Bilan de la présence militaire européenne en Afrique...

36
Bilan de la présence militaire européenne en Afrique subsaharienne, 2000-2010 Par Martine Cuttier Examiner la présence militaire européenne en Afrique subsaharienne dans la première décennie du présent siècle invite au préalable à évoquer brièvement les épisodes qui ont précédé, et le processus d’intégration interne, initié dans les années 1950, qui voit émerger, à côté des politiques nationales, un embryon de politique étrangère et militaire commune dont l’Afrique est l’un des terrains d’application. On s’attachera par la suite à préciser les premières et les secondes, leurs rapports, formes et diverses modalités. Le legs des décennies précédentes La décolonisation de l’Afrique, étalée entre 1951 (Libye) et 1975 (Mozambique, Angola), n’y a pas mis fin à une présence militaire européenne remontant par endroits au 16 e siècle. 1 Dans le contexte d’affrontement bipolaire de la Guerre froide, l’Afrique fut, inégalement selon le moment, un enjeu stratégique entre les deux Grands, souvent traduit par une présence militaire très visible des deux camps, parfois par supplétifs interposés (Est-Allemands en Tanzanie, Cubains en Angola pour le compte des Soviétiques). Le cas de l’Afrique francophone montre une présence française très aboutie, à la fois militaire et humanitaire, sur le fondement des accords de coopération militaire signés dès les indépendances. 2 Par l’implantation d’unités interarmes comme les régiments interarmes d’outre-mer (RIAOM) et des bataillons d’infanterie de marine (BIMa), la France a prépositionné des forces dans les capitales des pays alliés. 3 Au titre de l’Assistance militaire technique (AMT), elle a formé et tenu à bout de bras, plusieurs décennies durant, les armées de ces pays qui limitaient ainsi leur budget militaire, mais aussi leur souveraineté. On parle d’ailleurs de ‘coopération de substitution. À compter de 1977, dans un contexte de refroidissement des relations entre les blocs, elle intervient directement de manière répétée par des opérations à base de projection de forces venues de 1 Rappelons que la colonisation de l’Afrique a d’abord consisté en implantations côtières, au moment où les États-nations européens s’extravertissent, affirment des ambitions de puissance globale, et créent des outils militaires adaptés à l’expansion ultramarine (dans le cas de la France, l’infanterie de marine, créée en 1622, et l’artillerie de marine, qui la suit en 1692). Au 19 e siècle, lors de la relance de l’aventure coloniale, la présence militaire prit la forme de colonnes expéditionnaires (pour la France, à base de ‘marsoins’ et d’unités de Légion) ou de milices privées (dans le cas britannique, la National African Company devenue, en 1886, la Royal Niger Company laissant la place pour finir, en 1900, à la West African Frontier Force, avant que les puissances coloniales répartissent des forces dans les territoires conquis afin de signifier leur souveraineté. 2 La coopération militaire repose sur trois piliers : les accords de défense, l’assistance militaire technique (AMT) et la force d’action rapide (FAR). 3 Aujourd’hui encore, ces dernières sont prêtes à intervenir en permanence. Prenons l’exemple de l’évacuation des ressortissants européens lors de la crise ivoirienne, en 2002 ou lors de l’offensive rebelle sur N’Djamena, en février 2008. Published/ publié in Res Militaris (http://resmilitaris.net ), vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012

Transcript of Bilan de la présence militaire européenne en Afrique...

Bilan de la présence militaire européenne en

Afrique subsaharienne, 2000-2010

Par Martine Cuttier

Examiner la présence militaire européenne en Afrique subsaharienne dans la

première décennie du présent siècle invite au préalable à évoquer – brièvement – les

épisodes qui ont précédé, et le processus d’intégration interne, initié dans les années 1950,

qui voit émerger, à côté des politiques nationales, un embryon de politique étrangère et

militaire commune dont l’Afrique est l’un des terrains d’application. On s’attachera par la

suite à préciser les premières et les secondes, leurs rapports, formes et diverses modalités.

Le legs des décennies précédentes

La décolonisation de l’Afrique, étalée entre 1951 (Libye) et 1975 (Mozambique,

Angola), n’y a pas mis fin à une présence militaire européenne remontant par endroits au

16e siècle.

1 Dans le contexte d’affrontement bipolaire de la Guerre froide, l’Afrique fut,

inégalement selon le moment, un enjeu stratégique entre les deux Grands, souvent traduit

par une présence militaire très visible des deux camps, parfois par supplétifs interposés

(Est-Allemands en Tanzanie, Cubains en Angola pour le compte des Soviétiques).

Le cas de l’Afrique francophone montre une présence française très aboutie, à la

fois militaire et humanitaire, sur le fondement des accords de coopération militaire signés

dès les indépendances.2 Par l’implantation d’unités interarmes comme les régiments

interarmes d’outre-mer (RIAOM) et des bataillons d’infanterie de marine (BIMa), la

France a prépositionné des forces dans les capitales des pays alliés.3 Au titre de

l’Assistance militaire technique (AMT), elle a formé et tenu à bout de bras, plusieurs

décennies durant, les armées de ces pays qui limitaient ainsi leur budget militaire, mais

aussi leur souveraineté. On parle d’ailleurs de ‘coopération de substitution’. À compter de

1977, dans un contexte de refroidissement des relations entre les blocs, elle intervient

directement de manière répétée par des opérations à base de projection de forces venues de

1 Rappelons que la colonisation de l’Afrique a d’abord consisté en implantations côtières, au moment où les

États-nations européens s’extravertissent, affirment des ambitions de puissance globale, et créent des outils

militaires adaptés à l’expansion ultramarine (dans le cas de la France, l’infanterie de marine, créée en 1622,

et l’artillerie de marine, qui la suit en 1692). Au 19e siècle, lors de la relance de l’aventure coloniale, la

présence militaire prit la forme de colonnes expéditionnaires (pour la France, à base de ‘marsoins’ et d’unités

de Légion) ou de milices privées (dans le cas britannique, la National African Company devenue, en 1886, la

Royal Niger Company laissant la place pour finir, en 1900, à la West African Frontier Force, avant que les

puissances coloniales répartissent des forces dans les territoires conquis afin de signifier leur souveraineté. 2 La coopération militaire repose sur trois piliers : les accords de défense, l’assistance militaire technique

(AMT) et la force d’action rapide (FAR). 3 Aujourd’hui encore, ces dernières sont prêtes à intervenir en permanence. Prenons l’exemple de

l’évacuation des ressortissants européens lors de la crise ivoirienne, en 2002 ou lors de l’offensive rebelle sur

N’Djamena, en février 2008.

Published/ publié in Res Militaris (http://resmilitaris.net ), vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012

Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 2

l’ancienne métropole,4 soit pour sauvegarder les régimes alliés menacés d’implosion (par

exemple, le Zaïre lors la rébellion des ‘gendarmes katangais’ dans la province du Shaba –

Kolwezi, mai 1978), soit pour maintenir l’intégrité des frontières des États issues de la

colonisation, décrétées intangibles par les pères fondateurs de l’Organisation de l’Unité

Africaine (OUA) et objet de pressions extérieures (le plus souvent soviétiques), soit encore

afin de contrecarrer les visées libyennes sur le Tchad (Opérations Tacaud, 1978 ; Manta,

1983 et Épervier, 1986) et sur la RCA (Barracuda, 1979). Entre 1977 et le début des

années 1990, la France s’est donc montrée capable de mener des opérations sur plusieurs

théâtres. Hormis la consolidation des équilibres, elle a défendu ses intérêts géopolitiques en

assurant la stabilité du ‘pré carré’, et par là même ceux des pays occidentaux en sécurisant

l’accès aux matières premières – politique bien comprise, entre autres, des États-Unis qui

s’en sont remis à la France pour endiguer l’expansion du communisme. Elle s’est ainsi

imposée comme puissance, capable de déployer les moyens nécessaires afin de s’occuper

des affaires de cette partie du monde.

Depuis la fin de la Guerre froide et la disparition de l’URSS, la présence militaire

européenne, notamment la présence française, s’allège car est venu le temps de cueillir les

‘dividendes de la paix’ et de désarmer. L’Afrique subsaharienne connaît alors un

déclassement stratégique : elle est reléguée au bas de la hiérarchie des priorités des États de

l’Union Européenne, alors que se multiplient sur place les crises inter- et intra-étatiques. À

quinze puis à vingt-cinq, l’UE limite la géographie de son champ d’intervention aux

régions proches de sa périphérie, excluant de renouer avec les formes de politique

hégémonique héritées des périodes coloniale et post-coloniale.

Les étapes de l’élaboration d’une politique militaire européenne

Dès l’origine, en 1951, l’un des buts de la construction européenne fut d’établir la

paix sur le continent après des siècles de guerres interétatiques dont les deux dernières ont

provoqué des destructions matérielles et humaines d’une ampleur inégalée dans l’histoire

de l’Humanité. En éloignant le spectre de la guerre dans le contexte de la guerre froide,

l’Europe en construction n’a cessé de refuser de devenir une puissance complète. Pourtant

elle réagit à la menace soviétique dès 1948 par le Pacte de Bruxelles,5 qui esquisse face à

elle une coopération économique, sociale, culturelle et de défense collective. L’idée germe

d’une possible application à la défense du modèle de la CECA. L’épisode de la CED laissa

penser un court instant que les Européens allaient prendre en main leur défense et leur

sécurité, laissant aux Américains (qui s’ouvrent à eux de ce souhait dès 1951) les mains

plus libres ailleurs. L’échec de la CED fut en partie compensé, en octobre 1954, par la

création, à Paris, de l’Union de l’Europe Occidentale (UEO), sur la base d’un traité de

coopération militaire visant à durcir le pacte de Bruxelles. Ses réalisations se limitent à

inclure l’Allemagne fédérale et l’Italie, et à offrir une structure aux États-membres en butte

à des tensions (notamment entre Allemagne et France au sujet de la Sarre). Mais l’Europe

4 Le système d’alerte Guépard permet de projeter des forces opérationnelles depuis la France, en soutien aux

forces prépositionnées. 5 Il est signé le 17 mars 1948 entre cinq pays : la France, le Royaume-Uni et les pays du Benelux.

Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 3

occidentale choisit d’être une organisation fondée sur les droits de l’Homme, respectueuse

de la loi et de la légitimité des régimes : elle préféra être un espace économique et culturel

et non une puissance militaire, s’en remettant ainsi au protectorat américain pour assurer sa

sécurité à travers l’OTAN, bras armé de l’Alliance atlantique créée peu avant (1949). En

1957, le Traité de Rome réaffirma la volonté d’instaurer une Europe de la paix et de la

prospérité par le libre-échange et la concurrence commerciale. L’UEO restera la coquille

vide de la construction d’une défense européenne, et fonctionnera comme le pilier

européen de l’OTAN. Seule la France, à l’initiative du général de Gaulle, remit en cause

cet état de choses en 1966.

Jusqu’en 1989, la question de la défense européenne n’est plus à l’ordre du jour :

elle devient même tabou comme le montre, en 1970 et 1973, le lancement de la

coopération politique européenne (CPE)6 qui laissera de côté les questions de sécurité et de

défense. L’immobilisme des Européens fut quelque peu ébréché, en 1986, lorsque l’Acte

Unique fait entrer la CPE dans les traités communautaires. Il y eut alors coopération en

matière de politique étrangère européenne – sans volet militaire. Or, selon la règle d’or

clausewitzienne, il ne saurait y avoir, sous peine de contresens majeur, d’action militaire ni

d’engagement armé sans pouvoir politique affirmé : les armées n’en sont que l’instrument.

L’histoire de la défense européenne ne peut être dissociée de la mise en place de l’étage

politique à l’édifice commun.

La question fut relancée en 1989 avec la chute du Mur de Berlin, qui mit un terme à

l’existence des blocs. L’événement fait partie de ces ‘surprises stratégiques’ qui, une fois la

stupeur passée, nécessitent de repenser les équilibres géopolitiques. L’OTAN procéda à un

réexamen de ses orientations, et à cette occasion, sollicita l’UEO. Le dossier de la sécurité

européenne revient alors sur le devant de la scène. Une fois le tracé de la frontière entre

l’Allemagne réunifiée et la Pologne confirmé sur la ligne Oder-Neisse, un consensus se fait

jour : il est a minima car la Grande-Bretagne prône un renforcement du pilier européen de

l’Alliance tandis que la France et l’Allemagne veulent une défense européenne autonome.

Le Traité sur l’Union Européenne, adopté à Maastricht en décembre 1991, lança la

politique européenne de sécurité commune (PESC), ainsi substituée à la CPE. La nouvelle

Union, toutefois, se montre incapable de participer au règlement des crises internationales,

dont l’une se déroule, en Europe même, dans les Balkans. La PESC constitua pourtant un

palier, d’autant qu’en juin 1992 les formes des éventuelles interventions furent précisées

lors d’un conseil ministériel de l’UEO. Ces ‘missions de Petersberg’ comprennent un volet

humanitaire et des missions de combat pour la gestion des crises.7 Réelle avancée qui

n’échappa cependant ni à des querelles d’interprétation du contenu (minimaliste du

Royaume-Uni, maximaliste de la France), ni à la concurrence voire à la rivalité entre

6 Le but est de rapprocher les politiques étrangères nationales des 6 puis des 9 pays-membres.

7 Selon l’Article 43-1 du traité, ces missions recouvrent des missions humanitaires ou d’évacuation de

ressortissants ; de maintien de la paix ; des missions de forces de combat pour la gestion des crises, y compris

de rétablissement de la paix ; des actions conjointes de désarmement ; des missions de conseil et d’assistance

militaire ; des missions de prévention des conflits et de stabilisation et la lutte contre le terrorisme.

Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 4

institutions européennes. Le premier pilier (relevant de la Commission8 et du Parlement

pour les politiques de coopération) obéit au principe communautaire, tandis que le second

(régi par le Conseil européen9), celui qui concerne la PESC, fonctionne en inter-

gouvernemental. Le fait que le second pilier réponde au souci de préserver les souve-

rainetés nationales des effets des décisions prises au titre du premier pilier entrave la

cohérence de la politique commune. Il y a redondances multiples et manque de lisibilité. Si

le pacte de stabilité est un succès, l’UE reste incapable de s’impliquer dans la crise

rwandaise, en 1994, puis dans la crise yougoslave.10

En 1997, le Traité d’Amsterdam tenta de remédier à l’impuissance politique en

faisant du secrétaire général du Conseil le Haut Représentant pour la PESC. Javier Solana

essaiera à ce titre, dix ans durant, de porter la parole de l’UE et d’exercer une influence

internationale. Le traité, qui intègre les missions de Petersberg (et anticipe l’absorption de

l’UEO par l’UE lors du Traité de Nice), le permet. Toutefois, il ne pèsera pas réellement

sur la résolution des crises, faute de détenir des moyens de coercition. Un premier correctif

intervient en décembre 1998, à Saint-Malo, quand Tony Blair accepta de ne plus entraver

l’émergence d’une capacité européenne autonome de gestion des crises. L’impulsion

s’avéra vite insuffisante : en 1999, la crise du Kosovo fournit une nouvelle preuve de

l’incapacité des Européens à intervenir. En conséquence, le Conseil européen de juin 1999

(sommet de Cologne) décida de doter l’UE des moyens nécessaires pour assumer ses

responsabilités en instaurant la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD),

composante civilo-militaire et opérationnelle de la PESC.

Dès lors, la PESC dispose pour gérer les crises de structures politico-militaires

permanentes. Le Comité politique et de sécurité (COPS) est chargé de suivre la situation

internationale et de suggérer des politiques au Conseil et au Haut Représentant ; organe

central de la PESD, il relève du Conseil des affaires étrangères. Au plan opérationnel, il

exerce le contrôle politique et la direction stratégique des opérations.11

Le comité militaire

de l’UE (CMUE), composé des chefs d’état-major des armées et soutenu par un état-major

(EMUE), appuie le COPS.12

Il restait à statuer sur l’UEO, parfois réactivée mais restée impuissante comme bras

armé de l’Europe. Ce fut fait à Marseille, en novembre 2000, lorsque le Conseil de l’UEO

transfère ses compétences à l’UE. Le mois suivant, au sommet de Nice, l’Union fit de la

8 Elle a en charge l’aide au développement et les actions politiques en faveur du maintien de la paix. Elle

dispose de peu de spécialistes mais de larges moyens financiers. 9 Il a pour prérogative l’action civilo-militaire. Il dispose de la grande majorité des spécialistes en matière de

défense et d’un faible budget. 10

Fin 1995, les accords de Dayton prouvent l’impuissance européenne à participer à la résolution d’une crise

sur le continent laissée à l’ONU et aux États-Unis. Elle compense par une implication humanitaire et une aide

à la reconstruction économique. 11

L’expertise lui est fournie par le Groupe politico-militaire (GPM), ce qui peut l’amener à proposer des

options militaires, et dans ce cas le concept et le plan d’opérations. 12

Pour les aspects civils de la gestion des crises, le COPS s’appuie sur un comité, le CIVCOM. Il fournit des

recommandations et des conseils, il développe de concepts et des moyens dans les domaines de la police, des

libertés publiques, de l’administration et de la protection civiles.

Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 5

PESD13

son instrument de résolution des crises : elle ne semble plus être le nain politique

qu’on a connu, et se proclame ‘opérationnelle’ en décembre 2001 (déclaration de Laeken).

Pendant ce temps, les négociations entre l’OTAN et l’UE se poursuivent à propos des

transferts de compétences de l’UEO à l’UE, pour aboutir en mars 2003 à deux

arrangements. Le premier porte sur la nature des échanges ; le second permet l’accès de

l’UE aux capacités de l’Alliance. Ce sont les arrangements de ‘Berlin plus’.14

La même

année est créée l’Agence de défense européenne. Désormais, l’UE peut apparaître comme

un acteur des relations internationales plus complet. Reste à vérifier sa réelle capacité

d’action.

La première mise à l’épreuve est occasionnée, en 2003, par la crise irakienne.

L’échec est cuisant, puisque les Européens répondent en ordre dispersé, non sans rivalités

d’influence : qui de la France de Jacques Chirac ou du Royaume-Uni de Tony Blair incarne

le mieux l’Europe ? La PESD n’est-elle que la poursuite de la politique étrangère nationale

par d’autres moyens ? La PESD est-elle mort-née ? L’intervention en Ituri, à l’été 2003, où

l’enjeu est moindre qu’en Irak, montre le contraire. La PESD avance d’un petit pas.

La dernière touche à l’affirmation de la PESC-PESD est mise par le Traité de

Lisbonne en 2007.15

Il supprime les piliers et met fin, en apparence, aux entraves et à la

concurrence inter-piliers déjà évoquée. En apparence, puisque la PESC demeure régie par

la logique intergouvernementale. La PESD devient la Politique de sécurité et de défense

commune (PSDC, qui intègre les missions de Petersberg), dont la montée en puissance

reste marquée par l’éternel débat sur la définition que souhaite l’Union comme acteur de la

scène internationale : puissance civile, puissance militaire, superpuissance comme le furent

jadis les puissances européennes, comme le sont les États-Unis et comme la Chine rêve de

le devenir, ‘puissance normative’, ou relevant d’une forme de soft power ? Là est l’enjeu de

la PSDC, et il est double. Il s’agit d’une part de savoir si les États européens sont prêts à

s’associer pour se doter des instruments de la puissance, donc de ceux de la guerre ; de

l’autre, comment une organisation intégrée à 27 qui n’est pas un État et est guettée sans

cesse par des forces centrifuges peut parvenir à peser sur la résolution des affaires du

monde dans le cadre des institutions fixées par le Traité de Lisbonne ?

La politique tournée vers l’Afrique subsaharienne

À ce jour, dans un monde en recomposition vers la multipolarité, l’UE façonne son

outil pour intervenir dans la zone qui lui est la plus proche : l’Afrique, dont elle n’est

séparée que par un détroit de 17 kilomètres. L’Afrique subsaharienne est sa cible. La

géographie de l’intervention a une dimension régionale. Elle concerne respectivement, la

13

Elle n’est pas chargée d’assurer la défense du territoire de l’Union qui relève des défenses nationales de

chaque pays-membre et de l’OTAN. 14

L’accord cadre résulte d’échanges épistolaires entre le Haut Représentant pour la PESC et le Secrétaire

général de l’OTAN. Si les ambiguïtés sur la capacité européenne de gestion des crises n’est pas levée, ‘Berlin

plus’ offre une base pour les opérations de l’UE menées en coopération avec l’OTAN. Cela concerne

particulièrement les opérations Concordia, en Macédoine, et EUFOR-Althéa, en Bosnie-Herzégovine. 15

Adopté par le conseil européen, le 19 octobre 2007 et signé par les chefs d’État, le 13 décembre pour une

entrée en vigueur le 1er

décembre 2009.

Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 6

Côte d’Ivoire, la République démocratique du Congo (RDC), le Tchad et la République

centrafricaine (RCA), à quoi s’ajoute le golfe d’Aden qui constitue une partie de l’arc de

crise16

s’étendant de l’Atlantique à l’océan Indien.

La question peut revenir à se demander pourquoi après plusieurs décennies

d’indépendance l’UE s’implique dans la promotion d’un ordre régional de sécurité en

Afrique subsaharienne. Pourquoi continue-t-elle à porter ce ‘fardeau’ alors que l’Union

Africaine (UA) tente de s’imposer dans la gestion des crises qui ébranlent le continent ?

Pourquoi là les forces de l’ordre, ici les armées, sont-elles inopérantes ? La succession des

générations, l’accès au pouvoir d’élites politiques plus éduquées et ouvertes sur

l’international ou de dirigeants ayant connu un long exil en Europe,17

donc vu fonctionner

l’État de droit, ne pouvaient-ils pas laisser espérer des évolutions notoires ?

Les objectifs

Pour le saisir, il convient de situer globalement les raisons et les buts de la présence

européenne. Elles ne diffèrent guère des ressorts de la présence française durant la Guerre

froide. Elles ont un point commun : la volonté de renforcer les États par des politiques de

sortie de crise qui s’inspirent de celles expérimentées ailleurs, là où l’État défaille.

L’UE cherche à endiguer la fragmentation des États et la faiblesse des structures

gouvernementales impliquées dans des conflits intra-étatiques souvent liés à l’ethnicité. La

cause véritable est à rechercher dans des cultures traditionnelles qui s’accommodent mal de

l’État de droit. Il reste à l’UE à promouvoir une politique de prévention des conflits, de

maintien, de consolidation ou de rétablissement de la paix définie par les missions ‘de

Petersberg’. Une telle approche relève de l’aide au développement et des actions

politiques : c’est la Commission qui en est chargée. Après la mise en place de l’opération

Licorne par la France, à l’automne 2002, elle appuie le pouvoir légal du Président Laurent

Gbagbo face à la tentative de partition des Forces Nouvelles du nord. L’intervention en

Ituri, au nord-est de la RDC, durant l’été 2003, vise à contenir la déstabilisation régionale

liée à l’effondrement de l’État congolais, au dépeçage de son territoire, et au pillage de ses

ressources naturelles par les voisins ougandais et rwandais (attisant par là un conflit

ethnique entre Hemas et Lendus conduits par des seigneurs de la guerre, détenteurs du

pouvoir local).

Ces déstabilisations gênent les intérêts stratégiques européens. C’est pourquoi l’UE

s’est, à nouveau, impliquée en RDC en 2006 afin de restaurer la paix sociale et la stabilité

nécessaires à l’investissement à long terme et à l’accès aux ressources naturelles : enjeu

économique majeur pour des Européens de plus en plus concurrencés par les Chinois, les

Indiens, les Brésiliens et les Sud-Africains. Les Africains, engagés dans le nouveau

partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), ne peuvent théoriquement

s‘accommoder d’une zone de non-droit où les ressources sont exploitées sans contrôle

16

L’arc de crise se définit comme un ensemble non-homogène de pays allant de l’océan Atlantique à l’océan

Indien en passant par l’Afghanistan et présentant une connexion d’intérêts. 17

C’est le cas de Pascal Lissouba au Congo ; d’Ange Félix Patassé en RCA ; de Laurent Gbagbo en Côte

d’Ivoire, par exemple.

Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 7

étatique. C’est particulièrement le cas des nouvelles sociétés sud-africaines qui regardent le

Katanga comme une zone d’investissement à venir. De plus, avec ses 60 millions

d’habitants,18

la RDC constitue, à terme, un marché potentiel. Or, la pauvreté et les conflits

génèrent des flux migratoires massifs que l’UE veut contenir, et des trafics illicites qu’elle

cherche à freiner, sans compter l’effet de déstabilisation des pays limitrophes avec son

cortège de réfugiés. Intervenir revient à garantir la stabilité de la RDC afin de préserver

celle de toute l’Afrique centrale et de la région des Grands lacs, à sauvegarder des intérêts

et à promouvoir des valeurs. Ainsi donc, les enjeux géostratégiques de développement, de

proximité et d’immigration font de l’Afrique, et ici de la RDC, un champ privilégié pour

une UE disposant désormais du cadre de la PESD.

À propos de la crise du Darfour, l’UE affirme sa volonté de consolider les

équilibres. Car à l’instar du Tchad, le Soudan occupe une position charnière à la jonction

des mondes arabes et africains, chrétiens et musulmans. À partir de février 2003, le conflit

au Darfour s’ajoute à la guerre civile qui secoue le sud du Soudan, où depuis vingt ans le

gouvernement central affronte le mouvement sécessionniste de John Garang.

L’antagonisme entre le gouvernement arabe de Khartoum et les deux mouvements de

rébellion, issus d’ethnies noires musulmanes,19

a débouché sur une violence extrême : on

assiste, presque en direct à la télévision, au bombardement par l’armée soudanaise des

villages du Darfour, et les milices pro-gouvernementales20

terrifient les populations

réduites à fuir. Face à l’arrivée massive des réfugiés, à l’est du territoire tchadien, le

Président Idriss Déby Itno ne peut rester indifférent : il obtient des protagonistes un cessez-

le-feu, le 8 avril 2004. Aux côtés de l’UA, l’UE participe à la commission d’observateurs21

envoyée sur place. Au nom de la stabilité, la France soutient politiquement le Président

Déby,22

et (répondant aux souhaits d’une communauté internationale soucieuse d’éviter la

dégradation de la situation au Darfour) déclenche l’opération Dorca.23

Elle aide à faire

avancer la solution politique et transporte des rebelles à Abuja, lieu de la négociation,

tandis que l’UE (paralysée par un rapport de la Commission qui ne conclut pas à un

18

La population atteindra environ 125 millions d’habitants, en 2025. 19

Il s’agit de l’Armée de libération du Soudan (ALS) et du Mouvement pour la justice et l’égalité (MJE). 20

Elles se composent de janjawids et de repris de justice de diverses origines ethniques libérés, de déserteurs

de l’armée régulière, de Jallouls, membres de petites tribus chamelières du nord du Darfour et de Gimr, petite

ethnie négro-africaine. 21

Elle comprend deux officiers français. 22

En mai 2004, il subit une tentative de coup d’État puis, en avril 2006, une offensive rebelle sur N’Djamena

durant laquelle le Président Jacques Chirac fait donner un coup de semonce par un Mirage qui stoppe les

colonnes. 23

Elle s’appuie sur le dispositif Épervier déployé en 1986 contre les prétentions et incursions libyennes, dont

il reste les Éléments français au Tchad (EFT). Ils constituent le pivot de la présence militaire française en

Afrique, surtout depuis la fermeture des bases de la République centrafricaine, et permettent l’appui aux

autres bases de Dakar, Libreville, Abidjan et Djibouti. En 2004, ils mettent en place une chaîne logistique par

la route, puis par un pont aérien au début de la saison des pluies, jusqu’à Abéché et les camps de réfugiés. Le

soutien humanitaire se double de missions de reconnaissance aérienne des camps et des axes routiers. En

quelque 100 rotations, la France achemine 750 tonnes de fret et de nourriture aux réfugiés en s’appuyant sur

les ONG. Des patrouilles mixtes, françaises et tchadiennes sécurisent la zone des camps par leur présence

dissuasive.

Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 8

génocide) hésite à lancer une opération militaire.24

L’UE est de toute façon réduite à

l’impuissance : le Soudan refuse toute action sur son territoire d’une troupe étrangère, de

surcroît occidentale, fût-elle mandatée par l’ONU.25

Sous la pression, il finira par consentir

à la venue de contingents africains au sein d’une Mission de l’Union Africaine au Soudan

(MUAS)26

qui dispose d’un mandat très restrictif. D’autre part, l’UA veut absolument

gérer cette crise elle-même, quitte à accepter les conseils des Européens (lesquels financent

la MUAS27

). Enfin, malgré le précédent de l’Ituri, l’UE est alors incapable de décider et de

monter une opération si une nation, en l’occurrence la France, n’y pousse pas. En 2006,

l’UE ne veut que ce que la France ou la Grande-Bretagne, ou encore la Belgique,

souhaitent ou peuvent proposer.

L’enjeu de l’implication française est aussi la stabilité du Tchad. Le conflit affaiblit

le pouvoir politique qui a subi une tentative de coup d’État (mai 2004), puis une offensive

rebelle sur N’Djamena (avril 2006). Le Président Déby se trouve dans une position difficile

car, d’une part, les rebelles appartiennent à son ethnie, les Zaghawas, et d’autre part, la

dégradation de la situation au Darfour peut avoir des conséquences graves au Tchad.

Un autre motif à la présence militaire européenne – où la France a acquis une réelle

expertise – réside dans l’évacuation de ressortissants européens et étrangers menacés soit

par le pouvoir légal (relayé par des fractions de l’opinion : Côte d’Ivoire, 2003), soit par

une nouvelle offensive rebelle (Côte d’Ivoire, février 2008), soit encore pris en otage

(comme au large du golfe d’Aden et des côtes somaliennes28

).

Il faut encore mentionner, et la dernière évocation de lieu y conduit directement,

des périls nouveaux sur mer : ceux qui affectent le nord-ouest de l’océan Indien, où

transitent chaque jour 20 000 navires marchands et 30% des tankers transportant 2,2

millions de barils de pétrole vers l’Europe. La piraterie, phénomène ancien qu’on croyait

oublié, resurgit en effet dans les années 1990, signalant s’il en était besoin que la

mondialisation fait des mers et des détroits des enjeux majeurs de l’économie, auxquels

l’UE ne saurait rester indifférente.

Un dernier objectif, plus général, est de responsabiliser les partenaires africains

pour leur faire acquérir leur autonomie. Les responsabiliser signifie leur demander de fixer

24

Le gouvernement américain, en pleine campagne électorale, pousse à conclure à un génocide en espérant

rallier l’électorat afro-américain. 25

Par la résolution n°1706 du 31 août 2006, l’ONU a décidé le déploiement d’une force d’interposition : elle

est restée lettre morte. 26

La MUAS se compose de contingents venant d’une dizaine de pays africains dont le Rwanda et le Nigéria.

Faute d’effectifs et de moyens suffisants, elle s’est révélée inefficace. 27

Les États-Unis y ont légèrement contribué. La Grande-Bretagne a attribué 22 millions d’euros supplé-

mentaires tout en sachant ne rien attendre de cette force. 28

Dans cette région, la piraterie a plusieurs causes. Elle trouve d’abord son origine dans l’effondrement de

l’État somalien, en 1992, dans le contexte de fin de Guerre froide, où la tentative de reconstruction par

l’ONU sur fond de famine par les opérations américaine Restore Hope et française Oryx, en 1993, a échoué.

Elle n’empêche pas la scission entre Puntland et Somaliland en 1998. L’existence d’un gouvernement fédéral

provisoire ne restaure nullement une entité étatique solide. S’y ajoutent la pauvreté, les effets du tsunami de

2005 et ceux de la surpêche étrangère, y compris aux limites des eaux territoriales somaliennes.

Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 9

leurs priorités. S’il s’agit de stabiliser les États, l’UE peut contribuer à aider ses partenaires

à mieux contrôler leur espace territorial – par exemple (à l’instar de ce que fait la France),

soutenir le processus d’intégration régionale par une aide à la Communauté économique

des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), qui dispose d’un dispositif de sécurité

collective.

Les politiques nationales

Si l’UE est militairement de plus en plus présente en Afrique subsaharienne, cela

n’exclut pas les politiques nationales des pays-membres. Nombre d’États européens ayant

des liens anciens avec le continent y maintiennent en effet chacun une présence et un effort

de coopération.

La nouveauté, toutefois, est que la France y intervient moins souvent seule, et

cherche à associer ses partenaires européens à son action. En 1998, le ministère de la

Coopération est dissous, et ses attributions reprises par les Affaires Étrangères (MAE).29

Le tournant se confirme, après l’élection du Président Nicolas Sarkozy,30

par un processus

de révision des accords de défense et de coopération devenus ‘accords de partenariat en

matière de défense’.31

La coopération est scindée en deux. Son volet opérationnel, axé sur

des exercices conjoints, est à la charge du ministère de la Défense dans le cadre d’une

européanisation souhaitée du dispositif. La coopération structurelle revient à la Direction

de la coopération de sécurité et de défense (DCSD), nouvellement créée en mars 2009 au

sein du Quai d’Orsay.32

Le MAE coordonne les politiques bilatérales et multilatérales. Il a

aussi en charge les questions de sécurité intérieure et de sécurité civile avec des activités de

police et de gendarmerie dans la mesure où “dans les opérations de maintien de la paix, la

défense et la sécurité sont de plus en plus complémentaires” (Général E. Beth, cité in

Fouineau, 2010, p.53).

Comme l’indiquent le budget et l’emploi des personnels,33

l’essentiel de l’effort

porte sur l’Afrique.

29

L’année 1998 constitue un tournant dans l’évolution de la coopération. Au-delà de la réforme structurelle

de la coopération internationale, elle met fin aux notions de ‘champ’ et de ‘pré-carré’, ainsi qu’à la

coopération de substitution, deux piliers de la Guerre froide.

30 Ce dernier a énoncé la nouvelle politique française dans son discours du Cap, le 28 février 2008. Le Livre

Blanc sur la défense et la sécurité nationale de juin 2008 en précise le contenu.

31 Depuis les indépendances et après une révision entre 1973 et 1977, la France est liée par des accords

bilatéraux de défense à huit pays: Gabon (août 1960), République Centrafricaine (novembre 1960),

République de Côte d’Ivoire (avril 1961), Togo (juillet 1963), Cameroun (février 1974), Sénégal (mars

1974), République de Djibouti (juin 1977) et Comores (novembre 1978). En 2008, trois pays ont signé les

nouveaux accords : le Cameroun, la RCA et le Togo. Un traité a été signé avec le Gabon. Avec les Comores,

un accord de défense ‘rénové’ est signé le 27 septembre 2010. Avec la République de Djibouti et le Sénégal,

les négociations sont alors en cours et l’on attend le résultat des élections présidentielles, en Côte d’Ivoire,

pour le finaliser. Le premier tour a lieu le 31 octobre et le second est fixé au 28 novembre 2010.

32 Le premier directeur fut le général Emmanuel Beth. Le général Bruno Clément-Bollée vient alors de lui

succéder.

33 Sur un budget de 92,5 millions d’euros en 2009, 80% sont destinés à l’Afrique. Sur 277 militaires, 49

policiers et 50 gendarmes détachés à l’étranger, les deux tiers le sont en Afrique.

Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 10

La France demeure physiquement représentée en Afrique par un dispositif composé

des forces de présence,34

toujours pré-positionnées – ce qui reste une originalité car aucun

ancien pays colonisateur n’a conservé autant de forces militaires permanentes dans ses

anciennes possessions africaines. Sur un total de 4 870 militaires, 1 150 stationnent au Cap

Vert et au Sénégal (où le dispositif a été très récemment remanié35

) ; les armées ne

conservent qu’un pôle opérationnel de coopération d’environ trois cents militaires afin

d’appuyer la Brigade africaine en attente (BAA) de la CEDEAO. S’y ajoutent 2 860

militaires à Djibouti, plate-forme très stratégique face à l’océan Indien, et 860 à Libreville,

au Gabon. L’idée est de ne garder qu’une base sur chaque façade maritime africaine. La

France est impliquée sur deux théâtres d’opérations : l’un en Côte d’Ivoire avec le 43e

BIMa de Port Boüet, servant de base logistique à Licorne (en voie de dissolution), l’autre

au Tchad, où les éléments français du Tchad (EFT) restent positionnés à N’Djamena et à

Abéché au titre de l’opération Épervier tant que l’intégrité territoriale du Tchad n’est pas

assurée.

Le Portugal a un programme de soutien des missions de paix en Afrique (PAMPA).

L’Allemagne peut être un allié si elle est invitée à parrainer certains pays en mettant à leur

disposition soit des moyens matériels, soit (depuis 1998, année où le Bundestag lève le

principe de non-intervention en dehors des frontières, jusque-là inscrit dans la Loi fonda-

mentale de 1949), des moyens militaires : rupture majeure par rapport à la période écoulée

depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le Danemark et la Belgique ont des attitudes

opposées vis-à-vis d’une politique d’intervention sauf si elle résulte de mandats de l’ONU.

Au Royaume-Uni, le retour au pouvoir du parti travailliste, en 1997, sous la forme

du New Labour conduit par Tony Blair, a correspondu à un tournant de la politique

étrangère britannique envers l’Afrique. Plusieurs raisons expliquent ce regain d’intérêt.

L’une d’elles est liée au contenu du programme travailliste qui accorde plus d’importance

qu’auparavant à la démocratie et aux droits de l’Homme (“Britain is a force for Good in

the world”). Il en découle une conception des relations extérieures tournée vers l’aide à la

résolution des conflits, la promotion de la bonne gouvernance et du développement. Cette

nouvelle diplomatie s’est accompagnée de mesures concrètes telles la création, dès 1997,

du Department of International Development dont la moitié du budget est affecté au

continent africain, ce département veillant entre autres à la coordination entre les Affaires

Étrangères, les Finances, l’industrie et la Défense. Cette création fut suivie, en 2000, de

l’intervention militaire en Sierra Leone, du soutien au NEPAD l’année suivante, et de la

mise en place de programmes d’assistance. Le Royaume-Uni maintient quatre officiers

généraux à Prétoria, Addis Abeba, Nairobi et Abuja, ainsi que des points d’ancrage avec

des forces de souveraineté de la Couronne au sein de l’Africa Conflict Prevention Pool

(ACPP). Il est le mieux à même de soutenir la France, mais sa stratégie est moins définie :

son approche dépend de ses relations bilatérales avec certains pays d’Afrique ainsi que de

34

Ces forces de présence se distinguent des forces de souveraineté et de sécurité dispersées entre la

métropole et les départements et territoires d’outre-mer. 35

Lors d’une cérémonie au camp Bel Air, à Dakar, le 9 juin 2010, la France a symboliquement restitué les

emprises françaises à l’armée sénégalaise.

Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 11

sa volonté à contribuer ou non à la stabilité. Les relations entre la France et le Royaume-

Uni sont pourtant primordiales sur le continent. Mises à part quelques rémanences du

complexe de Fachoda au niveau de certaines ambassades, les intérêts français et

britanniques se rejoignent. Les deux pays ont nombre de positions communes ou proches

au COPS et au CMUE, telle l’initiative sur les ‘Battle Groups’.36

Les dissensions

proviennent en fait des divergences de vue au niveau de la PESC en général, mais non

d’une différence fondamentale d’appréhension des problèmes de l’Afrique. La principale

pomme de discorde est l’importance à accorder dans les choix au processus liant l’UE et

l’OTAN à travers ‘Berlin plus’, et donc la question du quartier général européen.37

Une

autre divergence provient des relations avec les États-Unis, dont la politique africaine vise

à limiter l’autonomie de l’UE en matière de défense.38

Les précautions juridiques et la recherche de la légitimité internationale

Rejetant l’interventionnisme unilatéral de l’époque coloniale et de la période de la

Guerre froide, les pays de l’UE prennent la précaution de fixer le cadre juridique et de

rechercher la caution internationale lors de leurs opérations. S’ils disposent, au niveau

européen, du cadre des ‘missions de Petersberg’, ils ne peuvent se dispenser de l’aval des

36

Ces groupements tactiques de forces interarmes (GTI) créés à l’issue de l’opération Artémis comptent

1 500 hommes, déployables en quinze jours pour une durée de 30 à 120 jours et une mission spécifique en un

lieu déterminé. Leur intervention peut aussi constituer la première phase d’une opération plus importante. 37

Operation Headquarters (OHQ). Cinq quartiers généraux sont créés, dont un au Mont-Valérien, près de

Paris, et un à Postdam. 38

Les Américains exercent par l’intermédiaire des Britanniques une pression importante pour faire de

‘Berlin plus’ le principe prioritaire des opérations européennes. D’autre part, ils développent des initiatives

concurrentes de celles proposées par l’UE. L’exemple du sommet du G8 de Sea Island (juin 2004) est

parlant : à propos des capacités mondiales de maintien de la paix, fut annoncée la formation d’une force de

50 000 soldats affectée au maintien de la paix en Afrique et dans le reste du monde. Même si cette initiative

avait peu de chances d’aboutir à court terme, elle visait à entretenir une certaine division parmi les membres

de l’UE, d’autant que les modes d’action sont similaires à celles initiées par la France. L’Italie a d’ailleurs,

sur ce point, appuyé la position américaine, poussant la France à signer la proposition.

Si depuis la présidence de Bill Clinton, dans les années 1990, les États-Unis sont de plus en plus présents en

Afrique saharienne et subsaharienne, particulièrement dans la zone du golfe de Guinée, c’est au titre de la

lutte contre le terrorisme, et parce qu’ils cherchent à rééquilibrer l’origine géographique de leurs

approvisionnements miniers et surtout pétroliers afin d’éviter une trop grande dépendance vis-à-vis des pays

du Golfe arabo-persique : leur objectif est d’augmenter la part de l’Amérique du sud, de l’Asie et de

l’Afrique, à hauteur de 25% pour les importations en provenance du continent, à l’horizon de 2015. À ce

jour, le brut africain compte pour environ 15% dans l’apport total,38

avec une place de choix pour le Nigéria.

Leur politique militaire fondée sur la promotion d’un ordre régional de sécurité montre d’ailleurs nombre de

similitudes avec celle de la France du point de vue de la dimension régionale. Les États-Unis ont lancé, en

1996, les programmes African Crisis Response Initiative (ACCRI) auxquels les Français ont répliqué par

RECAMP (cf. Bagayoko-Penone, 2003). Depuis 2003, le Pentagone accentue sa présence selon deux

directions. Tout d’abord, comme la France, il pré-positionne des forces et des moyens sur des bases relais

comme à Djibouti où 1 500 soldats occupent le camp Lemonnier, une ancienne base de la Légion étrangère.

Puis il participe à la formation d’éléments professionnels au sein des forces armées afin de renforcer leur

capacité à contrer les menaces, au niveau bilatéral, régional et continental avec l’Union Africaine. Pour cela,

un Africa Command (Africom) a été créé en 2007 alors qu’auparavant l’Afrique dépendait de l’European

Command (Eucom), l’un des six états-majors régionaux répartis dans le monde. Pendant plusieurs années, les

Américains ont vainement cherché à implanter ce nouvel état-major dans une capitale africaine. Finalement,

Africom restera à Stuttgart sous le commandement du général afro-américain William Ward. Il comprend

actuellement 1 300 personnels militaires et civils (dont nombre de contractors des sociétés militaires privées

comme pour le programme Olympic Chase qui consiste à former un bataillon de 500 hommes en RDC).

Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 12

instances européennes concernées, qu’ils font, s’ils le peuvent, confirmer par la légitimité

que confèrent des instances internationales plus larges, notamment et au premier chef

l’ONU. C’est ce que montre l’exemple des interventions en Côte d’Ivoire, en RDC, au

Tchad et au large de la Somalie dans la décennie considérée ici.

En Côte d’Ivoire, à partir de 2002, dans la continuité des conventions de Yaoundé,

de Lomé IV et de l’accord de Cotonou de 2000, la Commission détient des compétences

politiques pour accompagner les processus électoraux et promouvoir la ‘bonne

gouvernance’. En mai 2001, au titre de la PESC, l’Europe a défini une position commune

relative à la prévention, à la gestion et au règlement des conflits sur le continent. C’est

pourquoi l’Afrique subsaharienne se tourne plus facilement vers la Commission que vers le

Haut Représentant à la PESC. Par ailleurs, en vertu de la résolution 1464 votée le 14

février 2003 par le Conseil de sécurité de l’ONU, l’action de l’UE et de la France dépasse

le dispositif bilatéral élargi et s’intègre dans une concertation internationale plus large,

dont la CEDEAO est partie prenante. La résolution 1479 définit les moyens militaires : la

Mission des Nations Unies en Côte d’Ivoire (MINUCI),39

les soldats de la Micéci40

sont

intégrés dans l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI) déployée à partir

du 4 juillet 2003. La résolution 1528 du 27 février 2004 applicable à compter du 4 avril

2004 renforce l’internationalisation de la résolution de la crise et assure la mission

“d’observer et de surveiller l’application du cessez le feu”, “d’enquêter sur les violations”

et de “prévenir toute action hostile surtout dans la zone de confiance”.

En RDC, il y a deux interventions. La première, Artémis, durant l’été 2003,

concerne l’Ituri. C’est une initiative française, qui fait suite à une demande de Kofi Annan,

alors Secrétaire général des Nations Unies, de mise sur pied d’une force de relais à la

Mission des Nations Unies au Congo (MONUC).41

Dans ce cas d’espèce, un État-membre

très concerné, la France, déclenche une opération reprise par les quinze membres de l’UE.

Grâce à l’aval de l’ONU, l’accord est scellé sur la base de l’urgence humanitaire et du

caractère intérimaire de l’opération en soutien à la MONUC. Cet accord implique en amont

de nombreuses consultations bilatérales de la France avec Londres, Berlin et Bruxelles

puisqu’il s’agit d’une opération hors et loin (6 000 kms) de l’Europe. Elle est menée selon

les conceptions développées lors des travaux de la PESD en coopération très étroite entre

le Centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) de l’État-major français, à

Paris, et l’EMUE. Il s’agit de la première opération PESD en Afrique, décidée le 5 juin

2003 par l’UE dans le cadre de la PESC, sans recours aux moyens de OTAN,42

avec la

39

Elle est créée en mai 2003 afin de mettre en œuvre les accords de paix de Marcoussis, conclus en janvier

de la même année. 40

Créée en février 2003, cette force de paix est la force armée de la CEDEAO dont la mission est de faciliter

l’application des accords de Marcoussis en coordination avec les pays contributeurs (la Belgique, le

Royaume-Uni et les États-Unis). Elle se compose de contingents du Bénin, du Ghana, du Niger, du Sénégal

et du Togo. 41

Elle fut créée en novembre 1999 afin de maintenir la liaison avec les cinq États ayant signé l’accord de

cessez-le-feu de Lusaka, en juillet 1999. 42

Hors contexte ‘Berlin plus’. Il convient de noter que l’OTAN n’a pas d’expertise pour l’Afrique puisque le

sous-continent n’est pas dans sa zone de compétence.

Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 13

caution de l’ONU en vertu du chapitre VII de la Charte et de la résolution 1484 du Conseil

de sécurité sur “le déploiement jusqu’au 1er

septembre 2003 d’une force multinationale à

Bunia en étroite coopération avec la MONUC ”. La mission est totalement ‘autonome’, au

sens de la déclaration franco-britannique de Saint-Malo du 4 décembre 1998, point de

départ de la PESD et de la définition du Conseil européen de Cologne de juin 1999 selon

laquelle “[l’]’Union doit disposer d’une capacité d’action autonome, soutenue par des

forces militaires crédibles”. L’opération militaire est menée conjointement à une action

politique engagée dans le cadre du dialogue inter-congolais, des accords de Lusaka

prolongés par l’accord de gouvernement conclu à Pretoria, en décembre 2002.

Forte du succès de l’opération Artémis et de sa forte implication, depuis 1999, afin

de préparer les conditions politiques du non-recours à la force pour accéder au pouvoir, en

un mot, pour installer la démocratie, elle n’a pu laisser à nouveau la violence dicter sa loi.

La méthode initiée lors d’Artémis est étendue à l’échelon national afin d’accompagner le

processus électoral. Et comme en Côte d’Ivoire, en s’appuyant sur les conventions de

Yaoundé, de Lomé IV et sur l’accord de Cotonou de 2000, la Commission utilise ses

compétences politiques pour accompagner le processus électoral lors du scrutin

présidentiel doublé de celui des législatives et promouvoir la ‘bonne gouvernance’.

Comme précédemment, au titre de la PESC, deuxième pilier institué et régi par le Chapitre

V du Traité sur l’UE, grâce à la position commune relative à la prévention, à la gestion et

au règlement des conflits afin de parvenir à la consolidation ou au rétablissement de la paix

sur le continent, telle que définie par les ‘missions de Petersberg’, s’ajoute la composante

‘prévention des conflits’ de la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD) ;

l’ensemble constitue une politique commune réaffirmée, le 16 décembre 2005, avec la

nouvelle stratégie pour l’Afrique (NSA).

Dès le 23 mars 2006, le Parlement européen adopte une résolution définissant les

critères applicables aux opérations d’imposition de la paix de l’UE en RDC en vertu du

‘devoir de protection’ consacré par le document final du Sommet mondial des Nations

Unies, à New York, le 16 septembre 2005. Peu après, en décembre, malgré la présence des

17 000 soldats de la MONUC, les Nations Unies demandent assistance à l’UE pour la

période des élections. L’UE donnant la priorité aux Balkans et à son voisinage immédiat, le

Parlement demande au Conseil de l’UE, à la Commission et au Secrétaire général des

Nations Unies, que l’opération militaire soit assortie d’un mandat clair, limité dans sa

durée comme dans sa géographie : assurer la sécurité des élections, sur requête officielle du

gouvernement intérimaire. Après plusieurs semaines d’âpres discussions, le Conseil lance

la planification en vue d’une opération de sécurisation par l’UE du processus électoral, en

soutien de la MONUC. La France pousse alors l’Allemagne à prendre une part majeure

dans l’opération : la chancelière Angela Merkel se laisse convaincre car elle y voit une

occasion pour son pays réunifié de retrouver son rang sur la scène internationale. C’est un

tournant pour ce pays qui n’avait plus de rôle militaire de premier plan en Afrique noire

depuis 1919 (bien que les Allemands aient pratiqué la coopération dans quelques pays,

comme par exemple au Rwanda avant 1994). Immédiatement, des voix se sont élevées

parmi les alliés politiques de la chancelière comme au sein de son opposition pour émettre

Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 14

de grandes réserves sur la préparation de la force et les risques encourus par les soldats de

la Bundeswehr dans un pays inconnu d’eux. Les partis se font l’écho de l’opinion publique,

opposée à 59% à une intervention militaire. Comme la participation de la Bundeswehr à

toute opération extérieure requiert l’accord du Bundestag, le ministre de la Défense a pris

soin de faire rapidement définir la durée et la géographie de la mission ainsi que le volume

de la force projetée. Ayant finalement surmonté les réticences du Parlement43

et du

commandement, le gouvernement accepte de contribuer à l’EUFOR en tant que ‘nation-

cadre’, ainsi que l’indique, le 25 avril 2006, la résolution 1671 du Conseil de sécurité

(adoptée à l’unanimité en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies). Elle

autorise l’opération de l’UE pour la période électorale44

après accord des autorités de la

RDC.45

Puis, le 27 avril, le Conseil de l’UE définit l’opération EUFOR RD Congo à

laquelle seul le Danemark refuse de participer tant pour l’élaboration que pour la mise en

œuvre (article 12).46

Dans la continuité du référendum constitutionnel du 18 décembre

2005, le processus électoral de la RDC est totalement pris en main par l’ONU pour ce qui

est des décisions d’engagement et (partiellement) par l’UE pour la mise en œuvre. L’Union

Africaine n’a joué aucun rôle dans cette opération de sortie de crise, et les deux institutions

n’ont quasiment pas communiqué tout au long de l’opération.

La situation au Tchad et en RCA, deux pays confrontés aux conséquences du

conflit interne au Soudan à propos du Darfour, ne suscite pas la même détermination

européenne. On a déjà évoqué les hésitations de l’UE à intervenir militairement.

Contrairement aux États-Unis, le rapport de la Commission d’information ne conclut pas à

une situation de génocide. En revanche, elle accepte de soutenir le processus politique.

L’UE menace les autorités soudanaises de sanctions si la sécurité des populations civiles

du Darfour ne s’améliorait pas dans un délai de deux mois ; elle veut leur imposer le

désarmement des milices, l’instruction de procès pour crimes de guerre, et l’aide au retour

des réfugiés. Rappelons aussi que l’absence d’intervention extérieure s’explique par le

refus du Soudan de la présence de troupes autres qu’africaines sur son territoire, fussent-

elles mandatées par l’ONU. Le gouvernement soudanais finira tout de même par y

consentir. Le 25 septembre 2007, le Conseil de sécurité de l’ONU vote à l’unanimité la

résolution 1778 autorisant le déploiement d’une présence multinationale et multi-

dimensionnelle dans l’Est du Tchad et le Nord-Est de la République Centrafricaine, pour

une durée d’un an. La France a bataillé pour vaincre les réticences des Européens et a fini

par arracher le vote de l’ONU.

43

Des députés sont venus s’assurer sur place de l’exécution de la mission et vérifier jusque dans le détail les

conditions de vie des personnels. Une pratique que les officiers français ont regardée comme de l’entrisme. 44

Résolution 1671 adoptée par le Conseil de sécurité à sa 5421e séance, le 25 avril 2006. S/RES/1671/2006.

45 Lettre du 30 mars 2006 du Représentant permanent de la RDC au Président du Conseil de sécurité

(S/2006/203). 46

Action commune 2006/319/PESC du Conseil relative à l’opération militaire de l’Union Européenne

d’appui à la mission de l’Organisation des Nations Unies en République Démocratique du Congo (MONUC)

pendant le processus électoral.

Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 15

La présence extérieure prend la forme d’une Mission des Nations Unies en RCA et

au Tchad (MINURCAT), comprenant des policiers, des officiers de liaison et des civils

dont le mandat doit contribuer à la protection des réfugiés et déplacés regroupés dans les

camps, la formation des policiers tchadiens sélectionnés pour la protection humanitaire

(PTPH) et la promotion des droits de l’Homme et d’une présence militaire de l’UE en

soutien de l’action de l’ONU : l’EUFOR. Cette force déployée sous mandat de l’ONU à

l’Est du Tchad et au Nord-Est de la RCA, au titre du chapitre VII de la Charte des Nations

Unies, est autorisée à faire usage de la force.

La lutte contre la piraterie en haute mer, au large de la Somalie, s’appuie sur la

convention internationale de Genève de 1958. Elle définit l’espace maritime en trois sous-

espaces : les eaux territoriales et la zone contiguë, le plateau continental et la haute-mer. La

codification du concept de piraterie dans la convention des Nations Unies de Montego Bay

du 10 décembre 1982 sur le droit de la mer, réaffirmé à Johannesburg en 2002, la

complète. Dans son article 100, la convention définit la piraterie et énonce l’obligation

pour les États de coopérer “dans la mesure du possible à la répression de la piraterie en

haute mer et en tout autre lieu ne relevant de la juridiction d’aucun État”. Elle permet

d’utiliser la force au titre du droit de poursuite. Dès 2005, l’organisation maritime

internationale (OMI), institution spécialisée de l’ONU, attira l’attention du Conseil de

sécurité sur la recrudescence des actes de piraterie dans la région. Malgré les réticences des

États-Unis considérant qu’il revient aux compagnies maritimes de protéger leurs bateaux

face à des formes nouvelles de violence, le Conseil répondit en 2008, en se référant au

chapitre VII de la charte, par six résolutions : 1814,47

1816 et 1846,48

1838,49

185150

et

1858.51

Une autre base légale est fournie à l’UE par le Traité de l’UE (TUE), modifié par

le Traité de Lisbonne. Son article 28 précise que “lorsqu’une situation internationale exige

une action opérationnelle de l’Union, le Conseil adopte les décisions nécessaires”. Son

article 38, à propos du COPS, énonce que le Conseil peut l’autoriser “aux fins d’une

opération de gestion de crise et pour la durée de celle-ci…à prendre les décisions

47

Assurer la protection des convois du Programme alimentaire mondial (PAM). 48

Elles autorisent les États coopérant avec le gouvernement somalien de transition à entrer dans ses eaux

territoriales pour une période de six mois puis de douze mois afin de réprimer les actes de piraterie, de

manière conforme au droit international, en utilisant tous les moyens nécessaires. 49

Elle est prise le 7 octobre 2008, à l’initiative de la France et avec l’appui de dix-neuf États, afin de donner

les moyens à la communauté internationale pour réagir face à la piraterie en déployant des navires de guerre

et des aéronefs militaires. 50

Elle invite les États et les organisations internationales à conclure des accords avec les pays disposés à

prendre en charge les pirates pour jugement. 51

Rétablir l’État somalien. Depuis 2005, l’UE a accordé 87 millions d’euros au titre de l’aide humanitaire et

prévoit d’en octroyer 215 millions au titre de l’aide au développement pour la période 2008-2013. Depuis

2006, une force de l’UA, la Mission de l’ONU pour le maintien de la paix en Somalie (Amisom) composée

de contingents burundais et ougandais d’environ 5 100 hommes (sur les 8 000 prévus) tente se soutenir le

fragile gouvernement d’union nationale (GUN) mis en place en janvier. L’UE lui accorde alors un soutien de

30 millions de dollars (24 millions d’euros) pour mettre sur pied des forces nationales de sécurité de 6 000

hommes et une force de police de 10 000 hommes, devant être équipées, organisées et entraînées par

l’Amisom. Celle-ci a reçu 35 millions d’euros au titre de l’aide à la sécurité et 13 millions en soutien à la

restauration de l’État de droit. En 2009, elle devait recevoir 103 millions pour l’année 2010 dont une partie

en équipements militaires. Cf. Stroobants & Rémy, 2009.

Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 16

appropriées concernant le contrôle politique et la direction stratégique de l’opération”. Si

l’article 41 se rapporte aux dépenses administratives et opérationnelles, l’article 42 sur la

PSDC assure à l’Union une capacité opérationnelle s’appuyant sur des moyens civils et

militaires fournis par les États-membres. Forte de ce large cadre juridique, l’UE saisit

l’opportunité d’affirmer sa capacité à être un acteur sur la scène internationale et, après

bien des difficultés, lance une opération anti-pirate.

Le cadre juridique fixé aux niveaux international, européen et national, les rapports

bilatéraux dépassés et la caution internationale obtenue, l’UE peut passer à l’opérationnel

et engager une politique sécuritaire. Les formes militaires revêtent plusieurs aspects, les

unes sont des opérations extérieures tandis que les autres relèvent, à divers degrés, du

soutien aux armées africaines. L’européanisation est aussi une africanisation.

Les opérations militaires européennes

Si le cas de la Côte d’Ivoire mérite d’être retenu, c’est parce qu’il constitue une

première étape vers une implication militaire européenne. Lors de cette crise, la France

supporte seule le poids de l’action militaire, car il est urgent de contrer la tentative de

fragmentation d’un pays qui incarnait la stabilité politique et la réussite économique : ne

parlait-on pas de ‘miracle ivoirien’ ? Après le coup d’État de 1999 – plutôt bien accueilli

par l’opinion – que conduit le général Robert Guei contre le successeur du Président Félix

Houphouët-Boigny, Henri Konan Bédié, la Côte d’Ivoire connaît une première de

déstabilisation sur fond de politique d’‘ivoirité’ : de discrimination entre Ivoiriens de

souche et immigrés récents ou anciens, venus de pays voisins moins prospères. L’élection

de Laurent Gbagbo, adversaire de toujours du père de l’indépendance, est contestée par

une nouvelle tentative de coup d’État plus grave que la précédente car elle risque de faire

basculer le pays dans la guerre civile. Dans un premier temps, à la demande du

gouvernement légal et en vertu de deux principes guidant sa politique africaine, la France

pare au plus pressé en intervenant, à l’automne 2002, avec l’opération Licorne. Les

rebelles des Forces Nouvelles ne cherchent pas à remettre en cause l’intégrité du territoire :

elles se sont soulevées pour réclamer une citoyenneté pleine et entière limitée par la notion

d’ivoirité. Elles contestent aussi l’autorité de l’État et les modalités de la redistribution

économique. C’est pourquoi, dans un deuxième temps, la France cherche à promouvoir

une solution politique afin de sauvegarder le pouvoir légal en obligeant les adversaires à se

rencontrer. Elle associe l’UE52

comme observateur et lui fait partager son action

diplomatique. Romano Prodi et Javier Solana entérinent les accords de Marcoussis53

en

janvier 2003. L’engagement militaire de l’UE se limite au financement de la Micéci qui

relaie les forces françaises de Licorne. C’est, pour la France, une façon d’appliquer le

troisième principe de sa politique africaine en mobilisant la communauté européenne et

internationale afin d’appuyer les médiations africaines. La Micéci, commandée par le

52

Cf. Scarbonchi, 2003. 53

Ils débouchent sur la séparation des belligérants de part et d’autre d’une ligne de confiance, et le début du

processus DDR (désarmement, démobilisation, réintégration).

Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 17

général sénégalais Fall, utilise le matériel et l’armement des dépôts RECAMP.54

La

Belgique et la Grande-Bretagne contribuent à cet équipement au profit des Béninois et des

Ghanéens. Sans entrer dans le détail de la mission, à compter du début de l’année 2004 et

après coordination, l’UE55

finance une force armée interafricaine assistée et soutenue au

plan opérationnel par la force Licorne. Par cette implication financière, les Européens

permettent la stabilisation de la situation militaire. Ce dispositif n’a pas empêché la Côte

d’Ivoire de s’enliser dans un imbroglio politique qui aboutit, à l’automne 2010, à un

processus électoral accepté par toutes les parties, mais qui donnera lieu au dénouement

tragique qu’on sait en 2011.

L’opération Artémis

Dans le même temps, au cours de l’été 2003, l’UE intervient en Ituri, en RDC, dans

le cadre de l’opération Artémis. Cette opération inaugure et initie la première intervention

militaire directe de l’Europe en Afrique conduite sous la haute surveillance des instances

européennes concernées.

La France, la plus engagée, prend la fonction de ‘nation-cadre’ car les forces et les

états-majors sont dispersés sur plusieurs sites. À Paris, au Mont-Valérien, un état-major

multinational (OHQ) en liaison permanente avec le Secrétaire général de l’UE, placé sous

les ordres du général de division Bruno Neveux, commande l’opération. Une base avancée

est installée en Ouganda, sur l’aéroport d’Entebbe. Elle assure l’accueil de l’état-major de

force et celui de la base de soutien commandée par le colonel Koehl. L’ensemble

interarmes se compose de moyens de commandement, d’un groupe de transmission,

d’avions de chasse et de transport, d’hélicoptères de transport, d’éléments du train

parachutiste, de soutien et d’un hôpital de campagne.

Les forces de l’UE s’élèvent à environ 2 000 hommes dont 1 400 sont déployés en

Ituri, à Bunia, où se trouve la position avancée à partir de laquelle le général de brigade

Jean-Paul Thonier les commande tactiquement. Elles comprennent un groupement des

forces spéciales françaises,56

renforcé par des forces spéciales suédoises et un groupement

tactique interarmes (GTI).57

Les aéroports de N’Djamena et de Libreville servent de base

aux avions de chasse et de transport français. Dans cette opération, les pays ayant participé

à des titres divers ou ayant envoyé des forces sont l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique,

Chypre, l’Espagne, la Grèce, la Hollande, la Hongrie, l’Irlande, l’Italie, le Portugal, le

Royaume-Uni et la Suède (qui, en projetant des forces de combat, a quelque peu rompu

avec sa culture de neutralité). Des pays non européens se sont associés, tels l’Afrique du

Sud, le Brésil et le Canada.

54

Renforcement des capacités africaines de maintien de la paix. 55

L’UE obtient la contribution du Royaume-Uni et des États-Unis. 56

Elles proviennent du 1er

RPIMa, des commandos de marine, des commandos de l’air et du 6e BIMa.

57 Ce sont des personnels de l’Infanterie de marine et du BIMa ; des hussards parachutistes ; de l’artillerie et

de l’artillerie parachutiste ; du génie, du génie parachutiste et du génie de l’air ; des hélicoptères et une

antenne chirurgicale aéroportée.

Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 18

Bien que cette opération soit menée par un effectif réduit (environ 2 000 hommes)

pour une opération qualifiée de basse intensité comme le furent toutes les interventions

françaises durant la Guerre froide, elle permet à l’UE d’acquérir des avantages au plan

tactique car c’est un test en grandeur réelle et en totale autonomie de la capacité de

projection d’une force européenne. Sur le plan de la ‘génération de forces’, elle débouche

sur la création de ‘groupements tactiques’ (ou battle groups, comportant infanterie, appuis

et soutiens), véritables forces de projection européennes58

créées au nombre d’une dizaine

en vue d’une capacité autonome de réaction rapide.59

Au plan politique, les nouveaux

instruments de la PESC/PESD ont été confrontés aux réalités de l’Afrique même si, pour

certains États-membres, la vocation de la PESD ne se situait pas en Afrique. En quelques

mois, des réticences et des verrous ont sauté et le principe d’une opération PESD en

Afrique n’est plus un tabou. L’opération Artémis est la meilleure illustration de la nouvelle

politique d’intervention militaire de l’UE, la plus aboutie au plan opérationnel et montée en

coopération avec l’ONU. Elle constitue un précédent et un modèle mettant en valeur la

plus-value indispensable d’une ‘nation-cadre’. L’importance de l’opération Artémis est

capitale dans le cadre de la gestion future des crises africaines. Pour l’UE, elle est un gage

de crédibilité et de maturité de la PESD, autant qu’une expérience fondamentale. Pour

l’Afrique, elle est une preuve de la capacité de cohérence et d’action de l’Union à son

profit.

L’opération EUFOR RDC

La seconde intervention directe en RDC n’a de sens que par rapport à l’opération

Artémis et dans la continuité d’une implication de l’UE en vue de la stabilisation de l’État

de droit. L’action militaire de l’UE complète des actions communes menées dans le cadre

de la PESD et liées à la période électorale, en vue de la reconstruction de l’État de droit.

Depuis 2004, l’UE aide les forces de police à travers EUPOL Kinshasa : une mission

destinée à créer et à conseiller une unité de police intégrée60

placée sous la direction

d’Adiloi Custodio, et comptant vingt-deux Français. Il s’agit que les policiers se

conforment aux standards démocratiques internationaux. Un défi par rapport à une force

publique mal ou pas payée et qui avait l’habitude, sous Mobutu déjà, d’utiliser son

uniforme et ses armes pour racketter la population. Depuis juin 2005, l’UE mène une

action de conseil et d’assistance technique en matière de réforme du secteur de la sécurité

avec l’EUSEC RD Congo61

sous le commandement du général Pierre Joana. Il s’agit d’un

appui technique et logistique pour moderniser le système de gestion des personnels et des

finances des forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) afin de

veiller à l’amélioration de la chaîne de paiement du ministère de la défense donc au

58

Cf. note 37. 59

Depuis 2007 et jusqu’en 2012, le rythme des alertes est planifié. Ainsi de juillet à décembre 2010, elles

sont assurées par la France et l’Italie et de janvier à juin 2011, les Pays-Bas et le Suède prendront la relève. 60

Action commune 2004/847/PESC du 9 décembre 2004, J.O. L 367 du 14.12.2004, p.30 modifiée par

l’action commune 2005/822/PESC, J.O. L 305 du 24.11.2005, p.44. 61

Action commune 2005/355/PESC du 2 mai 2005, J.O. L 112 du 3.5.2005, p.20 modifiée par l’action

commune 2005/868/PESC, J.O. L 318 du 6.12.2005, p.29.

Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 19

versement des soldes des militaires pour qu’ils se consacrent à leur mission et non plus à

couper les routes et à piller les populations. Le général Joana dispose d’une équipe de dix

‘experts’ conduite par un chef de projet et affectée auprès des états-majors des brigades

intégrées de l’armée congolaise. Là encore, dans quelle mesure une telle mission a-t-elle

des chances d’aboutir à moyen et long terme pour qui connaît les pratiques coutumières

des Africains où celui qui détient le pouvoir et l’accès aux finances, soumis à la pression

de sa famille, sa tribu et son ethnie, se doit de redistribuer ? Il peut en découler des

règlements de compte sur fond de croyances irrationnelles. Dans l’ensemble cependant,

durant la période électorale, la police et les unités de maintien de l’ordre ont tenu leur place

et agi sans excès.

Ces deux missions coopèrent étroitement avec les forces congolaises. Bien que la

mission de l’EUFOR soit strictement militaire, il existe toutefois, une coordination à tous

les niveaux (échange d’officiers de liaison, participation à des groupes de travail, actions

coordonnées sur le terrain. L’EUFOR garde son indépendance et sa liberté de mouvement

et d’action ce qui n’exclut pas des actions coordonnées mais non conjointes, chacun

gardant sa spécificité.

Le coût de la mission est tout d’abord assumé par six États-membres62

à hauteur de

900 000 euros, mais à partir de février 2006, les contributions s’élargissent au budget

communautaire et à des États tiers volontaires.

L’intervention de l’EUFOR est temporaire : elle est limitée à quatre mois à partir de

la date du premier tour des élections présidentielles. Dès le 21 juillet, les moyens militaires

de l’EUFOR furent présentés aux autorités politiques et militaires locales, aux

représentants des organisations internationales, aux médias et donc aux Congolais, de

façon à montrer la capacité des Européens à accomplir la mission de sécurisation. Cette

démonstration vise aussi à dissuader de toute surenchère ceux des leaders politiques qui

seraient tentés d’y recourir.

Au total, dix-neuf pays63

composent la force, dont la France et l’Allemagne

constituent l’ossature.64

Après l’opération en Côte d’Ivoire et Artémis, la France a trouvé là

une nouvelle occasion de partage des responsabilités avec la communauté internationale,

notamment avec l’UE, au nom d’intérêts communs. Cherchant à rompre avec les

accusations de néo-colonialisme et ne pouvant assumer seule, en personnels et en moyens

matériels et financiers, le poids de telles opérations, elle met son expertise au service de la

62

Belgique, France, Luxembourg, Pays-Bas, Royaume-Uni et Suède. 63

Allemagne (750), Autriche (2), Belgique (60), Chypre (1), Espagne (130), France (1090), Finlande (10),

Grèce (3), Irlande (2), Italie (50), Luxembourg (1), Pays-Bas (40), Pologne (130), Portugal (50), Royaume-

Uni (2), Slovaquie (1), Slovénie, Suède (50) et la Turquie (15). 64

La participation allemande mérite une remarque. Alors qu’à Artémis, elle s’était limitée à l’installation de

l’antenne chirurgicale sur l’aéroport d’Entebbe, cette fois, l’Allemagne, ‘nation-cadre’, agit comme un

membre à part entière – jusqu’à exercer une fonction opérationnelle majeure avec le commandement de

l’opération depuis Potsdam. Quant à la France, elle assure le commandement de la force sur place et fournit

le plus fort contingent avec 1090 personnels tandis que l’Allemagne vient en second avec un effectif de 750

personnels. Certains se demandent alors si la France ne perd pas son influence en Afrique en poussant

l’Allemagne à prendre le commandement de l’opération pour ne pas apparaître en première ligne.

Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 20

communauté européenne. L’heure est de toute façon venue des coalitions et des politiques

multilatérales qui renforcent l’UE.

Comme lors d’Artémis, des États tiers sont invités à prendre part à l’opération. Non

membres de l’UE, ni même candidats à l’adhésion comme la Turquie, ils ont les mêmes

droits et obligations que les États-membres de l’UE pour la gestion courante sans pouvoir,

d’aucune façon, influer sur l’autonomie décisionnelle.

Le financement de l’opération est assuré par l’UE sur le fonds attribué aux

opérations militaires, à hauteur de vingt à vingt-trois millions de dollars ce qui est assez

peu par rapport au 500 millions investis au total par l’UE en RDC.

L’organisation politico-administrative du commandement

Le commandement de l’opération est confié à un général aviateur allemand, le

lieutenant-général Karlheinz Viereck, à partir de l’état-major stratégique, à Potsdam.65

Il

comprend 132 militaires originaires des dix-neuf pays et de Turquie mais l’essentiel des

personnels est allemand. Il a autorité sur l’état-major opératif (Force Headquarters : FHQ),

mis sur pied par l'état-major interarmées de force et d’entraînement (EMIA-FE).66

Installé

à Kinshasa, le commandement opérationnel de la force revient au général de division

Christian Damay, qui pour lever toute ambiguïté déclare en arrivant à Kinshasa, le 13

juillet : “Je suis un général européen”. Les deux officiers appartiennent à la génération née

après la Seconde Guerre mondiale, dont la formation initiale et les débuts de la carrière se

sont déroulés durant la Guerre froide. Ils sont parvenus au généralat au début des années

2000 dans un contexte de forte tension internationale et d’accroissement des interventions

extérieures européennes. Ils sont complémentaires, car l’Allemand représente la dimension

aérienne seule capable de projeter la force et le Français, la dimension terrestre de

l’opération. Le premier est rompu à l’international car sa carrière l’a conduit aux États-

Unis et au Danemark tandis que le second a acquis une expérience opérationnelle en

commandant, dès le niveau de chef de section, des unités parachutistes, fer de lance des

forces de projection.

La direction militaire dépend du comité militaire de l’UE (CMUE) qui suit

l’exécution de l’opération. Mais l’ensemble du commandement militaire est placé sous le

contrôle du pouvoir politique en vertu du principe de la subordination la force armée. Le

contrôle politique et la direction stratégique (plan d’opération, chaîne de commandement et

règles d’engagement) sont assurés par le comité politique et de sécurité (COPS), à

65

Cet OHQ, situé à l’état-major d’opérations de la Bundeswehr, est l’un des cinq quartiers généraux créés au

titre de la PESD. 66

Sa création sur la base aérienne (BA) 110 de Creil, le 1er septembre 2002, pour succéder à l'état-major

interarmées de planification opérationnelle (EMIA PO), s'inscrit dans le cadre de la réorganisation de la

chaîne des opérations. Elle contribue à doter la France d'une capacité de commandement susceptible d'être

mise en œuvre au profit de l'UE. Il relève directement du Chef d'état-major des armées (CEMA) par

l'intermédiaire du sous-chef ‘Opérations’ de l'État-major des armées (EMA). Le personnel interarmées de

l’état-major opératif (FHQ) provenant des pays participant à l’opération y a reçu un entraînement avant sa

projection à travers une série de stages visant à mettre à jour les connaissances, les particularismes du théâtre

et la découverte du système d’information de commandement des armées.

Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 21

Bruxelles, sous la responsabilité du Conseil qui détient le pouvoir de décision concernant

les objectifs. Le COPS sert d’intermédiaire entre le Conseil et les commandants militaires.

Les états-majors de l’UE sont aussi en relation avec les Nations Unies : Secrétaire

général, Département des opérations de maintien de la paix (DOMP), MONUC, chefs de

missions EUPOL et EUSEC, autorités politiques et militaires de la RDC.

L’organisation des forces

Conçus comme des groupements tactiques interarmes dont les effectifs ne

dépassent pas 2 000 hommes, les éléments de la force sont articulés en trois échelons et

composés de troupes professionnelles, renforcées par quelques réservistes et quelques

civils mis sous l’uniforme pour l’occasion (financiers, juristes).

L’élément avancé de l’EUFOR, soit 1 200 personnels, est déployé dans la capitale

Kinshasa, au Nord-Ouest dans la région de l’Équateur67

et au Sud, au Kasaï car la

MONUC a émis le souhait de concentrer ses moyens sur l’Est et le Nord-Est de la RDC

(provinces du Kivu et de l’Ituri) où elle est bien implantée. Cela aboutit à un partage du

territoire entre les deux organisations qui ne sont pas complémentaires mais ont

l’exclusivité sur leur zone respective. L’essentiel de la force, état-major opératif de 166

personnels de 19 nationalités compris, est installé sur l’aéroport militaire de Ndolo, dans

les faubourgs de la ville. Le reste des troupes stationne sur l’aéroport international de

N’Djili : objectif stratégique majeur, situé à une vingtaine de kilomètres de la capitale.

Cette force de dissuasion se compose d’une palette diversifiée de moyens. De

troupes de combat – une unité espagnole de réaction rapide, équipée de Hummers (Jeeps

blindées), et capable d’intervenir sur court préavis sur Kinshasa ; d’éléments de soutien,

nécessaires à la vie courante de la force, dont une unité médicale de soins et d’évacuation ;

de détachements de renseignement et de transmissions. Une compagnie de police militaire

polonaise est chargée de la sécurité des installations. Les Belges disposent d’une unité de

drones envoyés à l’avant des patrouilles à pied pour les renseigner, et les Allemands

fournissent des moyens Air avec trois hélicoptères de transport CH53.

Des éléments constituant une force en attente et en alerte (On-call forces), soit

environ 1 300 militaires, sont tenus en réserve en dehors de la RDC. Ces éléments dits ‘au-

delà de l’horizon’ sont cantonnés au Gabon, à Libreville et à Port-Gentil, où la France

dispose des deux bases du 6e BIMa. Autour du PC arrière de la force, à vocation

essentiellement logistique, sont stationnés des éléments68

projetables rapidement grâce à

une composante aérienne de transport tactique multinational. Au troisième rang se trouve

une réserve stratégique de 1 500 hommes restée en France. Cet ensemble complète les

forces de la MONUC, commandées par le général sénégalais Babacar Gaye, lequel dispose

d’un peu plus de 17 000 Casques bleus.

67

Cette région est le fief de Jean-Pierre Bamaba, vice-président de la RDC et candidat à la présidence. 68

Un bataillon français à 2 compagnies issu du 8e régiment parachutiste d’infanterie de marine (8

e RPIMa) ;

une task force allemande avec une compagnie sur véhicules protégés, un élément multinational de forces

spéciales de 250 hommes (Français, Suédois et Portugais) doté de ses propres moyens de projection; un

élément de soutien comprenant un détachement Air ; des moyens de transmission ; de la logistique et une

unité médicale.

Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 22

L’accomplissement de la mission

La mission tient dans les cinq points de l’article 8 de la résolution 1671 : apporter

son soutien à la MONUC, contribuer à la protection des civils exposés à la menace

imminente de violences physiques, contribuer à la protection de l’aéroport à Kinshasa,

assurer la sécurité et la liberté de mouvement du personnel et la protection des installations

de l’EUFOR et effectuer des opérations de caractère limité afin d’extraire des individus en

danger. Pour cela, la force a la capacité de mener des actions sur différents points du

territoire sauf dans les provinces de l’Est du ressort des seules forces de la MONUC.

Lors de la mission, il faut distinguer deux aspects : tout d’abord, la place et la

fonction du dispositif militaire pendant le processus électoral puis son rôle pendant et après

le dépouillement.

Déployée dès le 13 juillet, la force a permis aux citoyens de la RDC de voter le 30

juillet, lors du premier tour, sans obstruction majeure. Comme les troupes de la MONUC,

celles de l’EUFOR ont été mises en état d’alerte maximale lors de l’annonce provisoire des

résultats le 21 août. Immédiatement, les forces des deux candidats restés en lice pour le

second tour – la garde présidentielle du Président Joseph Kabila (environ 12 000 hommes)

et la milice du Vice-Président Jean-Pierre Bemba (environ un millier d’hommes) – ont

échangé des tirs. Ce fut le cas, par exemple, lors d’une réunion du comité international

d’accompagnement de la transition (CIAT) au domicile de Bemba, arrivé en seconde

position, où des chars de la garde présidentielle ont encerclé et tiré sur sa résidence. À la

demande des Nations Unies, l’EUFOR a déployé la compagnie d’intervention rapide

espagnole renforcée d’éléments polonais et français (150 hommes), appuyés d’une dizaine

de blindés légers, en soutien à une compagnie de la MONUC pour faire cesser les tirs,

sécuriser la zone et extraire les quatorze ambassadeurs venus négocier. La manœuvre a été

menée conjointement par les généraux Damay et Gaye. L’EUFOR a sécurisé l’itinéraire du

Boulevard du 30 juin, la principale artère de Kinshasa ; les renforts se sont interposés entre

les belligérants, et les Casques bleus ont exfiltré les diplomates. Dans différents quartiers

de la capitale, les affrontements violents à la mitrailleuse lourde et à la Kalachnikov ont

duré trois jours, allumé des incendies et fait des victimes. Dans le même temps, l’EUFOR

transférait des renforts du Gabon (une cinquantaine de Français, Portugais et Suédois des

forces spéciales et 180 soldats allemands et néerlandais appuyés par trois hélicoptères).

Force à vocation dissuasive, l’EUFOR n’a pas eu besoin d’ouvrir le feu, ce qu’elle était

autorisée à faire.69

Cette fois, la stricte discipline de feu des soldats espagnols et l’arrivée

des blindés ont suffi à faire cesser les combats et évité l’échec du processus électoral. Sous

la pression armée de l’ONU et de l’UE, de l’action diplomatique et des appels de la

communauté internationale, les protagonistes ont choisi la voie de la raison politique ; ils

ont signé un accord, ordonné à leurs troupes de rentrer dans leurs cantonnements alors que

les troubles menaçaient de gagner les communes populaires de la capitale.

69

Les Rules of Engagement (RoE) définissent précisément comment et dans quelles circonstances, les soldats

peuvent faire usage de leurs armes.

Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 23

Dès lors, suite à l’accord signé le 23 septembre, des patrouilles composées

d’éléments de la police nationale, de la police militaire des FARDC, d’une unité le

maintien de l’ordre de la MONUC, de la brigade de la MONUC et d’éléments de l’EUPOL

ont patrouillé en ville pour empêcher tout risque d’affrontements armés, interdire toute

circulation irrégulière d’hommes armés et contrôler tout individu se déplaçant avec une

arme. L’EUFOR était en mesure d’intervenir à leur profit.

Le second tour s’est déroulé le 29 octobre dans des conditions acceptables malgré

des irrégularités. Dès la proclamation provisoire des résultats, le 11 novembre, dans la

région de l’Équateur, des heurts ont éclaté entre partisans des deux candidats, provoquant

la fuite de civils au Congo-Brazzaville voisin. À Kinshasa, les partisans de Bemba ont

organisé une manifestation qui a dégénéré en attaque de la Cour suprême de justice,

dégagée par des blindés de la MONUC avec le soutien de l’EUFOR. Le 28 novembre,

Bemba, objet de pressions, a fini par reconnaître la victoire officielle de Kabila. Ses

interlocuteurs lui ont montré l’avantage de faire désormais figure de chef de l’opposition.

Sa milice a évacué les abords de sa résidence, laissant la place à des Casques bleus. Une

autre partie a commencé à se retirer de Kinshasa vers Maluku, à 80 km car le président élu

avait donné un ultimatum de deux jours à la MONUC pour en débarrasser la ville. Kabila

voulait que la MONUC procède au désarmement des miliciens de Bemba ce qui ne figure

pas dans son mandat. Par ailleurs, il est difficile de savoir si les miliciens ont véritablement

quitté la ville car il est toujours possible qu’ils se diluent dans la population, en tenue

civile.

Le dispositif de l’EUFOR a été peu à peu démonté puisque la fin du mandat était

prévue pour le 30 novembre. Cependant, quelque 300 soldats sont restés à Kinshasa

jusqu’aux environs du 15 décembre et d’autres jusqu’en janvier 2007. Dans l’ensemble, le

calendrier de la mission a été tenu.

En revanche, dans l’attente des résultats du premier tour prévus fin août, la force

autorisée à se déployer dans la zone de responsabilité de l’EUFOR, a conduit, durant dix

jours, l’Opération 21 : un exercice à Kananga (Kasaï occidental) et mené des

reconnaissances à Mbandaka (Équateur), Lubumbashi (Katanga), Boma (Bas Congo) afin

de vérifier l’état des infrastructures locales, en cas d’intervention aéroportée, et de

rencontrer les notables et la population. Cela a aussi permis de confirmer les procédures

opérationnelles dans le domaine tactique, et des télécommunications

Durant toute l’opération, la mission militaire de l’EUFOR s’est accompagnée d’un

volet d’actions de type civilo-militaire de soutien à la population. Ces actions étaient soit

nationales (pour le financement) mais s’appuyant sur des moyens EUFOR (transport,

manutention…), soit purement européennes financées par la Commission européenne et

réalisées avec le label EUFOR. Ce furent, par exemple, des réfections d’écoles (remise en

peinture, réparation de toits et murs, livraisons de bancs, pupitres, matériels scolaires), de

routes, construction d’un abri de 100 m à la gare centrale, consultations gratuites des

médecins dans les dispensaires, livraison de médicaments, de lits d’hôpital, de vêtements,

de jouets... Ces actions extramilitaires extrêmement utiles, en externe, pour faire accepter

Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 24

les soldats de la force par la population, le furent aussi, en interne, pour impliquer les

soldats dans des actions sociales valorisantes, leur apprendre à connaître les populations

voire recueillir du renseignement et combler les temps morts.

Les forces stationnées au Gabon, habilitées à intervenir dans toute la zone d’action

d’EUFOR, ont effectué des rotations régulières de quinze jours entre Libreville et Kinshasa

par demi compagnie, de façon à permettre à tous les éléments de s’accoutumer à la zone du

théâtre, avec mission, dans le cas des Français, d’assurer la sécurité de l’aéroport de

N’Djili, de patrouiller en ville et dans les quartiers populaires. Le reste du temps, elles

s’entraînaient à intervenir en RDC en réalisant des exercices entre bataillons parachutistes,

forces spéciales et composante aérienne. À Port-Gentil, elles ont profité des structures de

l’école de jungle.

Une fois achevée, il fut immédiatement possible de tirer quelques conclusions de la

deuxième opération militaire autonome de l’UE menée en Afrique. Du point de vue de la

méthode, le processus décisionnel est rodé. Les Nations Unies demandent assistance à

l’UE pour une mission limitée dans sa géographie et temporaire afin d’éviter tout

engluement et surcoût. Une ‘nation-cadre’ conduit l’opération ouverte à d’autres pays. Le

processus capacitaire s’est affirmé, l’UE a amélioré sa logistique de projection et son

organisation opérationnelle. À remarquer aussi la mixité de la mission où, le fusil posé, le

soldat européen devient bâtisseur au profit des populations locales alors que la présence

des soldats nationaux est synonyme pour elles de calamités.

Par rapport à Artémis, même si l’on peut à nouveau noter l’absence des

Britanniques, le nombre de pays participants s’est accru car, en 2004, dix nouveaux

membres sont entrés dans l’UE. La Belgique, ex-puissance coloniale, a faiblement

contribué, sans perte d’influence car elle reste très présente diplomatiquement. La réticence

allemande s’est amoindrie, et l’Allemagne s’impose comme acteur militaire à part entière.

Au niveau institutionnel, la concurrence ‘inter-piliers’ entre le Conseil et la Commission ne

semble pas avoir joué. Cette opération a conforté le multilatéralisme de l’UE comme

fondement de sa stratégie de sécurité et la mise en œuvre de groupements tactiques

interarmées. Un intérêt collectif a émergé, la coopération opérationnelle UE-ONU s’est

affirmée. Bien que limitée à un soutien des Nations Unies, cette opération de grande

urgence constitue une étape importante dans le développement de la synergie entre les

deux organisations. Autant de façons de diminuer les faiblesses diplomatiques de l’UE

malgré le blocage constitutionnel suite au vote négatif des Français et Hollandais de 2005.

Le succès militaire de l’opération ne signifie toutefois pas la fin des difficultés de la RDC :

le pouvoir légitime reste confronté à une déstabilisation dans l’Est, que tente de contenir

l’armée régulière épaulée par la MONUC.

L’opération EUFOR Tchad-RCA

L’opération qui se déploie à l’Est du Tchad et au Nord-Est de la Centrafrique est la

cinquième menée par l’UE. L’organisation testée lors des opérations précédentes est

rééditée à la suite du Conseil du 15 octobre 2007. À sa demande, la France active son état-

major stratégique, au Mont Valérien, à partir duquel le général de corps d’armée irlandais

Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 25

Patrick Nash, lui aussi nommé par le Conseil, planifie et commande toute l’opération. Il

prend ses fonctions dès le 15 octobre, entouré de 130 personnels provenant de dix huit pays

européens. Le Conseil nomme ensuite le général français Jean-Philippe Ganascia afin de le

seconder et de commander la force, sur place, à partir de son état-major opératif. Leur

nomination entérinée, les deux généraux rencontrent, dès le 21 octobre, à N’Djamena, les

hautes autorités tchadiennes, dont le Chef d’état-major particulier du Président Idriss Deby

Itno et son conseiller diplomatique. Après avoir rappelé la nature spécifique d’un mandat

qui exclut toute intervention dans les affaires intérieures des États concernés,70

ils

effectuent une mission de reconnaissance dans l’est du Tchad, avant de rallier le Nord-Est

de la Centrafrique et Bangui où ils s’entretiennent avec les autorités politiques.

Quant à la composition du contingent, prévue à hauteur de 4 000 à 4 300 hommes,

elle est arrêtée à l’issue de la conférence de génération de force où les pays participant à

l’opération, dont la France, déterminent leur contribution en quantité et qualité. Il est prévu

que les premiers éléments arrivent très vite pour un mandat d’une durée d’un an à compter

de novembre 2007. Il s’agit pour eux de dissuader, “en harmonie avec les pays hôtes”, tout

débordement pour “aider les populations déplacées à retrouver un sentiment de sécurité et

regagner leurs villages”.71

Le général Nash souligne qu’il ne revient pas à l'EUFOR de

contrôler la frontière du Tchad et de la RCA avec le Soudan.

Cette restriction explique, en partie, l’audacieuse offensive du début février 2008

sur N’Djamena, en provenance du Soudan, qui suit celle de 2006. Cette fois, les forces

rebelles, commandées par Timan Erdimi et Mahamat Nouri, deux figures de la rébellion,

sont fortes de 3 à 4 000 hommes transportés par environ 300 pick-ups. Cette nouvelle

offensive est arrêtée in extremis par le dernier carré des fidèles du Président Déby qui a

70

Cette précision renvoie au contexte particulier qui entoure préparation du déploiement. Ce contexte est

marqué par l’affaire de l’Arche de Zoé, association qui s’est donné pour but d’emmener en France, dans des

familles d’accueil, en vue ou non d’une adoption, des enfants du Darfour considérés comme orphelins. La

controverse née autour de cette ‘opération humanitaire’ menée sans réelle transparence embarrasse les

militaires français qui ont soutenu, sur place, les responsables de l’association, sans avoir bien vérifié quels

étaient les buts et les méthodes de leur entreprise. Très habilement, le Président Idriss Déby Itno, contesté

dans son pays, se montre réservé et utilise l’affaire politiquement en faisant monter les enchères car son

accord et son soutien sont indispensables à la mise en œuvre de l’opération de sécurisation et

d’acheminement de l’aide humanitaire aux populations déstabilisées. Le Président Sarkozy et son ministre

des Affaires Étrangères, Bernard Kouchner, se mobilisent pour faire accepter au président tchadien le

nécessaire déploiement militaire européen. Le succès de l’opération constitue un enjeu majeur pour l’armée

française présente dans ce pays jugé stratégique. Un peu plus d’un millier de militaires y séjournent en

permanence depuis 1986 entre la base de N’Djamena, dite “Sergent-chef Adji Kosseï”, le camp Croci

d’Abéché et celui de Faya-Largeau. Pour l’état-major, N’Djamena offre une position centrale bien mieux

adaptée aux opérations militaires dans la région subsaharienne que les bases de Djibouti et du Gabon. Les six

avions de chasse, les trois avions de transport et le ravitailleur, parqués dans la capitale tchadienne, sont

toujours prêts à décoller pour des missions aussi discrètes que variées : surveillance de la frontière Soudan-

Tchad, envois de commandos lors des récentes attaques de rebelles en République Centrafricaine, appuis aux

forces africaines et onusiennes dépêchées en République démocratique du Congo. En novembre 2007, le

général Abrial, Chef d’état-major de l’armée de l’Air, confie à quelques parlementaires que cette base permet

d’offrir à la France une “capacité inégalable de rayonnement” dans la région. Finalement, le Président Déby

assure que l’affaire de l'Arche de Zoé ne remet pas en cause le déploiement de l'EUFOR. 71

À cette occasion, le ministre des Affaires Étrangères, B. Kouchner, rappelle que la mission de l'EUFOR

est, dans sa conception même, à l'opposé de celle, clandestine, de l'Arche de Zoé. À ce moment, six membres

de l’association sont retenus à la prison de N’Djamena.

Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 26

refusé l’offre d’exfiltration française, préférant mourir en combattant plutôt qu’en exil. La

communauté internationale, que ce soit le Conseil de sécurité ou l’UA, le soutient et tente

de réagir quand la France ne peut rester dans l’expectative. Dans un premier temps, le

Président Sarkozy (qui, depuis ses déclarations de 2007, ne veut plus que la France

apparaisse comme le ‘gendarme de l’Afrique’) choisit de s’en tenir à l’application stricte

de l’accord de coopération bilatérale de 1976 et au cadre tracé en 2006. Toutefois, il ne

peut pas non plus lâcher un régime ami,72

et cherche à obtenir une caution internationale à

l’ONU pour légitimer une intervention armée. Le 4 février, le Conseil de sécurité, à

l’unanimité, donne le feu vert à une éventuelle intervention. La déclaration constitue une

base juridique suffisante, mais quelques ambiguïtés poussent la France à impliquer la

Libye.73

Le niveau de l’aide apporté par la France ne doit pas entacher la neutralité de

l’EUFOR dont elle dirige le déploiement.

Avec retard, à partir de mars 2008, la force européenne finit par être disposée sur

une zone d’opérations qui s’étend sur environ 400 000 km2 aux marges frontalières, là où

sont regroupés, selon l’ONU, environ 400 000 personnes, soit quelque 236 000 réfugiés de

la région soudanaise du Darfour et 173 000 déplacés tchadiens, échoués dans des camps de

fortune. Le Sud tchadien accueille en outre quelque 45 000 réfugiés centrafricains. La

force compte finalement 3 700 soldats, appartenant tous à des troupes professionnelles bien

entraînées provenant d'une vingtaine de pays. Parmi les plus gros pays contributeurs

figurent la France, l’Irlande et la Pologne. Les effectifs sont répartis entre plusieurs bases

(au Tchad, Iriba au nord, Forchana et Goz Beida au centre et, en RCA, Birao au sud). À

l’ouest du dispositif, Abéché héberge l’état-major de l’EUFOR, au camp des Étoiles,

construit pour la circonstance. À l’arrière, N’Djamena héberge la base logistique soutenue

par le dispositif Épervier. Une réserve stratégique est mobilisée en Europe.

La mission doit relever deux autres défis, d’une part celui lié aux difficultés

logistiques dans les régions très étendues de l'Est du Tchad et du Nord-Est de la RCA,

d’autre part le budget, estimé à hauteur de 100 millions d'euros mais dont le général Nash

précise, dès le début, que les chiffres définitifs seront réévalués, faisant de l'EUFOR

Tchad-RCA “une mission coûteuse”.

Parallèlement à l’EUFOR s’est constituée, au titre de la résolution 1778 du 25

septembre 2007, la mission des Nations Unies pour la République centrafricaine et le

Tchad (MINURCAT), mission internationale dirigée par une entité civile politique. Cette

force hybride se compose d’abord de deux piliers. Le premier est humanitaire et comprend

des éléments du Haut Commissariat aux Réfugiés (UNHCR) et du Bureau de la

coordination des affaires humanitaires (OCHA) ; le second (Détachement intégré de

72

À ce titre, la France fournit des munitions achetées à l’extérieur et non prélevées sur ses propres stocks.

Elle apporte un soutien tactique par les conseils de deux officiers de la coopération militaire. La seule

intervention directe est celle des militaires d’Épervier, le 2 février, pour empêcher les assaillants de

s’emparer de l’aéroport et le sanctuariser afin de commencer, entre autres, l’évacuation des ressortissants

étrangers. Les forces françaises ont évacué sur Libreville 1 439 personnes de 76 nationalités et 958 de 37

nationalités directement sur Paris. 73

M. Kadhafi souhaite contrecarrer les ambitions régionales soudanaises ; il fournit des munitions entre

autres pour les chars.

Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 27

sécurité : DIS) est policier, et est chargé de former des policiers tchadiens afin d’assurer la

sécurité dans les camps de réfugiés et de déplacés. Hormis la protection des populations

civiles, la mission doit contribuer à la promotion des droits de l’Homme, de l’État de droit

et de la paix régionale.

Par la résolution 1861 du 14 janvier 2009, l’ONU prend le relais des troupes

européennes à la fin de leur mandat et, à partir de mars 2009, la MINURCAT hérite d’un

troisième pilier, militaire celui-là, voué au maintien d’un ‘parapluie sécuritaire’. Cette

force multinationale de 2 800 Casques bleus comprend des contingents norvégiens,

ghanéens et togolais. L’ensemble est placé sous les ordres du général de division

sénégalais Mouhamadou Kandji. La phase de transition de l’EUFOR vers la MINURCAT

fut planifiée, dès le mois de janvier 2009, par le colonel Besnard et le transfert d’autorité

s’est effectué comme prévu le 15 mars 2009, pour un mandat d’un an. Afin de soutenir

cette force, un contingent de 800 militaires de l’EUFOR est maintenu sur place, troquant

temporairement le béret européen pour le béret bleu de l’ONU. Parmi eux, des Polonais,

des Irlandais restés dans les deux bases d’Iriba et de Goz Beida, et 300 Français. Dès le

début de la mission de l’EUFOR, les Français ont assuré la logistique avec un bataillon

logistique (Batlog) de 450 hommes devenu, au sein de la MINURCAT, détachement

logistique (Detlog) avec un effectif réduit à 250, assuré par des relèves. Dans les deux cas,

la mission logistique a consisté à fournir le soutien et l’appui aux trois bases avancées,

ravitaillées par voie terrestre, à entretenir leurs terrains restés sommaires mais aussi à

fabriquer du pain et à livrer de l’eau. Le général Kandji peut toujours compter sur le

soutien de la base de N’Djamena.74

La MINURCAT, critiquée pour son mandat jugé trop restrictif faute d’avoir reçu un

rôle dans le processus de paix régional, a commencé son retrait comme prévu dès le 15

mars 2010. La résolution 1923 du 25 mai 2010 révisera son mandat, lui enjoignant de

coopérer avec le gouvernement tchadien, de consolider les progrès réalisés en vue de la

stabilité après son départ, prévu le 31 décembre 2010.75

Si un premier bilan de l’action de l’EUFOR et de la MINURCAT est jugé très

mitigé, d’autres tel que celui que dresse Fabienne Hara, directrice adjointe d’International

Crisis Group, ONG anglo-saxonne, le pensent plutôt positif : ces deux opérations ont

protégé le gouvernement tchadien des velléités déstabilisatrices soudanaises. La

réconciliation scellée et la défense tchadienne réorganisée, le Président Déby s’affranchit

d’un soutien international que Paris juge encore nécessaire.76

Atalante et la lutte contre la piraterie somalienne

La série d’opérations terrestres directement conduites par l’UE se diversifie

lorsqu’au large de la Somalie et du golfe d’Aden pointe une nouvelle menace : la piraterie.

74

Armées d’aujourd’hui, n° 344, octobre 2009 et n° 347, février 2010. 75

Le mandat aurait pu être renouvelé pour une nouvelle année : les actes de banditisme n’ont cessé de se

multiplier dans l’Est ; ils sont souvent le fait de soldats tchadiens identifiables à leur uniforme. Mais, le

Tchad et le Soudan ayant signé un accord, le 19 janvier 2010, le Président Déby en a refusé le principe. 76

Cf. Bernard & Rémy, 2010.

Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 28

Les contre-mesures européennes lancées au large de la Somalie visent, dans le respect des

textes et pour une durée limitée à un an, à dissuader, prévenir, réprimer les attaques,

protéger les navires marchands, escorter ceux du PAM, en un mot, à surveiller cette zone

maritime stratégique de l’océan Indien. Elle se déroule en deux étapes.

La France et l’Espagne émettent d’entrée l’idée d’une opération qui ne remporte

pas l’adhésion unanime des 27 et particulièrement de la Grande-Bretagne et de l’Italie,

favorables à une action de l’OTAN. Dès lors, l’UE et l’OTAN préparent, chacune de leur

côté, une opération pendant que s’élaborent les résolutions du Conseil de sécurité. En mai

2008, le Conseil des ministres des Affaires Étrangères et de la Défense de l’UE s’accorde

sur le principe d’une opération qui bute sur une question de procédures d’arrestation et de

transfert des pirates. En août, alors que la décision est adoptée, le conflit géorgien relègue

la question au second plan des préoccupations européennes. Finalement, le 15 septembre,

les objectifs sont reconsidérés. La décision est prise de limiter l’action à la création d’une

cellule de coordination : l’UENAVCO, basée à Bruxelles, afin de soutenir les actions,

menées à partir de Djibouti, de surveillance et de protection des navires vulnérables.

Dans un second temps, face à la multiplication des actes de piraterie77

et sous la

pression des armateurs britanniques, italiens et allemands,78

d’assureurs (Lloyd’s), mais

encore du gouvernement égyptien,79

la France (qui assure la présidence tournante de l’UE

depuis juillet 2008) lance l’idée d’une opération qui, après accord des 27 ministres de la

Défense, prend le relais de l’UENAVCO. La décision est entérinée, à Bruxelles, le 10

novembre. Atalante, la première opération navale de l’UE, peut commencer dès décembre

2008. La résolution 1897, relevant l’extension du champ d’action des pirates, permet de

proroger l’opération pour une période d’un an jusqu’en décembre 2009. Atalante dispose

d’une force aéronavale, l’EUROMARFOR,80

comprenant des éléments de la Marine, des

avions et des hélicoptères de l’aéronavale, sans compter les commandos de marine et le

commando Hubert dépendant du centre des opérations spéciales (COS). Cette task force

préfigure une police des mers. La France, l’Espagne et le Danemark sont rejoints par

l’Allemagne, la Belgique, Chypre, la Grande-Bretagne, la Grèce, l’Italie, la Lituanie, le

Portugal et la Suède. Le commandement est assuré par le vice-amiral britannique, Peter

Hudson, à partir d’un quartier général (OHQ) situé à Northwood, en Grande-Bretagne,

77

Après les voiliers le Ponant, le Carré d’AS et le Tanit, ce sont des bateaux de pêche (thoniers), des cargos,

des remorqueurs, des porte-conteneurs, des vraquiers, des chimiquiers et des pétroliers de tous pavillons. 78

Certains transporteurs, comme le danois Maersk, commencent à dérouter leurs navires vers le cap de

Bonne Espérance, ce qui accroît la durée et le coût du trajet. 79

Ce pays voit sa souveraineté et sa zone d’influence naturelle dans la mer Rouge menacées. De plus, les

recettes des droits de passage du canal de Suez représentent la troisième source de devises de son économie.

De 2007 à février 2008, elles ont chuté de 408 millions de dollars à 302 millions car le trafic est passé de

1 700 navires à 1 300. L’Égypte, qui dispose d’une dizaine de frégates, tente de s’associer aux efforts

internationaux et de collaborer avec Atalante. Cf. Marmié, 2009. 80

Cette force navale non permanente mais pré-structurée fut créée en 1995 avec des navires espagnols,

français, italiens et portugais. Elle a accompli une première mission opérationnelle de surveillance, Coherent

Behaviour, en octobre 2002, en Méditerranée orientale. Puis, de février 2003 à décembre 2004, elle a

participé à Resolute Behaviour, dans le cadre de l’opération Enduring Freedom de lutte contre la

déstabilisation en Somalie. Cf. Terpan, 2010, p.111.

Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 29

Djibouti servant de base arrière et d’implantation à l’état-major de force (HFQ) sur le

théâtre, aux ordres du commodore hollandais Pieter Bindt. Selon les sources, les chiffres

des effectifs mobilisés oscillent entre 1 200 et 1 800 militaires et entre treize et vingt

bâtiments finissent pas être déployés sur la zone du golfe d’Aden entre les côtes

somaliennes et yéménites jusqu’aux eaux territoriales des Seychelles. Ils escortent les

bateaux constitués en convois dans un corridor et protègent ceux du PAM.

Remarquons qu’Atalante dépasse le cadre des ‘missions de Petersberg’ de la PESD.

Par là, l’UE passe à un stade proche de la stratégie européenne de sécurité visant à lutter

contre diverses menaces (décembre 2003) et de celle qui traite de sécurité internationale

(décembre 2008). Par ses contre-mesures, elle mène une politique de puissance. Elle n’est

plus seule présente car l’OTAN, depuis la réunion de Budapest d’octobre 2008, évoque

une opération de génération de forces devenue l’opération Ocean Shield avec quatre

bâtiments. La Chine qui tient de plus en plus à participer aux opérations de maintien de la

paix et à la sécurité maritime envoie des navires protéger ses bateaux. L’Inde, la Russie, le

Japon et l’Arabie saoudite s’impliquent à partir du moment où leur pavillon est menacé.

Mais toute la communauté internationale a conscience que la seule solution est de restaurer

l’État somalien, ce à quoi s’emploie l’UE.

Le bilan est significatif. Les attaques ont baissé et leur taux de réussite est passé de

40% en 2008 à 19%, en 2009. Des bateaux et des otages sont toujours retenus, ce qui

alimente les pirates en rançons avec lesquelles ils peuvent, à défaut d’obtenir un revenu,

acheter des armes81

et trafiquer la drogue. Leur succès incombe au fait que nombre de

bateaux s’affranchissent des règles de circulation préconisées par les forces navales

européennes, ou n’appliquent pas les recommandations des armateurs. Reste une difficulté

majeure pour Atalante. Elle provient de la gestion judiciaire et pénitentiaire des pirates

arrêtés. Des accords sont conclus avec le Kenya, les Seychelles et le Puntland ; un projet

d’accord est espéré avec la Tanzanie afin de leur déléguer cette mission.

Les structures de soutien aux armées africaines

EURO-RECAMP et Amani Africa

En décembre 2007, le sommet Afrique-UE de Lisbonne a défini une stratégie

commune afin d’approfondir le partenariat euro-africain en matière de paix et de sécurité.

Il pose les bases d’une nouvelle initiative stratégique entre les deux continents tant au plan

de la coopération que du partenariat politique dans le cadre de la construction de

l’Architecture africaine de paix et de sécurité (APSA ou AAPS).

La mise en œuvre a commencé dès 2008 à partir d’une européanisation du système

français de rétablissement des capacités africaines de maintien de la paix (RECAMP).

Après bien des discussions à Paris, Berlin, Londres, Copenhague et Bruxelles, au sein du

81

Or, les trafiquants d’armes pullulent dans la région de l’Afrique de l’Est et de la Corne de l’Afrique,

comme l’avait prouvé la prise, en octobre 2008, d’un bateau ukrainien chargé de matériel militaire de

l’époque soviétique faisant route vers Mombassa, au Kenya, mais dont la cargaison était, semble-t-il, destinée

au Sud-Soudan.

Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 30

Conseil des ministres et de la Commission, le soutien de l’UE à l’UA, instrument de la

PSDC, a pris le nom Amani Africa (paix en Afrique). Grâce à cet outil, l’UA va pouvoir

constituer, à l’horizon de la fin de l’année 2010, la Force africaine en attente (FAA),

composante opérationnelle de l’APSA. Dans chaque sous-région, la FAA sera composée

de troupes du niveau de la brigade soit au total cinq brigades sous-régionales d’environ

5 000 hommes y compris la composante policière et civile. Il lui est dévolu la mission de

gérer et de résoudre les conflits sur le continent, en autonomie.

La FAA hérite du cycle RECAMP qui devient par extension EURO-RECAMP par

le biais d’Amani Africa. La France, compte tenu de son expérience dans ce domaine, se

voit confier le rôle de ‘nation-cadre’. Elle y trouve une façon d’appliquer le troisième

principe de sa politique africaine consistant à mobiliser la communauté internationale et à

appuyer les médiations africaines. Cet instrument fixe le cadre de la politique de

coopération européenne. Si le partenariat Afrique-UE n’exclut pas les relations bilatérales

comme continuent à les pratiquer la France et certains de ses voisins (la coopération

bilatérale, qui n’est plus une coopération de substitution, reste le fondement de la politique

française par respect des engagements), il permet de dépasser le cadre bilatéral pour donner

aux Africains les moyens de prendre en charge leur sécurité et d’assumer leurs

responsabilités selon les principes du multilatéralisme au niveau de l’UA et de leurs

organisations sous-régionales comme la CEDEAO, la CEEAC (Communauté économique

des États d’Afrique de l’Est) et la South African Development Community (SADC).

Le partenariat stratégique couvre huit domaines, principalement civils, mais où

figurent en bonne place la paix et la sécurité. Il s’agit d’élaborer un système de sécurité

collective. L’apport de l’UE a débuté en octobre 2008, à Addis-Abeba, par le premier cycle

d’EURO-RECAMP et pour deux ans. Il revêt trois volets. Le premier (renforcement du

dialogue politique UE-Afrique) est politique, les deux autres sont militaires et comportent,

d’une part, le soutien à l’APSA et, par là, à la FAA (car les armées africaines manquent

d’effectifs qualifiés et de matériel), et d’autre part, le financement des opérations de

maintien de la paix. L’UE a prévu de consacrer un milliard d’euros sur trois ans pour le

programme EURO-RECAMP.82

La genèse de RECAMP remonte à 1997 lorsque les États-Unis, la Grande-Bretagne

et la France ont jugé nécessaire de coordonner leurs programmes de coopération militaire

en Afrique. L’année suivante, au sommet franco-africain du Louvre, la France présente le

82

S’y ajoutent le financement des opérations militaires en cours, soit huit millions d’Euros pour Atalante et

cinq millions pour la Somalie (cf. Interview du général Pierre-Michel Joana, conseiller spécial ‘Paix et

sécurité en Afrique’ au Conseil de l’UE, Armées d’aujourd’hui, n°352, juillet-août 2010, p.51). Suite à

l’opération française de formation d’un contingent de 500 soldats du Gouvernement fédéral de transition

(GFT), à Djibouti, en 2009, dans le cadre de la PSDC, une mission européenne de formation des forces

somaliennes du gouvernement fédéral de transition, European Union Trainng Mission Somalia (EUTM) tente

depuis mai 2010 de former un contingent de 2 000 soldats somaliens des forces de sécurité pour le compte du

GFT. Il aura pour tâche de protéger Mogadiscio. L’instruction se déroule en Ouganda, en collaboration avec

l’armée ougandaise afin qu’elle puisse à son tour former les Somaliens. Les instructeurs sont au nombre de

140, ils viennent de 14 pays de l’UE mais la France fournit l’essentiel de l’effort avec 26 instructeurs

prélevés sur les forces françaises stationnées à Djibouti (FFDj). La formation doit se dérouler en deux

mandats de six mois.

Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 31

concept RECAMP. C’est une forme d’évolution des grandes manœuvres franco-africaines

de la période de la guerre froide vers des opérations de maintien de la paix. Il s’appuie sur

la base de cycle de deux ans et comporte trois volets : la coopération, l’entraînement et

l’engagement par le soutien à la formation des hommes et la fourniture de matériels et

d’équipements, en un mot, former, entraîner et équiper.83

RECAMP a rapidement montré son efficacité en RCA, en mettant sur pied, en

équipant et en soutenant la mission de surveillance des accords de Bangui (MISAB),84

remplacée l’année suivante par la mission des Nations Unies pour la RCA (MINURCA)

suite à la résolution 1159 du Conseil de sécurité. En 1999, ce fut la mise sur pied en

Guinée-Bissau et le soutien logistique d’un bataillon multinational (des contingents du

Bénin, de la Gambie, du Niger et du Togo). En 2000-2001, RECAMP a contribué au

soutien de la MONUC en formant et en équipant les contingents sénégalais et marocain.

En Côte d’Ivoire, les troupes de la Micéci du général Fall, furent en partie équipées avec le

matériel et l’armement des dépôts RECAMP installés dans les bases pré-positionnées à

Libreville, Dakar et Djibouti.

Les États africains en ont vite saisi l’intérêt, à tel point que les exercices de

RECAMP III Tanzanite se sont effectués en Afrique de l’Est avec des pays placés hors du

champ de la coopération traditionnelle française. Une efficacité qui a fini par être reconnue

par le Département des opérations de maintien de la paix (DOMP) de l’ONU, associé au

cycle. L’UA a été invitée en 2004 et l’UE s’est jointe à la conférence des contributeurs où

figurent l’OTAN et l’ONU.

En européanisant RECAMP, la France rompt avec l’image de gendarme de

l’Afrique et de néo-colonialisme. Elle partage les coûts car la Commission possède de

nombreuses lignes budgétaires (par exemple, le Rapid Reaction Mechanism, les lignes de

réhabilitation et le Fonds Européen de Développement) qui peuvent servir à financer le

83

Les premiers exercices sont RECAMP I Guidimaka, en 1996-1998, avec la CEDEAO soit quatre pays

africains et quatre non africains ; RECAMP II Gabon 2000, en 1998-2000 avec la CEEAC soit huit pays

africains et huit non africains ; RECAMP III Tanzanite 2002, en 2000-2002, avec la SADC soit seize pays

africains et douze non africains et enfin RECAMP IV Ghana-Bénin, en 2002-2004 à nouveau centré sur la

CEDEAO et avec douze pays africains, treize non africains et huit observateurs.

Chaque exercice se déroule selon le rythme de deux ans, au sein d’une organisation sous-régionale, avec les

forces pré-positionnées, selon un thème relatif à la gestion d’une crise. Il comprend trois axes, à commencer

par un exercice majeur qui se décline en quatre phases : un séminaire politico-militaire ; une conférence

stratégique ; un exercice d’état-major (CPX) couplé d’un exercice sur le terrain avec déploiement des troupes

en vue d’un entraînement à la conduite opérative tactique ; enfin, une conférence de retour d’expérience

(Retex).

Le second axe du cycle s’organise à partir de cycles intermédiaires dans les autres sous-régions où sont pré-

positionnées des forces françaises afin de maintenir un lien permanent avec ces organisations sous-

régionales. Le troisième axe revêt la forme d’exercices hors cycle en réponse à la demande de pays africains

ou non africains de bénéficier du soutien de RECAMP afin de renforcer les capacités africaines.

Les matériels terrestres pré-positionnés sont stockés dans des bâtiments spécifiques, la maintenance et le

support logistique étant assurés par la France. 84

Elle s’est mise en place alors que le Président Ange Patassé était en butte à des mutineries. Au sommet

franco-africain de décembre 1996, il fut décidé de donner un mandat à quatre présidents pour négocier une

trêve entre les forces loyalistes et les mutins. Cette force constituée, en janvier 1997 et regroupant 800

hommes venant de six pays (Burkina-Faso, Gabon, Mali, Sénégal, Tchad et Togo), a reçu la mission

d’appuyer la médiation dès son déploiement, en février, jusqu’à l’expiration de son mandat en avril 1998.

Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 32

développement institutionnel multilatéral. De surcroît, en impliquant l’UE, elle la pousse à

une politique de puissance puisque EURO-RECAMP fut l’instrument de la PESD et est

celui de la PSDC au service de l’Afrique. La France peut compter sur des partenaires

stables comme l’Allemagne et la Belgique. Elle peut s’appuyer sur le Danemark qui, par le

biais de son ministère des Affaires Étrangères et de la Coopération (DANIDA), dispose des

ressources pour participer à EURO-RECAMP.

Dès 2005, le cycle RECAMP s’ouvre pour la première fois au partenariat entre

l’UE et l’UA, de sa conception à sa conduite. Là où RECAMP IV était centré sur la

CEDEAO, RECAMP V poursuit la rotation initiale et se déroule, à nouveau, dans la région

de la CEEAC. Le scénario Sawa 2006 est élaboré au niveau de l’UA qui intervient avec la

sous-région et ses États-membres pour la planification de la crise, la constitution et le

commandement de la force, avec déploiement militaire et appui policier pour sécuriser la

zone. Les États contributeurs extérieurs au continent, la France au premier chef, prodiguent

conseils et assurent le soutien logistique et financier. L’opération est coordonnée avec des

organisations internationales (FMI, Banque mondiale) et humanitaires (agences de l’ONU :

UNHCR, UNICEF, PNUD, PAM, etc., ainsi que des ONG). Ce cycle est novateur car il

dépasse le cadre d’une simple opération militaire et oblige les forces armées africaines à se

préparer à une planification multidimensionnelle, et à coopérer avec les civils. Il se déroule

en six étapes. La conférence d’initialisation à l’UA ouvre le cycle, à Addis Abeba, en juin

2005, suivie de la conférence des contributeurs, à Paris, en septembre. En mai 2006, l’UE

conduit le séminaire politico-militaire, à Brazzaville, complété par la conférence

stratégique, à Libreville. À l’automne a lieu, au Cameroun, l’exercice d’état-major précédé

par trois conférences de planification, en novembre 2005 et en juin et septembre 2006. Le

cycle s’achève au début 2007, à Addis Abeba, par la conférence de retour d’expérience.

Addis Abeba, siège de l’UA, devient un maillon important dans la chaîne du

partenariat de l’UE à l’APSA. Depuis novembre 2008, pour deux ans, un cycle reprend. Il

porte sur la FAA, les centres de formation et le système de veille et d’alerte continental. Ce

dernier est constitué d’un maillage entre les régions et le centre d’Addis Abeba (lequel

souffre d’un manque d’équipements et d’analystes qualifiés). Il continue sa montée en

puissance et produit des synthèses quotidiennes sur chacune des crises. Pour renforcer le

soutien de l’UE à ce système, la France et le Royaume Uni ont lancé, lors de la présidence

française de l’UE, l’initiative du mécanisme interactif de veille et d’anticipation en

commun (MIVAC) en s’appuyant sur les centres de situation (sitcen) ou centres de crise de

l’UE. Cette initiative est maintenant un projet européen. Les échanges se poursuivent dans

le cadre informel du Club de Budapest (Commission UE, Sitcen85

et centre de crise des

états-majors intéressés) avec les partenaires africains. La définition de la coopération avec

l’UA reste alors à préciser.

L’organisation, en octobre 2010, d’un exercice d’état-major initialement prévu pour

certifier la FAA, devait marquer l’aboutissement du cycle avec déploiement de la force et 85

Ce centre de situation conjoint de l’UE, créé en 2001, est l’agence de renseignement du service

diplomatique européen, désormais placé sous l’autorité de la Haute Représentante de la politique étrangère de

l’UE, Catherine Ashton. Le Français Patrice Bergamini le dirige depuis juillet 2010.

Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 33

étude de cas. L’objectif – évaluer les niveaux opératif et stratégique – a dû être revu à la

baisse. Ce glissement s’explique par le retard pris dans la validation opérationnelle des

brigades en attente. Comme l’a montré la force de l’UA déployée au Darfour, le point

faible réside toujours dans les capacités logistiques.

Les Écoles nationales à vocation régionale

Le soutien aux armées africaines en cours à travers EURO-RECAMP passe par un

système complémentaire de formation des personnels qui est celui des écoles nationales à

vocation régionale (ENVR).

Les ENVR sont une nouvelle approche lancée, à la fin des années 1990, par la

Direction de la Coopération militaire et de la Défense (DCMD, devenue DCSD) afin de

donner une réponse technique et administrative à un manque de places dans les écoles de

formation initiale et d’application des cadres en France. Ce ne sont pas des écoles

françaises de deuxième catégorie, proposant des formations au rabais. Elles veulent être

des écoles de formation des cadres africains par les Africains avec le soutien de la France.

C’est une façon de pousser les Africains à prendre en charge la formation de leurs

personnels en relation avec RECAMP. Bien qu’elles s’adressent à tous les niveaux de la

hiérarchie, du soldat à l’officier supérieur, le but est de former des cadres et des experts

militaires africains pour concevoir, préparer et participer, au niveau tactique à des

opérations de maintien de la paix au niveau du bataillon sous l’égide d’une organisation

internationale ou de l’ONU.

Les ENVR sont au nombre de dix-sept, réparties entre l’Afrique de l’Ouest et de

l’Est, et ouvertes aux pays francophones, anglophones et lusophones. Elles se spécialisent

dans trois domaines relatifs aux opérations de maintien de la paix. Huit de ces écoles86

ont

pour vocation le premier, ‘planification et conduite d’une opération’ ; quatre autres87

centrent leurs formations sur le second, ‘contrôle du territoire et sécurité des populations’ ;

le troisième, ‘évolution en milieu dégradé’, s’enseigne dans cinq écoles.88

Elles ont déjà

accueilli 1 500 stagiaires.89

Pour certains types de formation, il existe des partenariats avec

des ONG. C’est le cas de l’École du maintien de la paix au Mali, qui coopère avec la

Croix-Rouge (CICR), Save the Children et Handicap International.

86

Deux au Sénégal, le Cours d’application des officiers de Gendarmerie de Ouakam et l’École d’application

de l’Infanterie de Thiès ; une au Cameroun, le Collège supérieur interarmées de Défense de Yaoundé; une au

Burkina-Faso, l’École technique de Ouagadougou, une au Gabon, l’École d’état-major de Libreville, enfin

trois au Mali, l’École militaire d’administration, l’École d’état-major de Koulikoro et l’École de maintien de

la paix de Bamako. Au départ, prévue en Côte d’Ivoire, cette dernière fut transférée au Mali, en 2003, suite à

la crise de 2002. 87

Une au Bénin, le Centre de perfectionnement de la Police Judiciaire de Porto-Novo et trois au Cameroun,

le Centre de perfectionnement aux techniques de maintien de l’ordre et l’École internationale des forces de

sécurité à Awaé et le Pôle aéronautique national à vocation régionale, à Garoua. 88

Au Bénin, le Centre de perfectionnement aux actions post-conflictuelles, de déminage et de dépollution de

Ouidah ; au Congo, l’École du Génie-travaux de Brazzaville ; au Gabon, l’École d’application Santé de

Menen ; au Niger, l’École du personnel paramédical des Armées nigériennes de Niamey, et au Togo, l’École

du Service de santé des Armées de Lomé.

89 Dans le même temps, 2 400 militaires étrangers étaient formés en France.

Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 34

L’européanisation s’applique aux centres de formation africains soutenus par l’UE.

Le système montre des faiblesses d’autant plus préoccupantes qu’il s’agit d’un programme

destiné à être mise en œuvre conjointement. On constate que l’UA a des difficultés à

s’approprier le dispositif, qu’il existe des lacunes régionales relatives à l’absence de prise

en compte des besoins de formation au profit des brigades de la FAA, et qu’il est

nécessaire de mettre les centres de formation en réseau au niveau régional pour mieux

exploiter leur potentiel.

Conclusion

La politique européenne sur le continent africain indique assez que les États-

membres de l’UE n’ont toujours pas la même vision du monde et du rôle de l’Europe dans

le monde : certains accordent à l’Afrique, par tradition ou pour des raisons de proximité

géographique, une importance relative inconnue des autres. Les deux élargissements

intervenus dans la décennie 2000 ont certainement contribué à éloigner quelque peu le

continent africain des préoccupations dominantes. Toutefois, les premiers, pour l’essentiel

d’anciennes tutelles coloniales, y maintiennent des politiques nationales qui, même si les

intérêts qui les gouvernent sont souvent complémentaires, peuvent demeurer discordantes.

Le coût des interventions militaires ou humanitaires, mais aussi des considérations de

légitimité extérieure, les incitent à y associer d’autres partenaires, tant parmi les acteurs

autorisés, mondiaux (ONU) ou locaux (UA), de la communauté internationale que parmi

les autres États-membres de l’UE. Cette dernière, en mal d’affirmation, a fait de l’Afrique

subsaharienne dans la décennie considérée ici un espace d’expérimentation et d’application

des politiques européennes de prévention, de gestion des conflits et de sortie de crise pour

la PSDC comme elle fut, après les décolonisations, un lieu de conflits de basse intensité où

l’armée française maintenait une présence et menait des actions militaires.

Si l’on tente de dresser un bilan global de la première décennie du siècle d’un point

de vue européen, force est de constater que des progrès ont été accomplis au regard des

intentions affirmées : des habitudes prises, des partenariats noués, des procédures rodées –

même si beaucoup reste à faire. D’un point de vue africain, le bilan est satisfaisant dans un

premier temps : le cas du Tchad et de la RCA le montre, où la présence de forces de l’UE,

de l’ONU ou de l’UA stabilise la situation. La Côte d’Ivoire de 2010 semble s’acheminer

vers un dénouement de la longue crise qu’elle connaît. Ce n’est pas le cas dans l’Est de la

RDC où l’effet d’Artémis n’a pas duré : au moment où s’achève la décennie étudiée, l’État

ne contrôle toujours pas cette région qui reste en proie aux exactions de bandes malgré la

présence onusienne.

Des actions terrestres menées directement par des forces multinationales dans le

cadre des EUROFOR ou EUFOR émerge un processus éprouvé, sous-tendu par une

architecture à quatre niveaux. Le premier, dont l’état-major de l’UE (EMUE) assume la

conception et l’ordonnancement, est politico-militaire. Le second est stratégique. Il relève

d’un commandement opérationnel qui fixe les objectifs et déploie les ressources allouées

pour les atteindre. Un état-major stratégique, OHQ, planifie et conduit les opérations. Le

troisième niveau est opératif et concerne le niveau régional. Un état-major opératif, FHQ,

Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 35

commande les forces. Le quatrième et dernier niveau est tactique. Sur le terrain, la force de

l’EUFOR exécute l’opération. Après les actions terrestres, l’UE a expérimenté l’action

navale au large des côtes est-africaines en 2003-2005 avec l’EUROMARFOR.

L’architecture est tout aussi rodée pour les actions terrestres menées indirectement

par le truchement des cycles RECAMP, devenus EURO-RECAMP, et des ENVR – même

si pour ces dernières, encore trop récentes, il est difficile de porter un jugement quant à leur

réussite. De telles actions ont pour objet d’impliquer les Africains dans la résolution de

leurs conflits internes, pour laquelle ils n’ont guère encore prouvé leur efficacité en

autonomie. Les efforts européens – ceux de l’UE et de ses États-membres qui s’y

impliquent – n’ont de sens que par rapport à la volonté de contribuer à l’instauration de

l’État de droit, à la promotion des valeurs démocratiques, bref à la ‘bonne gouvernance’

sur le continent. L’implication de contingents africains dans les cycles EURO-RECAMP et

la formation des cadres militaires dans les ENVR sont censées encourager les forces armées

nationales à s’affranchir des pratiques prétoriennes courantes depuis les indépendances et

jusqu’à aujourd’hui. Si les Européens apprennent en Afrique à agir ensemble, l’exemple

qu’ils donnent d’une attention scrupuleuse portée aux considérations et normes de la

légitimité internationale, de coopération bilatérale et multilatérale entre États et

organisations internationales publiques ou privées, d’ouverture à de nouvelles

contributions volontaires, de partage dans la prise de décision, de rapports fonctionnels et

sociopolitiques efficaces et apaisés entre civils et militaires, a une évidente utilité

(finalité ?) éducative à cet égard – sous réserve, bien sûr, que la complexité des pratiques,

les contradictions qui se donnent parfois à observer, la minceur ou le caractère éphémère

des résultats obtenus, ne brouillent pas le message…

Les efforts déployés par les Européens, ensemble, séparément, ou en “coalitions of

the willing”, soulèvent des questions plus générales pour l’avenir. L’Afrique n’est-elle que

le terrain d’action propice à l’oubli de leurs autres intérêts stratégiques communs ailleurs,

c’est-à-dire au déni de la puissance potentielle et d’un rôle plus affirmé de l’Union dans les

affaires du monde ? Sauf à considérer qu’ils n’y œuvrent à la stabilisation et au

développement que pour prévenir le terrorisme importé ou des mouvements massifs de

populations vers le Nord, cette présence active et cette pédagogie démocratique peuvent-

elles se proposer à terme, sans tomber dans un “impérialisme libéral” qu’ils récusent,90

d’autre objectif que la pleine souveraineté du continent, donc la fin du rôle qu’ils y jouent ?

Il est vrai, au vu du bilan détaillé esquissé plus haut – et des développements (Côte

d’Ivoire, Libye, Mali, attaques d’AQMI, et d’autres) qui ont suivi la décennie étudiée ici –,

qu’il reste beaucoup à faire, et que la dernière question n’est guère d’une actualité brûlante.

Vue de 2010, la présence militaire européenne en Afrique subsaharienne a encore de beaux

jours devant elle.

90

Rieff, 1999 ; Cooper, 2002 ; Chandler, 2006.

Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 36

Bibliographie

ANONYME, Fiches de la Direction des Affaires Stratégiques (DAS) du ministère de la Défense, 2009.

ANONYME, Fiches de la Direction de la Communication de la Défense (DiCOD) du ministère de la

Défense, 2009.

BAGAYOKO-PENONE, Niagalé, Afrique, les stratégies française et américaine, Paris, L’Harmattan, 2003.

BERNARD, Philippe & Jean-Philippe RÉMY, “Le maintien de la Mission de l’ONU est contesté par

N’Djamena”, Le Monde, 10 février 2010, p.5.

CHANDLER, David, Empire in Denial : The Politics of State-Building, Londres, Pluto Press, 2006.

COOPER, Robert, “The New Liberal Imperialism”, The Observer, 7 avril 2002.

FOUINEAU, Julien, “Dossier : Des actions militaires sous tutelle des Affaires étrangères, in Armées

d’aujourd’hui, n°352, juillet-août 2010, pp.52-54.

GMELINE, Vladimir de, “Le Sahel sous l’œil du Pentagone”, Valeurs actuelles, 22 juillet 2010, pp.28-30.

LA GRANGE, Arnaud de, “Le Pentagone réinvestit le continent africain”, Le Figaro, 8 février 2007

LA GRANGE, Arnaud de, “Le soutien à l’Africom”, Diplomatie, HS n° 12, juin-juillet 2010, pp.6-78

MARMIÉ, Nicolas, “L’ombre des pirates”, Jeune Afrique, n°2524, mai 2009, p.50.

PRUNIER, Gérard, “Darfour, la chronique d’un génocide annoncé”, Le Monde diplomatique, mars 2007,

p.16-17.

RIEFF, David, “A New Age of Liberal Imperialism ?”, World Policy Journal, vol.xvi, n°2, été 1999.

SCARBONCHI, M., “Côte d’Ivoire : les travaux de la conférence de Paris ; dix engagements pour la paix”,

Le Figaro, 17 janvier 2003.

STROOBANTS, Jean-Pierre & Jean-Philippe RÉMY, “L’Europe offre son aide contre les pirates

somaliens”, Le Monde, 24 avril 2009, p.5.

TERPAN, Fabien, La politique étrangère de sécurité et de défense de l’Union européenne, La

Documentation française, 2010, 118 p.

VAISSIÈRE, (général) François de, “La coopération entre la France et l’Afrique en matière de sécurité et

de défense. Quelles perspectives pour l’avenir ?” La revue internationale et stratégique, n°49, printemps

2003, pp. 13-16