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LIBER Le sous-titre de votre livre, «De l’artisan au manager», donne clairement à voir les deux figures qui bornent la trajectoire historique que parcourt votre analyse. Mais avant d’en venir aux grandes étapes qui ont mené de l’une à l’autre, je voudrais que vous précisiez dans quel sens vous parlez de travail. Car il ne s’agit ni du travail au sens de la mécanique (quantité d’énergie nécessaire pour une opération) ni de l’activité humaine, anthropologique, grâce à laquelle l’homme transforme depuis toujours la nature pour vivre et survivre. Dans ce dernier sens, en effet, le travail existe depuis toujours, c’est-à-dire depuis que l’homme a appris à manier l’outil. C’est donc là une définition transhistorique qui, sociologiquement, n’est pas de beaucoup d’intérêt, car le rôle du sociologue est d’interpréter des phénomènes socialement- historiquement datés. J’étais donc intéressée par la construction sociale de l’institution du travail. J’en refais le parcours à travers l’action collective des marchands du Moyen Âge tout d’abord, des producteurs capitalistes qui l’ont utilisée ensuite, et, enfin, des ouvriers qui s’en sont prévalu pour obtenir de nouveaux droits politiques et une redistribution de la richesse plus équitable à travers diverses protections sociales. Le travail renvoie donc à des rapports sociaux entre des agents qui poursuivent des finalités contradictoires dans la société. En tant qu’institution centrale de la société, il est le fruit de l’action et des luttes de la bourgeoisie marchande qui ont porté sur plusieurs siècles et qui se sont conclues avec la révolution anglaise du dix-septième siècle. Ce n’est qu’avec la victoire politique de la bourgeoisie marchande contre les pouvoirs féodaux que le travail deviendra une institution liée de manière indissociable au droit de propriété, le fondement de la liberté individuelle, contre la servitude qui caractérisait la société féodale. C’est pourquoi l’analyse des trans- formations historiques du travail ainsi entendu revient à faire une analyse sociologique des trans- formations de la société. Le travail comme activité concrète accomplie quotidiennement par tout un chacun sert de repère, de révélateur des transfor- mations des rapports sociaux du travail, mais cette activité ne prend un sens que située dans son contexte social-historique. C’est dire que, pour vous, le travail s’inscrit d’abord dans l’espace politique, public. Oui. Si le travail est devenu central dans la société moderne, c’est parce qu’il a été le fondement du droit suprême, le droit de propriété, considéré comme un droit « naturel » par le philosophe John Locke, qui justifiait ainsi la création de l’État dont le rôle premier était de le protéger. Seule cette contextualisation politico-institutionnelle permet de comprendre les sens contradictoires du travail issus des luttes bourgeoises, puis des luttes ouvrières pour s’émanciper du sens réducteur, individuel, conféré au travail par ses créateurs. La thèse qui sous-tend votre enquête est, me semble-t-il, que le travail ne présente plus cette dimension politique, institutionnelle, sur laquelle les travailleurs s’appuyaient pour conquérir des droits sociaux et politiques et pour gagner leur liberté — car ce n’est pas le travail lui-même qui est synonyme de liberté. Comment ce lien entre travail et politique s’est-il brisé? Quand vous dites « ce n’est pas le travail lui-même qui est synonyme de liberté », vous voulez proba- blement dire : le travail comme activité laborieuse concrète. Le travail dans ce sens étroit n’est évi- demment pas synonyme de liberté ; il est au contraire synonyme de la nouvelle servitude propre à la modernité, en tant qu’activité disciplinée, réglée, organisée par le propriétaire qui a acheté la force de travail. Ce n’est qu’en échappant à cette servitude, c’est-à-dire en sortant de la fabrique, que les ouvriers de métier de la révolution industrielle vont pouvoir agir dans la société. Dans cette histoire sociologique que je fais des transformations du travail, de l’artisan au manager, nous assistons à la construction de l’intersubjectivité des ouvriers à travers une action sociale-politique, tournée vers la société en vue de leur reconnaissance dans l’espace public, comme citoyens et pas seulement comme travailleurs. La rupture du lien entre travail et politique va se produire avec la substitution de la rationalité gestionnaire à cette rationalité politique du travail. Cela correspond à l’enfermement du travail, dans tous ses sens, à l’intérieur de l’entreprise, c’est- à-dire à son retrait de l’espace public. Cela s’est fait à l’initiative du management des grandes com- pagnies ( j’ai étudié le cas des États-Unis ) dont le personnel connaissait alors une croissance exponen- tielle. C’est la structuration des services de gestion du personnel qui est à l’origine de la « managé- rialisation » du travail, au sens de sa dépolitisation. Ce sont les politiques de gestion du personnel, qui visaient à régulariser la main-d’oeuvre, à réduire les taux de roulement ( c’est-à-dire la mobilité des travailleurs sur le marché du travail ), qui ont eu un impact sur la définition politique, institutionnelle du travail. Le management des grandes entreprises a alors procédé à la mise en forme d’une sécurité Montréal, mai 2002 Cahier d’information et de promotion des éditions Liber Depuis le mois de janvier 2002, nous avons publié : • Jacques Beaudry, L’oeil de l’eau. Notes sur douze écrivains des Pays-Bas • Pierre Bertrand, Robert Hébert, Jacques Marchand, Michel Métayer, Laurent-Michel Vacher, Pratiques de la pensée. Philosophie et enseignement de la philosophie au cégep • Marguerite Michelle Côté, Les jeunes de la rue (3e édition ) • Joseph J. Lévy, Entretiens avec François Laplantine. Anthropologies latérales • Gilles Lipovetsky, Métamorphoses de la culture libérale. Éthique, médias, entreprise • Alain Médam, La tentation de l’oeuvre • Michel Seymour (dir.), États-nations, multina- tions et organisations supranationales • Éthique publique, vol. 4, no 1, « Éthique de l’administration et du service public » Notre programme éditorial pour l’automne 2002 comprend les livres suivants ( titres provisoires ) : • Marco Bélanger, Le flou dans la bergerie. Essai sur la lucidité et l’incertitude • Pierre Bertrand, Pour l’amour du monde • Jean-François Chassay (dir.), Les lieux de l’ima- ginaire • Éthique publique, vol. 4, no 2, « Éthique préven- tive : prévoir le risque, gérer les crises » Robert Hébert, L’homme habite aussi les franges Isabelle Lasvergnas (dir.), Le vivant et la ratio- nalité instrumentale • Georges A. Legault (dir.), La crise de l’identité professionnelle • Robert Leroux, Entretiens avec Raymond Boudon • Alain Médam et Simon Harel, Visages • Alexis Nouss (dir.), Le refuge • Margaret Somerville, Le canari éthique • Laurent-Michel Vacher et al., Petits débats phi- losophiques. Une initiation par les arguments Eric Volant, La maison de l’éthique Entretien Rolande Pinard La révolution du travail L ’idée qui est à l’origine de cet ouvrage m’est venue le jour où je me suis avisé que la première génération de professeurs de philosophie au cégep arrivait à l’âge de la retraite. J’ai alors pensé qu’il serait intéressant de saisir le prétexte pour recueillir le témoignage de quelques-uns de ceux dont la vie professionnelle avait pour ainsi dire l’âge de l’institution, une institution tout à fait unique, née à un moment où le Québec accédait, à travers elle notamment, à la modernité éducative, et au sein de laquelle la philosophie jouissait de la place égale- ment exceptionnelle d’un enseignement obligatoire. Cela dit, il ne s’agissait pas tant de raconter l’histoire de la société québécoise, des collèges d’enseigne- ment général et professionnel, ou de la discipline, mais de parler de la pratique philosophique elle- même, sur fond, au besoin, de ce décor […]. Or il me semble que cette pratique a au moins deux particularités, que je voudrais essayer d’indi- quer brièvement. La première concerne sa structure même. Chez les professeurs à qui je voulais m’adresser, en tout cas, elle a une double nature, elle comporte deux versants entre lesquels la continuité est d’une certaine manière problématique. J’ai à l’esprit la figure schématisée du professeur d’uni- versité, qui suggère au contraire une plus grande intégration. Alors que ce dernier, en effet, enseigne ce sur quoi il fait des recherches et ce qui constitue le thème de ses publications et de ses commu- nications — les unes et les autres essentielles pour son avancement et sa reconnaissance —, et, à travers tout cela, s’inscrit naturellement dans l’espace matériel-institutionnel aussi bien que symbolique- culturel de la philosophie, le professeur de cégep enseigne en général, de manière répétée et som- maire, quelques cristallisations de la tradition philo- sophique — peu importe que ce soit des auteurs, des concepts ou des formes de raisonnement —, et publie éventuellement soit des manuels sur mesure pour tel et tel cours où ils sont confinés, soit des essais libres détachés de l’enseignement, qui ne lui sont au reste pas exigés pour sa carrière et dont la reconnaissance vient, quand elle vient, de l’espace public général plus que des instances de consé- cration institutionnelles et, donc, pour des raisons circonstancielles plutôt que pour leur teneur philoso- phique. Ce contraste ne préjuge évidemment pas de la valeur des uns et des autres ni de la portée ou de l’utilité de leur contribution ; il met simplement en évidence deux structures bien différentes de pratique philosophique et la forme divisée de celle dans laquelle se meuvent les professeurs de cégep. L’apport proprement philosophique de ces derniers est, d’autre part, considérable. Ils assurent constamment, à travers leurs publications, une présence de la pensée réflexive au sein des débats sociaux, scientifiques ou spirituels contemporains. Aux éditions Liber, ils occupent, on le sait, une place importante, et ce n’est bien sûr pas le seul endroit où on peut les lire. Cela me conduit au deuxième trait de leur pratique philosophique, qui concerne cette fois la nature de leurs interventions. Je dirais en effet à cet égard que leur réflexion est le plus souvent substantielle plutôt que formelle, factuelle et concrète plutôt qu’exégétique, contemporaine plus qu’historique. Elle s’approprie les avancées de la tradition plus qu’elle ne les commente, les met au service d’une entreprise de compréhension de la vie plus que de critique des systèmes de représentation ou d’interprétation. Je vois globalement dans cette attitude, par sa tension dialogique avec le réel, par sa confrontation avec les données concrètes de la vie, une sorte de transposition de la relation pédagogique incertaine, toujours à reconfirmer, jamais acquise, qui s’établit dans la classe. […] Ces commentaires n’ont pas la prétention de dire le vrai de la pratique philosophique des pro- fesseurs de cégep. Ils essaient de formuler quelques hypothèses pour en envisager une éventuelle sociologie. Mais peut-être faut-il renoncer à cette perspective collective — d’autant plus qu’elle peut donner l’impression qu’il règne une unanimité là où les différences d’intérêt et de style ainsi que les désaccords doctrinaux sont patents, on le verra facilement dans les textes réunis ici — ou, en tout cas, la compléter, et considérer ceux dont l’exercice de la pensée suit une logique réflexive non pas selon leur statut socioprofessionnel mais selon leur contribution culturelle et proprement philosophi- que. Non pas, autrement dit, comme des professeurs de philosophie au collège, mais comme des philosophes tout court. Ce qu’attestent, d’ailleurs, les livres que les uns et les autres ont publiés. Et j’espère que le lecteur en verra une preuve supplé- mentaire dans les textes qui forment ce recueil, au moment même où, pourtant, on réunit leurs auteurs autour d’une circonstance bioprofessionnelle. Car il me semble que ce que j’envisageais comme une série de témoignages s’est métamorphosé en une série justement de contributions philosophiques. Giovanni Calabrese Parus Extrait Pratiques de la pensée P. Bertrand, R. Hébert, J. Marchand, M. Métayer, L.-M. Vacher, Pratiques de la pensée. Philosophie et enseignement de la philosophie au cégep préface de Paul Inchauspé 192 pages, 20$, isbn 2-89578-012-9 parution mars 2002 BULLETIN À paraître ©Alain Décarie Bulletin 6/3/02 1:55 PM Page 1

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L I B E R

Le sous-titre de votre livre, «De l’artisan aumanager», donne clairement à voir les deuxfigures qui bornent la trajectoire historique queparcourt votre analyse. Mais avant d’en venir auxgrandes étapes qui ont mené de l’une à l’autre, jevoudrais que vous précisiez dans quel sens vousparlez de travail. Car il ne s’agit ni du travail ausens de la mécanique (quantité d’énergienécessaire pour une opération) ni de l’activitéhumaine, anthropologique, grâce à laquellel’homme transforme depuis toujours la naturepour vivre et survivre.

Dans ce dernier sens, en effet, le travail existedepuis toujours, c’est-à-dire depuis que l’homme aappris à manier l’outil. C’est donc là une définitiontranshistorique qui, sociologiquement, n’est pas debeaucoup d’intérêt, car le rôle du sociologue estd’interpréter des phénomènes socialement-historiquement datés. J’étais donc intéressée par laconstruction sociale de l’institution du travail. J’enrefais le parcours à travers l’action collective desmarchands du Moyen Âge tout d’abord, desproducteurs capitalistes qui l’ont utilisée ensuite, et,enfin, des ouvriers qui s’en sont prévalu pourobtenir de nouveaux droits politiques et uneredistribution de la richesse plus équitable à traversdiverses protections sociales. Le travail renvoiedonc à des rapports sociaux entre des agents quipoursuivent des finalités contradictoires dans lasociété. En tant qu’institution centrale de la société,il est le fruit de l’action et des luttes de labourgeoisie marchande qui ont porté sur plusieurssiècles et qui se sont conclues avec la révolutionanglaise du dix-septième siècle. Ce n’est qu’avec lavictoire politique de la bourgeoisie marchandecontre les pouvoirs féodaux que le travail deviendraune institution liée de manière indissociable audroit de propriété, le fondement de la libertéindividuelle, contre la servitude qui caractérisait lasociété féodale. C’est pourquoi l’analyse des trans-formations historiques du travail ainsi entendurevient à faire une analyse sociologique des trans-formations de la société. Le travail comme activitéconcrète accomplie quotidiennement par tout unchacun sert de repère, de révélateur des transfor-mations des rapports sociaux du travail, mais cette

activité ne prend un sens que située dans soncontexte social-historique.

C’est dire que, pour vous, le travail s’inscritd’abord dans l’espace politique, public.

Oui. Si le travail est devenu central dans la sociétémoderne, c’est parce qu’il a été le fondement dudroit suprême, le droit de propriété, considérécomme un droit «naturel» par le philosophe JohnLocke, qui justifiait ainsi la création de l’État dontle rôle premier était de le protéger. Seule cettecontextualisation politico-institutionnelle permet decomprendre les sens contradictoires du travail issusdes luttes bourgeoises, puis des luttes ouvrièrespour s’émanciper du sens réducteur, individuel,conféré au travail par ses créateurs.

La thèse qui sous-tend votre enquête est, mesemble-t-il, que le travail ne présente plus cettedimension politique, institutionnelle, sur laquelleles travailleurs s’appuyaient pour conquérir desdroits sociaux et politiques et pour gagner leurliberté — car ce n’est pas le travail lui-même quiest synonyme de liberté. Comment ce lien entretravail et politique s’est-il brisé?

Quand vous dites «ce n’est pas le travail lui-mêmequi est synonyme de liberté», vous voulez proba-blement dire : le travail comme activité laborieuseconcrète. Le travail dans ce sens étroit n’est évi-demment pas synonyme de liberté ; il est aucontraire synonyme de la nouvelle servitude propreà la modernité, en tant qu’activité disciplinée,réglée, organisée par le propriétaire qui a acheté laforce de travail. Ce n’est qu’en échappant à cetteservitude, c’est-à-dire en sortant de la fabrique, queles ouvriers de métier de la révolution industriellevont pouvoir agir dans la société. Dans cettehistoire sociologique que je fais des transformationsdu travail, de l’artisan au manager, nous assistons àla construction de l’intersubjectivité des ouvriers àtravers une action sociale-politique, tournée vers lasociété en vue de leur reconnaissance dans l’espacepublic, comme citoyens et pas seulement commetravailleurs.

La rupture du lien entre travail et politique vase produire avec la substitution de la rationalitégestionnaire à cette rationalité politique du travail.Cela correspond à l’enfermement du travail, danstous ses sens, à l’intérieur de l’entreprise, c’est-à-dire à son retrait de l’espace public. Cela s’est faità l’initiative du management des grandes com-pagnies ( j’ai étudié le cas des États-Unis ) dont lepersonnel connaissait alors une croissance exponen-tielle. C’est la structuration des services de gestiondu personnel qui est à l’origine de la «managé-rialisation» du travail, au sens de sa dépolitisation.Ce sont les politiques de gestion du personnel, quivisaient à régulariser la main-d’œuvre, à réduire lestaux de roulement (c’est-à-dire la mobilité destravailleurs sur le marché du travail ), qui ont eu unimpact sur la définition politique, institutionnelle dutravail. Le management des grandes entreprises aalors procédé à la mise en forme d’une sécurité

Montréal, mai 2002 Cahier d’information et de promotion des éditions Liber

Depuis le mois de janvier 2002, nous avons publié :

• Jacques Beaudry, L’œil de l’eau. Notes sur douzeécrivains des Pays-Bas• Pierre Bertrand, Robert Hébert, JacquesMarchand, Michel Métayer, Laurent-MichelVacher, Pratiques de la pensée. Philosophie etenseignement de la philosophie au cégep• Marguerite Michelle Côté, Les jeunes de la rue(3e édition)• Joseph J. Lévy, Entretiens avec FrançoisLaplantine. Anthropologies latérales• Gilles Lipovetsky, Métamorphoses de la culturelibérale. Éthique, médias, entreprise• Alain Médam, La tentation de l’œuvre• Michel Seymour (dir. ), États-nations, multina-tions et organisations supranationales• Éthique publique, vol. 4, no 1, «Éthique del’administration et du service public»

Notre programme éditorial pour l’automne 2002comprend les livres suivants ( titres provisoires) :

• Marco Bélanger, Le flou dans la bergerie. Essaisur la lucidité et l’incertitude• Pierre Bertrand, Pour l’amour du monde• Jean-François Chassay (dir. ), Les lieux de l’ima-ginaire• Éthique publique, vol. 4, no 2, «Éthique préven-tive: prévoir le risque, gérer les crises»• Robert Hébert, L’homme habite aussi les franges• Isabelle Lasvergnas (dir. ), Le vivant et la ratio-nalité instrumentale• Georges A. Legault (dir. ), La crise de l’identitéprofessionnelle• Robert Leroux, Entretiens avec Raymond Boudon• Alain Médam et Simon Harel, Visages• Alexis Nouss (dir. ), Le refuge• Margaret Somerville, Le canari éthique• Laurent-Michel Vacher et al., Petits débats phi-losophiques. Une initiation par les arguments• Eric Volant, La maison de l’éthique

Entretien

Rolande PinardLa révolution du travail

L’idée qui est à l’origine de cet ouvrage m’estvenue le jour où je me suis avisé que la première

génération de professeurs de philosophie au cégeparrivait à l’âge de la retraite. J’ai alors pensé qu’ilserait intéressant de saisir le prétexte pour recueillirle témoignage de quelques-uns de ceux dont la vieprofessionnelle avait pour ainsi dire l’âge del’institution, une institution tout à fait unique, née àun moment où le Québec accédait, à travers ellenotamment, à la modernité éducative, et au sein delaquelle la philosophie jouissait de la place égale-ment exceptionnelle d’un enseignement obligatoire.Cela dit, il ne s’agissait pas tant de raconter l’histoirede la société québécoise, des collèges d’enseigne-ment général et professionnel, ou de la discipline,mais de parler de la pratique philosophique elle-même, sur fond, au besoin, de ce décor […].

Or il me semble que cette pratique a au moinsdeux particularités, que je voudrais essayer d’indi-quer brièvement. La première concerne sa structuremême. Chez les professeurs à qui je voulaism’adresser, en tout cas, elle a une double nature, ellecomporte deux versants entre lesquels la continuitéest d’une certaine manière problématique. J’ai àl’esprit la figure schématisée du professeur d’uni-versité, qui suggère au contraire une plus grandeintégration. Alors que ce dernier, en effet, enseignece sur quoi il fait des recherches et ce qui constituele thème de ses publications et de ses commu-nications — les unes et les autres essentielles pourson avancement et sa reconnaissance —, et, à travers

tout cela, s’inscrit naturellement dans l’espacematériel-institutionnel aussi bien que symbolique-culturel de la philosophie, le professeur de cégepenseigne en général, de manière répétée et som-maire, quelques cristallisations de la tradition philo-sophique — peu importe que ce soit des auteurs, desconcepts ou des formes de raisonnement —, etpublie éventuellement soit des manuels sur mesurepour tel et tel cours où ils sont confinés, soit desessais libres détachés de l’enseignement, qui ne luisont au reste pas exigés pour sa carrière et dont lareconnaissance vient, quand elle vient, de l’espacepublic général plus que des instances de consé-cration institutionnelles et, donc, pour des raisonscirconstancielles plutôt que pour leur teneur philoso-phique. Ce contraste ne préjuge évidemment pas dela valeur des uns et des autres ni de la portée ou del’utilité de leur contribution; il met simplement enévidence deux structures bien différentes de pratiquephilosophique et la forme divisée de celle danslaquelle se meuvent les professeurs de cégep.

L’apport proprement philosophique de cesderniers est, d’autre part, considérable. Ils assurentconstamment, à travers leurs publications, uneprésence de la pensée réflexive au sein des débatssociaux, scientifiques ou spirituels contemporains.Aux éditions Liber, ils occupent, on le sait, une placeimportante, et ce n’est bien sûr pas le seul endroit oùon peut les lire. Cela me conduit au deuxième traitde leur pratique philosophique, qui concerne cettefois la nature de leurs interventions. Je dirais en effet

à cet égard que leur réflexion est le plus souventsubstantielle plutôt que formelle, factuelle etconcrète plutôt qu’exégétique, contemporaine plusqu’historique. Elle s’approprie les avancées de latradition plus qu’elle ne les commente, les met auservice d’une entreprise de compréhension de la vieplus que de critique des systèmes de représentationou d’interprétation. Je vois globalement dans cetteattitude, par sa tension dialogique avec le réel, par saconfrontation avec les données concrètes de la vie,une sorte de transposition de la relation pédagogiqueincertaine, toujours à reconfirmer, jamais acquise,qui s’établit dans la classe. […]

Ces commentaires n’ont pas la prétention dedire le vrai de la pratique philosophique des pro-fesseurs de cégep. Ils essaient de formuler quelqueshypothèses pour en envisager une éventuellesociologie. Mais peut-être faut-il renoncer à cetteperspective collective — d’autant plus qu’elle peutdonner l’impression qu’il règne une unanimité là oùles différences d’intérêt et de style ainsi que lesdésaccords doctrinaux sont patents, on le verrafacilement dans les textes réunis ici — ou, en toutcas, la compléter, et considérer ceux dont l’exercicede la pensée suit une logique réflexive non passelon leur statut socioprofessionnel mais selon leurcontribution culturelle et proprement philosophi-que. Non pas, autrement dit, comme des professeursde philosophie au collège, mais comme desphilosophes tout court. Ce qu’attestent, d’ailleurs,les livres que les uns et les autres ont publiés. Et

j’espère que le lecteur en verra une preuve supplé-mentaire dans les textes qui forment ce recueil, aumoment même où, pourtant, on réunit leurs auteursautour d’une circonstance bioprofessionnelle. Car ilme semble que ce que j’envisageais comme unesérie de témoignages s’est métamorphosé en unesérie justement de contributions philosophiques.

Giovanni Calabrese

Parus

ExtraitPratiques de la pensée

P. Bertrand, R. Hébert, J. Marchand, M. Métayer, L.-M. Vacher, Pratiques de la pensée. Philosophie et

enseignement de la philosophie au cégeppréface de Paul Inchauspé

192 pages, 20$, isbn 2-89578-012-9parution mars 2002

B U L L E T I N

À paraître

©Alain Décarie

Bulletin 6/3/02 1:55 PM Page 1

offerte aux employés pour assurer la sécurité del’entreprise ( régularité, prévisibilité de sonfontionnement ). Cela s’est fait dans les années1920, alors que les travailleurs de la production demasse n’étaient pas encore syndiqués et que lessyndicats de métier existants étaient grandementaffaiblis. Lorsque le gouvernement américainreconnaîtra le caractère national des relations detravail en 1935, avec le Wagner Act (auparavant,c’étaient les États qui avaient la compétence pourlégiférer en cette matière, sauf dans des secteurs decompétence fédérale, comme le chemin de fer ), laloi définira le syndicalisme selon le modèle établipar le management des grandes corporations. C’estainsi que l’entreprise sera substituée au métiercomme base de l’association des travailleurs et il nepourra y avoir qu’un seul syndicat par entreprise, unseul interlocuteur pour le management (plutôtqu’une multiplicité de syndicats divisés par métier).La syndicalisation par entreprise est une autreforme d’enfermement du travail dans l’entreprise,de son retrait de l’espace public.

C’est alors, dites-vous, que la notion de travail aété remplacée par la notion d’emploi.

L’emploi, comme le mot l’indique, renvoie à l’em-ployeur ; l’emploi, ce lien stable entre employeur etemployés développé par la gestion du personnel, estune création de la grande corporation. C’est uneforme d’organisation interne de l’entreprise quidétruit les sens contradictoires du travail. L’emploiprésente aussi plusieurs sens, mais ils convergenttous vers la sécurité organisationnelle de l’en-treprise. La notion d’emploi a pris le pas sur cellede travail, sans pour autant la faire disparaître. AuCanada, où le syndicalisme a été plus politiséqu’aux États-Unis, nous avons réussi à obtenir plusde protections et de droits sociaux s’appliquant àtous les salariés (contrairement aux avantagessociaux négociés liés à l’appartenance à uneentreprise particulière) : Code du travail, loi sur lesnormes du travail, loi sur la santé et la sécurité dutravail, assurance-maladie, etc. C’est à travers desluttes sociales-politiques que le mouvementsyndical exerce un réel pouvoir dans la société, paspar la négociation collective dans l’entreprise quidemeure toujours dépendante de décisions hors ducontrôle des travailleurs et de leur syndicat. Ainsi,le syndicalisme aux États-Unis, plus pragmatiqueque politique, qui s’est surtout refermé sur l’entre-prise et son emploi, a connu une chute radicalelorsque l’entreprise a décidé de cesser d’en faire soninterlocuteur privilégié avec les restructurationsorganisationnelles liées à la mondialisation actuelle.Quant au syndicalisme canadien, il a réussijusqu’ici à maintenir son taux de syndicalisationparce que les droits politiques et sociaux sont plusdifficiles à défaire que des avantages négociésentreprise par entreprise, qui peuvent disparaître pardécision unilatérale de celles-ci.

Mais nous sommes aussi touchés par cettesubstitution de l’emploi au travail et par le motd’ordre organisationnel actuel qui remplace lasécurité d’emploi par la flexibilité. Il n’est pasnécessaire que le gouvernement canadien ouquébécois change les lois pour que nous perdionsdes droits liés au travail. Puisque les lois, même ici,sont fondées sur la notion d’emploi — un lien stableavec un employeur —, nous constatons qu’uncertain nombre de droits reconnus dans les lois netrouvent plus à s’appliquer à cause des nouvellesformes d’emploi marquées par la précarité. Et notresyndicalisme n’a pas réussi à empêcher cela.

À ce propos, votre livre est une dure critique dusyndicalisme actuel. Dans la conclusion, vousdites que le travail ne joue plus le rôle qu’il a joué

par le passé. Je me demande si cela ne vaut quepour le syndicalisme, mais pas pour le travail.

On ne peut dissocier syndicalisme et travail. Le tra-vail n’est pas un acteur social. Ce n’est qu’à traversles agents sociaux impliqués dans les pratiques liéesau travail et à travers les acteurs sociaux enfermésdans les organisations que sont les entreprises quel’on peut aborder les questions du travail et del’emploi. Le syndicalisme est à la fois un agentsocial dont les pratiques sont fondées sur l’insti-tution du travail et un acteur social marqué parl’organisation de l’entreprise. Si ma critique dusyndicalisme semble sévère, c’est parce qu’on tendgénéralement à minimiser ou à ignorer sa dimensionhéritée de l’organisation managériale de l’entreprise.Le syndicalisme a une «double personnalité» parcequ’il est le résultat de luttes — entre ouvriers etpatrons, puis entre travailleurs et managers —marquées par les deux agents sociaux opposés qui ysont impliqués. C’est une dialectique inhérente àtoute réalité sociale qui se construit à travers desrapports contradictoires. J’ai fait ressortir cettedouble personnalité, en insistant sur celle héritée dumanagement parce qu’elle tend à prendre de plus enplus de place depuis les deux dernières décennies. Ilme paraît important de reconnaître cette dimensiondu syndicalisme pour ce qu’elle est, lucidement,plutôt que de prétendre que les syndicats sont entrain de contribuer à démocratiser les milieux detravail, d’augmenter leur pouvoir dans la société, defavoriser l’émancipation des travailleurs lorsqu’ilsmettent l’accent sur leur héritage managérial lié àl’entreprise, au détriment de leur héritage politiquelié à l’action collective des travailleurs. Cela estd’autant plus important que, avec l’érosion desdroits liés au travail provoquée par la flexibilité del’emploi et l’annonce de la disparition du lien stabled’emploi (on avertit les jeunes qu’ils auront à seréorienter cinq ou six fois pendant leur vie de tra-vail), il nous faut trouver collectivement un nouveausocle pour ériger des droits sociaux et pour exercernotre citoyenneté, comme les ouvriers britanniquesde la révolution industrielle l’ont fait après avoirperdu tous les droits que le régime précédentreconnaissait aux artisans maîtrisant un métier. En cesens, je dirais que j’ai écrit ce livre pour faireressortir le caractère de fausse route de la voiegestionnaire. Mais cet exercice réflexif a eu unrésultat plus positif qui consiste à repérer beaucoupplus facilement les brèches potentiellement éman-cipatrices dans la réalité concrète actuelle.

Rolande Pinard est sociologue

2) Liber bulletin, no 2, mai 2002

Q uel modèle d’organisarion politique faut-ilprivilégier en ce début de troisième millénaire?

Doit-on renforcer l’État-nation, consolider la multi-nation ou favoriser le développement d’organisationssupranationales? L’État-nation est-il devenu obso-lète? Les multinations sont-elles viables? Pouvons-nous créer des institutions supranationales ayant unvéritable pouvoir? Telles sont les questions poséesdans ce recueil et auxquelles les auteurs tententd’apporter des réponses.

Plusieurs ont annoncé la fin de l’État-nation,mais la mise en place ou le maintien de véritablesÉtats multinationaux pose toujours de très nombreuxproblèmes. Il existe d’ailleurs plusieurs sortesd’États-nations, qu’il s’agisse d’États-nations ethni-ques fondés sur un processus de nation-state building(par exemple, l’Allemagne) ou d’États-nationsciviques fondés sur un state-nation building (parexemple, la France), et il apparaît présomptueux deles condamner toutes. En outre, il se peut que cer-tains types d’États-nations soient dépassés alors qued’autres méritent d’être conservés, notamment ceuxqui sont capables de reconnaître leur caractère multi-ethnique et pluriculturel. Quoi qu’il en soit, parmil’ensemble des questions que suscite la redéfinitionde l’État-nation, il faut tenir compte de la difficultéposée par la fluidité des référents identitaires. Il fauttenir compte du fait que les citoyens ont de plus enplus une identité multiple: plusieurs nationalités etplusieurs citoyennetés. Il faut tenir compte aussi de ladiversité des palmarès d’allégeance, qui peuventvarier d’un individu à l’autre et d’un moment àl’autre pour un seul et même individu.

On dit souvent qu’à notre époque l’État-nationest remis en question par le haut autant que par lebas. Aux pressions en provenance de forcesextérieures, qu’il s’agisse de l’immigration, de lamondialisation de l’économie ou des organisationssupranationales, font écho des pressions surgissantà l’intérieur des États sous la forme de réclamationsdes groupes minoritaires, qu’il s’agisse des popula-tions issues de l’immigration, des minorités natio-nales entendues au sens d’extension de majoritésnationales voisines, ou des peuples autochtones.Ces diverses pressions incitent à repenser com-plètement le modèle traditionnel de l’État-nation,qui présuppose ou impose, implicitement ouexplicitement, une ethnicité, une langue ou uneculture partagées. Il semble que l’on ne puisse plusse contenter des États-nations ethniques ou civiquescomme seuls modèles possibles d’organisationpolitique, car l’un et l’autre imposent de façondifférente une homogénéisation ethnique ou cultu-relle qui apparaît intolérable dans plusieurs sociétéscontemporaines, et surtout dans les pays d’immi-gration. Comme chacun sait, l’État-nation ethniquefonctionne selon une logique de l’exclusion alorsque l’État-nation civique procède selon une logiquede l’inclusion. Toutefois, l’inclusion citoyenneefface très souvent les différences en les ignorant, etcela se fait tout en créant des pressions énormes surles citoyens pour assurer leur assimilationlinguistique et culturelle. L’inclusion forcée au seind’une communauté de langue, de culture et d’his-toire a beau se justifier par la soi-disant nécessité departager une identité civique, l’effet net de l’appli-cation du modèle civique traditionnel de l’État-nation est une politique d’assimilation qui rejoint, àpartir d’une perspective en apparence très

différente, le modèle de l’État-nation ethnique ouculturel homogène. Il peut donc apparaître essentielde penser de nouveaux modèles d’État-nation […].

Aux différentes façons de concevoir l’État-nation s’ajoutent différentes façons de concevoir lamultination elle-même. Il peut s’agir d’un État quiest de facto multinational ou d’un État multinatio-nal de jure, c’est-à-dire d’un État dont le caractèremultinational se reflète aussi dans la constitution etles institutions du pays concerné. L’État multina-tional de facto peut, par exemple, prendre la formed’une fédération territoriale qui choisirait d’ignorerson caractère multinational en se contentant d’êtrefondée sur l’égalité de statut de ses territoires pro-vinciaux ( le Canada), alors que l’État multinationalde jure exigerait que l’État fédéral ait des compo-santes reflétant la diversité multinationale et quecette réalité soit affirmée dans la constitution ( laBelgique). […]

Par-delà l’État-nation et la multination, nousdevons examiner également les organisationssupranationales et réfléchir aux conditions de leurviabilité. Y a-t-il une telle chose que l’identitépostnationale? S’agit-il d’un substitut de l’identiténationale ou de l’adjonction d’une nouvelle coucheidentitaire? Les organisations supranationalescontraignent-elles assez l’influence des États-nations? Ces questions peuvent être poséesrelativement aux Nations unies, mais aussi etsurtout relativement à la Banque mondiale, auFonds monétaire international et à l’Organisationmondiale du travail. On peut se demander, àl’inverse, si les phénomènes que l’on associegénéralement à la mondialisation de l’économie nelimitent pas déjà trop la marge de manœuvre desÉtats. Ces nouvelles réalités offrent le contexte danslequel doivent être examinés les rapports souventconflictuels entre l’État-nation, la multination et lesorganisations supranationales (p. 11-16).

Michel Seymour enseigne la philosophie àl’université de Montréal

Extrait

Michel Seymour (dir.)États-nations, multinations

et organisations supranationales

Rolande Pinard, La révolution du travail. De l’artisanau manager, 342 pages, 29$, isbn 2-921569-88-4,

parution octobre 2000

Michel Seymour (dir.)États-nations, multinations

et organisations supranationales, 504 pages, 35$, isbn 2-89578-013-7,

parution mai 2002

Éloge de la fragilité de Pierre Bertrand«Pierre Bertrand fait montre d’un esprit philosophique d’une profondehomogénéité. Il brille autant par sa réflexion, son style que par lajustesse de ses interrogations.»

Josy Barthol, Le Jeudi (hebdo luxembourgeois), 8 novembre 2001

Dépouilles. Un almanach de Robert Hébert«Il nous est souvent venu à l’esprit que le lecteur pourrait, par salecture de Dépouilles, avoir l’impression d’être tout à la fois devant untexte de type philosophique, ou anthropologique, ou poétique, tant lesbornes absentes de son texte nous permettent de penser à l’Homme àtravers l’intimité de son auteur, de donner au monde un lieu pourapparaître ou du moins pour se réfléchir avant d’advenir définiti-vement, de rêver l’Homme et l’univers par images ouvertes, parchemin tortueux ou tout simples.»

Jean-Marc Desgent, Horizons philosophiques, vol. 10, no 2, 2000

La passion du réel de Laurent-Michel Vacher«Mi pamphlet, mi programme, le livre de Vacher est particulièrementstimulant et devrait intéresser, comme on dit, enseignants, chercheurs

et étudiants soucieux de s’y retrouver dans les débats souvent confussuscités par ces questions [ la philosophie et les sciences].»

Marc Alléaume, Culture université, université Bordeaux i, décembre 1999

Le sexe et le droit de Jean-François Gaudreault-DesBiens«J’estime que l’étude des théories de Catharine MacKinnon estincontournable pour la compréhension de la culture juridiquecontemporaine. C’est à cette tâche que s’est attaqué Jean-FrançoisGaudreault-DesBiens dans cet essai remarquable. […] Je dirais que Lesexe et le droit est à l’intellect ce que l’opéra est au sens : intelligent,complet et rassérénant.»

Alain-Robert Nadeau, Le Devoir, 14 mars 2001

Patriotisme constitutionnel et nationalismede Frédérick-Guillaume Dufour

«Dans ce livre intelligent et bien informé, l’auteur offre au lecteur unediscussion exemplaire des enjeux théoriques du débat constitutionnelet en précise, par la figure de Habermas, le défi.»

Georges Leroux, Le Devoir, 10 et 11 novembre 2001•

L’œil de l’eau de Jacques Beaudry«Les notes de Beaudry [ sur douze écrivains néerlandais contem-porains] sont denses, riches, sensibles et donnent envie de lire lesœuvres […]. C’est l’œuvre d’un lecteur attentif, épris d’un pays et qui,à travers des écrivains qui expriment, chacun à sa façon, la complexitéet les subtilités de ce pays, dit son amour pour des Pays-Bas qu’on necesse de découvrir.»

Naïm Kattan, Le Devoir, 9 mars 2002

L’homme tragique de Nicole Jetté-Soucy«S’il y avait, parmi le troupeau d’hommes et de femmes qui tentent defaire leur marque dans l’actualité, un seul personnage correspondant lemoindrement à ce “portrait de l’homme politique” esquissé dans lespages de L’homme tragique, les campagnes électorales donneraient detout autres fruits que les récoltes de bêtises auxquelles nous sommeshabitués…»

Pierre Monette, Voir, 5 novembre 1998

À propos de …

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Le titre de votre livre renvoie à une double «quêtedu plaisir». Il y a bien sûr celle que, d’après votrethèse, l’homme entreprend constamment, quelque soit l’ordre de réalité considéré. Nous yreviendrons. Mais il y a aussi celle, la vôtre, qui aconsisté, depuis vos études de doctorat, à essayerde saisir le principe de plaisir, dont vous faites la«monnaie d’échange des motivations». En fait,votre recherche n’a pas commencé sous cetteforme, puisqu’elle portait sur la sensation de…froid. Comment êtes-vous passé des études sur lathermorégulation au principe de plaisir?

Vous avez raison, le titre joue sur les mots et voussoulignez parfaitement les deux aspects. J’ai vouluécrire «sur la science», plutôt que produire unouvrage «de science». C’est le processus mental dela recherche scientifique que j’ai désiré partageravec le lecteur dans la deuxième acception du mot«quête».

Cette histoire remonte à l’époque où monmaître Joseph Chatonnet, du laboratoire de phy-siologie de la faculté de médecine de Lyon, en1959, m’a proposé un sujet de thèse. Il était arrivé àla conclusion qu’une sensibilité au froid devaitexister dans la profondeur du corps et s’attendait àce que l’organe sensible se trouve dans l’hypotha-lamus, à la base du cerveau. L’expérimentation amontré qu’il avait raison. C’est ce que j’appelle larecherche-pêche-à-la-ligne: on sait qu’une truite setrouve dans telle fosse de la rivière et on expédie samouche juste au-dessus ; en recherche, on formuleune hypothèse, on pose une question précise et onmonte une expérimentation pour y répondre toutaussi précisément. À ce type de démarche s’opposela recherche-pêche-au-chalut : on râcle le fond de lamer, on remonte toutes sortes de sédiments mêlés aupoisson; en recherche, on ne sait pas trop ce qu’onexplore, on mesure toutes sortes de paramètres et oncalcule les corrélations pour essayer de trouverquelque chose de significatif. La recherche-pêche-à-la-ligne est une véritable aventure intellectuellegénératrice d’une excitation joyeuse et sans cesserenouvelée. En effet, un résultat, qu’il soit positif ounégatif, conduit à «voir» d’un œil nouveau lesystème qu’on étudie. Cette vision nouvelle amèneà formuler de nouvelles hypothèses, à poser denouvelles questions et à tenter d’y répondre avec denouvelles expérimentations. C’est ce processus,cette quête, que j’ai souhaité faire partager aulecteur dans la Quête du plaisir par la descriptiondes hypothèses et des expérimentations en cascade,depuis la physiologie fondamentale jusqu’à lamicro-économie et la psychologie. Ainsi, après ladécouverte d’une sensibilité au froid dans l’hypo-thalamus, les étapes suivantes ont porté sur l’inter-vention de cette sensibilité dans le déterminisme ducomportement de lutte contre le froid, puis dans laperception du confort thermique, puis de la per-ception du plaisir sensoriel. Je suis encore à ladernière étape, l’étude des plaisirs autres quesensoriels. D’où le deuxième plaisir de mon titre.

Le principe de plaisir, autre confusion qu’il fautéviter, n’a rien de commun avec le conceptfreudien…

Pour Freud, le «principe de plaisir» régit lefonctionnement mental et tend à satisfaire lespulsions, quelles qu’en soient les conséquencesultérieures. Pour lui, le principe de plaisir s’opposeau principe de réalité. Si j’accepte les prémisses deFreud et que le plaisir régit le fonctionnementmental, je crois qu’il s’est trompé dans saconclusion que le plaisir s’oppose au besoin réel del’organisme (besoin physiologique et mental ). Aucontraire, le plaisir y est totalement asservi : ildétermine et sanctionne les comportementsefficaces et utiles. Le principe de plaisir est leprincipe de réalité.

Vous racontez quand même des expériencesétranges et excessives: vous-même ou vos colla-borateurs vous êtes exposés à des courants d’airglaciaux, vous vous êtes plongés dans des bassinscontenant de l’eau très froide ou très chaude, vousavez suivi des régimes extrêmement sévères, etc.,bref, vous avez malmené votre corps, et vous avezmême malmené le corps de certaines autrespersonnes — consentantes, il est vrai. Est-ce quetout cela était nécessaire?

Les expérimentations en question n’avaient riend’excessif. En état d’hyperthermie, se plonger dansun bain froid, ou même glacé, est délicieux! LesScandinaves ne font pas autre chose dans leurssaunas. Maigrir de quelques kilogrammes pour uneexpérimentation sur la perception du goût, est une

performance que voudraient bien pouvoir accomplirnombre de nos concitoyens. L’éthique impose àl’expérimentation des barrières évidentes que je n’aijamais franchies. La satisfaction d’une curiosité estaussi un grand plaisir, pour l’expérimentateur certes,mais aussi pour les sujets volontaires qui satisfontleur curiosité et parfois génèrent de nouvelleshypothèses. La curiosité est d’ailleurs une grandemotivation, facteur de survie de l’humanité!

Dans Qu’est-ce que l’homme?, Luc Ferry et Jean-Didier Vincent disent que vous élaborez unethéorie utilitariste (épicurienne). Quelles sont lesgrandes lignes de cette théorie et relève-t-elle,selon vous, de l’utilitarisme? À quoi s’oppose-t-elle?

Ces auteurs parlent de l’utilitarisme de Bentham, deStuart Mill et de quelques autres (depuis Aristote).Les conclusions utilitaristes reposent sur des intui-tions, elles-mêmes fondées sur l’introspection duphilosophe. Mes conclusions sont fondées sur desétudes expérimentales, reproductibles, productricesd’évidences «partageables». Bien que le termed’utilitarisme ait pris une connotation péjorative, ilfaut lui reconnaître le mérite de s’opposer à troishypocrisies. Celle des stoïciens, qui voulant fairel’ange font la bête, car le culte de la vertu est aussiune recherche du plaisir. Dans les dernières pagesde La quête, je développe cet aspect. Les compor-tements les plus récompensants, ceux qui apportentles joies les plus hautes, sont les comportementsaltruistes. Relisez les Béatitudes, « il y a davantagede plaisir à donner qu’à recevoir». Celle despseudo-scientifiques réductionnistes, qui prétendentpouvoir tout expliquer par des circuits de neuroneset nient la notion d’émergence. Victor Johnston faitremarquer que, de la même façon que les propriétésd’une automobile émergent de l’ensemble de sespièces sans qu’on puisse les prédire à partir despropriétés de chacune des pièces en question, demême, la pensée émerge du cerveau sans que notreconnaissance des mécanismes cellulaires puisse nila prévoir, ni l’expliquer. La troisième hypocrisieconsiste à dire «ce que vous faites est évident», orrien n’est plus difficile à étudier que l’évident. Cetteattitude est résumée de façon humoristique par lespsychologues Cosmides et Tooby et sous une formevoisine par le physicien F. Hoyle. L’attitude desscientifiques, et de chacun d’entre nous, devant lesidées nouvelles se fait en trois étapes qui sont, pourCosmides et Tooby: «1. Ce n’est pas vrai ; 2. Bon,c’est peut-être vrai, mais ça n’est pas important ; 3.C’est vrai et c’est important, mais ça n’est pasnouveau — nous l’avons toujours su.» Et pourHoyle: «1. L’idée n’a aucun sens; 2. Quelqu’un y apensé avant vous ; 3. Nous l’avons toujours cru.»Une injustice majeure se cache derrière cet humour;les travaux ainsi traités sont bien souvent repris etacceptés sans citation du travail original.

Vous retrouvez le principe de plaisir à l’œuvrepartout, de la physiologie à la morale en passantpar l’économie. Pour vous, le plaisir est la «mon-naie commune, l’euro de nos comportements»selon (Ferry et Vincent). Quelques illustrations…

À chaque instant nous devons décider au service dequelle motivation nous allons consacrer notrecomportement, aller au spectacle ou dormir?Poursuivre la rédaction d’un article ou faire unepause-café? Etc, etc. Ces conflits de motivations se résolvent par la comparaison des plaisirs etdéplaisirs apportés par les différents comportementsen question. Le choix va toujours vers celui quiapporte le plus de plaisir, étant entendu qu’il fauttenir compte des plaisirs «élevés» altruistes.Parfois, un comportement coûte de la peine, se leverla nuit pour langer un enfant, aller déneiger dans lefroid, etc. La décision se prend encore par lamaximisation du plaisir, mais il s’agit de la sommealgébrique entre la peine ( le coût ) et la joierésultante du comportement.

Au début de votre livre, vous dites que vous avezmené en solitaire les travaux sur la thermoré-gulation. Est-ce que, aujourd’hui, vos recherchessont mieux acceptées? Les avez-vous vous-mêmepoursuivies?

Thomas Kuhn a bien décrit la façon dont se diffuseune nouvelle théorie. Les contemporains la refusenten bloc car elle heurte leurs schémas mentaux. C’estla génération suivante qui examine les faits d’un œilneuf, dépourvu de préjugés. Trente ans ont passé —une génération — depuis la publication de monarticle de tête «Physiological Role of Pleasure»dans la revue Science. Je ne crois pas que quiconquemette encore en doute le rôle du plaisir sensorielcomme optimiseur des comportements à reten-tissement physiologique. Ma proposition dans leJournal of Theoretical Biology, que le plaisir soit lamonnaie commune d’échange entre les motivations,postulée par Macfarland et Sibly, date de 1992. Lesexpérimentations se poursuivent et sont pourl’instant tournées vers le rôle du plaisir dansl’optimisation du fonctionnement purement psy-chologique. Ainsi, c’est en maximisant le plaisirque nous résolvons les problèmes d’arithmétiquedont nous ne connaissons pas la solution. Le mêmemécanisme préside au choix des formules gram-maticales dans une langue seconde imparfaitementmaîtrisée. Comme ces expérimentations sont plusrécentes, certains psychologues n’ont pas eu encorele temps de les digérer. C’est le même processusqu’avec les physiologistes lors de mes expériencesinitiales sur le plaisir sensoriel. En revanche, deuxgroupes ont bien accepté mes concepts. D’un côté,les philosophes, pour qui il s’agit d’un simple retouraux sources, mais avec le confort mental del’évidence expérimentale plutôt que la simpleintrospection, et de l’autre les neurophysiologistescliniciens, qui ont accès à des équipementshospitaliers coûteux et s’intéressent aux centresactivés pendant les plaisirs sensoriels, ou autres.Leurs résultats confirment que des structuresidentiques dans le cerveau sont activées par desplaisirs différents.

Michel Cabanac est professeur de physiologieà l’université Laval

Marc Chapleau a longtemps été chroniqueur à Voir,maintenant on peut le lire dans La barrique et dansAffaires Plus. Chez Liber, il a publié des entretiensavec Champlain Charest et L’amateur de vin.

Au moment où je l’ai rencontré, il avait laréputation d’être, en matière de vin, un excentrique,un original, un iconoclaste. Par exemple, ô hérésie,il le congelait ! Ce n’était bien entendu pas là unehabitude ; il s’agissait simplement de voir par soi-même ce que cela pouvait bien donner — de bon, demauvais ou d’inoffensif. Et puis il parlait du vinsans la morgue que les commentateurs se croientd’habitude obligés d’adopter lorsqu’ils abordent lesujet. Mais surtout c’était un enthousiaste, quivoulait faire partager sa passion avec simplicité,humour et émotion, un peu comme lui-même avaitrencontré le vin, «à Noël 1981», à travers le Guidede poche du vin de Raymond Dumay. «Au bout dequelques pages à peine ma curiosité était piquée: jedécouvrais avec plaisir que le vin pouvait me “par-ler”, qu’on pouvait écrire de belles choses simpleset sensées sur lui, que cela pouvait me faire sourireet même m’enthousiasmer.» Dans L’amateur de vinil avoue ainsi avoir pris plaisir «à marcher sur lespieds de certaines vérités qui nous compliquentparfois inutilement l’existence» et qui tiennent àdistance ceux qui ne demandent pourtant qu’à êtreséduits. D’ailleurs, toutes les fois qu’on m’ademandé de résumer la teneur de L’amateur de vin,j’ai répondu qu’il s’agissait d’une séduction (plutôtqu’une introduction) au vin.

Car, à l’égard du vin, il ne s’agit pas de forcerles choses. Marc Chapleau ne fait pas de prêche, ilne conseille même pas ; il indique, il montre. Sonlivre ne répond pas à la question «pourquoi s’inté-resser au vin?», mais à celle qui demande commentlaisser s’épanouir la curiosité, comment donnerlibre cours au désir de connaître. En effet, dit-il«pour que les choses durent, pour que votre passionnaissante ne soit pas qu’un feu de paille, il vaut centfois mieux que ce soit, lui, le vin qui vous séduise,qui vous fasse un clin d’œil, qui éveille votre curio-sité et qui chatouille vos sens». L’amateur de vins’adresse donc à ceux qui veulent et qui n’osent pas,qui hésitent et qui ont peur de se tromper, nonseulement dans le choix de la bouteille qui convientà toute la tablée au restaurant ou dans l’ordre selonlequel il faut ouvrir les flacons, mais à ceux quicraignent de ne pas adopter une soi-disant bonneattitude à l’endroit du vin.

«Le vin est un aliment, une boisson qu’onconsomme, à bon droit et de préférence, sans façonet sans arrière-pensées. Depuis des siècles, il accom-pagne l’aventure humaine, grisant les sens etexcitant l’esprit de ceux — et ils sont nombreux —sur qui sa couleur, ses odeurs et ses saveurs exercentun attrait quasi irrésistible. Pourtant, particuliè-rement sous nos latitudes, il produit encore une sorted’intimidation qui n’a d’égal que la propre hésitationou le manque de confiance en soi de l’apprenti. Cetteretenue spontanée est aggravée par le découra-gement devant la diversité infinie du vin. Vouloir sefamiliariser avec lui apparaît comme une tâchevouée à l’échec.[…] Ce que cet ouvrage aimeraitbien démontrer c’est que ces deux aspects enapparence inconciliables du vin — son côté émi-nemment humain, convivial et chaleureux, et sacomplexité et ses exigences — constituent en faitdeux aspects d’une même réalité. Non pas, attention,l’avers et le revers d’une médaille, mais plutôt unesorte de yin et de yang, d’échos complémentaires quicréent, en présence l’un de l’autre, une étonnante etdélicieuse euphonie.»

Giovanni Calabrese

Liber bulletin, no 2, mai 2002 ( 3

Entretien

Michel CabanacLa quête du plaisir

Michel Cabanac, La quête du plaisir, 170 pages, 19$, isbn 2-921569-25-6

parution octobre 1995

Note

Marc Chapleau L’amateur

de vin

Marc Chapleau, L’amateur de vin, 186 pages, 20$, isbn 2-921569-26-4

parution octobre 1995

Bulletin 6/3/02 1:55 PM Page 3

4) Liber bulletin, no 2, mai 2002

La collection «de vive voix» est néepresque en même temps que la maisond’édition. Je veux dire qu’au moment où ila bien fallu prendre l’initiative de quelqueprojet — plutôt que d’attendre passivementles manuscrits —, c’est celui-là qui a faitconsensus et qui, finalement, a tenu bon.Cela ne signifie pas que les ouvrages de lasérie aient été des succès de librairie, maisils ont pour ainsi dire constitué un trait

caractéristique visible de Liber. Souventd’ailleurs, lorsque au hasard des rencontreson s’informait de l’entreprise, ce sont lestitres de la collection qu’on citait pourm’assurer qu’on en connaissait quandmême quelque chose. Quoi qu’il en soit,c’est vrai qu’elle occupe une place impor-tante dans notre programme éditorial.

Je ne me rappelle plus qui en a eul’idée. Nous étions trois, comme d’habi-tude ( ici, je renvoie le lecteur à Dialoguesen ruine, publié en 1996). Elle est née denos discussions. Je me souviens en tout casque Michel Vacher a proposé de faire desentretiens avec Mario Bunge, physicien,philosophe prolifique et original, à l’écartdes courants à la mode, professeur àl’université McGill et pratiquementinconnu dans le monde francophone. Maiscomme un titre ne fait pas encore unecollection, il fallait bien trouver autrechose. On a alors entrepris — ça aussi,c’était une habitude — de convaincre JeanPapineau de faire des entretiens avec Jean-Paul Riopelle. Jean s’y connaissait en art,le projet le séduisait, mais il hésitait,invoquant les difficultés prévisibles et semoquant d’avance de la foirade inévitable.Alors il faisait diversion: il faudrait

demander à Robert Lévesque — qui étaitau Devoir à l’époque — de faire quelquechose en théâtre, Jean-Pierre Ronfard, parexemple, etc. Oui, sans doute, disions-nous, mais Riopelle, tu peux peut-êtreessayer, non?

Les entretiens avec Bunge, Ronfard etRiopelle parurent finalement en mêmetemps, en 1993. Mais ce n’est pas Jean quis’était entretenu avec Riopelle. Parce que,un beau jour, j’appelai Riopelle, décidé àlui demander une rencontre. Or, j’avais àpeine expliqué le but de mon appel qu’onme passe Gilbert Érouart qui me dit que,par une étrange coïncidence, il venait determiner des entretiens avec le peintre etqu’il avait justement l’intention dechercher un éditeur. Je ne sais pas si Jeanen a été soulagé ou secrètement blessé.

Puis les choses se sont enchaînées. Il me semble également que «de vive

voix» avait, à mes yeux du moins, uneambition idéologique. Celle de contribuer àfaire cesser les lamentations sur la pauvretéculturelle de notre milieu. Il s’agissaitautrement dit de montrer qu’on avait, àproximité, des scientifiques, des philoso-phes, des artistes, des praticiens, dont lacontribution était significative mais que,malheureusement on connaissait mal. Toutcela était sans doute naïf, je parle à la foisdu diagnostic et de l’ambition, mais j’ytrouvais la vertu d’une motivation assezforte pour permettre à la maison d’éditiond’avancer. En tout cas, il fallait bienprendre le programme au sérieux etinspecter le terrain à la recherche de ceuxqui avaient des choses à raconter et quiétaient disposés à se prêter à l’exercice(une quinzaine d’heures d’enregis-trement ). Chaque entretien devait ainsirappeler la trajectoire de la personneinterviewée, reconstituer les grandesarticulations de sa pensée ou de son actionet recueillir ses opinions sur le telle ou tellefacette du monde contemporain. Lacollection devait devenir, c’étaient les

termes qui m’étaient alors venus à l’esprit,une encyclopédie vivante des savoirs et despratiques, incarnés et racontés par desQuébécois. Ce programme tient toujours,et même si la collection s’est ouverte à desparticipants plus ou moins extérieurs àl’espace national, elle garde toujours d’unefaçon ou d’une autre un ancrage auQuébec.

Je l’aime bien. Parce que ce sont deslivres qui se lisent avec plaisir. Ils sontvivants, généreux, utiles. Et puis, leurpréparation même donne lieu à desrencontres riches, à des épisodes drôles ouémouvants, jamais ternes. Je me souviens,par exemple, de la prise de photos chezRiopelle, avec Alain Décarie, à qui lepeintre n’avait accordé qu’une séance dequatre ou cinq poses. Il ne fallait pas lesrater. Le face à face du photographe et deson modèle était ce soir-là d’une étrangeintensité. Les photos qui en sont sortiessont merveilleuses. Parlant de photos, jeme souviens également du bureau de DenisSzabo, à l’université de Montréal, dont lesmurs en sont tapissés. Chacune aévidemment son histoire que M. Szaboracontait avec plaisir et émotion. «C’estphotos, dit-il dans les entretiens, rappellentque je suis un apatride. Apatride veut dire“déraciné” plus que “marginal”, rayé desregistres du régiment, comme on dit dansl’armée. Dans ce sens, elles décrivent cequ’est mon monde, l’univers que j’habite etque j’ai, d’une certaine façon, construit aufur et à mesure de mes activités et qui estvenu remplacer la patrie que j’ai dû quitterquand j’avais dix-huit ans.» Jacques deTonnancour nous a ouvert ses tiroirsremplis de papillons, insectes et autresbestioles en provenance du monde entier.De son côté, et dans un tout autre registre,Champlain Charest nous a fait admirer sonexceptionnelle cave à vin et nous a faitpartager sa passion pour les belles etbonnes choses de la vie. Et puis j’ai puretrouver, dans un tout autre contexte,Gilles Marcotte, qui m’avait enseigné àl’université, et Pierre Popovic, vieuxcopain que j’avais connu en Belgique.

Bref, du bureau de l’université McGilloù, pour la première fois en compagnie de Michel Vacher j’ai serré la main à MarioBunge, à Lyon, où on a soulignérécemment la parution des entretiens avecFrançois Laplantine, chaque livre a étél’occasion d’une expérience unique et enri-chissante. La collection «de vive voix» latraduit à sa façon.

Giovanni Calabrese

de vive voix

Bulletin 6/3/02 1:55 PM Page 4

Jean Benoist

Denis Szabo

Liber bulletin, no 2, mai 2002 ( 5

de vive voix

«L’idée est si simple qu’on se demandecomment il se fait qu’un éditeur n’y ait paspensé plus tôt : choisir quelques personna-lités importantes dans leur domainerespectif, leur adjoindre des interlocuteursintelligents, et les laisser discourir sur leurvie, leur travail et leur passion. À en jugerpar les trois premiers volumes de lacollection “De vive voix”, chez Liber, lerésultat est plus que probant, il estremarquable.»Robert Saletti, Le Devoir, 16 octobre 1993

•«Les éditions Liber proposent “De vivevoix”, une toute nouvelle collectiond’entretiens avec des gens remarquables

qui, par leur travail et leur pensée, ontcontribué à la transformation des pratiquescontemporaines. D’une grande sobriété,ces entretiens livrent l’essentiel del’aventure d’une vie en retraçant lesrencontres et les événements marquantsqui l’ont façonnée. […] “De vive voix”offre des rencontres d’une rare densité.»

Suzanne Décarie, Santé, décembre 1993•

«Rares sont les ouvrages du genre qui sontaussi passionnants. On lit ces entretiens deRobert Lévesque avec Jean-PierreRonfard, parus aux éditions Liber dans lacollection “De vive voix”, comme on seplonge dans un roman. Car les deuxinterlocuteurs, l’un critique redouté etredoutable, l’autre comédien, metteur enscène, auteur, professeur et directeur detroupe respecté avec 50 ans d’expérience,sont des figures importantes du théâtrequébécois. Ils remontent dans le temps

avec autant de raison et de passion pour lecours de l’histoire théâtrale d’ici etd’ailleurs.»

Luc Boulanger, Voir, 30 septembre 1993•

«Le parcours que nous relate ce livre [ lesentretiens avec Jean Benoist ] n’a rien d’unfleuve tranquille, car chaque affluent yentraîne des tourbillons, mais la narrationest calme et sereine : à cet égard, elle offreun tableau-récit aussi instructif que rareaux étudiants et jeunes chercheurs peuenclins à respecter les cloisons édifiées parleurs aînés.»

Georges Guille-Escuret, L’homme, no 161, 2002

•«Dans la même collection qui nous avaitvalu, peu de temps auparavant, de trèssérieux entretiens entre Pierre Popovic etGilles Marcotte, les éditions Liber,proposent des rencontres de Paquerette

Villeneuve avec la designer Marie SaintPierre. Choix étonnant et bienvenu s’il enest puisqu’il bouscule un certain nombred’idées reçues […]. Villeneuve lève levoile, c’est le cas de le dire, sur une femmedécidée, fonceuse, qui fait un bilan lucideet sans complaisance de sa carrière, encorejeune certes, mais déjà riche en rebondis-sements et en choix déchirants.»

Lucie Joubert, Spirale, novembre-décembre 1998

•«Entretiens avec Denis Szabo livre lavision, les préoccupations, les réussites etles échecs d’un homme considéré commel’initiateur de l’enseignement universitairede la criminologie au Québec. Ce livreintéressera donc particulièrement les ama-teurs de biographie et les criminologues[…].»

Patrice Corriveau, Recherchessociographiques, 14 mars 2001

Échos

©Alain Décarie

Jean-Paul Riopelle ©Alain Décarie

Gilles Carle ©Alain Décarie

Jean Paré ©Alain Décarie Jean-Pierre Ronfard ©Alain Décarie

Mario Bunge ©Alain Décarie

Bulletin 6/3/02 1:55 PM Page 5

Quatre leçons et deux devoirs de pataphysiquen’est ni une histoire de la pataphysique, niévidemment un livre scolaire qui exposerait unedoctrine suivie d’exercices. Le mot «leçon» doitêtre entendu comme dans l’expression «tirer desleçons», n’est-ce pas? Et qu’en est-il des devoirs?

«Leçons» et «devoirs» renvoient à la fois à lastructure que j’ai voulu donner au livre et peut-êtreau seul discours qu’on puisse tenir sur la pata-physique… Je m’explique : depuis qu’Alfred Jarry,le créateur d’Ubu, l’a définie comme «la sciencedes solutions imaginaires» et comme « la sciencedes exceptions» par rapport aux généralités, depuissurtout qu’il a déclaré que «tout est pataphysique»,on doit comprendre qu’elle est une sorte deméthode de connaissance du monde. Le défi estalors de comprendre ses enseignements tant théo-riques que pratiques. Mon approche de la pataphy-sique repose en fait sur une série de questions que je me suis posées à moi-même: la science dessolutions imaginaires ne permet-elle pas tout sim-plement de jeter un peu de lumière sur le mystère de la créativité? La pataphysique elle-même,indépendamment de ceux qui s’en réclamentcomme le Collège de pataphysique, qui a son his-toire, ne fait-elle pas de l’invention de solutionsimaginaires le sens de la vie tout court? La sciencecomme la vie ne sont-elles pas le résultat detentatives, d’hypothèses, d’essais et d’erreurs,d’actualisations et de potentialités, de propositionsde solutions «exceptionnelles» qui détonnent parrapport aux généralités? La pataphysique n’est-elle pas une discipline cognitive? Je le crois. Alors, comprendre le sens qu’ont voulu donner àleur vie créative les pataphysiciens, comment ils ontfait entrer l’imaginaire dans leur vie, dans leur pro-cessus de socialisation, comment surtout leurstravaux engendrent la vie en faisant surabonder lessolutions imaginaires, voilà les questions qui ontorienté ma réflexion.

Non, l’essai n’est pas une histoire de lapataphysique, bien que j’y indique les principauxrepères historiques. C’est « l’esprit pataphysique»qui m’intéresse, l’esprit créateur, et c’est pour celaque je m’éloigne assez souvent des seules œuvres etpratiques considérées comme pataphysiques, bienque les guides incontournables de l’enseignementpataphysique s’appellent toujours Jarry, Ionesco,Queneau, le Collège de pataphysique et les diversouvroirs, particulièrement l’oulipo (ouvroir delittérature potentielle ). Dans un premier temps,j’essaie donc, à partir de leur témoignage, de tirerdes leçons quant à la nature et au fonctionnement dela créativité, puis je propose deux devoirs per-sonnels pour démontrer comment la pataphysiquedevient un processus de connaissance de l’univers,intérieur ausssi bien qu’extérieur. Ces devoirs nesont pas à confondre avec des «contraintes»oulipiennes ou autres, il s’agit de devoirs au senséthique du terme, des sortes d’exercices d’éthiquede la connaissance qui renvoient à l’apprentissagede la vie, de la créativité, de la pataphysique.

La leçon la plus importante concerne donc lacréativité, qui serait la clef de la liberté, del’efficacité — car vous n’hésitez pas à souligner lerôle de la créativité en gestion —, de la paixintérieure et extérieure. Il y aurait équivalencepour vous entre créativité et pataphysique?

Oui. La science des solutions imaginaires nous aideà comprendre comment on crée et, surtout, com-ment on se crée un statut de créateur permanent. Àcet égard, les pataphysiciens nous ont laisséquelques concepts de base pour décrire commentl’esprit pataphysique s’incarne dans les œuvres. J’airepris ces concepts, et j’en ai ajouté quelques autres,en m’inspirant du monde de la gestion, domainedans lequel je travaille d’ailleurs. Je décris donc lespratiques pataphysiques en termes de processus,procédés, produits, attracteurs, propos. Le processuscréateur pataphysique relève du «détonnement», leprocédé de la «rythmographie», le produit d’une«fluoraison d’affluences d’influences fluctuantes»dynamisant quatre attracteurs ( le poétique, lenarratif, l’axiomatique et le scénique). Le propos dela créativité pataphysique est celui de la «paix»,intérieure et extérieure, résultat d’une prise deconscience des dégâts auxquels nous exposent lesmodes de pensée et les comportements ubuesques,et d’une ouverture aux métamorphoses constructi-ves et joyeuses. La pataphysique est fondamentale-ment une science de la joie, de la liberté reconquiseavec la responsabilité humaine qui en découle. Elleest aussi une science de l’efficacité ou de l’effi-cience, parce que la véritable «résolution de problè-mes» signifie nécessairement invention de solutions

pour qui cherche la paix des points de vue et lacoopération entre eux. La pataphysique ou lacréativité constituent un instinct de survie. Ellesnous fournissent des leçons de vie pratiques qui nesont pas sans s’apparenter au zen. Il y aurait en faitéquivalence entre créativité, pataphysique et vie.Dire que tout est pataphysique, c’est dire que toutest virtualités ou potentialités métamorphiques.Rien n’est fixe, figé d’avance et pour toujours. Toutest en mouvement. La culture de la guerre en estune du «définitif». La culture de la paix en est unede «métamorphoses». Et prendre conscience decela attise une curiosité sans limite, une passionpour la découverte des différences de points de vue,un déplacement perpétuel de l’ego, un élar-gissement de ses processus cognitifs, unenrichissement, une régénération de son imaginaire.

La créativité pataphysique ouvre, dites-vous, surla culture de la paix. C’est l’idée de réconciliationdes contraires que vous mettez en relief à cetégard. Mais la créativité ne se nourrit-elle pasaussi de tensions, d’irréconciliable, de tragique?

En fait, voir la réalité en termes de contraires estpour moi une aporie. La tension créatrice s’exerceentre des semblables qui cherchent les petites etgrandes différences entre eux pour s’enrichirmutuellement. Je crois qu’il faut décidément arrêterde tout expliquer en termes de contraires, c’est ceque Jarry disait et c’est ce que les pataphysiciens etd’autres humanistes reprennent à leur tour. Les soi-disant contraires se contiennent l’un l’autre. Prenonsl’exemple de la mort. À mes yeux, la mort commetelle n’existe pas. C’est tout simplement la vie qui sedésactive progressivement du champ qu’elle ainvesti. Et cela n’est pas tragique en soi. La grandetragédie pour moi et pour les pataphysiciens, c’estUbu ou l’humain dans son «ubuquité», c’est-à-direses prétentions, son égocentrisme, sa barbarie. Pourconstruire un monde sur la culture de la paix, il fautnécessairement qu’il y ait volonté de coopération etacceptation des différences. La culture de la guerrerecherche l’uniformité ; la culture de la paix, ladiversité. Et qui dit diversité dit variété de points devue à réconcilier, plaisir de la découverte, jeu,espace pour les solutions imaginaires des penseurslibres ou des libres penseurs.

Vous êtes membre du Collège — quel est votregrade déjà? — qui a des chapitres un peu partoutdans le monde. En quoi consistent vos activités?Comment concrètement se déroule l’activitépataphysique, pour l’individu et pour le groupe?

Je connais les membres du Collège de pataphysique,de l’Institut italien et des ouvroirs, certains plus qued’autres nécessairement, depuis une trentained’années. J’y ai de très grands amis. Outre les activi-tés pataphysiques (expositions, lectures, colloques,réunions de travail, publications), je dirais que c’estl’amitié, la complicité et le plaisir de partager quiréunissent les pataphysiciens. Souvent autour d’unebonne table. On m’a donné des titres honorifiquespour avoir contribué à des événements pataphy-siques (dont une exposition que j’ai organisée àl’université du Québec à Montréal en 1989). AuCollège, on me nomme «l’arpenteuse des neiges»; àl’Institutum pataphysicum mediolanense de Turin, jesuis «Tzarine et Commandeure exquise, propa-gatrice de pataphysique québécoise et ubuquitaire».Au Québec, nous sommes un petit groupe, réunissous l’appellation d’Académie québécoise de pata-physique, que l’amitié et la collaboration à desœuvres communes lient de temps en temps et, àl’exemple des Français, presque toujours autourd’une bonne table. Joyeusement.

6) Liber bulletin, no 2, mai 2002

Line Mc MurrayQuatre leçons et deux devoirs de pataphysique

Line Mc MurrayQuatre leçons et deux devoirs de pataphysique

208 pages, 24$, isbn 2-921569-94-9parution octobre 2001

Entretien

Extrait

©Alain Décarie

Cet essai porte sur la créativité. Et sur la pata-physique. Sur la créativité pataphysique. Sur la

créativité telle que la pataphysique nous la donne àcomprendre et à cultiver. Sur la pataphysiquecomme forme exemplaire de créativité.

La créativité est certes un concept à la mode.Qui ne l’invoque pas? Qui ne fait pas dépendred’elle le bonheur de l’homme, voire sa survie? «Ilfaut être créatif !», telle est l’injonction que nousassène l’époque. Après les épisodes de misère et dedestruction du vingtième siècle, le nouveaumillénaire exige une éthique de la tolérance, durespect et de l’intégration des différences. Lamondialisation également. La créativité, parcequ’elle fait la part belle à la recherche, àl’imagination, à l’invention de solutions, apparaîtcomme la première ressource à préserver. Encorefaut-il en connaître les conditions d’émergence etd’exercice. D’où notre intérêt pour la pataphysique.

Entendons-nous bien, cet ouvrage n’est ni unehistoire de la pataphysique ni un exposé de sathéorie — à supposer qu’on puisse en dégager une.Il propose plutôt un cheminement, unedéambulation, un parcours dans l’espace, concretautant qu’imaginaire, qu’elle a élaboré, un espaceengendré par sa créativité justement. La meilleurefaçon de définir ce livre est sans doute de nommerceux qu’on y rencontrera. Et ils sont nombreux. Lesgrandes étapes s’appellent cependant Alfred Jarry,l’inventeur de la pataphysique, certains membres duCollège de pataphysique et des ouvroirs decréativité potentielle dont Eugène Ionesco,Raymond Queneau, François Le Lionnais. En coursde route, on en croisera beaucoup d’autres. C’estdonc ici une invitation à cheminer dans l’univers dela créativité avec écrivains, artistes, scientifiques,dont les théories et les pratiques nous permettent deconnaître ce qui entre en jeu quand on crée.

Toute la tradition pataphysique associe, autretrait important pour nous, la créativité à une culturede la paix. Paix intérieure et paix extérieure. Ceuxque nous croiserons ont en commun leursdémarches pacifistes. Pour étudier la créativité dansla perspective d’une culture de la paix, il fallait êtreaccompagné par les libres penseurs sinon par despenseurs libres.

C’est au tournant du vingtième sièclequ’Alfred Jarry propulsait la pataphysique dans unavenir insoupçonné. Il la définissait comme la«science des solutions imaginaires accordantsymboliquement aux linéaments les propriétés desobjets décrits par leur virtualité». Parmi lespersonnages qui allaient l’immortaliser, le Père Ubudemeure le plus populaire. Sur un mode comique outragique, la pièce où il apparaît dans toutes sespompes, Ubu roi, est depuis longtemps jouée sur lesgrandes et petites scènes du monde. Le qualificatif«ubuesque» — «qui ressemble au personnaged’Ubu roi par un caractère comiquement cruel etcouard», dit le dictionnaire — fait maintenantpartie du langage courant. On l’appliquera à toutesituation qui prend une tournure féroce, alimentéepar l’égocentrisme et la lâcheté, et faisant l’étalagede la bêtise humaine.

[…] La source de tous les malheurs causés parune culture de la guerre, Jarry va en faire le thèmede toute son œuvre, pour la dénoncer. Quelle est-elle? Elle consiste dans la croyance générale etaveugle en l’existence d’antagonismes, flagrantscomme dans la relation de maître à esclavequ’entretient le Père Ubu avec les autres, subtilscomme dans l’opposition entre l’univers de lamatière ou de la physique et l’univers de l’esprit oude la métaphysique. Le mot même de «pataphy-sique», qui fait se rencontrer sur le mode comiqueceux de «physique» et de «métaphysique», lesérieux et le grotesque, se moque des oppositions etles abolit. Avec ce mot générique, dont la définitions’enrichira de la maturité du créateur, Jarry instauredoucement une culture de la paix qui neutraliseramême les oppositions les plus opiniâtres. Paix inté-rieure, certes, qui le fait évoluer vers unecompréhension lucide du processus créateur et uneexpérimentation «scientifique» des solutionsimaginaires.

[…] Le désir d’échapper à une cultureguerrière, le Collège de pataphysique en feraégalement sa bannière. Au moment de sa création,en 1948, celui qui incarnait Ubu dans la réalité dumonde littéraire n’était autre qu’André Breton. LeCollège naissait donc de la surdose d’em-brigadement et d’endoctrinement que le pape dusurréalisme imposait à la culture et réclamait lelibre exercice de la créativité. Il reconnaissait alorsla grandeur et les misères d’Alfred Jarry,dépoussiérait ses œuvres, s’appropriait la «sciencedes solutions imaginaires». Et il adoptait une formede socialisation propice à la créativité individuelle.

[…] Une culture de la guerre repose, pardéfinition, sur les oppositions statiques, figées,durcies. Celle des créateurs qui nous occupent iciintègre les tensions au lieu de les exacerber, misesur ce qui réunit et dynamise à la fois lespersonnalités et les pratiques.

Si le grand désir d’Alfred Jarry était de sortirl’ego et ses avatars ubuesques du processuscréateur, si celui du Collège de pataphysique et desouvroirs visait à sortir l’ego et son dogmatisme detoute communauté de créateurs, si celui de Ionesco,Queneau et Le Lionnais entendait sortir l’ego et sesparadigmes cognitifs de la recherche créatrice, et sinotre compréhension de l’imaginaire pataphysiqueest probable, alors elle ramène la créativité à sa plussimple expression. L’imaginaire pataphysique porteun regard «scientifique», zen, sur soi et ses propressolutions pour se jouer tout entier entrel’étonnement et la virtualité. Il devient ainsi unediscipline cognitive et repose sur ce que Jarryappelait l’«exception de soi». Exception de soi,c’est-à-dire abandon des perceptions conditionnées,statiques, conflictuelles, au profit d’une curiositéintégrant le créateur dans une dynamique constituéede perceptions constamment renouvelées. Hormis«soi», que reste-t-il de l’acte créateur, sinon uneplongée par l’étonnement dans les virtualités et parles virtualités dans l’étonnement? ( p. 9-12).

Bulletin 6/3/02 1:55 PM Page 6

La première édition des Jeunes de la rue date de1991, la troisième vient de paraître. Le terrain quia servi de base au livre remonte à la fin des années1980. Vous étiez alors à l’université, vous êtesmaintenant au Service de police de la ville deMontréal, où vous pouvez suivre quotidiennementla vie urbaine. En ce qui concerne les jeunes de larue à Montréal, est-ce que la situation actuelle esttrès différente de celle d’il y a quinze ans? Y en a-t-il plus? Y a-t-il plus ou moins d’organismes quis’en occupent? Est-ce que leur profil a changé?

Mon intérêt pour la vie des jeunes de la rue remonteeffectivement au milieu des années 1980. À cetteépoque, on parlait beaucoup des enfants et desjeunes des rues de Bogota, de Cali et de plusieursvilles d’Afrique, mais ils ne constituaient pas unecatégorie sociologique dans les pays occidentaux.Tout naturellement, je me préparais à partir. J’avaischoisi l’Afrique, le Sénégal plus particulièrement.J’apprenais le wolof avec un étudiant africain et jecherchais de l’argent. Ce n’est finalement pas là-basque j’ai fait mon terrain, mais ici. J’ai eu le premiercontact avec les jeunes de la rue au pénitencierArchambault, une prison à sécurité maximum pourhommes, où je travaillais en 1985. Ce sont lesdétenus d’Archambault qui m’ont convaincue del’existence d’une sous-culture urbaine de jeunes dela rue à Montréal. Au fur et à mesure que montravail avançait, je me suis pourtant avisée que lephénomène existait depuis fort longtemps. De fait,les études historiques y font allusion depuis laformation des villes. Nous apprenons égalementque cette réalité touche toutes les classes sociales,aussi bien les filles que les garçons, et fleurit dansles milieux permissifs aussi bien que dans un climatnormatif rigide. Le problème des enfants abandon-nés, maltraités et négligés se retrouve dans tous lespays. L’instabilité des «nouvelles» familles, lechômage, la permissivité et la révolte de la jeunessecontre les valeurs traditionnelles ne suffisent doncpas à l’expliquer.

Les jeunes de la rue sont-ils plus nombreuxaujourd’hui? À l’époque, il était pratiquementimpossible d’estimer leur nombre. Cela demeuretoujours difficile puisque ces jeunes vivent le plussouvent dans la clandestinité. Cela dit, on sait qu’ily a de trois à quatre mille jeunes de moins de trenteans dans le réseau d’hébergement et que plus de sixmille se présentent dans les centres de jour et dedistribution alimentaire. Est-ce que leur situation achangé? Fondamentalement, non. En revanche, lesservices se sont développés et diversifiés.

Sans pointer du doigt personne en particulier,votre livre dénonce, me semble-t-il, l’incapacitédont la société et ses institutions font preuvequand il s’agit de prévenir les drames qui poussentplusieurs jeunes dans la rue aussi bien qu’à aider

ces derniers dans leur dérive. Est-ce bien cela?Qu’est-ce qui pourrait être facilement corrigé, àvotre avis, dans la situation actuelle?

Rien ne peut être facilement corrigé. Les services sesont beaucoup diversifiés, comme je viens de ledire. Je pense, entre autres, à la gamme de servicesdu clsc des Faubourgs dans le centre-ville deMontréal. Il y a là une équipe itinérante depuis1992, une urgence psychosociale-justice depuis1995 et une équipe jeunes de la rue depuis 2000. Ily a également plusieurs services communautaires.Je pense à l’équipe du «bon Dieu dans la rue», quin’existait pas au début de mes travaux. Nousdiscutons actuellement des arrimages entre les ser-vices de santé et les services de sécurité publique, lapolice plus particulièrement, ainsi que de toutes lesquestions entourant la formation d’équipes multidis-ciplinaires opérationnelles qui pourraient venir enaide aux jeunes en difficulté avec plus de cohérenceet d’efficacité.

Vous avez une formation d’anthropologue. Quelest l’apport particulier d’un «scientifique» auprèsdu service de police? Y êtes-vous à l’aise? Qu’est-ce qu’on attend de vous? Que dites-vous à voscollègues sur les jeunes de la rue?

Je suis au Service de police de la ville de Montréaldepuis juin 1999 et je m’y sens très à l’aise. Lesjeunes de la rue font l’objet de divers séminaires,sans parler des discussions informelles, et je ne suispas la seule ni à m’être penchée sur la question ni àavoir publié. Il y a d’autres «scientifiques» àl’emploi du service de police. Vous savez, le servicefait partie des rares à compter dans ses rangs quatredocteurs et deux détenteurs de maîtrise civils.Plusieurs policiers ont des diplômes universitairesde premier et de deuxième cycle dans différentsdomaines. Mais revenons à mon travail. Depuis queje suis au service, j’ai pu acquérir des connaissancessur des aspects particuliers concernant la vie desjeunes et leur famille. J’ai réalisé, par exemple, une

étude évaluative sur la violence conjugale et intra-familiale qui a fait l’objet de recommandations et,plus tard, d’un plan d’action corporatif. J’ai à traiterdans les prochains mois et les prochaines annéesdes dossiers comme le désengagement de l’État etla prostitution des mineurs. Et, bien sûr, il y aura lessuites des travaux que nous effectuons avec nospartenaires de la Direction de la santé publique, desclsc, du ministère de Sécurité publique, pour nenommer que ceux-là.

Marguerite Michelle Côté est conseillère en planification au Service de police

de la ville de Montréal

Liber bulletin, no 2, mai 2002 ( 7

Les sociologues des désordres urbains mettent enlumière un lien entre désorganisation sociale,

désordres et délinquance de rue. Mais alors que,pour les uns, c’est l’affaiblissement des normes de conduite qui favorise la déviance et lamarginalisation, pour les autres, la désorganisationsociale provoque des réactions qui mènent à laformation de bandes de jeunes ou, pour reprendrel’expression américaine, de gangs de rue. Maisqu’on adopte l’un ou l’autre point de vue, c’estl’absence d’intégration qui est à retenir.

Selon la première perspective, la déviances’expliquerait par la difficulté qu’éprouvent certainsjeunes à identifier et à intérioriser les normes, à nepas reconnaître les limites entre le permis, le toléréet l’interdit, et par une absence de contrôle de soiqui ne serait qu’une autre forme d’expression de lacrise de socialisation. Cela serait particulièrement lecas de certains jeunes issus de l’immigration qui,coincés entre deux cultures, finiraient par ne sereconnaître dans aucune des deux et par vivre unesituation de double non-appartenance. Même s’ilssont totalement détachés de leur culture d’origine,ils restent attirés par celle de la société d’accueilsans être pour autant en mesure d’en intérioriser lesnormes et les valeurs.

La théorie de la désorganisation socialesuggère, elle, que les jeunes, et en particulier ceuxissus des milieux défavorisés et de famillesdisloquées, se construisent d’autres modes d’appar-tenance et d’autres identités collectives en réactionà leurs espaces de vie, leurs familles, leurs quartierset la société en général, qui se désagrègent, sedéfont. Le gang serait leur réponse à la désorga-nisation sociale, la réaction à une société où ils netrouvent pas leur place. Là, ils retrouvent un en-semble de repères, de règles et une solidarité que lasociété est incapable de leur offrir. Ce type de banden’est pas forcément violente et délinquante, mêmesi, dans les faits, la violence y a une place signifi-cative et en serait même parfois une conditiond’existence. L’identité de la bande est avant toutterritoriale ; les bandes font partie de ces phéno-mènes urbains par lesquels les jeunes des quartiersen déshérence s’identifient à leur territoire.[…]

À cette première catégorie d’incivilitairess’ajoute celle constituée de jeunes vivant en margede la cité et qui, toutes amarres rompues, n’envisa-

gent aucune réinsertion. Combien de ces laisséspour compte vivent en microcommunautés auto-nomes sans la moindre relation avec un systèmequ’ils ignorent, contournent, et qu’ils n’ont envie nide conquérir ni de subvertir. Ces microcom-munautés autosuffisantes par toute une séried’activités de rue (squeegee, mendicité, recyclagedes déchets, trocs) réinventent un mode de vie où lepouvoir appartient à celui qui assure la subsistanceet dans lequel la violence fait partie du quotidien.

[…] La société «civile» devine qu’une autresociété se développe à l’intérieur d’elle, composéede ces bandes de jeunes rattachés à un territoire etde ces jeunes de la rue constitués en microcom-munautés. Désarmée à leur égard, elle a de plus enplus tendance à les mettre à l’index, à les exclure, etdemande au pouvoir politique et policier d’agiravec fermeté. Cette stigmatisation en termes d’ex-clusion et de répression marque une coupure entre«eux» et «nous» accompagnée d’un raidissementcorporatiste de ceux qui ont encore accès à lamobilité et au marché du travail (p. 66-68, 69-71).

Maurice Chalom est conseiller en relationavec la communauté au Service de police

de la ville de Montréal

Maurice ChalomLe policier et le citoyen. Pour une police de proximité

168 pages, 21$, isbn 2-921569-48-5parution février 1998

Entretien

Marguerite Michelle CôtéLes jeunes de la rue

Marguerite Michelle CôtéLes jeunes de la rue

192 pages, 20$, isbn 2-89578-011-0parution mars 2002

Extrait

Maurice ChalomLe policier et le citoyen

Extrait

Denyse BilodeauLes murs de la ville

Les murs, c’est du solide. De l’injure à l’éloge,ils sont prêts à tout accueillir, n’importe quel

sujet. Le support en apparence neutre est en réalitéune composante du graffiti, le canal fait partie de lasignification du message. Qu’il serve à livrer unepensée, à conserver une trace, à mettre en contexteun propos ou à rappeler que la pratique est interdite,le mur est toujours antérieur au discours. Pour lesgraffiteurs, il est le prétexte au graffiti.

Le mur reçoit et vit. Il sert de stimulus à lapratique. En voulant habiter la rue, les graffiteursredonnent des yeux et des oreilles aux murs, ils leshumanisent. Et au lieu de se frapper contre lui ou delui parler sans qu’il y ait résonance, ils lui donnentla parole et entrent en communication sourde ouentendue avec l’autre. Le mur est le lieu del’échange entre graffiteurs et graffitaires. Toutgraffiteur cherche le bon mur, le bon support, le lieuoù le graffiti sera le plus éloquent. Quand le graffitine résulte pas d’une délibération, c’est le mur quidéclenchera l’acte. Il n’y a à ce sujet aucune recette.Les uns préfèrent les murs en crépi blanc, le bétonou la brique, les autres les palissades d’aggloméréqui entourent les chantiers de construction; certainssont attirés par une texture, une couleur, d’autres pardes édifices à fonction dominante comme lesbanques, les écoles ou les centres de loisirs. À cetégard, il y a une nuance : le graffiteur qui laisse samarque sur le mur d’une banque n’aura pasnécessairement de liens réels avec l’institution ; enrevanche, les graffitis inscrits sur les murs d’uneécole sont généralement le fait d’élèves qui yétudient ou y ont étudié. Appartenance et errancesont ici des figures opposées. Comme s’il y avaitdes graffiteurs nomades et d’autres sédentaires ;ceux qui sont à la recherche du support idéal, etceux qui l’ont sous les yeux.

[…] Le code existentiel du graffiti doit êtrecherché chez les graffiteurs et dans la composantematérielle qui médiatise la communication. Le mur,son appropriation illicite, fait partie, pour lesgraffiteurs, de la signification du genre, puisqu’ilest délibérément choisi, soit comme motif del’action, soit comme expression. Le moment où legraffiteur commence à faire son graffiti estégalement déterminant dans la production puisquele tout premier instant du geste graffitique confèreau graffiteur une sensation particulière.

[…] Aussi longtemps que les graffitis font rire,rêver, réfléchir, qu’ils allègent pour quelquesinstants le poids de la quotidienneté, ils sontappréciés. Dès qu’ils deviennent violents, hostiles,racistes, sexistes, homophobes, on préférerait qu’ilsdisparaissent. Aussi peut-on dire que ce qui est vudans un premier temps, c’est la chose sur le mur. Ledécryptage du message suit généralement de trèsprès. Mais ce n’est pas si clair, car c’est directementsur le contenu que les lecteurs [attirent l’attention].Pourquoi s’arrête-t-on quand on voit un graffitisinon pour prendre le temps d’en apprécier le sens?

[…] Tout élément faisant rupture dans lequotidien séduit. Ce qui a l’apparence de l’inusitépeut provoquer le rire. Le rire provient de larencontre d’éléments joints de façon inattendue. Onpeut penser que tout graffiti joue ce rôle deponctuation à cause de son caractère inédit, maisl’habitude d’en voir fait de cet effet une rareté. Tousles graffitis ne sont pas exceptionnels. Celaexplique en partie pourquoi les lecteurs assidus sontsi exigeants, si critiques face aux contenusvéhiculés par les graffitis (p. 67-68, 71, 143, 145).

Denyse Bilodeau enseigne l’anthropologie au cégep Édouard-Montpetit

Denyse BilodeauLes murs de la ville. Les graffitis de Montréal

204 pages, 21$, isbn 2-921569-29-9parution avril 1996

©Alain Décarie

Bulletin 6/3/02 1:55 PM Page 7

«L’ambition qui anime la revue est defaire connaître la recherche et laréflexion sur l’éthique publique, qu’ellesproviennent des milieux universitairesou de la pratique des gens du terrain,d’ici ou d’ailleurs. Lieu d’échange, decirculation des savoirs sur les questionsles plus fondamentales de nos sociétéset de nos États à une époque où ils

connaissent de profondes transforma-tions, Éthique publique espère ainsicontribuer à inscrire la sensibilitééthique dans la culture des acteurssociaux et politiques. Nos pages serontdonc ouvertes à tous ceux qui veulentparticiper à ce dialogue et faire partagerle résultat de leurs travaux théoriquesou de leur expérience. La revue laissera

s’exprimer la diversité des opinions, carun véritable questionnement éthique nepeut se faire qu’à travers la confron-tation libre et ouverte des idées et desvaleurs.»

Yves Boisvert, directeur

Dans la collection Éthique publique, hors série

Éthique et conflits d’intérêtssous la dir. André G. Bernier et François Pouliot

192 pages, 23$, isbn 2-921569-80-9parution mars 2000

Vivre la citoyenneté. Identité, appartenance et participation

sous la dir. Yves Boisvert, Jacques Hamel et Marc Molgat

192 pages, 23$, isbn 2-921569-87-6parution septembre 2000

8) Liber bulletin, no 2, mai 2002

Directeur: Giovanni Calabrese; codirectrice: Micheline Gauthier ; assistante: Marie CalabreseÉditions Liber, C. P. 1475, succursale B, Montréal, Québec, H3B 3L2; téléphone (514) 522-3227; télécopieur (514) 522-2007; adresse électronique: [email protected] (Canada): Diffusion Dimedia, 539, boulevard Lebeau, Saint-Laurent, Québec, H4N 1S2; téléphone (514) 336-3941; télécopieur (514) 331-3916; adresse électronique: general@ dimedia. qc.ca Distribution (Europe): Diffusion de l’édition québécoise, deq, 30, rue Gay-Lussac, 75005 Paris ; téléphone (01) 43 54 49 02; télécopieur (01) 43 54 39 15; adresse électronique: [email protected]

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«L’idéologie de l’État minimum conduit souvent non pas à un mieux-être collectif, mais à la dictature d’une “logique économique” de plusen plus autonome, avec pour couronnement une mondialisation troppeu encadrée par des mécanismes de contrôle délibérés et collectifs.Que l’État intervienne moins, soit. Mais il faut alors choisir avec soinnon seulement les champs où cette intervention diminuera — avec lesconséquences plus ou moins fâcheuses qui peuvent en découler —,mais également les acteurs sociaux qui devraient être sollicités pourprendre la relève de cet État évanescent. Quelle est la place des entre-prises parmi ces acteurs? C’est ici, bien sûr, qu’intervient l’éthique desaffaires.»

Christian Arnsperger et Michel Dion,responsables

«Le vingtième siècle a porté à des degrés probablement inégalés dansl’histoire l’exercice de la coercition étatique. Que ce soit par ledéveloppement d’appareils policiers multiformes et tentaculaires, parla présence parfois massive des forces militaires dans la vie dessociétés, la perversion totalitaire du système pénitentiaire en camps deconcentration ou autres goulags, l’expérience a montré que l’Étatpouvait étendre presque à l’infini l’exercice de sa coercition sur lescitoyens. La conjugaison de moyens techniques en progressionconstante et d’idéologies totalitaires a donné des résultats dont ne pou-vaient même pas rêver les dictatures les plus ambitieuses du passé.»

Claude Corbo et Didier Froidevaux, responsables

«Au cours des dernières années, les principaux conseils et organismessubventionnaires canadiens et québécois ont élaboré des politiquesconcernant l’intégrité et l’éthique de la recherche sur des êtreshumains qui font obligation aux institutions universitaires et à toutautre institution publique où se fait la recherche de mettre en place desdispositifs visant à en assurer la mise en œuvre. Ces politiques etdispositifs, notamment les comités d’éthique de la recherche (cer ),ont suscité des débats, des analyses et des études auxquels la revueÉthique publique veut faire écho tout en élargissant le questionnementà d’autres problématiques en éthique de la recherche.»

Jean-Marc Larouche, responsable

Éthique publique, vol. 1, no 2, Éthique des affaires et déréglementation

160 pages, 20$, isbn 2-921569-74-4

Éthique publique, vol. 2, no 1,Éthique policière, militaire et pénitentiaire

192 pages, 20$, isbn 2-921569-81-7

Éthique publique, vol. 2, no 2,Éthique de la recherche

164 pages, 20$, isbn 2-921569-89-2

«L’État a-t-il la responsabilité des plus vulnérables et des plus faiblesde notre société? À l’époque de l’État-providence, une telle questionaurait paru incongrue. Cependant, des dérives institutionnelles, tantdans le domaine de la santé mentale que dans la prise en charge despersonnes inaptes ou dans la garde en institution des enfants délaissés,couplés à une politique de restriction budgétaire issue, entre autres, del’augmentation des coûts des systèmes de santé soulèvent desquestions sur le rôle protecteur de l’État. Ce rôle s’exerce parl’intermédiaire d’institutions — curatelle, hôpitaux psychiatriques,garderies, par exemple — qui devraient assurer l’égalité de traitementà l’ensemble de la population concernée. Encore faut-il que le serviceoffert soit adéquat, c’est-à-dire qu’il réponde aux besoins des groupesauxquels il est destiné. »

Jocelyne Saint-Arnaud, responsable

«Faut-il craindre l’emprise grandissante exercée par le droit et lesjuges sur les modalités de notre vivre-ensemble? Faut-il souhaiterqu’à cette expansion succède un retrait, au bénéfice de l’éthique et demécanismes davantage consensuels de résolution des conflits? Maisalors, de quelle éthique et de quels mécanismes pourrait-il s’agir? S’ilest peu probable que le lecteur trouve réponse à chacune de cesquestions dans ce numéro d’Éthique publique, nous croyonsnéanmoins que les stimulantes réflexions qui y sont proposéesl’aideront à mieux comprendre et à mieux évaluer les enjeux soulevéspar la transformation du rôle des juges.»

Luc Bégin et Dominique Rousseau, responsables

«Ce numéro propose une cartographie de la place qu’occupentactuellement l’éthique et ses différents modes d’application dans lafonction publique et l’administration — françaises, belges, suisses,canadiennes et québécoises. On y trouvera la description d’un modèleinternational d’infrastructure de l’éthique qui sert d’étalon à plusieurspays où la fonction publique fait actuellement l’objet d’unemodernisation. À cette description du terrain si nécessaire à uneréflexion éthique solidement fondée, s’ajoutent des analyses sur lesraisons qui ont conduit les administrations publiques à procéder à undéplacement du modèle traditionnel vers la nouvelle gestion publique,sur les origines, les forces et les faiblesses éthiques de ce modèle ainsique sur les questions éthiques qu’il engendre.»

Michel Bergeron et Jean-Louis Genard, responsables

Éthique publique, vol. 3, no 1, L’État tuteur

184 pages, 20$, isbn 2-921569-98-1

Éthique publique, vol. 3, no 2,Éthique de la magistrature

184 pages, 20$, isbn 2-89578-006-4

Éthique publique, vol. 4, no 1,Éthique de l’administration et du service public

186 pages, 20$, isbn 2-89578-014-5

Éthique publiqueRevue internationale d’éthique sociétale et gouvernementale

Bulletin 6/3/02 1:55 PM Page 8