Burchell, Mary - L'inaccessible etoile (2011).pdf

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  • Cet ouvrage a t publi en langue anglaise sous le titre :UNBIDDEN MELODY

    La loi du 11 mare 1957 n'autorisant aux termes des alinas 2 et 3 de l'article 41, d'une part, que les copies ou reproductionsstrictement rserves l'usage priv du copiste et non destines une utilisation collective, et, d'autre part, que les analyses et lescourtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, toute reprsentation ou reproduction intgrale ou partielle faite sans leconsentement de l'auteur, ou de ses ayants droit ou ayants caus, est illicite (alina 1" de l'article 40).

    Cette reprsentaion ou reproduction, par quelque procd que ce soit, constituerait donc une contrefaon sanctionne par lesarticles 425 et suivants du code pnal.

    1973 Mary Burchell. 1980 Harlequin S.A. Traduction franaise. ISBN 2-86259-659-0 ISSN 0223-3797

  • 1 Il y a une seule solution, dcrta Dermot Deane sans lever les yeux de son bureau

    encombr de papiers. Vous irez vous-mme chercher Nicolas Brenner l'aroport. Moi?Mary leva un regard tonn vers son patron. Mais... Ne dites pas mais , coupa Deane, irrit. C'est le mot le plus stupide de la langue

    anglaise. Il est strictement interdit dans ce bureau. Compris ? Oui, monsieur, obtempra Mary, soumise.Il passa la main dans ses cheveux qui commenaient se rarfier. Je peux me dbrouiller seul face pratiquement n'importe quelle situation. Mais...Il s'interrompit devant le sourire mal dissimul de son interlocutrice et reprit vivement : Cependant, en cas de catastrophe, je m'attends votre collaboration, mme si vous

    n'tes l que depuis trois semaines. De toute faon, c'est vous qui avez parl la premire decet homme, conclut-il d'un ton qui mettait dfinitivement fin la discussion.

    C'tait vrai, elle devait le reconnatre. Pourtant, en matire de chanteurs, le nom deNicolas Brenner venait immdiatement l'esprit.Avant de travailler pour Dermot Deane, Mary l'avait peine aperu quelques fois dans des

    salles de concert, o le clbre imprsario tait venu couter l'un ou l'autre de ses artistes.Elle le considrait alors, si tant est qu'elle et rellement pens lui comme un tre

    imperturbable, avis, indiffrent aux temptes frquentes dans le milieu artistique au sein duquelil voluait.

    Mais quand elle eut remplacer la secrtaire qui le secondait depuis dix ans, elle s'aperutqu'elle tait bien loin de la vrit.

    Il est aussi caractriel que la plupart de ses clients, avait dclar Miss Evans. Et c'estbien normal. C'est lui le responsable, financirement, si cela ne marche pas. Cependant, il doitdonner continuellement l'impression que tout se droule merveille. Il ne peut s'offrir le luxed'une colre ni d'une crise de nerfs. Il doit connatre la rponse toutes les questions. Pastonnant que les agents artistiques et les imprsarios attrapent souvent des ulcres !

    A-t-il un ulcre? questionna Mary avec sollicitude.Miss Evans rpondit que non, pas sa connaissance, grce sa comptente secrtaire qui

    le dchargeait de la moiti de sa besogne...Elle faisait videmment allusion son intressante personne, suggrant Mary de se montrer

    digne de lui succder. La jeune fille promit mots couverts de faire de son mieux pour suivreses traces.

    D.D. est un bon patron, poursuivit Miss Evans. Mais s'il est d'humeur impossible,

  • D.D. est un bon patron, poursuivit Miss Evans. Mais s'il est d'humeur impossible,pensez seulement que la Torelli a d se montrer insupportable, ou Oscar Warrenderdraisonnable, ou encore qu'un tnor a fait preuve d'une extrme lgret en se cassantsoudain la jambe ou le bras...

    Mary avait inclin gravement sa tte blonde, et promis qu'elle se le rappellerait.Et elle y mit tout son cur durant les quelques jours o elle travailla avec Miss Evans,

    demeure un peu plus longtemps pour la mettre au courant des affaires.Pour Mary, l'tat de secrtaire de Dermot Deane n'tait pas seulement une promotion, c'tait

    aussi la ralisation d'un rve. Aussi loin qu'elle se souvint, elle avait toujours t fascine parl'univers musical. Mais, malgr ses propres talents artistiques, elle avait vite compris qu'unebonne oreille, un certain got naturel et une voix plaisante ne suffisaient pas pour faire carriredans ce monde difficile.

    Heureusement, ses parents, malgr leur amour pour elle, ne l'avaient pas berce d'illusions.Ils lui avaient permis de dvelopper ses modestes dons sans pourtant ngliger de lui donner unbagage plus raisonnable qui lui permettrait de gagner sa vie de faon plus conventionnelle. Etc'tait l une sage dcision.

    Mary se vit ainsi pargnes des annes d'espoirs striles menant tout droit l'amredception. A vingt- deux ans, elle tait une excellente secrtaire, parlant couramment troislangues. De plus, elle avait un amour- propre suffisant pour donner partout et toujours lemeilleur d'elle-mme.

    Au lieu de devenir une mdiocre cantatrice, elle s'appliqua tre une auditrice avertie situation dont elle tirait le plus grand plaisir... et elle s'en serait grandement contente si ellen'avait entendu parler du poste de secrtaire vacant chez Dermot Deane.

    Elle tait alors en train de faire la queue devant le guichet de l'Opra, et, sitt son billet enmain, elle se prcipita chez l'imprsario.

    Son attitude ferme mais modeste, ses rfrences et son enthousiasme durent faire forteimpression car il hsita peine pour l'engager. Il tiqua lgrement quand elle parla du mois depravis qu'elle devait son prcdent employeur. Mais elle lui fit remarquer qu'il ne pourrait sefier elle si elle commenait par mal se conduire envers quelqu'un d'autre.

    D'accord, acquiesa-t-il, convaincu par la justesse de son raisonnement.Il parvint persuader Miss Evans de retarder son dpart d'un mois, pour laisser Mary le

    temps requis par son ancien travail avant de se plonger dans l'existence passionnante et agitequi tait celle du trs clbre imprsario.

    Mary tait l depuis trois jours quand la premire des crises prvues par Miss Evans survint: le tnor qui devait interprter quelques reprsentations fort attendues de Carmen l'Oprase cassa rellement un bras. On demanda Dermot Deane de lui trouver un remplaant dequalit et de rputation gales.

    Mary fut passionne par la conversation qui s'ensuivit. Entre Miss Evans et Dermot Deanevolaient des noms clbres qui, pour la jeune fille, n'taient que des silhouettes lumineuses

  • derrire les feux de la rampe. Mais ils furent tous repousss, pour une raison ou pour uneautre.

    Mary leva alors les yeux de sa machine crire et suggra timidement : Que pensez-vous de Nicolas Brenner? Ce que je pense de lui ? riposta Deane avec ironie. Il ne ferait pas l'affaire ? Le meilleur fera toujours l'affaire , rpliqua l'imprsario. Mais en remplacement... De

    toute faon, Il est hors circuit depuis cet accident de voiture du mois de mars dernier... Il n'a pas t lui-mme trs atteint. Il doit tre remis, prsent, intervint Miss

    Evans. En tout cas, il n'a pas chant depuis. Sans doute par raction la mort de sa

    femme... C'est ce qu'il y ade plus difficile surmonter, pour un artiste.

    Il marqua un temps. Mary, refusant de renoncer aider moralement celui qu'elleadmirait le plus de tous les chanteurs, fit une nouvelle tentative.

    Peut-tre prfrerait-il rentrer en scne brusquement, plutt que de se contraindre unretour dans les rgles...

    Peut-tre, rpta Dermot Deane, pensif. Ce n'est pas un garon trs difficile, enfait. Et Don Jos est l'un de ses meilleurs rles. Lenski pourrait galement l'intresser,quand on remontera Eugne Onegin. Cela ferait... oui... Huit reprsentations. Dix aumaximum.

    Il ferait en effet un excellent Lensky. Il a de bonnes jambes, fit observercalmement Miss Evans.

    C'est sa gorge qui importe, non ses jambes! grogna l'imprsario. Avec ce costume, il vaut quand mme mieux avoir de belles jambes, insista

    l'ancienne secrtaire. Et il parle certainement bien le Russe, renchrit vivement Mary. Il a une grand-mre

    slave, n'est-ce pas ? Ils ont tous une grand-mre russe, des oncles hongrois et des petites amies

    espagnoles, si cela les arrange ! fit Deane avec cynisme. Cependant, c'est vrai, il parlerusse couramment. Je me rappelle l'avoir vu interprter une fois l'Idiot dans Boris. Htait l'idiot personnifi.

    Ce n'tait pas exactement la faon dont Mary aurait choisi de dcrire son chanteur favori.Elle tressaillit lgrement ce coup port au romantisme de son idole.

    Alors, vous allez essayer de l'avoir ? demanda- t-elle cependant.

  • Dermot Deane acquiesa en se dirigeant vers le tlphone.Suivirent deux passionnantes journes de tlgrammes, tlphones longue-distance,

    messages express... dactylographis par Mary qui avait le sentiment exaltant de se trouver aucur d'une merveilleuse crise.

    Quand Nicolas Brenner fut enfin dcouvert, dans sa cachette au bord d'un lac australien, leschoses furent arranges en un temps record.

    Il semblait dispos faire sa rentre l'Opra dans Don Jos et Lenski... Et l'ide venait deMary! En tapant le contrat dfinitif, elle se dit qu'il existait, dans cet univers, des triomphes quin'avaient pas besoin d'applaudissements ni de rappels...

    Dermot Deane fut assez bon pour noter le rle jou par Mary dans ce retour. Elle en futsubtilement ravie et flatte.

    ... Jusqu'au jour o, contraint de se rendre Paris pour rencontrer Gina Torelli, il luidemanda d'aller accueillir elle-mme Nicolas Brenner l'aroport de Londres.

    Venez en Bentley avec moi, ordonna-t-il. Mon avion dcolle dix minutes avant l'arrivede celui de Brenner. Attendez-le et traitez-le avec tous les gards ncessaires. Mon chauffeurvous ramnera en ville.

    Mary se demanda de quels gards il s'agissait. Mais son patron avait bien assez de soucissans tre en plus oblig de lui mettre les points sur les i . Elle se contenta donc de rpondre. Oui, monsieur , avec bien plus d'assurance qu'elle n'en ressentait.

    Voil son emploi du temps : rptitions et reprsentations, dclara Deane en lui tendantun dossier. Prvenez-le que nous lui avons retenu sa suite habituelle au Gloria. Ils sont toujourssensibles ce genre d'attentions.

    Mary rangea les papiers dans son porte-documents.Une demi-heure aprs, tous deux quittaient Londres pour l'aroport, chacun absorb dans

    ses penses.Mme dans ses rves les plus fous d'amateur d'opras, elle n'avait os rver se trouver un

    jour responsable du bien-tre de Nicolas Brenner. Pourtant, elle s'tait bien souvent tenue prsde la sortie des artistes, pour le voir passer, toujours accompagn de sa ravissante pouse...celle qui tait morte dans l'accident de voiture.

    Mary se la rappelait trs distinctement, la dernire fois qu'elle l'avait aperue, avec sa robemoulante, du mme or que ses cheveux. Elle riait, glorieuse comme une fleur exotique. Lemonde appartenait Monica Brenner...

    Dermot Deane prit cong de sa secrtaire, et la jeune fille alla attendre son idole dans le halld'arrive.

    L'avion avait un quart d'heure de retard. Mary eut le temps de combattre les vagues depanique qui l'envahirent plusieurs reprises. Comme tous les gens inexpriments et ellel'tait sur ce plan elle envisagea les douzaines d'impairs qu'elle risquait de commettre.

  • Attendait-elle au bon endroit ? Devrait-elle se montrer chaleureuse et accueillante ? Ou biendistante et respectueuse ? Bavarde ou silencieuse ? Semblait-elle ridiculement jeune pourprendre un tnor clbre sous son aile protectrice?

    Quand il arriva enfin, ce fut, apparemment, sa premire raction.Elle s'tait avance vers lui, prononant nerveusement quelques paroles d'introduction. M. Deane m'a envoye vous chercher, monsieur. Il a d se rendre Paris, et... Vous paraissez plutt petite et jeune, pour venir me chercher , observa-t-il avec un

    trs lger sourire. Ai-je besoin d'un chaperon ? M. Deane l'a sans doute pens, rpondit-elle gentiment. Il a craint que je ne sache pas conduire jusqu' Londres ?Il y avait dans sa voix une amertume et une nervosit qui dconcertrent Mary. Sans doute pensait-il plus la joie que cela serait pour moi de venir vous chercher...

    vous accueillir, se reprit-elle.L'expression tendue de Brenner s'attnua. Il prit le bras de la jeune fille. Allons-y, dclara-t-il. O est la voiture ?Il fit signe au porteur qui attendait et ils sortirent. L'imperturbable Carter sortit de la

    Bentley et salua respectueusement. Bonjour, monsieur. Prfrez-vous vous installer l'avant, ou derrire avec Miss

    Barlow? Derrire avec Miss Barlow, merci.Les somptueux bagages furent rangs dans le coffre. Comme la voiture dmarrait, Mary

    se rpta intrieurement : Je suis assise ct de Nicolas Brenner ! Mais rien dans son attitude calme ne trahissait son motion. Elle communiqua au chanteur

    les papiers confis par son patron. Il se mit les tudier, tandis que la jeune fille gardait lesilence.

    Sans cesser de lire, il dit enfin : Pourquoi parliez-vous de la joie de venir me chercher ? N'tes-vous pas habitue

    vous occuper des clients de Deane ? Oh, non! Je travaille pour lui seulement depuis trois semaines, expliqua-t-elle

    navement. Vous tes la premire vedette dont... j'ai la charge ! Vous vous dbrouillez trs bien, pour une dbutante, dclara-t-il sans toujours lever

    les yeux, mais avec une touche d'amusement dans la voix. Il n'est pas trs facile de se transformer d'admiratrice en reprsentant responsable

    d'une socit, fit-elle gravement. Sans aucun doute, rpondit-il avec un tel srieux qu'elle le sut amus. Donc, vous

    aimez l'opra ? Oui, mais...

  • Elle eut brusquement l'impression d'tre trop nave et naturelle. Mais je ne suis pas le genre m'entasser devant les portes des artistes en hurlant. Vous n'allez pas l'entre des artistes?... Si. Mais je ne crie pas !Il se mit rire. Une petit rire bref, mais un rire quand mme. Puis il leva enfin les yeux, et il

    semblait lui-mme tonn que cela ait pu lui arriver ! Puis-je esprer que vous l'avez fait une fois pour moi ? Certainement! Je vous ai mme acclam du haut du poulailler ! Merci, dit-il avant de retomber dans le silence.Elle risqua un coup d'il la drobe, puis s'absorbadans la contemplation du paysage. Il tait plus fort qu'elle ne l'avait imagin. Non

    seulement grand, mais large d'paules, avec cette sorte de puissance qui est celle de presquetous les grands artistes.

    Jusque-l, lorsqu'elle l'avait aperu, elle n'avait pas saisi l'trange mlancolie qui manaitde lui. Elle pensa qu'il valait sans doute mieux le distraire de ses rflexions, pour son premierretour Londres.

    M. Deane a d se rendre Paris pour rencontrer Mme Torelli, dit-elle enfin.Il se tourna immdiatement vers elle avec une expression amuse et intrigue. Oh... La Torelli ? Comment va-t-elle ? Elle se porte merveille ! Le contraire lui arrive- t-il parfois ? Non. Elle a une vitalit, une force incroyables ! Aussi fantastiques que sa voix. Jamais

    je n'ai connu quelqu'un comme elle. Monica, ma femme, disait souvent...Il s'interrompit soudain, comme s'il avait oubli la fin de sa phrase. M. Deane prtend que c'est grce ses origines paysannes, reprit Mary doucement,

    ignorant volontairement l'interruption. Oui, c'est certain. C'est une bonne chose pour nous d'avoir des racines ancres dans

    la terre. Je m'en suis souvent flicit moi-mme... Cela vient-il de votre grand-mre russe ? Oui, rpondit-il avec un lger sourire. Comment le savez-vous ? Je l'ai lu dans un article sur vous. Vous l'avez connue?Il eut soudain l'air rellement intress la conversation. Bien sr! Elle tait cantatrice, dans sa jeunesse. Pas une vedette, mais elle interprtait

    de petits rles avec des gens comme Sobinoff, Neshdanova... Sobinoff? Neshdanova? Mais elle a d... Vous en avez entendu parler ? interrogea-t-il. Mon Dieu, j'ai des disques d'eux. Des originaux ? Non, des rimpressions, mais...

  • Ils se lancrent dans une conversation anime sur les chanteurs et les disques d'autrefois. Comme deux amateurs dans la queue devant l'Opra se dit Mary, stupfaite.

    En mme temps, elle tait heureuse de constater que l'expression tendue avait disparu duvisage du chanteur. Il se passionnait tout simplement pour le sujet voqu.

    Ils parlaient encore quand la voiture s'immobilisa doucement devant le Gloria. NicolasBrenner regarda par la vitre, et murmura : Oh... Le Gloria... M. Deane m'a charge de vous dire que vous aviez votre suite habituelle. II... Mais je n'en veux pas ! s'cria-t-il durement en regardant soudain Mary avec une sorte

    d'hostilit.Elle comprit instantanment pourquoi. Bien sr, il ne voulait pas de cet appartement... Rien

    ne devait lui rappeler le pass ! Je vais arranger cela, dit-elle calmement. Voulez- vous veiller ce que le chauffeur

    sorte vos bagages ?Le digne Carter aurait t furieux d'entendre ainsi mettre en doute son efficacit. Mais Mary

    voulait seulement s'assurer que le tnor resterait hors de l'htel pendant qu'elle changeraitcette rservation de mauvais got.Ce fut fait en quelques minutes. Un appartement de la mme qualit tait par chance

    disponible dans une autre aile du btiment. Ce n'tait qu'un effet du hasard, mais NicolasBrenner, quand il rentra enfin dans l'tablissement, parut considrer que tout le mrite enrevenait Mary.Il la remercia brivement et demanda : Il y a une rptition ce soir. Y serez-vous ?Elle ouvrit la bouche pour rpondre que le sujet n'avait pas t envisag. Pourtant une sorte

    d'intuition, qui devait diriger son attitude durant ces premiers jours avec Nicolas Brenner, lapoussa rpliquer que, s'il le dsirait, elle s'y trouverait. Cela me ferait plaisir, dclara-t-il simplement. Passez me prendre cinq heures.Elle promit et sortit rejoindre Carter. Est-ce la coutume ? demanda-t-elle au chauffeur. Devons-nous les accompagner

    partout et leur tenir la main ? Pas avec lui, autrefois. Mais elle tait l, alors. Elle conduisait. Et elle savait aussi donner

    les ordres, je dois dire... Oh... s'tonna Mary qui n'avait jamais imagin Monica sous ce jour. Eh bien, il veut

    m'emmener la rptition. Pouvons-nous passer le chercher cinq heures? Certainement. Vous allez au bureau, prsent ?Mary acquiesa.Et elle se mit au travail. Son patron lui tlphona de Paris en dbut d'aprs-midi. Elle lui

    raconta que Nicolas Brenner tait bien arriv, qu'il s'tait install au Gloria, o il avait dcid

  • de changer d'appartement. En outre, il tenait ce qu'elle l'accompagne la rptition cinqheures.

    Il tient ce que vous l'accompagniez? rpta Dermot Deane. Mais pourquoi donc ? Je ne sais pas, rpondit franchement Mary. Il n'a jamais demand cela Miss Evans, reprit-il en riant. Mais, du temps de Monica,

    c'tait sans doute diffrent. Heureusement que vous tiez libre ce soir...Mary ne jugea pas indispensable de lui faire savoir qu'elle avait tacitement renonc une

    soire au thtre ds que Nicolas Brenner avait manifest le dsir de sa compagnie.Une demi-heure plus tard, la standardiste passa la jeune fille une communication

    personnelle.Elle crut immdiatement qu'il s'agissait de Nicolas Brenner. Mais ce n'tait pas sa voix. C'en

    tait une qui, un an plus tt, lui aurait paru plus merveilleuse que toute autre. Mary! C'est Barry. J'ai eu un mal fou obtenir ton numro de tlphone. Depuis quand

    as-tu chang de travail ?Elle s'claircit la voix et tenta de paratre particulirement gaie.

    Barry... Bonjour! Il y a environ trois semaines que je travaille pour Dermot Deane.Que... Que fais-tu Londres ?

    J'ai t mut de nouveau la maison-mre. Aprs Edimbourg? Et... Et Elisabeth?Il fut un temps o elle n'aurait mme pas os prononcer ce prnom. A prsent, il venait

    presque sans effort.Il laissa passer un lger silence, avant de rpondre : Cela n'a pas march, Mary... Pas... march ? Tu veux dire que tu n'es pas mari finalement? Ou bien... Elle a pous un autre type il y a quatre mois. Il est nettement plus riche que moi... Et

    doit possder d'autres qualits, je suppose.C'tait peine croyable ! Pour elle, Barry avait toutes les qualits du monde... Et pour

    cette raison, quand il s'tait fianc Elisabeth Horton, sa vie avait perdu pendant un temps sasaveur...

    Elle s'tait sortie de cette mauvaise priode, videmment. Elle tait prsent plus sage,plus vieille d'un an. Elle avait t folle de s'imaginer qu'un garon comme Barry pourraittomber amoureux d'elle. Il lui fallait une femme plus mondaine, plus sophistique. Quelqu'uncomme Elisabeth...

    Et pourtant, celle-ci l'avait laiss tomber, apparemment. Pour la premire fois depuisqu'elle le connaissait, elle ressentit de la compassion pour Barry.

    Ce sont des choses qui arrivent, Mary, poursuivait-il. C'est un choc, au dbut. Mais ilne faut surtout pas se laisser abattre ni devenir amer...

    Oh, combien elle le savait! Elle se l'tait rpt cent fois, quand il s'tait fianc avec

  • Elisabeth. Il tait alors sorti de sa vie. Et, prsent, il se trouvait de nouveau Londres... et ilvoulait la revoir le soir mme.

    Elle s'cria, dsole : Oh, je ne peux pas, Barry. Je suis navre. Pas aujourd'hui. Je... je dois accompagner

    l'un de nos plus clbres clients une rptition. Une rptition? dit-il, visiblement plus amus qu'impressionn. Et qui sont nos clients

    ? Je te l'ai dit. Je travaille pour Dermot Deane, l'imprsario. Nous... je veux dire : il

    s'occupe de la plupart des grandes vedettes de la musique. Des gens comme OscarWarrender, la Torelli, et... et Nicolas Brenner.

    Et ces hautes personnalits ne peuvent se rendre seules une rptition ? N'importequelle petite choriste d'oprette le fait... A qui dois-tu tenir la main, ce soir ?

    Je ne lui tiendrai pas la main. Il s'agit de Nicolas Brenner, et... Le tnor? Oui. Dieu du ciel, Mary, tu ne vas pas m'abandonner pour un tnor ? Il doit trembler ds

    qu'il ne chante pas. Il porte des escarpins vernis et un manteau col de fourrure, j'imagine ? Non. En tout cas, il n'en avait pas ce matin. De toute faon... Tu ne le connais que depuis ce matin, et dj il veut te sortir ce soir? Il ne perd pas de

    temps... Il ne me sort pas, expliqua Mary patiemment. Mon patron est Paris, et je dois le

    remplacer. Il s'agit simplement de traiter avec courtoisie une vedette internationale. Tu es fche aprs moi, ma chrie? demanda Barry d'une voix soudain cline. Mais non, bien sr...Il l'avait appele chrie , et cela effaait toute l'amertume et la peine qu'elle avait

    ressentie un an plus tt. Barry, reprit-elle, je suis dsole de ne pouvoir sortir avec toi ce soir. Mais propose-

    moi un autre jour ! Je t'en prie ! J'aimerais te voir, parler avec toi du bon vieux temps... Du bon nouveau temps, suppliait-il. D'accord, disons demain ? C'est parfait ! s'cria Mary, esprant vivement que Nicolas Brenner n'aurait pas

    besoin d'elle. Tu vis toujours chez tes parents ? demanda Barry. Mais oui ! Mon petit oisillon toujours au nid, fit-il avec plus de tendresse que d'ironie.Ils fixrent leur rendez-vous, et, en reposant le combin, Mary s'aperut qu'elle tremblait

    lgrement. Mme maintenant, mme l'autre bout du fil, Barry lui faisait encore cet effet... J'ai beaucoup appris, depuis cette terrible erreur de l'anne dernire s'assura-t-elle.

    Cette fois, je saurai ne pas prendre les choses au Srieux. Je me contenterai de profiter du

  • moment... Et je ne me ferai pas des ides parce qu'il me dit chrie ou me regarde d'unecertaine manire...

    Elle appela ensuite sa mre pour la prvenir qu'elle rentrerait tard. Elle ajouta, d'un tonanodin :

    Tu ne devineras jamais qui m'a tlphon ? Barry Courtland. Il est de retour Londres.

    Oh!,.. Pour un moment? Pour travailler ici. II... Finalement, il n'a pas pous Elisabeth Horton, Maman... Il

    voulait que je sorte avec lui ce soir, mais je ne peux pas, videmment. Tant mieux! se contenta de dire Mme Barlow. Oh, maman! Pourquoi? Parce que, ma chrie je t'ai vue autrefois beaucoup trop

    prise de lui et prte faire tout ce qu'il voulait. Maintenant, rpondit Mary pensive, je ne suis plus pareille. Je suis plus vieille, peut-

    tre un peu plus sage, aussi.Aprs avoir raccroch, elle repensa au billet de thtre qu'elle avait dans son sac, et qui

    resterait inutilis...

    Nicolas Brenner l'attendait dans le salon de l'htel. Je ne suis pas en retard, j'espre ? demanda-t-elle avec un rapide coup d'il sa

    montre. Pas du tout... J'ai compltement oubli de vous demander si vous aviez des projets

    pour la soire ? Je n'ai rien boulevers, au moins ? Pas du tout ! mentit allgrement Mary avec peine une pense pour le thtre et pour

    Barry. Dans ce cas, si nous dnions ensemble aprs la rptition ? proposa-t-il tandis qu'ils se

    dirigeaient vers les studios o devait se drouler la sance. Surtout, ne vous croyez pas oblig... Je peux parfaitement... Je ne me crois pas oblig, rpondt-il gravement. J'aimerais souper en votre compagnie,

    si vous voulez bien.Peut-tre redoutait-il par-dessus tout de se retrouver seul Londres, sans la merveilleuse

    jeune femme blonde qui lui avait t enleve... Bien sr, je viendrai. C'est si gentil vous...Mary avait parfois assist des rptitions en costumes l'Opra, mais jamais quelque

    chose d'aussi intime que cela. Oscar Warrender, qui devait diriger Carmen, tait install aupiano. Antha, son pouse, tait prsente galement.

    Tous deux accueillirent chaleureusement Nicolas Brenner. Il ne fut fait aucune allusion latragdie dont il avait t victime, mais la jeune femme fut particulirement affectueuse, et

  • mme son clbre mari se dpartit un peu de son air lointain et froid.Le rle de Carmen avait t attribu une Canadienne-Franaise. Rpute la fois pour son

    jeu et pour sa voix, Suzanne Thomas fut plus dmonstrative, elle embrassa Nicolas Brenner surles deux joues.

    Je suis tellement dsespre pour vous, chri, dit- elle de sa belle voix soudain un peurauque. Vous savez ce que nous ressentons tous. Je ne veux pas en parler, mais...

    Non, Suzanne, n'en parlez pas, fit-il schement en effleurant la joue de la chanteuse pourattnuer la duret de ses paroles.

    Warrender coupa alors court aux attendrissements. Suzanne Thomas fit glisser sa veste de sespaules et la dposa entre les mains de Mary, comme si elle trouvait tout naturel d'avoir uneesclave sa disposition.

    Celle-ci prit galement le manteau d'Antha Warrender qui lui adressa son lumineux sourire etdit :

    Merci infiniment, Miss Barlow. M. Deane m'a beaucoup parl de vous...La jeune fille fut enchante. D'abord, Dermot Deane avait parl d'elle... Ensuite, l'une de ses

    cantatrices favorites se rappelait son nom...Les autres participants entrrent, et le travail commena.Mary, dans son innocence, s'tait demand quoi servait une rptition, quand tous les rles

    principaux taient tenus par des vedettes internationales. Mais elle admira l'imagination etl'intensit dont ils firent tous preuve, Elle admira l'habilet et le sens artistique avec lesquelsWarrender sut renouveler l'uvre . Elle comprit alors que le travail tait l'une des raisons pourlesquelles ils taient justement des vedettes internationales.

    Elle n'tait pas attire par Suzanne Thomas en tant qu'individu. Mais c'tait une artistefascinante. La rptition n'tait pas essentiellement axe sur le jeu de scne, pourtant elle utilisait merveille un geste bauch de la main, un regard de ses yeux sombres, pour donner sonpersonnage toute la sensualit voulue.

    Cela lui venait-il naturellement? Mary n'aurait su le dire. Jamais elle n'avait vu chez unefemme un magntisme aussi fort, presque animal...

    Le rle du tnor tait videmment de succomber compltement son charme, et Brenner lefit avec tant de conviction que Mary se demanda s'ils n'taient pas un peu amoureux l'un del'autre. Puis elle se rappela Monica, la trop rcente tragdie, et se reprocha de se laisserprendre ce qui n'tait qu'une magnifique interprtation.

    Ainsi rassure, elle put tout entire se consacrer la magie des voix superbes qui s'levaientautour d'elle.

    Mary avait dj entendu parler de voix de mtal sans bien savoir ce que cela voulait dire.Celle de Nicolas tait de l'or pur, et la jeune fille demeurait fascine, ls lvres demi ouvertes,merveille et ravie. Elle avait peine croire qu'elle avait la chance de l'entendre de si prs.

    Quand ils travaillrent sur le dernier acte, Antha, qui n'en faisait pas partie, vint s'asseoir

  • prs d'elle. Nicolas est fantastique, murmura-t-elle. Personne d'autre que lui n'interprte cette scne

    avec un tel mlange de fureur et de dsespoir... Elle est merveilleuse aussi, rpondit Mary sur le mme ton. Oh, oui. Pas tonnant qu'il la tue ! reprit la cantatrice, nigmatique.La rptition cessa enfin, et tout le monde se mit parler en mme temps. Mary entendit

    Oscar Warrender dire au tnor : Vous tes dans une forme remarquable, Brenner. Merci, fit celui-ci avec un bref, sourire, avant de se tourner vers Mary. Prte?...

    Elle le fut instantanment. Mais Suzanne arrta Nicolas en lui posant la main sur le bras. Nick, ne vous sauvez pas! J'esprais que nous pourrions discuter un moment devant

    un souper lger... Pas ce soir, ma chre. Pardonnez-moi. Je suis arriv seulement ce matin, et la journe

    a t longue. Une autre fois.La cantatrice glissa un regard inquisiteur et fort peu amical sur la compagne de Brenner.

    Puis elle sembla trouver la jeune fille trop insignifiante pour lui tre une rivale. A bientt, fit-elle en s'loignant.Brenner et Mary se dirigrent vers la voiture. O dois-je vous conduire, monsieur? s'enquit Carter. Un endroit tranquille, o l'on mange bien, et o personne ne me demandera

    d'autographes... O se rend M. Deane, quand il dsire avoir la paix ? Laissez-moi faire, monsieur, rpondit le fidle chauffeur. Puis-je vous dposer, Miss

    Barlow ? Miss Barlow vient avec moi, dclara le tnor d'un ton dcid.Si Carter trouva cela trange, il n'en manifesta rien.Vingt minutes plus tard, il les dposa devant l'entre d'un petit restaurant trs priv qui

    correspondait parfaitement aux dsirs de Nicolas Brenner. Celui-ci le remercia et l'informaqu'il pouvait disposer de sa soire.

    Un peu intimide mais ravie, Mary pntra dans le clbre tablissement, suivie de soncompagnon. On les installa une table discrte, et Nicolas s'assit le dos tourn la salle, defaon ne pas attirer l'attention d' ventuels admirateurs.

    Il la consulta gentiment pour le choix du menu, mais dcida seul des vins. Elle s'en flicita,car sa connaissance en la matire tait plus que rudimentaire. La commande passe, Brennersembla enfin se dtendre compltement. Il demanda avec intrt :

    Avez-vous aim la rptition ? Plus que je ne saurais le dire ! s'cria Mary avec enthousiasme. Jamais je n'avais

    entendu des chanteurs clbres de si prs. J'en suis encore tout tourdie. Nous avons fait tant de bruit? demanda-t-il, amus. Cela doit tre assourdissant, dans

  • une si petite pice, quand on n'y est pas habitu... Ce n'est pas ce que je voulais dire, protesta-t-elle, scandalise. Ce qui tait

    fantastique, c'tait comment dire?... l'impact motionnel. J'ai entendu Carmen un bon nombrede fois, mais l, j'avais l'impression d'tre directement concerne par la tragdie finale,..

    Cela doit tre ainsi... A vrai dire, il m'arrive rarement de rpter sans me sentir moi-mme terriblement concern. C'est sans doute le cas de n'importe quel vritable artiste.

    J'ai entendu Monsieur Warrender dire que vous tiez particulirement en forme... Et jene crois pas vous avoir entendu une voix aussi blouissante !

    Vraiment? Le long repos, en partie... Et pour le reste... ? insista-t-elle.Son expression s'assombrit aussitt.. Tout fait autre chose, je suppose, rpondit-il nanmoins. Mais n'en parions plus... Je suis dsole, fit-elle vivement, de crainte de paratre indiscrte plutt que

    sincrement intresse. Il n'y a pas de quoi...Son lger sourire l'excusait, et elle se sentit draisonnablement enchante...Soudain, tout fait inattendu, il l'interrogea : Parlez-moi un peu de vous... De moi ?... Il n'y a pas grand-chose dire, protesta Mary.Mais il n'y avait rien de plus flatteur que la question de Brenner, et elle fit un rapide rcit

    de son existence. Et en dehors de vos heures de travail? insista-t-il. Je suis d'abord une auditrice passionne de concerts et d'opras, je vous l'ai dit.

    Quand j'tais jeune, ajouta-t-elle sans voir le sourire qu'elle provoquait, je voulais devenircantatrice. Mais en fait, je me suis aperue que je n'avais pas assez de talent. Je me contentedonc d'admirer les autres.

    Mais vous tes accompagne, quand vous allez au concert? Oh, oui ! Je me rends avec des amis, des relations... Personne en particulier ? Vous voulez me demander si je suis fiance ? Oui. Mais n'est-ce pas terriblement indiscret de ma part ?Mary secoua la tte. Oh, non ! cela ne me gne pas.Il l'interrogeait probablement sur son existence pour viter de rflchir la sienne. Ce n'est sans doute pas trs intressant pour vous, reprit-elle. Vous devez connatre

    des gens tellement passionnants... Racontez quand mme.Elle eut un petit sourire timide et joua un instant avec son verre. Mais elle se rendit

  • compte que, finalement, elle voulait bien lui parler de Barry. Cela la soulagerait mme, d'unecertaine manire, d'aborder le sujet avec quelqu'un d'aussi tranger sa vie.

    Cela doit arriver de nombreuses jeunes filles j'en suis sre. J'tais trs... j'aimaisbeaucoup un garon qui s'est brusquement fianc une autre. Cela date d'environ un an, etj'en suis remise, prsent. Suffisamment pour trouver stupide d'avoir pu envisager un instantque j'tais son type ou...

    Et quel tait son type? interrompit Brenner. Oh, quelqu'un de plus mondain, de plus sophistiqu que moi. Plus... plus intressant,

    vous voyez. Non. Je ne vois pas. Qu'y a-t-il d'intressant dans une personne mondaine et

    sophistique ? Eh bien... commena Mary, qui s'interrompit, incapable de trouver ses mots. Peu importe, intervint Nicolas. Continuez. Il a pous l'autre fille ? Non. C'est ce qui est trange... Pas le moins du monde! affirma lgrement Nicolas Brenner. Bien des hommes se

    reprennent juste temps. Vous tes vraiment rconfortant pour mon moral vacillant ! dit-elle avec un rire franc.

    Je ne voulais pas dire qu'il tait trange qu'il ne se soit pas mari. Mais... Ce qui est curieux,c'est que je ne l'ai appris qu'aujourd'hui. II est de retour Londres, et il m'a appele cetaprs-midi, au bureau.

    Pour vous annoncer qu'il avait renonc se marier ? Pas seulement. Il voulait que nous sortions ensemble ce soir. Mais, mon petit, vous auriez d y aller ! s'cria Brenner, sincrement dsol. J'tais dj prise, rappela-t-elle avec un sourire. La rptition avec vous... J'aurais compris!... Enfin, je le crois, ajouta-t-il avec une note de ralisme. Ce n'tait pas indispensable, assura la jeune fille. Au contraire, j'tais plutt contente

    d'avoir lui dire non . J'ai trop souvent dit oui , autrefois. Dans ce cas...Il se mit rire, puis soudain, il la regarda plus attentivement. Que se passe-t-il ? Vous semblez contrarie. Pensez-vous qu'il aurait mieux valu.Mary fixait un point derrire lui, les yeux agrandis. Ce n'est pas cela... Je... Quelqu'un que je connais vient d'entrer dans le restaurant...Nicolas Brenner n'tait pas artiste et intuitif pour rien. Ses yeux noisette observrent la

    jeune fille avec comprhension. Et j'imagine, par une concidence extraordinaire, qu'il s'agit justement du jeune homme

    en question? Ou... oui. Comment l'avez-vous devin? A votre expression. Et puis... la vie est ainsi. Elle joue souvent ce genre de farce...

  • Il y avait dans sa voix une amertume qui n'avait certainement rien voir avec les petitsproblmes sentimentaux de Mary...

    Vous a-t-il vue ? Pas encore... Il parle un autre homme. Alors, changez de place avec moi, proposa le tnor. Mais vous serez face la salle, et vous ne vouliez pas tre remarqu... Cela m'tonnerait que ce garon me demande un autographe ! rtorqua Brenner avec

    humour.Ils permutrent le plus discrtement possible. Mary se retrouva le dos aux autres

    convives.Cela doit vous sembler bien sot, s'excusa-t-elle. Si vous voulez tout savoir, cela m'amuse plutt, la dtrompa-t-il. Si le jeune homme

    s'approche, voulez- vous que je joue le rle du rivai perdu d'amour ? Non ! En fait, je vous dois des excuses pour vous mler ainsi mes affaires... Je vous en prie... C'est rafrachissant. Vous semblez oublier que je viens de rpter

    une scne de jalousie frntique et de dsespoir... Il ne me dplat pas d'infliger les mmessentiments quelqu'un d'autre...

    Elle se mit rire, soudain dtendue. Je ne pense pas Barry capable de dsespoir ni de jalousie frntique mon sujet,

    avoua-t-elle. C'est une honte ! rpliqua son compagnon. Il doit tre aveugle, ou stupide !...Ils burent leur caf en silence, Mary se dlectant de ces dernires paroles.Ensuite, elle lui posa quelques questions sur son rle dans Carmen, avant de passer au

    personnage de Lensky. Monsieur Deane dit que ce n'est pas un rle trs difficile... C'est vrai. Mais il demande une interprtation absolument parfaite, et contient, mon

    avis, un des plus beaux solos de toute la musique.Il eut un sourire trs jeune. Et puis, je m'aime bien dans la cape et le grand chapeau... Quand on doit mourir en

    duel, autant paratre auparavant romantique et pathtique...Elle rit tout haut et Brenner reprit mi-voix : Votre admirateur regarde dans cette direction. Qui, je crois qu'il a reconnu votre rire

    cristallin. Il se lve et s'approche...Elle n'y tait pas prpare, et sembla si contrarie qu'il posa une main sur la sienne,

    rassurant.Un instant plus tard, Barry tait devant elle, L'air amus et intress. Bonsoir! Que fais-tu l? demanda-t-il. Je dne avec monsieur Brenner, expliqua-t-elle un peu sottement. La rptition vient

  • de se terminer.Elle fit de rapides prsentations. Les deux hommes changrent des salutations plus

    courtoises que franchement cordiales. Je crois que je vous ai devanc... J'avais retenuMiss Barlow pour ce soir, dclara ngligemment le tnor. Pour une rptition, oui, elle me l'a dit, rtorqua Barry avec une prcision un peu

    agressive. Mais demain, c'est mon tour, je crois. Je n'en suis pas sr. Nous n'avons pas encore parl de demain, fit Brenner gaiement. Mary et moi, si. C'est dcid, rtorqua Barry sur le mme ton. Dans ce cas...Le chanteur eut un petit geste de regret en direction de Mary qui tait la fois ravie et

    vaguement effraye. C'est cela, demain, comme convenu, dit-elle vivement.Sans bien le faire exprs, elle adressa Barry un petit signe de tte froid, qui lui signifiait

    son cong.II se retira avec une certaine dignit. Si nous rentrions ? proposa alors Brenner. Oh oui, bien sr ! rpondit-elle, se rappelant qu'il devait tre fatigu de sa journe. Je

    suppose que vous voulez vous coucher le plus rapidement possible... Non ! rpondit-il avec une lgre grimace. Je vous raccompagne d'abord. Certainement pas! J'habite en banlieue. D'ailleurs, c'est direct, par le bus. Je le fais

    deux fois par jour.Il se contenta de demander l'addition. Puis il aida la jeune fille enfiler son manteau avec

    un air plein de sollicitude, avant de la suivre travers la salle de restaurant.Comme ils arrivaient la table de Barry, il eut un salut de la tte un peu hautain, comme

    savent en faire les clbrits qui veulent se faire respecter. C'tait tellement diffrent de sonarrive discrte deux heures auparavant, que Mary ne put s'empcher de demander, quand ilsfurent dehors :

    Pourquoi avez-vous fait cela ? Qu'ai-je fait? Ce salut...Il se mit rire. Oh... J'ai trouv que le jeune homme le mritait. A Cause de la faon dont il vous a trait ?

    Non. Dont il vous a traite, vous !Il hla un taxi et se tourna vers Mary. Quelle adresse ?

  • Au Gloria, sans doute, rpondit la jeune fille. Non. Je vous ramne chez vous, dcrta-t-il.Il aurait t malgracieux de refuser, et elle donna son adresse au chauffeur.Au bout de quelques instants de silence, elle dit avec chaleur : Monsieur, je ne sais comment vous remercier. Cette soire a t un rve pour

    l'amateur d'opras que je suis. La rptition, puis le dner avec la vedette du spectacle... L'une d'entre elles, murmura-t-il. La plus brillante ! s'exclama-t-elle avec une charmante partialit. Et cette gentillesse

    que vous avez manifeste pour les petits problmes personnels d'une admiratrice sansimportance...

    Aucune admiratrice n'est sans importance, Miss Barlow, rpondit-il, amus. En tout cas, vous m'avez accord la plus grande partie de votre soire. C'est

    merveilleusement aimable vous... N'avez-vous pas compris que j'tais heureux de m'occuper des affaires de quelqu'un

    d'autre, particulirement ce soir? demanda-t-il, tout rire soudain effac de sa voix et de sesyeux. C'est moi qui devrais vous remercier pour cette soire. Vous ne pouvez savoir quelpoint je redoutais mon arrive Londres...Il avait pari avec une telle amertume qu'elle en demeura muette. Je crois que je comprends, fit-elle enfin trs doucement. Autant qu'un tranger puisse

    comprendre la tragdie de quelque d'autre. C'tait, n'est-ce pas, l'ide de vous retrouver seuldans une ville o vous vous tiez si souvent trouv avec votre femme ?

    Il hocha lgrement la tte. C'est vrai pour bien d'autres villes, videmment, reprit-il d'une voix plus calme. C'est

    pourquoi le retour la vie publique me paraissait si horrible. Peut-tre... peut-tre maintenantcela me semblera-t-il moins insupportable.

    Mary tait terriblement mue. Je suis heureuse si j'ai pu vous apporter la moindre aide, dit-elle simplement. Il ne sert

    rien de dire n'y pensez pas , je le sais. Surtout quand il s'agit d'une personne aussimerveilleuse que votre pouse. Je l'ai souvent admire la sortie des artistes. Elle tait siradieuse, si parfaitement belle.

    Oui. Elle tait la plus parfaite crature que j'aie connue. Je suis tellement navre ! s'cria-t-elle en posant spontanment la main sur la sienne.

    Vous l'aimiez normment ?Il tourna lentement sa main et serra bien fort les doigts de la jeune fille. Non, dit-il, avec une effrayante dtermination. A la fin, je la hassais. C'est pourquoi j'ai

    tant de mal vivre prsent en ma propre compagnie. Je conduisais, quand l'accident estarriv. D'une certaine manire, je l'ai tue...

    2

  • Mary eut un haut-le-corps. Vous exagrez, maintenant, dit-elle, reprenant ses esprits. Vous ne l'avez pas tue. Vous

    tes tellement boulevers que vous vous tourmentez en voyant les vnements de la mauvaisemanire...

    Vous ne connaissez rien de l'affaire ! rtorqua-t-il avec colre. Des circonstances exactes, non, c'est vrai. Mais ne croyez-vous pas que cette sorte de

    raction arrive aux gens les plus innocents? Presque tous ceux qui ont perdu un proche dansun accident pensent ensuite : Pourquoi ai-je dit, ou fait, ou mme pens, ceci ou cela ? C'est normal. Ne laissez pas les faits prendre des proportions excessives.

    Ils taient dj disproportionns... Il m'est arriv de souhaiter sa mort. Et soudain...c'tait fait.

    Sa voix s'tait teinte dans un murmure. Mary dut faire un effort pour ne pas se laisser aller l'intensit dramatique de la scne.

    Vous aviez de vraies raisons de souhaiter sa mort?... D'avoir ces sentiments envers elle,je veux dire...

    Je le croyais. Mais...Il s'interrompit et eut un petit rire incrdule. Quelle drle de fille vous faites ! Vous ne semblez mme pas choque. Oh, je le suis, intrieurement, avoua Mary. Mais c'est sans importance, si cela vous fait

    du bien d'en parler... Curieusement, cela me fait du bien... dit-il comme s'il se parlait lui-mme. Dans ce cas, arrtons le taxi, et continuons pied. Sinon, nous serons arrivs chez moi

    dans cinq minutes.Ils payrent le chauffeur et marchrent quelques instants en silence... Soudain, semblant,

    pour un temps, la considrer comme une personne et non seulement une oreille attentive, ildemanda :

    Vous n'avez pas froid ? Pas du tout. Mais c'est vous que je devrais poser la question. Vous devez avoir une

    voix parfaite pour Don Jos la semaine prochaine, rappela-t-elle.Il se mit rire, lui prit le bras, et fit remarquer, pensif... Jos... Celui qui tue la femme qu'il aime... Suis-je suppose tirer de cela quelque intressante analogie? fit-elle un peu schement,

    bien rsolue ne pas le laisser se perdre dans ses rapprochements romantiques. Pas vraiment, rpondit-il, dconcert. Vous me trouvez un peu exhibitionniste ? Comme un tnor clbre a le droit de l'tre, rpondit-elle avec indulgence. Vous tes

    sans doute en train de me dire que vous tiez amoureux de votre femme, au dbut ? Evidemment! Elle... vous l'avez vue vous- mme ! on ne pouvait s'empcher de

  • tomber amoureux d'elle. Et quand cela a commenc aller mal, ce n'tait pas uniquement safaute. Je ne suis pas spcialement facile vivre. Les artistes ont tendance trop jouer surleurs nerfs... Et on vous le pardonne, sourit la jeune fille. Ainsi, vous tiez difficile, et elle... je suppose

    que tous les hommes lui faisaient la cour, ce qui vous rendait jaloux... Pas au dbut. Curieusement, ce fut elle la premire l'tre. Voyez-vous cela semble

    idiot mais il y a quelque chose dans l voix, surtout celle d'un tnor, qui attire...Le rire joyeux de Mary allgea l'atmosphre. Ne m'en parlez pas! Des rangs d'orchestre au poulailler, il n'y a pas une femme qui ne

    soit sensible au charme du tnor. Mme s'il est affreux. Si en plus il a votre physique... eh bien,c'est carrment injuste !

    N'allons pas jusque-l... Mais cela pose parfois certains problmes... La grandedifficult, c'est qu'elle aimait tout ce qui est li la clbrit, au succs. Elle ne s'en lassait pas,tant que je n'tais pas le centre exclusif de l'attention gnrale : cela la rendait jalouse. Et ellese mit ... rivaliser avec moi, je pense que c'est le mot. Elle voulait montrer qu'elle taitgalement capable de se faire remarquer si elle y tenait. Je ne m'exprime pas trs bien, carc'est pour moi une sorte d'affreuse nigme... Je ne sais pas vraiment moi-mme quel momentnous avons perdu le contact.

    J'imagine qu'on le sait rarement, dit tristement Mary. Je me suis simplement aperu un jour que ma femme jouait dlibrment avec les autres

    hommes. Alors, nous avons commenc nous quereller. Des disputes affreuses, acides, enpriv, derrire une faade souriante en public. Je ne savais plus si je jouais plus en scne quedans ma vie personnelle. Puis, le dernier matin...

    Il s'arrta, comme incapable de continuer. Poursuivez, mit tranquillement Mary. Comme d'habitude, nous nous tions heurts propos d'une btise : savoir qui

    conduirait la voiture. J'ai insist. C'est moi qui ai pris le volant. Il y a eu l'accident. Elle a ttue.

    Us firent une halte spontane. Etiez-vous responsable de l'accident ? demanda la jeune fille. Je ne sais pas, rpondit-il en lui serrant fortement l'avant-bras, sans s'en rendre compte.

    Je ne sais pas, je ne le saurai jamais. C'est ce qui m'te toute joie. Mme en chantant.Elle tait tellement bouleverse qu'elle faillit tomber dans les bras de l'homme en un

    mouvement de chagrin et de compassion. Heureusement, son bon sens prit le dessus. Et, poursa plus grande stupfaction, elle s'entendit dire :

    Il n'y a pas de quoi dramatiser. Arrtez de jouer le rle du Slave mlodramatique!Pourquoi ne sauriez- vous pas, pour l'amour du ciel? Pour commencer, y avait-il une autrevoiture en cause ?

  • Elle sentit pratiquement le choc salutaire traverser son compagnon. Enfin, il rpondit, commeun colier un examen difficile :

    J'ai heurt un camion gar du mauvais ct de la route et... Alors, vous n'tiez pas responsable ! Si j'avais t plus attentif... Mais elle venait de me provoquer une nouvelle fois. J'ai

    tourn la tte vers elle pour lui assner une rplique violente... et c'est arriv. C'est donc encore moins de votre faute, dclara fermement Mary. Je suis affreusement

    dsole pour elle, mais c'est elle qui a provoqu votre distraction, donc l'accident. Vousaccuser de l'avoir tue n'est qu'une comdie mlodramatique !

    Il y eut un silence extraordinaire. Mary se rappela soudain qu'il tait un trs clbre artiste etqu'elle tait en train de le bousculer au sujet de sa vie prive. Elle ferma un instant les yeux,attendant le dclenchement de l'orage... mais, son immense surprise, Nicolas Brenner sepencha pour l'embrasser.

    En tant que Slave mlodramatique, dit-il, du rire dans la voix, je ne peux que vousremercier pour votre solide bon sens britannique. Quel est votre prnom, au fait ? Je neconnais de vous que Miss Barlow...

    Mary, rpondit-elle d'une toute petite voix. Je ne sais pas ce qui m'est arriv, poursuivit-elle. Je suis terriblement...

    Mary...Il savourait le nom avec une sorte d'amusement. Bien sr, murmura-t-il, cela devait tre Mary. Eh bien, jeune fille, je ne saurais vous

    promettre de ne plus jamais jouer le Slave mlodramatique, mais... Je vous en prie... Puis-je retirer cette parole malheureuse ? Pas question ! Nous avons trop tendance nous attendrir sur nous-mmes, voyez-vous.

    Je suis certain que votre bon sens est fort utile. Vous tes gentil, fit Mary, pleine de remords. Je vous en supplie, ne me croyez pas

    indiffrente. Je vous remercie encore pour cette magnifique soire... Je dois vous quitter ici.Voici ma rue. Ma maison est par l... La petite avec une porte blanche...

    Vous habitez seule ? Non, avec mes parents. Je vous ai parl d'eux pendant le dner, mais je ne vous ai peut-

    tre pas expliqu que je vivais avec eux.Soudain, elle eut la folle envie de l'inviter faire leur connaissance. Mais, bien que son pre

    et sa mre possdent une certaine dose de philosophie, ils risquaient de trouver un peuinattendue l'intrusion d'un tnor clbre cette heure de la nuit.

    Elle se contenta donc de conduire Brenner la plus proche station de taxis. Ils allaient sequitter quand il demanda :

    Sortirez-vous de nouveau avec moi, Mary ?Elle hsita un instant, partage entre le dsir d'accepter avec enthousiasme et le devoir de

  • lui rappeler qui elle tait. Si vous pensez avoir le temps pour... la secrtaire de Monsieur Deane... Demain soir ? suggra-t-il. Je ne peux pas, je le crains, dit-elle. Je sors avec Barry. Ce jeune homme aveugle qui voulait pouser quelqu'un d'autre ! Bien alors, une autre

    fois.Comme elle se dtournait, il la retint par le bras. Lui direz-vous que je vous ai embrasse ? interro- gea-t-il avec une pointe d'ironie. Bien sr que non! C'tait une... une impulsion, une sorte de plaisanterie ! C'est donc ce que vous en pensez, rtorqua-t-il, toujours amus mais un peu

    dcontenanc. D'accord. Mais celui-ci est tout fait dlibr...Il lui releva le menton et lui plaqua un nouveau baiser sur les lvres. Qu'en dites-vous ? Parfaite sortie... parvint-elle articuler d'une voix lgre avant de se dgager pour

    emprunter le chemin de sa maison sans se retourner.Une fois chez elle, elle s'appuya contre la porte d'entre et passa une main sur ses lvres. Je suis folle , se dit-elle. Compltement folle. Nicolas Brenner m'a embrasse... et j'ai

    ador cela... C'est toi, Mary ? appela sa mre depuis le salon. Oui, Maman, rpondit-elle en entrant. Il me semblait bien. Quelle longue rptition cela a d tre... Tu dois mourir de faim,

    ma chrie ! Oh, non, Maman. Je... on m'a emmene dner, ensuite. Barry ? s'enquit Mme Barlow avec un ton qu'elle voulait dgag. Barry ? rpta Mary, sans se rendre compte que son intonation excluait l'ide mme

    de ce dernier. Non, Nicolas Brenner. Dieu du ciel !Sa mre posa un instant son tricot pour examiner la jeune fille avec intrt. Tous les deux seuls, tu veux dire ? insista-t-elle.Mary acquiesa. Mme Barlow reprit son ouvrage. Cela a d tre passionnant, de sortir avec un chanteur aussi clbre. A moins qu'il ne

    soit affreusement ennuyeux, hors de scne? Cela arrive, je crois. II ne l'est absolument pas ! Au contraire, il s'est montr extrmement gentil et s'est

    dlicieusement occup de moi. Il n'a pas voulu me laisser entrer seule et m'a raccompagneen taxi. N'est-ce pas charmant ?

    Tout fait. C'est une attitude trs convenable.Mary repensa au dernier baiser et se dit que convenable n'tait peut-tre pas le terme

    exact... Aussi dtourna-t-elle la conversation en se lanant dans un rcit dtaill et joyeux de

  • sa journe. Et, sa grande surprise, elle s'aperut qu'elle parvenait parler de Barry le plusnaturellement du monde. Elle ajouta qu'il n'avait pas t particulirement ravi de la voir aurestaurant en compagnie du clbre chanteur.

    Je crois que j'aime bien ce Nicolas Brenner, dclara Mme Barlow.Mary se mit rire, embrassa sa mre et monta se coucher le cur tout lger.

    Le lendemain matin, Dermot Deane, qui tait rentr la veille au soir de Paris, arriva aubureau peu de temps aprs la jeune fille. Celle-ci lui demanda comment s'tait pass sonvoyage. Remarquablement bien. On ne sait jamais, avec la Torelli. Mais quand on a sa

    sympathie, elle est de toute confiance. Sans doute a-t-elle raccourci ma vie de dix bonnesannes, depuis que je la connais, mais je l'adore... Et la rptition?

    Formidable ! Monsieur Warrender semblait content. Et Monsieur Brenner m'aemmene dner.

    Tous les deux seuls? demanda Dermot Deane, comme l'avait fait Mme Barlow. Oui. Ai-je eu raison d'accepter ? Si vous le jugiez bon, videmment ! rpondit Dermot Deane en riant avant de se

    renverser dans son fauteuil pour l'observer avec intrt. Vous tes un petit animal ttu, votremanire, non?

    Non ! s'indigna Mary. Pourquoi dites-vous cela ? Je me demandais seulement comment vous avez fait pour l'enlever au nez et la barbe

    de Suzanne Thomas. Elle ne voulait pas sortir avec lui ? Si, avoua Mary contrecur. Mais il tait fatigu. Et puis, il m'avait dj invite. Il tait

    dprim l'ide de se retrouver Londres pour la premire fois depuis l'accident. Suzanne aun caractre un peu trop affirm, si l'on se sent cafardeux, ne croyez-vous pas ?

    Moi, mon petit ? Si vous voulez mon avis, Suzanne Thomas a toujours une personnalittrop forte pour mon got ! Ainsi il a refus ses avances et vous a emmene sa place? J'ai ditque vous tiez ttue...

    Ils se mirent enfin au travail.Mary fut tellement occupe toute la journe qu'elle n'eut pas le temps de s'attarder au

    souvenir de la veille. Cependant, elle fut vaguement dsappointe d'arriver la fin de l'aprs-midi sans avoir eu de nouvelles de Nicolas Brenner...

    N'avait-il aucunement besoin d'elle ?Au lieu de s'occuper de lui, elle dut passer une grande partie de son temps avec un fort

    pnible baryton qui avait une opinion excessive de son talent.Il la retint tellement longtemps, racontant sa vie en dtail et en deux langues diffrentes,

    qu'elle s'attendit avoir au moins un quart d'heure de retard son rendez- vous avec Barry.Elle venait de classer son dernier dossier et allait chercher son manteau quand le

  • tlphone sonna.Elle faillit l'ignorer. Mais sa conscience professionnelle l'emporta. Elle dcrocha donc,

    avec un allo plus sec que de coutume.Il y eut un petit silence. Puis la voix de Nicolas Brenner demanda s'il s'agissait bien de

    Miss Barlow... Monsieur Brenner !Elle ne s'aperut pas que le changement de son intonation tait presque comique. Je ne vous avais pas reconnue, dit-il. Je suis navre. Je ne pensais pas vous entendre. Je croyais qu'il s'agissait d'un trs

    ennuyeux baryton qui... Je vous en prie ! Je ne supporterai pas une telle insulte ! Etre confondu avec un

    baryton est en soi un choc pour tout tnor qui se respecte. Mais un ennuyeux baryton...Elle se mit rire de bon cur. Je retire ma phrase! Que puis-je pour vous, Monsieur-le-tnor-pas-ennuyeux-du-tout

    ? Rien, si vous persistez sortir avec ce Barry, dont j'ai oubli le nom de famille, qui ne

    vous mrite pas! Barry Courtland... Et je persiste sortir avec lui ce soir. J'ai promis. Je vois... Eh bien, amusez-vous modrment... Et ne lui laissez pas trop d'espoir pour

    vos soires venir. Que diriez-vous d'assister au concert Warrender avec moi, vendredi soir? Merveilleux! s'cria la jeune fille enthousiasme. Vous avez des places? Tout est dj

    lou, vous savez ! Une salle n'est jamais entirement retenue, cela n'existe pas, fit-il ngligemment. Vous

    dnez avec moi avant?Elle ravala l'acceptation spontane qui lui venait aux lvres. Monsieur, ne croyez pas un snobisme rebours ou quoi que ce soit de ce genre...

    Mais je suis seulement secrtaire, vous savez. Je suis terriblement heureuse de venir avecvous au concert. Le dner serait un peu... un peu trop. Je suis certaine que vous comprenez...

    Je crains que non ! rpondit-il poliment. Expliquez-vous. Oh... s'cria Mary en jetant un coup d'oeil sa montre. Je ne peux vous le dire par

    tlphone. S'il vous plat, puis-je accepter seulement l'invitation au concert et refuser celle dner ?

    Non. Pardon..? J'ai dit non . Je suis un peu caractriel. Tous les tnors le sont. C'est un privilge de

    ce mtier...Elle ne put s'empcher de rire de nouveau. Jamais elle n'avait connu une personne

    capable de la faire rire ainsi... Mais elle tint bon.

  • Je serai ravie de vous accompagner au concert, mais je crains de ne pouvoir dneravec vous avant, dclara-t-elle fermement. Pouvons-nous nous retrouver prs de la caisse huit heures moins le quart ?

    Il y eut un petit silence tonn. Si vous le dites, rpondit-il enfin, oui... Merci beaucoup. Maintenant, je dois vraiment m'en aller. Oui. J'espre que Barry est en train d'attendre ! rtorqua-t-il avec une note de

    satisfaction dans la voix.Malgr ses efforts, Mary arriva en effet en retard son rendez-vous. A bout de souffle,

    elle s'excusa auprs de son compagnon. Il l'embrassa comme s'il en avait parfaitement le droit... Et, songeant au pass, peut-tre

    tait-ce normal ? Ce n'est pas grave, assura-t-il. Comme tu es jolie, Mary ! D'o te viens cet clat, cette

    vivacit? C'est parce que je me suis dpche, rpondit-elle vivement. Certainement pas! s'insurgea-t-il en l'attirant contre lui. C'est quelque chose de plus

    subtil. Un prince charmant est venu embrasser la princesse pour la rveiller... Je ne vois pas ce que tu veux dire !Elle tait sincrement tonne : les paroles ironiques de Barry lui rappelaient la faon dont

    Nicolas l'avait embrasse la veille... Ne le prends pas au pied de la lettre! fit le jeune homme, sans cesser de l'observer, un

    peu intrigu. Simplement, tu as... grandi. Tu n'es plus un oiseau au nid, tu as pris ton envol pourdcouvrir le monde par toi- mme... Et c'est trs sduisant, ma douce. Personne ne t'a-t-il ditque tu tais devenue ravissante, en un an ?

    Non. Mais mon patron m'a traite de petit animal ttu, rpliqua-t-elle en riant, ladescription est moins idale, je le crains...

    Et plus prometteuse... Oh, Mary! Que c'est bon de se trouver prs de toi de nouveau...Elle tait heureuse aussi d'tre prs de lui. Elle se tiendrait sur ses gardes, cette fois. Elle ne

    se ferait pas d'illusions. C'tait seulement dlicieux de parler et de rire avec Barry commeautrefois.

    Il lui avait terriblement manqu. Elle avait mis de longs mois accepter l'ide qu'il n'y et plusrien entre eux. Il appartenait une autre. C'tait horriblement douloureux, mais elle avait finipar s'y faire. Et prsent, il tait de retour, libre...

    Elle n'avait pas besoin de se surveiller, de faire attention... Du moins pas plus que sa sagessenaturelle ne le lui imposait. Elle pouvait laisser ses sentiments s'panouir, sans se sentircoupable. Et, si, les regards admiratifs dont il la couvrait signifiaient quelque chose, il la trouvaitinfiniment plus attrayante que l'anne prcdente. Elle tait autrefois charmante, agrable. Elletait prsent mystrieuse et captivante.

  • A-t-il chang ? Ou est-ce moi ? se demanda-t-elle, plus tard, dans son son lit, enrepensant leur soire.

    Il tait bien normal qu'elle ft enchante par la nouvelle impression qu'elle produisait sur lejeune homme. Son cur, mais aussi son amour-propre avaient t terriblement blesss parl'abandon de Barry. Et elle tait ravie de constater qu' prsent, il tait videmment sous soncharme.

    Vous apprenez vite, dclara Dermot Deane le lendemain matin.Il faisait allusion son travail, mais, tout au fond d'elle, Mary savait qu'elle apprenait

    rapidement bien d'autres choses... Tout est tellement intressant, au bureau, rpondit-elle sincrement. Sans doute, reprit son patron avec un sourire pensif. Je me demande parfois pourquoi je

    persiste vivre au milieu de ce jeu effrayant. Mais je suis un admirateur-n. Je dprirais, sansles hauts et les bas, les crises et les triomphes de cet univers fou et fascinant... Au fait,pourriez-vous trouver le temps d'aller voir Suzanne Thomas, cet aprs-midi ?

    Eh bien, oui... Si vous le dsirez. Elle habite un appartement de location de Hill Street,n'est-ce pas?

    Oui, rpondit Deane en s'emparant d'un paquet.Elle aimerait avoir la nouvelle partition de Dickenson Price. Ce n'est pas tout fait son

    emploi, cependant elle dsirerait y jeter un coup d'oeil, et a demand que vous la luiapportiez.

    Moi?... Personnellement? s'tonna Mary. J'aurais cru... Que n'importe quelle employe aurait pu s'en charger, termina Deane. Moi aussi.

    Mais les paroles de la Princesse taient : Votre Miss Barlow pourrait- elle mel'apporter?

    Je n'aurais jamais imagin qu'elle savait mon nom... Moi non plus. Et ne me demandez pas ce qu'elle a dans la tte... Si vous ne voulez

    pas y aller... Cela m'est gal, rpliqua Mary.En fait, sa curiosit tait plus forte que l'antipathie mal dfinie qu'elle ressentait pour la

    sduisante cantatrice.Elle tait encore la proie de ces sentiments mitigs dans le silencieux ascenseur qui

    l'emportait vers l'appartement de Suzanne Thomas.Celle-ci vint lui ouvrir elle-mme et lui adressa un sourire nonchalant mais non dpourvu

    d'amiti. Entrez. C'est gentil vous de m'apporter la partition. Je sais que cela vous a

    drange, mais j'avais tellement hte de savoir si c'tait ou non un rle pour moi... Je le comprends, rpondit Mary avec un sourire aussi comprhensif que possible.La cantatrice l'invita passer au salon avec une telle insistance qu'il et t grossier de

  • refuser. Travaillez-vous pour Dermot Deane depuis longtemps ? interrogea-t-elle en servant le

    th. C'est un homme merveilleux, non?Mary acquiesa de tout cur, et ajouta qu'il tait un excellent patron et que trois semaines

    dans son bureau lui avait suffi pour le constater. Seulement trois semaines ? Vous avez sans doute travaill pour d'autres agents, dans ce

    cas?Mary raconta qu'elle avait saut sur la chance de passer du monde juridique au monde

    artistique qui l'avait toujours passionne en tant qu'auditrice. Ainsi, reprit la cantatrice, vous connaissiez Nicolas Brenner seulement de l'autre ct de

    la rampe? Et vous la connaissiez, elle... Monica?Les questions se suivaient si rapidement et avec tant de naturel, que Mary rpliqua sur le

    mme ton : Mais, Miss Thomas, je ne connais pas bien M. Brenner, et pas du tout Mme Brenner... Vraiment? insista l'autre avec un sourire sceptique. Pourtant, il semblait vous considrer

    comme une amie de la famille, l'autre soir. Il n'a pas voulu sortir avec moi, mais il tait prt vous emmener...

    Il tait ridicule de vouloir se justifier... Mary se dit que si elle refusait de satisfaire la curiositde son interlocutrice, cela donnerait une importance excessive un vnement tout fait banal.Aussi expliqua-t-elle un peu froidement que son patron lui avait demand de s'occuper deNicolas Brenner depuis son arrive l'aroport de Londres.

    Et, comme je suis tout fait novice dans ce travail, j'ai acquiesc toutes lespropositions de M. Brenner, conclut-elle en souriant.

    Et il vous a suggr de sortir avec lui aprs la rptition... Vous avez bien russi, MissBarlow !

    Celle-ci avait du mal garder son calme. Je pense que sa premire soire Londres devait tre pleine de souvenirs. Je ne suis

    pas au courant de son pass, et, il faut bien le dire, mon insignifiance lui a sans doute faitprfrer ma compagnie toute autre...

    Vous avez probablement raison, rpondit Suzanne avec un sourire presque amical...Presque seulement... C'est triste pour Monica, poursuivit-elle aprs un petit silence. Mais, comme vous

    devez le savoir, elle tait devenue un tel problme que, d'une certaine manire, sa disparitiontait un soulagement et une solution cette sinistre situation.

    Miss Thomas, hormis les racontars, j'ignore tout de la vie prive des vedettes quellesqu'elles soient.

    Nick ne vous a parl de rien ?La question tait franchement indiscrte, et Mary n'eut aucun remords de mentir.

  • Certainement pas ! Il ne m'a pas sembl tre le genre d'homme raconter sa vie unesecrtaire inconnue. Et c'est ce que je suis, tout compte fait.

    Vous vous sous-estimez...La cantatrice se mit rire. Elle tait enfin satisfaite. D'ailleurs, elle ne fit plus d'effort pour

    retenir Mary...En rentrant au bureau, la jeune fille tait lgrement ennuye. C'tait juste un prtexte pour me faire parler, avoua-t-ell son patron. A quel sujet ? Votre sortie avec Brenner? Oui. Comment le savez-vous? Elle est sans cesse aprs lui. C'tait la meilleure amie de Monica... Et, dans ce mtier,

    il n'y a pas pire que les meilleures amies ! Maintenant que Monica a disparu, Suzanne va sansdoute se jeter au cou de Nicolas. Et elle n'entend pas tre supplante, ni par vous ni parpersonne.

    Mary eut un petit rire colreux. Elle ne peut pas tre assez stupide pour me considrer srieusement comme une rivale

    ! fit-elle schement. Je n'ai rencontr M. Brenner que deux fois. Une fois l'aroport, en mission commande , et l'autre une rptition o il y avait une douzaine d'autres personnes.

    Mais il vous a emmene dner, mon petit ! Parce que j'tais une compagne calme et peu exigeante. Possible... fit Deane en se caressant pensivement le menton. Calme et peu exigeante...

    Cela a d lui paratre nouveau ! Eh bien, nous verrons s'il ritre son invitation...Pour sa plus grande fureur, Mary sentit le sang lui monter aux joues, d'autant plus que son

    patron continuait de la fixer d'un air amus. J'ai dit que vous tiez un petit animal ttu. Pourquoi rougissez-vous ? Je ne rougis pas! De toute faon, autant tre franche, M. Brenner m'a dit qu'il avait

    par hasard des billets pour le concert Warrender de demain. Il m'en a propos un. Et, par hasard, vous avez accept, je parie? Connaissez-vous une personne capable de refuser une place pour ce concert?

    rtorqua Mary. Non... En effet. Amusez-vous bien. Mais et l je ne plaisante plus faites

    attention vous si Suzanne Thomas est dans les parages.La jeune fille se contenta d'affirmer qu'elle tiendrait compte du conseil.Cette conversation avait clair les vnements d'une nouvelle lumire, tout fait

    passionnante. Jamais elle n'aurait os en rver... Elle eut mme quelques regrets d'avoir refusl'invitation dner.

    Il ne faut pas y attacher plus d'importance que cela n'en a se dit-elle raisonnablement. Si n'importe qui d'autre m'avait invite...

    Mais ce n'tait pas n'importe qui. C'tait Nicolas Brenner. Et Mary commenait

  • apprendre que sortir avec une clbrit provoquait bien plus de remous que d'tre invite parun ami agrablement anonyme.

    Elle en eut une preuve supplmentaire le lendemain soir... Redoutant d'arriver en retard leurrendez-vous, elle fut, videmment, ridiculement en avance. Elle rencontra donc ses camaradeshabituels qui vinrent changer quelques mots avec elle, lui demander comment cela se passaitchez son imprsario, donner leur opinion sur les diffrents artistes entendus rcemment.

    Gnralement, Mary prenait grand plaisir ces conversations btons rompus. A prsent,l'arrive imminente de Nicolas Brenner la rendait nerveuse.

    Enfin, l'un de ses amis lui demanda o elle tait place, ce soir-l. Comme un nouveau riches'excusant de possder une Rolls Royce, elle rpondit vaguement :

    A... l'orchestre, je crois. Grce ton travail chez Dermot Deane, sans doute ?... Oh, voici Nicolas Brenner. Il a

    vieilli, depuis l'accident, non? Mais quelle allure il a ! On dirait qu'il cherche quelqu'un... C'est moi qu'il cherche, fit Mary d'une toute petite voix.II y eut des murmures flatteurs dans le groupe de ses amis. Elle se dpcha d'ajouter, de

    peur de paratre prtentieuse: Non, ne vous sauvez pas. Je vais vous prsenter.Fascins comme seuls le sont les admirateurs inconditionnels quand la vedette se tourne vers

    eux, ses camarades demeurrent clous au sol. Mary s'entendit dire, un peu nerveuse : Monsieur, puis-je vous prsenter quelques-uns de vos spectateurs les plus passionns?

    Nous attendons tous avec impatience Carmen ...Immdiatement et sans effort, il accepta de la meilleure grce du monde les compliments

    timides des jeunes gens avant de diriger Mary vers leurs places. Tandis que les autres,stupfaits, grimpaient au poulailler.

    Merci de votre gentillesse, dit doucement la jeune fille quand ils se furent installs dansleurs fauteuils.

    Vis vis de vos amis? Mais ma chre enfant, pourquoi me serais-je montr dsagrable? Non seulement ils sont vos amis, mais ils font partie de mon public. Et aucun artiste n'a ledroit de sous-estimer son public. Sans lui, nous n'existerions pas !

    C'est vrai.. Mais je ne voulais pas me montrer fire d'tre avec vous... ajouta-t-elle enun brusque accs de franchise.

    J'espre pourtant que vous l'tiez !Il lui jeta un vif regard qui lui fit un effet trange. Bien sr, j'en suis terriblement heureuse, avoua- t-elle navement. Cependant je ne tiens

    pas ce qu'ils me croient prtentieuse. Ce n'est pas parce que mon travail chez M. Deane mefournit l'occasion de me trouver en compagnie d'une clbrit...

    Ma chrie, vous vous posez de bien curieux problmes ! D'abord, personne ne pourraitvous souponner de manquer de loyaut envers vos amis. Deuximement, si vous tiez ainsi, je

  • ne vous aimerais pas autant. Etes-vous satisfaite? Oui, murmura Mary.Et elle s'absorba dans l'tude de son programme pour qu'il ne pt voir quel point ses

    paroles lui avaient fait plaisir. Il m'a appele ma chrie! Il a dit qu'il m'aimait! Oh, sans doute n'est-ce que sa manire

    habituelle d'tre aimable... Je dois lever les yeux, me conduire raisonnablement... Mais je nepeux pas. Si je regarde mon programme un peu plus longtemps...

    Elle s'aperut soudain que son compagnon venait de se lever pour saluer quelqu'un. Elle lesuivit du regard. Immdiatement, elle fut envahie d'un grand froid.

    Nicolas parlait Suzanne Thomas, somptueuse, vtue de velours noir et de zibeline. Et, bienque sa bouche sensuelle ft anime d'un sourire, elle jeta en passant un regard froid et dur Mary.

    Par la suite, Mary pensa que l'une des plus grandes russites de Warrender ce soir-l fut delui faire oublier Suzanne Thomas... Ou presque.

    Comme les notes glorieuses de sa symphonie prfre s'emparaient de son cur et de sonme, elle se disait que plus rien d'autre n'avait d'importance...

    Cependant, elle aurait aim que la jeune cantatrice ne se trouvt pas juste de l'autre ct del'alle. Elle ne pouvait la voir sans se pencher en avant, mais elle avait la dsagrableconscience de sa prsence hostile.

    A l'entr'acte, Nicolas Brenner lui demanda si elle voulait l'accompagner au bar. La jeune fille,comme un escargot qui ne trouve protection que dans sa coquille, secoua la tte.

    Non, merci. Je vais rester l et tudier de plus prs le programme, rpondit-elle ensouriant. Mais je vous en prie, allez-y. Des tas de gens dsirent certainement vous parler.

    Il fit une petite grimace, et s'loigna. Mary constata alors avec soulagement que le fauteuil deSuzanne tait vide. Elle ne tenait surtout pas tre oblige d'changer quelques paroles decourtoisie avec elle. Elle s'absorba donc dans sa lecture.

    Durant quelques instants, les voix autour d'elle ne furent qu'un murmure indistinct. Puis elledtecta une intonation familire qu'elle situa aussitt : il s'agissait d'Antha Warrender, la femmedu chef d'orchestre.

    Bien sr, nous comptons sur vous aprs le concert, Suzanne, disait-elle. C'est un petitsouper pour quelques amis et confrres. J'ai aperu Nick Brenner au foyer, mais je l'ai ensuiteperdu de vue. J'espre qu'il sera des ntres aussi.

    Cela m'tonnerait, rpondit la jeune cantatrice d'une voix particulirement claire. Cettefille, de chez Dermot Deane, est arrive se faire inviter. Elle ne le lchera pas si facilement.Elle le colle, en ce moment, et il ne sait pas trop comment se dbarrasser d'elle.

    Vraiment?Antha semblait tonne, se dit Mary en inclinant plus encore la tte vers le livret pour ne

    pas tre reconnue.

  • Je la trouvais plutt gentille et discrte... reprit Antha. Oh, mon Dieu !... s'cria Suzanne en clatant d'un rire plein de sous-entendus. Invitons-la aussi, suggra Antha avec quelque obstination. A votre place, je n'en ferais rien, fit vivement l'autre jeune femme. Elle reprsente une

    sorte de menace, sa faon. Pour la tranquillit de Nick, il vaut mieux ne pas l'encourager...Elle pourrait mme jeter son dvolu sur Oscar, cela ne me surprendrait pas!

    Antha clata d'un rire trs gai, et dclara qu'Oscar tait assez grand pour veiller sur lui-mme. Mais si Suzanne craignait que l'invitation ne post des probl- mes Nick, elle yrenoncerait... encore que ce ft dommage.

    Les voix s'loignrent, et Mary resta dans son fauteuil avec toute sa rage et son humiliation,les joues rouges de honte.

    Comme si elle avait pu seulement envisager de s'imposer dans une runion d'artistesdistingus ! D'autre part, elle ne voulait pas priver Nicolas Brenner de cette soire avecses amis. Comme elle regrettait tout cela !

    Elle pouvait, videmment, lui dire qu'elle dsirait rentrer chez elle tout de suite aprs leconcert. Mais l'accepterait-il ?

    Si seulement...A ce moment-l, Barry vint se laisser tomber dans le fauteuil libre prs d'elle. Bonsoir ! Que fais-tu l, toute seule ?Jamais elle n'avait t plus heureuse de le voir. Tu es seul aussi ? Oui, fit-il avec un petit sourire nigmatique. Fais-tu quelque chose, aprs le concert ? Rien, sauf si tu acceptes de venir boire un caf avec moi... Volontiers, accepta Mary vivement. Tiens, voil Nicolas Brenner. Tu as pris son

    sige, au fait... Je t'en prie, quand je dirai que tu me raccompagnes la maison, ne mecontredis pas !

    Evidemment ! rpondit le jeune homme, surpris et intrigu. Il t'ennuie ? Oh, non ! eut juste le temps de s'crier Mary avant l'arrive du tnor qui adressa

    un bref signe de tte Barry. Merci, Barry, reprit-elle, haute voix. Je te retrouverai au pied de l'escalier la fin

    du concert.Quand Barry eut regagn sa place, Brenner demanda schement : Qu'est-ce que cela veut dire? Vous m'accompagnez en coulisses, tout l'heure.

    Ensuite, nous irons souper. Oh, non... vraiment. Vous irez sans moi. J'ai

    entendu Antha Warrender parler d'un dner auquel vous tes invit... Et pourquoi pas , vous, puisque vous tes ma compagne pour la soire? Sauf si nous

  • dcidons de sortir tous les deux seuls, videmment... Cela ne m'est jamais venu l'ide ! rpliqua la jeune fille feignant l'tonnement. Je veux

    dire... c'est tellement gentil vous de m'avoir fait profiter d'un de vos billets... Mais jen'aimerais pas participer ce genre de dner. J'y serais tout fait dplace. Et puis, lesWarrender ne m'y attendent pas. Sans doute M. Warrender ignore-t-il jusqu' mon nom...

    Les prsentations existent... fit-il avec colre. Vous m'avez prsent vos amis, pourquoin'en ferais-je pas autant avec les miens ?

    C'est diffrent, murmura Mary tandis que le chef d'orchestre entrait sous un tonnerred'applaudissements. Je vous en prie, ne vous fchez pas. Je... je croyais avoir tout arrang aumieux...

    Vous vous trompiez ! fut la sche rponse du tnor.Et il concentra toute son attention sur Warrender.Elle voulut poursuivre la conversation, mais Nicolas tait soudain compltement absent... Et

    elle en ressentir un grand froid.Les premires notes s'levrent, pourtant Mary n'y prit pas garde. Jamais de sa vie, elle ne

    s'tait sentie aussi malheureuse. La musique ne l'intressait plus. Tout ce qu'elle voulait, c'taittre amie avec Brenner.

    Elle le regarda, voulant l'obliger se tourner un instant vers elle. Mais, grave et obstin, ilfixait l'orchestre. Il jouait de nouveau le Slave mlodramatique , se dit-elle avec colre...Cette phrase ne les ferait plus rire ensemble. Leur amiti aurait t prcieuse mais fragile... Etelle venait de tout gcher.

    Elle baissa les yeux et essaya de matriser le tremblement de ses mains. En vain. Elle nepouvait que constater cette raction stupide, la gorge serre, les paupires brlantes.

    a suffit ! se dit-elle. Tu peux te contrler ! Ce n'est pas plus difficile que des'empcher de tousser au milieu d'un solo !

    Mais a l'tait... Et elle ne put garder une certaine contenance qu'en tenant ses yeuxbaisss. Aussi vit-elle tout de suite la main de son compagnon venir se poser sur les siennespour les immobiliser.

    Elle en fut tellement soulage qu'elle voulut lever le regard vers lui, lui sourire... Elle battitdes cils, et, pour sa plus grande honte, une norme larme vint s'craser sur les doigts deNicolas Brenner.

    Il la serra un peu plus fort et murmura : Je suis dsol. Moi aussi, rpondit-elle sur le mme ton.Et, aussi incroyable que cela part, ils demeurrent main dans la main durant tout le

    premier mouvement.Ensuite, il la lcha. Vous pouvez sortir avec Barry si vous le dsirez, videmment. Je ne voulais pas vous

  • bouleverser ainsi. J'ai cru que vous prfreriez voir vos amis, je ne voulais pas vous encombrer, et... Chut! fit-on derrire eux, bien que le second mouvement ne ft pas encore attaqu.Mary se tut nanmoins, renonant de plus amples explications.Quelle merveilleuse, bouleversante, tonnante soire... Et comme il serait reposant de

    sortir ensuite avec le trs ordinaire Barry...Elle ne fut pas frappe par le fait que Barry, qui avait t le centre de son existence, lui

    semblt prsent trs ordinaire !A la fin du concert, Nicolas demanda la jeune fille : Vous ne voulez mme pas venir en coulisses?

    Pas ce soir, s'il vous plat. Quittons-nous l. Allez rejoindre Antha Warrender... et MissThomas. Je retrouverai Barry. En tout cas, merci infiniment de m'avoir invite ce concert.C'tait merveilleux.

    Malgr..? Vous venez, Nick ? intervint ce moment la voix autoritaire de Suzanne Thomas.Brenner salua Mary et s'loigna dans le sillage de velours noir et zibeline.Partage entre la dception et le soulagement, Mary alla retrouver Barry qui l'emmena dans

    leur bar favori. Il tait visiblement fort intrigu, et se sentait parfaitement le droit de poser desquestions.

    Pourquoi as-tu laiss tomber Brenner? interro- gea-t-il. Il a t dsagrable avec toi? Pas du tout! protesta-t-elle. Mais il y avait un dner organis par les Warrender, et je ne

    voulais pas qu'il se croie oblig de m'y traner! Pourquoi l'aurait-il fait ? Simplement parce que tu tais place ct de lui ?Il semblait penser qu'elle faisait une montagne de peu de choses. Et peut-tre avait-il

    raison... En fait, c'est lui qui m'avait obtenu le billet. J'tais donc dans une situation un peu fausse,

    tu vois : avec lui, mais pas vraiment. Je ne voulais pas qu'il se cre des obligations. Ton arrivea t providentielle.

    Barry se dclara enchant d'tre l'instrument de la providence, et plaisanta gentiment surcelui qu'il appelait la conqute de Mary. Il la mit en garde contre les tnors, bien connuspour tre des sducteurs.

    Ne t'en fais pas pour moi, rpondit la jeune fille en riant. Je ne sais mme pas si je lereverrai. Sauf mercredi, depuis le poulailler... Iras-tu la premire de Carmen ?

    Non. Je me contenterai de la seconde reprsentation. J'y serai peut-tre aussi, fit ngligemment Mary qui avait la ferme intention de n'en

    manquer aucune.

    Malgr sa dclaration Barry, Mary s'attendait avoir des nouvelles de Nicolas avant lemercredi soir... Pourtant, il n'en fut rien.

  • Dermot Deane rentra de la rptition en costumes en dclarant : Brenner est dans une forme blouissante. Il n'a jamais t aussi brillant. Comme si...

    C'est dommage, pour Monica, bien sr. Mais elle lui avait men la vie dure, les derniers temps.Il doit se sentir vaguement soulag d'tre libre de nouveau... Irez-vous la Premire ?

    Mary rpondit qu'elle avait une assez bonne place au dernier balcon. C'est sans doute plus gai que l'orchestre, dclara Deane avec indulgence.Elle tait de cet avis, et, le mercredi soir, elle fut rellement contente de se retrouver avec ses

    amis. Elle semblait tre la mme, enjoue et ravie d'assister une bonne reprsentation. Mais,intrieurement, elle se sentait profondment concerne. L'angoisse de Don Jos tait celle deNicolas Brenner... Mary se surprit partager ce fardeau avec lui.

    Dans la vie, elle n'aimait gure Suzanne Thomas. Mais elle dut reconnatre qu'elle n'avaitjamais entendu de meilleure Carmen. Et, en les observant se dchirer mutuellement, elle eutl'impression d'assister autre chose qu'un spectacle...

    A la fin, les artistes eurent le plus beau des hommages du public : un silence de mort avant ledferlement des applaudissements.

    Oh, c'tait merveilleux! Merveilleux! s'cria le voisin de Mary. Quel beau couple !Mary dut avouer contre-cur qu'ils formaient en effet un couple splendide.

    Est-il fou d'elle dans la vie aussi? On dirait.., Comment le saurais-je? rpliqua-t-elle schement. Eh bien, d'aprs Jennifer, vous le connaissez. Pas suffisamment pour qu'il me fasse des confidences sur sa vie prive...Les rappels furent nombreux avant que le public se lve enfin, regret.Les amis de Mary se dispersrent, sauf quelques-uns qui se rendirent la sortie des

    artistes.La jeune fille se joignit ce groupe, tout en demeurant l'arrire-plan. Ils attendirent

    longtemps. Enfin, les Warrender apparurent, accompagns du baryton. Ils distriburentquelques autographes, quelques sourires, mais Warrender ne tarda pas pousser sa femmevers la voiture qui les attendait. Il y eut ensuite un murmure : la voil ! , et la reine de lasoire apparut sur le seuil, la haute silhouette du tnor derrire elle.

    Mary recula dans l'ombre. Suzanne, triomphante, signa de nombreux programmes.Brenner la regardait avec un sourire indulgent, qui blessa curieusement Mary.

    Enfin, la cantatrice s'cria avec bonne humeur : Assez! Assez!Puis elle se dirigea vers son auto gare de l'autre ct de la rue.Nicolas s'attarda quelques instants avant de la suivre, quand soudain, par hasard, la foule

    s'carta. Il se retrouva face Mary. Oh!... Bonsoir, dit-il vivement en s'arrtant. Vous tiez l ? Au poulailler, et enthousiaste !

  • Pourquoi n'tes-vous pas venue en coulisses ? Je... je ne pensais pas y tre attendue... Vous l'tiez! dclara-t-il avec un sourire franc et direct. Assisterez-vous une autre

    reprsentation ? Toutes, bien sr!Il se mit rire, cette fois, visiblement ravi. Alors, rendez-vous dans ma loge vendredi, fit-il tandis que Suzanne l'appelait.Il caressa lgrement la joue de Mary avant de traverser la rue. Que voulait-il? demanda une amie de la jeune fille, merveille. Il m'invitait venir le voir aprs la reprsentation de vendredi, rpondit-elle, encore un

    peu stupfaite.Ensuite, elle se hta pour attraper son train, non sans se demander si Suzanne savait avec qui

    Nicolas s'tait attard, et si elle avait surpris le geste affectueux de son partenaire...

    Aucun jeudi ne fut plus long que celui qui spara le mercredi de la Premire de Carmen duvendredi o avait lieu la seconde reprsentation...

    Mary redoutait un incident de dernire minute qui aurait pu l'empcher de se rendre encoulisses ce fameux soir. Mme la prsence de Barry l'ennuyait au plus haut point. Commentse dbarrasserait-elle de lui aprs la reprsentation ?

    Pourtant, tout se passa le plus simplement du monde. Barry tait l'orchestre. A l'entr'acte, ilse promena au bras d'une ravissante blonde. Autrefois, Mary en aurait t dsespre. Cesoir-l, elle en fut au contraire ravie : il ne lui demanderait pas de dner avec lui...

    Une fois de plus, la merveilleuse uvre d'art exera sa magie. Une fois de plus, sous la mainexperte d'Oscar Warrender, la reprsentation fut mene au triomphe.

    Et, la fin, Mary se dirigea vers l'entre des artistes, le cur serr de joie mle denervosit.

    Arrive devant la porte, elle hsita instinctivement. Il y avait cet norme et subtil gouffreentre ceux qui attendent dehors et ceux qui entrent... Jusque-l, Mary avait fait partie de lapremire espce. A prsent, elle avait l'impression de forcer le passage. Elle se dcida enfin se frayer un chemin travers la foule. Elle se prsenta devant un huissier vigilant.

    Puis-je monter voir M. Brenner, s'il vous plat ? demanda-t-elle avec toute la fermetdont elle tait capable. Il m'attend.

    La lgre rticence du portier fut-elle seulement le fruit de son imagination, d son manquede confiance en elle?... En tout cas, elle poursuivit, fire de sa brillante inspiration :

    Je travaille avec M. Dermot Deane. Trs bien, rpondit vivement l'homme en lui faisant signe d'entrer. Vous connaissez le

    chemin? A droite, puis gauche en haut de l'escalier. M. Brenner est dans la loge numrodeux.

  • Mary suivit ses indications, s'arrtant peine un instant pour observer son reflet dans unvaste miroir. Puis, le souffle court, elle se mit monter les marches de pierre.

    En haut, dans l'troit couloir, plusieurs personnes taient masses devant la loge Deux etdevant une autre d'o s'levait la voix joyeuse de Suzanne Thomas.

    Chaque fois que s'ouvrait la porte de la loge de Brenner, Mary se demandait si c'tait le bonmoment pour y entrer... Mais le courage lui manquait, et elle s'appuyait contre le mur, pour ytrouver un soutien.

    Elle serait sans doute la dernire. Mais qui tait-elle, pour passer devant tous ces genslgants, srs d'eux- mmes?...

    Comme le dernier groupe sortait, elle s'avana enfin. Alors l'habilleur de Brenner passa latte hors de la loge et dclara brusquement :

    Attendez quelques instants. Il se change.Gne comme si elle avait fait un mouvement incongru, Mary se colla de nouveau au mur,

    vaguement tente de s'enfuir sans mme avoir vu Nicolas. Mais en tre arrive l et partir avantd'avoir chang un seul mot avec lui tait trop dur. Elle attendrait qu'il apparaisse, et...

    A ce moment, Suzanne sortit de sa propre loge, en compagnie de quelques personnes entenue de soire. Elle laissa glisser un regard totalement indiffrent sur Mary, puis alla taperfermement la porte de Brenner, l'entrouvrit et s'cria voix haute :

    Bonne nuit, Nick ! Bonne nuit, rpondit-il.Suzanne jeta un nouveau coup d'oeil Mary et, de sa voix claire, travers le panneau,

    elle ajouta : Votre plus fervente admiratrice trane dans les parages. N'avez-vous pas un seul mot

    lui dire, personnage sans cur ?Son intonation moqueuse provoqua les rires de ses amis qui tournrent vers la jeune fille

    des visages indulgents.Dpouille de tout vestige de dignit, Mary sentit le sang lui monter au visage avec une

    force presque tourdissante.La voix de Nicolas s'leva : Qui ?Et il ouvrit la porte, tout en enfilant son manteau.Sans doute parce que lui aussi, autrefois, avait t bless par des paroles ironiques, il

    comprit immdiatement la situation. Chrie !Son beau visage expressif et un peu fatigu reflta la plus grande joie. Je me demandais o vous tiez passe. J'en ai pour un instant, je suis presque prt,

    ajouta-t-il avant de l'attirer lui pour l'embrasser devant tout le monde.Il adressa un sourire jovial Suzanne par-dessus la- tte de Mary.

  • Bonne nuit ! lui dit-il en entranant la jeune fille dans sa loge dont il ferma le battantderrire eux.

    Mary entendit la cantatrice mettre un eh... bien... plutt surpris. Puis elle s'loigna avecses amis en bavardant et riant.

    Dsirez-vous autre chose, Monsieur? demanda l'habilleur de Nicolas, tandis qu'ilsuspendait le costume du dernier acte.

    Non, merci. Nous partons, rpliqua Brenner avec un sourire et un signe de tte.Soudain, Mary fut seule avec lui. Pourquoi avez-vous fait cela? demanda-t-elle enfin.Il ne poursuivit pas la comdie en faisant semblant de ne pas comprendre de quoi elle

    voulait p