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P.2 LES BRÈVES DE LA FRANÇAFRIQUE P.3 ÉDITO Fini de rire La Françafrique est aux commandes P.4 CAMEROUN Fini l'omerta? Nono Théophile du Collectif Mémoire 60 réagit à la promesse du président français de déclassification des archives sur la guerre de décolonisation. P.48 DOSSIER Rentrée électorale en Françafrique P.4 CENTRAFRIQUE Si tu veux la paix, prépare des élections P.5 GUINÉE Scrutin à risque P.6CONGOBRAZZAVILLE Le « consensus » contre la démocratie A l'instar du Burkinabé Blaise Compaoré il y a un an, le général Denis Sassou Nguesso abat ses cartes pour faire sauter le verrou constitutionnel supposé l'empêcher de rester au pouvoir. P.7 CÔTE D'IVOIRE Une élection pour enfoncer le clou Dans une élection présidentielle qui semble écrite d'avance, Alassane Ouattara a suffisamment de cartes en mains pour l'emporter très facilement en octobre. P.8 BURKINA FASO De l'insurrection aux élections P.9 T OGO Répression ordinaire au Togo Même avec un passeport français, il ne fait pas bon critiquer le régime togolais et les fraudes électorales qui ont entaché la dernière présidentielle. P.1011 T CHAD De Habré à Déby, constance du soutien français Depuis l’indépendance, la France entretient des relations fortes avec le Tchad, d’un régime à l’autre, qui se caractérisent par leur dimension militaire et font de ce pays l’un des piliers de la Françafrique. P.11 T CHAD Habré à Dakar P.1LIRE ParisAlger, une histoire passionnelle Lettre mensuelle éditée par Survie // N° 249 Septembre 2015 - 2,30 euros http://survie.org Informations et avis de recherche sur les avatars des relations franco-africaines Tripatouillage constitutionnel en vue au Congo-Brazzaville, élections au Burkina Faso, en Centrafrique, en Côte d'Ivoire, en Guinée: l'actualité électorale de l'automne sera chargée. Reconduction assurée et sans suspens pour les uns, sortie de crise peu convaincante pour les autres. Les enjeux dépassent bien souvent les élections et la politique se fait parfois à Paris ou dans les rues des capitales africaines. P. 4-8 Billets d'Afrique... ...et d'ailleurs Rentrée électorale en Françafrique

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P.2 LES BRÈVES DE LA FRANÇAFRIQUE

P.3 ÉDITO Fini de rireLa Françafrique est aux commandes

P.4 CAMEROUN Fini l'omerta?Nono Théophile du Collectif Mémoire 60 réagit à la promessedu président français de déclassification des archives sur laguerre de décolonisation.

P.4­8 DOSSIER Rentrée électorale en FrançafriqueP.4 CENTRAFRIQUE Si tu veux la paix, prépare desélectionsP.5 GUINÉE Scrutin à risqueP.6 CONGO­BRAZZAVILLE Le « consensus » contre ladémocratieA l'instar du Burkinabé Blaise Compaoré il y a un an, legénéral Denis Sassou Nguesso abat ses cartes pour fairesauter le verrou constitutionnel supposé l'empêcher de resterau pouvoir.

P.7 CÔTE D'IVOIRE Une élection pour enfoncer le clouDans une élection présidentielle qui semble écrite d'avance,Alassane Ouattara a suffisamment de cartes en mains pourl'emporter très facilement en octobre.

P.8 BURKINA FASO De l'insurrection aux électionsP.9 TOGO Répression ordinaire au TogoMême avec un passeport français, il ne fait pas bon critiquerle régime togolais et les fraudes électorales qui ont entaché ladernière présidentielle.

P.10­11 TCHAD De Habré à Déby, constance du soutienfrançaisDepuis l’indépendance, la France entretient des relationsfortes avec le Tchad, d’un régime à l’autre, qui secaractérisent par leur dimension militaire et font de ce paysl’un des piliers de la Françafrique.

P.11 TCHAD Habré à DakarP.12 À LIRE Paris­Alger, une histoire passionnelle

Lettre mensuelle éditée par Survie // N° 249 Septembre 2015 - 2,30 euros http://survie.org

Informations et avis de recherche sur les avatars des relations franco-africaines

Tripatouillage constitutionnel en vue au Congo-Brazzaville, élections au Burkina Faso, enCentrafrique, en Côte d'Ivoire, en Guinée: l'actualité électorale de l'automne sera chargée.Reconduction assurée et sans suspens pour les uns, sortie de crise peu convaincante pourles autres. Les enjeux dépassent bien souvent les élections et la politique se fait parfois àParis ou dans les rues des capitales africaines. P. 4-8

Billets d'Afrique......et d'ailleurs

Rentrée électoraleen Françafrique

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2 Billets d'Afrique et d'Ailleurs Septembre 2015 N°249

En bref

Coup de pub« J'ai décidé que ma part d'héritage serapartagée avec toute la jeunessegabonaise, car à mes yeux, nous sommestous les héritiers d'Omar Bongo. » Cettedéclaration d'Ali Bongo à l'occasion de laFête nationale gabonaise a créé lastupeur. Ali Bongo cède sa part d'héritageont aussitôt compris – et titré – la plupartdes journalistes, les plus critiquesproposant leur interprétation : diversiondans la guerre des héritiers qui fait rageau sein du clan Bongo ? Moyen d'éviterd'avoir à prouver sa filiation ? Stratégiedéguisée de restitution de « Biens malacquis » sur fond d'enquête judiciaire enFrance ? Promesse sans lendemain envue des prochaines électionsprésidentielles ? Tout est plausible, maisle discours d'Ali Bongo a été écouté unpeu rapidement et les supporters duprésident se sont bien gardé de dissiper lemalentendu : Ali affirme vouloir« partager » et non « céder » sonhéritage. Et il précise : « cela veutconcrètement dire que tous les revenustirés de ma part d'héritage, qui merevient, seront versés à une fondationpour la jeunesse et l'éducation ». Voilàqui relativise le sens du sacrificeprésidentiel et laisse des marges demanœuvres en toute opacité…

Tout ça pour çaVingt ans après le dépôt de la premièreplainte pour crime de génocide etcomplicité de génocide visant le prêtrerwandais Wenceslas Munyeshyakainstallé en France, pour laquelle le juges’était déclaré incompétent en 1995, ledroit français a évolué et reconnaît auxjuges une compétence universelle.Condamné « par contumace » au Rwandaà la prison à perpétuité, Munyeshyakaavait également été formellement accusépar le TPIR et visé par un mandat d'arrêtde celui­ci en 2007. Néanmoins, à leurdemande expresse, le TPIR avait renvoyél'acte d'accusation vers les juridictionsfrançaises en vue de son jugement enFrance ­ et ce bien que la Coureuropéenne des droits de l'homme aitcondamné la France en 2004 pour salenteur extrême sur ce dossier.Mais le parquet de Paris a annoncé, le 19août dernier, avoir demandé un non­lieu àsuivre: « l’instruction n’a pas permis, aufinal, de corroborer de façon formelle desactes précis et certains d’uneparticipation active » au génocide.Stupeur et consternation chez les partiesciviles, dont fait partie l'associationSurvie. Selon le Collectif des Parties

Civiles pour le Rwanda (CPCR), dans leréquisitoire du procureur, « chaquetémoignage est minimisé. L’impressiongénérale: la parole des témoins et desvictimes n’est pas du tout prise encompte. (…) Probablement pire encore, ilsemble bien que tous les témoignagesrecueillis par le TPIR avant que cedernier ne confie le dossier à la justicefrançaise en 2007 n’aient pas été pris encompte, ou aient été minimisés aubénéfice du prêtre de la Sainte Famille ».Il reste à espérer que le juge d'instructionne suivra pas cet avis et ordonnera tout­de­même un renvoi devant la Courd'assise, afin que les éléments à chargesoient pleinement débattus encontradictoire.

BienfaiteurdésintéresséL'ancien intermédiaire d'Areva en RDCet dans la sulfureuse affaire Uramin enCentrafrique, le Belge (mais consulhonoraire de France – ou de laFrançafrique ? ) à Lubumbashi, GeorgesForrest, a reconnu devant la justice avoirversé une commission de 5 millions dedollars à Balkany, officiellement pour uneaffaire en Namibie. Placé sous le statut detémoin assisté, c'est peu dire qu'il suscitela curiosité des enquêteurs. Coïncidence,la fondation de Georges Forrest vientd'acheter pour 60 000 euros de livres à lamaison d'édition… de VéroniqueCazeneuve, l'épouse du ministre del'Intérieur. (Médiapart, 03/08). Ce dernierne voit vraiment pas où est le problème…

Pompier pyromane(bis repetita…)Tout le monde sait que l'armée française avolé au secours de la paix enCentrafrique, avec l'opération Sangaris.Tout le monde ne sait pas l'écrasanteresponsabilité de la France dans ladéstabilisation permanente du paysdepuis plusieurs décennies. Dans unrapport publié cet été, (« Bois de sang,comment l'Europe a aidé à financer laguerre en République centrafricaine »,juillet 2015), l'ONG Global Witnesséclaire un pan méconnu de cette histoire :« des entreprises aidées financièrementpar l’Agence française de développement(AFD) sont impliquées dansl’exploitation illégale de la forêtcentrafricaine – vitale pour le climat dupays et pour les communautés forestièreset autochtones, soit des milliers depersonnes. Elles font aussi partie decelles qui ont contribué au financementde la guerre déclenchée par la Seleka »,

résume le rapport. « Cette politique faitsurtout de la France une complice desabus commis par l’industrie forestière »,laquelle a continué à financer les milicesaprès le déclenchement de la guerrecivile, pour pouvoir continuer seslucratives activités...

Déby et le CFA,les véritésdu faussaire Provocation ? Menace en directiond’autorités françaises qui ne lesoutiendraient pas suffisammentdiplomatiquement dans la perspective dela présidentielle tchadienne de 2016?Sentiment de puissance lié à son nouveaustatut régional, qui l’autoriserait à ne pluss’embarrasser de langue de bois ? Onpeut se demander quelle mouche a piquéIdriss Déby le 11 août dernier àN’Djamena à la cérémonie commémorantle 55 ème anniversaire de l’indépendancedu Tchad, au cours de laquelle il aprononcé un discours sur le franc CFAqui a marqué les esprits.Évoquant dans son discours l’utilité de« couper un cordon qui empêchel’Afrique de décoller », le dictateurtchadien a tout bonnement prôné lacréation d’une monnaie africaineémancipée des mécanismes dedomination postcoloniaux, dans unargumentaire plutôt clair se démarquantde ses borborygmes habituels« Pourquoi cette monnaie n’est pasconvertible ? Pourquoi tous les échangespassent par la banque centrale de laFrance ? Qu’est­ce que nous gagnons enmettant nos ressources dans des comptesd’opérations ? », s’est ainsi interrogéDéby.Quelle que soit la stratégie suivie, lareprise d’arguments contre le CFAbrandis depuis des décennies par desrésistants africains, qui l’ont parfois payéde leur vie, ou par des associationscomme Survie, a de quoi surprendre de lapart d’un dictateur qui doit tant à laFrance et qui ne s’est jusque­là jamaisdémarqué pour son sens de la gestionpublique et de la souveraineté nationale.On aura quand même beau jeu derappeler l’implication du régime tchadiendans l’affaire dite des « dinars deBahreïn », à la fin des années 90.Plusieurs proches conseillers de Débyavaient été mis en cause dans cette affairede fausse monnaie de grande ampleur(350 millions d’euros de faux billets)dont l’épicentre était situé à N’Djamena.L’un deux, Hassan Fadoul, devenuopposant, avait même souhaité témoigner

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N°249 Septembre 2015 Billets d'Afrique et d'Ailleurs 3

en faveur de François­Xavier Vershavepour étayer la réputation de « fauxmonnayeur » de Déby, à l’occasion duprocès qui avait opposé en 2001 l’ancienPrésident de Survie aux présidentstchadiens, gabonais et congolais.

Idrisstout puissant ?Des enseignements politiques sontprobablement à tirer de la sortiemédiatique estivale du dictateur tchadiensur le franc CFA, que l’on imaginemûrement réfléchie. Déby estprobablement conscient que lesrevendications contre le franc CFA nesont plus seulement l’affaired’économistes indépendants et de raresmilitants ou dirigeants africains ayant àcœur de défendre l’intérêt public et lasouveraineté. En effet, un nombrecroissant de relais d’opinion africainsposent de plus en plus ouvertement laquestion la survivance de cette monnaiecoloniale. Dire tout haut ce qu’une partiede la rue et même des élites pense toutbas renforce donc la réputation que Débytente de se construire depuis plusieursannées, en envoyant des troupes aguerriesau Mali, en prenant la tête de l’offensivecontre Boko Haram. Et cela paraîtfonctionner, à grand renfort d’unecommunication bien orchestrée par laprésidence tchadienne. Beaucoupd’articles ou de réactions postées sur desforums et autres blogs africains voientfleurir les commentaires élogieux endirection de Déby. Le 14 août dernier,quelques jours après son discours sur leCFA, le dictateur tchadien se voyaitmême décerner par un jury de journalistesissus 14 pays africains un trophée pourrécompenser sa lutte contre le terrorismeet son œuvre en faveur de la paix (sic).Comme Kadhafi ou Gbagbo en leurtemps sur des sujets similaires, Débytente de manifester une certaineindépendance vis­à­vis des anciennespuissances coloniales, sans toutefoisrechercher la rupture, afin de ne pas subirle sort de ces derniers... Pour se maintenirau pouvoir Déby doit en effet conserverle soutien de Paris, qui a largementcontribué à redorer son image àl’international, et peser les risqueslorsqu’il instaure un rapport de force avecles autorités françaises. Comme leguinéo­équatorien Obiang l’avait fait en2012, en pleine affaire des Biens malacquis, évoquer la création d’unemonnaie de remplacement au CFA peutparaître un bon moyen de rappeler Paris àson bon souvenir, à la veille d’une annéeélectorale charnière au Tchad.

Fini de rire

Sa reprise en main brutale de Canal Plus a fait connaître au grand

public qui était Bolloré ; plus exactement celle des fameux Guignols

de l'Info, car le bonhomme s'était déjà signalé par une intervention

aussi directe dans les programmes de la chaîne : la censure d'un

reportage consacré à l'évasion fiscale et mettant en cause le Crédit

Mutuel, une des banques historiques du groupe Bolloré. C'est que le

bonhomme n'aime pas qu'on tente de percer l'opacité de ses affaires

bancaires et africaines. On se souvient du procès intenté contre Benoît

Collombat pour son reportage « Cameroun : l'empire noir de Vincent

Bolloré », diffusé sur France Inter en mars 2009 (cf. Billets n°190,192,193).

Loin du modèle de l'entrepreneur schumpétérien créateur d'innovation,

Bolloré n'a jamais rien inventé : tel Tapie, il prospère sur la faillite d'autrui.

Bolloré, c'est Tapie qui aurait trouvé la poule aux œufs d'or du capitalisme

colonial. Son groupe tire l'essentiel de ses bénéfices de l'exploitation des

« anciennes » colonies africaines de la France ; il s'est construit sur les

dépouilles de groupes coloniaux historiques, tel le groupe Rivaud, et au fil

d'acquisitions, dans des conditions souvent douteuses, d'entreprises

essentielles pour les pays d'Afrique francophone. Une semblable politique

des dépouilles, mais cette fois sur le dos d'États en faillite, lui a permis de

racheter les actifs stratégiques dont ces pays ont été contraints de se

défaire en raison des plans d'ajustements structurels imposés par les

institutions financières internationales. Le groupe est désormais en

situation de monopole dans des secteurs clé de la plupart des pays

d'Afrique francophone.

La seule « innovation créatrice » à l'origine de cet empire est financière.

Ce sont les banques qui ont fait Bolloré, lui qui a commencé sa carrière

comme employé de l'une d'elle et qui l'est sans doute resté au fond. Ce

sont elles qui lui ont permis, notamment par l'ingénieux système de

participations en cascade appelé « poulies bretonnes »1, de s'emparer

d'entreprises aussi importantes pour un investissement minimal.

Autre point commun avec Tapie, c'est le Crédit lyonnais nationalisé qui

a donné à Bolloré le coup de pouce décisif. Qui dit Crédit lyonnais

nationalisé dit protections politiques, et c'est peut-être le plus grand atout

de Bolloré. Son groupe a toujours prospéré à l'ombre des réseaux

politiques, tout puissants dans une Afrique francophone où ils ne

rencontrent aucun contre-pouvoir, et où ils lui ont permis de remporter

des marchés publics au mépris de toute logique concurrentielle. En France

même, ses appuis politiques lui ont valu de disposer gratuitement d'une

licence de diffusion sur la TNT. La revente de ce bien public lui a permis de

dégager trois cents millions d'euros de bénéfice sur le dos du contribuable

et de prendre le contrôle de Canal Plus.

Devenu désormais un acteur important du secteur de la

communication, le contrôle d'une grande chaîne venant s'ajouter à celui

de Havas, une des plus importantes agences de publicité, Bolloré a tout

pouvoir pour verrouiller l'information sur son groupe. Le quotidien Le

Monde, que Havas avait privé de plus de sept millions d'euros de recettes

publicitaires à la suite de l'article de Maureen Grisot, « Le monopole de

Bolloré sur le port d'Abidjan est de plus en plus contesté », a bien retenu la

leçon : la série d'articles qu'il a consacrés cet été au projet Bolloré de

boucle ferroviaire Cotonou-Abidjan semble avoir été directement rédigé

par le bureau de relations publiques du groupe Bolloré. D'où l'on voit que

la démocratie ne se partage pas : la défendre en Afrique, c'est aussi la

préserver en France.Odile Tobner

1­ Lire Cascades de holdings, poulies bretonnes et poupée russes, étude de Galina G., Sorbonne,disponible sur www.docs­en­stock.com

Édito

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4 Billets d'Afrique et d'Ailleurs Septembre 2015 N°249

Entretien

D'abord, peux­tu brièvement présenterle Collectif Mémoire 60 ?Le CM60 est une association créée àBafoussam en octobre 2009 par desmilitants politiques pour faire valoir ledevoir de mémoire envers la lutteindépendantiste occultée de l’UPC.« 60 » cristallise cette date de l’histoiredu Cameroun en tant qu’année de«l’indépendance». Je suis un des troisfondateurs du collectif dont j’assume lesecrétariat. Nous avons jusqu’ici organiséquelques séances d’informationnotamment destinées aux jeunes.Comment les Camerounais ont­ils accueilliles déclarations de F. Hollande début juilletà Yaoundé, sur la possible déclassificationd'archives? Et que pense le CM60 de cesannonces ?Elles ont été très favorablementaccueillies. Le CM60 a publié uncommuniqué largement repris par lapresse camerounaise pour appeler à lacréation d’un comité multipartite pourreconstituer ce moment d’histoire. En

effet, les déclarations de Hollandeouvrent une brèche et des perspectivesnouvelles, tant pour le pouvoir françaisque son représentant camerounais et pourles Camerounais en général. Pour peu quenos compatriotes acceptent de se battremassivement, nous allons pouvoirarracher le droit de tout savoir sur ce quis’est passé. Ça fait quand même plus de50 ans !Faire cette annonce devant Biya était­ilopportun (pour le contraindre à sepositionner) ou malvenu (entrainant unrisque de récupération) ?Hollande était attendu au tournant. Doncc’est une annonce bienvenue ! Qui plusest, dans un contexte de sentiment anti­français absolu. Qu’il y ait récupérationtous azimuts de ses propos ne devient unproblème qu’à partir du moment où lesforces patriotiques prônant le devoir demémoire tel qu’il doit être sont hors ducoup. Savoir et pouvoir recentrer le débatdans le bon sens est un des rôles clefs ducollectif.

Ces annonces ont­elles entraîné d'autresdéclarations ou un débat public auCameroun, voire l'annonce d'ouvertured'archives camerounaises ?Oui, pour ce qui est du débat public, bienque très mal posé avec le prismed’analyse tribal privilégié (lutteindépendantiste = affaire des Bassas etdes Bamilékés). Il n’y a pas encore dedécision sur la divulgation des archivesessentielles. Encore moins sur leurscandaleuse et pitoyable maintenance.

La rumeur court que Hollande souhaiteraitle départ de Biya, y compris en soutenantindirectement des mouvements armés auNord. Qu'en penses­tu et commentinterprètes­tu cette visite de Hollande àBiya dans ce contexte des relations actuellesfranco­camerounaises?Il y a beaucoup de spéculations sur lesrelations Biya/Hollande. Je m’en tiens àceci : pour l’heure, le régime Biyan’aliène en rien les intérêts français auCameroun. Je vois même une main durégime Biya dans la remontée fulgurantedu sentiment anti­français ici avecl’affaire Boko Haram. C’est une cartecynique habile pour se positionnercomme meilleur interlocuteur. Endébarquant à Yaoundé, Hollande rassuraitdonc Biya sur ses inquiétudes.

Propos recueillis par Thomas Noirot

Tout arrive ! Après bien des reports,l’Autorité nationale des élections(ANE) centrafricaine a arrêté une

date pour la tenue des électionslégislatives et présidentielle. Celles­cidoivent mettre fin à la période detransition ouverte par Michel Djotodia, lechef de la rébellion qui avait pris lepouvoir fin mars 2013. Pour l’instant, lescrutin est annoncé pour le 18 octobre,avec un deuxième tour le 22 novembre.Mais le chemin reste pavé d’embûches. Ilfaudra d’abord qu’une nouvelleConstitution soit validée par unreferendum, qui doit se tenir le 4 octobre.

Par ailleurs, les autorités centrafricainesfont face à de lourdes difficultésfinancières pour organiser ces scrutins. Ala mi­juin, il manquait encore 18 millionsde dollars (soit presque 50% du budgetprévisionnel) dans les caisses pour quel’ANE puisse mener sa mission à bien(RFI, 19/06). Mais la plus grandedifficulté vient du recensement électoral.En effet, à l’heure actuelle, plus de 450000 Centrafricains sont réfugiés dans lespays limitrophes (Cameroun, Tchad,République Démocratique du Congo). Lesujet de leur participation ou non auxvotes a d’ailleurs été l’occasion d’une

énième passe d’armes entre CatherineSamba Panza, la présidente centrafricainede la transition, et Alexandre­FerdinandN’Guendet, le président du ConseilNational de Transition (CNT, qui faitoffice de représentation nationale). Le 30juin, « le CNT [décidait] de s’opposer àla participation des réfugiés aux scrutinsprésidentiel et législatif »(Jeuneafrique.com, 16/07), au prétexted’un risque de fraudes massives ; donc,d’exclure de facto du scrutin la majeurepartie de la communauté musulmane,chassée du pays début 2014. Uneannonce qui déplut profondément à laprésidence. Pour trancher le différend, leConseil constitutionnel fut saisi del’affaire.Cette agitation pré­électorale n’est pasvraiment du goût de la France. Fortopportunément, Jean­Yves Le Drian, leministre français de la Défense etvéritable « Monsieur Afrique » deFrançois Hollande, a débarqué à Banguifin juillet pour discuter avec CatherineSamba Panza de l’avancée du processusélectoral. Puis il a fait de même avecDenis Sassou N’Guesso, l’indétrônable

CENTRAFRIQUE

Si tu veux la paix,prépare des électionsAlors qu'on ne voit toujours pas l'issue de la crise, laFrance mise naïvement sur l'élection présidentielle, prévuele 18 octobre.

CAMEROUN

Fini l'omerta?Nono Théophile du Collectif Mémoire 60 réagit à lapromesse du président français de déclassification desarchives sur la guerre de décolonisation.

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N°249 Septembre 2015 Billets d'Afrique et d'Ailleurs 5

Salves

dictateur du Congo­Brazzaville, censéjouer le rôle de « médiateur » dans lacrise centrafricaine1. Coïncidence? LeConseil constitutionnel centrafricainannonçait au même moment que lesréfugiés pourront finalement voter…L’enjeu de ces scrutins est de taille pourl’ancienne puissance coloniale : il s’agitde pouvoir annoncer avant la fin del’année le retour à « l’ordreconstitutionnel » en Centrafrique. Ce quipermettrait par là­même d’annoncer laréussite de l’opération Sangaris, déployéeen décembre 2013 pour enrayer lesviolences inter­communautaires.Lesquelles continuent pourtant parendroits : fin août, des combats ontencore fait une quinzaine de morts àBambari, au centre du pays (lefigaro.fr,24/08). Il y a encore loin du bulletin àl’urne…

Yanis Thomas1­ Selon Jeune Afrique (27/07) « les questionsde politique intérieure congolaise (enparticulier le projet de réforme de laConstitution) n’ont en revanche pas étéabordées », alors même que Sassou s’apprêteà tripatouiller la Constitution congolaise pourse maintenir au pouvoir…

En Guinée, après la mort dudictateur Lansana Conté en 2008et deux années de transition

militaire marquée par le « massacre du 28septembre » et la tentative d'assassinat duchef de la junte Moussa Dadis Camaraquelques mois plus tard, une électionqualifiée de transparente avait portél'opposant historique Alpha Condé aupouvoir. Élu sur la base de promessesethniques et d'alliances à tout va, ce cadrede l'Internationale socialiste et vieil amide Bernard Kouchner a perdu les pédalessitôt assis dans son fauteuil présidentiel :son mandat, ponctué de violences voired'assassinats à l'encontre de l'opposition,présente un bien piètre bilandémocratique. Si des électionslégislatives, maintes fois reportées,avaient finalement été organisées en2013, les élections locales qui auraient dûêtre organisées dès 2010 n'ont pas eu lieu,les collectivités locales étant dirigées pardes délégations spéciales nommées parl'exécutif. Alors que l'affairisme minierbat son plein dans ce pays au sous­solrichissime, l'économie est exsangue, unparadoxe que le pouvoir tente de justifierpar l'épidémie d'Ebola.A l'approche de la présidentielle, dont lepremier tour est prévu le 11 octobre, lasituation n'a cessé de se tendre. La crisepolitique qui dure depuis des mois s'estcristallisée au premier semestre au sujetde la composition de la commissionélectorale censée superviser les scrutins(la CENI), du fichier électoral auxmultiples anomalies, et du calendrierélectoral. L'opposition réclamait en effetl'organisation d'élections locales avant laprésidentielle, pour éviter que lesdélégations spéciales ne soient lesinstruments d'une fraude massive auprofit du candidat Alpha Condé.Le pouvoir a refusé tout aménagement duchronogramme (les élections localesauront bien lieu après la présidentielle),mais a arraché un accord politique sur leprocessus électoral, signé le 20 août avecles principaux partis d'opposition. Celui­ci prévoit un toilettage du fichierélectoral, une légère modification de laCENI et la recomposition d'un tiers descommunes, au prorata des élections

législatives de 2013 (Jeuneafrique.com,21/08) : dès septembre, une partie desdélégations spéciales doivent ainsi passeraux couleurs des partis d'opposition...Dans son bras de fer avec le pouvoir,l'opposition menace de battre à nouveaule pavé si l'accord n'est pas respecté, maiselle ne marche plus unie : le conflit deleadership entre les deux leaders del'opposition libérale, Sidya Touré (del'UFR) et Cellou Dalein Diallo (del'UFDG, et Chef de file de l'opposition), afait éclater leur alliance nouée à l'entredeux tours depuis 2010. Sidya Touré neconteste même plus le principe de fairealliance avec Alpha Condé au second tour(RFI, 24/07), tandis que l'UFDG deCellou Dalein Diallo a trouvé un nouvelallié. Car suite à l'annonce le 11 mai del'ancien capitaine Moussa Dadis Camara,exilé au Burkina Faso, de son souhait dese présenter à la prochaine présidentielle,la justice guinéenne a opportunémentaccéléré l'instruction judiciaire sur lemassacre du 28 septembre 2009, où 157personnes avaient été tuées et descentaines blessées ou violées. Dadis, quiétait alors au pouvoir, a ainsi été inculpéle 9 juillet pour complicité d’assassinats,séquestration et viols. Mais cela ne l'a pasempêché de s'allier avec Cellou DaleinDiallo, pourtant président d'un des partisdont les militants furent les victimes du28 septembre. Ambiance.Au cas où, le pouvoir a pris sesdispositions pour mater toutecontestation. Appelant plutôt à «renforcer la liberté de réunion etd’expression afin de prévenir lesviolences électorales », AmnestyInternational a dénoncé le 4 juin deuxnouvelles lois. La première criminalise ladissidence en sanctionnant très durementl'offense au président et aux responsablespublics ; la seconde, qui visepudiquement au « maintien de l'ordrepublic », autorise la répression violente (ycompris par balle) des manifestations, auprétexte de l'encadrer. Un « permis detuer » dénoncé par le Chef de file del'opposition, mais qui ne semble pasémouvoir la diplomatie française et lesalliés socialistes d'Alpha Condé.

Thomas Noirot

GUINÉE

Scrutin à risqueAlliances improbables, violence, impunité, nouvelles loisrépressives : cocktail dangereux pour un premier tour le 11octobre.

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6 Billets d'Afrique et d'Ailleurs Septembre 2015 N°249

Salves

La mascarade préélectorale suit soncours. L'indéboulonnable dictateurdu Congo­Brazzaville doit céder la

place au terme de la présidentielle de2016 à laquelle, selon la Constitutionpourtant sur mesure qu'il a imposée aupays en 2002 (qui prévoit la limitation dunombre de mandats à deux et un âgemaximum de 70 ans), il ne peut sereprésenter (cf. Billets n°238, septembre2014). La Constitution ne prévoyant passa propre révision sur ces points, Sassouest contraint de passer en force tout enmaintenant un minimum defréquentabilité pour son régime. Lastratégie de communication est simple :c'est le peuple qui lui demande demodifier la Constitution, qualifiée de« frein institutionnel » au changement,lequel peuple le suppliera ensuite derester au pouvoir. Première étape : lasociété civile doit exiger un référendum.À cet effet, des « consultations » ont étéorganisées aux mois de mai et juin, maisont tourné court tant elles étaientgrossièrement partisanes. Un « dialoguenational » a suivi mi­juillet. Y ontparticipé les membres du parti­État PCTet ses satellites, plus quelquesassociations dont certaines créées pourl'occasion. Les conclusions du « dialoguede Sibiti » sont sans surprise : il fautmodifier la Constitution. Au milieu dediversions cosmétiques, on retiendra deux« propositions » : passage à un mandatprésidentiel de 5 ans (au lieu de 7actuellement) renouvelable sans limite,suppression de la limite supérieure d'âgepour être éligible.

Diviser, régnerL'opposition au projet de coup d'Étatconstitutionnel se prépare au choc depuisdes années, mais souffre de sonmorcellement : une multitude de partisplus ou moins ancrés localement, desplateformes qui se font et se défont avecdes buts apparemment communs, maisdes appétits individuels divergents.Malgré ces difficultés, les meetings pour

l'alternance démocratique se multiplient.On retiendra le succès du « dialoguealternatif » organisé fin juillet, réunissantplus de six cents personnes, dontplusieurs ministres ­rapidement limogés ­,et la création le 22 août d'un frontcommun unitaire mené par le Frocad(Front républicain pour le respect del'ordre constitutionnel et l'alternancedémocratique) et l'IDC (Initiative pour ladémocratie au Congo).Sassou divise autant qu'il le peut,conviant ou éloignant du banquet ceuxqui lui prêtent ou non allégeance. Il peutcompter sur des médias qu'il contrôlelargement. Ainsi que sur l'arsenalclassique des dictateurs : intimidations,détentions arbitraires, torture1. L'OfficeCongolais des Droits de l'Homme(OCDH) recense pas moins de sixjournaux fermés ou suspendus pour cause« d'article séditieux » en 2014.Tout le monde s'attend à voir annoncé leréférendum à la fin des jeux africains deBrazzaville en septembre. Les conditionspour un vote transparent sont de toutefaçon inexistantes. Les listes électorales,basées sur un recensement approximatifet partisan, sont fantaisistes, et lacommission électorale dépenddirectement du ministère de l'Intérieur.Sans commission électorale paritaire,sans nouveau recensement, on va droit

vers un remake de la « présidentielle » de2009 : ses électeurs multiples, parfoisrémunérés, ses dépouillements dansl'obscurité et sans assesseurs, ses urnespréremplies2… et la victoire du général à78%. D'ores et déjà, il n'y amatériellement pas le temps pourorganiser des élections transparentes d'icià l'été 20163. Si l'on y ajoute unréférendum, l'élaboration d'une nouvelleconstitution, et la volonté de truquer lescrutin, il y a de bonnes raisons d'êtrepessimiste.

Soutien discretCôté français, on reste prudemmentdiscret sur cette situation potentiellementexplosive. Il devient difficile de soutenirouvertement un criminel contrel'humanité. On retiendra malgré tout queFrançois Hollande, à l'issue d'unerencontre avec son homologuecongolais4, souhaite que les choses soientfaites dans le « consensus », et sonministre de la Défense, Le Drian, noteque la nécessité sécuritaire prime surl'objectif démocratique5. Quant à Jean­Yves Ollivier, cet intime du pouvoircongolais décoré cet été de la Légiond'Honneur par Manuel Valls et quirevendique d'appartenir à une diplomatiede l'ombre, il s'est fendu fin août d'unarticle au titre édifiant : « la souveraineténe se découpe pas en mandats » (LaCroix, 26/08).Mais on aurait tort de résumer lesmanœuvres de Sassou à un simple coupjuridique. N'oublions pas de quellemanière il est revenu au pouvoir dont lesurnes l'avaient chassé. Denis SassouNguesso se moque de la Constitution etne reculera devant rien pour continuer àse servir de l'État congolais comme d'unpatrimoine personnel. Or, plus de trentecinq années cumulées de gestion claniquede l'État l'ont rendu tout puissant : ilcontrôle la justice, les administrations, etl'armée dont le recrutement est largementethniste. On voit mal le rapport de forcese renverser avant 2016.

Guillaume Desgranges1­ Voir le site de l'OCDH : www.blog.ocdh.org

2­ OCDH, Élections du 12/07/2009 : trèsfaible taux de participation et vote peucrédible.

3­ Le Frocad et l'IDC ont proposé le 22 aoûtun chronogramme qui serait très serré s'il étaitmis en œuvre dès à présent.

4­ Le 7 juillet, Cf. communiqué de Survie« Hollande reçoit Sassou, criminel contrel'humanité en quête de légitimité »

5­ Cf. communiqué de Survie le 19 décembre2014 Congo­Brazzaville : la France persistedans son soutien à la dictature.

CONGO-BRAZZAVILLE

Le « consensus »contre la démocratieA l'instar du Burkinabé Blaise Compaoré il y a un an, legénéral Denis Sassou Nguesso abat ses cartes pour fairesauter le verrou constitutionnel supposé l'empêcher derester au pouvoir.

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N°249 Septembre 2015 Billets d'Afrique et d'Ailleurs 7

Salves

Avec une Commission électoraleindépendante toujours largementfavorable à Alassane Ouattara, un

désarmement des ex­combattants encoreinachevé et une liste électorale toujourstrès lacunaire, les conditions de l'électionprésidentielle du 25 octobre offrent despoints communs avec celles qui menèrentla Côte d'Ivoire à la crise électorale puismilitaire de 2010­2011.À l'époque, la France et l'ONU vantaientcette élection comme le passage obligépour sortir de la crise politico­militaire néede la rébellion armée déclenchée en 2002contre le président Laurent Gbagbo. Lescrutin organisé dans une Côte d'Ivoiredivisée en deux, avec un Nord sous lacoupe réglée de la rébellion et un Sudcontrôlé par un gouvernement deréconciliation, avait débouché sur descontestations électorales puis une crise aucours de laquelle l'ONU, la France et lesforces rebelles avaient pris parti pourOuattara face au président sortant. En avril2011, ce furent finalement les hélicoptèreset blindés français qui assurèrent lavictoire de la rébellion et l'accession aupouvoir de Ouattara.Si les conditions d'organisation du scrutinn'offrent guère plus de garantie en 2015qu'en 2010, l'issue sera toutefois biendifférente, car sur l'échiquier politique, leprésident ivoirien est face à une oppositionaux moyens faibles et politiquement trèsdivisée (33 candidatures ont été déposées).Mais surtout, tandis que Gbagbo passaitpour un animal politique instable capableun jour d'offrir tous les marchés auxgrands groupes français, le lendemain des'en prendre aux intérêts français, Ouattaraa l'appui de la France. Ayant toutes lescartes en mains, la seule inconnue sur leplan politique est de savoir s'il gagnera aupremier tour. Le contraire seraitsurprenant.Pour Théophile Kouamouo(mondafrique.com), la présence d'uncandidat représentant l'opposition FPI(parti de Gbagbo, aujourd'huiprofondément divisé), personnageindispensable au scénario, serait le fruitconjugué des pressions exercées par laFrance sur le FPI et d'un chantage sur

Pascal Affi N'guessan (nouveau présidentdu FPI, dont la légitimité est trèscontestée) : « À sa sortie de prison, ruinéet ostracisé, il a été reçu par desambassadeurs occidentaux qui lui ontbien fait comprendre qu’ils ne leprotégeraient que s’il se montrait disposéà participer au… casting du film ». Il estvrai qu'en février, l'ONU a officiellementlevé les sanctions prises contre AffiN'guessan.

L'article 35 oublié?Très curieusement, malgré l'accessiond'Alassane Ouattara au pouvoir, l'article351 de la Constitution ivoirienne n'a pasété modifié. Mise en place par référendumsous la junte du général Robert Guéï en2000, cette constitution, et plusparticulièrement son article 35, sontdécriés depuis longtemps par lessupporters de Ouattara. C'est en effet ens'appuyant sur cet article 35 que Ouattaraavait été exclu de la présidentielle de2000, qui avait finalement vu LaurentGbagbo l'emporter face au général Guéï.Par la suite, l'éligibilité de Ouattara étaitapparue comme l'une des revendicationsclefs de la rébellion déclenchée enseptembre 2002 contre Gbagbo.Fortement appuyées par Paris, les forcesrebelles et le RDR (parti de Ouattara)avaient obtenu à la table ronde de Linas­Marcoussis en 2003 le principe d'unemodification de l'article 35, mais en vain.L'éligibilité de Ouattara futtemporairement réglée lorsqu'en 2005, parune décision présidentielle qui faisait suiteaux négociations menées par le présidentsud­africain Thabo Mbeki, Gbagbodéclara exceptionnellement éligible pour

la prochaine élection présidentielle toutcandidat présenté par un parti politiquesignataire de l'accord de Linas­Marcoussis. C'est ainsi qu'à défaut d'êtretransparente et juste, l'élection de 2010 futen tout cas pluraliste.On ne s'attendait pas à ce que l'article 35résiste aussi longtemps à AlassaneOuattara, présenté comme la principalevictime de l'ivoirité, l'idéologiexénophobe diffusée pendant la présidenceBédié (1993­1999) et dont l'article 35 estun aboutissement. Mais en mars, Ouattaraa repoussé la modification de laConstitution au lendemain de sa prochaineréélection, prétextant que les conditionsd'éligibilité de 2010 faisaientjurisprudence pour 2015 (Apanews, 8/03).Le régime Ouattara ne semble de toutefaçon pas très attaché au respect destextes. C'est en violation de laConstitution car il n'avait pas 40 ans en2012, que le leader de la rébellionGuillaume Soro est devenu président del'Assemblée nationale, après avoir étéPremier ministre.Et Ouattara n'apprécie pas qu'onquestionne son rapport au droit. La Lettredu Continent (1/07) a raconté commentcelui­ci, « agacé par plusieurs questionssur la limitation des mandatsprésidentiels et sur les libertés » ainterrompu une interview avec les médiasivoiriens, la BBC et France 24, avant de lareprendre. Bien sûr, cette interruption adisparu au montage, avant diffusion.

Rafik Houra1­ L'article 35 pose des restrictions notammentsur l'âge et la nationalité pour se présenter à laprésidentielle. Nous n'entrons pas dans ledébat sur l'éligibilité de Ouattara.

CÔTE D'IVOIRE

Une élection pour enfoncer le clouDans une élection présidentielle qui semble écrite d'avance, Alassane Ouattara asuffisamment de cartes en mains pour l'emporter très facilement en octobre. Dès lepremier tour ? En tout cas, Paris pourra se réjouir de la stabilité retrouvée et fermer lesyeux encore plus fermement sur les divisions d'une Côte d'Ivoire meurtrie

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8 Billets d'Afrique et d'Ailleurs Septembre 2015 N°249

Issues de tractations entre l'armée et lasociété civile, puis d'une concertationde toutes les forces vives du pays, les

institutions de la transition ont d'abord eudu mal à se mettre en place. Les partispolitiques les plus importants se sontfixés comme objectif les élections,laissant la gestion du pouvoir à desministres souvent peu expérimentés. LeCNT (Conseil national de la Transition),qui fait office d’Assemblée nationale,compte en son sein peu de personnesrompues au travail législatif.Pour éviter l'hostilité de la communautéinternationale, il a été décidé de rétablir laConstitution suspendue suite àl'insurrection. Faute de volonté politiqueclaire, les autorités mises en place ontlaissé les anciens dirigeants sortir leurfortune du pays sans réagir. Aucunearrestation n’a eu lieu pendant plusieursmois. Le Premier ministre s’est répanduen déclarations à l’emporte­pièce. Nevoyant rien venir, la déception gagnait lesinsurgés.Il a fallu près de trois mois pour que deréels signes de changement apparaissent.La première réforme adoptée fut lenouveau Code électoral interdisant auxpartisans du changement de constitution1

de se présenter aux élections. Ce codeélectoral fit consensus à l’époque, saufévidemment parmi les partis del’ancienne majorité. Mais il a récemmentété contesté par la CEDEAO, considérantl'exclusion trop imprécise.Le rapport de force n'a pas permisl'arrestation des chefs du Régiment desécurité présidentielle, bras armé durégime coupable d'exactions. Ainsi, sousl'impulsion de Gilbert Diendéré, ancienbras droit de Compaoré, qui bénéficie dusoutien de la France et des Etats­Unis, latransition a connu trois crises graves, ladernière s'étant soldée par la mise à l'écartdu colonel Auguste Barry, le ministre encharge de la sécurité, le plus populaireparmi les anciens insurgés. Une demi­victoire pour Diendéré qui demandait ladémission de tous les militaires dont lepremier ministre Issac Zida, issu de sesrangs mais qu'il ne contrôle pas.De nombreuses réformes ont suivi, sousla houlette du président du CNT, le

journaliste Cheriff Sy et quelques cadresissus de la société civile. Citonsnotamment ­ et la liste n’est pasexhaustive ­ les États généraux de laJustice, un nouveau code minier,beaucoup moins favorable auxinvestisseurs et dégageant des ressourcespour le développement local et national,la réforme de la gestion des bauxadministratifs qui permettaient auxproches de Compaoré, de ponctionner lesbiens de l’État en louant à des prixonéreux des immeubles dont ils étaientpropriétaires, l’adoption d’un nouveaucode militaire, la loi contre la corruptionsuivie, la mise en place de la Haute courde justice pour juger les anciensdignitaires ou d'anciens chefs d’état qui adéjà permis l'arrestation récente deplusieurs ministres, la mise en place d'unecommission d'enquête sur lerecouvrement des créances de l’Étatévaluées à 1 milliard de FCFA par an, larédaction d’une nouvelle constitution,autant de dispositions, de lois et deréformes qui montrent bien qu'au sein desacteurs de la transition, des forcess'engagent pour que soient prises encompte les aspirations des insurgés. Et cen’est pas tout. Une Commission de laréconciliation nationale et des réformes, aété mise en place en mars 2015 qui n’apas encore rendu son rapport.En réalité une lutte sourde, souterraines’est engagée entre les partisans duchangement, qui voulaient poser les actesd’un véritable changement avant le tenuedes élections et ceux qui pensaient que legouvernement devait se contenter degérer les affaires courantes et se consacrerà la préparation des élections.Le Conseil constitutionnel, vientd’invalider toutes les candidatures auxlégislatives des anciens ministres etdéputés qui ont soutenu la modificationde l'article 37. Le Code électoral issu duCNT est donc appliqué. A la grandesatisfaction des anciens insurgés, et àl'encontre de l'avis de la CEDEAO. Lesappels à manifester du CDP, ont échoué.Il a finalement accepté de participer auscrutin et de remplacer les candidatsinvalidés. Pour la présidentielle, prévueaussi le 11 octobre, plusieurs candidats de

l’ex majorité présidentielle, dont celle dudu CDP sont invalidés, mais d’autrespersonnalités de l'ancien régime sontpourtant acceptées et notamment DjibrilBassolet, l'ancien ministre des Affairesétrangères. Comme si le Conseilconstitutionnel avait voulu ménager laCEDEAO au risque de ne pas apparaitrebien cohérent.

Bruno Jaffré1­ C'est suite à l'entêtement de l'ancienPrésident Compaoré à changer la Constitutionpour pouvoir se représenter que le pays s'estembrasé, entraînant la chute du régime enoctobre 2014.

Bartolone contre uneenquête parlementairesur l’assassinat Sankarall aura fallu quatre ans, deux demandesde députés français, deux courriers dedéputés burkinabè, quatre conférences depresse en France et au Burkina, la venuede Mariam Sankara au palais Bourbon etdeux pétitions pour qu’une réponseofficielle soit enfin donnée à unedemande d’ouverture d’une commissiond’enquête parlementaire sur l’assassinatde Thomas Sankara. Dans un courrier du7 juillet 2015, tout en affirmant «souhaiter que la lumière soit faite surcette affaire », M. Claude Bartolone arépondu par la négative pour les raisonssuivantes : « une telle commissiond’enquête n’aurait aucun pouvoir pourconduire des investigations dans un autreEtat » et « la procédure judiciairedésormais ouverte au Burkina » luisemble « l’instrument juridique le plusapproprié pour rechercher lesresponsables de cette affaire ». Mais c’esten France qu’il s’agit d’enquêter sur uneéventuelle implication française, ce quisemble difficile de la part d’un jugemilitaire burkinabè. Ce refus ne fait quecontribuer à alimenter un peu plus lesoupçon d’une participation française àce complot. Si l’ambassadeur français auBurkina, M. Thibault parle de «fantasme », les journaux français ontrepris très largement cette éventualité aumoment de couvrir l’exhumation de latombe de Sankara.

Salves

BURKINA FASO

De l’insurrection aux électionsTout semble prêt pour les que les élections couplées, présidentielle et législatives, aientbien lieu le 11 octobre comme prévu. L'histoire semble donner tort aux détracteurs dugouvernement de transition, qui n'ont cessé d'affirmer que le premier ministre manœuvraitpour se prolonger au pouvoir, avec de nombreux complices de la société civile.

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N°249 Septembre 2015 Billets d'Afrique et d'Ailleurs 9

Au centre Mytronunya à Lomé, onpouvait venir boire un verre, voirun concert, emprunter un livre à la

bibliothèque. Des artistes y répétaient.Une part importante des activités ducentre étaient tournée vers l'agriculturebiologique via des partenariats avec despaysans. A l'occasion, des événementsétaient consacrés à des sujets pluspolitiques : le panafricanisme, les paradisfiscaux, les figures révolutionnairesafricaines. C'était l'occasion de richesdébats où des critiques du régimepouvaient être entendues.Ce lieu unique de parole libre déplaisaitaux services sécuritaires togolais. Il y aquelques années déjà, le directeur ducentre, Sebastian Alzerecca, alias« Zoul », était tombé par hasard sur uneclé USB d'un jeune fréquentant le centrecontenant des rapports de surveillance surles soirées et les participants. Despaysans avec lesquels le centre avait tentéde monter un partenariat avaient aussi faitl'objet d'une surveillance.

« le Togo n'estpas le Burkina »Le 26 avril dernier, alors que le Togo esten attente des résultats de laprésidentielle, Zoul envoie aux abonnésde la newsletter du centre descommentaires sur l'élection et les fraudesqui y ont été relevées. Il y souligne queles résultats partiels qui ont fuité donnentl'avantage à un candidat de l'opposition.Dès le lendemain, il est menacé lors d'unappel téléphonique « le Togo n'est pas leBurkina, si tu ne fais pas attention, tonsang va être versé ». Il décide de porterplainte.Mais à aucun moment l'enquête qui sedéclenche ne va chercher à connaître lesauteurs des menaces : c'est la victime quiva devenir la cible de la police togolaise.Le 5 mai, le centre Mytronunya puis ledomicile de Zoul et de sa famille fontl'objet d'une perquisition. Ses ordinateurset son passeport lui sont confisqués. Destextes critiques du régime, ni terminés nipubliés, sont découverts sur ses disquesdurs et provoquent l'emballement desenquêteurs. L'ensemble du bureau del'association qui gère le centre estauditionné.

Les services togolais font tourner un peupartout un dossier pour décrédibiliserZoul et faire croire qu'il complotait contrele chef de l'État. C'est la frange la plusdure du régime qui est à la manœuvre,notamment le colonel Massina. Cedernier a du quitter la direction de l'ANR(Agence Nationale des Renseignements)suite à des accusations de torture. Il dirigedepuis la gendarmerie togolaise (cf.Billets n°245, avril 2015). Fin mai, legouvernement togolais démissionne et nesera pas renouvelé avant un mois. Enjuin, le président Faure Gnassingbédisparaît pendant deux semaines,probablement pour des raisons de santé.Cette vacance du pouvoir donne toutelatitude aux « durs » du régime, ce qui ade quoi inquiéter Zoul et sa compagne.Le 1er juin, cette dernière, qui travaillepour le ministère de l'agriculture sur unprogramme de la Banque Mondiale, estlicenciée pour « complicité d'activitéssubversives » malgré les protestations deses collègues. Un ancien membre dugouvernement qui avait apprécié sontravail lors d'un autre emploi est mêmeapproché et menacé par le colonelMassina.Le couple demande a être reçu àl'ambassade française. En présence del'ambassadeur, du consul et desresponsables du service de sécuritéintérieur de l'ambassade, il leur estsignifié que Zoul ayant commis uneerreur en commentant les résultats del'élection, il vaut mieux assumer etenvisager de quitter le Togo à terme.Présent à la réunion, le lieutenant­colonelPhilippe Bart, chargé de la coopérationavec la gendarmerie togolaise, est un amidu colonel Massina avec qui il travaille,visiblement pas dérangé par lesaccusations de tortures qui visent sonhomologue. Contacté par l'associationSurvie, un membre du service de sécuritéintérieur à l'ambassade accrédite laversion togolaise et indique que lescharges contre Zoul sont « sérieuses ».Les cadres de l'appareil sécuritairetogolais semblent obsédés par lerenversement du régime burkinabè enoctobre dernier et craignent que le mêmesort leur soit réservé au Togo. Zoulapprendra plus tard que des enquêtes ontété menées dans les différents pays

d'Afrique francophone où il s'est rendu, àla recherche d'un improbable complotinternational auquel il aurait participé. Illui est rapporté que le colonel Massinacherche à ce qu'il soit condamné à 20 ansde prison ferme, faisant pression jusqu'aubout sur les magistrats pour obtenir ceverdict.

CondamnationFinalement, Zoul est condamné le 29juillet à deux ans de prison avec sursis etune interdiction de 5 ans du territoiretogolais. Son avocat se rend au greffedans la foulée afin d'engager uneprocédure d'appel, mais le dossier amystérieusement disparu du système.Aujourd'hui rentrée en France, la familleest consciente que le passeport françaisleur a fourni une certaine protection.L'ambassade de France, après des alertesde proches auprès du gouvernementfrançais, aurait obtenu l'assurance desautorités togolaises que Zoul ne serait pascondamné à de la prison ferme.On est loin du portrait brossé par certainsd'une démocratie frappée de quelquesdysfonctionnements. Ainsi, dans unetribune dans le journal La Croix (23/04),on pouvait lire qu'au Togo « lechangement le plus important estprobablement celui de la liberté de paroleà tous les niveaux de la société. La peur aglobalement disparu au quotidien »1. Ilest manifestement question d'un autrepays. Lorsque Zoul a reçu des menacesde mort par téléphone, des militantstogolais ont été menacés par le mêmenuméro à la même période. Pour eux lerisque est bien plus grand. Si un Balaicitoyen togolais voyait le jour, sesanimateurs se heurteraient à la répressionpolitique toujours en cours au Togo. Unmois avant la présidentielle, c'est à ballesréelles que la gendarmerie togolaiseréprimait une manifestation d'étudiants.

Camille Faisans1­ Les enjeux de l'élection togolaise, tribunede Bruno Angsthelm, chargé de missionAfrique au CCFD­Terre Solidaire et de YvesDossou, coordinateur de l'association togolaiseSolidarité action pour le développementdurable

Salves

Répression ordinaire au TogoMême avec un passeport français, il ne fait pas bon critiquer le régime togolais et lesfraudes électorales qui ont entaché la dernière présidentielle. Le directeur d'un centreculturel vient de faire les frais d'un pouvoir qui craint de subir le même sort que son voisinburkinabè.

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10 Billets d'Afrique et d'Ailleurs Septembre 2015 N°249

Lorsque Hissène Habré prend lepouvoir en 1982, le Tchad est enproie depuis 1979 aux différentes

factions rebelles du Frolinat qui secaractérisent par la complexité des jeuxd’alliances et des soutiens étrangers. Faceà une autre rébellion, le GUNT deGoukouni Weddeye soutenu par la Libye,Habré apparaît comme un rempart auxvelléités d’expansion et d’hégémonie duvoisin libyen Mouammar Kadhafi. Malgréses responsabilités dans l’assassinat ducommandant Pierre Galopin (membre duSDECE et chargé de négociations) en1975 et dans l’enlèvement de FrançoiseClaustre (anthropologue française retenueen otages pendant 3 ans), la France appuiel’accession au pouvoir de Habré.

De Habré, le tortionnaire…Un régime autoritaire et fortementrépressif est mis en place. La sinistreDDS, police politique sous le contrôledirect du président, fait régner la terreur :arrestations arbitraires, tortures,disparitions… La Piscine, anciennepiscine utilisée par des expatriéstransformée en prison, cristallise la terreurqui règne. Un rien suffit aux arrestations :une supposition, un lien de parenté… De1982 à 1990, de nombreux massacresethniques ont lieu. La région du Sud, où semettent en place des Codos, des groupesrebelles pour se défendre contre le régime,est d’abord visée. De 1982 à 1985, larépression y est particulièrement forte,avec en 1984, « septembre noir », unepériode de massacres particulièrementintenses. Au gré des alliances etdissidences, ce seront ensuite les Hadjeraypuis les Zaghawas qui seront la cible deces exactions.Le rapport de la commission d’enquêtemise en place en 1992 sur les crimescommis par le régime Habré estime à 40000 le nombre des victimes. Pourtant,pendant cette période, la France maintientet augmente son aide, livre des armes etdéveloppe sa coopération militaire.Surtout, elle intervient militairement àdeux reprises pour repousser l’avancéelibyenne et être force de dissuasion avecles opérations Manta (1983­84) puisEpervier en 1986. L’objectif d’empêcher

l’avancée libyenne et de maintenirl’espace territorial est atteint dès 1987mais l’opération se poursuit jusqu’à sefondre en 2014 dans le dispositifBarkhane (Cf. Billets n°238, septembre2014). A ceci s’ajoute le maintien de lacoopération militaire avec notamment levolet formation. Un témoin a d’ailleursconfirmé aux Chambres africainesextraordinaires que des agents de la DGSEfréquentaient régulièrement la DDS(Jeune Afrique, 20/07). Par sa proximitéavec le régime de Habré, la France nepouvait ignorer les crimes commis.

...à Déby et l’art de lavitrineEn 1990, alors que l’opération Epervierest restée en place depuis 4 ans malgré lafin du conflit avec la Libye, Habré devientencombrant, maintenant que le jeurégional se définit différemment (retour dela Libye, chute du Soudan…). Sur uneproposition de la DGSE, et plusparticulièrement de Paul Fontbonne, avecqui Déby a eu l’occasion de tisser des lienslors de sa formation à l’école de guerre,Déby apparaît comme le nouvel hommefort. L’opération Epervier se recentre surdes objectifs de protection desressortissants et laisse libre l’entrée dansNdjamena. S’il est présenté comme unefigure d’un renouveau, Déby a été le chefdes forces armées en 1983­1985, période

de massacres dans le Sud, et maintientdans leurs postes nombre defonctionnaires officiant sous Habré. Laterrible DDS est remplacée par l’ANS.Déby enfile un costume démocratique enorganisant une conférence nationale,largement soutenue par la France, pendantque ses troupes sèment la terreur et tuent,principalement dans le Sud. Dès le débutdes années 1990 et jusqu’à aujourd’hui,les rapports d’ONG (Amnesty, FIDH…)signalent régulièrement les gravesviolations des droits de l’Homme auTchad. Le Mémorandum sur la crisepolitique réalisé par des groupes tchadiensen 1999 établit une liste d’exactions et decrimes commis pendant la premièredécennie du règne de Déby. Celle­cipourrait largement être complétée par ladécennie suivante : disparitions, tortureset arrestations arbitraires restent le fait dece régime.Sauvé une première fois par l’arméefrancaise en 2006, l’appui militairefrançais permet à Déby de se maintenir en2008, alors que l’opposant Ibni OumarMahamat Saleh disparaît après sonarrestation. La justice tchadienne aprononcé un non­lieu sur cette affaire et lademande de commission d’enquêteparlementaire déposée en France piétine.On peut citer récemment l’arrestationarbitraire de Djeralar Miankeol,responsable de l’associationNgaoubourandi, dénonçantl’expropriation de leurs terres desagriculteurs au Tchad en juin dernier et deNadjo Kaïna (président de l’UNET, Unionnationale des étudiants du Tchad) arrêté enaoût 2015 pour trouble à l’ordre public etusage de faux, et dont le procès a étéreporté pour manque de preuves mais dontla détention est maintenue sur fond degrogne estudiantine depuis plusieurssemaines.La relégitimation sur la scèneinternationale par le biais de l’interventionau Mali et de la « lutte contre leterrorisme » renforce la violence durégime. Déby fait régner la terreur maisexcelle dans les jeux d’alliances etd’image. C’est peut­être dans ce domainequ’il réalise le mieux la fameuse « vitrinede l’Afrique » qui lui tient tant à coeur.

Salves

De Habré à Déby,constance du soutien françaisDepuis l’indépendance, la France entretient des relations fortes avec le Tchad, d’unrégime à l’autre, qui se caractérisent par leur dimension militaire et font de ce pays l’undes piliers de la Françafrique.

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N°249 Septembre 2015 Billets d'Afrique et d'Ailleurs 11

Salves

De Epervier à BarkhaneLe maintien de l’opération Epervier deHabré à Déby, alors que les objectifsinitiaux n’étaient plus d’actualité, en ditlong sur la continuité du soutien de laFrance d’un régime à l’autre et questionnecette alliance militaire. La proximitémilitaire avec le Tchad s’enracine dansl’Histoire. Ndjaména fut le point dedépart de la colonne Leclerc lors de laseconde guerre mondiale, le Tchad a aussiun imaginaire colonial et guerrier fort.Il n’existe pas d’accords de défense, maisen 1976 des accords de coopérationmilitaire technique sont signés. Ilsconcernent l’aide au reformatage del’armée, l’appui logistique, le soutien à lasanté et le renseignement, avec descoopérants militaires servant sousuniforme tchadien. Aujourd’hui, cettecoopération s’oriente vers lerenforcement des capacités et s’articulesur deux axes majeurs : la réorganisationde l’armée et le soutien institutionnel à lagendarmerie.Mais l’armée tchadienne demeure unearmée protéiforme composée de militairesde formation et d’ex­rebelles intégrés aufil des mesures de réconciliation. Arméeclanique, elle est redoutée pour saviolence. En plus de l’absence d’uniformecommun, sa structure reste peu lisiblemalgré les réorganisations, et le pays ajusque très récemment été épinglé pour laprésence d’enfants soldats dans sestroupes. C’est le sinistre bilan dedécennies de coopération militaire, dontla formation est fortement orientée sur lemaintien de l’ordre, et inspirée par lesdoctrines de la guerre anti­subversive, ouguerre psychologique.Dans un rapport publié en avril par leCCFD­Terre Solidaire, le politologueRoland Marchal analyse « l’impasseintellectuelle » dans laquelle se trouve lacoopération militaire : « la réforme del’armée aurait dû devenir le pilier de leurpolitique car c’est seulement celle­ciaccomplie qu’un processus démocratiquedigne de ce nom aurait une chance deréussite. Or les Français sans sedésintéresser du problème n’iront jamaisjusqu’au bout de cette logique. Même audébut des années Déby, lorsque lasituation est politiquement tendue entreNdjamena et Paris, le débat porte plussur une réduction du nombre decombattants (et le retour au Soudand’une bonne partie d’entre eux) que surune institutionnalisation de l’armée àlaquelle le nouveau Président n’aabsolument pas intérêt puisqu’il cesseraitalors d’être l’homme providentiel etindispensable, seul capable de contrôler

ces fauteurs de trouble. Il y a là une(fausse) naïveté et surtout un paridangereux maintenu jusqu’aujourd’huiqui signifie que sans Déby il n’y a plus depaix civile au Tchad et qu’avec luil’armée ne sera jamais une véritableinstitution ».Aujourd’hui, le Tchad est l’un desprincipaux alliés de la France, comme entémoigne l’implantation du centre de

commandement de l’opération Barkhaneà Ndjaména, devenue le point d’ancragedu redéploiement de l’armée française enAfrique. Les intérêts français continuentainsi de cautionner un régime violent,quelles qu’en soit les conséquences pourla population.

Elea Gary

Cette affaire marque un tournantdans la justice internationale,même si le procès pose des

questions sur ses limites et effetspuisqu’il reste celui d’un homme plusque d’un système, dans la continuitéduquel s’inscrit pourtant le régime deDéby, et qu’il ne questionne pas ou peules soutiens internationaux dont il abénéficié. La tenue de ce procès est dueà la ténacité des victimes et de leursavocats. Il aura fallu quinze ans depuisle dépôt de la première plainte avantd’arriver à la mise en place de chambresafricaines extraordinaires pourl’ouverture de la procédure. S’il s’agitdu premier dispositif de justiceinternationale en Afrique, inspiré dumodèle de l’affaire Pinochet, lesobstacles à la mise en oeuvre du procèsne concernaient pas que l’élaborationdu cadre juridique, mais surtout desfreins politiques au Tchad et auSénégal. Après s’être montré réticent, leTchad a fait preuve de coopération,d’abord en levant l’immunité, puis encoopérant au dossier : financement,collaboration aux commissionsrogatoires… Dès 2008, le sociologueJulien Seroussi questionne l’articulationque constitue le procès Habré entre lajustice transitionnelle et la justicepénale et montre que si« l’internationalisation de la justicetransitionnelle a bel et bien débloqué latransition politique, [...] son évolutionreste contenue dans des limitesétroites ». En effet, il s’agit de juger uneseule personne, Hissène Habré, etmême si l’ensemble du fonctionnementdu régime est mis à jour, il est probableque ses collaborateurs ne soient niextradés vers le Sénégal, ni jugés defaçon convaincante au Tchad.

Déby inquiet?Les signes de coopération du Tchadpermettent de faire bonne figure maisrestent limités et les possibilités entermes de transition politique liées à ceprocès sont faibles voire inexistantes.Cependant, Déby s’agite. La cinquièmecommission rogatoire, en octobre 2014,qui demandait l’extradition d’anciensdirigeants, n’a pas été satisfaite. A lasuite de cela, un procès a été expédié àNdjaména, condamnant vingt accuséspour l'exemple. L’expulsion dujournaliste de RFI Laurent Correau, enjuillet dernier, témoigne aussi d’unecertaine crispation autour du procès. Lessuppositions sur le fait que Déby puisseêtre cité comme témoin sontnombreuses.D’autant que les rouages des juridictionsinternationales ont déjà fait de l’ombre àsa quiétude à propos de l’affaire IbniOumar Mahamat Saleh (opposantenlevé en février 2008), pour laquelle lesénateur Jean­Pierre Sueur et le députéGaëtan Gorce avaient demandé lasaisine de la Cour pénale internationaleen 2012 (Cf. Billets n°221, février2013). Cependant, le rôle qu’il joueactuellement dans la « lutte contre leterrorisme » et son aura de « garant » dela stabilité d’une sous­région qu’il apourtant souvent mise à feu et à sang,lui assurent une certaine immunité.Si les attentes des victimes, comme lerappelle l’avocate et militantetchadienne Jacqueline Moudeïna,concernent surtout la reconnaissance etla lutte contre l’impunité, la sociétécivile africaine attend ce procès commeun message d’avertissement à sesdirigeants. L’on pourrait souhaiter qu’ilinterpelle et inquiète aussi les soutiensde tels régimes.

Habré à DakarEn septembre devrait s’ouvrir à Dakar le procès Habré,après de longues années de combat des victimes poursa tenue. Un procès largement attendu par la populationtchadienne et par l’Afrique.

Page 12: Billetsd'Afrique - Survie · Civiles pour le Rwanda (CPCR), dans le réquisitoire du procureur, « chaque témoignage est minimisé. L’impression générale: la parole des témoins

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Billets d’Afrique et d’ailleursÉdité par Survie, 47 avenue Pasteur, 93100 Montreuil. Tél. : 01 44 61 03 2511 numéros par an pour tout savoir sur la face cachée de lapolitique de la France sur le continent africain et les jeux troubles dela « Françafrique ». Au long de ses 12 pages, Billets d’Afriquedécortique ainsi les principaux faits de l’actualité franco-africainepour en proposer une analyse critique originale.

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Voilà un ouvrage dont le sous titretient les promesses. En démontrantcomment l'émotion toujours

influence la politique, les auteursenquêtent sur les tenants et aboutissantsd'une histoire commune unique. Enconsidérant les dates marquantes­officielles et officieuses­ de l'histoirepartagée par la France et l'Algérie, ilsdessinent les contours de la situationparticulière de la Françalgérie dans laFrançafrique. En traitant la question selonles prismes politique, économique,diplomatique et historique, Marie­Christine Tabet et Christophe Duboisrendent compte de toute la complexitédes échanges, et de la fragilité de larelation.Cet état des lieux est absolumentnécessaire et actuel en cette èred'islamophobie, d'autant que la générationd'expatriés des Français d'Algérie n'a pascomplètement disparu, et que certains deses héritiers sont dépositaires d'uneautorité locale ou nationale en France, àl'instar d'Arnaud Montebourg ou deRobert Ménard. Car cette histoirecommune fut marquée par la violencedans les deux camps, une visionmanichéenne est complètement inadaptée

pour en rendre compte. C'est pourtant latendance majeure du côté algérien.L'exemple de la difficulté qu'ont eue lesauteurs à interviewer l'ambassadeurd'Algérie en France, Amar Bendjama, estsignificatif. Il accepte un entretien aprèsde longues tractations, mais adopte uneposture de méfiance à l'égard desjournalistes : tout écrit sur l'Algérieserait forcément partial et intéressépolitiquement.Alors que la France tente de profiter deson image de pays démocratique face àune Algérie qui ne résiste pas, malgré saguerre de libération, à la mécaniquedictatoriale qui a cours dans les anciennescolonies françaises en Afrique ; ladissymétrie de la relation ne penche passeulement du côté algérien. La sphèrepolitique française entretient elle aussil'illusion d'une relation normale, enservant aux peuples meurtris par cettehistoire commune (harkis, pieds noirs,immigrés) une version partisane, souventdans un but électoraliste. Sans jamaiss'attaquer au tabou des 130 années decolonialisme en Algérie, et trahissantl'espoir d'une reconnaissance. De même,le camp algérien surenchérit surl'insuffisance de la reconnaissance

française des douleurs de cette époque,faisant valoir régulièrement sasouveraineté (retrouvée en 1962), et enmimant la posture de l'offensé à chaquesortie hasardeuse d'un politique français,jetant du sel sur les cicatrices du peuplealgérien par pure démagogie. Pour autant,les tenants de l’exécutif algérienn'hésitent pas à profiter de leur statut pourbénéficier du système de santé et du parcimmobilier du pays offenseur. Alorssubitement la souveraineté n'a pluscours !Paris­Alger, Une histoire passionnellefait donc toute la lumière sur cescontradictions qui fondent la relationentre l'Algérie et la France, aujourd'huiencore polluées par l'affairisme,l'instrumentalisation de générationsd'immigrés et une rancœur tenace.

Linda B.

Lire

« Paris-Alger, unehistoire passionnelle »Livre de Christophe Dubois et Marie-Christine Tabet, 15avril 2015, édition Stock, 378 pages