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Bulletin dinformationDiffusion de jurisprudence, doctrine et communications

N 735Publication bimensuelle

1 fvrier 2011er

Les ditions des JOURNAUX OFFICIELS

internet

Consultezwww.courdecassation.frle site de la Cour de cassation

sur

En refondant son portail, la Cour de cassation a souhait : se doter dun site dynamique, lui permettant notamment de favoriser la remonte en page daccueil dinformations de premier plan ; rorganiser les contenus, accessibles par un nombre limit de rubriques et amliorer lergonomie du site pour favoriser laccs la jurisprudence et aux colloques organiss par la Cour ; faciliter la navigation sur le site par la mise en place dun moteur de recherche ; apporter des informations nouvelles : donnes statistiques, liens vers les sites de cours suprmes de lUnion europenne et du reste du monde, en plus des contenus presque tous repris de lancien site.

Bulletin dinformationC o m m un ica tion s Ju risp ru d en ce D octrin e

1 er fvrier 2011 Bulletin dinformation En quelques mots

En quelques motsCommunications Jurisprudence

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Le 14 octobre 2010, la premire chambre civile (infra, no 106) a jug que Lorsque la responsabilit dun professionnel de sant est engage pour faute en vertu de larticle L. 1142-1 I du code de la sant publique, le prjudice de la victime prsente un caractre direct et certain chaque fois quest constate la disparition dune ventualit favorable . Ds lors, ni lincertitude relative lvolution de la pathologie dont la patiente tait atteinte ni lindtermination de la cause du syndrome () ayant entran son dcs ntaient de nature faire carter le lien de causalit entre la faute commise par le mdecin, [ayant retard] la prise en charge de cette patiente, et la perte pour elle dune chance de survie . Pour Pierre Sargos (D. 2010, p. 2682 et s.), cette solution, rappelant que la perte de chance () nest pas une forme dattnuation du lien de causalit, mais un prjudice nouveau part entire , conforte solennellement labandon de la responsabilit contractuelle pour tous les faits dommageables commis postrieurement lentre en vigueur de la loi du 4 mars 2002 .

Le 12 octobre, la chambre criminelle (infra, no 103) a jug quen matire correctionnelle, en dehors des condamnations en rcidive lgale prononces en application de larticle 132-19-1, une peine demprisonnement sans sursis ne peut tre prononce quen dernier recours, si la gravit de linfraction et la personnalit de son auteur rendent cette peine ncessaire et si toute autre sanction est manifestement inadquate [et] que, dans ce cas, la peine demprisonnement doit, si la personnalit et la situation du condamn le permettent et sauf impossibilit matrielle, faire lobjet dune des mesures damnagement prvues aux articles 132-25 132-28 . Dans son commentaire, M. Lena (D. 2010, p. 2775) note que cet arrt pourrait constituer un premier pas vers lvolution de [la] jurisprudence en vertu de laquelle la Cour de cassation laissait toute libert au juge pnal du fond, sagissant de la fixation de la peine, en faveur notamment des peines alternatives lincarcration et des mesures damnagement de celles-ci.

En quelques mots

Bulletin dinformation 1 er fvrier 2011

Doctrine

La troisime chambre civile (infra, no 73) a quant elle jug, le 6 octobre, que Le droit effectif au juge implique que lassoci dune socit civile, poursuivi en paiement des dettes sociales, dont il rpond indfiniment proportion de sa part dans le capital social, soit recevable former tierce opposition lencontre de la dcision condamnant la socit au paiement, ds lors que cet associ invoque des moyens que la socit na pas soutenus . Commentant cette solution (JCP 2010, d. E, no 2026, p. 39 41), Stphane Reifegerste note que lassouplissement quelle consacre pourrait bien, par ricochet, bnficier dautres tiers opposants . En effet, selon lauteur, la rgle devrait tre la mme pour tous les associs dune socit risque illimit, notamment pour les associs en nom , la jurisprudence devenant doucement mais srement () de plus en plus accueillante lgard de la tierce opposition et souple dans lapprciation des conditions de larticle 583 du code de procdure civile .

Enfin, lassemble plnire de la Cour, examinant la question, selon les termes du conseiller rapporteur, de la production, par une partie, denregistrements de conversations tlphoniques professionnelles oprs linsu de lauteur des propos, pour dmontrer lexistence dune pratique anticoncurrentielle au regard du principe de loyaut qui doit prsider lobtention des preuves ( une obtention de preuves dans de telles conditions nest-elle pas disproportionne au but recherch par le droit de la rgulation conomique et ne devrait-elle pas ntre admissible que pour satisfaire un impratif pour le plaignant de se dfendre de fausses accusations diriges son encontre ? ), a jug le 7 janvier 2011, au visa des articles 9 du code de procdure civile et 6 1 de la Convention europenne des droits de lhomme, que lenregistrement dune conversation tlphonique ralis linsu de lauteur des propos tenus constitue un procd dloyal rendant irrecevable sa production titre de preuve .

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1 er fvrier 2011 Bulletin dinformation Table des matires

Table des matiresJurisprudenceDroit europenActualits

Pages 6

Cour de cassation (*)I. - ARRT PUBLI INTGRALEMENT Arrt du 7 janvier 2011 rendu par lassemble plnireConcurrence Preuve

Dnonciation calomnieuse Dpt Dtention provisoire Divorce, sparation de corps Droit maritime lections professionnelles Entreprise en difficult (loi du 25 janvier 1985) Entreprise en difficult (loi du 26 juillet 2005) tranger Filiation Fonds de garantie Fraudes et falsifications Impts et taxes Intrts Intervention Juridictions correctionnelles Mesures dinstruction Nom Officiers publics et ministriels Peines Presse Procdure civile Professions mdicales et paramdicales

76 77 78 79 82 83-84 85-86 87-88 89-90 91-92 93 94 95 96 97 98 99 100 101 102 103 104 105 106 108

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II. - TITRES ET SOMMAIRES DARRTS Numros ARRTS DES CHAMBRES4

Action civile Action en justice Administration autrui de substances nuisibles la sant Aide juridictionnelle Arbitrage Assurance de personnes Astreinte (loi du 9 juillet 1991) Avocat Chambre de linstruction Construction immobilire Contrat de travail, dure dtermine Contrat de travail, excution Contrat de travail, rupture Contrats et obligations conventionnelles Convention europenne des droits de lhomme Coproprit Cour dassises

55 56 57 58 59 61 62 63 64 65 66-67 68-69 70 71 72 73 74 75

*

Les titres et sommaires des arrts publis dans le prsent numro paraissent, avec le texte de larrt, dans leur rdaction dfinitive, au Bulletin des arrts de la Cour de cassation du mois correspondant la date du prononc des dcisions.

Bulletin dinformation 1 er fvrier 2011Table des matires

Protection des consommateurs Rfr Reprsentation des salaris Scurit sociale Scurit sociale, assurances sociales Scurit sociale, contentieux Sparation des pouvoirs Sports

109 105 110 114 115-116 117 118 119-120 121

Statut collectif du travail Statuts professionnels particuliers Syndicat professionnel Transports routiers Travail rglementation, dure du travail Travail rglementation, hygine et scurit Vente

114-122 127 128 129 130 56-131 132 1335

1 er fvrier 2011 Bulletin dinformation Droit europen

JurisprudenceDroit europenActualitsCOUR EUROPENNE DES DROITS DE LHOMME

RAPPELLe bureau du droit europen publie une veille bimestrielle de droit europen disponible sur le site intranet de la Cour de cassation : http://intranet.cour-de-cassation.intranet.justice.fr/, sous la rubrique Documentation , et sur le site internet : www.courdecassation.fr, sous la rubrique Publications de la Cour . 1. Droit la vie (article 2 de la Convention de sauvegarde des droits de lhomme et des liberts fondamentales), interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dgradants (article 3)6

Dans larrt B.A. c/ France, requte no 14951/09, rendu le 2 dcembre 2010, la Cour conclut, lunanimit, la non-violation de larticle 2 et de larticle 3 de la Convention de sauvegarde des droits de lhomme et des liberts fondamentales en cas de mise en uvre de larrt dexpulsion du requrant vers le Tchad. Faits : Le requrant est un ressortissant tchadien, originaire du sud-est du Tchad, la frontire soudanaise. Adjudant-chef dans larme tchadienne, il fut affect sur la base de NDjamena. Il prtend y avoir fait lobjet de discriminations, de perscutions, dune tentative dassassinat et de sanctions disproportionnes lies son origine ethnique, le sud du Tchad tant une rgion connue pour ses factions rebelles opposes au gouvernement. lissue dun stage militaire en 2004, il resta illgalement sur le territoire franais, alors que sa femme et ses enfants taient rests au Tchad. Depuis son arrive en France, le requrant milite en faveur dun parti dopposition lactuel gouvernement tchadien, bas la frontire soudanaise. En juin 2004, il dposa une demande dasile auprs de lOffice franais de protection des rfugis et apatrides (OFPRA). Il expliquait que son retour au Tchad lexposait la peine de mort pour dsertion. Sa requte fut rejete au motif que lintress napportait pas dlment permettant dtablir la vracit des faits allgus et que le code tchadien ne prvoit pas, pour le militaire coupable de dsertion, de sanction disproportionne ou constitutive de menace grave au sens des dispositions du code de lentre et du sjour et du droit dasile . La dcision fut confirme en aot 2008 par la Cour nationale du droit dasile. Un arrt prfectoral fut dlivr en aot 2008 lencontre du requrant, ordonnant son retour dans son pays dorigine. Son recours en annulation de larrt form devant le tribunal administratif fut rejet. Il interjeta appel, mais ce recours na pas un caractre suspensif. Paralllement, il saisit la Cour europenne des droits de lhomme, en vertu de larticle 39 de son rglement (mesures provisoires). Le 20 mars 2009, les juges de Strasbourg firent droit sa demande et demandrent au gouvernement franais de suspendre la mesure de renvoi pour la dure de la procdure devant la Cour. Griefs : Devant la Cour de Strasbourg, le requrant invoquait une violation des articles 2 (droit la vie) et 3 (interdiction des traitements inhumains ou dgradants) de la Convention, exposant quen cas de renvoi au Tchad, il serait considr dserteur et condamn des tortures, voire la peine de mort. Enfin, il soutenait que son expulsion constituerait une violation de larticle 8 de la Convention (droit au respect de sa vie prive et familiale). Dcision : Sur la violation des articles 2 et 3 de la Convention : La Cour dcide dexaminer le grief tir de la violation de larticle 2 dans le cadre de lexamen du grief connexe relevant de larticle 3 de la Convention.

Bulletin dinformation 1 er fvrier 2011Droit europen

Le requrant soutient quen raison de la crise politique du Tchad et des violents combats opposant les troupes fidles au gouvernement aux rebelles aprs 2004 au Darfour, son retour lexpose des traitements contraires la Convention. La Cour dcide dappliquer sa jurisprudence NA c/ Royaume-Uni1. Elle reconnat que le Tchad connat depuis quelques annes une instabilit politique, notamment dans la rgion de lest. Cependant, si la situation gnrale est toujours proccupante, celle-ci semble en voie damlioration, ainsi quen attestent les Accords de Dakar, conclus entre le Tchad et le Soudan en vue de mettre fin la guerre entre ces deux pays, et la Rsolution adopte par le Conseil de scurit de lONU le 25 mai 2010, organisant le retrait progressif des troupes de lONU sur le terrain et dlguant aux autorits tchadiennes le rle dassurer la scurit des civils. Les juges europens cherchent ensuite dterminer si la situation particulire du requrant lexpose des traitements inhumains ou dgradants ou une mise en danger de sa vie. Ils constatent quil est tabli que lintress est un dserteur, quil fait probablement lobjet dun avis de recherche et que contrairement aux affirmations du gouvernement [] le Tchad pratique une rpression svre lencontre des dserteurs afin de contrer la multiplication des groupes rebelles combattant contre le gouvernement ( 41). Ils notent galement que la France a, notamment dans deux autres affaires, reconnu les risques encourus par certains dserteurs tchadiens en cas de retour au Tchad et quelle leur a accord respectivement le bnfice de la protection subsidiaire et lannulation dun arrt prfectoral en raison des risques auxquels un retour au pays les exposait. Cependant, selon la Cour, dans ces deux affaires, les profils des intresss [...] taient plus marqus que celui de la prsente espce ; le premier navait pas seulement dcid dabandonner les rangs de larme tchadienne, mais avait particip des manifestations de protestation et avait communiqu dans la presse sur cet vnement ; le second tait un militaire ayant le grade dofficier et qui avait fait lobjet dune note ministrielle le dsignant nommment comme un opposant politique et demandant quil soit immdiatement interpell ( 42). Elle distingue enfin la prsente espce de l'affaire Sad c/ Pays-Bas2, dans laquelle le requrant se distingua en prenant la parole lors dune runion de son bataillon et critiqua ouvertement le commandement. Il fut dtenu pendant plusieurs mois sans tre traduit devant un tribunal avant de russir senfuir ( 43). En lespce, le requrant napporte pas dlments suffisants pour tablir que les autorits tchadiennes sont toujours sa recherche et lavis de recherche quil produit ne mentionne pas le dlit de dsertion comme cause du mandat. Ainsi, la Cour considre que le risque pour le requrant dtre arrt ds son arrive au Tchad et soumis des mauvais traitements napparat pas fond ( 44). Elle estime que, selon les mmes considrations, lallgation du requrant relevant de larticle 2 de la Convention napparat pas non plus fonde et carte enfin, pour absence de preuve, largument du requrant selon lequel lactivit politique quil mne en France depuis sa dsertion lexposerait un risque de traitements contraires larticle 3 de la Convention. lunanimit, la Cour conclut la non-violation des articles 2 et 3 de la Convention. Sur la violation de larticle 8 de la Convention : Le requrant expose tre en France depuis 2004, avoir un contrat de travail et estime stre parfaitement intgr ce pays. La Cour constate que la famille du requrant rside toujours au Tchad et ne voit aucune raison de violation de larticle 8 de la Convention. Elle rejette ce grief comme manifestement mal fond. Sur lapplication de larticle 39 du rglement de la Cour : La Cour dcide de maintenir, dans lintrt du bon droulement de la procdure, la mesure provisoire qui a t indique au gouvernement jusqu ce que larrt du 2 dcembre 2010 devienne dfinitif ou que la Cour rende une autre dcision cet gard. 2. Interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dgradants (article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de lhomme et des liberts fondamentales) Dans larrt Boutagni c/ France, requte no 42360/08, rendu le 18 novembre 2010, la Cour conclut, lunanimit, la non-violation de larticle 3 de la Convention de sauvegarde des droits de lhomme et des liberts fondamentales, sous rserve du respect de lengagement de la France de ne pas expulser le requrant, et la non-violation de larticle 8 de la Convention. Faits : Le requrant est un ressortissant marocain n en 1966 au Maroc et rsidant en France depuis 1978. Sa femme, ses trois enfants ainsi que ses parents et ses frres et surs rsident rgulirement en France. En juillet 2007, il fut condamn par le tribunal correctionnel de Paris une peine demprisonnement et une peine complmentaire dinterdiction du territoire franais, pour avoir particip la prparation des attentats perptrs Casablanca le 16 mai 2003. Il interjeta appel de la dcision puis se dsista de son recours. Le 16 mai 2008, le requrant introduisit une requte aux fins du relvement de linterdiction du territoire mais, le 2 septembre 2008, il fut inform quun arrt prfectoral fixait le Maroc comme pays renvoi. Le requrant saisit la Cour europenne, conformment aux dispositions de larticle 39 de la Convention, qui indiqua au gouvernement quil serait souhaitable de ne pas procder lexcution de la mesure dexpulsion vers le Maroc pour la dure de la procdure devant la Cour. Par arrt prfectoral, le requrant fut assign rsidence.1 2

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CEDH, NA c/ Royaume-Uni, 17 juillet 2008, requte no 25904/07. CEDH, Sad c/ Pays-Bas, 5 juillet 2005, requte no 2345/02.

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Le 13 janvier 2009, la demande de relvement fut rejete par le tribunal de grande instance de Paris, dcision confirme en octobre 2009, sur appel interjet par le requrant. Paralllement, le requrant prsenta une demande dasile devant lOffice franais de protection des rfugis et apatrides (OFPRA). Celle-ci fut rejete au regard des faits pour lesquels le requrant avait t condamn mais, compte tenu notamment du profil de lintress et des risques encourus au Maroc par les personnes arrtes dans le cadre de la lutte antiterroriste, lOFPRA considra justifies les craintes du requrant dtre expos des traitements pouvant tre qualifis de tortures en cas dexpulsion vers ce pays. Un recours, non suspensif, est actuellement pendant devant la Cour nationale du droit dasile (CNDA). Le 27 avril 2010, le gouvernement informa la Cour europenne du fait que la reconnaissance par lOFPRA que le requrant pourrait subir des mauvais traitements en cas de retour au Maroc soppose dornavant, en droit franais, ce que soit excute la mesure dexpulsion vers ce pays. Suite la demande de la Cour, le gouvernement confirma, dans un deuxime courrier en date du 25 juin 2010, quil garantissait que larrt de reconduite la frontire ne serait pas mis excution ( 20). Griefs : Invoquant larticle 3 (interdiction des traitements inhumains ou dgradants), le requrant allguait quun renvoi vers son pays dorigine lexposerait des traitements inhumains et dgradants ainsi qu des actes de torture. Sur le fondement de larticle 8 de la Convention (droit au respect de la vie prive et familiale), il faisait galement valoir quun retour forc vers le Maroc, pays dans lequel il na plus aucune attache familiale, serait contraire au respect de sa vie prive et familiale. Dcision : Sur la violation allgue de larticle 3 de la Convention : - Sur lexception dirrecevabilit titre liminaire, la Cour rejette lexception dirrecevabilit souleve par le gouvernement, tire du non-puisement des voies de recours par le requrant. Elle constate en effet que lOFPRA a statu, le 5 fvrier 2010, rejetant la demande dasile du requrant. Le 1er mars 2010, le requrant a form un recours contre cette dcision. Celui-ci est toujours pendant devant la CNDA. Cependant, la demande dasile du requrant tant traite en procdure prioritaire en vertu de larticle L. 723-1 du code de lentre et du sjour des trangers et du droit dasile (CESEDA), cet appel na pas deffet suspensif ( 35). Par ailleurs, le requrant a contest larrt prfectoral fixant le Maroc comme pays de renvoi.8

Les juges de Strasbourg reconnaissent que la juridiction administrative exerce un contrle sur les menaces auxquelles ltranger serait expos en cas de renvoi dans son pays et que ce recours est actuellement pendant, mais rappelle quil nest pas suspensif ( 36). Ds lors, ils estiment que ces deux voies de recours ne sont pas, en lespce, des recours puiser au sens de larticle 35 1 de la Convention ( 37). - Sur le fond Sur la violation allgue de larticle 3 de la Convention : La Cour renvoie son arrt, rendu en Grande chambre, Saadi c/ Italie3, o elle expose les principes gnraux relatifs la responsabilit des tats contractants en cas dexpulsion et les lments prendre en compte pour valuer le risque dexposer lintress des traitements inhumains ou dgradants. Elle rappelle avoir, cette occasion, ritr le caractre absolu de la prohibition de la torture ou des peines ou traitements inhumains et dgradants prvue par larticle 3 de la Convention, quels que soient les agissements de la personne concerne, aussi indsirables et dangereux soient-ils. Elle a galement raffirm limpossibilit de mettre en balance le risque de mauvais traitements et les motifs invoqus pour lexpulsion afin de dterminer si la responsabilit dun tat est engage sur le terrain de larticle 3 ( 44). En lespce, le requrant avait t condamn pour une participation des actes de terrorisme, et la Cour rappelle avoir une conscience aigu de lampleur du danger que cela constitue pour la collectivit et de lenjeu de la lutte antiterroriste. Elle affirme que les tats doivent pouvoir cet gard faire preuve dune grande fermet. Cependant, se rfrant aux rapports internationaux sur la situation des droits de lhomme au Maroc, et notamment aux mauvais traitements rservs dans cet tat aux personnes souponnes dactes de terrorisme, elle estime, saccordant en cela avec la position adopte en France par lOFPRA, quau vu du profil du requrant, le risque de violation de larticle 3 de la Convention en cas de retour est rel ( 46). La Cour prcise nanmoins que le gouvernement franais a pris lengagement de ne pas expulser le requrant et quil a par ailleurs confirm que, malgr le rejet de la demande dasile du requrant, ce dernier ne sera pas expuls, conformment aux dispositions de larticle L. 513-2 du CESEDA ( 47). Elle y voit une diffrence fondamentale avec laffaire Daoudi c/ France4, o le gouvernement ne souhaitait pas suivre lavis de la CNDA selon lequel le requrant, condamn galement pour des actes de terrorisme, risquait, en cas dexpulsion vers lAlgrie, dtre soumis des mauvais traitements. Ds lors, laffirmation du gouvernement selon laquelle le requrant ne sera pas reconduit vers le Maroc suffit la Cour pour conclure que ce dernier nencourt plus de risque de subir des traitements contraires larticle 3 de la Convention. En tout tat de cause, la Cour observe que si la mesure de renvoi devait tre mise excution, des recours demeurent ouverts au requrant, dans le cadre desquels sa situation pourrait3 4

CEDH, Grande chambre, Saadi c/ Italie, 28 fvrier 2008, requte no 37201/06. CEDH, Daoudi c/ France, 3 dcembre 2009, requte no 19576/08.

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tre nouveau examine. En particulier, il pourrait saisir la Cour dune nouvelle demande dapplication de larticle 39 du rglement ( 48). Elle conclut donc, lunanimit, quil ny a pas eu violation de larticle 3 de la Convention. Sur lallgation de violation de larticle 8 de la Convention : La Cour observe que le requrant, mari depuis 1994, pre de trois enfants, rside lgalement avec sa famille en France depuis plus de trente ans et quil tait titulaire, jusqu sa condamnation, dun titre de sjour de dix ans. Elle dclare le grief recevable mais, compte tenu de la conclusion laquelle elle est parvenue concernant le grief relevant de larticle 3 de la Convention (), elle dcide qu'il n'y a pas eu violation de l'article 8 de la Convention. Sur lapplication de l'article 39 de la Convention : La Cour considre que les mesures quelle a indiques au gouvernement en application de larticle 39 de son rglement doivent demeurer en vigueur jusqu ce que le prsent arrt devienne dfinitif ou que le collge de la Grande chambre accepte la demande de renvoi de laffaire devant la Grande chambre qui aurait t formule par lune des parties ou les deux, en vertu de larticle 43 de la Convention ( 54). 3. Droit la libert et la sret - Droit dtre aussitt traduit devant un juge (article 5 de la Convention de sauvegarde des droits de lhomme et des liberts fondamentales) Dans larrt Moulin c/ France, requte no 37104/06, rendu le 23 novembre 2010, la Cour conclut, lunanimit, la violation de larticle 5 3 de la Convention, la requrante arrte nayant pas t aussitt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilit par la loi exercer des fonctions judiciaires . loccasion de cette affaire, la Cour europenne se prononce sur la question de savoir si un membre du parquet est une autorit judiciaire au sens de cet article. Faits : La requrante, ressortissante franaise, exerce la profession davocat au barreau de Toulouse. Mise en cause dans le cadre dune procdure relative un trafic de stupfiants, elle fut arrte Orlans, sur commission rogatoire des juges dinstruction dOrlans, le 13 avril 2005, et place en garde vue, souponne de rvlation dinformations issues de lenqute ou instruction en cours , infraction prvue par larticle 434-7-2 du code pnal (cr par la loi no 2004-204 du 9 mars 2004, dite loi Perben II ), texte modifi depuis cette affaire. Le lendemain, elle fut conduite Toulouse, o son cabinet fut perquisitionn, en prsence de deux juges dinstruction dOrlans et du btonnier de lordre des avocats. Le mme jour, un juge dinstruction du tribunal de grande instance de Toulouse prolongea la garde vue sans entendre personnellement la requrante. Le 15 avril 2005, les deux juges dinstruction dOrlans se rendirent lhtel de police, pour vrifier lexcution de leur commission rogatoire et les modalits de la garde vue de la requrante, mais ils ne rencontrrent pas cette dernire. La garde vue de la requrante prit fin le 15 avril 2005, et elle fut galement informe par les policiers de ce quun mandat damener avait t pris son encontre par les juges dinstruction dOrlans en charge de linformation suscite. Elle fut donc prsente au procureur adjoint de Toulouse, qui ordonna sa conduite en maison darrt en vue de son transfrement ultrieur Orlans, devant les juges dinstruction. Le 18 avril 2005 15 h 14, ces derniers procdrent son interrogatoire de premire comparution et la mirent en examen. La requrante fut place en dtention provisoire par le juge des liberts et de la dtention. La requrante forma un recours en nullit dactes. Celui-ci fut rejet par la cour dappel dOrlans. Son pourvoi en cassation, invoquant les articles 5 et 6 de la Convention, fut rejet par un arrt du 1er mars 2006. Griefs : Invoquant larticle 5 3 de la Convention (droit la libert et la sret), la requrante allgue que, dtenue durant cinq jours avant dtre prsente un juge ou un autre magistrat habilit par la loi exercer des fonctions judiciaires , elle na pas t aussitt traduite devant une telle autorit. Sous langle de larticle 6 (droit un procs quitable), elle se plaint de ne pas avoir bnfici de lassistance dun avocat de son choix pendant sa garde vue. Enfin, invoquant plusieurs autres articles, elle dnonce le droulement de la perquisition son domicile, ainsi que la palpation et la saisie deffets personnels lors de son arrestation. Dcision : Sur le grief tir de larticle 5 3 de la Convention : titre liminaire, la Cour rappelle larrt rcent rendu en Grande chambre, Medvedyev c/ France5. loccasion de cette affaire, elle a soulign limportance fondamentale que reprsente larticle 5 3 de la Convention pour la protection de la personne prive de libert. Elle y a affirm la ncessit de sassurer que la personne dtenue sera aussitt conduite devant une autorit judiciaire, en distinguant deux priodes : la premire concerne les premires heures suivant larrestation, durant lesquelles le contrle juridictionnel doit permettre de fournir des garanties effectives contre le risque de mauvais traitements et contre un abus des agents de la force publique [...] des pouvoirs qui leur sont confrs , la seconde concerne la priode5

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CEDH, Grande chambre, Medvedyev c/ France, 29 mars 2010, requte no 3394/03.

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de dtention avant le procs ventuel. Pour tre conforme larticle 5 3 de la Convention, le contrle juridictionnel concernant la premire priode doit rpondre trois critres : la promptitude, lautomaticit et tre effectu par un juge ou [...] autre magistrat habilit par la loi exercer les fonctions judiciaires . La Cour prcise que ce dernier doit prsenter les garanties requises dindpendance lgard de lexcutif et des parties [...] et il doit avoir le pouvoir dlargissement, aprs avoir entendu la personne et contrl la lgalit et la justification de larrestation et de la dtention (extraits de larrt Medvedyev, 124). Contrairement au gouvernement, qui souhaitait que lon distingue, en lespce, trois priodes distinctes, savoir, la garde vue puis le mandat damener et, enfin, la dcision de placement en dtention provisoire du juge des liberts et de la dtention, les juges de Strasbourg ne retiennent quune priode reposant sur un fondement juridique unique, celui dtre souponne davoir commis ou tent de commettre une ou des infractions. Ils constatent quen lespce, pendant le temps qui sest coul entre le placement de la requrante en garde vue, le 13 avril 2005 14 h 35, et sa prsentation aux deux juges dinstruction dOrlans, le 18 avril 2005 15 h 14, pour linterrogatoire de premire comparution , lintresse na pas t entendue personnellement par les juges dinstruction. Or, cette premire phase de cinq jours correspond bien, au regard de larticle 5 3 de la Convention, aux heures suivants larrestation. Ils prcisent que la priode de dtention provisoire ordonne aprs le 18 avril 2005 nest pas en cause en lespce. La Cour europenne relve que la requrante a t entendue par le procureur adjoint le 15 avril 2005, date laquelle la mesure de garde vue prenait fin, en raison de lexistence dun mandat damener dlivr par les juges dinstruction dOrlans. Elle juge donc ncessaire dexaminer si le procureur adjoint remplissait les conditions requises pour tre qualifi, au sens de larticle 5 3 de la Convention et au regard des principes qui se dgagent de sa jurisprudence [] de juge habilit par la loi exercer des fonctions judiciaires ( 55). cet gard, la Cour constate quil ressort du droit franais que les magistrats du sige et les membres du ministre public ne sont pas soumis statutairement un mme rgime : Ces derniers dpendent tous dun suprieur hirarchique commun, le garde des sceaux, ministre de la justice, qui est membre du gouvernement, et donc du pouvoir excutif. Contrairement aux juges du sige, ils ne sont pas inamovibles en vertu de larticle 64 de la Constitution. Ils sont placs sous la direction et le contrle de leurs chefs hirarchiques au sein du parquet, et sous lautorit du garde des sceaux, ministre de la justice. En vertu de larticle 33 du code de procdure pnale, le ministre public est tenu de prendre des rquisitions crites conformes aux instructions qui lui sont donnes dans les conditions prvues aux articles 36, 37 et 44 du mme code, mme sil dveloppe librement les observations orales quil croit convenables au bien de la justice ( 56).10

Se dtachant expressment du dbat au plan national sur le lien de dpendance effective entre le ministre de la justice et le ministre public, elle explique quil lui appartient de se prononcer sous le seul angle des dispositions de larticle 5 3 de la Convention et des notions autonomes dveloppes par sa jurisprudence au regard desdites dispositions ( 57). Elle en dduit que, du fait de leur statut ainsi rappel, les membres du ministre public, en France, ne remplissent pas lexigence dindpendance lgard de lexcutif, qui, selon une jurisprudence constante, compte, au mme titre que limpartialit, parmi les garanties inhrentes la notion autonome de magistrat au sens de larticle 5 3 (Schiesser, prcit, 31, et, entre autres, De Jong, Baljet et Van den Brink c/ Pays-Bas, 22 mai 1984, 49, srie A no 77, ou, plus rcemment, Pantea c/ Roumanie, no 33343/96, 238, CEDH 2003-VI - extraits) ( 57). La Cour relve galement que les membres du ministre public peuvent se voir confier lexercice de laction publique. Or, elle rappelle que les garanties dindpendance lgard de lexcutif et des parties excluent notamment quil [le juge habilit par la loi exercer des fonctions judiciaires] puisse agir par la suite contre le requrant dans la procdure pnale (voir, en dernier lieu, Medvedyev et autres, prcit, 124 ; paragraphe 46 ci-dessus) ( 58). Ds lors, les juges europens considrent que le procureur adjoint de Toulouse, membre du ministre public, ne remplissait pas, au regard de larticle 5 3, les garanties dindpendance pour tre qualifi, au sens de cette disposition, de juge ou [...] autre magistrat habilit par la loi exercer des fonctions judiciaires ( 59). La Cour de Strasbourg constate donc que la requrante na t prsente un juge ou [...] autre magistrat habilit par la loi exercer des fonctions judiciaires , en lespce les juges dinstruction dOrlans, en vue de lexamen du bien-fond de sa dtention, que le 18 avril 2005 15 h 14, soit plus de cinq jours aprs son arrestation et son placement en garde vue. Or, dans son arrt Brogan et autres c/ Royaume Uni6, la Cour avait dj jug quune priode de garde vue de plus de quatre jours et six heures sans contrle judiciaire tait contraire larticle 5 3 de la Convention. Elle en dduit, lunanimit, une violation larticle 5 3 de la Convention. Concernant les autres articles invoqus : - Sur la violation allgue de larticle 6 1 et 3 de la Convention : La requrante soutenait navoir pu choisir son avocat durant sa garde vue et y voyait une violation de larticle 6 1 et 3 de la Convention.6

CEDH, Plnire, Brogan et autres c/ Royaume Uni, 29 novembre 1988, requtes no 11209/84, 11234/84, 11266/84 et 11386/85.

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La Cour note que la requrante avait souhait sentretenir avec Me B., avocat au barreau dOrlans, et que ce dernier, nayant pu se librer de ses obligations, a contact deux de ses confrres, dont son btonnier, qui sest dplac pour lassister dans le cadre de sa garde vue. Ds lors, elle rejette ce grief comme manifestement mal fond. - Sur la violation allgue de larticle 6 1 et 3 et larticle 8 de la Convention : La requrante se plaignait du droulement de la perquisition ralise son cabinet. La Cour, aprs avoir prcis que la perquisition effectue constituait bien une ingrence dans le droit au respect de la vie prive et du domicile de la requrante, considre cependant que la mesure avait une base lgale et poursuivait le but lgitime de la dfense de lordre public et de la prvention des infractions pnales. Elle souligne par ailleurs que, compte tenu des risques potentiels datteinte au secret professionnel, si le droit interne peut prvoir la possibilit de perquisitions ou de visites domiciliaires dans le cabinet dun avocat, celles-ci doivent imprativement tre assorties de garanties particulires ( 71). En lespce, la Cour constate quil existait des raisons plausibles de souponner la requrante davoir commis ou tent de commettre, en sa qualit davocate, une ou plusieurs infractions [] . Par ailleurs, la perquisition sest accompagne dune garantie spciale de procdure, puisquelle fut excute en prsence du btonnier de lordre des avocats, et que les observations formules par celui-ci ont pu tre ensuite discutes devant le juge des liberts et de la dtention . Ds lors, la perquisition ne semble pas avoir t une mesure disproportionne par rapport au but vis et elle ne relve aucune apparence de violation de larticle 8 de la Convention ( 76). La Cour rejette ce grief comme manifestement mal fond. La requrante dnonait la procdure de palpation ralise lors de son arrestation et la saisie de ses effets personnels. La Cour estime que la palpation ralise lors de larrestation constituait une mesure de scurit, uniquement destine dtecter la prsence ventuelle dobjets dangereux , et elle juge que le grief soulev par la requrante cet gard nest pas suffisamment tay. Sagissant de la saisie des deux sacs lors de larrestation, les juges europens relvent que la requrante les a en ralit conservs avec elle jusquau soir du jour de son arrestation. Ce grief est galement rejet comme manifestement mal fond. Au titre de larticle 41 de la Convention (satisfaction quitable), la Cour dit que la France devra verser la requrante cinq mille euros pour dommage moral et sept mille cinq cents euros pour frais et dpens. 4. Droit la libert et la sret (article 5 de la Convention de sauvegarde des droits de lhomme et des liberts fondamentales) Dans larrt X... c/ France, requte no 35935/03, rendu le 18 novembre 2010, la Cour conclut, lunanimit, la violation de larticle 5 1 e de la Convention (droit la libert et la sret) et deux violations de larticle 5 4 (droit de bnficier dun recours pour quil soit statu bref dlai sur la lgalit de sa dtention). Dans cette affaire, une personne condamne pour assassinat et tentative dassassinat avait fait lobjet dun internement doffice au sein dune unit pour malades difficiles. Faits : Le requrant fut condamn en 1975 par la cour dassises des Bouches-du-Rhne une peine de vingt ans de rclusion criminelle pour assassinat et tentative dassassinat. En 1983, il fit lobjet dun internement doffice au sein dune unit pour malades difficiles. En 1998, la cour dappel de Nmes dcida de le remettre en libert, mais, la suite dune altercation avec un gardien dun tablissement hospitalier, il fut apprhend par la police et hospitalis pour un mois. Par arrt prfectoral du 16 juillet 2005, son hospitalisation doffice fut reconduite pour une dure de trois mois. Cette mesure fut ensuite renouvele plus de vingt reprises, le requrant demeurant hospitalis ce jour. Souhaitant obtenir la mainleve de la mesure dhospitalisation doffice prise son encontre, le requrant avait saisi les juridictions internes de trois types de recours : devant le juge administratif, il introduisit, dune part, des recours en annulation des arrts reconduisant la mesure dinternement et, dautre part, plusieurs recours en rfr-suspension, afin dobtenir la suspension de lexcution de ces arrts. Enfin, il saisit, galement trois reprises, le juge judiciaire de demandes de sorties immdiates. Or, si, plusieurs reprises, le juge administratif annula ou suspendit des arrts dhospitalisation irrguliers, le juge judiciaire ne pronona pour autant aucune mesure de libration. Griefs : Devant la Cour europenne, le requrant invoque une violation de larticle 5 1 e de la Convention (droit la libert et la sret), en raison de son maintien sous un rgime dhospitalisation force. Il se plaint dtre ainsi victime dune dtention arbitraire, non fonde en droit ni mdicalement justifie, puisquun grand nombre de ces arrts ont t annuls. Sur le fondement de larticle 5 4 de la Convention, il prtend ne pas avoir dispos dun recours effectif pour quil soit statu sur la lgalit de la mesure dhospitalisation doffice dont il fait lobjet. Sous langle de ce mme article, il soutient quil na t statu bref dlai sur aucun de ses recours, tant devant les juridictions de lordre judiciaire que devant les juridictions administratives.11

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Dcision : Sur la demande du gouvernement franais de rayer laffaire du rle : La Cour rappelle que, dans certaines circonstances, il peut tre indiqu de rayer une affaire du rle en vertu de larticle 37 1 c de la Convention sur la base dune dclaration unilatrale du gouvernement dfendeur, mme si le requrant souhaite que lexamen de laffaire se poursuive, ce qui est le cas en lespce. La Cour rejette cette demande, estimant que si le grief tir de la violation de larticle 5 1 de la Convention relatif lillgalit de lhospitalisation force du requrant demeure circonscrit la priode comprise entre le 21 octobre 2004 et le 9 novembre 2004, tel nest pas le cas du grief tir de la violation de larticle 5 4 de la Convention. En effet, ce dernier soulve une problmatique gnrale qui, sans se limiter la priode prcite, concerne avant tout leffectivit des recours disponibles en droit franais en matire dhospitalisation doffice. Or il sagit dune question de principe relative la privation de libert qui na pas encore t tranche en tant que telle par la Cour dans des affaires prcdentes ( 81). Sur la violation de larticle 5 1 e de la Convention : titre liminaire, la Cour rappelle quil ressort de sa dcision sur la recevabilit dans cette affaire que le grief tir de la violation de larticle 5 1 de la Convention relatif lillgalit de lhospitalisation force du requrant demeure circonscrit la priode comprise entre le 21 octobre 2004 et le 9 novembre 2004. Par consquent, elle doit dterminer si le requrant a t priv de sa libert selon les voies lgales pendant cette priode. En lespce, elle relve que, par jugement du 21 octobre 2004, le tribunal administratif de Bordeaux a annul pour vice de forme larrt dhospitalisation doffice du 17 mai 2004, tout en se dclarant incomptent pour ordonner la sortie immdiate de lintress. Or larrt prfectoral de reconduction de la mesure dhospitalisation na t pris que le 9 novembre 2004. Cette annulation pour vice de forme reposait sur un manquement aux exigences poses par la jurisprudence du Conseil dtat quant la motivation des arrts. Or lobligation faite par le Conseil dtat lautorit administrative dindiquer les lments de fait ou de droit justifiant une mesure dhospitalisation force ou son maintien a pour objectif de renforcer la protection de lindividu contre larbitraire, ce qui est le but de larticle 5 de la Convention ( 90). La Cour observe donc quil y a eu une hospitalisation sans titre entre le 21 octobre 2004 et le 9 novembre 2004, alors que le droit franais exige, pour toute hospitalisation doffice, que celle-ci soit fonde sur un arrt prfectoral, renouvel rgulirement (ainsi que limpose larticle L. 3213-4 du code de la sant publique). Par consquent, la discontinuit de la base lgale de la mesure dhospitalisation nest pas conforme aux exigences poses par le droit franais.12

Les juges europens nadhrent pas au raisonnement du gouvernement franais, qui soutient que cette illgalit aurait t purge par larrt rendu le 8 juillet 2005 par la cour dappel de Bordeaux. En effet, ils relvent que la cour dappel sest fonde sur ltat de sant du requrant et sur lexistence de larrt pris le 10 mars 2005 pour apprcier la situation au moment de statuer, conformment au droit interne, ce qui la conduite refuser la demande de sortie immdiate du requrant. Cette juridiction sest dclare incomptente pour apprcier la rgularit des arrts prfectoraux des 9 novembre 2004, 7 dcembre 2004 et 10 mars 2005. Ils estiment, en consquence, que lintress a fait lobjet dune hospitalisation sans titre, contrairement aux dispositions du droit national pertinent. Par consquent, la Cour juge quen lespce, la privation de libert du requrant entre le 21 octobre 2004 et le 9 novembre 2004 na pas t effectue selon les voies lgales . Elle conclut lunanimit la violation de larticle 5 1 e de la Convention. Sur la violation de larticle 5 4 de la Convention : Le requrant dnonce, dune part, une violation de son droit un recours effectif permettant quil soit statu sur la lgalit de la mesure dhospitalisation doffice et, dautre part, il estime quil na t statu bref dlai sur aucun de ses recours. La Cour rappelle que larticle 5 4 de la Convention, qui garantit un recours aux personnes arrtes ou dtenues, consacre galement le droit pour celles-ci dobtenir dans un bref dlai une dcision judiciaire concernant la rgularit de leur dtention et mettant fin leur privation de libert, si celle-ci se rvle illgale. Or, dans le cas de linternement des alins, elle a jug quoutre le contrle de la dcision privative de libert, il doit toujours y avoir place pour un contrle ultrieur, exercer des intervalles raisonnables, car les motifs qui justifiaient lorigine la dtention peuvent cesser dexister ( 101). Il lui appartient donc de vrifier si, en lespce, le requrant a dispos dun recours effectif lui permettant dobtenir la mainleve de la mesure dhospitalisation doffice dont il faisait lobjet. Sagissant des recours en rfr que lintress a utiliss, la Cour relve que ni le rfr-suspension prvu par larticle L. 521-1-12 du code de justice administrative, qui doit tre suivi dun recours en annulation de larrt contest, ni le mcanisme de rfr-libert mis en place par la loi du 30 juin 2000, qui permet uniquement au juge de contrler lillgalit manifeste dun acte de lautorit administrative, ne peuvent donner lieu un examen au fond de la lgalit dune dcision dinternement ( 102). Ds lors, elle considre que ces recours ne tombent pas sous lempire de larticle 5 4 de la Convention. Sagissant ensuite des recours en annulation, la Cour rappelle avoir estim, dans laffaire X...7, que ces recours ne permettent pas dobtenir la sortie immdiate de ltablissement hospitalier. Il ne sagit donc pas dun recours pertinent sous langle de larticle 5 4, dans la mesure o il ne donne pas lintress la7

CEDH, X... c/ France, 18 juin 2002, requte no 43125/98.

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possibilit dtre mis en libert dans lhypothse o sa privation de libert serait ensuite dclare illgale. Pour la Cour, aucune raison ne lui permet de scarter de la conclusion laquelle elle avait abouti dans cette affaire. En effet, elle constate qu plusieurs reprises les juges administratifs se sont dclars incomptents pour ordonner sa sortie immdiate de lhpital, aprs avoir pourtant constat lillgalit de larrt fondant linternement de lintress. Enfin, la Cour relve que lintress a effectivement fait usage de la possibilit ouverte aux personnes internes du recours la voie judiciaire pour faire statuer sur leurs demandes de sorties immdiates. Cependant, elle constate que les juridictions judiciaires se sont attaches dterminer si lhospitalisation doffice du requrant tait justifie par son tat de sant et nont abord la question de la lgalit externe des arrts dhospitalisation que pour constater la comptence des juges administratifs en la matire. Le juge judiciaire ntait donc pas habilit examiner les conditions de validit formelle des arrts litigieux. Si la Cour relve, linstar du gouvernement, la complmentarit des recours existants permettant de contrler lensemble des lments de la lgalit dun acte, toutefois, en lespce, elle ne peut que constater que les actes successifs fondant la privation de libert du requrant ont t annuls par les juges administratifs, sans que jamais lintress nobtienne une dcision des tribunaux judiciaires mettant fin la mesure dhospitalisation. Ds lors, la Cour parvient la conclusion que, dans les circonstances trs particulires de lespce, larticulation entre la comptence du juge judiciaire et celle du juge administratif quant aux voies de recours offertes na pas permis au requrant dobtenir une dcision dun tribunal pouvant statuer sur la lgalit de sa dtention et ordonner sa libration si la dtention est illgale ( 108). Par consquent, les juges strasbourgeois accueillent lexception dirrecevabilit du gouvernement franais quant linapplicabilit de larticle 5 4 de la Convention aux procdures introduites par le requrant devant les juridictions administratives. En outre, elle constate que le requrant na dispos daucun recours effectif qui lui aurait permis dobtenir une dcision judiciaire constatant lirrgularit de lacte fondant son internement et mettant fin sa privation de libert irrgulire. Elle conclut donc la violation de larticle 5 4 de la Convention. Enfin, la Cour examine la dure dexamen bref dlai des diffrents recours introduits par le requrant. Sur ce point, de la mme manire que dans larrt X... c/ France, 18 juin 2002, prcit, elle limite son examen aux procdures judiciaires engages par le requrant. Elle rappelle avoir, en de maintes occasions, soulign que le souci principal exprim par larticle 5 4 est celui dune certaine clrit , ltat ayant lobligation de sassurer que les procdures concernant la libert dun individu se droulent en un minimum de temps. Or, sagissant des trois procdures judiciaires, la Cour relve que la procdure la plus courte a dur plus de quatre mois, du 19 octobre 2005 au 20 fvrier 2006, et estime que les dlais litigieux sont imputables aux autorits, tant donn que rien ne permet de penser que le requrant, aprs avoir introduit ces recours, ait dune manire quelconque retard leur examen. Compte tenu de sa jurisprudence concernant la dtention des alins, dans laquelle des dures de huit semaines posent problme, elle juge ces retards excessifs ( 118). Ds lors, aucune des procdures judiciaires introduites par le requrant na respect lobligation dexamen bref dlai . La Cour conclut, lunanimit, la violation de larticle 5 4 de ce chef. Au titre de la satisfaction quitable, elle dit que ltat franais doit verser au requrant vingt mille euros au titre du dommage moral et trois mille euros pour les frais et dpens. 5. Droit un procs quitable (article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de lhomme et des liberts fondamentales) Dans larrt Lilly c/ France no 2, requte no 20429/07, rendu le 25 novembre 2010, la Cour conclut, lunanimit, la violation de larticle 6 1 de la Convention : lintervention rtroactive de larticle 73 de la loi du 18 dcembre 2003 de financement de la scurit sociale ne reposait pas sur dimprieux motifs dintrt gnral. Faits : La requrante, la socit Lilly France, est un laboratoire pharmaceutique. En application du code de la scurit sociale (notamment des articles L. 243-7 et L. 245-1 dudit code), les laboratoires pharmaceutiques, tel que celui de la requrante, sont redevables dune taxe sur les dpenses quils exposent au titre de linformation et de la prospection mdicale. En juillet 2000, la socit requrante fit lobjet dun redressement, aprs contrle de deux agents de lURSSAF, pour un montant total de 32 201 364 francs (4 909 066 euros), notifie le 23 aot 2001 par lAgence centrale des organismes de scurit sociale (ACOSS). Aprs un recours gracieux infructueux, la requrante, devant le tribunal des affaires de scurit sociale (TASS), souleva lincomptence des agents de lURSSAF, leurs agrments nayant, selon elle, pas t rgulirement dlivrs. Elle invoqua ce titre des procdures pendantes en annulation de ces agrments devant les juridictions administratives pour solliciter un sursis statuer. Par un jugement du 10 juin 2003, le TASS refusa de surseoir statuer, en invoquant le caractre non suspensif des recours administratifs, et rejeta sa demande sur le fond. En cours dinstance, le 18 dcembre 2003, le lgislateur adopta la loi de financement de la scurit sociale pour 2004, dont larticle 73 prvoyait que, sous rserve des dcisions de justice passes en force de chose juge, les procs-verbaux mentionns aux articles L. 243-7 du code de la scurit sociale taient rputs rguliers en tant quils seraient contests par le moyen tir de lillgalit de lagrment des agents ayant procd aux oprations de contrle ou par le moyen tir de lincomptence de leur auteur.

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Par un arrt du 11 janvier 2005, la cour dappel de Versailles, au visa de la loi du 18 dcembre 2003, refusa de se prononcer sur lillgalit invoque des agrments. Quant lincompatibilit entre lintervention de la loi de validation et larticle 6 1 de la Convention, souleve par la socit requrante, la cour dappel estima quen lespce, lintrt gnral, qui sattachait scuriser les recettes sociales, ntait pas seulement dordre financier. En effet, selon elle, la loi de validation avait pour but de faire obstacle une remise en cause intempestive de la rgularit des agrments des agents de contrle, parfois trs anciens, et dont la lgalit navait jamais t mise en doute. Sur le fond, la socit fut condamne payer, aprs une dcharge partielle, une somme de quatre millions huit cent soixante deux mille euros lACOSS. La Cour de cassation, saisie par la requrante, dans un arrt du 8 novembre 2006, estima que lintervention du lgislateur obissait dimprieux motifs dintrt gnral, dans la mesure o cette intervention, sans rgler le fond du litige ni priver la requrante du droit de contester le bien-fond du redressement, tait destine viter le dveloppement dun contentieux de nature mettre en pril le recouvrement des cotisations de scurit sociale et, par suite, la prennit du systme de protection sociale. Sur ce point, elle confirma larrt rendu par la cour dappel. Paralllement, les recours en annulation des dcisions dagrment des agents de lURSSAF exercs par la socit requrante ne purent aboutir, les juridictions administratives et le Conseil dtat refusant de lui reconnatre un intrt agir. Un recours en responsabilit de ltat du fait des lois tait toujours pendant devant le juge administratif. Grief : La requrante estime que ladoption de larticle 73 de la loi de financement de la scurit sociale pour 2004 du 18 dcembre 2003 constitue une rupture du principe dgalit des armes. Elle invoque larticle 6 1 de la Convention. Dcision : Sur la recevabilit de la requte : Invoquant la jurisprudence du Conseil dtat Gardedieu (arrt du 8 fvrier 2007), le gouvernement franais soulevait le non-puisement des voies de recours interne, la requrante pouvant selon lui, du fait de cette jurisprudence, disposer dune voie de recours effective et efficace pour obtenir rparation du fait dune loi de validation rtroactive, voie de recours quelle avait de fait exerc dans une instance encore pendante. La Cour carte lexception dirrecevabilit de la manire suivante : la Cour constate quil existe une diffrence notable entre la prsente espce et laffaire Gardedieu. En effet, dans cette dernire, le grief tir de linconventionnalit de la lgislation litigieuse avait t soumis pour la premire fois aux juridictions nationales dans le cadre de la procdure en responsabilit de ltat du fait des lois, tandis quen lespce, ce grief a t pralablement soumis et rejet par les juridictions judiciaires, aussi bien en appel quen cassation. Or, selon la Cour, lon ne saurait exiger de la requrante que, outre la procdure au fond, elle puise dautres voies de recours telles que laction en responsabilit de ltat du fait des lois (voir Maurice, prcite) ( 31). La requte est donc juge recevable. Sur le fond : Le gouvernement fait valoir que, au moment de ladoption de la loi du 18 dcembre 2003, aucune dcision de justice dfinitive et dfavorable ltat navait encore t prononce, cette loi navait donc pas selon lui pour finalit de mettre un terme une jurisprudence contraire. Il prcise que le nombre de recours introduits par les laboratoires pharmaceutiques mettant en cause les procdures dagrment des contrleurs de lURSSAF lui faisaient craindre dventuelles annulations dagrments par les juridictions nationales, ce qui risquait de fragiliser le recouvrement des recettes de scurit sociale. Minimisant la porte de la mesure, qui, selon elles, naffecte pas la facult pour les socits concernes de contester le bien-fond des redressements, les autorits franaises soulignent ce sujet que la procdure dagrment des agents chargs du contrle a t modifie compter du 1er janvier 2004, afin de supprimer le risque de nouveaux contentieux sur le mme fondement. La Cour europenne, renvoyant sa jurisprudence Zielinski et Pradal et Gonzalez et autres c/ France8, rappelle que si, en principe, le pouvoir lgislatif nest pas empch de rglementer, en matire civile, par de nouvelles dispositions porte rtroactive, des droits dcoulant de lois en vigueur, le principe de la prminence du droit et la notion de procs quitable consacrs par larticle 6 sopposent, sauf pour dimprieux motifs dintrt gnral, lingrence du pouvoir lgislatif dans ladministration de la justice dans le but dinfluer sur le dnouement judiciaire du litige ( 46). Elle relve que la requrante tait lune des premires socits pharmaceutiques se prvaloir de lincomptence des contrleurs de lURSSAF, aucune dcision juridictionnelle ntant venue trancher cette question auparavant. La question est de savoir si lintervention de la loi du 18 dcembre 2003 a port atteinte au caractre quitable de la procdure et lgalit des armes, en modifiant, en cours dinstance, lissue de celle-ci. La Cour considre que cette intervention, destine scuriser lissue de la procdure, constitue bien une ingrence du pouvoir lgislatif dans ladministration de la justice. En effet, elle rappelle que sil ne lui appartient pas de se substituer aux juridictions internes quant aux chances de succs des actions engages par la requrante , elle se borne constater que lintervention de la loi litigieuse a fait obstacle ce que la cour dappel et la Cour de cassation puissent se prononcer sur la validit des agrments de G. et C., donc sur la rgularit du8

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CEDH, Grande chambre, Zielinski et Pradal et Gonzalez et autres c/ France, 28 octobre 1999, requtes no 24846/94, 34165/96 et 34173/96.

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contrle quils ont effectu et, par voie de consquence, sur la validit du redressement inflig la requrante, alors que le gouvernement reconnat dans ses observations quun doute persistait, avant lentre en vigueur de la loi, sur la rgularit de ces agrments ( 49). Vrifiant lexistence dimprieux motifs dintrt gnral, elle souligne que le motif tir du seul intrt financier de ltat nest pas suffisant pour justifier lintervention rtroactive dune loi de validation et ne parat pas trs raliste en lespce : selon les juges de Strasbourg, la somme avance par le gouvernement franais, soit cent trente et un millions deuros, correspondant aux redressements rellement contests devant les juridictions nationales en raison de lillgalit des agrments des agents de contrle pour la seule rgion parisienne, ne saurait remettre en cause, elle seule, la prennit du systme de scurit sociale, comme le soutient le gouvernement, et [...] nautorise donc pas le lgislateur intervenir en cours de procdure afin den scuriser lissue ( 54). Aucun des autres arguments prsents par le gouvernement ne convainc la Cour de la lgitimit de lingrence. De lavis de la Cour, lintervention rtroactive de larticle 73 de la loi du 18 dcembre 2003 ne reposait pas sur dimprieux motifs dintrt gnral. Partant, lunanimit, elle conclut la violation de larticle 6 de la Convention. La Cour europenne dcide de rejeter la demande au titre de la satisfaction quitable forme par la socit requrante. 6. Droit un procs quitable (article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de lhomme et des liberts fondamentales) Dans larrt X c/ France, requte no 76182/05, rendu le 18 novembre 2010, la Cour conclut, lunanimit, la violation de larticle 6 1 de la Convention. Faits : La requrante est une ressortissante polonaise rsidant en Pologne. Elle a saisi la Cour europenne en son nom et au nom de ses deux enfants, ns respectivement en 1989 et 1990 de son mariage avec un ressortissant polonais dont elle a divorc le 25 juin 1999. Par ce jugement, le pre des enfants, qui vivait en France, fut condamn verser une pension alimentaire de cinq cents zlotys polonais par mois (environ cent dix-huit euros), mais il neffectua aucun versement. La requrante se prvalut de la Convention de New York du 20 juin 1956 sur le recouvrement des aliments ltranger ( la Convention de New York ) et, le 16 dcembre 1999, elle adressa, par lintermdiaire des autorits polonaises, une demande de recouvrement de la pension alimentaire aux autorits franaises (ministre des affaires trangres). En juillet 2000, les autorits franaises sollicitrent de leurs homologues polonais la production de certaines pices, dont la preuve de lassignation en justice de lex-mari de la requrante et de la signification du jugement de divorce. Le 20 mai 2004, les autorits polonaises adressrent leurs homologues franais la preuve de la notification du jugement de divorce, prcisant que lex-mari de la requrante navait effectu aucun versement. Entre-temps, une dcision du tribunal de district de Sosnowiec avait augment le montant de la pension alimentaire 450 zlotys polonais pour chaque enfant (soit environ deux cent cinquante-quatre euros au total). Le 12 juillet 2004, les autorits franaises reurent le courrier contenant la preuve de la notification du jugement de divorce et, le 1er septembre 2004, lex-mari de la requrante fut entendu par la police franaise. Il sengagea par crit verser cent huit euros par mois, ce dont les autorits franaises informrent leurs homologues polonais, mais il ne respecta pas son engagement. En janvier 2005, la requrante se plaignit auprs des autorits judiciaires de son pays de labsence de versement de la pension alimentaire. Les autorits franaises en furent informes par lettre du 18 janvier 2005, qui leur parvint le 7 mars 2005, mais elles ny donnrent pas suite. La requrante se plaignit encore, plusieurs reprises, de linefficacit de la procdure en recouvrement auprs des autorits polonaises. Celles-ci nayant reu aucune rponse de la part des autorits franaises depuis leur dernire lettre, date du 15 septembre 2004, elles informrent la requrante, plusieurs reprises, en 2005, 2006 et 2007, que la procdure de recouvrement demeurait sans effet. Entre-temps, le 16 fvrier 2005, la requrante saisit la Cour europenne des droits de lhomme ; la requte fut communique au gouvernement franais le 22 octobre 2008. Le 17 dcembre 2008, les autorits franaises relancrent la procdure de recouvrement. Le 26 avril 2009, lex-mari fut entendu par la police ; il expliqua quil se trouvait dans une situation financire trs prcaire et ajouta que ds quil trouverait un emploi il verserait la pension ainsi que les intrts de retard. La teneur de cet entretien fut communique aux autorits polonaises ; en retour, celles-ci informrent leurs homologues franais des observations formules par les enfants de la requrante, qui, devenus majeurs, demandaient en leur propre nom lexcution force du jugement de 2003, qui avait rvis la hausse le montant de leur pension alimentaire. Les autorits franaises demandrent que de nouvelles pices soient fournies lappui de cette demande. En octobre 2009, la Pologne leur fit parvenir la copie de la signification du jugement inexcut ainsi que les coordonnes bancaires, prcisant quelles les avaient dj transmises en mai 2004, puis en fvrier 2009. Les autorits franaises communiqurent aux enfants diverses informations tenant la procdure de recouvrement des impays ainsi qu leur droit de demander le bnfice de laide juridictionnelle. Elles prcisrent galement que le dbiteur, nouveau entendu par les autorits, affirmait que sa situation financire tait toujours prcaire ; sans emploi, il vivait dallocations familiales. Il prtendait enfin quil avait laiss la requrante lappartement quil avait acquis en Pologne. En fvrier 2010, devant le tribunal de grande instance de Perpignan, les enfants obtinrent laide juridictionnelle totale dans le cadre dune action en exequatur du jugement de 2003 ayant rvalu la pension alimentaire.

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Griefs : Invoquant larticle 6 1 de la Convention, la requrante se plaignait de navoir pu obtenir des autorits franaises, saisies sur le fondement de la Convention de New York, lexcution du jugement lui accordant une pension alimentaire, ainsi que de la dure excessive de la procdure de recouvrement de cette pension. Dcision : La Cour examine les griefs soulevs par la requrante et considre que, en dnonant limpossibilit dobtenir des autorits franaises lexcution du jugement polonais et la dure excessive de la procdure, la requrante se plaint en ralit de leur manque de diligence pour lassister dans le recouvrement de ses crances alimentaires. Elle rappelle que le droit un tribunal serait illusoire si lordre juridique interne dun tat contractant permettait quune dcision judiciaire dfinitive et obligatoire reste inoprante au dtriment dune partie. En effet, on ne comprendrait pas que larticle 6 1 dcrive en dtail les garanties de procdure - quit, publicit et clrit - accordes aux parties et quil ne protge pas la mise en uvre des dcisions judiciaires ; si cet article devait passer pour concerner exclusivement laccs au juge et le droulement de linstance, cela risquerait de crer des situations incompatibles avec le principe de la prminence du droit que les tats contractants se sont engags respecter en ratifiant la Convention. Lexcution dun jugement ou arrt, de quelque juridiction que ce soit, doit donc tre considre comme faisant partie intgrante du procs au sens de larticle 6 ( 53). En lespce, les juges europens estiment que la requrante, en demandant lapplication de la Convention de New York, demandait lintervention des autorits franaises pour permettre lexcution de son jugement. Or, mme si la responsabilit des tats membres ne peut tre engage du fait du dfaut de paiement dune crance excutoire d linsolvabilit dun dbiteur priv , ils ont toutefois lobligation positive de mettre en place un systme qui soit effectif en pratique comme en droit et qui assure lexcution des dcisions judiciaires dfinitives entre personnes prives (Fouklev c/ Ukraine, no 71186/01, 84, 7 juin 2005) ( 55). Contrairement la position dfendue par le gouvernement franais, qui soutient quil ne pse sur ltat adhrant la Convention de New York quune obligation subsidiaire limite faciliter le recouvrement de crances alimentaires, la Cour de Strasbourg constate que ce texte met en place un systme de coopration entre tats, et ce, afin de surmonter les difficults lgales et pratiques que posent la poursuite des actions alimentaires ou lexcution des dcisions ltranger. Larticle 1 de cette Convention prcise quelle a pour objet de faciliter une personne [...], qui se trouve sur le territoire dune des parties contractantes, le recouvrement daliments auxquels elle prtend avoir droit de la part dune personne qui est sous la juridiction dune autre partie contractante ( 57). Elle en dduit quil repose, sur ltat du dbiteur rgulirement saisi dune demande, une obligation positive cet gard : il doit prendre, au nom du crancier, toutes les mesures propres assurer le recouvrement des aliments ; notamment, il transige et, lorsque cela est ncessaire, intente et poursuit une action alimentaire et fait excuter tout jugement, ordonnance ou autre acte judiciaire ( 58). La Cour, aprs avoir relev lenjeu particulirement important pour la requrante dobtenir le recouvrement de sa pension alimentaire, recherche si, dans la prsente affaire, les mesures prises par les autorits franaises pour assister lintresse dans lexcution du jugement ont t adquates et suffisantes. cette fin, elle examine les diligences accomplies depuis juillet 2004, date laquelle les autorits franaises ont reu la preuve que le jugement fixant la pension alimentaire avait t notifi lex-mari. Aprs avoir not que les autorits franaises ont entendu le dbiteur ds septembre 2004 et que celui-ci stait engag par crit verser la pension alimentaire, elle constate nanmoins que les autorits nont jamais donn suite la lettre du 18 janvier 2005, dans laquelle les autorits polonaises les avaient informes que le dbiteur ne sacquittait pas de ses obligations. Le gouvernement franais soutenait que, sauf mconnatre la haute fonction de la Convention et de la Cour charge de linterprter, la Convention europenne navait pas vocation sanctionner un tat pour une erreur de classement du courrier imputable lun de ses agents. Il reprochait la requrante son manque de diligence, exposant que celle-ci navait effectu aucune dmarche autre que la saisine de la Cour de Strasbourg pour remdier ses difficults. Les juges europens admettent quune erreur de classement ne peut constituer elle seule une violation de la Convention. Cependant, cet impair administratif invoqu par le gouvernement, outre quil ne saurait tre oppos la requrante et quil relve de la seule responsabilit des autorits franaises, a eu pour consquence dempcher lexcution du jugement et, ainsi, le recouvrement de la pension alimentaire. En outre, cette erreur sest accompagne dun manque de diligence de la part des autorits, qui auraient pu soit constater par elles-mmes la dfaillance du dbiteur - qui stait engag par crit leur faire parvenir les justificatifs de paiement de la pension -, soit relancer lautorit expditrice. Ces diligences les auraient certainement conduites corriger limpair administratif et poursuivre la procdure en recouvrement ( 64). Sagissant du manque de diligence reproch la requrante par le gouvernement, la Cour, aprs avoir rappel que lobligation dagir pesait sur ltat du dbiteur , constate que la requrante correspondait rgulirement avec les autorits polonaises et stait plainte de nombreuses reprises de labsence de versement de la pension ( 65). La Cour conclut donc, lunanimit, que les autorits franaises nont pas dploy les efforts suffisants pour assister la requrante dans lexcution du jugement et le recouvrement de ses crances alimentaires, et que larticle 6 1 de la Convention a donc t viol. Au titre de la satisfaction quitable, la Cour dit que la France doit verser la requrante quatre mille cinq cents euros au titre du prjudice moral.

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7. Protection de la proprit (article premier du Protocole additionnel no 1 la Convention de sauvegarde des droits de lhomme et des liberts fondamentales) Dans larrt Sud Est Ralisations c/ France, requte no 6722/05, rendu le 2 dcembre 2010, la Cour conclut, lunanimit, la violation de larticle premier du Protocole additionnel no 1 la Convention. Faits : La requrante est une SARL qui exerce une activit de marchand de biens. Par un jugement en date du 19 novembre 1992, elle a acquis une proprit agricole aux enchres publiques. Ce jugement dadjudication tait revtu de la formule excutoire et ordonnait aux possesseurs ou dtenteurs du bien de le dlaisser au profit de ladjudicataire, sous peine dy tre contraints. Malgr une mise en demeure, les anciens propritaires refusrent de quitter les lieux. Ayant constat quil y avait occupation abusive des lieux, le tribunal de grande instance fixa une indemnit doccupation mensuelle au profit de la requrante, mais ce jugement demeura galement inexcut. Un commandement de quitter les lieux fut dlivr aux anciens propritaires, mais il resta sans suite. Le propritaire tant rput agressif et dangereux, lhuissier de justice saisit le procureur de la Rpublique dune demande dassistance de la force publique pour procder une tentative dexpulsion. La demande fut transmise au prfet, mais aucune suite ny fut donne. Malgr des demandes rptes en ce sens, le concours de la force publique ne fut jamais octroy. Pour justifier de ce refus, le prfet faisait valoir que lexpulsion entranerait des risques de troubles graves lordre public, dans la mesure o lancien propritaire avait toujours prtendu quil se dfendrait par les armes. En 1994, la socit requrante vendit une grande partie des terrains litigieux et, en 1997, elle conclut une vente pour la partie subsistante. Mais cette vente devint caduque faute de libration des lieux. Les nouvelles demandes doctroi de la force publique restrent sans effet. En 1994, la requrante engagea un recours devant les juridictions administratives afin que ltat soit condamn lui payer des indemnits en rparation de son prjudice. Les indemnits accordes par le tribunal administratif et par la cour dappel administrative tant bien moindres que les sommes demandes par la requrante, cette dernire se pourvut en cassation devant le Conseil dtat. Par un arrt du 22 septembre 2006, son pourvoi fut rejet. Paralllement, la requrante avait saisit le juge des rfrs dune demande visant enjoindre sous astreinte au prfet de lui accorder le concours de la force publique. La requte fut rejete, le juge des rfrs du Conseil dtat confirma ce rejet. Griefs : Devant la Cour europenne des droits de lhomme, la socit requrante invoquait larticle premier du Protocole additionnel no 1 la Convention, se plaignant davoir t prive de ses droits sur sa proprit en raison du dfaut doctroi de la force publique depuis plus de seize ans. Elle invoquait galement larticle 6 1 de la Convention en raison dun dfaut dquit de la procdure au fond devant la cour administrative de Marseille et le Conseil dtat, du fait de la non-communication avant laudience des conclusions du commissaire du gouvernement. Enfin, elle se plaignait de la dure de la procdure, quelle estimait draisonnable. Dcision : Sur la recevabilit : Le gouvernement franais estimait que la requte tait irrecevable. Selon lui, le grief tir de labsence dexcution dun jugement ordonnant lexpulsion des poux ne pouvait prosprer dans la mesure o un tel jugement nexistait pas, puisque le jugement dadjudication navait jamais prononc expressment lexpulsion des poux. La Cour ne suit pas ce raisonnement. Elle rappelle quil appartient en premier lieu aux juridictions internes dapprcier les faits et dappliquer le droit interne. Or, elle relve que le jugement dadjudication du 19 novembre 1992 comportait, dans son dispositif, la formule suivante : tous dtenteurs ou possesseurs de dlaisser les biens dont sagit [...] sous peine dy tre contraints par voie dexpulsion [...] . En outre, elle note que les juridictions internes ont, pour leur part, estim que ce jugement constituait effectivement un titre excutoire permettant de demander le concours de la force publique pour lexpulsion. Par consquent, la Cour rejette cette exception dirrecevabilit. Le gouvernement soutenait enfin que la socit requrante navait pas puis les voies de recours internes. La Cour relve que la socit requrante a fait usage de tous les recours qui lui taient ouverts devant les juridictions administratives pour remdier la situation qui lui faisait grief. La requte en rfr quelle a forme visait obtenir une ordonnance enjoignant au prfet sous astreinte daccorder le concours de la force publique, tandis que le recours au fond avait pour but de faire reconnatre la responsabilit de ltat et dobtenir une indemnisation de son prjudice. Enfin, la requrante avait soulev devant le Conseil dtat les griefs tirs dune violation des articles 6 1 de la Convention et premier du Protocole additionnel no 1 la Convention. Au regard de ces lments, la Cour rejette galement cette exception et dclare la requte recevable.

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Sur le fond : - Sur larticle premier du Protocole additionnel no 1 la Convention : La socit requrante estime que lingrence quelle a subie constituait une privation absolue de son droit de proprit, dans la mesure o, sur la parcelle dont la vente a t annule faute de libration des lieux, elle ne dispose nullement de son bien, quelle ne peut ni vendre ni louer. La Cour se rfre aux dcisions sur la recevabilit quelle a rendues dans les affaires Matheus c/ France, 18 mai 2004, requte no 62740/00, R.P. c/ France, 3 juillet 2007, requte no 10271/02, Barret et Sirjean c/ France, 3 juillet 2007, requte no 13829/03, et Fernandez c/ France, 3 juillet 2007, requte no 28440/05, et estime quen lespce le refus de concours de la force publique ne dcoulait pas de lapplication dune politique sociale et conomique particulire, mais provenait dun refus des autorits locales de prter main-forte la requrante pour lui permettre de librer ses terres, et ce, pendant un laps de temps trs long. Elle relve ensuite que les motifs avancs par les autorits internes pour refuser le concours de la force publique taient de deux ordres : dune part, ils visaient viter des troubles lordre public, dautre part, les autorits ont galement mis en avant des considrations dordre social. Sur les motifs tirs des troubles lordre public, les juges europens relvent qu de nombreuses reprises le prfet et le sous-prfet ont fait valoir que lexpulsion des poux C. provoquerait des troubles graves lordre public, M. C. ayant fait savoir quil se dfendrait par les armes. Des lments du dossier tels que la lettre de lhuissier corroboraient dailleurs ce risque. Or, la diffrence de laffaire Matheus, o les juridictions administratives avaient considr que ladministration avait commis une faute en refusant le concours de la force publique, tel ne fut pas le cas en lespce. Ils admettent que, dans le cadre de la marge dapprciation dont les autorits internes jouissent, elles ont pu estimer que les ncessits de lordre public imposaient de diffrer le concours de la force publique. Toutefois, si, dans de nombreuses affaires, la Cour a considr quun sursis lexcution dune dcision de justice pendant le temps strictement ncessaire pour trouver une solution satisfaisante aux problmes dordre public peut se justifier dans des circonstances exceptionnelles, [...] un laps de temps de plus de seize ans ne correspond pas la notion de temps strictement ncessaire ( 55). Sagissant ensuite des motivations dordre social, celles-ci furent souleves par ladministration devant les juridictions et reposaient sur le fait que les poux C. ne disposaient pas de solution de relogement, quils taient dans une situation sociale et financire trs difficile et que lpouse avait de graves problmes de sant. Ces affirmations furent considres tablies par la cour administrative dappel et par le juge des rfrs du Conseil dtat. La Cour estime toutefois que ces considrations, aussi louables fussent-elles en leur temps [...], ne sauraient justifier une aussi longue priode doccupation sans titre. [...] Le temps coul aurait d permettre de trouver une solution au relogement des poux C. [...] Or, la Cour constate quil ne ressort pas du dossier que les autorits aient fait tout ce qui tait en leur pouvoir afin de trouver une solution de relogement satisfaisante pour les occupants et de sauvegarder ainsi les intrts patrimoniaux de la requrante. La Cour relve en outre que les autorits internes nont pas contest largument de la requrante selon laquelle M. C. disposait, pour se reloger, dune maison en indivision proche de lhabitation quil occupait illgalement, et que le gouvernement ne sest pas davantage expliqu sur ce point ( 57). Par consquent, la Cour estime que si les motifs avancs par les autorits franaises revtaient un caractre srieux pouvant diffrer la mise en uvre de lexpulsion pendant un laps de temps raisonnable, ils ntaient pas suffisants pour justifier le refus de concours de la force publique pendant une aussi longue priode. En outre, elle considre que les indemnits verses dans le cadre de laction en responsabilit sans faute de ltat ntaient pas de nature compenser linaction des autorits. Elle souligne que force est de constater que le refus prolong dapporter le concours de la force publique en lespce a eu pour consquence, en labsence de toute justification dintrt gnral, daboutir une sorte dexpropriation prive dont loccupant illgal sest retrouv bnficiaire. Cette situation renvoie au risque de drive - en labsence dun systme dexcution efficace -, rappel dans la Recommandation du Comit des ministres en matire dexcution des dcisions de justice, daboutir une forme de justice prive contraire la prminence du droit ( 60). lunanimit, la Cour conclut la violation de larticle premier du Protocole additionnel no 1. - Sur le grief tir dune violation de larticle 6 1 de la Convention : Concernant labsence de communication avant laudience des conclusions du commissaire du gouvernement, la Cour rappelle que la requrante ne saurait tirer du droit lgalit des armes, reconnu par larticle 6 1 de la Convention, celui de se voir communiquer avant laudience lesdites conclusions. En effet, celles-ci tant prsentes pour la premire fois oralement laudience publique de jugement de laffaire, elles ne sont pas davantage transmises lautre partie linstance, ni au rapporteur ni aux juges de la formation de jugement avant laudience. Par consquent, aucun manquement lgalit des armes nest tabli et la Cour rejette ce grief. Sagissant du grief tir de la dure de la procdure, la Cour rappelle que, depuis le 1er janvier 2003, tous les recours introduits devant elle sur ce fondement doivent avoir t pralablement soumis aux juridictions internes dans le cadre dun recours en responsabilit de ltat pour fonctionnement dfectueux du service public de la justice. En lespce, la requte a t introduite le 19 janvier 2005 sans que ce recours ait t form. Ce grief est donc rejet pour non-puisement des voies de recours. Au titre de la satisfaction quitable, la Cour dit que ltat doit verser la requrante trois mille euros pour dommage moral et huit mille cinq cent quatre-vingt huit euros pour frais et dpens.

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8. Protection de la proprit (article premier du Protocole additionnel no 1 la Convention de sauvegarde des droits de lhomme et des liberts fondamentales) Dans larrt Tunnel Report Limited c/ France, requte no 27940/07, rendu le 18 novembre 2010, la Cour conclut, lunanimit, la non-violation de larticle premier du Protocole additionnel no 1 la Convention et la non-violation de larticle 6 de la Convention de sauvegarde des droits de lhomme et des liberts fondamentales. Faits : La requrante, Tunnel Report Limited, est une socit de droit britannique enregistre Farnborough (Royaume-Uni). Elle a t cre par le prsident dune autre socit, Combined Transport Limited (CTL), et un cadre suprieur de cette entreprise, dans lunique but de poursuivre la procdure entame par cette dernire contre ltat franais devant la juridiction administrative. Elle dclara donc venir aux droits de CTL, dont lobjet social tait lorganisation du ferroutage (transport combin rail-route) entre le Royaume-Uni et le continent, via le tunnel sous la Manche. En 2001, la Socit nationale des chemins de fer franais (SNCF) rduisit le trafic ferroviaire via le tunnel, invoquant un cas de force majeure : les problmes de scurit crs par des immigrants clandestins retenus au centre de Sangatte, qui tentaient en nombre de monter bord des trains de fret pour rejoindre le Royaume-Uni. Lorsque le trafic ferroviaire put reprendre normalement, aprs la mise en place de mesures de scurit par les autorits franaises, la situation financire de CTL stait dgrade dramatiquement, aboutissant sa liquidation. En avril 2002, la CTL saisit le prfet du Pas-de-Calais dune demande dindemnisation de son prjudice financier, mais sa demande fut refuse. Elle contesta cette dcision devant le tribunal administratif, mais sa requte fut rejete. La socit requrante, ayant acquis du liquidateur amiable de CTL la crance de rparation de cette socit sur ltat, interjeta appel devant la cour administrative dappel, en vain. La juridiction dappel considra en effet que ltat avait pris des mesures de scurit appropries en dployant sur le terrain [...] plusieurs centaines dagents relevant de la police ou des armes afin de prvenir les troubles lordre public, ainsi que pour assurer le contrle et la scurit des biens et des personnes [...] . Elle ajouta par ailleurs que, si ces contrles avaient invitablement eu pour effet de provoquer des retards, la mesure consistant rduire de manire significative le nombre de trains autoriss emprunter le lien fixe transmanche napparaissait pas avoir t impose par ltat, rsulter dune carence dans lexercice des pouvoirs de police par ce dernier ou avoir t rendue inluctable du fait de lexercice de ces mmes pouvoirs . Enfin, elle considra que ltat ne saurait tre tenu pour responsable au titre de crimes ou de dlits dtermins, commis par des attroupements ou rassemblements prcisment identifis . La socit requrante forma un pourvoi devant le Conseil dtat en invoquant une violation de larticle premier du Protocole additionnel no 1 la Convention, mais son pourvoi fut dclar non admis. Griefs : Devant la Cour de Strasbourg, la socit requrante soutient que les autorits franaises nont pas pris les mesures ncessaires pour protger le droit au respect de ses biens. Elle invoque larticle premier du Protocole additionnel no 1 la Convention. Invoquant enfin larticle 6 1 de la Convention, elle se plaint galement de liniquit de la procdure devant le Conseil dtat. Dcision : Sur la recevabilit : Le gouvernement contestait la qualit de victime de la socit requrante, estimant que celle-ci ne pouvait se prvaloir ni dun prjudice direct et personnel ni mme dun prjudice indirect. Il rappelle que la socit requrante ne relve pas du domaine dactivit concern par ce prjudice et soutient quelle ne saurait subir de prjudice par ricochet du rachat dactifs dune socit en faillite. La Cour donne une interprtation extensive de la notion de victime. Elle rappelle que, dans son arrt Stukus et autres c/ Pologne9, elle avait ainsi jug que pour quun requrant puisse se prtendre victime dune violation de la Convention, il doit exister un lien suffisamment direct entre la requrante et la violation allgue [...]. La notion de victime est interprte de faon autonome et indpendante des rgles de droit interne telles que lintrt agir ou la qualit pour agir [...]. Cette notion nimplique pas lexistence dun prjudice . Elle estime que lorsquune socit commerciale est directement concerne par lacte ou lomission litigieux, la saisine se fait par les organes dirigeants de cette socit ou par ses liquidateurs, sauf circonstances exceptionnelles. Par consquent, la requrante peut se prtendre victime et le grief nest pas manifestement mal fond. Sur le fond : - Sur la violation allgue de larticle premier du Protocole additionnel no 1 : titre liminaire, la Cour rappelle que larticle premier du Protocole no 1 a pour objectif de prmunir lindividu contre toute atteinte de ltat au respect de ses biens, ce qui implique, pour ltat, des obligations positives et dadopter les mesures ncessaires la protection du droit de proprit. Le terme de droits de proprit inclut les biens corporels et certains droits et intrts constituant des actifs.9

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CEDH, Stukus et autres c/ Pologne, 1er avril 2008, requte no 12534/03.

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Elle expose ensuite quune atteinte au respect des biens ou une abstention dagir doivent mnager un juste quilibre entre les exigences de lintrt gnral de la communaut et les impratifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de lindividu ( 37). Elle prcise quil doit exister un rapport raisonnable de proportionnalit entre les moyens employs et le but vis par toute mesure applique par ltat. Tout en reconnaissant que ltat dispose dune certaine marge dapprciation, il incombe aux juges europens de vrifier que lindividu na pas d supporter une charge disproportionne et excessive. Pour cela, ils examinent les divers intrts en jeu et recherchent la ralit de la situation litigieuse, tout en prenant en compte lincertitude lgislative, administrative ou pratique pour apprcier le comportement de ltat. La Cour constate la dgradation des conditions de scurit et dordre public pendant plus de deux ans et estime que cette situation na pas pu chapper la responsabilit de ltat. Elle carte la possibilit, avance par le gouvernement pour dispenser ltat dassurer la scurit du tunnel sous la Manche, de retenir limplication du centre de la Croix-Rouge, qui avait ferm et dans lequel se trouvaient tous les migrants. La Cour considre par ailleurs que les exploitants ont assum leur responsabilit et ont tent de scuriser le tunnel par un renforcement des dispositifs de contrle de surveillance des accs et clture, mais elle ralise que lampleur de la situation dpassait la cadre de leur comptence et ncessitait lintervention de ltat. Enfin, la Cour reconnat que le contexte difficile li limmigration clandestine a eu un rel impact sur le trafic dans le tunnel sous la Manche, lequel a connu un vritable ralentissement. En lespce, la socit requrante tait lie par contrat ces socits et la compagnie de chemins de fer, dont les wagons passaient par le tunnel, sans alternative. La Cour en dduit que la socit Combined Transport Limited tait directement affecte par les mesures de restriction du trafic. Cependant, elle relve que ce constat ne saurait suffire tablir un lien de causalit entre le prjudice subi par CTL et sa liquidation. Elle estime en effet que si le niveau dincursions est rest trs fort entre novembre 2001 et aot 2002, aucun lment ne vient corroborer limputabilit de ltat franais dune rduction dactivit de cette ampleur (deux tiers par rapport au volume prvu) ( 45). Enfin, la Cour note la raction tardive des autorits franaises et la prsence intermittente des forces de lordre, mais, selon elle, aucun lment ne rvle le caractre durable et lampleur des perturbations subies du fait de ltat. Au contraire, les socits exploitantes du tunnel, adversaires de ltat franais dans le litige arbitral, ont elles-mmes relev que la raction des gouvernements en mai 2002 avait t, selon les termes de la sentence, rapide et efficace ( 46). La Cour en conclut quil nest donc pas tabli, dans les circonstances de lespce, que ltat aurait manqu son obligation dassurer CTL la jouissance effective de son droit de proprit en sabstenant de prendre les mesures ncessaires dans la situation litigieuse dcrite ( 47). lunanimit, elle conclut quil ny a pas eu violation de larticle premier du Protocole additionnel no 1 la Convention. - Sur la violation allgue de larticle 6 1 de la Convention : Compte tenu de lensemble des lments en sa possession, et dans la mesure o elle tait comptente pour connatre des allgations formules, la Cour na relev aucune apparence de violation des dispositions de larticle 6 1 et rejette donc ce grief.

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Arrt publi intgralement

Bulletin dinformation 1 er fvrier 2011

Cour de cassationI. - ARRT PUBLI INTGRALEMENTARRT DU 7 JANVIER 2011 RENDU PAR LASSEMBLE PLNIRECommuniqu Titre et sommaire Arrt Rapport Avis

Page 21 Page 22 Page 23 Page 25 Page 43Communiqu

Dans un arrt rendu le 7 janvier 2011 (pourvois no 09-14.316 et no 09-14.667), lassemble plnire de la Cour de cassation raffirme quune juridiction civile ne peut fonder sa dcision sur des enregistrements de conversations tlphoniques oprs linsu de lauteur des propos. Cette affaire concernait la procdure autonome suivie devant lAutorit de la concurrence, laquelle les dispositions du code de procdure civile et du code de commer