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VOYAGE AUTOUR DU MONDE LOUIS-ANTOINE DE BOUGAINVILLE 1

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  • VOYAGE AUTOURDU MONDE

    LOUIS-ANTOINE DEBOUGAINVILLE

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  • PAR LA FRGATE LA BOUDEUSEET LA FLTE L'TOILE

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  • Au roi

    SIRE,Le voyage dont je vais rendre compte est le premier de cette

    espce entrepris par les Franais et excut par les vaisseaux de VOTREMAJEST. Le monde entier lui devait dj la connaissance de la figure dela terre. Ceux de vos sujets qui cette importante dcouverte taitconfie, choisis entre les plus illustres savants franais, avaientdtermin les dimensions du globe.L'Amrique, il est vrai, dcouverte et conquise, la route par mer frayeaux Indes et aux Moluques, sont des prodiges de courage et de succs quiappartiennent sans contestation aux Espagnols et aux Portugais.L'intrpide Magellan, sous les auspices d'un Roi qui se connaissait enhommes, chappa au malheur si ordinaire ses pareils, de passer pourun visionnaire; il ouvrit la barrire, franchit les pas difficiles et,malgr le sort qui le priva du plaisir de ramener son vaisseau Svilled'o il tait parti, rien ne put lui drober la gloire d'avoir le premier faitle tour du globe. Encourags par son exemple, les navigateurs anglais ethollandais trouvrent de nouvelles terres et enrichirent l'Europe enl'clairant.Mais cette espce de primaut et d'anesse en matire de dcouvertesn'empche pas les navigateurs franais de revendiquer avec justice unepartie de la gloire attache ces brillantes mais pnibles entreprises.Plusieurs rgions de l'Amrique ont t trouves par des sujetscourageux des Rois vos anctres; et Gonneville, n Dieppe, a le premierabord aux terres australes. Diffrentes causes tant intrieuresqu'extrieures ont paru depuis suspendre cet gard le got et l'activitde la maison.VOTRE MAJEST a Voulu profiter du loisir de la paix pour procurer lagographie des connaissances utiles l'humanit. Sous vos auspices,SIRE, nous sommes entrs dans la carrire; des preuves de tout genrenous attendaient chaque pas, la patience et le zle ne nous ont pasmanqu. C'est l'histoire de nos efforts que j'ose prsenter VOTREMAJEST, votre approbation en fera le succs.Je suis avec le plus profond respect,DE VOTRE MAJEST,SIRE,Le trs humble et trs soumis serviteur et sujet, DE BOUGAINVILLE.

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  • CHAPITRE I

    DISCOURS PRLIMINAIRE

    J'ai pens qu'il serait propos de prsenter la tte de ce rcit,l'numration de tous les voyages excuts autour du monde, et desdiffrentes dcouvertes faites jusqu' ce jour dans la mer du Sud ouPacifique.Ce fut en 1519 que Ferdinand Magellan, Portugais, commandant cinqvaisseaux espagnols, partit de Sville, trouva le dtroit qui porte sonnom, par lequel il entra dans la mer Pacifique, o il dcouvrit deuxpetites les dsertes dans le sud de la ligne, ensuite les les Larrones,et enfin les Philippines. Son vaisseau, nomm La Victoire revenu enEspagne, seul des cinq, par le cap de Bonne-Esprance, fut hiss terre Sville, comme un monument de cette expdition, la plus hardie peut-tre que les hommes eussent encore faite. Ainsi fut dmontrephysiquement, pour la premire fois, la sphricit et l'tendue de lacirconfrence de la terre.Drake, Anglais, partit de Plymouth avec cinq vaisseaux, le 15 septembre1577, y rentra avec un seul, le 3 novembre 1580. Il fit, le second, le tourdu globe. La reine Elisabeth vint manger son bord, et son vaisseau,nomm Le Plican, fut soigneusement conserv Deptfort dans un bassinavec une inscription honorable sur le grand mt. Les dcouvertesattribues Drake sont fort incertaines. On marque sur les cartes, dansla mer du Sud, une cte sous le cercle polaire, plus quelques les au nordde la ligne, plus aussi au nord la Nouvelle Albion.Le chevalier Thomas Cavendish, Anglais, partit de Plymouth le 21 juillet1586, avec trois vaisseaux, y rentra avec deux, le 9 septembre 1588. Cevoyage, le troisime fait autour du monde, ne produisit aucunedcouverte.Olivier de Noort, Hollandais, sortit de Rotterdam le 2 juillet 1598, avecquatre vaisseaux, passa le dtroit de Magellan, cingla le long des ctesoccidentales de l'Amrique, d'o il se rendit aux Larrones, auxPhilippines, aux Moluques, au cap de Bonne-Esprance, et rentra Rotterdam avec un seul vaisseau, le 26 aot 1601. Il n'a fait aucunedcouverte dans la mer du Sud.Georges Spilberg, Allemand au service de la Hollande, fit voile deZlande le 8 aot 1614, avec six navires, perdit deux vaisseaux avantque d'tre rendu au dtroit de Magellan, le traversa, fit des courses sur

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  • les ctes du Prou et du Mexique, d'o, sans rien dcouvrir dans sa route,il passa aux Larrones et aux Moluques. Deux de ses vaisseaux rentrrentdans les ports de Hollande le 1er juillet 1617.Presque dans le mme temps, Jacques Lemaire et Schoutenimmortalisaient leur nom. Ils sortent du Texel le 14 juin 1615, avec lesvaisseaux La Concorde et le Horn, dcouvrent le dtroit qui porte le nomde Lemaire, entrent les premiers dans la mer du Sud en doublant le capde Horn; y dcouvrent par quinze degrs quinze minutes de latitude sud,et environ cent quarante-deux degrs de longitude occidentale de Paris,l'le des Chiens; par quinze degrs de latitude sud cent lieues dansl'ouest, l'le sans Fond; par quatorze degrs quarante-six minutes sud, etquinze lieues plus l'ouest, l'le Water; vingt lieues de celle-l dansl'ouest, l'le des Mouches; par les seize degrs dix minutes sud, et decent soixante-treize cent soixante-quinze degrs de longitudeoccidentale de Paris, deux les, celle des Cocos, et celle des Tratres;cinquante lieues plus ouest, celle d'Esprance, puis l'le de Horn, parquatorze degrs cinquante-six minutes de latitude sud, environ centsoixante-dix neuf degrs de longitude orientale de Paris. Ensuite ilscinglent le long des ctes de la Nouvelle-Guine, passent entre sonextrmit occidentale et Gilolo, et arrivent Batavia en octobre 1616.Georges Spilberg les y arrte, et on les envoie en Europe sur desvaisseaux de la Compagnie: Lemaire meurt de maladie Maurice,Schouten revoit sa patrie. La Concorde et le Horn rentrrent aprs deuxans et dix jours.Jacques L'Hermite, Hollandais, et Jean Hugues Schapenham, commandantune flotte de onze vaisseaux, partirent en 1623 avec le projet de fairela conqute du Prou; ils entrrent dans la mer du Sud par le cap de Horn,et guerroyrent sur les ctes espagnoles, d'o ils se rendirent auxLarrones, sans faire aucune dcouverte dans la mer du Sud, puis Batavia. L'Hermite mourut en sortant du dtroit de la Sonde, et sonvaisseau, presque seul de sa flotte, ternit au Texel le 9 juillet 1626.En 1683, Cowley, Anglais, partit de la Virginie; il doubla le cap de Horn,fit diverses courses sur les ctes espagnoles, se rendit aux Larrones, etrevint par le cap de Bonne-Esprance en Angleterre, o il arriva le 12octobre 1686. Ce navigateur n'a fait aucune dcouverte dans la mer duSud; il prtend avoir dcouvert dans celle du Nord, par quarante-septdegrs de latitude australe et quatre-vingts lieues de la cte desPatagons, l'le Pepis. Je l'ai cherche trois fois, et les Anglais deux,sans la trouver.Wood Roger, Anglais, sortit de Bristol le 2 aot 1708, passa le cap de

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  • Horn, fit la guerre sur les ctes espagnoles jusqu'en Californie, d'o, parune route fraye dj plusieurs fois, il passa aux Larrones, auxMoluques, Batavia et, doublant le cap de Bonne Esprance, il ternit auxDunes le 1er octobre 1711.Dix ans aprs, Roggewin, Mecklembourgeois, au service de la Hollande,sortit du Texel avec trois vaisseaux, il entra dans la mer du Sud par lecap de Horn, y chercha la Terre de Davis sans la trouver; dcouvrit dansle sud du tropique austral l'le de Pques, dont la latitude est incertaine;puis, entre le quinzime et le seizime parallle austral, les lesPernicieuses, o il perdit un de ses vaisseaux; puis peu prs dans lamme latitude, les les Aurore, Vespres, le Labyrinthe compos de sixles, et l'le de la Rcration, o il relcha. Il dcouvrit ensuite, sous ledouzime parallle sud, trois les, qu'il nomma les de Bauman, et enfin,sous le onzime parallle austral, les les de Thienhoven et Groningue;naviguant ensuite le long de la Nouvelle-Guine et des Terres desPapous, il vint aborder Batavia, o ses vaisseaux furent confisqus.L'amiral Roggewin repassa en Hollande de sa personne sur les vaisseauxde la Compagnie, et arriva au Texel le 11 juillet 1723, six cent quatre-vingts jours aprs son dpart du mme lieu.Le got des grandes navigations paraissait entirement teint, lorsqueen 1741 l'amiral Anson fit autour du globe le voyage dont l'excellenterelation est entre les mains de tout le monde, et qui n'a rien ajout lagographie.Depuis ce voyage de l'amiral Anson, il ne s'en est point fait de grandpendant plus de vingt annes.L'esprit de dcouverte a sembl rcemment se ranimer.Le commodore Byron part des Dunes le 20 juin 1764, traverse le dtroitde Magellan, dcouvre quelques les dans la mer du Sud, faisant sa routepresque au nord-ouest, arrive Batavia le 28 novembre 1765, au Cap le24 fvrier 1766 et le 9 mai aux Dunes, six cent quatre-vingt-huit joursaprs son dpart.Deux mois aprs le retour du commodore Byron, le capitaine Wallis partd'Angleterre avec les vaisseaux le Deflin et le Swallow, il traverse ledtroit de Magellan, est spar du Swallow, que commandait le capitaineCarteret, au dbouquement dans la mer du Sud; il y dcouvre une leenviron par le dix-huitime parallle peu prs en aot 1767; ilremonte vers la ligne, passe entre les Terres des Papous, arrive Batavia en janvier 1768, relche au cap de Bonne-Esprance, et enfinrentre en Angleterre au mois de mai de la mme anne.Son compagnon Carteret, aprs avoir essuy beaucoup de misres dans la

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  • mer du Sud, arrive Macassar au mois de mars 1768, avec perte depresque tout son quipage, Batavia le 15 septembre, au cap de BonneEsprance la fin de dcembre. On verra que je l'ai rencontr la mer le18 fvrier 1769, environ par les onze degrs de latitude septentrionale.Il n'est arriv en Angleterre qu'au mois de juin.On voit que de ces treize voyages autour du monde aucun n'appartient la nation franaise, et que six seulement ont t faits avec l'esprit dedcouverte; savoir, ceux de Magellan, de Drake, de Lemaire, de Roggewin,de Byron et de Wallas; les autres navigateurs, qui n'avaient pour objetque de s'enrichir par les courses sur les Espagnols, ont suivi des routesconnues sans tendre la connaissance du globe.En 1714, un Franais, nomm La Barbinais le Gentil, tait parti sur unvaisseau particulier, pour aller faire le commerce sur les ctes du Chiliet du Prou. De l, il se rendit en Chine o, aprs avoir sjourn prs d'unan dans divers comptoirs, il s'embarqua sur un autre btiment que celuiqui l'y avait amen, et revint en Europe, ayant la vrit fait de sapersonne le tour du monde, mais sans qu'on puisse dire que ce soit unvoyage autour du monde fait par la nation franaise.Parlons maintenant de ceux qui, partant soit d'Europe, soit des ctesoccidentales de l'Amrique mridionale, soit des Indes orientales, ontfait des dcouvertes dans la mer du Sud, sans avoir fait le tour dumonde.Il parat que c'est un Franais, Paulmier de Gonneville, qui a fait lespremires en 1503 et 1504; on ignore o sont situes les terresauxquelles il a abord, et dont il a ramen un habitant, que legouvernement n'a point renvoy dans sa patrie, mais auquel Gonneville,se croyant alors personnellement engag envers lui, a fait pouser sonhritire.Alfonse de Salazar, Espagnol, dcouvrit en 1525 l'le Saint-Barthlemy, quatorze degrs de latitude nord, et environ cent cinquante-huitdegrs de longitude l'est de Paris.Alvar de Saavedra, parti d'un port du Mexique en 1526, dcouvrit, entrele neuvime et le onzime parallle nord, un amas d'les qu'il nomma lesles des Rois, peu prs par la mme longitude que l'le Saint-Barthlemy; il se rendit ensuite aux Philippines et aux Moluques; et, enrevenant au Mexique, il eut le premier connaissance des les ou terresnommes Nouvelle-Guine et Terres des Papous. Il dcouvrit encore pardouze degrs nord, environ quatre-vingts lieues dans l'est des les desRois, une suite d'les basses, nommes les les des Barbus.Diego Hurtado et Fernand de Grijalva, partis du Mexique en 1433, pour

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  • reconnatre la mer du Sud, ne dcouvrirent qu'une le situe par vingtdegrs de longitude ouest de Paris. Ils la nommrent le Saint-Thomas.Jean Gatan, appareill du Mexique en 1542, fit aussi sa route au nord dela ligne. Il y dcouvrit entre le vingtime et le neuvime parallle, deslongitudes diffrentes, plusieurs les; savoir, Rocca, Partida, les lesdu Corail, celles du Jardin, la Matelote, l'le d'Arzise, et enfin il aborda la Nouvelle-Guine ou plutt, suivant son rapport, la Nouvelle-Bretagne; mais Dampierre n'avait pas encore dcouvert le passage quiporte son nom.Le voyage suivant est plus fameux que tous les prcdents.Alvar de Mendoce et Mindana, partis du Prou en 1567, dcouvrirent lesles clbres que leur richesse fit nommer les de Salomon; mais, ensupposant que les dtails rapports sur la richesse de ces les ne soientpas fabuleux, on ignore o elles sont situes, et c'est vainement qu'onles a recherches depuis. Il parat seulement qu'elles sont dans la partieaustrale de la ligne, entre le huitime et le douzime parallle. L'leIsabella et la Terre de Guadalcanal, dont les mmes voyageurs fontmention, ne sont pas mieux connues.En 1579, Pedro Sarmiento, parti du Callao del Lima, avec deux vaisseaux,entra le premier par la mer du Sud dans le dtroit de Magellan. Il y fitdes observations importantes, et montra dans cette expdition autant decourage que d'intelligence. La relation de ce voyage a t imprime Madrid en 1768. Elle renferme des dtails intressants pour tous lesnavigateurs qui seront dans le cas de franchir le dtroit de Magellan.En 1595, Alvar de Mindana, qui avait t du voyage fait par Mendoce dansl'anne 1567, repartit du Prou avec quatre navires pour la recherchedes les de Salomon. Il avait avec lui Fernand de Quiros, devenu depuisclbre par ses propres dcouvertes. Mindana dcouvrit entre leneuvime et le onzime parallle mridional, environ par cent huitdegrs l'ouest de Paris, les les Saint-Pierre, Magdelaine, la Dominiqueet Christine, qu'il nomma les Marquises de Mendoce, du nom de dofiaIsabella de Mendoce, qui tait du voyage; environ vingt-quatre degrsplus l'ouest, il dcouvrit les les Saint-Bernard; presque deux centslieues dans l'ouest de celle-ci; l'le Solitaire, et enfin l'le Sainte-Croix,situe peu prs par cent quarante degrs de longitude orientale deParis. La flotte navigua de l aux Larrones, et enfin aux Philippines, on'arriva pas le gnral Mindana: on n'a pas su ce qu'tait devenu sonnavire.Fernand de Quiros, compagnon de l'infortun Mindana, avait ramen auProu dofia Isabella. Il en repartit avec deux vaisseaux, le 21 dcembre

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  • 1605, et prit sa route peu prs dans l'ouest-sud-ouest. Il dcouvritd'abord une petite le vers le vingt-cinquime degr de latitude sud,environ par cent vingt-quatre degrs de longitude occidentale de Paris;puis, entre dix-huit et dix-neuf degrs sud, sept ou huit autres lesbasses et presque noyes, qui portent son nom; et par le treizime degrde latitude sud, environ cent cinquante sept degrs l'ouest de Paris,l'le qu'il nomma de la Belle Nation. En recherchant ensuite l'le Sainte-Croix qu'il avait vue dans son premier voyage, recherche qui fut vaine, ildcouvrit par treize degrs de latitude sud, et peu prs cent soixante-seize degrs de longitude orientale de Paris, l'le de Taumaco, puis environ cent lieues l'ouest de cette le, par quinze degrs de latitudesud, une grande terre qu'il nomma la Terre australe du Saint-Esprit,terre que les divers gographes ont diversement place. L il finit decourir l'ouest, et reprit la fin de l'anne 1606, aprs avoir encoreinfructueusement cherch l'le Sainte-Croix.Abel Tasman, sorti de Batavia le 14 aot 1642, dcouvrit par quarante-deux degrs de latitude australe, et environ cent cinquante-cinq degrs l'est de Paris, une terre qu'il nomma Vandiemen; il la quitta faisantroute l'ouest, et environ cent soixante degrs de notre longitudeorientale, il dcouvrit la Nouvelle Zlande par quarante-deux degrs dixminutes sud. Il en suivit la cte environ jusqu'au trente-quatrime degrde latitude sud, d'o il cingla au nord-est, et dcouvrit par vingt-deuxdegrs trente-cinq minutes, environ cent soixante-quatorze degrs l'est de Paris, les les Pylstaart, Amsterdam et Rotterdam. Il ne poussapas ses recherches plus loin et revint Batavia en passant entre laNouvelle-Guine et Gilolo.On a donn le nom gnral de Nouvelle-Hollande une vaste suite, soitde terres, soit d'les, qui s'tend depuis le sixime jusqu'au trente-quatrime degr de latitude australe, entre le cent cinquime et le centquarantime degr de longitude orientale du mridien de Paris. Il taitjuste de la nommer ainsi, puisque ce sont presque tous des navigateurshollandais qui ont reconnu les diffrentes parties de cette contre. Lapremire terre dcouverte en ces parages fut la terre de Concorde,autrement appele d'Endracht, du nom du vaisseau que montait celui quil'a trouve en 1616, par le vingt-quatre et le vingt-cinquime degr delatitude sud. En 1618, une autre partie de cette terre, situe peu prssous le quinzime parallle, fut dcouverte par Zachen, qui lui donna lenom d'Amhem et de Diemen; et ce pays n'est pas le mme que celuinomm depuis Diemen par Tasman. En 1619, Jean d'Edels donna son nom une portion mridionale de la Nouvelle-Hollande. Une autre portion,

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  • situe entre le trentime et le trente-troisime parallle, reut celuide Lieuwin. Pierre de Nuitz, en 1627, imposa le sien une cte quiparat faire la suite de celle de Leuwin dans l'ouest. Guillaume de Wittappela de son nom une partie de la cte occidentale, voisine du tropiquedu Capricome, quoiqu'elle dt porter celui du capitaine Viane,Hollandais, qui, en 1628, avait pay l'honneur de cette dcouverte par laperte de son navire et de toutes ses richesses.Dans la mme anne 1628, entre le dixime et le vingtime parallle, legrand golfe de la Carpentarie fut dcouvert par Pierre Carpenter,Hollandais, et cette nation a souvent depuis fait reconnatre toute cettecte.Dampierre, Anglais, partant de la grande Timor, avait fait en 1687 unpremier voyage sur les ctes de la Nouvelle-Hollande, et tait abordentre la terre d'Amhem et celle de Diemen; cette course, fort courte,n'avait produit aucune dcouverte. En 1699, il partit d'Angleterre avecl'intention expresse de reconnatre toute cette rgion sur laquelle lesHollandais ne publiaient point les lumires qu'ils possdaient. Il enparcourut la cte occidentale depuis le vingt-huitime jusqu'auquinzime parallle. Il eut la vue de la terre de Concorde, de celle deWitt et conjectura qu'il pouvait exister un passage au sud de laCarpentarie. Il retourna ensuite Timor, d'o il revint visiter les lesdes Papous, longea la Nouvelle-Guine, dcouvrit le passage qui porteson nom, appela Nouvelle-Bretagne la grande le qui forme ce dtroit l'est, et reprit sa course pour Timor le long de la Nouvelle-Guine. C'estce mme Dampierre qui, depuis 1683, jusqu'en 1691, tantt flibustier,tantt commerant, avait fait le tour du monde en changeant de navires.Tel est l'expos succinct des divers voyages autour du globe, et desdcouvertes diffrentes faites dans le vaste ocan Pacifique, jusqu'autemps de notre dpart.Depuis notre retour en France et la premire dition de cet ouvrage, desnavigateurs anglais sont revenus d'un nouveau voyage autour du monde,et ce voyage me parat tre celui des modernes de cette espce o on afait le plus de dcouvertes en tous genres. Le nom du navire estl'Endeavour; il tait command par le capitaine Cook, et portait MM.Bancks et Solander, deux savants illustres. La relation de la partiemaritime du voyage a dj paru; et celle de MM. Bancks et Solander, avectous les dtails concernant l'histoire naturelle, est annonce pourl'hiver prochain. En attendant, j'ai cru propos de placer ici un abrg del'extrait de ce fameux voyage que M. Bancks lui-mme a envoy l'Acadmie des sciences de Paris.

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  • Partis de Plymouth le 25 aot 1768, ils arrivent la Terre de Feu, le 16janvier 1669 aprs deux relches, l'une Madre, l'autre Rio deJaneiro. Ils s'arrtent cinq jours la baie de Bon-Succs, et, ayantdoubl le cap de Horn, ils dirigent leur route sur Tahiti. Du 13 avril au13 juillet ils sjournent dans cette le, o ils observent en juin lepassage de Vnus sur le disque du soleil. En sortant de Tahiti, un desTahitiens embarqus avec eux les dtermine s'arrter quelques-unesdes les voisines; ils en visitent six o ils trouvent les mmes moeurset le mme langage qu' Tahiti.De l ils dirigent leur route pour attaquer la Nouvelle-Zlande parquarante degrs de latitude australe.Ils y atterrent le 3 octobre sur la cte orientale, et reconnaissentparfaitement, en six mois de circumnavigation, que la Nouvelle-Zlande,au lieu d'tre partie du continent austral, comme on le supposait assezgnralement, est compose de deux les sans aucune terre ferme dansle voisinage. Ils observent aussi qu'on y parle diffrents dialectes de lalangue de Tahiti, tous passablement entendus par le Tahitien embarqudans l'Endeavour.Leurs dcouvertes ne se bornent pas celles-l; aprs avoir quitt le 31mars 1770 les ctes de la Nouvelle-Zlande, ils viennent atterrer parles trente-huit degrs de latitude australe sur la partie orientale de laNouvelle-Hollande, ils la ctoient en remontant vers le nord, ils y fontplusieurs mouillages et des reconnaissances, jusqu'au 10 juin o ilschouent sur un rocher par les quinze degrs de latitude dans lesparages o l'on verra que je me suis trouv fort embarrass; ils restentchous vingt-trois heures et passent deux mois se radouber dans unpetit port voisin de ce rocher qui avait failli leur tre fatal. Aprs avoirt plusieurs autres fois en risque dans ces parages funestes, ilstrouvent enfin par dix degrs de latitude australe un dtroit entre laNouvelle-Hollande et les terres de la Nouvelle-Guine par lequel ilsdbouchent dans la mer des Indes.Insatiables de recherches, ils visitent encore les ctes mridionales etoccidentales de la Nouvelle-Guine, viennent ensuite ranger la ctemridionale de l'le Java, passent le dtroit de la Sonde, et arrivent le 9octobre Batavia. Ils y sjournent deux mois, relchent ensuite au capde Bonne-Esprance, l'le Sainte-Hlne, et mouillent enfin aux Dunesle 13 juillet 1771, ayant enrichi le monde de grandes connaissances engographie et de dcouvertes intressantes dans les trois rgnes de lanature.Cette esquisse fera dsirer impatiemment aux lecteurs la relation

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  • dtaille de cette instructive expdition, et doit me rendre encore plustimide publier le rcit de la mienne. Avant que de le commencer, qu'ilme soit permis de prvenir qu'on ne doit pas en regarder la relationcomme un ouvrage d'amusement: c'est surtout pour les marins qu'elle estfaite. D'ailleurs cette longue navigation autour du globe n'offre pas laressource des voyages de mer faits en temps de guerre, lesquelsfournissent des scnes intressantes pour les gens du monde. Encore sil'habitude d'crire avait pu m'apprendre sauver par la forme une partiede la scheresse du fond! Mais, quoique initi aux sciences ds ma plustendre jeunesse, o les leons que daigna me donner M. d'Alembert memirent dans le cas de prsenter l'indulgence du public un ouvrage surla gomtrie, je suis maintenant bien loin du sanctuaire des sciences etdes lettres; mes ides et mon style n'ont que trop pris l'empreinte de lavie errante et sauvage que je mne depuis douze ans. Ce n'est ni dans lesforts du Canada, ni sur le sein des mers, que l'on se forme l'artd'crire, et j'ai perdu un frre dont la plume aime du public et aid la mienne. Au reste, je ne cite ni ne contredis personne; je prtendsencore moins tablir ou combattre aucune hypothse. Quand mme lesdiffrences trs sensibles, que j'ai remarques dans les diversescontres o j'ai abord, ne m'auraient pas empch de me livrer cetesprit de systme, si commun aujourd'hui, et cependant si peucompatible avec la vraie philosophie, comment aurais-je pu esprer quema chimre, quelque vraisemblance que je susse lui donner, pt jamaisfaire fortune? Je suis voyageur et marin, c'est--dire un menteur et unimbcile aux yeux de cette classe d'crivains paresseux et superbes qui,dans l'ombre de leur cabinet, philosophent perte de vue sur le monde etses habitants, et soumettent imprieusement la nature leursimaginations. Procd bien singulier, bien inconcevable de la part desgens qui, n'ayant rien observ par eux-mmes, n'crivent, nedogmatisent que d'aprs des observations empruntes de ces mmesvoyageurs auxquels ils refusent la facult de voir et de penser. Jefinirai ce discours en rendant justice au courage, au zle, la patienceinvincible des officiers et quipages de mes deux vaisseaux. Il n'a past ncessaire de les animer par un traitement extraordinaire, tel quecelui que les Anglais ont cru devoir faire aux quipages de M. Byron. Leurconstance a t l'preuve des positions les plus critiques, et leurbonne volont ne s'est pas un instant ralentie. C'est que la nationfranaise est capable de vaincre les plus grandes difficults, et que rienn'est impossible ses efforts, toutes les fois qu'elle voudra se croireelle-mme l'gale au moins de telle nation que ce soit au monde.

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  • CHAPITRE II

    Dans le mois de fvrier 1764, la France avait commenc untablissement aux les Malouines. L'Espagne revendiqua ces les, commetant une dpendance du continent de l'Amrique mridionale; et sondroit ayant t reconnu par le roi, je reus l'ordre d'aller remettre nostablissements aux Espagnols, et de me rendre ensuite aux Indesorientales, en traversant la mer du Sud entre les tropiques. On me donnapour cette expdition le commandement de la frgate La Boudeuse, devingt-six canons de douze, et, je devais tre joint aux les Malouines parla flte L'toile, destine m'apporter les vivres ncessaires notrelongue navigation et me suivre pendant le reste de la campagne.Le retard, que diverses circonstances ont mis la jonction de cetteflte avec moi, a allong ma campagne de prs de huit mois.Dans les premiers jours du mois de novembre 1766, je me rendis Nantes o La Boudeuse venait d'tre construite, et o M. Duclos-Guyot,capitaine de brlot, mon second, en faisait l'armement. Je la trouvaiarque de sept pouces; ce qui provenait de ce qu'il s'est form un banc l'endroit o elle a t lance l'eau. Le 5 de ce mois, nous descendmesde Paimbeuf Mindin pour achever de l'armer; et le 15, nous fmes voilede cette rade pour nous rendre la rivire de la Plata. Je devais ytrouver les deux frgates espagnoles la Esmeralda et la Liebre sortiesdu Ferrol le 17 octobre, et dont le commandant tait charg de recevoirles les Malouines au nom de Sa Majest Catholique.

    Le 5 midi, nous appareillmes de la rade de Brest.Je fus oblig de couper mon cble trente brasses de l'ancre, le ventd'est trs frais et le jusant empchant de virer pic et me faisantapprhender d'abattre trop prs de la cte. Mon tat-major taitcompos de onze officiers, trois volontaires, et l'quipage de deux centtrois matelots, officiers mariniers, soldats, mousses et domestiques. M.le prince de Nassau Siegen avait obtenu du roi la permission de fairecette campagne. A quatre heures aprs-midi, le milieu de l'le d'ouessantme restait au nord-quart-nord-est du compas la distance d'environcinq lieues et demie, et ce fut d'o je pris mon point de dpart, sur leNeptune franais dont je me suis toujours servi dans le cours du voyage.Pendant les premiers jours nous emes assez constamment les ventsd'ouest-nord-ouest et sud-ouest, grand frais. Le 14, sept heures dusoir, le vent tant assez frais l'est-sud-est et la mer trs grosse de la

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  • partie de l'ouest et du nord-ouest, dans un roulis, le bout de bbord de lagrande vergue entra dans l'eau d'environ trois pieds, ce que nousn'aurions pas cru possible, la vergue tant haute.Le 17 aprs-midi, on eut connaissance des Salvages, le 18 de l'le dePalme et le 19 de l'le de Fer.Ce qu'on nomme les Salvages est une petite le d'environ une lieued'tendue de l'est l'ouest; elle est basse au milieu, mais chaqueextrmit s'lve un mondrain; une chane de roches, dont quelques-unesparaissent au-dessus de l'eau, s'tend du ct de l'ouest deux lieues del'le: il y a aussi du ct de l'est quelques brisants, mais qui ne s'encartent pas beaucoup.La vue de cet cueil nous avait avertis d'une grande erreur dans l'estimede notre route; mais je ne voulus l'apprcier qu'aprs avoir euconnaissance des les Canaries, dont la position est exactementdtermine.La vue de l'le de Fer me donna avec certitude cette correction quej'attendais. Le 19 midi, j'observai vingt-huit degrs deux minutes delatitude borale; et en la faisant cadrer avec le relvement de l'le deFer, pris cette mme heure, je trouvai une diffrence de quatre degrssept minutes, valant par le parallle de vingt-huit degrs deux minutes,environ soixante et douze lieues, donc j'tais plus est que mon estime.Cette erreur est frquente dans la traverse du cap Finisterre auxCanaries, et je l'avais prouve en d'autres voyages: les courants, par letravers du dtroit de Gibraltar, portant l'est avec rapidit.J'eus en mme temps occasion de remarquer que les Salvages sont malplaces sur la carte de M. Bellin. En effet, lorsque nous en emesconnaissance le 17 aprs-midi, la longitude que nous donnait leurrelvement diffrait de notre estime de trois degrs dix-sept minutes l'est. Cependant cette mme diffrence s'est trouve, le 19, de quatredegrs sept minutes, en corrigeant notre point sur le relvement de l'lede Fer, dont la longitude est dtermine par des observationsastronomiques. Il est remarquer que, pendant les deux jours coulsentre la vue des Salvages et celle de l'le de Fer, nous avons naviguavec un vent large, frais et assez gal, et qu'ainsi il doit y avoir eu bienpeu d'erreur dans l'estime de notre route. D'ailleurs, le 18, nousrelevmes l'le de Palme au sud-ouest-quart-ouest corrig, et selon M.Bellin, elle devait nous rester au sud-ouest. J'ai pu conclure de ces deuxobservations que M. Bellin a plac l'le des Salvages trente-deux minutesenviron plus l'ouest qu'elle n'y est effectivement. Au reste, sur lacarte anglaise du docteur Halley, cette le des Salvages est place

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  • trente lieues encore plus l'ouest que sur celle de M. Bellin.Je pris donc un nouveau point de dpart le 19 dcembre midi. Notreroute n'eut depuis rien de particulier jusqu' notre atterrage la rivirede la Plata.La nuit du 17 au 18 janvier, nous prmes deux oiseaux, dont l'espce estconnue des marins sous le nom de charbonniers. Ils sont de la grosseurd'un pigeon. Ils ont le plumage d'un gris fonc; le dessus de la tte blanc,entour d'un cordon d'un gris plus noir que le reste du corps, le beceffil, long de deux pouces et un peu recourb par le bout, les yeux vifs,les pattes jaunes, semblables celles des canards, la queue trs fourniede plumes et arrondie par le bout, les ailes fort dcoupes et chacuned'environ huit neuf pouces d'tendue. Les jours suivants nous vmesbeaucoup de ces oiseaux.Depuis le 27 janvier nous avions le fond et le 29 au soir nous vmes laterre, sans qu'il nous fut permis de la bien reconnatre, parce que le jourtait sur son dclin et que les terres de cette cte sont fort basses. Lanuit fut obscure, avec de la pluie et du tonnerre. Nous la passmes enpanne sous les huniers, tous les ris pris et le cap au large. Le 30, lespremiers rayons du jour naissant nous firent apercevoir les montagnesdes Maldonades. Alors, il nous fut facile de reconnatre que la terre vuela veille tait l'le de Lobos.Les Maldonades sont les premires terres hautes qu'on voit sur la ctedu nord aprs tre entr dans la rivire de la Plata, et les seulespresque jusqu' Montevideo. A l'est de ces montagnes, il y a un mouillagesur une cte trs basse. C'est une anse en partie couverte par un lot. LesEspagnols ont un bourg aux Maldonades, avec une garnison. On travailledepuis quelques annes, dans ses environs, une mine d'or peu fiche; on ytrouve aussi des pierres assez transparentes.A deux lieues dans l'intrieur, est une ville nouvellement btie, peupleentirement de Portugais dserteurs et nomme Pueblo Nuevo.Le 31, onze heures du matin, nous mouillmes dans la baie deMontevideo, par quatre brasses d'eau, fond de vase molle et noire. Nousavions pass la nuit du 30 au 31, mouills sur une ancre, par neufbrasses mme fond, quatre ou cinq lieues dans l'est de l'le de Flores.Les deux frgates espagnoles destines prendre possession des lesMalouines taient dans cette rade depuis un mois. Leur commandant, donPhilippe Ruis Puente, capitaine de vaisseau, tait nomm gouverneur deces les. Nous nous rendmes ensemble Buenos Aires afin d'y concerteravec le gouverneur gnral don Francisco Bucarelli les mesuresncessaires pour la cession de l'tablissement que je devais livrer aux

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  • Espagnols. Nous n'y sjournmes pas longtemps et je fus de retour Montevideo le 16 fvrier.Nous avions fait le voyage de Buenos Aires, M. le prince de Nassau etmoi, en remontant la rivire dans une golette; mais comme pour revenirde mme, nous aurions eu le vent debout, nous passmes la rivire vis--vis de Buenos Aires, au-dessus de la colonie du Saint-Sacrement, etfmes par terre le reste de la route jusqu' Montevideo o nous avionslaiss la frgate. Nous traversmes ces plaines immenses danslesquelles on se conduit par le coup d'oeil, dirigeant son chemin demanire ne pas manquer les gus des rivires, chassant devant soitrente ou quarante chevaux, parmi lesquels il faut prendre avec un lacsson relais lorsque celui qu'on monte est fatigu, se nourrissant deviande presque crue, et passant les nuits dans des cabanes faites decuir, o le sommeil est chaque instant interrompu par les hurlementsdes tigres qui rdent aux environs.Je n'oublierai de ma vie la faon dont nous passmes la rivire deSainte-Lucie, rivire fort profonde, trs rapide et beaucoup plus largeque n'est la Seine vis--vis des Invalides. On vous fait entrer dans uncanot troit et long, et dont un des bords est de moiti plus haut quel'autre; on force ensuite deux chevaux d'entrer dans l'eau, l'un tribord,l'autre bbord du canot, et le matre du bac tout nu, prcaution fortsage assurment, mais peu propre rassurer ceux qui ne savent pasnager, soutient de son mieux au-dessus de la rivire la tte des deuxchevaux, dont la besogne alors est de vous passer la nage de l'autrect, s'ils en ont la force.Don Ruis arriva Montevideo peu de jours aprs nous. Il y vint en mmetemps deux golettes charges l'une de bois et de rafrachissements,l'autre de biscuit et de farine, que nous embarqumes en remplacementde notre consommation depuis Brest. On avait employ le temps dusjour Montevideo calfater le btiment, raccommoder le jeu devoiles qui avait servi pendant la traverse, et remplir d'eau lesbarriques d'armement. Nous mmes aussi dans la cale tous nos canons, l'exception de quatre que nous conservmes pour les signaux, ce qui nousdonna de la place pour prendre bord une plus grande quantit debestiaux. Les frgates espagnoles tant galement prtes, nous nousdisposmes sortir de la rivire de la Plata.

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  • CHAPITRE III

    Buenos Aires est situe par trente-quatre degrs trente-cinqminutes de latitude australe; sa longitude de soixante degrs cinqminutes l'ouest de Paris a t dtermine par les observationsastronomiques du P. Feuille. Cette ville, rgulirement btie, estbeaucoup plus grande qu'il semble qu'elle devrait l'tre, vu le nombre deses habitants, qui ne passe pas vingt mille, blancs, ngres et mtis. Laforme des maisons est ce qui donne tant d'tendue. Si l'on excepte lescouvents, les difices publics, et cinq ou six maisons particulires,toutes les autres sont trs basses et n'ont absolument que le rez-de-chausse. Elles ont d'ailleurs de vastes cours et presque toutes desjardins. La citadelle, qui renferme le gouvernement, est situe sur lebord de la rivire et forme un des cts de la place principale; celui quilui est oppos est occup par l'htel de ville.La cathdrale et l'vch sont sur cette mme place o se tient chaquejour le march public.Il n'y a point de port Buenos Aires, pas mme un mle pour faciliterl'abordage des bateaux. Les vaisseaux ne peuvent s'approcher de la ville plus de trois lieues. Ils y dchargent leurs cargaisons dans desgolettes qui entrent dans une petite rivire nomme Rio Chuelo, d'oles marchandises sont portes en charrois dans la ville qui en est unquart de lieue. Les vaisseaux qui doivent carner ou prendre unchargement Buenos Aires se rendent la Encenada de Baragan, espcede port situ neuf ou dix lieues dans l'est-sud-est de cette ville.Il y a dans Buenos Aires un grand nombre de communauts religieuses del'un et de l'autre sexe. L'anne y est remplie de ftes de saints qu'onclbre par des processions et des feux d'artifice. Les crmonies duculte tiennent lieu de spectacles. Les moines nomment les premiresdames de la ville Majordomes de leurs fondateurs et de la Vierge. Cettecharge leur donne le droit et le soin de parer l'glise, d'habiller la statueet de porter l'habit de l'ordre. C'est pour un tranger un spectacle assezsingulier de voir dans les glises de Saint-Franois ou de Saint-Dominique des dames de tout ge assister aux offices avec l'habit de cessaints instituteurs.Les jsuites offraient la pit des femmes un moyen de sanctificationplus austre que les prcdents.Ils avaient attenant leur couvent une maison nomme la Casa de losejercicios de las mujeres, c'est--dire la maison des exercices des

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  • femmes. Les femmes et les filles, sans le consentement des maris nides parents, venaient s'y sanctifier par une retraite de douze jours.Elles y taient loges et nourries aux dpens de la compagnie. Nulhomme ne pntrait dans ce sanctuaire s'il n'tait revtu de l'habit desaint Ignace; les domestiques, mme du sexe fminin, n'y pouvaientaccompagner leurs matresses. Les exercices pratiqus dans ce lieusaint taient la mditation, la prire, les catchismes, la confession etla flagellation. On nous a fait remarquer les murs de la chapelle encoreteints du sang que faisaient, nous a-t-on dit, rejaillir les disciplinesdont la pnitence armait les mains de ces Madeleines.Au reste, la charit des moines ne fait point ici acception de personnes.Il y a des crmonies sacres pour les esclaves, et les dominicains onttabli une confrrie de ngres. Ils ont leurs chapelles, leurs messes,leurs ftes, et un enterrement assez dcent; pour tout cela, il n'en coteannuellement que quatre raux par ngre agrg. Les ngresreconnaissent pour patrons saint Benot de Palepne et la Vierge, peut-tre cause de ces mots de l'criture, nigra sum, sed formosa, jiliaJerusalem. Le jour de leur fte ils lisent deux rois, dont l'un reprsentele roi d'Espagne, l'autre celui de Portugal, et chaque roi se choisit unereine. Deux bandes, armes et bien vtues, forment la suite des roisune procession, laquelle marche avec croix, bannires et instruments. Onchante, on danse, on figure des combats d'un parti l'autre, et on rcitedes litanies. La fte dure depuis le matin jusqu'au soir; et le spectacleen est assez agrable.Les dehors de Buenos Aires sont bien cultivs. Les habitants de la ville yont presque tous des maisons de campagne qu'ils nomment quintas etleurs environs fournissent abondamment toutes les denres ncessaires la vie. J'en excepte le vin, qu'ils font venir d'Espagne ou qu'ils tirent deMendoza, vignoble situ deux cents lieues de Buenos Aires. Cesenvirons cultivs ne s'tendent pas fort loin; si l'on s'loigne seulement trois lieues de la ville, on ne trouve plus que des campagnesimmenses, abandonnes une multitude innombrable de chevaux et deboeufs, qui en sont les seuls habitants. A peine, en parcourant cettevaste contre, y rencontre-t-on quelques chaumires parses, btiesmoins pour rendre le pays habitable que pour constituer aux diversparticuliers la proprit du terrain, ou plutt celle des bestiaux qui lecouvrent. Les voyageurs qui le traversent n'ont aucune retraite et sontobligs de coucher dans les mmes charrettes qui les transportent etqui sont les seules voitures dont on se serve ici pour les longues routes.Ceux qui voyagent cheval, ce qu'on appelle aller la lgre, sont le

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  • plus souvent exposs coucher au bivouac au milieu des champs.Tout le pays est uni, sans montagnes et sans autres bois que celui desarbres fruitiers. Situ sous le climat de la plus heureuse temprature, ilserait un des plus abondants de l'univers en toutes sortes de productionss'il tait cultiv. Le peu de froment et de mas qu'on y sme y rapportebeaucoup plus que dans nos meilleures terres de France. Malgr ce cri dela nature, presque tout est inculte, les environs des habitations commeles terres les plus loignes; ou si le hasard fait rencontrer quelquescultivateurs, ce sont des ngres esclaves. Au reste, les chevaux et lesbestiaux sont en si grande abondance dans ces campagnes que ceux quipiquent les boeufs, en prennent ce qu'ils peuvent en manger etabandonnent le reste qui devient la proie des chiens sauvages et destigres: ce sont les seuls animaux dangereux de ce pays.Les chiens ont t apports d'Europe; la facilit de se nourrir en pleinecampagne leur a fait quitter les habitations, et ils se sont multiplis l'infini. Ils se rassemblent souvent en troupe pour attaquer un taureau,mme un homme cheval, s'ils sont presss par la faim. Les tigres nesont pas en grande quantit, except dans les lieux boiss, et il n'y a queles bords des petites Rivires qui le soient. On connat l'adresse deshabitants de ces contres se servir du lasso et il est certain qu'il y ades Espagnols qui ne craignent pas d'enlacer des tigres: il ne l'est pasmoins que plusieurs finissent par tre la proie de ces redoutablesanimaux. J'ai vu Montevideo une espce de chat-tigre, dont le poilassez long est gris-blanc. L'animal est trs bas sur jambes et peut avoircinq pieds de longueur: il est dangereux, mais fort rare.Le bois est trs cher Buenos Aires et Montevideo.On ne trouve dans les environs que quelques petits bois peine propres brler. Tout ce qui est ncessaire pour la charpente des maisons, laconstruction et le radoub des embarcations qui naviguent dans la rivirevient du Paraguay en radeaux.Les naturels, qui habitent cette partie de l'Amrique, au nord et au sudde la rivire de la Plata, sont du nombre de ceux qui n'ont pu tre encoresubjugus par les Espagnols et qu'ils nomment Indios bravos. Ils sontd'une taille mdiocre, fort laids et presque tous galeux.Leur couleur est trs basane et la graisse dont ils se frottentcontinuellement les rend encore plus noirs. Ils n'ont d'autre vtementqu'un grand manteau de peau de chevreuil, qui leur descend jusqu'auxtalons, et dans lequel ils s'enveloppent. Les peaux dont il est compossont trs bien passes: ils mettent le poil en dedans, et le dehors estpeint de diverses couleurs. La marque distinctive des caciques est un

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  • bandeau de cuir dont ils se ceignent le front; il est dcoup en forme decouronne et orn de plaques de cuivre. Leurs armes sont l'arc et laflche: ils se servent aussi du lasso et de boules. Ces Indiens passentleur vie cheval et n'ont pas de demeures fixes, du moins auprs destablissements espagnols. Ils y viennent quelquefois avec leurs femmespour y acheter de l'eau-de-vie et ils ne cessent d'en boire que quandl'ivresse les laisse absolument sans mouvement. Pour se procurer desliqueurs fortes, ils vendent armes, pelleteries, chevaux; et quand ils ontpuis leurs moyens, ils s'emparent des premiers chevaux qu'ilstrouvent auprs des habitations et s'loignent. Quelquefois ils serassemblent en troupes de deux ou trois cents pour venir enlever lesbestiaux sur les terres des Espagnols, ou pour attaquer les caravanesdes voyageurs. Ils pillent, massacrent et emmnent en esclavage. C'estun mal sans remde: comment dompter une nation errante, dans un paysimmense et inculte, o il serai mme difficile de la rencontrer?D'ailleurs ces Indiens sont courageux, aguerris, et le temps n'est plus oun Espagnol faisait fuir mille Amricains.Il s'est form depuis quelques annes dans le nord de la rivire une tribude brigands qui pourra devenir plus dangereuse aux Espagnols s'ils neprennent des mesures promptes pour la dtruire. Quelques malfaiteurschapps la justice s'taient retirs dans le nord des Maldonades; desdserteurs se sont joints eux: insensiblement le nombre s'est accru;ils ont pris des femmes chez les Indiens et commenc une race qui nevit que de pillage. Ils viennent enlever des bestiaux dans les possessionsespagnoles pour les conduire sur les frontires du Brsil, o ils leschangent avec les Paulistes contre des armes et des vtements.Malheur aux voyageurs qui tombent entre leurs mains. On assure qu'ilssont aujourd'hui plus de six cents. Ils ont abandonn leur premirehabitation et se sont retirs plus loin de beaucoup dans le nord-ouest.Le gouverneur gnral de la province de La Plata rside, comme nousl'avons dit, Buenos Aires. Dans tout ce qui ne regarde pas la mer, il estcens dpendre du vice-roi du Prou; mais l'loignement rend cettedpendance presque nulle, et elle n'existe rellement que pour l'argentqu'il est oblig de tirer des mines du Potosi, argent qui ne viendra plusen pices connues depuis qu'on a tabli cette anne mme dans le Potosiun htel des monnaies. Les gouvernements particuliers du Tucuman et duParaguay dpendent, ainsi que les fameuses missions des jsuites, dugouverneur gnral de Buenos Aires. Cette vaste province comprend enun mot toutes les possessions espagnoles l'est des Cordillres, depuisla rivire des Amazones jusqu'au dtroit de Magellan. Il est vrai qu'au

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  • sud de Buenos Aires il n'y a plus aucun tablissement, la seule ncessitde se pourvoir en sel fait pntrer les Espagnols dans ces contres. Ilpart cet effet tous les ans de Buenos Aires un convoi de deux centscharrettes, escort par trois cents hommes; il va par quarante degrsenviron se charger de sel dans les lacs voisins de la mer, o il se formenaturellement.Le commerce de la province de La Plata est le moins riche de l'Amriqueespagnole; cette province ne produit ni or ni argent et ses habitants sonttrop peu nombreux pour qu'ils puissent tirer du sol tant d'autresrichesses qu'il renferme dans son sein; le commerce mme de BuenosAires n'est pas aujourd'hui ce qu'il tait il y a dix ans: il estconsidrablement dchu depuis que ce qu'on y appelle l'internation desmarchandises n'est plus permise, c'est--dire depuis qu'il est dfendude faire passer les marchandises d'Europe par terre de Buenos Airesdans le Prou et le Chili; de sorte que les seuls objets de son commerceavec ces deux provinces sont aujourd'hui le coton, les mules et le matou l'herbe du Paraguay. L'argent et le crdit des ngociants de Lima ontfait rendre cette ordonnance contre laquelle rclament ceux de BuenosAires. Le procs est pendant Madrid, o je ne sais quand ni comment onle jugera. Cependant Buenos Aires est riche, j'en ai vu sortir un vaisseaude registre avec un million de piastres; et si tous les habitants de cepays avaient le dbouch de leurs cuirs avec l'Europe, ce commerce seulsuffirait pour les enrichir. Avant la dernire guerre il se faisait ici unecontrebande norme avec la colonie du Saint-Sacrement, place que lesPortugais possdent sur la rive gauche du fleuve, presque en face deBuenos Aires; mais cette place est aujourd'hui tellement resserre parles nouveaux ouvrages dont les Espagnols l'ont enceinte que lacontrebande avec elle est impossible s'il n'y a connivence; les Portugaismme qui l'habitent sont obligs de tirer par mer leur subsistance duBrsil. Enfin ce poste est ici l'Espagne, l'gard des Portugais, ce quelui est en Europe Gibraltar l'gard des Anglais.La ville de Montevideo, tablie depuis quarante ans, est situe la riveseptentrionale du fleuve, trente lieues au-dessus de son embouchure, etbtie sur une presqu'le qui dfend des vents d'est une baie d'environdeux liques de profondeur sur une de largeur son entre. A la pointeoccidentale de cette baie est un mont isol, assez lev, lequel sert dereconnaissance et a donn le nom la ville; les autres terres quil'environnent sont trs basses. Le ct de la plaine est dfendu par unecitadelle: plusieurs batteries protgent le ct de la mer et lemouillage; il y en a mme une au fond de la baie sur une le fort petite,

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  • appele l'le aux Franais. Le mouillage de Montevideo est sr, quoiqu'ony essuie quelquefois des pamperos, qui sont des tourmentes de vent desud-ouest, accompagns d'orages affreux.Montevideo a un gouverneur particulier, lequel est immdiatement sousles ordres du gouverneur gnral de la province. Les environs de cetteville sont presque incultes et ne fournissent ni froment ni mas; il fautfaire venir de Buenos Aires la farine, le biscuit et les autres provisionsncessaires aux vaisseaux. Dans les jardins, soit de la ville, soit desmaisons qui en sont voisines, on ne cultive presque aucun lgume; on ytrouve seulement des melons, des courges, des figues, des pches, despommes et des coings en grande quantit. Les bestiaux y sont dans lamme abondance que dans le reste de ce pays; ce qui, joint la salubritde l'air, rend la relche Montevideo excellente pour les quipages; ondoit seulement y prendre des mesures contre la dsertion. Tout y invitele matelot, dans un pays o la premire rflexion qui le trappe enmettant pied terre c'est que l'on y vit presque sans travail. En effet,comment rsister la comparaison de couler dans le sein de l'oisivetdes jours tranquilles sous un climat heureux, ou de languir affaiss sousle poids d'une vie constamment laborieuse et d'acclrer dans lestravaux de la mer les douleurs d'une vieillesse indigente?

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  • CHAPITRE IV

    Le 28 fvrier 1767, nous appareillmes de Montevideo avec lesdeux frgates espagnoles et une tartane charge de bestiaux. Nousconvmnes don Ruis et moi, qu'en rivire il prendrait la tte, et qu'unefois au large, je conduirais la marche. Toutefois, pour obvier au cas desparation, j'avais donn chacune des frgates un pilote des Malouines.L'aprs-midi il fallut mouiller, la brume ne permettant de voir ni lagrande terre ni l'le de Flores. Le vent fut contraire le lendemain; jecomptais nanmoins que nous appareillerions, les courants assez fortsdans cette rivire favorisant les bordes; mais voyant le jour presquecoul sans que le commandant espagnol fit aucun signal, j'envoyai unofficier pour lui dire que, venant de reconnatre l'le de Flores dans uneclaircie, je me trouvais mouill beaucoup trop prs du banc auxAnglais, et que mon avis tait d'appareiller le lendemain, vent contraireou non. Don Ruis me fit rpondre qu'il tait entre les mains du pilotepratique de la rivire, qui ne voulait lever l'ancre que d'un vent favorableet fait. L'officier alors le prvint de ma part que je mettrais la voileds la pointe du jour et que je l'attendrais en louvoyant, ou mouill plusau nord, moins que les mares ou la force du vent ne me sparassent delui malgr moi.La tartane n'avait point mouill la veille et nous la perdimes de vue lesoir pour ne plus la revoir. Elle revint Montevideo trois semainesaprs, sans avoir rempli sa mission. La nuit fut orageuse, le pamperossouffla avec furie et nous fit chasser: une seconde ancre que nousmouillmes nous tala . Le jour nous montra les vaisseaux espagnols,mts de hune et basses vergues amens, lesquels avaient beaucoup pluschass que nous. Le vent tait encore contraire et violent, la mer trsgrosse, ce ne fut qu' neuf heures que nous pmes appareiller sous lesquatre voiles majeures; midi nous avions perdu de vue les Espagnolsdemeurs l'ancre et le 3 mars au soir, nous tions hors de la rivire.Nous emes, pendant la traverse aux Malouines, des vents variables dunord-ouest au sud-ouest, presque toujours gros temps et mauvaise mer:nous fmes contraints de passer la cape le 15 et le 16, ayant essuyquelques avaries. D'ailleurs notre mture exigeait le plus grandmnagement, la frgate drivait outre mesure, sa marche n'tait pointgale sur les deux bords, et le gros temps ne nous permettait pas detenter des changements dans son arrimage qui eussent pu la mettremieux dans son assiette. En gnral les btiments fins et longs sont

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  • tellement capricieux; leur marche est assujettie un si grand nombre decauses souvent imperceptibles, qu'il est fort difficile de dmler cellesdont elle dpend. On n'y va qu' ttons, et les plus habiles y peuventprendre le change.Depuis le 17 aprs-midi que nous commenmes trouver le fond, letemps fut toujours charg d'une brume paisse. Le 19, ne voyant pas laterre, quoique l'horizon se fut clairci et que, par mon estime, je fussedans l'est des les Sbaldes, je craignis d'avoir dpass les Malouines etje pris le parti de courir l'ouest; le vent, ce qui est fort rare dans cesparages, favorisait cette rsolution. Je fis grand chemin cette routependant vingt-quatre heures et, ayant alors trouv les sondes de la ctedes Patagons, Je fus assur de ma position et je repris avec confiance laroute l'est. En effet, le 21, quatre heures aprs midi, nous emesconnaissance des Sbaldes qui nous restaient au nord-est-quart-d'est huit ou dix lieues de distance, et bientt aprs nous vmes la terre desMalouines.Le 23 au soir, nous entrmes et mouillmes dans la grande baie, omouillrent aussi le 24 les deux frgates espagnoles. Elles avaientbeaucoup souffert dans leur traverse, le coup de vent du 16 les ayantobliges d'arriver vent arrire, et la commandante ayant reu un coup demer qui avait emport ses bouteilles, enfonc les fentres de sa grand-chambre et mis beaucoup d'eau bord. Presque tous les bestiauxembarqus Montevideo, pour la colonie, avaient pri par le mauvaistemps. Le 25, les trois btiments entrrent dans le port et s'yamarrrent.Le 1er avril, je livrai notre tablissement aux Espagnols qui en prirentpossession en arborant l'tendard d'Espagne, que la terre et lesvaisseaux salurent de vingt et un coups de canon au lever et au coucherdu soleil. J'avais lu aux Franais habitants de cette colonie naissanteune lettre du roi, par laquelle Sa Majest leur permettait d'y rester sousla domination du roi catholique. Quelques familles profitrent de cettepermission; le reste, avec l'tat-major, fut embarqu sur les frgatesespagnoles, lesquelles appareillrent pour Montevideo le 27 au matin.Pour moi je fus contraint de rester aux Malouines attendre L'toilesans laquelle je ne pouvais continuer mon voyage.

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  • CHAPITRE V

    C'est en 1580 que l'on voit les jsuites admis pour la premirefois dans ces fertiles rgions, o ils ont depuis fond, sous le rgne dePhilippe III, les missions fameuses auxquelles on donne en Europe le nomdu Paraguay, et plus propos en Amrique celui de l'Uruguay, rivire surlaquelle elles sont situes. Elles ont toujours t divises en peuplades,faibles d'abord et en petit nombre, mais que des progrs successifs ontport jusqu' celui de trente-sept; savoir, vingt-neuf sur la rive droitede l'Uruguay, et huit sur la rive gauche, rgies chacune par deux jsuitesen habit de l'ordre. Deux motifs qu'il est permis aux souverains d'allier,lorsque l'un ne nuit pas l'autre, la religion et l'intrt, avaient faitdsirer aux monarques espagnols la conversion de ces Indiens; en lesrendant catholiques on civilisait des hommes sauvages, on se rendaitmatre d'une contre vaste et abondante; c'tait ouvrir la mtropoleune nouvelle source de richesses et acqurir des adorateurs au vrai Dieu.Les jsuites se chargrent de remplir ces vues, mais ils reprsentrentque, pour faciliter le succs d'une si pnible entreprise il fallait qu'ilsfussent indpendants des gouverneurs de la province et que mme aucunEspagnol ne pntrt dans le pays.Le motif qui fondait cette demande tait la crainte que les vices desEuropens ne diminuassent la ferveur des nophytes, ne les loignassentmme du christianisme, et que la hauteur espagnole ne leur rendtodieux un joug trop appesanti. La cour d'Espagne, approuvant ces raisons,rgla que les missionnaires seraient soustraits l'autorit desgouverneurs, et que le trsor leur donnerait chaque anne soixante millepiastres pour les frais des dfrichements, sous la condition qu' mesureque les peuplades seraient formes et les terres mises en valeur, lesIndiens paieraient annuellement au roi une piastre par homme depuisl'ge de dix-huit ans jusqu' celui de soixante. On exigea aussi que lesmissionnaires apprissent aux Indiens la langue espagnole; mais cetteclause ne parat pas avoir t excute.Les jsuites entrrent dans la carrire avec le courage des martyrs etune patience vraiment anglique. Il fallait l'un et l'autre pour attirer,retenir, plier l'obissance et au travail des hommes froces,inconstants, attachs autant leur paresse et leur indpendance.Les obstacles furent infinis, les difficults renaissaient chaque pas;le zle triompha de tout, et la douceur des missionnaires amena enfin leurs pieds ces farouches habitants des bois. En effet, ils les runirent

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  • dans des habitations, leur donnrent des lois, introduisirent chez eux lesarts utiles et agrables; enfin, d'une nation barbare, sans moeurs et sansreligion, ils en firent un peuple doux, polic, exact observateur descrmonies chrtiennes. Ces Indiens, charms par l'loquence persuasivede leurs aptres, obissaient volontiers des hommes qu'ils voyaient sesacrifier leur bonheur; de telle faon que, quand ils voulaient seformer une ide du roi d'Espagne, ils le reprsentaient sous l'habit desaint Ignace.Cependant il y eut contre son autorit un instant de rvolte dans l'anne1757. Le roi catholique venait d'changer avec le Portugal les peupladesdes missions situes sur la rive gauche de l'Uruguay contre la colonie duSaint-Sacrement. L'envie d'anantir la contrebande norme, dont nousavons parl plusieurs fois, avait engag la cour de Madrid cet change.L'Uruguay devenait ainsi la limite des possessions respectives des deuxcouronnes; on faisait passer sur sa rive droite les Indiens des peupladescdes, et on les ddommageait en argent du travail de leurdplacement. Mais ces hommes, accoutums leurs foyers, ne purentsouffrir d'tre obligs de quitter des terres en pleine valeur pour enaller dfricher de nouvelles. Ils prirent donc les armes: depuislongtemps on leur avait permis d'en avoir pour se dfendre contre lesincursions des Paulistes, brigands sortis du Brsil et qui s'taientforms en rpublique vers la fin du XVIe sicle. La rvolte clata sansqu'aucun jsuite part jamais la tte des Indiens.On dit mme qu'ils furent retenus par force dans les villages pour yexercer les fonctions du sacerdoce. Le gouverneur gnral de la provincede La Plata, dom Joseph Andonaighi, marcha contre les rebelles, suivi dedom Joachim de Viana, gouverneur de Montevideo.Il les dfit dans une bataille o il prit plus de deux mille Indiens. Ils'achemina ensuite la conqute du pays; et dom Joachim, voyant laterreur qu'une premire dfaite y avait rpandue, se chargea avec sixcents hommes de le rduire en entier. En effet, il attaqua la premirepeuplade, s'en empara sans rsistance et, celle-l prise, toutes lesautres se soumirent.Sur ces entrefaites la cour d'Espagne rappela dom Joseph Andonaighi etdom Pedro Cevallos arriva Buenos Aires pour le remplacer. En mmetemps Viana reut ordre d'abandonner les missions et de ramener sestroupes. Il ne fut plus question de l'change, projet entre les deuxcouronnes, et les Portugais, qui avaient march contre les Indiens avecles Espagnols, revinrent avec eux. C'est dans le temps de cetteexpdition que s'est rpandu en Europe le bruit de l'lection du roi

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  • Nicolas, Indien dont en effet les rebelles firent un fantme de royaut.Dom Joachim de Viana m'a dit que, quand il eut reu l'ordre de quitterles missions, une grande partie des Indiens, mcontents de la vie qu'ilsmenaient, voulaient le suivre. Il s'y opposa, mais il ne put empcher quesept familles ne l'accompagnassent, et il les tablit aux Maldonades oelles donnent aujourd'hui l'exemple de l'industrie et du travail. Je fussurpris de ce qu'il me dit au sujet de ce mcontentement des Indiens.Comment l'accorder avec tout ce que j'avais lu sur la manire dont ilstaient gouverns? J'aurais cit les lois des missions, comme le modled'une administration faite pour donner aux humains le bonheur et lasagesse.En effet, quand on se reprsente de loin et en gnral ce gouvernementmagique fond par les seules armes spirituelles, et qui n'tait li quepar les chanes de la persuasion, quelle institution plus honorable l'humanit! C'est une socit qui habite une terre fertile sous un climatfortun, dont tous les membres sont laborieux et o personne netravaille pour soi; les fruits de la culture commune sont rapportsfidlement dans les magasins publics, d'o l'on distribue chacun ce quilui est ncessaire pour sa nourriture, son habillement et l'entretien deson mnage; l'homme dans la vigueur de l'ge nourrit par son travaill'enfant qui vient de natre; et lorsque le temps a us ses forces, ilreoit de ses concitoyens les mmes services dont il leur a faitl'avance; les maisons particulires sont commodes, les difices publicssont beaux; le culte est uniforme et scrupuleusement suivi; ce peupleheureux ne connat ni rangs ni conditions, il est galement l'abri desrichesses et de l'indigence. Telles ont d paratre et telles meparaissaient les missions dans le lointain et l'illusion de la perspective.Mais, en matire de gouvernement, un intervalle immense spare lathorie de l'administration. J'en fus convaincu par les dtails suivantsque m'ont faits unanimement cent tmoins oculaires.L'tendue du terrain que renferment les missions peut tre de deux centslieues du nord au sud, de cent cinquante de l'est l'ouest, et lapopulation y est d'environ trois cent mille mes, des forts immenses yoffrent des bois de toute espce, de vastes pturages y contiennent aumoins deux millions de ttes de bestiaux; de belles rivires vivifientl'intrieur de cette contre et y appellent partout la circulation et lecommerce. Voil le local, comment y vivait-on? Le pays tait, commenous l'avons dit, divis en paroisses, et chaque paroisse rgie par deuxjsuites, l'un cur, l'autre son vicaire. La dpense totale pour l'entretiendes peuplades entranait peu de frais, les Indiens tant nourris, habills,

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  • logs du travail de leurs mains; la plus forte dpense allait l'entretiendes glises construites et ornes avec magnificence. Le reste du produitde la terre et tous les bestiaux appartenaient aux jsuites qui, de leurct, faisaient venir d'Europe les outils des diffrents mtiers, desvitres, des couteaux, des aiguilles coudre, des images, des chapelets,de la poudre et des fusils. Leur revenu annuel consistait en coton, suifs,cuirs, miel et surtout en mat, plante mieux connue sous le nom d'herbedu Paraguay, dont la compagnie faisait seule le commerce, et dont laconsommation est immense dans toutes les Indes espagnoles o elletient lieu de th.Les Indiens avaient pour leurs curs une soumission tellement servileque non seulement ils se laissaient punir du fouet la manire ducollge, hommes et femmes, pour les fautes publiques, mais qu'ilsvenaient eux-mmes solliciter le chtiment des fautes mentales.Dans chaque paroisse les Pres lisaient tous les ans des corrgidors etdes capitulaires chargs des dtails de l'administration. La crmoniede leur lection se faisait avec pompe le premier jour de l'an dans leparvis de l'glise, et se publiait au son des cloches et des instrumentsde toute espce. Les lus venaient aux pieds du Pre cur recevoir lesmarques de leur dignit qui ne les exemptait pas d'tre fouetts commeles autres.Leur plus grande distinction tait de porter des habits, tandis qu'unechemise de toile de coton composait seule le vtement du reste desIndiens de l'un et l'autre sexe.La fte de la paroisse et celle du cur se clbraient aussi par desrjouissances publiques, mme par des comdies; elles ressemblaientsans doute nos anciennes pices qu'on nommait mystres.Le cur habitait une maison vaste, proche de l'glise elle avait attenantdeux corps de logis dans l'un desquels taient les coles pour lamusique, la peinture, la sculpture, l'architecture et les ateliers dediffrents mtiers; l'Italie leur fournissait les matres pour les arts, etles Indiens apprennent, dit-on, avec facilit; l'autre corps de logiscontenait un grand nombre de jeunes filles occupes divers ouvragessous la garde et l'inspection des vieilles femmes: il se nommait leGuatiguasu ou le sminaire. L'appartement du cur communiquaitintrieurement avec ces deux corps de logis.Ce cur se levait cinq heures du matin, prenait une heure pour l'oraisonmentale, disait sa messe six heures et demie, on lui baisait la main sept heures, et l'on faisait alors la distribution publique d'une once demat par famille. Aprs sa messe, le cur djeunait, disait son

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  • brviaire, travaillait avec les corrgidors dont les quatre premierstaient ses ministres, visitait le sminaire, les coles et les ateliers;s'il sortait, c'tait cheval et avec un grand cortge; il dnait onzeheures seul avec son vicaire, restait en conversation jusqu' midi, etfaisait la sieste jusqu' deux heures; il tait renferm dans sonintrieur jusqu'au rosaire, aprs lequel il y avait conversation jusqu'sept heures du soir; alors le cur soupait; huit heures il tait censcouch.Le peuple cependant tait depuis huit heures du matin distribu auxdivers travaux soit de la terre, soit des ateliers, et les corrgidorsveillaient au svre emploi du temps; les femmes filaient du coton; onleur en distribuait tous les lundis une certaine quantit qu'il fallaitrapporter fil la fin de la semaine; cinq heures et demie du soir on serassemblait pour rciter le rosaire et baiser encore la main du cur;ensuite se faisait la distribution d'une once de mat et de quatre livresde boeuf pour chaque mnage qu'on supposait tre compos de huitpersonnes; on donnait aussi du mas. Le dimanche on ne travaillait point,l'office divin prenait plus de temps; ils pouvaient ensuite se livrer quelques jeux aussi tristes que le reste de leur vie.On voit par ce dtail exact que les Indiens n'avaient en quelque sorteaucune proprit et qu'ils taient assujettis une uniformit de travailet de repos cruellement ennuyeuse. Cet ennui, qu'avec raison on ditmortel, suffit pour expliquer ce qu'on nous a dit: qu'ils quittaient la viesans la regretter, et qu'ils mouraient sans avoir vcu. Quand une fois ilstombaient malades, il tait rare qu'ils gurissent; et lorsqu'on leurdemandait alors si de mourir les affligeait, ils rpondaient que non, etle rpondaient comme des gens qui le pensent. On cessera maintenantd'tre surpris de ce que, quand les Espagnols pntrrent dans lesmissions, ce grand peuple administr comme un couvent tmoigna leplus grand dsir de forcer la clture. Au reste, les jsuites nousreprsentaient ces Indiens comme une espce d'hommes qui ne pouvaitjamais atteindre qu' l'intelligence des enfants; la vie qu'ils menaientempchait ces grands enfants d'avoir la gaiet des petits.La Compagnie s'occupait du soin d'tendre les missions lorsque lecontrecoup d'vnements passs en Europe vint renverser dans leNouveau Monde l'ouvrage de tant d'annes et de patience. La courd'Espagne, ayant pris la rsolution de chasser les jsuites, voulut quecette opration se fit en mme temps dans toute l'tendue de ses vastesdomaines. Cevallos fut rappel de Buenos Aires et don FranciscoBucarelli nomm pour le remplacer. Il partit instruit de la besogne

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  • laquelle on le destinait et prvenu d'en diffrer l'excution jusqu' denouveaux ordres qu'il ne tarderait pas recevoir. Le confesseur du roi, lecomte d'Aranda et quelques ministres taient les seuls auxquels futconfi le secret de cette affaire. Bucarelli fit son entre Buenos Airesau commencement de 1767.Lorsque dom Pedro Cevallos fut arriv en Espagne, on expdia au marquisde Bucarelli un paquebot charg des ordres tant pour cette province quepour le Chili, o ce gnral devait les faire passer par terre. Ce btimentarriva dans la rivire de la Plata au mois de juin 1767 et le gouverneurdpcha sur-le-champ deux officiers, l'un au vice-roi du Prou, l'autreau prsident de l'audience du Chili, avec les paquets de la cour qui lesconcernaient. Il songea ensuite rpartir ses ordres dans les diffrentslieux de sa province o il y avait des jsuites, tels que Cordoue,Mendoze, Corrientes, Santa Fe, Salta, Montevideo et le Paraguay. Commeil craignit que, parmi les commandants de ces divers endroits, quelques-uns n'agissent pas avec la promptitude, le secret et l'exactitude que lacour dsirait, il leur enjoignit, en leur adressant ses ordres, de ne lesouvrir que le jour qu'il fixait pour l'excution, et de ne le faire qu'enprsence de quelques personnes qu'il nommait: gens qui occupaient dansles mmes lieux les premiers emplois ecclsiastiques et civils. Cordouesurtout l'intressait; c'tait dans ces provinces la principale maison desjsuites et la rsidence habituelle du provincial.C'est l qu'ils formaient et qu'ils instruisaient dans la langue et lesusages du pays les sujets destins aux missions et devenir chefs despeuplades; on y devait trouver leurs papiers les plus importants. Lemarquis de Bucarelli se rsolut y envoyer un officier de confiance qu'ilnomma lieutenant du roi de cette place, et que, sous ce prtexte, il fitaccompagner d'un dtachement de troupes.Il restait pourvoir l'excution des ordres du roi dans les missions, etc'tait le point critique. Faire arrter les jsuites au milieu despeuplades, on ne savait pas si les Indiens voudraient le souffrir, et ilet fallu soutenir cette excution violente par un corps de troupes asseznombreux pour parer tout vnement.D'ailleurs n'tait-il pas indispensable, avant que de songer en retirerles jsuites, d'avoir une autre forme de gouvernement prte substituerau leur et d'y prvenir ainsi les dsordres de l'anarchie? Legouvernement se dtermina temporiser et se contenta pour le momentd'crire dans les missions qu'on lui envoyt sur-le-champ le corrgidoret un cacique de chaque peuplade pour leur communiquer des lettres duroi. Il expdia cet ordre avec la plus grande clrit afin que les Indiens

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  • fussent en chemin et hors des rductions avant que la nouvelle del'expulsion de la Socit pt y parvenir. Par ce moyen il remplissait deuxvues, l'une de se procurer des otages qui l'assureraient de la fidlit despeuplades lorsqu'il en retirerait les jsuites; l'autre, de gagnerl'affection des principaux Indiens par les bons traitements qu'on leurprodiguerait Buenos Aires et d'avoir le temps de les instruire dunouvel tat dans lequel ils entreraient lorsque, n'tant plus tenus par lalisire, ils jouiraient des mmes privilges et de la mme proprit queles autres sujets du roi.Tout avait t concert avec le plus profond secret et, quoiqu'on et tsurpris de voir arriver un btiment d'Espagne sans autres lettres quecelles adresses au gnral, on tait fort loign d'en souponner lacause.Le moment de l'excution gnrale tait combin pour le jour o tous lescourriers auraient eu le temps de se rendre leur destination et legouverneur attendait cet instant avec impatience, lorsque l'arrive desdeux chambekins du roi, l'Andatu et l'Aventurero, venant de Cadix, faillit rompre toutes ses mesures. Il avait ordonn au gouverneur deMontevideo, au cas qu'il arrivt quelques btiments d'Europe, de ne paslaisser communiquer avec qui que ce fut, avant que de l'en avoir inform;mais l'un de ces deux chambekins s'tant perdu, comme nous l'avons dit,en entrant dans la rivire, il fallait bien en sauver l'quipage et luidonner les secours que sa situation exigeait.Les deux chambekins taient sortis d'Espagne depuis que les jsuites yavaient t arrts: ainsi on ne pouvait empcher que cette nouvelle nese rpandt.Un officier de ces btiments fut sur-le-champ envoy au marquis deBucarelli et arriva Buenos Aires le 9 juillet dix heures du soir. Legouverneur ne balana pas: il expdia l'instant tous les commandantsdes places un ordre d'ouvrir leurs paquets et d'en excuter le contenuavec la plus grande clrit. A deux heures aprs minuit, tous lescourriers taient partis et les deux maisons des jsuites Buenos Airesinvesties, au grand tonnement de ces Pres qui croyaient rverlorsqu'on vint les tirer du sommeil pour les constituer prisonniers et sesaisir de leurs papiers. Le lendemain, on publia dans la ville un ban quidcernait peine de mort contre ceux qui entretiendraient commerce avecles jsuites et on y arrta cinq ngociants qui voulaient, dit-on, leurfaire passer des avis Cordoue.Les ordres du roi s'excutrent avec la mme facilit dans toutes lesvilles. Partout les jsuites furent surpris sans avoir eu le moindre

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  • indice, et on mit la main sur leurs papiers. On les fit aussitt partir deleurs diffrentes maisons, escorts par des dtachements de troupes quiavaient ordre de tirer sur ceux qui chercheraient s'chapper. Mais onn'eut pas besoin d'en venir cette extrmit. Ils tmoignrent la plusparfaite rsignation, s'humiliant sous la main qui les frappait etreconnaissant, disaient-ils, que leurs pchs avaient mrit lechtiment dont Dieu les punissait. Les jsuites de Cordoue, au nombre deplus de cent, arrivrent la fin d'aot la Encenada, o se rendirent peuaprs ceux de Corrientes, de Buenos Aires et de Montevideo. Ils furentaussitt embarqus et ce premier convoi appareilla, comme nous l'avonsdj dit, la fin de septembre. Les autres, pendant ce temps, taient enchemin pour venir Buenos Aires attendre un nouvel embarquement.On y vit arriver le 13 septembre tous les corrgidors et un cacique dechaque peuplade, avec quelques Indiens de leur suite. Ils taient sortisdes missions avant qu'on s'y doutt de l'objet qui les faisait mander.La nouvelle qu'ils en apprirent en chemin leur fit impression, mais neles empcha pas de continuer leur route. La seule instruction dont lescurs eussent muni au dpart leurs chers nophytes avait t de ne riencroire de tout ce que leur dbiterait le gouverneur gnral. Prparez-vous, mes enfants, leur avaient-ils dit, entendre beaucoup demensonges. A leur arrive, on les amena en droiture au gouvernement,o Je fus prsent leur rception. Ils y entrrent cheval au nombre decent vingt et s'y formrent en croissant sur deux lignes: un Espagnol,instruit dans la langue des Guaranis, leur servait d'interprte. Legouverneur parut un balcon; il leur fit dire qu'ils taient les bienvenus,qu'ils allassent se reposer, et qu'il les informerait du jour auquel ilaurait rsolu de leur signifier les intentions du roi. Il ajoutasommairement qu'il venait les tirer d'esclavage et les mettre enpossession de leurs biens dont, jusqu' prsent, ils n'avaient pas joui.Ils rpondirent par un cri gnral, en levant la main droite vers le cielet souhaitant mille prosprits au roi et au gouverneur. Ils ne paraissentpas mcontents, mais il tait ais de dmler sur leur visage plus desurprise que de joie. Au sortir du gouvernement, on les conduisit unemaison des jsuites o ils furent logs, nourris et entretenus auxdpens du roi. Le gouverneur, en les faisant venir, avait mandnommment le fameux cacique Nicolas, mais on crivit que son grandge et ses infirmits ne lui permettaient pas de se dplacer.A mon dpart de Buenos Aires, les Indiens n'avaient pas encore tappels l'audience du gnral. Il voulait leur laisser le tempsd'apprendre un peu la langue et de connatre la faon de vivre des

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  • Espagnols. J'ai plusieurs fois t les voir. Ils m'ont paru d'un naturelindolent, je leur trouvais cet air stupide d'animaux pris au pige. Onm'en fit remarquer que l'on disait fort instruits; mais, comme ils neparlaient que la langue guarani, je ne fus pas dans le cas d'apprcier ledegr de leurs connaissances; seulement j'entendis jouer du violon uncacique que l'on nous assurait tre grand musicien; il joua une sonate etje crus entendre les sons obligs d'une serinette. Au reste, peu de tempsaprs leur arrive Buenos Aires, la nouvelle de l'expulsion des jsuitestant parvenue dans les missions, le marquis de Bucarelli reut unelettre du provincial qui s'y trouvait pour lors, dans laquelle il l'assuraitde sa soumission et de celle de toutes les peuplades aux ordres du roi.Ces missions des Guaranis et des Tapes sur l'Uruguay n'taient pas lesseules que les jsuites eussent fondes dans l'Amrique mridionale.Plus au nord ils avaient rassembl et soumis aux mmes lois les Mayas,les Chiquitos et les Avipones. Ils formaient aussi de nouvellesrductions dans le sud du Chili du ct de l'le du Chilo; et depuisquelques annes ils s'taient ouvert une route pour passer de cetteprovince au Prou, en traversant le pays des Chiquitos, route plus courteque celle que l'on suivait jusqu' prsent. Au reste, dans les pays o ilspntraient, ils faisaient appliquer sur des poteaux la devise de laCompagnie; et sur la carte de leurs rductions faite par eux, elles sontnonces sous cette dnomination, oppida christianomm.On s'tait attendu, en saisissant les biens des jsuites dans cetteprovince, de trouver dans leurs maisons des sommes d'argentconsidrables; on en a nanmoins trouv fort peu. Leurs magasinstaient la vrit garnis de marchandises de tout genre, tant de ce paysque de l'Europe, et mme il y en avait de beaucoup d'espces qui ne seconsomment point dans ces provinces. Le nombre de leurs esclaves taitconsidrable, on en comptait trois mille cinq cents dans la seule maisonde Cordoue.Ma plume se refuse au dtail de tout ce que le public de Buenos Airesprtendait avoir t trouv dans les papiers saisis aux jsuites; leshaines sont encore trop rcentes pour qu'on puisse discerner les faussesimputations des vritables. J'aime mieux rendre justice la plus grandepartie des membres de cette Socit qui ne participaient point au secretde ses vues temporelles.S'il y avait dans ce corps quelques intrigants, le grand nombre, religieuxde bonne foi, ne voyaient dans l'institut que la pit de son fondateur, etservaient en esprit et en vrit le Dieu auquel ils s'taient consacrs.Au reste, j'ai su depuis mon retour en France que le marquis de Bucarelli

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  • tait parti de Buenos Aires pour les missions le 14 mai 1768, et qu'il n'yavait rencontr aucun obstacle, aucune rsistance l'excution desordres du roi catholique. On aura une ide de la manire dont s'esttermin cet vnement intressant en lisant les deux pices suivantesqui contiennent le dtail de la premire scne. C'est ce qui s'est passdans la rduction Yapegu situe sur l'Uruguay et qui se trouvait lapremire sur le chemin du gnral espagnol; toutes les autres ont suivil'exemple donn par celle-l.Traduction d'une lettre d'un capitaine de grenadiers du rgiment deMayorque, commandant un des dtachements de l'expdition aux missionsdu Paraguay.

    D'Yapegu, le 19 juillet 1768.

    Hier nous arrivmes ici trs heureusement; la rception que l'on a faite notre gnral a t des plus magnifiques et telle qu'on n'aurait pul'attendre de la part d'un peuple aussi simple et aussi peu accoutum de semblables ftes. Il y a ici un collge trs riche en ornementsd'glise qui sont en grand nombre; on y voit aussi beaucoup d'argenterie.La peuplade est un peu moins grande que Montevideo, mais bien mieuxaligne et fort peuple. Les maisons y sont tellement uniformes qu' envoir une on les a vues toutes, comme voir un homme et une femme, on avu tous les habitants, attendu qu'il n'y a pas la moindre diffrence dansla faon dont ils sont vtus. Il y a beaucoup de musiciens, mais tousmdiocres.Ds l'instant o nous arrivmes dans les environs de cette mission, SonExcellence donna l'ordre d'aller se saisir du Pre provincial de laCompagnie de Jsus et de six autres de ces Pres, et de les mettreaussitt en lieu de sret. Ils doivent s'embarquer un de ces jours sur lefleuve Uruguay. Nous croyons cependant qu'ils resteront au Salto, o onles gardera jusqu' ce que tous leurs confrres aient subi le mme sort.Nous croyons aussi rester Yapegu cinq ou six jours et suivre notrechemin jusqu' la dernire des missions. Nous sommes trs contents denotre gnral qui nous fait procurer tous les rafrachissementspossibles. Hier nous emes opra, il y en aura encore aujourd'hui unereprsentation. Les bonnes gens font tout ce qu'ils peuvent et tout cequ'ils savent.Nous vmes aussi hier le fameux Nicolas, celui qu'on avait tant d'intrt tenir renferm. Il tait dans un tat dplorable et presque nu. C'est unhomme de soixante et dix ans qui parat de bons sens. Son Excellence lui

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  • parla longtemps et parut fort satisfaite de sa conversation.Voil tout ce que je puis vous apprendre de nouveau. Relation publie Buenos Aires de l'entre de S.E.don Francisco Bucarelli y Ursua dans la mission Yapegu, l'une de cellesdes jsuites chez les peuples guaranis dans le Paraguay, lorsqu'elle yarriva le 18 juillet 1768. huit heures du matin, Son Excellence sortit de la chapelle Saint-Martin, situe une lieue d'Yapegu.Elle tait accompagne de sa garde de grenadiers et de dragons, et avaitdtach deux heures auparavant les compagnies de grenadiers deMayorque pour disposer et soutenir le passage du ruisseau Guiviradequ'on est oblig de traverser en balses et en canots. Ce ruisseau est une demi-lieue environ de la peuplade.Aussitt que Son Excellence eut travers, elle trouva les caciques etcorrgidors des missions qui l'attendaient avec l'alfers d'Yapegu quiportait l'tendard royal. Son Excellence ayant reu tous les honneurs etcompliments usits en pareilles occasions, monta cheval pour faireson entre publique.Les dragons commencrent la marche; ils taient suivis de deux aides decamp qui prcdaient Son Excellence, aprs laquelle venaient les deuxcompagnies de grenadiers de Mayorque suivies du cortge des caciqueset corrgidors et d'un grand nombre de cavaliers de ces cantons.On se rendit la grande place en face de l'glise.Son Excellence ayant mis pied terre, dom Francisco Martinez, vicairegnral de l'expdition, se prsenta sur les degrs du portail pour larecevoir. Il l'accompagna jusqu'au presbytre et entonna le Te Deum, quifut chant et excut par une musique toute compose de Guaranis.Pendant cette crmonie l'artillerie fit une triple dcharge. SonExcellence se rendit ensuite au logement qu'elle s'tait destin dans lecollge des Pres, autour duquel la troupe vint camper jusqu' ce que,par son ordre, elle allt prendre ses quartiers dans le Guatiguasu ou laCasa de las recogidas, la maison des recluses. Reprenons le rcit de notre voyage dont le spectacle de la rvolutionarrive dans les missions n'a pas t une des circonstances les moinsintressantes.

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  • CHAPITRE VI

    Ce matin, les Patagons, qui toute la nuit avaient entretenu desfeux au fond de la baie de Possession levrent un pavillon blanc sur unehauteur et nous rpondmes en hissant celui des vaisseaux. Ces Patagonstaient sans doute ceux que L'toile vit au mois de juin 1766 dans labaie Boucault, et le pavillon qu'ils levaient tait celui qui leur futdonn par M. Denys de Saint-Simon en signe d'alliance. Le soin qu'ils ontpris de le conserver annonce des hommes doux, fidles leur parole oudu moins reconnaissants des prsents qu'on leur a faits.Nous apermes aussi fort distinctement, lorsque nous fmes dans legoulet, une vingtaine d'hommes sur la Terre de Feu. Ils taient couvertsde peaux et couraient toutes jambes le long de la cte en suivant notreroute. Ils paraissaient mme de temps en temps nous faire des signesavec la main, comme s'ils eussent dsir que nous allassions eux.Selon le rapport des Espagnols, la nation qui habite cette partie desTerres de Feu n'a rien des moeurs cruelles de la plupart des sauvages. Ilsaccueillirent avec beaucoup d'humanit l'quipage du vaisseau laConception qui se perdit sur leurs ctes en 1765. Ils lui aidrent mme sauver une partie des marchandises de la cargaison et lever deshangars pour les mettre l'abri. Les Espagnols y construisirent desdbris de leurs navires une barque dans laquelle ils se sont rendus Buenos Aires. C'est ces Indiens que le chambekin l'Andalous sedisposait mener des missionnaires lorsque nous sommes sortis de larivire de la Plata. Au reste, des pains de cire provenant de la cargaisonde ce navire ont t ports par les courants jusque sur la cte desMalouines, o on les trouva en 1766.On a vu qu' midi nous tions sortis du premier goulet: pour lors nousfmes de la voile. Le vent s'tait rang au sud, et la mare continuait nous lever dans l'ouest. A trois heures l'un et l'autre nous manqurent,et nous mouillmes dans la baie Boucault sur dix-huit brasses fond devase.Ds que nous fmes mouills, je fis mettre la mer un des mes canotset un de L'toile. Nous nous y embarqumes au nombre de dix officiersarms chacun de nos fusils, et nous allmes descendre au fond de labaie, avec la prcaution de faire tenir nos canots flot et les quipagesdedans. A peine avions-nous pied terre que nous vmes venir nous sixAmricains cheval et au grand galop. Ils descendirent de cheval cinquante pas et sur-le-champ accoururent au-devant de nous en criant

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  • chaoua. En nous joignant, ils tendaient les mains et les appuyaientcontre les ntres. Ils nous serraient ensuite entre leurs bras, rptant tue-tte chaoua, chaoua, que nous rptions comme eux. Ces bonnes gensparurent trs joyeux de notre arrive. Deux des leurs, qui tremblaient envenant nous ne furent pas longtemps sans se rassurer. Aprs beaucoupde caresses rciproques, nous fmes apporter de nos canots des galetteset un peu de pain frais que nous leur distribumes et qu'ils mangrentavec avidit. chaque instant leur nombre augmentait; bientt il s'enramassa une trentaine parmi lesquels il y avait quelques jeunes gens etun enfant de huit dix ans. Tous vinrent nous avec confiance et nousfirent les mmes caresses que les premiers. Ils ne paraissaient pointtonns de nous voir et, en imitant avec la voix le bruit de nos fusils, ilsnous faisaient entendre que ces armes leur taient connues. Ilsparaissaient attentifs faire ce qui pouvait nous plaire. M. deCommeron et quelques-uns de nos messieurs s'occupaient ramasserdes plantes; plusieurs Patagons se mirent aussi en chercher, et ilsapportaient les espces qu'ils nous voyaient prendre.L'un d'eux, apercevant le chevalier du Bouchage dans cette occupation,lui vint montrer un oeil auquel il avait un mal fort apparent et luidemander par signes de lui indiquer une plante qui le pt gurir. Ils ontdonc une ide et un usage de cette mdecine qui connat les simples etles applique la gurison des hommes. C'tait celle de Macaon, lemdecin des dieux, et on trouverait plusieurs Macaon chez les sauvagesdu Canada.Nous changemes quelques bagatelles prcieuses leurs yeux contredes peaux de guanaques et de vigognes. Ils nous demandrent par signesdu tabac fumer, et le rouge semblait les charmer: aussitt qu'ilsapercevaient sur nous quelque chose de cette couleur, ils venaientpasser la main dessus et tmoignaient en avoir grande envie. Au reste, chaque chose qu'on leur donnait, chaque caresse qu'on leur faisait, lechaoua recommenait, c'taient des cris tourdir. On s'avisa de leurfaire boire de l'eau-de-vie, en ne leur laissant prendre qu'une gorge chacun. Ds qu'ils l'avaient avale, ils se frappaient avec la main sur lagorge et poussaient en soufflant un son tremblant et inarticul qu'ilsterminaient par un roulement avec les lvres.Tous firent la mme crmonie qui nous donna un spectacle assezbizarre.Cependant le soleil s'approchait de son couchant, et il tait temps desonger retourner bord. Ds qu'ils virent que nous nous y disposions,ils en parurent fchs; ils nous faisaient signe d'attendre et qu'il allait

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  • encore venir des leurs. Nous leur fmes entendre que nous reviendrionsle lendemain et nous leur apporterions ce qu'ils dsiraient: il noussembla qu'ils eussent mieux aim que nous couchassions terre.Lorsqu'ils virent que nous partions, ils nous accompagnrent au bord dela mer; un Patagon chantait pendant cette marche. Quelques-uns semirent dans l'eau jusqu'aux genoux pour nous suivre plus longtemps.Arrivs nos canots, il fallait avoir l'oeil tout. Ils saisissaient toutce qui leur tombait sous la main. Un d'eux s'tait empar d'une faucille;on s'en aperut et il la rendit sans rsistance. Avant que de nousloigner, nous vmes encore grossir leur troupe par d'autres quiarrivaient incessamment toute bride. Nous ne manqumes pas en noussparant d'entonner un chaoua dont toute la cte retentit.Les Amricains sont les mmes que ceux vus par L'toile en 1766. Un denos matelots, qui tait alors sur cette flte, en a reconnu un qu'il avaitvu dans le premier voyage. Ces hommes sont d'une belle taille; parmiceux que nous avons vus, aucun n'tait au-dessous de cinq pieds cinq six pouces, ni au-dessus de cinq pieds neuf dix pouces; les gens deL'toile en avaient vu dans le prcdent voyage plusieurs de six pieds. Cequi m'a paru tre gigantesque en eux, c'est leur norme carrure, lagrosseur de leur tte et l'paisseur de leurs membres. Ils sont robusteset bien nourris, leurs nerfs sont tendus, leur chair est ferme etsoutenue; c'est l'homme qui, livr la nature et un aliment plein desucs, a pris tout l'accroissement dont il est susceptible; leur figuren'est ni dure ni dsagrable, plusieurs l'ont jolie; leur visage est rond etun peu plat; leurs yeux sont vifs, leurs dents extrmement blanchesn'auraient pour Paris que le dfaut d'tre larges; ils portent de longscheveux noirs attachs sur le sommet de la tte. J'en ai vu qui avaientsous le nez des moustaches plus longues que fournies. Leur couleur estbronze comme l'est sans exception celle de tous les Amricains, tantde ceux qui habitent la zone torride, que de ceux qui y naissent dans leszones tempres et glaciales. Quelques-uns les joues peintes en rouge;il nous a paru que leur langue tait douce, et rien n'annonce en eux uncaractre froce. Nous n'avons point vu leurs femmes, peut-treallaient-elles venir; car ils voulaient toujours que nous attendissions,et ils avaient fait partir un des leurs du ct d'un grand feu, auprsduquel paraissait tre leur camp une lieue de l'endroit o nous tions,nous montrant qu'il en allait arriver quelqu'un.L'habillement de ces Patagons est le mme peu prs que celui desIndiens de la rivire de la Plata; c'est un simple braqu de cuir qui leurcouvre les parties naturelles, et un grand manteau de peaux de

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  • guanaques, attach autour du corps avec une ceinture; il descendjusqu'aux talons, et ils laissent communment retomber en a