Bruxelles_Laique_Echos_2008_02

48

description

Le développement durable, nouvel avatar du dogme de la croissance ?................................................................................................................................................................................ 31 L’autre et le bien commun. Du pluralisme des médias et de la démocratie.......................................................................................................................................................................... 22

Transcript of Bruxelles_Laique_Echos_2008_02

Page 1: Bruxelles_Laique_Echos_2008_02
Page 2: Bruxelles_Laique_Echos_2008_02

2 E C H O S N ° 6 1

Sommaire

Bruxelles Laïque est reconnue comme association d’éducation permanente et bénéficie du soutien du Ministère de la Communautéfrançaise, Direction Générale de la Culture et de la Communication, Service de l’Education permanente.

Bruxelles Laïque asblAvenue de Stalingrad, 18-20 - 1000 BruxellesTél. : 02/289 69 00Fax : 02/502 98 73E-mail : [email protected]://www.bxllaique.be/

Editorial ......................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................... 3

Définitions relatives........................................................................................................................................................................................................................................................................................................................... 5

Une idée contre laquelle il n’est pas permis de s’élever.............................................................................................................................................................................................................................. 6

Et si l’on “dédogmatisait” le dogme ? Un regard anthropologique sur la transmission et l’appropriation du dogme religieux ........................................ 10

Dura lex sed lex ?............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................. 13

Quel féminisme pour une laïcité interculturelle ? ........................................................................................................................................................................................................................................... 17

LIVRE-EXAMEN : Trouble dans le genre. Le féminisme et la subversion de l’identité ................................................................................................................................................ 21

L’autre et le bien commun. Du pluralisme des médias et de la démocratie.......................................................................................................................................................................... 22

Prêt-à-penser....................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................... 26

Le TCE est mort, vive le traité de Lisbonne !........................................................................................................................................................................................................................................................ 29

Le développement durable, nouvel avatar du dogme de la croissance ?................................................................................................................................................................................ 31

A CONTRE-COURANT : La religion laïciste est-elle dogmatique ? ................................................................................................................................................................................................ 35

LIVRE-EXAMEN : La raison névrotique ...................................................................................................................................................................................................................................................................... 38

PORTAIL.................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................... 40

AGENDA : échos laïques de vos activités bruxelloises .............................................................................................................................................................................................................................. 42

Exprimez votre point de vue.................................................................................................................................................................................................................................................................................................. 44

Page 3: Bruxelles_Laique_Echos_2008_02

3 E C H O S N ° 6 1

La liberté de conscience constitue le premier droit pour lequel se sont battus et se battent toujours les laïques. Ce principe setrouve au cœur de la laïcité, tant politique que philosophique puisque la première prône un cadre politique (un Etat) qui garantit

cette liberté à chacun tandis que la seconde revendique une pensée non soumise à quelque autorité que ce soit. C’est pourquoicette liberté ne représente, pour nous, pas seulement un droit inaliénable, elle désigne également un devoir : celui de n’accepteraucun dogme et de pratiquer le libre examen. Elle assigne aussi une responsabilité : celle de reconnaître aux autres la possibilité dedévelopper leur réflexion personnelle et leurs facultés critiques.

Si tant est que le libre examen requiert un effort pour émanciper la pensée des liens qui l’étouffent (conditionnements, idées reçues,automatismes, simplismes, contexte affectif, etc.), la libre pensée s’est toujours définie par opposition aux discours et pouvoirs quis’imposent comme indiscutables et colonisent aussi bien l’espace public que les esprits privés.

Le dogmatisme religieux a été longtemps le principal adversaire de la libre pensée : son hégémonie politique et sa puissance d’alié-nation des consciences étaient telles qu’on ne faisait pas de différence entre impiété et libre pensée, toutes deux connotées péjo-rativement. Aujourd’hui, grâce aux combats laïques et suite à des évolutions sociétales diverses, le pouvoir de l’Eglise et l’influencedes religions ne bénéficient plus d’une telle hégémonie. Ce n’est pas pour autant que toutes les consciences sont émancipées, quela chose publique est soustraite à toute emprise particulière et que l’obscurantisme ou le dogmatisme appartiennent à un autre âge.

Certes, les religions (anciennes ou nouvelles) jouissent encore d’un poids énorme dans le monde mais, n’étant plus officiellementaux commandes de nos sociétés, ce n’est plus par l’affirmation de leur dogme qu’elles exercent leur influence chez nous. C’estdavantage par un travail de lobbying ou d’entrisme auprès des instances dirigeantes et par des pratiques de sociabilité venant com-bler le désarroi des individus les plus précarisés. D’où l’importance de l’action sociale et culturelle, comme nous la développons àBruxelles Laïque, pour contrer l’emprise des puissances d’aliénation.

Le plus inquiétant n’est peut-être pas là. Il existe aujourd’hui d’autres “vérités” que religieuses érigées en dogmes. Nous sommestous tentés, un jour ou l’autre, d’une manière ou l’autre, de faire passer nos convictions personnelles pour des vérités irréfutables.“L'ennemi de la vérité, ce n'est pas le mensonge, ce sont les convictions” affirmait Nietzsche. La vigilance libre exaministe, bienordonnée, commence donc par nous-mêmes. Demandons-nous dans quelle mesure des valeurs ou principes – le progrès, la rai-son, une certaine conception de l’individu,… – que les laïques ont opposés à l’obscurantisme n’ont-ils pas triomphé au point d’êtredevenus à leur tour des monuments inattaquables ou des sources de terreur ? Et si au nom de la défense de la laïcité, nous ne repro-duisons pas des attitudes dogmatiques et intolérantes que nous reprochons à nos ennemis ? Rappelons-nous le propos d’ElyséeReclus : “Tout progrès devenu dogme est un obstacle qu'il faut renverser.”

Si la laïcité organisée a élargi son champ d’intervention bien au-delà des strictes relations églises-Etat, c’est notamment pour s’in-téresser à ce que l’on pourrait appeler des “nouvelles religions”. Il s’agit de convictions politiques, économiques ou culturelles qui

EDITOrial

Page 4: Bruxelles_Laique_Echos_2008_02

4 E C H O S N ° 6 1

se présentent comme des vérités révélées auxquelles tout le monde est prié d’acquiescer sous peine d’être stigmatisé comme héré-tique et condamné à l’opprobre. Il s’agit aussi de puissances privées ou d’idéologies particulières qui ont acquis un inquiétant pou-voir d’aliénation de l’espace public et de la liberté individuelle. Ces “nouvelles religions” sont d’autant plus dangereuses qu’elles dif-fusent leur catéchisme à grande échelle : à partir des sommets du pouvoir (de l’Union européenne et des Etats-Unis où les chosessont encore plus claires quand le chef de l’Etat se croit inspiré par Dieu, ou à tout le moins le laisse croire) et à travers des moyensde communication de masse toujours plus percutants. Leurs préceptes finissent par s’immiscer dans le sens commun et par déli-vrer à chacun son prêt à penser quotidien.

Nos lecteurs fidèles savent que nous nous appliquons, dans Bruxelles Laïque Echos, à identifier et déconstruire, pour chacune desthématiques explorées, les idées reçues et tout ce qui recèle des tendances dogmatiques. Evoquons seulement les dogmes qui fon-dent la politique de prohibition des drogues, la place et le sens qu’a acquis le travail dans nos sociétés, la construction et l’imposi-tion du discours sécuritaire ou les réductions et préjugés qui gangrènent les relations interculturelles.

En pleine réflexion et consultation1 autour des enjeux à venir de la laïcité et de l’inscription de ses combats dans le contexte socié-tal, il nous a paru pertinent, dans ce numéro, d’interroger plus explicitement le concept de dogme aussi bien religieux que laïque.C’est une manière de rappeler que le combat laïque, fondé sur le refus de tout dogme, s’il reste d’actualité, ne mérite pas moinsd’être sans cesse réactualisé.

Notre volonté n’est pas de jouer à l’autorité morale qui dénoncerait tel dogme plutôt qu’un autre, de revêtir l’habit de l’Inquisition oud’entamer la chasse aux sorcières mais d’appeler à la vigilance, de proposer notre contribution au débat et de laisser au lecteur lesoin de se forger son opinion. L’expérience historique a montré que personne n’a le monopole du dogmatisme. Même les idées lesplus libres peuvent se figer en dogmes ou les projets les plus émancipateurs se transformer en machine d’oppression (le Stalinismeou l’invasion américaine de l’Irak en sont deux exemples). La meilleure garantie pour la libre pensée reste dès lors la confrontationdes idées, dans l’acception de la diversité et le respect de la dignité de chacun.

Ariane HASSIDPrésidente

1 Voyez le questionnaire que nous vous proposons à nos dernières pages. Outre le questionnaire, les propos exposéspar les différents articles de notre trimestriel visent également à mettre les perspectives de la laïcité en débat. N’hésitezpas à nous communiquer vos réactions.

Page 5: Bruxelles_Laique_Echos_2008_02

5 E C H O S N ° 6 1

Historiquement, la libre pensée et lelibre examen se sont constitués et

définis en étroite relation avec le dogma-tisme. A l’origine, était considéré comme“libre penseur” celui qui n’adhérait pasvoire contestait les vérités admises par lasociété ou communauté dans laquelle ilvivait. Jugé péjorativement et stigmatisé, lelibre penseur était amalgamé à d’autresqualificatifs révélateurs de l’orthodoxie dumoment : impie, dépravateur, libertin,hérétique, sorcière.

Parmi les pionniers de la libre pensée, onrecense Socrate et la plupart des premiersphilosophes qui cherchaient à expliquer lemonde selon d’autres principes que laréférence aux dieux Chtoniens, les premiers chrétiens persécutés par le poly-théisme païen, les adeptes de la gnose, lesCathares et toutes les formes d’hérésiemises au bûcher par l’Inquisition catholi-que, Giordano Bruno ou Gallilée face à la“science” de leur temps, Spinoza exclu dela communauté juive, Luther dissident duSaint Empire, Sade emprisonné par lesrévolutionnaires de 1789, enfin les pen-seurs matérialistes (d’Epicure à Marx enpassant par Diderot et le curé Meslier) etles théoriciens de l’athéisme (Feuerbach,Stirner, Bakounine, Nietzsche) minoritairesau sein de l’idéalisme dominant la philoso-phie jusqu’il y a peu,…

C’est donc l’orthodoxie, le dogme qui ad’abord défini la libre pensée. A notre tour,

libres penseurs, de proposer une définitiondu dogme.

Le mot est apparu dans la langue françaiseau XVIe siècle et fut revendiqué par l’Eglisecatholique pour nommer les vérités révé-lées (dont l’infaillibilité pontificale…) qu’elleimposait à la foi de ses fidèles. Alors qu’engrec, dogma signifiait “opinion ou déci-sion” et en latin “thèse ou précepte”, il finitpar équivaloir en latin de messe à“croyance orthodoxe, catholique”.

Comme l’illustrent les quelques exemplescités, le dogmatisme et l’obscurantismedemeurèrent longtemps l’apanage des reli-gions contre lesquelles résistait la librepensée. L’enjeu de celle-ci résidait cepen-dant moins dans la non croyance que dansla possibilité de croire autrement. Jusqu’auXVIIIe siècle, les libres penseurs ne sedisaient pas athées mais déistes. Quant aulibre examen, c’est à Luther que nousdevons sa première formulation claire etconséquente. Préconisant une libre inter-prétation individuelle des Ecritures etl’adéquation entre les principes et lesactes, il favorisa, bien avant les laïques,l’instruction obligatoire, à Genève, pourdonner à tous les moyens de lire les textes.

Ces évocations historiques soulignent enoutre comment une croyance peut êtrejugée par le dogme majoritaire comme unehérésie, donc une libre pensée, alorsqu’elle repose elle-même sur une série de

dogmes et fonctionne comme une secte.Et lorsque ce dogme minoritaire devientmajoritaire, il reproduit sur d’autres les pra-tiques inquisitoriales dont il fut victime…

Il nous semble donc judicieux de dissocierla définition du dogme de toute référencereligieuse pour la focaliser sur le processusqui peut se répéter à toute époque et danstoute communauté humaine. Nous le défi-nissons aujourd’hui comme tout discoursou doctrine qui se prétend fondamental,vrai et incontestable, toute prétenduevérité qui impose sa légitimité voire sonévidence par l’autorité morale, la con-trainte ou le conditionnement de sorte à neplus supporter la moindre remise en ques-tion et à réduire au silence tout ce qui ladément ou à disqualifier tout ce qui lacontredit.

La libre pensée et le libre examen se défi-nissent toujours négativement – désormaisde leur propre initiative – en tant que refusde toute forme de dogmatisme. Nouspourrions chercher à les définir plus positi-vement mais un tel exercice serait un para-doxe puisqu’il capturerait le mouvementde la pensée dans un cadre contraignant,enfermerait la liberté, limiterait ses possibi-lités et pourrait figer sous un préceptedogmatique le refus de tout dogme.

Mathieu BIETLOTCoordinateur sociopolitique

Définitions relatives

Page 6: Bruxelles_Laique_Echos_2008_02

6 E C H O S N ° 6 1

Comment définissez-vous le dogme ?

Le dogme serait une idée contre laquelle iln’est pas permis de s’élever.Il y a bien sûr des dogmes religieux (laSainte Trinité, la présence réelle du christdans l’eucharistie, etc.)Mais il y a aussi des dogmes politiques etdes dogmes économiques. Le dogmepolitique actuel par excellence c’est que lemeilleur régime politique possible c’est ladémocratie de marché et que ce régimecrée le bonheur. Une autre manière dedécliner ce dogme à la mode c’est d’affir-

mer que “seul le marché libre peut réaliserle bonheur de l’humanité” ou que la priva-tisation des services publics amélioreautomatiquement ces services.Ces idées sont des idées contre lesquellesil n’est pas bon s’élever aujourd’hui.

L’idée de “dogme” est souvent asso-ciée à la religion catholique, que pen-sez-vous de l’actualité de cette “asso-ciation” ?

L’Eglise catholique est passeé par desphases très différentes. Jusqu’au concile

de Vatican II, on était évidemment dansune Église extrêmement dogmatique.Celui qui aurait remis en doute un desdogmes de l’Église aurait été considérécomme hérétique. A partir du concile deVatican II s’ouvre une période de libéra-lisme pour l’Eglise. C'est-à-dire que denombreux ouvrages, même issus desrangs de l’Église (comme le catéchismehollandais par exemple) passaient soussilence des dogmes considérés commeridicules ou invraisemblables. Toute unesérie de vérités religieuses qui étaient jus-que là obligatoires ont été considérées

Une idéecontre laquelle

Interview d’Anne Morelli, historienne des religions

Dogmes religieux, politiques, économiques, Anne Morelli1 fait le point sur l’actualité du dogmatisme, un regard

à contre courant d’un libre-examen parfois trop frileux.

il n’est pas permisde s’élever

Page 7: Bruxelles_Laique_Echos_2008_02

7 E C H O S N ° 6 1

comme des vérités “facultatives”. C’est lecas de l’existence de l’enfer, des anges,de l’ange gardien, du purgatoire, du dia-ble….auxquels de fait, plus personne necroyait véritablement et qui ont été misesentre parenthèses. Mais à partir de Jean-Paul II, voire déjà de son prédécesseurPaul VI, on assiste à une reprise en mainde l’Église et donc, petit à petit, à uneréaffirmation de ces dogmes, que l’oncroyait devenus facultatifs.Ratzinger avant d’être pape a remis cesdogmes au centre de l’enseignement del’Église et a fermement affirmé qu’il nes’agissait pas de vérités relatives mais devérités absolues. Concrètement, dans lesannées ‘70-‘80, de nombreux catholiquesconsidéraient que la communion étaitsimplement le symbole ou le souvenir desgestes posés par Jésus lors de la dernièrecène, et cela ne semblait pas scandaleux,mais juste une interprétation libérale etmoderne de la foi. Aujourd’hui on en estrevenu à la version dogmatique : il faut,par exemple, pour être catholique, croire àla transsubstantiation, c’est-à-dire quel’hostie est réellement le corps du Christ etque le vin est réellement son sang. Si vousne croyez pas cela, vous êtes protestantou en tout cas vous vous mettez en margede la foi catholique. On est revenu à undogmatisme assez prononcé.

Pensez- vous que ce “retour dogmati-que” constitue une menace pour la laïcité ?

On est aujourd’hui devant une Église quiest beaucoup moins puissante que dansles années ‘50 mais qui est beaucoup plusagressive que dans les années‘70-‘80-‘90.Les catholiques sont un petit groupe

minoritaire, mais un petit groupe qui veutgarder ses privilèges, qui veut réaffirmerses idées et qui développe une certaineagressivité en ce sens. En Belgique noussommes peut-être dans une situation oùcela n’est pas tellement visible parce quenous avons à la tête de l’Église belge, Mgr.Daneels qui est conciliant, plutôt libéral etpeu enclin à intervenir directement dansles débats politiques comme ses prédé-cesseurs (encore que lors de la mortd’Hugo Claus il ait manifesté publique-ment son opposition à l’euthanasie, pour-tant organisée dans notre pays par une loivotée démocratiquement…).Mais dans d’autres pays, commel’Espagne ou l’Italie, il y a réellement uneattitude vindicative de l’Église qui estomniprésente, notamment dans lesmédias. On ne peut pas imaginer unJournal Télévisé Italien sans une prise deposition de l’évêque ou une vue du pape.Ces Églises n’hésitent pas à prendre laparole sur des terrains moraux, mais aussisur des terrains politiques. Par exemple,l’Eglise espagnole a appelé ses fidèles àmanifester contre le gouvernementZapatero dans de véritables et énormesmanifestations politiques. Le candidatPPE que soutenaient les évêques a étébattu et Zapatero réélu, mais il y a quandmême cette mobilisation énorme del’Église contre un gouvernement, contre ledroit au divorce, à l’avortement ou aumariage homosexuel. Donc je crois quedans ce sens, il faut être vraiment attentif.On avait l’habitude d’avoir cette Églisedécadente sous nos yeux, et on disait “cen’est plus qu’une ambulance sur laquelle ilserait malséant de tirer”... Maisaujourd’hui il y a très clairement un mou-vement de reprise en main dans le sens du

dogmatisme. Les catholiques de gauche,par exemple, qui remettaient en cause lavision figée des dogmes ont quasimentdisparu de la scène.

En matière de dogmes, faut-il mettrel’islam sur le même pied que le catholi-cisme ?

Je crois que les religions ont des attitudestrès différentes selon qu’elles soient aupouvoir ou pas. Les catholiques au pou-voir sont extrêmement virulents, on l’a vudurant l’histoire. Les musulmans au pou-voir sont extrêmement virulents. Etlorsqu’ils sont dans “l’opposition” etminoritaires, ils peuvent être gentils etaccommodants, les uns comme lesautres. Mais il faut toujours imaginer quelserait le sort qu’ils réserveraient auxautres s’ils étaient majoritaires. Et là sivous regardez dans les pays musulmansle sort qui est réservé aux minorités reli-

Francis Bacon - study for a Pope IV

Page 8: Bruxelles_Laique_Echos_2008_02

8 E C H O S N ° 6 1

gieuses n’est pas du tout enviable. Je nevous conseille pas d’être pentecôtiste enTunisie, Témoins de Jehovah en Algérie,ou évangéliste au Maroc. Donc il y a là, véritablement une attitude depouvoir qui est extrêmement dangereuse.L’Église catholique, lorsqu’elle est dansune situation de force fait la même choseévidemment. En Italie l’Église soutient legouvernement et réciproquement. Elle peutdonc se permettre des attitudes extrême-ment violentes vis-à-vis de ceux qui ne partagent pas ses idées. Par exemple, elleremet la législation en cause. Il y a un droità l’avortement qui existe en Italie de par unréférendum mais l’Église demande auxmédecins d’être objecteurs de conscienceface à cette possibilité d’avorter. Cela veutdire qu’il y a des villes entières où il n’y apas moyen d’avorter. Il vient d’y avoir unscandale à Gênes, car un médecin, soi-disant objecteur de conscience, refusait depratiquer des avortements à l’hôpitalpublic, là où les avortements sont gratuits,mais les pratiquait chez lui et même, sem-ble-t-il dans une clinique privée tenue pardes religieuses ! On est là dans une situa-tion d’hypocrisie totale, mais officiellement,c’est le triomphe de l’Église, puisqu’il n’y apas/plus moyen d’avoir dans un hôpitalpublic, un avortement tel que prévu par laloi.

A votre avis, à quel moment une valeurpeut-elle se transformer en dogme ?

La valeur accepte d’être relativisée, ledogme a une stabilité et ne peut pas êtreremis en question. Moi je suis une femmede doute, donc je me pose des questions.Par exemple, le relativisme culturel, jetrouve ça valable dans certains domaines

mais quand ça rentre en conflit avec d’au-tres valeurs que je défends, telles quel’émancipation des femmes, je le remetsen cause. Quand on m’explique que l’onexcise des petites filles, le relativisme culturel entre en conflit avec une autre demes valeurs qui est le droit des femmes àl’intégrité de leur corps et au plaisir. Unevaleur est discutable, un dogme n’est pasdiscutable. On n’organise pas de débatsur le thème “Y a-t-il trois personnes endieu, oui ou non ?”. Il faut y croire, sansavoir l’ombre du commencement d’unepreuve.

A quel moment (par exemple par rapport à l’idéal démocratique dontvous parliez tout à l’heure) peut avoir lieu ce glissement ?

La démocratie est instrumentalisée parcertains pour en faire un dogme. Je croisque l’on doit pouvoir en discuter. Il y a beaucoup de dogmes aujourd’hui enpolitique , au sujet de l’Europe, par exem-ple. On a très peu discuté pour savoir sion doit forcément être dans l’Europe , sic’est mieux pour nous d’être dansl’Europe si c’est inéluctable d’être dansl’OTAN, si l’Euro est lui-même inélucta-ble… Il n’y a pas eu , par exemple, de vraidébat en Belgique sur l’intérêt (ou non)pour la population de passer à l’Euro.C’était un dogme intangible, on partait del’idée absolue que “l’Euro c’est bon pournous”. Nous sommes ainsi entourés dedogmes que l’on ne peut pas remettre encause.

Pensez-vous que le mouvement laïquebelge organisé actuel a une tendance àcouver certains dogmes ?

Tout groupe humain a tendance à s’organi-ser pour défendre ses intérêts. La laïcitéregroupe des personnes qui ont des vuespolitiques et sociales différentes et se cher-chent des points communs. Mais si,comme c’est le cas pour moi, on penseque le propre de la laïcité c’est de prôner ledoute je vois mal comment elle peut seconstruire des “dogmes” , à moins que, parun artifice rhétorique, on considère le doutelui-même comme un dogme ! Ce que j’airetenu de Voltaire, c’est le doute systémati-que. Et je tente de l’appliquer à des situa-tions très diverses. Quand on me dit : “levieillissement de la population implique iné-luctablement que vous allez devoir travail-ler plus longtemps”, je me pose immédiate-ment la question : “Est-ce prouvé ? N’y a-t-il pas autre chose à faire ?”Je pense donc que s’il y a une valeur com-mune aux laïques, c’est bien le doute etpas seulement appliqué au domaine reli-gieux.

Que pensez-vous du consensusexprimé par Mgr. Daneels et le sérénis-sime grand maitre du Grand Orient deBelgique autour de la notion de laïcitéouverte ?

Le mot laïcité est perverti de son sens parcertains. Si la laïcité c’est simplement per-mettre à toutes les idées religieuses des’exprimer, cela ne m’intéresse pas. C’estlà une des facettes de la laïcité, mais il yen a plein d’autres. Aujourd’hui, beaucoupde religieux – même des intégristes reli-gieux – se revendiquent de la laïcité afind’obtenir certains avantages pour leurcommunauté. Donc ils disent : “Vous êteslaïques ? Vous respectez toutes les religions ? Alors permettez- nous de déve-

Page 9: Bruxelles_Laique_Echos_2008_02

9 E C H O S N ° 6 1

lopper notre religion dans l’espacepublic !” Et ils proposent des comporte-ments sociaux qui sont agressifs vis-à-visdes autres. Le mot laïcité peut être galvaudé à souhait, et je me méfie du typede “laïcité” – restreinte à une non-inter-vention du politique dans le domaine religieux – que des religieux préconisent.

C’est étonnant de voir Eglise catholiqueet Franc-maçonnerie marcher maindans la main pour une laïcité ouverteface à une religion qu’ils ne citent pas,et qui serait anti-démocratique.

Il peut y avoir des alliances momentanées.Il y en a notamment entre l’Église catholi-que et les musulmans, au niveau interna-tional. Dans les grandes conférences surles droits reproductifs des femmes, il y aautomatiquement alliance entre intégristesmusulmans et Vatican pour interdire lemariage entre personnes de même sexe,pour interdire l’avortement, pour prônerdes familles nombreuses etc. Dans lecadre belge, une tactique plus payantepour l’Eglise catholique que celle- là, c’estde faire alliance avec les laïques “modé-rés”, mais je serais prudente là aussi.En outre le goût des francs-maçons (ou dumoins d’une partie d’entre eux) pour ledécorum, les cérémonies, la mystique etla “spiritualité”, les pousse aujourd’hui às’allier avec les religions. Mais pour moi, ilne faut pas être maçon pour être laïque etces deux appartenances ne vont pas for-cement de pair.

Que pensez-vous de ce qui s’est passéavec Tariq Ramadan à l’ULB et del’usage qui a été fait du principe du libreexamen par l’institution académique ?

Le libre examen comme la laïcité peut êtreutilisé par tout le monde. Pour moi, c’estune notion très ouverte. En ce qui meconcerne, j’aurais préféré qu’on le fassevenir pour la Xième fois. J’ai déjà eu l’occa-sion à l’ULB de modérer un débat entreAlain Gresh et Tariq Ramadam qui, selonmoi, s’était bien déroulé et qui avait montré les limites du dialogue possibleavec ce dernier interlocuteur (par exemplesur l’évolution). je ne pense pas qu’il soit àce point dangereux, qu’on ne puisse luidonner la parole une nouvelle fois. Jecrois donc qu’il s’agit d’un libre examenfrileux s’il a peur d’être entamé par le Xième

rendez-vous à l’ULB de Tariq Ramadan.

C’est paradoxal d’invoquer le libre exa-men pour interdire quelque chose.

Evidemment, le libre examen doit nouspermettre d’examiner librement toutes lesthèses et toutes les théories et d’en juger.Et non de rester sourd ou de refuser deprendre en considération les propos decertains. Mais il ne faut pas non plus êtrecandide et ouvrir la porte à tous les prosé-lytismes religieux sans leur opposer decontradiction.

Si l’on discute avec un croyant et quel’on se présente comme athée ouagnostique, la question de la foi et del’engagement revient souvent. La foiserait indispensable à l’engagement ?

C’est très courant comme attitude et…très insultant. Beaucoup de croyants,qu’ils soient catholiques, musulmans ouautres, considèrent que le propre del’homme, c’est d’être religieux.Et si vous et moi nous nous disons non-

croyants, nous sommes à mi-cheminentre l’animal et l’être humain. A tel pointqu’aujourd’hui, il y a même des athées quidisent “moi aussi j’ai une spiritualité”.Mais c’est quoi une “spiritualité” ? Dans ledictionnaire, on lira “spitituel : se dit de cequi concerne l’âme”. Comme moi je n’aipas d’âme, je n’ai donc pas de spiritualité.J’ai des émotions, des réflexions,une sen-sibilité mais pas de “spiritualité”. A forcede s’entendre dire que si on n’a pas despiritualité on n’est pas un être humain, ily a beaucoup d’athées ou d’agnostiquesqui s’inventent une spiritualité laïque.C’est quelque chose de tout à fait contra-dictoire. On serait athée et on aurait uneâme ! Cela me semble quelque chosed’absurde, au même titre qu’un “violaffectueux” par exemple.Si je suis athée, je considère que je n’aipas d’âme et que quand je meurs, tout estfini. C’est dommage mais c’est commeça. Et c’est pareil pour un lapin ou unemouche : je ne suis pas beaucoup plusqu’eux, juste un peu plus évoluée dans lerègne animal et c’est tout. Je n’ai doncpas de “spiritualité”.

Propos recueillis par Thomas LAMBRECHTS

Délégué à la communication sociopolitique

1 Directeur-Adjoint du centre interdisciplinaire d'étude desreligions et de la laïcité (CIERL) de l'ULBAuteur de “Les religions et la violence” avec LemaireJacques et Suzanne Charles (1998)

Page 10: Bruxelles_Laique_Echos_2008_02

10 E C H O S N ° 6 1

En étudiant des groupes religieuxcontroversés, souvent définis comme

“fondamentalistes”, la question du dogmeet de ses modalités de transmission metaraude au quotidien. Cela fait bientôt plusde deux ans que je m’intéresse au chris-tianisme émergent à Bruxelles. Mon“étude de terrain”, comme il est commu-nément convenu de l’appeler dans la pro-fession, est constituée par une petiteconstellation d’églises pentecôtistes àBruxelles. Pour limiter mon champd’étude, ce sont les ressortissants descontinents latino-américain et africain quiconstituent la majorité de mes interlocu-teurs. Ceux-ci, pour telles ou telles rai-sons, ont décidé d’intégrer une église oud’en fonder une. Ce choix s’inscrit sou-vent de manière significative dans leurs

parcours migratoires et contribue, dans lemême mouvement, à lui donner une nou-velle cohérence.

En anthropologie religieuse, on ne peutaborder le concept de dogme séparémentdes notions d’idées, de croyances, et depratiques religieuses. Le dogme fait eneffet partie intégrante d’un système reli-gieux et interagit de façon dynamiqueavec les divers éléments qui forment ce même ensemble. Selon RodneyNeedham1, la différence entre une idée etune croyance est plus une différence dedegré que de nature. La croyance est uneidée qui, au cours du temps, a acquis plusde vivacité et d’intensité. Le dogme reli-gieux, quant à lui, pourrait être placé àl’extrémité de ce continuum puisqu’il

s’agit d’une croyance hissée par sesdéfenseurs au rang de principe incontes-table.

Engagement corporel, émotions etcontenu des messages religieux

Au cours des entretiens et des discus-sions que j’ai avec différents interlocu-teurs, ma curiosité est guidée par cesquestions : “Comment ces personnessont-elles arrivées dans cette Église ?Quels sont les éléments qu’elles retien-nent a posteriori pour expliquer cetteappartenance pentecôtiste ?”. Pour cer-tains, c’est l’effervescence émotionnellequi se dégage lors des cultes qui est primordiale. Celle-ci est alors mise enopposition directe à la situation d’anomie

“dédogmatisait”Un regard anthropologique sur la transmission etl’appropriation du dogme religieux

Et si l’on

le dogme ?

Page 11: Bruxelles_Laique_Echos_2008_02

11 E C H O S N ° 6 1

et d’isolement provoquée par la situationde migrant récent sur le territoire belge. Ilssoulignent la joyeuseté qui se dégage desmoments rituels ponctués par les chants,la louange et l’exhortation. Le partage et lacomplicité qui se nouent au travers desprières collectives semblent significatifsdans leur parcours spirituel. Ils reprochentégalement à l’Eglise catholique belge lapratique de messes “froides” et la rigiditédes rituels. Il est vrai que la spontanéité et l’expressivité constituent des traits carac-téristiques de la pratique religieuse pente-côtiste. Des événements biographiquesdouloureux (rupture familiale, divorce,décès, solitude…) les mènent aussi parfois à pousser la porte de ces espacesde consolation.

Au travers de ces nombreux entretiens, jene retrouve pas la trace d’un attrait pure-ment idéologique pour ces Églises pour-tant dispensatrices d’un grand nombre deprincipes et de normes concernant lesvérités revendiquées. Les messages religieux ne sont pas évoqués, du moins formellement, et ne semblent pas détermi-nants dans le discours de la majorité desinterlocuteurs. Il semble que la pratique del’Église, bien plus qu’une adhésion auxdogmes chrétiens ou autres discoursthéologiques, constitue une étape primor-diale dans le processus de conversion.Tout se passe comme si on adhéraitd’abord à des pratiques puis le discoursviendrait se greffer et donner sens à cespratiques par la suite. Cela nous amène àreconsidérer la dimension exclusivementpropositionnelle des messages religieux.Rarement, l’adhésion à la doctrine passepar une acceptation purement intellectuellede son contenu. D’autres phénomènes

entrent en ligne de compte : l’engagementcorporel (danse, chant, …etc.), le pouvoirdes objets cultuels, la participation émo-tionnelle ou encore le contexte d’interac-tion sociale dans lequel se déroulent lesévénements religieux. Les cultes sontaussi l’occasion de tisser de nouveauxliens sociaux. Cette configuration relation-nelle particulière n’est pas sans incidencesur la réception du message religieux parle nouveau fidèle. Tous ces phénomènes àl’œuvre simultanément lors des cultesenglobent les messages et leur contenu,les incarnent et parfois même les dépas-sent. L’image d’une assemblée d’individustel un tableau blanc sur lequel le pasteurviendrait imprimer les idées et principesreligieux ensuite adoptés par les fidèles necorrespond pas à la réalité. Car, comme lerappelle Paul Veyne, “le vrai but d’une

idéologie ou phraséologie n’est pas deconvaincre et de faire obéir mais plutôt defaire plaisir, en donnant aux gens unebonne opinion d’eux-mêmes”2. Dans lecontexte pentecôtiste, le pasteur parle deces “hommes et femmes d’exception” quiconstituent l’assemblée, ces “enfants dedieu” si différents de la banalité et de l’im-moralité caractéristique du reste dumonde.

Synergie entre dogmes, pratiques etbiographies individuelles

Mais alors, si les contenus doctrinaires nesemblent pas retenir l’attention des nou-veaux convertis dans les premiers tempsde leur cheminement spirituel, qu’est cequi les amène finalement à faire leur lescroyances et les dogmes ? Par quel pro-

Henri Matisse - la danse

Page 12: Bruxelles_Laique_Echos_2008_02

12 E C H O S N ° 6 1

cessus se les approprient-ils ? Commentces idées religieuses acquièrent-elles uneforce, une réalité pour les fidèles qui lesadoptent, et qui, à leur tour, les diffusent ?

Deux processus me semblent pertinentspour amorcer une réponse à ces ques-tions.

Le premier, largement documenté parKenneth Livingstone3, est celui de l’exis-tence d’une synergie entre le contenudoctrinaire et les pratiques religieuses s’yréférant. Cet auteur prend l’exemple dubouddhisme Theravada qui prône la rup-ture avec l’illusion de permanence quienferme l’individu dans le cycle infini de lamort et de la naissance. Les pratiques deméditation qui sont recommandées dansce cadre religieux ont pour effet de mobi-liser la zone du cerveau relative à laconscience, à la présence à soi et au lienentre l’individu et son environnement. Lepratiquant va donc au travers de ces pratiques expérimenter des sensationsnouvelles qu’il interprètera par la suite autravers de la grille de lecture religieuse.Les sensations rapportées de ne fairequ’un avec l’environnement immédiat, deprise de conscience de l’aspect éphémèredes choses terrestres viennent alorsconfirmer la doctrine.

Dans le cadre de mes recherches sur lesÉglises pentecôtistes, cette confirmationest également rapportée par les fidèles.Ce mouvement religieux, comme son noml’indique, accorde beaucoup d’importanceà l’événement de la pentecôte et donc à ladescente de l’Esprit-Saint sur leshumains. Ils actualisent cet événementaujourd’hui et cette manière d’entrer en

connexion avec le surnaturel colore lescultes. Une des manifestations de l’actionde l’Esprit-Saint sur le monde est la glos-solalie (don de parler spontanément unelangue étrangère), moment de prière aucours duquel le fidèle entre en communi-cation avec le dieu chrétien. Celui-ci,emporté par le flot de ses paroles et deses supplications, devient, selon la grilled’interprétation offerte par la doctrine pentecôtiste, le réceptacle de laprésence divine. Ses mots deviennentincompréhensibles et d’autres phénomè-nes adjacents attestent de cette prise decontrôle divine sur sa vie. Il s’agit principa-lement de voix étranges qui se font enten-dre, de gesticulations en tout genre, defidèles qui s’écroulent sur le sol, de pleurset de cris. Cette irruption de l’incontrôlable(même si l’ “inattendu” n’échappe pas àun ensemble de règles et de normes) vientconfirmer l’existence de forces supérieu-res qui dirigent la vie des humains, du“plan de dieu pour les hommes”.

Le deuxième processus qui permet d’illus-trer l’appropriation par les fidèles de mes-sages religieux est celui de l’imbricationentre le contenu du message et la biogra-phie personnelle du fidèle. Certains princi-pes doctrinaires entrent en résonanceavec les souffrances ou les conflits émo-tionnels internes des individus. PeterStromberg4 rapporte le cas de Jane, unefidèle évangélique américaine qui a connuune rupture familiale importante. Elle parlealors à l’anthropologue des relationsqu’elle entretient avec sa famille en termesde distance, d’éloignement. Dans sonrécit de conversion, elle associe cette dis-tance, objet de souffrance, avec l’amourinconditionnel du Seigneur qui l’aime de

manière absolue. La proximité inhérentede cette nouvelle relation semble apaiser,d’une certaine manière, les difficultés queJane éprouve par rapport à la froideur deses liens familiaux. Cette mise en pers-pective opérée par l’interlocutrice nousmontre comment un dogme, une idée reli-gieuse (“Dieu t’aime de manière incondi-tionnelle, absolue”) acquiert une réalitédans un contexte biographique particulier.

Au travers de ces quelques exemplesempiriques brossés ici à grands traits,nous avons vu que plusieurs processusconcomitants sont à l’œuvre dans latransmission des dogmes. Ceux-ciconcourent à donner corps et vie aux doctrines religieuses. Loin d’en faire unereprise rigide, les fidèles appréhendent lesmessages religieux de manière dynami-que.

Maïté MASKENS Doctorante en Anthropologie

Centre Interdisciplinaire d’Études desReligions et de la Laïcité

1 Rodney Needham, Belief, Language and Experience,Chicago, University of Chicago Press, 1972. 2 Paul Veyne, Quand notre monde est devenu chrétien (312-394), Paris, Éditions Albin Michel, 2007, p. 237. 3 Kenneth R. Livingston, “Religious Practice, Brain andBelief”, Journal of cognition and culture, 5. 1/2. Leiden,Koninklijke Brill, 2005, pp. 75-117 (43). 4 Peter G. Stromberg, “Language and Self-Transformation. Astudy of the Christian conversion narrative”, Cambridge,Cambridge University Press, 1993.

Page 13: Bruxelles_Laique_Echos_2008_02

13 E C H O S N ° 6 1

La loi, perçue par certains comme le bas-tion intolérable de la coercition étatique,

par d’autres comme l’unique rempartgarant du contrat social et de la démocra-tie, se retrouve trop souvent instrumentali-sée et dénaturée. L’aspect dogmatique deslois ne tient pas tant, selon nous, à l’obliga-tion générale de les respecter car cettehypothèse soutiendrait la remise en ques-tion de leur existence même et nul n’estbesoin ici de rappeler le rôle primordialqu’elles jouent au sein de toute société.

C’est la manière par laquelle certains sereposent sur ces textes afin d’affirmer unevérité, de couper court à tout débat, d’em-pêcher toute remise en question et, partant, toute amélioration au sein de lacollectivité qui soulève certains question-nements. La posture laïque et citoyennepréconise de respecter les lois justes maisde faire entendre sa voix lorsque des lois nesont pas ou plus adaptées à la société.

Partons de deux réalités : d’abord, si ledroit positif suppose une adaptation auxbesoins inhérents à une société enconstante évolution, il se trouve en retardconstant par rapport à celle-ci. Ensuite,l’égalité en droit ne se marie pas toujoursavec l’égalité dans les faits (les femmes et

les hommes, par exemple en matière d’em-ploi, sont égaux en droit et inégaux de fait).

Pour autant que l’égalité soit assurée endroit, un combat pourrait trop souvent pas-ser à la trappe ; les politiques se désinté-ressent généralement des problèmes quisubsistent. L’argument juridique entravedès lors la contestation. Considérons ledroit égal à l’enseignement : si celui-ci estinscrit dans la loi, les inégalités socialesdemeurent flagrantes.

Par ailleurs, lorsqu’elle s’avère “juridique-ment irrégulière”, une opinion politiquepeut se trouver exclue du débat. La ques-tion de la dépénalisation de l’usage desdrogues est révélatrice de ce phénomène.L’opposition soutient que la dépénalisationest impossible car elle violerait divers trai-tés internationaux. C’est un argument mas-sue. On suppose qu’aucune remise enquestion n’est possible. Or, l’interprétationdes conventions internationales n’est pasunivoque et il existe des mécanismes per-mettant d’émettre des réserves ou encorede relancer le débat pour parvenir à unemodification du traité.1

A coté de la loi écrite, le principe de droitinternational dit “de précaution” est encore

un frein à l’adoption de nouveaux textesadaptés à l’évolution de la société et desidées (les réticences concernant l’adoptionde la loi sur l’homoparentalité en sontl’exemple). Outil indispensable à la prise dedécision, il incite les élus à s’abstenir delégiférer tant que toutes les conséquencesde cette décision n’auront pas pu être étu-diées. Ce principe devrait être utilisé pré-cautionneusement afin de ne pas entraverles prises de décisions en adéquation avecles structures sociales.

A la lumière de ce qui précède, nousconstatons que la loi, par le biais de la doctrine de l’Etat de droit, pourrait être lajustification d’inégalités, la légitimation oula déviation d’une position du pouvoir, brefla justification de la décision politique entant qu’argument d’autorité.

Ce phénomène de “dogmatisation dudroit” ne s’avère cependant pas cantonnéaux agissements des pouvoirs publics.Nombres d’individus évoquent le droit afinde couper court à une discussion, de fairevaloir certains de leurs « droits » de manièreabusive ou encore d’essayer de justifier laprétendue impossibilité citoyenne de sou-tenir certaines causes.

Dura lex sed lex ?

Page 14: Bruxelles_Laique_Echos_2008_02

14 E C H O S N ° 6 1 © Reiner Design Consultants

Page 15: Bruxelles_Laique_Echos_2008_02

15 E C H O S N ° 6 1

Il demeure important de ne pas se laisseranesthésier par un discours dogmatique dugenre “le droit l’affirme et des experts legarantissent, il ne faut donc pas trop réflé-chir”. Nul n’est dispensé de la réflexion personnelle et politique permettant de seforger sa propre opinion. L’adhésion audroit doit demeurer le fruit d’une démarchecritique.

L’idée d’un droitperçu comme sys-tème fermé et inflexi-ble est régulièrementremise en cause parla doctrine juridiqueactuelle. Même (etsurtout) pour le juge,l’interprétation destextes de la loi con-stitue une réalité toujours présente.Enoncer qu’un texteest clair fait déjà partie d’une interpré-tation ; dans touteinterprétation, existeune part de création.La théorie jurisprudentielle de l’état denécessité comme cause de justificationillustre ce phénomène créateur. Elleconcerne la situation dans laquelle setrouve une personne qui, pour sauvegar-der un intérêt supérieur, n'a d'autre res-source que d'accomplir un acte prohibépar la loi pénale. Le médecin qui estappelé pour une urgence et se gare endouble file pour sauver la vie de sonpatient mourant est un exemple fréquent ;la vie est communément considéréecomme intérêt supérieur à la fluidité dutrafic. Cette théorie s’est vue par la suite

reconnue dans notre code pénal en sonarticle 71.

Si la création d’une règle n’est pas exclusi-vement dictée par des critères juridiques, ledroit n’est jamais que politique. La réalitésociologique révèle que les choix des déci-deurs sont dictés, non seulement par desraisons d’ordre personnel, mais aussi par

des contraintes quilimitent leur étendue(la dépénalisation del’avortement apparaîtêtre, sous l’impulsionde la société civile,un compromis entrecertains partis etl’Eglise avec sesnébuleuses).

Dans cet esprit, lerôle du juge se verralargement renforcépar rapport à la doc-trine formaliste clas-sique. Ce juge, touten interprétant selonla volonté du législa-

teur, s’assure du fait que les règles édictéessoient appliquées en fonction des valeurssocialement admises (la loi punit le vol maisle juge ne punira pas forcément la mèredémunie qui vole une pomme pour nourrirson enfant affamé).

Le juge est dès lors considéré comme undes acteurs permettant au droit positif derester en concordance avec le droit vivant.Pourtant, l’acteur principal se révèle être lasociété elle-même. Le législateur crée,abroge, modifie des lois, et celles-ci sontsusceptibles de tomber en désuétude. Le

citoyen, lui, donnera l’impulsion nécessaireaux changements ; ses silences sont perçus comme indice de soutien au statuquo. La folie, disait A. Einstein, c’est de secomporter de la même manière et s’atten-dre à un résultat différent…

Ainsi, si chacun se tait, le gouvernement neréagira pas. La rédaction des accordsconcernant la régularisation des sans-papiers tels qu’ils furent négociés quelquesmois plus tôt, par exemple, ne sera proba-blement jamais à l’ordre du jour. En revan-che, si les citoyens se mobilisent en massepour dénoncer ces injustices, pour crierl’inadéquation des lois et des agissementactuels concernant la politique d’immigra-tion avec la réalité vivante de la société etles aspirations des citoyens, les politiquesn’auront d’autre choix que de s’expliquer etle cas échéant d’y conformer le droit. Lesmots de Gilles Deleuze “résister, c’estcréer” ne pouvaient trouver meilleurdomaine d’application que celui du droit !

La réalité de la notion de démocratiecontraint les pouvoirs publics à entendre lavoix des citoyens et à y répondre parl’adoption des textes. Si les pouvoirspublics n’entendent pas cette voix (ou fontla “sourde oreille”), il est du devoir des

Entendez-vous qu’il faut se sou-mettre aux lois de la société donton est membre ? Il n’y a pas de dif-ficulté à cela ; prétendez-vous quesi ces lois sont mauvaises, il fautgarder le silence ? Ce sera peut-être votre avis, mais comment lelégislateur reconnaîtra-t-il le vicede son administration, le défaut deses lois, si personne n’ose élever lavoix ? Et si par hasard une desdétestables lois de cette sociétédécernait la peine de mort contrecelui qui osera attaquer les lois,faudrait-il se courber sous le jougde cette loi ? Diderot Être homme, c’est précisément

être responsable. C’est connaîtrela honte en face d’une misère quine semblait pas dépendre de soi.C’est être fier d’une victoire queles camarades ont remportée.C’est sentir, en posant sa pierre,que l’on contribue à bâtir lemonde. Saint-Exupéry

Page 16: Bruxelles_Laique_Echos_2008_02

16 E C H O S N ° 6 116 E C H O S N ° 5 1

citoyens de parler plus fort jusqu’à êtreentendus. A ce stade, des moyens légauxexistent : aussi bien le droit de manifester,le droit d’interpeller les pouvoirs publics, laliberté d’expression sur la place publique,le droit de pétition, les médiateurs fédé-raux, les recours en justice…

Si le pouvoir ne réagit pas et laisse derrièrelui les appels de sa population en adoptantdes lois injustes, balayant les fondementsmêmes de sa légitimité, il viole les droits dupeuple. Robespierre déclara ce qui futrepris dans la déclaration des droits del’homme et du citoyen de 1792 en son arti-cle 35 : “Quand le gouvernement viole lesdroits du peuple, l’insurrection est pour lepeuple le plus sacré et le plus indispensa-ble des devoirs”.

La désobéissance civile face aux injusticescriantes d’un système politique dit démo-cratique ne devrait cependant être encou-ragée qu’après réelle circonspection et àtitre d’exception.

Aucun système n’est infaillible. Des déci-sions adoptées par les élus selon des for-mes apparemment légales peuvent être lefruit de jeux d’influences occultes très éloi-gnées du souci de l’intérêt général : déci-sions technocratiques, lobbies, corruption,corégulation illégitime peuvent se rencon-trer dans le moins mauvais des régimes.Dans de telles failles, une légitimation del’idée de désobéissance civile pourrait seglisser, notamment lorsque des décisionsaux suites irréversibles pourraient êtreadoptées. Très éloignée du “chacun sa loi”,une telle désobéissance civile pourrait êtreperçue comme un moyen formateur, limitédans le temps et dans son objet, destiné à

ouvrir le débat public sur une questiongrave et urgente. Plutôt que de contester ladémocratie, elle vise à la défendre en laprotégeant de ses maux.

Aucune violence nesemble se manifesterdans l’esprit de la désobéissancecivile : l’opposition àla loi cohabite avec lafidélité à une loiconsidérée commesupérieure. La vio-lence, qu’elle soitéconomique, psychi-que ou physique estvue comme le fait del’Etat qui l’exerce etqui seul dispose,selon Weber, d’une“violence légitime”.

Des médecins ont pratiqué illégalementl’interruption volontaire de grossesse avantque l’Etat arrive enfin à un accord aboutis-sant à la loi du 5 avril 1990. D’aucuns occu-pent actuellement illégalement des habita-tions vides pour tenter de mettre au grandjour et modifier la politique du gouverne-ment en matière de logement, dénoncentune promotion immobilière excessive quiprovoque la prolifération offensante dechancres urbains et l’augmentation exces-sive des loyers.

Aux vues de l’intolérable politique actuellerelative aux sans-papiers, des rafles, del’enfermement en centres fermés, de lapénalisation de l’aide apportée à des hom-mes, femmes et enfants sans titre de séjourvalable, du projet de la circulaire euro-

péenne “de la honte” qui chemine au seinde notre gouvernement, nous ne pouvonsque constater que nos élus ne nous enten-dent pas, que la loi est en inadéquationavec notre société, que des lois supérieu-

res sont constam-ment violées, quel’Etat abuse illégitime-ment de sa violence.Nous conclurons dèslors en citant les célè-bres vers de MartinNiemöller : “Lorsque les nazissont venus chercherles communistes ; Jeme suis tu, je n'étaispas communiste.Lorsqu'ils sont venuschercher les syndica-listes ; Je me suis tu,je n'étais pas syndica-liste.

Lorsqu'ils sont venus chercher les sociaux-démocrates ; Je me suis tu, je n'étais passocial-démocrate.Lorsqu'ils sont venus chercher les juifs ; Jeme suis tu, je n'étais pas juif.Puis ils sont venus me chercher ; Et il nerestait plus personne pour protester.”

Alexis MARTINETjuriste

1 La commission drogue du CAL a consacré une étude appro-fondie sur le sujet et a justement profité de cette possibilitéd’interprétation des traités pour rédiger une proposition de loiet d’arrêté royal concernant la réglementation des drogues.Ces documents sont consultables en suivant l’urlhttp://www.ulb.ac.be/cal/commissions/drogues/Commission_Drogues.html Voyez également notre dossier : “Avaler la pilule de la prohi-bition” Bruxelles Laïque Echos, n°60, 1er trimestre 2008.

Les mouvements citoyens tels lescollectifs sont des producteurs desavoirs populaires et démocrati-ques, des révélateurs de problè-mes émergents. Les mouvementsde désobéissance civile et d’acti-visme non-violent sont la viemême d’une société démocratiquesi la démocratie n’y est pas réduiteà l’art de gérer un troupeau. Si leschercheurs du possible contre leprobable sont criminalisés, rien nepourra faire obstacle au désespoir,au cynisme, à une violence aussiaveugle que celle qui la provoque.Isabelle Stengers

Page 17: Bruxelles_Laique_Echos_2008_02

17 E C H O S N ° 6 1

Parmi les principes chers à notre mou-vement, l’égalité des genres s’érige

comme un fleuron, comme la plus-valuequi nous permettra de marquer “notre dif-férence dans le débat philosophique quinous oppose aux religions”1.

D’un côté, l’engagement dans des com-bats comme celui pour la dépénalisationde l’avortement a placé notre mouvementà l’avant-scène des luttes pour l’émanci-pation des femmes.

D’un autre côté, la démarche des féminis-tes – que cela soit à l’époque desLumières, lors de son émergence, ou lorsde la 2ème grande vague du mouvement, au20e siècle –, consiste à déconstruire et àdénoncer la supériorité et l’universalité dusexe masculin dans le Droit naturel(Olympe de Gouges, Wollstonecraft) etdans les savoirs (Simone de Beauvoir).Cette démarche pleinement libre-exami-

niste démontre les irrationalités au sein duDroit et au sein de la pensée scientifique.

Une bonne partie du travail critique defigures comme Simone de Beauvoir s’estattaché à dénoncer le fait que les sciences(naturelles et humaines) “oublient” d’appli-quer à elles-mêmes la critique méthodolo-gique d’interrogation de leurs idées fonda-trices ; cette critique permettrait de mettreen question le postulat de bon nombre dedisciplines qui définissent les femmescomme les “autres”.

Néanmoins, au delà de l’engagement laï-que dans la lutte pour l’égalité des genreset des fondements libre-exaministes de ladémarche féministe, les moyens proposésactuellement par une majorité de militantslaïques pour atteindre l’égalité flirtent avecune “tentation dogmatique” : celle d’ima-giner qu’il y aurait un seul modèle d’éman-cipation et un seul moyen d’y parvenir.

Laïcité et féminisme : même combat ?

Ces deux mouvements semblent se fondre dans une même démarche et sem-blent partager des objectifs communs.Certains auteurs affirment que “Le fémi-nisme est une plante qui ne peut pousserque dans le terreau de la laïcité”2. Faut-ilêtre laïque pour être féministe ?

Toutes les femmes qui, un jour ou l’autre,prennent conscience de leur condition, serévoltent contre une configuration desrapports de genre qui les placent dansune position de subordination et s’enga-gent dans la lutte pour changer cettesituation peuvent être appelées féminis-tes.

Cette prise de conscience se fait à partirde l’expérience de chacune, elle-mêmefaçonnée à partir du contexte où elle aévolué. Il y a une infinie diversité de fem-

Quel féminisme pour une laïcité interculturelle ?

Page 18: Bruxelles_Laique_Echos_2008_02

18 E C H O S N ° 6 1

mes et elles ne composent pas un groupesocial déterminé. Avant d’avoir con-science d’être femme et subordonnée entant que telle, on appartient à une classe,à un “groupe ethnique”, à une commu-nauté, etc. Souvent, la prise de con-science de la discrimination de genre vientse greffer sur d’autres discriminationssociales, de couleur de peau, d’apparte-nance à une communauté, d’orientationsexuelle, etc.

C’est à partir de l’appartenance à uncontexte spécifique que les femmes s’ins-crivent dans une démarche féministe etc’est en identifiant ce qui est à l’origine deleur subordination qu’elles développentleur action. Cela peut inclure une remiseen cause des croyances religieuses, maispas toujours et pas nécessairement. Il estpossible de remettre en cause certainsdogmes religieux, qui seraient à l’originede l’inégalité de genre, sans toutefoisrenoncer en bloc à l’idée de l’existence dedieu.

Par exemple, il existe actuellement, unmouvement qui prône une re-lecture destextes religieux, notamment parmi lesféministes musulmanes, et qui remet encause le statut inférieur des femmes ausein de leur communauté. Cette démar-che peut ne pas être laïque, mais elle estanti-dogmatique et définitivement fémi-niste.

Ainsi, au sein de chaque groupe social etde chaque société, les femmes vivent desformes spécifiques d’oppression, d’où ladifficulté à unifier les stratégies pour arri-ver à l’égalité : à partir de chaquecontexte, les moyens adaptés pour abolir

les discriminations doivent être cibléspuisqu’ils s’attaquent à un mécanisme dedomination particulier. Plus que le fait departager le même sexe, c’est l’universalitéde leur subordination qui rapproche lesfemmes et, malgré les combats gagnés,aucun pays ou aucune société ne peut setarguer d’être arrivé à vaincre le patriarcat.Même les sociétés démocratiques, où lalaïcité est reconnue, où l’égalité de genreest acquise au niveau juridique, où la loiproscrit les discriminations n’ont pasréussi à détruire l’inégalité de fait, le plafond de verre, la double journée de tra-vail, la sous représentation politique desfemmes…

Certes, historiquement, le combat laïque aréussi à préserver l’espace public desdogmes religieux qui instauraient l’inéga-lité des genres, mais ce sont les femmesqui ont démontré où s’arrêtait l’universa-lité prônée par les Lumières, où sesituaient les limites des raisonnementsprogressistes. Le mérite des militants laïques a consisté à intégrer pleinement,mais ultérieurement, cette démarche criti-

que des femmes dans leur combat et, cefaisant, ils ont ajouté de la cohérence àleur démarche, s’inscrivant dans une tra-dition anti-dogmatique et libre-exaministe.

La laïcité n’a pas permis, à elle touteseule, de créer une société égalitaire pourtous les sexes, c’est pour cela que la lutteféministe continue. Mais, le féminisme nepeut être véritablement universel que s’ilprend en compte les différences decontexte qui sont à l’origine des différen-tes stratégies de libération des femmes.

Conquêtes du féminisme libéral…

En Europe, la conquête de l’égalité for-melle s’est faite d’abord à travers le suf-frage universel, puis sur base d’autrespolitiques de promotion de l’égalité desgenres majoritairement et traditionnelle-ment issues d’une vision libérale de l’indi-vidu et du féminisme.

A partir de cette vision, qui est en filiationdirecte avec les idéaux de la Révolutionfrançaise, la liberté individuelle et l’égalitésont les deux axes principaux de la lutte.

Ce courant estime que les réformes deslois vont permettre d’atteindre l’égalitécomplète : les sociétés démocratiquesmodernes seraient perfectibles et passi-bles d’être mieux adaptées aux femmes.Dès lors, un effort doit être fourni en termes de lutte contre les valeurs rétrogra-des, souvent véhiculées par les religions,rendant possibles les discriminations.Alors, les moyens les plus efficaces pourenrayer les discriminations seraient lareprésentativité politique des femmes,l’éducation non-sexiste et un arsenal juri-

Page 19: Bruxelles_Laique_Echos_2008_02

19 E C H O S N ° 6 1

dique approprié à la lutte contre les discri-minations.

Dans la vision libérale du féminisme, oncroit à la possibilité d’atteindre l’égalitédes genres dans le système actuel. C’estpour cette raison qu’on appelle ce courant“réformiste” ou “modéré” et ce malgré lesapparences combatives que ses tenantspourraient endosser. En effet, les féminis-tes libéra-ux-les seront souvent mal àl’aise avec les lois sur la parité, les systè-mes de quotas et autres mécanismesbasés sur l’identité de genre qui tentent deproposer des solutions aux échecs desmesures formelles.

Finalement, dans cette perspective, l’uni-versalisme libéral serait tout à fait capablede s’accommoder des différences detoute sorte si toutefois l’individu se montrecapable de laisser ses appartenances decôté au sein de la sphère politique.

Nous sommes dans une grille de lecture,inscrite dans la tradition moderne qui,depuis Descartes, repose sur le mythe dusujet en tant que substitut de Dieu dans laphilosophie : sujet conscient, autonome,unifié, rationnel, calculateur, transparent...Cette tradition se traduit, dans le domainepolitique, par une conception des citoyenséquivalents entre eux et abstraits, déliésde leurs particularités et imperméables àune quelconque détermination sociale,économique, culturelle ou politique quiengendre la maîtrise d’un groupe domi-nant sur les autres composantes de lasociété. A un tel niveau d’abstraction, tousles individus peuvent être dit égaux endroit alors que dans les faits cette concep-tion masque la maîtrise d’un groupe domi-

nant sur les autres composantes de lasociété. Toute la pensée “post-moderne”(psychanalyses, anthropologues, philoso-phes, etc.) a consisté à déconstruire cedogme de l’individu et à montrer qu’il necorrespond en rien à la réalité des hom-mes et des femmes concrèt-e-s.

… et défis féministes de la laïcité inter-culturelle.

Face à l’échec des mesures formelles(accès au droit de vote, égalité juridique)pour donner une place aux femmes dansla sphère publique et dans un contexted’effervescence sociale et politique, émer-gent d’autres positions et d’autres voix.Certains vont qualifier ces nouvellesdémarches féministes de “radicales”.

Ce courant radical va dénoncer l’impossi-bilité de lutter contre l’oppression desfemmes sans une profonde remise enquestion des fondements de la société, dela démocratie et des rapports sociaux. Lesréformes ne suffisent pas à distribuer lepouvoir et les ressources entre l’ensembledes citoyens. Le changement que les fem-mes exigent n’est pas une adaptation dusystème à leurs intérêts sur base demesures d’exception, mais une part activedans la prise des décisions qui concer-nent la chose publique et “si les impératifssociaux sont tels que la majorité de lapopulation ne puisse s’y adapter, c’estqu’ils sont inadéquats et qu’il faut leschanger.”3

De même, le courant radical s’est nourride l’analyse d’autres féminismes, venusd’ailleurs, nourris des expériences de fem-mes noires, des lesbiennes, des transgen-

res, des femmes du Sud et, en général,des femmes issues des sociétés post-coloniales. Elles ont dénoncé la réalité desdiscriminations multiples et le vécu d’unquotidien marqué par le racisme et lesinjustices à l’égard de leur communautéou de leur “race”. Pour beaucoup d’entreelles, la prise de conscience de leuroppression en tant que femmes est indis-sociable de la prise en compte de l’op-pression qui les rend aussi solidaires avecleurs hommes.

Les constats qu’elles apportent exigentl’élargissement des stratégies de luttecontre les inégalités. Plus que jamais, lesvoies pour l’émancipation des femmessemblent se multiplier et se diversifier.

Néanmoins, malgré cette richesse, nousretrouvons, dans nos sociétés occidenta-les confrontées à la diversité de leur popu-lation, un discours excluant et stigmati-sant qui, sous couvert d’un discoursémancipateur, prône une seule voie, pré-tend verrouiller la démarche de lutte pourl’égalité de genre et l’utiliser pour créerune division et une classification entre lesfemmes.

Les démarches qui visent à dénoncer lesexisme spécifique au sein d’un groupesocial – souvent ethnicisé – le qualifiant“d’extraordinaire” provoquent, à justetitre, le refus des femmes que ce discoursvoudrait émanciper.

De même, en dénonçant le sexisme chezles “autres” on tente de nier les inégalitésprésentes dans toute la société. Cettedémarche se présente comme féministe,mais “tout ce qui minimise le patriarcat ou

Page 20: Bruxelles_Laique_Echos_2008_02

20 E C H O S N ° 6 1

la conscience de son existence va à l’en-contre du féminisme comme action etcomme théorie”4.

Pour une laïcité sensible à la polypho-nie féministe et féminine

Tout au long de son histoire, la laïcité a suintégrer les voix de ceux et de celles quiouvrent des brèches dans la pensée uni-que. Actuellement, le défi est celui d’inté-grer ces nouvelles voix féminines quidénoncent le fait que l’égalité entre lessexes prétende être l’apanage d’un seulgroupe social. Idéalement, la laïcité devrait enrichir sonprojet du “vivre ensemble” tout en créantdes alliances avec des femmes qui seretrouvent dans cette intention anti-dog-matique. Mais, attention “si on dit quel’égalité homme-femme ne se conçoitqu’en se débarrassant des religions,aucune femme croyante n’adhèrera àcette idée d’égalité parce qu’elle percevrale féminisme comme une menace pourses valeurs religieuses. Tout en sachant,en plus, que les hommes pratiquant lamême religion auront vite fait de diaboliserle féminisme…”5

Dans la démarche actuelle du mouvementlaïque belge, qui vise à créer des “rencon-tres avec (… ) celles qui aspirent à lareconnaissance de leurs droits et s’organi-sent pour se défendre et y parvenir”6 uneattitude d’ouverture pour une polyphonieféministe semble plus nécessaire quejamais.

Paola HIDALGODéléguée à la communication

sociopolitique

1 P Galand “Regards sur la laïcité. Vers une société plus juste”. Passerelles n°66 p 9.2 Teresa López Pardina in “Feminisme et laïcité” Révue Chimères, n° 65 p138.3 F Collin “La démocratie est-elle démocratique ?”, repris dans “Cahiers du Grif” (La société des femmes), Bruxelles, EdComplexe, 1992.4 C Delphy “Antisexisme ou antiracisme ? Un faux dilemme” Nouvelles Questions féministes, n°1 – 2004, p 77.5 Mwana Muke “Je suis une féministe bourgeoise” http://www.feministes.net/6 P Galand “Regards sur la laïcité. Vers une société plus juste”. Passerelles n°66 p 9.

Page 21: Bruxelles_Laique_Echos_2008_02

21 E C H O S N ° 6 1

Quelques décennies plus tard, JudithButler pousse la réflexion plus loin et

tente de déconstruire le concept de genre.Elle s’interroge sur sa “naturalisation”, surun déplacement du dogme – autrefois lié àla naturalisation du sexe – vers la sphèreculturelle. Si le genre est une construction,se demande Butler, comment le construit-on ? Quelle matrice sexuelle permet depenser cette construction ? “De quoiparle-t-on lorsqu’on parle d’“identité” ? Etqu’est-ce qui nous fait croire que les iden-tités sont identiques à elles-mêmes, qu’el-

les le restent dans le temps, dans leurunité et leur cohérence interne ?”1

Les réponses proposées dans l’ouvragenourrissent et se nourrissent de la penséequeer : une démarche qui interrogel’“hétéronormativité”, ce dogme qui érige-rait l’hétérosexualité comme modèle, àcôté duquel les autres préférences sexuel-les seraient les “troisièmes sexes”.

Loin de limiter par ce questionnement laforce subversive du féminisme, il l’ampli-

fie, pour conclure sur la question “Quellesautres stratégies locales de contestationdu 'naturel' pourraient nous conduire àdénaturaliser le genre en tant que tel ?”2

Paola HIDALGO

LIVRE-EXAMEN

Trouble dans le genre. Le féminisme et la subversion de l’identité.

La phrase “on ne naît pas femme, on le devient” de Simone de Beauvoir, guida la pensée et les actions de plu-

sieurs générations de féministes, permit la déconstruction des catégories sexuelles et la création du “genre”

comme concept. Depuis son apparition, on cessa de considérer les sexes de manière dogmatique et la destinée

des femmes pût s’affranchir du poids des traditions qui voulaient la reléguer dans le domaine du privé, dans une

maternité subie et dans la fatalité d’un corps qui ne leur appartenait pas.

[Judith Butler • Ed. La Découverte/Poche • 276 pages • 2005]

1 J. Butler, Trouble dans le genre, traduit de l’anglais (ÉtatsUnis) par Cynthia Kraus, Ed La Découverte, Paris 2005/2006pour la trad. Française, p. 85.2 Ibidem p. 276.

Page 22: Bruxelles_Laique_Echos_2008_02

22 E C H O S N ° 6 1

L ’ a u t r eet le bien communDu plura l i sme des médias e t de la démocrat ie

Qu’ils défendent la diversité culturelle ou les droits humains, la liberté d’expression ou le libre examen, qu’ils luttent

contre le racisme et les préjugés ou pour la fermeture des centres fermés, qu’ils sensibilisent à la cause des indiens

Mapuche ou qu’ils oeuvrent à la sauvegarde de l’environnement, de nombreux acteurs de la société civile prennent

peu à peu conscience de la nécessité d’une réflexion approfondie et critique sur les médias et leur impact sur nos

représentations et notre perception du monde. Car pour qu’un autre monde soit possible, l’un des préalables incon-

tournables est que d’autres points de vue puissent s’exprimer et se faire entendre. C’est sans doute là un des enjeux

majeurs de la question médiatique aujourd’hui.

Page 23: Bruxelles_Laique_Echos_2008_02

23 E C H O S N ° 6 1

L’évolution des médias, ces trois der-nières décennies, à travers la prise en

main des médias par de grands groupesindustriels, les phénomènes de concen-tration et la marchandisation de l’informa-tion, ont effectivement amené des chan-gements considérables au processusdémocratique et à l’un de ses fonde-ments : le pluralisme. Ce n’est d’ailleurspas un hasard si cette question fut au cen-tre de la réflexion animée en 2005 par leSénat belge autour des enjeux actuels dela citoyenneté.1 Dans les conclusionspubliques des quatre journées d’exposéset de débats qui réunirent auparavantjournalistes, éditeurs et divers acteursassociatifs et publics, Edouard Delruellemit d’emblée en évidence les enjeuxdémocratiques de ce débat : “il n’y a pasde citoyenneté authentique sans pluralitéactive, et réciproquement, le pluralisme nepeut être garanti qu’à travers une citoyen-neté active et responsable” ; pour s’inter-roger ensuite : “Même si les journalistesont une haute conscience citoyenne etdémocratique, la logique médiatique nefabrique-t-elle pas d’elle-même de l’uni-formité, ne fabrique-t-elle pas d’elle-même de la pensée unique, ne sécrète-t-elle pas d’elle-même une forme de totali-tarisme soft et lisse ?”2

Les logiques économiques qui réduisentde plus en plus l’information à sa seulevaleur commerciale ont des effets majeurssur le rôle des médias et le traitement del’information. Elles font aujourd’hui pesersur les rédactions de nouveaux critères,érigés en “dogmes médiatiques”, sur ceque doit être une information pertinente auregard des objectifs de rentabilité, deconcurrence et de profit. Passons quel-

ques-uns de ces nouveaux dogmes aucrible d’autres critères3, démocratiquesceux-là, à savoir notamment l’accessibilitéet la compréhensibilité de l’informationainsi que la pluralité des points de vue.

L’info spectacle et notre perception dumonde

L’accessibilité et la compréhensibilitéconstituent évidemment une conditiondémocratique sine qua non : pour s’ap-proprier les grands débats qui détermi-nent notre avenir, pour jouer son rôle de“stimulant positif du modèle démocrati-que”4, le citoyen doit avoir accès à uneinformation qui rende compréhensible,sans pour autant la nier, la complexité desenjeux sociétaux, ce qui implique parexemple une mise en contexte systémati-que des faits.

Or dans les grands médias de masse –ceux-là même qui détiennent un “mono-pole de fait sur la formation des cerveauxd’une partie importante de la population”5,la valeur démocratique de l’informationsemble être bel et bien supplantée par savaleur marchande, avec pour effet certai-nes conséquences non négligeables sur letraitement de l’information : “faitdiversifi-cation”6, accent mis sur l’émotionnel, lesensationnel et le divertissement, “peo-pleïsation” des questions politiques, ana-lyses et informations structurelles délais-sées au profit d’une vision simpliste de laréalité…

Comme le soulignait Jean-JacquesJespers7 lors du Festival des Libertés2003, ces caractéristiques du populismemédiatique, ont non seulement des

conséquences sur la décision politique,mais ont également des effets importantssur la perception qu’a la société d’elle-même. “Aux Etats-Unis, la couverturemédiatique des crimes de sang et de laviolence non politique (civile, domestique)a augmenté de 700 % en dix ans, alorsque la criminalité diminuait de 20 % dansle même temps. La société américaine estgangrenée par une angoisse irrationnellequi favorise la paranoïa dans les rapportssociaux, voire – selon la thèse de MichealMoore dans son célèbre documentaireBowling for Columbine – dans la politiqueinternationale de Washington !”

Prenant un autre exemple, belge celui-là,J.-J. Jespers mettait aussi en gardecontre le traitement émotionnel des enjeuxsociétaux. “Lors de la faillite de la Sabena,les médias belges ont consacré beaucoupplus de temps à montrer, et même à res-sasser, le désarroi des membres du per-sonnel (larmes, commentaires désabusés,dénonciations véhémentes, gestes dedétresse…) qu’à évaluer les responsabili-tés dans le processus qui a mené à la fail-lite. Cette priorité à l’émotionnel contribueà accroître le fatalisme et le défaitisme :comme l’information n’explique rien et nedésigne aucun responsable, la seule atti-tude possible, pour le public, c’est la com-passion avec la douleur des victimes.”

Nous voilà bien loin d’un “rôle de stimu-lant positif de la démocratie”. Et l’on per-çoit de quelle manière la conscience“sécuritaire” et “humanitaire” peuvent êtreéveillées sur le terrain du populismemédiatique…

Une autre caractéristique de l’information

Page 24: Bruxelles_Laique_Echos_2008_02

24 E C H O S N ° 6 1

aujourd’hui, largement influencée par lesnouvelles technologies de communica-tion, est sa rapidité, avec comme pointd’orgue le direct. “Informer, ce n’est pasrépondre à des questions, c’est faireassister à l’événement”8. Cet autre impéra-tif médiatique qui n’a cessé de progresserdepuis la naissance de CNN et la premièreguerre du Golfe n’est pas non plus sansconséquence sur la démocratie. Outre lefait qu’il n’est guère propice au b.a.-ba dela déontologie journalistique (recoupe-ment des sources, enquête sur le terrain,analyse et prise de recul), le dogme de“l’instantanéité” se marie mal avec lerythme “plus lent de la délibération collec-tive et de l’organisation démocratique.”9

Mais là encore, peut-être s’accorde-t-ilmieux du simplisme des réponses appor-tées par un certain populisme politique ?

Le syndicaliste et la fille voilée

Revenons à présent à la question du plu-ralisme, autre condition démocratiqueessentielle : pour pouvoir “examiner libre-ment” et poser de réels choix, le citoyen abesoin de pouvoir s’informer de la pluralitédes points de vue en présence sur tel outel sujet. Dans une conception de respon-sabilité sociale des médias, cette questiondu “droit à l’information” pose non seule-ment la question de l’accès à l’informationen tant que “récepteur” (conditions maté-rielles mais aussi pluralité des sources),mais elle touche également à la probléma-tique de l’accès aux médias, cette foiscomme “émetteur”.

Autrement dit, les médias de masse,considérés par d’aucuns non plus commedes proies mais des acteurs de premier

plan du système dominant, donnent-ilssuffisamment la place à un autre point devue ? Celui des paysans du Lubéron, desréfugiés afghans, des squatteurs ou desfemmes notamment ? Comment “la fabri-que du consentement”10 rend-elle compteaujourd’hui des luttes sociales et de ladiversité ?

“Avec mépris…”, répondra le directeur duMonde Diplomatique.11

Analysant l’une des formes journalistiquesles plus proches, en apparence, de lafonction de forum pluraliste des médias, ledébat télévisuel, Pierre Bourdieu s’estintéressé à la mise en scène de cesdébats de société. A travers le rôle du pré-sentateur, les règles du jeu à géométrievariable (par exemple concernant le tempsde parole), la composition du plateau ouencore la place des “professionnels duplateau” (les fast thinkers), le sociologuemit en évidence de nombreux dispositifsde verrouillage de la parole et les condi-tions inégalitaires d’expression selon quel’on soit “syndicaliste ou M. Peyrefitte del’Académie française”.

Dans Médias et mobilisations sociales, ausujet de la “Marche du Siècle” de Jean-Marie Cavada, “longtemps présentéecomme un modèle de débats de société”,Henri Maler et Mathias Raymond12 vontjusqu’à parler de “censure”, au regard del’absence quasi totale de représentantssyndicaux (0,2 %) et des catégories popu-laires (0,7 % d’ouvriers et 0,7 % d’em-ployés) parmi les invités de l’émission.

Mais il faudrait aussi parler d’une certainecriminalisation de la contestation sociale,

notamment à travers le langage médiati-que qui tend à transformer les citoyens,porteurs de revendications, en “preneursd’otages”, voire en “terroristes”. Il faudraitégalement aborder les “vraies questions”par rapport auxquelles la logique unani-miste des médias ne laisse guère de placeà la nécessaire confrontation des pointsde vue (l’exemple récent des débatsconcernant le traité européen restera sansdoute emblématique à ce niveau). Il fau-drait encore parler des “faux débats” quivéhiculent de “vrais préjugés” tout enmasquant de “vraies questions”. Lesrecherches d’auteurs comme LaurentMucchielli13 ou Pierre Tevanian14 à propos,par exemple, de “l’islamisation des problématiques sociales” sont à ce titreinterpellantes. Concernant l’hystériemédiatique autour du “foulard islamique”,Tevanian met notamment en évidence lamanière dont les médias occultèrent laparole des principales concernées.

Page 25: Bruxelles_Laique_Echos_2008_02

25 E C H O S N ° 6 1

Résister à la “spirale du silence”

A côté du développement d’une analysecritique des médias, d’une information surl’information15, les médias du tiers secteur(associatif et non-marchand), parce qu’ilséchappent, le plus souvent, aux logiquesmarchandes, au “prêt à penser” et au for-matage à outrance, constituent une alter-native réelle. Ils sont des outils essentielspour faire remonter une parole ignorée parles médias de masse, ou devrait-on dire,une infinité de paroles et de réalités socia-les occultées par la machine médiatique.

Conscients de ce fait, mais également desdifficultés inhérentes à leur spécificité,certains revendiquent aujourd’hui lareconnaissance légale de médias, dit “dutroisième type” et demandent à ce qu’ilsbénéficient d’un soutien particulier euégard à leur rôle démocratique. “Il s’agitde préserver et de créer des espaces deliberté, d’expérimentation, de créativité ;des médias qui réinvestissent l’aspectlocal, échappent au formatage du langageet des formats audio-visuels, refusent lapublicité, permettent une appropriationcitoyenne et une éducation critique desmédias, privilégient l’expression de caté-gories de la population qui en sont habi-tuellement privées… Ce ne sont pas lesnouvelles technologies qui rendront possi-ble l’avènement de tels médias, c’est lavolonté politique.”16

Le politique entendra-t-il cette revendica-tion davantage que celles qui portèrentjadis (les voix se font désormais rares) surla déprivatisation de la presse ? La ques-tion est pertinente puisque laCommunauté française de Belgique s’ap-

prête à traduire en droit interne la nouvelledirective européenne sur les services demédias audio-visuels. Une “vraie ques-tion” donc, mais sera-t-elle compatibleavec “la vente de temps de cerveauhumain disponible”17 aux publicistes ?

Sophie LÉONARDDéléguée à la communication

sociopolitique

1 Lors du 175ème anniversaire de la Belgique, le Sénat mit en débat la citoyenneté à travers quatre thématiques : l’éducation,l’exclusion sociale, le fédéralisme et les médias. Ce dernier thème fut abordé au cours de différentes sessions de travail :médias et liberté d’expression, pluralisme des médias, multiculturalité dans les médias et éducation aux médias..2 Pour accéder à l’exposé dans son intégralité et aux comptes rendus des sessions de travail : http://www.senat.be/event/citi-zenship/05-05-10-media/fr/report.html.3 Lire à ce sujet Médias et citoyens sur la même longueur d’onde – Panorama des pratiques journalistiques favorisant la pra-tique citoyenne, Fondation Roi Baudouin, 2002. 4 Voir la Résolution déposée au Sénat en 2003 sous l’impulsion du groupe Bruschetta (www.bruschetta.be) qui a pour objetde promouvoir la liberté et la qualité du travail journalistique dans une perspective “d’affirmation du rôle majeur du journa-liste en tant qu’acteur de la démocratie”. 5 Mwana Muke, Je suis une féministe bourgeoise http://www.feministes.net/6 Pierre Bourdieu. Sur la télévision, 1996.6 Le fait divers est au sommet de la hiérarchie de l’info et l’ensemble des problèmes sont traités comme des faits divers. 7 Jean-Jacques Jespers est un ancien journaliste de la RTBF. Il est professeur à l’ULB au Département des sciences de l’in-formation et de la communication. Pour lire l’intégralité de son intervention www.bxllaique.be (séances publiques – Vivre dansla diversité).8 Ignacio Ramonet, La fin du journalisme, 1999 (source ACRIMED)9 Serge Halimi, Contestation des médias ou contestation pour les médias ?, intervention au Forum social européen, 2003(source ACRIMED).10 Edward S. Herman and Noam Chomsky, Manufacturing Consent, 1988.11 Ignacio Ramonet, “Combats pour les médias”, in Manière de voir n° 80, avril-mai 2005.12 Animateurs du réseau ACRIMED (Action-critique-médias– www.acrimed.org).13 Laurent Mucchielli est sociologue, chercheur au CNRS, directeur du CESDIP (Centre de recherches sociologiques sur ledroit et les institutions pénales), auteur notamment de Violences et insécurité. Fantasmes et réalités dans le débat français(2002) et de Le scandale des “tournantes”. Dérives médiatiques, contre-enquête sociologique (2005).14 Pierre Tevanian est professeur de philosophie et l’un des fondateurs du collectif Les mots sont importants (LMSI). Auteurnotamment de Mots à maux, dictionnaire de la lepénisation des esprits, (avec Sylvie Tissot, 1998) ; Le ministère de la peur.Réflexions sur le nouvel ordre sécuritaire (2004) ; Le voile médiatique. Un faux débat : “l'affaire du foulard islamique” (2005) ,La République du mépris. Métaphores du racisme dans la France des années Sarkozy (2007), Les filles voilées parlent (avecIsmahane Chouder et Malika Latrèche, 2008).15 Plusieurs initiatives ont été citées dans la présente contribution : ACRIMED, LMSI…16 Lire notamment Gwenaël Breës, Le CSA belge fête ses dix ans, loin des usagers et des médias associatifs, Radio Panik,2007.17 Selon l’expression désormais célèbre et emblématique du PDG de TF1, Patrick Le Lay (Les dirigeants face au changement,2004)

Page 26: Bruxelles_Laique_Echos_2008_02

26 E C H O S N ° 6 1

Trois expressions déconstruites dans leDictionnaire.

L’activation, qui s’applique au chômageou au chômeur, plongea ce dernier dansl’alternative infernale qui doit lui faire choi-sir soit la tourmente de l’imposition d’acti-vités vaines de formations ou d’emplois

sans valeur dans un système de contrôleet de sanctions diaboliques, soit l’ana-thème et le stigmate de passivité, de tor-peur ou de paresse.Humaniser. L’humanisation est associée,dans le discours des « décideurs » politi-ques, à tous les dispositifs qui s’éloignentle plus notoirement de l’humain et du

bien-être des personnes qui dépendentde ces dispositifs : les conditions de tra-vail, le chômage, le libre marché, les pri-sons, les centres fermés pour étrangers…Ressources humaines. Le travailleurs n’estplus considéré comme un sujet social, iln’y a plus d’ouvrier, plus de personnel, letravail humain est considéré comme une

Prêt-à-penserC o n s i d é r a t i o n s a u t o u r d u D i c t i o n n a i r e d u p r ê t - à - p e n s e r,Emplo i , protect ion soc ia le et immigrat ion, les mots du pouvoi r ,Matéo A la luf , Ed i t ion Vie Ouvr ière , Bruxe l les-Char lero i , 2000.

Le dogme, de tout temps, a été imposé, au moins partiellement, mais parfois violement, par

la force. D’ailleurs, selon Nicolas Machiavel, la ruse est une forme évoluée de la force qui

consiste à “donner des effets à ce qui n'existe pas”1. Le pouvoir est appelé par Machiavel à

user habilement de la ruse et à rester maître des apparences.

Imposer des significations aux mots, fabriquer des expressions – orientées idéologiquement

– à partir de mots préalablement chargés de sens, voilà les dispositifs propres du prêt-à-pen-

ser. Dans son Dictionnaire du prêt-à-penser, comme dans chaque numéro de la revue

Politique2, Matéo Alaluf déconstruit des expressions et l’utilisation politique et médiatique qui

est faite de certains mots qu’il nomme “les mots du pouvoir”.

Page 27: Bruxelles_Laique_Echos_2008_02

27 E C H O S N ° 6 1

ressource, comme un input de l’entre-prise, au même titre que le matériau. Il nes’agit plus, à aucun moment, de considé-rer des personnes, mais seulement defaire correspondre la disponibilité du tra-vail aux besoins de l’entreprise. Ouvrantainsi la porte à toutes les considérationsqui permettraient de façonner l’humain àl’entreprise. Toute volonté de négocier lesqualifications, la stabilisation de la vie dechacun est dès lors considérée comme unfrein au “développement” et donc… reléguée.

Processus

Si Matéo Alaluf axe sa critique des motsdu pouvoir sur l’emploi, la protectionsociale et le traitement réservé aux étran-gers, le prêt-à-penser est un processusqui se retrouve dans tous les domaines entension dans notre société. Comme sonnom l’indique, le prêt-à-penser irriguenotre société d’un cadre pour la pensée.Cadre qui exclut la critique et l’analyse auprofit d’un regard stéréotypé, voire binaire,sur les enjeux sociaux et politiques. Unemanière techniquement très aboutie d’as-surer la propagande des dominants et deconsolider l’inertie d’une société dont lesinstitutions sont plus au service d’intérêtsprivés qu’au service de toute la popula-tion. L’enjeu qu’il y a à dénoncer l’usaged’un langage clos est donc de premièreimportance. Il s’agit de fabriquer desoutils pour résister à toute forme d’op-pression. Il s’agit de s’émanciper par lacritique des raisonnements fallacieuxbrandis par le pouvoir et qui sont érigés endogmes, en réalités immuables.Le travail de déconstruction dont MatéoAlaluf nous montre la pratique, mériterait

d’être systématisé. Tout le monde peut sel’approprier. Tentons l’exercice…

Toute la misère du monde

“La France ne peut accueillir toute lamisère du monde, mais elle doit savoir enprendre fidèlement sa part” lançait MichelRocard en janvier 1990. Il n’en est restéque la première partie qui revient fidèle-ment dans le discours des gens de pou-voir lorsqu’il leur faut justifier les politiquesà la fois économiquement absurdes ethumainement insoutenables d’immigra-tion des pays d’Europe : On ne peut pasaccueillir toute la misère du monde… Larengaine va de pair avec le mythe de l’ap-pel d’air. Mythe selon lequel une régulari-sation des personnes vivant clandestine-ment sur le territoire provoquerait uneaugmentation incontrôlée des flux migra-toires vers le pays aventureusementaccueillant. Toute la misère du monde etl’appel d’air sont des “grains de chape-lets” bien reposant car ils n’invitent àaucune réflexion. Pourtant, il vaudrait lapeine de se pencher sur deux constats quicontredisent ces “vérités” véhiculées parle discours prêt-à-penser : d’une part,l’écrasante majorité des mouvementsmigratoires suscités par la misère et laguerre se font vers des pays limitrophes,d’autre part, les flux migratoires vers lespays occidentaux sont à peu près inélas-tiques (varient peu quels que soient lesfacteurs extérieurs). Si bien qu’aucunepolitique restrictive (sauf génocidaire) n’ajamais été en mesure de réduire les flux.

La tolérance zéro…

Non, je passe, trop facile.

L’offre et la demande

L’offre et la demande sont présentéescomme constitutives d’une loi naturelle del’économie : celle de l’offre et de lademande (déjà, il y a anguille sous roche).L’offre étant toujours supposée répondre àune demande. Comme s’il s’agissait d’ins-tiller dans nos esprits l’idée selon laquellechaque produit répondrait à une nécessitéressentie par un public de consomma-teurs. C’est ainsi, par exemple, que laSolvay Business School soutient, sanssourciller, la création de la Glace pourChien, finalement commercialisée parAnin’Ice3 en 2005… Et dire qu’il a falluattendre 2005 pour qu’Anim’ice réponde àcette demande lancinante, alors que la loide l’offre et de la demande, elle, trouvaitdéjà ses prémisses sous la plume d’AdamSmith en 1776 et qu’en 1776, il y avaitdéjà des chiens.

Le moral des ménages

Le “moral” des ménages est un indicateuréconomique qui est censé témoigner duregard des consommateurs sur leur envi-ronnement et ainsi, permettre d’anticiperleurs comportements en termes d’épar-gne et de consommation. On ne pouvaitmieux choisir le terme si l’intention était derendre hommage à la novlangue d’Orwell.Des économistes médiatiques nous expli-quent chaque matin où en est le moral desménages et, lient ce moral à une certainepropension à la consommation. Pour fairecourt, une question : est-ce que l’augmen-tation de la consommation d’antidépres-seurs est reprise dans l’indicateur ?

Page 28: Bruxelles_Laique_Echos_2008_02

28 E C H O S N ° 6 1

La Santé n’a pas de prix

Qu’est ce qui est contenu dans la notionde “santé” ? Pour la France, Jean Peneff4,met en évidence que les dépenses desanté gigantesques sont liées à une sur-consommation induite par l’offre médicaleet pharmaceutique qui “donne des effets”à des maux “qui n’existent pas”. La“santé” a coûté à l’Etat belge 23 milliardset demi d’euro en 2002, soit 8,7 % de sonPIB. Est-ce bien raisonnable d’affirmerqu’elle n’a pas de prix ? Ou vaut-il mieuxconsidérer qu’on nous invite à dépenserpour “elle” (et les intérêts privés qui la pro-duisent) sans compter ? Au risque deréduire notre Saint “Pouvoir d’Achat” (quelpouvoir, d’acheter quoi ? D’ailleurs.).

Prendre les usagers en otages

Lorsque des salariés se mettent en grèvepour réclamer de meilleures conditions detravail, il ne s’agit plus dans le discoursmédiatique et politique, de défendre desintérêts. La grève devient une “prise d’ota-ges” des usagers du service ou des desti-nataires de la production de l’entreprisedont les salariés sont en lutte. A croire queles tenants de cette rhétorique ne saventpas ce que signifie une réelle prise d’ota-ges. Ce discours est notamment présentlorsqu’il s’agit de salariés des transportspublics. D’un côté, il y a les travailleurspreneurs d’otage (les grévistes) et de l’autre les travailleurs pris en otages (lesnavetteurs). L’effort est ici concentré pourmonter des salariés les uns contre lesautres. Comme si l’augmentation descadences, l’allongement des journées detravail, la fragilisation de l’emploi n’étaien tpas partagés par les uns et les autres.

Comme si la qualité du service rendu parles entreprises (plus ou moins privées) detransports publics était indépendante desconditions de travail de ses salariés.Toutes réalités masquées par le discoursde la prise d’otage.

La Liberté

Même la Liberté ! L’action d’essencevolontaire dénuée d’ignorance et decontrainte5. Celle-là qui était de tous lescombats pour se défaire de l’oppressionet du dogme, est enfermée, avec le prêt-à-penser, dans une acception qui vacontre son histoire, contre l’histoire del’émancipation et de la libération de laconscience et de l’expression, contre laliberté de se gouverner soi-même. Elleperd son essence volontaire quand elledevient, par exemple, “la liberté d’entre-prendre” et s’applique à tous, notammentà ceux qui n’ont pas les moyens d’entre-prendre. “Entre le riche et le pauvre, entrele faible et le fort, c’est la liberté quiopprime et c’est la loi qui libère.” DisaitHenri Lacordaire… Est-ce à un curé qu’ilfaudra emprunter la formule qui contrain-dra la liberté d’entreprendre ?

Cedric TOLLEYDélégué à la communication

sociopolitique

1 Le Prince.2 http://politique.eu.org/chroniques/le_dictionnaire_du_pret_a_penser.html3 www.animice.be4 Jean Peneff, La France malade de ses médecins, Paris, Lesempêcheurs de penser en rond, 2003.5 Selon Aristote.

Page 29: Bruxelles_Laique_Echos_2008_02

29 E C H O S N ° 6 1

Le nouvel habit du TCE

Rien de tel qu’un toilettage pour rendre leTCE aussi élégant qu’un eurocrate en cos-tume trois pièces. On retire du texte lessymboles de l’Union – drapeau, hymne,devise – alors que leur existence est déjàeffective. On élimine l’adjectif constitu-tionnel et lui donne la forme habituelled’un traité modificatif des traités existants.Même si on prétend renforcer le pouvoirdes parlements nationaux concernant lecontrôle du principe de subsidiarité, ledroit européen continuera à primer sur les

législations nationales. On le pare de quel-ques valeurs qu’on avait malencontreuse-ment oubliées d’énoncer dans le TCE :protection des minorités, idéaux de plura-lisme, de tolérance, de justice, de solida-rité et d’égalité des hommes et des fem-mes. Cette belle intention ne se traduitpourtant pas dans les directives de laCommission européenne en termes dedroits sociaux et de sécurité1. Même si lafameuse “concurrence libre et non faus-sée n’apparaît plus être formellement unobjectif de l’Union, les règles de base de lapolitique de la concurrence demeurent

inchangées”2. De l’aveu de tous (à com-mencer par Valérie Giscard d’Estaing,“père” du TCE), le contenu reste le même :“Le traité de Lisbonne reprend presque latotalité du traité constitutionnel.”3.

Tour d’Europe des ratifications

Bien que relooké, le traité de Lisbonne nesemble pourtant pas encore assez “sexy”pour prendre le risque de le soumettre auvote des Européens. Rappelons que ni leTCE, ni le traité de Lisbonne n’ont étérédigés par des représentants élus du

En 2005, les peuples français et néerlandais rejetaient par referendum le traité constitutionnel européen (TCE).

En France, au lieu de saluer la formidable mobilisation citoyenne ayant permis un débat nourri sur un texte

ardu, les élites politico-médiatiques abasourdies par ce résultat ont rivalisé de mauvaise foi pour qualifier les

opposants au TCE. Anti-européens, xénophobes, populistes, irresponsables,… pas la moindre auto-critique

de leur part, si ce n’est le manque de communication, voire de “pédagogie” dont ils auraient fait preuve pour

expliquer tous les bienfaits du projet constitutionnel. Faisant semblant de prendre en compte les critiques des

“nonistes”, tout en les accusant de mettre l’Europe dans l’impasse, nos dirigeants élaborèrent un “nouveau

traité” ou “traité simplifié”. En réalité, le traité de Lisbonne n’est ni simple ni nouveau, il est la réincarnation du

TCE et n’a d’autre objectif que de sauver les apparences démocratiques.

Le TCE est mort, vive le traité de Lisbonne !

Page 30: Bruxelles_Laique_Echos_2008_02

30 E C H O S N ° 6 1

peuple européen et n’ont pas de légitimitédémocratique. Seule le recours à uneconsultation populaire pouvait encore laleur conférer. Si nos dirigeants sont si sûrsde l’adhésion de leurs peuples au nou-veau traité, pourquoi n’ont-ils pas profitédes élections européennes de juin 2009pour soumettre le texte à leur approba-tion ? Au contraire, ils ont préféré prendreun maximum de précautions en ayantrecours à la ratification parlementaire danstous les pays membres où cela était pos-sible, c’est-à-dire 26 sur 27, quitte àdevoir changer la constitution du payscomme ce fut le cas en France. Jusqu’àprésent, le traité de Lisbonne a été ratifiépar 13 des 27 pays membres. EnBelgique, il est sur le point de l’être. Seull’Irlande peut encore mettre des bâtonsdans les roues européennes lors d’unreferendum dont la date n’a curieusementpas encore été fixée. Cela a peut-être unrapport avec le fait que le journal anglaisDaily Mail a révélé le 14 avril dernier com-ment les ministres irlandais préparaientune campagne délibérée de désinforma-tion afin de faire gagner le “oui” au Traitéde Lisbonne.

Un Non de combat

A contenus presque égaux, les critiquesde fond persistent du TCE au traité deLisbonne. En 2005, certains partisans duTCE, plus résignés que convaincus, ontaffirmé que s’il n’était pas parfait, il était“le mieux qu’on puisse obtenir”, et queleur oui était un “Oui de combat”. Est-ceparce que le TCE avait apporté quelquesaméliorations par rapport aux traités anté-rieurs – améliorations largement insuffi-santes pour un texte qui est censé être

l’aboutissement de nos modèles de socié-tés démocratiques – que nous ne devonspas exiger mieux ?Devrions-nous vraiment nous contenterd’un traité de Lisbonne qui permet ledémantèlement des services publics ?Devons-nous nous résoudre à uneBanque Centrale Européenne indépen-dante ad vitam æternam ? Devons-nousnous contenter d’une Commission euro-péenne, qui sans aucune légitimité démo-cratique, garde l’initiative législative ?D’un Parlement européen, qui malgrél’augmentation de son domaine de com-pétences, reste exclu du processus decodécision dans des domaines essentiels(fiscalité, marché intérieur, politique moné-taire, politique étrangère et de sécurité,etc.) ? Devons-nous acquiescer à la men-tion de l’héritage chrétien comme “sourcede démocratie, de l’Etat de droit et deslibertés fondamentales” alors que le motlaïcité brille par son absence ? Plus quejamais l’Eglise est un partenaire privilégiédu “dialogue régulier et transparent” avecles institutions européennes et menacepar là des droits chèrement conquis,notamment en matière d’égalité des gen-res.

Du déficit démocratique à l’impositiond’un dogme

L’absurde droit d’initiative populaire –repris du TCE dans le traité de Lisbonne,qui permettrait à un million de citoyenseuropéens d’inviter la Commission à pré-senter une proposition législative (quin’est en aucun cas obligé d’y répondre) nesuffira pas à combler le désolant “déficitdémocratique” – un bel euphémisme del’eurojargon – des institutions européen-

nes, qui ne trompe aucun citoyen bieninformé.

Le choix des ratifications par voie parle-mentaire et le profil bas adopté par lesmédias de masse4 ont eu l’effetescompté : en France, après les passionsdéchaînées par le TCE, le traité deLisbonne a été adopté dans l’indifférencepresque générale. En Belgique, il sembleque personne n’en parle5. Il y a pourtantmatière à débattre, notamment de la miseen œuvre des valeurs dont l’Europe seveut l’étendard. Dans des sociétés quiévoluent, ces valeurs que nous parta-geons doivent constamment être rediscu-tées au risque de devenir les instrumentsd’imposition dogmatique. Or, elles sonttrop souvent sacralisées, assénéescomme des vérités n’étant plus à discuter,comme si chacun en avait la mêmeconception. Le traité de Lisbonne incarneune construction européenne soumiseaux diktats de la globalisation. A terme, unprojet politique pensé dans une perspec-tive uniquement économique et tenant sipeu compte des aspirations de sescitoyens, n’est-il pas condamné àl’échec ?

Olivia WELKEDéléguée à la communication

sociopolitique

1 Voir par exemple le dernier projet de directive sur la réten-tion et l’expulsion des étrangers soumis au parlement euro-péen ce mois-ci qui créé une vague de contestation en cequ’elle porte encore plus atteinte aux droits fondamentauxdes étrangers. Voir http://www.directivedelahonte.org 2 Pascal Gilliaux, Le traité de Lisbonne, CRISP, Courrier heb-domadaire, 2007, p.233 Ibidem, p.834 Lire “le service après vente du traité de Lisbonne” surhttp://www.acrimed.org5 À l’exception du collectif de résistance au Traité deLisbonne qui peine à faire entendre sa voix. http://www.cr-tl.be

Page 31: Bruxelles_Laique_Echos_2008_02

31 E C H O S N ° 6 1

Le développement durable, nouvel avatar

du dogme de la croissance ?Depuis près de quatre décennies, le “dogme de la

croissance” a été mis en évidence et dénoncé par des

intellectuels critiques. La croissance du PNB enten-

due comme la marche naturelle des choses ou

comme la panacée économique et sociale – seule

garante de la prospérité des nations et du bien-être

des populations, seule solution au fléau du chô-

mage… – avait atteint le statut de vérité incontestable.

Aujourd’hui, les limites du modèle économique repo-

sant sur une croissance économique infinie sont

devenues perceptibles à travers les sombres constats

écologiques. Le dogme de la croissance est il pour

autant l’affaire du passé ? Voici quelques extraits

choisis pour alimenter notre réflexion.

Page 32: Bruxelles_Laique_Echos_2008_02

32 E C H O S N ° 6 1

Ce qui fait problème, ce n’est pas tantla croissance que son idéologie,

c’est-à-dire le fait de croire que “plus”serait nécessairement égal à “mieux”.L’idéologie du développement fut propul-sée au lendemain de la Seconde Guerremondiale dans le point IV du programmedu Président américain Truman : elle visaitalors à offrir une alternative au tiers mondeface à la menace communiste. L’idéologiedu “développement durable” est apparueensuite dans le contexte de la contre-révolution conservatrice mondiale et apermis aux dominants de reprendre lamain. Les politiques de gauche comme dedroite partagent en effet un bilan écologi-que monstrueux, car toutes deux ont faitde l’environnement la variable d’ajuste-ment de leur système, avec certes desrésultats sociaux fort différents… Mais,face à l’urgence environnementale, lesmilieux d’affaires et la droite peuventrebondir en profitant d’un rapport de forcemoins favorable aux peuples, pour faire denouveau de la pauvreté leur principalevariable d’ajustement. Cette possibilitéreste encore fermée à la gauche, qui seretrouve donc aphone.

La communauté scientifique estaujourd’hui unanime pour dire que lanotion de “développement durable” n’estpas un concept scientifique, mais idéolo-gique. Ce consensus mou s’est établiautour de la pensée et des intérêts desdominants. Les choses ont commencé àmal se passer pour la gauche lorsque sapensée théorique s’est affaiblie et qu’ellea épousé les mots poisons de ses adver-saires : le lecteur en aura un bon symp-tôme en suivant la carrière de JacquesAttali. En 1973, la revue la Nef publiait un

dossier sous le titre “Les objecteurs decroissance”. Parmi les signataires, RenéDumont, bien sûr, mais aussi Jean-PierreChevènement, Michel Rocard et… divinesurprise : le grand Jacques (Attali). Ce der-nier, pas encore conseiller de Mitterrand etencore moins de Sarkozy, refusait l’équa-tion devenue « incontestable », croissance= progrès social : « Il est un mythe, savam-ment entretenu par les économistes libé-raux, selon lequel la croissance réduit lesinégalités. Cette argumentation permet-tant de reporter à “plus tard” toute reven-dication redistributive est une escroquerieintellectuelle sans fondement…”

Attali opposait donc deux stratégies, l’unede droite, l’autre de gauche : “L’une, fon-dée sur l’exacerbation des besoins mar-chands par l’inégalité, conduit à laconcentration urbaine, à la centralisationdes pouvoirs en un petit nombre de cen-tres de décisions privés et publics. Unetelle stratégie permet une croissance trèsrapide du PNB et entraîne une aggravationsimultanée des coûts sociaux […] ; lamobilité des travailleurs n’est pas un signede dynamisme économique mais unesujétion de la croissance ; le renouvelle-ment rapide des produits n’est pas unsigne de progrès mais la source de gaspil-lages inacceptables […] ; la croissance atoujours été la glorification du travail.”L’autre stratégie, que soutenaient alorsAttali et la gauche socialiste, consistait àmaîtriser la croissance économique enremettant en cause “la superpuissancedes entreprises capitalistes multinationa-les”, qui “prive de plus en plus les États deleur souveraineté véritable, en matièremonétaire, économique, sociale”. Puis, enremettant en cause “la règle du profit” qui

“entraîne inévitablement la priorité du mar-chand sur le non-marchand, de l’économi-que sur le social, du quantitatif sur la qua-litatif”. Enfin, en changeant les “règles dedévolution du pouvoir dans les entitéséconomiques”, qui “favorisent les com-portements hiérarchiques et les aspira-tions à l’inégalité et conditionnent unedemande de plus en plus ostentatoire”,telle que Veblen l’avait prédit [NDLR :c’est-à-dire l’imitation des modes de viede la “petite bourgeoisie”].

Attali proposait finalement, face à la dicta-ture de la croissance nécessairement iné-galitaire, l’adoption d’une planificationdécentralisée dans le respect de troisgrandes questions : quel pouvoir organisela production ? Qui détermine lesbesoins ? Qui impose les limites du possi-ble ? Attali concluait son étude par cejugement toujours d’actualité : “S’ils ne lefont pas, un jour peut-être, toute la profes-sion économique sera condamnée pournon-assistance à société en danger demort.” Mais ce même Attali préside, en2007, une commission de réforme sur “lesfreins à la croissance économique” à lademande de Nicolas Sarkozy…Les milieux de la décroissance doiventdonc prendre aujourd’hui très au sérieuxtout ce qui se trame dans les cercles depensée économiques et techno-scientis-tes. Les colloques internationaux sur lethème de l’après-développement durablese multiplient sans que le grand public enconnaisse les enjeux. Le Grenelle officieloppose déjà les tenants des deux thèses :d’un côté, ceux qui prêchent avec Hulot ledéveloppement durable à la sauce mora-liste, bref les tenants, selon leurs adversai-res, d’une écologie culpabilisatrice ; d’un

Page 33: Bruxelles_Laique_Echos_2008_02

autre côté, ceux qui n’ont foi que dans lesperspectives radieuses d’un “développe-ment durable” à la sauce Allègre, c’est-à-dire d’une “écologie réparatrice”. Entre lesdeux, quelques réseaux égarés dans cetunivers (im)pitoyable qui, eux, pensentque l’avenir n’est pas à la techno-scienceni à toujours plus de croissance…

Autant nous avions raison de nous gaus-ser des fumisteries autour du thème du“développement durable” à la Hulot,autant, cette fois, l’adversaire est sérieux.

La première idée de “développementdurable” a en effet du plomb dans l’ailefaute de satisfaire pleinement lobbies éco-nomiques et techno-scientistes… Les

tenants du système étaient bien obligésd’avouer en partie leurs méfaits : ils ontbousillé la planète, mais, promis juré, ilss’engageaient à faire désormais attention.Bref, la farce du “développement durable”pouvait se résumer dans la formule “com-ment polluer un peu moins pour polluerplus longtemps”… Mais les milieux éco-nomiques et techno-scientistes n’avaientenfourché ce thème que faute de mieux,et parce qu’ils avaient besoin de cettebouée percée pour permettre au petitpeuple de croire encore dans les vertus deleur système. Les mises en garde ne man-quaient cependant pas du côté des puis-sants : on se souvient des États-Unis refu-sant de signer le protocole de Kyoto parcequ’ils préféraient investir l’argent qui auraitpu servir à réduire les émissions de CO2dans la recherche, afin de trouver uneréponse technique au problème.

Le “développement durable” était certesun oxymore, mais il donnait à penser quele monde économique était au moins par-tiellement responsable de la situation, qu’ilfallait donc encadrer ses initiatives etpourquoi pas les limiter… Les grandesentreprises et ceux qui les servent (écono-mistes, politiques et techno-scientistes)ont donc suivi Hulot et consorts, mais àcontrecœur. Impossible en effet pour euxde laisser dire que la croissance ne seraitpas la solution. Impossible de laisser pen-ser que les acteurs de l’économie seraientfautifs et qu’il faudrait les soumettre aucontrôle des citoyens et des usagers…

La seule façon pour eux de reprendretotalement la main est donc d’abandonnercette vision culpabilisatrice de l’écologiepour une nouvelle vision plus positive, bref

33 E C H O S N ° 6 1

D’une part, les Français ont les moyens de retrouver la voie d’une croissanceforte, financièrement saine, socialement juste et écologiquement positive.D’autre part, tout ce qui ne sera pas entrepris dès maintenant ne pourra bien-tôt plus l’être. La croissance de la production, cependant, est la seule mesureopérationnelle de la richesse et du niveau de vie disponible, permettant decomparer les performances des différents pays. Par ailleurs, cette mesure estfortement corrélée avec l’innovation technologique, indispensable au dévelop-pement durable et à la réalisation d’autres objectifs de développement (santé,éducation, services publics, etc.).[…]

La croissance économique n’entraîne pas systématiquement la justice sociale,mais elle lui est nécessaire : l’enrichissement n’est pas un scandale, seule l’estla pauvreté. Plus de 100 pays dans le monde ont aujourd’hui un taux de crois-sance de leur Produit intérieur brut (PIB) supérieur à 5 %.

L’Afrique elle-même, comme l’Amérique latine, croissent à plus de 5 % par an.La Chine connaît des taux supérieurs à 10 % depuis plusieurs années, l’Inde latalonne, à près de 9 %, l’économie russe se rétablit avec 7 % de croissance, laTurquie affiche des taux de 11 % et ouvre à nos portes un immense marché oùles deux tiers de la population ont moins de 25 ans. Les puissances détentricesde rentes peuvent croître et investir grâce à la hausse du prix des matièrespremières. L’avenir réserve au monde un potentiel de croissance plus considé-rable encore : des progrès techniques majeurs s’annoncent, venus du Sudcomme du Nord ; la population mondiale va augmenter de 3 milliards de per-sonnes en moins de 40 ans et un énorme capital financier est disponible. Si lagouvernance politique, économique, commerciale, environnementale, finan-cière et sociale de la planète sait s’organiser, la croissance mondiale se main-tiendra très durablement au-dessus de 5 % par an.(Extrait du Rapport de la Commission pour la libération de la croissance fran-çaise, sous la présidence de Jacques Attali)

Page 34: Bruxelles_Laique_Echos_2008_02

34 E C H O S N ° 6 1

pour un autre terme plus “économique-ment correct”. Exit donc le développe-ment durable à la Hulot. Bienvenue lacroissance durable à la Allègre. Pas ques-tion cette fois de laisser sous-entendreque la croissance économique serait ensoi responsable des “dysfonctionne-ments” écologiques actuels. Pas questionnon plus de mettre en accusation les puis-sances économiques. Pour cela, il fautdépasser la conception qui opposeencore une bonne croissance (une crois-sante dite “verte”) et une mauvaise crois-sance (cause de pollutions). Cette façonduale de se représenter le monde écono-mique serait (nous dit-on) absurde : lacroissance propre étant la suite logique dela croissance sale. Pas seulement parceque la pollution commencerait à baissersitôt un certain niveau de PIB atteint (puis-que la demande en environnements propres progresserait et que les investis-sements nécessaires à cette technologiedeviendraient rentables), mais parce quela pollution elle-même créerait le besoinde dépollution… La nouvelle maxime neserait donc plus de “polluer moins pourpolluer plus longtemps” mais de “polluerun max pour pouvoir dépolluer davan-tage”… Là où le mot d’ordre de “dévelop-pement durable” avait provoqué l’éclosiond’un discours moraliste (sur l’éthique desentreprises et leur sens des responsabili-tés), la nouvelle écologie réparatrice abesoin, elle, du mythe technoscientiste.Après l’époque des “grands patrons”généreux et responsables à la Bill Gates,voici venir celle des “savants fous” auxsolutions puisées dans la science fiction.

Le dogme de la croissance reste fixécomme objectif économique à l’UE, à

l’opposé de ce qu’il conviendrait de fairepour assurer un avenir à l’humanité.Concrètement, ce dogme rend notam-ment insignifiantes les déclarations enfaveur de la lutte contre les change-ments climatiques ; il s’oppose au com-bat contre le gaspillage et la maîtrise dela consommation énergétique. Il réduitles biens communs comme les servicesde première nécessité, l’eau ou la terre,l’éducation, la santé ou la culture à l’étatde simple marchandise. (Paul Lannoyeet Michèle Gilkinet, 2007).

La seule alternative est donc bien d’enfinir avec le mythe de la croissance. Maisla décroissance ne pourra devenir unepolitique au service des dominés que siles objecteurs de croissance cessent decroire à la décroissance faute de mieux ![Et s’ils ne l’érigent pas en dogme…NDLR]. Même si une croissance infinieétait envisageable, surtout si c’était possi-ble, ce serait une raison de plus de la refu-ser pour rester simplement des humains.Notre société a totalement sombré dans ladémesure, c’est-à-dire dans ce que lesGrecs anciens considéraient être le péchésuprême et contre lequel ils ont inventé latragédie et la politique. On ne pourra doncen finir avec les méfaits de la croissanceque si nous renouons avec le sens deslimites, donc si nous accordons la pri-mauté non seulement à la culture mais à lapolitique et à la loi. Paradoxalement, avecl’effondrement environnemental qui me-nace l’humanité, les valeurs de gauche(telles que je les comprends) n’ont jamaisété aussi actuelles : si on ne peut plusespérer faire croître indéfiniment legâteau, la question première redevient

bien celle de son partage, donc de sarecette : que produire pour satisfaire lesbesoins et rendre les usagers maîtres deleurs usages ? Le chemin que nous pro-posons offre le mérite de ne plus opposerle but et les moyens : nous nous méfionsde ce qui serait une simple addition d’in-terdits (certains fondés sur notre préoccu-pation sociale, d’autres environnementa-les…). La distinction politique de ce quirelève à un moment donné du “bonusage”, et doit être à ce titre (quasi)gra-tuit ; et de ce qui relève du gaspillage (lemésusage), et doit être renchéri ou inter-dit, permettra de rendre vie à une démo-cratie authentique et de donner du grain àmoudre à une démocratie participative.

Paul ARIÈS1

politologue

1 Extrait issus de l’article “Renouer avec le sens des limites”paru le 18/10/07 dans le journal Politis. Pau Ariès estPolitologue, directeur de la revue Le Sarkophage. Dernierouvrage, à paraître, Une autre croissance n’est pas possible :décroissance ou barbarie, Golias, 2007.

Page 35: Bruxelles_Laique_Echos_2008_02

35

Que l’adhésion à la laïcité et à sesvaleurs puisse relever du dogmatisme

n’est plus à exposer depuis très long-temps. Flaubert a créé, dans MadameBovary, avec le pharmacien Homais unvéritable type idéal de l’homme enchâssédans les certitudes de la science exactequ’avait enfanté l’âge positif.

Que la laïcité organisée, dans un payscomme la Belgique, doive être considé-rée, d’un point de vue institutionnel,comme un culte parmi d’autres, avec sesstructures représentatives, son sacer-doce, ses rites et ses fidèles relève del’évidence.

Mes questions seront donc beaucoup plusprécises. D’abord, en quel sens peut-onparler de religion laïciste, en accordant unsens rigoureux et pas seulement métapho-rique à l’usage de la notion de religion ?Ensuite, à quelles conditions et dans quellemesure l’adhésion à cette religion relève-t-elle d’une forme de dogmatisme ?

On oppose fréquemment la religion à lascience ou à la pensée rationnelle engénéral comme relevant respectivementde l’ordre de la croyance ou de la connais-sance. Distinction tout à fait superficielledès lors que le rapport des humains à latechnique et à la science relève lui aussi

de façon prépondérante de la croyance :nous nous fions aux innombrables instru-ments techniques que nous utilisons sanspour autant connaître ni leurs mécanismesde fonctionnement ni leurs principes phy-siques et, à l’exception d’une petite mino-rité de scientifiques, nous croyons sansles comprendre à la validité des affirma-tions des sciences.

La différence passe ailleurs : la religion, entant que conception du monde, est uneformation psychique totale. Elle comporteindissociablement les trois dimensionsque déjà Platon distinguait dans l’âme. Lareligion comporte un ensemble de repré-

La religion laïciste est-elle

dogmatique ?

À CONTRE-COURANT

E C H O S N ° 6 1

Page 36: Bruxelles_Laique_Echos_2008_02

36 E C H O S N ° 6 1

sentations porteuses de sens qui visent àfournir une interprétation globale dumonde, et de la vie. Elle répond aux pluspuissants affects humains en apportantconsolation et espérance par rapport àl’angoisse, à la peur, à la finitude, à la mor-talité. Elle fournit une orientation pratique,notamment par sa dimension rituelleconsistant en opérations visant à réduireles distances (de la terre au ciel, du tempsà l’éternité, du fini à l’infini, du limité à l’il-limité) et à aménager une place protégée àl’homme dans l’ordre cosmique.

C’est en cela, et il faut insister, que la reli-gion n’est pas d’abord d’ordre intellectuel,mais existentiel et pragmatique. Elleraconte une histoire qui permet à l’hommede se situer et d’agir sur le monde. Aussirationalisée soit-elle, elle se rattache ainsià la pensée mythique et à l’agir magique.Fonction que la science stricto sensu estincapable d’assurer.

Lorsqu’en son temps Lénine écrivit “Ladoctrine de Marx est toute-puissante,parce qu'elle est vraie. Elle est harmo-nieuse et complète ; elle donne aux hom-mes une conception cohérente du monde,inconciliable avec toute superstition, avectoute réaction, avec toute défense de l'oppression bourgeoise”, il marquait ainsile passage du marxisme au statut de religion séculière.

Et si, au cours du dernier quart de siècle,la religion marxiste s’est sérieusementdélitée, de nouvelles religions séculièressont apparues ou se sont développées, àpartir de l’écologie par exemple, ou de lamémoire de la Shoah, ou encore sousforme d’une “religiosisation” de l’idéologie

économique libérale qui confirme uneancienne intuition de Walter Benjamin : “Ilfaut voir dans le capitalisme une religion” -même si c’est, ajoute-t-il, une religion quiconduit “dans la maison du désespoir”1.

Est-ce aussi le cas du laïcisme2 ? Après laréalisation (pour l’essentiel) de la sépara-tion de l’Eglise et de l’Etat, ce dernier avaitvécu quelques décennies de digestionpaisible dans le contexte de la déchristia-nisation continue et comme automatiquedes sociétés d’Europe occidentale. Etpuis un beau jour, le voilà confronté à l’implantation en terre d’Europe de l’islam.Une religion en expansion numérique etgéographique et non en déclin. Une reli-gion majoritairement coupée des réalisa-tions culturelles de la modernité, ferméeau doute et à l’esprit de recherche, réfrac-taire à la séparation du politique et du religieux.

L’essor de l’islam confrontait la laïcitéeuropéenne à une situation nouvelle, àdes tâches inédites. Comment les a-t-elleabordées ? Certains théologiens protes-tants, par exemple Jacques Ellul dans Lasubversion du christianisme, ont avancé lathèse qu’une partie des caractères acquispar le catholicisme médiéval (le rapport aupouvoir, la notion de guerre sainte, etc.),provenaient d’une assimilation mimétiquede l’islam au cours des premiers sièclesde leur confrontation (VIIIe-XIe). De mêmeaujourd’hui, on peut penser que l’affronte-ment à l’islam contribue à précipiter lamétamorphose religieuse du laïcisme. Lemeilleur exemple en est fourni par la que-relle du foulard. La mobilisation laïciste surce thème l’a placé sur le registre du sacré.Le sacré c’est d’abord l’établissement

d’une topographie générale du monde quimarque des limites entre espace sacré etespace profane (avec les oppositions rela-tives pur/impur, permis/défendu, sain-teté/souillure, respect/transgression). Laparticipation au sacré permet d’intégrerl’individu dans le groupe, en en assumanttoutes les exigences et les demandes,même les plus “délirantes” en apparence(anthropophagie, orgies sexuelles) ou lesplus extrêmes (le sacrifice de sa vie).Inversement celui qui viole le sacré (untabou) est foudroyé, anéanti par le groupeparce qu’il met son existence en danger.Tout se passe comme si l’espace del’école publique avait acquis un caractèresacralisé et qu’il faille à tout prix le proté-ger de la souillure dont sont porteuses lesfilles aux cheveux recouverts. Ce qui pourles musulmans incarne la protection de lapureté virginale de leurs filles devient chezles laïcistes un attentat à la pudeur moraleet philosophique des condisciples de cel-les-ci. La préservation de l’espace sacréet de la cohésion symbolique du groupes’est alors traduite par l’adoption demesures répressives qui par rapport àn’importe quels enjeux profanes auraienttout de suite été jugées contre-producti-ves.

On pourrait donner d’autres exemples,auxquels nous avons récemment assisté,comme la diabolisation du théologienmusulman Tariq Ramadan, confinant parinstant au procès en sorcellerie.

C’est en ce point que le laïcisme se mueen un nouveau dogmatisme, lorsqu’il sefonde sur des croyances indémontrées,qu’il fait confiance à des paroles ou à despersonnes sans se soucier de les contrô-

Page 37: Bruxelles_Laique_Echos_2008_02

37 E C H O S N ° 6 1

ler par l’expérience, qu’il cherche des“pourquoi” le plus souvent fictifs etconstruit des “comment” sans lien au réel.Le dogmatique reste imperturbable dansl’arbitraire de ses convictions malgré lespreuves contraires qui ne le touchent paset il se fie plus à son système interprétatifglobal qu’à toutes les démonstrations.

Le jour où le laïcisme équivaudra à uneforteresse de dogmes assurés, se forti-fiant les uns les autres, plutôt qu’unchamp ouvert de questions et de recherches, il faudra bien se résoudre àréinventer la laïcité.

Jean VOGELProfesseur à l’ULB

Membre du collectif “100 valeurs” créé, àl’occasion de l’interdiction de Tariq

Ramadan à l’ULB en 2007, dans le butde s’opposer à toute tentative d’établir

une orthodoxie du libre examen.

1 W. Benjamin, “Le capitalisme comme religion”, inFragments philosophiques, politiques, critiques, littéraires,Paris, PUF, 2000, pp. 111-113.2 J’entends par là la construction, à partir des valeurs de lalaïcité, d’une conception du monde à prétention globali-sante.

Page 38: Bruxelles_Laique_Echos_2008_02

38 E C H O S N ° 6 1

Ya t-il une limite au mouvementd’émancipation de la raison et de

l’individu qui prend son essor avec lamodernité ? Un point à partir duquel cemouvement pourrait se retourner contrelui-même ? Le totalitarisme de demainpourrait-il se révéler à la fois rationaliste etindividualiste ?

A ces questions, le petit livre de MarcJacquemain, tente de répondre en interro-geant deux facettes de la modernité : sonaspect compulsif ou névrotique d’une partet la nature réflexive (se prenant elle-même pour objet de questionnement) dela raison moderne d’autre part. L’avè-nement d’une raison de type instrumen-tale et calculatrice, propre à la modernité,a eu notamment pour effet de détruire les

certitudes traditionnelles quant à la finalitéde l’existence humaine. Face à l’absencede sens due à la disparition des repèrestraditionnels, la raison moderne a substi-tué une accumulation de moyens à larecherche de sens. C’est cette compul-sion à l’accumulation de moyens que l’au-teur qualifie de “raison névrotique”.

A la figure traditionnelle du Sage, se subs-titue, celle résolument moderne de l’ex-pert. Les types de savoirs qui découlentde ces deux figures sont de natures biendifférentes. En effet, si le Sage dit la loi etpossède un savoir holiste et non formali-sable, l’expert au contraire, possède unsavoir complexe et parcellaire qui n’impli-que pas par lui-même un ordre social.Cependant la science moderne tend à

céder à une double tentation : établir descertitudes et constituer une morale à partir d’elles… Cette double tentation a pus’illustrer de différentes manières jusqu’àla moitié du XXe siècle.

Actuellement le savoir des experts a ten-dance à être relativisé jusque chez“l’homme de la rue”, que ce soit par ledoute répandu lors des querelles d’ex-perts, par exemple, autour de la questiondes OGM, ou bien par l’émergence d’unsavoir des victimes notamment dans lesgrandes affaires de pédophilie. Si laréflexivité du savoir est propre à la sciencemoderne, elle commencerait seulement àse manifester vers la fin du XXe siècle.

C’est à partir des années septante que la

LIVRE-EXAMEN

La raison névrotiqueAfin que nos valeurs et nos principes ne se transforment pas en dogmes, il s’agit de les interroger sans cesse et

de rester attentifs aux dérives qui, derrière une apparence convenue et raisonnable, pourraient se révéler destruc-

trices. C’est la démarche adoptée par Marc Jacquemain dans cet essai.

[Marc Jacquemain • Edition Labor/Espace de liberté-2002 • 93 pages]

Page 39: Bruxelles_Laique_Echos_2008_02

modernité prend un tournant déterminant,ce que l’auteur appelle le tournant “post”,en référence à ce que philosophes etsociologues ont décrit derrière lesconcepts de post-modernisme et de post-matérialisme. La génération issue del’après guerre connaît des conditions deconfort matériel et d’accès à l’éducationsans précédent, ce qui la distingue radica-lement de la génération précédente. Unefois l’individu désenchaîné des formesd’autorités traditionnelles et sa libertéindividuelle acquise, il se révèle finalementêtre un consommateur isolé, livré à laflexibilité du marché du travail et capabled’autocontrôle. Cela peut paraitre para-doxal si on se réfère à l’imaginaire associéà mai 68, mais pas tant si l’on prend encompte le caractère névrotique de la raison moderne.

“La domination progressive de la figure duconsommateur sur celle du citoyen est ensomme l’analogue, dans le cadre del’émancipation de l’individu, de la moder-nité compulsive dans le contexte del’émancipation de la raison.” C'est-à-direl’absence, chez l’homme moderne, definalité politique autre que le statu quo, laréussite professionnelle et l’accumulationde moyens sans fins.

Le statut contradictoire de la libertéacquise s’explique, pour l’auteur, par ladistinction à faire entre liberté individuelleet liberté collective, cette dernière faisantdéfaut. Jacquemain considère que laconception de l’autonomie de l’individudoit être liée à une certaine dépendancevis-à-vis de l’autre. C’est cette réflexionsur la relation entre autonomie et dépen-dance qui fait dire à Jacquemain

qu’Orwell s’est trompé, du moins sur laforme du totalitarisme à venir. Plutôt quel’assujettissement total à l’État, ce seraitl’absence de toute transcendance collec-tive qui serait source d’autodestruction.

Examiner nos valeurs, ce qui les relie ;chercher et inventer des “vivre ensem-ble” ; relire Orwell, c’est ce que suscite ennous ce “petit livre”.

Thomas LAMBRECHTSDélégué à la communication

sociopolitique

39 E C H O S N ° 6 1

Page 40: Bruxelles_Laique_Echos_2008_02

40 E C H O S N ° 6 1

D’origine philosophique, le dogme s’est vu avec l’émergence du christianisme, réduit à une acception purement théolo-

gique. Perçu comme l'affirmation d'une vérité absolue, irrévocable et solennellement proclamée sous inspiration divine,

le dogme fut longtemps opposé à la science, porteuse de vérités relatives ne prétendant que s’approcher de la réalité.

Grand voyageur devant l’éternel, le dogme a choisi par la suite d’investir de nouveaux territoires de conquêtes, démon-

trant de la sorte l’immanente capacité de l’homme à créer des idées et raisonnements figés sans se référer à une source

divine. Certaines croyances non religieuses, dans les domaines politiques ou sociologiques par exemple, lorsqu’elles

traduisent une vision péremptoire et absolue sont aujourd’hui qualifiées de dogmes. Cette appellation recouvre une

connotation péjorative car elle suppose des conceptions imprégnées de conformisme et d’absence d’esprit critique.

Si la laïcité en tant que conception de vie, s’est longtemps définie par opposition aux dogmes religieux, l’évolution de

notre contexte historique ne signifie pas pour autant la disparition des entraves à l’exercice du libre examen et à

l’expression des valeurs d’émancipation à l’égard de toute forme de conditionnement, auxquels les laïques ne recon-

naissent qu’un seul fondement : l’humanisme.

Dès lors, “les nouveaux dogmes” ne pouvaient laisser indifférents les laïques que nous sommes, toujours soucieux de

combattre les entraves à la pensée libre et de promouvoir l’exercice du libre examen.

Internet étant chaque jour un peu plus le reflet de notre société, la toile relaie autant de visions dogmatiques que

d’outils pour les combattre.

Un petit tour d’horizon s’impose…

40

PORTAIL

Page 41: Bruxelles_Laique_Echos_2008_02

41 E C H O S N ° 6 1

Le dogme de l’esthétisme

La mode féminine est parfois perçuecomme le dogme de l’esthétisme imposételle une démocratie soviétique. Il suffitqu'un couturier décide un beau matin quecette année, le string se porte sur la têtepour que le lendemain 300 millions defemmes se mettent à porter leur string surla tête. La mode, c'est le nivellement de la beautépar le bas... nylon. (Varice et versa)http://www.style.com/

Les québécois du groupe “Les vulgairesmachins” s’insurgent et dénoncent enmusique l’hyper-sexualisation dans lesmédias et plus spécifiquement dans lesclips vidéos (et en plus on comprend lesparoles !!).http://www.youtube.com/watch?v=oCNYLgEQXAA&eurl=http://64.233.183.104/search?q=cache:5VU2ZQPebHUJ:www.radioenergie.com/carrefour/node/21964+le+dogme+des+m%C(Plus rapide : Aller sur youtube et taper“anéantir le dogme”)

Le dogme de l’économie

“Nous entrons dans une ère où beaucoupd'entre nous laissent le sens filer entre leursdoigts. Beaucoup d'entre nous s'écartentdu meilleur de ce qu'ils sont, sans même yprêter attention. Eclairons ce sens du vide,élaboré comme une norme par le pouvoiréconomique et médiatique. Ecartons cesvaleurs souvent affreuses, distillées par lesmédias et soutenues par nos peurs d'êtrenous-mêmes. N'acceptons que ce sensque nous ressentons et vivons comme

étant bon pour nous tous et pour la pla-nète. Réapproprions-nous le sens de notrevie et développons simplement notre espritcritique.”Si ce passage vous intrigue, poussez plusloin votre curiosité et jouez de la souris :http://www.lesensdenosvies.org/

Le dogme de la croissance

Pour les décroissants, un enfant de cinqans comprend qu’une croissance infinieest impossible dans un monde aux res-sources limitées, a fortiori quand nous entouchons les limites. Se déresponsabilisersur la science, (“les scientifiques trouve-ront bien une solution !”) ne fait qu’aggra-ver les problèmes.“Le premier objectif du Parti pour ladécroissance est donc de participer à ladéconstruction de cette idéologie folle etirrationnelle d’une croissance et d’undéveloppement économique sans limites.Le Parti pour la décroissance veut contri-buer en premier lieu à rétablir de l’espritcritique, étape indispensable avantd’amener toute proposition.”Décroissez relax : http://www.partipourladecroissance.net

Le dogme religieux

“Critique des dogmes religieux autoritaireset aliénants”Oubliez les dieux, les oracles, les mages,les vaudous, les marabouts, les enchan-teurs, les devins, les cartomanciens, lezodiaque, l'astrologie, les médiums, lessorciers, les tarots, les runes, les tablestournantes, les esprits frappeurs et toutes

ces inepties dont on vous bourre le crânedepuis votre naissance sans que vousayez jamais eu une seule fois dans votrevie la preuve de leur efficacité... Suivez le guide : http://critidogme.free.fr

Le dogme hédoniste

Le divertissement est-il le nouvel opium dupeuple ?Dans la lignée de Debord et Bachelard(voire de Pascal…), Julien Ducharme tentede répondre à cette question ambitieuse.Amis de la philosophie, bonsoir.http://www.cvm.qc.ca/flashinfo/Automne 2 0 0 3 / 8 d e c e m b r e / D o g m e -hedoniste.pdf

Le dogme du travail

“Hommes aveugles et bornés, ils ontvoulu être plus sages que leur Dieu; hom-mes faibles et méprisables, ils ont vouluréhabiliter ce que leur Dieu avait maudit.Moi, qui ne professe d'être chrétien, économe et moral, j'en appelle de leurjugement à celui de leur Dieu; des prédi-cations de leur morale religieuse, écono-mique, libre penseuse, aux épouvantablesconséquences du travail dans la sociétécapitaliste.”L’œuvre complète de Paul Lafargue est àportée d’un clic :http://www.marxists.org/francais/lafar-gue/index.htm

M@rio FRISOrelations publiques

Page 42: Bruxelles_Laique_Echos_2008_02

42 E C H O S N ° 6 1

Page 43: Bruxelles_Laique_Echos_2008_02

43 E C H O S N ° 6 0

L’ASBL AIGUILLAGES

vous propose de célébrer avec elle son20e anniversaire qui se déroulera sous laforme d’une réunion festive destinée auxreprésentants des organismes officiels,des antennes sociales collaborantes etdes amis qui soutiennent l’action de l’association.

Date : samedi 20 septembre 2008 de17h00 à 21h30.Lieu : Hôtel Communal de Saint-Gilles 39Place Van Menen à 1060 Saint-Gilles.PAF : gratuit.Renseignements : Aiguillages asbl, 45 rue Gustave Defnet à 1060 Saint-Gilles, [email protected]

LES AMIS DE LA MORALE LAÏQUE DESCHAERBEEK

propose deux activités :1 - Exposition “Les histoires de Moralia”.Exposition de travaux et d’histoires écriteset illustrées par 7 classes de Morale de4ème primaire de Schaerbeek organisé parBibla, avec le soutien financier de la Cocof

Date : du 16 juin au 18 septembre, vernis-sage le 16/6/2008 à 18h.Lieu : Bibliothèque Mille et Une pages, 1 place de la Reine, 1030 Schaerbeek.PAF : gratuit.Renseignements :[email protected]

2 - Exposition “Reflets d’Images ImagesReflets”.Présentation du travail réalisé par 7 clas-ses de l’Ecole 1, de l’Ecole de la Vallée etde l’Institut Frans Fischer, sur l’imageorganisé par le Musée d’Art spontané etles Amis de la Morale Laïque deSchaerbeek, avec le soutien financier dela Cocof.

Date : vernissage jeudi 19 juin, à 15h30.Lieu : l’Ecole 1, 229 rue Josaphat, 1030Schaerbeek.PAF : gratuit.Renseignements :[email protected].

LA LIGUE

vous propose : 1 - trois stages résidentiels dans lesArdennes en théâtre, méditation et créa-tion plastique ainsi qu'en développementpersonnel.

• Petites formes théâtrale sur le thème del’amour avec Geneviève Ryelandt.• Des sens à l’essence, méditation et créa-tion plastique avec Marianne Obozinski etHarry Birkholz• Carte de vie, “j’ai rendez-vous avec moi-même” avec Xavier Denoël

Date : du 30/06/2008 au 4/07/2008.Lieu : Domaine des Masures (centre dedépaysement CFWB), 40 rue desChasseurs Ardennais à 5580 Han-sur-Lesse.Renseignements : 02/511 25 87 ou [email protected]

2 - trois stages résidentiels de trois jourspour se remettre en forme avant la rentrée

• Prendre la parole en public avecGeneviève Ryelandt • Ressourcement “last minute” avecMarianne Obozinski• Développer son projet personnel avecBruno Barbier

Date : 27/08/2008 au 29/08/2008.Lieu : Domaine des Masures (centre dedépaysement CFWB), 40 rue desChasseurs Ardennais à 5580 Han-sur-Lesse.Renseignements : 02/511 25 87 ou [email protected]

Page 44: Bruxelles_Laique_Echos_2008_02

44 E C H O S N ° 6 0

Bruxelles Laïque et l’ensemble du C.A.L. initient un vaste cycle de rencontres et d’échanges autour des enjeux, positions, projets etquestionnements de la laïcité organisée en Communauté Française. Parallèlement aux divers rendez-vous qui seront fixés, nousvous proposons de nous communiquer vos points de vue au sujet des quelques questions et affirmations reprises à la page suivante.Il s’agit d’une consultation à titre indicatif qui ne prétend à aucune représentativité. Les différents avis que vous aurez exprimés, parune voie ou l’autre, nourriront notre réflexion et questionnement permanent sur l’engagement laïque, en particulier lors de laConvention Laïque du 7 mars 2009.La collecte des réponses et leur traitement se font de façon entièrement anonyme. Si vous désirez signer vos réponses, merci de lementionner dans votre communication.

Vos réponses à tout ou partie du questionnaire, ainsi que vos réactions à nos articles ou toute autre réflexion sur la laïcité, peuventnous parvenir par courrier postal, électronique ou télécopié :

Bruxelles Laïque 18-20 Avenue de Stalingrad • 1000 Bruxelles Courriel : [email protected] Fax : 02 502 98 73

Le questionnaire en version informatique est disponible sur simple demande.

votre point de vueExprimez

Page 45: Bruxelles_Laique_Echos_2008_02

45 E C H O S N ° 6 1

1. L’expression des convictions philosophiques en dehors de la sphère privée doit-elle, selon vous, être : - interdite- dissuadée- tolérée- garantie- reconnue- promue

2. La laïcité défend le principe de traitement égal des individus quelles que soient leurs options confessionnelles ou non confes-sionnelles. Le mouvement laïque devrait-il promouvoir l’application de ce principe à d’autres sources d’inégalité ? Si oui, lesquel-les ?

3. Où se situe, pour vous, la limite entre sphère privée et sphère publique ?

4. Peut-on parler de tout et avec tout le monde ? La liberté d’expression doit-elle être limitée ? Si oui, où doit-on fixer les limi-tes ? Si non, pourquoi ?

5. Aujourd’hui ou dans un futur proche, la laïcité est-elle menacée ou menaçante ? Sur quoi porteraient de telles menaces ? D’oùproviendraient ces menaces ?

6. Voici une série d’affirmations. Pouvez-vous vous positionner par rapport à elles, éventuellement les nuancer et argumenter ?

• La laïcité politique postule la neutralité ou l’impartialité de l’espace public et des institutions publiques. La réalisationd’un tel cadre implique de rendre invisibles les convictions et particularités de chacun.• Dans la Belgique d’aujourd’hui, l’impartialité de l’espace public est mise en question et même en péril. (Par qui ?)• On ne peut donner de sens à la vie sans croire.• Les laïques autorisent tout ce que les religions interdisent.• La neutralité ou l’impartialité de l’espace public, chère à la laïcité, impose de garantir un espace public d’expressionpluraliste et égalitaire, sans mainmise hégémonique.• Il faudrait remplacer les cours de religions et de morale laïque par un cours unique, commun à tous les élèves, d’his-toire des religions et des philosophies, ainsi que par un cours d’éducation civique.• Il faut être athée ou agnostique pour être laïque.

7. Quels devraient être les enjeux ou combats prioritaires du mouvement laïque pour les dix prochaines années ?

Page 46: Bruxelles_Laique_Echos_2008_02

Émancipation neutralité liberté athéisme religionsphère privéesphère publiquevivre ensembleimpartialité46 E C H O S N ° 6 1

La laïcité n’est pas un concept figé, c’est d’abord l’acceptation d’un débat dans l’espace démocratique. Au-delà de l’emballementmédiatique autour de cette question et des logiques d’affrontement en présence, de nombreux acteurs partagent la volonté dedépassionner et de pacifier le débat, tout en préservant ses exigences de contradiction. Alors que le mouvement laïque entame unvaste cycle de rencontres et d’échanges autour des enjeux, positions et questionnements de la laïcité, le débat est également initiépar de nombreux acteurs dont témoigne la parution de l’ouvrage collectif “Du bon usage de la laïcité”.

De quoi parle-t-on quand on évoque la laïcité ? Y a-t-il deux laïcités en Belgique ? Quel est le rôle d’un Etat laïque ? Qu’entend-onpar neutralité ? Qu’est-ce que l’émancipation ?

Mercredi 25 juin 2008 - Rencontre-débat avecMarc Jacquemain, sociologue et professeur à l’Université de Liège, et Nadine Rosa-Rosso, professeur de

français dans l’enseignement de promotion sociale, auteurs et coordinateurs d’un ouvrage collectif “Du bon usage de la laïcité”,publié en mai 2008 aux éditions Aden.

Pierre Galand, président du Centre d’Action Laïque.

Modération : Sophie Léonard (Bruxelles Laïque asbl).

Lieu : Bruxelles Laïque asbl, 18-20 avenue de Stalingrad, 1000 Bruxelles

Horaire19h : accueil

19h30 : début de la rencontre.

Renseignements : 02 / 289 69 00 – www.bxllaique.be – [email protected]

La laïcité en débat

Page 47: Bruxelles_Laique_Echos_2008_02

47 E C H O S N ° 6 1

Ariane HASSID, Présidente

Philippe BOSSAERTSClément DARTEVELLEFrancis DE COCKJean-Antoine DE MUYLDERFrancis GODAUXEliane PAULETMichel PETTIAUXYvon PONCIN Johannes ROBYNLaurent SLOSSEDan VAN RAEMDONCKCédric VANDERVORST

Fabrice VAN REYMENANT

Mathieu BIETLOTMario FRISOPaola HIDALGOThomas LAMBRECHTSSophie LEONARDAlexis MARTINETAbabacar N’DAWCedric TOLLEYOlivia WELKE

Conseild’Administration

Direction

Comitéde rédaction

GRAPHISMECédric BENTZ & Jérôme BAUDET

EDITEUR RESPONSABLEAriane HASSID,

Présidente de Bruxelles Laïque,18-20 Av. de Stalingrad - 1000 Bruxelles

ABONNEMENTSLa revue est envoyée gratuitement aux membres de Bruxelles Laïque. Bruxelles Laïque vous propose une formule d’abonnement de soutien pour un

montant minimum de 7€ par an à verser au compte : 068-2258764-49.Les articles signés engagent la seule responsabilité de leurs auteurs.

Page 48: Bruxelles_Laique_Echos_2008_02

48 E C H O S N ° 6 1