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AGENDA : échos laïques de vos activités bruxelloises .............................................................................................................................................................................................................................. 44 D Nous nous posons donc des questions sur le sens et la pertinence de notre démarche d’aide à l’emploi, nonobstant ses succès appréciés. 3 E C H O S N ° 5 6

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Sommaire

Bruxelles Laïque est reconnue comme association d’éducation permanente et bénéficie du soutien du Ministère de la Communautéfrançaise, Direction Générale de la Culture et de la Communication, Service de l’Education permanente.

Bruxelles Laïque asblAvenue de Stalingrad, 18-20 - 1000 BruxellesTél. : 02/289 69 00Fax : 02/502 98 73E-mail : [email protected]://www.bxllaique.be/

Editorial ......................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................... 3

Entreprise de déconstruction.................................................................................................................................................................................................................................................................................................. 5

Charnière ou chantier de l’histoire..................................................................................................................................................................................................................................................................................... 9

Retour au XIXe siècle................................................................................................................................................................................................................................................................................................................... 13

La passion du travail..................................................................................................................................................................................................................................................................................................................... 17

HUMEURS : non à la double peine ................................................................................................................................................................................................................................................................................. 19

LIVRE-EXAMEN : l’improbable emploi ........................................................................................................................................................................................................................................................................ 21

Activation : lutter contre les chômeurs plutôt que s’attaquer au chômage........................................................................................................................................................................... 22

EN MOUVEMENT : la Boutique d’Emploi.................................................................................................................................................................................................................................................................. 26

De quelques conscéquences politiques de l’émergence d’un précariat .................................................................................................................................................................................. 30

La décroissance : moins de biens plus de liens................................................................................................................................................................................................................................................ 34

La vie à plein temps....................................................................................................................................................................................................................................................................................................................... 38

PORTAIL : “la cloche dit : prière ! Et l’enclume : travail !”......................................................................................................................................................................................................................... 42

AGENDA : échos laïques de vos activités bruxelloises .............................................................................................................................................................................................................................. 44

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epuis un quart de siècle, à Bruxelles Laïque, nous soutenons les individus précarisés dans leurs démarches pour retrouver uneplace dans la société et pouvoir vivre dans la dignité. Nous nous soucions aussi bien de l’émancipation de chacun vers plus d’au-tonomie que de la consolidation du lien social vers plus de solidarité. En effet, notre Boutique d’Emploi participe activement à luttercontre l’exclusion, les inégalités, la dévalorisation et la culpabilité qui frappent les personnes sans emploi. Le premier objectif de cetaccompagnement, ou plus précisément de ce partenariat, consiste à faciliter la recherche et l’obtention d’un travail. Celui-ci, en effet,reste le premier lieu de socialisation et d’appartenance collective, le principal vecteur de reconnaissance et de valorisation indivi-duelle, dans notre société qui lui octroie une importance capitale voire “vitale”. Tout notre régime de sécurité sociale s’est égalementédifié autour du système salarial.

Pourtant, nos analyses politiques et sociales constatent depuis quelques temps les difficultés ou insuffisances de ce système desolidarité. Pourtant, l’expérience de la Boutique d’Emploi nous apprend que les attentes de notre public se situent bien en-deçàmais aussi au-delà de la sphère professionnelle : les usagers de la Bou-tique d’Emploi nous font part de leur besoin de parler, deleurs malaises psychologiques, de leurs problèmes familiaux et de leurs difficultés financières. Pourtant, l’objectif une fois atteint, lecontrat de travail enfin signé, rien n’est acquis durablement, puisque l’emploi, souvent précaire, ne préserve plus de la vulnérabilité,et tout n’est pas résolu puisque le travail ne garantit plus forcément l’épanouissement individuel et l’appartenance sociale.

Nous nous posons donc des questions sur le sens et la pertinence de notre démarche d’aide à l’emploi, nonobstant ses succèsappréciés.

epuis un peu plus d’un quart de siècle, la crise économique et le chômage monopolisent tous les discours et programmes poli-tiques. Présenté comme un cancer qui ravage nos sociétés et déprave les individus, le chômage serait le mal social extrême del’époque. Les politiques de résorption du chômage, menées par nos gouvernements, toutes formations con-fondues, semblents’empêtrer dans des impasses peu questionnées. Constatant l’échec des précédentes, des nouvelles mesures sont adoptées, tou-jours plus complexes et contraignantes, au nom des mêmes principes réaffirmés : il faut responsabiliser les chômeurs pour les ren-dre autonomes et relancer la croissance de l’économie pour créer des emplois. Ces principes sont perpétués comme des dogmesquand bien même ils nous mènent à l’antipode de leur prétention : une croissance atteinte au détriment de l’emploi ou des

EDITOrialD

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conditions de travail et une culpabilisation aliénante de ceux qui n’y ont pas accès… Le travail génère alors autant de stress pourceux qui souffrent de son absence et de la stigmatisation qu’elle provoque que pour ceux qui subissent ses conditions dégradéeset la pression qu’exercent l’exigence de compétitivité ou la crainte du licenciement.

Animés par notre attachement au libre examen, ce sont ces principes dominants, et l’ensemble des vérités ou vertus associées autravail, que nous souhaitons interroger ici. Dans quelle mesure une bonne part des malaises et impasses actuels ne résulte-t-ellepas d’une inadéquation entre une conception du travail héritée de la révolution industrielle et les évolutions technologiques, économiques et sociales plus récentes ? La question est vaste. Nous ne pourrons pas en explorer toutes les dimensions. Nous pri-vilégierons le prisme de la socialisation. Quelle socialisation le travail favorise-t-il encore aujourd’hui ? Qu’en est-il des possibilitésde socialisation en dehors du travail ?

Avec ou sans travail, la morale doloriste ou culpabilisante n’a jamais été l’affaire des laïques. A l’intérieur ou à l’extérieur du mondedu travail, notre projet demeure celui d’une société progressant vers toujours plus de dignité et d’épanouissement, de plaisir et deliberté, d’émancipation et d’implication citoyenne.

Ariane HASSIDPrésidente

“Dans cette course au profit, beaucoup sont passés maîtres

dans l'art de bafouer les droits del'homme : l'esclavage

moderne existe”

Naomi KLEIN

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tel qu’il est reconnu etpromu par notre société, y occupe uneplace centrale et y joue un rôle détermi-nant. Tout d’abord, il constitue le principalmoyen d’acquisition des revenus, c’est-à-dire de satisfaction des besoins “vitaux”,et, plus loin, l’assurance d’être prémunicontre tous les aléas de l’existence.Ensuite, la sociabilité faisant partie inté-grante des besoins et de la conditionhumaine, le travail permet de trouver saplace dans la société, de se voir conférerune utilité reconnue par la collectivité,d’entrer en relation avec les autres – à lafois parce que nous les rencontrons sur lelieu de travail et parce que notre profes-sion constitue bien souvent notre première

carte de visite – et de faire l’apprentissagede la vie sociale, d’assimiler ses codes deconduite, de s’y intégrer et d’y acquérirnotre “valeur”. En façonnant le lien etfavorisant l’intégration sociale, ce n’estpas seulement la formation de la person-nalité mais aussi la constitution des iden-tités collectives qui se jouent dans l’espace professionnel. Enfin, le travailincarne le processus par lequel l’individuse réalise et s’épanouit, lutte contre lescontraintes naturelles et devient ce qu’ilest. Instance de la production de soi,manifestation de la liberté créatrice del’homme, le travail constituerait le carac-tère anthropogène par excellence : l’es-sence humaine. Le premier travail n’est-il

pas celui de l’enfantement, mélange dedouleur et de création ?

L’évidence de certaines conceptions se faitparfois aveuglante. Elles ne nous parais-sent “naturelles” que parce qu’elles ne sontplus interrogées. Les impasses où s’empê-trent, depuis un quart de siècle, les politi-ques de résorption du chômage nedevraient-elles pas inciter les libres pen-seurs à soumettre le concept de travail à unexamen critique et historique, ou “généalo-gique” ? Un tel détour pourrait nous ame-ner à comprendre que la situation actuelle,qui nous paraît inéluctable, ne tombe pasdu ciel mais résulte d’un processus histori-que, c’est-à-dire d’évolutions politiques,

Entreprisededéconstruction

Le travail,

Origine et généralisation de l’idée moderne de travail1

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économiques, sociales et culturelles, derapports de forces, de sédimentations depratiques et de visions du monde. Etdécouvrir alors qu’il aurait pu en être autre-ment et par là qu’il pourra encore en êtreautrement.

Généalogie et logiqueindigène

Ce que nous entendons généralement par“travail” et qui structure nos sociétés serévèle, à l’examen, désigner une inventionrelativement récente, apparue avec lamodernité et répandue par l’industrialisa-tion de l’économie et du monde.

Dès lors que nous prenons un peu derecul, l’histoire et l’anthropologie attestentque “notre” travail est loin de constituer uninvariant de la nature humaine ou de lacivilisation, qu’il peut occuper des placeset endosser des significations très diffé-rentes. Les sociétés dites “primitives”découpent tout autrement que nous lesdimensions du travail : les besoins “natu-rels” y étant limités, le temps et les effortsconsacrés à leur satisfaction sont mini-mes ; les surplus ne font l’objet d’aucuneaccumulation ou thésaurisation ; le gainindividuel n’y motive pas l’activité de pro-duction, l’individu même n’y existe pas entant que tel ; certes des efforts y sontdéployés mais en pure perte, à des fins derituels et de parades sociales, animés parle bâton de la contrainte tribale plutôt quepar la carotte de la rémunération maté-rielle ; la redistribution procède d’une logi-que sociale sacrée et non économique. Letravail, en tant que tel, n’y existe pas, nefait pas partie des catégories sociales.

L’antiquité hellénique a, elle, “belle” etbien, médité sur le sens du travail maiscelui-ci se situe aux antipodes de celuique nous avons assimilé. Les activitéshumaines n’y étaient valorisées qu’en raison de leur ressemblance avec la per-fection divine, éternelle et immobile. Ausommet de la hiérarchie sociale, trônaitl’activité contemplative (la theoria, sciencemathématique ou philosophique), suiviede l’action éthique et de l’action politiquequi, toutes trois, possèdent leur fin en elle-même et s’exerce davantage par l’âme oula raison que le corps. C’est précisémentparce qu’elles relèvent de la liberté, del’autonomie et, pourrions-nous dire, de lagratuité qu’elles étaient célébrées. A l’opposé, tout ce qui est soumis à lanécessité, ne possède pas sa propre fina-lité autonome et appartient à l’animalité,était méprisé par les Grecs. Pour tous lesphilosophes qui, contrairement aux peu-ples tribaux, ont pensé et articulé ration-nellement les activités de production, celles-ci sont reléguées au rang destâches dégradantes, ne sont jamais valo-risées ou investies d’un rôle décisif dansl’organisation sociale ou individuelle. Tra-vailler pour se nourrir ou gagner de l’argent rabaissait l’homme à l’animalité ets’opposait à l’exercice de sa citoyenneté.Loin d’être un vecteur de socialisation, letravail, signe de servilité, incarnait une ins-tance d’exclusion. L’homme se découvraitcomme animal rationnel et politique : cen’était donc qu’en exerçant sa raison et sacitoyenneté qu’il pouvait réaliser sonessence, affirmer et valoriser son identité,s’épanouir et se lier à ses semblables. Unetelle organisation sociale et politique ne futpossible – on le sait – qu’au prix de l’es-clavage (en ce compris celui des femmes

confinées dans la sphère privée, sphèrede la nécessité économique2) et desconquêtes commerciales de la Médi-terranée. Ajoutons encore que les multi-ples tâches et métiers des esclavesétaient pensées sur l’agora selon les catégories de la philosophie ou de la phy-sique mais jamais unifiées sous la notionde travail. Un tel concept n’avait vraimentaucun droit de cité dans la démocratieathénienne.

La réflexion grecque fonde néanmoinsnotre civilisation et nous pouvons attribuerà Aristote la paternité première de notreconception du travail (issue d’une démar-che théorique, contemplative, nullementmise en application à l’époque3). Si nouspoursuivons notre remontée aux originesde la civilisation occidentale (qui aaujourd’hui colonisé l’entièreté de la pla-nète), nous observons dans l’EmpireRomain une reprise parfaitement confor-me du modèle et de l’entreprise grecs queles expéditions impériales exporteront àtoute l’Europe et propageront jusqu’à lafin du Moyen-Âge. Cicéron, par exemple,oppose aux activités libérales exercéespour elles-mêmes (réservées aux hommeslibres), les activités serviles effectuéessous la dépendance (reléguées aux escla-

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ves). Ce n’était point la division entre vassaux contraints au travail et suzerainsvivant du travail de ceux-ci qui structuraitles rapports sociaux mais, à l’inverse, lesrapports de domination fondés sur lerang, le sang ou la violence qui distri-buaient l’obligation ou la dispense delabeur. Il était impensable pour les domi-nés de voir dans le travail l’origine de leurexploitation et de rédiger un manifestepour faire des forces productives le levierdu renversement social et de leur émanci-pation…

La troisième grande racine de notre “civili-sation”, le christianisme qui se répanditparallèlement à l’Empire Romain, com-mença par confirmer la supériorité del’âme sur le corps et le mépris du travailvécu comme une punition et une malédic-tion frappant le premier des pécheurs,Adam. A l’instar des Grecs, le modèle deréférence, l’action divine était toutecontemplative et spirituelle : c’est par laparole que tout fut créé. De même, lecroyant ne gagnera pas son salut par l’ef-fort laborieux mais par l’ascèse, la foi et laprière ; il ne sera soumis à la torture du travail qu’à mesure de ses péchés.L’étymologie du mot “travail” remonted’ailleurs à cette époque : du latin trepa-lium ou tripalium qui était un instrument detorture à trois pieux. La première définitiondu terme mentionnée par Le petit Robertle confirme : “Etat de celui qui souffre, quiest tourmenté ; activité pénible”.

Vers la fin du Moyen Âge, c’est au sein duchristianisme4 qu’une lente conversion durapport au travail s’est opérée dont nousnous appliquons encore aujourd’hui àrécolter les fruits de plus en plus rares ou

avariés. Un tel retournement philosophi-que venait accompagner des nécessitéspratiques internes à l’Eglise – l’établisse-ment de normes de vie et d’une disciplinemonacales – et, au dehors, des reconfigu-rations politiques, des transformationssociales et des impératifs économiques :l’explosion des rivalités domaniales et laformation des Etats-nations, l’ascensionde la classe des artisans, l’essor desgrands marchands, le développement deséchanges et l’expansion commercialejusqu’au triomphe du mercantilisme. Enun mot, la crise du féodalisme et l’émer-gence de la Renaissance. Tout en conser-vant l’éternelle morale doloriste, une relec-ture de La Bible décela dans la Genèse lepremier acte de travail et les humainsfurent enjoints à imiter le grand artisan. Laparesse et l’oisiveté furent érigées au rangde péchés capitaux.

La dissolution des lienstraditionnels

La rupture des liens vassaux et de toutesles allégeances médiévales constitua desurcroît une masse de sujets, libres descontraintes physiques du servage, maissoumis à la nécessité et donc prêts à ven-dre leur force de travail. L’émergence deces forces vives a été, elle aussi, penséenon par les pères de l’Eglise mais par leschantres de la modernité ; la philosophieet la société s’étant, entre-temps, sécula-risées. Avec la Réforme5 d’abord, avecDescartes, Hume ou Leibnitz ensui-te, lescréatures de Dieu cédèrent la place auxsujets pensants, libres et distincts dumonde naturel. Depuis la fin du géocen-trisme, la nature n’est plus vue comme le

reflet du créateur mais comme une tableécrite en langue mathématique (Galilée),perméable à l’esprit (Descartes) et modi-fiable en vue de l’utilité des hommes(Bacon). Les moyens de transformation etd’aménagement de la nature sont alors lascience et le travail. En même temps queles principes de connaissance sacrés,s’écroula l’ordre traditionnel. Les commu-nautés naturelles cédèrent donc la placeau contrat social qui fonde la société sur lavolonté humaine. Il restait à trouver denouveaux principes pour organiser lesrapports entre ces volontés individuelles.

La solution du travail

Sans nous prononcer sur la distributiondes rôles entre la poule et l’œuf, nouspouvons observer que l’industrialisation etl’accumulation capitaliste n’auraient pasété possibles sans la substitution du calcul comptable et de la rationalité éco-nomique à l’ordre et aux valeurs tradition-nelles. Et c’est clairement cette scienceéconomique naissante du XVIIIe siècle,couplée à la physique newtonienne, quiinventa la notion univoque de travail telleque nous l’avons définie à l’orée de cetarticle. Affranchi des préceptes condam-nant la cupidité et l’usure, Adam Smithentreprit de définir les lois qui déterminentl’accroissement des richesses et décou-vrit dans le travail à la fois une puissancegénératrice de valeur et une substancehomogène et infiniment divisible. Mesuréen temps, il permet tous les calculs comp-tables. En tant qu’unité de mesure de cho-ses incommensurables, le travail facilite etobjective les échanges. Il se révèle enoutre détachable des marchandises qu’ilproduit ou mesure, de sorte que ceux qui

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n’ont rien à échanger peuvent vendre leurforce de travail à ceux qui possèdentbeaucoup. Il devint donc une marchandisecomme les autres et donna, par là, formeau salariat qui s’ébauchait alors enréponse aux besoins de main-d’œuvre del’industrie florissante. Locke vit dans cenouveau concept des vertus émancipatri-ces : en tant que manifestation de laliberté individuelle, le travail pourrait régirles rapports sociaux indépendamment detoute hiérarchie traditionnelle ou arbitraire.La nouvelle science économique s’érigeaalors en principe d’organisation et derégulation sociale : la manufacture d’épin-gles décrite par Smith fut prise pour méta-phore et modèle de la société.

Ainsi naquît le travail. Ainsi gagna-t-il saplace centrale au cœur de l’organisationsociale et de la vie des individus. Ainsi sesubstitua-t-il à une multitude de tâches,jadis disparates. Ainsi, phagocytera-t-ilpar la suite un éventail toujours plusétendu d’activités humaines.

Nous nous sommes focalisés ici sur leschangements des visions du monde et del’homme qui ont accompagné – rendupossible – la révolution industrielle et le

développement du salariat. Nous n’ou-blions pas pour autant que l’histoire nemarche point sur sa tête et que sans lesévolutions démographiques, économi-ques, technologiques et sociales6 que cesidées escortèrent, nous n’en serions pasarrivés là…

Cette histoire se poursuivra par le déve-loppement du mouvement ouvrier quiassimilera complètement la conceptionmoderne du travail sans en accepter lesconditions de mise en œuvre, éprouvantdans sa chair le décalage profond entreles vertus associées au travail et les vicesdu labeur tel qu’il se vit et se vide de sasubstance au jour le jour. Il y puisera unpotentiel de libération : c’est en tant queproducteurs de la valeur ajoutée et réunispar une même condition d’exploitationque les prolétaires s’organiseront pour seréapproprier leur travail et créer unesociété fondée sur le travail épanouissantpour tous… Il va sans dire que les révolu-tions communistes d’un côté, les réformessociales-démocrates de l’autre, ont pro-fondément ancré le travail au cœur de l’organisation sociale. Avec la mise enplace de l’Etat social qui s’en suivit, lesalariat est devenu la clé de la redistribu-

tion des risques et de l’institutionnalisationde la solidarité7.

Point de convergence de l’économie et dela philosophie politique, cette invention dutravail rallia les traditions chrétiennes,humanistes, libérales et marxistes8. Elles’est propagée planétairement, sa rationa-lité s’est ramifiée aux confins du mondevécu, jusqu’à s’universaliser et se natura-liser, en oubliant son contexte d’émer-gence ; effaçant par là sa contingence.Cet oubli de l’origine de nos conceptionsgît probablement à la source de bon nombre de difficultés et d’impassescontemporaines.

Mathieu BIETLOTCoordinateur sociopolitique

1 Ces propos sont extraits (et contractés) de mon article “A l’ère du trépas du Tripalium. Métamorphoses sociales” (Les Temps Modernes, n°600, juillet-août-septembre 1998, pp. 57-104),lui-même inspiré, pour ce qui est repris ici, des ouvrages suivants : André Gorz, Métamorphoses du travail : Quête du sens, Paris, éd. Galilée, 1988 ; Dominique Méda, Le travail, une valeuren voie de disparition, Paris, éd. Aubier, 1995. 2 Etymologiquement, oikos-nomos signifie la régie de la maison.3 Bon nombre des inventions techniques qui seront mises en œuvre par la révolution technologique de l’époque industrielle étaient déjà présentes, en puissance, dans les recherches dessavants grecs mais vu leur désintérêt pour le travail et la production, nul n’envisagea de les développer concrètement.4 Et sa récupération de la philosophie aristotélicienne par Saint Thomas D’Aquin.5 Nous ne nous étendrons pas ici sur le rôle notoire de l’éthique protestante dans l’origine du capitalisme (Weber) : l’individu accède au premier rôle, chargé d’interpréter par son libre arbi-tre les Ecritures, et manifeste son élection à la grâce divine par ses œuvres : “à leurs fruits, vous les reconnaîtrez”. Conception qui se retrouvera dans l’immense synthèse de l’histoire et dela pensée humaines mise en mouvement par Hegel : l’intériorité spirituelle ne se mesure qu’à son extériorisation, le faire révèle l’être et connaître signifie agir. Marx contribuera ensuite à lapropagation de ces principes.6 D’autres contributions du présent dossier évoquent ces évolutions. 7 Nous avons indiqué dans un numéro précédent que l’insécurité sociale croissante n’était pas sans signaler que le travail et le salariat ne sont plus tout à fait en mesure de tenir leurs pro-messes. (Olivia Welke “L’insécurité sociale », in Bruxelles Laïque Echos, n°55, 4ème trimestre 2006, pp. 13-15) 8 Pourtant la conception (grecque) de la liberté ne commençant qu’au-delà du règne de la nécessité fut réaffirmée par Marx et l’on peut aussi lire dans son œuvre une volonté de se libérerpar le travail d’abord, pour ensuite se libérer du travail.

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ujourd’hui le thème de la “fin de lacentralité du travail” semble recueillir denombreux suffrages. Le travail serait “enmutation”, “une valeur en voie de dispari-tion”. Mais de quelle “centralité” et dequelle “valeur” s’agit-il ? Par rapport àquoi la mutation se mesure-t-elle ? Nousne pouvons percevoir ce qui a changédans le travail que par rapport à ce qu’ilétait dans le passé et tout dépend del’étalon de référence.

Une machine à inclusion

Sans doute, si l’on se réfère aux emploisque l’on supprime, ou aux personnes quin’y ont pas accès, pourra-t-on parler de laperte de la centralité du travail. L’emploiprocure cependant toujours non seule-ment un revenu mais aussi un statutsocial. On peut se trouver écarté du travailpar la maladie ou le chômage ou encore,bénéficier d’une retraite. Par les revenusde remplacement que procure l’emploi,par la pension de retraite et les soins desanté auxquels il donne droit, le travailconstitue néanmoins, plus que jamais,une sorte de ticket d’entrée à la société. Iltend d’ailleurs à subordonner toute l’exis-tence des individus et à les transformer àson rythme. Il oriente la formation, la rési-dence, la façon d’être de chacun, le destin des enfants, ou encore les fluxmigratoires.

Charnièreou

chantier de l’histoireL’histoire du travail “met en scène” les transformations du travail qui sont indissociables de ses représentations. Les

acteurs de cette histoire ne sont pas seulement les travailleurs, les employeurs et l’État, mais également les structures

sociales qui produisent et transforment ces acteurs et les historiens et socio-

logues qui les mettent en forme. Comprendre la vie de travail c’est compren-

dre en même temps que celle-ci se déroule dans un monde peuplé de signi-

fications qui lui sont extérieures ; c’est comprendre que son histoire est mêlée

à l’histoire de l’industrie, du capital, des techniques, de l’organisation et de

l’éducation. A

Changement et continuité dans l’évolution du travail

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Cette fonction inclusive du travaildemeure prédominante et si l’on se préoc-cupe actuellement de plus en plus desphénomènes d’exclusion, il importe desavoir à quelle aune on se réfère. Au débutde l’industrialisation, les travailleurs repré-sentaient une masse flottante d’ouvriers,recrutés dans les campagnes ou à l’étran-ger, appauvris par les bas salaires, déci-més par le chômage, les accidents de travail et les maladies professionnelles. Letravail signifiait paupérisme : le fait dedevenir pauvre, massivement et collecti-vement, ne résultait donc pas de l’oisi-veté, mais du travail en usine. Le chô-mage, dont le volume variait avec laconjoncture, constituait un risque inhérentà la condition ouvrière. Sous l’impulsiondes luttes syndicales, avec le développe-ment des assurances sociales et de lanégociation collective, le salaire changeraprogressivement de sens. Il s’obtiendracertes par l’occupation d’un emploi, maisil se rapportera aux différents cycles de lavie. Par le salaire devenu social, en parti-culier par la distinction entre “le salairedirect” versé au travailleur et “le salaireindirect” formé par les prélèvementssociaux, une partie substantielle des reve-nus des salariés sera détachée du travail-leur particulier et sera redistribuée. Danscette perspective, le salaire n’est plus “unprix” défini par le marché, mais un barèmecollectivement négocié. On peut désignercette évolution en termes de “démarchan-disation” du travail dans la mesure où laformation des salaires et la sécuritésociale échappent aux mécanismes dumarché. Le travail n’est désormais plus unfacteur d’exclusion mais d’intégrationsociale. Alors que le niveau de consom-mation des salariés augmentait, ils

accédaient également – certes avec destensions, des conflits et des luttes – à unestabilisation sociale relative, en ruptureavec la précarité antérieure du salariat. Lasanté, la retraite, le chômage, l’éducations’inscriront dans ce processus de sociali-sation. Un emploi ne procurera donc plusseulement un revenu, mais aussi desdroits sociaux.

La montée et la persistance du chômageindiqueraient-elles aujourd’hui que le tra-vail perd sa centralité, qu’il “s’émiette”,que ses fonctions et valeurs sont “enmutation” ? Ces thèses ne me paraissentpas des plus convaincantes. Comment,dès lors, distinguer le changement de lapermanence dans le travail ? On s’ac-corde pour dire que notre époque est cellede la fin du taylorisme et du fordisme.Aurait-on dit la même chose si l’on n’avaitpas pris pour référence du travail dans les“trente glorieuses” l’automobile et lesfabrications métalliques mais la chimie oula pétrochimie, les soins de santé ou l’en-seignement, la distribution ou encore – leplus ignoré de tous – le travail domesti-que ?

Des ouvriers sans classe

Si le taylorisme-fordisme constitue dansles représentations courantes l’archétyped’une forme de production et de consom-mation qui a accompagné la dernièrephase de l’industrialisation, le travail arti-sanal constitue, sur une bien plus longuepériode, le prisme à travers lequel sontenvisagées explicitement ou implicitementles représentations dominantes que nousnous faisons du travail. L’unité supposée“naturelle” du travail est alors opposée à

ses formes parcellisées, émiettées, frag-mentées et en conséquence dégradées.Dès lors que la référence du travail seraprise dans sa forme artisanale, et celle del’ouvrier et de sa classe dans les grandesconcentrations industrielles, les historienscomme les sociologues ne pourront queregretter l’unité perdue du travail, dirontleurs adieux au prolétariat et pourrontcélébrer la fin du travail. Ils ne percevronten conséquence rien ni des transforma-tions du travail ni de la condition desouvriers1.

La notion de classe ouvrière suppose queles travailleurs de diverses professions etrégions ressentent entre eux, par delà lescloisonnements de métier, d’entreprise,de secteur, de statut, d’âge, de sexe,d’origine régionale ou nationale, etc., unecommunauté de destin et d’objectif.L’exploitation a été, dans ce cadre de réfé-rence, l’expérience dans laquelle s’estconstitué le rapport inégal des classes,réglé par le capital, et la formation d’uneconscience de classe. Dans un rapport deforce qui s’est construit à travers l’histoirede l’industrialisation, le mouvement ou-vrier a porté les revendications du travail,à travers ses diverses composantes, politiques, syndicales et associatives,politiquement et idéologiquement diver-ses voire opposées.

Depuis le milieu des années 1970, dans unrapport de force dégradé par la montée duchômage d’abord et par les transforma-tions géopolitiques découlant de l’effon-drement du bloc de l’Est ensuite, on n’apas assisté à la “perte de la centralité dutravail”, ni à la disparition de la conditionouvrière, et encore moins à celle des

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ouvriers. Mais, sans doute, pour repren-dre les termes de Karine Clément, à la“désubjectivation de la classe ouvrière”2.Placée dans l’incapacité de faire prévaloirses revendications, éprouvant des difficul-tés de plus en plus grandes pour s’organi-ser, celle-ci ne se reconnaît plus elle-même. Les ouvriers vivent dans un mondeorganisé par les catégories des autresclasses, dans un monde peuplé de signifi-cations qui lui sont étrangères. Si bien quesi les ouvriers restent nombreux, si lacondition ouvrière caractérise toujours lavie quotidienne de fractions importantesde la population, la classe ouvrière paraîtpar contre singulièrement absente. Celle-ci en effet, ne se constitue pas spontané-ment, comme par miracle dans le travail,mais seulement en se donnant la capacitéde représenter les revendications du travail dans les antagonismes politiques.

Le mot “ouvrier”, désormais connotépéjorativement, sera remplacé par “opéra-teur”, alors que la classe ouvrière serarayée du vocabulaire. Enfin, les conditionsde travail ne seront plus perçues à traversla grille de “l’exploitation”, mais des “orga-nisations qualifiantes” et parfois de la“souffrance au travail”3.

Cette évolution est liée à la détériorationrécente des conditions de travail.L’accroissement du chômage a permis deprésenter les salariés comme des privilé-giés. Ceux-ci, trop heureux d’occuper unemploi, n’avaient guère de raison, affir-mait-on, de se plaindre de leurs condi-tions de travail, et encore moins d’exigerde meilleurs salaires face à la détresse deceux qui étaient précisément privés d’emploi. À l’inverse, la précarité des

statuts, les mauvaises conditions de tra-vail et la faiblesse de leur rémunérationservaient à culpabiliser les chômeurs tou-jours suspectés d’abuser d’indemnisa-tions perçues sans même travailler, demanière à leur faire supporter la fragilisa-tion de leur statut et les faibles niveauxd’indemnisation ; à les amener, par lasuite, à accepter un emploi quelles qu’ensoient les conditions. En d’autres termes,pour reprendre le raisonnement deChristophe Dejours, la souffrance deschômeurs a contribué à augmenter celledes salariés, alors que la souffrance dessalariés alimentait à son tour celle deschômeurs.

La détérioration des conditions de travailqu’on observe depuis vingt-cinq ans –attestée depuis 1990 par les enquêtes dela Fondation de Dublin pour l’améliorationdes conditions de vie et de travail : augmentation des charges physiques etpsychiques au travail, augmentation dustress, de la violence, des maladies musculo-squeletiques et des dépressionsdans le milieu professionnel – n’est cepen-dant que relative. Sur le long terme, la tendance est clairement à l’amélioration.En aucun cas, les conditions actuelles dutravail, et encore moins, leur formulationen termes de pénibilité, ne peuvent êtrecomparées à la situation qui prévalait audébut du siècle passé où c'était le destindes mineurs de voir leurs poumons setransformer en pierre, des couvreurs detomber du haut des toits, et des enfantsd’avoir leurs membres broyés dans desmétiers à tisser…

Psychologie du personnel

La souffrance au travail ne résulte pas dela centralité du travail mais tout aucontraire du déni dont il est l’objet et de ladestruction des identités sociales qui s’ensuit. Le harcèlement au travail, qu’il soitsexuel ou “moral”, est bien sûr un phéno-mène ancien. Ce qui est nouveau, c’estl’ampleur qu’il a prise au cours des derniè-res années en raison des nouvelles formesd’organisation du travail et des formesactuelles de l’évaluation des salariés dansles pratiques managériales. Si bien que le“management par la peur” a contribué àdurcir la domination au travail. La psycho-logisation des relations de travail, commeen témoigne l’engouement suscité par lelivre de Marie-France Hirigoyen, a permisde nommer le “harcèlement moral” et amis à l’avant plan celui subi par les sala-riés4. Mais en même temps, en attribuantle phénomène aux caractéristiques duharceleur pervers et narcissique d’unepart, et du harcelé ramené au statut devictime d’autre part, les conditions socia-les et organisationnelles qui favorisent leharcèlement et rendent justement possi-bles les comportements des harceleurs

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pervers, et des harcelés victimes, se trouvent occultées, ou tout au moins relé-guées à l’arrière plan.

L’effet de disciplinarisation du chômage apermis de délégitimer le travail. La voiepour diminuer la place du travail dans lasphère publique s’est trouvée en consé-quence largement ouverte. Les rapportsde domination au travail ne sont plus lusdès lors en termes d’exploitation mais derapports interpersonnels, renvoyant chacun à son intériorité. Les ressorts psychologiques du harcèlement devien-nent essentiels dans cette perspective,dans cette entreprise idéologique d’indivi-dualisation des rapports sociaux. Maisréduite aux relations individuelles, ladénonciation du harcèlement peut toutaussi bien se retourner en son contraire.Victimes et bourreaux peuvent alors deve-nir tour à tour interchangeables.

Avec le tournant des années ’70-80, sousl’effet du chômage massif, des discoursde “crise” et d’une campagne idéologiquebasée sur la dénonciation des dépensespubliques, c’est aussi la fonction de protection sociale du travail qui a étéébranlée. Avec cette offensive contre lescotisations sociales, désignées désormaiscomme des “charges”, c’est le rôle redis-tributeur de l’État qui se trouvera atteint.La valorisation du marché s’accompa-gnera de politiques de privatisation quitoucheront également la sécurité sociale.La libéralisation de l’économie entraîneraune double inégalité des revenus. D’unepart, alors que de 1948 à 1980 les revenusdu travail avaient connu une croissanceplus forte que les revenus du capital, latendance s’inverse et les salaires dimi-

nuent. D’autre part, au sein même desrevenus du travail, les écarts entre hautset bas salaires se creusent. Globalement,à l’opposé de la stabilisation qui caracté-risait la période précédente, celle-cientraîne la précarisation du salariat. Lesalaire n’étant plus pensé du point de vuede la productivité et du pouvoir d’achatmais de la compétitivité, les pouvoirspublics, soucieux d’offrir aux investisseursune main d’œuvre bien formée et à moin-dre coût, sont conduits à déstabiliserl’emploi et à démanteler les protectionssociales de manière à tenter de “remar-chandiser” le travail.

Peut-être sommes-nous donc à un bascu-lement mais il convient de ne pas perdrede mémoire l’histoire longue du travail.Les cinquante dernières années se révè-lent des années charnières entre les réfor-mes qui avaient contribué à stabiliser letravail et des contre-réformes qui condui-sent à le précariser. Mais dans la mesuremême où le travail exige désormais destravailleurs plus de connaissances etd’imagination, ceux-ci disposent aussi deplus de ressources pour remettre en avantles exigences du travail.

Mateo ALALUFProfesseur de sociologie du travail

ULB

1 Voir à ce sujet l’ouvrage remarquable de Stéphane Beaudet Michel Pialoux, Retour sur la condition ouvrière : enquêteaux usines Peugeot de Sochaux-Montbéliard, Paris, Fayard,1999. 2 Karine Clément, Les ouvriers russes, Paris, Syllepse, 2000.3 On peut se référer à ce sujet à Christophe Dejours,Souffrance en France, Paris, Le seuil, 1998.4 Marie-France Hirigoyen, Le harcèlement moral. La violenceperverse au quotidien, Paris, Syros, 1998.

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Le contexte

a grande mutation capitaliste desannées quatre-vingt a vu s’instaurer unedouble inversion. L’emploi à durée indé-terminée s’est largement transformé endurée déterminée. Par contre, le chômageà vie s’est imposé alors que préalable-ment, cette assurance avait un caractèremomentané.

Paradoxe s’il en est : dans notre sociétéoù la classe politique et le patronat pleur-nichent quotidiennement sur le déséquili-bre entre actifs et non actifs (en clair : il ya trop de vieux), où l’on apeure délibéré-ment la population quant au devenir despensions et du reste de la sécurité sociale,où l’ONEM étale dans ses statistiques lemanque d’infirmièr(e)s, d’ingénieurs, d’en-seignants scientifiques et de tous lesmétiers de la construction, on doit logi-

quement ramener à roupie de sansonnettoutes les politiques de l’emploi menéesdepuis un quart de siècle dans bon nom-bre des pays de l’UE, à commencer par lenôtre.

A titre indicatif, la Ville de La Louvièrecompte quelque 78 000 âmes. Le chô-mage moyen y est de 26 % comme dansbien d’autres sous-régions wallonnes,françaises, anglaises… et communesbruxelloises. A La Louvière, plus de 24 %des moins de 25 ans sont sans emploi.Entre 25 et 35 ans, ils sont 17 %. Notresociété “oublie” donc le potentiel quereprésentent 40 % des plus jeunes travail-leurs.

Le néolibéralisme a donc fait explosé leseffectifs de “l’armée de réserve” qu’évo-quait Marx. Il la consolide encore par l’im-portation massive “d’esclaves” polonais,roumains, baltes, africains et autres,concentrés dans l’Horeca et le secteur de

la construction tout en exportant vers lespays à bas salaires tout ce qui est déloca-lisable dans les activités manufacturièreset de services. Bref : fin du compromiskeynésien qui a sauvé de la déroute, après1929, un capitalisme qui psalmodiait,avant cette crise, les thèses libérales clas-siques. Il y revient aujourd’hui.

Avec le New Deal, on régulait l’économiecapitaliste en crise par le volume de l’em-ploi, par l’initiative publique industrielle ettertiaire.

Avant 1980, on fonctionne sur un consen-sus implicite entre l’Etat, le patronatindustriel et les syndicats. Le premier veutsa part fiscale sur les profits dégagés parles entreprises pour financer des politi-ques sociales, de formation et d’équipe-ment. Le second veut garder la plusgrosse part des profits possible pour desinvestissements d’extension et de diversification. Le troisième détient le

PETITE HISTOIRE DE LA SOCIALISATION DU TRAVAIL

RETOUR AU XIXE SIÈCLE... “La meilleure façon pour les classes dominantes d’avoir la paix

sociale est de convaincre le peuple de son impuissance”

(Maurice Barrès)

L

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rapport de force, vu le contexte internatio-nal, pour accroître la part du gâteau réser-vée aux travailleurs.

Qui paye ? Les actionnaires qui devront secontenter pendant trois décennies de mai-gres dividendes. Mais cette “perte” seracompensée, à long terme, par la montéeen puissance des valeurs boursières destitres anciennement acquis.

Vers1980, c’est l’inversion de la tendance.Le monétarisme des “Chicago boys” veutcasser l’inflation, réduire les dépensespubliques et relancer le rendement desplacements financiers. Les grandes entre-prises se ruent sur les profits spéculatifsau détriment des dépenses en rechercheet développement. On invente le capita-lisme populaire, les clubs de boursico-teurs espérant compenser leurs pertessalariales par des produits financiers. Onmobilise les fonds pour les OPA et lesconcentrations capitalistiques au détri-ment du potentiel productif.

Les Etats sont priés de revoir l’impôt dessociétés à la baisse tout comme les coti-sations patronales. Quant aux syndicats,la montée en puissance de “l’armée deréserve” et l’intégration sociale-démo-crate aux dogmes de l’économie de mar-ché les mettent complètement sur ladéfensive. On parle de maintien des droitsacquis. Point !

Socialisation et développement industriel

Tout le Moyen-Âge connaît un fondementagraire. Dans les campagnes qui occu-

pent l’essentiel de la force de travail, l’activité est parcellisée. Les villes, peuimportantes démographiquement parlant,recèlent l’essentiel du travail artisanal etdes premiers réseaux bancaires. Une pre-mière socialisation du travail naît de lastructuration des Métiers sous l’égide dece qui deviendra la bourgeoise, laquelles’organise et entre souvent en conflit avecl’ordre féodal.

Il faudra attendre les prémices de laRenaissance, les nouvelles inventions, lesdécouvertes géographiques pour connaî-tre le développement du commerce inter-national, des activités portuaires, le poidsplus fort des villes dans les économiesnationales avec peu à peu l’émergencedes manufactures, d’un patronat industrielet commercial. Le travail se diversifie, ladivision de celui-ci s’opère. Dans laFrance qui est l’Etat le plus peupléd’Europe, les premières grandes opéra-tions spéculatives émergent, ainsi que lessociétés par actions comme le fut laCompagnie de Indes créée, sous larégence, par l’écossais John Law et quifinit dans la débâcle. Bref, aux bourgeoi-sies industrielles et commerciales vints’adjoindre la fraction financière, les banques.

Les avancées scientifiques et technologi-ques consolident les effectifs et le poidséconomique bourgeois. Augmente paral-lèlement le nombre d’ouvriers et d’artisansindépendants. Mais politiquement, le“Tiers Etat” sera dominé par les propriétai-res des nouveaux moyens de production.Une première phase de socialisation dutravail voit peu de structurations au seinde ce qui deviendra le prolétariat.

D’ailleurs, les révolutions anglaise et fran-çaise seront dominées par les bourgeoi-sies et leurs intérêts propres.

La première révolution industrielle (char-bon, machine à vapeur, acier) reste à labase d’une énorme migration des campa-gnes vers les villes. Le phénomène estparticulièrement vécu en Angleterre avecles pôles industriels “champignons”comme Liverpool et Manchester.

L’émergence des industries extractiveslourdes, de la métallurgie, du chemin defer, des bateaux à vapeur, transforme unelarge part du paysannat en travailleurs peuqualifiés dans les mines, le textile, les

Maurice Barrès

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manutentions portuaires, la construction,les infrastructures ferroviaires, le creuse-ment des voies navigables…

Tout au long de XIXe siècle, et au traversde la seconde révolution industrielle (élec-tricité, moteur à explosion, pétrochimie), leprocessus de socialisation du travails’amplifiera. Enlevant leurs compétencesaux artisans de l’industrie, la mécanisationde la production jointe au Taylorisme, mul-tiplieront les emplois peu qualifiés, pous-sant encore à la division du travail.

A la fin du XIXe siècle puis tout au long dusiècle passé, le processus de socialisationviendra peu à peu à bout des derniers sec-teurs restés “indépendants” du grand capi-tal. Le travail à domicile des couturières,celui des armuriers liégeois se poursuivradans les usines textiles de Binche ou à laFN. Le monde du commerce de détail seralaminé par l’essor de la grande distribu-tion. La mécanisation de l’agriculture,dans le cas belge, ramènera le nombre depaysans d’un demi million environ dansl’après deuxième guerre mondiale aux80 000 d’aujourd’hui, avec une productionplus forte. Subsistent les secteurs de laconstruction et de l’Horeca et encore, vul’émergence de puissantes chaînes hôte-lières et de celles de la restauration, l’indé-pendance de ce secteur est à nuancer.

Les services publics

Conséquence du Keynésianisme, l’entréeen lice de l’Etat dans la sphère économi-que a vu se multiplier les entreprises et lesservices publics. Les filles du paysan duLot sont caissières, infirmières ouemployées des postes à Cahors. Ses fils

sont instituteurs, employés de la SNCF, deL’EDF ou fonctionnaires communaux. Leservice public a sa part dans la socialisa-tion du travail. L’importance de ses effec-tifs en témoigne. Bref, une large majoritéde la population active entre dans lemoule des statuts, des barèmes, des hié-rarchies, des conventions collectives sec-torielles ou des législations nationales.

Vers un reflux actuel ?

Après avoir amené cette large majorité àparticiper dans le secteur privé ou dans lepublic à un vaste travail collectif, interdé-pendant, d’organisation de l’activité éco-nomique de la société développée, voicique, néolibéralisme aidant, le patronatredécouvre les bienfaits du travail indivi-duel. Cultivant le mythe de la réalisationpersonnelle, il promeut à nouveau le travail à domicile. Ce n’est pas tout à faitle retour à la textilière de Binche certes !Mais l’ordinateur succède à la machine àcoudre. Le programme informatique sesubstitue au “patron” pour la découpe. Etles mètres carrés de tissus venant du maî-tre tailleur sont remplacés par une massede données à traiter dans des délaisimpartis et communiqués par Internet.

Pis ! Si les périodes de chômage profondont émaillé l’histoire des deux dernierssiècles, notamment lors des récessions del’après 1870 et de celle de 1929 lors despériodes de difficultés du cycle deKondratiev1, jamais elles ne détinrent surtoute une vie de travailleur (à quelquespourcents près de la population active).Aujourd’hui l’exclusion devient un statutquasi définitif. On pourrait penser que le

patronat cherche ainsi à reconstituer son“armée de réserve”. Rien n’est moins certain. L’exclusion de longue durée, vu lavitesse des évolutions techniques, vu laprécarité de l’enseignement à construireune “tête bien faite”, ne laisse pas augurerun retour dans la sphère productive.D’ailleurs, par le biais des délocalisationset de l’importation de mains-d’œuvre qua-lifiées, ce besoin de réinsérer socialementne se fait guère sentir.

La grande entreprise réinvente, après lesavoir largement éliminés, l’indépendant, lepetit collectif d’individus de la PME, lecadre seul créant sa toute petite entre-prise (TPI). En Belgique, le nombre de cessous-traitants a littéralement flambé auregistre des bilans d’entreprises déposésà la Centrale des bilans de la BanqueNationale. Placées entre le marteau de sesendettements bancaires et l’enclume desprix que lui concède la grande entreprisecliente et souvent monopoliste, les voici,PME comme TPI, ramenées au statut deproducteur individuel, tel notre armurierliégeois.

Mise en gérance des officines bancaires,des supérettes, des garages etc., revoicil’exclusion du processus du travail collec-tif. Idem chez le grand entrepreneur de laconstruction qui réduit son rôle à unbureau d’étude, un autre d’architectes,quelques juristes et analystes financierspour ses placements. Le reste est sous-traité.

Autre avantage de saucissonner la grandeentreprise privée voire publique : l’applica-tion des règlements de sécurité et d’hygiène et la validité des statistiques

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d’accidents du travail s’étiolent. Aux sous-traitants, les tâches lourdes et dangereu-ses opérées au sein même de la grandeentreprise. Les accidents ne la concernentplus !

Et nul besoin d’évoquer longuement lesautres neutralisations syndicales dans lesdomaines salariaux, le contrôle du travailau noir, le respect de conventions collecti-ves sectorielles, l’embauche, le contrôledes heures supplémentaires, le paiementdes cotisations sociales.

49 travailleurs et moins : pas de syndicatet pas de syndiqués !

Et le politique ?

Parlant des élus politiques, Jaurès disait :

“Et ces mêmes hommes, compétents parle suffrage universel pour les grandesaffaires communales et nationales, sontdans l’ordre industriel de simples instru-ments. Souverains ici, machines là. C’estune contradiction intenable et qui nedurera pas longtemps.”

Jaurès a raison et tort à la fois. La contra-diction est devenue intenable et caduquependant les “trente glorieuses”. Mais elleest redevenue tenable aujourd’hui. Ledésengagement ministériel dans la politi-que industrielle et de services dontdécoule la socialisation du travail est indé-niable. Hormis l’octroi d’aides publiques,fiscales, sociales diverses, sans contrôlesd’efficacité pour l’emploi, c’est le règne dela non intervention dans l’entreprise. Il suffit de relire les déclarations des prési-dents régionaux wallons et bruxellois. Ils

semblent méconnaître les conquêtes poli-tiques et syndicales des deux derniers siè-cles, elles, fondées sur la solidarité et lesconvergences revendicatives des travail-leurs socialisés.

Quelles pistes alternatives ?

10 % d’exclus du travail à vie en Europe,c’est un vrai gâchis de la valeur d’usagede cette force de travail face aux immen-ses besoins non rencontrés. Resocialiserces capacités, c’est peut-être s’inspirerdes initiatives prises en 1848 par le gou-vernement socialiste qui créa les Ateliersnationaux et y accueillit les chômeurs.Pourquoi pas une initiative publique demême nature tout en remettant sur lemétier le rôle de la fonction publique,accompagnée d’une réforme fiscale visantles produits financiers des grands grou-pes, les super dividendes, les stockoptions, etc. ?

Pourquoi ne pas légiférer sur l’extensiondes droits syndicaux dans toutes lesentreprises et sur une réforme de la sécu-rité sociale introduisant un pilier supplé-mentaire : celui du droit pour le chômeur àune formation continuée, rémunérée etdonnant accès à l’emploi.

Pourquoi pas des droits nouveaux pourles travailleurs quant à leur possibilité d’in-tervenir dans les choix de gestions,d’avoir ainsi une attitude préventive plutôtque défensive ? Bref, faire entrer la démo-cratie dans l’entreprise publique et privée.

Enfin, l’extension du prolétariat à de nouvel-les couches sociales (dont les nouveaux

“indépendants”) est un fait. Mais commentrefonder une conscience de classe pour80 % de la population ?

Pierre BEAUVOISAnimateur d’Espace citoyen

(formations syndicales)

1 Les cycles économiques de Kondratiev portent sur despériodes de cinquante ans environ. Les 25 premières annéescorrespondent à une phase de croissance, de productivité,de nouveaux biens d’équipement et de consommationjusqu’à sa saturation. Les 25 suivantes concernent l’essouf-flement puis les difficultés sociales, les restructurations,... Laphase de croissance vient de la transposition dans l’écono-mie de nouvelles grappes de technologies (charbon, acier,ferroviaire vers 1820 ; électricité, moteur à explosion, carbo-chimie vers 1870 etc..).

Jean Jaurès

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passionLa

DU TRAVAILIl y a une croyance liée à l’emploi

qui l’impose dans les esprits

comme une condition première

pour vivre, s’épanouir, se sentir

libre, autonome et en sécurité dans

une société matérialiste et mar-

chande, marquée de toute évi-

dence par un déficit de spiritualité,

et où malheureusement, le sens

social se perd aussi.

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, nourrie devaleurs judéo-chrétiennes et néolibérales,légitimée par un contexte de vie où lesrapports sociaux et culturels ne cessentde se restreindre tandis qu’y triomphentl’individualisme et le dogme du consumé-risme, survalorise l’emploi et l’installedans les esprits et les mentalités commele moteur principal des préoccupationsindividuelles.

Etre capable de garder son emploi, quandon en possède un, ou d’en trouver quandon n’en possède pas, sont pour beaucoupla seule réalité qui compte, étant persua-dés que sans emploi, on n’existe pas, onne compte pas aux yeux des autres. Ainsi,les salariés sont donc enclins à endurer l’emploi comme un martyr, parfois audétriment de leur santé mentale et de leuréquilibre psychique, tandis que les chô-meurs, qui souffrent de son absence enviennent à déprimer.

Plus qu’une activité économique, l’emploiest une forme de conditionnement moralet social, qui crée de la souffrance et de laculpabilisation. Un déterminisme majeur

qui pèse sur le libre examen et le librearbitre des personnes, parce qu’ellesn’ont pas le choix de l’éviter.

La souffrance que génère l’emploi, peutpar ailleurs être violente et tragique, àl’exemple des cas de suicide de trois sala-riés de Renault Guyancourt, dont deux surles lieux mêmes de travail. Ce qui sembleà la fois significatif et symbolique du rapport ambigu à l’emploi et de son surdi-mensionnement dans les existences.Sinon comment expliquer de tels actes ?

Les syndicats dénoncent le climat anxio-gène et les ravages moraux qui règnentdans un milieu impitoyable où les indivi-dus ne sont plus mis en lien, mais enconcurrence, au nom du rendement et dela compétitivité.

Les salariés, affirment les experts, méde-cins, sociologues et psychanalystes, sontvictimes du dynamisme du travail et n’ar-rivent plus à s’adapter à son évolution et àses exigences sans cesse croissantes. Ilexisterait dans les milieux de l’emploi, àl’instar des autres domaines de la vie

sociale, une crise d’identité et de valeurs,pourvoyeuse de mal-être, de souffrancemorale et psychologique.

Tout cela est sans doute vrai, mais lacause n’est-elle pas dans l’exigenceimpérieuse d’avoir un emploi pour existeret avoir du sens, et qui en fait véritable-ment une drogue sociale dont on peutmourir par overdose ou par manque, quel’on soit travailleur ou chômeur ?

Ababacar NDAWFormateur

Cette croyance

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Ah merci les filles, vraiment ! Vive l’égalité… Depuis qu’on a le droit de

travailler comme les mecs, – enfin en théorie, mais ce n’est pas ici le

sujet –, elles sont belles, nos journées… Moi, je vous le dis en toute

franchise : il y en a marre de jouer les superwomen !

Nondouble peine !

à la

HUMEURS

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ui a dit que les femmes étaient le sexefaible ? Celui-là devait tout ignorer duspécimen particulièrement endurant ethautement polyvalent que sont les fem-mes. Il n’y a qu’à voir de quelle manièreles conjointes et les mères assurentaujourd’hui ce qu’on appelle “la doublejournée” qui, entre travail domestique ettravail professionnel, les astreint à uneactivité intense laissant peu de répit.Certes, ces messieurs mettent de plus enplus la main à la pâte, mais, les études lemontrent, le chemin reste long pour arriverà une répartition équilibrée des tâchesménagères et davantage encore en ce quiconcerne l’éducation des enfants.

Tout en s’échinant à essayer de conciliertemps familial et professionnel, les fem-mes aspirent aujourd’hui légitimement àl’épanouissement personnel et à desmoments de temps libre. Visée oh com-bien laborieuse, quand le plus souventnous sommes tiraillées entre nos diffé-rents rôles, si nous ne passons pas nosjournées à éprouver de la culpabilité… Eneffet, comment ne pas se sentir un parentindigne lorsque l’on dépose son marmot àla crèche avec de la fièvre parce qu’on aépuisé les quatre jours de congés annuelsoctroyés pour ces circonstances ? Com-ment ne pas avoir l’impression d’être uncollègue indisponible lorsque l’on doitquitter chaque jour le bureau à dix-septheures précises même lorsque la réunionen cours est importante ?

Entre les heures de travail et la présenceattendue, sinon obligée, à la maison, lesmoments pour flâner, se ressourcer, souf-fler, se délasser,… sont du registre de l’ex-ceptionnel. Comme il est tout aussi

souvent malaisé de trouver une placedans son emploi du temps pour un enga-gement militant quelconque. Et là encore,comment, pour celles qui font ce choix, nepas se sentir coupables de consacrer unepartie de leur temps, déjà rare, à lutterpour un monde meilleur au détriment del’éducation de leurs enfants ?

Mais évitons d’emblée toute méprise, cecin’est pas un plaidoyer destiné à renvoyerles femmes au foyer, ni à culpabiliser leshommes au sein desquels, notammentparmi ceux qui assurent une garde alter-née, ces doléances sont aussi de plus enplus formulées. L’intention de ce petitcoup de gueule est d’attirer l’attention detous, et des responsables politiques enparticulier, sur le fait que la société gagne-rait à reconnaître le rôle spécifique et l’apport de celles – et de ceux ! – qui sou-haitent s’occuper de leurs enfants, cettereconnaissance impliquant a fortiori unepolitique proactive pour leur donner lesmoyens d’assumer pleinement ce choix.

Ainsi, les cabinets de pédo-psy bondés degosses que les parents n’ont plus letemps d’écouter désempliraient-ils peut-être… Les arrêts-maladie pour raison desurmenage seraient sans doute moinscourants… Les enfants nourris au seinmaternel seraient moins sujets aux aller-gies et aux maladies… Et la liste est longue des avantages – et économies,puisque c’est toujours le nerf de laguerre ! – que pourrait retirer la société àmieux reconnaître le rôle parental et à per-mettre une articulation plus harmonieusede celui-ci avec les autres domaines de lavie. Mais au regard de la tendance actuelleà vouloir criminaliser les parents en

difficulté, il est fort à craindre que le che-min de cette reconnaissance sera encoresemé d’embûches.

Sophie LÉONARDDéléguée à la communication

sociopolitique

Q

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es nouvelles formes d’emploi dites“atypiques”, généralement désignéessous le vocable, emploi à temps partiel,emploi à durée déterminée ou emploiindépendant sont, selon Jean Verly, porteuses de précarité et potentiellementd’exclusion. Sans compter qu’elles contri-buent à instaurer une situation intermé-diaire entre l’emploi, le chômage et l’inac-tivité.

Ainsi, malgré un meilleur statut pour laprotection sociale en Europe, la précaritédont sont porteuses ces nouvelles formesd’emploi, explique que les pays présen-tant le pourcentage le plus élevé d’emplois dits “atypiques” sont paradoxa-lement ceux où la pauvreté liée à l’emploiest la plus grande. En effet, lorsqu’il correspond à un niveau de revenus faible,ce qui semble être le cas pour de plus enplus de travailleurs, l’emploi peut aussimener à la pauvreté, qui n’est plus ici

uniquement justifiée par son absence.

Corollairement à ces constats, Jean Verlyfait observer que l’apparition sur la scènesociale du phénomène de working poor (letravail qui rend pauvre) génère deux formes d’insécurité. Une insécurité socialeliée au risque de pauvreté et une insécu-rité civile qui se manifeste sous la formede comportements prohibés causés parl’insuffisance de revenus. La deuxièmenourrissant le sentiment d’insécurité touten restreignant les liens de solidarité collective.

Et pourtant, en matière de politique euro-péenne, la part des dépenses socialesdans les budgets publics a augmenté aucours de ces trente dernières années, lareconnaissance du droit à un minimum demoyens d’existence est quasi universelle,la participation à l’emploi, parce qu’elleest un moyen d’intégration sociale,

est devenue une norme dominante.Néanmoins, cette volonté d’une économieplus sociale est rendue secondaire parl’élargissement de l’espace économiquequi a accentué la pression de la concur-rence et la recherche de compétitivité, audétriment de la sécurité de l’emploi et dubien-être de tous.

L’improbable emploi de Jean Verly, projette un éclairage instructif sur lesparadoxes du modèle européen de l’em-ploi et sur les stratégies mises en œuvrepar les pouvoirs politiques et les institu-tions économiques pour créer de l’emploiet lutter contre le chômage.

Ababacar NDAWResponsable formation

LIVRE-EXAMEN

L’improbable emploiJean Verly • Editions Labor • Bruxelles 2002 • 95 pages

L

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Activation : plutôt que

lutter contre les chômeurs s’attaquer au chômage

Image tiré du site : http://www.local.attac.org/paris19/article.php3?id_article=152

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Un vocabulaire pas innocent

n Belgique, le nom qu’a pris après quel-ques péripéties ce contrôle renforcé deschômeurs est “l’activation du comporte-ment de recherche d’emploi (ACR)”, rebap-tisé “chasse aux chômeurs” par ses oppo-sants. La condition de disponibilité sur lemarché de l’emploi ne se vérifie plus seule-ment sur le critère de l’obligation d’accep-ter un emploi convenable ou une formation(disponibilité dite passive), mais aussi surles efforts de recherche d’emploi accom-plis et prouvés (disponibilité dite active). Ilest intéressant de décortiquer, dans un

contexte où les mots sont tout sauf ano-dins, le vocabulaire utilisé pour “définir”cette disponibilité dite active. L’ACR, c’est,dans le désordre :• emploi : chose rare, en tout cas en nom-bre insuffisant pour tous (ce qui a fait direaux syndicats “c’est l’emploi qui est indis-ponible, pas les chômeurs” – slogan de laCSC) ;• recherche : activité de la plupart des chô-meurs jusqu’à ce qu’ils se découragentdevant les refus ou pire et plus souvent le silence ;• activation : c’est-à-dire “si vous ne vousconformez pas au modèle, on va vous bot-ter les fesses” ;• comportement : sans doute le mot le plusterrible. Il ne suffit pas de chercher du bou-lot, même s’il n’y en a pas, encore faut-ilavoir le “bon” comportement. On voitdirectement à quel point cela est morali-sant et normatif, mais, paradoxalement,sans que la norme soit définie. Le critèredes “efforts suffisants” étant évidemmentéminemment subjectif et, dans les faits,livre le chômeur à l’arbitraire du contrôleur(lui-même rebaptisé, dans cette guerre desmots, “facilitateur”).

Deux modèles

En gros, ce type de politique a deux visa-ges en Europe, s’inspirant soit du modèleanglo-saxon soit du scandinave. Nousn’avons pas la place ici pour entrer dans ledétail de la comparaison. Nous nouscontenterons de citer Anne Daguerre : “Lespolitiques dites “d’activation” visent àremettre les “exclus” au travail. Les mesu-res de workfare reposent sur le principe dela carotte et du bâton. Côté carotte, lesbénéficiaires de l’aide sociale se voient

E

Le citoyen pourrait s’étonner que les attaques actuelles contre le droit au chô-

mage et contre les chômeurs eux-mêmes soient souvent l’œuvre de gouverne-

ments de “gauche” ou de coalitions où cette “gauche” est présente. Bien plus,

les plans de contrôle accru émanent bien souvent de ministres dits socialistes,

comme en Belgique où elle a été l’initiative du ministre Vandenbroucke du SP.a

(ce qui signifie parti socialiste autrement, ce qui est un euphémisme). Que l’on

prenne la Stratégie Européenne pour l’Emploi (SEE), la stratégie de Lisbonne

(dans laquelle le PSE – Parti Socialiste Européen – a joué un rôle moteur) ou les

politiques de mise en place dans chaque pays de l’Etat Social Actif (ESA), nom-

bre de gouvernements dits de gauche (comprenant un parti social-démocrate

et même parfois un parti écologique

comme en Allemagne) sont en effet les

promoteurs de ces réformes.

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octroyer des incitations financières sousforme de crédit d’impôt en cas de retoursur le marché de l’emploi. Côté bâton, unsystème progressif de diminution puis desuppression des prestations sanctionne lesrécalcitrants refusant les emplois proposés.Ce système est dominant dans les paysanglo-saxons, notamment aux Etats-Unis etau Royaume-Uni. Dans le reste de l’Europe,les politiques d’activation seraient plutôtfondées sur une logique d’incitation etd’accompagnement des personnes per-mettant un retour en douceur sur le marchéde l’emploi. Les experts opposent volon-tiers un modèle de workfare anglo-saxonsans pitié à une politique européenne d’activation à visage humain, dominantedans les pays scandinaves. Pourtant, à yregarder de plus près, les frontières entreles deux sont beaucoup plus floues qu’il n’yparaît. A l’image des pays anglo-saxons, lespays scandinaves durcissent les dispositifsde retour à l’emploi en ciblant les popula-tions les plus vulnérables, celles qui ont lemoins de chances de se défendre faute debénéficier de l’appui des syndicats […].”1

Néolibéral ?

Des distinctions peu évidentes en tout caset qui ne résistent pas le plus souvent à uneanalyse minutieuse et moins encore àl’épreuve du terrain. En outre, comme sou-vent, il n’y a pas de modèle “pur” et l’onvoit toujours que les politiques appliquéespuisent leur inspiration à plusieurs sources.Au risque d’être dénaturées et même d’êtreen contradiction flagrante avec le para-digme originel. Au point que nombreuxsont ceux qui taxent l’ESA de véhicule dunéolibéralisme. La revue Politiques dedécembre 2004 titrait ainsi (certes avec un

point d’interrogation à la clé) un entretienavec Pierre Reman : “L’Etat Social Actif,avatar du néolibéralisme ?” (pp. 22-23)Dans cette interview, le directeur de laFOPES disait logiquement que “répondreoui […] serait le signe d’une méconnais-sance de ce qui caractérise un modèle libé-ral de sécurité sociale. Celui-ci suppose unEtat social minimal”. Mais justement, le néolibéralisme est-il classiquement libé-ral ? N’assiste-t-on pas, tant dans lemodèle anglo-saxon que scandinave, àune prétention d’intervention forte de l’Etat,mise paradoxalement au bénéfice de lasacro-sainte loi du marché ? L’ESA envi-sage le social en termes de responsabilitésindividuelles, avec un “déplacement desresponsabilités des employeurs vers l’Etatet de l’Etat vers les individus”2. LoïcWacquant parle, lui, de la montée en puis-sance de l’Etat pénitence en lieu et placede l’Etat providence : “la nouvelle sociétélibérale-paternaliste est libérale en hautenvers les entreprises, paternaliste et puni-tive en bas, envers ceux qui subissent lechômage, la précarisation de l’emploi et ladiminution de la protection sociale”3. Dansson interview à Politiques, Pierre Remaninvitait à la nuance : “identifier une versionprogressiste de l’ESA et une versionconservatrice est tout à fait sensé. […] S’ilest conséquent (…) en termes de finance-ment, de responsabilité collective des plusnantis et de lutte radicale contre le chô-mage, pourquoi ne pas en faire un levier dechangement ? Par contre, s’il limite sesambitions à la seule égalité des chances etau contrôle social des plus défavorisés, ilfaut le dénoncer”.

Le “un peu de tout” belgo-belge

Dénoncer, c’est ce qu’a fait la plate-forme“Stop chasse aux chomeurs” dès l’analysedu projet Vandenbroucke, début 2004.Toutes les dérives constatées depuis sur leterrain étaient en germe dans ce plan, quel-les qu’aient été les intentions affichées pré-cédemment par celui qui était alors minis-tre des affaires sociales : “envisager nonseulement la rhétorique commode au sujetdes responsabilités morales des pauvres etdes faibles mais aussi une rhétorique plusmalaisée concernant les obligations socia-les des riches et des puissants”4. Mais,comme le disait Pierre Reman, “les moyensn’ont pas été à la mesure de l’ambition affi-chée”.

Il serait toutefois malhonnête d’englobermodèles anglo-saxon et scandinave dansla même critique. Mais il ne suffit pas nonplus de dire comme on l’entend mêmedans la bouche de brillants universitaires(tel Pierre Pestieau) “cela a fonctionné auDanemark. Pourquoi pas chez nous ?” (LeVif L’express, 27/5/2005). Remarquonsd’ailleurs que la référence scandinave s’es-tompe progressivement et que c’est leDanemark qui est montré en exemple, aupoint que l’on parle de miracle danois.

Mais, lorsque l’on prétend suivre unmodèle, il y a de l’imposture à invoquer descomparaisons biaisées et de la trahison àocculter des pans entiers du référent donton se réclame. Frank Vandenbroucke,grand artisan de l’ESA en Belgique, aincontestablement puisé son inspirationdans le modèle anglo-saxon, ayant profité

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d’un séjour universitaire en Grande-Bretagne (à Oxford) pour faire oublier certains errements du “socialisme à l’an-cienne”. D’ailleurs, la réforme du minimexsous le gouvernement arc-en-ciel et déjàpromue par les socialistes flamands (viaVande Lanotte) a bien montré que l’activa-tion portait essentiellement, voire exclusi-vement, sur la mise au travail. L’activationdes chômeurs allait-elle être envisagée dif-féremment ? Voyons ce qu’en dit JeanFaniel : “Lorsque, le 6 février 2004, F.Vandenbroucke annonce un accord avecles interlocuteurs sociaux, il explique que,selon lui, le dispositif finalement adoptés’inspire du “modèle scandinave : enéchange d’un droit individuel d’accompa-gnement beaucoup plus strict, le chômeuraura l’obligation d’accepter une formationet un contrôle”. La conclusion d’un accordde coopération avec les entités fédérées,responsables de l’accompagnement deschômeurs, est prévue. Mais le texte fédéral,rebaptisé “contrôle de la disponibilité deschômeurs”, ne prévoit aucune mesured’accompagnement des sans-emploi et secantonne à la dimension coercitive qu’illus-tre son titre.”5

L’accompagnement a été présenté commele volet positif du plan, visant d’une part àaider réellement les chômeurs (via une acti-vation à la scandinave), d’autre part à lesprotéger des sanctions de l’ONEM (quis’axe surtout sur la mise à l’emploi, à l’an-glo-saxonne). Dans les faits, c’est unepression tous azimuts qui loin de l’aider,enfonce le chômeur. Car le modèledanois/scandinave n’a été mobilisé qu’àdes fins d’apaisement social, sansvolonté/capacité réelle de l’appliquer et ensachant en outre que cette part de la mis-

sion incombant principalement auxrégions, il serait aisé de dire a posteriorique ce sont celles-ci qui ont failli et n’ontpas assumé leur part du boulot. C’est àcette lumière-là qu’il faut comprendre lesrevendications flamandes de régionalisa-tion du marché du travail que l’acceptationde l’ACR par les francophones était censéejustement éviter !

Tout est-il rose pour autant au Danemark ?Malheureusement non. Non seulementl’ESA, comme toute idéologie, comporte sapart de tache aveugle mais, en outre, lesystème subit un travail de sape venant del’Europe, de l’OCDE et d’un virage interne àdroite. La tache aveugle, c’est une sociétédans le contrôle constant, qui exerce unepression énorme sur les individus (les paysnordiques sont dans le peloton de tête destaux de suicide en Europe) et très peuouverte. Ainsi, par exemple, la politiqued’immigration est très restrictive.

Conclusion

Dès le début, la plate-forme “Stop chasseaux chomeurs” a épinglé le risque de pré-carisation non seulement des droits deschômeurs mais aussi des droits et rémuné-rations de tous les travailleurs. Commenous l’avons vu, l’ESA en Belgique n’estappliqué que dans ses dimensions coerci-tives et de remise en cause des droitssociaux. Nous ne pensons pas qu’ils’agisse de “distraction” de nos gouver-nants mais bien d’une démission face àleur mission de progrès social au profitd’une économie néolibérale impitoyable.Comme l’écrivait Christian Valenduc :“L’ESA pourrait être la concrétisation d’unauthentique idéal de solidarité […] s’il allait

plus loin que l’égalité des chances théori-ques pour assurer à chacun effectivementles mêmes possibilités d’insertion […][quand on] confronte cet idéal avec lesdynamiques de mise en place de l’ESA […]il faut bien constater qu’on est loin ducompte : la façon dont l’ESA s’est déve-loppé ne correspond pas à cette formula-tion idéale et le résultat final est un dange-reux déplacement de l’équilibre entre lesdroits et les devoirs.”6 Trois ans après ceconstat, c’est sur le terrain que les alloca-taires sociaux vivent les effets de cette tra-hison et de cette détérioration de leursdroits…

La présentation du système de contrôle etde nombreux témoignages et analysessont disponibles sur le site www.stopchasseauxchomeurs.be.

Yves MARTENSanimateur du Collectif Solidarité Contre

l’Exclusion (www.asbl-csce.be) et porte-parole de la plate-forme

“Stop chasse aux chomeurs”

1 Anne Daguerre, “Du “workfare” américain aux politiqueseuropéennes de retour au travail. Emplois forcés pour lesbénéficiaires de l’aide sociale”, Le Monde Diplomatique,Paris, juin 2005. 2 Selma Bellal et Stephen Bouquin, “Vers une redéfinitiondes logiques de droits collectifs incarnées par le travail etson statut : les droits à l’emploi et les droits sociaux àl’épreuve de l’Etat Social Actif”, L’année sociale 2000,Bruxelles, de Boeck Université, 20013 Loïc Wacquant, Les Prisons de la misère, Éditions Raisonsd’Agir, 1999.4 Franck Vandenbroucke, L’Etat Social Actif : une ambitioneuropéenne, Exposé Den Uyl, 1999.5 Jean Faniel, “Réactions syndicales et associatives face au“contrôle de la disponibilité des chômeurs””, L’année sociale2004, Bruxelles, de Boeck Université, 2005, pp. 133-148.6 Christian Valenduc “Les nouveaux enjeux de la protectionsociale”, La Revue Nouvelle, Décembre 2000.

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La Boutique d’Emploi en quelques chiffres pour l’année 2006

3000 passages à la table emploi

655 personnes inscrites à la BE dont 584 pour une recherche d’emploi

40% de femmes et 60% d’hommes

78% des personnes ont entre 25 et 45 ans, 11% entre 18 et 24 ans et 11% plus de 46 ans

54% des personnes sont qualifiées ou hautement qualifiées (CESS et univer-sitaire) et 19% ont fait leurs études à l’étranger

19% des personnes sont sans revenus, 54% sont au chômage et 16% auCPAS

EN MOUVEMENT

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La Recherche Actived’Emploi (RAE)

a RAE vise l’autonomie de la recher-che d’emploi et se déroule de façon indi-viduelle ou en groupe. Elle peut se dérou-ler en sessions de trois ou cinq semaines.Mais quelle que soit la formule choisie, lebilan de compétences en est une étape

incontournable. En effet, la perte deconfiance qu’amène l’inoccupation pro-fessionnelle et la pression induite par lacourse à l’emploi n’incitent pas les cher-cheurs d’emploi à faire d’emblée le pointsur les qualifications acquises dans leurparcours. Prendre le temps de faire cebilan rend pourtant la recherche d’emploiplus efficace. Après la RAE, un suivi estassuré pendant 5 semaines. Par la suite,les participants ont la possibilité d’utiliserla Table Emploi (voir plus loin).

Ces dernières années, la précarité touche de plus en plus la sphère du travail. Pressions sur les salariés,

délocalisations, contrats précaires, carrières fragmentées, triomphe de l’intérim,… Il est loin le temps

des trente glorieuses où l’accès à un travail rémunéré garantissait non seulement la sécurité d’exis-

tence, mais ouvrait aussi la voie royale de la socialisation, où l’emploi conférait une utilité sociale

et permettait aux individus de se rencontrer, se reconnaître et se valoriser. A contrario, on

constate que le chômage et la précarité grandissants transforment de plus en plus les

lieux d’insertion socioprofessionnelle en nouveaux espaces de reconnaissance de

l’individu et de (re)création de lien social. L’évolution des services offerts par la

Boutique d’Emploi (BE), créée en 1980 au sein de notre association, illustre

ce phénomène. Plongée dans l’univers du chercheur d’emploi à

travers les différents services qui s’y sont développés.

La Boutique d’Emploiou l’insertion socioprofessionnellecomme nouveau lieu de socialisation

L

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Les ateliers de RAE s’organisant sur 30hpar semaine, les différentes sessions sontcalquées sur les horaires de bureaux. Parconséquent, les animateurs ont parfoisdes difficultés à garder les participantsjusqu’au bout du processus. “Ils ont peurde rater une opportunité de travail alorsque parfois ils sont inoccupés depuis deuxans. Si une agence d’intérim les appellependant la RAE, ils l’interrompent. Onessaie de les faire sortir de l’urgence”,raconte Okuli Pilipili, qui anime la RAE.L’hétérogénéité des demandeurs fait quedes femmes longtemps restées au foyercôtoieront par exemple des jeunes à larecherche d’un premier emploi et des chô-meurs de longue durée. Des niveaux dequalifications très variables peuvent êtrereprésentés. Pourtant, les participants onttous en commun de ne pas (ou plus)savoir “comment s’y prendre”. Maisl’avantage du travail en groupe est dedynamiser la recherche et de mobiliser lesparticipants : “Ils se rendent compte qu’ilsne sont pas les seuls dans leur galère.Cela inquiète mais permet aussi de mieuxcomprendre la réalité économique et derelativiser. Les autres participants aident àla prise de conscience mutuelle et favori-sent la déculpabilisation”.Indépendamment des objectifs initiaux, laRAE en groupe est donc aussi un moyende renouer le lien social.

L’InsertionSocioprofessionnelle (ISP)

L’ISP est adaptée à la situation de chaquedemandeur qui bénéficie d’un suivi indivi-duel et qui a accès à la Table Emploi. Loinde se cantonner à la recherche d’emploi,

ses conseillers accompagnent les bénéfi-ciaires dans différentes démarches enfonction de difficultés à résoudre avantd’accéder à l’emploi. Celles-ci peuvent,par exemple, être relatives à un aspect deleur statut. Bien que majoritairement enrègle, certains demandeurs sont sanspapiers. Dans ce cas, il s’agit d’abord,dans la mesure du possible, de les aider àrégulariser leur situation. Parallèlement,on les oriente vers des formations debase, (cours de français, de néerlandais,de calcul,...) d’une durée de quatre mois àun an, permettant ensuite d’envisager uneformation qualifiante (par ailleurs pas tou-jours accessible à des sans-papiers).Quand la personne a régularisé une partiede sa situation, elle revient pour la rédac-tion d’un CV et de lettres de motivationpréalables à la recherche d’emploi propre-ment dite qui peut alors effectivementdébuter.

Les personnes peuvent aussi cumuler plusieurs “difficultés” (selon les pouvoirssubsidiants) : étrangers, difficultés avec lefrançais, illettrés, ex-femmes au foyer,surendettés, âgés, chômeurs de longuedurée, sous-qualifiés… Qualifiés ou non,les bénéficiaires demandent trop souventà faire des travaux de nettoyage alors quece secteur est pratiquement saturé.“Notre rôle est alors de leur donner lesinformations nécessaires (conditions detravail, contrat, barème salarial) afin d’évi-ter la surexploitation fréquente dans cesecteur”, explique Patricia Barber, psy-chologue pour l’ISP. “Les gens bradentleurs compétences par désespoir maisn’ont pas toujours conscience de ce qu’ilssavent faire. Souvent, ils peuvent faire icile même travail qu’ils avaient dans leur

pays d’origine mais ils n’y songent mêmepas”. Lorsque le suivi se fait sur de longues périodes, un lien de confiances’installe. Les conseillers sont alors sollici-tés pour accompagner d’autres démar-ches administratives et cela même aprèsune remise au travail.

La Table Emploi (TE)

La Table Emploi met à disposition dupublic l’infrastructure et le matériel néces-saires à la recherche d’emploi : accès autéléphone et à Internet, journaux, offresd’emploi quotidiennes de l’Orbem et infor-mations liées aux formations, papier,enveloppes et timbres, etc. La TE estouverte à tous les inscrits et réunit lespublics de la RAE et de l’ISP. Elle est ani-mée par les permanents qui veillent à laqualité de l’accueil. Souvent, le public yest régulier et revient après une périoded’occupation professionnelle. Certainsrestent isolés, il faut aller vers eux afin devérifier qu’ils sont dans une démarche effi-cace. Cela évite les dérapages, peu fré-quents mais tout de même latents.D’autres habitués se sentent chez eux etaffirment fortement leur identité.

Fréquenter la Boutique d’emploi permetainsi à de nombreuses personnes deretrouver un sentiment d’existence. “Ledanger est que cela devienne le seulendroit où ils se sentent reconnus. Il nefaut pas se noyer dans la recherche d’em-ploi. Il faut savoir prendre du recul car ledécouragement peut arriver assez vite”,explique Ricardo Léonard, psychologue etcoordinateur de la BE. La Table Emploi estaussi un lieu de mixité culturelle où desgens issus d’origines ou de milieux pro-

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fessionnels très divers, ayant parfoiscomme seul point commun l’inoccupationprofessionnelle, se rencontrent et s’entrai-dent.

Les autres accompagnementsAu-delà de la recherche d’emploi, il existesouvent des difficultés connexes. Avec letemps et l’expérience, les travailleurs de laBoutique d’Emploi ont compris la néces-sité d’ouvrir l’éventail de leurs compéten-ces. Le développement d’autres types deservices tels que la médiation de dettes,un service juridique ou un service de sou-tien moral a permis d’agir sur des ques-tions qui ne sont pas directement liées àl’emploi et d’atteindre une cohérencegénérale.

Concernant le soutien psychologique,“tout est imbriqué, connecté. Un espacefragilisé touchera les autres sphères de

notre vie. Les gens ne vivent pas seule-ment à travers la recherche d’emploi”,raconte Ricardo Léonard. Par exemple, laperte d’emploi peut raviver d’autres pro-blèmes liés à d’autres types de pertes(décès, divorce…). Face aux difficultés

psychologiques des demandeurs d’em-ploi (de l’auto-dévalorisation jusqu’à ladépression), un soutien moral se révèlerautile à une prise de conscience d’obsta-cles adjacents. “Il s’agit ensuite d’y appor-ter un sens et puis d’entrevoir de nouvel-les pistes de réflexion et de changement”.Avec l’expérience, les psychologues del’équipe accordent le temps nécessaire etne délimitent pas trop vite la problémati-que des gens qui franchissent la porte dela BE.

Contrairement à d’autres structures où lesentretiens sont expédiés très rapidement,où les travailleurs eux-mêmes subissentune pression en terme de résultats etassument finalement bien plus un rôle decontrôleur que de facilitateur, les conseil-

lers et les animateurs de la Boutiqued’Emploi peuvent prendre le tempsd’écouter et d’orienter leurs publics.D’une façon générale, les intervenants dela BE visent le bien-être des personnes quis’y adressent, tentent de les sortir de l’urgence, de les revaloriser et de leur faireredécouvrir leurs potentialités. Ils insistentaussi sur la nécessité de rendre lespublics acteurs et pas tributaires de diffé-rents services. Vu les impasses ou faiblesdébouchés actuels du marché de l’emploi,il importe pour la Boutique d’Emploi d’en-courager les gens à ne plus subir mais àretrouver leur dignité et à recréer eux-mêmes du lien social. Ainsi ce projet participe à l’objectif global que s’est fixéBruxelles Laïque, à savoir permettre àchacun de vivre dans la dignité et garantirà tous une émancipation acquise en touteautonomie au sein de notre société.

Olivia WELKEDéléguée à la communication

sociopolitique

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Si la précarité trouve sans le moindre

doute la partie la plus significative de

ses causes dans une dégradation de

la situation de l'emploi, elle s'est

assez rapidement installée comme

condition de vie1 à part entière pour

de nombreuses personnes, ses

effets étant alors cumulatifs : la pré-

carité du revenu impliquera celle du

logement, laquelle aura des con-

séquences sur la vie affective, etc.

Les implications de cette situation de

fait sont nombreuses, mais deux

d’entre elles sont de première impor-

tance.

D e q u e l q u e s

de l'émergence d'un précariat

conséquencesp o l i t i q u e s

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entraîne toutd'abord pour les personnes concernéesune situation d'anomie : la terrible solitudede l'individu “libre” dans la société libé-rale, le fait, plus globalement, de vivredans une situation d'incertitude générali-

sée – solitude et incertitude parfois,mais c'est loin d'être la règle,

compensées par la créationde réseaux de solidaritéinterpersonnelle – caracté-risent probablement lacondition d'une part suffi-samment significative desmembres de notre sociétépour qu'il soit justifié de

parler d'un précariat,terme qui renvoie àl'idée d'une nouvelleforme de dominationpropre aux condi-tions de productioncontemporaines. Onévitera cependantd'opposer la figure

de précariat à celle dusalariat, les deux catégo-

ries se recouvrant largement.

Ensuite, et c'est peut-êtreencore plus déterminant,

s'opère dans le processus deprécarisation une mutation

du rapport au travailqu'on peut sans doutedécrire comme l'émer-gence au sein de ce

précariat de l'idée qu'une viesans travail est possible2. Cette proposi-tion, qui relève de l'évidence sur le planindividuel pour tous les exclus du mondedu travail, commence également à devenir

une interrogation pertinente sur un plancollectif à mesure que se poursuit l'auto-matisation de nombreuses formes dulabeur humain. Il n'est cependant pasnécessaire de plaider la fin du travail à lamanière de Jeremy Rifkin3 pour constaterque la précarité qui les frappe n'est passans conséquence sur les aspirations desindividus. Le travail en effet demeure nonseulement mal réparti – créant de fait deszones hors travail dont les habitants doi-vent bien vivre ou survivre, c'est-à-direinventer de nouvelles formes de vie – maisest aussi de plus en plus perçu par ceuxqui le font comme absurde, inutile voirenuisible à soi-même, aux autres ou à l'en-vironnement.

Cette dualisation rappelle qu'il n'y a pasici de décentrement comme d'aucuns ontpu le penser, il ne s'agit pas d'une dispa-rition sur la pointe des pieds du travail :bien au contraire, le travail reste ce qu'il atoujours été depuis (au moins) le début del'ère industrielle, une contingence terriblesur les corps et (de plus en plus égale-ment) sur les esprits ; contingence dont ilest permis de penser que la violence adepuis 10 ou 15 ans cessé de décroîtrecomme en témoignent, de plus en plusnombreux, ces observateurs de premièreligne que sont les médecins et autres inspecteurs du travail4. Au-delà de cetteviolence qui n'a rien de neuf, le travailreste également une figure dominantedans le champ symbolique, stigmatisante,qui tente de s'imposer à tous, à commen-cer par ceux qui lui échappent, volontaire-ment ou pas.

Il résulte d'abord de tout cela quelquechose comme une désorganisation

La précar i té

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générale, une démultiplication des pers-pectives qui obscurcit la lecture des évé-nements, lecture que les paradoxes quifoisonnent viennent encore compliquer. Àla différence du mouvement ouvrier histo-rique, un mouvement de masse de précai-res semble bien difficile à concevoir.L'éclatement des situations individuelles,l'absence du lieu commun qu'était l'usinepour le prolétariat fordiste, entre autreschoses, font qu'il est très difficile maisaussi sans doute surtout peu efficace dechercher à représenter les précaires. Deplus, faute d'un horizon revendicatif etorganisationnel simple à dégager commepouvait l'être dans le cadre du rapportsalarial fordiste le paradigme du conflit declasse, aujourd'hui bien lointain à discer-ner sous l'architecture sociale complexedans laquelle s'inscrit généralement le travail précaire (sous-traitance, intérim,contrats informels,...), les conflits horizon-taux se multiplient, mettant aux prises desprécaires entre eux, faisant perdre leursens à bon nombre de tentatives d'organi-sation collective des précaires. L'irruptionde la précarité constitue donc un recul historique majeur dans le rapport de forceentre travail et capital.

L'organisation des précaires, leur mobili-sation, selon des formes qui restent large-ment à créer, doit donc être considéréecomme une priorité par quiconque désire initier un changement social, car c'est làque se trouve le principal potentiel latentde contestation aujourd'hui. Se pose dèslors la question des mesures qu'il convientde préconiser pour répondre à la préca-rité, c'est-à-dire endiguer les processusde précarisation qui touchent les person-nes mais aussi tenir compte, on l'a dit,

d'éventuels nouveaux modes de vie quiont pu se développer dans les espaceslaissés béants par le ressac de l'Etat-pro-vidence. Sur ce plan, deux écoles se fonttrès manifestement face.

D'une part, marxistes5 et, sur un modemineur, sociaux-démocrates s'accordentpour privilégier l'emploi, conçu d'abordcomme une instance sociale incluante ;l'arme majeure, sans doute incontourna-ble, d'une telle politique étant le partagedu temps de travail à un niveau ambi-tieux6.

D'autre part, on trouve des écologistes,des “négristes”7 ou des figures commeAndré Gorz pour préconiser une approchefort divergente centrée sur l'idée d'unrevenu garanti, inconditionnel et supérieurau seuil de pauvreté, selon des formestrès variées8.

En l'état actuel des choses, l'opposition desdeux écoles est frontale, tourne parfois à l'invective. On peut néanmoins sedemander s'il est possible de dépassercette opposition. Il s'agit là d'une interroga-tion d'autant plus nécessaire que la situa-tion présente est celle d'un blocage de lasituation politique pour ces deux approches– largement dû pour les uns comme pourles autres au manque de “troupes” disponi-bles, les premiers s’épuisant à maintenirvivante une base syndicale tandis que lesseconds percent peu hors des quelquescercles intellectuels et militants assez poin-tus. Ils ont pourtant une série de choses encommun. Dans tous les cas, l'enjeu est central de constituer un contre-pouvoir sus-ceptible de faire pièce aux menées de plusen plus violentes du capitalisme.

Cela plaide pour la conjonction des for-ces. C'est ce que tente par exemple defaire une auteure comme Evelyne Perrin9

qui tout en conservant la “perspective àlong terme” du “revenu universel décon-necté de l'emploi et sans aucune contre-partie” voit dans cet objectif unerevendication prématurée et plaide enconséquence pour une approche progres-sive basée sur la revendication d'une“sécurité sociale professionnelle” particu-lièrement extensive. De manière plusgénérale, il semble que d'une part lesmouvements de précaires ont tout intérêtà se rallier vigoureusement à l'objectif dela réduction du temps de travail (RTT) tandis qu'il est urgent que les syndicatsprennent en compte dans leur canevas depensée la nécessité d'une série d'adapta-tions des structures de protection socialeaux situations de travail intermittent, tropnombreuses et diverses pour les détaillerici10.

Un second élément du consensus à créerconcerne l'Union européenne, dont l'im-portance et la nécessité est plus grandeque jamais. L'une comme l'autre desapproches paradigmatiques ici exposées(la RTT et le revenu garanti) impliquent eneffet pour les États qui les adopteront lecas échéant un sérieux “déficit de compé-titivité” (selon la pensée économique envigueur) dans la situation de libre échangeinternational débridé qui prévaut actuelle-ment. Il convient par conséquent d'instau-rer au niveau supranational – et dans unavenir suffisamment proche, seule l'UE està même de jouer ce rôle – un protection-nisme sélectif, par lequel on puisse modu-ler le degré de “liberté” des échanges et letaux des taxes de douane en fonction de

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critères sociaux (ainsi qu'environnemen-taux). Il s'agit d'une condition de faisabilitéde chacun de ces deux projets.

Les processus de précarisation qui sontà l'œuvre affectent gravement la vie dedizaines de millions de personnes. Ilsappellent des réponses urgentes, les-quelles ne seront possibles que moyen-nant un renversement de la conjoncturesociale et politique, renversement auquelune possible organisation sociale desprécaires contribuerait. À plus longterme, l'évolution sociale à laquelle nousassistons nous rappelle que le travailtend historiquement à disparaître et qu'ilimporte par conséquent d'encadrer ceprocessus en luttant contre la violencedu travail résiduel tout d'abord et en ima-ginant ensuite de nouveaux modes deredistribution de la richesse.

François SCHREUERMembre du collectif flexblues

1 Robert Castel, “Et maintenant le 'précariat'...”, in Le Monde, samedi 29 avril 2006.2 Voir le film de Pierre Carles, “Attention Danger Travail”.3 Laquelle est une hypothèse à trop long terme pour être prise en compte dans l'urgence actuelle. À moins qu'il ne s'agissed’une perspective strictement occidentale, c'est-à-dire néo-colonialiste car rejetant de facto la sphère de la production maté-rielle hors des frontières d'une Europe ou d'un premier monde sacralisés.4 Voir le film de Sophie Bruneau et Marc-Antoine Roudil, “Ils ne mourraient pas tous mais tous étaient frappés”, les écritsd'un Gérard Filoche ou le récent dossier de la revue Alternatives économiques “Quand le travail fait mal”, février 2007, pp. 56-66. Noter aussi l'existence aujourd'hui révolue du blog “Le carnet d'un inspecteur du travail” de la plume de l'ano-nyme Bereno, censuré en silence, il y a quelques mois, par son ministère (français).5 Michel Husson, “Droit à l’emploi et RTT ou fin du travail et revenu universel ?” in Cahiers de critique communiste : “Travail,critique du travail”, émancipation . Ed. Syllepse.6 Pierre Larrouturou, Pour la semaine de quatre jours, Paris, La Découverte, 1999. 7 Adeptes des théories de Antonio Negri au sujet de la domination de L’Empire et de la résistance des multitudes humaines. 8 “Revenu garanti : questions ouvertes”, in Multitudes n° 27, hiver 2007.9 “Lire Revenu d'existence universel ou sécurité sociale professionnelle”, in Contretemps 18, février 2007, pp. 131-137 ou,plus généralement, son livre Chômeurs et précaires au coeur de la question sociale, Paris, La dispute, 2004.10 Mais on trouvera un bon exemple sectoriel, quoique discutable dans certaines de ses conclusions, dans le récent Livre noirdes journalistes indépendants, coordonné par Jean-François Dumont aux éditions Luc Pire, notamment dans son huitièmechapitre. La proposition d'un “Contre-modèle” d'assurance chômage par la Coordination des Intermittents et Précaires d'Île-de-France (CIP-IDF) constitue également un cas particulièrement intéressant d'une réflexion visant à adapter les structuresde la sécurité sociale aux nouvelles conditions de vie et de travail dans un secteur particulier.

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Moins de biensplus de liens

La décroissance vue par les “objecteurs de croissance ”Bien qu’encore quasi inexistante

dans les programmes des partis

politiques, la notion de décrois-

sance semble petit à petit émerger

et trouver une place dans l’arène

des idées. Néanmoins, pour la

plupart d’entre nous, la notion de

décroissance demeure un concept

flou ou ambigu. Le terme est utilisé

par un éventail de personnes pour-

suivant parfois des intérêts

divergents et entretenant de la

sorte une confusion autour de

cette notion.

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Fondamentalement, les tenants de ladécroissance s’attaquent à la déconstruc-tion du concept économique de “crois-sance”, ainsi qu’à ses corollaires consu-méristes et productivistes.

S’il est entendu, quand on parle de croissance, qu’il s’agit de croissance éco-nomique et non de croissance de la délin-quance ou des cancers, il en va de mêmepour la décroissance. Celle-ci doit êtreentendue en tant que décroissance duProduit intérieur brut (PIB).

Erigé universellement comme l’aboutisse-ment naturel des différentes politiqueséconomiques, le concept de croissancetranscende aujourd’hui les clivages politi-ques traditionnels pour s’ancrer dans lesdiverses rhétoriques partisanes1.

Dès lors, dans un environnement où la“croissance” jouit d’un statut quasiabsolu, au point d’être perçue comme undogme, s’y attaquer relève d’une démar-che critique intéressante qui, indépen-damment de notre adhésion ou non àcette idée, nous amène à reconsidérercertains fondamentaux de notre organisa-tion économique, et plus globalement devie.

“A-théisme” et “a-croissance”

Pour être précis et rigoureux, à l’instar del’“a-théisme” il faudrait parler d’une “a-croissance”, dans le sens d’une “ruptureavec une religion, un culte, une croyance,une foi qui nous imprègne tous2”. Seloncette vision, l’homme moderne est for-

maté par cet imaginaire du “toujoursplus”, de l’accumulation illimitée, de cettemécanique qui semblait vertueuse et quidésormais apparaît infernale par ses effetsdestructeurs sur l’humanité et la planète.Face à l’idéologie de croissance, ladécroissance cherche en premier lieu àrétablir l’esprit critique. Elle ne se définitpas en tant que contre-idéologie maisapporte des propositions pour engagerune diminution de la consommation desplus riches “dans une volonté de partageet de sobriété3”.

Si la décroissance invite à la déconstruc-tion de l’idéologie de croissance, elleencourage à croire en l’homme, c’est-à-dire à croire que c’est sa conscience et sacapacité à exercer son libre arbitre puis sacapacité à les transformer en actions quile définit.

La décroissance ne semble donc envisa-geable que dans le cadre d’un systèmereposant sur une autre logique, sur unerefonte de nos valeurs et concepts, appe-lant à une “décolonisation de notre imagi-naire4” capable de remplacer celui de lasociété de consommation et du “toujoursplus”. Par conséquent, pour les objec-teurs de croissance, il devient nécessairede réinventer une société à échellehumaine qui retrouve le sens de la mesureet de la limite imposée parce qu’“unecroissance infinie est incompatible avecun monde fini”5.

En pointant l’impossibilité d’une crois-sance illimitée sur une planète aux ressources naturelles limitées, les parti-sans de la décroissance rappellent lanécessité de diminuer la consommation et

la production des pays riches afin deréduire leur empreinte écologique jusqu’àun niveau soutenable pour la planète.

Les objecteurs de croissance remettentdès lors logiquement en cause un certainnombre de présupposés économiques.

Rompre avec le productivisme et le consumérisme

Les théories néoclassiques mesurent la“productivité” en unités monétaires ou ennombre d’objets produits par heure tra-vaillée. Or, pour les décroissants, aucunede ces mesures ne dit si cet argent ou cesbiens et services sont utiles à la société.Cette critique rejoint la critique de l’indica-teur PIB. Davantage de biens et services,marchands ou non, n’est pas synonymede plus de richesse. Pour les objecteursde croissance, accroître la capacité dessociétés à produire ces biens et ces servi-ces conduit à la dégradation de ces socié-tés, et c’est d’ailleurs ce que disent desindicateurs alternatifs comme le BIP 406.

Cependant, si la décroissance met engarde face aux impasses environnementa-les générées par la croissance économi-que, elle ne limite pas son analyse à ladescription de la crise écologique et deses conséquences. Elle s’intéresse auxcauses en amont. Davantage que la crois-sance économique, elle dénonce l’idéolo-gie de croissance – celle d’un monde sanslimite –, une idéologie perçue comme dés-tructurante humainement et socialement.Dès lors, la décroissance veut s’appuyersur des modèles économiques réintégrant

s

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les paramètres physiques dans ses raisonnements, ce qui n’est pas le casactuellement.

Sur le plan sociétal, elle prône une moin-dre dépendance des personnes par rapport à l'argent parce qu'elles consom-meraient moins, seraient plus autonomes,partageraient plus de biens, se rendraientservice gratuitement. La décroissanceconsidère que la société de consomma-tion réduit chacun de nous à la seule fonc-tion d’agent économique dont le bonheurse mesure à l’aune de l’augmentation duproduit national brut. “En affirmant notrestatut d’être humain multidimensionnel, ladécroissance milite pour la joie de vivreà l’opposé du vide de sens que proposel’idéologie de croissance7”.

Ce système va également de pairavec une remise en cause de lapublicité et des médias. La publi-cité pousse l’individu à consom-mer toujours plus et promeut de lasorte un mode de vie qui n’est pasviable. Si la population mondialeconsommait dans les mêmes proportionsque la population belge, il faudrait 3.8 pla-nètes8 pour satisfaire cette demande. Maisil est illusoire d’appeler à une consomma-tion responsable si d’un autre côté lapublicité incite à faire l’inverse à traversdes médias en état de dépendance parrapport au pouvoir économique.

Décroissance et travail

Pour concevoir la société de décroissancesereine et y accéder, il faudrait littérale-ment sortir de l’économie. Cela signifieremettre en cause sa domination sur le

reste de la vie, en théorie et en pratique,mais surtout dans nos têtes. “L’histoire dela pensée économique est surtout l’histoire de la construction de l’économi-que comme pratique et comme pensée,autrement dit la construction de l’écono-mie et de l’économie politique9”. Dès lors,selon cette acception du terme “écono-mie”, “d’emblée l’économie fait problème,elle n’est pas là comme ça, naturellement,que ce soit comme domaine ou commelogique de comportement, autrement dit iln’y a pas de substance ou d’essence del’économie10”, et donc l’économie n’existepas en tout temps et en tout lieu. Cettevision réfute dès lors par exemple la

conception selon laquelle il estun fait naturel, commun à tou-

tes les sociétés, que letravail crée de lavaleur11.

Pour les tenants de ladécroissance, l’économie

de croissance sert avanttout l’économie des multina-

tionales. Un modèle productivistecherche à produire toujours plus de mar-chandises avec toujours moins de person-nes et conduit inexorablement au chômagede masse. La décroissance entend rompreavec cette logique pour promouvoir uneéconomie à taille humaine riche en emploisde qualité. Dès lors, si la décroissance sepositionne logiquement contre l’ “économiede marché” entendue comme le capita-lisme, elle est en revanche pour une “éco-nomie des marchés” comprise comme l’ar-tisanat indépendant, la paysannerie, lescoopératives, etc., reposant sur une écono-mie à taille humaine et maîtrisée, laissantune place à la concurrence12.

Pour les “objecteurs de croissance”, larelance par la consommation et donc parla croissance étant exclue, une réductionféroce du temps de travail imposé est unecondition nécessaire pour assurer à tousun emploi satisfaisant dans l’horizond’une réduction des deux tiers de notreconsommation de ressources naturelles.

Partant du constat qu’au cours de cesdeux derniers siècles, les gains de productivité ont été multipliés par trente,le temps de travail officiel a été diminuépar deux, tandis que l’emploi salarié, lui, aété augmenté de 1.75, les objecteurs decroissance considèrent qu’il serait tempsde transformer les gains de productivitéen une diminution du temps de travailconvertible en une augmentation de l’em-ploi. En 1981 déjà, Jacques Ellul, l’un despremiers penseurs d’une société dedécroissance, fixait comme objectif pourle travail pas plus de deux heures parjour13.

Cependant, le mouvement de la décrois-sance ne veut pas se contenter d’une simple réduction du temps de travail qui nechangerait pas la logique productiviste. Lesobjecteurs de croissance considèrent larelocalisation de l’économie comme unobjectif majeur devant permettre la réduc-tion de la consommation et de la productiondes pays riches. Produire et consommerlocalement en privilégiant les échangeshumains et de nouveaux rapports de pro-duction. “Il n’y a pas d’autre moyen que derelocaliser l’économie, revenir à une écono-mie de face à face, de rapports humains etde responsabilité politique, afin deconstruire une alternative au productivismedu capitalisme salarial14.”

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Cette démarche s’accompagne naturelle-ment d’un questionnement sur la place dutravail salarié dans nos sociétés et sa finalité.

Le premier enjeu du travail est sa finalité etla reconnaissance sociale qu’il apporte etqui ne se traduit pas uniquement par desrevenus. Enfermés dans une logique pro-ductiviste, la tendance actuelle consiste àpromouvoir une augmentation d’un travailaliénant visant à produire et à consommerdavantage – “Travailler plus pour gagnerplus”. Une logique entretenue par la créa-tion mécanique de nouveaux besoins,sans aucune considération environne-mentale.

La décroissance suppose une toute autreorganisation dans laquelle le loisir estvalorisé à la place du travail, où les rela-tions sociales priment sur la production etla consommation de produits jetables,inutiles voire nuisibles.

Redonner au travail sa vraie place, celled’abord d’une nécessité, celle où chacundoit contribuer, en fonction de ses capaci-tés, à la production de produits matériels oude services utiles, parce que nous sommestous et toutes inter-dépendants. Et celadans des conditions d’emplois respectueu-ses de la personne humaine. Mais c’estaussi un temps qui ne doit pas non plusenvahir toute la vie. Cette décroissance dutemps consacré à la production et à laconsommation de biens matériels doit per-mettre d’accroître le temps consacré auxdimensions relationnelles de l’existence, aurenforcement des solidarités, à la culture, àla connaissance, aux jeux, à la contempla-tion de la beauté du monde naturel15.

“Plus lentement, plus profondément, avecplus de saveur” : voilà l’“érotisme de vie”que les “objecteurs de croissance” veu-lent opposer à la folie du “toujours plusvite, toujours plus souvent, toujours plusloin”.

Le pari de la décroissance

Concept fédérateur dépassant les cliva-ges politiques traditionnels, capable deregrouper des tendances très différentes,la décroissance est donc une penséealternative qui englobe une dimension philosophique, politique, environnemen-tale et sociale que cette introduction sommaire ne prétend pas couvrir exhaus-tivement.

Comme toute pensée émergente, elle faitaussi naturellement l’objet de critiques :slogan plutôt que concept ; vision élitistede riches ; dérive malthusianiste ; concep-tion plus morale que politique et plus cul-pabilisante que constructive ; mouvementimmature…

Quoi qu’il en soit, le mot d’ordre de ladécroissance a le mérite de constituer unerupture par rapport au courant de penséedominant et de réintroduire la questionécologique dans le débat public tout en ladépassant, pour ouvrir sur des préoccu-pations qui mettent en jeu le devenirmême de notre société et qui interpellentla capacité des individus à développer unepensée critique.

Mario FRISODélégué aux relations publiques

Cinéma : Après “Danger travail”, sortie annoncée du nouveau film dePierre Carles “Volem rien foutre al païs”traitant d’expériences collectivesd’émancipation du salariat.

1 Karl Marx était clairement productiviste. Il visait un accrois-sement continuel de la production et de la consommation.En outre, selon les objecteurs de croissance, il n’a pas penséles limites des ressources naturelles.2 Lire à ce sujet Serge Latouche, “Rompre avec la religion du‘toujours plus’”, Le soir, 19 février 2007, p. 14.3 Cahiers de l’Institut d’Etudes Economiques et Socialespour la Décroissance Soutenable (IEESDS), N°1, 2006, p. 13.4 Serge Latouche, Survivre au développement : De la déco-lonisation de l’imaginaire économique à la constructiond’une société alternative, Paris, Mille et une nuits, 2004. 5 Citation de Nicolas Georgescu, père de la bio économie.6 Le “Baromètre des inégalités et de la pauvreté” (BIP) estconstruit sur base de plus de 60 séries statistiques concer-nant les différents champs concernés par les inégalités et lapauvreté : travail, revenus, logement, éducation, santé, justice... (http://www.bip40.org/fr/ )7 Cahiers de l’IEESDS, 2006, N°1, p. 12. 8 Respire ASBL, http://www.respire-asbl.be/ 9 Serge Latouche, L’invention de l’économie, Albin Michel,2005, p.8.10 Clément Homs, ““Sortir de l’économie” ça veut dire quoi ?La décroissance racontée et expliquée aux enfants.”, (2006).(http://www.decroissance.info/) 11 Anselm Jappe, Les Aventures de la marchandise, Pour unenouvelle critique de la valeur, éd. Denoêl, tiré de l’article déjàcité de Clément Homs, ““ Sortir de l’économie” ça veut direquoi ? La décroissance racontée et expliquée aux enfants.” 12 Cahiers de l’IEESDS, N°1, 2006, p.12.13 Serge Latouche, “Absurdité du productivisme et des gas-pillages. Pour une société de décroissance”, Le mondediplomatique, Novembre 2003.14 Jean Zin, “Pour un plein emploi de la vie” (2003)http://transversel.apinc.org/spip/article.php3?id_article=273 15 Joel Chenais, “La décroissance matérielle afin de réduirel’emprunte écologique ? Inéluctable !” (2006)(http://lesverts.fr/article.php3?id_article=1406)

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La vieà plein temps

L'espace-temps politique et poétique libéré par le travailIl n’y a plus de travail pour tout le

monde à plein temps. Les emplois

épanouissant se font rares. Faut-il

seulement s’en plaindre ? Ne pour-

rait-on jouer à “qui perd gagne”,

faire feu de tout bois mort et explo-

rer d’autres pistes ouvertes par ces

perspectives peu réjouissantes ?

Peut-être y a-t-il aussi lieu ici de

reposer la question de la commu-

nauté, du bien commun, de la

jouissance, diraient hédonistes et

psychanalystes réunis, de déplacer

le lieu de sa mise en scène et en

société.

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La modernisation : unenavette à double volet

Si le travail a été glorifié par la révolutionindustrielle, un autre mouvement parallèle aparadoxalement accompagné ce culte. Lesmêmes processus qui ont permis la géné-ralisation du travail se sont appliqués à toutfaire pour l’amener à disparaître. En effet,au fur et à mesure qu’elle intégrait despopulations toujours plus larges (rurales,coloniales,…) à sa dynamique, l’industriali-sation s’ingéniait, par souci de rentabilité, àsubstituer au travail humain la force desmachines – une force qui, contrairementaux ouvriers, ne connaît ni fatigue ni défail-lance, ne prend pas de congés, ne se plaintni se syndique jamais. Chacune des révolu-tions technologiques a remplacé par desmachines et déplacé vers le suivant laquasi-totalité des employés du secteurd’activités auquel elle correspondait : larévolution du charbon, de la machine àvapeur et de l’acier a vidé le secteur pri-maire au profit du secondaire, la révolutionde l’électricité, du moteur à explosion et dela pétrochimie a saturé de technologie lesecteur secondaire pour développer denouveaux marchés dans le secteur tertiaire.Nous sommes aujourd’hui à l’heure de latroisième révolution technologique – del’électronique, de l’ordinateur et de l’infor-mation – et les innovations en cours augu-rent d’une substitution toujours plusintense et plus étendue des ordinateurs auxtravailleurs du secteur tertiaire qu’oncroyait typiquement humain1. En effet, desordinateurs sont déjà et seront de plus enplus employés comme téléphonistes, cais-sières, banquiers, bibliothécaires, secrétai-res,… Les autoroutes de l’information relè-

gueront bientôt la poste et les commis auxoubliettes. Le four à micro-ondes et la cui-sine sous vide font concurrence aux res-taurants. Des opérations chirurgicales sontassistées par des automates. Des robotsen arrivent désormais à concevoir d’autresrobots… Même le secteur culturel n’est pasépargné, non seulement parce que nouspouvons commander et télécharger parInternet disques, films et livres mais de sur-croît parce que des synthétiseurs commen-cent à composer de la musique tout seul,des romans de gare sont désormais rédi-gés par des programmes informatiques, lemorphing permet de réaliser des films sansacteurs,…2 Reste à savoir si, à ce stade,nous pouvons encore parler de culture ?Les domaines de l’invention, de la penséeet de l’art demeurent des espaces absolu-ment rétifs à l’automatisation. Mais rétifsaussi, pour les mêmes raisons, à la profes-sionnalisation et à la rationalité économi-que.

A dessein d’accroître la rentabilité, les révo-lutions technologiques ont été complétéespar des réorganisations du travail. Le for-disme visait à intégrer et fidéliser l’ensem-ble de la population dans le processus deproduction et de consommation : la chaînede montage permettait à tout le monde, à lafois, d’y travailler et de pouvoir acheter sesproduits. L’industrie automobile servantd’étalon, nous sommes passés, avec latroisième révolution, au “toyotisme” ou pro-duction à flux tendus. Ces nouveaux pro-cédés de management sapent le rôle inté-grateur du travail : segmentation, flexibilitéfonctionnelle ou numérique, précarisation,sous-traitance, sélectivité,…

Nouvelles technologies et néo-manage-ment convergent donc pour infirmer ledogme selon lequel le chômage se résor-bera grâce à la compétitivité accrue et lacroissance du PIB. A l’inverse, l’augmen-tation de la productivité s’obtient par lasubstitution de machine au travail humainet le remplacement des employés stablespar de la main d’œuvre précaire, flexible,sous-traitée voire non déclarée. Ce n’estdonc pas la productivité qu’il faut relancer: elle n’a jamais été aussi efficace, elle per-met désormais de produire plus qu’il n’enfaut pour subvenir aux besoins de toutel’humanité. La crise se situe ailleurs.Quelque part du côté de la redistributiondes biens et des places ; du côté aussi dela redistribution des rôles et des fonctionsattribués au travail, à la machine et à l’humain. N’est-il pas temps de dépasserla contradiction d’une modernité qui, àl’avant scène, sacralise le travail par sesrituels sociaux, tout en le sacrifiant, encoulisse, sur l’autel de la technologie et dela rentabilité ? Le travail est devenu unmythe de plus en plus déconnecté de saréalité. A nous de le démystifier.

Une utopie mobilisatrice

Au lieu de déplorer cette situation, nepourrait-on pas nous en réjouir, en tirer (etpartager) profit pour évoluer vers une nou-velle organisation sociale. Il n’y a plus detravail pour tout le monde et le travail nepermet plus l’épanouissement et la socia-lisation : et bien, travaillons moins et cher-chons l’épanouissement et la socialisationdans le temps libéré par l’absence de travail. Maintenant que la technologie offredes ressources infinies, il est temps deressourcer le sens.

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Entendons-nous bien. Il ne s’agit pas dedécréter la disparition du travail ou decélébrer sa mort mais d’organiser sarépartition et sa réduction décisive, tantau niveau du temps que de l’importanceque nous lui accordons. La réductionmassive du temps de travail pourraitconstituer une revendication, un nouveauprojet fédérateur tant pour les travailleurset leurs syndicats que pour les chômeurs,les précaires et tous ceux qui ne se retrou-vent plus dans la perte de sens qu’en-traîne notre société marchande centréesur le travail. Je me réfère, par exemple,aux propositions d’André Gorz dans sesMétamorphoses du travail : dans le soucide répartir les économies de travail et les gains qu’elle engendre, la réductiondevrait être régie par des principes de jus-tice plutôt que par la rationalité économi-que ; elle serait progressive par paliers,égale pour tous, générale, désynchroniséeet sans perte de revenu3. La premièrerévolution industrielle s’est accompagnéed’une réduction de la semaine de travailde 80 à 60 heures, avec la seconde révo-lution nous sommes passé de 60 à 40heures. Il est donc légitime de réclamer, àl’ère de la troisième révolution technologi-que, la semaine de 20 heures. Pour optimiser l’utilisation des infrastructures etmieux répartir le travail, ces vingt heureshebdomadaires gagneraient à être étaléessur l’échelle d’une année (on réduiraitalors l’année de travail de 1600 à 800 heu-res). La répartition serait concertée enfonction des contraintes techniques etdes désirs et besoins de chacun : un teltravaillerait 4 heures par jours durant toutel’année, un autre 8 heures pendant sixmois, un troisième ne presterait que leweek-end à raison de 10 heures par jour...

Une telle réduction désynchronisée per-met la réalisation et la mise en route deprojets hors du travail. L’objectif est à lafois que chacun travaille moins en vued’épanouir ses potentialités dans le tempslibre et de diversifier les qualifications dechacun, indispensables à une répartitiondu travail. On rétorquera que certainestâches hyper qualifiées ou postes à responsabilités exigent une implicationpermanente et des heures supplémentai-res non comptées. Or, justement, partagerces tâches et étendre le temps libre nepeut que susciter plus de créativité.Travailler moins, c’est travailler autrementet surtout travailler mieux ! C’est augmen-ter la motivation et diminuer le stress oul’absentéisme.

Laissons André Gorz synthétiser lesenjeux de son projet :“Le lieu de travail et l’emploi peuvent alorscesser d’être les seuls espaces de sociali-sation et les seules sources d’identitésociale ; le domaine du hors-travail peutcesser d’être le domaine du privé et de laconsommation. De nouveaux rapports de coopération, de communication,d’échange peuvent être tissés dans letemps disponible et ouvrir un nouvelespace sociétal et culturel, fait d’activitésautonomes, aux fins librement choisies.Un nouveau rapport, inversé, entre tempsde travail et temps disponible tend alors às’établir : les activités autonomes peuventdevenir prépondérantes par rapport à lavie de travail, la sphère de la liberté parrapport à celle de la nécessité. Le tempsde la vie n’a plus à être géré en fonction dutemps de travail ; c’est le travail qui doittrouver sa place, subordonnée, dans unprojet de vie4.”

Récréation, création et action

Tout ceci entraînera forcément une réorga-nisation globale de notre société et néces-sitera un apprentissage du temps libre. Ilnous faudra beaucoup d’imagination pourmettre ces idées en œuvre mais nous enaurons le temps. L’universalisation et la“naturalisation” du travail moderne nousont amené à confondre le travail et lesfonctions dont il est le support. En relativi-sant son importance, nous pourrions enfindistinguer le travail de ses fonctions : nousapprendrions qu’il n’est pas en soi porteurde ces fonctions et pourrions leur créerd’autres supports. Nous redécouvririonsque l’humain ne se réalise pas seulementpar le travail.

Dans une conférence, de facture phéno-ménologique, Hannah Ardent distinguaittrois dimensions de la vie active : le travail,l’œuvre et l’action. Par le travail nous produisons les nécessités vitales quiassurent la subsistance du corps. C’estune tâche indéfiniment répétitive perpé-tuant le cycle de la production et de laconsommation des biens éphémères.L’œuvre de nos mains, contrairement autravail de nos corps, fabrique les objetsd’usage, durables et autonomes. Arendtrange l’œuvre d’art dans une sous-caté-gorie particulière des objets fabriquésdont elle se démarque par son “inutilité”.Enfin, l’action constitue, pour la philoso-phe comme pour ses ancêtres grecs, l’activité par laquelle l’homme s’élève àson essence d’“animal politique”. Ellen’est conditionnée ni par la nécessité nipar le manque. Couplée à la parole,

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l’action permet à l’homme de dire qui il estet d’apprendre à vivre avec ses sembla-bles5. Pour ma part, il me semble plus per-tinent d’annexer la fabrication au registredu travail et de faire de l’œuvre d’art ou dela démarche créative une catégorie à partentière.

A partir de cette typologie, nous pouvonsdessiner les grandes lignes d’une sociétéde travail réduit. Celui-ci confié auxmachines pour une grande part et mieuxréparti entre tous pour la part restante,nous pourrions alors nous déployerdavantage dans les sphères de l’œuvre etde l’action. Nous pourrions en faire lessupports de toutes les fonctions que lamodernité a associées au travail. Letemps libre ne serait pas un temps videmais un espace de créativité, de “récréati-vité” et d’interaction. Du côté de l’œuvre,une multitude d’activités autonomes, personnelles ou collectives, pourraientpermettre aux individus de se réaliser etde se rencontrer : art, sport, musique,écriture, formation continue, voyage, cuisine, rêverie, etc. Les tâches domesti-ques pourraient être mieux partagées etréinvesties de sens. La procréation etl’éducation des enfants sont évidemmentune œuvre à part entière. Du côté de l’action, nous pourrions réhabiliter lemodèle de la démocratie athénienne – sesesclaves étant remplacés par des machi-nes. Tous les citoyens, affranchis desbesoins et des corvées, pourraient enfins’impliquer dans la politique, au sensnoble de gestion des affaires de la cité. Ilspourraient aussi réfléchir ensemble auxchoix de production, en impliquant tousles points de vue : que voulons nous produire, dans quelles conditions, avec

quelles conséquences écologiques etsociales ? L’action trouvera aussi sesramifications dans de multiples engage-ments associatifs – ceux-ci désormaismoins destinés à panser les plaies de l’exclusion sociale qu’à penser toujoursplus créativement le vivre ensemble – quidynamiseront et enrichiront le tissu social.Une série d’activités (de soin, de surveil-lance,…), actuellement professionnaliséesen dépit de leur incompatibilité avec lalogique marchande, pourraient être prisesen charge sur un mode coopératif. Cescoopératives ouvriraient, entre les sphèresprivée et publique, un espace de sociali-sation et de souveraineté commune où lesindividus détermineraient ensemble leursbesoins communs et les moyens de lessatisfaire.

“Il faut être absolumentmoderne” (Rimbaud)

Avec un tel projet, il n’est pas question derefuser la modernité, de vouloir revenir à laterre ou à l’âge de pierre mais de pousserplus loin la modernité, de “moderniser sesprésupposés”. La modernité a été décisi-vement libératrice par rapport à l’escla-vage antique et aux dominations féodales(tant idéologiques que physiques).L’avènement du travail et du progrès apermis d’élever le niveau et la qualité devie de la majorité. Poussons la libérationplus loin. Notre liberté et notre volonté doivent s’emparer du potentiel de libéra-tion que contient le processus de moder-nisation. C’est une autre société qui sedégage de cet idéal où les activités nonéconomiques (culturelles, sociales, intel-lectuelles, conviviales, créatives,...)

seraient autonomes et prépondérantes.Cette autre société représente, aux yeuxd’André Gorz, le seul “sens” émancipateurpossible de l’évolution actuelle car “si leséconomies de temps de travail ne serventpas à libérer du temps et si le temps libérén’est pas celui du “libre épanouissementdes individualités”, alors ces économiesde temps de travail sont totalementdépourvues de sens. [...] la question est desavoir comment aller dans le seul sens quis’offre à nous, si sens il doit y avoir6.”

Mathieu BIETLOTCoordinateur sociopolitique

1 Les autres secteurs n’en continuent pas moins leur courseà la technologie : robotisation de l’agriculture, restructura-tions continues de l’industrie automobile, de la sidérurgie,…Certes, la suppression des emplois dans ces secteurs enEurope s’accompagne souvent de délocalisations qui offrentun nouvel avenir aux activités de transformation dans leTiers Monde mais les lois de la mondialisation, de la compé-titivité et de la rentabilité amèneront également ces écono-mies à substituer progressivement la technologie au labeurhumain. D’ores et déjà, les implantations d’industries dansces pays se révèlent incapables d’en absorber la démogra-phie galopante. 2 Pour un inventaire détaillé et richement documenté despotentiels de la technologie dans les différents secteursd’activité, voir Jeremy Rifkin, La fin du travail, trad. de l’amé-ricain par P. Rouve, Paris, La Découverte, 19963 GORZ, André. Métamorphoses du travail : Quête du sens,éd. Galilée, 1988, pp. 223-262. Dans ses ouvrages ulté-rieurs, notamment Misères du présent. Richesse du possible(Galilée, 1997), Gorz optera pour l’idée d’allocation univer-selle. Nous persistons à préférer la première proposition. Lescritiques qu’il adressait, en 1988, à l’allocation universellenous paraissant toujours pertinentes : celle-ci maintiendra etrenforcera la dualisation de la société, légitimée dès lors parune allocation de charité remplaçant la solidarité réelle ; enoutre, elle privera ceux qui ne travaillent pas d’identitésociale et de citoyenneté puisque le travail restera le vecteurprincipal de socialisation. 4 André Gorz, op. cit., p. 119.5 Hannah Arendt, “Travail, œuvre, action”, (traduit par D.Lories), Etudes Phénoménologiques, I, n°2, 1985, pp. 3-26. 6 André Gorz, op. cit., p. 225.

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Travail labeur, travail libérateur, avi-

lissant, socialisant, épanouissant

ou aliénant, productif, associatif…

Quelle que soit la manière dont on

l’envisage, le travail reste une

notion incontournable de notre

organisation sociale. Les sites qui

suivent traduisent une diversité

d’approches souvent porteuses de

projets de société bien distincts.

“La cloche dit : Prière ! Et l'enclume : Travail !”

Victor Hugo

PORTAIL

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http://www.decroissance.info/

“Celui qui croit qu’une croissance infinieest compatible avec un monde fini, est unfou ou un économiste” résument souventles décroissants… Site dédié à la décrois-sance et à la simplicité volontaire, décrois-sance info constitue une introductionsolide et souple d’utilisation. La rubrique“Découvrir” (‘Foire aux questions’,‘Brèves’, ‘Témoignages’) offre un aperçubref mais précis des différentes positionsdéfendues par les objecteurs de crois-sance, tandis qu’un approfondissementde chaque thème est possible grâce à larubrique “S’informer”. Le site est trèsdynamique et propose une plate-formeinteractive permettant de discuter (Forum,Article) et d’agir “en faveur d’un meilleuréquilibre entre l’homme et la nature”. Avisiter également le site du parti poli-tique français de la décroissance(http://www.partipourladecroissance.net)ainsi que le site des casseurs de pub(http://www.casseursdepub.org/), créa-teur du journal “La décroissance”, acces-sible via ce site. Bonnes visites et joyeuse décroissance !

http://www.stopchasseauxchomeurs.be

Suite aux plans de “contrôle renforcé deschômeurs” annoncé par le gouvernementVerhofstadt-Onkelinx en 2004, de nom-breux acteurs sociopolitiques et citoyensse sont mobilisés contre ce qui a étérebaptisé la “chasse aux chômeurs” encréant une plate-forme regroupant desdizaines d’associations, de collectifs, desyndicats et de partis politiques. Le rejetde ce plan se base sur une analysedénonçant le fait qu’on fasse porter la res-

ponsabilité du chômage aux chômeurs.Son véritable but serait en fait de fairebaisser l’ensemble des salaires et desconditions de travail. Toutes les informa-tions utiles sont accessibles sur ce site.

http://www.emploi.belgique.be/home.aspx

Le site du Service public fédéral Emploi,Travail et Concertation sociale (exMinistère fédéral de l’Emploi et du Travail)a fait peau neuve et présente une toutenouvelle structure qui devrait stimulervotre avidité d’informations utiles et “offi-cielles”.Recherche par mot clé (‘Guide de A à Z’),informations détaillées sur les sujets cou-verts par le SPF (10 thèmes), moteur derecherche, statistiques… Autant d’élé-ments qui font de ce site un outil d’infor-mation et de travail efficace. Convientaussi parfaitement pour animer vos soirées entre amis…Au boulot !

http://www.marxists.org/francais/lafargue/index.htm

“Une étrange folie possède les classesouvrières des nations où règne la civilisa-tion capitaliste. Cette folie traîne à sa suitedes misères individuelles et sociales qui,depuis des siècles, torturent la tristehumanité. Cette folie est l’amour du travail,la passion moribonde du travail, pousséejusqu’à l'épuisement des forces vitales del’individu et de sa progéniture. Au lieu deréagir contre cette aberration mentale, lesprêtres, les économistes, les moralistes,ont sacro-sanctifié le travail. Hommesaveugles et bornés, ils ont voulu être plussages que leur Dieu ; hommes faibles et

méprisables, ils ont voulu réhabiliter ceque leur Dieu avait maudit. Moi, qui neprofesse [point] d’être chrétien, économeet moral, j’en appelle de leur jugement àcelui de leur Dieu ; des prédications deleur morale religieuse, économique, librepenseuse, aux épouvantables conséquen-ces du travail dans la société capitaliste.”Pour ceux qui veulent se délecter de l’ou-vrage culte de Paul Lafargue, Le droit à laparesse (1880), le site marxist.org offretoute l’œuvre de Popol en un seul clik.Bonne lecture !

http://marredutravail.free.fr/

Ce site au titre explicite se chargera denous rappeler toutes les abominationsd’une société bercée par le discours pro-ductiviste ambiant et le retour à unesacralisation du travail.Marredutravail.fr s’ouvre sur un extraitaudio du film “Danger travail” mettant enscène le sociologue Loïc Wacquant enpleine diatribe face à notre incapacité depenser l’actualité de vie en dehors de laforme salariale. Le ton est donné. Le site à l’interface relativement simplemais néanmoins dynamique offre de nom-breuses rubriques dignes d’intérêt :fichiers audios et vidéos mêlant humour etressources académiques, une grandequantité de textes et de références biblio-graphiques, la possibilité d’achat de filmsthématiques… A noter son pendantanglophone http://www.whywork.org/Attention : site à absolument éviter le lundimatin sous peine d’absence injustifiée autravail.

M@rio FRISO

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AGENDA

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Le Conseil de l'Education Per-manente del'Université Libre de Bruxelles (CEPULB)propose une série de cycle de conféren-ces les lundis de 16h30 à 18h30, les mardis de 14h à 16h et les jeudis de 15h à17h.

Dates et thèmes pour les conférences dulundi de 16h30 à 18h30 (auditoireChavanne) :

Cycle 7 : Ethique et sciences de la vie.

Le 16/04/2007, Transplantations d'orga-nes et religions par Paul Kinnaert, docteuren médecine, professeur émérite à l'ULB.

Cycle 8 : Histoire

Le 23/04/2007, Archives et démocratiepar Didier Devriese, historien, directeur duservice des archives de l'ULB.Le 30/04/2007, La reine Elisabeth et lapromotion des échanges culturels avec lemonde communiste par Anne Morelli, historienne, professeur à l'ULB.

Dates et thèmes pour les conférences dumardi de 14h à 16h (auditoire Chavanne) :

Cycle 8 : Canada

Le 17/04/2007, Histoire de l'immigrationbelge au Canada par Serge Jaumain, his-torien, professeur à l'ULB.Le 24/04/2007, L'art rupestre amérindiendans la région des Grands Lacs par SergeLemaître, archéologue aux Musées royauxd'art et d'histoire de Bruxelles.

Dates et thèmes pour les conférences dujeudi de 15h à 17h (auditoire Guillissen):

Cycle 7 : Justice

Le 29/03/2007, La conscience du juge parJean de Codt, docteur en droit, conseillerà la cour de cassation

Cycle 8 : Bruxelles

Le 19/04/2007, Réalités sociales àBruxelles par Myriam De Spiegelaere,docteur en médecine et en santé publi-que, directrice de l'Observatoire de lasanté et du social de la Région deBruxelles-Capitale.Le 26/04/2007, 150 ans d'architecturescolaire à Bruxelles par Françoise Jurion-de Waha, historienne de l'art et archéolo-gie, Fondation Pégase.

PAF : gratuit pour les membres en règle

de cotisation et 5 € pour les non mem-bres.Renseignements : CEPULB CP160/12Av. F.D Roosevelt 50 (Square groupe G,bâtiment U, porte C, niveau 4 localUC4.240) à 1050 Bruxelles. Tél 02 650 24 26 (ouvert tous les joursouvrables de 9h30 à 12h)site Internet : www.ulb.ac.be/cepulb, courriel : [email protected]

Les Amis de la Morale Laïque d'Evere pro-pose deux manifestations

L'exposition Passeurs de frontières,témoignage sur la mémoire militante à tra-vers la mise en avant de 80 personnagesqui se sont engagés pour des causesdiverses, une exposition de BruxellesLaïque.

Date : du vendredi 4 mai 2007 ( vernis-sage à 20h ) au dimanche 13 mai 2007.Lieu : maison communale d'Evere, salleDelahaut, Square Moedemakers 10 à1140 Evere.P.A.F : gratuitRenseignements : Cécile Thiriaux 0495/ 48 96 34

Un débat L'école à l'épreuve du voile quisuit la sortie du livre de Nadia Geerts quisera l'invitée d'honneur de la soirée.

Date : mardi 17 avril 2007 à 20hLieu : centre culturel, rue de Paris 108 à1140 EvereP.A.F : gratuitRenseignements : [email protected]

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Calendrier des Fêtes de la JeunesseLaïque (cérémonies et spectacles)

Samedi 5/5/2007Lieux : Auderghem, Berchem SainteAgathe, Etterbeek, Ixelles, Schaerbeek,Watermael Boisfort.Horaire : 10hLieux : Bruxelles-Ville, Jette, WoluwéSaint Pierre.Horaire : 14h.

Dimanche 6/5/2007Lieux : Drogenbos, Evere, Forest,Ganshoren, Koekelberg, Kraainem,Linkebeek, Rhode Saint Genèse, Saint-Gilles, Saint-Josse, Wemmel,Wezembeek, Woluwé Saint Lambert.Horaire : 10hLieux : Anderlecht, Molenbeek SaintJean, UccleHoraire : 14hP.A.F : gratuit.

Organisateur : Comité Organisateur de laFête de la Jeunesse Laïque de l'agglomé-ration bruxelloise.Adresse de l'organisateur : AuditoriumJacques Brel- Campus du CERIA, avenueGryson 1 à 1070 Bruxelles.

Les Amis de la Morale Laïque deGanshgoren propose deux conférences(suivies du verre de l'amitié)

Le port de Bruxellespar Charles Huygbrens Date et heure : mardi 24/4/ 2007 à 19h45Lieu : Centre Culturel de Ganshoren,place Guido Gezelle “La Villa” àGanshoren.P.A.F : gratuit

Le port du voile par Madame NachawatiDate et heure : mardi 8/5/2007 à 19h45Lieu : Centre Culturel de Ganshoren,place Guido Gezelle “La Villa” àGanshoren.P.A.F : gratuit

Renseignements : AML de Ganshoren24/03 av. J-S Bach à 1083 Ganshoren(Madame Renée Leduc), Tél : 0477/79 96 49 courriel : [email protected]

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Philippe BOSSAERTSClément DARTEVELLEFrancis DE COCKJean-Antoine DE MUYLDERFrancis GODAUXAriane HASSIDEliane PAULETMichel PETTIAUXPaul-Henri PHILIPSYvon PONCIN Johannes ROBYNPascale SCHEERSLaurent SLOSSEDan VAN RAEMDONCKCédric VANDERVORST

Fabrice VAN REYMENANT

Mathieu BIETLOTMario FRISOPaola HIDALGOSophie LEONARDAbabacar N’DAWOlivia WELKE

Conseild’Administration

Direction

Comitéde rédaction

GRAPHISMECédric BENTZ & Jérôme BAUDET

EDITEUR RESPONSABLEAriane HASSID,

Présidente de Bruxelles Laïque,18-20 Av. de Stalingrad - 1000 Bruxelles

ABONNEMENTSLa revue est envoyée gratuitement aux membres de Bruxelles Laïque. Bruxelles Laïque vous propose une formule d’abonnement de soutien pour un

montant minimum de 7€ par an à verser au compte : 068-2258764-49.Les articles signés engagent la seule responsabilité de leurs auteurs.

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