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PEITHO / EXAMINA ANTIQUA 1 ( 8 ) / 2017 Byzantinisme et rationalité : Julien Benda et Constantin Tsatsos GEORGE ARABATZIS / Université d’Athènes / 1. Introduction Le terme « Byzantin » se réfère à un ordre qui n’est pas limité strictement à un contexte historique particulier, mais concerne de dispositions culturelles plus générales. L’usage le plus général de la notion est exprimé peut-être par le mot « byzantinisme » qui est employé, d’abord, pour démarquer un ordre politique aux pratiques capitales de dissi- mulation, de verbiage, d’hypocrisie, de tromperie, d’arrangement bureaucratique, de distinction totale entre morale et politique, d’incohérence entre raisons et intentions, mots et choses. Par extension, le terme « byzantinisme », à côté de la vie politique de la cour constantinopolitaine, peut aussi bien être appliqué à d’autres époques d’histoire politique, à d’autres lieux et avec de différents acteurs. Dans l’histoire des idées, le terme «byzantinisme» revêt, la plupart du temps, une connotation négative et acquiert, rare- ment, un sens positif comme, p. ex., chez Cavafy qui parle de «notre glorieux byzanti- nisme», dans son poème « à l’Église » ( cf . Hass 1996 : 91–129).

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P E I T H O / E X A M I N A A N T I Q U A 1 ( 8 ) / 2 0 1 7

Byzantinisme et rationalité : Julien Benda et Constantin Tsatsos

GEORGE ARABATZIS / Université d’Athènes /

1. Introduction

Le terme « Byzantin » se réfère à un ordre qui n’est pas limité strictement à un contexte historique particulier, mais concerne de dispositions culturelles plus générales. L’usage le plus général de la notion est exprimé peut-être par le mot « byzantinisme » qui est employé, d’abord, pour démarquer un ordre politique aux pratiques capitales de dissi-mulation, de verbiage, d’hypocrisie, de tromperie, d’arrangement bureaucratique, de distinction totale entre morale et politique, d’incohérence entre raisons et intentions, mots et choses. Par extension, le terme « byzantinisme », à côté de la vie politique de la cour constantinopolitaine, peut aussi bien être appliqué à d’autres époques d’histoire politique, à d’autres lieux et avec de différents acteurs. Dans l’histoire des idées, le terme «byzantinisme» revêt, la plupart du temps, une connotation négative et acquiert, rare-ment, un sens positif comme, p. ex., chez Cavafy qui parle de «notre glorieux byzanti-nisme», dans son poème « à l’Église » (cf. Hass 1996 : 91–129).

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2. Le byzantinisme expressif selon Julien Benda

2.1 La littérature hellénistique pérenne

À propos de la relation entre Byzance et la littérature, on peut concevoir deux approches théoriques : (a) une théorie thématique où l’on examine les thèmes littéraires qui d’une manière ou d’une autre renvoient aux divers aspects de la vie byzantine et (b) une théorie forte où, comme on va le voir, Byzance apparaît comme l’image même de la littérature. Pour ce qui est de l’approche (a) où Byzance fait particulièrement l’objet de traitement littéraire, l’origine de cette tendance se trouve dans les Lumières mêmes où la répul-sion et l’attrait pour Byzance vont de pair. Ainsi, Voltaire, tout en critiquant l’absolu-tisme et le fidéisme, a écrit en 1778 Irène, une tragédie d’inspiration byzantine. Toutefois, l’ « appel byzantin », en ce qui concerne la littérature française, est fortement développé vers la fin du XIXe siècle. Sous l’impulsion du roman Salammbô de Flaubert et de l’œuvre historique de G. Schlumberger, l’orientalisme français et l’esprit de fin de siècle décou-vrirait Byzance comme lieu privilégié de déclin, de délices et de malheurs, de sexualité perverse, d’atmosphère mystérieuse, de l’allégorie de Constantinople comme Babylon, un mélange de mysticisme et de luxe, de péripéties d’hermétisme, de sainteté et de fémi-nité (cf. Delouis 2003 : 101–151). Cette image de Byzance comme symbole de décadence trouve un parallèle dans la théorie même de la littérature byzantine où on voit que, selon Jenkins, par exemple, les Byzantins étaient incapables non seulement de continuer mais aussi de comprendre les chefs-d’œuvre de la littérature antique (voir Jenkins 1963 : 37–52).

Le thème de Byzance ne tarde pas d’apparaître comme métaphore de la littérature en soi, lorsque, par exemple, en 1894, un critique, Paul Rabiot, parle de « notre byzan-tinisme » (cf. Delouis 2003: 135). L’idée que le byzantinisme est la littérature même est soutenue par Julien Benda dans son livre La France byzantine ou le triomphe de la litté-rature pure : Mallarmé, Gide, Valéry, Alain, Giraudoux, Suarès, les Surréalistes (Benda 1945). Le livre porte le sous-titre Essai d’une psychologie originelle du littérateur; l’objet de Benda est, comme le titre l’indique, la critique de quelques personnalités éminentes de la littérature française, bien que la controverse soit en particulier concentrée sur Paul Valéry et André Gide. Benda (1927) est par ailleurs connu pour son livre La Trahison des Clercs où il accuse nos clercs de la vie intellectuelle de se transformer, d’apôtres de vérité en penseurs relativistes.

L’opinion que le byzantinisme est la littérature-même va être appelée ici « littérature byzantine » sans, pour autant, que ce terme se réfère spécifiquement à la littérature de l’Empire byzantin. La référence à la littérature byzantine comme littérature générale est justifiée, comme nous allons le voir, par la longévité persistante de l’héritage de la litté-rature hellénistique alexandrine. Le terme «littérature byzantine» désigne une « litté-rature de la littérature » qui, écrit Benda ayant à l’esprit la littérature française contem-poraine, est dirigée contre l’intellectualisme. En fait, la littérature adopte une attitude

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ambiguë envers l’intellectualisme, parce que ce dernier a une signification double, soit en tant que théorie des idées pures soit comme intellectualité; la « littérature byzan-tine » s’oppose à l’intellectualisme de Descartes, c’est-à-dire celui des idées claires et distinctes. La littérature du romantisme, dit Benda, est la plus hostile à l’intellectua-lisme; hostile, également, à la science à laquelle elle impute de l’indétermination selon la célèbre maxime de Heisenberg. Benda note, toutefois, et à juste titre, que le théorème d’incertitude n’est pas indéterminé en soi, mais, au contraire, il est formellement logique. La « littérature byzantine » est une prose et une poésie de l’absence et donc, elle abonde en mots appartenant au champ lexical du manque et de la négativité (voir la référence faite à la strophe de Mallarmé : « la fleur... l’absente de tous bouquets »). Cette tendance s’étend jusqu’à Jean-Paul Sartre et à sa théorie de l’imaginaire, où l’image est traitée comme néantisation de la réalité (voir Arabatzis 1999–2000). Ainsi, la littérature est une représentation qui ne s’auto-définit pas et où l’image, en particulier l’image du rêve, est considérée comme chemin menant vers la connaissance1.

Benda cite d’autres caractéristiques du byzantinisme littéraire comme la répulsion à l’analyse en faveur de l’union mystique du sujet avec l’objet. Il y a encore, dit-il, le désir du synchronique au lieu du diachronique, à travers une célébration de la totalité et non de la conséquence ni de la cohérence logique. On distingue également ici une transpo-sition de l’impératif catégorique de Kant, qui dit que la conduite morale de nos actions doit avoir force de loi. Selon Valéry, Mallarmé juge la poésie de cette manière et selon le critique français Thibaudet, l’éthique anti-utilitariste kantienne est compatible avec l’an-ti-utilitarisme de la poésie. Pour Benda, il y a une énorme différence entre les deux, car la première (la morale anti-utilitariste) est ascétique tandis que la seconde (la poétique anti-utilitariste) est extatique. Une autre caractéristique de la « littérature byzantine » est le culte de l’individuel qui, selon Benda, est une autre forme d’égoïsme. Sur ce point, on constate une confusion entre la profondeur psychologique et l’individu particulier2. Par le mot juste on arrive à l’union mystique désirée, mentionnée ci-dessus, de sorte que la littérature constitue une carrière dans l’extase. La doctrine principale du byzantinisme est l’anti-cohérence et, ainsi, la totalité tant désirée par la littérature est fragmentée, car cette dernière ignore la cohérence logique. Pour Benda, l’idée de fragmentation constitue l’importance supplémentaire d’une œuvre de «littérature byzantine» qui peut être lue en commençant par où le lecteur veut – et Benda cite comme exemple l’œuvre de Proust, qu’on peut lire à partir de n’importe quel volume (mais Proust, dans sa théorie et pratique littéraires, n’est pas un littérateur byzantiniste, écrit Benda).

À la liste des caractéristiques de la « littérature byzantine », vient s’ajouter l’amour de l’hermétisme. Selon Gide, cité par Benda, la littérature doit être hermétique car la vie l’est aussi. La différence entre hermétisme et complexité est proportionnelle à la différence

1 Cette opinion maintient une certaine validité dans la philosophie de l’empirico-criticisme d’Ernst Mach, qui a, particulièrement, influencé l’œuvre de Robert Musil.

2 Confusion qui a particulièrement contribué à renforcer l’existentialisme.

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entre littérature et mathématiques. La littérature byzantine est encore une recherche de l’excentricité, car il y a une confusion qui veut que le style naturel passe pour banalité. Plus précisément, l’amour du langage littéraire est l’amour du mot juste et non pas de la proposition. Tel était le caractère de la littérature alexandrine, le modèle de la « littéra-ture byzantine ». Le langage littéraire selon le byzantinisme doit être différent du langage commun et on voit ici une obsession du phénoménisme contre l’extériorité du réel. Le beau est propulsé comme étant le vrai (mais non pas le contraire), ce qui indique un besoin de vérité ou, plutôt, de validité et de valeurs qui résident dans la vérité. L’ambiguïté de l’intellectualisme dans le contexte de la littérature devient ainsi évidente. La littéra-ture byzantine ne repousse pas l’intellectualisme mais, au contraire, elle le veut souverain dans son intérieur, mais comme œuvre d’art et non pas en tant qu’analyse logique. Si nous voulions clarifier les positions de Benda sur ce point, nous devrions faire une distinction entre « intellectualisme instrumental » et « intellectualisme organique ». Le premier s’offre comme soutien de la littérature dans la mesure où il est pertinent pour elle, tandis que le deuxième, bien qu’organique de la pensée, est repoussé car en étant absolu, il pour-rait même arriver à exiler la littérature3.

À ce stade, Benda précise la définition de la « littérature byzantine » : elle n’est pas une littérature de la littérature, mais une littérature pour esprits philologiques. Qui est, cependant, l’écrivain à esprit philologique? Benda avance certaines de ses caractéris-tiques: il est (a) celui qui tend vers l’idée primaire, celle qui provoque des émotions – (b) celui qui repousse la généralité, la vérité impersonnelle et l’objectivité – (c) celui pour qui, dans son œuvre, la forme l’emporte sur le contenu – (d) celui qui est caractérisé par le désir de plaire.

2.2. Byzantinisme et violence critique

La « littérature byzantine » est l’état normal de la littérature dans la longue durée. Comme nous venons de le dire, la littérature alexandrine est la source de la «littérature byzantine» et la comparaison avec la tragédie antique est très instructive sur ce point. Les grandes époques de la littérature, comme celle de la tragédie antique, sont de courte durée par rapport à la « littérature normale », comme l’alexandrine et sa continuité, la byzantine, qui s’étalent sur plusieurs siècles. Nous concluons, donc, que le byzanti-nisme est l’état ‘naturel’ de la littérature. Que cette littérature n’est pas sans qualités est attesté par Benda lui-même, qui reconnaît la capacité du byzantinisme de produire des chefs-d’œuvre comme les Argonautiques d’Apollonius de Rhodes. Le temps d’Alexan-drie, admet Benda, est effectivement plus littéraire (Benda 1945 : 225). La littérature pure met en garde contre la positivité et constitue une religion mondaine. Sur ce point, il convient de mentionner la distinction de Benda entre deux mémoires, la « mémoire de

3 Voir Pl. R. livres II, III et surtout X.

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Newton » et la « mémoire de Proust ». Newton cherche à se souvenir où il a mis quelques manuscrits mathématiques perdus et il y arrive après beaucoup d’effort; dans le cas de la mémoire du narrateur de Proust, dans La recherche du temps perdu, celle-ci se réveille par l’image de la madeleine et, ainsi, se déroule le « film » du passé. Par conséquent, la littérature byzantine ne parvient pas au noyau réel de la vie intellectuelle.

La relation ambiguë avec les masses est une autre caractéristique de la dite littéra-ture: l’esprit philologique repousse le goût populaire, mais vise, en même temps, à être accepté par le plus grand public. Encore, il évite de se concentrer sur des idées centrales et développe des thèmes auxiliaires, tandis qu’une autre caractéristique de la littérature est qu’elle multiplie le nombre d’auteurs. Tout auteur, comme souligne Valéry, finit par s’imi-ter. Les œuvres sont inspirées par un nihilisme qui est, toutefois, d’origine psychologique plutôt que littéraire, bien que la principale caractéristique psychologique de l’ère de la « littérature byzantine » soit l’indifférence. Le verbalisme généralisé est accompagné de snobisme, alors que le genre littéraire dominant est le lyrisme idéologique qui passe pour de la pensée, tout en récusant l’analyse : à titre d’exemple, Benda cite la lecture poétique de la phénoménologie husserlienne faite par Emmanuel Levinas. Un exemple plus emblé-matique de « littérature byzantine », qui nous éclaire sur la manière dont celle-ci est structurée, est donné par une phrase de Gide: la mélancolie est exaltation faible et cela peut être traduit comme « la mélancolie est enthousiasme frustré ». L’expression nous fait très bien saisir ce que signifie d’être déprimé, sans, toutefois, fonder de manière analy-tique la relation entre mélancolie et enthousiasme. Ainsi, cet énoncé possède une double référence, émotionnelle et mentale, car, en dehors de la transmission d’une émotion, il semble vouloir exprimer quelque chose. La littérature apparaît comme substitut de la psychologie (bien que ceci ne se fasse pas en réalité) et cette substitution est facile dans la mesure où la psychologie est loin d’être une science exacte. Or, l’expression littéraire ne s’arrête pas là, mais évolue – un littérateur plus moderne écrirait: « mélancolie enthou-siasme frustration », et ainsi, il ferait le pas crucial vers le modernisme.

Pour résumer, Benda suggère un schéma historique de la littérature et, plus générale-ment, une typologie de la production littéraire. Il suffit, dit-il, d’ouvrir une Introduction à la littérature grecque ou latine pour voir que les grandes époques de la littérature durent un demi-siècle tandis que la littérature dite du déclin dure six cents ans. La littérature contemporaine selon Benda et la littérature à l’état ‘normal’ sont considérées comme du byzantinisme. Après la synthèse précédente, on conclue facilement qu’il existe une contradiction directe entre la rationalité, représentée par Benda, et la « littérature byzan-tine » ou la littérature en général.

Benda semble répondre ainsi à Jean Paulhan et à l’ouvrage de ce dernier, la Terreur dans les Lettres (Paulhan 1990, la première édition date de 1941). Le problème chez Paulhan est la puissance des mots. La terreur dans les lettres dénonce le règne des lieux communs ou clichés et signifie, donc, la violence de la critique. Par ailleurs les lieux communs peuvent très bien appartenir au discours politique. Le philosophe de la terreur,

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selon Paulhan, est Bergson4 pour qui, dans l’expression, la puissance des mots serait la matière qui opprime l’esprit; mais, l’idée vaut mieux que le mot et l’esprit mieux que la matière. Le terroriste, donc, serait un misologue. Ici, le philosophe s’habille en détec-tive, passant du signe à la chose même où l’événement est réduit à ses éléments clairs et distincts. La terreur signifie une idée du langage qui condamne l’hypertrophie supposée des mots. Deux lois régissent son opinion : les mots s’usent plus vite que les pensées et le sens commun est décisif pour le sens des mots. Donc, et selon Bergson, le langage dété-riore la pensée et une pensée en déclin se prête mieux aux exigences de la société. Ainsi, le langage pur se réduit à l’expression seule des pensées, sauf dans le cas de sa propre sclérose linguistique qu’est le lieu commun. Quel paradoxe que celui-ci, dit Paulhan, pour Bergson, un philosophe loué précisément pour avoir dépassé le discours. Or, les mots peuvent aussi bien, dit Paulhan, agir sur les pensées et les faits en eux-mêmes restent ambigus. Les romantiques sont les premiers terroristes, dans ce sens, et les critiques ensuivent, insistant sur la contrainte du naturel qui pèse sur les mots. Or, il n’y a pas d’objets sans mots et les écoles littéraires découvrent des objets derrière les mots délaissés.

Un fait curieux : la puissance des mots n’agit que sur les autres. Il n’y pas de témoi-gnage direct de cette puissance au niveau individuel-personnel. Ce sont les autres qui ont toujours tort et le verbiage est toujours la pensée des autres. La terreur est l’éloge et le blâme à propos de l’influence des mots dans l’intimité, quand précisément il n’y a pas de témoignage intime, ce qui est un non-dit de la terreur. Julien Benda est, pour Paulhan, la preuve : le Vrai, le Juste et le Bien sont pour Benda des principes, c’est-à-dire des mots-phares qui lui permettent d’éliminer tous les mots contraires. Les mots sont des mots-voiles pour les terroristes qui ne comprennent pas comment on passe des mots aux choses. Or, l’erreur est de l’ordre de l’opinion ou sens commun et non pas du lieu commun ou cliché. Le lieu commun est une intention, une nouveauté aussi qui procure du plaisir. On est des personnes en inventant des lieux communs ou en y prenant plaisir. Le cliché est propre à nous et à notre usage et dépasse largement le reproche de verbiage. Le langage est de la communauté et le langage de l’amour le démontre car il est à la fois personnel et banal. Le rythme du cliché est la marque de son originalité et les abstractions sont aussi des choses et plus précisément des signes au sein d’une communauté5. Le pouvoir peut se passer des mots, dit Paulhan, et là où il y a des mots il n’y a pas de pouvoir. Seul l’enfant invente le monde avec des mots. Et si les pensées et non pas les mots seraient le refuge des erreurs et des illusions? L’objectivité, l’expérience alors ne seraient qu’une illusion d’op-tique, mais une illusion utile. L’illusion se retournerait contre le court-circuit provoqué par des mots et soulèverait le problème de la responsabilité – ainsi le discours autour du pouvoir des mots ne serait qu’un refus de responsabilité. L’illusion par ailleurs n’est que de la projection et concerne le lecteur tandis que l’art de la rhétorique comme conserva-

4 Benda est aussi très critique envers Bergson.5 Ici, la pensée de Paulhan est proche de celle de Wittgenstein.

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tion du sens est le contre-terrorisme approprié. Le contre-mot vient d’un univers intou-chable et silencieux tandis que le lieu commun n’est que trop humain.

La terreur critique se caractérise par son souci de fidélité ou crédit de référence, plus proche de la morale et du souhait que de l’observation scientifique. L’illusion terroriste prend la place du cliché. Paulhan note : « la terreur ici prolonge notre premier souci de fidélité, à la manière dont l’ordre, l’impatience – et même une certaine façon d’envoyer tout promener – peuvent prolonger une première demande, une prière modeste et têtue » (Paulhan 1990 : 125). Il y a une sagesse, rude et simpliste, chez la terreur, qui fait voir le cliché comme illusion de projection. L’écrivain est celui qui se pense d’abord comme auteur de clichés et accomplit l’illusion. Mais l’illusion est plus vraie que la vérité terro-riste. Il s’agit d’une machine illusoire qui rappelle fortement le cinéma, qui est la vérité vingt-quatre fois à la seconde. Le bon usage de la terreur consiste à la découverte du méca-nisme des lieux communs. C’est le globalisme terroriste qui s’avère être un défaut principal, et aussi son jusqu’au-boutisme et son propre verbiage profond. La terreur dans les lettres est proche de la névrose. Les auteurs auxquels Paulhan songe à ce propos sont presque les mêmes que ceux que cible Benda. La rhétorique dont Paulhan rêve fait la psychanalyse et délivre de la terreur tandis que Benda ne quitte jamais le domaine de la positivité ratio-naliste. Le terroriste ne pense qu’à dédoubler le langage du paradis et réclame surtout de la nouveauté et de la différence mais d’une manière si totale que la vraie nouveauté lui devient impossible. La vraie originalité est la différence par le même ce que Benda précisément appelle byzantinisme. C’est pour cette raison que les romans policiers sont si populaires et constituent la réponse littéraire à la Terreur. L’image d’une prostituée pour le terroriste ne répéterait pas la rhétorique de la passion, elle serait une véritable prosti-tuée, donc une nouveauté et, en gros, un cliché terroriste. Dans une « Lettre à Maurice Nadeau » de 1953, douze ans après la publication de la Terreur dans les Lettres, Paulhan note que Benda a l’horreur du concret et il le conçoit contraire à la faculté d’abstraire (cité in Paulhan 1990 : 270–271). Benda serait dans l’incapacité d’imaginer une forme d’abs-traction chez les peuples perdus dans une langue concrète. De cette manière, par exemple, il serait incapable de voir l’intérêt du structuralisme Lévi-straussien.

Il y a un facteur que les deux approches tentent de neutraliser, car c’est dans son propre champ que la bataille se déroule. Il s’agit de la critique qui est appelée à statuer sur la question des relations de la littérature à l’éthique et aux «choses». La critique kantienne met en avant la difficulté fondamentale et inéluctable de la morale et l’impos-sibilité de la connaissance complète des « choses », tandis que l’herméneutique consti-tue une certaine issue dans l’aporie philosophique à propos de la littérature. La relation entre une écriture intellectualiste et le langage commun est un des problèmes que soulève la rationalité de Benda. Son approche est caractérisée par l’esquisse d’un « scénario » du développement de la vie d’auteur qui s’avère, en fin de compte, improbable.

La différence entre Paulhan et Benda est celle entre un scepticisme modéré et un ratio-nalisme positif. Paulhan se concentre sur la sensibilité du lecteur. L’inversion de la série chro-nologique de publication des deux livres est faite ici dans le cadre d’un hégélianisme général. Ainsi, le moment de la négation (Benda) serait premier et constitutif. Sur le point suivant,

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Benda semble avoir raison: la « littérature byzantine » est la littérature à l’état normal. Dans les deux cas, les contre paradigmes sont les mêmes et principalement celui de Bergson. Benda assume le défi lancé par Paulhan et jouera donc le rôle de terroriste tout en restant profondément positif. La rationalité du moment négatif est une ouverture à l’hégélianisme, ce qui prédit le mouvement de la pensée française, après 1945, de Bergson vers Hegel.

3. Constantin Tsatsos et la philosophie de la culture

3.1. Tsatsos et la téléologie culturelle

Constantin Tsatsos est né en 1899 à Athènes. Il étudia le droit à l’Université d’Athènes, où il a eu son diplôme avec honneurs en 1918 et en 1924 il a quitté la Grèce pour des études supérieures à Heidelberg, en Allemagne. En 1928, il retourne en Grèce, en 1929 il est nommé Docteur en droit de l’Université d’Athènes, maître de conférence l’année prochaine et en 1932 professeur associé de la science du droit et de la philosophie du droit. En 1930, il épousa Jeanne Séfériadis, sœur du poète Georges Séféris. En 1937, il est proposé pour le poste de professeur ordinaire de droit, mais la proposition est rejetée par la dictature de Metaxas. Pendant la dictature, il est arrêté et exilé à l’île de Skyros. En 1941, il est révoqué de l’Université et poursuivi pour sa participation à la résistance et en 1944 il s’évade pour le Moyen-Orient afin de rejoindre les forces armées grecques. Après la libération, il reprend ses fonctions de professeur et depuis 1945, il sert plusieurs fois comme ministre. Après la chute de la junte, en 1974, il est nommé ministre de la Culture et des Sciences au gouvernement d’unité nationale. Le 20 juin 1975, Constantin Tsatsos est élu président de la république hellénique jusqu’en mai 1980. Il est décédé en 1987.

Du point de vue philosophique, Tsatsos appartient au cercle dit de Heidelberg avec Ioannes Théodorakopoulos et Panagiotis Kanellopoulos. C’est une appelation de conven-tion due au fait que tous les trois ont étudié à Heidelberg, centre du Néokantisme où enseignait le célèbre Heinrich Rickert. Le Néokantisme mettait en avant une demande de retour à Kant après des années d’hégémonie hégélienne et Rickert, plus particulière-ment, s’intéressait, entre autres, à la question de l’autonomie des sciences de l’esprit ou de l’homme, avec une insistance sur les sciences historiques, et à des problèmes de philo-sophie axiologique. En dépit des études communes à Heidelberg, chacun des trois avait une personnalité indépendante et leur trajectoire le prouve; Théodorakopoulos penchait surtout pour une philosophie systématique et pour l’histoire de la philosophie; Kanello-poulos s’est tourné vers la philosophie et la sociologie de la culture. Tsatsos s’est adonné à la théorie du droit et à la philosophie.

Tous trois, cependant, en dehors du Néokantisme, ont été influencés par Platon et ont refusé un intellectualisme strict sans engagement moral et émotion métaphysique. Tous les trois, après leur retour en Grèce, contribueront de manière dynamique au renouvel-

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lement de l’enseignement philosophique et au renforcement de la philosophie pure, en particulier avec l’édition de la revue Archives de philosophie et de philosophie des sciences (1929–1940). Pour Tsatsos, en ses propres mots, trois de ses ouvrages constituent l’épine dorsale de sa théorie du droit : Der Begriff des positiven Rechts (1928), Le problème de l’interprétation du droit (en grec; 1932, IIe édition avec des ajouts, 1978), Le problème des sources du droit I (en grec; 1941). La théorie du droit de Tsatsos est téléologique, c’est-à-dire que, le système de droit, comme il l’écrit, est un « système téléologique [où] la fin est la cause efficiente du moyen. Le moyen trouve sa raison dans le jugement, s’il est approprié pour la fin donnée. Le critère final est, à propos, l’idée du droit » (Tsatsos 1978 : 83). La théorie téléologique de l’interprétation du droit est liée à une vision du monde, que Tsatsos identifie comme « Néokantisme platonisant » (Tsatsos 1981 : 7). À partir d’une théorie de déontologie politique, exprimée dans son livre plus tardif Poli-tique (1965), Tsatsos pose que, en termes de droit positif, les concepts de droit sont fondés réellement sur l’idée du droit. L’influence platonicienne est ici indubitable. L’idée du droit n’a que contenu seulement gnoséologique mais aussi déontologique car elle impose sa réalisation à travers la spécialisation dans des lois plus particulières. De là, il ne reste qu’un seul pas pour que chaque acte soit assigné à une règle de droit (et à l’idée du droit), et cela est possible grâce à la méthode de la spécification qui fait construire un système téléologique à la forme de pyramide qui a au sommet l’idée du droit et à la base les actes spécifiques de droit (voir Karassis 2006 : 41–42). « La réalisation », écrit Tsatsos, « de l’idée du droit demande nécessairement la création d’un système téléologique des règles de droit » (Tsatsos 1978 : 75).

Cette théorie du système de droit est-elle une philosophie systématique du droit? Il serait également, peut-être, une exploration du problème de l’action qui lierait de manière fondamentale le devoir-être moral avec l’être normatif. Ce problème touche à un problème plus général du Néokantisme, dans la sphère morale, la relation entre devoir être et être ou, autrement, entre valeurs et faits, que les trois du cercle de Heidelberg ont ressenti très profondément et à laquelle ils se sont crus appelés à répondre, non pas au niveau simplement théorique mais aussi avec leur engagement politique – ainsi Tsatsos que Kanellopoulos et, dans un moindre degré, Théodorakopoulos. Dans son discours de réception à l’Académie d’Athènes sous le titre « Antinomies de la raison pratique » (Tsatsos 1962/2000), le 27 janvier 1962, Tsatsos met en avant une théorie de pouvoir charismatique, celui des ‘hommes-royaux’ dans ses propres termes, comme solution au conflit causé par des impératifs divers, et très souvent contradictoires, de la vie morale. Le raisonnement, ici, est probablement proche de celui de Max Weber, qui a insisté sur le charisme comme forme de légitimité politique. Dans ses mémoires, Tsatsos dira que très peu de cette intervention a été compris (Tsatsos 2000 : 363). Dans la même intentionnali-té pratique, on devrait intégrer ses livres sur les grands rhéteurs et orateurs de l’antiquité gréco-romaine, Démosthène et Cicéron, ainsi que son étude sur La philosophie sociale des Grecs anciens (en grec).

En dehors du droit et de la politique, l’objet d’un engagement sérieux de la part de Tsatsos a également été l’art et, surtout, l’art poétique. À son jeune âge, il a publié deux

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recueils de poèmes sous le pseudonyme d’Évés Delfos. Son amour pour la poésie ne s’ar-rêtera pas là; il a consacré une monographie au poète national grec Kostas Palamas qui a influencé son propre tempérament poétique (1936). Au-delà de Palamas, son écriture poétique se réfère à l’idéal classique de Goethe et à ses vibrations métaphysiques faustien-nes. Il consacrera plusieurs essais à l’art et à l’esthétique et il écrira une théorie de l’art, tout en traduisant des poètes grecs anciens et étrangers. Point culminant de l’esthétique néo-hellénique fut son débat sur la poésie avec Georges Séféris, le mari de sa sœur et prix Nobel de littérature 1963. Face à la modernité de Séféris, Tsatsos invoquera la nécessité d’une cohérence dans l’ordre lyrique. Il ne manquait non plus à Tsatsos la dimension religieuse et sur cette veine seront centrés les Dialogues dans un monastère (1974). Après sa mort, fut publiée son autobiographie intitulée Rapport d’une vie (2000).

3.2. Byzance entre Hellénisme et Christianisme

Important pour notre réflexion sur le byzantinisme est le roman ou dialogue philoso-phique de Constantin Tsatsos, Dialogues au monastère (1974, trad. française 1976), qui, comme le titre l’indique, est de forme dialogique. Le dialogue se déroule au monastère de Transfiguration dans une montagne d’Arcadie, au Péloponnèse, près des côtes de la mer de Myrtoon. Les personnages qui participent aux discussions sont les suivants : le moine Synésios, hégoumène du monastère; Costas Iplixis, professeur de philosophie à l’Univer-sité de Thessalonique, ami de ce dernier, qui a étudié à l’Université avec Synésios; Gustav Harrer, professeur de philosophie à l’université de Heidelberg, ami de Iplixis qui a fait ses études universitaires avec les deux premiers; Johann Manhorst, professeur de philologie classique à l’Université de Tübingen, helléniste et ami aussi des deux premiers; Jacques Basset, professeur d’histoire à l’Université de Nancy, ami d’Iplixis et familier à tous; et le moine Sophronios qui apparaît juste à la fin du dialogue. Les personnages ont tant de points communs dans leurs points de vue théoriques qu’on pourrait dire qu’il s’agit des alter egos de Tsatsos et en rapport avec ses divers intérêts scientifiques et culturels; en tout cas, on ne peut pas avancer qu’il y a vraiment des oppositions radicales entre eux. Toutefois, chacun exprime des particularités qu’on décrirait ainsi : Basset penche sur le positivisme des faits et à ses impasses; Manhorst s’intéresse à la science de la culture; Harrer représente la philosophie académique et ses prérogatives de précision et de pureté. Iplixis incarne la philosophie hautaine comme, p. e., la pratiquait l’ami de Tsatsos, I.N. Théodorakopoulos; Sophronios et Synésios sont deux moines, le deuxième hégoumène et personne centrale du dialogue. Par la suite, on va voir un sommaire des principaux thèmes du livre6.

6 La présentation du livre qui s’ensuit est différente du sommaire de l’écrivain Pantelis Prevelakis qu’on trouve à la fin du livre (dans l’édition grecque) car, ici, on essaie d’indiquer une structure particulière de l’œuvre.

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Dans le chapitre IV, Synésios et ses invités essaient de classifier le phénomène grec et Ainsi parlent également de la période byzantine. Basset commence la discussion en affir-mant l’unité et la continuité de la Grèce, de l’Antiquité et via Byzance jusqu’à l’époque moderne, comme catégorie spécifique du discours historique, donc, au niveau des faits. Il va jusqu’à dire que, si l’homme naturel est le produit de la nature, l’homme spirituel est produit par la Grèce et la nature grecque; de même, il affirme le pluralisme inhérent à la culture grecque comme à ses interprétations faites par la culture européenne. Le logos est la caractéristique principale de cette catégorie et non pas quelque essence ou totalité. Manhorst ajoute que si la Grèce n’est pas une essence toute courte, elle est pourtant un système dialectique et Harrer précise que c’est un système qui a comme premier prin-cipe le logos. Pour Manhorst, le logos est, malheureusement, identifié à l’intellection platonique, un niveau plus bas d’activité intellectuelle et Iplixis est d’accord avec lui; en plus, cette intellection a été identifiée à la logique formelle, c’est-à-dire les catégories aris-totéliciennes et, ainsi, a perdu son ‘essence royale’ et sa grande majesté que Platon avait conçues. Harrer fait la distinction entre l’idée de la Grèce et la Grèce historique. Basset est d’accord mais demande aux Grecs de la compagnie de leur faire connaître la Grèce actuelle tout en reconnaissant la difficulté d’un jugement d’ensemble.

Répondant à cette demande, Iplixis prendra le rôle d’accusation et Synésios, celui de la défense. Pour l’époque byzantine, plus particulièrement, Iplixis marquera de ton négatif un commerçant monophysite d’Antioche, au temps de Julien et deux siècles après, un partisan vert de l’hippodrome constantinopolitain se querellant avec un partisan bleu et, encore plus tard, marquera de ton négatifà l’époque du retour de l’empereur Jean Paléologue de Florence, un fanatique qui se lève contre l’unité des églises orthodoxe et latine. Synésios voit comme types positifs, un élève de Libanios à l’Antioche, qui, de mère syrienne s’efforce d’imiter la langue grecque attique. Plus tard, c’est un homme au service de Michel Psellos, portant un manuscrit platonicien, qui essaye de se retrouver dans les dangereux couloirs du palais constantinopolitain. Enfin, un soldat mort, derrière le portail ouvert par les Turcs qui entrent à Constantinople, un élève de Pléthon en plus, fervent croyant à l’idée de l’hellénisme. On devra remarquer que, parmi les types posi¬-tifs, les philosophes et rhéteurs sont majoritaires pour la période byzantine de l’hellé-nisme et, en plus, tous sont proches du pouvoir. Iplixis insiste sur l’individualisme du Grec qui fait que son penchant soit pour le bien soit pour le mal devient un phénomène d’importance générale. Synésios, de son côté, pense que la synthèse de l’hellénisme et du christianisme est un aspect beaucoup plus important en ce qui concerne la culture grecque que l’individualisme du bien et du mal. Ce qui permet cette synthèse est sa possi-bilité pratique malgré l’improbabilité (et non pas la seule difficulté) théorique. Synésios voit la synthèse de l’hellénisme et du christianisme comme un fait de l’humanisme, une

‘sublimation’ (sic, avec des caractères latins dans le texte grec et non traduit en grec) de l’homme.

Basset, bien avant l’opposition entre christianisme et hellénisme, voit une autre, celle entre la Grèce classique et l’hellénisme tardif; le trait caractéristique de ce dernier est précisément le débat théologique. Pour Manhorst, la religion classique était celle

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de la recherche d’une essence métaphysique mystique que la multitude ne pouvait pas comprendre, mais, pour Basset, le fanatisme chrétien était une affaire de tout le peuple. Pour les élites, le Dieu chrétien était métaphysique et, pour tous, devrait être un, c’est-à-dire lointain, inconnu et ultra-puissant. Pour Harrer, la cause de cette évolution se trouve déjà dans le plus classique des philosophes grecs, Platon, dans sa séparation entre monde intellectuel et monde matériel qui a déclenché le mouvement de l’esprit grec vers son auto-transcendance.

Pour Basset, on ne doit pas oublier une autre dimension de la nouveauté chrétienne, celle du message de l’amour. Ainsi, commence la discussion sur la différence entre amour chrétien et éros païen. Pour Iplixis, l’adoption du message de l’amour n’était pas évidente et l’issue plotinienne de l’ignorer restait toujours une possibilité. Harrer rétorque que l’amour n’était pas suffisant et qu’il fallait aussi la justice et réfute l’idée de Synésios que la synthèse amour-justice est possible. L’opposition est irrémédiable et seule la synthèse symbolique est possible. Le symbole de la foi n’est-il, donc, qu’un symbole?, demande Synésios. À cela Harrer répond que le dogme, en puisant des éléments de la philosophie grecque, forma une carapace forte pour protéger la noble et délicate fleur de l’amour. Le logos grec a ainsi été investi dans une région méta-logique avec des symboles et mythes (et aussi, peut-être, avec le mythe de la raison d’état). Pour Synésios, c’est cette philo-sophie de l’histoire qui est un mythe. Car, ce n’était pas que la recherche théologique de Dieu qui motivait, dit-il, les premiers Chrétiens mais aussi la passion de fuir la vie mondaine d’alors. Cela, pour Iplixis, était le résultat de la dissolution des liens moraux et de l’individualisme presque total de la vie sociale qui signifiait la solitude de l’homme et Basset ajoute à la haine du social, la haine de la chaire. Harrer insiste que l’amour chrétien ne rentre pas dans les schémas philosophiques et donc les deux termes de l’opposition, à la fin, ne sont pas conciliables. Basset suit également l’opinion qu’on ne peut pas faire la synthèse de l’amour avec la justice comme Origène l’a bien vu, proclamant le pouvoir d’absolution totale de l’amour, et malgré les positions calvinistes.

Pour Iplixis, qui retourne à la question de la définition de l’esprit grec, il y a deux types de Grecs; l’un est le Grec idéal; l’autre est le Grec qui échappe doublement à la liber-té qui est caractéristique du Grec idéal : premièrement, en tant qu’esclave vulgaire et deuxièmement, en tant que transgresseur de la liberté des autres. Tous les deux incarnent des fautes théoriques face à la médiété aristotélicienne. Selon Synésios, les Grecs s’iden-tifient comme tels grâce à un élément spirituel qui n’est ni moral ni religieux et qui vient peut-être de la longue histoire littéraire grecque. L’historien qui veut interpréter l’his-toire grecque ne peut pas avoir recours à l’analogie pour comprendre son unité. Pour Manhorst, l’unité de l’esprit grec reflète celle de la langue grecque. D’ailleurs, pour Iplixis, le recours à l’unité de la race (du sang) renverrait à une perspective matérialiste, animale, et donc inadmissible. De cette dernière partie du dialogue, apparaissaient clairement l’aristocratisme de l’esprit7 et l’opposition à la multitude vulgaire de Tsatsos.

7 Sur le caractère aristocratique de la culture grecque, cf. Starr (1992).

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3.3. L’introduction au thème de Byzance chez Tsatsos

De quelle façon a été introduit le thème de la Grèce spirituelle et de Byzance comme moment de celle-ci dans le livre de Tsatsos? Les trois premiers chapitres constituent les assises dogmatiques de la réflexion relative de l’auteur.

Dans le premier chapitre du livre, on voit la discussion, parmi les invités, de Syné-sios et Iplixis qui est le premier arrivé au monastère. Iplixis se réfère, au-delà de toute emprise de la raison, à la valeur de la pensée symbolique; le sacré en actes est symbolique et l’intellect va au-delà de la logique. Le monde de l’amour sans mesure en est la preuve. Le monde des significations symboliques surpasse le monde des significations logiques et les premières peuvent être appelées des idées : les idées, par ailleurs, sont des modes de logos. La pensée vérifiante porte sur ce qui est sans vérification et sur le devoir être. L’intellect, pour Iplixis, est plus que le logos, propre à approcher la pensée symbolique ou les significations méta-logiques. Tout acte de l’intellect est un vécu. La beauté même se réfère à un monde méta-logique; plus que la beauté de la nature, le sentiment érotique est ce qui intéresse Iplixis. Les concepts ont un rôle régulateur mais au-delà de ces limites, on a besoin de symboles. Pour Iplixis, l’incarnation est l’évolution de la participation platonique, logiquement inconcevable mais intellectuellement nécessaire. Synésios n’est pas d’accord sur ce point : ce qui est symbole pour Iplixis, pour un Chrétien ce sont des hypostases et des faits. Pour Iplixis, l’absurdité de la foi c’est la matérialisation de l’in-telligible en symboles et non pas quelque chose de sensible. Iplixis parle d’une distance abyssale qui sépare lui et Synésios des matérialistes, positivistes, empiristes, sensualistes et de tous ceux qui ne peuvent pas sortir de la pensée associative, qui n’est qu’une partie seulement du logos. Par le même, il conclut, malgré les réticences de Synésios, qu’il serait mieux d’utiliser le terme intellect pour désigner le logos au sens élargi et logos lui-même pour nommer l’intellect logique comme seul discours historique.

Dans le chapitre II, les autres invités prennent part à la discussion. Synésios critique la multitude, ces esclaves de Mammon, de Commode, d’Astartè, de Trimalchion, qui ne sont qu’un peu de poussière dans l’infini – voire, des attitudes très peu chrétiennes. Synésios, dans ses négations successives, exprime un sommet d’aristocratisme intellec-tuel. Iplixis fait détour via Goethe et sa « démission – Verzicht » du multiple pour l’un, mais non pas pour l’un religieux, car cela lui semblerait de trop. La discussion porte sur la distinction entre Amour et Éros. Pour Iplixis, le christianisme implique la haine de la chaire. Sa propre idée de l’amour n’est pas, toutefois, l’amour charnel mais l’amour mystique, inaccessible aux Grecs Anciens. L’amour simplement charnel n’existe pas pour les humains. La forme est supérieure à la chaire mais elle implique l’attraction charnelle contrairement aux prescriptions de l’amour chrétien; ce dernier consiste en solidarité, fraternité, communauté et, enfin, en compassion. Mais l’Éros est personnel et ne peut pas devenir une règle de comportement social; l’Éros est créateur. Pour Basset, s’éloi-gner de la question de la chaire signifie l’adoption de distinctions purement scolastiques. L’amour de la chaire est aussi l’amour de la nature comme nous montre l’exemple de saint François d’Assise. Pour Manhorst, la haine de la chaire est le fruit de la corruption

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de la société antique. Pour Harrer, tous les deux, Amour et Éros, sont des chemins qui mènent à l’Absolu. L’amour charnel ne peut pas être jugé par la multitude qui le pratique mais par le petit nombre des esprits nobles qui s’y adonnent; chez ceux-là, il acquiert des dimensions métaphysiques. Pour Iplixis, la vulgarité de la masse est responsable pour la critique de la chaire. Peu nombreux sont les Hiérurges de la science pure, encore moins nombreux ceux de la philosophie pure et encore moins, ceux de l’art sublime; les grands amants, enfin, sont encore moins nombreux. Manhorst introduit le thème de l’amitié dans la discussion; l’amitié est, d’une part, plus proche de l’amour chrétien car elle refuse l’élément charnel mais, de l’autre, elle est plus proche de l’Éros, car elle est personnaliste. Par ailleurs, selon Basset, les relations de parenté impliquent une forme de sympathie qui dépend de la proximité à notre Ego et pour Harrer, celle-ci est la sympathie la plus universelle.

Dans le chapitre III, Synésios pose la question de la crise du monde moderne; des progrès matériels dans la communication et la protection de la santé ont été effectués, mais tous ceux-ci sont des biens culturels et non pas des réalisations de l’esprit. Basset fait, ici, appel à la spiritualité du positivisme. Harrer retourne à ces peu nombreux qui sont les « hommes royaux de la science » : l’élite de l’esprit n’a connu ni de gains ni de dégâts avec la fin des anciens fondements. Cette élite n’a pas pu poser de nouveaux fondements à cause de manque d’esprit pratique. Pour Manhorst, l’époque moderne est la dernière phase du romantisme et pour Basset, le Christianisme ne peut pas apporter de solutions mais il peut aider pour en trouver. L’amour ne peut pas devenir logos ou prescription morale. Pour Basset, l’amour doit se dévêtir des anciens symboles qui n’ont pas désormais cours et trouver de nouvelles voix pour exprimer sa métaphysique. Bourgeois et marxistes sont des matérialistes et Harrer critique encore la masse pour son hédonisme : on procède ainsi à l’identification de l’empirisme et de l’utilitarisme avec l’hédonisme.

3.4. Les principes d’interprétation de Tsatsos

Les chapitres V et VI sont le coeur dogmatique de l’argumentation de Tsatsos. Dans le chapitre V, on a encore l’assertion de l’individualisme comme principe d’interprétation et le sentiment de manque d’un point de vue stable qui pourrait produire de la certitude. Iplixis proclame le besoin pour poser des fins et fait la distinction entre mouvement avec objectif et donc téléologique et mouvement sans objectif; les formes doivent être toujours en évolution et le mouvement doit être toujours mené par le logos. Il critique la pensée de l’absurde qui ne conduit nulle part. Il fait la critique de l’existentialisme qui, en tant que vision du monde de désespoir, est basé sur un Ego en désolation; les existentialistes conti-nuent sur ce point la tradition sophiste. Pour Harrer, c’est la faille contemporaine de logos qui produit cet état de choses qui, selon Iplixis, provoque chez certains, ceux mêmes qui ont plus d’intériorité, une répulsion pour la logicité, et donc pour l’ordre logique et psychique (la référence ici à des sources platoniques est bien évidente). Au niveau poli-tique règne, d’une part, le rationalisme excessif et ridicule et, de l’autre, chez la masse

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des jeunes, un messianisme naïf. Pour Manhorst, tout vient de l’Ego de notre époque. Pour Iplixis, la philosophie même est l’épopée de l’Ego; la philosophie moderne rétorque Harrer. Toute la philosophie, dit Manhorst, même celle d’avant Protagoras, car l’Ego s’identifie à l’intellect. Pour Harrer, l’Ego est une énergie qui, comme la lumière, fait apparaître les formes. Ainsi, on retourne au problème de la Grèce et la nécessité pour un néo-classicisme qui va finir avec les divers romantismes. Synésios, devant les impasses de l’époque, propose comme solution l’anachorèse inspirée de l’exemple de la République platonique8 : l’anachorèse n’est pas une fuite mais une action. Selon Iplixis, l’anachorèse est naturelle pour l’homme spirituel qui se tient loin de l’agora et qui ressuscite des signi-fications par le moyen des discours. Harrer, qui se croyait autrefois un Péripaticien, insiste sur un modèle de la vertu en tant que médiété. La médiété est une objection à l’anacho-rétisme car on doit retourner au monde. Dans le sillage de Max Weber, Basset représente une science élargie qui comprendrait aussi la déontologie de la vie humaine. L’action des individus doit être vue comme une action politique. En ce sens, il faut distinguer entre l’action vue sous l’angle de la loi morale et l’action comme norme politique pure et absolue, c’est-à-dire comme fin ultime. D’habitude (ou selon la norme), les deux s’iden-tifient, mais au niveau de la théorie, elles sont absolument différentes. Elles se mettent rarement en opposition et sont antinomiques dans la vie des individus, chose qui arrive assez souvent dans la vie des communautés politiques.

Pour Manhorst, telle est la science des sophistes; pour Harrer, il faut distinguer entre les divers courants sophistes et ne pas mélanger la politique ainsi vue avec l’art de l’arri-visme. Les théories des grands penseurs, tel Augustin ou Hegel, posent les fins ultimes. Mais pour trouver les moyens d’y arriver, il nous faut un art et non pas de la science. L’instinct peut abréger là où la logique demande de la cohérence dans tous ses niveaux. La figure du grand politique est celle où le génie de l’action est fait d’instinct, de juge-ment et de concordantia oppositorum (ou éthique politique de responsabilité selon Max Weber). Pour Basset, le point de départ d’une fin ultime est la mise en doute avancée par les critiques des dogmatiques. Pour Harrer, c’est le problème originel des principes auquel nulle pensée philosophique n’y échappe. L’antinomie entre éthique et politique n’est pas un phénomène fréquent, mais il peut arriver là où le but politique est d’une valeur aussi absolue que la loi morale. C’est une antinomie qui doit être dépassée ad hoc par la conscience libre. Le jugement est ce qui fait la différence entre les hommes et le reste du vivant. L’homme théorique perçoit la fin ultime tandis que l’homme d’action perçoit les chemins qui y mènent. L’abysse entre le savant et l’homme pratique est faite de mépris réciproque.

Dans le chapitre VI, Harrer proclame que le matérialiste a des points communs avec le Chrétien; tous les deux sous-estiment la vie d’ici-bas. Pour les uns, c’est le hasard qui forme la vie mais pour les Chrétiens, c’est la transcendance divine. Tous les person-nages du dialogue croient que l’histoire a une fin, un but tandis que la biologie, l’espèce,

8 Voir à ce propos, Pl. R. 511b.

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pointent au moins-être. Synésios identifie pour des raisons gnoséologiques la révélation et l’hypothèse; c’est une pétition de principe. Telle est la relation entre histoire et éternité. Pour Iplixis, on ne peut pas mettre l’existence avant l’intellect (en cela, Tsatsos rappelle Théodorakopoulos, élève de Rickert et de Jaspers qui a été séduit, mais non pas complè-tement convaincu par le deuxième). Pour Basset, seules les sciences positives acceptent le progrès où le nouveau a plus de valeur que l’ancien. Pour Harrer, enfin, l’essence de l’homme n’est pas son être mais son devoir être. Ainsi, l’Ego s’identifie à l’intellect; c’est l’Ego, et donc l’intellect, qui doit résoudre les conflits entre les valeurs antinomiques.

3.5. Les régions de la logique culturelle de Tsatsos

Les chapitres suivants se penchent sur des questions régionales de l’argumentation de Tsatsos. Dans le chapitre VIII, on discute de la beauté. Pour Harrer, la beauté de la nature est due au hasard de la rencontre entre divers éléments. La beauté, ici, est également le sublime. Synésios parle d’une origine commune de tout bien. Pour Iplixis, c’est la conscience qui crée la beauté dans la nature. Harrer insiste sur l’unité du bien et sur son caractère immanent. Pour Basset, l’église ne combat pas la beauté naturelle en général, mais la beauté des corps qui réveillent l’amour charnel. Pour Iplixis, la beauté charnelle fait naître chez l’homme spirituel le choix esthétique et la morale et, ainsi, de la nature on arrive à l’idée. Pour Harrer, la beauté de l’ethos sublime est au-dessus de la moralité qui n’est que le corps qui recouvre l’âme. Pour Iplixis, telle est la beauté de l’intellect, bien distincte et loin de la nature. Pour Manhorst, le sublime est humain. Pour Harrer, le spirituel s’étend dans toute la nature. Synésios fait la différence entre l’amour de l’idée et l’amour mystique. Pour Basset, l’image peut conduire à la conviction et c’est la même chose pour Synésios, mais seulement quand elle est faite avec dignité et respect. Pour Basset, l’intellect doit être connaissance car, autrement, il devient dangereux. L’ex-pression de ces divers points de vue sur la beauté est suivie par un éloge de Synésios. Pour Manhorst, Synésios n’a pas l’étroitesse d’esprit qui caractérise les autres ecclésias-tiques; au contraire, il se démarque par sa douceur et sa tolérance. Pour Iplixis, Synésios est unique dans le monde de l’Orthodoxie. Pour Manhorst, la vie de Synésios est une œuvre d’art. À la fin et pour Iplixis, l’émotion exprimée est échelonnée en : 1. le caractère éthico-sentimental de l’humanité; 2. la forme; 3. les symboles; 4. les idées. La logicité seule de la poésie fait entrer cette dernière dans la sphère méta-logique. On touche ici sur une limite, le ‘metaxu’ platonique.

Le chapitre IX traite de la poésie. Iplixis écrit de la poésie et critique la poésie moderne pour manque de devoir être et de formes pures, s’opposant donc à l’exclusivité dogmatique de la poésie moderne, en faisant encore la critique de la multitude. L’exis-tentialisme est à l’origine du dogmatisme moderniste en poésie, mais le transcendant est nécessaire car seul celui-ci peut être absolu et, donc, non-relatif. Manhorst ajoute que cela contribue au fait que les idées existent plus que les existants. Contre l’idée de désespoir, Iplixis établit le rapport du tout à l’idée d’une affirmation finale qui lierait l’être au devoir

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être et le devoir être à l’être9. Synésios voudrait nommer cette affirmation finale Dieu. L’existentialisme de Heidegger, et non pas celui de Jaspers, est l’existentialisme pur. Les origines d’existentialisme, selon Harrer, se trouvent au relativisme inné à tout Ego réel, en oubliant la téléologie de l’Ego idéel auquel consiste la vie de l’esprit. Pour surpasser l’Ego relatif, il nous faut le devoir de dépassement. En d’autres termes, l’être de l’existence est inséparable du devoir être de l’existence ou, autrement, l’existence est un ‘être’ rempli de

‘devoir’. C’est une erreur de penser que la connaissance vraie est au-delà de notre possibi-lité à cause de l’Ego relatif; c’est le contraire qui est vrai. Dans les sciences historiques où l’Ego est sujet et objet à la fois, la sur-temporalité de l’hypothèse ne se prouve pas mais est vérifiée par ses conséquences (téléologie). L’existentialisme de la poésie moderne s’avère ainsi un exemple des impasses de la condition moderne de l’homme.

Le chapitre X traite de l’histoire. L’infini (pascalien) renvoie à la force syntactique de la conscience selon Iplixis où il n’y a plus d’espace ou de temps et peut-être ni même de logos; rien que le silence de l’infini, dit Synésios. Iplixis doute du saut kierkegaardien et pour Harrer, le point de transcendance absolue n’existe pas et seule la diminution infinie de la relativité et de l’historicité est possible – tel est le chemin vers la vérité. Le relati-visme doit être relativisé par rapport à l’absolu de sa conviction première. Harrer fait une palinode (et non pas une palinôde10) affirmant la transcendance de l’intellect ou, autre-ment, sa liberté. Il nous faut de critères objectifs pour établir le vrai moral et le vrai esthé-tique. Il nous faut un saut absolu, une affirmation majeure. Le choix est nécessaire car l’homme « flotte dans une mer infinie des choix entre formes possibles d’ordre éthique ou politique et formes de poésie et d’art qui ont les mêmes valeurs »11. Cette affirmation première est le fondement de la connaissance et une valeur affirmative universelle; mais en affirmant, on affirme l’affirmation et, donc, le logos et, ainsi, on renforce la liberté première qui n’est pas abstraite mais s’affirme dans la vie historique, à travers des modes spinozistes : la science, l’art, l’ordre moral, la droiture politique, dans un refus total du désespoir. Telle est la téléologie de l’humanité, la fin ultime de l’histoire. Pour Synésios, c’est l’Absolu – et Harrer est d’accord – et il n’y a pas d’autres chemins pour y arriver à part le chemin de la religion. Harrer n’est pas sûr si le monde est création ou s’identifie à Dieu même.

3.6. L’exode du dialogue

Dans le chapitre XI, on voit arriver Sophronios, moine et homme de droit, doctor juris utriusque, philosophe et conseiller juridique du monastère. On fait une discussion sur les

9 Contre tout sophisme naturaliste selon Hume et Moore.10 Παλινοδία est le passage d’une série à une autre; Παλινωδία, c’est un chant de rétractation; cf. A. Bailly,

Dictionnaire Grec-Français, les lemmes correspondants. 11 Encore un renvoi possible au perspectivisme Weberien.

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maîtres de l’esprit européen en tant qu’idéaux-types de la culture réflexive. Pour Iplixis, ces idéaux s’incarnent surtout par Platon et Goethe, le plus grand panthéiste spinoziste ; pour Basset, ce sont Descartes et Montaigne (et non pas Pascal). Pour Manhorst, c’est l’idéalisme allemand et surtout Kant. On affronte ainsi des difficultés de classification : car, la question serait où classer Bach, Luther et Dante. Pour Synésios, ses maîtres-pen-seurs sont Plotin, Grégoire de Nysse, et Nicolas Cusanus qui font la promotion de l’unité des contraires. Pour Sophronios, c’est Schelling, Schleiermacher, Meister Eckhart ou Angelus Silesius. Curieusement, c’est une grande partie de la philosophie traditionnelle de la religion qui est omise par l’arrivée tardive de Sophronios12.

Le chapitre XII constitue l’éloge deuxième et final de Synésios; l’hégoumène repré-sente la religiosité libre pour Manhorst. Il se tient loin de la multitude, dit Iplixis. Il est l’intuition générale pour Basset. Pour Synésios, son moi est comme le besoin chez les autres hommes. Manhorst se réfère, à propos de Synésios, au Phèdre et le platane qui marque un lieu de méditation personnelle pour Socrate. Le respect de l’humanité s’avère être le point commun entre tous les interlocuteurs.

Sophronios, le moine, tient un rôle de démarcation par rapport au moine et person-nage principal du dialogue, l’hégoumène Synésios qui se caractérise par le silence, le tout-autre, la vérité révélée après des années d’étude et un drame personnel. Synésios est ce comble d’individualisme qu’est l’aristocratisme (de l’esprit), très cher à Tsatsos. Dans le chapitre VII on a le récit de l’amour malheureux de Synésios qui l’a conduit à devenir moine. Dans cette narration, un objet central du récit s’avère être une croix byzantine que Synésios garde comme souvenir familial et offre à son amour perdu. Dans le même chapitre, on a le récit du progrès de Synésios : de la déception amoureuse à la recherche de la joie, de la philosophie néo-platonicienne aux pères de Cappadoce et, ensuite, des œuvres de charité à la métaphysique et la révélation. Synésios apparaît ainsi comme une incarnation de la mystique philosophique.

4. Contre le sublime philosophique

Les exemples de byzantinisme culturel, cités ci-dessus, nous conduisent à la fois vers l’idée du déclin et vers le sublime philosophique. La crise moderne de la philosophie égale une absence de souci pour les fondations philosophiques, selon Richard Rorty (2007 : 73–88) 13. Pour Platon, les hommes sont différents des bêtes même dans un univers non-sacré et la pureté morale est de se distinguer des animaux même sans obéissance salutaire à Dieu. La situation contemporaine se caractérise par le gigantisme culturel et le commonwealth global autour du bien-être individuel. La philosophie est ainsi poussée vers les marges de la culture et, actuellement, la philosophie n’est ni pérenne ni fondatrice.

12 Sur la philosophie de la religion du Néokantisme grec, cf. Begzos 1994 : 77–95, surtout 79–82 et 91–93.13 L’analyse qui suit est basée sur Rorty.

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Deux thèmes philosophiques sont encore d’actualité : le choix entre raison ou imagina-tion et l’amour platonique de la vérité ou le refus sophistique de l’amour de la vérité. Le platonisme et la religion pour Nietzsche sont des fantaisies d’évasion et l’évasion philoso-phique n’est que l’art de masse renversé. Les intellectuels actuellement paraissent comme des utilitaristes matérialistes du sens commun. La lutte ancienne avec les poètes et les sophistes est remplacée par l’idée que les nombres ou/et les particules sont plus conve-nables à la vérité. L’amour de la vérité chez Platon est la recherche pour le réellement réel et le réellement réel est plus proche aux nombres qu’à la boue. Pour Quine, un fait est ce qui marque une différence au niveau des particules élémentaires; d’autres philo-sophes naturalisent l’épistémologie et/ou naturalisent la sémantique. Ceux-ci sont encore et toujours des Platoniques, c’est-à-dire ils sont à la recherche du réellement réel. Ainsi, Bernard Russell s’est levé contre le pragmatisme de l’humanisme de l’homme comme mesure de toute chose (Protagoras), la neutralité non-humaniste apparaissant comme valeur première. La situation actuelle ne laisse comme possibilités que : (a) l’universa-lisme et (b) les désirs idiosyncrasiques.

La philosophie doit désormais affronter les problèmes actuels tandis que la validité universelle n’est que de la métaphysique (Platonisme). La quête de la grandeur élimine le doute, mais, au lieu de cela, on a la recherche pour résoudre des particularités par l’ini-maginable contre l’autréité éternelle. Hegel intensifiait plutôt la tension que la synthétisait (le temporel contre l’éternel, le classique contre le romantique). John Dewey comme hégélien de gauche cherchait plutôt à aider les hommes qu’à résoudre des problèmes tels que la théodicée, la connaissance absolue, la grandeur ou la profondeur.

Les philosophes doivent se mondaniser et arrêter la pensée qui ambitionne la hauteur réflexive. Il y a deux métaphores de hauteur : (a) l’ascension à un cadre qui supervise tous les autres (Platonisme); (b) la descente romantique vers les profondeurs de l’âme. Arthur Lovejoy se tourna contre Dewey, contre la distinction entre le classique et le romantique. Le romantique est multiple (l’un romantique se tourne contre l’autre); alors, il n’y a pas un romantisme du tout. Isaiah Berlin critiqua Lovejoy et Berlin a défendu l’idée qu’il y avait un mouvement romantique, une révolution de la conscience. Le romantique n’est pas l’opposé du classique, mais de l’universalisme philosophique (non littéraire) (voir Berlin 2013).

L’universel (Dieu? Vérité? Principe?) pourrait former une structure cohérente (more geometrico) et mettre les pièces ensemble, le désir humain inclus. Pour Berlin, toutefois, tous les biens ne sont pas compatibles entre eux et il y aura toujours quelque chose d’à côté (et John Dewey serait d’accord sur ce point). Après la révolution française, le mouve-ment romantique a fait face à l’idée de l’incompatibilité entre Antigone et Créon. Du point de vue platonique, le scandale romantique consiste en la supériorité de la passion sur la raison, de l’authenticité sur la convertibilité. Les pragmatistes pensent qu’Anti-gone et Créon devraient conclure un accord et il n’y a jamais qu’une chose correcte à faire. Ce qu’on doit faire est une question de croyance, l’important étant d’obtenir une partie du bien initialement désiré. Pour William James, le vrai est le bien dans le chemin de la croyance; donc, il n’y a rien que des compromis ingénieux. On n’échappe jamais au

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travail de la négativité hégélien et nous ne sommes que des créatures finies, situées dans l’espace et le temps. Pour Platon, le bien est comme l’Un parménidéen, un sommaire de la compatibilité des biens particuliers. Berlin pense qu’avec Spinoza et Kant, l’idée de la grandeur universelle a survécu la sécularisation de la culture élevée. Le roman-tisme abolit la synthèse; il n’y a plus de fusion entre la certitude mathématique et l’extase érotique. Pour le pragmatisme, il n’y a pas d’argument décisif, il n’y a que la sociabilité de la raison. Le romantisme a retenu quelque chose de la grandeur universaliste, à savoir l’infini. L’infini est une forme de réaction contre le passé. L’infini romantique est lié à Prométhée et non pas à Socrate. L’infini romantique est de l’ordre de la profondeur, du non-épuisable, du non-définissable. C’est un mouvement pour ouvrir de nouveaux chiasmes tandis que l’œuvre de Platon signifie la fin des chiasmes. Berlin rappelle que Schiller disait que les idées ne sont pas générées, mais inventées. Pour Foucault, comme pour les romantiques, toute synthèse n’est que du conformisme; la profondeur (dans le cas de Foucault, il s’agit de la profondeur renversée, donc l’extériorité) se tient contre l’ac-cord. L’autre de la raison est dangereux pour la solidarité humaine. Pour les universalistes, l’accord intersubjectif est nécessaire afin de parvenir à un certain degré de justice sociale. Pour les romantiques, l’accord général ne consiste qu’en la tyrannie du passé sur l’avenir. Le pragmatisme signifie une défense de l’anthropocentrisme protagoréen.

La réalité supérieure et la profondeur sont des métaphores de la hauteur. La valeur d’inspiration n’est pas une mesure de réalité et toutes le valeurs ne sont pas valides. Le langage anti-pragmatique est intrinsèque, authentique, inconditionnel, légitimant, de base, objectif; le langage pragmatique parle de ce qui correspond aux données, paraît plausible, a plus du bien que du mal, ce n’est pas offensant pour nos instincts, vaut l’effort, n’est pas si ridicule pour ne pas le prendre au sérieux. Un consensus ne doit pas aboutir à l’universalité et à la nécessité universelle d’une croyance sur laquelle est accordé le consensus. Il n’y a que des consensus provisoires. Il n’y a pas quelque faculté de la raison qui serait réglée sur la nature intrinsèque de la réalité, une position fondamentale de l’homme de sens commun, pragmatiste et utilitariste; Bergson et Heidegger, par contre, sont pour la profondeur ineffable. L’idée que la fondation philosophique de la société nécessite l’attention ou le dépannage est sans fondement. La société n’a pas de fonde-ment et le pragmatisme est anti-fondateur. L’infini perd son charme et les philosophes adviennent des finitistes de sens commun. Une pensée horizontale et non pas verticale règne, ce qui signifie une certaine mort des philosophes.

5. En guise de conclusion

Le byzantinisme apparaît à la fin de cet essai comparatif comme un problème de contem-poranéité philosophique. L’effort de le rejeter vers l’irrationalité échoue non pas à cause des preuves de sa rationalité cachée, mais parce que le rationnel classique et le moralisme qui en découle se trouvent actuellement en recul. Tandis que Julien Benda, un penseur aux marges de l’élite philosophique française et bergsonienne, oppose le byzantinisme de

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443Byzantinisme et rationalité : Julien Benda et Constantin Tsatsos

la culture (qu’il voit au sein même du modernisme) à la rationalité, Tsatsos, un philosophe grec, venant donc de la périphérie de la modernité européenne, essaie de rapprocher la philosophie à la mystique autre que l’extase romantique, dans le cadre des structures d’hellénisme qui se caractérisent par leur longue durée et où le moment byzantin n’est que l’expression d’une continuité. Pour Tsatsos, le byzantinisme n’est plus un problème pour la rationalité, mais s’insère dans la problèmatique de l’histoire de la philosophie. Le compte rendu de Richard Rorty sur l’actualité de la raison du pragmatisme contre le sublime philosophique, c’est-à-dire au-delà des idées de grandeur et profondeur philoso-phiques, peut aider à mettre à jour le débat sur le byzantinisme anti-romantique.

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444 GEORGE ARABATZIS / Université d’Athènes /

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Byzantinism and Rationality: Julien Benda and Constantine Tsatsos

This article examines the concept of Byzantinism that Julien Benda

employed in his book La France Byzantine. In the fin-de-siècle European

sensibility, Byzantinism was transferred from political to literary level,

but Benda created an epistemological break when he asserted in his

book that Byzantinism is literature in its normal function. Furthermore,

of Byzantinist character is especially the modern literature (e.g. Valéry

or Mallarmé). Thus, labeling modern literati as Byzantinist writers

served as a critical tool for Benda, who condemned the degradation of

modern intellectuals into clerks. This transformation of literary normal-

ity affected also pure thought as is manifested in the ambiguous manner

of expressing their ideas by modern thinkers (this being a mixture of

idealism and apocryphal thinking, which renders ideas rather abstrac-

tions than instruments of rationality). An example of such a Byzantinist

use can be found in the manner Emmanuel Levinas exploited Husserl’s

G E O R G E A R A B A T Z I S / University of Athens, Greece /[email protected]

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445Byzantinisme et rationalité : Julien Benda et Constantin Tsatsos

phenomenology. Finally, Benda engaged in a discussion with Paulhan’s

view that literary philosophy is a form of critical terror. The position of

Benda is that of a rationalist, whereas Paulhan is a thinker who focuses

on the use of language. For Constantine Tsatsos (1899–1987), on the

other hand, a Greek philosopher and author of a philosophical novel

entitled Dialogues in a Monastery (1974), the Byzantine moment is

a part of great continuity of Greek culture, which is characterized by

various structures in its period of long duration. One of these is the

synthesis of Hellenism and Christianity that can be seen in Byzan-

tium, where the transposition of the philosophical (Platonic) Eros to

the mystical one plays a major role. This development is of paramount

importance not only for the whole European culture but also for all

questions of beauty and morality. The present paper concludes with

a brief discussion of Richard Rorty’s account of pragmatic reason, which

makes it possible to show how contemporary philosophy can be placed

in the context of the debate about Byzantinism.

Greek culture, Byzantinism, rationality, continuity, literary philosophy.K E Y W O R D S