Blanchot Maurice, ''Ce Qu'Il Nous a Appris'' (1988)
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7/26/2019 Blanchot Maurice, ''Ce Qu'Il Nous a Appris'' (1988)
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Ce qu'il nous a appris
par Maurice Blanchot
Maurice Blanchot s'exprimait pour la premire foissur le judasme et sur Emmanuel Lvinas
dans l'Arche en mai 1988, dans une lettre
Salomon Malka.
Je crois qu'il est connu tout ce que je dois Emmanuel Lvinas,
aujourd'hui mon plus ancien ami, le seul qui m'autorise d'un
tutoiement. On sait aussi que nous nous sommes rencontrs
l'Universit de Strasbourg en 1926, o tant de grands matres nenous rendaient pas la philosophie mdiocre. Cette rencontre fut-
elle due au hasard ? On peut le dire. Mais l'amiti ne fut pas
hasardeuse ou fortuite. Quelque chose de profond nous portait l'un
vers l'autre. Je ne dirai pas que ce fut dj le judasme, mais, en
dehors de sa gaiet, je ne sais quelle manire grave et belle
d'envisager la vie en l'approfondissant sans le moindre
pdantisme. Et en mme temps, je lui dois l'approche de Husserl et
mme de Heidegger dont il avait suivi les cours dans l'Allemagne
que soulevaient dj des mouvements politiques pervers. Nousquittmes presque en mme temps Strasbourg pour Paris, mais
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bien que le contact ne ft jamais rompu, il fallut le malheur d'uneguerre dsastreuse pour que notre amiti, qui avait pu se relcher,
se resserrt d'autant plus que, prisonnier d'abord en France, il me
confiait, par une demande en quelque sorte secrte, le soin de
veiller sur des tres chers que les prils d'une politique dtestable
menaaient, hlas.
Je n'irai pas plus loin dans les dtours biographiques dont le
souvenir m'est pourtant trs prsent. C'est videmment la
perscution nazie (elle s'exera ds l'origine, contrairement cedont voudraient nous persuader certains professeurs de
philosophie, pour nous faire croire qu'en 1933, lorsque Heidegger
y adhra, le national-socialisme tait encore une doctrine
convenable, qui ne mritait pas de condamnation) qui nous fit
sentir que les Juifs taient nos frres et le judasme, plus qu'une
culture et mme plus qu'une religion, mais le fondement de nos
relations avec autrui. ( ... )
Martin Buber nous a appris l'excellence du rapport du Je et del'Autre, en nous dcouvrant, sous l'moi de l'affectivit (mais aussi
par l'exigence d'une raison), la richesse et la beaut du tutoiement.
Le rapport du Je au Tu est privilgi; il se distingue
essentiellement du rapport du Je au Cela. Il est la rencontre qui
prcde toute possibilit de relation, rencontre o s'accomplit la
rciprocit inespre, inattendue, dans l'instant de foudre dont
nous doutons encore, alors que nous en sommes srs. Mais cette
rciprocit ne nous fait- elle pas oublier que le Je ne saurait tre
galit avec l'Autre, lorsque l'autre est Autrui ? C'est prcismentce que nous a appris Lvinas. Savoir qui n'est pas seulement un
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savoir. Il nous conduit sur un chemin plus difficile, parce que nousne nous y retrouverons que par un bouleversement philosophique
qui met l'thique au commencement. Ainsi dcouvrons-nous
Autrui, non plus dans l'galit heureuse ou rude de l'amiti, mais
dans la responsabilit extrme qui fait de nous l'oblig, voire
l'otage, nous rvlant l'tranget de la dissymtrie entre Toi et moi.
Moi sans moi, qui n'a plus la suffisance de sa subjectivit, qui
tente de se dpouiller de ce qu'il est et jusque de l'tre, non pas
pour une ascse purement personnelle, mais pour tenter de
rejoindre l'obligation thique que je reconnais dans le visage etdans l'invisibilit du visage qui n'est pas la figure mais la faiblesse
d'Autrui expos la mort, ou que je reconnais dans le Dire par
lequel quand je parle Autrui j'en appelle lui - interpellation,
invocation o l'invoqu est hors d'atteinte, puisque toujours au-
del de moi, me dpassant et me surplombant.