BlancheNeige

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2 Introduction Blanche-Neige est le personnage principal d'un conte célèbre en Europe, la version la plus connue étant celle des frères Grimm. Avec Hänsel et Gretel, Blanche-Neige est le conte le plus populaire des frères Grimm. Nous allons premièrement nous intéresser à la démarche et l’objectif des frères Grimm dans la récolte des contes pour après analyser le conte de Blanche-Neige en particulier. Notre attention portera sur le merveilleux, l’importance des couleurs et des nombres, les personnages, la sorcière, … L’analyse de ce conte se verra complétée par une comparaison avec l’adaptation cinématographique de Blanche-Neige par Walt Disney. Cette analyse se centrera sur les éventuelles différences entre le conte et le dessin animé.

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Introduction

Blanche-Neige est le personnage principal d'un conte célèbre en Europe, la version la

plus connue étant celle des frères Grimm. Avec Hänsel et Gretel, Blanche-Neige est le conte

le plus populaire des frères Grimm. Nous allons premièrement nous intéresser à la démarche

et l’objectif des frères Grimm dans la récolte des contes pour après analyser le conte de

Blanche-Neige en particulier. Notre attention portera sur le merveilleux, l’importance des

couleurs et des nombres, les personnages, la sorcière, … L’analyse de ce conte se verra

complétée par une comparaison avec l’adaptation cinématographique de Blanche-Neige par

Walt Disney. Cette analyse se centrera sur les éventuelles différences entre le conte et le

dessin animé.

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1. Biographie des frères Grimm

Jacob Grimm est un philologue et écrivain allemand, né à Hanau en 1785 et mort à

Berlin en 1863. Il est le fondateur de la philologie allemande, il a réuni et publié avec son

frère Wilhelm Grimm, né lui à Hanau en 1786 et mort à Berlin en 1859 les contes et

légendes germaniques : Poésie des maîtres chanteurs (1811) ; Contes des enfants et du foyer

(1812). On leur doit aussi une Histoire de la langue allemande (1848) et un Dictionnaire

allemand (1852-1858) en partie publié de leur vivant.

2. Contes des enfants et du foyer

Jacob et Wilhelm Grimm, chercheurs en philologie et en histoire folklorique,

entreprennent en 1806 de rassembler des contes. Les Contes des enfants et du foyer (Kinder

und Hausmärchen) ont été publiés pour la première fois en 1812 et pour la dernière fois en

1857. Plus généralement, on parle des « contes de Grimm ». Ce recueil comprend deux cents

contes et dix « légendes pour les enfants ». Ils ont travaillé ensemble à l’élaboration de cet

ouvrage pour la première édition mais pour les éditions suivantes dans lesquelles des contes

ont été ajoutés, modifiés, précisés, c’est uniquement Wilhelm qui s’en est chargé. Les frères

Grimm ne sont pas les auteurs de ces contes. Dans l’édition de 1819-1822 en trois volumes,

les frères Grimm disent dans l’introduction qui suit la préface du premier volume intitulée

« Signification [du conte] comme tradition », que personne ne connaît les auteurs de ces

contes qui apparaissent partout comme des traditions. Depuis des siècles, ces contes vivent,

« en se modifiant extérieurement, certes, de différentes manières, mais en maintenant

obstinément leur contenu proprement dit »1. Ils prennent soin de nous renseigner eux-mêmes

sur leurs sources : la vieille Marie Müller (des 86 contes du premier volume, elle en aurait

fourni le quart) (Blanche-Neige fait partie du premier volume car Antoine Faivre dans Les

Contes de Grimm : mythe et initiation, le numérote 53ème

) ; Dorothea Viehmann, de Nieder-

Zwehrn près de Cassel, que les Grimm disent paysanne, leur en aurait raconté beaucoup

d’autres. Ces deux femmes sont originaires de la région des frères Grimm, la Hesse. Ainsi, les

frères Grimm sont ce qu’on appelle des compilateurs. Ces histoires sont des contes populaires,

c’est-à-dire des contes qui se transmettaient oralement de génération en génération. Les frères

Grimm sont les premiers à les avoir mis par écrit. Les Grimm soutiennent un projet

1 FAIVRE Antoine, Les Contes de Grimm : mythe et initiation, Paris, Lettres Modernes, 1979, p. 41

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patriotique : donner à la nation allemande la connaissance de son passé nécessaire pour

prendre conscience de son unité. C’est cela qui les amène à porter leurs recherches sur

l’ensemble du patrimoine européen et à construire un large réseau de correspondances

érudites. Il faut étudier une culture antique ou médiévale faite d’échanges, d’emprunts, de

transmissions pour connaître la culture originelle allemande. Les contes et légendes

populaires sont pour les frères Grimm les restes d’une ancienne mythologie commune, les

conditions de l’évolution de tout peuple qui expliquent les différences d’évolution.

« Migrations des peuples, ramification des langues, circulation des motifs et des thèmes : pas

d’antiquités nationales qui ne s’inscrivent dans le trésor commun européen. Par conséquent,

pas de nationalisme patriotique sans cosmopolitisme intellectuel »2. Leur travail dépasse tout

ce qui a été produit précédemment. Ils rédigent aussi bien des écrits savants destinés aux

érudits que des adaptations aux fins d’une grande diffusion et dans un but éducatif, des contes

et des légendes. Leur œuvre devient donc la grande référence internationale du XIXe siècle

pour toutes les constructions identitaires portant sur la langue et la littérature nationale. Les

Grimm avaient déjà travaillé à une œuvre semblable en 1804. Ils s’étaient liés avec Arnim et

Brentano et avaient participé à la collecte qui avait donné lieu au Cor enchanté de l’enfant.

Les contes rassemblés par les frères Grimm représentent l’une des participations à cette

germanistique romantique. Le travail de ces deux savants a été précédé à partir du XIIIe siècle

par les grands « miroirs » qui rassemblaient légendes, fables, paraboles, livres populaires,

contes merveilleux, et récits facétieux d’Orient et d’Occident entreprise qui a continué jusqu’à

la Renaissance y compris. Les deux frères Grimm renouent avec cette tradition en procédant

d’une façon plus scientifique qui, selon eux, consiste à transcrire le plus fidèlement possible

les histoires qu’ils se font raconter. Beaucoup de contes se retrouvent à travers toutes les

régions mais sous des formes un peu différentes. Les Grimm indiquaient les variantes, les

ressemblances et les différences entre tel et tel conte. Il s’agit d’un vrai travail scientifique.

Toutefois, ces contes se trouvent semblables dans différents pays. Ces ressemblances

suggèrent une époque commune, antérieure à la séparation des peuples, mais si l’on recherche

cette origine « elle s’éloigne toujours plus loin dans le passé »3. Le contenu lui-même

n’apparaît pas aux deux frères Grimm comme le produit de l’imagination ; ils y voient au

contraire « un fondement, une signification, un noyau. »4 Et ils soulignent ces mots : « Ce sont

là, conservées dans la vie, des idées sur le divin et le spirituel : ici prennent forme corporelle

2 THIESSE Anne-Marie, La création des identités nationales : Europe XVIIIe-XXe siècle, Paris, Seuil, 1999, p.

66 3 FAIVRE Antoine, Les Contes de Grimm : mythe et initiation, Paris, Lettres Modernes, 1979, p. 41

4 Id.

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une croyance ancienne et son enseignement, qui se trouvent plongés dans l’élément narratif

lié au développement de l’histoire d’un peuple. »5 Les Grimm ont évoqué le problème de la

fidélité aux sources notamment dans la préface de leur recueil. Il fallait pouvoir assurer que

ces contes étaient populaires et non retravaillés ou modifiés. C’était une question d’honnêteté

intellectuelle.

3. Résumé de Blanche-Neige

Blanche-Neige est un personnage important d’un conte célèbre en Europe. La version

la plus connue est bien entendu celle des frères Grimm (Sneewittchen). Nous nous attacherons

aussi à la représentation de Blanche-Neige dans le film de Walt Disney.

Il était une fois une reine qui avait fait le vœu d’avoir un enfant blanc comme la neige,

rouge comme le sang, et noir comme l’ébène. Son souhait fut exaucé : elle mit au monde une

petite fille qu’elle prénomma Blanche-Neige. Peu de temps après sa naissance, la reine

mourut.

Un an plus tard, le roi se remaria. La nouvelle reine était belle mais orgueilleuse : elle

ne pouvait pas supporter l’idée qu’une autre femme put la dépasser en beauté. Elle avait un

miroir qui avait le don de répondre à ses questions. Sa question habituelle était celle-ci :

« Petit miroir, petit miroir chéri,

Quelle est la plus belle de tout le pays ? »6

Le miroir répondait toujours en ces mêmes termes :

« Madame la Reine, vous êtes la plus belle de tout le pays. »7

Alors elle était heureuse car elle savait que le miroir disait toujours la vérité.

À l’âge de sept ans, Blanche-Neige fut désormais la plus belle. La reine devint folle de

jalousie. Elle fit appel à un chasseur pour tuer Blanche-Neige dans la forêt. Elle exigea de

ramener son foie et ses poumons comme preuve. Le chasseur ne put se résoudre à commettre

cet acte. À la place du foie et des poumons de Blanche-Neige, il rapporta le foie et les

poumons d’un jeune marcassin. La reine les mangea.

Blanche-Neige était perdue et terrifiée dans le bois. Les animaux sauvages ne lui firent

aucun mal. Elle finit par apercevoir une maisonnette et s’y réfugia. La maisonnette était

5 FAIVRE Antoine, Les Contes de Grimm : mythe et initiation, Paris, Lettres Modernes, 1979, p. 41-42

6 GRIMM Jacob et Wilhelm, Contes choisis, Barcelone, Gallimard, 2000, p. 131

7 Id.

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inoccupée. Elle appartenait aux sept nains. Quand ils rentrèrent de leur travail - ils extraient de

la montagne du fer et de l’or -, ils découvrirent Blanche-Neige. Après leur avoir raconté son

histoire, les nains acceptèrent de la garder chez eux à condition de s’occuper de leur ménage.

Toute la journée, la petite fille était seule dans la maison. Les nains étaient à leur travail. Ils

veillèrent bien à la mettre en garde contre sa belle-mère et de ne faire rentrer personne.

Ils avaient raison car lorsque la reine comprit la trahison du chasseur, elle se mit à

réfléchir sur les moyens de faire périr la petite fille. Elle se déguisa en une vieille marchande

ambulante et alla trouver Blanche-Neige. Celle-ci, malgré la recommandation des nains, fit

entrer cette vieille dame pour lui acheter un magnifique lacet. La vieille serra le lacet si fort

que la petite tomba à terre comme morte car elle ne pouvait plus respirer. Les nains coupèrent

le lacet et Blanche-Neige put à nouveau respirer normalement. La méchante reine inventa

alors autre chose. Comme elle s’y connaissait en sorcelleries, elle confectionna un peigne

empoisonné. À nouveau, Blanche-Neige se laissa prendre au piège et acheta le peigne. La

vieille marchande planta le peigne dans les cheveux de Blanche-Neige et celle-ci tomba sans

connaissance. Les nains retirèrent le peigne et Blanche-Neige revint aussitôt à elle. La reine

tenta encore une nouvelle expérience. Elle travailla à la préparation d’une pomme

empoisonnée. Blanche-Neige prit un morceau de la pomme et tomba inanimée. La reine était

enfin redevenue la plus belle femme au monde. Malgré les multiples efforts des nains,

Blanche-Neige ne revint pas à la vie. Ils la mirent sous verre car elle était toujours aussi belle.

Elle avait plutôt l’air de dormir. Les nains ainsi que trois animaux (la chouette, le corbeau et

la colombe) vinrent la pleurer.

Un jour, un prince qui s’était égaré dans la forêt vint frapper à la porte des nains. Il vit

le cercueil et tomba en admiration devant Blanche-Neige. Il demanda aux nains de lui donner

le cercueil car il ne pouvait plus continuer à vivre sans voir Blanche-Neige. Les nains eurent

pitié du prince et acceptèrent. Sur le chemin qui menait au château, les serviteurs du prince

qui portaient le cercueil trébuchèrent de sorte que le corps tomba et le morceau de la pomme

empoisonnée restée dans la gorge de Blanche-Neige fut rejeté et elle ouvrit les yeux. Le

prince épousa Blanche-Neige. La belle-mère de Blanche-Neige fut invitée au mariage. Avant

de s’y rendre, son miroir lui apprit que cette jeune reine était plus belle qu’elle. Au mariage,

elle reconnut Blanche-Neige. On avait préparé pour elle des souliers en fer que l’on avait fait

rougir au feu. Elle fut contrainte de les mettre à ses pieds et mourut suite à une danse.

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4. Analyse du conte

Le merveilleux

Le conte de Blanche-Neige est rempli de merveilleux : le miroir magique, la méchante

reine qui se transforme en sorcière, les sortilèges (le peigne et la pomme empoisonnée), les

nains, le caractère extra-humain des personnages. Dans Kinder und Hausmärchen, nous avons

le terme Märchen. C’est le diminutif de Mär qui veut dire « nouvelle » au sens de « rapport »,

« récit », « bruit qui court ». À l’origine, c’est un court récit. Avec le temps, le Märchen s’est

spécialisé dans le genre merveilleux. Il faut différencier le Volksmärchen ou conte

merveilleux populaire comme celui des frères Grimm. Johannes Bolte et Georg Polivka, qui

se sont intéressés de près aux contes de Grimm, définissent le Märchen : « Par Märchen nous

entendons depuis Herder et les frères Grimm un récit d’imagination poétique tiré

particulièrement du monde magique, une histoire merveilleuse qui n’est pas liée aux

conditions de la vie réelle »8. La différence principale entre conte merveilleux et fantastique

est l’unidimensalité du conte populaire. Si les êtres de l’au-delà et ceux de notre monde

forment bien deux groupes distincts dans le conte, l’action les présente côte à côte : ils se

fréquentent naturellement. L’au-delà ne se trouve pas bien loin : à pied ou par un souterrain.

Le conte rapporte le merveilleux comme allant de soi. Les êtres surnaturels apparaissent pour

aider Blanche-Neige : les nains, ou pour l’ennuyer : la sorcière. Le conte est émancipé des

dieux, seulement aidé par des esprits protecteurs.

L’importance des couleurs

Les couleurs rouge, blanc et noir reviennent comme un leitmotiv dans ce conte :

« Un jour, c’était au beau milieu de l’hiver et les flocons de neige tombaient du ciel

comme du duvet, une reine était assise auprès d’une fenêtre encadrée d’ébène noir, et cousait.

Et tandis qu’elle cousait ainsi et regardait neiger, elle se piqua le doigt avec son aiguille »9.

Le conte commence sur une déchirure : giclure de sang sur blancheur immaculée. Cette image

lui fait naître son souhait de l’enfant idéal. Le début de Blanche-Neige est d’une grande

beauté. L’enfant idéale doit être : blanc comme neige, rouge comme sang et noir comme

8 FAIVRE Antoine, Les Contes de Grimm : mythe et initiation, Paris, Lettres Modernes, 1979, p. 13

9GRIMM Jacob et Wilhelm, Contes choisis, Barcelone, Gallimard, 2000, p.130

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ébène. Marc Girard souligne : « Un teint à la fois blanc, rouge et noir fut jadis considéré

comme tellement parfait qu’on l’attribuait tout naturellement à la mère du Christ »10

.

Le piège final, celui de la pomme empoisonnée, représente un diabolique retournement de

l’harmonie originelle. La pomme a un côté blanc et un côté rouge. Le rouge est destiné à la

tuer. Quand Blanche-Neige est endormie dans un sommeil de mort, elle reçoit la visite de trois

animaux : la chouette (rousse), le corbeau (noir), et la colombe (blanche). Par la progressivité

de leur apparition emblématique, ils disent que tout n’est pas fini, que l’ironie de la mauvaise

reine n’est pas le dernier mot. Antoine Faivre dans son ouvrage, Les Contes de Grimm : mythe

et initiation, nous fait part d’une interprétation freudienne : la mère de Blanche-Neige se

pique au doigt et trois gouttes de sang tombent sur la neige : la blancheur- l’innocence

sexuelle- fait contraste avec le sang rouge- le désir sexuel. Ce conte prépare ainsi la petite fille

à accepter le saignement sexuel. Les tentations de la reine sont celle du sexe. Blanche-Neige

elle-même, rouge comme le sang et blanche comme la neige se présente comme un être à la

fois asexué et érotique.

L’importance des nombres

Antoine Faivre nous dit que le chiffre trois, dans les contes, est le nombre le plus

parlant. Dans son essai, Biologie du conte, Arthur Bonus attribue cela à un « certain goût

décoratif, une sorte de sentiment de symétrie »11

. Antoine Faivre ne voit pas quelle clé

permettrait de découvrir ce qu’il y a derrière ces nombres. Il pense qu’il n’y a que les nombres

et comme les dieux de la tantégorie schellingienne, il faut les prendre pour des entités réelles

qui ne sont pas autre chose que ce qu’elles sont. Il relève le chiffre trois au début du conte: les

trois gouttes de sang qui tombent dans la neige. Mais généralement le trois concerne les

personnages, le lieu, le temps, et l’action. Il relève ainsi la réunion de trois animaux : « Et les

animaux vinrent aussi pleurer Blancheneige, d’abord une chouette, puis un corbeau, enfin

une petite colombe. »12

Le troisième personnage se distingue des deux autres en faisant

progresser l’action. Dans des variantes de Blanche-Neige, deux sœurs, et non pas la marâtre,

poursuivent l’héroïne de leur jalousie. De plus, c’est à trois fois que la reine tente des sorts

contre Blanche-Neige (le lacet, le peigne et la pomme empoisonnés). Quant au chiffre sept, il

10

GIRARD Marc, Les Contes de Grimm : Lecture psychanalytique, Paris, Imago, 1990, p.111

11

FAIVRE Antoine, Les Contes de Grimm : mythe et initiation, Paris, Lettres Modernes, 1979, p. 102 12

GRIMM Jacob et Wilhelm, Contes choisis, Barcelone, Gallimard, 2000, p.141

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apparaît sans lien organique avec un autre nombre : l’héroïne et les sept nains. Nous

remarquons aussi que c’est à l’âge de sept ans que Blanche-Neige devient dangereuse pour sa

belle-mère.

L’action

L’action est concentrée autour d’une personne centrale : Blanche-Neige. L’action est

dirigée de l’extérieur. Il s’agit de résoudre un problème familial, selon un but précis, de sorte

que l’action est comparable à un cheminement, et le personnage principal à un voyageur. Les

épreuves qu’elle traverse ne lui apprennent pas grand-chose, elle donne un peu l’impression

d’agir en somnambule. L’action est soumise à des lois narratives précises : le nombre 3, la

répétition et l’Achtergewicht, « poids à l’arrière » c’est-à-dire que l’événement décisif sera le

troisième. L’action tend donc de se développer en rythme binaire. Le ternaire est dans l’action

même. Le conte tient du chant populaire par la répétition, de l’art populaire par la présentation

linéaire, de la geste par le « poids à l’arrière » et le chiffre 3. Il y a une linéarité dans le

déroulement de l’action. Les événements ne sont pas imbriqués les uns dans les autres. Le

récit progresse suivant un rythme souvent ternaire mais toujours linéairement.

Les personnages

Les personnages n’ont pas de noms mais des surnoms. En ce qui concerne leur état

civil, on se limite au roi, à la reine, au prince, à la princesse, au père, à la mère, à la belle-

mère, aux nains. Ce sont des types et non des caractères.

La marâtre : elle se caractérise par son absence de bons sentiments, par sa jalousie, et

par sa cruauté. Elle a des instincts d’ogresse « Emmène cette enfant dans la forêt, je ne veux

plus l’avoir sous les yeux. Tu la tueras et tu me rapporteras son foie et ses poumons comme

preuve. […] Mais la reine, croyant avoir mangé le foie et les poumons de Blancheneige, ne

douta pas d’être de nouveau la première et la plus belle de toutes, […]. »13

. Le Réel souffrira

à cause d’elle car pour elle être la plus belle signifie l’être de gré ou de force. Une dangereuse

immaturité s’exprime dans l’obsessionnelle répétition des dialogues avec le miroir, le gardien

du Réel qui toujours dit la vérité. La réalité doit se conformer à son plaisir au prix de

n’importe quelle violence. Seul le miroir magique semble ne pas céder à cette femme. La

reine n’avait jamais aucun partenaire autre que son image en miroir.

13

GRIMM Jacob et Wilhelm, Contes choisis, Barcelone, Gallimard, 2000, p.132 et 135

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10

Blanche-Neige : elle est le personnage principal et est désignée non par un nom propre

mais par un surnom qui rappelle le symbole de sa naissance. Selon de nombreuses versions,

Blanche-Neige est née d’une pomme – naissance magique de l’héroïne. Cette jeune fille est

initialement marquée du signe de la féminité parfaite. Pour dire la beauté de l’enfant, le

narrateur utilise tout à la fois de l’affirmation directe (« Blancheneige grandissait et

embellissait de plus en plus »14

) de l’attendrissement du chasseur choisi pour la tuer, de

l’amical réserve des animaux sauvages, de l’admiration des nains et du coup de foudre du

prince. Blanche-Neige est victime d’une régression infantile. Elle ne fait que subir les

recommandations des nains : « Je ne dois laisser entrer personne, les sept nains me l’ont

défendu.»15

. À trois reprises, elle cède aux offres de la méchante reine : le lacet ainsi que le

peigne qui feront ressortir sa beauté et la pomme appétissante. Pour Marc Girard, elle est en

voie à devenir le huitième du groupe. Son séjour chez les nains débute sur un endormissement

et se termine en une mortelle léthargie : il figure le sommeil de sa féminité. Elle s’est laissée

prendre par l’image partielle et trompeuse de sa propre perfection, la pomme rouge et

blanche. Lilyane Mourey nous dit que la faiblesse est une caractéristique donnée à tous les

héros des contes. L’héroïne Blanche-Neige est une demi déesse. Elle a droit à une vie plus

longue. Elle bénéficie d’un sort exceptionnel : elle se marie avec le prince et ils vivront

heureux pour toujours.

Les nains : les nains forment un peuple travailleur vivant dans les grottes et mines

souterraines. De petite taille, les nains sont toutefois plus grands que les lutins. Ils sont cités

dans les mythologies et le folklore germanique et nordique. Paracelse fait descendre les nains

des gnomes. Claude Lecouteux précise que le terme nain est un terme générique comme elfe

ou géant. Ils sont souvent représentés vieux, laids et difformes. Les nains vivent seuls au

milieu de la forêt. Ils travaillent tout au fond de la terre. Ce ne sont pas des êtres immatures

obsédés par le travail et l’argent. La veille qu’ils organisent autour du cadavre implique un

renoncement au travail, par fidélité à leur défunte amie. Leur refus de vendre au prince le

cercueil, même pour tout l’or du monde n’évoque pas non plus leur avarice. Le choc des nains

en découvrant Blanche-Neige est esthétique et non sensuel : « O mon Dieu, s’écrièrent-ils,

mon Dieu, que cette enfant est donc belle ! »16

Leur joie fut si grande qu’ils la laissèrent sur

leur lit. Ceci montre l’asexuation des nains. Chez eux, l’absence de sexe est un état naturel,

non une tare. Les nains nomment Blanche-Neige das Kind. Le mot est neutre en allemand. Ils

14

GRIMM Jacob et Wilhelm, Contes choisis, Barcelone, Gallimard, 2000, p.131 15

Id., p. 139 16

Id., p.134

Page 10: BlancheNeige

11

s’extasient sur sa beauté et puis s’en vont dormir. Si les sept nains vont dormir, c’est parce

qu’ils n’ont rien d’autre à faire avec elle. Les nains expriment des forces inconscientes, un

aspect encore peu développé de l’animus, comme l’anthroparion, ou petit homme de métal

qui, de la fin de l’Antiquité jusqu’à la fin du Moyen-Âge, était supposé hanter les mines et

représentait les métaux alchimiques, particulièrement le « mercure ressuscité ». Le nombre 7

rattache ces nains aux métaux mais aussi à ce qui leur correspond dans le ciel : les sept

planètes, souvent associées à une huitième figure, féminine ; à cet égard on peut comparer

Blanche-Neige à la sœur des sept corbeaux dans le conte du même nom. La Sophia des

systèmes gnostiques s’accompagne souvent aussi de sept fils, l’ensemble formant une

ogdoade. Le septénaire exprimerait alors le processus de transformation vers l’octénaire

symbolisant l’accomplissement et la totalité. Dans une version algérienne, Blanche-Neige

épouse le plus jeune des sept djinns, ce qu’on peut rapprocher du passage de notre récit où les

nains admirent la jeune fille endormie.

Le prince : le héros de Blanche-Neige arrive on ne sait d’où. Il prend la relève des

nains. Il est le futur époux de Blanche-Neige et intervient à la fin du conte. Comme Blanche-

Neige, il est un demi dieu.

Les protecteurs et les adversaires

Les protecteurs et les adversaires sont souvent extra-humains.

Les protecteurs : le lecteur a de la compassion pour Blanche-Neige. Cela tient à la

cruauté gratuite des épreuves qui lui sont infligées. De plus, Blanche-Neige n’a aucun recours

face à sa marâtre. Toutefois, Blanche-Neige n’est jamais abandonnée à elle-même. Tout

d’abord, le chasseur va une première fois lui laisser la vie sauve : le chasseur sacrifie un

animal au lieu de tuer la jeune fille. Il résiste par là à la domination de la reine qui lui avait

ordonné de la tuer. Par son geste, il s’inscrit dans la lignée des figures paternelles. Des récits

parallèles mettent en scène un vieillard ou un homme sauvage au lieu des sept nains. Les

nains vont la secourir par deux fois à l’aide d’auxiliaires magiques ou d’énergies instinctives.

Quand l’anti-Eros se révélera le plus fort, ils créeront une sorte d’anti-Thanatos : en refusant

d’enterrer la jeune fille, les nains empêchent que Blanche-Neige ne subisse la dégradation à

laquelle la marâtre l’avait condamnée. Ils placent Blanche-Neige dans un cercueil de verre et

la portent dans un endroit élevé. Blanche-Neige reçoit alors la visite de trois animaux: la

chouette (rousse), le corbeau (noir), et la colombe (blanche) : l’accompagnatrice des morts,

l’oiseau des prophètes et celui de l’accomplissement érotique. Comme nous l’avons dit

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précédemment, par la succession de leur apparition emblématique, ils disent que tout n’est pas

fini, que l’ironie de la mauvaise reine n’est pas le dernier mot. Enfin le prince parvient à

briser la malédiction. Lui seul peut ravir la jeune fille à sa marâtre.

Les adversaires : il s’agit de la marâtre. Elle est la méchanceté pure. Elle fait tuer

Blanche-Neige par le chasseur, l’étouffe avec un lacet, l’empoisonne avec un peigne puis avec

une pomme.

La sorcière

À toutes époques, le sorcier face au mage est un imitateur devant son modèle. Jean

Palou dit : « Le Magicien est un maître. Le Sorcier est un apprenti »17

. L’ennui est que

personne n’a jamais pu dire où finissait la magie et où commençait la sorcellerie. La

sorcellerie est l’art de jeter des sorts. Elle existe depuis l’Antiquité et même auparavant. Elle

est un sous-produit de la magie. Elle ne consiste plus à percer les secrets du cosmos, mais

simplement à connaître de façon pragmatique des recettes venues de ces hauts savoirs,

permettant de faire le bien ou le mal. De la théorie, de la recherche magique primordiale, la

sorcière est tombée dans la pratique mercantile. Il est vrai qu’à côté d’une sorcellerie

bénéfique, s’en trouve une autre moins noble qui s’enfle à partir du IIIe siècle, quand la

religion antique s’ouvre à des cultes d’Orient, comme ceux de Mithra ou d’Isis. On passe du

mage (magus) au sorcier (maleficus). Guy Bechtel nous dit qu’il y a toujours eu sous le

christianisme deux sortes de sorcellerie : la simple et la diabolique, la sorcellerie de premier

type et la sorcellerie de second type. La première est plus classique, elle provient de

l’Antiquité. C’est la sorcellerie du simple maléfice, qui se passe du Diable, celle qui utilise

des sorts, du sortilège, des envoûtements, des incantations, des ligatures, des philtres. Il s’agit

d’un art opératoire, consistant à faire le mal, faire le cruel destin, faire le mauvais temps, faire

la mort. La deuxième est la sorcellerie diabolique, liée au démon, au sabbat. En ce sens, notre

sorcière appartient à la première catégorie. Il est surtout important, pour bien distinguer la

magie antique de celle qui va suivre et deviendra diabolique, de remarquer que la sorcière

n’est pas liée au Mal mais utilise le Mal. Elle n’est pas le serviteur du Diable, mais commande

aux esprits. La méchante reine est brûlée vive comme les sorcières. Selon Guy Bechtel, on

peut dire que la majorité des sorcières européennes, contrairement à la légende, ne furent

finalement pas brûlées vives. Ce serait en Allemagne que la chasse aux sorcières fut la plus

17

BECHTEL Guy, La sorcière et l’Occident, Paris, Plon, 1997, p. 50

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13

acharnée. Aux XVIe et XVIIe siècle, des milliers de sorcières ont été condamnées et brûlées.

On pensait que la sorcière était liée au Diable, donc au feu, élément, selon la physique

ancienne, plus léger que la terre et que l’eau. Quand la marâtre devient sorcière, elle se

transforme en une vieille femme. La représentation la plus classique de la sorcière est celle

d’une femme âgée. Pour être empoisonneuse, jeteuse de sorts, il fallait avoir de l’expérience,

donc ne pas être toute jeune. Elle se présente à Blanche-Neige comme une vieille marchande.

Elle n’est pas riche. La pauvreté est souvent une caractéristique de la sorcière. Beaucoup

d’observateurs tels Cardan, Hans Weyer, Rémy soulignent leur misère. Aussi, la sorcière

jeteuse de sorts devait être laide. Jean Bodin dans son ouvrage, De la démonomanie des

sorciers, en 1580, énumère les quinze grands crimes dont étaient selon lui coupables les

sorcières. Dans notre cas, on peut lui attribuer trois grands crimes : celui de se nourrir de chair

humaine, celui de tuer Blanche-Neige, et celui d’utiliser du poison et sortilèges. Chez Grimm,

le terme « sorcière » n’est pas employé explicitement. La reine est appelée tantôt Madame la

Reine (c’est toujours l’appellation que le miroir utilise), plus simplement la reine, la marâtre,

la belle-mère tantôt la méchante femme, la vieille mercière, la vieille, la mégère, la vieille

femme, la paysanne, la méchante marâtre ou encore la brave femme (au cours des trois

rencontres avec Blanche-Neige quand celle-ci la croit brave). Pour Marc Girard, la reine

apparaît d’abord plus froide que sorcière. Du premier déguisement, cependant, à cette

chambre secrète et solitaire, tout se passe comme si elle devenait sorcière, c’est-à-dire non

humaine. Pour dire la beauté de la reine, le narrateur utilise un mot : « C’était une belle

femme »18

. Cette beauté n’est que la trompeuse enveloppe d’un monstre : « mais fière et

hautaine »19

. Peu à peu, la reine montre son vrai visage et ce visage se s’avère de moins en

moins humain. Au mariage de Blanche-Neige, on lui apporte l’instrument de sa mise à mort,

des mules de fer chauffées à blanc avec lesquelles elle va devoir danser. Son supplice dit qu’à

trop cultiver le paraître, on finit par s’épuiser à mort. Le narrateur s’est arrangé pour nous

faire accepter le supplice de la marâtre comme la moindre des choses, la plus juste des

punitions envers quelqu’un qu’il n’a pas hésité à nommer lui-même de méchante femme et

qui a pris l’initiative des hostilités. Ce n’est pas Blanche-Neige qui se fait son propre vengeur

mais un « on » anonyme et qui représente le monde environnant à la recherche d’une

harmonie perdue.

18

GRIMM Jacob et Wilhelm, Contes choisis, Barcelone, Gallimard, 2000, p. 130

19

Id.

Page 13: BlancheNeige

14

Blanche-Neige et sa marâtre

Blanche-Neige est la beauté même. C’est pour cette raison qu’elle aura plein d’ennuis.

Avant de devenir femme envers un mari, elle devra le devenir en compagnie d’une autre

femme : sa belle-mère. Cette reine immature ne pouvait pas être une femme : sa haine pour

Blanche-Neige la parfaite était aussi une haine de la féminité. Celle-ci ne se contente pas de

jalouser Blanche-Neige, elle craint cet enfant. Ce qui se trame apparaît vite comme une

question de vie ou de mort entre les deux femmes. Si la reine doit disparaître devant

l’épanouissement de l’enfant, c’est parce que la reine se trouve en danger face à la croissance

et à la beauté de Blanche-Neige. L’une des deux doit mourir. Pour que Blanche-Neige vive, il

faut que l’autre meure. La marâtre doit mourir le jour même du mariage, c’est parce qu’elle

s’est obstinée sur ce qui rend ce mariage possible et heureux : la parfaite féminité de Blanche-

Neige.

La structure du conte

Chaque épisode donne l’impression de se déployer isolément mais chacun préparant le

suivant. La mort de la vraie mère et le remariage du père sont les détonateurs du récit. Ces

faits attirent le scandale et l’oppression et la déchéance des héros dans les contes.

L’éclatement du noyau familial d’origine est présenté comme créateur de troubles. L’aire

sociale et spatiale des contes se réduit au noyau familial, au château de l’époux royal :

échapper à l’espace perturbé et néfaste c’est-à-dire à la famille et plus particulièrement ici à la

marâtre par la fuite c’est se diriger vers un autre espace salutaire et bénéfique ou dans notre

cas le château du prince. Tout le récit de Blanche-Neige sera la transformation de l’état de

trouble, malheureux (état initial) à l’état d’équilibre, heureux (état final) et l’on rejoint là le

modèle proposé par Greimas où état initial et état final ont des contenus inversés. L’aventure

de Blanche-Neige est celle d’une libération, d’une quête du bonheur. Dans Blanche-Neige,

les séquences de dégradation- amélioration, démérite - châtiment, mérite - récompense sont

remplies : le conte finit bien, la marâtre est punie de mort, le prince qui l’a sauvé l’épouse.

La reine et la nouvelle reine

La première reine appelle l’enfant à paraître tandis que la seconde fait tout pour

empêcher la petite de devenir une femme. Le grand éclat de rire de la reine quand Blanche-

Neige tombe morte dit le plaisir d’avoir brisé une harmonie emblématique. Sa cruelle oraison

funèbre reprend comme par ironie le refrain inspiré sous lequel la première épouse du roi

Page 14: BlancheNeige

15

avait placé l’espoir d’une vie encore à engendrer : « Blanche comme neige, rouge comme

sang, noire comme ébène ! Cette fois les nains ne pourront pas te réveiller»20

.

Le Bien et le Mal

L’opposition du Bien et du Mal se retrouve dans la mythologie germanique. Dans cet

univers fortement contrasté, les personnages entrent dans des catégories bien tranchées : les

forts (la belle-mère) et les faibles (Blanche-Neige) et une nette différence d’âge : la vieille

marchande et la petite fille. Le contraste n’a pas pour seule fonction de souligner un ordre

éthique. C’est le monde de ces contes tout entier qui est contrasté comme on le voit parfois

chez un même personnage : la belle reine et la laide marchande forment une seule et même

personne. Jusqu’aux choses elles-mêmes, la pomme et ses deux côtés. Cette technique en noir

et blanc confère au récit un semblant d’objectivité et sert un style qui tend vers l’abstraction.

Il y a une omniprésence de couples d’opposition : Blanche-Neige et les sept nains, Blanche-

Neige et sa belle mère,… Les qualités et les défauts des choses et des gens sont simples et

bien tranchés. Ainsi, il y a d’un côté les gentils, les héros et les adjuvants, et de l’autre côté les

méchants, les opposants.

Le cruel

Blanche-Neige subit la grande cruauté de sa marâtre. Souvent dans les contes de

Grimm, la cruauté est exercée par un parent. Mais les méchants sont toujours punis à la fin : la

belle-mère meurt à la suite d’une danse avec des souliers en fer que l’on avait fait rougir au

feu. Elle est châtiée à la mesure de sa méchanceté. Sa conduite inhumaine se trouve punie par

une cruauté plus grande encore.

La forme

Le conte est écrit dans une langue à la fois simple, populaire et classique. Le conte

est en prose, presque dépourvu d’élan lyrique et de pathos. Il contient toutefois souvent des

vers qui ne font pas avancer l’action mais servent à souligner l’effet magico-religieux par la

vertu du rythme et de la répétition. Ce sont des paroles magiques, des prédictions, des

avertissements. Vers et chant représentent une façon d’entrer avec les puissances surnaturelles

car ils sont l’intermédiaire par lequel elles se font connaître ; c’est pourquoi presque toutes ces

20

GRIMM Jacob et Wilhelm, Contes choisis, Barcelone, Gallimard, 2000, p.140

Page 15: BlancheNeige

16

petites strophes ressemblent à des formules magiques. Dans le conte, magie, formules

rituelles, coutumes traditionnelles, sont dépouillées de leur caractère réel, réduites à leurs

éléments formels ; les petites strophes surprennent toujours mais leur fonction n’est pas tant

d’orner le contenu du récit : elles rappellent surtout l’existence d’une forme très ancienne où

ces rites et ces coutumes occupaient encore une place importante : il s’agit du mythe. Il y a un

goût des formules toutes faites. L’introduction et le final sont souvent des formules fixes et

communes à plusieurs contes.

Le Miroir Magique

Le miroir est un objet magique ainsi qu’un objet de divination : il permet de

communiquer avec l’au-delà. Il est personnifié : il a le pouvoir de parler. Le miroir dans une

variante de Blanche-Neige indiquée par Bolte et Polivka, est un chien : les animaux qui disent

la vérité représentent généralement l’instinct qui nous rappelle aux vérités supérieures. Et

selon Jung, le miroir ne flatte pas mais nous montre notre vrai visage que nous ne montrons

pas au monde parce que nous le recouvrons de la persona, masque d’acteur. Le miroir envoie

la belle-mère tenter Blanche-Neige avec des objets susceptibles de flatter la coquetterie. Ce

trait montre que la jeune fille a un point commun avec sa belle-mère : il s’agit de son côté

nocturne, de son ombre, qui tue sa vraie personnalité.

L’univers de ce conte ne prétend pas refléter la réalité. Voilà pourquoi le lecteur

accepte d’y voir une méchante reine se transformer en sorcière ainsi qu’une Blanche-Neige

revenir à la vie. Les épreuves auxquelles Blanche-Neige est confrontée représentent

symboliquement les difficultés de la vie réelle que l’enfant devra surmonter s’il veut grandir.

La cruauté est bénéfique et positive et sert les jeunes lecteurs à projeter leurs propres

émotions.

5. Adaptation cinématographique du conte par Walt Disney

Le film Snow White and the Seven Dwarfs a été montré en première mondiale le 21

décembre 1937 et la sortie du film en salle eut lieu le 4 février 1938. Il s’agit du premier long

métrage en dessin animé de Walt Disney.

Beaucoup de différences apparaissent entre le conte et le film. Tout d’abord, il n’y a

pas l’évocation de la naissance de Blanche-Neige. Celle-ci apparaît déjà comme une jeune

fille. La reine a réduit Blanche-Neige à l’état de Souillon pour en quelque sorte tromper la

Page 16: BlancheNeige

17

réalité, ce qu’il n’y a pas dans le conte. Il y a tout au long du film la présence de chansons. La

première manifestation du prince apparaît bien plus tôt dans le film. Il n’y a qu’une des trois

tentatives de la reine contre Blanche-Neige pour la faire tuer : la pomme empoisonnée. Celle-

ci contient un antidote : « La victime du sommeil de mort ne peut être ressuscitée que par un

premier baiser d’amour. »21

La reine lui fait croire que la pomme exauce les vœux. La mort

de la reine est différente : tout d’abord, elle meurt sous l’aspect d’une sorcière. Elle ne meurt

pas le jour du mariage de Blanche-Neige mais bien avant. Elle tombe du haut d’une montagne

à la suite d’une course poursuite avec les nains et les animaux. Elle avait fait basculer une

grosse pierre sur ceux-ci mais la foudre change la donne : elle tombe et la pierre s’abat sur

elle. Quand Blanche-Neige repose dans un sommeil de mort, tous les animaux de la forêt vont

la voir. Dans le conte, la visite de trois animaux (la chouette, le corbeau et la colombe) résume

tous les autres. Le réveil de Blanche-Neige se fait grâce à un premier baiser d’amour du

prince. Le film est beaucoup plus romancé. Marc Girard constate que Walt Disney a imaginé

la venue de Blanche-Neige dans la maison des nains comme un rayon de soleil dans une

maison abandonnée à la saleté et au désordre de sept célibataires endurcis et que Walt Disney

a même évoqué un trouble penchant des petits hommes pour Blanche- Neige. Dans la version

des Grimm pourtant il n’y a aucune équivoque : « Dans la cabane, tout était petit, mais si

mignon et si propre qu’on ne saurait en donner une idée. »22

. Quant à la prétendue attirance

des nains pour Blanche-Neige, elle est inexistante. Bettelheim déplore que le film de Walt

Disney donne à chacun des sept nains un nom (Prof, Joyeux, Grincheux, Dormeur, Atchoum,

Timide, et Simplet) et une personnalité distincts alors que dans le conte ils sont identiques.

Cela gêne la compréhension inconsciente de ce que les nains symbolisent : une forme

immature et préindividuelle que l’héroïne doit transcender.

Dans le film, la sorcière commande la magie : c’est avant tout une sorcellerie du mot,

le vocable, le cri, le son qui possèdent en soi une vertu magique. Une scène est en cela

révélatrice : pour son déguisement de mendiante, elle appelle des forces supérieures :

« Poussière de momie pour me vieillir

Pour changer ma tenue, du noir de nuit

Pour vieillir ma voix, un caquet de vieille mégère

Pour blanchir mes cheveux, un hurlement d’effroi

Un vent de tempête attisera ma haine

21

DISNEY Walt, Blanche Neige et les sept nains, Buena Vista Home Entertainment B.V., 1994, 87min

22

DISNEY Walt, Blanche Neige et les sept nains, Buena Vista Home Entertainment B.V., 1994, 87min

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18

Ajoute-on en encore la foudre au mélange final

Allons ta présence exerce ton charme magique »23

L’essentiel de la magie est orale. Ces mots ensorcelants sont souvent organisés en poèmes. La

sorcellerie ancienne s’exprime surtout sur le mode verbal de l’impératif. La sorcière est

stéréotypée, c’est la sorcière moyenâgeuse ou la strige, cette femme qui déchaîne les vents et

les orages, et fabrique du poison. La sorcière appelle le mauvais temps. Selon Guy Bechtel, il

existe une liaison entre la volonté de nuire et le déclenchement des grêles, tornades, … Dans

notre cas, la sorcière appelle un vent de tempête et la foudre. Ceci est attribué à des prières et

désirs maléfiques. La sorcière puise son déguisement et la préparation de la pomme

empoisonnée dans un manuel de recettes :

« Pomme

Empoisonnée

Une tranche de la pomme empoisonnée

Et les yeux de la victime se fermeront pour

Toujours dans un sommeil de mort. »24

La magie-sorcellerie populaire trouve sa source dans ces manuels. Beaucoup de sorcières

connaissaient l’existence de ce type d’ouvrages. Sans les avoir lus, elles savaient ce qui s’y

trouvait, puisque ces femmes et ces livres avaient puisé à la même source : la mentalité

populaire magique. La reine ne mange pas le cœur de Blanche-Neige. Elle n’a plus ici un

instinct d’ogresse. La sorcière est également représentée vieille marchande comme dans le

conte. Sur son visage, elle a une verrue. C’est une marque diabolique. La sorcière est laide,

bossue, boiteuse. Elle a une peau craquelée, des yeux sournois, des ongles griffus. Elle est

vêtue de guenilles. Elle a un corbeau. Cet animal est en fait un démon à son service. Il est

considéré comme un adepte du démon. Cette sorcière fait penser plus à une sorcière

diabolique qui fait de la magie noire comme le pense Grincheux.

Blanche-Neige et les sept nains, inspiré du célèbre conte des frères Grimm, se place

comme le réel pionnier d’un nouveau genre cinématographique (et se verra récompensé d’un

Oscar honorifique en 1939). Ce film va aussi servir de base aux productions ultérieures de

Disney. Le dessin animé adapte en chants et en couleurs un conte, une légende, un univers

23

Id.

24

DISNEY Walt, Blanche Neige et les sept nains, Buena Vista Home Entertainment B.V., 1994, 87min

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19

féerique, que petits et grands connaissent par cœur. Se basant sur l’idée que chacun maîtrise la

trame principale de l’œuvre initiale, Disney se permet de changer des scènes. Il en édulcore la

fin tragique pour proposer un mariage princier flamboyant, donne des noms aux nains, et

s’approprie pleinement cette histoire qui prend alors un nouvel éclairage aux yeux du public.

Page 19: BlancheNeige

20

Conclusion

Ainsi, nous avons pu voir dans le conte de Blanche-Neige des frères Grimm des

éléments significatifs comme l’importance des couleurs et des nombres mais aussi du

merveilleux : la transformation de la méchante reine en sorcière, le miroir magique… Le

conte, on l’a vu, est très stéréotypé par ses contrastes. Tout est blanc ou noir, il n’y a pas de

demi-mesure. Les personnages sont des types et non des caractères. Ils sont dotés de pouvoirs

extra-humains. La méchante reine utilise des sorts pour supprimer Blanche-Neige et finira

brûlée comme une sorcière. Cette histoire est racontée aux enfants à des fins pédagogiques. Il

était intéressant d’établir un parallèle entre le conte des frères Grimm et le dessin animé de

Walt Disney. Cela nous a permis non seulement de constater que l’histoire y est plus

romancée mais aussi de se rendre compte que la sorcière est plus typée pour frapper

davantage l’imagination des enfants.

Page 20: BlancheNeige

21

Bibliographie

Sources primaires :

GRIMM Jacob et Wilhelm, Contes choisis, Barcelone, Gallimard, 2000, p. 130-143

GRIMM Jacob et Wilhelm, Blanche-Neige et autres contes, Paris, Gründ, 1955, p. 7-20

Source audiovisuelle :

DISNEY Walt, Blanche Neige et les sept nains, Buena Vista Home Entertainment B.V., 1994,

87min

Sources secondaires :

BECHTEL Guy, La sorcière et l’Occident, Paris, Plon, 1997, p. 29-31, 49-51, 233-238, 414-

417, 436-440, 577-580, 589-591

-, Les quatre femmes de Dieu : la putain, la sorcière, la sainte et Bécassine, Paris, Plon, 2000,

p. 116-121, 141-143, 148, 150

BRASEY Édouard, L’encyclopédie du Merveilleux : Des peuples de l’ombre, Tours, Le Pré

aux Clercs, 2006, p. 125-134

-, L’encyclopédie du Merveilleux : Des peuples de la lumière, Tours, Le Pré aux Clercs, 2005,

p. 94

FAIVRE Antoine, Les Contes de Grimm : mythe et initiation, Paris, Lettres Modernes, 1979,

p. 12-13, 26-39, 41-42, 54, 62-63, 70-73, 102-103, 106

GIRARD Marc, Les Contes de Grimm : Lecture psychanalytique, Paris, Imago, 1990, p. 111-

123

MALTIN Léonard, The Disney Films, New York, Hyperion, 1995, p. 25-32

MOUREY Lilyane, Grimm et Perrault : histoire, structure, mise en texte des contes, Paris,

Lettres Modernes, 1978, p. 61-63

REY Alain, Le Petit Robert : des Noms Propres, Paris, Dictionnaires le Robert, 2003, p. 881

SAPET Jean-Marie, « Dossier » dans : GRIMM J. et W., Contes, Barcelone, Gallimard, 2006,

p. 153-172

THIESSE Anne-Marie, La création des identités nationales : Europe XVIIIe-XXe siècle,

Paris, Seuil, 1999, p. 64-66

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22

Table des matières

Introduction………………………………………………………………… ……………..p. 2

1. Biographie des frères Grimm………………………………………………………..…p. 3

2. Contes des enfants et du foyer……………………………………………………….…p. 3

3. Résumé de Blanche-Neige……………………………………………….………….…..p. 5

4. Analyse du conte…………………………………………………………………….…..p. 7

- Le merveilleux……………………………………………………..…………….….p. 7

- L’importance des couleurs……………………………………………….…….........p. 7

- L’importance des nombres…………………………………………………………..p. 8

- L’action…………………………………………………………..………………….p. 9

- Les personnages………………………………………………………....……….….p. 9

- Les protecteurs et les adversaires…………………………………………...……...p. 11

- La sorcière………………………………………………...…………………...…...p. 12

- Blanche-Neige et sa marâtre………………………..…………………………...…p. 14

- La structure du conte………………………………………………………...……..p. 14

- La reine et la nouvelle reine……………………………………………………......p. 14

- Le Bien et le Mal…………………………………………………………...………p. 15

- Le cruel…………………………………………………………………...…….….p. 15

- La forme……………………………………………………………………...…….p. 15

- Le Miroir Magique…………………………………………………………………p. 16

5. Adaptation cinématographique du conte par Walt Disney………………...……….p. 16

Conclusion………………………………………………………………………...………p. 20

Bibliographie………………………………………………………….……..……………p. 21

Table des matières………………………………………………….…………..………...p. 22