Boko Haram _ Ce Feu Qui Se Répand

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5/24/2018 BokoHaram_CeFeuQuiSeRpand-slidepdf.com http://slidepdf.com/reader/full/boko-haram-ce-feu-qui-se-repand 1/5 24/06/14 08:31 Boko Haram : ce feu qui se répand Página 1 de 5 http://abonnes.lemonde.fr/afrique/article/2014/06/24/boko-haram-ce-feu-qui-se-repand_4444098_3212.html Boko Haram : ce feu qui se répand LE MONDE | 24.06.2014 à 11h15 | Par Jean-Philippe Rémy  (/journaliste/jean-philippe-remy/) (Bauchi et Maiduguri (Nigeria) Envoyé spécial) En voilà une bonne petite voiture. Cinq portes, dont les vitres arrière ne descendent plus, plus de 300 000 km au compteur, un moteur à injection qui chauffe et exige que l'on vide des sachets d'eau à intervalles réguliers dans le radiateur. Néanmoins, l'Opel Astra reste la reine de la route de Maiduguri.  Autant que possible, le chauffeur en sandales fait des pointes effrayantes à 180 km/h, malgré les nids-de-poule, les animaux et les véhicules qui doublent à tout moment sans tenir compte de ce qui vient en face. On se croise en retenant son souffle. Mais le démon de la vitesse et la peur de l'accident ne sont rien en comparaison de l'idée – absurde, mais impossible à éliminer – qu'en ralentissant, les chances se multiplieraient de tomber sur des hommes de Boko Haram. Parfois, aussi, la présence des insurgés est invisible. Bauchi a l'air d'une  ville nigériane embouteillée et peuplée, comme tant d'autres. A la sortie  vers Kano, le voici ce vendeur de voitures qui a eu affaire, par deux fois déjà, à Boko Haram. Un beau jour, son père a été enlevé. « Il s'est nommé négociateur en chef pour la libération de son père, et est allé trouver les Boko Haram, à quelques kilomètres, raconte Awwal Musa Bashir, un ami du garagiste. Ils lui ont demandé 90 millions de nairas. Mai 2014, les check-points sur la route de Chibok, Nigéria. | Benedicte Kurzen/NOOR 

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  • 24/06/14 08:31Boko Haram : ce feu qui se rpand

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    Boko Haram : ce feu qui se rpandLE MONDE | 24.06.2014 11h15 |

    Par Jean-Philippe Rmy (/journaliste/jean-philippe-remy/) (Bauchi et Maiduguri (Nigeria) Envoy

    spcial)

    En voil une bonne petite voiture. Cinq portes, dont les vitres arrire nedescendent plus, plus de 300 000 km au compteur, un moteur injectionqui chauffe et exige que l'on vide des sachets d'eau intervalles rguliersdans le radiateur. Nanmoins, l'Opel Astra reste la reine de la route deMaiduguri.

    Autant que possible, le chauffeur en sandales fait des pointes effrayantes 180 km/h, malgr les nids-de-poule, les animaux et les vhicules quidoublent tout moment sans tenir compte de ce qui vient en face. On secroise en retenant son souffle. Mais le dmon de la vitesse et la peur del'accident ne sont rien en comparaison de l'ide absurde, maisimpossible liminer qu'en ralentissant, les chances se multiplieraientde tomber sur des hommes de Boko Haram.

    Parfois, aussi, la prsence des insurgs est invisible. Bauchi a l'air d'uneville nigriane embouteille et peuple, comme tant d'autres. A la sortievers Kano, le voici ce vendeur de voitures qui a eu affaire, par deux foisdj, Boko Haram. Un beau jour, son pre a t enlev.

    Il s'est nomm ngociateur en chef pour la libration de son pre, et estall trouver les Boko Haram, quelques kilomtres, raconte Awwal MusaBashir, un ami du garagiste. Ils lui ont demand 90 millions de nairas.

    Mai 2014, les check-points sur la route de Chibok, Nigria. | Benedicte Kurzen/NOOR

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    C'tait trop. Ils se sont mis d'accord pour 20 millions , payables en dixfois, un versement par semaine. A la fin de la dernire traite, ils ont librson pre. Mais un mois plus tard, ils le reprenaient la sortie du garage. Ilest all les trouver et leur a dit : Trs bien, gardez-le, tant pis. Ils lui ontrpondu : Ah, dans ce cas, on va incendier ton garage. Il a emprunt del'argent et il a repay une ranon. Maintenant il est ruin.

    Aprs Bauchi, Maiduguri n'est qu' cinq heures, en roulant vite, avecbeaucoup d'accidents frls, mais aussi de l'attente aux checkpoints, sinombreux qu'on renonce les compter aprs une bonne quarantaine. Desmendiants et des vendeuses de sachets d'eau apparaissent comme parenchantement au milieu de nulle part, pour tirer parti de la clientlecaptive des automobilistes, des bus et des camions. Pour tout ce petitmonde, les policiers et les soldats des barrages devraient tre un secoursincommensurable sur cette route hasardeuse. Mais ils ont plutt l'air decomdiens en casques lourds, arborant tantt une jovialit feinte, tanttun autoritarisme hargneux, mettant en joue l'Opel la moindre excusepour obtenir de l'argent par la sduction, la piti ou la menace. Ils ontchaud. Ils ont soif. Ils ont peur. On les a abandonns face un ennemi quitoujours les surprend et souvent les tue avant qu'ils ne comprennent cequi se passe. Ils ne sont pas du Nord, ne parlent ni haoussa, ni kanouri, niaucune des langues de cette rgion. Leurs plaisanteries en pidgin-Englishdu Sud tombent plat.

    LES INSURGS ONT INFILTR L'ARME

    Et ils attendent, coincs derrire des sacs de sable drisoires ou desparpaings mal empils, l'heure de se regrouper dans des villages o il leurfaut parfois habiter des huttes de branchages ou des tentes, ct desmurs noircis de leurs postes de police ou de leurs casernes portant lesmarques des attaques de Boko Haram. Les insurgs ont infiltr l'arme. Ilsprparent leurs attaques avec soin. Elles sont meurtrires.

    En approchant de Maiduguri, les signes de destruction se font plusfrquents. Il y a des trous dans les maisons, des poteaux lectriques parterre, des gnrateurs pour les antennes-relais qu'on a fait sauter et destraces noires hideuses sur la chausse, l o ont explos les bombes etIEDs (engins explosifs improviss), dont la qualit et le nombre ontpassablement augment au cours des derniers mois.

    A Beni Sheikh, une cinquantaine de kilomtres de Maiduguri, l'air adsormais la consistance du plomb, et ce n'est pas seulement latemprature de midi. La plupart des maisons sont vides. Les rareshabitants sont regroups prs des Civilian JTF (milices locales souscontrle du gouvernement). Les combats contre Boko Haram ont achevde dtruire un peu plus la ville.

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    Sur cette portion de bitume, plus de vendeuses d'eau, plus de soldatscabotins. Des bergers poussent leurs vaches longues cornes dans labrousse de plus en plus aride. Les vhicules roulent maintenant pied auplancher, ne ralentissant sous aucun prtexte, mme lorsqu'il faut mordrele bas-ct pour viter un face-- face. Pourquoi ce tronon fait-il si peur ?

    La rponse sera donne Maiduguri, par une source ayant uneconnaissance fine de Boko Haram. Il y a plusieurs zones o les insurgssont prsents en force. Vers le nord de l'Etat, en direction du Tchad. Maisaussi plus au sud, dans des zones voisines de Chibok, dans la fort de laSambisa. Entre les deux passe une trs ancienne route de migrationsaisonnire . C'est sur cette piste presque invisible que les Hilux de BokoHaram circulent, surtout le matin ou en fin d'aprs-midi. Et la pistecroise la grand-route. Il ne faut pas tomber sur eux quand ils sont entrain de passer. Ils tuent tous ceux qui approchent.

    CES ESPACES O NE SE HASARDENT PLUS LES FORCES DESCURIT

    Dans cette folie, les vhicules particuliers les plus raisonnables s'arrtent Maiduguri. Il n'y a que les camions qui s'aventurent plus loin, afin demener leur trafic le long d'anciennes routes caravanires qui passent dansles pays voisins (et ce d'autant plus volontiers que les frontires sont enthorie fermes). Et puis il y a Boko Haram, prsent dans ces espaces one se hasardent plus les forces de scurit.

    Un homme d'affaires de Maiduguri qui continue visiter ses clients de largion ne prend jamais la route sans une fervente prire et une paisseliasse de billets de 10 nairas. Au barrage, l'homme qui transpire sous soncasque depuis le matin peut retrouver un peu de joie de vivre grce cesmodestes pourboires, et donner en change l'information qui fait ladiffrence. En septembre, quand les portables taient coups Maiduguri cause de l'tat d'urgence, tout le monde devenait fou. Lesgens ont commenc prendre leur voiture pour aller tlphoner Damaturu , parce qu'il y avait du rseau. Beaucoup ont t tus par BokoHaram sur la route en allant passer un coup de fil leur famille.

    Il est lui-mme un rescap de ce tronon. Un jour, un militaire l'informengligemment un point de contrle qu'un groupe de 200 insurgs a tsignal en brousse, non loin. Il vite de prendre la route du retour le jourmme. Bien lui en prend. En fin de journe, le massacre bat son plein. Deux de mes collgues ont vu arriver les Boko Haram. Ils ont t lesderniers passer, grce leur vitesse, et rester en vie. Tous les autresderrire ont t tus. Les Boko Haram avaient des uniformes, ilsarrtaient les voitures comme un checkpoint normal, puis ils tuaienttout le monde, mme ceux qui essayaient de s'enfuir dans les broussailles.

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    Ce jour de septembre 2013, des sources estiment que prs de 200personnes ont t assassines sur la route. Il y avait toutes ces voituresbrles, enfin, celles dont ils n'avaient pas voulu, c'tait sinistre quand ona repris la route , murmure l'habitant de Maiduguri, qui n'a pas renonc rouler. Si j'arrte, je vais vivre avec quoi ? C'est une question desurvie pour moi.

    Les hommes de Boko Haram, ou des diffrents groupes qui le composentet agissent sous cette appellation dsormais connue du reste du monde, nese contentent pas de tuer les automobilistes. Des vagues d'attaques dansles villages sont aussi organises partir de la fort de Sambisa. L o lecouvert vgtal se termine, les attaques commencent. En particulier vers lafrontire camerounaise, dans les environs de Gwoza (o une glise a tattaque le 1 juin, 13 morts).

    ILS SE PROTGENT PAR LA TERREUR

    Dans la fort, o seraient dtenues une partie des filles enleves Chibokle 14 avril, les bases des insurgs ont t installes au fil des annes. Lesgroupes arms n'en sortent que pour des razzias dans les villages ou desmassacres. Ils se protgent par la terreur. Aucune action militaired'envergure n'a t tente contre eux par l'arme rgulire. Et pour cause : La dernire opration s'est conclue par une catastrophe, il y a quelquesmois. Ils sont tombs sur une zone mine, puis dans une embuscade. Ilsont perdu 17 hommes et se sont jurs de ne plus mettre les pieds danscette fort , raconte un proche du commandement militaire de la rgion.

    Mais la peur n'est pas cantonne l'extrieur de Maiduguri. En janvier, labase arienne de la ville a t attaque. S'ils avaient eu des pilotes, ilsseraient partis avec des hlicoptres , relve une source diplomatique.Au lieu de cela, ils les ont dtruits et ont diffus sur Internet le film de cesvnements. Une autre source militaire, Maiduguri, raconte la hantised'une nouvelle attaque. La dernire fois, c'tait deux jours plus tt : On apass la nuit entire attendre une attaque annonce par desinformateurs. On a t obligs de boire du caf pour rester veills. Maisil ne s'est rien pass.

    L'insurrection finit par devenir dangereuse pour l'arme au-del de cesattaques. Les militaires du rang, sous-pays, sous-quips, ont renonc se battre. Et les officiers suprieurs ont dtourn en grande partie lesressources considrables alloues pour combattre Boko Haram : le budgetde la scurit a plus que doubl en 2014 pour s'tablir 1 000 milliards denairas (4,5 milliards d'euros).

    Alors, comme l'analyse un proche des services de scurit nigrians : Le

    er

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    mcontentement gagne les casernes, et cela va finir par poser desproblmes l'approche des lections . L'arme est humilie, elle pense quec'est le pouvoir civil qui est responsable de ses problmes. Les projets decoups d'Etat risquent de fleurir comme en 2010 . C'est sans doute cequ'espre Boko Haram : toujours plus de dstabilisation.

    Fin

    (/journaliste/jean-philippe-remy/) Jean-Philippe Rmy (/journaliste/jean-

    philippe-remy/) (Bauchi et Maiduguri (Nigeria) Envoy spcial)

    Journaliste au Monde