Bio - Kenya

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44 Nature & Progrès Belgique Bio ? Vous avez dit bio ? Valériane n°85

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élèves suivent un programme assez scolaireà travers un livre mais n’hésitent pas àpousser la chansonnette pour se remémorerles points les plus fondamentaux.Une agriculture vitale et vulnérableDans un pays où 70% de la population sub-siste de l’agriculture, où 46 % des habitantsvivent en-dessous du seuil de pauvreté etoù le taux de croissance démographiqueatteint des sommets, la sécurité alimen-taire est un problème crucial. Chacun a lesouvenir encore frais de la sécheresse del’année dernière qui avait décimé les trou-peaux et mis le pays au bord de la famine.Une grande partie du pays, surtout le Nordplus aride, souffre aussi de la déforesta-tion et de la désertification.Entre janvier et mars dernier, des fortespluies et des inondations ont succédé à lasécheresse, des évènements extrêmes liés àun renforcement du phénomène météorolo-gique El Niño dû au changement clima-tique. El Niño entraînait normalement desdérèglements climatiques dans l’OcéanPacifique, mais ses répercussions ont ten-dance à être de plus en plus globales. Lespaysans sont plus particulièrement touchéspas l’érosion et la perte de fertilité dessols, causés aussi par des pratiques de sur-exploitation agricole ou d’utilisation deproduits chimiques.La pression démographique sur les terresles plus productives et les ressources natu-relles est très forte au Kenya. Par exemple,dans la région fertile de l’Ouest du pays, ladensité est de six cents personnes par kilo-mètre carré autour de la réserve de la forêtde Kakamega, soit dix fois plus que lamoyenne nationale. Les terrains agricoles,à force d’être divisés au fur et à mesure dessuccessions, deviennent de plus en plusminuscules. Les petits paysans cultiventsouvent des parcelles de moins d’un demi-

hectare. Cette pression pousse aussi lesKenyans à grignoter des lopins de terre surles espaces naturels. Le cas de la forêt deKakamega est emblématique : son volumea diminué de 50% entre 1975 et 1991.Aujourd’hui, les politiques de préservationsont plus efficaces et les communautéslocales ont pris conscience de l’importancede cette forêt pour le climat local, notam-ment concernant les précipitations.

Le développement du bio L’agriculture biologique semble la mieuxadaptée pour répondre à tous ces défis etpour assurer l’avenir des millions de petitspaysans pour qui l’achat de fertilisants,d’engrais chimiques ou de semences OGMest un luxe. L’agriculture biologique est entrain de s’implanter au Kenya, le RéseauKenyan pour l’Agriculture Biologique(KOAN) recense quarante-cinq mille pay-sans bio certifiés dont la production est, enpartie, destinée à l’exportation, et quaran-te mille paysans bio non-certifiés.

Des jeunes Kenyans qui sarclent, bêchent,récoltent, une image champêtre del’Afrique qui serait banale si elle n’étaitprise dans le plus grand bidonvilled’Afrique : Kibera, environ cinq cent millehabitants. Hassan et les autres membres del’association Kibera Youth Reform, lancéeen 2001 par des jeunes hommes du quartierdont d’anciens criminels, choisissent, en2008, de construire un potager sur un ter-rain vague où s’amoncelaient sacs plas-tiques, bouteilles, métaux, piles...« Nous voulions que les jeunes de Kiberareviennent à l’agriculture, affirmeMohamed Abdullahi, trente-et-un ans,l’instigateur du projet, qu’ils cultivent pourobtenir leur nourriture et ne pas dépendreuniquement de ce qui est amené d’en-dehors (du bidonville, ndlr) ». Le petitpotager – quatre-vingt mètres sur vingt-cinq – est aujourd’hui florissant et peutfonctionner toute l’année grâce à un systè-me d’irrigation relié à des gros réservoirsd’eau. En ce moment, le champ produit desaubergines, des choux, des épinards, desbananes et de la canne à sucre. Après deuxans d’existence, l’activité est pérenne etfait la fierté du quartier : « Au départ, legens nous ont pris pour des fous, mainte-nant ils prient pour nous », déclare Al-AminIbrahim, vingt-six ans, le responsable del’exploitation.Tout à l’ouest du pays, dans la cour du vil-lage d’Ebukanga, quelques dizaines depaysans kenyans, hommes et femmesmélangés, sont studieusement assis aupied d’un arbre majestueux sur des bancsen bois face à un tableau rudimentaire. Leprof s’appelle Nactical Kutayi, la quaran-taine bien portante et la langue bien pen-due ; il enseigne bénévolement à ses agri-culteurs-étudiants la méthode de culturebiologique push-pull (pousser-attirer). Les

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Kenya : le bio à l’africaineL’agriculture biologique se développe aussi enAfrique, sans être l’apanage des plus nantis. De lacampagne kenyane aux bidonvilles de Nairobi, desexpérimentations locales ouvrent la voie à un déve-loppement vert se préoccupant des petits paysans etdu changement climatique. Tout en assurant la sécu-rité alimentaire… Par Clément Girardot

Agnes Ambuli

Zeyaur Kahn

Samsol Otawa

Nactical S. Kutayi

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recherches du professeur Kahn et de sonéquipe, depuis 1994, consiste à planter,autour du champ de maïs, une rangéed’herbe à éléphants qui attire les foreurs– c’est le pull – et à intercaler entre lesplants de maïs une rangée d’une légumi-neuse appelée desmodium dont les pro-priétés chimiques et olfactives repoussentchacun des parasites – c’est le push. Ladécouverte des propriétés du desmodium,presque par hasard, par le professeur Kahn,en 1998, lors de ses recherches sur le foreurdu maïs est un petit miracle pour les culti-vateurs : d’après les enquêtes de l’ICIPE, laproduction de maïs push-pull est double,en moyenne, par rapport à une exploitationnormale. Cette méthode durable, particu-lièrement adaptée à l’agriculture non-mécanisée des petits paysans, permetd’éliminer le problème des parasites,d’avoir plus de fourrage pour le bétail,d’accroître la fertilité du sol et, au final,d’augmenter le revenu des agriculteurs.

Une solution miracle ?D’après l’ICIPE, le nombre de paysans ayantadopté la méthode push-pull était d’envi-

ron vingt mille en 2009, un chiffre toujourstrès marginal mais en forte augmentation :plus 100% depuis 2007. « Cette technolo-gie permet aux fermiers de rester travaillersur leurs terres et de gagner un revenusupérieur à deux dollars par jour, affirme leprofesseur Khan. De plus, pour faire face auchangement climatique, nous travaillons àdes adaptations de la méthode push-pullpour les milieux arides et semi-arides ».Hormis le coût élevé des graines de desmo-dium, la principale limite de cette méthodeet des autres stratégies biologiques résidedans la faiblesse et la lenteur de leur diffu-sion ; celle-ci est en partie due au manquede soutien institutionnel. « Il a fallu envi-ron trois ans pour que ma communautéadopte ce procédé, constate Rachel, jour-naliste à Ugunja, bourgade de l’ouest duKenya. Il y a toujours ceux qui attendent devoir si cela marche chez le voisin.L’enseignement théoriquement ne marchepas ; il faut qu’ils constatent que c’est unetechnique qui permet de faire plus d’ar-gent. »Le bouche-à-oreille et les écoles pay-sannes ne pèsent pas bien lourd face aux

« Le biologique est en progrès ! En fait c’estune méthode traditionnelle mais le mot neparle pas aux paysans ; c’est pour cela queje préfère employer le terme d’« agricultu-re soutenable », déclare John Cheburet,journaliste radio pour The Organic Farmer(Le Fermier Biologique). La majorité descultivateurs mélangent les méthodes bio etconventionnelles, pesticides et compost ».Contrairement à une idée largement répan-due, les rendements des cultures biolo-giques ne sont pas insignifiants, bien aucontraire. Dans le cas du procédé push-pull, les gains de productivité réalisés sontassez impressionnants. Cette nouvelletechnologie 100% africaine a été dévelop-pée par le centre de recherches ICIPE(Centre international de recherche en phy-siologie et écologie des insectes) de Mbita,à l’ouest du Kenya, pas très loin du villaged’Ebukanga. Les cultivateurs locaux demaïs, la plante de base dans cette région etdans une grande partie de l’Afrique, netarissent pas d’éloges quant au procédé :« Cette technologie m’a aidée à payer uneéducation à mes enfants », affirme AgnèsAmbubi, quarante-sept ans et mère de troisenfants. « Je mangeais de l’ugali – de labouillie de farine de maïs, le plat national –une fois par semaine ; maintenant je peuxen manger tous les jours », renchérit l’agri-culteur Abner Kodhek.

Les deux bêtes noires des paysans africains« En Afrique, les petites exploitations agri-coles fournissent 90% de la production,souligne Eustace Kiarii, coordinateurnational du KOAN. Nous avons besoin dedévelopper un modèle qui prenne en consi-dération les petits fermiers. »C’est justement là le principal objectif del’ICIPE. « Les pesticides et les OGM ne sontpas adaptés aux besoins des paysans afri-cains, affirme le professeur Zeyaur Kahn del’ICIPE ; le vrai défi est d’arriver à contrôlerdeux parasites du maïs, la production enserait multipliée par deux ou trois ». Lesdeux parasites en question sont le foreur dumaïs, un ver qui détruit la plante de l’inté-rieur, et la striga, une mauvaise herbe auxjolies fleurs roses qui porte aussi le nomd’herbe des sorcières. Présents dans unegrande partie de l’Afrique, le foreur et lastriga peuvent respectivement causer laperte de 15 à 40 % et de 20 à 100% desrécoltes de maïs. Cette dernière s’attaqueaussi aux cultures de sorgho et de millet,soit la base de l’alimentation africaine.La stratégie mise en place par les

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Kenya. Ancien employé de l’ONU, il a créécette ferme biologique de 3,2 hectares,sans soutien du gouvernement ou d’uneONG étrangère, afin de montrer aux pay-sans locaux les potentialités de l’agricultu-re biologique, et aussi du biogaz - la pro-duction de gaz à partir de déchets orga-niques –, de l’élevage et de l’agroforeste-rie. Dans ses champs, de multiples cultureset un petit coin push-pull ; la maison faitaussi son propre compost. Moyennantfinances, les agriculteurs peuvent venir seformer aux différentes activités du centredont son fondateur résume ainsi lamission : « Produire de la nourriture sansdétruire afin de gagner sa vie et préserverl’environnement ». La production de laferme est ensuite vendue sur les marchéslocaux : « Il manque de nourriture danscette région ; je peux donc tout vendre maisje ne vends pas plus cher parce que c’estbio. Ici, le bio est populaire parce que lesgens n’ont pas d’argent ! » Cassim Billali sedit aussi préoccupé par la concurrence desproduits importés, non pas d’Europe, maisd’Ouganda ou de Tanzanie, les pays voisins. Concernant la distribution des produits bio,

une partie est consommée localement lors-qu’il s’agit de cultures vivrières ; une partieest exportée, le thé et le café par exemple.Dans les grandes villes, il existe aussi uneclientèle qui s’intéresse de plus en plus aubio : « Le marché national s’est bien déve-loppé, note Eustace Kiarii. Nous avons desrestaurants bio et aussi des supermarchésqui vendent des produits biologiques auKenya, dont six à Nairobi ».Au-delà de ces projets prometteurs, ledéveloppement de l’agriculture biologiqueen Afrique n’est pas une utopie : c’est uneréalité et une nécessité ! Le secteur estsouvent méprisé par les gouvernements duNord et du Sud ; pourtant ses résultatspourraient être encore plus impression-nants si les investissements dans larecherche sur les méthodes biologiques etécologique n’étaient pas si maigres.Le potentiel de l’agriculture biologique estmaintenant reconnu par les OrganisationsInternationales. D’après un rapport del’ONU : « La situation actuelle d’une insé-curité alimentaire généralisée signifie quel’agriculture conventionnelle est claire-ment incapable de répondre aux besoins ennourriture de l’Afrique. Les résultats obser-vés dans la transition vers une agriculturebiologique sont très prometteurs pourassurer la sécurité alimentaire enAfrique ». Au-delà de la sécurité alimen-taire, les avantages de l’agriculture biolo-gique sont multiples aux niveaux environ-nementaux, sociaux, économiques. Elle estaussi la plus apte à répondre, sur le longterme, aux problèmes locaux des commu-nautés rurales africaines, ainsi qu’à pré-server les écosystèmes.En Asie, les principes de la « révolutionverte » – monoculture, intensivité, produc-tivité à tout prix au mépris de l’environne-ment – ont été massivement appliquésentre les années 1950 et 1980, sous l’impul-sion de la Banque Mondiale. Fortementdécrié, ce type de politique agricole apourtant toujours ses adeptes dans lesgouvernements et dans l’agro-business.C’est aussi la même logique qui soutientque l’adoption des OGM engendrerait desgains de productivité immenses et permet-trait aux pays pauvres d’assurer leur sécu-rité alimentaire. L’agriculture africaine està présent à un carrefour. Réussira-t-elleson virage vert ? n

Note ??????????1/. UNEP – UNCTAD, Organic agriculture andfood security in Africa, Nations Unies, New Yorket Genève, 2008.

intérêts des puissances économiques etpolitiques : « Push-pull est l’incarnationd’une agriculture qui serait favorable auclimat ; cette technologie joue aussi surl’environnement, la réduction de la pauvre-té et des inégalités, s’exclame Hans Herren,président du Millenium Institute àWashington et ancien directeur de l’ICIPE.Mais, c’est une méthode, ça ne se vent pas !Donc les Monsanto, les gouvernements debeaucoup de pays d’Europe et d’Amériquene veulent pas le favoriser. Et c’est pourcela qu’on ne voit pas beaucoup de paysansl’utiliser… L’agriculture biologique requiertaussi beaucoup de connaissances et c’estbien plus facile de dire à un paysan : « Voiciun sac avec des fertilisants, des pesticides,de l’herbicide, prends-le et va planter ! ».

Vers une Afrique bio Un autre bémol à apporter est celui del’échelle : « Le push-pull est très bien pourles petites surfaces mais n’est pas adaptépour les exploitations moyennes ougrandes », déclare Cassim Billali, directeurdu centre environnemental Care for theEarth, basé à Rarieda, dans l’ouest du

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Séparer les graines de Desmodium.