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Christian Lvque Jean-Claude Mounolou

BiodiversitDynamique biologique et conservation2e dition

Algeria-Educ.comUniverSciences

B iodiversit

B iodiversitDynamique biologique et conservationChristian LvqueDirecteur de Recherches mrite lIRD

Jean-Claude MounolouProfesseur mrite de luniversit Paris-Sud-Orsay

2e dition

Illustration de couverture : Photojojo, Fotolia

Dunod, Paris, 2008 Dunod, Paris, 2001 pour la prcdente dition ISBN 978-2-10-053802-7

Table des matires

INTRODUCTION CHAPITRE 1 POURQUOI SINTRESSER LA DIVERSIT BIOLOGIQUE ?1.1 1.2 Que recouvre le terme biodiversit? Les multiples visages de la biodiversit1.2.1 1.2.2 1.2.3 1.2.4 1.2.5 1.2.6 1.2.7 Dunod La photocopie non autorise est un dlit.

1

7 8 9 9 11 11 12 13 13 14

La biodiversit produit de lvolution La biodiversit en tant que ressource alimentaire La biodiversit marchande Les biotechnologies La biodiversit protger La biodiversit dont on ne veut pas Biodiversit et socit

CHAPITRE 2 LA DIVERSIT BIOLOGIQUE : UN TAT DES LIEUX2.1 La classification du vivant et ses principes2.1.1 2.1.2 Les niveaux dorganisation du monde vivant Les hirarchies taxinomiques: la recherche dun ordre volutif et fonctionnel dans la diversit des espces La notion despce cosystmes

17 17 18

2.1.3 2.1.4

19 23 25 26 29

2.2 2.3

Linventaire des espces La systmatique, linformatique et Internet

VI

Table des matires

2.4 2.5

Mesurer la diversit biologique La distribution gographique de la diversit biologique2.5.1 2.5.2 2.5.3 2.5.4 2.5.5 2.5.6 La diversit taxinomique des milieux aquatiques Les gradients dans la rpartition spatiale La relation surface nombre despces Une organisation cologique: les biomes Une organisation taxinomique: les rgions biogographiques Les zones de grande diversit ou hotspots

31 32 34 36 39 40 41 43

CHAPITRE 3 LES MCANISMES LUVRE DANS LA DIVERSIFICATION DU MONDE VIVANT3.1 Comment dfinir la vie?3.1.1 3.1.2 3.1.3 La chimie lorigine de la vie Le gnome Comment la vie est-elle apparue sur Terre?

47 48 49 50 51 54 55 55 56 57 60 60 63 65 65 67 67 68 71 72 74

3.2

Comment naissent les espces?3.2.1 3.2.2 3.2.3 Les mcanismes de la spciation Modes de spciation Gradualisme et/ou quilibres ponctus

3.3 3.4

Les extinctions Ladaptation: une proprit fondamentale des organismes vivants3.4.1 3.4.2 Diversit gntique et adaptation des Eucaryotes aux changements de lenvironnement Les extraordinaires capacits dadaptation des Procaryotes

3.5

Quelques grandes tapes dans la diversification du monde vivant3.5.1 3.5.2 3.5.3 3.5.4 3.5.5 3.5.6 Les grandes lignes volutives et leurs relations Des unicellulaires aux pluricellulaires Lexplosion de la diversit biologique au Cambrien De la mer la terre: un passage russi La longue histoire des vertbrs Lhomme: un primate qui a russi?

3.6

Lvolution de la vie est-elle prdtermine?

Table des matires

VII

CHAPITRE 4 DYNAMIQUE DE LA DIVERSIT BIOLOGIQUE ET CONSQUENCES DES ACTIVITS HUMAINES4.1 Paloenvironnements et diversit biologique4.1.1 4.1.2 4.1.3 Les systmes terrestres nord europens Les forts tropicales humides Les systmes aquatiques continentaux

79 81 81 87 89 90 91 91 93 96 97 97 100 105 106 107 108

4.2

Lhomme et lrosion de la diversit biologique4.2.1 4.2.2 4.2.3 Le mythe du bon sauvage La disparition des grands mammifres la fin du Plistocne: lhomme est-il en cause? Lrosion actuelle de la diversit biologique

4.3

Dynamique de la diversit biologique et pressions anthropiques4.3.1 4.3.2 4.3.3 4.3.4 4.3.5 4.3.6 La pression dmographique Utilisation des terres et transformation des paysages Les introductions despces et les invasions biologiques La surexploitation Actions combines des activits humaines: la disparition des poissons Cichlids du lac Victoria Les non-dits

4.4

Changement climatique

CHAPITRE 5 DIVERSIT BIOLOGIQUE ET FONCTIONNEMENT DES SYSTMES COLOGIQUES5.1 5.2 Dunod La photocopie non autorise est un dlit.

113 114 115 115 116 117 117 117 119 120 120 121

La diversit biologique: un systme dynamique Fonctions des espces dans les cosystmes5.2.1 5.2.2 5.2.3 5.2.4 Les espces cls Les organismes ingnieurs Groupes fonctionnels: complmentarit et redondance Le cas des espces rares

5.3 5.4

Hypothses concernant le rle des espces dans le fonctionnement des cosystmes Les relations de voisinage entre espces5.4.1 5.4.2 5.4.3 La comptition Les relations de coopration: commensalisme et symbiose Le parasitisme

VIII

Table des matires

5.5

Chanes et rseaux trophiques5.5.1 5.5.2 5.5.3 Producteurs-consommateurs-dcomposeurs: flux de matire et dnergie Les thories top-down et bottom-up Thorie des cascades trophiques

123 124 126 127 128 130 132 132 133 134 134 135

5.6 5.7 5.8

Diversit des espces et production biologique Diversit biologique et stabilit des cosystmes Rle de la diversit biologique dans les cycles biogochimiques5.8.1 5.8.2 5.8.3 5.8.4 La fixation biologique de lazote Minralisation de la matire organique Stockage long terme des lments minraux Recyclage et transport des lments nutritifs par les consommateurs

5.9

Rle des communauts biologiques5.9.1 Importance des micro-organismes dans la structure et le fonctionnement des rseaux trophiques plagiques en milieu aquatique Les ripisylves et le fonctionnement des cours deau Rle des communauts des sols

5.9.2 5.9.3

135 137 139 140 140 141 142

5.10 Diversit biologique et dynamique de la biosphre5.10.1 Composition de latmosphre 5.10.2 Contrle de lvapotranspiration dans le systme sol-plante-atmosphre

5.11 Cohsion cyberntique des cosystmes: le rle des rseaux de communication

CHAPITRE 6 DYNAMIQUE DE LA DIVERSIT BIOLOGIQUE ET CONSQUENCES EN MATIRE DE SANT 1456.1 La complexit des relations htes-parasites6.1.1 6.1.2 Le cas de lOnchocercose humaine Le cas du paludisme 146 146 147 148 154 155 156

6.2 6.3

Les pathologies mergentes Activits humaines, diversit biologique, et sant humaine6.3.1 6.3.2 Les changes intercontinentaux Les nouvelles technologies lies au mode de vie

Table des matires

IX

6.3.3 6.3.4

Leutrophisation des eaux et la prolifration dalgues toxiques Les allergies

157 158 159 159 160 162 162 162 164 165 167 168 169 170 176 176 178 179 182 183 184 185 186 187

6.4

Phnomnes dadaptation des agents pathognes et de leurs vecteurs aux moyens de lutte 6.4.1 Rsistance aux antibiotiques 6.4.2 Rsistance aux pesticides Substances dintrt mdical et diversit biologique 6.5.1 Les pharmacopes traditionnelles 6.5.2 Diversit biologique et industrie pharmaceutique 6.5.3 Biotechnologies Maladies et changements climatiques

6.5

6.6

CHAPITRE 7 LES RESSOURCES GNTIQUES ET LES BIOTECHNOLOGIES7.1 7.2 7.3 7.4 La domestication de la Nature: une longue histoire Crer et slectionner des espces utiles Gestion et diversit des ressources gntiques La rvolution biotechnologique et les OGM 7.4.1 La transgnse 7.4.2 Les applications dans le domaine agricole 7.4.3 Comment prvenir les risques lis aux OGM? Droits de proprit sur les ressources gntiques 7.5.1 Lengagement international de la FAO 7.5.2 La Convention sur la diversit biologique 7.5.3 Les catalogues 7.5.4 Le Certificat dobtention vgtale (COV) Brevets sur le vivant: un dbat ouvert

7.5

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7.6

CHAPITRE 8 LA NATURE UTILE : VALEURS ET USAGES DE LA DIVERSIT BIOLOGIQUE8.1 8.2 Notions de biens et services fournis par les cosystmes Bases thoriques de lvaluation conomique de la diversit biologique 8.2.1 Valeurs dusage et de non-usage 8.2.2 Biens conomiques et biens gratuits 8.2.3 Appropriation et/ou libre accs la diversit biologique

189 190 193 193 194 195

X

Table des matires

8.3

Donner un prix la diversit biologique?8.3.1 8.3.2 Que vaut lensemble des cosystmes? Des infrastructures naturelles Usages alimentaires des ressources vivantes Les produits de lextractivisme Le bois Les perspectives industrielles des biotechnologies Animaux et plantes dornements cotourisme

196 197 198 199 199 200 201 202 205 206 207 209 211 211 212 212 214 214 214 216 218 219 220 221 222 222 223 225 225 226 227 228 229 230 231

8.4

Les usages de la diversit biologique8.4.1 8.4.2 8.4.3 8.4.4 8.4.5 8.4.6

CHAPITRE 9 LA CONSERVATION DE LA DIVERSIT BIOLOGIQUE9.1 9.2 Pourquoi protger la diversit biologique? Approches de la conservation9.2.1 9.2.2 9.2.3 9.2.4 Conservation in situ et ex situ Conserver les espces ou les cosystmes? Quelles priorits en matire de conservation? Si on parlait dargent? Des parcs nationaux contre les mfaits de lhomme Protger la Nature avec lhomme cologie de la rconciliation ou jardin plantaire? LEurope et la biodiversit: Natura 2000 Des rserves pour protger les ressources marines Linconnue du changement climatique Le dveloppement durable Les savoirs traditionnels Lamnagement du territoire Les jardins botaniques Les parcs zoologiques Fragmentation des habitats Rintroductions despces cologie de la restauration

9.3

Les aires protges9.3.1 9.3.2 9.3.3 9.3.4 9.3.5 9.3.6

9.4

Une utilisation durable de la diversit biologique9.4.1 9.4.2 9.4.3

9.5

La conservation ex situ9.5.1 9.5.2

9.6

La biologie de la conservation9.6.1 9.6.2 9.6.3

Table des matires

XI

9.7

Lapproche prventive: le bilan de sant des cosystmes 9.7.1 Sant et/ou intgrit des cosystmes 9.7.2 Les indicateurs biotiques Les perturbations, des allies de la conservation? 9.8.1 Le feu 9.8.2 Cyclones et temptes Les conventions internationales

233 234 235 236 237 238 239 241 241 241 242 242 243 245 249 255

9.8

9.9

9.10 Quelques mesures concernant la conservation des espces et des milieux naturels en France 9.10.1 Les inventaires patrimoniaux 9.10.2 Les protections rglementaires des sites naturels 9.10.3 Droit du paysage 9.10.4 La matrise foncire 9.10.5 Le trop-plein juridique?

EN GUISE DE CONCLUSION POUR EN SAVOIR PLUS (BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE) INDEX

Introduction

En moins dun sicle, notre perception de la Nature et du monde vivant sest profondment modifie. On en trouve des tmoignages dans les comportements sociaux et dans les manuels denseignement. Dans le monde population majoritairement rurale du dbut du XXesicle, limportant est de survivre. Les prdateurs et les ravageurs des cultures sont encore nombreux et, dans le domaine agricole, les rcoltes sont incertaines. Lhomme, en Europe ou sous les tropiques (cest la grande priode coloniale), a encore des prdateurs redoutables. Nature et animaux sont souvent perus comme hostiles. Ainsi, dans les manuels scolaires franais, jusquau milieu du XXesicle, les animaux sont classs en nuisibles et utiles. La destruction des nuisibles est un vritable enjeu conomique national pour favoriser le dveloppement agricole. Presque tous les insectes sont nuisibles, il faut leur faire une guerre acharne lit-on dans un des manuels scolaires qui cherchent prparer les enfants la vie active. Cette attitude tait tout fait lgitime car lhomme subissait dans sa vie quotidienne des nuisances insupportables, notamment dans le domaine agricole (ravageurs des cultures) ou de la sant (malaria par exemple). Dans ce contexte psychologique, il nest pas surprenant quil y ait eu des dbordements. Les rapports sociaux par rapport aux rapaces, par exemple, illustrent la fois une ignorance de la Nature et de son fonctionnement, une psychose vis--vis des espces sauvages, et une exaltation de la suprmatie de lhomme sur la Nature. Les rapaces, des brigands! Tous ces oiseaux-l sont des brigands et

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Biodiversit

brigands et demi. Il suffit quils soient un peu nuisibles pour que je les supprime. (extrait du Chasseur franais, 1924). Que font les scientifiques pendant cette priode? Ils collectent, inventorient, dressent des listes des espces animales et vgtales dans diffrentes rgions, suivant en cela la tradition des cabinets de sciences naturelles. Ils participent galement leffort national de lutte contre les ravageurs de cultures. Aprs la Seconde Guerre mondiale, les comportements vont se modifier lentement: lurbanisation et lindustrialisation se sont dveloppes. De nombreux citoyens sloignent du monde rural. Lapparition des insecticides permet de penser qu plus ou moins brve chance on pourra contrler les insectes nuisibles tels que le doryphore, le criquet, le hanneton, mais aussi les moustiques. Le DDT dont on a dnonc plus tard les consquences cologiques, est alors le produit miracle qui va enfin pouvoir librer lhomme dune partie des servitudes de la Nature, ouvrant la voie une production agricole mieux contrle. Cest galement cette poque que se dveloppe la Rvolution verte avec une agriculture intensive base sur des semences haut rendement mais qui ncessitent des apports importants en engrais et en insecticides. Au dbut des annes 1970, les qualificatifs de nuisibles et dutiles donns aux animaux disparaissent des manuels scolaires. On remet mme compltement en question cette classification. Cest galement partir des annes 1960 que se dveloppe la science cologique qui construit nos connaissances, non plus sur les espces, mais sur le fonctionnement des systmes naturels et sur les interrelations existant entre les diffrentes espces animales et vgtales qui constituent les cosystmes. Dans les annes 1980, lhomme occidental qui a maintenant domin la plupart des prdateurs (ou soi-disant prdateurs) et qui possde les technologies adaptes une production agricole contrle et intensive, est enfin parvenu ses fins selon la mentalit qui prvalait au dbut du sicle: il est en passe de saffranchir des contraintes de la Nature. La situation nest pourtant pas idyllique car une nouvelle perception de la Nature se fait jour dans les socits occidentales. Sous la pousse de mouvements cologiques (il sagit de lcologisme, pas de lcologie scientifique) un sentiment de culpabilit se dveloppe par rapport la destruction des espces qui a t encourage dans les dcennies prcdentes. Les grandes ONG de conservation de la Nature jouent un rle important dans cette sensibilisation du public la disparition despces phares, surtout les mammifres et les oiseaux. Dautre

Introduction

3

part le citoyen voit dans la Nature un lieu de repos, de loisirs, de ressourcement. Il revendique tout la fois une Nature attrayante (de beaux paysages), accueillante (pas trop de moustiques), vivante (des animaux et des vgtaux observer). Lintensification de lagriculture avec les consquences cologiques dun usage immodr des pesticides et des engrais, ou la destruction de paysages bocagers, est remise en cause. On commence parler denvironnement au dbut des annes 1970. Lagriculteur, autrefois force vive de lconomie nationale et jardinier de lespace naturel, est marginalis et accus, parfois avec raisons, de dtruire les paysages, la faune et la flore. Paralllement, dans le monde tropical, la destruction de surfaces importantes de forts considres comme de hauts lieux de la Nature vivante, suscite une raction des milieux scientifiques et conservationnistes. Lhomme est mis en accusation: de par ses activits incontrles, il est responsable de lrosion de la diversit biologique la surface de la Terre. On a invent le terme biodiversit pour qualifier cet impact des activits humaines sur les espaces naturels et les espces quils hbergent. Cest une proccupation mondiale qui culmine la Confrence de Rio sur le dveloppement durable en 1992. Le dbat se dplace du niveau scientifique au niveau politique. Et les vnements senchanent: il est urgent dagir pour conserver la diversit biologique si nous ne voulons pas tre les acteurs et les tmoins dune nouvelle extinction de masse. Pour cela nous avons besoin tout la fois de connaissances scientifiques et de volont politique afin de prendre des mesures appropries. On signe des conventions, on cre des rserves, on tente une mise en application un peu simpliste du principe de dveloppement durable. Pour certains, lthique est un puissant levier: nous devons conserver pour nos enfants le monde que nous avons reu en hritage. Pour dautres, il faut trouver des arguments plus pragmatiques: la diversit biologique est prsente comme une ressource conomique de premire importance, tout la fois rservoir de gnes et de molcules usages agricoles, pharmaceutiques et industriels. La marchandisation du vivant ouvre des perspectives conomiques avec les biotechnologies et les brevets sur le vivant. Il est donc logique que de tels enjeux conduisent prendre des mesures de conservation dune richesse encore trs partiellement valorise. Paralllement, chez les scientifiques, les recherches et les centres dintrt se diversifient. Le squenage des gnes et la biologie molculaire amnent une connaissance de plus en plus intime du monde vivant, et reposent la question de lorigine de la vie mais, cette fois, avec des connaissances et des outils qui permettent dapporter des

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Biodiversit

rponses concrtes. Les biotechnologies offrent de nouvelles perspectives dutilisation du monde vivant par ingnierie gntique des organismes. Les enjeux conomiques sont considrables mais de nouveaux questionnements dordre thique et scientifique quant aux limites et aux conditions dutilisation des organismes gntiquement modifis (OGM) se font jour. Grce aux progrs de la gntique et aux nouvelles connaissances acquises en palontologie, la grande aventure de lvolution connat un regain dintrt de la part du grand public. Quant linventaire des espces, il se poursuit sur des bases renouveles, et avec de nouveaux outils (cologie, physiologie, biologie molculaire, bases de donnes, etc.). Alors que pendant longtemps on envisageait la vie dans le cadre troit des contraintes exerces par son environnement physico-chimique, on sait maintenant grce lcologie et la palontologie quelle a largement contribu le modifier et le faonner. Le monde vivant joue un rle actif dans la dynamique des grands cycles biogochimiques dont certains sont responsables des quilibres climatiques. La conservation de la diversit biologique pose sur le plan oprationnel des questions dordre technique et social. La mise en application des principes du dveloppement durable, point central de toute politique de conservation, ncessite de trouver des compromis entre la protection des espces et le dveloppement. En moins dun sicle, le comportement des socits occidentales par rapport la Nature sest donc profondment modifi. De la volont initiale de matriser une Nature hostile, ce comportement sest progressivement orient vers une approche plus respectueuse de la vie par la recherche dun quilibre entre la satisfaction des besoins de lhumanit et le fait de ne pas dtruire la diversit du monde vivant. La Nature a toujours un rle utilitaire, mais il sagit maintenant de la protger pour permettre une meilleure exploitation des ressources quelle ne nous a pas encore rvles. Ce changement dattitude est le rsultat de motivations tout la fois thiques, esthtiques, conomiques et cologiques qui agissent conjointement et dont il est bien difficile dvaluer la part respective. Simultanment, nous vivons sur le plan scientifique une priode particulirement exaltante. Les progrs des connaissances sur le monde vivant nont jamais t aussi rapides. Nous repoussons les frontires de linfiniment petit, tout en dveloppant les outils permettant dexplorer la Plante dans son ensemble, et de rechercher des traces de la vie dans lUnivers. Le prisme de la diversit biologique nous permet dautre part de renouveler le dbat des relations de lhomme avec la Nature, y

Introduction

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compris celui des origines de lhumanit. Cest une situation tout fait opportune pour transgresser les barrires des disciplines acadmiques, pour associer les sciences sociales aux sciences de la Nature dans la recherche de solutions sur lavenir de la diversit biologique dont lhomme est une des composantes. Car lavenir de biodiversit ne se rsout pas un problme technique; il dpend des choix conomiques et politiques que les socits seront amenes faire dans les dcennies venir. Il dpend en quelque sorte de lattitude de chaque citoyen. Lobjectif de cet ouvrage est ainsi douvrir quelques perspectives en proposant au lecteur un tat des connaissances actuelles sur la diversit du monde vivant et sur les diffrents problmes que soulvent sa conservation et son utilisation durable.

Chapitre 1

Pourquoi sintresser la diversit biologique ?

Le concept de biodiversit, en tant que problme denvironnement, sest formalis au dbut des annes 1980, et sest concrtis lors de la Confrence sur le dveloppement durable de Rio de Janeiro en 1992, avec la signature de la Convention sur la diversit biologique (CDB). En cette fin de XXesicle, les hommes prenaient conscience de leur impact sans prcdent sur les milieux naturels et des menaces dpuisement des ressources biologiques. Le terme biodiversit, contraction de diversit biologique, a dailleurs t introduit au milieu des annes 1980 par des naturalistes qui sinquitaient de la destruction rapide de milieux naturels, tels que les forts tropicales. Ils rclamaient alors que la socit prenne des mesures pour protger ce patrimoine. Do la monte en puissance des questions relatives la gestion et la conservation de la biodiversit. Simultanment, on ralisait que la diversit biologique tait aussi une ressource conomique pour les industries agroalimentaires et pharmaceutiques. De nouvelles questions de nature thique, lies la marchandisation de la biodiversit et aux prises de brevets sur le vivant, commenaient galement merger. Petit petit le concept, dabord restreint la protection de la Nature, sest ainsi enrichi de dimensions sociales, conomiques, et thiques.

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1 Pourquoi sintresser la diversit biologique ?

1.1

QUE RECOUVRE LE TERME BIODIVERSIT?

La biodiversit est devenue le cadre de rflexion et de discussion dans lequel on est amen revisiter lensemble des questions poses par les relations que lhomme entretient avec les autres espces et les milieux naturels. Certains diront que la biodiversit est devenue un mdiateur entre les systmes cologiques et les systmes sociaux. Quoi quil en soit, la question de la biodiversit a maintenant pris place parmi les grands problmes denvironnement global, comme le changement climatique ou la dpltion de la couche dozone. La Convention sur la diversit biologique dfinit la diversit biologique comme tant la variabilit des organismes vivants de toute origine y compris, entre autres, les cosystmes terrestres, marins et autres systmes aquatiques et les complexes cologiques dont ils font partie; cela comprend la diversit au sein des espces et entre espces ainsi que celle des cosystmes. Il est vident que le terme biodiversit est interprt diffremment selon les groupes sociaux en prsence. Systmaticiens, conomistes, agronomes ou sociologues, ont chacun une vision sectorielle de la biodiversit. Les biologistes la dfiniront comme la diversit de toutes les formes du vivant. Lagriculteur en exploitera les races et varits travers des sols, des terroirs et des rgions aux potentialits multiples. Lindustriel y verra un rservoir de gnes pour les biotechnologies ou un ensemble de ressources biologiques exploitables (bois, pche, etc.). Quant au public, il sintresse le plus souvent aux paysages et aux espces charismatiques menaces de disparition. Tous ces points de vue sont recevables, car le terme biodiversit recouvre effectivement des proccupations de nature diffrente. Qui plus est, ces diffrentes dmarches ne sont pas indpendantes et poursuivent implicitement un mme objectif qui est la conservation des milieux naturels et des espces quils hbergent. Le vocable biodiversit est donc un mot-valise qui recouvre des approches de nature diffrente. On parle tout la fois de la biodiversit naturelle et sauvage, des ressources naturelles comme le bois ou le poisson, de la biodiversit cre par lhomme des fins agricoles ou pour les biotechnologies. Aux problmes de la protection de la flore et de la faune sauvages, et de ses espces charismatiques, sont venus sajouter ceux de la perte de la diversit des espces domestiques, puis

1.2 Les multiples visages de la biodiversit

9

les questions de lappropriation du vivant par la prise de brevets, et de la protection juridique des ressources biologiques et des savoirs faire locaux voquer la biodiversit cest donc voquer tout la fois des questions de nature cologique, thique et sociale.

1.2

LES MULTIPLES VISAGES DE LA BIODIVERSIT

1.2.1 La biodiversit produit de lvolutionLa recherche des causes et des conditions qui ont conduit la diversit du monde vivant que nous connaissons actuellement est une proccupation ancienne des scientifiques. Les sciences de lvolution se posent la question des mcanismes biologiques et molculaires qui sont lorigine la diversit des espces et des cosystmes. Quelles sont les interactions entre les changements de lenvironnement biophysique et les phnomnes de diversification et de spciation? Des domaines dans lesquels nos connaissances progressent rapidement mais restent fragmentaires. Par ailleurs, il est ncessaire de poursuivre linventaire des espces entam au XVIIIesicle par Linn en tirant parti des progrs

Socits humaines

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Influence de l'homme, usages

Dveloppement durable

thique, valeurs attaches la biodiversit

BIODIVERSITFigure 1.1 Interactions entre les socits humaines et la diversit biologique.

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1 Pourquoi sintresser la diversit biologique ?

mthodologiques nous permettant davoir accs au monde de linfiniment petit, ainsi quaux mcanismes molculaires impliqus dans la diversification du vivant. Nous entrons dans une nouvelle tape de la comprhension du vivant avec en perspective laccs aux organismes infiniment petits: un nouveau monde explorer.

Diversit biologique, biodiversit, biocomplexit

Lusage inconsidr du mot biodiversit risque de susciter un dsintrt, voire une dsaffection pour ce terme. Nous proposons donc de lutiliser plus spcifiquement pour parler des questions relatives aux interactions homme/Nature. Historiquement, le terme biodiversit sapplique lrosion du monde vivant rsultant des activits humaines, ainsi quaux activits de protection et de conservation, quelles se manifestent par la cration daires protges ou par des modifications des comportements en matire de dveloppement (concept de dveloppement durable). En ce qui concerne lensemble des activits qui relvent traditionnellement de linventaire et de la connaissance du monde vivant, le terme diversit biologique est parfaitement adapt et cest celui qui sera privilgi ici. Un autre terme, celui de biocomplexit, cherche simposer dans la mouvance de la biodiversit. La complexit biologique rsulte des interactions fonctionnelles entre les entits biologiques, tous les niveaux dorganisation, et lenvironnement biologique, chimique, physique et humain tous les niveaux dagrgation, lhomme y compris. La biocomplexit concerne tous les types dorganismes, des microbes aux humains, tous les milieux qui vont des rgions polaires aux forts tempres et aux zones agricoles, et tous les usages quen font les socits. Elle est caractrise par une dynamique non linaire et chaotique, des interactions diffrentes chelles spatio-temporelles, une apprhension du systme vivant dans son ensemble et non pas morceaux par morceaux, une intgration troite du social et de lconomique.

Les recherches sur la dynamique prsente et passe de la biodiversit nous conduisent galement une remise en perspective de lcologie longtemps base sur des principes dquilibre. La diversit biologique,

1.2 Les multiples visages de la biodiversit

11

on ne le soulignera jamais assez, est le produit du changement. Cest la variabilit des facteurs de lenvironnement qui explique la diversification des espces. Cest lhtrognit des habitats qui favorise la richesse spcifique. Mais, inversement, le monde vivant est aussi capable dagir sur son environnement physico-chimique en le modifiant.

1.2.2 La biodiversit en tant que ressource alimentaireToute notre alimentation est issue de la biodiversit. De lpoque o lhomme vivait de chasse et de cueillette, il reste encore lexploitation des ressources vivantes marines. La pche, cette dernire grande entreprise de cueillette, est pourtant menace actuellement par la surexploitation des stocks. Mais cest dans le domaine de la domestication des plantes et des animaux que le gnie humain a donn toute sa dimension. Lagriculture et laquaculture sont aussi lorigine des plus grands bouleversements de la biodiversit. On a diffus de par le monde un ensemble despces qui constituent, des degrs divers, la base de notre alimentation. Cette mondialisation, qui a dbut ds les dbuts de lagriculture, a profit tous les continents et a concern beaucoup dautres espces. Tout naturellement, ces espces introduites ont donn naissance nombre de races ou de varits adaptes aux contextes locaux. Lhomme en a cr des centaines, voire des milliers, et elles aussi sont en danger. Car lagriculture moderne qui a t mise en place aprs la seconde guerre mondiale (la Rvolution verte) nutilise que quelques varits slectionnes haut rendement, marginalisant ainsi les races locales. On redcouvre leur intrt patrimonial alors que beaucoup dentre elles ont disparu.

1.2.3 La biodiversit marchande Dunod La photocopie non autorise est un dlit.

Les problmes lis la marchandisation de la biodiversit, notamment les gnes et les molcules utilises par les biotechnologies, constituent de nouveaux centres dintrt. Lors de la discussion de la CDB, les pays partenaires ont bien peru que lintrt des industriels pour la diversit biologique constitue potentiellement une source de revenus. Lors de la Confrence de Rio en 1992, la discussion sest ainsi polarise sur les enjeux conomiques de la mise en valeur des ressources gntiques. Larticle premier de la CDB met dailleurs laccent sur le partage juste et quitable des avantages dcoulant de lexploitation des ressources gntiques, notamment grce un accs satisfaisant ces ressources, et un transfert appropri des techniques pertinentes, compte tenu de

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1 Pourquoi sintresser la diversit biologique ?

tous les droits sur ces ressources et aux techniques, et grce un financement adquat. La diversit biologique est maintenant considre comme une matire premire qui intervient dans divers processus de production (pharmacie, cosmtiques, agroalimentaire, etc.). Elle apparat ainsi comme un capital naturel soumis une rgulation marchande, source potentielle de profits importants pour les pays dtenteurs des ressources gntiques. Cest ce qui a pu faire croire aux pays du sud que leur biodiversit tait lor vert. Trs vite les pays vont saffronter sur ce terrain. Les ressources se trouvent en effet, pour lessentiel, dans les pays du Sud, alors que les utilisateurs, qui sont les industriels des biotechnologies, sont le plus souvent reprsents par des multinationales du Nord. Les pays du Sud ne veulent plus admettre lappropriation de leurs ressources sans contrepartie financire, et ils dnoncent les pratiques de la biopiraterie. En affirmant la souverainet des tats sur leur diversit biologique, la convention entrine le droit de proprit sur le vivant et ouvre la voie la reconnaissance des brevets et llaboration des licences dexploitation. On a pu dire qu Rio le droit des brevets est sorti vainqueur du droit de lenvironnement. Cest un changement radical par rapport lattitude qui avait prvalu depuis le dbut du XXesicle considrant la biodiversit comme un patrimoine commun de lhumanit: chacun pouvait en faire usage sa guise, utiliser sa position sociale ou son pouvoir conomique pour exploiter le vivant, et sen approprier certaines formes drives, comme les procds et produits de sa transformation.

1.2.4 Les biotechnologiesDe nos jours, les biotechnologies apparaissent comme des technologies de pointe exploitant des processus cellulaires ou molculaires pour crer des produits et des services. La transgnse consiste transfrer une partie du patrimoine gntique dun organisme un organisme dune espce diffrente. Le caractre universel du code gntique facilite de tels transferts. En dautres termes, lhomme peut maintenant envisager de diriger lvolution en crant de nouveaux organismes vivants. Mais lutilisation qui est faite des organismes gntiquement modifis (OGM) suscite de vifs dbats dans la socit. Dans le domaine mdical, le vivant est en passe galement de devenir la matire premire privilgie avec les rcentes dcouvertes concernant les cellules-souches embryonnaires humaines. Les biotechnologies nous sont galement prsentes comme des sources majeures dinnovations dans beaucoup dautres secteurs: la

1.2 Les multiples visages de la biodiversit

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lutte contre la pollution, la production dnergie ou la fabrication de textiles. La microbiologie industrielle utilise les capacits enzymatiques et mtaboliques des micro-organismes pour la fermentation de matires premires agricoles et la fabrication daliments (nologie, brasserie, fromagerie, etc.).

1.2.5 La biodiversit protgerDepuis longtemps les hommes se sont proccups de la disparition ou de la quasi-disparition despces: celles de lauroch et du bison en Europe, du dodo de lle Maurice, du grand pingouin de lArctique, et du pigeon migrateur amricain. Tous ces exemples qui concernent des espces souvent emblmatiques, sont le rsultat en grande partie dune chasse trop intensive. Mais avec les progrs technologiques et la ncessit de conqurir de nouveaux espaces pour satisfaire les besoins dune population en forte croissance, lhomme agit maintenant avec une ampleur sans prcdent sur les milieux naturels et la diversit du monde vivant. Des milieux naturels disparaissent, des espces sont menaces de surexploitation. la fin des annes 1970, des naturalistes ont ainsi attir lattention sur la destruction rapide de certains milieux tels que les forts tropicales. De manire plus radicale, le zoologiste amricain E.O. Wilson affirme que lhomme est la cause dune extinction quivalente aux grandes extinctions du pass. Dautres nhsitent pas prophtiser la disparition de la vie sur Terre, et de lhomme avec elle, si lon ne fait rien pour inverser la tendance. Dans ce contexte, il sagit de rechercher des stratgies de conservation afin de prserver un patrimoine naturel qui constitue un hritage pour les gnrations futures. De fait, mme si le problme du partage des bnfices tirs de lexploitation des ressources biologiques retient lattention, plus que la protection des forts tropicale, la CDB apparat comme le premier accord international proposer une approche intgre de la conservation et de lexploitation durable des ressources biologiques.

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1.2.6 La biodiversit dont on ne veut pasLe discours sur la biodiversit tenu par les ONG et les mdias et auquel souscrit une partie de la communaut scientifique ne parle que des aspects patrimoniaux de la biodiversit, et des moyens de la prserver. Ils marginalisent plus ou moins dlibrment le fait que lhomme, depuis ses origines, a eu lutter contre une partie de la biodiversit pour assurer sa survie. Maladies parasitaires, microbiennes

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1 Pourquoi sintresser la diversit biologique ?

ou virales, affectant lhomme, ses plantes cultives et ses animaux domestiques, espces prdatrices ou dangereuses, phobies, etc., sont autant de raison de chercher contrler, voire radiquer, certaines espces. Na-t-on pas qualifi le moustique de serial-killer. Dans ce domaine la littrature reste souvent muette, les conservationnistes cartant dlibrment cette question de leurs discours, et le monde mdical ou vtrinaire, ignorant le plus souvent la thmatique biodiversit. Or, dans le domaine de la sant, on trouve dexcellents modles illustrant les capacits dadaptation de la biodiversit aux nouvelles conditions cres par les comportements et habitats humains, ainsi quaux moyens de lutte qui ont t dvelopps contre les pathognes. La lutte contre les pathognes et leurs vecteurs, ou contre les nuisances dorigine animale ou vgtale, mobilise des moyens considrables. On imagine mal interrompre les oprations de lutte et de contrle. Comment concilier ces activits avec la conservation de lautre partie de la biodiversit? Et, surtout, comment concilier les actions de conservation avec la protection de la sant humaine?

1.2.7 Biodiversit et socitLe prambule de la CDB mentionne la responsabilit des hommes dans lappauvrissement de la diversit biologique mais reconnat que le dveloppement conomique et social est une priorit pour les pays en dveloppement et que les tats ont des droits souverains sur lutilisation et la conservation de leurs ressources biologiques. Cette Convention est en ralit un compromis politique entre diverses communauts dintrt. Ce qui est certain, cest quil ny a pas de mesure en matire de conservation qui ne soit voulue et accepte par la socit. Lusage comme la conservation de la diversit biologique sont lorigine de conflits dintrts dont la rsolution dpend de choix en matire de dveloppement conomique et dutilisation des ressources biologiques, mais aussi de systmes de valeurs inhrents aux socits et dans lesquels la diversit biologique occupe ou non une place. Les motivations peuvent relever dune dmarche thique quelle soit ou non dinspiration religieuse: nous ne devons pas dtruire ce que la Nature a mis si longtemps crer. Dans ce contexte, la conservation va de soi. Dans dautres cas, on cherche protger une ressource. Cest lobjectif par exemple de certaines aires marines protges qui sont mises en place pour protger les stocks de poissons. Ou bien encore, on peut chercher protger des espces et des cosystmes dans une perspective conomique: cotourisme, ressources biologiques, etc. Certains

1.2 Les multiples visages de la biodiversit

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mettent en avant le rle fonctionnel de la diversit biologique dans le fonctionnement des cosystmes: rle des insectes pollinisateurs, rle des zones humides dans lpuration des eaux, etc. Cependant, si ONG et conservationnistes sont prompts dnoncer laction de lhomme, on se doit den rechercher les causes et les moyens ventuels dy remdier. La dmographie entrane presque automatiquement des besoins plus importants en terres et en ressources. Dont acte. Mais deux autres facteurs ont galement un poids considrable: la pauvret et la recherche du profit court terme. Ainsi, les Nations Unies ont bien identifi la lutte contre la pauvret comme lun des objectifs du prochain millnaire. Ceux qui ont faim sont moins enclins que dautres se proccuper de la conservation des ressources naturelles. Il reste mettre en uvre un tel projet! Quant au profit court terme, il est presque inhrent lconomie librale. De trs nombreux exemples montent que la biodiversit est menace tous les niveaux pour des motifs qui relvent au mieux de lactivit conomique bien comprise, que de la cupidit, du braconnage ou de la corruption Des attitudes qui ne nous sont pas inconnues, mais qui restent difficiles matriser. Sans compter que, de manire plus subtile, les subventions accordes certaines activits ont un effet tout aussi pervers. Et l, en thorie, on pourrait agir!

Chapitre 2

La diversit biologique : un tat des lieux

En dpit de lattention qui est accorde la diversit biologique depuis une dizaine dannes par les mdias et les scientifiques, nos connaissances ne permettent pas den dresser un tat exhaustif, dautant quelle nest pas distribue de manire uniforme sur la Plante. Nous en avons nanmoins une perception globale suffisante pour permettre de jeter les bases dune politique de conservation, conforme aux objectifs de la Convention sur la diversit biologique. Dunod La photocopie non autorise est un dlit.

2.1

LA CLASSIFICATION DU VIVANT ET SES PRINCIPES

La classification est une manire dorganiser linformation en regroupant ce qui est similaire. On tente ainsi depuis des sicles de dcrire, de nommer, de classer, de compter les espces, et il y a diffrentes faons de le faire. En son temps, Aristote regroupait les humains et les oiseaux parce quils marchent sur deux jambes. Aujourdhui, les classifications sont bases sur le degr de similarit gntique entre individus et regroupent les organismes en fonction de leurs parents phylogntiques.

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2 La diversit biologique : un tat des lieux

La taxinomie est la discipline scientifique qui consiste nommer, dcrire et classer les tres vivants. Cette science, trs formalise, obit aux instructions de codes internationaux de nomenclature. La systmatique quant elle a pour objectifs ltude de la diversit des organismes et la comprhension des relations entre les organismes vivants et fossiles, cest--dire leurs degrs de parent. Ce que lon appelle actuellement biosystmatique, est une approche moderne de la systmatique qui fait appel des informations de diffrentes origines: morphologie, gntique, biologie, comportement, cologie, etc.

2.1.1 Les niveaux dorganisation du monde vivantUne des caractristiques du monde vivant est sa structuration complexe et hirarchise: les atomes sorganisent en cristaux (monde inanim) ou en molcules, et ces molcules sorganisent leur tour en cellules capables de se reproduire (monde vivant). Les cellules peuvent sagrger et cooprer pour constituer des organismes multicellulaires. Les individus, unis ou pluricellulaires, sorganisent en populations et en communauts multispcifiques. Si lon prend en compte le milieu dans lequel vivent les organismes, on accde alors des ensembles de plus en plus complexes appels cosystmes, paysages et biosphre. Dans cette chelle hirarchique les lments dun niveau dorganisation constituent les units lmentaires qui vont entrer dans la constitution du niveau dorganisation suprieur. chaque tape, mergent des structures et des proprits nouvelles qui sont le rsultat des interactions entre les lments du niveau infrieur. Lunit lmentaire du monde vivant est lindividu, porteur dun patrimoine gntique propre. Lensemble de ses gnes constitue son gnotype. Une bactrie contient environ 1 000 gnes, certains champignons de lordre de 10 000. Il y en a un peu plus de 20 000 25 000 chez lhomme. Lespce est lensemble des individus susceptibles dchanges gntiques fertiles et fconds (voir paragraphe2.1.3) Une espce est souvent rpartie en populations plus ou moins isoles qui peuvent, ou non, changer des individus et donc des informations gntiques. La population correspond lensemble des individus dune mme espce biologique habitant un mme milieu. Cest ce niveau dorganisation que seffectue la slection naturelle. Des populations fragmentes interactives sont des mtapopulations.

2.1 La classification du vivant et ses principes

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Les ensembles despces dlimits le plus souvent sur des bases taxinomiques constituent les peuplements ou les communauts. La biocnose est lensemble des populations despces animales et vgtales qui vivent dans un milieu donn. Le terme cosystme a t introduit par Tansley en 1935 pour nommer un systme cologique qui combine lensemble des organismes vivants et leur environnement physico-chimique. La Convention sur la diversit biologique dfinit lcosystme comme un complexe dynamique form de communauts de plantes, danimaux et de micro-organismes, et de leur environnement non vivant qui, par leur interaction, forment une unit fonctionnelle. Cette dfinition lgale nest pas diffrente sur le fond de ce que lon trouve dans les traits dcologie. La biosphre (sensu stricto) est lensemble des organismes vivants qui peuplent la surface de la Terre. Nanmoins on dfinit aussi la biosphre (sensu lato) comme la pellicule superficielle de la plante qui renferme les tres vivants, et dans laquelle la vie est possible en permanence. Cet espace comprend ainsi la lithosphre (corce terrestre), lhydrosphre (ensemble des ocans et des eaux continentales), et latmosphre (enveloppe gazeuse de la Terre).

2.1.2 Les hirarchies taxinomiques: la recherche dun ordre volutif et fonctionnel dans la diversit des espcesLa classication consiste reconnatre et dnir des groupes ou taxons cest--dire un ensemble dorganismes possdant en commun au moins un caractre particulier et les classer dans des ensembles hirarchiss. Dabord base la Renaissance sur lide dune classication descendante (division a priori de grandes classes en sous-classe), la taxinomie a volu vers une classication ascendante qui consiste regrouper des taxa apparents en taxa dordre suprieur. La classication du monde vivant postule que les espces appartenant aux mmes taxa partagent un certain nombre de caractristiques morphologiques, biologiques et cologiques communes qui diffrent de celles dautres taxa. Les naturalistes du monde entier utilisent un mme systme de nomenclature gnrale propos par Linn pour nommer et classer les espces. Dans cette classification biologique, chaque rang de la hirarchie correspond un nom de taxon. la base, le systme binominal est constitu dun nom de genre suivi dun nom despce. Chacune des catgories supra-spcifiques (genre, famille, ordre, division, classe, phylum, etc.)

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sert rendre compte des degrs de parent entre les taxons de rang infrieur (voir tableau2.1).TABLEAU 2.1Niveau Domaine Rgne Embranchement Classe Ordre Famille Genre Espce

CLASSIFICATION BIOLOGIQUE HIRARCHIQUE DE TROIS ESPCES ANIMALES.Espce 1 Eucaryotes Animal Arthropodes Insectes Diptres Nmatocres Aedes aegypti Espce 2 Eucaryotes Animal Arthropodes Crustacs Dcapodes Carids Homarus americanus Espce 3 Eucaryotes Animal Chords Mammifres Primates Hominids Homo sapiens

On a utilis divers critres pour hirarchiser les taxons. La hirarchie phntique est fonde sur la similitude des formes ou des caractres morphologiques entre les espces. La taxonomie numrique fait lhypothse que les organismes qui partagent des caractristiques communes (traits homologues) ont une histoire volutive similaire, sans prjuger pour autant de leur gnalogie. Cependant, les convergences morphologiques au cours de lvolution ont pu conduire des regroupements discutables. Ainsi, les Dipneustes (poissons poumons fonctionnels tels que le Protopterus) sont plus proches morphologiquement du saumon que de la vache, mais ils ont avec la vache un anctre commun plus rcent quavec le saumon. Comment faut-il donc classer les Dipneustes? La hirarchie phylogntique est fonde quant elle sur la parent volutive de groupes issus danctres communs. La classification cladistique (parfois appele classification hennigienne) part du principe quau cours de lvolution une espce ancestrale donne naissance deux espces filles. Un groupe despce est dit monophyltique lorsquil drive dun seul anctre commun, alors quun groupe polyphyltique comprend des espces qui prsentent des ressemblances, mais ne descendent pas toutes en ligne directe dun anctre commun. Chez les

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Vertbrs actuels, le groupe des poissons est un ensemble polyphyltique. Par exemple les Actinoptrygiens (comme la truite) sont plus proches des Ttrapodes que des Chondrichtyens (raies, requins). Les mthodes de la phylognie molculaire reposent sur lhypothse que les espces les plus apparentes prsenteront des squences de gnes qui se ressemblent plus quelles ne ressemblent aux squences du mme gne des autres espces. Le degr de diffrence entre les squences de gnes dans des organismes diffrents peut tre utilis comme une mesure de la distance volutive entre ces organismes. La recherche de relations de parent entre organismes se fait ici sur les gnes et non plus sur les traits morphologiques. On peut donc comparer des organismes aussi diffrents que les bactries et lhomme. Mais il ne faut jamais oublier que les phylognies ainsi tablies ne sont que des reconstructions hypothtiques du pass. Grce au dveloppement des outils de la biologie molculaire, la classification phylogntique prend actuellement le pas sur la classification phntique. Les premires phylognies molculaires apparaissent dans les annes 1970 quand Carl Woese entreprend de reconstruire la phylognie des bactries en utilisant lARN ribosomique: ARNr16S chez les bactries, puis lARNr18S chez les Eucaryotes. Auparavant, on avait commenc dvelopper le squenage des protines par lectrophorse pour dterminer la squence des acides amins. Une technique qui a t largement utilise mais qui est supplante par le squenage des acides nucliques, ADN et ARN. Au gr des nouvelles recherches et dcouvertes, la classification peut tre modifie afin de mieux reflter les diffrentes lignes volutives. Des changements sont parfois frquents, aussi bien pour les espces actuelles que pour les espces fossiles. La taxinomie est donc une science en perptuelle volution. Par exemple, les Eucaryotes constituent un groupe trs htrogne dans lequel on distinguait quatre grands ensembles: les animaux, les plantes, les champignons et un groupe mal dfini, les protistes. Les phylognies molculaires bases sur lARNr18S ont permis de mieux comprendre les relations de parent entre ces diffrentes lignes. Plusieurs super-groupes ont t reconnus, suggrant que la pluricellularit est apparue plusieurs fois et indpendamment au cours de lvolution. Les plantes terrestres, les champignons, les algues brunes et les animaux ont chacun une origine volutive distincte. Les champignons paraissent volutivement plus proches des animaux que des plantes. Nous sommes donc (toutes proportions gardes) plus proches dune truffe que dune pquerette! Les algues ne constituent pas un groupe monophyltique. Certaines se rapprochent de plantes terrestres,

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2 La diversit biologique : un tat des lieux

dautres sont plus proches des protistes. En outre la majorit des lignes eucaryotes na pas de reprsentants pluricellulaires, ce qui sous-entend que lvolution nirait pas ncessairement dans le sens de la pluricellularit.O placer les virus?

Il existe des tres tranges, les virus. Ils sont constitus dun peu de matriel gntique, ADN ou ARN, enferm dans une enveloppe de protines. Il nexiste pas de gnes universels communs aux organismes cellulaires et aux virus. Ils ne possdent pas de ribosomes, et donc pas dARNr et ne peuvent donc tre inclus dans larbre universel du vivant. Ils exploitent les systmes molculaires de leurs htes pour exprimer leur information gntique et se multiplier. Le biologiste Andr Lwoff en a donn une dfinition en 1957 qui sert encore de rfrence: ce sont des organismes de petite taille qui nont quun type dacide nuclique (ADN ou ARN) en guise de gnome, qui ne possdent aucune des enzymes ncessaires pour produire de lnergie, qui sont incapables de se multiplier par division, et qui sont des parasites intracellulaires obligatoires Malgr tout cela, il existe une trs grande diversit de virus qui constituent une nigme pour les scientifiques. Aprs les avoir considrs comme la forme la plus lmentaire de vie, on les a mme classs une poque parmi les substances chimiques. Savoir si un virus est vivant, cest un peu se poser la question: quest-ce que la vie? Ce qui est certain est que les virus changent de linformation gntique avec les organismes vivants. Le gnome dun virus peut ajouter des gnes viraux au gnome de lhte, et devenir en quelque sorte une partie de ce gnome. Quils soient ou non vivants, les virus sont donc la frontire qui spare le monde vivant de celui de la biochimie. Certains scientifiques les considrent actuellement comme des parasites qui utilisent les matriaux et lnergie dune cellule hte pour synthtiser les acides nucliques et les protines qui leur permettent de se multiplier et de se propager.

Chez les Mtazoaires (figure2.1), la vision classique dun arbre phylognique complexit croissante (figure2.1A) est venue se substituer une vision dans laquelle tous les groupes intermdiaires ont disparu (figure2.1B). Les Arthropodes seraient proches des Nmatodes,

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et les mollusques appartiennent un ensemble comprenant notamment les Brachiopodes, les Annlides et les Plathelminthes. Nos insectes quant eux sont probablement des crustacs qui se sont adapts au milieu terrestre. La phylognie molculaire fait apparatre que la simplicit apparente de certains groupes considrs pendant longtemps comme primitifs (Plathelminthes, Nmatodes) serait en ralit le rsultat dune simplification secondaire. De mme les microsporidies, dpourvues de mitochondries, ont longtemps t considres comme primitives, alors quil sagirait en fait de lignes tardives ayant perdu secondairement leurs mitochondries.AChords Hmichords chinodermes Brachiopodes Mollusques Annlides Arthropodes Nmatodes Nmertes Plathelminthes Ctnophores Cnidaires Dunod La photocopie non autorise est un dlit.

BChords Hmichords chinodermes Brachiopodes Mollusques Annlides Nmertes Plathelminthes Arthropodes Nmatodes Ctnophores Cnidaires Spongiaires

SpongiairesFigure 2.1

Comparaison de deux phylognies des mtazoaires

A: la phylognie traditionnelle o les clades successifs mergent par ordre de complexit croissante. B: phylognie obtenue en utilisant des squences dARN 18S et de gnes Hox.

2.1.3 La notion despceLa notion despce est depuis longtemps un sujet de controverses, et il nexiste lheure actuelle aucune dfinition entirement satisfaisante.

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2 La diversit biologique : un tat des lieux

Jusquau milieu du XVIIIesicle, les systmaticiens avaient une conception fixiste des espces: elles taient telles que Dieu les avait cres, en nombre limit. Le but de la taxinomie tait alors dinventorier toutes les formes de vie existantes et de dcrire leurs caractres spcifiques. Linn a formalis cette conception en matrialisant lespce par un individu type (holotype): lespce est un ensemble dindividus identiques entre eux, et avec le spcimen type, cest--dire lexemplaire ayant servi dcrire et caractriser lespce sur le plan morphologique. Ce type est dpos dans un Musum o il sert de rfrence, ou en quelque sorte dtalon, pour des comparaisons ultrieures. Cette notion fixiste na pas rsist la dcouverte des mcanismes de lvolution (mutation, slection, drive gntique) et a fait place vers le milieu du XXesicle au concept despce biologique fond non seulement sur la ressemblance, mais galement sur linterfcondit des individus constituant une population, et dont les descendants sont euxmmes interfconds. Ainsi, lne et le cheval qui peuvent se reproduire sont des espces distinctes car leurs descendants ne sont pas fconds. Cest donc lisolement reproductif dun groupe dindividus qui en fait une espce, mais encore faut-il quon puisse le dmontrer. Il est en effet matriellement impossible de croiser la plupart des formes sauvages pour vrifier, ou non, leur interfcondit potentielle. Il en rsulte une difficult vidente pour appliquer le concept despce biologique. En outre, cette dfinition ne sapplique en toute rigueur quaux espces reproduction bisexue, et laisse en suspens la question pour les microorganismes. Malgr les rserves que lon peut mettre son sujet on continue donc, quand cest possible, utiliser largement la description morphologique pour identifier les espces, en la compltant ventuellement par une description biochimique. Au sein dune mme espce on peut distinguer des ensembles, que lon qualifie de sous-espces, de races, de souches, de varits, etc. Il nexiste pas de dfinition prcise et universellement admise de ces catgories infraspcifiques qui peuvent tre tablies sur des bases morphologiques, gographiques, ou encore gntiques. Ainsi reconnat-on parmi les nombreuses races danimaux domestiques des formes bien diffrencies sur le plan morphologique. Mais la variabilit intraspcifique peut sexprimer de bien dautres faons, dans le comportement reproducteur ou dans les modes de communication par exemple. Depuis peu, les outils de la biologie molculaire sont devenus des auxiliaires prcieux pour sparer les individus appartenant des espces trs proches sur le plan morphologique: on parle despces jumelles

2.1 La classification du vivant et ses principes

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pour dsigner des espces biologiques ayant acquis un isolement reproductif mais qui sont encore difficiles distinguer sur la base de leurs seuls caractres morphologiques.

2.1.4 cosystmesLe concept dcosystme est une notion abstraite: lassociation dun milieu physico-chimique (le biotope) et dune communaut dtres vivants (la biocnose), cre un rseau dinteractions entre leurs lments constitutifs. Dans la pratique cependant, les cologistes ont tendance assimiler les cosystmes des entits morphologiques ou biotiques, telles que les lacs, les bassins versants, ou les massifs forestiers intuitivement reconnues. Le fonctionnement dun cosystme est caractris par: des flux dnergie entre les organismes tels les vgtaux qui accumulent de lnergie solaire par photosynthse, les animaux herbivores qui utilisent cette nergie, et les dcomposeurs qui recyclent la matire organique; des cycles biogochimiques qui rsultent de la circulation de la matire sous forme de substances alternativement minrales et organiques. Ces cycles concernent en particulier leau, le carbone, loxygne, lazote, le phosphore, etc.; des chanes alimentaires qui structurent lcosystme en niveaux trophiques. Les interactions de type trophique ou alimentaire sont les moteurs des ux dnergie et de matire. Lcosystme est une notion essentiellement dynamique: les flux, les cycles biogochimiques et les structures trophiques voluent en permanence dans le temps et dans lespace. Un bon exemple pour illustrer ce phnomne est celui dun fleuve avec son lit mineur et sa plaine dinondation: en fonction du cycle hydrologique, le niveau deau modifie profondment le paysage ainsi que les interactions entre espces. La biosphre est lcosystme ultime. La prise en compte de facteurs globaux (changements climatiques naturels ou sous influence humaine, grands cycles biogochimiques, mondialisation des transferts despces, etc.) en fait maintenant un niveau dtude pertinent. Les recherches sur le fonctionnement global du systme Terre sont devenues une ralit.

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2 La diversit biologique : un tat des lieux

Les biocnoses: des ensembles alatoires ou structurs?

Une question centrale de lcologie des cosystmes est de savoir si lensemble des espces prsentes dans un milieu est le fruit du hasard (cest--dire une collection alatoire de populations qui ont russi coloniser lcosystme et sy maintenir), ou le rsultat dune slection sur la base dune co-volution entre les espces, ainsi quentre les espces et leur environnement physico-chimique, de telle sorte quil existe un rseau dinterdpendance entre ces espces. Certains cologistes penchent actuellement pour la seconde hypothse, mais ils ont nanmoins de nombreuses difficults pour mettre en vidence ces diffrents types dinteractions. En ralit, la dimension temporelle joue un rle important. Lorsquun nouvel habitat est cr, il y a colonisation par des espces opportunistes et le peuplement est en grande partie alatoire. Avec le temps, il peut y avoir co-volution des espces et acquisition dun degr dinterdpendance plus important. Par exemple, les lacs nord temprs qui taient sous les glaces lors de la dernire priode glaciaire il y a 15 000ans, ont une faune peu diversifie, sans endmiques, qui rsulte dune recolonisation de proximit aprs la fonte des glaces. linverse, les grands lacs dAfrique de lEst qui existent depuis des millions dannes ont une faune riche en espces et en endmiques, avec des relations interspcifiques complexes qui rsultent dune longue co-volution.

2.2

LINVENTAIRE DES ESPCES

La diversit biologique concerne tous les niveaux de lorganisation du vivant, des gnes aux cosystmes. Mais on parle le plus souvent de la diversit des espces (en ralit la richesse en espces) car cest le niveau le plus simple apprhender. Botanistes et zoologistes ont entrepris, il y a prs de trois sicles, la description et linventaire des espces vivantes. Carl Linn dnombrait 9 000 espces de plantes et danimaux au milieu du XVIIIesicle. Deux sicles et demi plus tard, avec plus de 1,8million despces dcrites, nous savons que linventaire du vivant est loin dtre termin, surtout dans les rgions tropicales. Nul ne sait en ralit quel est le nombre

2.2 Linventaire des espces

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despces vivantes la surface de la Terre, mais il pourrait se situer selon les estimations entre 7 et 100millions. Cette incertitude rvle ltendue de notre ignorance, ce qui est pour le moins fcheux quand on cherche dmontrer que les activits humaines suscitent une rosion sans prcdent de la diversit biologique Au rythme moyen de 10 15 000espces nouvelles dcrites chaque anne, il faudra encore plusieurs sicles pour complter linventaire!TABLEAU 2.2 ESTIMATION DU NOMBRE DESPCES ACTUELLEMENT RECENSES ET DU NOMBRE DESPCES PROBABLES.

Ce nombre despces probables est une extrapolation assez hypothtique, mais qui donne des ordres de grandeur quant la richesse du monde vivant. Groupes taxinomiques Virus Bactries Champignons Protozoaires Algues Fougres Plantes Animaux invertbrs Dunod La photocopie non autorise est un dlit.

Nombre approximatif despces recenses 4 000 4 000 72 000 40 000 40 000 12 000 270 000

Nombre estim despces 500 000? 1 000 000? 1 2 000 000 200 000? 400 000?

320 000 10 000 000

ponges Cnidaires Plathelminthes Nmatodes Arachnides Crustacs Insectes Mollusques Annlides chinodermes Poissons Amphibiens Reptiles Oiseaux Mammifres

10 000 10 000 20 000 30 000 92 000 55 000 1 000 000 85 000 12 000 7 000 29 000 5 800 8 300 9 900 5 400

400 000 750 000 150 000 8 000 000 200 000

Animaux vertbrs

30 000 6 000 8 500 10 000 5 500

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2 La diversit biologique : un tat des lieux

En ralit le niveau de connaissance est variable selon les groupes taxinomiques. Des recensements quasi exhaustifs ne sont disponibles que pour un petit nombre de groupes zoologiques ou botaniques. Cest le cas pour les mammifres et les oiseaux qui sont actuellement connus plus de 95%. Le nombre des insectes par contre est trs certainement largement suprieur celui pourtant considrable (1 000 000) enregistr jusquici. Les insectes reprsentent prs des deux tiers des nouvelles descriptions despces. Quant au nombre des champignons il pourrait se situer entre 1 et 2millions et celui des nmatodes, petits vers parasites de plantes et danimaux, serait de plusieurs centaines de milliers. Les sources des nouvelles espces sont essentiellement les rgions tropicales, les rcifs coralliens, les grands fonds marins, mais galement, sous toutes les latitudes, les milieux daccs difficile et les petites espces (faune du sol, miofaune marine) et les parasites. Un mtre cube de sol de prairie tempre contient des milliers despces de micro-organismes et dinvertbrs dont on ignore le plus souvent le statut taxinomique et lactivit mtabolique. Pour dautres groupes, comme les bactries et les virus, chez lesquels les scientifiques ont plus de mal caractriser les espces que chez les

Lcologie molculaire

Chez les bactries, la notion despce a longtemps t calque sur celle des autres groupes: lappartenance une espce tait dcide en fonction du nombre de caractristiques physiologiques et biochimiques partages avec une souche type. Mais, dans de nombreux environnements, seule une proportion minime despces est susceptible dtre isole et cultive, par rapport toutes celles qui sont prsentes. La biologie molculaire permet et les mthodes damplification PCR qui permettent une amplification et la dtermination rapide de la squence de gnes partir dune petite quantit de cellules, ont permis daccder lADN bactrien des espces libres sans recourir aux cultures. On peut ainsi gnrer un vritable inventaire de la diversit molculaire qui nous a rvl une norme diversit de Procaryotes dans tous les environnements, y compris ceux possdant des caractristiques physiques et chimiques extrmes. Ces travaux montrent galement quune grande partie de cette diversit ne relve pas de lignes dj connues, mais quil existe un nombre trs important de groupes jusqualors inconnus et gntiquement loigns les uns des autres.

2.3 La systmatique, linformatique et Internet

29

vertbrs ou les insectes, le nombre est trs certainement bien suprieur celui connu lheure actuelle (voir encadr sur lcologie molculaire). Ainsi, en utilisant les techniques de biologie molculaire, on a montr que le picoplancton marin (organismes de trs petite taille entre 0,2 et 2-3microns) qui constitue la base de lcosystme plagique, recle de nombreux groupes dEucaryotes non rpertoris. Le squenage de lARN ribosomal dun chantillon de picoplancton du Pacifique a montr que la presque totalit des squences ne pouvaient tre rattaches celles dorganismes connus. On a dcouvert en particulier des espces dalgues vertes primitives (les Prasinophytes) non isoles ce jour, et de nouvelles branches dans larbre des Protistes. Ce qui est galement nouveau est que la majorit des squences obtenues appartiennent des organismes qui sont soit des espces prdatrices, soit des espces impliques dans la dgradation de la matire vivante, fonction que lon pensait jusquici principalement assure par les bactries et non par des Eucaryotes.

2.3

LA SYSTMATIQUE, LINFORMATIQUE ET INTERNET

Nommer, classer et identifier les espces est un travail dlicat qui ncessite dutiliser: des collections de rfrence de spcimens types, en principe dposes dans des muses; des publications spcialises dcrivant les espces nouvelles; des faunes et des flores accompagnes de cls didentification qui synthtisent linformation disponible et donnent accs la connaissance taxinomique. Il en rsulte que la connaissance des divers groupes taxinomiques a longtemps t le privilge dune poigne de spcialistes dont le nombre fluctue selon les politiques et les modes. On fait dailleurs le constat, un peu partout dans le monde, dune vritable crise en matire de recrutement de systmaticiens. Dans un tel contexte, si lon veut acclrer le processus dinventaire de la diversit biologique qui ncessitera encore plusieurs sicles, et utiliser au mieux linformation existante souvent disperse dans de nombreuses revues, il faut avoir recours des moyens puissants et interactifs de gestion et de diffusion de linformation taxinomique. Linformatique est donc naturellement apparue comme loutil indispensable au stockage, la gestion et lanalyse de toutes ces informations.

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30

2 La diversit biologique : un tat des lieux

Si des progrs considrables ont t faits dans le domaine des logiciels et des traitements informatiss, un systme informatique performant en matire de systmatique et dinventaires taxinomiques fait encore cruellement dfaut lheure actuelle. Paradoxalement, des moyens autrement plus importants ont t mis dans la connaissance des toiles et lexploration de lespace que dans celle des organismes vivants qui nous entourent. Pourtant des rfrentiels taxinomiques constitus de listes de noms de rfrence et de leurs synonymes, sont en cours de constitution et consultables sur Internet. Ils peuvent tre complts par des informations sur la description des espces, leur rpartition gographique, les collections dposes dans les grands musums, etc. Ainsi la collection de poissons du Musum national dhistoire naturelle de Paris est consultable sur Internet. Il existe de nombreuses bases de donnes soit rgionales soit par groupe despces. Ainsi Fishbase traite de lensemble des poissons alors que Titan sintresse aux Coloptres des bois, etc. Un objectif est de mettre en rseau ces diffrentes bases pour avoir accs lensemble de linformation concernant la biodiversit. Le catalogue de la Vie (Catalogue of Life) a pour projet dtablir un vritable annuaire du vivant. Il sagit dune liste dynamique qui fournit des indications sur le nom scientifique en vigueur, les synonymes, la distribution, les rfrences scientifiques correspondantes, etc. Et de nombreux autres projets ont vu le jour en vue de promouvoir la diffusion des connaissances en systmatique. Par exemple le projet international Species 2000, le projet Fauna Europaea et les bases europennes ERMS (European Register of Marine Species) ou CLEMAM. Soutenu par la National Science Foundation des tats Unis, le Tree of Life (Arbre de la Vie) se donne pour objectif de cartographier lhistoire de lvolution de toutes les espces, passes et prsentes. Dautre part, le projet EOL, Encyclopedia of Life, est officiellement lanc. Son objectif est de crer une encyclopdie en ligne recensant toutes les espces vivantes ou disparues. Le projet est de rassembler virtuellement toutes les donnes connues sur toutes les espces et ainsi amliorer la comprhension de la vie sur Terre. Pour chaque espce, lobjectif est davoir au moins une photo, la classification (taxonomie) et une description incluant lhabitat et la rpartition de lespce sur la plante. Dans certains cas ces bases de donnes hbergent galement des systmes daide lidentification des espces pour lusage des professionnels et des amateurs. On assiste aujourdhui lmergence de la systmatique assiste par ordinateur avec des programmes permettant

2.4 Mesurer la diversit biologique

31

de construire automatiquement des cls didentification, des diagnoses ou des reconstructions phylogntiques, de faire des identifications, de stocker et daccder des donnes varies dont celles des collections entreposes dans les muses. De manire gnrale lobjectif nest pas de constituer des bases de donnes isoles et monstrueuses mais, grce Internet, dorganiser le partage du savoir (bases de donnes rparties, logiciels, travail coopratif, etc.) et dassurer la compatibilit et la synergie entre les diffrentes initiatives qui se font jour. Cest lobjectif du GBIF (Global Biodiversity Information Facility) du Forum Mgascience de lOCDE. Il a t cr en 2001 afin de prendre en charge un ensemble de tches qui permettraient tous les utilisateurs daccder par Internet au stock mondial de donnes primaires sur la biodiversit. La mission du GBIF est de faciliter la numrisation des donnes primaires et leur dissmination lchelle mondiale, de telle sorte quune personne, quel que soit son pays dorigine, puisse tirer profit de lutilisation de cette information. Pour ce faire, le GBIF offre un moteur de recherche portant sur des bases de donnes connectes au GBIF de manire standardise. Les possesseurs de donnes peuvent connecter tout ou partie de leurs ressources au GBIF, mais restent matres de leurs donnes, quils continuent hberger et utiliser dans le cadre de leur travail.

2.4

MESURER LA DIVERSIT BIOLOGIQUE

Les opinions divergent sur la manire de mesurer la biodiversit. Il ny a aucune mesure universelle et celles qui sont utilises dpendent en ralit des objectifs poursuivis. Sur un plan thorique on devrait valuer tous les aspects de la biodiversit dans un systme donn. Mais cest une tche pratiquement irralisable et il faut se contenter dune estimation approche en se rfrant des indicateurs qui peuvent concerner la gntique, les espces ou les peuplements, la structure de lhabitat, ou toute combinaison qui fournit une valuation relative mais pertinente de la diversit biologique. La richesse en espces (le nombre despces) qui peut tre dtermine pour lensemble des taxons prsents dans un milieu, ou pour des sousensembles de taxons, est lunit de mesure la plus courante, tel point quon a parfois tendance assimiler abusivement biodiversit et richesse en espces. Certes, plus le nombre despces est lev, plus on a de chances dinclure une plus grande diversit gntique, phylogntique, morphologique, biologique et cologique. Pour certains groupes bien

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2 La diversit biologique : un tat des lieux

connus sur le plan taxinomique, la liste despces est relativement facile tablir. La diversit alpha est la richesse en espces au sein dun cosystme local. La diversit bta consiste comparer la diversit des espces entre cosystmes ou le long de gradients environnementaux. Elle reflte la modification de la diversit alpha lorsque lon passe dun cosystme un autre dans un site. La diversit gamma correspond la richesse en espces au niveau rgional ou gographique. On a cherch complter ces indices par des indices de nature gntique et cologique. Il y a en gntique des analogues de ces indices de diversit spcifique: on parle galement de richesse (nombre dallles pour un mme locus) ou de rgularit (frquence relative des allles). Lautre voie est didentifier la diversit des habitats dans un cosystme, ou des cosystmes dans un paysage. On peut utiliser une dmarche voisine de la taxonomie: reconnatre des entits, les nommer et les classer pour pouvoir comparer diffrentes situations et tenter de gnraliser les observations. Cette dmarche typologique a donn lieu plusieurs catgories de classification fondes sur les caractristiques floristiques et faunistiques, les assemblages despces (phytosociologie), ou sur des caractristiques du paysage (corgions, structures phnologiques, etc.). Un exemple de typologie des habitats est le systme de classification CORINE des habitats europens.

2.5

LA DISTRIBUTION GOGRAPHIQUE DE LA DIVERSIT BIOLOGIQUE

La diversit biologique nest pas rpartie de manire homogne la surface de la plante. Les naturalistes ont essay de mettre en vidence des grandes tendances ou patterns (mot qui na pas rellement dquivalent franais mais qui est parfois traduit par patron) dans la distribution spatiale de la diversit biologique. Si lon recherche des units cologiques, on peut mettre en relation les caractristiques du climat et celles de la vgtation, ce qui conduit reconnatre de grands biomes (figure2.2). Si lon value par contre le degr de ressemblance

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CA 11 11 12 10 6 6 8 5 3 9 4 2 3 2 4 1 1 14 2 2 4 14 5 3 5 5 6 1 EQ 2 4 12 4 5 5 3 12 13 TR 8 7 6 6 6 7 7 10 10 11 CA

11

10

11

12

6

7

10

3

5

6

4

2

13

2

13

13

EQ

1

12

14 4

4

2

TR

3 2 14

2.5 La distribution gographique de la diversit biologique

5

3

7

6

11

Figure 2.2

Rpartition des principaux biomes (bass sur les formations vgtales) la surface de la Terre.

1. Toundra; 2. fort borale de conifres; 3. fort caducifolie tempre; 4. fort tropicale humide; 5. fort caducifolie tropicale; 6. steppe tempre; 7. savane tropicale; 8. dsert; 9. fort sclrophylle mditerranenne; 10. cosystme montagnard.

33

34

2 La diversit biologique : un tat des lieux

entre les flores et les faunes, on peut diviser la plante en rgions biogographiques. Dans lun comme dans lautre cas, cette dmarche typologique sinscrit, elle aussi, dans un systme hirarchique, avec des subdivisions qui sont fonction du degr de prcision recherch. loppos on peut galement chercher identifier des aires originales, particulirement riches en espces endmiques Espces endmiques. Les espces sont dites endmiques lorsquelles ne se rencontrent quen un lieu donn, et nulle part ailleurs. On parle souvent dendmisme dans un contexte gographique: les centaines despces de poissons cichlids qui peuplent les grands lacs dAfrique de lEst (Victoria, Malawi, Tanganyika), ou les troisquarts des espces de mammifres de Madagascar. Le phnomne dendmisme est li lisolement gographique de taxons qui voluent ensuite en systme clos.

2.5.1 La diversit taxinomique des milieux aquatiquesEn milieu marin, on retrouve lensemble des grands phyllums connus ce jour, dont 15 sont exclusivement marins (chinodermes, brachiopodes, etc.) (tableau2.3). Un seul, les Onychophora, nest connu quen milieu terrestre. Il y a l une certaine logique si lon reconnat que la vie est ne en milieu aquatique. Prs de 230 000 espces ont t dcrites en milieu marin, ce qui ne reprsente que 15% environ de la biodiversit connue, en dpit du fait que les ocans occupent 70% de la surface du globe. Il y a cela deux explications possibles qui ne sont pas contradictoires: le milieu marin est moins explor, mais galement moins htrogne que le milieu terrestre; les phylums qui ont colonis le milieu terrestre se sont beaucoup plus diversifis, lexemple des insectes. Cest le long des ctes que 70% des espces sont recenses. Les rcifs coralliens, qui sont lquivalent en milieu marin des forts tropicales noccupent que 0,5% de la surface de la plante. Ils hbergent par contre environ un tiers des espces marines dcrites. Le monde marin nous rserve encore des surprises. Rappelons la dcouverte faite il y a maintenant 30ans, de la faune des sources hydrothermales! De nombreuses espces nouvelles, la biologie trs particulire, ont t dcouvertes, dont le fameux ver de Pompi qui vit dans des tubes fixs la paroi des fumeurs noirs.

2.5 La distribution gographique de la diversit biologique

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TABLEAU 2.3

UNE INDICATION DE LA RICHESSE EN ESPCE PAR TYPE DHABITAT (DAPRS

DISTRIBUTION DES GRANDS PHYLUMS DE MTAZOAIRES AVEC MAYR, 1994).benthique marin *** *** ** *** * *** *** * *** ** * *** ** ** * * ** * *** *** ** * ** *** *** * *** *** * * * * *** ** *** * * ** * 26 10 11 1 ** 14 0 * ** * * * 11 1 * * *** ** * ** * *** * *** * plagique marin * *** eau douce terrestre

Domaines Phylums Annlides Arthropodes Brachiopodes Bryozoaires Chaetognathes Chordata Cnidaires Ctnophores chinodermes chiuriens Gastrotriches Hmichords Kamptozoaires Kinorhynques Loricifres Mollusques Nmatodes Nmertes Onychophores Phoronidiens Placozoaires Dunod La photocopie non autorise est un dlit.

** ***

*** ***

Plathelminthes Pogonophores Spongiaires Priapulides Rotifres Sipunculiens Tardigrades Total endmiques

* < 100 ; 1 000 > ** > 100 ; *** > 1 000.

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2 La diversit biologique : un tat des lieux

Mais les monts sous-marins, ces montagnes dorigine volcanique qui slvent en pentes abruptes plusieurs centaines de mtres au-dessus des fonds ocaniques sans atteindre la surface, sont galement des milieux dune exceptionnelle richesse biologique. On en recense plus de 30 000 dissmins dans lensemble des ocans et environ 10 000 dans le seul Ocan Pacifique. On y a dcouvert en particulier des espces que lon appelle vulgairement des fossiles vivants appartenant des groupes que lon croyait disparus depuis le Msozoque, lpoque des dinosaures. Un inventaire des espces animales peuplant les eaux douces et saumtres vient dtre ralis. On compte ce jour environ 120 000 espces connues (sur les 1 800 000 dcrites) dans des milieux qui noccupent pourtant que 0,01% de la surface de la plante. Les insectes reprsentent plus de la moiti de la diversit spcifique des macro-invertbrs. Et, paradoxalement, plus de 40% des espces de poissons connues habitent les eaux douces malgr leur faible superficie.

2.5.2 Les gradients dans la rpartition spatialeDans leur qute dun ordre de la Nature les scientifiques ont essay didentifier des facteurs qui expliqueraient la rpartition spatiale actuellement observe. La recherche de gradients est une manire de mieux comprendre cette organisation de la diversit biologique.a) Gradients latitudinaux

Un phnomne assez gnral en milieu terrestre et aquatique continental, est lexistence dun gradient latitudinal: la richesse en espce augmente des ples vers lquateur pour la plupart des groupes taxinomiques. Autrement dit la diversit biologique est bien plus grande sous les tropiques que dans les rgions tempres. Ce phnomne est particulirement marqu pour les plantes. Pourtant, pour certains groupes comme les Nmatodes du sol, il semble y avoir une situation inverse, avec une plus grande richesse spcifique aux hautes latitudes. Dans les milieux marins, lexistence dun gradient latitudinal a t mise en vidence en milieu plagique, ainsi que pour la faune benthique de substrat dur. Mais le phnomne est controvers pour dautres groupes, et mme parfois inverse. Ainsi, les macro-algues sont plus diversifies en milieu tempr quen milieu tropical. Il en est de mme pour les oiseaux de mer qui se nourrissent de poissons et de crustacs. Cela pourrait signifier que les diffrents groupes dorganismes marins ne sont pas sensibles aux mmes facteurs de distribution que ceux du milieu

2.5 La distribution gographique de la diversit biologique

37

terrestre. Enfin, dans lhmisphre sud, il napparat pas de gradient latitudinal bien marqu et la richesse en espces marines de lAntarctique est particulirement leve. On a cherch bien entendu expliquer les gradients latitudinaux en milieu terrestre en voquant le fait que les rgions tropicales occupent une surface plus importante que les rgions tempres ou froides. Lexistence dune proportion despces endmiques beaucoup plus grande en zone tropicale quen zone tempre est probablement aussi la consquence de la variabilit du climat: les alternances glaciations/ dglaciations, tous les 100 000ans environ au cours du Quaternaire, ont beaucoup plus perturb les zones froides et tempres o elles ont eu un effet dessuie-glace sur la diversit biologique, alors que les climats des zones tropicales ont permis la prennisation long terme dcosystmes, mme si ceux-ci ont pu connatre des variations parfois importantes. Dans les rgions tempres, les espces doivent dvelopper de coteuses adaptations (au gel par exemple) pour faire face la variabilit climatique. Les conditions relativement plus stables, la fois sur le plan saisonnier et sur le long terme, dans les zones tropicales, auraient laiss le temps de nombreux organismes de se spcialiser et doccuper les diffrentes niches cologiques disponibles. Dautres hypothses ont galement t avances: ainsi les zones tropicales o les ressources en nergie disponible sont les plus importantes seraient les plus productives, ce qui faciliterait la coexistence de nombreuses espces.b) Gradients longitudinaux

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Dans le domaine marin, un gradient longitudinal bien tabli est celui de la diversit des coraux dont la plus grande richesse spcifique est observe dans larchipel indonsien. Elle diminue ensuite vers louest, de manire irrgulire dans locan Indien (avec une exception dans la mer Rouge pour certains groupes) et elle est plus faible dans les Carabes.c) Gradients altitudinaux

La zonation altitudinale est une forme dorganisation de la diversit biologique qui nous est familire dans les zones de montagne o lon peut observer, sur des surfaces limites, un changement rapide de la structure des peuplements avec laltitude. La temprature et la pluviomtrie sont les principaux facteurs physiques structurants de ce gradient. Pour certains taxons la richesse spcifique diminue simplement avec laltitude, alors que pour dautres la richesse spcifique a la forme dune courbe en cloche.

38

2 La diversit biologique : un tat des lieux

nombre despces

latitude Nord 0 Sud

Figure 2.3 a Courbe schmatique de la distribution de la richesse en espces aux diffrentes latitudes.Cest le schma observ en particulier pour les amphibiens, les reptiles, etc.

nombre despces

2 1

altitude

Figure 2.3 b

Changements dans la richesse en espces en fonction de laltitude.

1: schma de diminution progressive observ pour les chauvessouris du parc national de Manu (Prou); 2: schma de distribution en dme observ pour les oiseaux terrestres dAmrique du Sud.

d) La profondeur

En mer, on distingue le domaine plagique qui correspond aux espces et communauts qui vivent dans la masse deau, et le domaine benthique pour les organismes qui vivent sur et dans le sdiment ou sur les substrats durs. De manire gnrale, la diversit biologique est plus leve dans les milieux benthiques que dans les milieux plagiques, et en milieu ctier (o la diversit des habitats est plus grande) quen milieu hauturier. Elle sorganise autour de quelques grands domaines: Le plateau continental qui est la zone ctire stendant jusqu une profondeur moyenne de 200m. On y trouve lessentiel des organismes benthiques et les rcifs coralliens qui sont lquivalent, toutes proportions gardes, des systmes forestiers tropicaux pour la biodiversit marine.

2.5 La distribution gographique de la diversit biologique

39

Le talus continental se prolonge par le domaine bathyal qui prsente une richesse spcifique maximum entre 1 000-1 500m pour les communauts plagiques, et 1 000-2 000m pour le mgabenthos. Le bassin ocanique proprement dit est form par la plaine abyssale entre 4 000 et 6 000m de profondeur avec des fosses plus profondes, mais aussi des crtes mdio-ocaniques (2 3 000m). Jusqu une poque rcente on pensait que la vie tait peu abondante dans locan profond. Depuis on a mis en vidence la grande richesse en espces des sdiments profonds, dont la plus grande partie nest pas dcrite avec prcision.

2.5.3 La relation surface nombre despcesIl existe une relation empirique bien connue des cologistes entre la surface dune le et le nombre despces observes sur cette le. Elle sexprime le plus souvent par lquation dArrhnius: S = cAz, o S est le nombre despces, A la surface, c et z sont des constantes. La notion dle sapplique aussi bien aux les ocaniques quaux les continentales savoir les sommets de montagnes, les lacs ou les bassins hydrographiques isols les uns des autres. Des relations entre la surface dun systme insulaire et la richesse spcifique dun groupe ont t mises en vidence de nombreuses reprises. Il existe cependant des diffrences en fonction des provinces biogographiques qui ont connu des histoires diffrentes. Dans lexemple prsent sur la figure 2.4 qui concerne des fleuves africains et des fleuves europens, on a mis en vidence dans chacune des provinces biogographiques, lexistence dune bonne relation entre la surface du bassin-versant (ou le dbit des fleuves) et la richesse spcifique en poissons de ces bassins versants. On donne une explication la relation surface-richesse en espces: lorsque la surface augmente on peut sattendre ce que la diversit des habitats augmente galement, et les peuplements sont dautant plus riches en espces que les habitats sont diversifis. On estime galement que le nombre despces observes sur une le est le rsultat dun quilibre dynamique entre les extinctions naturelles despces et le taux dimmigration despces venues dun continent source, plus riche en espces. Cest la thorie des quilibres dynamiques de MacArthur et Wilson. Lorsquon considre une province biogographique de la taille dun continent telle que lEurope ou lAfrique, les extinctions sont compenses par des phnomnes de spciation.

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2 La diversit biologique : un tat des lieux

log richesse spcifique

3

rivires africaines rivires europennes

2

log surface du bassin (km2) 1 2 3 4 5 6 7

Figure 2.4 Richesse spcifique et surface du bassin hydrographique: comparaison entre les rivires europennes et les rivires africaines.

2.5.4 Une organisation cologique: les biomesLa distribution des espces la surface du globe nest pas alatoire mais dpend des facteurs cologiques et des prfrences ou des potentialits des organismes. La combinaison des prcipitations et de la temprature permet de diviser le globe en grands domaines morphoclimatiques. une chelle trs macroscopique on peut identifier quatre zones coclimatiques qui se retrouvent autour du globe: le tropical chaud et humide, le tempr humide, le polaire, et laride. une chelle plus fine, on peut observer que diffrentes rgions du globe o les conditions climatiques sont identiques sont occupes par des cosystmes de nature comparable. La vgtation prsente ainsi lintrt dtre un indicateur assez fiable pour traduire des chelles spatiales assez grandes le jeu des divers facteurs tels que la gomorphogense et le climat. Les limites des grandes formations vgtales concrtisent ainsi des discontinuits remarquables du milieu naturel. Ce sont les biomes qui sont des macrosystmes de dimension rgionale, homognes du point de vue climatique (temprature et prcipitations). Le nombre de biomes identifis dpend de la rsolution souhaite, et lon distingue de 10 100biomes selon les auteurs. Dans la majorit des cas, la physionomie de la vgtation sert de base la dlimitation des biomes: forts (24% de la superficie), savanes (15%), prairies et

2.5 La distribution gographique de la diversit biologique

41

toundras (15%), etc. Il faut y ajouter les aires cultives qui reprsentent plus de 10% de la surface des terres merges, ainsi que les dserts et les tendues glaces (30%).

2.5.5 Une organisation taxinomique: les rgions biogographiquesDe nombreuses tentatives ont t ralises pour diviser la surface de la Terre en grandes rgions biogographiques. Il sagissait de dgager des modes dorganisation spatiale de la diversit biologique sur la base de la distribution actuelle et des