), dansun univers, comme l’environnement,largement investi par les politiquespubliques.

Agnès Maîtrepierre, Conseillerréférendaire à la chambre commer-ciale de la Cour de cassation

6 Cass. Com., 15 décembre 2009, n° 07-21.003.

La TGAPconstitue unemise en œuvreconcrète duprincipe« pollueur-payeur »

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 2010 55

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L’importance acquise par le système n’estpas sans effet d’ordre économique etfinancier. Qu’il s’agisse des prélèvementsou des dépenses, les finances socialesoccupent le premier rang dans notre payset représentent ainsi, année après année,le cinquième du produit intérieur brut,l ’assurance maladie et l ’assurancevieillesse constituant, il convient de lesouligner, le plus clair des prestations dela sécurité sociale1. On ajoutera, pour êtrecomplet, que les dépenses de la sécuritésociale relèvent, pour l’essentiel, de lacatégorie des dépenses de transfert,l ’ institution concourant ainsi à laredistribution des revenus, redistributiondont la crise économique ouverte en 2008est venue rappeler l’utilité2.

Le financement de la sécurité socialereflète, dans sa structure même, l’évolutionde l’institution. Faute pour la puissancepublique d’avoir su imposer, dans les annéesde l’immédiat après guerre, les exigencesde la solidarité nationale, notre système de

sécurité sociale s’est constitué de lajuxtaposition de régimes distincts au profitdes catégories socio-professionnelles, lerégime général lui-même ne s’étendantinitialement, réserve faite de la branchefamille, qu’aux seuls salariés de l’industrieet du commerce. On s’explique ainsi que,reprenant la formule retenue antérieurementpour les assurances sociales, les pouvoirspublics aient opté, pour le financement desrégimes, en faveur de cotisations assisessur les revenus professionnels. Le mode definancement de la sécurité sociale atoutefois évolué depuis une vingtained’années : la part des cotisations demeure,il est vrai, prioritaire : elles représentent,aujourd’hui encore, les deux tiers desressources affectées au financement desprestations3. De nouvelles ressources sontvenues toutefois compléter et élargir lefinancement de la sécurité sociale ; parmicelles-ci, il doit être fait mention, enparticulier, des impôts et taxes affectés aufinancement de la sécurité sociale et, aupremier chef, à la contribution socialegénéralisée4.

Les cotisations de sécurité socialeconstituent, en définitive, un ensemblehomogène au sein des prélèvements

La qualification des prélèvements affectésau financement de la sécurité sociale :

la jurisprudence de la Cour de cassationPar Xavier Prétot

Institué en 1945, au lendemain de la Seconde guerre mondiale, notre système desécurité sociale occupe, aujourd’hui encore, une place majeure dans la couverturedes risques et aléas de l’existence. Il pourvoit ainsi, pour l’ensemble de lapopulation, à la compensation des charges de famille et à la prise en charge dessoins ; l’assurance vieillesse étend ses effets à la population active ; initialementréservée aux salariés, la protection contre les accidents du travail et les maladiesprofessionnelles s’étend désormais aux exploitants agricoles (loi du30 novembre 2001).

1 La loi de financement de la sécurité socialepour 2010 assigne ainsi, au titre des dépenses del’exercice à venir, des objectifs de 179,1 milliardsd’euros pour l’assurance maladie, de 195 milliardsd’euros pour l’assurance vieillesse, de 54,5 milliardsd’euros pour la branche famille, et de 12,9 milliardsd’euros pour les accidents du travail et maladiesprofessionnelles, soit au total 435,9 milliardsd’euros. Le tableau demeurait incomplet s’il n’étaitfait mention des opérations retracées par certainsfonds qui concourent pour partie au financementde la sécurité sociale, tel le Fonds de solidaritévieillesse dont les dépenses devraient représenter17,4 milliards d’euros en 2010. Sur la loi definancement pour 2010, voir : R. Pellet, LFSSpour 2010 : le déséquilibre financier de la sécuritésociale, JCP éd. S 2010.1001.2 Voir : R. Pellet et A. Skzryerbak, « Leçons de droitsocial et de droit de la santé », Sirey, 2ème éd. 2008,p. 281 et s.

3 Toutes catégories confondues (cotisationseffectives, cotisations fictives et cotisations prisesen charge par l’État et cotisations prises en chargepar la sécurité sociale), le produit des cotisationsdevrait s’élever, selon la loi de financementpour 2010, à 256,9 milliards d’euros, soit 63,6 %de l’ensemble des ressources (403,7 milliardsd’euros).4 Les impôts et taxes affectés au financement de lasécurité sociale devraient représenter, en 2010,115,3 milliards d’euros (soit 28,5 % du montant desrecettes), la contribution sociale généraliséereprésentant à elle seule 70,2 milliards d’euros (soit17,35 %).

Les dépenses dela sécuritésociale relèventde la catégoriedes dépenses detransfert

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obligatoires. Elles répondent ainsi, selon lajurisprudence, à un critère déterminé, laqualification découlant du lien qui unitl’obligation à cotiser au droit à prestations5.Elles obéissent, en matière d’assiette etde recouvrement, à un régime juridiquepropre, bien distinct, contrairement à uneidée répandue, de la législation fiscale,forgé par la jurisprudence de la Cour decassation. Le recours à des ressourcesnouvelles qui s’apparentent, par leurassiette et, plus encore, par les conditionsde l’affectation de leur produit aufinancement de la sécurité sociale, à desimpôts, a donné naissance à bien desinterrogations. En effet, leur qualification auregard de la typologie des prélèvementsobligatoires n’étant pas sans incidence surleur régime juridique et, pour tout dire, surleur application. C’est au regard des règlesdu droit communautaire en particulier quela Cour de cassation a été appelée, àplusieurs reprises, à se prononcer au coursdes années écoulées.

1. La CSG / CRDS et la coordi-nation des systèmes nationauxde sécurité sociale

Instituée par la loi n° 90-1168 du29 décembre 1990, applicable au 1er février1991, la contribution sociale généraliséetend à asseoir le financement de la sécuritésociale sur l’ensemble des revenus del’ensemble de la population. Initialementperçue au taux de 1,1 % et affectéeexclusivement au financement de la branchefamille, elle a été modifiée à plusieursreprises, notamment en 1993, 1997 et 1998,son taux porté, successivement, à 2,4 %,à 3,7 % et à 7,5 %, et son produit répartientre la branche famille, le Fonds desolidarité vieillesse, le Fonds definancement de l’allocation personnaliséed’autonomie et de l’assurance maladie. Lacontribution sociale généralisée recouvre,en pratique, un ensemble de contributionsassises sur les diverses catégories derevenus : la principale d’entre elless’applique aux revenus d’activité et de

remplacement ; elle est soumise, sauf règleparticulière, aux règles d’assiette et derecouvrement des cotisations de sécuritésociale, son recouvrement relève de lacompétence de l’URSSAF et le contentieuxen résultant de la compétence desjuridictions du contentieux général de lasécurité sociale. Portant sur les autrescatégories de revenus (revenus dupatrimoine, produits de placement, gainsdes jeux et paris, etc.), les autrescontributions sont régies par les dispositionsdu code général des impôts ; leurrecouvrement relève des attributions desservices fiscaux, leur contentieux de lacompétence des juridictions adminis-tratives.

C’est à une contribution de même factureque les pouvoirs publics ont recouru,en 1996, pour le remboursement de la dettede la sécurité sociale. Perçue au taux de0,5 %, affectée à la Caisse d’amortissementde la dette sociale (CADES), la contributionpour le remboursement de la dette socialeréunit un ensemble de contributions assisessur les catégories de revenus selon la formuleretenue pour la contribution socialegénéralisée. Instituée à l’origine pour unedurée déterminée, la contribution pour leremboursement de la dette sociale a étéprorogée à plusieurs reprises, de nouveauxdéficits ayant été transférés à la CADES envue de leur apurement.

S’il est exact qu’elles concourent,immédiatement ou rétrospectivement, aufinancement de la sécurité sociale6, lacontribution sociale généralisée et lacontribution pour le remboursement de ladette sociale ne sauraient être assimiléesà des cotisations de sécurité sociale : leurpaiement n’ouvre, en effet, aucun droit àprestation au bénéfice de celui qui s’acquittede leur montant, l’observation s’imposantd’autant plus que le produit de la CSGconcourt, pour partie, au financement dedépenses qui échappent à la sécuritésociale (tel est le cas de certaines des

5 Telle est la solution retenue, en définitive, par leConseil constitutionnel (Cons. const., 13 août 1993,décis. n° 93-325 DC [cons. n° 119], Rec. Cons.const., p. 224). Sur la question, voir : X. Prétot,Prélèvements sociaux et prélèvements fiscaux :« Les finances sociales, Unité ou diversité » (dir.L. Philip), Économica, 1995, p. 121.

6 On observera que le Conseil constitutionnel avaitentendu dénier, à l ’origine, à la Caissed’amortissement de la dette sociale le caractèred’un organisme concourant au financement de lasécurité sociale de sorte que les modificationsaffectant celle-ci ou la contribution pour leremboursement de la dette sociale ne pouvaientpas figurer dans une loi de financement de lasécurité sociale. L’obstacle a été levé toutefois parla loi organique n° 2005-881 du 2 août 2005).

Les cotisationsde sécuritésociale ont unrégime juridiquedistinct de lalégislation fiscale

Le taux de laCSG est passé de1,1 % en 1991 à7,5 % en 1998

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 2010 57

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dépenses du Fonds de solidarité vieillesseet des dépenses du Fonds de financementde l’allocation personnalisée d’autonomie)et que la CRDS tend à l’apurement du déficitcumulé de plusieurs exercices, tousrégimes et toutes branches confondus.Saisi de la loi de finances pour 1991 avantsa promulgation, le Conseil constitutionnelentendit ranger d’ailleurs, sans excès demotivation, la contribution socialegénéralisée au nombre des impositions detoutes natures au sens de l’article 34 de laConstitution ; appelé à connaître del’ordonnance du 24 janvier 1996, le Conseild’État a conclu de même, s’agissant de lacontribution pour le remboursement de ladette sociale7. La Cour de cassation ad’ailleurs fait sienne, à l’occasion, cettequalification8. Appliquée tant à la CSG qu’àla CRDS, la qualification d’imposition detoutes natures a une portée bien précise :elle implique, conformément aux principesconstitutionnels qui régissent les financespubliques, d’une part, la compétence dulégislateur pour déterminer les règlesd’assiette, le taux et les modalités derecouvrement des contributions, d’autrepart, leur inscription, chaque année, dansla loi de finances aux fins d’en autoriser laperception au cours de l’exercice9.

Opératoire au regard des principesconstitutionnels des finances publiques, laqualification d’imposition de toutes naturesne saurait s’imposer sans limites. Laquestion s’est posée en particulier de lacompatibilité sinon de la CSG et de laCRDS, du moins de leur champd’application, avec les règles du droitcommunautaire relatives à la coordinationdes systèmes nationaux de sécuritésociale. Le règlement 1408/71 du 14 juin1971 ayant opté en faveur de la règle del’État d’emploi, qui conduit à faire applicationau travailleur qui se déplace au sein del’Union européenne du système de sécuritésociale de l’État où il exerce son activité,

peu important le lieu où il réside lui-mêmeet sa famille, la Cour de justice deLuxembourg en a logiquement déduit queces dispositions faisaient obstacle à cequ’un travailleur migrant puisse être tenud’acquitter des cotisations aux organismesde sécurité sociale de l’État où il réside,dès lors qu’il relève, du fait de son activitéprofessionnelle, du système d’un autre État.Forte de leur qualification d’imposition detoutes natures, l’administration de tutelleentendit faire exception en ce qui concernela CSG et la CRDS et y soumettre, enparticulier, les travailleurs frontaliers quirésidaient en France tout en exerçant leuractivité dans un État voisin. Saisie de laquestion, la Cour de justice des Commu-nautés européennes s’est opposée à unetelle interprétation : étant affectées exclusi-vement au financement du système desécurité sociale et s’étant d’ailleurs, pourpartie au moins, substituées à descotisations assises sur les seuls revenusd’activité, les contributions sur les revenusd’activité et de remplacement perçues autitre de la CSG et de la CRDS revêtent lecaractère de cotisations sociales au sensdes dispositions du règlement 1408/71 ;elles ne sauraient être exigées, dès lors,des travailleurs qui, résidant en France, n’enexercent pas moins leur activité dans unautre État membre où ils sont astreints àconcourir au financement du système desécurité sociale10. S’il exerce son activitésur le territoire français, le travailleur quiréside dans un État voisin, est tenu aupaiement des contributions11. Enfin, letravailleur n’est victime d’aucunediscrimination au regard tant des règlescommunautaires que du Pacte internationalrelatifs aux droits économiques et sociaux,lorsqu’exerçant son activité et ayant sarésidence en France, il est appelé àsupporter la CSG et la CRDS12.

7 Cf. Cons. const., 28 décembre 1990, décis. n° 90-285 DC, Rec. Cons. const., p. 95 ; et CE, 4 novembre1996, Assoc. De défense des sociétés de coursedes hippodromes de province et autres.8 Cf. Cass. Soc., 25 mars 1998, n° 95-45.198, Bull.civ. V, n° 175.9 Sur la question, voir : P. Amselek, « Impositionset cotisations obligatoires, mélanges », L. Philip,Économica, 2005, p. 239, et X. Prétot, « La notiond’imposition de toutes natures », RF fin. publ. n° 100(novembre 2007), p. 145.

10 Cf. CJCE, Plén., 15 février 2000, Commission c/ France, aff. C-169/98 [CSG] et C-34/98 [CRDS][deux arrêts], Rec. CJCE, p. I-973 et I-1052 ; Dr. soc.2000, p. 529, note X. Prétot.11 Cf. Cass. Soc., 5 avril 2001, n° 99-18.886, Bull.Civ. V, n° 125.12 Cf. Cass., 15 juin 2000, n° 98-12.469, Bull. civ. V,n° 232, et 20 décembre 2000, n° 98-19.107.

D’après leConseilconstitutionnel etle Conseil d’État,CSG et CRDSsont des« impositions detoutes natures »

D’après la CJUE,CSG et CRDSsont des« cotisations desécurité sociales »

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 201058

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2. La contribution sociale desolidarité des sociétés et lesdirectives relatives à la TVA

À la différence de la contribution socialegénéralisée et de la contribution pour leremboursement de la dette sociale quientendent asseoir le financement de lasécurité sociale sur l’ensemble des revenus,il est d’autres impôts et taxes dont le produitest affecté à la sécurité sociale, qui procèdentd’une tout autre démarche. On mentionneraainsi les multiples contributions pesant surl’industrie pharmaceutique qui tendent àcompenser, bien partiellement, le profit quecelle-ci tire de la prise en charge desmédicaments et spécialités par l’assurancemaladie13. C’est dans une perspective plusoriginale encore que s’inscrit la contributionsociale de solidarité des sociétés (diteC3S) : instituée par la loi du 6 janvier 1970,assise sur le chiffre d’affaires hors taxes dessociétés, elle concourt au financement desrégimes de sécurité sociale qui couvrent lestravailleurs non salariés des professions nonagricoles ; ce sont, en d’autres termes, lesentreprises en forme de société qui sontappelées à pourvoir, modestement, à lacouverture des risques sociaux destravailleurs indépendants.

La contribution sociale de solidarité dessociétés ne revêt pas, faute de tout lien entrel’obligation à cotiser et les droits àprestations ouverts au titre des régimesauxquels son produit est affecté, le caractèred’une cotisation de sécurité sociale, maisrelève de la catégorie des impositions detoutes natures au sens de l’article 34 de laConstitution14. La qualification n’épuise pascependant le débat et la question s’est poséeainsi de la compatibilité de la contributionavec les règles adoptées en matière de taxessur le chiffre d’affaires adoptées par laCommunauté européenne.

Telles que résultant de la directive 67/227du 11 avril 1967 (dite « première directiveTVA ») et de la directive 77/388 du 17 mai1977 (dite « sixième directive TVA »), les

règles adoptées au sein de la Communautéeuropéenne tendent à l’instauration d’unsystème commun de taxe à la valeurajoutée, qui exclut, sauf exceptionslimitativement énumérées, le maintiend’autres taxes sur le chiffre d’affaires. C’estla raison qui a conduit nombre de sociétés àcontester, dans son principe même, lacontribution sociale de solidarité dessociétés, dès lors qu’étant assise sur lachiffre d’affaires hors taxes, elle paraîtcontrevenir au principe énoncé par lesdirectives communautaires, plusprécisément par l’article 33 de la directivedu 17 mai 1977. Appelée à connaître de laquestion par voie de question préjudicielle,la Cour de justice des Communautéseuropéennes s’en est tenue à uneinterprétation prudente des dispositions dela directive : ayant pour objet exclusif lefinancement de certaines régimes desécurité sociale, la contribution doit êtrecomprise parmi les droits et taxes dont lapérennité est réservée, en raison de leur objetet de leurs caractéristiques, par l’article 33de la sixième directive15. Reprenant à soncompte l’interprétation ainsi retenue destermes de la règle communautaire, la Courde cassation écarte systématiquementdepuis lors les moyens tirés del’incompatibilité prétendue avec lesdirectives du 11 avril 1967 et du 17 mai 1977,voire avec les dispositions de l’article 93 dutraité CE, des dispositions relatives à lacontribution sociale de solidarité dessociétés et à la contribution additionnelle dontelle est assortie pour certains redevables16.

De cette jurisprudence, on retiendral’interprétation, somme toute favorable aufinancement de la sécurité sociale, qu’elleretient des dispositions communautaires,le seul critère de l’affectation exclusive duproduit des contributions au financementdes régimes de sécurité sociale suffisant àles ranger dans la catégorie des droits ettaxes susceptibles de demeurer, une foisréalisée sous la formule de la TVAl’unification des taxes sur le chiffre d’affaires.

13 Ces contributions donnent lieu à un importantcontentieux, notamment quant à leur compatibilitéavec les règles communautaires, devant lesjuridictions françaises et la Cour de justice deLuxembourg.14 Cf. Cons. const., 30 décembre 1991, décisionn° 91-302 DC, Rec. Cons. const., p. 137.

15 Cf. CJCE, 27 novembre 1985, Société Rousseau-Wilmot c/ Organic, aff. 295/84, Rec. CJCE, p. 3759,concl. F. Mancini ; Dr. soc. 1987, p. 70, Chron.X. Prétot.16 Cf. Cass. Soc., 3 mai 1989, n° 87-11.681, Bull.civ. V, n° 334 ; Civ. 2ème, 17 janvier 2007, n° 07-17.851, ibid II, n° 5 ; 22 janvier 2009, n° 07-20.140,ibid II, n° 29, et 14 janvier 2010, n° 09-11.284 [encours de publication].

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 2010 59

Fiscalité

Il n’est pas certain en revanche, d’autantque l’évolution tant des instrumentscommunautaires que de la jurisprudence dela Cour de Luxembourg tend à privilégierune approche purement économique en lamatière, que le recours à une cotisationassise sur l’ensemble de la valeur ajoutéedes entreprises, autrement dit à la « TVAsociale », ne s’expose pas à quelquesdifficultés en la matière17…

Xavier Prétot, Conseiller en serviceextraordinaire à la Cour de cassation,Professeur associé à l’UniversitéPanthéon-Assas (Paris II)

17 Cf. CE, Ass. Gale, 8 juin 2006, avis n° 373.152.

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 201060

Droit public

Le développement de ce marché del’« halal » a induit une demande de contrôlepar la DGCCRF. Les consommateursconcernés ont voulu en effet bénéficier d’uneassurance sur la conformité de ces produitsà leur appellation « halal ».

Se pose alors la question de la légitimitéd’un tel contrôle, au regard du principe delaïcité, qui a valeur constitutionnelle.

1. Le principe de laïcité n’impliquepas que l’État s’abstienne detoute intervention dans l’exer-cice de la liberté religieuse

L’article 1er de la Constitution de 1958dispose que « La France est uneRépublique indivisible, laïque, démocratiqueet sociale ».

Le caractère laïc de la République induitque la religion est exclue de la sphèrepublique, et notamment de l’école (alinéa 13du Préambule de la Constitution de 1946 :« L’organisation de l’enseignement publicgratuit et laïque à tous les degrés est undevoir de l’État »).

Si la neutralité de l’État à l’égard desreligions est une condition du respect de laliberté religieuse, le principe de laïcitén’interdit pas toute intervention de l’autoritépublique : dans certaines hypothèses,l’intervention de l’État peut même s’avérernécessaire pour faire respecter la liberté decroyance.

1.1. La laïcité doit se concilier avec laliberté de croyance ou de religion

À l’occasion de l’examen du traitéétablissant une Constitution pour l’Europe,le Conseil constitutionnel a statué sur la

compatibilité entre la Charte des droitsfondamentaux de l’Union, qui « reconnaîtle droit à chacun, individuellement oucollectivement, de manifester, par sespratiques, sa conviction religieuse enpublic » et le principe de laïcité. Ayantconstaté que ce droit avait le même sensque l’article 9 de la Convention européennedes droits de l’homme relatif à la liberté depensée, de conscience et de religion, etque ce dernier avait été constammentappliqué par la Cour de Strasbourg enharmonie avec la tradition constitutionnellede chaque État membre, il a considéréqu’étaient respectées les dispositions del’article 1er de la Constitution « aux termesdesquelles « la France est une républiquelaïque », qui interdisent à quiconque de seprévaloir de ses croyances religieuses pours’affranchir des règles communes régissantles relations entre collectivités publiqueset particuliers » (18ème considérant de ladécision n° 2004-505 DC du 19 novembre2004).

Mais si le Conseil constitutionnel défendainsi la neutralité religieuse des collectivitéspubliques dans leurs rapports avec lesparticuliers, il admet, par ailleurs, que leprincipe de laïcité doit se concilier avecd’autres principes à valeur constitutionnelle.

1.1.1. La liberté d’enseignement

Il autorise l’octroi d’aides publiques à desétablissements d’enseignement privés, àcaractère religieux, lorsqu’une telle aideexiste pour les établissements d’ensei-gnement publics et que son absence pourles établissements privés reviendrait à lespriver de l’exercice de la liberté d’ensei-gnement. Dans sa décision n° 2009-591 DCdu 22 octobre 2009, le Conseil a donc conciliél’article 1er de la Constitution et la libertéd’enseignement, principe fondamentalreconnu par les lois de la République : « le

Contrôle des produits « halal »et respect du principe de laïcité

Par Serge Marasco

Face à un marché dans le domaine alimentaire au sein duquel les produits« halal » prennent une place croissante, la question du rôle de l’État et plusprécisément de son pouvoir de contrôle se pose. Dans quelles limites s’inscritl’intervention de l’État au regard du respect du principe de laïcité ? Les contrôlesopérés en la matière par les services de l’État portent-ils atteinte à ce principe ouà celui de la liberté religieuse ?

Le dévelop-pement dumarché « halal »entraîne uneexigence decontrôle accrue

La neutralitéreligieuse doitêtre conciliéeavec d’autresprincipes devaleurconstitutionnelle

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 2010 61

Droit public

principe de laïcité ne fait pas obstacle à lapossibilité pour le législateur de prévoir, sousréserve de fonder son appréciation sur descritères objectifs et rationnels, la participationdes collectivités publiques au financementdu fonctionnement des établissementsd’enseignement privés sous contratd’association selon la nature et l’importancede leur contribution à l’accomplissement demissions d’enseignement » (6ème considérant).

De fait, les questions relatives au respectdu principe de laïcité se posent le plussouvent dans le domaine de l’enseignement.

1.1.2. La liberté de conscience

L’article 10 de la Déclaration des droits del’homme et du citoyen du 26 août 1789affirme la liberté de conscience (« Nul nedoit être inquiété pour ses opinions, mêmereligieuses, pourvu que leur manifestationne trouble pas l’ordre public établi par laloi »), alors que l’alinéa 5 du Préambule dela Constitution de 1946 interdit toute discri-mination en matière de travail ou d’emploi« en raison de ses origines, de ses opinionsou de ses croyances ».

L’article 9 de la Déclaration européenne desdroits de l’homme fait expressémentréférence à la liberté de religion. La libertéde manifester sa religion, y compris par « lespratiques et l’accomplissement des rites »ne peut faire l’objet de restrictions que sielles sont prévues par la loi et nécessaires« à la sécurité publique, à la protection del’ordre, de la santé ou de la morale publiques,ou à la protection des droits et libertésd’autrui ».

Ainsi la conception stricte de la laïcitén’interdit pas à l’État d’intervenir dans uneproblématique à caractère religieux. Leprincipe de laïcité doit être concilié avec laliberté de religion : le respect de cettedernière peut imposer l’intervention de l’Étatafin de la garantir.

1.2. Les rites religieux sont pris encompte dans la réglementation surl’abattage des animaux

Les critères régissant l’emploi du terme« halal », notion à caractère religieux, nesont pas définis juridiquement.

Le Codex Alimentarius1 contient cependantdes « directives générales pour l’utilisationdu terme « halal » », indiquant que ce termecorrespond à « tout aliment autorisé par laloi islamique » qui répond à certainesconditions qu’il énonce (conditions depréparation, transformation, transport,entreposage ou emballage, et, pour lesanimaux, conditions d’abattage selon desrites religieux très précis).

Mais ces directives n’ont pas de valeurjuridique.

En revanche, une réglementation a étéétablie dans le domaine spécifique del’abattage des animaux, aussi bien sur leplan communautaire qu’au niveau national.

La directive 93/119/CE du 22 décembre 1993,sur la protection des animaux au moment deleur abattage ou de leur mise à mort se réfèreexpressément aux abattages selon certainsrites religieux. En vertu de l’article 5 § 1 c) :« les solipèdes, les porcs, les lapins et lesvolailles introduits dans les abattoirs aux finsd’abattage doivent être étourdis avantabattage ou mis à mort instantanémentconformément aux dispositions del’annexe C ». L’article 5 § 2 prévoit cependantune dérogation « pour les animaux faisantl’objet de méthodes particulières d’abattagerequises par certains rites religieux ». Cettedérogation a été reprise dans la propositionde règlement du Conseil sur la protection desanimaux au moment de leur mise à mort du18 septembre 2008 COM (2008) 553 final. Laproposition définit le rite religieux comme« une série d’actes associés à l’abattaged’animaux et prescrits par une religion, telleque l’islam ou le judaïsme ». Selon l’article 4« les animaux sont mis à mort à l’aide d’uneméthode qui assure une mort instantanée ouaprès étourdissement ». Par dérogation,« lorsque les méthodes sont prescrites pardes rites religieux, les animaux peuvent êtremis à mort sans étourdissement préalablepour autant que la mise à mort ait lieu dansun abattoir. Toutefois les États membrespeuvent décider de ne pas appliquer cettedérogation ». L’abattage religieux échappedonc à l’application de la règle relative àl’étourdissement des animaux avant leur miseà mort.

1 Le Codex Alimentarius est un programme commundu FAO et de l’OMS chargé d’élaborer des normesou des directives alimentaires.

Le terme« halal » nerecouvre aucuneréalité juridiquedéterminée

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 201062

Droit public

L’article R. 214-75 du code rural est encoreplus explicite, en prévoyant qu’en principe« l’abattage ne peut être effectué que pardes sacrificateurs habilités par desorganismes religieux agréés, sur propositiondu ministre de l’intérieur, par le ministrechargé de l’agriculture », les organismesagréés étant chargés de transmettre à cedernier le nom des personnes habilitées.

Une telle référence à des « sacrificateurshabilités » pourrait paraître peu respectueusedu principe de laïcité.

Le Conseil d’État a pourtant admisl’intervention du pouvoir réglementaire en cedomaine, compte tenu des nécessités del’ordre public et de la santé publique, pouréviter les abattages sauvages ne respectantaucune condition d’hygiène, dans un arrêtdu 2 mai 1973, Association cultuelle desisraélites nord-africains de Paris (Rec.p. 313) : « en précisant que l’abattage rituel,pratiqué dans des conditions dérogatoiresau droit commun, ne peut être effectué quepar des sacrificateurs habilités par desorganismes religieux agréés par le ministrede l’agriculture sur proposition du ministrede l’intérieur, le Premier ministre ne s’est pasimmiscé dans le fonctionnement desorganismes religieux et n’a pas porté atteinteà la liberté des cultes mais a pris lesmesures nécessaires à l’exercice de cetteliberté dans le respect de l’ordre public ».

1.3. La Cour européenne des droits del’homme estime que la libertéreligieuse induit que les croyantspeuvent se procurer des produitsconformes aux prescriptionsreligieuses

La Cour européenne des droits de l’hommea été saisie du problème de l’agrémentréservé à certains organismes religieux pourprocéder à un abattage rituel, par uneassociation cultuelle israélite, Cha’areShalom ve Tsedek, qui alléguait uneviolation de l’article 9 de la Convention, enraison du refus des autorités françaises delui délivrer l’agrément.

Cette association souhaitait pratiquer unabattage rituel conformément à desprescriptions plus strictes que cellesappliquées par les sacrificateurs habilitéspar le consistoire israélite de Paris, seulbénéficiaire de l’agrément.

Pour ses membres, la viande certifiée« cachère » resterait impure, et seule uneviande abattue selon des prescriptions plusrigoureuses, dite « glatt », pourrait êtreconsommée.

Le Gouvernement français a souligné qu’il« n’appartient pas aux autorités françaises,tenues au respect de la laïcité, de s’immiscerdans une controverse dogmatique », le grandrabbin de France étant qualifié pour dire cequi est ou non conforme au rite israélite.

Dans son arrêt du 27 juin 2000, la Cour deStrasbourg a, tout d’abord, relevé qu’en« instituant une exception au principe del’étourdissement préalable des animauxdestinés à l’abattage, le droit interne aconcrétisé un engagement positif de l’Étatvisant à assurer le respect effectif de laliberté de religion », qui comprendl’accomplissement des rites aux termes del’article 9 de la Convention.

Elle ajoute que « la circonstance que lerégime dérogatoire visant à encadrer lapratique de l’abattage rituel la réserve auxseuls sacrificateurs habilités par lesorganismes religieux agréés n’est pas, ensoi, de nature à faire conclure uneingérence dans la liberté de manifester sareligion » : il est dans l’intérêt générald’éviter des abattages sauvages, pratiquésdans des conditions d’hygiène douteuses.

Mais elle précise également qu’il y auraitingérence dans la liberté de manifester sareligion « si l’interdiction de pratiquerlégalement cet abattage conduisait àl’impossibilité pour les croyants ultra-orthodoxes de manger de la viandeprovenant d’animaux abattus selon lesprescriptions religieuses qui leur paraissentapplicables en la matière ».

La Cour a rejeté le recours, en constatantque les membres de l’association n’étaient« pas privés concrètement de la possibilitéde se procurer et de manger une viandejugée par eux plus conforme auxprescriptions religieuses », et que la libertéreligieuse « ne saurait aller jusqu’à engloberle droit de procéder personnellement àl’abattage rituel et à la certification qui endécoule ».

On peut en déduire, qu’a contrario, la libertéreligieuse aurait été atteinte si une minoritéultra-orthodoxe n’avait pu se fournir enviande « glatt ».

« Il n’appartientpas aux autoritésfrançaises […] des’immiscer dansune controversedogmatique »

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 2010 63

Droit public

Ainsi, non seulement la Cour a admis un« engagement positif de l’État », mais ellesemble exiger une obligation de résultatquant à la possibilité de se procurer un typede viande abattu selon un rite déterminé.La conciliation entre la laïcité et la libertéde religion2 semble très largement favorableà cette dernière, même s’il est vrai que laquestion lui était posée sous l’angle durespect de l’article 9 de la Convention.

2. Les contrôles effectués par laDGCCRF ne paraissent pasporter atteinte au principe delaïcité

2.1. Le juge pénal sanctionne lapublicité mensongère ou de natureà induire en erreur, ainsi que latromperie portant sur l’usage duqualificatif « halal »

Le juge pénal a déjà sanctionné desinfractions relevées par les services de laDGCCRF relatives à la tromperie3

(article L. 213-1 du code de la consom-mation) et aux pratiques commercialestrompeuses (article L. 121-1 du code de laconsommation), telles que la publicitémensongère ou de nature à induire enerreur4, se rapportant à l’usage du qualificatif« halal ».

Ce faisant, le juge pénal admet,implicitement, la légalité des contrôles serapportant à la mention « halal » effectuéspar la DGCCRF, sous réserve, toutefois, quela constatation de la matérialité desinfractions se fonde sur des élémentsobjectifs n’impliquant pas d’appréciation àcaractère religieux.

2.1.1. Pour l’établissement du délit depratiques commerciales trom-peuses prévu à l’article L. 121-1du code de la consommation

Le contrôle peut notamment porter sur des« allégations, indications ou présentationsfausses ou de nature à induire en erreur »

concernant « les caractéristiquesessentielles du bien et du service, à savoir :ses qualités substantielles, sa composition,[…] son origine, […] son mode et sa datede fabrication, les conditions de sonutilisation […] ».

Le juge pénal considère ainsi, sur la basedes constatations opérées par lescontrôleurs de la DGCCRF, qu’un boucherse rend coupable de publicité trompeuseen affirmant dans des tracts publicitairesvendre de la viande de qualité « halal »,alors que l’un de ses principauxfournisseurs indique ne pas fournir deproduits « halal » pour le marché français5.

2.1.2. Pour l’établissement du délit detromperie ou de tentative detromperie d’un contractant, prévuà l’article L. 213-1 du code de laconsommation

Le contrôle peut notamment porter sur « lanature, l’espèce, l’origine, les qualitéssubstantielles, la composition […] de toutemarchandise ». Ces critères de contrôlesont assez proches de ceux visés par ledélit de pratiques commercialestrompeuses.

La juridiction pénale considère ainsi, en sefondant sur les constatations effectuées parla DGCCRF lors d’un contrôle, qu’unproducteur de charcuterie volaillère en grosse rend coupable de tromperie en seprévalant auprès de ses clients del’appellation « halal » pour ses produits,alors que la recette de ceux-ci incorporedes morceaux de viandes issus d’« animauxpour lesquels la traçabilité de l’abattagerituel n’est pas établie6 ». Le même arrêtsouligne, par ailleurs, que la qualification« halal » « exclut toute viande de porc »dans la composition du produit.

2 Ce qui n’est pas surprenant : le principe de laliberté de la religion est commun à tous les Étatssignataires de la CEDH, le principe de laïcité estpropre au droit français.3 Cour d’appel de Poitiers, 15 novembre 2002, arrêtn° 853/02, numéro de rôle 02/00428.4 Tribunal de grande instance de Paris, jugement du22 mars 2004, 31ème chambre, n° 0107590456.

5 Voir le jugement du tribunal de grande instance deParis en date du 22 mars 2004 précité.6 Cf. Voir l’arrêt de la cour d’appel de Poitiers endate du 15 novembre 2002 précité.

Le juge pénaladmet la légalitédes contrôles serapportant à lamention « halal »

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 201064

Droit public

2.2. Le contrôle de la véracité del’emploi du terme « halal » necontrevient pas au principe delaïcité

2.2.1. L’État n’est pas tenu de définir lescaractéristiques des produitshalals

Le juge pénal sanctionne le non-respect duqualificatif « halal » , même si sescaractéristiques ne sont pas définies par lecode de la consommation, notammentparce que les professionnels concernésutilisent sciemment ce terme, afin deconquérir le marché des consommateursmusulmans.

Définir dans le code de la consommationles caractéristiques des produits « halal »n’est pas nécessaire pour asseoir lecontrôle.

Si la Cour européenne des droits del’homme exige que les adeptes de telle outelle croyance, y compris minoritairescomme dans l’exemple des ultra-orthodoxes juifs, puissent bénéficier desproduits correspondant à leurs convictions,l’intervention de l’État ne saurait êtreimposée comme une règle dans la définitionde ces produits. Dans son arrêt du 27 juin2000, la Cour a souligné l’engagement del’État dans la définition des règles del’abattage rituel, en mettant en avant l’intérêtgénéral constitué par l’évitement desabattages sauvages.

En l’occurrence, l’intervention de l’État dansla définition des caractéristiques desproduits « halal » ne paraît pas nécessitéepar des motifs d’intérêt général aussiévidents que la préservation de la santé etde l’hygiène publique.

Le principe de laïcité induit au demeurantque l’État n’est pas compétent pour trancherentre les diverses conceptions de l’halal (ladéfinition du Codex Alimentarius neconstitue que le plus petit facteur communet n’évite pas les débats sur le degré depureté exigé, comme l’exemple du « glatt »et du « cachère » au sein de la religionisraélite le démontre).

2.2.2. Un contrôle objectif de la qualitéhalal permet de respecter laliberté religieuse

L’absence de tout contrôle pourrait êtrereprochée à l’État, dans la logique de l’arrêtde la Cour de Strasbourg, si les fidèles nepouvaient avoir une assurance suffisante dela véracité de la qualité « halal ».

L’existence de contrôles de la DGCCRFsemble donc permettre une conciliation duprincipe de laïcité et de la liberté religieuse.

Ce contrôle doit toutefois se fonder sur deséléments objectifs, comme le respect desprocédures d’abattage rituel (c’est-à-direnon seulement sans étourdissementpréalable mais aussi sous le contrôle d’unsacrificateur habilité) ou la composition desproduits.

Le contrôle du juge devrait porter sur lerespect de ces critères objectifs, et selimiter à l’erreur manifeste, sans qu’il n’yait à examiner le respect de prescriptionsreligieuses.

Le contrôle de la DGCCRF quant à laqualité des produits étiquetés « halal »pourrait être effectué sur la base d’unréférentiel, à partir d’éléments concrets :c’est le non-respect des éléments contenusdans le référentiel qui serait éventuellementsanctionné, comme dans tout contentieuxoù l’application d’un référentiel est discutée,la tromperie ou la publicité mensongèreportant sur la qualité faussement affichéedu produit. Ainsi l’État n’assurerait pas deprotection spécifique au référentiel, cedernier ne constituant que l’un deséléments permettant d’établir la qualité d’unproduit et, le cas échéant, de sanctionnertoute allégation mensongère.

Il n’appartient à l’Administration ni departiciper à l’élaboration d’un référentiel surles caractéristiques de l’halal, ni del’homologuer.

Si les autorités religieuses envisagentd’élaborer un référentiel (une norme paraîtn’avoir guère de chances d’être définie,compte tenu du consensus qu’elle exige),le principe de laïcité paraît exclure l’État detoute participation à cette élaboration : il n’apas à trancher entre les diverses positionsdogmatiques qui pourraient être soutenues.

Le CodexAlimentariusapporte deséléments dedéfinition

Les contrôles dela DGCCRFdoivent se fondersur des élémentsobjectifs

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 2010 65

Droit public

Une homologation de l’État pourrait poserle même genre de problèmes, si leréférentiel présenté convenait à certainesorganisations religieuses et non à d’autres.À partir du moment où le recours à unréférentiel privé est envisagé, il semble ausurplus logique que ce dernier émane desseules organisations religieuses.

Aucun engagement positif de l’État n’estexigé à cet égard : la Cour de Strasbourgse contente de vérifier que les fidèlespeuvent disposer de produits conformes àleurs convictions, sans imposer demodalités spécifiques pour parvenir à cerésultat.

** *

En conclusion, il convient de soulignerl’équilibre que l’État, et la DGCCRF enparticulier, doit manifester dans le domainedu contrôle des produits « halal ».

Si l’absence de tout contrôle pourrait avoirdes conséquences néfastes pour lesconsommateurs concernés, et danscertains cas pour la santé publique, toutinterventionnisme excessif pourrait êtredénoncé. L’État ne peut ni s’abstenir deprendre en considération le développementdu marché des produits « halal », ce quiexige une règlementation et un contrôle, nialler trop loin dans le sens de la définitionde ces produits, ce qui l’obligerait à prendreparti sur des prescriptions religieuses.

La récente polémique sur l’ouverture demagasins n’étant censés servir que desproduits de qualité « halal » démontre ladifficulté de la position de l’État en la matière,mais également une prévisible extension decette problématique.

Serge Marasco (Direction des affairesjuridiques)

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 201066

Droit public

Avant la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relativeà l’organisation du service public de La Posteet à France Télécom – dite loi Quilès – lesservices publics de la poste et destélécommunications (PTT) étaient considéréscomme des services publics administratifs,et non industriels et commerciaux1. La loiQuilès a transformé l’administration des PTTen deux personnes morales de droit publicplacées sous la tutelle du ministre chargé despostes et télécommunications, qualifiéesd’exploitants publics : La Poste et FranceTélécom.

Une loi de 1996 a procédé ultérieurement àla transformation de France Télécom ensociété anonyme2, tandis que la jurisprudenceadministrative a ensuite précisé la naturejuridique du statut d’exploitant public enqualifiant La Poste d’établissement public àcaractère industriel et commercial (EPIC3).

La loi n° 2005 516 du 20 mai 2005 relative àla régulation des activités postales a permisd’adapter au marché concurrentiel une partiedu statut de La Poste en créant la sociétéanonyme La Banque Postale, en charge del’activité bancaire du groupe. Elle aégalement confié la régulation des activitéspostales à une autorité administrativeindépendante, l’Autorité de régulation descommunications électroniques et des postes(ARCEP), conformément aux directivescommunautaires 97/67/CE du 15 décembre19974 et 2002/39/CE du 10 juin 20025.

Le 29 juillet 2009, Christian Estrosi, ministreauprès de la ministre de l’économie, del’industrie et de l’emploi chargé del’industrie, a présenté en Conseil desministres un projet de loi relatif à l’entreprisepublique La Poste et aux activités postales.Ce texte a notamment pour objet detransposer la directive 2008/6/CE du20 février 20086 qui prévoit l’ouverture totaledu marché du courrier au 31 décembre2010, ainsi que de réaffirmer les missionsde service public de La Poste.

Le texte prévoit également que La Posteabandonne son statut d’entreprise publiquepour celui de société anonyme à capitauxpublics, ce qui permettra à l’État et à laCaisse des dépôts et consignations (CDC)d’apporter des fonds propres en limitant lesrisques d’être en contradiction avec laréglementation communautaire sur lesaides d’État.

Cette réglementation exige en effet que lesapports de liquidité qui ne servent pas àcouvrir le surcoût associé à des missionsde service public et d’intérêt généralviennent d’acteurs se comportant en« investisseurs avisés ». La Commissioneuropéenne vérifie que les collectivitéspubliques n’apportent pas aux entreprises,notamment publiques, d’avantageconcurrentiel indu par le « test del’investisseur privé avisé ». Ce test consistenotamment à vérifier que les ressourcesapportées à ces entreprises sont similairesà celles que fournirait un investisseur privéopérant dans les conditions normales del’économie de marché. La Commission avaitsur ce fondement déclaré incompatible avec

La Poste : l’établissement public est mort,vive la société anonyme !Par Tatiana Ayrault et Lila Zarfaoui

Le 4 février 2010, par sa décision n° 2010-601 DC, le Conseil constitutionnel a validéla loi relative à l’entreprise publique La Poste et aux activités postales.

1 TC, 24 juin 1968, Ursot, Req. n° 1915, Rec. p. 798.2 Article 1er, loi n° 96-660 du 26 juillet 1996 relative àl’entreprise nationale France Télécom, JORF n° 174du 27 juillet 1996, p. 11398.3 CE, Ass, 13 novembre 1998, Syndicatprofessionnel des médecins de prévention de LaPoste et de France Télécom, Req. 188824.4 Directive 97/67/CE du Parlement Européen et duConseil du 15 décembre 1997 concernant desrègles communes pour le développement du marchéintérieur des services postaux de la Communautéet l’amélioration de la qualité du service, JOUE n° L015 du 21 janvier 1998, p. 0014-0025.5 Directive 2002/39/CE du Parlement européen etdu Conseil du 10 juin 2002 modifiant la directive[Suite en bas de colonne suivant]

[Suite du bas de colonne précédent]97/67/CE en ce qui concerne la poursuite del’ouverture à la concurrence des services postauxde la Communauté, JOUE L 176 du 5 juillet 2002,p. 21-25.6 Directive 2008/6/CE du Parlement européen et duconseil du 20 février 2008 modifiant la directive 97/67/CE en ce qui concerne l’achèvement du marchéintérieur des services postaux de la Communauté,JOUE L 52 du 27 février 2008, p. 3-20.

La loi Quilès amis fin àl’administrationdes PTT

Le changementde statut de LaPoste répond àune exigencecommunautaire

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 2010 67

Droit public

le droit communautaire la souscription parla CDC à des obligations d’Air France alorsque cette entreprise était encore un EPIC7.

Il faut signaler à cet égard qu’un EPIC n’a,en principe, ni capital social, ni dividendesà distribuer. Or La Poste avait besoin de2,7 milliards d’euros d’apport de fondspropres. Le changement de statut de LaPoste en société anonyme était doncdevenu nécessaire pour préparer uneaugmentation de son capital. La CDC aainsi été sollicitée pour verser 1,5 milliardd’euros au côté de l’État, qui s’est engagéà injecter 1,2 milliard d’euros.

Le projet de loi a été adopté en premièrelecture par le Sénat le 9 novembre 2009,après engagement de la procédureaccélérée, et par l’Assemblée nationale,avec modification, le 22 décembre 2009. Letexte définitif du projet de loi a été adoptéle 12 janvier 2010.

Le Conseil constitutionnel, saisi le20 janvier 2010 par cent cinquante et undéputés et par quatre-vingt-neuf sénateurspar deux saisines rédigées en termesidentiques, a rendu, le 4 février 2010, unedécision déclarant l’ensemble du texteconforme à la Constitution.

La loi promulguée le 9 février 2010,l’Établissement public La Poste estdésormais une société anonyme depuis le1er mars 2010.

1. Le Conseil constitutionnelvalide la transformation dustatut de l’établissement publicLa Poste en société anonyme

1.1. La transformation du statut de laPoste au regard du neuvièmealinéa du préambule de laConstitution de 1946

L’article 1er de la loi déférée crée dans la loidu 2 juillet 1990 un nouvel article 1-2, quicontient les dispositions relatives auchangement de statut de la personne moralede droit public La Poste en sociétéanonyme.

Le même article dispose que le capital deLa Poste est détenu par l’État ou pard’autres personnes morales de droit public,une exception étant toutefois prévue pourles actions susceptibles d’être détenues parle personnel. Les articles 9 et 10 du projetde loi contiennent, en effet, des dispositionsrelatives à l’actionnariat des personnels deLa Poste et de ses filiales, qui ne pourrontcependant détenir qu’une part minoritairedu capital. L’article 1er a ainsi concentré lamajeure partie des critiques adressées auprojet de loi.

Dans leur saisine, les requérants soutenaientque même si la loi précise le caractère publicdu capital de la société anonyme, rien « negarantit que ce service public ne risquerapas dans le futur d’être privatisé par une autreloi ». La loi déférée constituait, selon eux, lepremier pas vers le transfert au secteur privéde La Poste et devait donc être censurée,en raison de la nature constitutionnelle duservice public assuré par cette entreprise.

En vertu du neuvième alinéa du Préambulede la Constitution de 1946 : « Tout bien,toute entreprise, dont l’exploitation a ouacquiert les caractères d’un service publicnational ou d’un monopole de fait, doitdevenir la propriété de la collectivité ». Lesrequérants rappelaient que la déterminationdes activités qui doivent être érigées enservice public national est laissée àl’appréciation du législateur ou de l’autoritéréglementaire, hors le cas où la nécessitéde services publics nationaux découle deprincipes ou de règles de valeur constitu-tionnelle8.

Ils soulignaient, par ailleurs, le rappel parle législateur des missions essentielles duservice public postal confirmant ainsi saqualité de service public national au sensde la jurisprudence du Conseilconstitutionnel. Ce dernier a ainsi puconsidérer qu’en maintenant à FranceTélécom, sous la forme d’entreprisenationale, les missions de service publicqui lui étaient antérieurement dévolues entant que personne morale de droit public,dans les conditions prévues par la loi portantréglementation des télécommunications, le

7 Commission CE, déc. n° 94/662/CE, 27 juillet 1994,Caisse des dépôts et des consignations, JOCE6 Octobre 1994.

8 Conseil constitutionnel, décision 86-207 DC, 25 et26 juin 1986, JORF du 27 juin 1986, p. 7978.

La Poste avaitbesoin de2,7 milliardsd’euros d’apportde fonds propres

« Touteentreprise, dontl’exploitation a[…] les caractèresd’un servicepublic nationalou d’unmonopole de fait,doit devenir lapropriété de lacollectivité »

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 201068

Droit public

législateur a confirmé sa qualité de servicepublic national au sens du neuvième alinéadu Préambule de la Constitution de 19469.

Mais le fait qu’une activité ait été érigée enservice public national sans que laConstitution l’ait exigé, ne fait pas obstacleau transfert au secteur privé de l’entreprisequi en est chargée, sauf s’il s’agit d’unservice public de nature constitutionnelle.

Le Conseil constitutionnel n’a jamaisdressé de liste exhaustive de ces servicespublics constitutionnels, mais a écarté decette qualification les activités bancaires10,la distribution de prêts bonifiés11 ou ladistribution du gaz12. La doctrine tend à yinclure les services publics dits régalienstels que la justice, la police, la défense, ladiplomatie13.

Les requérants invoquaient deux argumentsmilitant en faveur de l’inclusion du servicepublic de La Poste dans la catégorie desservices publics constitutionnels. Ilsestimaient, en effet, que « la natureconstitutionnelle du service public de LaPoste [résultait] d’un principe fondamentalreconnu par les lois de la République ausens de l’alinéa 1er du Préambule de laConstitution de 1946 ». Ils considéraient, enoutre, que la nature constitutionnelle duservice public assuré par l’entreprise étaitrenforcée par la participation de La Poste àla liberté d’expression et de communication,protégée par l’article 11 de la Déclarationdes droits de l’homme et du citoyende 1789, notamment à raison de son aideau transport et à la distribution de la presse.

Dans ses observations, le Gouvernementmettait en avant l’inopérance de cesarguments, en soutenant que les missionsen cause ne se rattachaient pas à la

catégorie constitutionnelle invoquée et quecette argumentation était, en tout état decause, sans incidence sur la loi déférée.

Il est vrai qu’en reconnaissant qu’« uneautre loi pourrait, certes au prix d’unemodification du champ de ses missions,organiser son transfert vers le secteurprivé », les requérants ont égalementadmis, de manière nécessaire, que la loidéférée ne procédait pas, elle-même, à cetransfert.

Si, à compter du 1er mars 2010, la personnemorale de droit public La Poste esttransformée en une société anonyme,l’article 1er de la loi déférée dispose que« cette transformation ne peut avoir pourconséquence de remettre en cause lecaractère de service public national de LaPoste ».

Par ailleurs, la privatisation consiste enl’aliénation, à une ou plusieurs personnesmorales de droit privé, de la majorité ducapital d’une entreprise par les personnespubliques qui la détiennent. Or, le contrôlede La Poste n’est pas transféré au secteurprivé et l’article 1er du projet de loi affirmeau contraire que le capital de la société« est détenu par l’État, actionnairemajoritaire, et par d’autres personnesmorales de droit public […] ». Le contrôlede la société appartient donc en toutehypothèse à la puissance publique.

La situation de La Poste ne diffère quelégèrement de celle des précédents FranceTélécom et Gaz de France (GDF) : la loidéférée au Conseil constitutionnel préciseque le capital de La Poste demeure à 100 %public et qu’il est même détenu uniquementpar des personnes publiques. En revanche,la loi n° 96-660 du 26 juillet 1996 relative àl’entreprise nationale France Télécomprévoyait seulement pour France Télécomque l’État conserverait plus de la moitié ducapital social. Pour GDF, la loi n° 2004-803du 9 août 2004 relative au service public del’électricité et du gaz et aux entreprisesélectriques et gazières a prévu dans sonarticle 24 l’entrée possible de capitauxprivés dans les deux sociétés EDF et GDF,pour une part inférieure à 30 % du capital.Dans les deux cas, contrairement à LaPoste, l’ouverture partielle du capital à desacteurs non publics a donc été le point dedépart d’une privatisation ultérieure.

9 Conseil constitutionnel, décision 96-380 DC,23 juillet 1996, Loi relative à l’entreprise nationaleFrance télécom, JORF du 27 juillet 1996, p. 11408.10 Conseil constitutionnel, décision n° 86-207 DC du26 juin 1986, considérant n° 56.11 Conseil constitutionnel, décision n° 87-232 DC du7 janvier 1988, considérant n° 30.12 Conseil constitutionnel, décision n° 2004-501 DCdu 5 août 2004.13 Commentaires aux Cahiers du Conseilconstitutionnel sur la décision n° 2006-543 DC du30 novembre 2006, Loi relative au secteur del’énergie, JORF du 8 décembre 2006, p. 18544.

La loi préciseque le capital deLa Postedemeure à 100 %public

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 2010 69

Droit public

La Poste, érigée en société anonymepublique, ne constitue pas un cas unique :France Télévisions et Radio France sontdéjà des sociétés anonymes dont le capitalest 100 % public14.

Le Conseil constitutionnel a conclu à laconstitutionnalité de la loi qui lui est déférée.Il constate que l’article 1er de la loi « n’a nipour objet ni pour effet de transférer LaPoste au secteur privé » et rejette donc tousles griefs dirigés contre l’article 1er tirés dela méconnaissance du Préambule de 1946et de la Déclaration de 1789 et fondés surl’hypothèse d’un tel transfert.

Il en va également ainsi des griefs soulevéscontre l’article 12. Les requérants estimaient,en effet, que cet article, qui fixe les conditionsd’évaluation de La Poste, ne le faisait pasde manière suffisamment précise dans laperspective du transfert de l’entreprise ausecteur privé et « s’agissant d’un servicepublic constitutionnel ».

Le Conseil Constitutionnel n’a pu, querejeter le grief, dans la mesure où la loidéférée ne transfère pas l’entreprise LaPoste au secteur privé, mais a seulementpour objectif de modifier son statut juridiqued’établissement public en une sociétéanonyme à capitaux 100 % publics.

La question d’une future privatisation de LaPoste demeure toutefois : le Conseilconstitutionnel conclut que tel n’est pasl’objet de la loi qui lui a été déférée et ne seprononce donc pas sur la question de laprivatisation en tant que telle.

Or, si le législateur a souhaité souligner lecaractère « imprivatisable » de la Poste, enprévoyant que la transformation de La Posteen société anonyme ne peut avoir pourconséquence de remettre en cause soncaractère de service public national, cettedisposition ne peut toutefois lier lelégislateur pour l’éternité, qui aura toujoursla faculté de défaire à l’avenir ce qu’il a faitdans le passé.

1.2. L’entrée en vigueur des dispositionsrelatives à la transformation dustatut de La Poste au 1er mars 2010

Dans la continuité des arguments soutenuspar les requérants à l’encontre du transfertallégué de propriété au secteur privé, ceux-ci demandaient au Conseil constitutionnelde reporter la date de la transformation dustatut de La Poste du 1er mars au1er janvier 2011.

Les articles 32 et 33 de la loi déférée fixenten effet un régime d’entrée en vigueurdifférencié des titres Ier et II. L’article 32 dela loi prévoit que les dispositions relatives àla modification de la forme juridique de LaPoste – contenues dans le titre I de laprésente loi – entreront en vigueur au1er mars 2010, tandis que l’article 33 fixeau 1er janvier 2011 l’entrée en vigueur decertaines dispositions du titre II transposantla directive 2008/6/CE du 20 février 200815

qui ouvre l’ensemble du marché postal à laconcurrence.

Les requérants estimaient que latransposition de cette directive était à l’originedu changement de statut de La Poste ;l’entrée en vigueur de ces dispositions au1er mars 2010 était donc, selon eux,prématurée. Ils demandaient, pour cetteraison, un report au 1er janvier 2011.

Les requérants fondaient leur argumentationsur la décision du Conseil constitutionneln° 2006-543 DC du 30 novembre 2006relative au service public de la distributiondu gaz, dans laquelle le Conseil avait émisune réserve d’interprétation, en retardant laprivatisation de Gaz de France au 1er juillet2007. En effet, cette date correspondait àla date limite de transposition des directivescommunautaires sur l’ouverture à laconcurrence du marché de l’énergie, oùl’entreprise perdait l’exclusivité de lafourniture des ménages et cessait d’être unservice public national au sens duPréambule de la Constitution de 1946.

Le Conseil constitutionnel a, cependant,relevé que la situation de La Poste étaitdifférente. En effet, la transformation de LaPoste en société anonyme, opérée dans letitre Ier de la loi déférée, ne découle pas

14 Article 47, loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986relative à la liberté de communication, JORF du1er octobre 1986, p. 11755.

15 Directive 2008/6/CE du Parlement européen et duConseil du 20 février 2008 précitée.

FranceTélévisions etRadio Francesont déjà des SAau capital 100 %public

La questiond’une futureprivatisation deLa Postedemeure

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 201070

Droit public

directement de la transposition de ladirective 2008/6/CE du 20 février 2008, quifait l’objet du titre II. Le changement destatut prévu par le titre Ier revêt le caractèred’une mesure purement nationale,étrangère à la transposition de la directive.Cette dernière, tout comme les précédentesdirectives relatives aux services postaux,ne traite pas du statut des opérateurspostaux, conformément au principe deneutralité des règles communautaires surle régime de propriété des États membresfixé par l’article 345 du traité sur lefonctionnement de l’Union européenne (ex-article 295 du TCE). Le changement destatut de La Poste pouvait donc interveniravant le 1er janvier 2011.

Le grief tiré de l’anticipation de l’entrée envigueur du titre 1er a été déclaré inopérant,et le Conseil constitutionnel a, parconséquent, déclaré l’article 32 conformeà la Constitution.

2. La transformation du statutsocial de La Poste ne porte pasatteinte au principe d’égalitédevant la loi

2.1. Le régime de représentation dupersonnel de La Poste au regarddu principe d’égalité devant la loi

Le II de l’article 11 de la loi déférée modifiel’article 31 de la loi n° 90-568 du 2 juillet1990 relatif aux agents contractuels. LaPoste emploie ainsi de tels agents sous lerégime des conventions collectives, c’est-à-dire des contractuels de droit privé. Laréférence aux contrats de plan, quipouvaient être conclus auparavant entrel’établissement public et l’État, est dans lemême temps supprimée.

En tant que société anonyme, La Postedevrait être soumise aux dispositions ducode du travail, concernant les comitésd’entreprises (articles L. 2321-1 et suivantsdu code du travail), aux délégués dupersonnel (articles L. 2311-1 et suivants dumême code) et aux délégués syndicaux(articles L. 2111-1 et suivants dumême code).

Toutefois, l’article 31 de la loi du 2 juillet1990 n’est pas modifié en ce qui concernel’exclusion de l’application du code du travailà la future société. Les dispositions de droit

commun en matière de représentation dupersonnel ne sont toujours pas applicablesà la société anonyme La Poste.

Les requérants critiquaient la suppressionde la règle d’emploi des salariés de droitprivé au sein de l’entreprise La Poste, parl’article 11 de la loi déférée. Ils soutenaient,en outre, que le maintien d’un statutdérogatoire au code du travail concernantle régime des comités d’entreprise, desdélégués du personnel et des déléguéssyndicaux, n’était plus compatible avec lestatut de société anonyme de La Poste etconduisait à une méconnaissance duprincipe d’égalité devant la loi.

En réponse à ce grief, le Gouvernementfaisait observer qu’un régime de représen-tation unifié des deux catégories depersonnels existait déjà au sein del’entreprise. La Poste peut en effet employerdes agents contractuels de droit privé depuisla loi du 2 juillet 1990. La proportion defonctionnaires (55 %) au sein de l’entreprisereste ainsi supérieure à celle des agentsprivés (45 %). Le législateur avait donc lechoix d’opter pour le régime dereprésentation du personnel tel que prévupar la fonction publique ou, tel qu’issu ducode du travail. Il a ainsi pu valablementopter pour un statut de représentation unifiéeissu du droit public.

Dès lors, il était nécessaire de vérifier quel’ensemble des agents, fonctionnaires ounon de La Poste, bénéficiait d’unereprésentation équivalente au sein del’entreprise. En pratique, les agents de droitprivé participent aux instances deconcertation avec les fonctionnaires dansles comités techniques paritaires, en vertudu décret n° 98-1241 du 29 décembre 1998.Les comités d’hygiène, de sécurité et deconditions de travail (CHSCT) concernentà la fois les fonctionnaires et les salariés.Les contractuels bénéficient également decommissions consultatives paritaires (CCP)pour la défense de leurs droits individuels.S’ajoutent à cela, des instancesspécifiques de concertation créées par laloi du 20 mai 2005 relative à la régulationdes activités postales, valables pourl’ensemble des personnels, et prévues àl’article 31-2 de la loi du 2 juillet 1990modifiée : la commission d’échange sur lastratégie du groupe La Poste et lacommission de dialogue social.

La Poste emploie55 % defonctionnaires et45 % d’agentsprivés

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 2010 71

Droit public

Le Conseil constitutionnel a estimé que lacoexistence, au sein de l’entreprise, defonctionnaires et de contractuels de droitpublic et de droit privé, justifiait lareprésentation de salariés de droit privé ausein d’institutions représentatives dupersonnel correspondant à un statut de lafonction publique. Le juge constitutionnels’inscrit ainsi dans la droite ligne de sajurisprudence. Il juge, en effet, que l’absencede représentation d’une catégorie spécifiquede personnel au sein d’un établissement neméconnait pas le principe d’égalité, dans lamesure où ces personnels peuvent êtrereprésentés dans les instances communes16.

Le Conseil constitutionnel a dès lors reconnuque « cette pluralité de régimes juridiques,que la transformation de La Poste en sociétéanonyme ne fait pas disparaître », justifiaitun traitement différencié par la loi. Le grieftiré de l’atteinte à l’égalité devant la loi a doncété rejeté. Il valide ainsi la transformation dustatut social de La Poste au regard duprincipe d’égalité devant la loi.

2.2. La délégation de la gestion dupersonnel fonctionnaire auprésident de la société anonyme

Le Conseil constitutionnel n’a pas, enrevanche, jugé bon de clarifier expressémentcertains points, non soulevés par lesrequérants, mais entrant néanmoins dansle champ des interrogations relatives à lamise en œuvre de la transformation socialede La Poste en entreprise publique.

Ainsi, tout comme lors de l’examen de laloi modifiant le statut de France Télécomen 1996 (loi n° 96-660 du 26 juillet 1996),le Conseil constitutionnel n’a pas soulevéd’office la question, éludée par lesrequérants, du pouvoir de nomination et degestion des fonctionnaires de l’entreprise

par le président de la société anonyme. Seulle Conseil d’État s’est prononcé sur cesujet, dans un avis du 18 novembre 1993,où il considère que le président de lasociété anonyme France Télécom pouvaitêtre une « autorité subordonnée »susceptible de se voir déléguer le pouvoirde nomination issu de l’article 13 de laConstitution et de l’article 4 de l’ordonnancedu 28 novembre 1958.

En l’absence de précision de la part duConseil constitutionnel, il parait possible deconsidérer que l’entreprise publique LaPoste peut se voir appliquer le mêmeraisonnement. Le juge constitutionnelaccepte ainsi implicitement le pouvoir denomination et de gestion du personnelfonctionnaire par le président d’une sociétéanonyme.

Une autre question a aussi été éludée parle Conseil constitutionnel : la problématiqueliée à la délégation des pouvoirs du présidentà des agents soumis aux règles du droitprivé. L’article 10 de la loi déférée prévoiten effet que le président de l’entreprise peutdéléguer ses pouvoirs de nomination et degestion et en autoriser la subdélégationdans les conditions de forme, de procédureet de délai déterminées par décret enConseil d’État.

En ne se prononçant pas sur ce point, leConseil constitutionnel semble accepterque le droit commun des sociétés ne trouvepas à s’appliquer lors du maintien d’unrégime de droit public dans une sociétéanonyme. Un tel régime de subdélégationpeut en effet s’analyser comme une mesured’organisation du service qu’il revient àl’autorité réglementaire d’édicter.

Cette possibilité de subdélégation neconstitue par ailleurs pas une nouveautépuisqu’elle était déjà prévue pour FranceTélécom par le décret n° 90-1112 du12 décembre 1990 portant statut de FranceTélécom, qui prévoyait la possibilité pour leprésident du conseil d’administration dedéléguer tout ou partie de ses attributionspropres. Des dispositions identiques ont parla suite été reprises dans le décret n° 96-1174 du 27 décembre 1996 approuvant lesstatuts de France Télécom et portantdiverses dispositions relatives aufonctionnement de l’entreprise nationale,pris pour l’application de la loi du 26 juillet

16 Conseil Constitutionnel, n° 83-167 DC du 19 janvier1984 : « l’absence d’une représentation spécifiqued’une catégorie particulière de personnels auConseil national du crédit, au comité de laréglementation bancaire ou au comité desétablissements de crédit ne prive pas,contrairement à ce qu’indiquent les auteurs de lasaisine, les agents de cette catégorie de lapossibilité d’être représentés au sein de cesorganismes dans les mêmes conditions que tousles autres membres du personnel ; qu’ainsi lesdispositions critiquées ne méconnaissent pas leprincipe d’égalité ».

Le Conseilconstitutionnelreconnaît auprésident d’unesociété anonymeun pouvoir denomination et degestion dupersonnelfonctionnaire

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 201072

Droit public

1996 relative à l’entreprise nationale FranceTélécom, et, réitérée la loi n° 2003-1365 du1er janvier 2003, modifiant la loi du2 juillet 1990.

2.3. Le régime d’attribution d’actionsgratuites au personnel de La Poste

L’article 13 de la loi déférée définit le régimed’attribution d’actions gratuites par La Posteen renvoyant à l’application desarticles L. 225-197-1 à L. 225-197-5 ducode de commerce, qui prévoientnotamment le régime des attributionsgratuites d’actions par les sociétésanonymes.

Les requérants contestaient ce régimed’attribution d’actions gratuites aux agentsde La Poste, en arguant que ces dispositionsn’étaient pas suffisamment définies, etportaient atteinte au principe d’égalité.

Le Gouvernement a rappelé que, confor-mément au I de l’article L. 225-197-1 du codede commerce, l’assemblée généraleextraordinaire fixe le pourcentage maximaldu capital social pouvant ainsi être attribuéet que le nombre total des actions attribuéesgratuitement ne peut excéder 10 % du capitalsocial à la date de la décision de leurattribution par le conseil d’administration. Ilinsiste sur le fait que la loi déférée prévoitdes dispositions spécifiques dérogeant audroit commun des attributions gratuitesd’actions afin de tenir compte de la situationparticulière de La Poste. Ainsi, le champ desbénéficiaires est élargi aux fonctionnaires.Les actions attribuées sont en outreobligatoirement apportées à un ou plusieursfonds communs de placement d’entreprise.Enfin, l’évaluation de l’entreprise est fixée parla Commission des participations et destransferts, qui dispose en outre du droit des’opposer à l’opération si les conditions decelle-ci ne sont pas conformes aux intérêtspatrimoniaux de l’État, dans des conditionsprécisées par le texte de loi.

Le Conseil constitutionnel a constaté quel’article 13 de la loi permet de rendreapplicable à La Poste, en l’adaptant, ledispositif d’attribution d’actions prévu par lesarticles L. 225-197-1 à L. 225-197-5 ducode du commerce. Ces adaptations ontessentiellement pour objet de permettrel’attribution d’actions gratuites aux salariés

de droit privé de La Poste ainsi qu’auxagents contractuels de droit public et auxfonctionnaires, afin d’éviter les disparités derégimes entre les agents de l’entreprise.Dès lors, les griefs tirés de l’atteinte àl’égalité devant la loi et de l’incompétencenégative ont été rejetés.

Tatiana Ayrault, Lila Zarfaoui (Directiondes affaires juridiques)

Des actionsseront attribuéesgratuitement auxagents, dans lalimite de 10 % ducapital social

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 2010 73

Commande publique

Le CMP de 2006, dans sa dernière version,intègre de nouvelles dispositions favorisantla dématérialisation entre autres, entréesen vigueur le 1er janvier dernier. L’arrêté prisle 14 décembre 2009 précise les conditionset les modalités de mise en œuvre de ladématérialisation. Il abroge partiellementl’arrêté du 28 août 20061.

1. Publicité et information descandidats sur le profil d’ache-teur pour les achats supérieursà 90.000 euros hors taxes

La mise en ligne élargie des avis de publicitéet des documents de la consultations’inscrit dans une volonté politique françaiseet européenne.

1.2. Avis d’appel public à la concurrencesur le profil d’acheteur

Dans ce cadre, le pouvoir adjudicateur doitpublier, depuis le 1er janvier 2010, l’avis depublicité pour tous les achats d’un montantsupérieur à 90.000 euros hors taxe sur sonprofil d’acheteur (article 40 CMP).

La dématérialisation des avis d’appel publicà la concurrence (AAPC) est déjà largementrépandue, notamment en raison desexigences des offices institutionnels quiassurent la publication des avis, tant auniveau français (Direction de l’InformationLégale et Administrative) qu’au niveaucommunautaire (Office des Publications del’Union Européenne). Tel n’est, en revanche,pas obligatoirement le cas pour la publicitécomplémentaire.

Le profil d’acheteur est une interfacecomprenant un portail et une applicationlogicielle de gestion des procédures depassation des marchés publics dématé-

rialisées d’un acheteur public (article 39 Idu CMP). En pratique, il s’agit d’un site,communément appelé « plateforme », misen ligne à une adresse Web, qui centraliseles outils nécessaires à la dématérialisationet les met à disposition, via Internet, despouvoirs adjudicateurs et des entreprises.

Cette opération, parfois réalisée sponta-nément, est rendue obligatoire. Ellecentralise les annonces d’un pouvoiradjudicateur sur une même plateforme, afinde simplifier l’accès à celles-ci par lesentreprises. L’acheteur a donc tout intérêtà y publier également les avis de publicitépour ses marchés d’un montant inférieur à90.000 euros hors taxe. Transparence,égalité de traitement et liberté d’accès à lacommande publique sont ainsi accrues. Laconcurrence entre les candidats également.Ceci, d’autant plus que les profils d’acheteuroffrent aux entreprises des systèmesd’alerte permettant de leur transmettreautomatiquement les avis pour lesquelselles ont un intérêt.

1.2. Documents de la consultation surle profil d’acheteur

Le pouvoir adjudicateur doit égalementpublier les Documents de consultation desentreprises (DCE) sur son profil d’acheteur,pour tous les marchés d’un montantsupérieur à 90.000 euros hors taxes, selonles modalités fixées par l’arrêté du14 décembre 2009.

Cette obligation a été largement anticipéepar les acheteurs publics. Cette premièrephase de la dématérialisation ne pose pasde difficulté. Elle remporte déjà un vifsuccès2. Pour les services ministériels

Arrêté du 14 décembre 2009 : nouvel outilde la dématérialisation

Par Véronique Vogel

Moins de dix ans après l’introduction, dans le code des marchés publics (CMP),de la possibilité de dématérialiser les procédures de passation des marchéspublics, une nouvelle étape est franchie depuis le 1er janvier 2010.

1 Arrêté du 28 août 2006 pris en application du I del’article 48 et de l’article 56 du code des marchéspublics et relatif à la dématérialisation des procéduresde passation des marchés publics formalisés.

2 Voir l’enquête qualitative : « La perception de ladématérialisation », menée par la société TNSSOFRES, 2007.Voir l’enquête quantitative : « État de préparationdes pouvoirs adjudicateurs et des entreprises enmatière de dématérialisation des marchéspublics », menée par la Direction des Journauxofficiels, 2008.

Ladématérialisationdes AAPC estdéjà largementrépandue

En 2008, 90 % desDCE étaient déjàdisponibles sur leprofil d’acheteurde l’État (la PMI)

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 201074

Commande publique

centraux, plus de 90 % des DCE étaientainsi déjà mis à disposition en 2008 et15 dossiers en moyenne étaient télé-chargés par procédure (chiffres : Place demarché interministérielle, PMI).

L’objectif de cette mesure est double. Pourle pouvoir adjudicateur, elle élargit lapublicité et rend instantanée la mise àdisposition du DCE. Pour l’entreprise,l’accès au dossier, la diffusion des fichiers,le travail sur ceux-ci sans ressaisie et lapréparation la candidature et l’offre sontfacilités.

L’accès au DCE par l’entreprise est simplifiépuisque, dès lors qu’un AAPC est publié, ilcomporte désormais le lien direct donnantaccès au DCE (article 1er de l’arrêté). Dansle cadre des procédures restreintes, la lettred’invitation mentionne cette adresse(article 2 de l’arrêté). L’adresse du profild’acheteur n’est pas considérée commesuffisante.

Pour les marchés soumis à l’article 40 duCMP, le DCE doit être disponible, au plustard, à la date de la publication de l’AAPCafin que les entreprises potentiellementcandidates puissent y accéder. Mais, lamise en ligne sur le profil d’acheteur estpossible dès l’envoi de l’AAPC aux organesofficiels de publication.

Le DCE est libre d’accès, direct et complet.Pour garantir ce principe, l’arrêté supprimel’obligation faite par le passé de s’identifiersur le profil d’acheteur avant letéléchargement du DCE (article 1er del’arrêté). Toutefois, pour prévenir toutecontestation, le pouvoir adjudicateur estinvité à informer les entreprises desconséquences susceptibles de s’attacherà l’absence d’identification. L’entreprise nepourra notamment pas être informée desmodifications apportées au DCE.

Lorsque le DCE est disponible sur le profild’acheteur, le pouvoir adjudicateur estdésormais libre de refuser sa diffusion sursupport papier. L’arrêté ne prévoit plus ledroit octroyé précédemment à l’entreprisede solliciter un DCE sur support papier. Lepouvoir adjudicateur reste libre de choisird’offrir la possibilité de mettre le DCE àdisposition sur support physique.

Les fichiers constitutifs du DCE sont dansun ou des formats largement disponiblesafin d’éviter toute discrimination entre lesentreprises (article 4 de l’arrêté).

Toutefois, une mise à disposition partielledu DCE par le pouvoir adjudicateur estprévue dans deux cas, lorsque certainsdocuments du DCE sont :

• estimés sensibles ou confidentiels.Ceux-ci sont à diffuser aux entreprisessur support physique. Ces documentspeuvent toujours être obtenus sursupport papier. Ils peuvent désormaiségalement l’être sur support physiqueélectronique.

• trop volumineux pour être téléchargéspar les entreprises. Ceux-ci leur sontremis sur support physique (supportpapier ou support électronique).

L’AAPC mentionne alors l’adresse duservice (physique ou électronique) où ilspeuvent être demandés (article 3 del’arrêté). Les réductions des délais deremise des candidatures ou des offresprévues par le CMP ne peuvent pass’appliquer.

Si l’obligation ne concerne que les achatsde plus de 90.000 euros hors taxes, lepouvoir adjudicateur disposant d’un profild’acheteur a tout intérêt à mettrel’ensemble de ses avis et DCE sur saplateforme.

L’envoi de la publicité par voie électroniqueaux supports officiels d’une part, ou lapublication électronique du DCE d’autrepart, autorisent le pouvoir adjudicateur àréduire sensiblement les délais de réponseaccordés aux entreprises (respectivementsept jours et cinq jours). Il s’agit d’unefaculté, non d’une obligation. Si le pouvoiradjudicateur souhaite user de cette faculté,il doit veiller à ce que le délai resteraisonnable au regard de la complexité dumarché.

Aux entreprises de compenser par l’usagedes moyens électroniques pour transmettreleur pli.

La transmission des plis, la deuxièmephase de la dématérialisation desprocédures, constitue un échec relatif.L’absence de politique claire du pouvoir

Le pouvoiradjudicateur atout intérêt àmettrel’ensemble deses avis et DCEsur sa plateforme

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 2010 75

Commande publique

adjudicateur ou les hésitations desentreprises pourraient en être la cause. Lesentiment du manque de confiance dans leprocessus électronique lui-même aussi.Pourtant, il offre plus de sécurité grâce à lasignature électronique, le chiffrement desplis, l’horodatage et la traçabilité desopérations.

2. Transmission des candida-tures et des offres via le profild’acheteur

La volonté de développer le recours à la voieélectronique pour la transmission des plisest évidente depuis le CMP 2004. Desoutils juridiques restaient toutefois à mettreen place pour la favoriser.

2.1. Mode de transmission des plis

Depuis le 1er janvier 2005, le pouvoiradjudicateur doit pouvoir recevoir et traitertoute offre adressée par voie électroniqueen réponse à une annonce passée dans lecadre d’une procédure formalisée(CMP 2001). Il appartenait donc auxentreprises de saisir cette opportunité,lorsque l’acheteur n’avait pas choisi derecourir à une procédure papier. La volontéde dématérialiser du pouvoir adjudicateurest une condition sine qua non de laréussite de ce projet. De ce fait, leCMP 2006, a offert au pouvoir adjudicateur,soit de mentionner dans l’AAPC le modede transmission de plis qu’il encourage, soitd’imposer le mode de transmissionélectronique dans un cadre expérimental –en vigueur jusqu’au 31 décembre 20093.L’entreprise restait, sauf exceptions, libredu choix du mode de transmission.

Aujourd’hui, le CMP offre au pouvoiradjudicateur d’être maitre de sa politiquede dématérialisation, en lui permettant dedécider de ne recevoir que des plisélectroniques, sous réserve que le secteurd’activité choisi soit un secteur dans lequelil n’y a pas d’obstacles connus àl’équipement des entreprises concernéespar l’objet du marché. Depuis le 1er janvier,

le pouvoir adjudicateur a la faculté d’imposerla transmission des plis par voieélectronique, quel que soit le montant dumarché (article 56 II 1° CMP). L’entreprisecandidate est donc contrainte de respecterson choix, faute de quoi sa candidature etson offre seront rejetées.

Au 1er janvier 2010, le CMP franchit uneétape supplémentaire, la transmission desplis concernant les achats de fournituresde matériels informatiques et de servicesinformatiques d’un montant supérieur à90.000 euros hors taxes étant obligatoi-rement faite par voie électronique(article 56 II 2° CMP). Ce secteur est lemieux à même, techniquement parlant, derépondre aux avis de marchés par voieélectronique avec succès, comme l’aconfirmée l’expérimentation mentionnée ci-dessus. Le pouvoir adjudicateur est lui tenude les recevoir sous cette forme.

Enfin, pour poursuivre un réel mouvementvers la dématérialisation, à échéance du1er janvier 2012, le pouvoir adjudicateur nepourra refuser de recevoir les documentsrequis des candidats qui sont transmis parvoie électronique pour les achats defournitures, de services ou de travaux d’unmontant supérieur à 90.000 euros horstaxes.

Une fois le pli électronique déposé,l’entreprise doit recevoir un accusé deréception indiquant la date et l’heure de laréception (article 5 de l’arrêté).

Le pouvoir adjudicateur doit mentionner lessupports physiques électroniques et lesformats de fichiers pouvant être utilisés parl’entreprise. Ils doivent toujours êtrelargement disponibles (article 4 de l’arrêté).Le pouvoir adjudicateur doit en effet être enmesure de lire les documents électroniquesqui lui sont adressés. Il est rappelé que latransmission d’une offre sur un supportphysique électronique n’est pas unetransmission par voie électronique. Elle estassimilée à une transmission sur supportpapier, car dans les deux cas, le supportdu document est physique (CD-ROM, cléUSB ou papier) et le mode de transmissionest classique.

L’arrêté du 14 décembre 2009 ne modifiepas les termes des dispositions juridiquesrelatives à la signature des pièces. Ellesfigurent toujours dans les articles 5 à 7 de

3 Article 56 VII CMP et Arrêté du 12 mars 2007 prisen application du III de l’article 56 du code desmarchés publics et relatif aux expérimentations dedématérialisation des procédures de passation desmarchés publics formalisés.

Dans le cadredes procéduresformalisées, lepouvoiradjudicateur doitpouvoir recevoiret traiter touteoffre adresséepar voieélectronique

La transmissiond’une offre sur unsupport physiqueélectronique estassimilée à unetransmission sursupport papier

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 201076

Commande publique

l’arrêté du 28 août 20064. Si la signatureélectronique s’impose en procédureformalisée, en procédure adaptée, le pouvoiracheteur peut décider de l’exiger ou non.En tout état de cause, le marché comporteles signatures des cocontractants puisquel’attributaire est alors invité à signer son offreavant que le pouvoir adjudicateur n’apposesa signature.

Pour rassurer l’entreprise qui transmet unpli par voie électronique, il a été décidé(CMP 2006) de lui permettre d’adresser unecopie dite de sauvegarde destinée, en casd’anomalie, à se substituer au pliélectronique.

2.2. Copie de sauvegarde

Parallèlement à l’envoi électronique,l’entreprise peut adresser au pouvoiradjudicateur, dans le même délai, une copiede sauvegarde sur support physique. Ils’agit, soit d’un support électronique (CD-Rom, DVD-Rom, clé USB…), soit d’unsupport papier. Elle est transmise sous plifermé qui porte la mention : « Copie desauvegarde » et le nom de l’entreprisecandidate (article 6 de l’arrêté). Lesdocuments de la copie de sauvegardedoivent évidemment être signés (pour lesdocuments dont la signature est obligatoireau regard du CMP ou du RC). Si le supportphysique choisi est le support papier, lasignature est manuscrite. Si le supportphysique choisi est électronique, lasignature est électronique (certificat designature). Dans ce dernier cas, lasignature électronique est apposée par unlogiciel ad hoc sur tous les documentsélectroniques pour lesquels une signatureest exigée. En cas d’absence ou d’altérationde la signature, l’offre devra être écartée(CE, 8 mars 1996, Pelte, Req. n° 133198).

La copie de sauvegarde est ouverte dansdes cas limitativement énumérés (article 7de l’arrêté) :

• lorsque, dans le pli transmis par voieélectronique, un virus est détecté par lepouvoir adjudicateur. Seule la trace dela malveillance du programme est alorsconservée ;

• lorsqu’un pli, transmis par voieélectronique, n’est pas parvenu aupouvoir adjudicateur dans le délai ;

• lorsqu’un pli, transmis par voieélectronique, n’a pas pu être ouvert parle pouvoir adjudicateur.

Dans les autres cas, la copie de sauvegarden’est jamais ouverte. Elle est détruite àl’issue de la procédure (article 6 de l’arrêté).

** *

Comme en témoigne le bilan del’expérimentation menée de 2007 à 2009(autorisation d’exiger de l’entreprise derépondre par voie électronique), lesprincipales difficultés sont, de plus en plusrarement juridiques ou techniques et, deplus en plus souvent, organisationnelles. Telest le défi du pouvoir adjudicateur dans lesmois et des années qui viennent.

Véronique Vogel (Direction des affairesjuridiques)

4 Arrêté du 28 août 2006, pris en application du I del’article 48 et de l’article 56 du code des marchéspublics et relatif à la dématérialisation des procéduresde passation des marchés publics formalisés.

Les principalesdifficultés sontdésormaisorganisationnelles

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Commande publique

JORF n° 0295 du 20 décembre 2009

Texte n° 15

ARRÊTÉ

Arrêté du 14 décembre 2009 relatif à la dématérialisationdes procédures de passation des marchés publics

NOR : ECEM0929046A

La ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi,

Vu le code des marchés publics, notamment ses articles 41 et 56 ;

Vu l’ordonnance n° 2005-1516 du 8 décembre 2005 relative aux échanges électroniques entre les usagers et lesautorités administratives et entre les autorités administratives ;

Vu le décret n° 2005-1308 du 20 octobre 2005 modifié relatif aux marchés passés par les entités adjudicatricesmentionnées à l’article 4 de l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certainespersonnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics, notamment son article 14 ;

Vu le décret n° 2005-1742 du 30 décembre 2005 modifié fixant les règles applicables aux marchés passés parles pouvoirs adjudicateurs mentionnés à l’article 3 de l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchéspassés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics, notammentson article 14 ;

Vu l’avis de la Commission consultative d’évaluation des normes en date du 3 décembre 2009,

Arrête :

CHAPITRE IER : DISPOSITIONS RELATIVES À LA DÉMATÉRIALISATION DES DOCUMENTS DE LACONSULTATION, DES CANDIDATURES ET DES OFFRES

Article 1

Les documents de la consultation publiés par le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice sur son profild’acheteur doivent être d’accès libre, direct et complet.

Lorsque les documents de la consultation sont publiés sur le profil d’acheteur, le pouvoir adjudicateur ou l’entitéadjudicatrice précise l’adresse de téléchargement de ces documents dans l’avis d’appel public à la concurrence,s’il en publie un.

Les opérateurs économiques peuvent indiquer le nom de la personne physique chargée du téléchargement, ainsiqu’une adresse électronique, afin que puissent lui être communiquées les modifications et les précisions apportéesaux documents de la consultation.

Article 2

Lorsque le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice envoie, par voie électronique, aux candidats sélectionnésla lettre d’invitation à présenter une offre ou à participer au dialogue, mentionnée aux I de l’article 62 et del’article 66, au V de l’article 67 et au 3° du III de l’article 70 du code des marchés publics, il y indique l’adressede téléchargement des documents de la consultation, au sein du profil d’acheteur.

Article 3

Le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice peut décider que certains éléments, qu’il estime sensibles ouconfidentiels et qui figurent dans les documents de la consultation, ne seront transmis aux opérateurs économiquesque sur un support papier ou sur un support physique électronique.

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Commande publique

Il en est de même lorsque certains documents de la consultation sont trop volumineux pour être téléchargés parles opérateurs économiques.

Dans ces deux cas, l’avis d’appel public à la concurrence ou le règlement de la consultation mentionne l’adressephysique ou l’adresse électronique du service auprès duquel ces éléments peuvent être demandés.

Article 4

Les supports physiques électroniques et les fichiers électroniques utilisés pour la transmission dématérialiséesont choisis par le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice, dans un format largement disponible.

CHAPITRE II : MODALITÉS DE SÉCURISATION DES PROCÉDURES ÉLECTRONIQUES DE PASSATION

Article 5

Le dépôt des candidatures et des offres transmises par voie électronique ou sur support physique électroniquedonne lieu à un accusé de réception indiquant la date et l’heure de réception.

Article 6

Le candidat qui effectue à la fois une transmission électronique et, à titre de copie de sauvegarde, une transmissionsur un support physique électronique ou sur un support papier doit faire parvenir cette copie dans les délaisimpartis pour la remise des candidatures ou des offres.

Cette copie doit être placée dans un pli scellé comportant la mention lisible de « Copie de sauvegarde ».

Elle ne peut être ouverte que dans les cas mentionnés à l’article 7. Si le pli n’est pas ouvert, il est détruit à l’issuede la procédure.

Article 7

La copie de sauvegarde est ouverte :

1. Lorsqu’un programme informatique malveillant est détecté dans les candidatures ou les offres transmises parvoie électronique. La trace de cette malveillance est conservée.

2. Lorsqu’une candidature ou une offre a été transmise par voie électronique et n’est pas parvenue dans lesdélais ou n’a pu être ouverte, sous réserve que la copie de sauvegarde soit parvenue dans les délais.

Article 8

I. – En cas d’appel d’offres ouvert ou de concours ouvert, si une candidature transmise par voie électronique estrejetée, en application de l’article 52 du code des marchés publics, en application de l’article 28 du décret du20 octobre 2005 susvisé ou en application de l’article 23 du décret du 30 décembre 2005 susvisé, l’offrecorrespondante est effacée des fichiers du pouvoir adjudicateur ou de l’entité adjudicatrice, sans avoir été lue. Lecandidat en est informé.

Si la transmission électronique était accompagnée d’une copie de sauvegarde, cette dernière est détruite, sansavoir été ouverte.

II. – En cas d’appel d’offres ouvert ou de concours ouvert, lorsque la candidature et l’offre sont envoyées sur unsupport physique électronique, si la candidature n’est pas admise, le support portant l’offre correspondante estdétruit sans que celle-ci n’ait été lue.

Article 9

Sont abrogés :

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Commande publique

1° L’arrêté du 28 août 2006 pris en application du I de l’article 48 et de l’article 56 du code des marchés publicset relatif à la dématérialisation des procédures de passation des marchés publics formalisés, à l’exception deses articles 5 à 7 ;

2° L’arrêté du 12 mars 2007 pris en application du III de l’article 56 du code des marchés publics et relatif auxexpérimentations de dématérialisation des procédures de passation des marchés publics formalisés.

Article 10

Le présent arrêté entre en vigueur le 1er janvier 2010 et sera publié au Journal officiel de la République française.

Fait à Paris, le 14 décembre 2009.

Pour la ministre et par délégation :La directrice des affaires juridiques,C. Bergeal

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Commande publique

Les faits de l’espèce étaient simples. Lescommunes de Béziers et de Villeneuve-lès-Béziers avaient créé un syndicat intercom-munal à vocation multiple en vue d’étendreune zone industrielle située intégralementsur le territoire de la commune deVilleneuve-lès-Béziers. Par une conventionà durée illimitée en date du 10 octobre1996, les maires des deux communes ontdécidé que la commune de Villeneuve-lès-Béziers verserait à la commune de Béziersune partie des sommes qu’elle percevraitau titre de la taxe professionnelle afin detenir compte de la perte de recettesengendrée par la relocalisation, dans lanouvelle zone industrielle, d’entreprisesjusqu’alors implantées sur le territoire de lacommune de Béziers.

La commune de Villeneuve-lès-Béziersdécida de résilier la convention à compterdu 1er septembre 1996. La commune deBéziers a saisi le juge administratif d’unedemande tendant à la condamnation de lacommune de Villeneuve-lès-Béziers à luiverser des indemnités au titre de la non-exécution de la convention.

En première instance, le juge administratifrejeta la demande en faisant droit àl’exception d’illégalité soulevée par ladéfense tenant à l’absence de transmissionau préfet de l’autorisation de l’assembléedélibérante de signer le contrat. En appel,le juge confirma la déclaration de nullité dela convention et rejeta la demandeindemnitaire tant sur le terrain de laresponsabilité quasi-contractuelle que surcelui de la responsabilité quasi-délictuelle.

Le Conseil d’État annule l’arrêt de la couradministrative d’appel de Marseille au motifque l’absence de transmission au préfet desdélibérations autorisant le maire à signer laconvention ne constitue pas un vice d’une

gravité telle que le juge doive écarter lecontrat, eu égard à l’exigence de loyautédes relations contractuelles. Le litige,renvoyé devant la cour administratived’appel de Marseille, peut donc être tranchésur le terrain contractuel.

Antérieurement à cette décision, le juge ducontrat, censeur de la légalité de celui-ci,relevait d’office les irrégularités entachantle contrat et le déclarait nul. Désormais,toute irrégularité n’entraîne plusautomatiquement la nullité de la convention.

Cette décision marque une révolution dansl’office du juge du contrat, qui privilégiedésormais la stabilité des relationscontractuelles sur l’automaticité de lasanction en cas d’irrégularité du contrat.

1. La décision Commune deBéziers procède à une redéfi-nition de l’office du juge ducontrat et réduit le champ descas de nullité au caractèreillicite du contrat et au viced’une particulière gravité

1.1. La décision Commune de Béziersmet un terme à la règle jurispru-dentielle selon laquelle touteirrégularité entraîne la nullité ducontrat sous réserve de la divisi-bilité de la clause irrégulière

En application de la jurisprudenceantérieure à la décision commentée, le jugeprononçait l’annulation du contrat lorsquel’irrégularité entache le contrat ou l’une deses clauses indivisibles du reste du contrat.L’irrégularité peut être soulevée aussi biendans le cadre d’une action en nullité contrele contrat que dans celui d’une action

La jurisprudence Commune de Béziers, ou uneredéfinition de l’office du juge du contrat

Par Anne Breillon

Par une importante décision de Section du 28 décembre 2009, Commune deBéziers, le Conseil d’État revient sur son avis de section du 10 juin 1996, Préfet dela Côte d’Or. Désormais, l’absence de transmission au préfet de la délibérationautorisant le maire à signer un contrat avant la date à laquelle le maire procèdeà sa conclusion n’entraîne plus automatiquement l’illégalité du contrat. Au-delàde la décision d’espèce, c’est à une véritable redéfinition des contours de l’officedu juge du contrat que se livre la Haute Assemblée.

CE Section,28 décembre2009, Communede Béziers,n° 304802

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Commande publique

indemnitaire engagée par l’une des partiescomme dans la décision Commune deBéziers.

Les irrégularités sont nombreuses. Certainespeuvent entacher le contrat lui-mêmelorsque, par exemple, elles concernent undomaine dans lequel l’administration ne peutcontracter (CE, 17 juin 1932, Ville deCastelnaudary, p. 595 : s’agissant de lapolice administrative ; CE, 8 mars 1985,Association Les Amis de la Terre, n° 24557,p. 73 : hypothèse où la loi prévoit l’édictiond’actes unilatéraux).

Les irrégularités qui entachent le consen-tement des parties sont beaucoup plusfréquentes dès lors que la compétence descollectivités territoriales est partagée entrel’assemblée délibérante qui autorise laconclusion du contrat et l’autorité exécutivehabilitée à le signer (CE, 31 juillet 1992,Société Barchetta, n° 90024, p. 307).

De même, la signature du contrat est irrégu-lière si elle intervient avant que la délibérationde l’assemblée délibérante soit transmiseau contrôle de légalité du préfet (CE, Avis,section, 10 juin 1996, Préfet de la Côte d’Or,n° 176873). Cette question sera de nouveauposée dans l’affaire Commune de Béziers.

Enfin, les irrégularités qui entachent laprocédure de choix du cocontractant et depassation sont de plus en plus nombreusescompte tenu de la complexité croissantede la réglementation en matière de contratsde commande publique.

La nullité du contrat étant d’ordre public, lejuge doit en principe relever d’office toutesles irrégularités entachant le contrat. Le jugedevait donc, lorsqu’il relevait une irrégularité,et quelque soit le moyen d’illégalité soulevépar le requérant, annuler le contrat. En effet,il ne saurait trancher un litige sur lefondement d’un contrat illégal, c’est-à-direappliquer des règles qu’il reconnaît commeétant illégales.

La sanction était donc particulièrementsévère puisque toute irrégularité entraînaitla nullité du contrat. Cette sévérité estd’autant plus prégnante que toute irrégularitéest d’ordre public et que le caractère vénield’une irrégularité n’était pas de nature àécarter la nullité du contrat (voir lesconclusions sous la décision commentée

d’Emmanuel Glaser, rapporteur public :« Nous n’avons trouvé, malgré nosrecherches, aucune décision où vousécartiez la nullité en raison du caractèrevéniel de l’irrégularité »).

Il existait néanmoins un tempérament àl’automaticité de la nullité dès lors que lejuge pouvait considérer qu’une clauseentachée de nullité est divisible du reste ducontrat. Dans cette hypothèse, le jugeannule la seule clause irrégulière (CE,19 décembre 2007, Société Sogeparc-CGST-Compagnie générale de station-nement, n° 260327, Tables p. 945).

Mais la règle restait l’automaticité de lanullité en cas d’irrégularité. Le contrat annuléétait censé n’avoir jamais existé et les partiesdevaient remettre les choses en l’état,restituer les prestations déjà effectuées etrembourser les sommes perçues. Enpratique cette remise en l’état initial étaitrarement possible. Les parties devaient alorsse placer sur le terrain quasi-contractuel(enrichissement sans cause) ou quasi-délictuel (faute consistant à passer uncontrat nul) afin d’obtenir une indemnisationdont l’évaluation est loin d’être évidente (CESect., 20 octobre 2000, Société CitécableEst, n° 196553).

En définitive, l’automaticité de la nullité ducontrat en cas d’irrégularité était source decomplexité et d’incertitude pour les parties.Une redéfinition des pouvoirs du juge ducontrat s’avérait donc utile.

1.2. Le principe de sécurité juridiqueconduit le juge du contrat à revenirsur les effets les plus déstabilisantsdu principe de légalité

Dans un considérant de principe, la décisionCommune de Béziers formalise le rôle dujuge du contrat en indiquant « qu’il appartientalors au juge, lorsqu’il constate l’existenced’irrégularités, d’en apprécier l’importance etles conséquences, après avoir vérifié queles irrégularités dont se prévalent les partiessont de celles qu’elles peuvent, eu égard àl’exigence de loyauté des relationscontractuelles, invoquer devant lui […] ». Illui incombe également de prendre « enconsidération la nature de l’illégalitécommise » et de tenir compte « de l’objectifde stabilité des relations contractuelles ».

La nullitésystématique ducontrat étaitsourced’incertitudepour les parties

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Commande publique

Le juge se livre donc à un examen desintérêts en présence et apprécie la gravitédes irrégularités invoquées ainsi que lesconséquences d’une annulation eu égard àces intérêts. En l’espèce, il estime, revenantsur la solution dégagée dans l’avis de sectiondu 10 juin 1996, Préfet de la Côte d’Or, quesi l’absence de transmission au contrôlede légalité de la délibération autorisant lemaire à signer le contrat constitue un viceaffectant le consentement des parties, iln’est pas d’une gravité telle qu’il faille écarterle contrat. En effet, l’assemblée délibérantea bien donné son accord et l’exécutif n’apas méconnu les règles de compétence ensignant le contrat antérieurement à latransmission de la délibération au préfet.

Par ailleurs, le juge se fonde sur l’obligationde loyauté pour rejeter le moyen de défautde transmission invoqué par le défendeur.Une partie ne peut invoquer une irrégularitéalors même qu’elle est l’auteur de cetteirrégularité.

En définissant les deux hypothèsessusceptibles d’emporter l’annulation ducontrat, la décision Commune de Béziersréduit le champ des cas de nullité du contrat.Dorénavant, seuls le caractère illicite ducontrat et le vice d’une particulière gravitésont des moyens d’ordre public alorsqu’auparavant toutes les irrégularitésconstituaient des moyens susceptiblesd’être soulevés d’office par le juge pourdécider de l’annulation du contrat. Notonsque l’appréciation du vice particulièrementgrave se fera au cas par cas laissant au jugeun large pouvoir d’appréciation.

2. La décision Commune deBéziers est l’aboutissementd’une évolution de l’office dujuge du contrat dont la portéepratique est loin d’êtrenégligeable

2.1. Une évolution de l’office du juge ducontrat déjà amorcée parl’instauration des procédures deréférés et la jurisprudence Tropic

Les textes sur les procédures de référésen matière précontractuelle et contractuelleainsi que l’évolution récente de lajurisprudence ont doté le juge de nouveauxpouvoirs permettant au juge de pleincontentieux du contrat d’exercer son officedifféremment.

Sous l’influence du droit communautaire(directive 89/655/CEE du 21 décembre 1989relative aux procédures de recours en matièrede passation des marchés publics), le référéprécontractuel, introduit par la loi n° 92-10du 4 janvier 1992, permet de sanctionner plusefficacement les irrégularités commisesavant la signature du contrat. Le juge peutstatuer ultra petita et ainsi annuler uneprocédure de passation d’un marché oud’une délégation de service public alors quele requérant sollicitait seulement sasuspension (CE, 20 octobre 2006,Commune d’Andeville, n° 289234).

De même, l’instauration récente d’un référécontractuel par l’ordonnance du 7 mai 2009,dont l’objet est de renforcer l’efficacité duréféré précontractuel et plus largement, desrecours applicables aux contrats de lacommande publique, vient compléter ledispositif de recours ouverts aux personnesayant un intérêt à la conclusion du contratet étendre le contrôle de légalité du juge ducontrat. Celui-ci dispose désormais depouvoirs exorbitants du droit commun desréférés : suspension de la passation ducontrat ou de toute décision s’y rapportant.Il peut enjoindre au pouvoir adjudicateur dese conformer à ses obligations ou annulerl’ensemble de la procédure. Il peut statuerultra petita et ainsi, comme en matière deréféré précontractuel, annuler une procédurealors que seule la suspension lui étaitdemandée. Il peut également aller jusqu’àprononcer l’annulation ou la résiliation ducontrat, en réduire la durée ou infliger despénalités financières.

La décision Tropic (CE Ass., 16 juillet 2007,Société Tropic travaux signalisation,n° 291545) ouvre la possibilité à toutconcurrent évincé d’exercer un recours depleine juridiction contestant la validité ducontrat dans un délai de deux mois àcompter de l’accomplissement desmesures de publicité. Toute irrégularitén’emporte plus ipso facto l’annulation ducontrat ou de la clause divisible, puisqu’« ilappartient au juge, lorsqu’il constatel’existence de vices entachant la validité ducontrat, d’en apprécier les conséquences »,et de prendre « en considération la naturede l’illégalité éventuellement commise ».Dès lors, quatre possibilités s’offrent à lui :prononcer la résiliation du contrat oumodifier certaines de ses clauses, déciderde la poursuite de son exécution

L’arrêt Communede Béziersrestreint leshypothèses denullité du contrat

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éventuellement sous réserve de mesures derégularisation, accorder une indemnisationau requérant en réparation du préjudice subiou annuler le contrat ou l’une de sesclauses. Il doit dans ce dernier cas avoirvérifié que cette annulation ne porte pas uneatteinte excessive aux droits des partiesou à l’intérêt général.

Il n’existe donc plus d’automaticité entreirrégularité et nullité du contrat puisque lejuge tient compte de la nature de l’irrégularitépour décider du maintien ou pas du contrat,au nom du principe de sécurité juridique,consacré par le Conseil d’État dans sajurisprudence d’assemblée KPMG du24 mars 2006.

2.2. Les effets pratiques de la jurispru-dence Commune de Béziers sur lescontentieux futurs entre cocontrac-tants ne sont pas négligeables

La combinaison de la décision Communede Béziers et de jurisprudences antérieuresdu Conseil d’État permet d’ores et déjà derelever certaines irrégularités, susceptiblesd’être soulevées par les parties lors delitiges concernant l’exécution du contrat, quin’auront très probablement plus d’incidencesur le contrat. Nous en donnerons deuxexemples.

Ainsi, la décision du Conseil d’État du13 octobre 2004, Commune de Montélimar(n° 254007, au recueil Lebon) a mis fin à lapratique consistant, pour les assembléesdélibérantes locales, à ne prendre qu’uneseule délibération autorisant le maire àengager une procédure de consultation pourla conclusion d’un marché et à signer lecontrat. Les assemblées délibérantesautorisaient le maire à signer une conventionalors qu’elles ne connaissaient pas lesoffres réelles des entreprises, ni l’entrepriseretenue. Cette pratique a été considéréecomme contraire aux règles de répartitiondes compétences telles que définies par lecode général des collectivités territoriales.

Actuellement, de nombreux contrats encours d’exécution ont été signésconformément à la pratique antérieure à ladécision Commune de Montélimar et sontdonc entachés d’une irrégularité tenant àce que l’assemblée délibérante de lacollectivité locale n’a pas pris une seconde

délibération autorisant le maire à signer lecontrat avec l’entreprise choisie au termede la procédure de sélection. En applicationde la jurisprudence Commune de Béziers,le juge, saisi d’un moyen tiré de l’absenced’une délégation valablement consentie parl’assemblée délibérante, devrait écarter cemoyen au motif que le cocontractant ne peutse prévaloir d’un vice qui ne l’a pas lésé. Lefait que la partie qui invoque ce moyen nesoit pas l’auteur de cette irrégularité,comme dans l’espèce de la décisioncommentée, ne nous paraît pas être unobstacle dirimant.

Par ailleurs, certains contrats en coursd’exécution ont été signés sur le fondementde l’ancien article 30, alinéa 1er, dans sarédaction issue du code des marchéspublics de 2004, qui prévoyait l’absence demise en concurrence pour certainesprestations. Le Conseil d’État a annulé cesdispositions au motif qu’elles étaientcontraires aux principes de liberté d’accèsà la commande publique, d’égalité detraitement des candidats et de transparencedes procédures (CE, 23 février 2005,Association pour la transparence et lamoralité des marchés publics (ATMMP),n° 264712, au recueil Lebon). Le juge n’apas fait application de la jurisprudence du11 mai 2004 Association AC ! et n’a pasdifféré dans le temps les effets de cetteannulation. Le moyen tiré de l’illégalité d’uncontrat au motif qu’il a été conclu sur lefondement de l’article 30, alinéa 1er, du codedes marchés publics de 2004 est doncsusceptible d’être soulevé par une partie.Ce moyen ne devrait pas emporterl’annulation du contrat au regard de lajurisprudence Commune de Béziers, saufà considérer qu’il constitue un viceparticulièrement grave.

Anne Breillon (Direction des affairesjuridiques)

Il n’existe plusd’automaticitéentre irrégularitéet nullité ducontrat

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Section du contentieuxSur le rapport de la 3ème sous-section de la Section du contentieux

Séance du 11 décembre 2009Lecture du 28 décembre 2009

N° 304802 Commune de Béziers

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 16 avril et 13 juin 2007 au secrétariat ducontentieux du Conseil d’État, présentés pour la commune de Béziers, représentée par son maire ; la communede Béziers demande au Conseil d’État :

1°) d’annuler l’arrêt du 12 février 2007 de la cour administrative d’appel de Marseille, en tant qu’après avoir annuléle jugement du tribunal administratif de Montpellier du 25 mars 2005, il rejette sa demande tendant à ce que lacommune de Villeneuve-lès-Béziers soit condamnée à lui verser une indemnité de 591.103,78 euros, au titre dessommes que cette commune aurait dû lui verser en application des clauses d’une convention signée le 10 octobre1986 ainsi que 45.374,70 euros au titre des dommages et intérêts ;

2°) réglant l’affaire au fond dans cette mesure, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Villeneuve-lès-Béziers la somme de 5.000 euros au titre del’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

———————

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

• le rapport de monsieur Xavier Domino, Auditeur,

• les observations de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la commune de Béziers et deMe Odent, avocat de la commune de Villeneuve-les-Béziers,

• les conclusions de monsieur Emmanuel Glaser, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la commune deBéziers et à Me Odent, avocat de la commune de Villeneuve-les-Béziers.

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, dans le cadre d’un syndicatintercommunal à vocation multiple qu’elles avaient créé à cette fin, les communes de Béziers et de Villeneuve-lès-Béziers ont mené à bien une opération d’extension d’une zone industrielle intégralement située sur le territoirede la commune de Villeneuve-lès-Béziers ; que, par une convention signée par leurs deux maires le 10 octobre1986, ces collectivités sont convenues que la commune de Villeneuve-lès-Béziers verserait à la commune deBéziers une fraction des sommes qu’elle percevrait au titre de la taxe professionnelle, afin de tenir compte de ladiminution de recettes entraînée par la relocalisation, dans la zone industrielle ainsi créée, d’entreprises jusqu’iciimplantées sur le territoire de la commune de Béziers ; que, par lettre du 22 mars 1996, le maire de Villeneuve-lès-Béziers a informé le maire de Béziers de son intention de résilier cette convention à compter du 1er septembre1996 ; que, par un jugement du 25 mars 2005, le tribunal administratif de Montpellier, saisi par la commune deBéziers, a rejeté sa demande tendant à ce que la commune de Villeneuve-lès-Béziers soit condamnée à luiverser une indemnité de 591.103,78 euros au titre des sommes non versées depuis la résiliation de la convention,ainsi qu’une somme de 45.374,70 euros au titre des dommages et intérêts ; que, par un arrêt du 13 juin 2007,contre lequel la commune de Béziers se pourvoit en cassation, la cour administrative d’appel de Marseille a,après avoir annulé pour irrégularité le jugement du tribunal administratif de Montpellier, jugé que la convention du10 octobre 1986 devait être « déclarée nulle » et rejeté la demande de la commune de Béziers ;

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Commande publique

Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi ;

Considérant, en premier lieu, que les parties à un contrat administratif peuvent saisir le juge d’un recours de pleincontentieux contestant la validité du contrat qui les lie ; qu’il appartient alors au juge, lorsqu’il constate l’existenced’irrégularités, d’en apprécier l’importance et les conséquences, après avoir vérifié que les irrégularités dont seprévalent les parties sont de celles qu’elles peuvent, eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles,invoquer devant lui ; qu’il lui revient, après avoir pris en considération la nature de l’illégalité commise et en tenantcompte de l’objectif de stabilité des relations contractuelles, soit de décider que la poursuite de l’exécution ducontrat est possible, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation prises par la personne publiqueou convenues entre les parties, soit de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sadécision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, la résiliation du contrat ou, en raison seulementd’une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d’office par lui, tenant au caractère illicite du contenu ducontrat ou à un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ontdonné leur consentement, son annulation ;

Considérant, en second lieu, que, lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l’exécution du contratqui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles, de faireapplication du contrat ; que, toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par unepartie ou relevée d’office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d’une particulièregravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarterle contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel ;

Considérant qu’en vertu des dispositions de l’article 2-I de la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés descommunes, des départements et des régions, désormais codifiées à l’article L. 2131-1 du code général descollectivités territoriales : « Les actes pris par les autorités communales sont exécutoires de plein droit dès lorsqu’il a été procédé à leur publication ou à leur notification aux intéressés ainsi qu’à leur transmission au représentantde l’État dans le département ou à son délégué dans le département » ; que l’absence de transmission de ladélibération autorisant le maire à signer un contrat avant la date à laquelle le maire procède à sa signatureconstitue un vice affectant les conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement ; que, toutefois,eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles, ce seul vice ne saurait être regardé comme d’unegravité telle que le juge doive écarter le contrat et que le litige qui oppose les parties ne doive pas être tranché surle terrain contractuel ;

Considérant, dès lors, qu’en jugeant que la convention conclue le 10 octobre 1986 entre les communes deVilleneuve-lès-Béziers et de Béziers devait être « déclarée nulle » au seul motif que les délibérations du 29 septembre1986 et du 3 octobre 1986 autorisant les maires de ces communes à la signer n’avaient été transmises à lasous-préfecture que le 16 octobre 1986 et qu’une telle circonstance faisait obstacle à ce que les stipulations ducontrat soient invoquées dans le cadre du litige dont elle était saisie, la cour administrative d’appel de Marseillea commis une erreur de droit ; que, par suite, la commune de Béziers est fondée à demander l’annulation del’arrêt qu’elle attaque ;

Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce quesoit mise à la charge de la commune de Béziers, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, lasomme que la commune de Villeneuve-lès-Béziers demande au titre des frais exposés par elle et non comprisdans les dépens ; qu’il y a lieu, sur le fondement des mêmes dispositions, de mettre à la charge de Villeneuve-lès-Béziers une somme de 3.000 euros à verser à la commune de Béziers ;

D É C I D E :

———————

Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille du 12 février 2007 est annulé en tant qu’il rejettela demande de la commune de Béziers.

Article 2 : L’affaire est renvoyée dans cette mesure devant la cour administrative d’appel de Marseille.

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 59 - premier trimestre 201086

Commande publique

Article 3 : La commune de Villeneuve-lès-Béziers versera à la commune de Béziers la somme de 3.000 euros autitre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions présentées par la commune de Villeneuve-lès-Béziers au titre de l’article L. 761-1 ducode de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la commune de Béziers et à la commune de Villeneuve-lès-Béziers.

Copie en sera transmise pour information au ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique etde la réforme de l’État.

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Vade-mecum des aides d’État

nouvelle édition

Ministère de l’Économie,de l’Industrie et de l’EmploiMinistère du budget, des comptespublics et de la Réforme de l’État

Un manuel clair et accessible pour tout savoir sur les aides d’État

L’ambition de ce manuel, très complet, est de constituer un outil de travail pratique, dans lequel les professionnels des secteurs publics et privés, comme les étudiants, peuvent accéder à l’essentiel sur les aides d’État. Le droit communautaire des aides d’État doit être connu de tous ceux qui mettent en place un dispositif de subvention ou de soutien des pouvoirs publics àl’activité économique. Élaboré par la Direction des affaires juridiques de Bercy, ce « vade-mecum »rappelle la définition et les critères d’une aide, ainsi que les conditions de sa compatibilité avecle marché intérieur. L’ouvrage, dont la première édition a déjà rencontré un vif succès, a été réécritpour en améliorer la lisibilité et l’opérationnalité.

L'édition 2010 :• prend en compte l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne ; • rend compte des modifications du régime sous la pression de la crise économique.

Vade-mecum des aides d’État

Réf. 9 782110 081476

296 pages 18 €

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Au sommaire

Partie I : Définition et critères de l’aide d’ÉtatFiche 1 : La notion d’aide d’État

Fiche 2 : Participation de l’État dans les entreprises : la notion d’investisseur avisé

Partie II : La compatibilité de l’aide d’ÉtatChapitre 1 : Principes générauxFiche 3 : La compatibilité des aides d’État : les dérogations prévues par le traité (art. 107 §§ 2-3 et 106 § 2 TFUE)

Chapitre 2 : Conditions de compatibilité selon les types d’aides d’ÉtatFiche 4 : Service public et aides d’État : articulation des articles 107 et 106 TFUE

Fiche 5 : Les garanties publiques

Fiche 6 : Privatisations et aides d’État

Fiche 7 : Aides au sauvetage et à la restructuration des entreprises en difficulté

Fiche 8 : Fiscalité et aides d’État

Chapitre 3 : Règles sectoriellesFiche 9 : Les aides à la recherche, au développement et à l’innovation (RDI)

Fiche 10 : Aides à l’emploi et à la formation professionnelle

Fiche 11 : Les aides aux petites et moyennes entreprises

Fiche 12 : Les aides à la protection de l’environnement

Fiche 13 : Remarques sur certains aspects du droit des aides d’État

Partie III : Règles de procédureFiche 14 : La notification des aides nouvelles

Fiche 15 : La procédure de contrôle des aides nouvelles

Fiche 16 : La récupération des aides illégales

Fiche 17 : Le contrôle des aides existantes

Fiche 18 : Les droits des tiers

Fiche 19 : L’autorisation avec ou sans conditions

Fiche 20 : Le nouveau régime des aides d’État dans le contexte de la crise financière depuis 2008

Annexes

ERRATUM

Dans le précédent numéro du CJFI, il est fait mention de la loi du 3 août 2009, relativeà la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique, publiée au JORFle 6 août 2009.

Il s’agit bien d’une loi du 3 août (les deux dates ont été alternativement mentionnées).

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Publication trimestrielle de la direction des affaires juridiques du ministère de l’Économie, de l’Industrie et del’Emploi et du ministère du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique, le Courrier Juridique desFinances et de l’Industrie apporte un éclairage sur des thèmes juridiques d’actualité, au travers d’articles desynthèse et d’analyse des jurisprudences constitutionnelle, judiciaire, administrative et européenne.Fruit d’une expertise pluridisciplinaire, portant sur tous les domaines du droit (droit privé et public, droiteuropéen et international, droit des sociétés, droit économique et financier, droit des participations de l’État etdroit des marchés publics), cet outil a vocation à permettre, avec ses quatre numéros annuels, de mieux saisir lesenjeux juridiques de la société actuelle.Le Courrier Juridique des Finances et de l’Industrie est également disponible sous forme numérisée accessible en ligne(au format PDF ou mode texte) par téléchargement payant, sur le serveur internet de la Documentationfrançaise, en vente au numéro ou par abonnement. Plus d’information sur www.ladocumentationfrancaise.fr

Comité éditorial

Directeur de la publicationCatherine Bergeal, directrice des affaires juridiques

Membres externesFrédéric Ancel, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, Catherine Beauvois, conseiller juridique à laDGEFP, Claudie Boiteau, professeur d’université, Rémi Bouchez, conseiller d’État, Olivier Douvreleur, directeurjuridique de l’AMF, Françoise Dufresnoy, sous-directrice des affaires juridiques de la DGCIS, Régis Fraisse, chefdu service juridique au Conseil constitutionnel, Hubert Gasztowtt, conseiller juridique du directeur général duTrésor et de la Politique économique, Stéphane Hoynck, directeur juridique de l’ARCEP, Chantal Jarrige, sous-directrice de la légistique de la DGAFP, Bertrand Louvel, avocat général, directeur du service de la documentationà la Cour de cassation, Christian Michaut, avocat général à la Cour des comptes, Marie-José Palasz, chef demission au contrôle général économique et financier

Rédacteur en chefAnnick Biolley-CoornaertRédactionFrédéric AmérigoAntonin Nguyen

Direction des affaires juridiques :bâtiment Condorcet - Télédoc 353 - 6, rue Louise Weiss - 75703 Paris Cedex 13adresse courriel : [email protected]