Brunel, G. Choix, valeurs, théorisation. 2009

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CeROArt Numéro 4 (2009) Les dilemmes de la restauration ................. .................. ................. .................. .................. ................. ................. ................. ................. ................. ................ ................. .................. .................. .................. .................. .. George Brunel Choix, valeurs, théorisation Penser les pratiques d’aujourd’hui avec Cesare Brandi ................. .................. ................. .................. .................. ................. ................. ................. ................. ................. ................ ................. .................. .................. .................. .................. .. Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. Les œuvres figurant sur ce site peuvent être consultées et reproduites sur un support papier ou numérique sous réserve qu'elles soient stri ctement réservées à un usage soit personnel, soit scientifique ou pédagogique excluant toute exploitation commerci ale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'éditeur, le nom de la revue, l'auteur et la référence du document. Toute autre reproduction est interdite sauf accord préalable de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Revues.org est un portail de revues en sciences humaines et sociales développé par le Cléo, Centre pour l'édition électronique ouverte (CNRS, EHESS, UP, UAPV). ................. .................. ................. .................. .................. ................. ................. ................. ................. ................. ................ ................. .................. .................. .................. .................. .. Référence électronique George Brunel, « Choix, valeurs, théorisation », CeROArt [En ligne], 4 | 2009, mis en ligne le 14 octobre 2009. URL : http://ceroart.revues.org/index1316.html DOI : en cours d'attribution Éditeur : CeROArt asbl http://ceroart.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : http://ceroart.revues.org/index1316.html Document généré automatiquement le 01 novembre 2010. © Tous droits réservés

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CeROArtNuméro 4 (2009)Les dilemmes de la restauration

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George Brunel

Choix, valeurs, théorisationPenser les pratiques d’aujourd’hui avec CesareBrandi

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George Brunel

Choix, valeurs, théorisationPenser les pratiques d’aujourd’hui avec Cesare Brandi

1 Georges Brunel, vous êtes conservateur général et avez assumé entre la direction des études

de restauration à l’Ecole nationale du patrimoine. Vous avez collaboré à l’édition française deCesare Brandi, Théorie de la restauration, publiée en 20011. La traduction est précédée d’uneintroduction dont vous êtes l’auteur. Quelle a été l’occasion de cette publication ?

2 S’il y a quelque chose qui doive étonner, c’est qu’elle ait eu lieu si tard. Les écrits de Brandisur la restauration, comme ceux de Riegl, sont d’une importance capitale pour toute personneque le sujet concerne. Or, quarante ans après la première édition de la Teoria del restauro,ce livre restait presque inconnu en France. Ce sont deux professeurs de l’École nationale dupatrimoine dans le département restauration, Christine Mouterde et Patricia Vergez, qui ontconvaincu le directeur de l’époque, Jean-Pierre Bady, que l’institution s’honorerait en donnantau public une version française de Brandi.

3 Rendons tout de suite justice à la traductrice, Colette Desroches. Brandi écrit un italienextrêmement concis, et même elliptique, qui ajuste les mots avec une précision d’horloger dansdes phrases au tour resserré où le fil de la pensée a vite fait d’échapper. C’est un langage d’unesaveur aussi pénétrante que les vins de Toscane, presque impossible à traduire en français sanstomber, soit dans la lourdeur, soit dans l’obscurité, et parfois les deux. Colette Desroches estarrivée à donner un texte français d’une parfaite exactitude, quitte à recourir ici et là à des notesd’accompagnement, sans sacrifier l’aisance du discours. Les conservateurs et les restaurateursde langue française ne savent pas la chance qu’ils ont de disposer d’un texte aussi sûr et aussilisible. Pour avoir fait quelques comparaisons avec la traduction anglaise, je considère quenous sommes privilégiés.

4 Mais la pensée de Brandi sur la restauration, comment pourriez-vous la caractériser etpourquoi, selon vous, reste-t-elle actuelle ?

5 La grande force de Brandi est d’avoir conçu sa théorie de la restauration comme un

prolongement de sa théorie de l’art ou, pour mieux dire, de la déduire de sa théorie de l’art.Le caractère particulier du travail de restauration vient du fait qu’il porte sur des objetsétrangers par nature au monde des objets ordinaires. Pourquoi ce privilège ? Parce qu’ils ontété fabriqués, non pour servir, mais pour transmettre des images, et qu’il y a derrière la chosematérielle un objet mental, une pensée humaine ; s’ils ont une utilité, ce qui est le cas del’architecture et, en général, des productions des arts décoratifs, cette fonction (l’utensilità

dans la langue de Brandi) passe au second plan derrière leur fonction principale, qui est defaire jaillir une image dans l’esprit du spectateur.

6 Cette condition particulière que Brandi assigne à l’œuvre d’art est le fondement de laTeoria del restauro. Les différents chapitres ont d’abord été publiés sous la forme d’articles,entre 1950 et 1960. Brandi en a formé un livre en 1963 ; l’ouvrage a été réimprimé, sans

changements, en 1977, et plusieurs fois réimprimé depuis, sans toucher au texte de 1963. Cespages ont donc à peu près cinquante ans aujourd’hui. Cela signifie-t-il qu’elles ont vieilli,comme on l’entend dire quelquefois ? À mon avis, cela n’a pas plus de sens que de direque Descartes ou Kant ont vieilli. D’autres conceptions de l’art ont été formulées depuis, etsurtout la pratique des artistes a beaucoup évolué, c’est vrai. Mais le domaine de la réflexionn’est pas comme l’annuaire du téléphone et l’édition d’une année ne rend pas celle de l’annéeprécédente périmée.

7 Justement, vous venez d’assister à un colloque consacré à la restauration de l’art

contemporain : celui organisé en juin dernier par la SFIIC, en collaboration avec l’INP2.Quelles leçons voyez-vous à tirer de cette manifestation ?

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8 Les idées progressent de colloque en colloque et de publication en publication. Il est rarequ’elles fassent un bond d’un coup. Cependant un colloque est l’occasion de repérer le pointoù on est parvenu en matière de restauration. Rappelons-nous que c’est un domaine d’activitéqui existe depuis deux siècles au plus. L’art contemporain est un bon terrain d’exercice, car iloblige à affronter des questions que l’on serait parfois tenté de contourner.

9 Le problème des matériaux est à mon avis celui qui soulève le moins de difficultés du point devue de la théorie. Qu’il soit horriblement compliqué dans la pratique, ce dont je n’en doute pas,

est une autre affaire, mais elle ne nous concerne pas ici. Nous savons bien que, depuis le milieudu XXe siècle, les artistes ont commencé à se servir de matériaux qui n’avaient été utilisés parleurs prédécesseurs, soit parce qu’ils n’existaient pas, soit parce que personne ne songeait àen faire usage pour produire des œuvres d’art. C’est le second point qui est le plus ardu.

10 Depuis longtemps les responsables de collections, conservateurs et restaurateurs, ont imaginédes remèdes à ces questions. L’un des plus éprouvés consiste à demander aux artistes de livrerdes notices sur les matériaux qu’ils ont mis en œuvre et, dans le cas d’appareils comportantdes lampes, des circuits électriques, des écrans, des amplificateurs de son, et ainsi de suite,des pièces de rechange. On sait bien, en effet, que la technique évolue sans cesse et que, dansl’état actuel de notre civilisation, un téléviseur ou un ordinateur vieux de plus de cinq ans nese répare pas mais se remplace.

11

Et vous jugez que, sur ces points précis, Brandi peut nous aider ?12 Cela me paraît évident. Les outils de réflexion qu’il nous propose permettent parfaitement deformuler avec clarté les problèmes posés par des opérations du genre que je viens de dire.Rappelons-nous la manière dont il examine le rôle de la matière, au chapitre 2 de la Teoria, etsa distinction entre la structure et l’aspect. Bien sûr, les objets que Brandi avait dans l’espritétaient des enduits, des pierres ou du bois ; il ne songeait pas à des ampoules, ni des électrodesou des tubes cathodiques. Mais, tant que l’on a affaire à de la matière organisée de façon àproduire une image, la distinction entre structure et aspect reste valide. Avoir en magasin destéléviseurs ou des moniteurs informatiques de rechange n’est pas foncièrement différent dese procurer de la toile et de la colle pour consolider le support des peintures. Je pense quel’essentiel est ailleurs, dans les choix que l’on fait avant le début du travail pratique.

13 Si l’on tient pour acquis que toute restauration dépend de l’idée que l’on se fait de l’œuvre

d’art, sur ce point, tout de même, beaucoup de choses nouvelles se sont dites et écrites depuisles années 1950. Nous sommes tombés d’accord, lors de récents échanges, que des travauxcomme ceux de Gérard Genette apportent dans cette matière des lumières nouvelles. Quelleconséquence pratique devrait-on en tirer ?

14 Le moment de définir le but auquel on veut parvenir par la restauration d’une œuvre est celuides choix essentiels. Il faut se poser la question du statut de l’œuvre, question trop souventéludée quand elle n’est pas entièrement ignorée. Où se situe l’objet à restaurer ? Dans lesarts que Genette, après Nelson Goodman, appelle autographes (Genette préfère l’appellationrégime autographique à celle d’art autographe, mais cette distinction, pas du tout négligeable,n’est pas ce qui nous importe en ce moment), en gros la peinture, le dessin et la sculpture,l’objet directement sorti des mains de l’artiste a le statut d’expression dernière de sa volonté

et par conséquent un caractère irremplaçable. On peut aussi considérer que l’on a affaire àun simple modèle, appelé à se dégrader, ou copié, ou traduit dans un format ou un matériaudifférent par des élèves ou des assistants, les nouveaux exemplaires n’ayant pas une moindredignité que celui d’origine. On passe alors dans le régime allographique. La question del’authenticité de l’objet, garantie par sa provenance, n’est plus pertinente.

15 Les artistes d’aujourd’hui nous mettent souvent devant des situations de ce type. L’objet finalde leur création n’est pas toujours un objet unique et impossible à répéter, destiné à résister autemps. Il consiste souvent dans un geste, qui par définition s’efface en même temps qu’il se

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déploie, ou dans des objets voués à une existence éphémère par la nature même des matériauxqui les constituent.

16 Cela veut donc dire que le problème de la restauration de l’éphémère est une questionparadoxale, peut-être, mais néanmoins à prendre au sérieux ?

17 Oui, j’en suis convaincu, mais il faut chercher des réponses adéquates. Il ne sert à rien detorturer les notions élaborées par Brandi en les appliquant à des objets avec lesquels ellesn’ont rien à faire. Il ne faut pas dire non plus, parce que ces notions ne sont d’aucune utilité

en présence de certaines formes d’art contemporain, que ce sont des vieilleries dépassées.18 Revenons à notre colloque. Vous avez sans doute regardé comme moi les panneaux qui étaient

présentés en même temps que les communications au colloque ; ils sont reproduits à la fin desActes. L’un d’entre eux m’a beaucoup frappé. Une restauratrice de Genève s’y interrogeait,avec un grande lucidité, sur la restauration de l’éphémère. Prise littéralement, cette expressionn’a évidemment aucun sens, et la restauratrice dont je parle l’a bien compris. Aussi présentait-elle sa propre activité comme de la « ré-instauration » plutôt que de la restauration. Ce mot,d’une forme lourde et disgracieuse, n’est pas encore dans les dictionnaires ; la restauratricea soin de le mettre entre guillemets. Il a en revanche le mérite d’exprimer avec clarté cequ’il désigne. Poursuivant son raisonnement, cette « ré-instauratrice » (ici c’est moi quifabrique le terme) propose que, dans le cas d’objets éphémères par nature, « le conservateur-

restaurateur [soit] le garant de l’authenticité conceptuelle de l’œuvre. » Nous voici, je crois,au point central de nos débats3.19 Vous faites profession de fuir les néologismes et le langage ésotérique, et vous reprenez à

votre compte la notion d’« authenticité conceptuelle » ?20 Je n’irai pas jusque là, et j’ai peur au contraire que cette expression n’ait aucun sens. Mais j’y

vois un indice dont on peut tirer parti. Ce n’est pas un hasard si la « ré-instauratrice » soulèvela question de l’authenticité. Elle essaie de se débarrasser du problème par un jeu verbal, maiselle l’a parfaitement vu. Seulement les restaurateurs ont du mal à admettre l’idée que, parfois,le travail qu’ils font n’est pas de la restauration et que même, dans l’art contemporain, c’estfréquemment le cas. Si, dans l’expression que je viens de citer, vous remplacez « garant del’authenticité conceptuelle » par « exécutant autorisé », il me semble que le problème est déjàposé avec plus de clarté. Le restaurateur qui reconstitue un objet éphémère ou reproduit lesconditions d’un événement fugace met sa compétence de professionnel au service d’un autretype d’activité que la restauration. Connaissant les matériaux et les techniques de fabricationdes objets, ayant exercé son habileté manuelle et développé sa capacité de sympathiser avecles intentions et la manière du créateur, il est tout désigné pour jouer un rôle qu’on pourraitappeler provisoirement assistant d’artiste. Il reste à trouver un terme meilleur, en évitantconservateur-restaurateur, expression à mon avis lourde, obscure, et encore moins appropriéeque restaurateur tout court.

21 C’est ici que nous retrouvons Goodman et Genette. Sur la question de l’authenticité, il y adans Langages de l’art quelques pages où conservateurs et restaurateurs pourraient selon moitrouver une aide inestimable pour débrouiller les questions épineuses qui reviennent sans cesseles assaillir. Je pense au chapitre III, et plus spécialement au paragraphe intitulé : « Ce qu’on

ne peut pas contrefaire ». Je me risque ici à résumer d’une manière, je le crains, un petit peurustique le raisonnement du célèbre logicien de Harvard. Il part d’une constatation très simple :on peut produire, et il s’en recontre effectivement, des contrefaçons de tableaux ou de dessins,mais on ne contrefait pas des œuvres littéraires ou musicales. Pour prendre un exemple (jeprécise que ces exemples sont de mon invention), une copie de la célèbre Vue de Delft deVermeer, même en supposant qu’elle soit réussie au point de tromper des connaisseurs avertis,sera toujours qualifiée soit de faux, soit de brillant exercice, mais son possesseur ne pourrapas dire qu’il a chez lui la Vue de Delf de Vermeer ni la vendre pour telle. En revanche unepartition de la Symphonie pastorale correctement recopiée à partir de la partition de Beethoven

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sera simplement un nouvel exemplaire, mais personne ne soutiendra que c’est un faux et, demême, une exécution de cette partition recopiée sera une exécution de la Symphonie pastorale

comme une autre ; au sortir du concert, on aura effectivement entendu la Symphonie pastorale.22 Efforçons-nous toujours de suivre Goodman. La peinture exécutée par Vermeer de sa propre

main et intitulée Vue de Delft  forme un tout dont chaque partie, aussi infime soit-elle, estprésumée significative, ou, pour dire la chose autrement, elle n’est pas décomposable ; aucundétail, une transparence, un empâtement, fût-il imperceptible, ne peut être réputé indifférent

et la plus légère altération est une atteinte à l’intégrité de l’objet. Dans le cas de la Symphoniepastorale au contraire, l’orchestre et son chef, tout en respectant parfaitement la partition,peuvent en donner quantité d’exécutions différentes, selon le tempo qu’ils choisissent, lesaccents imprimés aux phrases, l’équilibre des divers pupitres, et ainsi de suite. Pourvu quele texte soit respecté, ce sera toujours la Symphonie pastorale. Dans le premier cas, nousavons affaire à un bloc où le texte de l’œuvre est formé par un objet physique, compact ethomogène, alors que dans le second cas le texte est noté selon un système articulé défini par uneconvention préalable. Dans le premier cas, toutes les propriétés de l’objet sont significatives ouprésumées telles ; dans le second, seules les propriétés exigées par la notation sont pertinenteset les autres peuvent varier sans dommage pour l’identité de l’œuvre.

23 Nous reconnaissons ici la distinction, que Genette a reprise, entre les œuvres qui se définissent

par leur identité numérique et celles qui se définissent par leur identité spécifique.24 C’est en effet le point où je voulais en venir. Si je ne me suis pas égaré en route, nous sommesarrivés à un carrefour où la route tracée par Goodman et Genette rencontre celle de Brandi.Notons en passant que celui-ci n’est cité par aucun des deux autres. Néanmoins le point derencontre dont je viens de parler existe. Rappelons-nous la manière dont Brandi caractérisel’unité de l’œuvre d’art, au chapitre 3 de la Teoria, « L’unità potenziale dell’opera d’arte ». Ellen’est pas l’unité qui résulte d’une somme de parties ; elle n’est pas davantage l’unité organiquedes êtres vivants. C’est une unité indivisible, l’unité de l’intero pour reprendre ce mot difficileà traduire en français ; il faudrait dire l’unité de l’un. Je crois qu’on peut reconnaître ici ce queGoodman décrit comme l’unité de l’objet autographe, c’est-à-dire l’objet que l’on ne reproduitpas en se servant d’un système de notation, mais qu’on peut seulement contrefaire par unecopie. Vous vous souvenez, ce sont des pages magnifiques, du raisonnement de Brandi sur letraitement des lacunes et l’œuvre à qui trop de mutilations ont fait perdre son unité potentielleet qui, par une sorte de déchéance tragique, est réduite à l’état de ruine (le rudero). Eh bien,tout cela peut parfaitement se lire dans la lumière glacée de Goodman sans rien perdre de saforce. Non, je ne crois pas que Brandi soit périmé.

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Notes

1 Brandi, C., Théorie de la restauration, Paris, Monum, Editions du patrimoine, 2001

2 Voir notamment le compte-rendu des actes, publié dans le présent numéro de CeROArt.

3 La restauratrice ici évoquée est Anita Durand, qui consacre un article à ce sujet dans ce numéro.

Pour citer cet article

Référence électroniqueGeorge Brunel, « Choix, valeurs, théorisation », CeROArt [En ligne], 4 | 2009, mis en ligne le 14octobre 2009. URL : http://ceroart.revues.org/index1316.html

George Brunel

Conservateur général et anciennement Directeur du Musée Cognac-Jay, Georges Brunel a égalementassumé les fonctions de Directeur des études de restauration à l’Ecole nationale du patrimoine. Il estl’auteur d’une lumineuse introduction à la Teoria del Restauro de Cesare Brandi.

Droits d'auteur

© Tous droits réservés

ndlr : Au fil de cet entretien, Georges Brunel met en évidence les traits pérennes de lapensée de Brandi, susceptibles d’éclairer encore les pratiques de restauration contemporaines.Il insiste également sur le rôle de la théorisation des problématiques, notamment en rappelantl’importance, pour les restaurateurs, des esthéticiens tels que Genette et Goodman.