Bioéthique et recherches en génétique des populations...

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United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture International Bioethics Committee (IBC) Comité international de bioéthique (CIB) Distribution: limitée CIP/BIO/95/CONF.002/5 Paris, 15 novembre 1995 Originale : français Bioéthique et recherches en génétique des populations humaines ______________ Rapporteurs : Chee Heng Leng, Laila El-Hamamsy, John Fleming, Norio Fujiki, Genoveva Keyeux, Bartha Maria Knoppers et Darryl Macer

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United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture International Bioethics Committee (IBC) Comité international de bioéthique (CIB)

Distribution: limitée

CIP/BIO/95/CONF.002/5 Paris, 15 novembre 1995

Originale : français

Bioéthique et recherches en génétique des populations humaines

______________

Rapporteurs : Chee Heng Leng, Laila El-Hamamsy, John Fleming, Norio Fujiki, Genoveva Keyeux, Bartha Maria Knoppers et Darryl Macer

I. La génétique des populations I.1 Qu'est-ce que la génétique des populations ? Cette discipline a pour objet d'étudier les variations génétiques dans des populations déterminées et, notamment, les aspects pertinents de la structure de ces populations, ainsi que la variabilité géographique des séquences d'ADN et leur fréquence. Les changements dans le temps et dans l'espace dépendent de facteurs d'évolution, dont les plus importants pour les spécialistes sont : les mutations, la sélection naturelle (i.e. les différences dans les taux de mortalité et de fécondité des types génétiques), la dérive (fluctuations aléatoires liées à la taille démographique des populations) et les migrations. La génétique des populations traite des caractéristiques des gènes au sein d'une population par opposition à la description de ces gènes chez un individu en particulier. Le présent rapport concerne les populations humaines, mais l'expression "génétique des populations" s'applique aussi à toutes les autres espèces vivantes.

L'étude des relations biologiques entre groupes de populations humaines et la théorie de l'évolution apportent un éclairage d'un large intérêt pour la compréhension de l'histoire humaine. Les études sur les populations ne sont pas une nouveauté : de vastes enquêtes ont été réalisées dans le monde entier au cours de ces quatre-vingts dernières années. Les recherches classiques sur la diversité génétique se sont intéressé au polymorphisme des antigènes, des protéines et des enzymes, par exemple le système HLA ou les groupes sanguins. La génétique moderne est fondée sur l'analyse moléculaire du polymorphisme de l'ADN. Alors que les travaux classiques portent sur les séquences exprimées, qui représentent moins de 10% du génome, les études moléculaires sur la diversité du génome se concentrent essentiellement sur des parties du génome qui ne sont souvent pas exprimées au niveau phénotypique.

I.2 Les grandes tendances de la recherche en génétique des populations I.2.1 L'épidémiologie génétique Les populations isolées constituent la principale source d'observation des forces génétiques à l'oeuvre dans l'évolution de l'espèce humaine. Si la fréquence des gènes responsables de maladies particulières varie d'une population à l'autre, l'influence globale des gènes sur la mortalité apparaît similaire. Les données généalogiques permettent de repérer les migrations, de calculer les coefficients moyens de consanguinité ou de reconstituer la chaîne de transmission de la maladie. La méthode utilisée pour établir un tableau généalogique et les informations à recueillir dépendent des objets d'investigation, de la qualité et de la quantité des données de base, et du but poursuivi. Certaines études incluent des recherches cliniques additionnelles sur les maladies héréditaires ou des maladies courantes d'origine polygénique. De telles enquêtes épidémiologiques ont été menées au niveau d'une ethnie, d'une région ou au niveau international selon la maladie étudiée (par exemple, chez les juifs ashkénazes pour la maladie de Tay-Sachs, en Europe, en Amérique du Nord et récemment dans d'autres pays pour la mucoviscidose).

Les différences en matière de mortalité et de fécondité, ainsi qu'entre les données anthropométriques dans des groupes consanguins et non consanguins, peuvent faire l'objet d'études comparatives. Ces études permettent de tester la prédisposition génétique à l'aide de marqueurs polymorphiques dans différentes communautés, qui peut également renseigner sur la sensibilité génétique aux agents environnementaux. Il est ainsi possible de prévenir certaines maladies multifactorielles en évitant soigneusement l'exposition aux agents incriminés.

La consanguinité et les familles de grande taille présentent un grand intérêt pour la recherche en génétique des populations, mais les études sur les mariages consanguins risquent de soulever de nombreux problèmes éthiques et sociaux. Les pays où les mariages consanguins sont une tradition établie de longue date offrent un terrain propice à l'épidémiologie génétique. De tels travaux peuvent utiliser de nombreuses sources de données, comme les registres des naissances et des décès, les livrets de famille ou les enquêtes anthropologiques ou médicales, ainsi que les données socio-économiques en vue d'explorer les effets de la consanguinité.

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I.2.2 Le dépistage génétique La génétique des populations n'est pas une discipline nouvelle. Mais les techniques et le niveau d'analyse ont connu une évolution rapide. Les premières avancées ont été le résultat d'enquêtes menées dans le monde entier sur la fréquence de maladies causées par un seul gène. Puis on a procédé en laboratoire à des analyses d'échantillons de sang en vue d'établir la fréquence des allèles dans les groupes sanguins, les protéines et les enzymes du système HLA dans le monde entier. Certaines de ces études ont porté sur des échantillons anonymes conservés dans des banques du sang. D'autres ont toutefois été réalisées sur des individus sélectionnés au sein de populations cibles, tantôt vastes et ouvertes comme les Européens, tantôt restreintes et isolées sur le plan linguistique, culturel, religieux ou géographique, comme les Basques.

Sur la base de ces études, des programmes de dépistage massifs des gènes responsables de maladies particulières ont été mis en place, par exemple pour la thalassémie à Chypre ou pour la phénylcétonurie chez les nouveau-nés, dans de nombreux pays. Le dépistage et les tests génétiques ont fait l'objet d'un autre rapport du Comité international de bioéthique de l'UNESCO (CIB) et de nombreux autres travaux publiés par des chercheurs isolés ou des organisations au cours de ces vingt dernières années (parmi les études récentes sur la question, citons : Chadwick et al., 1993 ; Murray, 1993 ; McCarrick, 1993 ; "Nuffield Council on Bioethics", 1993 ; Nielson et Nespor, 1994). De nombreux aspects des programmes de dépistage actuels intéressent la recherche en génétique des populations, mais d'autres problèmes importants comme celui du consentement collectif sont de nature différente. De plus, si la recherche retient actuellement notre attention, il convient également de penser aux applications et aux retombées du Projet sur le Génome Humain qui pourraient fort bien concerner des populations entières. Aussi importe-t-il de réfléchir soigneusement aux problèmes éthiques dans la mesure où ces programmes ont pour cibles des groupes entiers d'individus asymptomatiques plutôt que des individus isolés se présentant spontanément.

I.2.3 Les variations spatiales et temporelles Plus récemment, la biologie moléculaire a permit aux généticiens d'étudier les variations spatiales et temporelles dans la fréquence des gènes. Plusieurs projets ont été lancés indépendamment les uns des autres dans différents pays ; d'autres sont conduits à l'échelle internationale, comme le "Projet sur la diversité du génome humain" (HGDP) destiné à compléter le Projet sur le Génome Humain (HGP). Certaines études s'intéressent aux variations moléculaires au sein des populations, tandis que d'autres analysent la diversité génétique dans un contexte culturel plus large. Il est possible, et cela est fréquemment fait, d'analyser des échantillons provenant de toutes les parties du monde. On considère néanmoins que les groupes humains isolés, plus homogènes, livrent davantage d'informations aux fins de la recherche génétique. Certains travaux portent également sur des échantillons d'ADN anciens, car il est permis de penser que les liens entre les groupes humains contemporains seront confirmés par les caractères génétiques de leurs ancêtres.

I.2.3.1 Les approches multidisciplinaires. De plus en plus, la diversité génétique est replacée dans un contexte beaucoup plus large. Dans certains pays, les généticiens, conscients dès le départ que seule une approche interdisciplinaire, holistique, permet une vision raisonnable et une réévaluation de la diversité culturelle et génétique, l'ont étudiée chez les populations autochtones locales. Aux fins du présent rapport, le terme "autochtone" est utilisé au sens large pour désigner tout individu vivant dans une région du monde donnée et non pas seulement les habitants qui la peuplaient à l'origine (cf. les "rapports sur les peuples autochtones" de la Commission des droits de l'homme du Conseil économique et social des Nations Unies). Les efforts conjoints déployés dans le cadre de projets de recherche intéressant la plupart des disciplines, et notamment l'anthropologie, l'architecture, les arts, la bactériologie, la médecine dentaire, la musicologie, la puériculture, la nutrition, la philosophie et la médecine, ainsi que les services de soins de santé, permettent de cerner toutes les caractéristiques des communautés isolées et de dégager un tableau beaucoup plus complet en ce qui concerne des aspects tels que les réponses culturelles et biologiques de ces communautés aux particularités de leur environnement, leur compréhension de la santé et des maladies, les lois naturelles guidant l'agriculture, la sédentarisation et l'architecture, et leur cosmogonie.

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Cette tendance à faire intervenir un large éventail de disciplines dans les études sur les populations, et à associer la communauté aux recherches, est illustrée par le projet "Expedición Humana" mené en Colombie par l'Institut de génétique humaine de l'Université Javeriana avec le concours de tous les autres départements de cette institution. Ce projet vise à étudier la diversité humaine (culturelle et biologique) d'une région du continent américain qui a été un foyer important de son peuplement et des migrations en provenance d'Asie. Des équipes de chercheurs appartenant à différentes disciplines se rendent dans des communautés, qui ont été préalablement contactées et ont donné leur consentement, et expliquent les différents aspects auxquels ils s'intéressent avant de leur demander une nouvelle fois si elles acceptent de se prêter à leurs investigations.

L'information collectée par toutes sortes de méthodes (questionnaires, croquis, enregistrements, etc.) est ensuite analysée et certains résultats ont déjà fait l'objet d'une série de publications. Elle est communiquée aux communautés à toutes fins utiles. Cette façon d'étudier la diversité des populations est moins réductrice qu'une simple analyse génétique et nous ne pouvons que recommander de telles approches plus humaines du rôle de la science et des scientifiques. Elle suscite toutefois l'attente d'un suivi et d'attentions soutenues - sous forme principalement de services médicaux complets - à laquelle il peut être difficile de répondre sauf à mettre en place des structures spéciales, ce qui coûte cher. Cela dépasse généralement les capacités de chercheurs ou équipes de recherche indépendants et nécessite un vigoureux soutien financier extérieur, le plus souvent de la part du gouvernement.

I.2.3.2 Le Projet sur la diversité du génome humain. Cette initiative dans le domaine de la génétique des populations constitue, selon les termes de L.L. Cavalli-Sforza, “un projet anthropologique international visant à étudier la richesse génétique de l'espèce humaine tout entière” (Cavalli-Sforza, 1994). Ce projet doit son nom à la proposition lancée en 1991 dans la revue Genomics d'entreprendre une étude systématique de la diversité génétique des populations humaines. Toutefois, comme le HGP, ses origines sont beaucoup plus anciennes puisqu'il s'appuie sur les travaux réalisés par les spécialistes de la génétique des populations depuis de nombreuses décennies (Macer, 1991 ; Cavalli-Sforza et al., 1994 ; Cavalli-Sforza et Cavalli-Sforza, 1995). La "Human Genome Organisation" (HUGO) a relevé le défi en créant un Comité ad hoc chargé de mettre sur pied un projet mondial. En janvier 1994, le Conseil de HUGO a décidé que cette Organisation continuerait de superviser l'élaboration du Projet ("HGD Committee of HUGO", 1994 ; Kahn, 1994). Les efforts déployés sous les auspices de HUGO visent à promouvoir la participation de tous les pays et la coordination des recherches.

Les objectifs scientifiques du HGDP tels qu'ils sont définis dans le "HUGO Summary Document" de 1994 sont les suivants :

a) “explorer les variations affectant le génome humain à travers l'étude d'échantillons prélevés dans des populations représentatives de tous les peuples du monde,”

b) “et à long terme, créer une banque d'informations pour le bénéfice de l'humanité tout entière et de la communauté scientifique internationale. Cette banque prendra la forme d'une collection d'échantillons biologiques représentant les variations génétiques dans les populations humaines du monde entier, ainsi que d'une base de données génétiques et statistiques ouverte et à long terme sur les variations au sein de l'espèce humaine qui s'enrichira au fur et à mesure que les échantillons biologiques seront analysés par les scientifiques du monde entier”.

L'intérêt scientifique du HGDP tient essentiellement à ce qu'il permettra :

a) d'approfondir notre compréhension de l'histoire et de l'identité humaines ;

b) de mieux connaître les facteurs environnementaux et génétiques intervenant dans la prédisposition et la résistance aux maladies, objectif de ce que l'on appelle l'épidémiologie génétique ;

c) d'encourager le développement des laboratoires locaux où seront collectés et analysés les échantillons génétiques.

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Même si de nombreuses études ont été réalisées à ce jour sur l'évolution des cultures et des langues et la génétique des populations (voir par exemple Cavalli-Sforza et al., 1988, 1992 ; Sokal et al., 1992 ; Feldman et Zhivotovsky, 1992) et si elles ont mis en évidence certaines corrélations entre données génétiques, culturelles et linguistiques, une enquête plus systématique portant sur un plus grand nombre de populations permettra de développer les connaissances déjà acquises et de vérifier les théories actuelles.

Les différences linguistiques suggèrent l'existence de quelque 5000 groupes de population dans le monde. A court terme, le HGDP tentera d'étudier environ 500 d'entre eux. A supposer que certains refusent de participer, il ne sera pas difficile d'en trouver d'autres. On compte donc être en mesure de collecter des échantillons auprès d'un grand nombre de populations consentantes. Si les fonds disponibles ne permettent pas une collecte à aussi grande échelle, les données réunies n'en seront pas moins utiles à la science (voir par exemple Cavalli-Sforza, 1995).

Il était prévu initialement de collecter des échantillons au sein des populations isolées, dont certaines font déjà l'objet d'études de génétique des populations. Des représentants de groupes autochtones s'en sont alarmés, craignant que les informations recueillies ne viennent renforcer l'ostracisme dont ces groupes sont déjà victimes (Lock, 1994). Toutefois, on envisage à présent de contrôler les opérations au niveau régional plutôt que central et de prendre pour cible l'ensemble des populations et non plus seulement les groupes autochtones. Les noms des donneurs ne seraient pas transmis à la banque centrale et les règles établies en matière de respect de la vie privée seraient appliquées, garantissant ainsi l'anonymat des personnes.

La création de lignées cellulaires permet de disposer en permanence des données concernant l'ADN d'individus d'une population. Pour assurer la pérennité de cette source d'informations, il conviendrait de constituer au moins deux collections indépendantes et physiquement distinctes dans des pays différents. Le comité chargé du HGDP au sein de HUGO a indiqué que l'accès à ce matériel serait gratuit, hormis une participation modique aux frais de maintenance. Toutes les données seraient communiquées au centre d'information principal, où seraient également tenues à jour des bases de données informatisées relatives à la carte génétique et aux séquences. Des efforts sont également faits pour mettre au point des techniques moins coûteuses de stockage et de séparation des marqueurs microsatellites qui pourraient être utilisées par les laboratoires locaux, ne disposant que de moyens restreints, afin qu'il puisse participer pleinement au projet.

I.2.3.3 Analyse d'ADN ancien. L'une des tendances récentes de la recherche génétique consiste à analyser des échantillons d'ADN anciens, prélevés sur des fossiles ou des restes humains en état de conservation - cheveux ou tout autre élément de l'organisme contenant de l'ADN. Les scientifiques n'ont aucune certitude concernant l'ampleur des mutations affectant au fil du temps les restes ainsi stockés. Ces restes constituent néanmoins un matériel supplémentaire pour l'étude des mécanismes de l'évolution. Les analyses effectuées sur le cadavre congelé vieux de 7000 ans, qui a été découvert dans les Alpes autrichiennes, sont un exemple de l'exploitation possible d'échantillons d'ADN anciens (Bahn et Everett, 1993). Cependant, il risque d'être impossible de retrouver des personnes habilitées à autoriser le prélèvement. Le problème du consentement se pose également dans le cas de l'utilisation des tissus d'individus récemment décédés. En 1995, un urologue a prélevé du sperme sur un cadavre à la morgue de New York à la demande de la veuve du défunt. Le sperme attend en cryoconservation l'admission de la veuve dans une clinique locale pratiquant la fécondation in vitro ("Sperm extracted from corpse is world first". Guardian, 21 janvier 1995, p. 12). Certaines cultures risquent d'être violemment opposées à de telles pratiques. Des échantillons d'ADN peuvent être prélevés sur des individus récemment décédés ou sur des sites sacrés mais présentant un intérêt archéologique, tels que des nécropoles ou des champs de bataille. De tels échantillons livreraient à n'en pas douter aux historiens toutes sortes d'informations précieuses sur la continuité des établissements et les migrations de telles ou telles ethnies. La recherche anthropologique doit-elle pour autant prendre le pas sur les valeurs culturelles et religieuses concernant le respect dû aux morts ?

La propriété des échantillons est parfois revendiquée par les personnes se considérant comme les descendants des donneurs. En Israël, une loi fait obligation d'inhumer de nouveau tous les restes humains anciens mis au jour, quelle que soit leur appartenance religieuse

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supposée (Morell, 1995). En Australie, des lois prescrivent la restitution des restes des ancêtres tribaux, afin qu'il soit procédé aux rites funéraires appropriés. Dans l'un et l'autre cas, la législation a empêché des scientifiques de mener des recherches relevant de l'anthropologie physique. Cela pose le problème du consentement collectif sur lequel nous reviendrons plus loin. Dans bon nombre de pays, les personnes qui ont perdu un proche dans une guerre ou une catastrophe réclament la restitution de sa dépouille mortelle. Est-il permis de prélever des échantillons ?

II. Les problèmes éthiques soulevés par la génétique des populations

II.1 Les bases philosophiques En matière d'éthique, la génétique des populations doit s'inspirer des principes élémentaires universels, tels qu'ils sont exprimés dans les instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme. Ces principes reposent sur la reconnaissance de la dignité intrinsèque et des droits égaux et inaliénables de tous les membres de la famille humaine. Les chercheurs se doivent donc de respecter le droit à l'autodétermination de groupes culturels particuliers, qui implique notamment la préservation des normes culturelles qui n'entrent pas en conflit avec les droits fondamentaux de la personne humaine. La Déclaration universelle des droits de l'homme (1948) et les divers instruments codifiant les droits de l'homme qui ont été élaborés sur sa base sont tous aujourd'hui des éléments du droit international (Harris, 1991). Les prescriptions du droit international en matière de droits de l'homme ne s'appliquent pas seulement à toutes les nations, mais aussi aux organisations internationales, à certaines entités spéciales comme le Vatican, à certaines catégories de personnes - comme les diplomates, les ressortissants étrangers, les réfugiés, les esclaves, les minorités - et à toutes les personnes physiques et morales et aux gouvernements. Les particuliers sont liés par le jus gentium dès lors qu'il s'agit des droits de l'homme (Green, 1987).

La première des obligations en matière de droits de l'homme est de promouvoir “le respect universel et effectif des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion” (article 55(c) de la Charte des Nations Unies). La Déclaration universelle des droits de l'homme est fondée sur l'idée qu'il existe des valeurs humaines universellement reconnues et que ces valeurs sont inhérentes à la personne humaine. Son Préambule précise que “la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables” est “le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde” (Fleming, 1995).

L'obligation de traiter "tous les membres de la famille humaine" sur un pied d'égalité en ce qui concerne les droits de l'homme interdit toute tentative visant à exclure de toute considération morale des individus auxquels n'est pas reconnue la qualité de personne. Il n'existe aucun accord philosophique au sein de la communauté internationale sur ce qui constitue la personne. En conséquence, aux termes de l'article 6 de la Déclaration universelle des droits de l'homme et de l'article 16 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966) qui disposent que “chacun a le droit à la reconnaissance en tous lieux de sa personnalité juridique”, tout membre de la famille humaine doit être traité comme une personne.

Le respect de ces valeurs humaines fondamentales, dont les droits de l'homme sont l'expression, est un impératif absolu pour toute société civilisée, par-delà les différences culturelles pouvant exister dans la manifestation de ce respect. Il s'oppose à la tentation de l'eugénisme qui réduit la valeur d'un être humain à la somme globale de ces gènes. La personne humaine possède une "dignité inhérente". Les textes relatifs aux droits de l'homme ne précisent pas les raisons pour lesquelles chaque être humain doit être considéré comme ayant une valeur unique. Ils se contentent de prendre acte du fait que la communauté internationale s'accorde à reconnaître à chaque individu de l'espèce humaine autant de valeur qu'à n'importe lequel de ses congénères. Jacques Maritain (1954), par exemple, a noté cette convergence dans la pratique sur des valeurs fondamentales quelles que soient les divergences sur le plan idéologique. Malgré toutes les difficultés, il est possible “comme l'a clairement

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montré la Déclaration internationale des droits de l'homme publiée par les Nations Unies en 1948 (...) d'établir une formulation commune de telles conclusions pratiques”. Poser la question de savoir pourquoi il importe d'adhérer à ces droits ou à ces valeurs, c'est engager un débat sur les fondements religieux et philosophiques des droits de l'homme. La mise en oeuvre des droits de l'homme dans le cadre du droit international donne par ailleurs lieu à différentes interprétations politiques.

Le cadre éthique à l'intérieur duquel s'inscrivent les recherches scientifiques doit également être conforme aux normes observées par la culture dans laquelle ces recherches sont menées, en sachant que le degré d'importance accordé aux valeurs communautaires varie selon les pays, les populations et les groupes. Ce dernier point est fort bien mis en lumière par cette recommandation : “il convient de formuler des normes éthiques minimales en reconnaissant qu'il importe, durant la collecte, de respecter les droits de l'homme des populations concernées et de traiter celles-ci comme des partenaires de travail, plutôt que comme de simples sujets d'étude. Toute région nourrit sans doute des préoccupations éthiques plus vastes que celles dont il est traité ici et qui ne doivent être considérées que comme un minimum” (HGDP, 1994).

II.2 Approches et méthodologie de la recherche II.2.1 Le consentement éclairé La nécessité d'obtenir le consentement de la population étudiée est un principe bien établi (sinon toujours respecté). Les enquêtes en matière de génétique des populations devraient être conduites par du personnel qualifié, à condition que les personnes devant faire l'objet d'un examen médical, de prélèvements sanguins (généralement inférieurs à 20 ml), ou de tout autre prélèvement biologique, aient été informées et aient donné leur consentement. Les échantillons prélevés sont envoyés au laboratoire local ou dans un autre laboratoire afin que les composantes soient séparées pour analyse. Les échantillons ne peuvent être analysés sans le consentement exprès des donneurs, qui doit être demandé et accordé avant le prélèvement (Baird, 1995). Par "consentement exprès", il faut entendre que celui-ci peut porter sur l'analyse génétique complète de l'ADN ou sur son analyse à des fins plus spécifiques, mais que le but visé doit être parfaitement clair.

La doctrine du consentement éclairé s'applique aussi bien au traitement médical qu'à la recherche. Un certain nombre d'informations doivent être fournies à l'intéressé avant de lui demander de consentir à un quelconque prélèvement ou traitement. Il importe notamment de l'informer au moins, dans un langage qui lui soit accessible, sur les points suivants :

a) le déroulement de l'acte - qui est en général simple et ne devrait pas présenter de risques si le prélèvement est pratiqué dans les règles ;

b) les risques et les bénéfices pouvant résulter des données ainsi recueillies.

Notons qu'il peut être objectivement impossible de s'assurer qu'il y a bien consentement "éclairé". Même si l'on a eu soin de donner des informations correctes sous une forme culturellement adaptée, rien ne garantit qu'elles ont été comprises. Les obligations éthiques auquel il est possible de satisfaire se limitent à fournir des informations exactes et à indiquer les risques et les bénéfices qui peuvent en découler pour les personnes et les groupes intéressés, dans une langue accessible aux sujets potentiels de l'enquête et en tenant compte des aspirations et des besoins culturels et religieux légitimes de la communauté, en particulier en ce qui concerne la formulation du consentement final. Plutôt que de consentement "éclairé", il vaudrait mieux parler de l'obligation ou du devoir qu'ont les scientifiques d'informer convenablement les sujets potentiels.

Appliquer les règles éthiques du consentement éclairé et du respect de l'intégrité de la personne est plus difficile quand il s'agit de populations entières. Il faut procéder avec beaucoup de soin pour s'assurer que les sujets potentiels comprennent les objectifs de l'étude, les risques qu'elle comporte, l'exploitation qui pourrait être faite des résultats et les droits des groupes et des individus visés. Les frontières entre tests génétiques proposés à des individus, dépistage systématique au sein de la population nationale et enquête de génétique des populations dans d'autres populations ou groupes, ne sont pas toujours bien nettes. L'éthique n'exige pas le consentement collectif pour la plupart des tests génétiques, même si dans

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certaines sociétés la liberté de choix s'arrête dès lors qu'il s'agit d'utiliser ces tests à des fins non thérapeutiques (plusieurs pays interdisent par exemple de choisir le sexe de l'enfant). Le fait que certains travaux récents impliquent l'étude de plusieurs centaines de gènes, dont les donneurs sont représentatifs de différentes populations, rend le problème du consentement collectif extrêmement complexe.

Dans le cas d'enquêtes portant sur des groupes de population, le consentement doit parfois être obtenu à différents niveaux. Dans bien des pays, il faut impérativement obtenir l'accord d'autorités haut placées avant d'entreprendre des recherches sur un groupe de personnes particulier. Cet accord doit dans tous les cas se doubler du consentement des individus et des communautés, ou groupes locaux, sélectionnés pour l'étude, que ce consentement soit donné directement ou par le canal de responsables officiels ou non - de représentants du groupe ou d'intermédiaires ayant la confiance des intéressés.

Il importe d'identifier les interlocuteurs les mieux qualifiés, les personnes habilitées à donner le feu vert, ainsi que les informations qui devront être fournies et la manière dont elles le seront. Les chercheurs doivent prendre en compte l'organisation sociale du groupe, ses buts et ses aspirations, ses valeurs culturelles, ses moeurs et ses lois (droit écrit et droit coutumier). Lorsque les méthodes de recherche nécessitent l'utilisation d'échantillons de salive, de cheveux ou de sang, il faut veiller à ce que ces prélèvements biologiques ne heurtent aucune norme ou notion culturelle relative au corps humain et à ses fonctions.

Il faut toujours tenir compte, dans la manière d'approcher une communauté, de son organisation sociale et culturelle particulière et de ses lois. C'est parfois le chef de famille ou de clan qui accepte, au nom des autres membres du groupe, la participation à l'enquête et les prélèvements biologiques. Il peut être difficile d'identifier cette personne. La question la plus épineuse - à laquelle personne n'a été en mesure de répondre - est, bien sûr, celle de savoir qui a compétence pour signifier le consentement collectif à un projet sur le génome.

Divers groupes autochtones se sont montrés irrités par le fait que les recherches menées dans le passé dans le domaine de la génétique des populations avaient été conduites sans qu'ils aient été préalablement consultés et de telles façons que le consentement obtenu l'avait été dans des termes incompatibles avec leurs normes culturelles. Les praticiens de la science moderne ne se rendent pas toujours compte que leurs objectifs et leurs aspirations ne coïncident pas nécessairement avec ceux de cultures particulières. Certaines populations peuvent juger inacceptable de se prêter à des prélèvements de salive, de peau, de cheveux ou de sang, qui seront stockés en vue de cultiver des "lignées cellulaires transformées" présentant des caractéristiques à peu près identiques à celles du donneur, lesquelles seront ensuite mises à la disposition des scientifiques du monde entier. Aussi de nombreux représentants de groupes autochtones se sont-ils vivement alarmés du HGDP.

Ces préoccupations et le lancement du HGDP auront sans doute pour conséquences bénéfiques d'amener certains membres des communautés intéressées à participer plus activement aux projets et d'inciter les chercheurs à mieux formuler les questions auxquelles leurs observations ou leurs travaux en laboratoire visent à répondre. Cela serait souhaitable pour toutes les prises d'échantillons effectuées dans le cadre d'un projet de génétique des populations. Pour réduire le fossé entre les objectifs et les aspirations d'ordre scientifique et les objectifs et les aspirations d'ordre culturel, il faut à l'avenir que l'information scientifique soit communiquée aux individus et aux communautés dans des termes qui leur soient intelligibles et, le cas échéant, par les personnalités reconnues et considérées comme dignes de confiance par eux.

Il importe d'identifier non seulement la où les personnes compétentes pour fournir cette information scientifique, mais aussi celles à qui elle sera communiquée en premier, ainsi que les mécanismes culturels par le biais desquels le consentement doit être obtenu. Il faut pour cela avoir conscience que la notion de consentement individuel qui tend à prévaloir dans les sociétés occidentales libérales ne peut être appliquée à d'autres cultures sans autre forme de procès. Dans les sociétés libérales laïques, le consentement est conçu comme l'expression "éclairée" de la volonté personnelle et de l'autonomie de l'individu. Le consentement est réputé éclairé dès lors que le sujet dispose de toutes les informations pertinentes, y compris en ce qui concerne les risques. D'autres cultures attacheront naturellement davantage d'importance à l'avis des chefs qui incarnent la sagesse traditionnelle, ou au sort des proches

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ou des membres du groupe. Dans les sociétés de type communautaire, les éléments pris en compte lors d'un choix moral dérivent de sources qui ne sont pas aussi accessibles empiriquement que des données médicales. Les valeurs morales et spirituelles qui ont façonné en profondeur la culture de tels ou tels groupes de populations sont parfois à l'origine de convictions profondément enracinées concernant l'intégrité de la personne physique et de la famille (Paulette, 1993). L'information relative au patrimoine génétique est chargée de significations émotionnelles, historiques, culturelles et religieuses pouvant varier selon les cultures et les religions. Le consentement doit être donné sous une forme qui soit de surcroît culturellement adaptée. Le consentement ne s'obtient pas dans toutes les sociétés par apposition d'une signature au bas d'un formulaire bureaucratique. La forme sous laquelle il sera signifié doit être discutée avec chaque communauté et approuvée par elle.

II.2.2 Sélection et participation Associer le groupe cible aux différentes étapes de la recherche est un bon moyen de maintenir le dialogue et de renforcer la confiance entre chercheurs et sujets d'étude. Cette participation pourra revêtir des formes diverses selon le contexte. Dans le cas de projets de recherche internationaux, la participation des scientifiques locaux et, si possible, des consultations avec les groupes autochtones, permettent de s'assurer que la communauté ou le groupe sera traité avec respect et sagesse, sans heurter ses convictions. Les méthodes et les normes appliquées lors des projets de recherche scientifique internationaux ont évoluées avec le temps. Toutefois, les valeurs proclamées par les instruments modernes relatifs aux droits de l'homme sont fort anciennes et font désormais l'objet d'un consensus en droit international. La notion de consentement éclairé est vieille de près de cinquante ans, mais s'appuie sur ces mêmes valeurs, tel le respect de la vie humaine qui découlent de l'idée de la dignité intrinsèque de la personne humaine. Les scientifiques doivent concevoir et planifier leurs projets avec beaucoup de soin. Dans un premier temps, il n'est pas nécessaire de consulter les personnes qui pourraient être concernées. Néanmoins, avant de passer à la phase d'exécution, il importe d'adapter les protocoles chaque fois qu'ils ne sont pas conformes aux règles établies en matière de recherche sur des sujets humains. Cela n'a pas toujours été le cas. Il a été révélé récemment qu'après la deuxième guerre mondiale et pendant plus de 30 ans, le Département de la défense des Etats-Unis d'Amérique avait procédé à des expériences biomédicales sur plus de 23000 personnes dans le cadre de 1400 projets de recherche, sans s'inquiéter de satisfaire aux critères du consentement éclairé. Parmi les groupes cibles figuraient des militaires, des prisonniers, des sujets (enfants et adultes) considérés comme handicapés mentaux, des personnes hospitalisées en phase terminale et des femmes enceintes. En dépit du fait que toutes ces personnes étaient des sujets vulnérables, dont la participation à des travaux de recherche exigeait des précautions éthiques particulièrement rigoureuses, on ne les a généralement pas informées et on ne s'est pas soucié d'obtenir leur accord (Estling, 1995). Les scientifiques doivent être particulièrement vigilants quand leurs projets portent sur des populations qui ont été victimes d'une discrimination au cours de l'histoire et, non seulement planifier en détail les opérations, mais aussi être attentifs aux droits de l'homme des sujets potentiels, en ce qui concerne notamment le principe du consentement éclairé. Les planificateurs du HGDP sont partis du mauvais pied, suscitant des malentendus et des craintes qui ont donné lieu à de nombreuses réactions chez les peuples indigènes. Le projet comportant la collecte d'échantillons sanguins, certains groupes le surnommèrent "Projet vampire" (Lock, 1994), tandis que d'autres s'indignaient à l'idée qu'ils faisaient peut-être partie des populations cibles alors qu'aucun de leurs représentants n'avait été contacté. La Déclaration de Mataatua sur les droits des peuples autochtones en matière de biens culturels et de propriété intellectuelle, adoptée en juin 1993, est un appel à suspendre le HGDP jusqu'à ce que ses incidences aient fait l'objet d'une discussion. L'article 3.5 de la Déclaration appelle “à un arrêt immédiat du 'Projet sur la diversité du génome humain' (HUGO) actuellement en cours d'exécution en attendant que ses incidences sur le plan moral, éthique, socio-économique, physique et politique, aient été pleinement débattues, comprises et approuvées par les peuples autochtones”. Ce texte n'est pas pour autant hostile à la science puisqu'il invite, dans sa Recommandation 2.11, à “assurer le renforcement des recherches scientifiques actuelles dans le domaine de l'écologie en développant les connaissances des communautés autochtones et les savoirs traditionnels relatifs à l'environnement”.

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De fait, le HGDP devait porter sur l'ensemble des populations et non sur les seuls peuples autochtones. Depuis, ses objectifs ont été quelque peu redéfinis, ce qui n'a pas empêché qu'il soit dénoncé dans toute une série de déclarations (Mead, 1995). Le "Summary Document" concernant le Projet sur la diversité du génome humain, élaboré par le Comité HGD de l'Association HUGO, contient des principes directeurs en matière d'éthique où sont effectivement abordés les problèmes de la participation, du consentement et de la commercialisation (HGD, 1994). La controverse n'est cependant pas éteinte. En février 1995, le Forum des peuples autochtones d'Asie a adressé une déclaration au Parlement européen dans laquelle il s'opposait vigoureusement au projet et en réclamait l'abandon (ARCW, 1995). La Déclaration des femmes autochtones, adoptée à Beijing durant la Quatrième Conférence mondiale des Nations Unies sur les femmes (30 août - 8 septembre 1995), demande “que le Projet sur la diversité du génome humain soit condamné et suspendu” et que les “droits intellectuels collectifs” soient reconnus.

Néanmoins, le 6 juillet 1995, la Commission de la science et de la technologie de la Chambre des Communes (Royaume-Uni, 1995) a donné son appui au Projet en ces termes : “Nous considérons que le Projet sur la diversité du génome humain pourrait en effet conduire à une meilleure compréhension des mécanismes de l'évolution humaine. Si l'on n'étudie pas rapidement les différences entre populations, il sera ensuite trop tard. Le Projet doit être poursuivi en prenant en compte la diversité dans la totalité de ses manifestations au sein des populations comme entre elles, faute de quoi il risquerait d'induire en erreur ou d'être insuffisamment représentatif”. Toutefois, comme le reconnaissent les principes directeurs du Projet, obtenir un véritable consentement éclairé de tous les groupes culturels, qui devront être associés au Projet pour que celui-ci porte ses fruits, ne sera pas chose aisée.

Aussi invitons-nous instamment les chercheurs à se pencher sur l'histoire des groupes qu'ils comptent prendre pour cibles de leur investigation, en ne considérant pas seulement les enjeux scientifiques, mais aussi les incidences éthiques, sociales et idéologiques du projet pour ces groupes. La Communauté européenne a suspendu le mécanisme de financement du Projet sur le Génome Humain en attendant la mise sur pied d'un système destiné à financer la réflexion sur les incidences éthiques, juridiques et sociales (ELSI). Le Canada a consacré pas moins de 13% des sommes allouées au projet à ces questions ainsi qu'au problème de l'éducation et les Etats-Unis d'Amérique entre 3 et 5%. Nous voudrions également presser l'Association HUGO de continuer de réfléchir à ces questions dans une optique internationale. Son Comité sur les incidences éthiques, juridiques et sociales, ne s'est réuni qu'à deux reprises - en 1992, puis en octobre 1995, pour débattre de la génétique des populations, et une prochaine réunion doit avoir lieu en 1996. Le problème des incidences ne concerne pas les seules recherches sur le génome, mais l'ensemble de la génétique et la science tout entière.

II.3 Utilisation des résultats de la recherche II.3.1 La confidentialité Comme la pratique du dépistage génétique l'a déjà amplement démontré, l'information génétique a d'importantes répercussions sur la vie privée. Ces questions, relatives au respect de la vie privée et aux risques d'utilisation abusive des données génétiques par les compagnies d'assurance et les employeurs, ont déjà été traitées dans le Rapport du CIB sur le dépistage et les tests génétiques de 1994.

La collecte d'échantillons d'ADN au sein de groupes de population soulèverait des problèmes analogues concernant la manière d'assurer convenablement la protection de la vie privée (Annas, 1993), mais la notion de vie privée n'est pas nécessairement identique dans toutes les cultures. De plus, il est important de noter qu'en génétique des populations, les problèmes liés à la confidentialité doivent être abordés au niveau de la communauté et non plus seulement de l'individu.

Un moyen de garantir la confidentialité au niveau individuel serait de ne pas collecter de données d'identification ou de ne pas les conserver dans la banque principale. Le champ des recherches possibles s'en trouverait toutefois réduit. L'utilisation d'un code assurant l'anonymat, assorti de solides garanties concernant les données d'identification conservées dans la banque centrale, permettrait sans doute jusqu'à un certain point de préserver la confidentialité des données personnelles collectée, dans le cadre d'une étude sur la génétique

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des populations humaines. Il arrive que l'on découvre des informations utiles à une personne, qui pourraient lui être communiquées, et il convient donc de demander aux donneurs, au moment de la collecte, s'ils souhaitent ou non être informés en pareil cas.

La confidentialité est beaucoup plus difficile à préserver au niveau des communautés. Quand bien même l'accès aux informations concernant les groupes dans lesquels ont été effectuées les prises d'échantillons serait restreint, il est fort probable que cela n'empêchera pas quiconque le voudra réellement d'identifier ces groupes. La difficulté de garantir le secret absolu sur l'identité des communautés et des groupes de population doit être abordée lors des discussions menées en vue d'obtenir leur consentement éclairé.

Dans le cas, par exemple, où l'on découvrirait que tous les membres d'une communauté ou d'un groupe de population sont porteurs d'un gène les prédisposant à une maladie à déclenchement tardif, pourrait-on garder cette information confidentielle ? Les compagnies d'assurance-maladie pourraient résilier les contrats de ces personnes ou refuser de les assurer, comme il est arrivé qu'elles le fassent avec certains individus ou membres d'une même famille dans des pays où la discrimination génétique n'est pas interdite par la loi.

Dans plusieurs pays, de tels cas ont conduit à l'adoption d'une loi sur la confidentialité des données génétiques. Même si le principe de la confidentialité figure dans "l'Esquisse de Déclaration sur la protection du génome humain" élaborée par l'UNESCO, des efforts devraient également être faits au niveau national pour prévenir de tels abus. Il y a toutefois lieu de noter qu'il est possible qu'à l'avenir des Etats exploitent certaines informations génétiques relatives à une minorité particulière à des fins politiques, par exemple à des fins répressives ou pour justifier la répression.

Cela soulève également la question de savoir qui serait responsable des données génétiques collectées. Faut-il par exemple accéder au souhait de gouvernements nationaux que la banque soit sur leur territoire et placée sous leur contrôle ? Même s'il peut être politiquement contestable de conserver des informations sur les caractéristiques génétiques des populations du tiers monde dans une banque de données centrale située à l'Ouest, l'idée qu'une telle banque puisse être basée dans un pays sous la coupe d'un régime répressif n'apparaît certainement pas préférable. Un point essentiel est de savoir si les données génétiques auront un caractère prédictif ou identificatoire.

II3.2 Brevets et bénéfices financiers En génétique des populations, le problème du dépôt éventuel de brevets se pose principalement au sujet des produits dérivés du matériel génétique de peuples autochtones. En 1993, le "Guaymi General Congress", le Conseil mondial des peuples indigènes, la "Rural Advancement Foundation International" et le Conseil oecuménique des Eglises ont fait opposition à une demande de brevet déposée par le Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique concernant une lignée cellulaire fournie par une indienne Guaymi du Panama âgée de 26 ans (RAFI Communiqué, janvier/février 1994). La demande a été alors retirée, mais, le 14 mars 1995, du matériel génétique provenant d'un membre masculin de la communauté Hagagai vivant dans les hautes terres de Papouasie Nouvelle-Guinée a fait l'objet d'un dépôt de brevet aux Etats-Unis d'Amérique et la décision, bien que contestée, a été maintenue. D'autres demandes de brevets sont également contestées (Butler, 1995).

De telles demandes de brevets ont fait peser de lourds soupçons sur les motivations de la recherche en génétique des populations humaines en général. Bien que l'objectif premier de la plupart des chercheurs soit de faire progresser les connaissances et non de réaliser des profits commerciaux - et que les scientifiques poursuivant d'autres buts soient exclus de projets particuliers comme l'affirment les responsables du HGDP - la possibilité existe que des produits, dérivés de matériel génétique collecté dans le cadre de telles recherches, soient brevetés à des fins commerciales. De plus, comme l'a montré l'affaire Moore contre les administrateurs de l'Université de Californie (1990) ("Nuffield Council on Bioethics", 1995), dans laquelle la Cour suprême a jugé que John Moore ne pouvait revendiquer aucun droit de propriété sur les cellules prélevées sur son organisme, les personnes se prêtant à des enquêtes de génétique des populations risquent de ne tirer aucun bénéfice des brevets dont pourraient faire l'objet les produits dérivés de leur matériel génétique.

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A l'heure actuelle, l'opposition au dépôt de brevets concernant du matériel génétique humain s'organise à deux niveaux. A un premier niveau, elle vise tout brevet relatif au domaine du "vivant", qui englobe les formes de vie microbienne, végétale, animale et humaine. Les raisons invoquées peuvent être d'ordre religieux ou culturel. Les objections soulevées par certains groupes autochtones sont de cette nature. De fait, l'acquisition de droits exclusifs sur des formes de vie apparues naturellement heurte les sensibilités de nombreuses cultures. Le matériel génétique apparaît comme un élément constitutif de la vie ; or le dépôt d'un brevet en fait un bien marchand que l'on peut posséder, vendre et acheter. Divers arguments sont avancés à l'appui de cette thèse, notamment le fait qu'il n'est pas prouvé que les brevets encouragent les inventions, la distinction qu'il convient de faire entre inventions et découvertes, la nécessité d'avoir librement accès aux organismes, le cas des brevets à portée étendue, le fait que les idées sur lesquelles reposent les biotechnologies sont du domaine public, le fait qu'il n'existe aucune raison particulière de privatiser des biens publics et la nécessité d'uniformiser les brevets d'utilité (Busch, 1995).

A un deuxième niveau, on fait valoir qu'il y a peu de chances que les personnes sur lesquelles le matériel génétique aura été prélevé perçoivent une quelconque contrepartie financière. Il est en effet arrivé dans le passé que de puissantes sociétés collectent du matériel et des connaissances génétiques dans le tiers monde ou au sein de populations autochtones et s'en servent ensuite pour mettre au point et breveter des produits agricoles ou pharmaceutiques sans que les personnes ayant donné le matériel ou transmis les connaissances n'en retirent le moindre bénéfice. C'est ainsi qu'au moment de sa création dans les années 70, le Conseil international des ressources phytogénétiques a créé une banque publique de 125.000 spécimens de germoplasmes végétaux. En fait, plus de 90% de l'ensemble des germoplasmes végétaux collectés dans le Sud durant les deux dernières décennies sont conservés aujourd'hui dans des banques de gènes d'Europe et d'Amérique du Nord (RAFI Communiqué, 1993a). Ce matériel a servi de base à l'élaboration de produits, dont la valeur se chiffre en milliards de dollars, pour les exploitants agricoles et l’agroindustrie des pays industrialisés, des sociétés étant ultérieurement parvenues à breveter des hybrides. Certains pays du tiers monde et certaines organisations non gouvernementales estiment injuste que les générations successives d'agriculteurs traditionnels, qui ont contribué à l'identification, à la sélection et à la culture de ces plantes, n'en retirent aucun bénéfice ni aucune reconnaissance. Il en va de même des composés pharmaceutiques et il est à craindre que ce soit également le cas demain pour le matériel génétique humain.

La Déclaration de Mataatua sur les droits des peuples autochtones en matière de biens culturels et de propriété intellectuelle adoptée en juin 1993 contient plusieurs recommandations à l'adresse des Etats membres de l'Organisation des Nations Unies. La Recommandation 2.7 note que “la commercialisation de toute plante ou médicament utilisé traditionnellement par les peuples autochtones doit être gérée par les groupes qui ont hérité de ces connaissances”, tandis que la Recommandation 2.8 demande “la suspension de toute nouvelle commercialisation de plantes médicinales et de matériel génétique humain en attendant que les communautés autochtones aient mis en place des mécanismes de protection appropriés”. La Déclaration appelle également à promouvoir “un cadre fondé sur la coopération plutôt que sur la concurrence” et à “associer plus étroitement les communautés autochtones” à “la recherche et à la formation, ainsi qu'à l'éducation” de manière à ce qu'elles puissent participer à l'élaboration des produits industriels dérivés des recherches sur le génome humain et aient leur part des éventuels profits commerciaux au lieu de n'être qu'une source d'échantillons pouvant déboucher sur d'importantes découvertes thérapeutiques. L'Atelier de consultation pour la région de l'Asie sur la protection et la préservation des savoirs autochtones qui s'est tenu en 1995 s'est également fait l'écho de ces préoccupations (ARCW, 1995).

Outre ces deux types d'objections, la question de savoir à quoi exactement s'appliquent ou ne s'appliquent pas les législations sur les brevets fait également l'objet d'un débat. L'un des premiers textes en la matière, la Déclaration sur la brevetabilité des gènes adoptée par le CIUS en juin 1992 affirme que “l'information relative aux séquences d'acide nucléique ne peut en soi faire l'objet d'un brevet. De telles séquences ne peuvent être brevetées qu'en ce qui concerne la démonstration de leur intérêt et/ou de leurs applications à l'exclusion des produits susceptibles d'en être dérivés”. De plus, il a été clairement précisé que seules sont brevetables les inventions, c'est-à-dire, les nouveaux éléments conçus artificiellement par

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l'être humain. Les découvertes de lois, mécanismes ou éléments naturels ne peuvent faire l'objet de brevets, car nul n'a le droit de s'en arroger le monopole. L'identification du génome, des gènes qui le composent et des séquences de nucléotides définissant la structure de ces gènes constitue une découverte. Par conséquent, le génome humain n'est pas, en tant que tel, brevetable.

On fait également valoir que le corps humain (et ses éléments constitutifs) ne peuvent être considérés comme un avoir, ni être commercialisés, ni par conséquent devenir une source de profits financiers (Pompidou, 1994). Cette question est également abordée dans le projet de Convention européenne sur la bioéthique, dont l'article 11 énonce que “le corps humain et ses parties ne doivent pas être, en tant que tels, source de profit”. Toutefois, le paragraphe 90 précise que cette disposition ne vise pas les tissus de rebut, tels que les cheveux et les ongles, “dont la vente ne constitue pas une atteinte à la dignité humaine”. Ce point est important car il est possible de prélever de l'ADN sur les tissus de rebut. Nous voudrions cependant faire observer que ce principe est inacceptable dans certaines cultures, comme certaines sociétés indiennes d'Amérique du Nord. Même coupés, par exemple, les cheveux conservent une signification religieuse et ne sont pas considérés comme un rebut. L'idée que la vente de tissus de rebut ne porte pas atteinte à la dignité humaine risque de ne pas être valides dans les cultures autres que celles des sociétés occidentales.

Un autre argument invoqué pour s'opposer au dépôt de brevets est que cela restreindrait les échanges entre scientifiques, ainsi que l'accès à des matériels génétiques à des fins de recherche. Les chercheurs doivent pouvoir accéder aux grandes collections de lignées cellulaires, dont la création est l'un des objectifs de projets de génétique des populations tels que le HGDP. De brevets ont déjà été délivrés pour des lignées cellulaires immortalisées et des hybridomes utiles à la recherche ou en tant que sources d'anticorps monoclonaux utilisés pour la recherche et le diagnostic. Ces lignées cellulaires sont conservées, reproduites et diffusées par des sociétés commerciales, aux premiers rangs desquels figurent "l'American Type Culture Collection" (ATCC) en Amérique du Nord et le Centre d'études du polymorphisme humain (CEPH) en France, qui facturent les échantillons demandés, de tels services étant coûteux et nécessitant des opérations de maintenance complexes. Un débat s'est engagé en 1994 sur l'opportunité de faire payer l'accès à l'ADN collecté par le CEPH auprès de 800 familles françaises. Les opinions étaient partagées, certains bailleurs de fonds souhaitant préserver le libre accès, tandis que d'autres étaient d'avis qu'un accès exclusivement payant aiderait à trouver de nouveaux appuis (voir par exemple Nature 368 (1994): 175, 575). Les pressions conduisirent finalement à renoncer à cette seconde option.

Au cas où de tels matériels seraient protégés par des brevets, les redevances à acquitter limiteraient fortement l'accès des scientifiques des pays pauvres aux recherches menées dans les pays développés, creusant encore le fossé entre le Nord et le Sud. Le problème des brevets est crucial pour les scientifiques du tiers monde, qui redoutent que leurs pays ne deviennent des fournisseurs de matériel destiné à la recherche en génétique des populations, tout en étant obligés de payer pour obtenir les produits dérivés de ces travaux.

Ce serait un handicap pour les pays du tiers monde dont les programmes scientifiques en matière de diagnostic et de thérapie utilisent les séquences de gènes disponibles dans le domaine public. Et qu'en serait-il si l'usage de protéger par des brevets le génome humain était étendu aux séquences géniques de micro-organismes endémiques dans ces pays ? Ces derniers se verraient-ils contraints de verser également des redevances pour des vaccins mis au point par leurs propres équipes de chercheurs contre la malaria, la leishmaniose, la trypanosomiase et autres maladies causées par des micro-organismes dont les séquences seraient protégées par un brevet déposé dans un pays industrialisé ?

Notons que, dans de nombreuses régions du monde, l'opinion publique est hostile au dépôt de brevets concernant l'ADN humain (Macer, 1994), même s'il est vrai que le problème est complexe et que les intérêts commerciaux qui financent la recherche doivent bénéficier d'une certaine protection. A l'heure actuelle, financer des recherches est le plus souvent considéré comme un investissement, et la tendance est à privilégier de plus en plus les visées commerciales. Cette tendance est assurément préoccupante. Lorsque priorité est donnée aux objectifs financiers, les chercheurs sont amenés à orienter leurs travaux en fonction de la possibilité d'en commercialiser les résultats au détriment de l'objectif plus noble qu'est l'avancement des connaissances.

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En conséquence, le Groupe de travail recommande qu'il ne soit délivré de brevets que pour les applications nouvelles et les processus qui pourraient être élaborés dans le cadre de recherches en génétique des populations humaines et que ces brevets soient assortis de conditions garantissant le libre accès et la libre utilisation aux chercheurs du monde entier. Dans le cas où du matériel collecté lors de telles recherches servirait à la mise au point de produits susceptibles d'être protégés par un brevet, le principe du consentement éclairé devrait être appliqué et un mécanisme élaboré d'un commun accord avec les donneurs en vue de garantir que les éventuels bénéfices financiers seraient reversés.

De tels accords ne doivent pas avoir pour base la vente de sang ou de tissus organiques, mais la coopération des deux parties à un programme scientifique pouvant apporter de gros bénéfices financiers aux sociétés qui y participent ou à celles qui, dans un deuxième temps, en exploitent les résultats. Il faut alors s'efforcer d'identifier le bénéficiaire légitime des profits commerciaux, qui peut être le gouvernement national ou une sorte de fond fiduciaire représentant les intérêts d'un groupe de population. Les recettes reversées à des pays du tiers monde, par exemple, ne parviennent pas toujours aux populations autochtones au sein desquelles les échantillons ont été prélevés. Il convient également de noter qu'aucune compensation indue ne doit être proposée en vue d'encourager le don d'échantillons (Knoppers et al., 1995), règle dont l'application risque d'être extrêmement difficile, compte tenu du caractère unilatéral des rapports de pouvoir dans les régions les plus pauvres du globe. Nous pensons que les bénéfices financiers doivent être reversés à la collectivité, et non à titre individuel.

II.3.3 Retour des résultats aux sujets de la recherche Il ne faut pas oublier que les revenus financiers ne sont pas la seule forme de bénéfices susceptibles d'être restitués aux sujets de la recherche. Plus important sans doute est le retour des données et des résultats de l'enquête aux communautés dans lesquelles ces données ont été collectées. Certains projets prévoient par exemple la publication des analyses et des conclusions sous une forme vulgarisée qui soit intelligible aux communautés et les aide à promouvoir des réponses concrètes à des problèmes particuliers.

La communication des résultats aux communautés intéressées doit également viser à renforcer l'identité collective face à l'impérialisme culturel agressif des grandes puissances industrielles. Mais c'est sans doute dans le domaine de la santé publique que les recherches en génétique des populations ont dans bien des cas les répercussions les plus poignantes. Or, il ne s'agit pas simplement de diagnostiquer tel ou tel symptôme et de proposer un traitement médical en conséquence. Dans les communautés autochtones, les problèmes dans ce domaine sont en général le résultat complexe de la rupture d'une relation traditionnelle à l'environnement, bien adaptée culturellement et biologiquement, sous l'effet des pressions économiques et politiques exercées par la société dominante. Au niveau individuel, les résultats des examens physiques, le diagnostic clinique et les possibilités de traitement, sont parfois communiquées le plus rapidement possible à chaque participant dans sa langue par les autorités sanitaires et les médecins locaux. L'objectif est de tirer parti des données médicales collectées pour améliorer la santé publique, en particulier dans les régions reculées ou ne disposant pas de services sanitaires suffisants. La fourniture de services de santé et de soins médicaux doit toutefois se faire sous une forme adaptée à la culture et à l'organisation sociale de la communauté et avoir un caractère durable. Les principes relatifs aux soins de santé primaires énoncés dans la Déclaration d'Alma-Ata de 1978 (OMS/UNICEF) constituent en la matière un ensemble de règles auxquelles il convient de se conformer.

Au niveau collectif, les données médicales peuvent être utilisés pour améliorer la santé de la population locale. Par conséquent, les groupes et les communautés doivent également retirer des bénéfices de la recherche sous forme d'une contribution à la formulation et à la mise en oeuvre de politiques de santé locales et nationales qui leur permettent d'améliorer leur situation. C'est naturellement aux communautés elles-mêmes qu'il revient de décider de ces politiques et des services de soins de santé qui seront offerts.

Les bénéfices commerciaux évoqués à la section II.3.2 pourraient se matérialiser sous d'autres formes. Une clause pourrait spécifier que les cellules, ou le sang, sont données en une seule fois et sans contrepartie, comme sur certains formulaires de don de sang ou de tissus organiques, mais la signature d'un individu peut-elle valoir renoncement par l'ensemble de la

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population à laquelle il appartient aux bénéfices commerciaux résultant des connaissances générées à l'avenir par la recherche ? Il serait sans doute techniquement possible de prendre comme sujets de recherche les étudiants d'une université internationale, qui feraient don de cellules à la science. C'est là un problème éthique délicat que nous n'avons pas résolu et qui, bien que passé sous silence jusqu'ici, nous paraît important.

II.3.4 Incidences des résultats de la recherche en génétique des populations La meilleure compréhension de l'histoire humaine qui pourrait résulter des recherches dans le domaine de la génétique des populations risque de soulever certaines difficultés. Les connaissances nouvelles ainsi dégagées pourraient être utilisées pour éduquer les groupes indigènes et les aider à mieux défendre leurs intérêts. Mais ces éléments nouveaux concernant l'évolution d'un groupe humain et les relations entre différents groupes risquent de perturber certaines visions du monde. Certains groupes de population sont fortement attachés à des mythologies, ou à des cosmogonies, qui expliquent leurs origines et leur identité, et leur communiquer des données remettant en question ces croyances peut être une affaire délicate.

Il se peut aussi que la génétique des populations apporte de nouvelles lumières sur la question de savoir qui furent les premiers occupants d'une région, sur les relations historiques des populations avec les territoires définis par les frontières nationales actuelles, ou sur la légitimité des autorités. Des gouvernements pourraient craindre que des peuples autochtones revendiquent des terres en faisant valoir l'antériorité de leur présence. Dans le cas de terres ayant fait l'objet de colonisations successives, quels habitants de quelle époque seront considérés comme propriétaires du sol aux yeux de la loi ? La génétique des populations pourrait confirmer ou invalider certaines données archéologiques ou historiques. Dans le Pacifique Ouest, par exemple, des études récentes montrent que les colons sont venus de l'Ouest et non des Amériques (Clegg, 1994).

D'aucuns estiment que la génétique des populations ne fera apparaître aucun élément nouveau sur une échelle de temps qui autorise des actions relevant du droit commun ou du droit civil (Greely, 1995). On peut aussi faire observer que l'histoire humaine est déjà en grande partie connue et qu'il est possible d'ignorer les revendications des peuples autochtones faisant valoir l'antériorité de leur présence sur un territoire, même si celle-ci est clairement établie. En prélevant des échantillons d'ADN sur des restes d'anciens, on pourrait par exemple retrouver les descendants génétiques à l'aide de marqueurs, sans qu'ils soient, pour autant, reconnus comme "héritiers légitimes" du sol par la plupart des traditions juridiques. Il n'appartient pas au Comité international de bioéthique d'envisager la modification des régimes de propriété qui tendent à escamoter cinq siècles de colonisation européenne, mais il est à noter que certaines décisions récentes des tribunaux reconnaissent les titres des peuples autochtones sur les territoires gouvernementaux en Australie et en Nouvelle-Zélande.

II.3.5 Autres problèmes soulevés par l'utilisation des résultats de la recherche L'une des craintes qu'inspire la recherche en génétique des populations est que la connaissance de l'ensemble des caractéristiques génétiques d'une population et l'accès à ces données rendent théoriquement possible la mise au point d'armes biologiques peu coûteuses visant exclusivement cette population (RAFI Communiqué, 1993b). La diversité génétique étant plus importante au sein d'un même groupe de population qu'entre différents groupes, il est hautement improbable que l'on parvienne à fabriquer des armes fondées sur des caractères génétiques particuliers en vue de l'extermination massive de groupes spécifiques. Il ne manque pas, hélas, d'autres méthodes pour mener à bien ce que l'on appelle le "nettoyage ethnique". A cet égard, il conviendrait de renforcer encore les restrictions déjà apportées par le droit international à l'utilisation des armes biologiques.

Le problème de la discrimination, de l'eugénisme, de l'ostracisme et autres détournements de la génétique des populations, est traité dans la section suivante. A terme, les données recueillies pourraient déboucher sur des thérapies géniques et des interventions sur les gènes. Le Rapport du CIB sur la thérapie génique de 1994 passe en revue bon nombre des problèmes d'éthique que ces perspectives soulèvent. Même si cela semble peu probable, il est possible qu'à l'avenir une population, ou une société, approuve l'utilisation généralisée d'un vecteur génétique à des fins médicales, par exemple pour s'immuniser contre une maladie infectieuse ou éliminer une maladie génétique au sein d'un groupe particulier. Le problème

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est lié à celui du caractère facultatif ou obligatoire des programmes de vaccination traditionnels et nous observons, à cet égard, que la vaccination est en général, et à juste titre, facultative, même si des campagnes d'information encouragent le public à se faire vacciner.

III. Les réactions de l'opinion publique

III.1 Les idéologies L'attitude du public à l'égard de la génétique des populations est souvent faussée par des idéologies sociales et des thèses racistes et eugénistes qui incitent à l'ostracisme et au réductionnisme génétique. Les idéologies racistes et eugénistes sont des constructions artificielles d'origine sociale et politique qui risquent fort de se révéler imperméables aux preuves scientifiques. De fait, il arrive qu'elles s'approprient indûment des découvertes de la science et s'en servent pour conforter et légitimer des programmes sociaux et politiques. Les chercheurs doivent se méfier de leurs propres conjectures et présupposés philosophiques, comme de ceux d'autrui, et s'efforcer de maintenir leurs travaux dans un cadre général en accord avec les principes énoncés par le droit international en matière de droits de l'homme. Ils doivent résister à la tentation d'utiliser ces travaux pour légitimer une idéologie. Faute d'être attentifs à ces problèmes, des scientifiques se retrouvent parfois involontairement mêlés à certaines manipulations abusives de leurs objectifs ou de leurs résultats, au nom de diverses idéologies.

Les scientifiques ne sont pas eux-mêmes immunisés contre l'habituel cortège de suppositions, d'antipathies, de préjugés et d'idées fausses, qui a cours dans le grand public. Malheureusement, des scientifiques ont, à diverses époques de l'histoire, crû qu'ils travaillaient dans un espace étranger à toute valeur, recueillant les données à l'état de cristaux parfaits et transcendant les autres valeurs et préoccupations humaines, dans leur poursuite d'un savoir scientifique toujours plus élevé. Comme l'a noté Alasdair MacIntyre (1982), c'est une illusion - une illusion “tenace et qui a la vie dure” - de croire qu'un observateur “peut appréhender un fait directement sans qu'aucune interprétation théorique ne vienne s'interposer”. Mais si les philosophes de la science s'accordent aujourd'hui pour reconnaître que "c'était une erreur", des chercheurs sont encore tentés de croire qu'un fait est une donnée pure et peut être appréhendé comme tel.

Nous ne prétendons nullement qu'il n'existe pas de faits, seulement des interprétations. Mais nous disons que les faits sont observés par des personnes ayant une certaine disposition d'esprit qui peut fausser l'interprétation qu'elles en font, l'observateur, avec ses déficiences et ses limites, étant incapable de replacer ces faits dans leur contexte plus général. Une fois qu'ils ont pris conscience de cet écueil, les scientifiques se montrent plus prudents et plus efficaces dans l'interprétation des données auxquelles ils sont confrontés et mieux à même d'apprécier différentes interprétations d'une même observation scientifique.

Pour que l'activité scientifique soit systématiquement mise au service de la communauté humaine de manière optimale, il importe que les scientifiques soient attentifs aux valeurs dans lesquelles celle-ci se reconnaît et qu'elle juge indispensable de défendre pour assurer son plein épanouissement. Ces valeurs reconnues de tous, que l'on trouve énoncées dans les instruments des Nations Unies relatifs aux droits de l'homme, sont en harmonie avec nos aspirations les plus profondes concernant le sens de l'existence et la solidarité entre êtres humaine, ainsi qu'avec les enseignements moraux des religions et des philosophies qui ont contribué à façonner les diverses cultures humaines. Elle-même fille de traditions prônant la quête de la vérité, l'exploration du monde naturel, la science donne le meilleur d'elle-même lorsqu'elle est pratiquée dans le respect des autres valeurs qui participent comme elle à l'épanouissement de l'espèce humaine.

III.1.1 Le racisme Les études sur les populations effectuées dans le passé ont montré que c'est au sein de chaque race ou population que la diversité génétique est le plus marquée et, si cela était confirmé, ce serait la preuve que les typologies classant les êtres humains en différentes "races" sont dénuées de tout fondement scientifique. Le "racisme" en tant qu'idéologie et en

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tant qu'attitude n'en demeure pas moins une réalité humaine. Les spécialistes de la génétique des populations font remarquer que leur discipline n'offre aucune base scientifique à la croyance que certaines races (quelle que soit la manière de les définir) sont supérieures à d'autres. De fait, la variabilité est plus forte au sein des différentes populations qu'entre elles. Cet argument doit néanmoins être formulé avec précaution. Nous pensons que le racisme et l'eugénisme sont des problèmes auxquels la génétique des populations doit rester attentive en raison des dérives possibles, même si certains membres de la communauté scientifique ne sont pas de notre avis. Les variations entre individus ou entre groupes pourraient être (sans qu'ils le soient nécessairement) associées à des jugements de valeur en termes de "supériorité" ou "d'infériorité" et encourager par là le racisme, comme certains le reprochent à la pratique du conseil génétique.

Les études passées montrent que c'est au sein d'une même race ou population que les gènes sont sujets aux variations les plus fortes, ce qui, si cela se vérifie, pourrait être utilisé pour combattre le racisme. Le mot "race" est à proscrire puisque la typologie auquel il renvoie est scientifiquement démentie par les résultats des recherches actuelles. La génétique des populations a recours à des enquêtes linguistiques et anthropologiques (Marks, 1995). Certaines de ces enquêtes ont été mal utilisées dans le passé et les chercheurs doivent aujourd'hui les exploiter avec la compétence et la prudence requises.

Dans le passé, les peuples du tiers monde en général, et les peuples autochtones en particulier, ont servi d'objet d'études aux scientifiques des pays développés. A l'origine, l'anthropologie était fondée sur l'étude des races "exotiques" et les anthropologues partageaient les préjugés de leur époque. C'est ainsi que dans la deuxième moitié du XIXe siècle, la craniométrie, utilisée par des scientifiques occidentaux, prétendait classer les races en fonction de différentes mesures de la boîte crânienne. Cette typologie plaçait la race blanche tout en haut de l'échelle et la race noire tout en bas, au même rang que les singes (Gould, 1981). Il y a également lieu de noter que discrimination religieuse et discrimination ethnique vont souvent de pair.

Le Conseil mondial des peuples indigènes s'est ému que l'on envisage de recueillir les cellules de membres de populations menacées de disparition (Roberts, 1992 ; Pahr, 1994). Il avait cru comprendre que le HGDP ne visait que les peuples en péril, ce qui ne doit pas être le cas (Majumder, 1995). Or, ce projet ne contribue nullement à l'extinction des groupes qu'il étudie.

Compte tenu des lourdes erreurs commises dans le passé récent, il n'est pas surprenant que de nombreux peuples du tiers monde et populations autochtones voient les recherches occidentales d'un oeil suspicieux. Pour dissiper les soupçons, les chercheurs ont élaboré des méthodes de travail qui associent davantage les groupes étudiés ou mis sur pied des projets qui ne visent pas seulement à étudier ces groupes, mais à partager avec eux les résultats des recherches et tous les bénéfices qui pourraient en résulter.

Les organisations représentant les peuples autochtones dénoncent aujourd'hui les arrière-pensées des recherches consacrées à des populations autochtones. Dans certaines parties du monde, des cultures sont en voie de disparition. L'exploitation massive des forêts tropicales humides prive par exemple les populations autochtones qui y vivent de leur base alimentaire et de leurs ressources en eau et les chasse de leur territoire. Ces populations finissent par grossir les rangs de la main d'oeuvre salariée travaillant sur les chantiers forestiers et dans les plantations commerciales. La décomposition de leur tissu social met en péril leur identité et leur culture. Pour nombre d'entre elles, la lutte pour la survie collective est une urgence. Dans de telles circonstances, l'appel lancé par les chercheurs à collecter le matériel génétique des populations autochtones, avant qu'elles ne disparaissent, peut paraître à certains terriblement insensible et cynique. Si ces recherches sont de surcroît subventionnées par les gouvernements, elles risquent d'accaparer des fonds et des ressources qui pourraient être investis dans d'autres domaines.

Etant donné les brassages qui se sont produits dans le passé, et dont l'ampleur s'accentue de nos jours, certains spécialistes de l'anthropologie culturelle estiment difficile de définir des populations linguistiques et génétiques (Lock, 1994). On observe également une large diversité entre de nombreuses cultures en ce qui concerne les attitudes à l'égard des problèmes de bioéthique. C'est ainsi que lors d'une enquête internationale sur la bioéthique

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("International Bioethics Survey") réalisée en 1993 dans divers pays, les réponses données dans chaque pays à toute une série de questions ouvertes sur des thèmes comme la maladie, la nature, la vie et les techniques génétiques, ont fait apparaître un même éventail d'opinions différentes, leur distribution étant identique entre tous les pays et dans chacun d'entre eux (Macer, 1994). Il semble donc que la diversité culturelle s'inscrive tout aussi en faux contre la notion de race que la diversité génétique. On pourrait considérer que la discrimination médicale et la discrimination culturelle ou religieuse tendent à se répandre et à remplacer la discrimination "raciale", mais dans tous les cas des groupes de personnes se trouvent cataloguées.

Il est amplement démontré que, s'il existe une grande diversité au niveau des individus, les différences moyennes entre groupes humains sont faibles. Par conséquent, la croyance selon laquelle certaines races sont plus "douées", "intelligentes" ou "meilleures" que d'autres, ne repose sur aucune base scientifique et la recherche moderne ne cautionne en aucune façon le racisme. Il importe toutefois de manier cet argument avec précaution pour ne pas donner l'impression fausse que l'on part de l'hypothèse que s'il était effectivement possible de démontrer que certaines races sont plus "douées" que d'autres, ou étaient dotées de gènes "meilleurs" ou plus "performants" qu'elles, elles seraient alors supérieures et les autres inférieures.

Toutes les recherches menées dans le domaine de la génétique des populations doivent tenir compte des obligations éthiques consacrées par le droit international. Il ne faut cependant pas se dissimuler que ceux qui cherchent à utiliser les découvertes de cette discipline pour étayer des mouvements et des idées contraires aux droits fondamentaux de l'être humain ne s'en priveront certainement pas. La meilleure attitude n'est pas d'affirmer que les résultats des recherches vont leur donner tort, autrement dit, combattre le racisme, mais de reconnaître que les découvertes de la science sont ce qu'elles sont et de les mettre au service des droits qui découlent de la croyance universelle dans la dignité intrinsèque de l'être humain. La science ne peut ni "démontrer", ni "invalider", de telles valeurs. L'UNESCO devrait activement encourager le grand public à mieux accepter la différence et la vulnérabilité et promouvoir la diversité humaine comme une valeur. S'il existe certaines valeurs humaines fondamentales qui doivent servir d'assise à toute réflexion bioéthique, il faut aussi prendre en compte d'autres valeurs culturelles dans lesquelles toutes les sociétés ne se reconnaissent pas nécessairement et apprendre à respecter les conceptions éthiques de différentes sociétés.

III.1.2 L'eugénisme Le terme "eugénisme" a été forgé en 1883 par Francis Galton pour désigner la "science" qui vise à améliorer l'espèce humaine en donnant “aux races ou aux lignées les mieux adaptées une meilleure chance de l'emporter rapidement sur les moins adaptées”. Si l'eugénisme de Galton était d'inspiration raciste, tel n'est pas nécessairement le cas des nouvelles conceptions de l'eugénisme avancées depuis la deuxième guerre mondiale, dont l'objectif est l'élimination des défauts génétiques héréditaires par le conseil génétique, avec recours à l'avortement, voire à l'infanticide, ou l'amélioration du patrimoine génétique d'un individu (cf. Kevles, pp. 251-268). Par conséquent, l'eugénisme et les notions de "supériorité" et "d'infériorité" ne relèvent pas nécessairement du racisme.

De fait, ce serait une erreur d'assimiler exclusivement l'eugénisme au racisme. L'eugénisme découle d'une vision étroite, du désir de protéger "son" groupe et d'une attitude de rejet à l'égard des personnes physiquement ou intellectuellement handicapées. Son moderne avatar n'est pas tant raciste en général qu'inspiré par le désir de limiter le nombre des personnes dont l'existence est considérée de si piètre qualité que, eu égard au fardeau qu'elle représente pour la société comme pour les intéressés, elle ne mérite pas d'être vécue. Il est naïf de s'imaginer qu'un scientifique, en tant que tel, ne saurait céder au racisme, à l'eugénisme ou au paternalisme.

Le danger sur le plan biologique et culturel est que les découvertes de la génétique ne soient rigidement interprétées comme la seule grille d'explication de l'évolution humaine. Dans les premières décennies du XXème siècle, le mouvement d'hygiène raciale, dont les prétentions eugénistes se fondaient sur une interprétation erronée de la science a encouragé des groupes entiers d'individus à adopter des attitudes négatives. Dans les années 50,

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l'eugénisme était tombé en discrédit. Mais des explications génétiques du comportement humain sont avancées aujourd'hui avec de plus en plus de force, comme on peut le voir depuis une dizaine d'années dans la presse scientifique et populaire (Nelkin et Lindee, 1995).

L'eugénisme peut être pratiqué - et l'est en effet - au sein d'une même population, précisément sur la base du "réductionnisme génétique" selon lequel certaines vies sont censées constituer un fardeau pour la collectivité, les intéressés et leurs familles, et ne valent pas d'être vécues. Il ne s'agit alors absolument pas de race, mais de handicap.

Le problème est que la manière dont cet argument est souvent formulé laisse entendre que les différences génétiques entre individus offrent une base rationnelle à l'opposition "supérieur/inférieur". La vérité est que l'eugénisme procède d'une attitude qui, comme le racisme, cherche sa justification dans la science. Il ne s'agit que de visions stéréotypées et de conceptions philosophiques rejetant la notion fondamentale de dignité intrinsèque de l'individu humain et niant le caractère inviolable et inaliénable des droits de l'homme qui découle du consensus international concernant la valeur de chaque être humain. Les valeurs humaines ne varient pas selon la santé, le sexe, la race, les doctrines de la personne ou tout autre facteur.

L'eugénisme et le racisme sont deux théories politiques et sociales et non des catégories scientifiques. L'eugénisme peut être également lié au rejet des personnes souffrant de handicaps, à l'idée lancée par Nietzsche que les infirmes et malades chroniques constituent une menace pour les individus sains (Nietzsche, 1910) et que la prise en charge des handicapés, des personnes âgées et des malades atteints d'une affection chronique, représente un fardeau économique pour la collectivité. Il est très important de comprendre que l'information scientifique a peu de chances, en soi, de ne parvenir jamais à ébranler sérieusement la notion de race en tant que catégorie politique, ou, l'eugénisme en tant que mouvement politique et social.

Ce serait une erreur de croire que l'eugénisme appartient au passé, alors qu'il continue de se manifester de nos jours de manière plus insidieuse. Il est arrivé par exemple que des compagnies d'assurance résilient les polices de certains assurés parce qu'une prédisposition génétique à une maladie avait été diagnostiquée chez un membre de leur famille. On a parlé à ce sujet de discrimination génétique (Billings, 1992).

Il convient également de noter que l'eugénisme inspire de nos jours certaines politiques nationales. C'est le cas de la politique démographique de Singapour, qui encourage les femmes diplômées de l'université à avoir davantage d'enfants, dont on croit qu'ils seront doués d'une plus grande "intelligence", tandis que les femmes moins instruites sont dissuadées d'avoir plus de deux enfants (Chee et Chan, 1984).

Notons que faire porter les recherches sur un nombre aussi grand que possible de groupes d'individus, y compris les groupes exposés à une discrimination de type eugéniste ou au racisme, pourrait être un moyen de lutter contre ce dernier, puisque les cartes génétiques et les bibliothèques de gènes, auparavant établies à partir d'une seule population, recenseraient alors la totalité de l'espèce humaine. Face aux avancées récentes de la recherche génétique, des voix s'élèvent de plus en plus nombreuses pour formuler la crainte que les personnes souffrant de maladies particulières ne soient victimes d'une discrimination. Le Rapport sur le dépistage et les tests génétiques du CIB aborde certaines de ces questions.

III.1.3 L'ostracisme L'ostracisme peut frapper des groupes de populations choisis comme objet d'étude en raison de l'incidence élevée de telle ou telle maladie génétique en leur sein et désignés de ce fait comme génétiquement différents. Il faut veiller à ce que les groupes cibles ne soient pas, d'une façon ou d'une autre, stigmatisés, simplement parce qu'ils sont une curiosité pour la science ou parce que, faisant plus fréquemment que d'autres l'objet de recherches et les connaissances accumulées à leur sujet étant plus nombreuses, ils semblent plus que d'autres prédisposés à une maladie. Un tel stigmate peut être à l'origine d'une discrimination injuste.

Il ne faut pas s'étonner si certains groupes se montrent méfiants quand ils ont le sentiment d'avoir été sélectionnés pour une enquête génétique. Ils craignent, et c'est compréhensible, que les organisateurs du projet s'intéressent à eux comme à des "spécimens" particulièrement "intéressants" parce qu'ils sont en voie d'extinction. Il convient néanmoins

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d'encourager les aspirations légitimes d'un point de vue scientifique et éthique des spécialistes de la génétique des populations, même lorsqu'elles sont mal comprises. Lorsque de tels malentendus se produisent - et cela peut arriver de part et d'autre - les chercheurs concernés, les sujets de recherche potentiels et les groupes de pression doivent se montrer suffisamment ouverts pour rendre possible le dialogue qui permettra de les lever.

III.1.4 Réductionnisme génétique et optique holistique Le "réductionnisme génétique" consiste à n'évaluer des individus que sur la seule base de leur patrimoine génétique. La science occidentale a souvent été tentée de présenter une explication globale en invoquant des connaissances d'un niveau plus général ou un aspect jugé plus fondamental. Certains chercheurs se voulant les continuateurs de Darwin proposent une explication des origines et de l'évolution de l'espèce humaine uniquement fondée sur l'analyse de l'ADN. Des individus sont catalogués en fonction de certains marqueurs de prédispositions congénitales. Quels que soient les avantages théoriques et scientifiques de telles classifications, les chercheurs doivent toujours considérer les êtres humains selon une optique holistique, à la fois en tant qu'individus dotés d'une dignité et en tant que communauté indissociable d'une culture et d'un environnement particuliers. C'est précisément sur ce point que les objections opposées par certains groupes de populations à la génétique des populations sont les plus véhémentes. C'est une erreur de penser, par exemple, que l'opposition à certains projets de recherche est le fruit de malentendus et d'une mauvaise compréhension des objectifs scientifiques et de l'utilisation qui sera faite des données recueillies. Il faut y voir, beaucoup plus fondamentalement, un conflit entre deux philosophies et deux conceptions culturelles des origines de l'humanité, de la responsabilité de chacun et de la sécurité collective incarnée par les générations passées, présentes et futures. Pour nombre de peuples indigènes, la dignité des ancêtres est présente “dans le sang, les cheveux, le mucus, les gènes”, de sorte que certains projets de recherche sont perçus comme une intrusion “dans le domaine hautement sacré de l'histoire du groupe autochtone, de sa survie et de sa responsabilité à l'égard des générations futures”. Parmi les catégories de populations auxquelles s'intéressent les chercheurs figurent celles qui permettent d'apporter une réponse à des questions spécifiques concernant les "groupes ethniques", linguistiques et culturels contemporains. Le choix se porte sur les populations formant une entité anthropologique distincte, isolée linguistiquement ou en danger de perdre son identité génétique, ainsi que sur celles qui occupent une position dominante dans des régions particulières. Si les groupes dominants n'ont rien à redouter, certains groupes minoritaires sont déjà victimes de préjugés ethniques et s'inquiètent par conséquent de toute information qui pourrait être utilisée contre eux. Les données génétiques pourraient par exemple inciter à les classer dans une catégorie à part : si les Français sont porteurs d'un gène qui en fait de bons viticulteurs et de grands buveurs, cette particularité peut nuire à leur réputation, mais elle peut aussi les désigner à l'admiration. La perte de l'identité génétique est en général le résultat, non d'une "purification ethnique", mais du brassage des gènes dû aux mariages entre membres de différents groupes de populations. Il est normal que les groupes qui sont physiquement menacés par des tentatives d'extermination, comme les Kurdes en Iraq ou les Tutsis au Rwanda, se montrent également préoccupés. Si le réductionnisme génétique résulte d'une mauvaise interprétation de la science et incite à la discrimination à l'encontre d'une "sous-classe génétique", il représente également une menace pour les mythologies ou cosmogonies différentes de celles des cultures dominantes. Toute enquête de génétique des populations doit respecter la sensibilité et les normes culturelles et sociales légitimes de chaque groupe de population. Nouer le dialogue avec les groupes de défense des handicapés et les communautés ethniques est un bon moyen d'apaiser les craintes des groupes exposés à une discrimination eugénique ou raciste. C'est ainsi que les aborigènes d'Australie, victimes du racisme depuis la colonisation du continent par les Européens, se sont inquiétés de la décision - prise le plus souvent aux Etats-Unis ou en Europe - d'entreprendre des recherches sur leurs groupes sans les consulter. Les planificateurs des études sur les populations pourraient lever ces inquiétudes et parer à tout risque d'abus en associant les peuples autochtones aux différentes étapes de leur élaboration, ainsi qu'à une réflexion éthique sur la manière de les conduire. “Les droits de l'homme des populations doivent être respectés” et ces populations traitées comme “des partenaires de travail et non comme de simples sujets d'étude” (Cavalli-Sforza, 1994).

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L'une des raisons fondamentales de l'opposition des groupes autochtones à l'étude génétique de l'histoire humaine est la crainte que les résultats ne contredisent l'histoire orale et traditionnelle et leurs conceptions des gènes et de la généalogie. Ainsi, les Maoris possèdent deux mots pour désigner le gène humain, l'un qui signifie "esprit vivant des mortels" (iratangata) et l'autre qui se réfère à la généalogie (whakapapa), c'est-à-dire les liens entre membres de leur groupe et entre ce groupe et les autres (Mead, 1995). Gènes et génome n'appartiennent pas en propre à un individu, mais font partie du patrimoine d'une famille, d'une communauté, d'un groupe ethnique, d'une nation tout entière. A cet égard, la position de l'UNESCO selon laquelle le génome humain est le patrimoine commun de l'humanité est plus proche des conceptions des groupes autochtones que le point de vue, évoqué plus haut, de ceux qui voudraient breveter les gènes.

Pour vaincre ces résistances, on a pris soin de dissocier les recherches relevant de la génétique des populations et le débat sur la brevetabilité, en indiquant que déposer des brevets n'était pas l'objectif premier de ces recherches et que, dans l'éventualité où elles déboucheraient sur des produits génétiques qui seraient commercialisés, les personnes à l'origine de ce matériel génétique recevraient leur part des bénéfices financiers. Certains ont jugé cette proposition acceptable, mais d'autres ont fait observer qu'elle n'aboutissait qu'à impliquer les peuples autochtones dans un système où les organismes vivants et les connaissances de leurs communautés sont considérés comme des marchandises pouvant être brevetées, "possédées" et vendues.

Le débat sur les incidences éthiques, juridiques et sociales, des recherches sur le génome humain reflète une vision particulière du monde liée à une économie planétaire dominée par des sociétés multinationales en quête de profit. La controverse sur le problème des brevets s'inscrit dans cette logique. Mais lorsque des chercheurs collectent des germoplasmes dans les exploitations agricoles et les forêts humides tropicales et recueillent les connaissances et les savoir-faire des populations autochtones et paysannes, sans que leur soit réclamée la moindre compensation financière, c'est une autre vision du monde qui se fait jour.

Les organisations représentant les peuples autochtones ont commencé à mettre en avant leurs propres systèmes de valeur et à discuter des moyens de préserver et de perpétuer leurs savoirs et leurs cultures. Ce faisant, elles ont dénoncé la pratique des brevets comme étant en totale contradiction avec ces systèmes de valeurs. Une étude oppose le “système d'innovation fondé sur la coopération” des autochtones et le “système d'innovation institutionnel” de la science moderne et appelle à reconnaître la contribution et l'intérêt mondiaux du premier dans le domaine de la production alimentaire, de l'agronomie et de la pharmacologie (RAFI/PNUD).

III.2 L'éducation en matière de bioéthique et de génétique L'éducation en matière de bioéthique et de génétique est une nécessité si l'on veut que le public comprenne ce qu'est la génétique des populations. Ce type d'éducation bénéficie du soutien général. La question est de savoir quel en sera le contenu, qui la dispensera, qui la recevra et qui la financera. Le CIB l'appelle également de ses voeux dans le Rapport sur le dépistage et les tests génétiques et elle est conforme aux buts assignés à l'UNESCO par ses fondateurs. La recherche en génétique des populations nécessite la collecte d'échantillons dans différentes populations. En cela, elle fournit des occasions de mettre en relation enquêteurs et enquêtés en un processus éducatif fondé sur l'échange réciproque.

Nous l'avons dit, il importe que les chercheurs associent les participants locaux à la recherche. Une chance est ainsi offerte à ces derniers de recevoir une formation approfondie en génétique et d'apprendre à mener des consultations avec les groupes locaux en vue d'obtenir leur consentement, toutes choses qui ne figurent actuellement pas dans les programmes locaux de science et de droit ! Il serait bon que les chercheurs nouent également des relations de coopération au niveau international. De fait, les chercheurs en anthropologie doivent se familiariser avec les coutumes et les croyances locales et ils pourraient ensuite partager leurs connaissances avec le reste du monde, en un effort pour contribuer à la compréhension entre les peuples. Ainsi la recherche serait pour tous l'occasion de s'instruire.

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Les groupes participant aux enquêtes seront alors en mesure de comprendre les raisons de la collecte d'échantillons et les objectifs de la recherche. Ils seront peut-être intéressés par la possibilité de rencontrer des personnes étrangères à leur communauté, même si ces contacts ne doivent pas susciter des attentes irréalistes. Il est indispensable de leur communiquer les résultats. Certains représentants de populations autochtones ont toutefois indiqué qu'ils ne souhaitaient pas prendre connaissance de résultats qui remettraient en question la vision locale de l'histoire, sur le plan biologique et culturel.

On le voit, tout le monde peut tirer profit de recherches entreprises avec la volonté d'apprendre. D'autres questions exigent une attention particulière en ce qui concerne la génétique des populations, notamment celles que nous avons examinées plus haut dans la section consacrée à l'idéologie. Le racisme et l'eugénisme sont des attitudes profondément ancrées, souvent liées au désir de préserver le pouvoir exercé par son propre groupe, plutôt que le résultat d'une réflexion rationnelle. On admet généralement que l'exploitation de la génétique à des fins impropres est favorisée aussi, jusqu'à un certain point, par une connaissance insuffisante de cette discipline. Beaucoup espèrent qu'une meilleure initiation à la génétique et aux problèmes de bioéthique qu'elle soulève modérerait les tendances racistes. Ce point de vue est toutefois contredit par le fait que les thèses eugénistes ont été défendues au début du siècle par des biologistes parfaitement informés (Paul et Spencer, 1995). D'aucuns font valoir que les programmes d'eugénique sociale de cette époque reposaient sur des théories génétiques fausses ; dans les deux cas, l'histoire témoigne du pouvoir de l'éducation.

Ces efforts d'éducation doivent viser le grand public, mais aussi les écoliers et les étudiants. Les progrès de la biologie et de la médecine obligent de manière générale les éducateurs à se demander comment préparer ces derniers à faire face aux difficiles problèmes éthiques que soulève fréquemment la technologie. Depuis les années 60, la science est enseignée dans les écoles et les universités de nombreux pays indépendamment des valeurs sociales ou éthiques. Or, les spécialistes de l'enseignement des sciences ont découvert au cours des deux dernières décennies que la méthode pédagogique la plus efficace consiste à illustrer la théorie par des exemples empruntés à la technologie et à replacer les faits dans leur contexte social. Cette méthode est désignée habituellement sous le nom d'approche STS (science, technologie et société) (Ramsey, 1993). La bioéthique en constitue un aspect. Les opinions divergent quant à la manière d'aborder efficacement les problèmes sociaux, voire la science elle-même (Waks et Barchi, 1992), mais il est de fait que les élèves assimilent mieux un enseignement articulant la science à ses applications pratiques. Le problème est que l'enseignement des valeurs a été lui aussi utilisé abusivement dans le passé pour promouvoir la discrimination et que le mot "science" à un poids tel qu'il peut donner à croire que ces valeurs sont elles aussi scientifique. Il convient de réfléchir à ce qui peut être enseigné et d'insister sur la prise de décision et la reconnaissance de la diversité humaine.

A l'évidence, ces efforts d'éducation ne peuvent être entièrement financés sur le budget de la recherche en génétique des populations. Aussi les programmes sur les incidences éthiques, juridiques et sociales, et les problèmes éducatifs menés dans le cadre du Projet sur le Génome Humain devraient-ils prévoir l'allocation de fonds à cet effet.

IV. Conclusions IV.1 Résumé Des efforts ont été faits récemment pour réglementer davantage les recherches portant sur des sujets humains. Parallèlement à l'action menée par des organisations internationales telles que l'UNESCO ou l'Association HUGO et les organismes de financement nationaux, des lois ont été votées dans de nombreux pays pour instituer des comités d'éthique, tels que les "Institutional Review Boards" (MacKay, 1993). La génétique des populations est désormais soumise à différents niveaux de contrôle, très différents selon les pays. Si l'organisation de certaines recherches est laissée à la discrétion des scientifiques, ces derniers ne peuvent prélever des échantillons de tissus qu'avec l'accord des donneurs, les règles internationales concernant les recherches sur des êtres humains prescrivant clairement d'obtenir leur consentement éclairé. Certains organismes de financement exigent une

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évaluation éthique, comme dans le cas des recherches financées par les NIH aux Etats-Unis d'Amérique. Certaines universités dans le monde demandent également de procéder à une évaluation éthique et cette pratique est appelée à se généraliser à l'avenir. Projet international, le HGDP appelle l'élaboration de normes internationales en matière de consentement et de confidentialité qui, convenablement appliquées au niveau local, offrent des garanties aussi satisfaisantes que les principes déjà observés par les programmes de recherche existants.

S'agissant des aspects éthiques, juridiques et sociaux de la recherche en génétique des populations, plusieurs questions de principe doivent être prises en considération. Des représentants légitimes des populations cibles doivent siéger en nombre suffisant au sein de l'organe chargé de superviser les recherches. De fait, les groupes de population doivent être largement associés à toutes les étapes des projets de recherche. Les populations qui fournissent les échantillons ayant légitimement à coeur de défendre leurs droits en matière de biens culturels et de propriété intellectuelle, des mécanismes spécifiques devront être élaborés à cet effet. En outre, il importe de prendre des engagements concrets et précis concernant le retour aux populations locales des bénéfices éventuels générés par les projets, de manière à ce que la forme sous laquelle il s'effectuera soit parfaitement claire ; ainsi, le HGDP doit aboutir à la création de laboratoires scientifiques locaux.

Le Comité international de bioéthique de l'UNESCO devra décider s'il convient qu'il formule un certain nombre de principes directeurs et apporte des éclaircissements concernant les mesures et les procédures concrètes. Comme l'a fait observer Majumder (1995), membre indien du Comité exécutif du HGDP, l'image favorable dont jouit dans certains pays un organisme des Nations Unies tel que l'UNESCO serait propre à apaiser les inquiétudes des responsables politiques et des groupes locaux, si cet organisme prenait un intérêt direct à la supervision du projet. De fait, comme nous avons pu le constater au cours des consultations auxquelles a donné lieu la rédaction du présent rapport, certains chercheurs et certains groupes de population souhaitent que l'UNESCO en examine les aspects éthiques et crée un comité chargé de poursuivre cet examen et d'évaluer les propositions. Cela nécessiterait toutefois l'élaboration de directives plus détaillées sur les problèmes éthiques et commerciaux soulevés par le HGDP. Ces directives seraient également précieuses pour la génétique des populations en général. Quoi qu'il en soit, il conviendrait de consulter en premier les autorités locales (communautaires et nationales) pour s'assurer que de telles directives détaillées tiennent pleinement compte des préoccupations, des intérêts et de la situation des communautés et des pays concernés.

Il est important que l'UNESCO, l'OMS, le CIOMS, l'Association HUGO, le CIUS et éventuellement d'autres organismes encore, jouent un large rôle au sein du comité régulateur. Il est indispensable d'associer des représentants des groupes de populations aux différentes étapes des projets de recherche en génétique des populations et aux travaux du comité de supervision. Deux représentants de groupes de peuples autochtones siègent au sein du Comité du HGDP pour l'Amérique du Nord et il devrait en être ainsi au niveau mondial, mais il faut veiller à choisir des représentants qualifiés. Ce choix dépendra sans doute de la région et de la situation locale et devra faire preuve de flexibilité.

En ce qui concerne le HGDP, ses objectifs scientifiques sont dans l'ensemble valides et ont été exposés par le Comité du HGDP de l'Association Hugo dans un rapport préliminaire de bonne qualité ("HGDP Summary Document", 1994). Le Comité d'éthique régional du HGDP pour l'Amérique du Nord a élaboré des directives détaillées qui ont fait avancer l'examen des aspects éthiques des études de génétique des populations devant être conduites à l'avenir sous ses auspices (Greely, 1995). Ces directives tiennent dûment compte de la plupart des critiques formulées, mais il est juste de dire que les organisateurs se seraient épargné bon nombre d'entre elles s'ils avaient plus activement associés les dirigeants des groupes de peuples autochtones à la planification du projet. Les organisations représentant les peuples autochtones se sont opposées au projet sur plusieurs points, leur principal grief étant qu'alors que de nombreux groupes et leurs cultures sont menacés d'extinction, les rédacteurs du projet ne s'en étaient pas inquiétés, mais avaient invoqué l'urgence de collecter des tissus au sein de ces groupes avant qu'ils cessent d'exister en tant qu'entités distinctes. Le comité du HGDP chargé de la supervision sur le plan éthique devrait s'efforcer d'apporter des réponses concrètes sur cette question.

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L'ambition de la génétique des populations de rendre compte de l'histoire de l'humanité est controversée en raison des abus qui sont à craindre, mais ses retombées médicales potentielles sont universellement bien accueillies, exception faite de l'éventuelle protection des techniques médicales par des brevets. Les populations visées s'alarment à la perspective que des produits dérivés des échantillons prélevés en leur sein pourraient être brevetés, car elles seraient alors une source de profits dont elles ne bénéficieraient en aucune façon. Il est déjà arrivé en effet que des organismes extérieurs s'approprient des semences de plantes médicinales et des connaissances locales concernant ces plantes. Les lignées cellulaires et l'ADN recueillis dans le cadre des projets de génétique des populations peuvent faire l'objet de recherches à des fins commerciales, comme plusieurs cas de dépôts de brevets l'ont démontré. Bien que certains chercheurs et les responsables du HGDP se soient engagés à protéger les droits de propriété intellectuelle des populations fournissant les échantillons, les mécanismes prévus à cet effet demeurent flous et devront être précisés.

L'argument selon lequel le HGDP fera reculer le racisme est discutable, car il est impossible d'en apporter par avance la moindre preuve. Certes, l'un des principaux artisans du projet, L.L. Cavalli-Sforza, s'est toujours vigoureusement élevé contre tout détournement de la génétique des populations au profit des thèses racistes (voir par exemple Bodmer et Cavalli-Sforza, 1970). Néanmoins, il n'est pas possible de rester sourds aux craintes qui ont été formulées concernant les utilisations possibles des données collectées dans le cadre du Projet. Aux premiers stades de la planification du projet, plusieurs groupes ont exigé au nom des peuples autochtones qu'il soit abandonné. Il semble cependant impossible d'en arrêter l'avancement général et il n'appartient pas à l'UNESCO d'appeler à le suspendre ou à suspendre toutes les recherches dans le domaine de la génétique des populations. L'UNESCO a donc demandé à d'autres groupes de se joindre aux travaux visant à réglementer la génétique des populations et le HGDP. Les communautés autochtones devraient elles aussi être officiellement invitées à participer au comité de supervision chargé des problèmes d'éthique et à choisir librement leurs représentants. Ces recommandations s'appliquent à la génétique des populations en général.

L'utilisation qui est faite des résultats de la recherche ne doit d'aucune façon léser des personnes ou exposer les individus et les populations concernés à une éventuelle discrimination. Les moyens accrus, qui permettront demain de dépister les personnes génétiquement prédisposées à certaines maladies génétiques ou courantes, doivent aller de pair avec des mesures visant à protéger ces individus de tout ostracisme ou de l'utilisation abusive de ces informations par une tierce partie. (Note : nous renvoyons au Rapport de 1994 du CIB sur le dépistage et les tests génétiques et à son Rapport de 1995 sur le conseil génétique).

IV.2 Les sanctions S'il est vrai, on l'a vu, qu'il est de règle de procéder à une certaine forme d'évaluation scientifique et éthique avant qu'un protocole soit accepté, une fois qu'il l'a été, aucun contrôle ou suivi n'est en général plus assuré. La menace de sanctions, sous quelque forme que ce soit, est encore plus incertaine. Les associations professionnelles ont habituellement recours à des mesures disciplinaires telles que suspension, retrait de certains privilèges ou mise à l'amende. Des sanctions civiles et pénales sont également possibles lorsque les sujets d'étude ont été lésés. Les organismes de financement peuvent retirer leur aide, parfois même (mais cela est rare) rétroactivement. Quoi qu'il en soit, les cas de fraude scientifique ou de violation des règles élémentaires de déontologie ne sont en principe pas portés devant le public, sauf quand ils ont une ampleur exceptionnelle, comme le scandale des tests de séropositivité pour le VIH ou les récents procès intentés par des patientes atteintes d'un cancer du sein.

Si l'on veut que les chercheurs soient davantage comptables de leurs actes et les pratiques plus transparentes, il convient d'envisager d'autres formes de sanctions, ou du moins de publicité. Les chercheurs pourraient par exemple être plus strictement tenus de présenter à intervalles réguliers des rapports établis selon des règles précises et de les rendre public. Sur le plan éthique, cela nous paraît être la moindre des obligations et elle devrait être universellement observée.

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Si les chercheurs doivent faire l'objet de contrôles plus sévères, il en va de même des médias, dont le devoir de rendre compte honnêtement des réalisations de la science en respectant la vie privée doit être souligné. A maintes reprises, des populations et des communautés entières - et les chercheurs eux-mêmes - ont été dépeints sous un jour faux et vu leur pensée déformée, ce qui leur a valu une réputation imméritée et les a exposés à une discrimination. De telles pratiques n'aboutissent qu'à saper la confiance du public et sa participation à la recherche.

IV.3 Conclusions Les traditions scientifiques et philosophiques, qui ont longtemps imprégné la recherche, influent également sur la génétique des populations. Les scientifiques sont enclins à considérer que la recherche est en soi une bonne chose. Convenablement expliquée et comprise, elle devrait donc être bien accueillie. Toutefois, les communautés et les populations ont leur propre histoire et leurs propres traditions culturelles qu'il importe de comprendre et de respecter. De surcroît, la génétique des populations ne fait pas que transposer à une échelle plus vaste les problèmes éthiques et juridiques que la recherche génétique soulève déjà au niveau de l'individu. Chaque groupe pris comme objet d'étude, voire chaque membre d'un groupe quelconque, a des préoccupations et des traditions qui lui sont propres. Ces particularités des populations étudiées appellent des efforts d'information, de consultation et de coopération, plus ou moins poussés. De même, le rôle et les responsabilités des chercheurs et des autorités locales et nationales diffèrent chaque fois, tout comme les incidences sociales.

Aussi, après avoir examiné les problèmes éthiques particuliers à la génétique des populations, leur base philosophique, les méthodes de recherche et les utilisations possibles des résultats, et plus important encore, la nécessité d'une action éducative pour apaiser la crainte d'être montré du doigt parce qu'on a été choisi, d'être victime d'une discrimination parce qu'on a accepté de participer, ou d'être éventuellement la cible des thèses eugénistes, nous avons recommandé dans le présent rapport de prêter attention aux points suivants, qui nous paraissent revêtir une importance cruciale, lors de l'évaluation du point de vue éthique des études de génétique des populations au niveau institutionnel et au niveau régional ou mondial :

1) accès des populations à l'information ;

2) consultation des populations ;

3) mise en place de mécanismes visant à s'assurer du consentement des individus et des groupes ;

4) nécessité d'une évaluation éthique continue ;

5) participation des représentants des populations à la prise de décision ;

6) élaboration de stratégies en matière de communication, d'éducation et de retour des bénéfices et de l'information au niveau des populations ;

7) confidentialité des données et des échantillons stockés dans des centres spécialisés ;

8) contrôles et suivi scientifiques permanents ; et enfin,

9) sanctions appropriées.

A sa deuxième session, le CIB a été invité à réfléchir à la création d'un comité chargé d'examiner les problèmes d'éthique qui pourraient surgir dans la mise en oeuvre du HGDP. Cette proposition a été appuyée par l'OMS, le CIOMS, le CIUS et l'Association HUGO. Nous recommandons que ce comité soit doté d'un mandat élargi de manière qu'il puisse être saisi des aspects éthiques de tous les projets de recherche relevant de la génétique des populations humaines et non du seul HGDP. Eu égard aux préoccupations que la génétique des populations et le HGDP en particulier inspirent aux organisations des peuples indigènes, nous recommandons avec force que ces organisations soient représentées au sein d'un tel comité. Quels que soient les inconvénients d'un projet centralisé, on ne peut que se féliciter à l'idée que la coordination et l'évaluation des activités pourraient inciter les chercheurs à mieux respecter les règles de l'éthique.

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Nous suggérons d'ajouter au préambule de la future déclaration de l'UNESCO sur le génome humain et les droits de la personne humaine un considérant qui pourrait, par exemple, être libellé comme suit : “Conscients que la diversité culturelle et génétique est une valeur intrinsèque de l'espèce humaine, qui doit être reconnue dans toutes les communautés”.

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ANNEXE

COMITE INTERNATIONAL DE BIOETHIQUE

Group de travail sur la génétique des populations

Membres : Mme Chee Heng Leng (Malaisie) Mme Laïla El-Hamamsy (Egypte) M. John I. Fleming (Australie) M. Norio Fujiki (Japon) Mme Genoveva Keyeux (Colombie) Mme Bartha Maria Knoppers (Canada) M. Darryl R.J. Macer (Nouvelle Zélande)