Bibliothèques et techniques

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Bibliothèques et techniques Le projet de système de gestion de bibliothèque mutualisé de l’Abes La formation des directeurs de bibliothèque de recherche en Europe BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2012 / Numéro 5 bbf : Octobre 2012

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Ce dossier s’intéresse à quelques-uns des effets de la technique, de l’évolution technique (et en particulier le numérique) sur les bibliothèques et les bibliothécaires. Avec des approches sur l’image des bibliothèques, les valeurs des bibliothécaires, l’avenir des bibliothèques, l’évolution des usages, et des exemples de grands projets techniques.

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Bibliothèques et techniques

Le projet de système de gestion de bibliothèque mutualisé de l’Abes

La formation des directeurs de bibliothèque de recherche en Europe

bbf :

DOSSIER

Bibliothèques et techniques

Bibliothèques et bibliothécaires dans le miroir des articles du MondeGaël Fromentin

Décrochages dans l’imaginaire technique des bibliothécairesAnne Boraud

La valeur des services documentaires en prise avec le numériqueGhislaine Chartron

Index, Google et bibliothèquesDominique Maniez

Researchers of Tomorrow : doctorants britanniques, numérique et bibliothèquesCécile Touitou

L’opposition millénaire archives/bibliothèques a-t-elle toujours un sens à l’ère du numérique ?Marie-Anne Chabin

Une bibliothèque numérique sur les réseaux sociaux : l’exemple de GallicaL’équipe@GallicaBnF

Des outils automatiques pour le signalement en bibliothèque : expérimentations autour du projet data.bnf.frRomain Wenz et Agnès Simon

D’une modernité l’autre : les magasins robotisés de la bibliothèque municipale de Bordeaux… et d’ailleursSerge Bouffange

Déficients visuels et RFIDMarie-Noëlle Andissac

L’abeille et le bibliothécaire ou éthique du libre et lecture publique en zone ruraleRenaud Aïoutz avec Patrick Bartet

À PROPOSLe projet de système de gestion de bibliothèque mutualisé de l’AbesJean Bernon

La formation des directeurs de bibliothèque de recherche en EuropeNicolas Di Méo

COURRIER DES LECTEURSÀ propos de « Connaissez-vous [vraiment] Léo Crozet ? » Un bibliothécaire agent double ? Le rapport secret américainGuillaume Lebailly

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BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2012 / Numéro 1BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2012 / Numéro 2BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2012 / Numéro 3BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2012 / Numéro 4BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2012 / Numéro 5BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2012 / Numéro 6BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2013 / Numéro 1BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2013 / Numéro 2BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2013 / Numéro 3BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2013 / Numéro 4BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2013 / Numéro 5BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2013 / Numéro 6

BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2012 / Numéro 1BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2012 / Numéro 2BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2012 / Numéro 3BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2012 / Numéro 4BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2012 / Numéro 5BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2012 / Numéro 6BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2013 / Numéro 1BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2013 / Numéro 2BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2013 / Numéro 3BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2013 / Numéro 4BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2013 / Numéro 5BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2013 / Numéro 6

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Octobre 2012

: 2012/Numéro 5

Le Bulletin des bibliothèques de France paraît tous les deux mois et est publié par l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des biblio­thèques (Enssib).

Directrice de la publicationAnne­Marie Bertrand

Rédaction17-21 bd du 11 novembre 1918 69623 Villeurbanne Cedextél. 04 72 44 43 07fax 04 72 11 43 44

Rédactrice en chef Anne-Marie Bertrand tél. 04 72 44 43 07mél [email protected]

Avec l’aide des équipes de l’Enssib

Mise en pages, publicité et mise en ligneCelestino Avelartél. 04 72 44 75 94mél [email protected]

Traduction des résumésVictor Morante, Vera Neaud, Susan Pickford

Comité de rénovationYves Alix, Anne­Marie Bertrand, Benoît Epron, Thierry Ermakoff, Sarah Toulouse, Benoît Tuleu

Correspondants étrangersJean­Philippe Accart (Suisse)

Gernot U. Gabel (Allemagne)

Anna Galluzzi (Italie)

Alain Jacquesson (Suisse)

Jack Kessler (États­Unis)

Marie D. Martel (Canada)

Elmar Mittler (Allemagne)

Amadeu Pons y Serra (Canada, Québec)

Réjean Savard (Canada, Québec)

Catharina Stenberg (Suède et pays

scandinaves)

Sarah Sussman (États­Unis)

AbonnementsEnssibService abonnements17-21 boulevard du 11 novembre 191869623 Villeurbanne Cedextél. 04 72 44 43 05

Tarifs 2013AbonnementsL’abonnement est annuel, par année civile.• France : 88 € Tarif dégressif dès le deuxième abonnement souscrit dans un même établissement : 70 €• 41 € pour les étudiants en filière bibliothèques et métiers du livre• Étranger : 105 €

Vente au numéro : 17 € (tarif étudiant : 10 €)par correspondance à l’Enssibou sur place à la rédaction.

FabricationCréation graphique Bialec sas, Nancy (France).

ImprimeurImprimerie Bialec54001 Nancy – FranceDépôt légal : no 79079 octobre 2012

Commission paritaireno 1115 B 08114

Issn 0006-2006

Le Bulletin des bibliothèques de France est dépouillé dans les bases Pascal de l’Inist et Lisa (Library Information Science Abstracts).

Protocole de rédactionLe Bulletin des bibliothèques de France publie des articles portant sur les biblio thèques, le livre, la lec­ture, la documentation, et tout sujet s’y rapportant.

Présentation des textesLes manuscrits (saisis avec le logi­ciel Word ou enregistrés au format RTF) peuvent nous être adressés par courrier électronique. La frappe au kilomètre, sans enrichissement, est impérative.

Les graphiques et schémas doivent être accompagnés de leurs données chiffrées (par ex. courbes avec don­nées sur Excel) afin de pouvoir être réalisés dans la mise en pages.

Les illustrations et les photogra­phies peuvent être fournies enregis­trées en EPS binaire, JPEG qualité maximale ou TIFF, avec une résolu­tion de 300 dpi.

L’institution à laquelle est affilié l’auteur est précisée à la suite de son nom, ainsi que l’adresse élec­tronique de l’auteur.

Les articles peuvent être rédigés en français, en anglais, en allemand ou en espagnol. Ils seront accompa­gnés d’un résumé d’auteur (environ 100 mots) indiquant rapidement le contenu et les principales conclu­sions.

Présentation des notesLes notes infrapaginales, signalées dans le texte en appel de notes, doivent être placées en bas de page où se trouvent les appels respectifs et numérotées de façon continue.

Les références bibliographiques figurent en fin d’article : les appels dans le texte sont mis entre cro­chets.

Sigles et abréviationsLes sigles et acronymes seront suivis du nom complet de l’organisation ou du système qu’ils représentent.

Les opinions émises dans les ar­ticles n’engagent que leurs auteurs.

Le Bulletin des bibliothèques de France est consultable gratuitement sur internet à l’adresse suivante : http://bbf.enssib.fr

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Éditorial

La profession de bibliothécaire a, on le sait, un rapport ambigu aux techniques : fascination et inquiétude. Fascination parce que l’irruption de nouvelles techniques signifie l’avancée vers la modernité (une modernité toujours plus moderne, une modernité toujours plus technique). Réjean Savard : « Si l’on en croit les programmes de formation continue des bibliothécaires où les nouvelles technologies écrasent de tout leur poids les autres sujets de formation (du moins en Amérique du Nord), on peut se demander si cette profession a un intérêt pour autre chose que les applications informatiques à la bibliothéconomie 1. » Inquiétude parce que des techniques étrangères à la profession (« non identitaires ») peuvent (sembler) mettre en péril l’identité du métier, le cœur de métier, les compétences mobilisées et la légitimité professionnelle.

Ce dossier, « Bibliothèques et techniques », présente quelques analyses des relations entre bibliothèques et techniques mais aussi quelques projets porteurs de cette évolution technique et emblématiques de l’appropriation de nouveaux outils, procédures, dispositifs par les bibliothécaires.

Ce numéro marque aussi l’entrée du BBF dans une nouvelle étape de sa longue vie (l’entrée dans une nouvelle modernité ?). Autour d’un petit groupe de travail, un « comité de rénovation », la réflexion a commencé sur les évolutions souhaitables à apporter à la revue : contenus, rubriquage, périodicité, articulation entre publication en ligne et publication papier, etc. Nous sommes, évidemment, à l’écoute de vos suggestions ([email protected]). À vos claviers !

Anne-Marie Bertrand

1. Réjean Savard, « La formation des bibliothécaires en Amérique du Nord : modernité et valeurs professionnelles », Bulletin des bibliothèques de France, 2000, no 1.

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sommaire : 2012/Numéro 5

01 DossierBibliothèques et techniquesBibliothèques et bibliothécaires dans le miroir des articles du Monde 6Gaël Fromentin

Décrochages dans l’imaginaire technique des bibliothécaires 11Anne Boraud

La valeur des services documentaires en prise avec le numérique 14Ghislaine Chartron

Index, Google et bibliothèques 20Dominique Maniez

Researchers of Tomorrow : doctorants britanniques, numérique et bibliothèques 23Cécile Touitou

L’opposition millénaire archives/bibliothèques a-t-elle toujours un sens à l’ère du numérique ? 26Marie-Anne Chabin

Une bibliothèque numérique sur les réseaux sociaux : l’exemple de Gallica 31L’équipe@GallicaBnF

Des outils automatiques pour le signalement en bibliothèque : expérimentations autour du projet data.bnf.fr 39Romain Wenz et Agnès Simon

D’une modernité l’autre : les magasins robotisés de la bibliothèque municipale de Bordeaux… et d’ailleurs 44Serge Bouffange

Déficients visuels et RFID 54Marie-Noëlle Andissac

L’abeille et le bibliothécaire ou éthique du libre et lecture publique en zone rurale 56Renaud Aïoutz avec Patrick Bartet

02 À proposLe projet de système de gestion de bibliothèque mutualisé de l’Abes 61Jean Bernon

La formation des directeurs de bibliothèque de recherche en Europe 66Nicolas Di Méo

03 Courrier des lecteursÀ propos de « Connaissez-vous [vraiment] Léo Crozet ? » Un bibliothécaire agent double ? Le rapport secret américain 72Guillaume Lebailly

04 Tour d’horizonLa bibliothèque, une affaire publique : 58e Congrès de l’ABF 75Yves Desrichard

101e Congrès des bibliothèques allemandes à Hambourg 77Jean-Philippe Accart

Les modèles économiques de l’édition scientifique publique : 3es Journées du Réseau Médici 78Hervé Le Crosnier

6e Journée sur le livre électronique (Couperin) 79Sébastien Respingue-Perrin

bbf : 2012 3 t. 57, no 5

Des lieux de savoir en perpétuelle évolution 81Céline Clouet

Le livre en Afrique francophone 82Raphaël Thierry

Les jeunes et les inégalités numériques 84Marie-Agnès Doussot-Loth

Journées professionnelles du Centre technique du livre de l’enseignement supérieur 85Odile Nguyen

Quels obstacles à la formation à l’information ? 12es Rencontres Formist 86Cécile Poirot

Bibliothèques et chercheurs en sciences humaines et sociales 88Adèle Spieser

Journées Abes 2012 89Yves Desrichard

05 CritiquesAntonella Agnoli Caro sindaco, parliamo biblioteche 92Livia Rapatel

Marine Aubinais Les bibliothèques de rue 93Louis Burle

Françoise Benhamou Économie du patrimoine culturel 93Thierry Ermakoff

Pierre Carbone Les bibliothèques 94Thierry Ermakoff

Vincent Dubois, avec Clément Bastien, Audrey Freyermuth et Kévin Matz Le politique, l’artiste et le gestionnaire : (re)configurations locales et (dé)politisation de la culture 95Anne-Marie Bertrand

Édition et diffusion de L’Imitation de Jésus-Christ (1470 – 1800) Sous la direction de Martine Delaveau et Yann Sordet 95Rémi Mathis

Les facteurs de réussite des bibliothèques et médiathèques publiques 96Yves Desrichard

Le fil de l’esprit : Augustin Girard, un parcours entre recherche et action 97Anne-Marie Bertrand

« Les jeux vidéo. Quand jouer, c’est communiquer ». Sous la direction de Dominique Wolton Hermès, no 62, 2012 98Julien Devriendt

« Le livre, le numérique ». Sous la direction de Pierre Nora Le Débat, no 170, mai-août 2012 99François Rouyer-Gayette

Michel Melot Mirabilia. Essai sur l’Inventaire général du patrimoine culturel 100Serge Bouffange

Pour une histoire des politiques culturelles dans le monde (1945 – 2011) Sous la direction de Philippe Poirrier 101Thierry Ermakoff

Résumés des articles 103Annonceurs Éditions en Lecture publique du ministère de la Culture

de la Fédération Wallonie-Bruxelles (p. 19) Électre (p. 4 et 3e de couverture) Presses de l’enssib (p. 73)

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bibliothécaires dans le miroir des articles du Monde

Dans un récent numéro du Bulletin des bibliothèques de France 1, des collègues affir-

maient avec enthousiasme, et non sans bravoure, que les bibliothèques n’avaient pas, loin s’en faut, « disparu de la cité », mais qu’elles se trouvaient au contraire investies d’une « nouvelle pertinence ». Cet enthousiasme était certes tempéré, dans un article voisin, par une lecture moins optimiste (et sans doute plus lucide) de l’actualité de la lecture publique 2.

Félicitons-nous néanmoins de ce postulat, qui, tout à fait discutable au demeurant, bouscule le tradition-nel masochisme d’une corporation caractérisée selon les termes d’Anne-Marie Bertrand par son « incertitude ontologique 3 ». « Qui suis-je ? », « Où vais-je ? », « Que pense-t-on de moi ? », ou les éternelles interrogations du bibliothécaire en proie au doute, en-gagé dans une improbable dialectique (analogique/numérique, lieux phy-siques / présence virtuelle) encore en quête de synthèse.

Questionner l’image des biblio-thèques (et ce faisant des bibliothé-

1. Madeleine Géroudet, Colette Gravier, Albane Lejeune, Amandine Pluchet et Amandine Wallon, « Au loin s’en vont les bibliothèques », BBF, 2012, no 3. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2012-03-0006-0012. Madeleine Géroudet, Colette Gravier, Albane Lejeune, Amandine Pluchet et Amandine Wallon, « Les bibliothèques se cachent pour mourir », BBF, 2012, no 3. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2012-03-0015-0023. Anne-Marie Bertrand, « Approche archéologique et géologique du métier », dans Bibliothécaire, quel métier ?, Éditions du Cercle de la librairie, 2004, p. 20-37.

caires) s’inscrit peut-être dans ce pro-cessus un rien narcissique, mais cette démarche permet surtout de s’inter-roger sur la place et la perception de nos équipements au sein de l’espace public 4. Si démocratie et bibliothèques ont partie liée comme l’affirme le phi-losophe Robert Damien 5, la visibilité de la bibliothèque dans l’espace public n’est rien de moins qu’un enjeu essen-tiel, vital : une condition de sa survie.

Partir en quête de l’image des bi-bliothèques dans les articles du Monde (le quotidien dit « de référence ») parti-cipe donc de ce questionnement : pris entre transmission d’un savoir huma-niste et captation des flux de l’infor-mation, où se trouvent aujourd’hui ces équipements ? Comment sont-ils per-çus, si tant est qu’ils le soient encore ? Et qu’en est-il des bibliothécaires, pris entre de multiples et parfois contradic-toires injonctions (résister, s’adapter) ?

La modeste analyse présentée ci-dessous 6 s’appuie sur la lecture (la plus exhaustive possible) des articles

4. Cf. la journée d’étude organisée par l’Enssib et la BPI le 17 mai 2011, compte rendu réalisé par Cécile Touitou, « Image des bibliothèques », BBF, 2011, no 5, p. 104-105. Il serait d’ailleurs dans ce cadre pertinent de revenir aux notions mêmes d’« espace public » et de « publicité », telles que définies par Kant et complétés par Habermas. Soit cet espace « où doit se déployer, librement, sans restriction ni exclusion, l’usage public de la raison », selon les termes de Roger Chartier dans un article du Monde daté du 3 juin 2000.5. Robert Damien, cité dans le compte rendu de la journée d’étude du 17 mai 2011.6. Cet article est une synthèse actualisée de notre mémoire de fin d’étude : L’image des bibliothèques à travers dix années d’articles du Monde, mémoire d’étude DCB, Enssib, 2010. En ligne : www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/document-48470

Gaël FromentinMédiathèque départementale des [email protected]

Titulaire d’un master d’histoire moderne, Gaël Fromentin, conservateur territorial des bibliothèques, occupe depuis juillet 2010 le poste de directeur de la médiathèque départementale des Vosges.

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Bibliothèques et bibliothécaires dans le miroir des articles du Monde :

du « quotidien de référence », Le Monde (et de ses suppléments) entre 1999 et 2009 7 : soit, après recherche attentive, constitution d’un corpus d’un peu plus de 400 articles signifi-catifs (dont une petite centaine vérita-blement pertinents).

La bibliothèque, lieu du livre

Livre numérique, dilution, voire disparition de la notion de collection… « Rien ne va plus, tout se transforme », comme a pu le dire (brillamment) Michel Fauchié dans ces pages il y a quelques mois 8. Qu’en est-il alors de la bibliothèque ? Reste-t-elle encore, sous la plume des journalistes du Monde, livrée aux stéréotypes (lieux endormis et fermés, réserves pous-siéreuses…) que relevaient déjà Anne-Marie Chaintreau et Renée Lemaître il y a plus de vingt ans 9 ?

Quelques articles consacrés à la lecture publique au début des années 2000 prolongent une image qui pourrait nous sembler aujourd’hui légèrement anachronique (plongeant au cœur de l’essence supposée de la bibliothèque) : lieu du livre et de l’écrit avant tout, et par excellence de la conservation du patrimoine écrit.

Le premier article significatif ren-contré dans cette étude (le 30 mai 2000), consacré à la bibliothèque mu-nicipale d’Arles 10, ne fait guère men-tion que de livres papier et de lecteurs de romans : « Depuis, Jean a lu des mil-liers de livres sans en posséder aucun, en commençant par les classiques […]. Aline explore des auteurs dont elle lit l’ensemble de l’œuvre. » La parole donnée aux usa-gers porte exclusivement sur la lec-ture : « Deux jours plus tard, à sa place habituelle, Raymond-Jean […] est plongé dans la biographie de Maupassant par Henri Troyat. “Elle est meilleure que celle

7. Mise à jour réalisée pour cet article jusqu’à la fin de l’année 2011.8. Michel Fauchié, « Vive le numérique », BBF, 2012, no 3. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2012-03-0024-0039. Anne-Marie Chaintreau, Renée Lemaître, Drôles de bibliothèques, Éditions du Cercle de la librairie, 1990.10. Robert Belleret, « Laissez-les lire », Le Monde des livres, 14 juillet 2000.

d’Armand Lanoux”, commente-t-il, avant de se lancer dans une évocation enflam-mée mais circonstanciée d’écrivains morts de la syphilis : “Daudet, Mallarmé, Nietzsche et même Feydeau...”. » Biblio-thèque, livre et lecture, comme une évidence…

Le quotidien ne rechigne pas à s’arrêter à une image anecdotique mais plaisante des bibliothèques, en particulier lorsqu’une série de détours estivaux l’amènent en 2009 à s’inté-resser à quelques singulières biblio-thèques : Delhi, Sarajevo, l’Inguim-bertine de Carpentras, ou encore la bibliothèque Vaticane 11. Ces équipe-ments apportent une délicate touche anachronique, un parfum de « biblio-thèque à l’ancienne », confortable et vouée à l’étude (comme à l’Inguim-bertine de Carpentras où l’on accède en poussant « une lourde grille de fer forgée » et en amadouant « le gros chien à l’aboiement enroué ») ou d’exotisme anecdotique et rafraîchissant (Delhi, et Sarajevo dans un registre différent et plus douloureux, celle de la biblio-thèque en tant que caserne inadaptée victime de la folie des hommes).

La médiathèque, espace renouvelé de l’accès au savoir ?

L’archaïque et immuable biblio-thèque, l’« accessoire coûteux du livre 12 », semblerait donc vouée à se marginaliser peu à peu, figée dans son identité rigide. Cette lecture mérite largement d’être nuancée, d’autres articles laissant entrevoir un horizon plus stimulant et dynamique.

Dans un long article consacré en janvier 2003 à la médiathèque de Troyes, Frédéric Edelmann note que

11. Florence Noiville « L’autre trésor du Vatican », Le Monde des livres, 24 juillet 2009 ; « Sarajevo renaît de ses cendres », Le Monde des livres, 31 juillet 2009 ; « Delhi, high-tech et archaïque », Le Monde des livres, 7 août 2009 ; Thomas Wieder, « Un cabinet de curiosités à Carpentras », Le Monde des livres, 7 juillet 2009.12. Michel Melot, cité dans : Madeleine Géroudet, Colette Gravier, Albane Lejeune, Amandine Pluchet et Amandine Wallon, « Les bibliothèques se cachent pour mourir », article cité.

celle-ci met à disposition de la popu-lation troyenne « tout ce qu’une média-thèque moderne suppose de livres, de disques, de postes multimédias 13 ». Ce dernier propose d’ailleurs une visite fascinée de ce lieu hautement contem-porain rompant avec la banalisation de la bibliothèque.

Glissant de l’anecdotique, ou du cas particulier, en direction d’un pro-pos plus approfondi centré autour du rôle social de la lecture publique, Caroline Heurtault, dans le supplé-ment Le Monde 2 (juin 2009)14, posi-tionne les bibliothèques (Bibliothèque d’étude et d’information à Cergy-Pon-toise, Bibliothèque publique d’infor-mation) en tant qu’espaces ressources, particulièrement précieux en temps de crise. L’article énumère d’ailleurs, sous forme d’inventaire assez laborieux, l’ensemble des possibilités offertes par ces équipements : recherche sur inter-net, formation bureautique, ateliers informatiques – où l’on voit les biblio-thèques françaises se rapprocher du « modèle anglo-saxon » (soit « services sociaux, espaces de restauration, rayon-nages et pôles multimédias […] au sein de grands pôles architecturaux »).

Un autre article, daté du 21 janvier 2012 et issu du supplément « Cultures et idées » 15, donne à voir une image attractive et dynamique des équipe-ments de lecture publique. Celui-ci est d’autant plus fascinant qu’il semble découvrir, non sans étonnement d’ail-leurs, la présence du numérique en bi-bliothèque. On pourrait évidemment sourire de cette découverte, l’on ne peut que saluer la richesse du propos, d’autant plus qu’une partie du constat prête, quant à lui, peu à rire : « Partout en France, dans les quelque 4 400 biblio-thèques et médiathèques publiques, la même révolution numérique est en cours, ou envisagée. Question de survie, ont compris leurs directeurs. » Tout l’article pourrait être cité, l’intégralité de l’arse-nal des nouveaux outils proposés par

13. Frédéric Edelmann, « Dominique Lyon et Pierre du Besset, deux alchimistes sur un nuage », Le Monde, 10 janvier 2003.14. Caroline Heurtault, « La médiathèque, un refuge contre la crise », Le Monde 2, 6 juin 2009.15. Pascale Krémer, « Ma médiathèque mute », Le Monde, supplément « Culture et idées », 21 janvier 2012.

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les bibliothèques publiques (symbo-lisées ici par l’Astrolabe de Melun) s’y retrouvant : liseuses, tablettes, écrans, cyberlab, ou encore l’« essentiel » (!), à savoir le site internet de la média-thèque. La question de l’évolution des services se trouve au cœur du propos de Pascale Krémer (et n’a d’ailleurs pas manqué de soulever un débat dans la profession, Claude Poissenot lui reprochant de n’offrir qu’une vi-sion partielle de la bibliothèque et d’en négliger l’élément « vital » d’espace de socialisation)16.

Quoi qu’il en soit, la bibliothèque mise en avant dans Le Monde, loin de n’être que poussiéreuse, apparaît donc largement mobile, dynamique, voire (rhétorique professionnelle oblige) en voie de « dissémination 17 ».

Les bibliothèques comme lieux remarquables

La mode est, aujourd’hui, dans l’obscure lingua bibliotheconomica, au « troisième lieu », concept sans lequel aucun article ne saurait trouver place dans la presse professionnelle. Cela ne surprendra personne, cette notion n’a pas encore essaimé dans les pages du Monde 18. Le quotidien n’hésite néanmoins pas à réaliser d’agréables (quoique rares) déambulations archi-tecturales dans plusieurs équipements significatifs : soit la bibliothèque comme vitrine et authentique « objet d’architecture publique 19 » mentionné par Anne-Marie Bertrand.

Il en va ainsi pour la médiathèque de Troyes, « propos très élevé et docte », « nef spirituelle et vaisseau », « théâtre profane » et « grand vaisseau propice

16. Voir le blog de Claude Poissenot sur le site de Livres Hebdo, et les commentaires suivant son post. L’on pourrait reprocher à l’auteur une lecture orientée de l’article, et abusivement à charge contre les professionnels accusés « d’ignorer la réalité des usages effectifs de leurs équipements ».17. Pascale Krémer, article cité.18. À l’exception d’une mention par Dominique Arot dans une interview du 15 décembre 2010, « Le bibliothécaire, un mutant », Le Monde.19. Anne-Marie Bertrand, Images de bibliothèques, 7 février 2000. En ligne : www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/document-1543

au rêve 20 ». D’autres équipements sont mentionnés, de manière plus ou moins anecdotique, pour leur archi-tecture, Alcazar de Marseille (« toute en élégance retenue », s’opposant « aux sanctuaires fermés que sont les biblio-thèques classiques, à Paris, Sainte-Ge-neviève ou même la BnF François Mitterrand »)21, la médiathèque Cham-pollion de Dijon (un « bel objet archi-tectural » se devant d’être une « icône, qui souffle son supplément d’âme à la ville »)22, la nouvelle médiathèque de Tours (« sculpture urbaine »)23 : la liste des équipements n’est d’ailleurs pas exhaustive.

L’attribution en 2011 de l’Équerre d’argent à Pascale Guédot pour la re-marquable médiathèque intercommu-nale du Piémont Oloronais (Oloron-Sainte-Marie) est elle aussi saluée 24. Le bâtiment est qualifié de « simple et raffiné ». Les espaces intérieurs sont aussi loués : « Relativement tran-quilles, presque banals sous leurs lam-bris de noyer clair, les espaces intérieurs (2 300 m²) laissent entrer juste ce qu’il faut du paysage et des bruits de cascade pour faire de la médiathèque un paradis de quiétude. » Quiétude et tranquil-lité, soit deux des vertus cardinales de l’éternelle bibliothèque.

Que retirer de cet échantillon architectural glané ici et là dans les pages du Monde ? L’idée, présente en filigrane, que les bibliothèques et médiathèques ont, par leur bâti-ment, rompu avec l’image austère et monacale qui pouvait les définir il y a quelques années.

20. Frédéric Edelmann, article cité.21. Michel Samson, « À Marseille, succès populaire de la BMVR de l’Alcazar », Le Monde, 16 novembre 2004.22. Christine Perruchot, « À Dijon, une médiathèque symbole d’une métamorphose », Le Monde, 23 septembre 2007.23. Alexis Boddaert, « Tours rééquilibre son offre culturelle », Le Monde, 16 décembre 2007.24. Frédéric Edelmann, « La saisissante médiathèque d’Oloron-Sainte-Marie, Le Monde, 1er février 2011.

Les bibliothèques ont-elles encore un rôle à jouer ?

Ces éléments mis en avant ci-des-sus nous amènent à nous poser une question fondamentale : qu’est-ce que les articles étudiés nous donnent à voir de la place de la bibliothèque dans nos territoires ? Apparaissent-elles en-core comme outil du lien social (soit, comme le dit François Rousseau, cet « obscur objet du désir » renvoyant au « vivre ensemble 25 ») ?

L’institution bibliothèque se vit en crise et s’interroge sur sa capacité à « contraindre la curiosité, rendre la culture incontournable à la vue comme à l’esprit […] à l’heure de l’information numérique et d’internet 26 ». Le Monde des livres pose la délicate mais essen-tielle question de la fréquentation des équipements en 2006 27 : il le fait avec bienveillance, en s’appuyant sur l’enquête (contestée, nul besoin d’y revenir) du Crédoc réalisée en 2005. Où l’on apprend que la hausse d’ins-crits comme de fréquentants libres, « heureuse surprise », est un signe de la réussite du « modèle de médiathèque, développé depuis vingt ans » et prend racine dans la diversification de l’offre documentaire et des services proposés (« emprunt de CD ou de DVD, lecture sur place, utilisation d’internet, visites d’expositions »). Le « cauchemar des desert libraries » semble bien écarté. Nous voilà rassurés…

L’enquête 2009 « Pratiques cultu-relles des Français » vient nuancer le tableau : Nathaniel Herzberg et Michel Guerrin 28 sonnent ainsi le retour à la réalité, en mettant en avant les dyna-miques issues de l’apparition d’une nouvelle « culture de l’écran » : reflux

25. Cité dans Christine Rico, « La bibliothèque, outil du lien social », BBF, 2009, no 3, p. 80. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2009-03-0080-00626. Isabelle Baune, Jacques Perriault, « Bibliothèques de lecture publique : pour une nouvelle visibilité », BBF, 2005, no 1. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2005-01-0013-00227. Alain Beuve-Méry, « Les médiathèques françaises résistent bien à la concurrence d’internet », Le Monde, 9 juin 2006.28. Michel Guerrin, Nathaniel Herzberg, « Internet bouscule les choix culturels des Français », Le Monde, 15 octobre 2009.

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Bibliothèques et bibliothécaires dans le miroir des articles du Monde :

de la lecture et recul de la fréquenta-tion des bibliothèques municipales (« qui souffrent »). Et constat doulou-reux (mais qui irait le remettre en cause ?) d’un échec des politiques culturelles, incapables, en dépit des moyens considérables débloqués au fil des années, d’« élargir les publics » et de « corriger les inégalités ».

Pascale Krémer, dans un article de 2012 déjà mentionné plus haut, traduit les inquiétudes des profession-nels : « Leurs propos sont teintés d’in-quiétude. Tous craignent, dans un proche avenir, de voir leurs bibliothèques dépas-sées, inutiles. » La tonalité générale de l’article est bien celle d’une sourde menace, celle du déclassement : « Avec l’entrée en masse des écrans dans les foyers, dopée par la connexion Inter-net, la bibliothèque a perdu de son pou-voir d’attraction. » « Frein », « déclin », « virage », la terminologie employée démultiplie d’ailleurs ce registre pes-simiste.

Bibliothécaires, quelle(s) image(s) ?

Le métier de bibliothécaire de-meure bien mal connu. La sociologue Anne Kupiec présente clairement dans un article du BBF daté de 2003 29 les raisons de cette méconnaissance, à savoir la difficulté de définir et finale-ment cerner un métier aux multiples tâches. Aménageur du territoire, médiateur numérique, passeur cultu-rel, spécialiste des systèmes d’infor-mation, chargé de communication, autant de casquettes potentielles confi-nant parfois à une forme de schizoph-rénie professionnelle, aggravée par la vitesse des transformations tech-niques en cours.

Les articles du Monde donnent à voir une image somme toute assez volontariste des professionnels des bibliothèques. Aucune présence de la classique (et définitivement déplo-rable) bibliothécaire en chignon ou encore du (désastreux) maniaque du rangement. Les congrès de l’ABF

29. Anne Kupiec, « Qu’est-ce qu’un(e) bibliothécaire », BBF, 2003, no 1. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2003-01-0005-001

bénéficient à plusieurs reprises de compte rendu (2000, 2005) reflétant les interrogations professionnelles en matière d’accès aux outils numé-riques : par exemple la tension entre « l’essence même des bibliothèques, lieux de sélection, de stockage et de conserva-tion de l’écrit au fil des siècles » et les sin-gularités du monde numérique 30.

Les articles faisant référence (le plus souvent en filigrane) aux mis-sions et compétences des profession-nels présentent donc ces derniers comme une corporation consciente des évolutions techniques et désireuse d’y trouver une place. Revenons une nouvelle fois sur l’article concernant la mutation des bibliothèques 31, où la journaliste découvre « la bibliothèque du futur », en « pleine mutation numé-rique » : celle-ci y ébauche une genèse de la bonne volonté des bibliothécaires en matière technologique (apparition des premiers postes internet dans les années 1990, puis naissance des pre-miers sites internet, numérisation des fonds anciens, multiplication des écrans).

Une tribune de Patrick Bazin, datée du 13 mars 2012 32, positionne la bibliothèque au cœur des évolu-tions des pratiques culturelles, des transformations de l’accès au livre et à la lecture. L’enjeu fondamental est pour lui « la mutation profonde de nos pratiques cognitives » qui impacte « au plus haut point les institutions éducatives et culturelles ». Le directeur de la BPI réaffirme en conclusion de son propos sa certitude de voir les bibliothèques jouer plus que jamais, dans les années qui viennent, un « rôle majeur ». Une interview de Dominique Arot, inspec-teur général des bibliothèques, datée du 15 décembre 2010 33, synthétise l’ensemble de ces enjeux et donne à voir les tensions et évolutions traver-sant les métiers des bibliothèques. Le titre donne d’ailleurs d’emblée la tona-lité du propos : « Le bibliothécaire, un mutant ». On y retrouve l’ensemble

30. Jean-Louis This, « Les bibliothécaires réfléchissent à l’impact du numérique sur leur métier », Le Monde, juin 2000.31. Pascale Krémer, article cité.32. Patrick Bazin, « Le livre, le e-book et les bibliothèques », Le Monde, 13 mars 2012.33. Dominique Arot, article cité.

des dynamiques professionnelles bien connues en ces lieux : dévelop-pement de la médiation, évolution (essentiellement anglo-saxonne) des bibliothèques en direction d’équipe-ments polyvalents – « des bibliothèques qui sont également des lieux d’accès aux services publics, au pôle emploi, et dans lesquels peuvent être menées des actions d’alphabétisation… », et tentative de formulation d’un discours homogène et programmatique concernant la lec-ture publique – « Il convient de refonder un discours politique sur la bibliothèque publique » – encore en gestation.

La BnF, un établissement singulier…

La Bibliothèque nationale de France occupe une place à part dans les articles du Monde consacrés aux bibliothèques. Le nombre d’occur-rences de celle-ci (près de 1 400 dans la période étudiée, dont une petite moitié véritablement significatives) en est évidemment le révélateur. Cette place est par de nombreux aspects celle d’un établissement tête de pont des évolutions techniques impactant les équipements… et les métiers des bibliothèques ! Gallica est mention-née à 74 reprises, Europeana à 26 re-prises. La BnF est présentée, selon les propres mots de Jean-Noël Jeanneney, à partir de sa mission régalienne, celle qui consiste à « servir la mémoire de la collectivité 34 ».

Moteur des évolutions techniques, certes, mais implication également dans les débats touchant aux moda-lités d’accès aux documents dans l’univers numérique. La querelle liée aux partenariats avec Google a ali-menté plusieurs tribunes et articles entre 2005 et 2010. Il serait ici hors de propos de restituer l’intégralité des débats autour de l’épineuse question du lien des bibliothèques et du géant californien, de la tribune de Jean-Noël Jeanneney en date du 23 jan-vier 2005 (intitulée « Quand Google défie l’Europe ») dans laquelle l’auteur mentionne la « responsabilité parti-

34. Jean-Noël Jeanneney, « Quand Google défie l’Europe », Le Monde, 23 janvier 2005.

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culière » incombant à la BnF et plus largement à la France, à la réponse à celle-ci de l’écrivain Lucien X. Polas-tron 35, jusqu’aux pages « Débats » du 12 septembre 2009 (où voisinent des tribunes signées Patrick Bazin, Emmanuel Hoog, PDG de l’INA, de l’historien Milad Doueihi et de l’avocat Jean Martin)36. La Bibliothèque natio-nale occupe de fait une position cen-trale au cœur des enjeux structurants de notre société de l’information.

Pour le reste, et de manière plus anecdotique, mais non moins savou-reuse, l’établissement (ce « mammouth de la culture », comme l’appelle en 2002 Emmanuel de Roux dans un article mentionnant le coût de l’éta-blissement, ainsi que sa mauvaise si-tuation financière relevée dans un rap-port du Sénat)37 apparaît également victime de multiples vicissitudes : gigantisme, locaux inadaptés, incen-dies et malaises en 2000, inondation (et traitement des ouvrages par voie de conséquence) en 2004, et même chro-nique judiciaire, avec l’affaire du vol

35. On y notera l’ironie de l’auteur à l’égard de la Bibliothèque nationale (le site de Tolbiac comparé à un « dinosaure les pattes en l’air ») mais aussi de Gallica (« ce fabuleux investissement où une espèce de mesquinerie flaubertienne et policière appelée “mode image” vous interdit de travailler »). Lucien X. Polastron, « La BnF chez Google ? Chiche », Le Monde, 8 février 2005.36. Notons d’ailleurs que les bibliothèques occupent à cette date, fait unique, la une du quotidien (« Bibliothèques : faut-il avoir peur de Google ? »).37. Emmanuel de Roux, « Enquête sur les mastodontes de la Culture », Le Monde, 25 mars 2002.

des manuscrits hébraïques, au cœur de 9 articles, de sa révélation en 2005 jusqu’à son épilogue en 2007 avec la restitution du manuscrit et la condam-nation du conservateur (« fils de résis-tant, vice-président du Conseil d’Admi-nistration de l’OSE, œuvre aux secours d’enfants »)38 responsable de l’effrac-tion. Des bibliothèques, ou plutôt de la bibliothèque, au cœur des pages « faits divers »…

En forme de conclusion

La bibliothèque se trouve au-jourd’hui, comme le dit Bernard Stiegler, « à un moment critique de son histoire où elle doit produire son image, une nouvelle image se démarquant des images toutes faites et intégrant la com-plexité d’une situation où, avec l’indus-trialisation du temps lui-même, ce n’est pas moins que l’avenir qui est en jeu 39 ». Est-elle donc ce « roi nu 40 » dont parle Patrick Bazin ?

L’aimable déambulation propo-sée ci-dessus ne saurait évidemment répondre à cette redoutable question. Il faudrait sans doute multiplier les sources, plonger dans la littérature, le

38. Pascale Robert-Diard, « La chute d’un conservateur à la BnF, suspecté d’avoir dérobé cinq manuscrits », Le Monde, 5 août 2004.39. Bernard Stiegler, « Bibliothèques et modernité », Bulletin d’information de l’Association des bibliothécaires français, 1988, no 140.40. Patrick Bazin, « Bibliothèque publique et savoir partagé », BBF, 2000, no 5. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2000-05-0048-003

cinéma, dans l’ensemble de la presse quotidienne (sans parler de la presse professionnelle), parmi d’autres sources potentielles, pour enrichir et affiner l’analyse (mais aussi dévelop-per une féconde démarche compara-tive... Qu’en est-il des bibliothèques dans les pages du Times, du Corriere della Sera, du NRC Handelsblad, de l’Express de Toronto ?). De plus, d’autres dimensions auraient pu être mises en avant : l’absence frappante de la lecture universitaire, les nombreux articles consacrés à la querelle du droit de prêt et les tribunes passionnées consacrées à Google Books, autant de dimensions donnant aussi à voir les bibliothèques en prise avec la moder-nité et les transformations qu’elle im-plique.

Il est néanmoins possible de déga-ger une dynamique globale de l’en-semble de ces articles. La bibliothèque y est présentée comme en mouve-ment et ses services en évolution. À l’heure de la « bibliothèque hybride », Le Monde donne à voir l’image d’une corporation volontariste, en prise (in-quiète, comme il se doit) avec la mo-dernité.

L’on peut bien évidemment se demander où tout cela nous mènera. L’on peut également en tirer une forme d’espoir et, à l’appel de Patrick Bazin, nous atteler à « chasser la bile noire de la mélancolie 41 » ! •

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41. Patrick Bazin, « Les termes de notre contrat avec Google sont équitables », Le Monde, 12 septembre 2009.

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Décrochages dans l’imaginaire technique des bibliothécaires

Il est impensable aujourd’hui d’ima-giner les bibliothécaires parler d’eux, de leur métier, sans évoquer

directement ou non les techniques. Elles sont omniprésentes, dans l’acti-vité la plus quotidienne, comme dans les réflexions théoriques nourries par les colloques, journées d’étude, et publications. Elles interpellent tous les professionnels, sans distinction de statut, d’âge, de fonction. Si les biblio-thécaires cherchaient aujourd’hui un miroir où se scruter, parions qu’il res-semblerait à un écran multimédia, le-quel ne délivre pas une image muette, mais donne à voir et à entendre.

Oublions un instant l’image et augmentons le volume du son : « À cause d’internet, le bibliothécaire n’est plus l’expert de la recherche d’informa-tion ! », « L’automate de prêt détruit le cœur du métier », « L’avènement des TIC est une chance pour les bibliothèques », « Le management public ne vise que la performance, il détruit la qualité du ser-vice », etc. Sous une forme ou une autre, nous avons tous entendu, pro-noncé et réagi face à des lieux com-muns de la sorte.

Ce serait rendre justice à chacun que d’affiner les points de vue, de nuancer les approches, mais notre propos n’est pas là. Prenons ces dis-cours pour ce qu’ils sont : des clichés dont l’intérêt tient davantage à leur fonction sociale qu’à leur valeur de vérité. En effet, la vertu du lieu com-mun est de favoriser l’intégration dans un groupe, il fonctionne comme un code de reconnaissance, à même de forger puis de souder une identité pro-fessionnelle. On s’étonnera donc que, dans le monde des bibliothèques, les discours les plus partagés – a priori

facteurs de cohésion – soient aussi les plus dissonants, voire les plus contra-dictoires. Se côtoient les visions apo-calyptiques prédisant la fin du métier, les enthousiasmes prophétiques, ou, plus couramment, les propos incan-tatoires qui appellent au changement. D’autres murmures, presque inau-dibles, prennent simplement acte des évolutions techniques, se les appro-prient, et laissent place au travail.

Cette cacophonie pourrait faire office de miroir grossissant, donnant à lire toutes les crispations identitaires qui se nouent chez les bibliothécaires en prise avec les techniques. Nos lieux communs seraient ainsi symptoma-tiques d’une errance inscrite dans les termes mêmes d’un débat qui, pour être identitaire, ne s’épuise pas moins à renvoyer dos à dos « technophiles » et « technophobes ». Au-delà des cli-chés, le décryptage de la littérature professionnelle corrobore cette diffi-culté qu’éprouve parfois le lecteur, mis devant l’obligation implicite d’avoir à choisir son camp. Le débat binaire sur les bienfaits et les méfaits des techniques est pourtant sans issue : il repose sur un imaginaire technique, lui-même identitaire, qui n’a plus cours. Qu’il perdure, jusque dans le malaise ou la crise, interroge. Nous fai-sons même l’hypothèse que la posture qu’il induit est responsable de nos dif-ficultés à innover et à investir à notre mesure le terrain technique. Pourquoi persistons-nous à parler depuis un lieu qui n’est plus ? Comment migrer vers une contrée plus adaptée au temps présent et qui rende possible une approche plus conquérante des tech-niques ? Quelle boussole peut nous conduire vers cette terra incognita ?

Anne BoraudUniversité de technologie de [email protected]

Actuellement directrice adjointe du SCD de l’université de technologie de Troyes et responsable des services aux publics, Anne Boraud est agrégée de philosophie et titulaire d’un DEA d’esthétique et de philosophie de l’art.

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L’imaginaire technique des modernes, le lieu d’où l’on part

Si l’opposition frontale entre « pro » et « anti » n’est pas nouvelle, c’est parce que le lieu dont on parle est resté celui d’où l’on part. L’identité du métier, et avec elle notre représentation de la technique, restent ancrées là, dans ce xviiie siècle qui a porté haut les valeurs rationalistes. Le bibliothécaire, enfant de la modernité, a fait sien l’idéal encyclopédique des Lumières, en concrétisant l’ambition d’une éman-cipation par la connaissance. La foi en l’importance du partage du savoir, à laquelle s’ajoute au xixe siècle l’appa-rition d’un État structurant et univer-saliste, s’est traduite par un fort atta-chement au livre, une ferme volonté d’en faciliter l’accès, un dévouement militant au service public. Dans ce storytelling que se racontent les biblio-thécaires à eux-mêmes, la modernité est glorifiée, magnifiée comme ce moment inaugural qui a fondé le sens politique du métier. On oublie aisé-ment qu’elle a porté un autre héritage. À côté des valeurs républicaines, ces pionniers qu’ont été Eugène Morel, Er-nest Coyecque ou Charles Sustrac ont aussi survalorisé la technique. Morel nourrissait un enthousiasme sincère pour l’accès au public, mais il vouait un culte tout aussi affirmé à l’efficacité technique, en comparant fièrement la bibliothèque à un outil et même à une machine 1. Dans la lignée du positi-visme du xixe siècle, il défend les ver-tus progressistes qu’incarne le dévelop-pement de l’ère industrielle.

En France, l’oubli de cette dimen-sion a structuré l’imaginaire tech-nique du métier autour d’un schéma où valeurs et moyens s’ajustent dans une dialectique aussi simple qu’effi-cace : au discours politique sur les missions s’adossent des préconisations techniques relatives aux méthodes. En bref, les moyens (techniques) sont neutres, seules les fins (politiques) sont nobles. Dans ce schéma, toute capacité à innover se ramène à l’habi-

1. Cité par Jean-Pierre Seguin, Eugène Morel et la lecture publique. Portrait et choix de textes, Paris, BPI, 1994, p. 95.

leté avec laquelle on ferait servir la puissance de la technique à nos fins. De l’aptitude à absorber les nouveaux outils techniques dans nos pratiques découlera un jugement – positif ou négatif – à leur égard. L’arrivée de l’informatique, après avoir été perçue par certains comme déshumanisante et dévalorisante, sera ensuite vécue comme un transfert de technologie apportant un surcroît d’efficacité 2 ; elle sera alors investie comme un lieu d’excellence et de maîtrise par la pro-fession. En somme, notre imaginaire de moderne nous incite à voir toute technique nouvelle comme un greffon qu’il faut intégrer, de gré ou de force, à l’arbre existant. Elle peut donc être per-çue simultanément comme subalterne et être investie d’un fort pouvoir identi-taire. Cette posture contradictoire a pu un temps être féconde. L’apparition de techniques d’un genre nouveau la rend aujourd’hui intenable.

Dans les années 1990, le paysage change radicalement et induit un tout autre référentiel. En effet, inter-net et, plus encore, le web 2.0 ne sont pas des outils neutres qu’il suffit de s’approprier et de tordre à nos fins. Le bibliothécaire ne peut les investir de son expertise et construire à partir d’eux des compétences-métier. Inter-net, dès son origine, est porteur d’un projet politique et social qui induit des valeurs. Il est né, en effet, d’une puis-sante utopie démocratique dont le pi-lier est l’accès transparent et universel à l’information.

Dans un autre registre, le nouveau management public, qui tend à se substituer à une gestion administra-tive des emplois, change pareillement la donne. LOLF, RGPP, LRU se pré-sentent comme des politiques, mais ce sont aussi des méthodes rationnelles de gestion. Par elles, les valeurs répu-blicaines et le sens du service public se trouvent conditionnés à l’efficience, à l’efficacité, soit à des impératifs de moyens. Le directeur de bibliothèque ne peut appliquer un tel mode de ges-tion sans se soucier de sa signification, sans clarifier ses enjeux implicites. Il

2. Hervé Le Crosnier, « Le choc des nouvelles technologies », in Histoire des bibliothèques françaises, tome IV, Éditions du Cercle de la Librairie, 1992.

sait que le management se déploie au-jourd’hui dans un discours technique enveloppant un projet politique qui ne dit pas clairement son nom.

Il est remarquable que les deux familles de techniques évoquées ici – TIC et management – ne sont pas génétiquement identitaires. Ceci brouille doublement l’imaginaire technique des bibliothécaires : ils ne peuvent ni revendiquer un monopole dans la maîtrise des moyens, ni neu-traliser l’importance de ces derniers en revendiquant la noblesse des fins humanistes dont ils étaient précédem-ment les hérauts. À manipuler ces outils contemporains depuis l’imagi-naire de la modernité, on nie l’authen-ticité de ce qu’est devenue la réalité technique : elle apparaît comme un fait social global où représentations, objets, environnements et usages sont intimement liés. Analysant les effets d’internet, Pierre Musso rap-pelle ainsi qu’« aux objets techniques et aux pratiques sociales sont associés des imaginaires. C’est l’entremêlement des deux qui structurent les usages de la technique 3 ». Cette prise de conscience de la nécessité d’intégrer l’objet tech-nique à un environnement social de pratiques et d’usages constitue une piste pour changer notre posture et, peut-être, cheminer vers un autre lieu.

Pour une conversion de notre regard sur les techniques

Si un décrochage avec le position-nement moderne semble aujourd’hui salutaire, il ne peut se décréter. Paul Ricœur soulignait que tout imaginaire social comprend une part stable et identitaire, celle de l’idéologie – qui réa-lise « l’intégration d’une communauté » – et une part plus aventureuse, celle de l’utopie – qui « permet d’envisager des manières de vivre radicalement autres 4 ».

3. Pierre Musso, « Usages et imaginaires des TIC », in Christine Le Teinturier et Rémy Le Champion (dir.), Médias, information et communication, Paris, Ellipses, 2009, collection « Transversales », p. 201.4. Paul Ricœur, L’idéologie et l’utopie, Paris, Le Seuil, 1997, p. 31.

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Décrochages dans l’imaginaire technique des bibliothécaires :

Le nouvel imaginaire technique des bibliothécaires reste largement du côté de l’utopie, au sens le plus étymolo-gique du terme : c’est un « non-lieu » dont la fonction stimulante est de nous aider à regarder ailleurs. Il nous dit moins vers où aller qu’il n’énumère toutes les impasses à éviter, tous ces sentiers battus qui nous figent dans le passé. Il s’agit bien alors d’inven-ter un nouveau lieu d’où parler et de construire des repères inédits pour réinterroger et refonder nos pratiques.

Faute de pointer précisément notre destination sur la carte, commençons déjà par dire « non » et modifions notre regard sur les techniques. Au croisement des recherches menées dans différents champs des sciences humaines, entre anthropologie, cultu-ral studies, sociologie interactionniste, ou ethnotechnologie, des chemins existent. Ils ont un socle théorique commun, qui reste assez peu audible tant résonne fort le discours techni-ciste moderne. En posant que « le tech-nique est social, le social est technique », Marcel Mauss a ouvert la voie à ceux qui veulent analyser les objets tech-niques « par l’autre bout de la lorgnette ». Patrice Flichy résume l’intention : « La recherche ne doit pas porter sur le fait technique mais sur l’action technique, sur les intentions, les projets, les délibérations qui précèdent l’action, sur le déroulement de l’action elle-même et surtout sur l’inte-raction des différents acteurs entre eux, et entre eux et l’objet technique 5. »

Il y a là comme l’indication d’un cheminement : lutter contre notre tendance génétique à considérer TIC, management ou tout autre outil émer-gent comme des objets indépendants, détachables de leur contexte d’usage. Puis les considérer comme parties prenantes d’une réalité sociale. Folkso-nomies, tags et autres réseaux sociaux illustrent parfaitement combien le va-et-vient décousu des usages flottants issus du web 2.0 lie intimement l’outil à un contexte. Anéantissant l’autorité du professionnel, tout individu est susceptible d’être l’expert : il plie l’ins-

5. Patrice Flichy, L’innovation technique. Récents développements en sciences sociales. Vers une nouvelle théorie de l’innovation, Paris, La Découverte, 2003, collection « Science et société », p. 121-122.

trument à ses besoins, à sa créativité, se joue de toute régulation, devenant ainsi l’acteur majeur de l’innovation. Le bibliothécaire prend acte et, sans résignation, doit plus que jamais faire preuve d’inventivité.

Un autre imaginaire technique : vers un autre troisième lieu

Les lieux communs sur les tech-niques révèlent assurément une identité professionnelle malmenée, en décrochage avec l’environnement sociotechnique contemporain. Les pra-tiques de terrain dites « innovantes » seraient-elles de meilleurs faire-valoir que les longs discours ? Faut-il scru-ter à la loupe toute innovation tech-nique pour conclure à la germination d’un nouvel imaginaire ? La réponse dépend de ce que l’on regarde. L’outil ne saurait être à lui seul un point de focalisation : une bibliothèque n’est pas innovante par le simple fait qu’elle prête des liseuses ou des tablettes à ses usagers ! Pour dépasser les clichés sur la technique, il convient d’appréhen-der l’environnement alentour comme un tout original, fait d’un complexe d’outils, d’intentions, d’usages. Dès lors, l’objet technique ne saurait être la carte maîtresse de notre recons-truction identitaire. Il n’existe qu’au sein d’un projet, c’est-à-dire malmené par la prise de risque et pris dans une dynamique de questionnement. Un portail de bibliothèque, par exemple, n’a pas à être conçu pour canaliser et normer des usages – qui ne sont d’ail-leurs figés que dans nos représenta-tions. Au contraire, il doit être une occasion d’accueillir des pratiques inat-tendues qui questionnent sa finalité première et poussent à évoluer. Tout projet circonscrit ainsi un lieu : celui où le bibliothécaire n’est ni l’ingénieur – qui conçoit l’outil –, ni le technicien – garant de son fonctionnement –, ni encore l’usager – qui le manie. C’est un archipel où se côtoient des pos-tures, jugées autrefois antinomiques. C’est un espace autre, et l’on dira, pour rester dans les clichés, qu’il est celui de la médiation. Si le bibliothécaire reste aujourd’hui un médiateur, c’est en tant

que tiers-participant. Se gardant d’une neutralité toujours illusoire, il gagne à agir en chef de projet. Il est celui qui oriente, grâce à la vue systémique qu’il a construite des outils, pratiques et en-vironnement technique pris ensemble. Paradoxalement, c’est à l’heure où la technique occupe une place prédo-minante que le bibliothécaire a tout à gagner à se départir du statut de tech-nicien.

Aujourd’hui, nous ne sommes ni maîtres du jeu technique, ni esclaves d’une innovation subie ; il n’y a donc plus aucun sens à opposer « pro » et « anti » technique. Au-delà du « ni-ni », espérons que l’évolution des pratiques professionnelles devance celle des discours. Si l’on parle beaucoup de la bibliothèque comme « troisième lieu », parions aussi sur ce terme pour dési-gner l’émergence d’un nouvel ima-ginaire de la technique. Un tel lieu invite à se représenter les techniques comme un complexe social dont le ressort est l’interaction. Engagés dans cette modeste voie, les bibliothécaires renonceront à la confortable – mais illusoire – position de « stratège » pour investir celle plus incertaine du « tacti-cien ». Cette distinction, que l’on doit à Michel de Certeau 6, illustre la néces-saire conversion du regard que nous avons à opérer. Là où le « stratège » exerce son pouvoir comme un chef militaire qui commande et impose sa loi dans une position de surplomb, le « tacticien », lui, tire son pouvoir des circonstances et de son habileté à aménager, au coup par coup, une si-tuation dont il a su lire la complexité. Le bibliothécaire n’existera qu’en déve-loppant des tactiques. Certes, c’est un « art du faible », mais c’est depuis ce lieu en marge, véritable terre de « bra-connage », que les contours de notre identité professionnelle se redessine-ront. Ceux-ci apparaîtront alors dans les discours – le lieu commun retrou-vant sa fonction sociale –, mais aussi dans un agir créatif, générateur d’une image mouvante de notre identité qu’aucun miroir, qu’aucun écran ne pourront figer. •

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6. Michel de Certeau, L’invention du quotidien. 1. Arts de faire, Paris, Gallimard, 1990, Folio Essais, p. 61.

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ues La valeur des services

documentaires en prise avec le numérique

Vouloir souligner l’importance du numérique dans l’exer-cice des métiers de l’informa-

tion, bibliothécaire, documentaliste ou archiviste, est certainement une évidence… Les contenus circulent massivement sous forme numérique, les procédures et les modes de valo-risation ont évolué en parallèle pour répondre aux besoins et à la qualité de services attendue. L’objectif de ce texte est surtout d’insister sur le caractère très évolutif des technologies mobi-lisées et de pointer certains enjeux actuels bousculant les organisations de travail en place : quel périmètre doit-on considérer aujourd’hui pour certains services ? Pourquoi le nouvel enjeu de l’ouverture des données ? La place du numérique dans les forma-tions ? Mais l’objectif majeur reste de veiller à la qualité des services, des contenus, des pratiques information-nelles et d’intégrer les innovations nu-mériques porteuses d’enrichissements et de sens…

Cycle de vie numérique et évolutivité du web

De sa production à sa lecture, le document est aujourd’hui en prise avec des technologies numériques. Un enjeu majeur des dernières années fut certainement la question des formats à partager pour permettre le déve-loppement d’un « écosystème », d’un marché permettant la rencontre d’une offre et d’une demande, le développe-ment de services performants entre les auteurs, les éditeurs, les intermé-diaires et les usagers. Nous rappe-lons dans le tableau en page suivante

quelques technologies accompagnant désormais le cycle de vie des docu-ments.

Mais l’ensemble du cycle de vie est confronté à une très grande évolutivité et il en résulte, de toute évidence, une instabilité des services, des procédures et des organisations de travail. L’his-toire des services est intrinsèquement liée aux différentes générations de technologies qui ont permis leur déve-loppement.

Le web 1.0, développé au tout début des années 1990 par Tim Berners-Lee au CERN, est celui de l’hypertexte mondial en réseau, avec une logique diffusionniste sur de multiples serveurs : l’usager accède de façon inédite à une profusion de contenus auto-diffusés sans interagir directement. Les bibliothèques vont s’enrichir de sites web donnant accès à une diversité de ressources et pen-ser au mieux leur portail d’accès selon les besoins et les technologies dispo-nibles.

À partir des années 2000, le web 2.0 va introduire des technolo-gies permettant l’interaction des inter-nautes entre eux ; les services blogs, wikis, tags, réseaux sociaux, se multi-plient. C’est le web qualifié de « web social » où la légitimité se redistribue et se partage avec les internautes. L’horizontalité du web est introduite et compose désormais avec la logique descendante. Certaines bibliothèques ont choisi d’intégrer ce type de tech-nologies qui viennent compléter l’offre de services existante : Opacs intégrant les commentaires d’usagers, développement de services Netvibes rapprochant des sources de l’édition traditionnelle avec des sources d’inter-

Ghislaine ChartronConservatoire national des arts et mé[email protected]

Ghislaine Chartron est professeur titulaire de la chaire d’ingénierie documentaire au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam). Elle dirige l’Institut national des sciences et techniques de la documentation depuis 2006, elle est membre de l’équipe de recherche Dicen-Cnam. Elle a auparavant été professeur à l’INRP (IFé)-Lyon, en charge de la cellule Veille, et coresponsable de l’Urfist-Paris. Son champ principal d’investigation concerne la documentation et l’édition scientifique numérique, elle publie régulièrement dans ce domaine, http://dicen.cnam.fr/enseignants-chercheurs/

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La valeur des services documentaires en prise avec le numérique :

nautes (blogs)1, présence de la biblio-thèque sur les réseaux sociaux de leurs usagers de type Facebook…

L’horizon se déplace aujourd’hui vers d’autres technologies promet-teuses : le web sémantique et le « lin-ked data », l’informatique dans les nuages, l’universalité (indépendance à tout système d’exploitation, à tout matériel, fabricant, marque, logiciel, ou plugin…). Le terme web 3.0 vou-drait couvrir toutes ces nouvelles ambitions, son identité est encore dif-fuse. Les enjeux du web sémantique dominent toutefois avec le mouvement de l’ouverture des données dans des formats ré-exploitables qui devraient permettre une interaction accrue entre les données pour élaborer de nouvelles connaissances, concevoir des services innovants par l’agrégation de données. Nous reviendrons en détail sur cet enjeu dans la suite de l’article.

Pour souligner l’évolutivité des technologies web et son impact sur les services d’une bibliothèque, nous

1. Muriel Amar et Véronique Mesguich, Le Web 2.0 en bibliothèques : quels services ? Quels usages ?, Paris, Éditions du Cercle de la Librairie, 2009.

prendrons encore trois exemples : le catalogage, l’accès à l’information et l’architecture technique de support.

Le catalogage des ressources documentaires

Le catalogage des ressources docu-mentaires est confronté désormais aux nouvelles modélisations de données pour intégrer le web sémantique et s’agréger avec d’autres données. RDA (Resource Description and Access) est un nouveau cadre pour la description et l’accès aux ressources, au cœur des discussions des réseaux de catalogage. RDA repose sur les modèles concep-tuels FRBR (Functional Requirements for Bibliographic Records) et FRAD (Functional Requirements for Authority Data) et s’appuie sur le formalisme informatique entités-attributs-rela-tions. Le code associé décrit ainsi les entités dans les deux modèles, les attributs qui permettent de les caracté-riser et les relations établies entre ces entités. L’organisation de l’information bibliographique selon les entités du modèle FRBR permet de regrouper les informations relatives à une même

œuvre (par exemple, les traductions, les révisions, les adaptations…). Cette modélisation est en phase avec les for-malismes du web sémantique et avec des outils de recherche plus diversifiés que ceux dédiés exclusivement aux bibliothèques 2. L’ouverture, l’interopé-rabilité avec les outils du web sont les enjeux majeurs. Les États-Unis, l’Aus-tralie, le Canada, le Royaume-Uni et l’Allemagne ont décidé d’adopter RDA en 2013. La France a, pour le moment, mis en place un groupe stratégique chargé d’orienter les futures déci-sions 3.

L’accès à l’information

Concernant l’accès à l’informa-tion, la recherche est confrontée au-jourd’hui à des ressources de plus en plus nombreuses et hétérogènes. Les techniques d’interopérabilité visent à gérer cette diversité, à masquer la complexité des stratégies d’interro-gation pour présenter des réponses unifiées. La figure 1 empruntée à Phi-lippe Bourdenet illustre cette diversité des ressources et des protocoles qui peuvent être sollicités, c’est une accu-mulation de standards et de structu-rations sémantiques différentes au fil des strates du web.

Le rôle du professionnel de l’infor-mation est alors de rendre possible cette interopérabilité avec une descrip-tion sémantique commune (penser les correspondances), d’implémenter ces descriptions dans un langage struc-turé compréhensible par les machines et de faire dialoguer ces ressources par des protocoles partagés. Le cahier des charges et le travail sémantique sont des tâches centrales, la mise en œuvre se fait avec les équipes informatiques. Le SID (Système d’information docu-mentaire) est le dispositif global ras-semblant des ressources hétérogènes et dont le catalogue en ligne du sys-tème de gestion de bibliothèque (SGB) n’est qu’un composant.

2. Philippe Bourdenet, « Le catalogue à l’épreuve du web : une mise en perspective historique », Isko-France, Lille 3, 27-28 juin 2011, Hermès, 2012, p. 119-130.3. www.bnf.fr/fr/professionnels/rda

Exemples de technologies associées au cycle de vie du document numérique

Phase du cycle de vie Technologies numériques Fonctionnalités

Production •  DTD XML spécifiques •   Format du livre numérique : Epub

•  Techniques de numérisation

•   Documents structurés : performance ultérieure  des traitements

•   Affichage multisupport•   Automatisation de l’encodage numérique 

Identification, description •   Identifieurs uniques  (DOI, URI…)

•   Métadonnées structurées•   Tags

•   Unicité d’identification•   Qualité des accès et  des exploitations, des liens

•   Enrichissement social

Diffusion, recherche •   Technologies de portails dont les protocoles de dialogue (OAI-PHMH, SRU, connecteurs)

•   Technologies web 2.0 : Netvibes, blogs…

•   Recherche fédérée,  outils de découverte

•   Services d’actualités,  services interactifs

Usages Format Counter Mesure quantitative des usages des ressources numériques

Communication Technologies de réseaux sociaux Animation d’une communauté

Archivage Modèle conceptuel (OAIS) Pérennité d’accès

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L’architecture technique de support

Nous prendrons un troisième exemple pour souligner l’instabilité des technologies avec l’architecture technique de support. Le passé est jalonné d’étapes : banque de don-nées sur serveurs distants, réseau local de cédéroms, serveur web local, hébergé… Aujourd’hui, les questions se focalisent sur le cloud computing (informatique dans les nuages) à diffé-rents niveaux : pour les données, pour les applications et pour l’archivage.

L’informatique dans les nuages désigne une architecture technique où les applications informatiques d’une entreprise sont transférées à un four-nisseur de services sur internet. Ce transfert concerne les serveurs, les systèmes mais aussi les applications. Le prestataire garantit une qualité de service souvent inégalée en interne, notamment au niveau de la continuité du service, de la performance, du suivi de l’évolution technologique et de la sécurité.

Le cloud computing est déjà inscrit dans certains de nos usages quoti-diens : nous utilisons la suite bureau-tique de Google, les réseaux sociaux comme Facebook, les services de stoc-kage de fichiers comme Dropbox… La légèreté des solutions techniques, externalisant toute maintenance et permettant un accès distant n’importe où, n’importe quand, est plébiscitée. Elle permet de se consacrer à l’activité principale et à l’innovation, et moins à la gestion. Les risques évoqués sont par contre la confidentialité des don-nées, la perte de contrôle, la dépen-dance à l’hébergeur.

Pour les bibliothèques, le rapport OCLC 4 insistait en 2010 sur trois dimensions concernant les avantages du cloud computing : l’efficience tech-nologique, la gestion optimisée des données, le développement de la force d’action commune des bibliothèques :

« Parmi les avantages du cloud com-puting pour les bibliothèques :

4. Matt Goldner, Winds of Change : Libraries ans Cloud Computing, OCLC report, 2010, www.oclc.org/multimedia/2011/files/IFLA-winds-of-change-paper.pdf

– Bénéficier rapidement des techno-logies innovantes pour participer pleine-ment au web de contenus

– Améliorer la visibilité et l’accessibi-lité des collections

– Réduire la duplication des efforts pour les services techniques et le manage-ment des collections

– Rationaliser les flux, bénéficier de la coopération du réseau

– Développement de l’intelligence coopérative, niveaux de service améliorés par l’agrégation à grande échelle des don-nées

– Rendre les bibliothèques plus “vertes” en partageant leurs moyens de calcul, réduisant ainsi l’empreinte car-bone. »

Cette orientation vise à libérer les bibliothèques de la gestion technique locale pour les repositionner sur la conception de services, le développe-ment de leurs contenus. Elle vise aussi à optimiser leur visibilité globale sur le web en concentrant leurs données sur un point d’entrée unique et à sus-citer une émulation commune de dé-veloppement de services.

Dans cette logique, OCLC a ini-tié de nouveaux services pour ses membres, « OCLC WorldShare Mana-gement Services » plus large que le cata-logage partagé qui fonda sa première

activité ; l’offre veut proposer des ser-vices de gestion et d’analyse qui per-mettent de créer collectivement une valeur ajoutée globale, associée aux ressources partagées 5.

De façon convergente, au niveau national, l’Abes réfléchit au dévelop-pement d’un système de gestion de bibliothèque mutualisé entre établis-sements qui mettrait en commun les données de toutes les bibliothèques et de leurs fournisseurs 6.

La question du périmètre : local, national, international ?

La question du périmètre est donc posée, l’évolutivité des technologies remet en question les modes d’organi-sation du travail, les procédures, les af-fectations de moyens, les répartitions entre internalisation et externalisation, la qualité des services rendus, les par-tenariats à privilégier… L’efficience à trouver est un équilibre souvent péril-

5. www.oclc.org/webscale/origins.htm6. [Ndlr] Voir, dans ce numéro, l’article de Jean Bernon, « Le projet de système de gestion de bibliothèque mutualisé de l’Abes », p. 61-65.

Figure 1 Diversité de l’interopérabilité (source : Philippe Bourdenet, Stratégies pour la construction de plateformes interopérables,

journée d’étude 2011 de la Fulbi, www.fulbi.fr/?q=content/2011)

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La valeur des services documentaires en prise avec le numérique :

leux entre les budgets, les mutuali-sations possibles, les savoir-faire des équipes, la satisfaction des usagers et les contraintes locales.

L’évolution technologique induit à la fois la recherche d’économie d’échelle, la recherche de nouveaux partenariats et l’émergence de nou-velles fonctions locales. La question est donc de savoir quelle sera la redis-tribution des fonctions et des tâches des bibliothèques entre les niveaux local, national et international dans un contexte où les modes de financement évoluent également.

L’exemple des acquisitions est emblématique : consortiums, licences nationales. Dans le contexte français, émerge également le projet d’un por-tail commun national pour l’accès aux collections achetées dans le cadre du projet Istex 7 (« l’excellence documentaire pour tous ») dont le financement est rattaché aux « investissements d’avenir » choisis par le gouvernement.

Pour les systèmes de gestion de bibliothèque, les gestionnaires de res-sources numériques (ERM) se posent aussi la question du local ou du natio-nal. Les architectures de type cloud computing permettraient d’optimiser l’investissement et la gestion avec des technologies plus ouvertes que les solutions locales majoritairement pro-priétaires et captives des fournisseurs. Si certaines données sont exclusive-ment locales (les prêts, les données usagers), d’autres sont déjà mutua-lisées au niveau national (catalogage avec le Sudoc), et les bases de connais-sances liées à la gestion des collections numériques sont de plus en plus pro-duites au niveau international avec les fournisseurs de contenus (versement des métadonnées des éditeurs et des diffuseurs par exemple). Que restera-t-il au catalogage local dans un avenir qui sera de plus en plus en réseau entre tous les partenaires ?

Parallèlement, la valorisation de la production locale croît dans la mesure où l’auto-édition et l’auto-diffusion sont possibles sur le web et dans la mesure où la visibilité des « territoires » devient stratégique. Ces bases locales concernent les archives

7. www.istex.fr

ouvertes, les ressources pédagogiques locales, les collections patrimoniales numérisées… Elles doivent s’intégrer dans un environnement plus large (portail national comme Gallica, por-tail international comme Europeana), nécessitant des échanges nombreux, selon des formats partagés au plus haut niveau.

L’ouverture des données des bibliothèques

L’ouverture des données publiques est un nouveau défi généralisé qui trouve en grande partie son fonde-ment dans le paradigme de l’inno-vation ouverte, telle que définie par l’économiste Chesbrough (2003)8 : les idées, les nouveaux savoir-faire sont en partie externes à toute organisa-tion. Pour innover, il faut étendre le périmètre des organisations, intégrer des savoirs externes dans un contexte d’accélération, de spécialisations, de mobilité des compétences et avec l’ob-jectif d’une augmentation du niveau général de connaissances, et de crois-sance des activités économiques… L’open data est un enjeu politique qui irrigue l’ensemble des secteurs et dont les bibliothèques sont également en train de se saisir pour s’associer à l’investissement dans ces nouveaux régimes de croissance.

L’accélération est appuyée par la directive européenne 9 de 2003 concernant la réutilisation des infor-mations du secteur public dans le cadre de la « société de l’information et de la connaissance », les enjeux ma-jeurs étant à la fois l’égalité d’accès pour les citoyens et le potentiel éco-nomique associé à leur réutilisation dans divers domaines : le tourisme, l’environnement, les transports… L’ob-jectif est alors en grande partie l’inté-gration de la bibliothèque dans son territoire. L’ouverture de ses données peut concerner à la fois la cartogra-phie documentaire, les acquisitions,

8. Henry W. Chesbrough, Open innovation: The new imperative for creating and profiting from technology, Boston, Harvard Business School Press, 2003.9. http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:32003L0098:FR:HTML

les collections, les inscriptions et les prêts, en respectant la protection des données personnelles. Ces données peuvent être agrégées à d’autres pour proposer des services innovants. Ima-ginons effectivement que la locali-sation des ouvrages détenus par les bibliothèques publiques d’un territoire puisse être intégrée à des dossiers tou-ristiques locaux, aux activités d’une plateforme associative de cours en ligne, aux intranets des entreprises…

La Bibliothèque nationale de France a ouvert les 12 millions de notices stockées dans ses différents catalogues, « Nous voulons donc que les ressources de la BnF soient aussi visibles sur le web que la bibliothèque dans la ville 10. » L’engagement vers le web sémantique est affirmé 11. La Biblio-thèque nationale et universitaire de Strasbourg fait aussi partie des pion-nières, s’engageant davantage encore : son conseil d’administration a décidé en janvier 2012 de placer toutes ses productions numérisées 12 sous la Licence ouverte/open licence d’Etalab 13 : les données bibliographiques mais aussi les fichiers numériques issus de la numérisation d’œuvres du domaine public conservées dans ses collec-tions. Certaines collectivités sont par-ticulièrement dynamiques, comme le conseil général de Saône-et-Loire sous l’impulsion particulière de son direc-teur 14.

Le mouvement est à son début et il est prématuré aujourd’hui de faire un bilan entre le supplément de dépenses engagées et le bienfait sociétal ou le potentiel économique. Le développe-ment du web sémantique est, en tout cas, pensé comme un moteur d’inno-vation dans les services et un accéléra-teur de synergie entre des acteurs pu-

10. http://data.bnf.fr/docs/databnf-presentation.pdf et « Web sémantique et modèle de données », in : site web de data.bnf.fr, 2011, http://data.bnf.fr/semanticweb11. M. Barre, « L’ouverture des données publiques à la BnF à travers l’exemple de data.bnf.fr », Cahiers du numérique, à paraître, Lavoisier, 2012.12. www.bnu.fr/collections/la-bibliotheque-numerique/les-images-de-la-bnu-et-la-licence-ouverte13. http://ddata.over-blog.com/xxxyyy/ 4/37/99/26/licence/Licence-Ouverte-Open-Licence.pdf14. www.opendata71.fr

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blics et privés. Pour les bibliothèques, OCLC donne déjà une première liste intéressante d’applications innovantes créées avec les données ouvertes des catalogues 15.

Compétences pour le numérique

Les services proches des usagers (accès à l’information, conseils, prêts) comme les services proches de la ges-tion (back office des bibliothèques) croisent pleinement les transforma-tions numériques : le comportement des usagers change avec le web, et l’efficience de la gestion passe par des solutions technologiques nou-velles. Le médiateur du document doit être familier avec la technique de son domaine pour conduire des choix pertinents et savoir dialoguer avec ses partenaires. L’enjeu est d’acquérir des compétences numériques pour penser les services, programmer les cahiers des charges, négocier avec ses parte-naires internes et externes. L’objectif n’est pas d’être développeur informa-tique (d’ailleurs, la majorité des entre-prises aujourd’hui externalise de nom-breux développements qui nécessitent une spécialisation de plus en plus pointue et évolutive) mais d’être le représentant des besoins et l’ingénieur compétent des services d’information numérique en charge de la gestion de projets diversifiés.

Le virage est pris dans de nom-breuses institutions de formation, mettant en perspective le statut de l’information dans la société du xxie siècle. Un mouvement embléma-tique est celui de la reconfiguration initiée par les i-schools nord-améri-caines 16 qui fondent leur cursus sur les interactions entre information, technologie et humain. L’objectif structurant est simple : garantir effica-cement aux usagers l’information dont ils ont besoin pour prendre des déci-sions et faire avancer au mieux leurs

15. www.oclc.org/developer/applications16. Myriam Hérigault, Massinissa Nait Mouloud et Kristell Roser, Les i-schools d’Amérique du Nord, janvier 2012. http://intd.cnam.fr/medias/fichier/les-ischools-en-amerique-du-nord_1338302039920.pdf

objectifs personnels et professionnels. Les compétences numériques sont renforcées mais toujours en équi-libre avec les compétences liées aux sciences sociales pour la compréhen-sion des interactions, des comporte-ments et des besoins.

Un second point important à sou-ligner concerne l’intrication renforcée entre la gestion de l’information et les autres activités d’une organisation au-jourd’hui. L’information irrigue toutes les activités et accompagne leur déve-loppement, elle est centrale et justifie sa valeur ajoutée par une interaction permanente avec les autres services. Le « retour sur investissement » des moyens affectés s’observe en par-tie par les effets de cette interaction. Ainsi, pour une université, le renfor-cement du lien de la bibliothèque avec l’enseignement et avec la recherche (innovation) construit sa valeur ajou-tée majeure. Pour une entreprise, le lien entre la gestion de l’information et l’innovation, la qualité de la produc-tion et la gestion des risques devient prioritaire. La gestion de l’information s’inscrit plus que jamais dans l’accom-plissement des objectifs principaux de l’organisation. Pour une bibliothèque universitaire, le contexte numérique lui donne des opportunités inédites de penser avec les enseignants d’autres façons de transmettre des savoirs. La mise à disposition individualisée de lectures et de corpus de plus en plus riches permet de considérer le cours présentiel comme un espace de débat et de construction du raisonnement. Augmenter la qualité de la formation et l’adéquation à un public qui ne se satisfait plus uniquement d’une pos-ture passive de réception sont des en-jeux majeurs dans le contexte éducatif du xxie siècle.

En conclusion

L’objectif n’était pas d’encenser le numérique mais de montrer qu’il est, de toute évidence, devenu indispen-sable à la réalisation des missions de médiation documentaire dans tous les contextes. La compétence numérique doit être développée et régulièrement actualisée afin de remplir les missions fondatrices d’accompagnement pour

l’acquisition des connaissances et de répondre à des besoins d’informations variés avec une exigence de qualité et de diversité.

Le numérique nous appelle aussi à rester vigilants sur les transformations qu’il induit : favorise-t-il l’interdiscipli-narité tant prônée aujourd’hui dans nos institutions 17 ? Peut-il apporter une contribution significative à la qua-lité des processus d’expertise 18 ? Au contraire, peut-il conduire également à des logiques de réduction, à des es-paces appauvris pour les lecteurs… et si le mur Facebook devenait le princi-pal prescripteur de lecture ?

Séparer le bon grain de l’ivraie… Le bibliothécaire, comme tous les autres professionnels de l’information, doit rester un éclaireur et un conseil-ler averti sur le chemin de l’acquisi-tion des connaissances. •

Septembre 2012

17. Hans Dillaerts, « Libre accès », « Accès sans barrière », vecteur de la créativité, de la pluridisciplinarité et de l’interdisciplinarité ?, conférence « Open access, services, interdisciplinarité et expertise » (Oasie), Cnam, 28 mars 2012, http://dicen.cnam.fr/medias/fichier/cnam-iscc-dillaerts_1334131676530.pdf18. Emma Bester, « Les services pour les archives ouvertes : de la référence à l’expertise », Documentaliste – Sciences de l’information, 2010, vol. 47, no 4, p. 4-15.

- Lectures : Revue bimestrielle avec les rubriques « Bibliothèque de chez nous »,

« Bibliothèque d’ailleurs », « Bibliothèque au quotidien », « Internet et multimédia », « Portrait d’auteur » et « Portrait Jeunesse », ainsi que des articles de fonds (ou de brèves recensions) sur « l’actualité éditoriale » en littératures générale, d’évasion, ados / jeunesse / BD.

Lectures élabore des dossiers thématiques tels ceux consacrés aux sujets suivants, déclinés en bibliothèque publique : droits d’auteurs, sciences, architecture et design, communication, évaluation, bibliothèques itinérantes, management, enjeux du numérique, rencontres littéraires, Europe, censure, promotion de la santé, bibliothèque hors les murs, etc.

- Collection « Cahiers des bibliothèques » : La collection reprend des actes de colloques, études, bibliographies

thématiques sur diverses questions liées à la promotion du Livre et de la Lecture, notamment : Internet dans les bibliothèques (Cahier 9), documentaire jeunesse (Cahier 10), formations au métier de bibliothécaire (Cahier 11), politiques d’acquisition (Cahier 13), bibliographie d’ouvrages de références (Cahier 14), enquête Contrats-Lecture Jeunesse (Cahier 15), enquête Alphabétisation (Cahier 16), Héroïc Fantasy (Cahier 17), ressources électroniques (Cahier 18), publics éloignés de la lecture (Cahier 19), publics des bibliothèques (Cahier 20), histoire de Belgique (Cahier 21).

- Hors-série : - Le patrimoine en Communauté française : fonds locaux et régionaux ; - Les institutions belges : liste d’autorité matière (au 31/12/06) ; - Histoire de Belgique : liste d’autorités (au 31/05/10) ; - Le Réseau public de Lecture publique en Fédération Wallonie-

Bruxelles : évolutions 2002 à 2010 ; - Outil bibliothèque pour favoriser l’intégration des personnes

éloignées de la lecture et des populations étrangères dans les bibliothèques ;

- Outil bibliothèque sur le plan local de développement de la lecture.

Infos :Éditions en Lecture publiqueTél : +32 4 232 40 17 – Fax : +32 4 221 40 [email protected]

Lectures et les Éditions en Lecture publique sont publiés parle Ministère de la Culture de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

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et bibliothèques

Quand il entre dans le hall de l’Enssib, le flâneur observateur peut apercevoir, en levant les

yeux sur sa gauche, un assemblage de néons multicolores qui sont du plus bel effet à la tombée de la nuit. Cette œuvre, que l’on doit à Maurizio Nannucci 1, laisse souvent perplexes les visiteurs et rares sont ceux qui dé-couvrent immédiatement que l’artiste a tout simplement imbriqué les lettres du mot INDEX. Que l’école qui est chargée de la formation du personnel des bibliothèques soit, dès que l’on en franchit le seuil, placée sous le signe de l’index est un symbole fort qui, à ma connaissance, n’a jamais été ques-tionné.

Il faut préciser d’emblée qu’il y a quelque péril à parler des « biblio-thèques » en général, tant il y en a de modèles différents. Cette précaution terminologique s’adresse également au deuxième objet d’étude, l’index, et on évoquera dans une rapide perspective historique des réalités très diverses qui partagent cependant le même nom. Il est important d’étudier les phéno-mènes techniques sur des temporalités longues, au rebours de la propension actuelle qui, quand on évoque des su-jets touchant au numérique, fait fi des périodes antérieures dès qu’elles dé-passent la vingtaine d’années, comme si la technologie pouvait être analysée intrinsèquement en éludant ses déter-minismes socioculturels 2.

1. Voir photo en page suivante.2. Même si les livres numériques n’existent que depuis une dizaine d’années, on notera que l’on convoque rarement l’histoire du livre pour en parler. De la même manière, le droit d’auteur est sommé de s’adapter aux technologies numériques comme si l’on pouvait balayer d’un revers de main tous les acquis en ce domaine depuis plus de deux cents ans. Cette perspective anhistorique

Même si cet article évoque des techniques documentaires très pré-cises, il a pour ambition de rester dans un registre épistémologique et a pour objectif de montrer comment les domaines du livre et du document tissent un rapport dialectique avec cette technologie de l’intellect que l’on appelle index.

Des premiers index de livres au web sémantique

Il ne s’agit pas ici de retracer à grands traits l’histoire des index de livres 3, mais d’en extraire certaines caractéristiques qui sont susceptibles d’éclairer le propos. À l’échelle de l’histoire du livre, les index sont fina-lement apparus relativement tard, car l’ordre alphabétique a mis du temps à s’imposer et les pratiques de lecture médiévales ne permettaient pas d’envi-sager cet outil de repérage comme in-dispensable. Si les index de livres ont pu se développer à partir du xvie siècle, c’est bien entendu à cause de l’essor de l’imprimerie, mais il serait illusoire d’imaginer que cette invention en soit l’unique raison. C’est en effet une conjonction de facteurs techniques, linguistiques et culturels qui a permis la modélisation de cet auxiliaire de lecture qui a encore sa place de nos jours à la fin de certains ouvrages. En perdant de vue cette origine multifac-torielle et en oubliant la longue his-

du numérique est sans doute un indice des difficultés qu’entretiennent les nouvelles technologies avec le temps.3. Le lecteur intéressé par cette question pourra se reporter à la deuxième partie de notre ouvrage écrit avec Jacques Maniez, Concevoir l’Index d’un livre – Histoire, actualités et perspectives, ADBS, 2009.

Dominique [email protected]

Après des études de philosophie, Dominique Maniez s’est reconverti dans l’informatique. Il a été développeur de bases de données, journaliste spécialisé, auteur et traducteur d’ouvrages sur les nouvelles technologies, professeur associé à l’Enssib et à l’université Lyon 2. Il enseigne actuellement les TICE aux étudiants qui préparent les concours de recrutement de l’Éducation nationale.

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Index, Google et bibliothèques :

toire des index de livres, nous pensons que les informaticiens qui abordent aujourd’hui les problématiques de l’in-dexation du web vont dans la mauvaise direction, et laissent de côté des consi-dérations épistémiques qui méritent d’être approfondies.

Il ne s’agit pas pour autant de re-léguer aux oubliettes la technologie, et chacun, sans être spécialiste de la question, peut aisément constater que des progrès considérables ont été réa-lisés en matière d’indexation depuis une dizaine d’années. Dans cette op-tique, il est toujours intéressant de se replonger dans le passé, et nous ren-voyons le lecteur à deux excellents ar-ticles de Dominique Lahary et de Jean-Claude Le Moal qui ont été publiés en 2002 dans le BBF 4. À la lecture de ces articles, qui ne sont finalement pas si anciens que cela, chacun voit bien que les choses ont évolué à grande vitesse. Dominique Lahary tenait, par exemple, les propos suivants : « Il y a enfin, ce qui agite les bibliothécaires qui peuvent y voir une confirmation ou au contraire une négation de leurs tradi-tions, la notion de métadonnées (meta-data), ces données sur les données qui peuvent être contenues dans la ressource électronique elle-même ou dans un enre-gistrement séparé, et qui font l’objet de formalisation comme le RDF (Resource Description Framework). »

Aujourd’hui, RDF et OWL 5 sont à la base du web de données, que l’on

4. Dominique Lahary, « Informatique et bibliothèques », BBF, 2002, no 1, p. 60-67. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2002-01-0060-006 ; Jean-Claude Le Moal, « La documentation numérique », BBF, 2002, no 1, p. 68-72. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2002-01-0068-0075. OWL pour Web Ontology Language : extension de RDF qui sert à décrire ce que les informaticiens appellent des ontologies et qui, malgré ce que certains en pensent, n’ont pas

appelle également web sémantique 6

ou web 3.0. Et l’on est bien obligé de se rendre à l’évidence : ces techno-logies sont aujourd’hui matures et implantées dans des outils que nous employons couramment. Par exemple, c’est le projet Isidore 7 qui permet aux ressources de l’université ouverte des humanités (UOH)8 d’être mois-sonnées automatiquement. Projet d’envergure piloté par le TGE Adonis, Isidore est sans doute la réalisation française la plus emblématique du web sémantique à l’heure actuelle, mais il existe une myriade d’autres initiatives en cours dans ce secteur qui est foisonnant 9.

Le tour de force du web séman-tique est sans doute d’arriver à extraire des informations pertinentes de don-nées qui à la base ne le sont pas forcé-

grand rapport avec la science de l’être en tant qu’étant…6. Le lecteur peu au courant de la terminologie et des enjeux du web sémantique trouvera une bonne synthèse dans un dossier récent de la revue Documentaliste – Sciences de l’information, volume 48, no 4, décembre 2011, dossier : « Web sémantique, web de données : quelle nouvelle donne ? » : www.adbs.fr/revue-docsi-volume-48-n-4-decembre-2011-dossier-web-semantique-web-de-donnees-quelle-nouvelle-donne--111766.htm7. www.rechercheisidore.fr et http://blog.antidot.net/tag/isidore pour une description technique du projet.8. L’UOH est l’université numérique thématique (UNT) qui est consacrée aux sciences humaines et sociales : www.uoh.fr9. Le programme de l’édition 2012 de SemWeb.Pro (journée de conférences pour les professionnels du web sémantique) disponible à www.semweb.pro/blogentry/2713 donne une idée des principaux acteurs du domaine ainsi que des orientations de recherche. Bien entendu, le web sémantique n’attire pas que la recherche universitaire, et on trouvera quelques exemples d’utilisation en entreprise à : http://dossierdoc.typepad.com/descripteurs/2012/02/le-web-sémantique-en-entreprise-quelques-cas-dusage.html

ment. Par exemple, un projet comme DBpedia 10, qui vise à sémantiser Wikipédia, arriverait presque à vous réconcilier avec cette encyclopédie col-laborative.

Toujours plus vite

Pour résumer, grâce au web sé-mantique, on dispose aujourd’hui d’index construits de manière automa-tique qui permettent d’accéder à des données pertinentes si l’on emploie les bons outils. Il demeure cependant une question embarrassante : com-bien sommes-nous à utiliser ces bons outils ? Il ne s’agit pas ici de reprendre un procès contre Google qui a déjà été instruit 11, mais bien de constater qu’une immense majorité des étu-diants, des enseignants et des person-nels de bibliothèque (pour ne citer que ces catégories socioprofessionnelles qui sont censées avoir des rapports privilégiés avec l’information scienti-fique et technique) utilisent systémati-quement le moteur de recherche de la firme de Mountain View en première intention dès qu’il s’agit de trouver la moindre information, qu’elle soit fac-tuelle, anecdotique, savante ou tech-nique. C’est un fait établi que peu de gens de bonne foi osent aujourd’hui contester, et le recours à Google est

10. http://fr.dbpedia.org et http://cblog.culture.fr/2012/02/23/linkeddata_dbpedia_webdedonnees pour une présentation du projet.11. L’honnêteté nous impose d’ailleurs d’avouer que malgré un certain succès d’estime, ce combat n’a eu aucun impact ni aucune conséquence pratique, les utilisateurs des services de Google étant toujours de plus en plus nombreux. Il semblerait également que la modification récente des règles de confidentialité n’ait pas plus éveillé les consciences, malgré les protestations de la Commission nationale Informatique et libertés. Les lecteurs qui ignoreraient nos thèses pourront se reporter au premier chapitre de notre ouvrage, « Les 10 plaies d’Internet », qui est disponible en ligne à : http://dunod.ebrochure.fr/10-plaies-internet/page1.html On trouvera également un réquisitoire brillant et solidement argumenté contre cette tendance à tout envisager sous le prisme de Google dans l’essai récent de Siva Vaidhyanathan, The Googlization of Everything: And Why We Should Worry, University of California Press, 2012.

L’œuvre de Maurizio Nannucci, Index, allumée à la tombée de la nuit.

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devenu un réflexe conditionné contre lequel il est sans doute vain de vouloir lutter.

Il y a cependant une difficulté supplémentaire : dans l’esprit de bon nombre d’internautes, il existe une équation plus ou moins consciente que l’on peut formuler en ces termes : Google = internet = bibliothèque. Même si la métaphore d’internet vue comme une immense bibliothèque a été employée assez tôt, au fur et à me-sure que l’on s’est rendu compte que le web engrangeait des documents à une vitesse exponentielle, l’équiva-lence symbolique entre le moteur de recherche et le contenu de ce qu’il est censé indexer a été relativement peu étudiée. Chacun voit bien cependant que le fait que Google soit la page d’accueil d’un grand nombre de navi-gateurs ou que la fenêtre de recherche du navigateur soit quasi systématique-ment celle de Google entretient l’illu-sion que le navigateur Google est le seul moyen d’accéder au web. Et, dans les faits, c’est bien ce qui se passe. Si c’est le rôle du navigateur d’interpré-ter le code des pages web pour l’affi-cher, le recours à Google est devenu indispensable pour accéder aux sites web, car plus grand monde ne prend la peine de saisir directement une adresse dans la barre d’adresses du na-vigateur. Par métonymie, Google de-vient le web, ce qui, si l’on met à part les données du web invisible, n’est pas tout à fait inexact, puisqu’il a pris soin d’inclure dans sa base de données toutes les pages d’internet qu’il a pu télécharger.

Si l’on admet que Google se ré-sume à son index, il en découle une autre équation : index = internet = bi-bliothèque. Ce renversement dialec-tique est saisissant, car un bibliothé-caire a sans doute du mal à imaginer que le catalogue de sa bibliothèque soit équivalent à la somme des livres qu’il inventorie. Cette confusion se fait bien évidemment au détriment de la bibliothèque, que l’on n’a plus besoin de fréquenter puisque l’on a accès à internet. Dans cette dérive sémantique, l’index est confondu avec la bibliothèque, comme si les méta-données étaient devenues aussi im-portantes que les données. On serait presque tenté de résumer cette situa-

tion par la formule suivante : « Quand le bibliothécaire montre la lune, l’imbécile regarde l’index. »

Cette hérésie se double d’une autre plaie du monde contemporain, la dictature du temps réel. Si Google a arrêté depuis longtemps de com-muniquer sur la taille de son index, il continue à afficher le temps de chaque requête effectuée sur le moteur de recherche. Plus la requête est rapide, plus les liens commerciaux s’affiche-ront vite. De nombreux théoriciens, notamment Paul Virilio, ont réfléchi à cette fuite en avant qui consiste à vouloir toujours aller plus vite, et il faut bien reconnaître que l’usage omniprésent des nouvelles technolo-gies de la communication a contribué à renforcer cette pente dangereuse. Cette quête de l’urgence qui est ca-ractéristique des sociétés capitalistes modernes 12 participe à l’aliénation de l’internaute, qui est avant tout consi-déré comme un client potentiel, plu-tôt que comme un citoyen souhaitant s’informer. Ce désir d’instantanéité, qui frise parfois la névrose, est bien entendu un frein à la formation scien-tifique et technique, mais tous ceux qui fréquentent de près des étudiants savent pertinemment que la concur-rence est devenue déloyale entre inter-net et la bibliothèque universitaire.

Pour être tout à fait franc, nous ne croyons pas à un retour en arrière. Faut-il pour autant baisser les bras et se résigner, en constatant tous les jours les lacunes produites par ces nouvelles habitudes de travail dans la formation intellectuelle des étu-diants13 ? Assurément non ! Il faut alors se battre sur le seul terrain qui vaille la peine et sur lequel nous pou-vons exercer notre supériorité : l’hu-main. Même si cette formule peut paraître totalement galvaudée, il faut

12. On lira avec profit à ce sujet l’analyse que livre le philosophe Hartmut Rosa, notamment dans son dernier ouvrage, Aliénation et accélération : vers une théorie critique de la modernité tardive, La Découverte, 2012.13. Même si nous ne partageons pas tous les points de vue de Nicholas Carr, il faut reconnaître au journaliste américain le mérite d’avoir mis les pieds dans le plat avec son dernier livre : Internet rend-il bête ? Réapprendre à lire et à penser dans un monde fragmenté, Robert Laffont, 2011.

remettre l’homme au centre de la bi-bliothèque et faire en sorte que le bi-bliothécaire redevienne un médiateur humaniste.

Face au web qui est un monstre froid et secret 14 voyant en chaque internaute un consommateur poten-tiel 15, le bibliothécaire doit jouer un rôle citoyen de premier plan si l’on croit encore aux vertus du service pu-blic ainsi qu’à la fonction émancipa-trice de l’éducation à l’Information Lite-racy. Par le jeu de dérives technicistes, un certain nombre de professionnels de l’information-documentation ont réussi à mettre l’être humain au se-cond plan, et il convient aujourd’hui de reconquérir le terrain perdu. Il est sans nul doute plus facile de dresser un constat d’échec que de proposer une solution miracle à ce problème, mais nous avons le sentiment que le monde des bibliothèques doit avant tout miser sur ses atouts et ne pas courir après Google en multipliant les partenariats, même si cela fait aug-menter dans des proportions impor-tantes les statistiques de consultation des bibliothèques numériques. Il ne s’agit à ce stade-là même plus d’une question d’éthique, mais de stratégie. Si l’on veut que nos concitoyens re-tournent dans nos bibliothèques pour chercher de l’information et non plus consommer des données, il faut miser sur l’humain, sinon les bibliothèques seront mises à l’index. •

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14. La transparence et l’open data sont des thèmes très à la mode, mais, à notre connaissance, Google n’a toujours pas publié les algorithmes de son moteur de recherche…15. Si l’on reprend l’aphorisme d’Andrew Lewis, il arrive d’ailleurs parfois que le consommateur change de statut : « If you are not paying for it, you’re not the customer ; you’re the product being sold. »

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Researchers of Tomorrow : doctorants britanniques, numérique et bibliothèques

Quelles sont les pratiques docu-mentaires des jeunes cher-cheurs ? Quelles sont les res-

sources qu’ils utilisent dans le cadre de leurs travaux ? La prolifération des ressources accessibles facilement en ligne modifie-t-elle les façons dont les étudiants entament et construisent leurs recherches, leurs bibliogra-phies, voire définissent leurs sujets de recherche ? Finalement, quelles sont les pratiques informationnelles des jeunes doctorants par rapport à celles des chercheurs plus âgés ?

L’étude

Pour répondre à ces questions importantes pour le monde universi-taire, celui de la recherche mais aussi celui des bibliothèques et centres de documentation spécialisés, la Bri-tish Library et le JISC 1 ont lancé en 2009 une étude 2 auprès de plus de 17 000 doctorants britanniques ins-crits dans plus de 70 établissements d’enseignement supérieur différents, complétée d’une étude longitudinale de trois ans 3 portant sur une cohorte de 60 étudiants. On se souvient qu’en 2007 une première étude pilotée par ces deux mêmes institutions avait porté sur The Google Generation : Infor-mation Behaviour of the Researcher of the

1. Le Joint Information Systems Committee (JISC) dépend du Higher Education Funding Council (HEFCE).2. L’étude peut être consultée en ligne (en anglais) à l’adresse suivante : www.jisc.ac.uk/media/documents/publications/reports/2012/Researchers-of-Tomorrow.pdf3. L’étude longitudinale a été menée entre juin 2009 et décembre 2011.

Future 4. On s’intéressait alors aux pra-tiques des personnes nées après 1993, les fameux Digital Natives. Ces jeunes, nés avec Google, étaient alors sujets de nombreuses interrogations de la part des enseignants et des bibliothé-caires après l’article visionnaire publié par Mark Prensky en octobre 2001 qui, pour la première fois, utilisait cette expression qui depuis a fait florès 5. Les conclusions principales de l’étude de 2007 soulignaient que malgré la diffusion massive des « nouvelles » technologies dans l’enseignement et la recherche, les Digital Natives, pour-tant nés avec internet, ne faisaient pas montre d’une compétence informa-tionnelle aussi avancée que ce que les professionnels supposaient.

L’étude toute récente ne concerne pas, contrairement à celle de 2007, des Digital Natives, mais les doctorants appartenant à la génération Y (per-sonnes nées entre 1984 et 1994 6). Les étudiants interrogés ont commencé leur scolarité dans des établissements

4. Cette première étude (en anglais) peut être consultée à l’adresse suivante : www.jisc.ac.uk/media/documents/programmes/reppres/gg_final_keynote_11012008.pdf Savoirs CDI avait mis en ligne une traduction française de l’étude : http://eduscol.education.fr/numerique/actualites/veille-education-numerique/mai-2010/le-comportement-informationnel-du-chercheur-du-futur. Elle avait été évoquée dans le BBF : Cécile Touitou, « Les nouveaux usages des générations internet », BBF, 2008, no 4, p. 67-70. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2008-04-0067-0015. Marc Prensky, « Digital Natives, Digital Immigrants », On the Horizon, MCB University Press, vol. 9, no 5, octobre 2001. En ligne : www.marcprensky.com/writing/prensky%20-%20digital%20natives,%20digital%20immigrants%20-%20part1.pdf6. Personnes qui au cours de l’étude menée en 2009 étaient alors âgées de 18 à 27 ans.

Cécile TouitouBibliothèque nationale de [email protected]

Cécile Touitou est chef de projet « Public et démarche qualité » à la Délégation à la stratégie et à la recherche de la BnF. Titulaire d’une maîtrise de lettres modernes et d’une maîtrise de documentation et information scientifique et technique, elle a auparavant exercé comme consultante au cabinet Tosca Consultants et comme documentaliste dans différents types d’établissements tant en France qu’aux États-Unis et au Canada. Elle a écrit plusieurs articles dans le BBF et, avec Marc Maisonneuve, Les logiciels portails pour bibliothèques et centres de documentation (ADBS éd., 2007), et a contribué récemment à l’ouvrage Bibliothèques 2.0 à l’heure des médias sociaux, sous la dir. de Muriel Amar et Véronique Mesguich (Éditions du Cercle de la librairie, 2012).

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où l’informatique pénétrait timide-ment dans les salles de classe. Ils n’ont pas été formés à la recherche do-cumentaire par un usage systématique de Google, comme c’est le cas pour la génération née après 1993.

Les résultats publiés sont nom-breux et pourront être lus avec atten-tion par les enseignants et les cher-cheurs. Dans ce court compte rendu, ne sont présentés que les éléments les plus significatifs pour les biblio-thécaires et documentalistes qui, à la fois, conçoivent les bibliothèques nu-mériques et définissent les corpus qui seront numérisés, procèdent aux ac-quisitions de ressources électroniques et accompagnent ces usagers au quo-tidien, que ce soit par des actions de formation, des services de réponses à la demande, du renseignement biblio-graphique, etc.

Les ressources utilisées par les doctorants

Le questionnement a d’abord porté sur le type de ressources utilisées par ces étudiants dans le cadre de leurs travaux de recherche. La majorité des doctorants, quelle que soit leur disci-pline, a principalement recours aux sources secondaires qui, comme on le sait, évoquent, portent ou traitent de sources primaires qui sont, elles, des publications originales 7. Au titre de ces ressources secondaires, on trouve principalement des périodiques élec-troniques. Si elle ne trouve pas l’article de périodique électronique recher-ché, presque la moitié de l’échantillon se contente du résumé. D’après les observations, les étudiants plus âgés sont moins susceptibles de le faire. Il semblerait qu’il y ait dans cette géné-ration certains jeunes chercheurs qui terminent leur apprentissage sans jamais avoir cherché ou manipulé de sources primaires. Les auteurs du rap-port soulignent dans leurs conclusions les implications d’un tel constat pour les institutions telles que la British

7. Par documents primaires, on entend des sources originales (manuscrites ou imprimées), des bases de données (factuelles, statistiques, cartographiques…) ou des témoignages et enquêtes.

Library. Faut-il, et comment, remédier à cette évolution majeure dans l’usage des sources primaires par les jeunes chercheurs ?

Illustrant ce constat, le graphique page suivante montre, en fonction des disciplines étudiées, l’usage rela-tif qu’ont ces doctorants des différents types de ressources. Pour la majorité écrasante d’entre eux, leur recherche aboutit à l’identification d’un article de périodique (périodique électronique ou papier), d’un livre (livre électro-nique ou papier), d’une référence ou d’un résumé d’article, bien plus qu’à des sources primaires ou originales.

30 % de l’échantillon enquêté ont utilisé Google ou son moteur comme outil principal de recherche. Des diffé-rences apparaissent cependant selon les disciplines étudiées. Quelques étu-diants utilisent également les bases de données, l’interface de recherche propre aux périodiques électroniques ainsi que les catalogues des biblio-thèques en complément de Google.

Usages et attentes des doctorants

Ces doctorants téléchargent un nombre important de documents plus qu’ils n’en lisent réellement. La ges-tion de ces fichiers sur leur poste de travail et leur citation constituent pour eux un problème récurrent.

La plupart fréquentent également des bibliothèques. S’ils sont usagers de bibliothèques autres que leur propre bibliothèque universitaire, c’est princi-palement pour trouver des documents qui ne sont pas disponibles dans la leur ou bien parce qu’ils travaillent ou vivent à proximité d’une bibliothèque dont l’accès est plus « commode 8 ». De façon générale, les doctorants issus de cette génération Y ont semblé moins fréquenter d’autres bibliothèques uni-versitaires pour leur recherche que des étudiants plus âgés. 44 % de l’échan-

8. On peut lire : « [where] libraries were more convenient ». On sait que cette notion de convenience qui décrit le caractère pratique ou commode d’une offre est déterminante dans l’usage que font les lecteurs des bibliothèques, qu’elles soient de recherche ou de lecture publique.

tillon observé en 2010 l’avaient fait au cours de l’année universitaire pré-cédente comparativement à 59 % de l’échantillon d’étudiants plus âgés. La discipline étudiée est un facteur déter-minant de la fréquentation physique d’une autre bibliothèque que la sienne. L’étude révèle une plus forte propen-sion à fréquenter physiquement une bibliothèque chez les étudiants qui font usage de sources primaires que chez ceux qui ne les utilisent pas.

Les auteurs nous alertent éga-lement sur la grande confusion qui règne auprès de ces jeunes chercheurs quant aux règles qui définissent les archives ouvertes et l’ensemble des publications scientifiques accessibles librement. La notion même d’« accès ouvert » n’est pas claire pour eux et ils hésitent à utiliser ces ressources ne sa-chant pas comment les citer, certains pensant même que leur directeur de recherche n’approuverait pas l’utilisa-tion de telles sources. Plus générale-ment, les principes mêmes du droit d’auteur ne sont pas bien connus par ce jeune public.

Les étudiants de la cohorte étudiée ont exprimé avec force que les accès restreints 9 aux périodiques électro-niques proposés par leur bibliothèque étaient une source permanente d’exas-pération et de perplexité. À quelques exceptions près, la plupart des étu-diants ont partagé les difficultés qu’ils rencontraient pour obtenir les articles disponibles dans l’abonnement pro-posé par leur bibliothèque.

L’usage des outils disponibles gra-tuitement sur le web ou offerts par leur université est faible parmi ces étudiants. Cependant, ils sont plus nombreux dans cette génération que dans celles qui la précèdent à utiliser certaines de ces applications ainsi que les réseaux sociaux, si cet usage peut facilement s’intégrer à leurs pratiques existantes. Cette étude confirme ce que d’autres ont déjà montré 10, à savoir

9. Cela concerne les restrictions par authentification ou limitations imposées par les licences.10. On pourra lire une synthèse de ces études dans l’ouvrage récemment paru : Bibliothèques 2.0 à l’heure des médias sociaux, sous la dir. de Muriel Amar et Véronique Mesguich, Éditions du Cercle de la librairie, 2012.

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Researchers of Tomorrow : doctorants britanniques, numérique et bibliothèques

le faible usage des outils 2.0 par ces jeunes chercheurs, non qu’ils ne s’en servent pas pour des usages person-nels, mais ils n’en voient pas l’intérêt dans le contexte de leurs travaux uni-versitaires. Cependant, il convient de distinguer usage actif et usage passif. Ainsi, 29 % de l’échantillon déclarent un usage passif des forums de discus-sion, alors que 13 % en font un usage actif ; 23 % lisent les blogs mais seule-ment 9 % y sont actifs 11. La plupart de ces doctorants partagent leurs travaux principalement avec leurs collègues de travail plutôt qu’avec une communauté virtuelle avec laquelle ils n’ont pas de liens réels. Peu d’entre eux les ont déjà versés dans un dépôt institutionnel.

11. Sur ce sujet ainsi que d’autres, on pourra faire de nombreux rapprochements avec l’étude menée par la BnF sur les usages des bibliothèques numériques en sciences et techniques. En ligne : www.bnf.fr/documents/enquete_usage_bib_num_sci_tech.pdf

Alors que la plupart d’entre eux ont déjà suivi une formation sur la recherche documentaire et la locali-sation des sources secondaires, ils se montrent généralement moins par-tants pour des formations sur les ap-plications web 2.0. Généralement, ils se montrent plus réceptifs à des for-mations en tête à tête plutôt qu’à des modules de e-learning.

La moitié de cet échantillon déclare avoir déjà eu recours à l’assistance des bibliothécaires pour mener à bien ses recherches. Cependant, ils sont un peu plus nombreux que les généra-tions plus âgées à n’y avoir jamais eu recours (33 % contre 21 %). La plupart des étudiants reconnaissent volontiers les compétences, l’expérience et l’utilité des bibliothécaires vers lesquels ils se sont tournés pour trouver de l’aide.

Sans surprise, ces usagers classent en tête des services les plus impor-tants les abonnements institutionnels aux périodiques électroniques, suivis

de près par l’expertise et l’appui de leur directeur d’étude.

Les résultats soulignent un écart significatif entre l’importance relative des services et la satisfaction qu’ils génèrent, notamment pour ce qui concerne les abonnements électro-niques dont l’usage difficile décourage ces jeunes chercheurs. Ayant fait ce constat préoccupant, les auteurs du rapport précisent que c’est là juste-ment que des perspectives s’ouvrent pour les professionnels des biblio-thèques. Il convient d’imaginer un accompagnement adapté de ces usa-gers dans leurs recherches d’informa-tion ainsi que dans leurs travaux de recherche puisqu’ils sont loin d’uti-liser pleinement les ressources et le potentiel que leur offrent les outils et les applications du web, notamment en matière d’archives ouvertes et de partage de connaissance. •

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Revue en ligne en texte intégral

Livre imprimé/extrait

Revue imprimée

Résumé, référence bibliographique

E-book (ou extrait)

Manuscrit ou document imprimé

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Données publiées

Article de presse(imprimé ou en ligne)

Tirage photoou autre type d’image (numérique)

Données brutes

Enregistrement son/vidéo

Toutes disciplines confondues

Médecine, odontologie et santé

Sciences de l’ingénieur et informatique

Sciences biomédicales et vétérinaires

Sciences biologiques

Sciences physiques

Sciences sociales

Lettres et sciences humaines

Usage relatif des différents types de ressources en fonction des disciplines étudiées

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ues L’opposition millénaire

archives/bibliothèques a-t-elle toujours un sens à l’ère du numérique ?

Cet article est un libre propos autour de la notion d’archives et de la notion de bibliothèque

après trente-cinq ans d’études et d’expérience professionnelle dans le monde de l’écrit et de la mémoire, période marquée au niveau internatio-nal par la révolution numérique et les changements qu’elle n’a pas encore fini d’opérer.

Nourrie de la triple opposition archives/bibliothèque – opposition formelle (la liasse manuscrite face au livre imprimé), méthodologique (la diplomatique et la codicologie) et professionnelle (les conservateurs des archives étaient naguère encore bien séparés des conservateurs des bibliothèques) –, je suis aujourd’hui confrontée quotidiennement à des écrits qui ne sont ni manuscrits ni im-primés, j’utilise des méthodes qui sont d’abord dictées par la réalité du numé-rique, je croise de nombreux profes-sionnels qui s’occupent d’archives et de bibliothèques sans être conserva-teurs… De quoi y perdre mon latin !

Il n’y a qu’une chose qui ne change pas, c’est le changement, a for-tiori lors des révolutions. Mais qu’est-ce qui a vraiment changé ? Le sens des mots ? La réalité des choses ? Leur représentativité dans la société ? Les usages ? Les professions ?

Archives et bibliothèques : un couple millénaire

Les archives et les bibliothèques ne remontent pas tout à fait à l’inven-tion de l’écriture mais sont apparues dès que les écrits ont été suffisam-ment nombreux pour qu’on leur assigne une place spécifique dans les palais puis dans les villes. Car la pre-mière caractéristique des archives et des bibliothèques est bien la création d’un lieu dédié à l’organisation d’un ensemble de supports d’écriture pour faciliter leur gestion, c’est-à-dire leur conservation et leur consultation. C’est la notion que l’on trouve dans la définition classique et étymologique du mot bibliothèque (« lieu où est ran-gée une collection de livres ») et dans un des sens du mot archives (« lieu où l’on conserve des archives »), les archives étant une collection de pièces et titres. L’usage du mot collection (résultat d’un regroupement) dans l’un et l’autre cas vient conforter l’importance de la di-mension physique et de la visibilité du regroupement 1.

Cela étant dit, archives et biblio-thèques sont deux choses bien dis-tinctes. La différence entre les deux collections tient avant tout à la fina-

1. Dictionnaire des dictionnaires. Lettres, sciences, arts, encyclopédie universelle, t. 1, A-BISOT/sous la dir. de Paul Guérin, 1892 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k201375w/f1.image.swf

Marie-Anne [email protected]

Marie-Anne Chabin est expert dans le domaine de l’archivage managérial (records management) avec plusieurs spécialités : les normes, la diplomatique numérique (sur la base de sa formation chartiste) et la méthode Arcateg (archivage par catégories). Outre l’activité au sein de son cabinet de conseil (www.archive17.fr), elle enseigne au Cnam « La maîtrise de l’archivage à l’ère numérique » et est secrétaire générale du CR2PA (Club des responsables de politiques et projets d’archivage, www.cr2pa.fr). Elle tient un blog critique et décalé sur l’information numérique dans la société : www.marieannechabin.fr

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L’opposition millénaire archives/bibliothèques a-t-elle toujours un sens à l’ère du numérique ?

lité des écrits qui les composent. Les bibliothèques sont constituées d’écrits dont le but est, dès l’origine, de transmettre des connaissances à un public, de faire connaître des faits ou des idées, de première main ou reformulés, à une communauté scientifique ou apprenante, dans un but collaboratif, prosélyte, lucratif ou pédagogique, dans tous les domaines de connaissance : religion, philoso-phie, sciences, techniques, poésie… ; la bibliothèque se compose de livres qui sont des objets finis, identifiés, mis à disposition. À l’opposé, les archives sont constituées d’écrits qui fondent le droit des personnes et la mémoire ad-ministrative, autrement dit des traces de l’activité qui légitiment le pouvoir ; ces traces peuvent être publiques (les lois, les décisions officielles) ou confi-dentielles (les accords, les rapports) ; elles sont prioritairement des traces validées, signées, datées.

Archives et bibliothèques ne s’op-posent pas réellement ; elles articulent leurs rôles spécifiques dans une vaste mémoire. Le Dictionnaire de l’Acadé-mie française de 1835 donne une for-mule très éclairante de cette relation, à l’article Bibliothèque : « On appelle les bibliothèques, les archives du génie, du savoir. » Logiquement, le critère de regroupement des bibliothèques est la pertinence des écrits aux yeux du res-ponsable de la bibliothèque chargé des acquisitions ; le critère de constitution des fonds d’archives est la provenance, chaque personne ou entité ayant ses archives qui ne peuvent être celles du voisin.

Pendant des millénaires, la dua-lité archives-bibliothèques s’est épa-nouie sans ambiguïté. On trouve dans de nombreuses bibliothèques diverses éditions de : la Bible, l’épo-pée de Gilgamesh, l’Odyssée, la Répu-blique de Platon, la Somme de saint Thomas d’Aquin, Le prince, La prin-cesse de Clèves, L’esprit des lois, Manon Lescaut… On trouve dans un seul lieu d’archives : la (fausse) donation de Constantin, les contrats de mariage d’Anne de Bretagne, le journal de chasse de Louis XVI, etc.

Il n’est pas anodin de constater que la différence entre archives et bi-bliothèques se traduit dans la forme même des documents et dans les

pratiques d’écriture. La dimension et les supports diffèrent, l’écriture égale-ment, la reliure, la façon de numéro-ter les pages, les abréviations. Elle se poursuit dans les méthodes de gestion des collections : les plans de classe-ment de bibliothèques et d’archives ne sont pas les mêmes, le thématique l’emporte dans les bibliothèques, le chronologique dans les archives. En revanche, archives et bibliothèques ont divers points communs, par exemple, le fait d’avoir bénéficié des techniques d’imprimerie (même si cela est plus manifeste pour les livres que pour les actes), ou encore, le fait d’avoir un « sanctuaire » pour la partie la plus sensible des collections : docu-ments vitaux et confidentiels dans le coffre des archives, ouvrages précieux ou licencieux dans la réserve de la bi-bliothèque.

Pendant des millénaires, archives et bibliothèques se partagent en bonne intelligence l’essentiel de la produc-tion écrite. Il n’y a pas de concur-rence ; tout document a vocation, pour peu que son contenu présente un intérêt, à gagner le lieu-archives ou le lieu-bibliothèque, selon un cir-cuit assez naturel inscrit le plus sou-vent dans la typologie des documents. Bien sûr, il y a au fur et à mesure du temps quelques interférences : par exemple les plans d’un immeuble peuvent hésiter dans leur destination ; tout dépend de la position institution-nelle du détenteur des documents et du poids de son regard, s’il les voit comme le support d’une construction précise, ou comme le support d’un style d’architecture. Mais ces excep-tions ne font guère que confirmer la règle : les traces des activités qui en-gagent la responsabilité et sont néces-saires à la gestion des biens et des per-sonnes sont destinées aux archives ; les sources formalisées de la connais-sance sont accueillies dans les biblio-thèques. Archives et bibliothèques en viennent peu à peu à élargir le spectre de documents conservés, avec de nou-velles formes et de nouveaux supports issus des techniques d’impression et de dessin, mais aussi selon le degré d’achèvement des objets : manuscrits d’ouvrages publiés ou non publiés pour les bibliothèques, documents préparatoires de textes officiels aboutis

ou non aboutis pour les archives. Par ailleurs, les archives créent leur propre bibliothèque ; les bibliothèques pro-duisent leur propre fonds d’archives. Tout va bien.

Le troisième larron : la documentation

Donc, tout allait bien dans la rela-tion archives-bibliothèques, lorsque, sous l’influence du progrès technique et technologique, la documentation s’est immiscée entre les deux.

La documentation est une des conséquences de la démultiplica-tion des acteurs de l’écrit, et donc de la matière écrite, depuis environ un siècle. Le nombre des acteurs et des utilisateurs d’archives et de livres a augmenté de façon exponentielle, en raison du développement écono-mique, juridique, politique et culturel des sociétés. L’écrit se démocratise. Il n’est plus une affaire de spécialistes ou d’initiés.

Le développement technique et technologique favorise toujours plus la production de nouveaux docu-ments. Plusieurs siècles après l’inven-tion de l’imprimerie, la photographie, l’enregistrement du son, les images animées, la capture des signaux, en-gendrent de nouvelles formes de do-cuments pour transmettre le savoir ou étayer des dossiers : les Archives de la planète d’Albert Kahn, les dossiers mé-dicaux de la seconde moitié du siècle avec les radios et les électrocardio-grammes, pour ne prendre que deux exemples. La reproduction mécanique des documents, en particulier le pho-tocopieur dans la seconde moitié du xxe siècle, offre des possibilités sans précédent pour manipuler des docu-ments en dehors des bibliothèques et des archives. La copie nourrit la docu-mentation. Du reste, on ne collecte pas la documentation (comme on le fait des archives ou des livres) ; on la rassemble.

L’histoire de la documentation (discipline assez hexagonale au de-meurant) est associée aux noms de Paul Otlet et Henri Lafontaine avec leur grand projet de Répertoire biblio-graphique universel et la création de la Classification décimale universelle

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(CDU), deux démarches proches du monde des bibliothèques 2. On note au passage que le rêve encyclopédique a hanté plus d’un bibliothécaire au cours des âges et peu d’archivistes.

Mais aujourd’hui, le métier de documentaliste (associé à la documen-tation comme celui d’archiviste est associé aux archives et celui de biblio-thécaire aux livres) a délaissé ces am-bitions universelles et se positionne d’abord comme un service à l’utili-sateur. Le bibliothécaire catalogue, l’archiviste trie, et le documentaliste cherche pour un tiers. Cette formule lapidaire n’est pas une caricature. Elle veut juste mettre en évidence la place qu’ont prise ces dernières décennies les centres de documentation, à côté et en dehors des archives et des biblio-thèques. Le documentaliste cherche pour les utilisateurs qui ne savent pas chercher ou qui n’ont pas le temps de le faire (population qui n’existait pas autrefois). La documentation s’inté-resse aux contenus et non aux objets livres ou aux actes originaux (et elle peut le faire grâce aux facilités de pro-duction et de reproduction de la fin du xxe siècle). La documentation a par-tie liée avec l’informatique dont elle exploite les outils pour trouver plus vite, plus juste, au plus près de ses uti-lisateurs. Le documentaliste est essen-tiellement un intermédiaire entre les documents, toujours plus nombreux et variés, et leurs utilisateurs poten-tiels, toujours plus pressés et souvent désemparés devant la masse docu-mentaire.

La documentation « prend des parts de marché » aussi bien aux ar-chives qu’aux bibliothèques, de par sa proximité avec les utilisateurs qui apprécient d’avoir un document rapi-dement, peu importe que ce ne soit qu’une copie ou un extrait, dès lors que l’information répond au besoin. Mais la documentation a surtout un statut propre, au travers de tous les documents qu’elle gère qui ne sont ni des livres ni des archives traditionnels mais plutôt des documents entre-deux, des documents qui tracent une activité

2. Sylvie Fayet-Scribe, Histoire de la documentation en France : culture, science et technologie de l’information, 1895-1937, CNRS Éditions, 2000.

mais que leurs auteurs ou détenteurs ne voient pas comme des archives, ou des documents qui présentent des connaissances mais qui n’ont pas été formalisés et finalisés dans une publi-cation, ou qui souvent ne sont que des copies, n’ont pas le statut d’original ou d’exemplaire qui caractérisait initiale-ment les documents d’archives et les livres de bibliothèque.

La photocopieuse puis la bureau-tique (l’ordinateur individuel) font naître de nouveaux gisements docu-mentaires, en dehors des institutions patentées, par exemple, les fonds asso-ciatifs où l’on regroupe, hier dans des armoires, aujourd’hui sur des sites internet, tout document, quelles que soient sa forme et sa provenance, dont le contenu concerne l’association, son objet ou ses membres. Indice pré-curseur d’une dérive en marche, on appelle volontiers archives ces groupes documentaires bien qu’ils n’aient pas été produits et reçus dans l’exercice de l’activité associative (définition des ar-chives) et seulement pendant l’exercice de cette activité.

La littérature grise s’impose ainsi comme un pilier des centres de docu-mentation d’entreprise : il s’agit des publications internes qui échappent au circuit du dépôt légal, l’agent ra-batteur des bibliothèques. Ceci expli-quant cela, les documents « gris » sont parfois incomplets au regard des exi-gences du livre et du document d’ar-chives : l’auteur n’est pas précisé, il n’y a pas d’éditeur ou de commanditaire, le titre est parfois sibyllin, la pagina-tion absente, et on cherche vainement la date dans le corps du document ; tous ces éléments sont évidents pour ceux qui les produisent le jour où ils les produisent et ils n’éprouvent pas le besoin de le préciser : on commence à vivre dans l’immédiateté…

Une autre notion apparaît alors, celle de la fraîcheur de l’information : la documentation se doit d’exploiter les documents les plus récents. L’uti-lisateur, dans son travail, a besoin de données techniques ou administra-tives « à jour » : on ne prend pas de décision sur la base de chiffres qui ne sont pas actualisés. Mais déduire de là que la valeur d’un document réside prioritairement dans sa date (à sup-poser qu’il en ait une !) est une idée

reçue perverse. C’est confondre la connaissance et l’information.

La documentation vise tout sup-port qui informe l’utilisateur des faits et expressions d’un maximum d’acteurs sur les sujets susceptibles de l’éclairer dans son travail. La docu-mentation n’est pas un support de connaissance universelle et atempo-relle mais un support d’information immédiate pour une action précise. De ce point de vue, la documentation s’inscrit dans la société de consomma-tion et justifie pleinement le métier de documentaliste en tant que spécialiste de la recherche des sources d’informa-tion et professionnel de leur mise à disposition des utilisateurs, au travers d’outils spécifiques (logiciels docu-mentaires) et de techniques ad hoc (indexation, classement, requêtes, dif-fusion ciblée…).

Le centre de gravité de l’écrit s’est déplacé de la collection pérenne vers l’utilisateur autour de qui se construit le service documentaire. À côté des collections qui structurent la connais-sance et la mémoire, l’information s’installe et prend de plus en plus de place, sans qu’un lieu bien défini lui soit attribué ; elle occupe par défaut le reste de l’espace.

Faites vos jeux, rien ne va plus !

En dissociant l’information de son support, le numérique consacre bien évidemment la prédominance du contenu sur l’objet. En même temps, il instaure la primauté des outils dans la gestion de l’information, avec la dictature du logiciel qui domestique les utilisateurs. L’outil est un intermé-diaire obligé de production et surtout d’accès à l’information : un intermé-diaire très serviable et infatigable si on se plie à ses règles ; un machin muet et obtus si on ne sacrifie pas à ses dé-sirs.

Bien plus que l’informatique en tant que telle (qui transforme le docu-ment en données), ce sont les réseaux numériques qui donnent un énorme coup d’accélération à la démocratisa-tion de l’écrit, en facilitant la produc-tion de traces et d’expressions les plus diverses de tous les temps : photogra-

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L’opposition millénaire archives/bibliothèques a-t-elle toujours un sens à l’ère du numérique ?

d’archives ? », ou : « Comment faire face à l’immensité des archives, encore accrue par Internet ? Comment leur donner sens et les utiliser au mieux, en évitant qu’elles limitent la liberté de réflexion et d’inter-prétation ? L’archive fait-elle le cher-cheur ? 4 »

Si l’on s’en tient à la terminologie, archives et bibliothèques ont tendance à se rejoindre, à se confondre dans la même réalité de ressources pour la recherche. À cet égard, la fusion en 2004 de la Bibliothèque nationale du Canada et des Archives nationales du Canada est significative : les adminis-trateurs de ces institutions « ont com-pris que, la frontière traditionnelle entre les archives et les bibliothèques étant de plus en plus floue, il est temps pour les deux institutions de devenir une res-source unique au service de l’ensemble des Canadiens 5 ». Rien ne justifie de limi-ter ce constat au Canada ; il est natu-rellement extensible à tous les pays. Il convient toutefois de préciser que le mot archives doit s’entendre ici au sens d’archives historiques (comme pour les Archives nationales de France), même si ladite institution est égale-ment compétente pour la « gestion de l’information » dans les services du gouvernement. Pour rebondir sur l’illustration de la définition de biblio-thèque citée au début de l’article, on pourrait suggérer à une prochaine ver-sion du Dictionnaire de l’Académie fran-çaise cette formule : « Les archives histo-riques sont la bibliothèque de l’histoire. »

S’en tenir à ce constat est oublier l’impact du numérique sur les pro-cessus de fabrication des archives et des livres. Tout écrit, toute trace, tout enregistrement numérique, n’a pas vocation à devenir un document de référence, un document à partager, un document à conserver. Ce qui différen-cie le monde numérique du monde d’avant n’est pas le support mais la masse, la masse informelle, la masse de graisse informationnelle qui pro-voque l’infobésité 6. Contrairement à ce qu’on entend souvent, l’enjeu ma-jeur n’est pas l’enjeu technique de la

4. www.afeccav.org/actualites/8e-congres-de-l%E2%80%99afeccav-les-9-10-juillet-2012.htm5. www.thecanadianencyclopedia.com/articles/fr/bibliotheque-et-archives-canada6. www.marieannechabin.fr/2011/09/infobesite

phies géolocalisées, enregistrement et sauvegarde du moindre fichier, dé-multiplication fulgurante d’un tweet, échanges instantanés sur outils colla-boratifs ou des sites internet et ainsi de suite.

Internet est plus qu’une révolu-tion. C’est un séisme ! L’organisation de la trace et du savoir est plus que chamboulée. Des montagnes se fis-surent, des lacs se forment, des ave-nues très fréquentées deviennent des no man’s lands, de nouvelles affluences se font jour, les repères changent. Les mots tentent de s’adapter mais at-trapent surtout le tournis…

Le numérique réactive forcément le rêve d’universalité du savoir, ou du moins des sources de connaissance avec des initiatives telles qu’Internet Archive ou la bibliothèque numé-rique mondiale de l’Unesco, parmi bien d’autres. Chaque site internet a ses « Archives » qui ne sont qu’un empilement chronologique de ce qui a plus d’une semaine ou un mois, sans lien avec ce que sont les archives dans leur essence. Les archives ouvertes accueillent et mettent à disposition des publications ou des pré-publica-tions de recherche ; il s’agit en réalité de bibliothèques et aucunement d’ar-chives dans le sens d’il y a quelques décennies. La Bibliothèque nationale de France « archive » le web, au grand dam de certains archivistes qui se sentent dépossédés de leurs préroga-tives…

Depuis quelques décennies, le mot archive au singulier connaît une faveur dans les milieux des sciences de l’in-formation et de la communication, fa-veur globalement équivalente à la dé-faveur du mot archives au pluriel dans le monde de l’entreprise 3. Le dernier congrès de l’Association française des enseignants et chercheurs en cinéma et audiovisuel, en juillet 2012, en four-nit un exemple parmi d’autres. On peut lire dans le programme : « Des sources aux réseaux : tout est archive » et « Quand le document devient-il archive ? Internet a-t-il dévalué l’importance de l’archive ? Les fonds traditionnels sont-ils “dépassés” par les nouvelles formes

3. Marie-Anne Chabin, « Les nouvelles archives : conclusions d’une revue de presse », La Gazette des archives, 3e trimestre 1996.

conservation numérique, pour laquelle il existe des réponses technologiques satisfaisantes et en progrès. L’enjeu est organisationnel, politique, managérial, social avec la nécessité de qualifier l’in-formation, de sélectionner celle qui a du sens, de détruire celle qui n’apporte rien. Ce qui a changé, c’est que nous sommes passés d’un désert de l’écrit où chaque brin de document était précieux, à une jungle d’informations luxuriante et menaçante à la fois. Ceci vaut pour les bibliothèques en tant que collection des sources du savoir, comme pour les archives en tant que traces de l’activité.

Le point d’attention dans ce nou-veau monde de l’information est sans doute moins l’organisation des lieux numériques de connaissance que l’organisation des processus numé-riques de production de traces perti-nentes, un accompagnement respon-sable du cycle de vie de l’information (conception, production, qualification, diffusion, sélection, conservation, destruction), d’abord pour assurer la protection des personnes physiques ou morales, ensuite pour nourrir les sources du savoir collectif. C’est tout ce pan de la gestion de l’information que la mode appelle « gouvernance de l’information » mais qui dans le fond n’est qu’une e-adaptation du sens ini-tial des archives (traces écrites des droits et de la mémoire métier mises en sécurité et conservées), modernisé entre-temps par les Anglo-Saxons avec le records management 7.

Conclusion

Le numérique s’installe, est déjà installé, et il serait illusoire de le refu-ser. La forme et l’usage des livres s’en trouvent profondément modifiés ; la forme et l’usage des archives aussi. Mais les mots traditionnels d’archives, de bibliothèque, de documentation, se

7. Marie-Anne Chabin, « Le records management : concepts et usages », première et seconde parties, Bibliothèque virtuelle (BIVI), Afnor, 2012. www.bivi.fonctions-documentaires.afnor.org/ofm/fonctions-documentaires/i/i-30/i-30-20 et www.bivi.fonctions-documentaires.afnor.org/ofm/fonctions-documentaires/i/i-30/i-30-21

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prennent les pieds dans le tapis. Oui, les archives historiques et les biblio-thèques se rejoignent dans la fonction de ressources culturelles et scienti-fiques, de support de connaissance, de patrimoine commun, mais toutes les archives ne sont pas historiques, et l’empilement anarchique de textes et d’images ne constituent pas une bibliothèque.

L’écrit (au sens large de discours ou témoignage enregistré sur un sup-port, avec du texte, du son et/ou de l’image) perdure obstinément dans ses deux dimensions atemporelles, celle de support de l’activité au travers des actes, des décisions, des contrats et de tous les documents et données de gestion qui les justifient, et celle

de support de l’expression des idées et des connaissances. Archives et bibliothèques ont fondamentalement pour rôle d’organiser ces deux dimen-sions, de construire des collections au service de la connaissance et de la mémoire, avec discernement, c’est-à-dire sans mélanger au matériau de construction les mauvaises herbes qui traînent par là et les gravats alentour.

L’opposition ou, plus exactement, la différenciation millénaire entre la mémoire des actes qui engagent vis-à-vis des tiers (sens initial du mot archives) et les collections organisées d’ouvrages sources du savoir (sens ini-tial de bibliothèque) est donc plus que jamais pertinente. L’opposition n’est plus dans le support (elle ne l’a fina-

lement jamais vraiment été) ; elle est et elle reste dans la finalité de l’écrit, dans le statut des documents vis-à-vis de leurs auteurs et de leurs utilisa-teurs, dans le financement de la ges-tion, dans les objectifs et les risques de l’organisation et de la gestion de l’écrit pour les générations à venir.

Face à ce constat, les querelles cor-poratistes sont stériles. L’urgence est de redéfinir les métiers de l’informa-tion autour de valeurs immuables des civilisations de l’écrit : la trace des res-ponsabilités et la diffusion du savoir, sans négliger la formation et l’assis-tance des utilisateurs. •

Août 2012

Prochains dossiers du BBF 2012

Francophonies

2013

La documentation à l’université

Allons, z’enfants

Les collections, et après

Quoi de neuf dans les bibliothèques nationales ?

La règle en bibliothèque

Innovation et patrimoine

Les propositions de contributions sont à adresser à : [email protected]

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Une bibliothèque numérique sur les réseaux sociaux :

La Bibliothèque nationale de France a inscrit parmi ses axes stratégiques le développement

de services numériques aux usagers, notamment avec sa bibliothèque numérique Gallica. En ligne depuis 1997, Gallica donne aujourd’hui accès à près de deux millions de documents, livres, fascicules de presse et revues, manuscrits, cartes et plans, images (estampes, photographies, affiches), partitions et enregistrements sonores.

Pour promouvoir les contenus et les services de Gallica et pour expéri-menter de nouveaux modes d’interac-tion avec les Gallicanautes, la BnF a choisi d’être présente sur les réseaux sociaux. Cet investissement s’est tra-duit, pour Gallica, par l’ouverture d’une page Facebook (www.facebook.com/GallicaBnF) et d’un fil Twitter (http://twitter.com/GallicaBnF) en 2010, ainsi que d’un compte Pinte-rest 1 (http:// pinterest.com/gallicabnf) en 2012.

Ce qui au départ constituait une expérimentation s’est pérennisé et a montré combien la bibliothèque numérique gagnait à s’aventurer sur le terrain des réseaux sociaux. Après deux ans de pratique quotidienne, la gestion de la présence de Gallica sur Facebook, Twitter et Pinterest offre matière à analyse, tant sur le plan de la stratégie de médiation numérique qui a été mise en œuvre que sur le

1. Pinterest est un réseau social qui repose sur le principe du tableau en liège sur lequel on vient épingler (pin) des photographies ou des coupures de journaux. L’utilisateur peut y créer des tableaux thématiques (boards) rassemblant des images trouvées sur le web et en faire profiter ses abonnés.

plan des transformations qu’elle a imposées en termes de conception du métier de bibliothécaire et en termes de rapports des bibliothécaires aux usagers.

L’inscription dans une stratégie de médiation numérique

L’apparition des réseaux et médias sociaux a contribué depuis quelques années à bouleverser les pratiques et usages du web. Pour beaucoup d’inter-nautes, Facebook, Twitter ou Google+ constituent les principales portes d’en-trée ouvrant sur la masse phénomé-nale de contenus qu’offre le web. Une institution culturelle, a fortiori une bibliothèque numérique, ne peut plus se contenter d’attendre que les inter-nautes se rendent sur son site en ligne par un accès direct ou via les moteurs de recherche. Sa visibilité dépend en grande partie de sa capacité à s’implan-ter là où se trouvent les internautes.

« Être là où le public passe »

L’implantation d’une institution culturelle sur le web ne passe bien évidemment pas que par les réseaux sociaux. En l’occurrence, la promo-tion des contenus et des services de Gallica repose sur des dispositifs plus traditionnels : un blog (http://blog.bnf.fr/gallica) et une lettre d’informa-tion électronique (www.bnf.fr/lettre_ gallica), envoyée tous les mois à plus de 36 000 abonnés, ont été mis en place en 2009. Mais il est vite apparu

L’équipe@[email protected]

L’équipe qui assure la présence de Gallica sur les réseaux sociaux comprend cinq personnes, issus de différents départements de la BnF, et qui assument cette tâche parmi leurs autres fonctions. Afin de préserver le mystère qui entoure l’identité de Gallica, ils souhaitent rester anonymes, et le BBF respecte ce souhait.

L’EXEMPLE DE GALLICA

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Une bibliothèque numérique sur les réseaux sociaux :

que les éléments interdépendants que constituent le site web, le blog et la lettre d’information électronique de-vaient s’inscrire dans un écosystème plus large de médiation numérique.

La BnF a donc choisi de créer une présence en ligne pour Gallica sur des réseaux déjà fortement implantés comme Facebook (850 millions d’utili-sateurs dans le monde, 22 millions en France) et Twitter (300 millions d’uti-lisateurs dans le monde, 2 millions en France), ou en passe de l’être comme Pinterest – qui représente aujourd’hui le troisième réseau social le plus popu-laire aux États-Unis derrière Facebook et Twitter.

Définir une identité numérique

Comme l’a montré Silvère Mer-cier 2, l’implantation d’une institution culturelle sur les réseaux sociaux sou-lève des enjeux d’identité numérique et implique l’élaboration d’une ligne éditoriale. Dans le cas de Gallica, une étude menée à la fin de l’année 2009 a permis de définir un positionne-ment qui constitue encore aujourd’hui la colonne vertébrale de sa présence en ligne.

Le choix a été fait de mettre en avant Gallica en tant que service, sans révéler l’identité des acteurs qui animent sa présence sur les réseaux sociaux. L’adoption d’une « identité de service » a été pensée dans la pers-pective d’une proximité, voire d’une connivence avec les internautes, afin de faire émerger, avec et autour de Gallica, une communauté de Galli-canautes. Autrement dit, si le service que rend Gallica (en termes de mise à disposition de contenus numérisés et de fonctionnalités offertes autour de ces contenus) est mis en avant sur Fa-cebook, Twitter et Pinterest, il ne s’agit pas d’un service désincarné : Gallica a sa voix, sa personnalité – et son hu-mour ! – propres, autant d’éléments qui se sont construits progressivement et à l’aide de la communauté d’utilisa-teurs qu’elle a réussi à fédérer autour d’elle.

2. www.bibliobsession.net/2009/05/05/quelle-identite-numerique-pour-une-institution-publique

Établir une ligne éditoriale

Cette voix et cette personnalité de Gallica ne sont pas une fin en soi ; elles constituent le support d’une ligne éditoriale adaptable en fonction des ré-seaux sur lesquels elle s’exprime. Car chaque média social a son fonction-nement, ses pratiques et son rythme auxquels il a fallu se plier. Sur le plan du rythme de publication, l’alimenta-tion de chaque compte suit une fré-quence définie : si la page Facebook de Gallica publie un à deux posts par jour, le fil Twitter peut diffuser une vingtaine de tweets quotidiens, tandis que le compte Pinterest est alimenté cinq à six fois par mois. Sur le plan du type de publication, là aussi, Gallica s’adapte à la nature du réseau social sur lequel elle s’exprime : sur Face-book et Pinterest, dont les interfaces sont particulièrement adaptées au partage d’images, les contenus icono-graphiques (photographies, estampes, affiches, cartes et plans, manuscrits enluminés, etc.) sont privilégiés, tan-dis que sur Twitter la variété des types de documents mis en avant est plus large. Sur le plan du ton adopté pour communiquer avec les internautes, les publications de Gallica prennent éga-lement en compte les us et coutumes propres à chaque réseau : sur Face-book, l’aspect ludique et la proximité avec les Gallicanautes sont privilégiés, alors que sur Twitter, la fantaisie et l’humour – parfois un brin provoca-teur – ont davantage droit de cité.

Quatre axes majeurs ont été défi-nis pour structurer cette ligne édito-riale : la mise en avant des contenus de Gallica, le signalement des services et fonctionnalités offerts par l’inter-face de Gallica, l’interaction avec les usagers et la valorisation des réutili-sations de contenus de Gallica par les internautes.

Pousser les contenus sur les réseaux

La mise en valeur des documents numérisés constitue le fil rouge de la présence de Gallica sur les réseaux sociaux : ce sont surtout les conte-nus que l’on cherche à y promouvoir, en mettant en avant aussi bien des trésors du patrimoine que des docu-ments insolites.

La semaine du 16 au 20 juillet 2012 a par exemple permis, sur la page Facebook, d’inviter les inter-nautes à consulter le manuscrit du carnet de voyage en Orient de Nerval par le biais du lecteur exportable 3 (il-lustration 1) et de signaler la mise en ligne des photographies de Gustave Le Gray par le biais d’un album photo (illustration 2) – images qui ont égale-ment servi à la création d’un board sur le compte Pinterest (illustration 3).

Cette semaine-là, le fil Twitter a signalé les mêmes documents et a par ailleurs mis en valeur différents fonds de Gallica en indiquant les liens 4 vers des documents liés à l’actualité (l’ou-verture de Paris Plages, illustration 4 ; la mort de Tsilla Chelton, illustra-tion 5), à des commémorations (illus-tration 6) ou à l’envie du moment (il-lustration 7) !

Informer les internautes des évolutions de l’interface

La page Facebook et le fil Twit-ter de Gallica s’attachent également à communiquer sur les services et fonc-tionnalités offerts par l’interface de Gallica. Chaque nouveauté fait ainsi l’objet d’un billet de blog relayé sur les réseaux sociaux, comme ce fut le cas lors de la semaine du 16 juillet avec l’évolution du module de recherche plein texte (illustration 8).

Interagir avec les internautes

Le succès d’une présence institu-tionnelle en ligne repose en grande partie sur sa capacité à intégrer la

3. Le lecteur exportable est disponible depuis fin 2010 pour tous les documents consultables dans Gallica : il permet de feuilleter un livre, un manuscrit ou un lot d’images sur un site web ou un blog. Ce lecteur exportable est compatible avec l’interface de Facebook : tout internaute disposant d’un compte Facebook peut ainsi partager un document de Gallica sous cette forme et permettre à ses amis de le feuilleter directement sur son « mur ». Le développement de cette fonctionnalité s’inscrit pleinement dans la volonté de favoriser la dissémination des contenus numérisés par la BnF sur le web.4. Le service de raccourcisseur d’URL bit.ly est utilisé par Gallica sur son fil Twitter. Ce service, gratuit, permet notamment de connaître le nombre de clics effectués sur chaque lien.

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Valoriser les trouvailles des Gallicanautes

Permettre aux Gallicanautes d’en-dosser le rôle d’ambassadeur de Gal-lica constitue un enjeu fort de la pré-sence de la bibliothèque numérique sur les réseaux sociaux. Nous sommes pour cela partis d’un constat : les Gal-licanautes sont parfois des blogueurs actifs qui utilisent les contenus de Gallica pour illustrer leurs billets ; cer-tains rendent compte sur leur blog de leurs recherches au sein de la biblio-thèque numérique, d’autres partagent leurs trouvailles sur les réseaux so-ciaux, d’autres enfin les mentionnent dans des forums de discussion… Pour repérer ces mentions ou ces réutilisa-tions de documents de Gallica, une veille quotidienne est effectuée, qui permet de recueillir chaque jour plu-sieurs exemples remarquables. Les trouvailles partagées par les Gallica-nautes sur Twitter sont signalées par le biais d’un retweet de Gallica (illus-trations 17 et 18).

dimension sociale de ces réseaux. L’équipe qui gère la présence de Gal-lica sur Facebook et Twitter s’efforce donc de répondre à toutes les ques-tions des internautes concernant la bi-bliothèque numérique (illustrations 9 et 10), y compris quand elles ne lui sont pas directement adressées (illus-tration 11).

L’interaction se joue avec les usagers de Gallica, mais aussi avec d’autres institutions culturelles pré-sentes sur Facebook ou sur Twitter. Elle peut prendre la forme de tweets adressés à des musées susceptibles d’être intéressés par certains docu-ments de Gallica (illustration 12) ou d’initiatives ponctuelles : à l’occasion de la Journée des archives le 9 juin 2012, des documents issus des col-lections des Archives nationales, de Gallica, de Cantal archives, des archives départementales d’Ille-et-Vi-laine et des archives départementales de la Manche ont ainsi été rassemblés pour constituer un album commun partagé sur les pages Facebook de ces institutions respectives (illustra-tion 13).

Ces initiatives permettent à Gallica de s’ouvrir à d’autres communautés d’usagers comme celles des musées ou des archives et de favoriser la pro-motion de ses contenus et de ses ser-vices auprès de nouveaux publics.

Sur Twitter, le dispositif adopté pour susciter l’interaction avec les Gallicanautes est tout autre. Les mises en ligne de nouveaux documents sont signalées chaque semaine par le biais d’un hashtag spécifique, #ChasseAux-Trésors (illustration 14). Les abonnés au fil Twitter de Gallica sont invités à reprendre ce hashtag et à faire décou-vrir à leurs propres abonnés les tré-sors qu’ils auront pu découvrir parmi les nouveaux documents (illustra-tions 15 et 16).

Leurs trouvailles sont retweetées par le fil Twitter de Gallica. Ce rendez-vous hebdomadaire contribue autant à rendre compte de l’accroissement des contenus numérisés par la BnF qu’à mettre en valeur les internautes qui dépouillent ces nouvelles mises en ligne. Grâce à la #ChasseAuxTré-sors, les Gallicanautes deviennent de véritables ambassadeurs de la biblio-thèque numérique.

Les trouvailles partagées sur des blogs ou des forums de discussion sont quant à elles signalées par le biais du hashtag #Gallicanautes.

Ce hashtag #Gallicanautes est régulièrement repris par des usagers de Twitter indiquant ainsi qu’ils ren-voient vers des contenus de Gallica (illustration 19) ou par des blogueurs souhaitant signaler qu’ils utilisent dans leur billet des documents trouvés dans Gallica (illustration 20).

Ce dispositif a permis d’identifier un certain nombre de Gallicanautes blogueurs avec qui s’est instaurée une relation privilégiée. Certains d’entre eux ont été invités à confectionner des albums photos à partir de documents trouvés dans Gallica, albums qui ont été publiés sur la page Facebook de Gallica. Ce fut par exemple le cas de @ferocias, auteur du blog Archéo SF 5, avec un album consacré à La science populaire (illustration 21).

5. http://archeosf.blogspot.com

Illustration 10

Illustration 11

(suite en page 36)

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Une bibliothèque numérique sur les réseaux sociaux :

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La mise en valeur des réutilisations de documents de Gallica a émergé avec le fil Twitter de Gallica et s’est progres-sivement étendue à la page Facebook, avec les albums de « l’invité de Gal-lica », au blog Gallica, avec des billets consacrés à des usages spécifiques de la bibliothèque numérique 6 ainsi qu’au compte Pinterest, avec le board « Trouvailles de Gallicanautes » qui ras-semble les images de Gallica utilisées sur des blogs (illustration 22).

La ligne éditoriale choisie pour assurer la présence de Gallica sur les réseaux sociaux est donc riche ; elle exige un engagement fort de la part des agents et a nécessité la mise en place de nouveaux modes de fonction-nement au sein de la BnF.

Une transformation du métier de bibliothécaire ?

Le développement de la présence de Gallica sur les réseaux sociaux s’est accompagné de la mise en place d’une organisation interne adaptée aux usages du web. Elle repose sur trois piliers : une confiance large accordée aux animateurs ; un mode de fonction-nement non hiérarchique ; un fonc-tionnement collectif.

Une organisation interne adaptée aux usages du web

La gestion de la présence de Gal-lica sur les réseaux sociaux repose sur une donnée essentielle : une confiance large est accordée par la direction de la BnF aux agents qui l’assurent. Par na-ture, l’information mise à disposition sur les réseaux sociaux s’insère dans un flux continu et a une durée de vie très courte. Les interactions avec l’usa-ger suivent un rythme rapide : il faut pouvoir réagir en moins d’une demi-journée sur Facebook, en moins d’une heure sur Twitter. Ce fonctionnement est incompatible avec un circuit tra-ditionnel, où chaque publication fait

6. Voir notamment « Quand les Gallicanautes se mettent aux fourneaux », billet consacré à l’utilisation de documents de Gallica dans la blogosphère gastronomique : http://blog.bnf.fr/gallica/?p=4058

Illustration 21

Illustration 22

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Une bibliothèque numérique sur les réseaux sociaux :

l’objet d’une validation par le respon-sable hiérarchique. Sur proposition des animateurs, la direction de la BnF a décidé de mettre en place un circuit souple. Les animateurs de la présence de Gallica sur les réseaux sociaux s’en-gagent à respecter un certain nombre de principes (ils n’expriment pas d’opi-nions personnelles – politiques entre autres – via les comptes Gallica) et à signaler tout incident ou échange pro-blématique avec les internautes (dans les faits, en deux ans de pratique, cela n’est arrivé qu’une ou deux fois). L’identité numérique choisie et la ges-tion collective de la présence de Gallica ont en outre contribué à encourager une forme de contrôle croisé des publi-cations au sein même de l’équipe.

Dès ses débuts, la présence de Gal-lica sur les réseaux sociaux a été conçue pour être gérée de manière collective. La BnF a choisi de ne pas y consacrer un poste complet mais de répartir le travail afférent sur plusieurs postes. Au départ, la gestion a été confiée à une équipe de deux personnes. Cette équipe s’est élargie un an plus tard pour intégrer trois nouveaux membres. À ce jour, cinq agents, issus de diffé-rents départements de la BnF, contri-buent à assurer la présence de Gallica sur les réseaux sociaux sur une part de leur temps de travail.

Il est difficile d’évaluer le volume horaire consacré par chaque membre à cette tâche. Un des membres de l’équipe a qualifié le temps qu’il y consacre de « temps interstitiel » : il y travaille le plus souvent entre deux tâches. En moyenne, l’ensemble des membres de l’équipe s’accorde à éva-luer à 10 % environ le temps de travail qu’ils consacrent chacun à la présence de Gallica sur les réseaux sociaux, réparti de manière inégale selon les semaines.

Le fonctionnement quotidien de l’équipe est défini de la manière sui-vante : chaque semaine, un membre est posté en front office et devient seul responsable de publication. Il est ainsi chargé :

• d’établir au préalable le pro-gramme de publication sur la page Fa-cebook : une publication quotidienne du lundi au jeudi et une « énigme du vendredi », soit cinq publications par semaine ;

• de répondre aux commentaires et questions des usagers sur la page Facebook ;

• de tweeter en fonction de l’ac-tualité et de répondre aux tweets des usagers de Gallica sur Twitter ;

• d’effectuer une veille systéma-tique sur les réutilisations de docu-ments de Gallica par les « Gallica-nautes » et de relayer ces réutilisations sur Twitter et sur Pinterest ;

• d’alimenter le compte de Gallica sur Pinterest.

C’est au cours de cette semaine que le temps consacré à la présence de Gallica sur les réseaux sociaux est le plus important, même si pour le responsable de publication, le travail commence en réalité durant la se-maine précédente. L’établissement du programme de publication sur la page Facebook suppose en effet un travail de recherche conséquent dans Gallica, pour repérer les documents qui seront exploités. Le programme de publica-tion est envoyé le jeudi ou vendredi précédant la semaine de publication aux autres membres de l’équipe pour recueillir avis et suggestions.

Au cours de la semaine dont il a la charge, le responsable de publication dispose d’outils lui permettant de pro-grammer à l’avance certaines publica-tions, en particulier sur Twitter. Il peut ainsi programmer plusieurs tweets à l’avance et assurer une présence « permanente » de Gallica même s’il a d’autres contraintes. Travail prépara-toire et outils de programmation sont donc deux facteurs importants pour permettre à chaque membre d’assurer, en plus des fonctions afférentes à son poste, le travail d’animation au cours de la semaine de publication.

Enfin, le responsable de publica-tion n’est jamais seul : un back office as-sure un soutien permanent. Au moyen d’un « groupe fermé » sur Facebook et du chat qui y est associé, l’ensemble des membres de l’équipe d’animation reste en contact. En moyenne deux à trois membres de l’équipe sont pré-sents de manière concomitante sur le chat, responsable de publication inclus. Ce dernier peut ainsi recueillir des suggestions, demander immédia-tement un avis sur la formulation d’un tweet ou signaler à ses coéquipiers qu’il doit s’absenter pendant quelques

heures (déplacement, réunion, plage de service public) et qu’il leur confie les rênes de l’animation. Ce back office agit comme un élément fédérateur de l’équipe, et contribue de manière importante à la modération des publi-cations et à l’harmonisation de la ligne éditoriale.

Du bibliothécaire au médiateur numérique

Animer la présence d’une biblio-thèque sur les réseaux sociaux de-mande des compétences qui ne font pas nécessairement partie du « cœur de métier » du bibliothécaire. Pour assurer une gestion efficace de la présence en ligne de Gallica, chaque membre de l’équipe est devenu un véritable « touche-à-tout ».

Comme le montre le schéma éla-boré par Lionel Maurel 7 (illustration page suivante), l’animateur/médiateur numérique fait appel à divers types de compétences :

• des compétences « bibliothéco-nomiques » appliquées au web : re-cherche documentaire, connaissance de Gallica ;

• des compétences d’ordre tech-nique : maîtrise des interfaces web, écriture web, veille sur les médias so-ciaux ;

• des compétences relevant de la communication : benchmarking, ges-tion d’eReputation, définition d’une ligne éditoriale ;

• des compétences « sociales » : culture générale, travail collaboratif, animation de communautés.

Ces compétences mêlent bien souvent expériences professionnelles et pratique personnelle. Les cinq membres de l’équipe d’animation tra-vaillent dans différents départements de la BnF. Ils ont tous en commun une pratique personnelle des réseaux sociaux, mais occupent des postes de nature différente. Aucun d’entre eux n’occupe cependant de poste d’expert scientifique sur un domaine de collec-tion en particulier.

7. Lionel Maurel, présentation lors de la journée d’étude « Le web 2.0 : nouveaux services ou effet de mode ? », Médiadix/Urfist Paris, 10 décembre 2010.

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Le médiateur numérique, un agent de redocumentarisation

La nature même des réseaux sociaux en fait des « espace(s) d’inter-actions hautement concurrentiel(s), où les utilisateurs sont soumis à un flux continu d’informations, au sein duquel il n’est pas facile d’émerger 8 ». Pour inté-grer pleinement ces médias où prime l’économie de l’attention, le bibliothé-caire se doit d’accepter une forme de « perte de contrôle » sur les contenus qu’il publie.

S’il est possible de faire ressortir la valeur patrimoniale des contenus proposés – la publication d’un « tré-sor » patrimonial fonctionne toujours très bien –, les réseaux sociaux per-mettent de créer de nouvelles formes de valeurs 9 :

• une valeur « en temps réel », liée au moment de la publication plus qu’à la valeur intrinsèque des contenus proposés. Par exemple, l’album Face-book Gallica, set et match publié au moment du tournoi de Roland-Garros. Le temps « accéléré » sur Twitter de-mande une réaction bien plus rapide, à l’exemple du tweet « #Gallica aussi a son @Christian Bale http://bit.ly/NJb-HEM » publié le jour de la sortie du dernier Batman ;

• une valeur « conversationnelle », particulièrement développée sur Twit-ter. Par exemple, le mystère de l’iden-tité des animateurs de Gallica fait régulièrement l’objet d’échanges de tweets entre les Gallicanautes et le fil @GallicaBnF ;

• une valeur d’échange, qui par-fois fait disparaître complètement le contexte initial des documents. À l’occasion de la publication de l’album Gallica en maillot de bain, plusieurs Gallicanautes ont partagé cet album sur leur profil Facebook personnel, et certains de leurs amis ont pensé qu’ils partageaient des photos… de leurs va-cances !

Les contenus valorisés font ainsi l’objet d’une « redocumentarisa-

8. Lionel Maurel, « Ce que Twitter fait aux bibliothèques… », in Bibliothèques 2.0 à l’heure des médias sociaux, sous la direction de Muriel Amar et Véronique Mesguich, Paris, Éditions du Cercle de la librairie, 2012.9. Lionel Maurel, article cité.

tion 10 » : l’usager se réapproprie les documents, il les réinterprète non pas seulement en fonction de leur valeur intrinsèque, mais aussi en fonction du « degré affectif » qu’ils peuvent lui procurer.

Conclusion

Si la présence de la bibliothèque sur les réseaux sociaux modifie en par-tie les frontières du métier de biblio-thécaire, elle bouleverse surtout les rapports traditionnels entre bibliothé-caires et usagers. Ceux-ci sont démul-tipliés – plus de 15 000 fans de la page Facebook, plus de 8 000 abonnés au fil Twitter – mais aussi plus souples,

10. Manuel Zacklad in Lionel Maurel, article cité.

plus intimes. Le bibliothécaire n’est plus seulement prescripteur : il met à disposition de la communauté les biens qu’il estime ou qu’il aime le plus et crée une relation de confiance avec ses usagers numériques. Il voit avec plaisir le succès de certaines publica-tions, il est parfois déçu par leur échec relatif. Sans doute est-il tout simple-ment devenu… un usager comme les autres. •

Juillet 2012

Maîtrise des interfaces

Connaissance de Gallica

Recherche documentaire

Benchmarking

Gestion d’eReputation

Écriture webDéfi nition

ligne éditoriale

Veille sur médias sociaux

Culture générale

Travail collaboratif

Veille actualités et tendances

Animation de communautés

Les compétences du médiateur numérique (source : Lionel Maurel, présentation lors de la journée d’étude

« Le web 2.0 : nouveaux services ou effet de mode ? », Médiadix/Urfist Paris, 10 décembre 2010)

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Des outils automatiques pour le signalement en bibliothèque :

Le développement des outils in-formatiques, et en particulier des documents numériques, est

vécu comme un changement fort par les professions de l’information et les bibliothèques. Ces changements ne concernent pas uniquement les mé-tiers de l’information au sens strict, mais plus généralement toutes les activités de services qui requièrent de manipuler des documents écrits.

Dès que l’informatique a com-mencé à gagner le grand public, le secteur tertiaire a changé de visage. Dans la grande distribution comme en bibliothèque, on travaille avec un ordi-nateur. Qu’il s’agisse de vendre des produits alimentaires ou de commu-niquer des livres, le catalogue se gère derrière un écran.

L’utilisation de l’ordinateur comme outil quotidien a constitué un important changement dans la vie professionnelle. Les apports de l’automatisation dans le traitement des informations sont un vecteur de transformation moins visible mais non moins conséquent. Les capaci-tés des machines informatiques ont évolué dans l’ensemble des profes-sions de services : de plus en plus de possibilités techniques sont offertes, en particulier grâce aux outils dits du « web sémantique 1 », qui permettent

1. Le web sémantique est un ensemble de technologies visant à faciliter l’exploitation des données structurées, en permettant leur interprétation par des machines. Le web de données (Linked Data en anglais) combine

d’exposer des données reliées, struc-turées avec rigueur, et réutilisables par d’autres. Pour les bibliothèques, ces outils peuvent être utiles, en particu-lier sur trois axes :

• l’identification des ressources dans des masses considérables ;

• la gestion de formats variés ;• l’échange de données.Trois questions que la technique est

actuellement en train de renouveler.La Bibliothèque nationale de

France déploie progressivement, de-puis l’été 2011, un projet qui s’appuie sur les outils du « web sémantique » : data.bnf.fr.

Le site permet de signaler les res-sources de la BnF et de les rendre plus visibles sur internet. Construit auto-matiquement, à l’aide d’algorithmes, il a pour but d’expérimenter des possibi-lités techniques, mais aussi d’observer les usages réels des internautes, au travers de pages web visibles par tous. La bibliothèque intègre ce projet dans une activité prospective, de recherche et d’innovation pour les évolutions futures.

les technologies du web sémantique et les principes fondamentaux du web (protocole HTTP, identifiants URI), avec pour objectif la construction d’un réseau d’informations structurées, disponibles en ligne et facilement réutilisables dans de nombreux contextes. www.bnf.fr/fr/professionnels/web_semantique_donnees/s.web_semantique_intro.html

Romain [email protected]

Agnès [email protected]

Bibliothèque nationale de France

Archiviste-paléographe, conservateur des bibliothèques, Romain Wenz a rejoint en 2009 le département de l’Information bibliographique et numérique de la BnF comme expert métadonnées. Il travaille à l’élaboration de l’outil data.bnf.fr.

Conservateur des bibliothèques, Agnès Simon travaille au département de l’Information bibliographique et numérique de la Bibliothèque nationale de France, où elle est responsable adjointe du projet data.bnf.fr.

EXPÉRIMENTATIONS AUTOUR DU PROJET DATA.BNF.FR

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Le travail de conception : bibliothecarius ex machina

La diffusion massive des outils informatiques a provoqué un chan-gement rapide des pratiques des lec-teurs. Pour s’adapter, les bibliothèques doivent s’insérer dans un monde d’in-formations beaucoup plus concurren-tiel qu’avant le développement de l’in-ternet. Cela implique d’organiser des masses d’informations considérables de façon à ce qu’elles deviennent exploitables sur le web et visibles : à partir de millions de documents (plus de onze millions de notices pour le Catalogue général de la BnF), il faut réussir à regrouper les informations autour de concepts. Les sites d’infor-mation qui sont actuellement les plus consultés sur internet, à com-mencer par Wikipédia, rassemblent par exemple les informations sur les œuvres littéraires ou artistiques, au niveau du « concept » : la page web correspond donc à l’œuvre, au sens intellectuel, autour de laquelle sont regroupées ses différentes versions. Cette organisation de l’information est simple et intuitive, faite pour le grand public ; elle correspond à ce que les professionnels des bibliothèques nom-ment le modèle « FRBR 2 ».

En bibliothèque, il est particuliè-rement intéressant de faire ce type de regroupement lorsque l’on conserve à la fois des manuscrits, des éditions imprimées et des versions numérisées d’une même œuvre, qui peuvent être décrits dans des bases et des formats différents : leur regroupement évite à l’utilisateur d’avoir à connaître et inter-roger plusieurs catalogues.

La numérisation, avec la diffusion de documents consultables partout et à tout moment, amène une nouvelle vision du signalement. Le patrimoine numérisé actuellement disponible sur internet a atteint un volume tel que la difficulté principale devient l’accès aux fonds numérisés. Pour permettre aux lecteurs de trouver ce qu’ils re-cherchent, et même pour éviter de

2. Groupe de travail Ifla sur les Fonctionnalités requises des notices bibliographiques. En ligne : www.ifla.org/publications/functional-requirements-for-bibliographic-records

numériser en double, la qualité de la description bibliographique des docu-ments devient un enjeu primordial. Il s’agit de faciliter l’accès à un public plus large, qui utilise les ressources des bibliothèques de manière impré-visible. Par exemple, l’enluminure mé-diévale peut intéresser non seulement les lecteurs de manuscrits, mais aussi un public de curieux, dans un contexte de loisir.

À la BnF, le projet data.bnf.fr regroupe et expose des données is-sues de différents catalogues (livres, archives, manuscrits) et de la biblio-thèque numérique Gallica. Ces don-nées permettent de créer des pages sur les auteurs, les œuvres et les thèmes, qui rassemblent les liens vers toutes les ressources disponibles à la BnF. Tout en inventant une manière de mettre en application les principes « FRBR » de façon innovante, ce projet rejoint donc des principes fondamen-taux du métier : fournir des contenus, des liens vers des documents, et offrir un service simple à trouver et à utiliser.

Les outils et formats, créés spé-cialement pour les bibliothèques, ont désormais à s’intégrer dans le monde plus vaste de l’internet, régi par les standards mondiaux du W3C 3. La bibliothèque doit désormais être non seulement sur le web, mais aussi dans le web. Autrement dit, si les catalo-gues et bibliothèques numériques sont déjà en ligne, il s’agit aujourd’hui d’intégrer leurs données dans l’écosys-tème du web. Data.bnf.fr rend exploi-tables par des machines les données de la bibliothèque, jusque-là cloison-nées et spécifiques. Cela a une double conséquence : d’une part, l’internaute n’est plus obligé de connaître, a priori, les différentes bases de recherche de la BnF, mais retrouve directement la ressource pertinente sur le web, en passant par les moteurs de recherche. D’autre part, les données, exposées sur le web sémantique, peuvent être récupérées, liées, et réutilisées de manière inédite. Car l’ouverture tech-nique a été confortée par une ouver-ture juridique. Pariant sur l’« Open

3. Le World Wide Web Consortium, ou W3C est un organisme de normalisation du web. www.w3.org

Data 4 », la BnF a placé les données de data.bnf.fr sous Licence ouverte de l’État 5, ce qui les rend utilisables libre-ment, à condition de mentionner la source BnF.

Ainsi exposées sur le web, les bibliothèques sont au cœur d’un envi-ronnement concurrentiel, en particu-lier en ce qui concerne les documents numériques. La BnF souhaite donc valoriser son offre, pour une part unique ou rare sur le web : une pho-tographie d’Eugène Atget, une édition du xvie siècle d’un ouvrage de Chris-tine de Pisan. Data.bnf.fr permet aussi de reconstituer le lien entre les docu-ments numériques et les descriptions bibliographiques et de fournir les informations sur les ressources non numérisées de la BnF. La consultation d’un document est enrichie et contex-tualisée. Si, par exemple, l’internaute, depuis la page sur la Divine comédie de Dante Alighieri 6, consulte une édition du xve siècle, il peut trouver des infor-mations sur l’auteur, complétées par des informations de ressources exté-rieures comme Wikipédia, mais aussi sur l’auteur du commentaire Marcile Ficin, puis trouver la version numé-risée du manuscrit du xive siècle, consulter facilement différents vo-lumes d’une édition du xixe siècle en plusieurs volumes, ou encore rebondir vers la page sur la date « 1472 7 ». La notion de lien hypertexte vient donc servir le signalement des documents d’une façon inédite, en plaçant les in-formations pertinentes sur le parcours de l’utilisateur.

Data.bnf.fr « permet la consultation à distance en utilisant les technologies les plus modernes de transmission des don-nées 8 », en d’autres termes, répond à la fois aux missions traditionnelles de la BnF et aux nouveaux usages du public.

4. L’Open Data désigne le mouvement d’ouverture sur le web des données publiques ne relevant ni de la vie privée ni de la sécurité et collectées par les organismes publics.5. http://data.bnf.fr/docs/Licence-Ouverte-Open-Licence.pdf6. http://data.bnf.fr/ark:/12148/cb11952658b7. http://data.bnf.fr/what-happened/date-14728. Décret no 94-3 du 3 janvier 1994 portant création de la Bibliothèque nationale de France. En ligne : www.legifrance.gouv.fr

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Des outils automatiques pour le signalement en bibliothèque :

« Passage en production »

Le projet est complémentaire des autres formes de médiation numé-rique de la BnF, comme l’éditorialisa-tion autour des documents de Gallica ou l’ouverture sur les réseaux sociaux. Certains aspects du site sont tradition-nels à dessein (interface épurée, listes simples, pas de présence autonome sur les réseaux sociaux), car l’objet principal demeure les apports d’outils automatiques de traitement des don-nées.

« On voit des ordinateurs partout, sauf dans les statistiques de produc-tivité », disait Solow 9 à propos du monde marchand. Dans les biblio-thèques, l’informatique permet tradi-tionnellement la gestion et le signale-ment des documents. Mais son apport est potentiellement plus important, comme le montre l’essor des « Digital Humanities 10 ».

Le logiciel de data.bnf.fr (Cubic-Web), permet d’extraire des données

9. Robert Solow, « We’d Better Watch Out », New York Review of Books, 12 juillet 1987.10. Les humanités numériques sont une discipline transverse, qui étudie l’apport des outils informatiques à la recherche en sciences humaines et en littérature.

des différentes bases de données (BnF catalogue général, BnF archives et ma-nuscrits, Gallica), de les fédérer autour de concepts (les œuvres, les auteurs et les sujets), grâce à des algorithmes d’alignement et de regroupement, et d’en donner plusieurs vues : des don-nées brutes utilisables et lisibles par des machines et des vues classiques dans des pages HTML.

Cependant, l’emploi de techniques automatiques ne doit jamais faire perdre de vue les réalités du métier et les besoins du public. La program-mation des robots est donc au service de la bibliothèque, dont les utilisa-teurs sont représentés par le chef de projet, qui au quotidien est l’interface avec les services informatiques. Pour rester au plus proche des besoins des utilisateurs et des objectifs des biblio-thèques, un projet web doit garder une certaine souplesse dans son évo-lution. Aussi data.bnf.fr est-il construit selon la méthode de gestion de projet informatique dite « méthode agile 11 », qui permet de travailler en concer-tation avec les développeurs, et qui structure, selon un rythme de trois

11. http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Agile-Software-Development-Poster-En.pdf

semaines, les évolutions de l’appli-cation (on parle d’« itérations »). Les fonctionnalités demandées sont prio-risées, puis complétées ou transfor-mées, pour rester au plus proche de la demande du chef de projet et des besoins de la bibliothèque. Travailler sur data.bnf.fr implique donc un suivi « métier » de toutes les opérations de développement, d’intégration, de vali-dation, jusqu’aux mises en production du site.

D’autre part, l’automatisation implique une politique de long terme de l’établissement sur la structura-tion des données et la construction de notices d’autorité. Grâce aux liens effectués par les catalogueurs entre les notices d’autorité et les notices bi-bliographiques, il est possible, sur la page data.bnf.fr d’Érasme 12, de trouver automatiquement toutes les notices descriptives liées à la notice d’auto-rité personne d’Érasme, avec la men-tion de la fonction de cet auteur sur chaque document (auteur, préfacier, illustrateur…). D’autre part, la gestion d’identifiants pérennes et fiables par la bibliothèque est capitale. En dotant les documents de Gallica et les notices du Catalogue général d’identifiants pérennes (les identifiants ARK 13), la BnF a favorisé une réutilisation confiante de ses ressources.

Le passage des fichiers papier au catalogue sur le web, au-delà de la simple conversion des notices exis-tantes, transforme donc en profon-deur notre conception du catalogage. Les liens hypertextes permettent de pointer vers des informations sans les répliquer. L’utilisation d’identifiants pérennes dans les métadonnées per-met d’organiser l’information et de l’enrichir.

Ces évolutions, que data.bnf.fr rend bien visibles, ont des conséquences sur le métier de catalogueur : d’abord, elles valorisent ce travail de fond et en démontrent la légitimité et la force, ce qui n’est pas sans importance dans un contexte de resserrement budgétaire ; elles suscitent aussi des question-nements sur la qualité des données, issues de l’histoire longue et complexe

12. http://data.bnf.fr/11886243/erasme13. www.bnf.fr/fr/professionnels/s_informer_autres_numeros/a.ark_autres_numeros.html

Page data.bnf.fr de l’auteur Érasme

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est caractéristique de la « longue traîne 14 » sur le web. Cependant, l’ob-servation de ces publics reste difficile et le lecteur virtuel, méconnu.

Au-delà de la seule consultation, nous avons connaissance de plusieurs projets réutilisant les données de data.bnf.fr : par exemple, If Verso 15, plate forme du livre traduit de l’Ins-titut français, exploite des données FRBRisées pour le regroupement des traductions autour d’une même œuvre ; Isidore 16 (portail d’accès aux données numériques des sciences humaines et sociales) et le projet de logiciel pédagogique AbulEdu 17 réuti-lisent les données Rameau en SKOS, un des vocabulaires principaux du web sémantique ; l’application mobile CatBNF 18 pour consulter les données de data.bnf.fr a été développée par un particulier. Nous devons non seule-ment encourager ces types de réutili-sation, mais aussi mieux les évaluer,

14. Chris Anderson, La longue traîne, Pearson, 2009.15. http://ifverso.com16. www.rechercheisidore.fr17. www.abuledu.org18. http://itunes.apple.com/fr/app/catbnf/id501048946?mt=8

du catalogue de la BnF, et sur le choix des données à exposer sur le web ; elles révèlent encore l’importance de l’intégration de liens, à l’étape de la production, au sein même des notices, en particulier dans les nouveaux for-mats archivistiques comme l’Encoding Archive Description (EAD) ou la Text Encoding Initiative (TEI). Enfin, le développement du « web de données » est un moyen de rationaliser le travail et les outils, en évitant la redondance de l’information. À long terme, il se-rait envisageable, par exemple, qu’une bibliothèque municipale constitue son catalogue en pointant vers des res-sources exposées dans data.bnf.fr, par des liens hypertextes, complétés par des données locales.

Perspectives : « business as usual »

Aujourd’hui, data.bnf.fr continue d’évoluer, dans le cadre d’un nou-veau marché public. Il arrive à une nouvelle étape : après avoir été conçu comme une expérimentation, il a grandi et largement fait ses preuves. Il peut prétendre devenir un objet bibliothéconomique durable, à part entière, dont le développement ap-pelle maintenant la définition d’une politique documentaire. En effet, le site comprend 200 000 pages, soit environ 20 % des ressources du cata-logue général. Il doit s’agrandir pour intégrer progressivement de nouvelles ressources : nouveaux auteurs, nou-velles œuvres, mais aussi nouveaux types de documents et nouvelles bases (bibliographies, catalogues, exposi-tions virtuelles de la BnF…). Data.bnf.fr pourrait être, à terme, un pivot au cœur d’un écosystème de données de la BnF.

Il faut donc donner un sens à cette extension massive du site : en fonc-tion de l’offre de la BnF, en mettant en avant les œuvres numérisées, par exemple ; mais surtout en fonction des besoins des utilisateurs et des réutilisateurs. Les statistiques du site montrent que de nombreuses pages sont consultées, mais que chacune d’elles l’est peu. Cet éparpillement des consultations sur des ressources, appartenant à des niches de savoir,

ce qui est problématique quand le principe de l’Open Data est : « Prenez nos données et faites-en ce que vous vou-lez. » La question de la diffusion des références est ainsi posée d’une nou-velle manière : si on souhaite diffuser les informations auprès du plus grand nombre, comment en observer l’utili-sation ?

Les évolutions fonctionnelles du site posent aussi la question de l’arti-culation à long terme d’un site, conçu comme un pivot entre les bases de la BnF et dont l’objectif est d’inciter à consulter les applications existantes de la BnF. En effet, data.bnf.fr n’a voca-tion à remplacer ni les catalogues ni Gallica, mais bien de permettre une première approche des ressources de la BnF.

En revanche, au-delà de l’applica-tion et des services qu’elle rend, les technologies de data.bnf.fr peuvent être réemployées dans d’autres appli-cations de la BnF. Les études menées dans le cadre du projet donnent des outils pour faciliter la création de no-tices d’autorité œuvre et leur lien aux notices bibliographiques. À l’heure où l’adoption du code Resource Descrip-tion and Access (RDA) est discutée et suscite des réserves, data.bnf.fr est un

Extrait de la page data.bnf.fr de l’œuvre La divine comédie

bbf : 2012 43 t. 57, no 5

Des outils automatiques pour le signalement en bibliothèque :

moyen d’avancer vers la FRBRisation des catalogues.

D’autre part, le logiciel CubicWeb, utilisé pour data.bnf.fr, est un outil intéressant pour publier d’autres bases. Son infrastructure permet en effet de relier des données de nature différente, de publier les pages sous différents formats, conformes aux standards du web et, surtout, de les ouvrir sur le web sémantique. À titre d’exemple, ce logiciel vient d’être choisi dans l’objectif de publier une base sur les anciennes reliures de la Réserve des livres rares, en liant leurs descriptions aux documents numéri-sés, et en respectant les standards du web.

À plus long terme enfin, data.bnf.fr pose la question du devenir d’un pro-jet de « recherche et développement ». Doit-il conserver un aspect expérimen-tal, par définition incertain ? Le web étant par nature versatile, le site est-il amené à évoluer continuellement ? Entre maintenance et évolutions, un juste équilibre sera à trouver.

L’informatique est-elle responsable du progressif recul de la lecture et du livre, dans les pratiques culturelles des Français ? « À un moment où plus de la moitié des Français disposent chez eux d’une connexion à haut débit et où plus d’un tiers d’entre eux utilisent l’Internet

tous les jours à des fins personnelles 19 », data.bnf.fr, en associant les données bibliographiques et numériques et en les exposant sur le web, fait le pari inverse : inciter le public, grâce au web, à consulter les documents numé-riques de la bibliothèque, voire à venir sur le site physique de la BnF. L’utili-sation d’outils automatiques de signa-lement et de médiation peut ainsi transformer profondément l’offre des bibliothèques, son rapport avec le pu-blic, et le métier de bibliothécaire. •

Août 2012

19. Olivier Donnat, Les pratiques culturelles des Français à l’ère numérique. Éléments de synthèse 1997-2008. En ligne : www.pratiquesculturelles.culture.gouv.fr/doc/08synthese.pdf

Page de date 1472 dans data.bnf.fr

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Le 20 juillet 1988, moins d’une semaine après l’annonce par le président de la République de

sa décision de construire une « très grande bibliothèque d’un type entière-ment nouveau », Jack Lang, ministre de la Culture et de la Communication, écrit à Jacques Chaban-Delmas, maire de Bordeaux, pour lui faire part de son soutien au projet de magasin robotisé formé par la ville de Bordeaux pour sa nouvelle bibliothèque municipale (26 000 m2) : « Il en va […] de l’adop-tion ou non de cette solution par d’autres grandes bibliothèques tant en France que dans d’autres pays. C’est là un enjeu motivant pour l’industrie française qui ne saurait me laisser indifférent 1. »

L’année suivante, en 1989, à l’occa-sion de la tenue en France du congrès de l’Ifla, Bordeaux accueille un sémi-naire sur la construction de biblio-thèques : le point d’orgue en est une présentation du « projet de système de stockage et d’acheminement automa-tiques de documents (SATD) » de la bibliothèque de Mériadeck, réalisé par des sociétés françaises – aquitaines de surcroît. Livres Hebdo souligne alors le caractère unique au monde de ce système et « l’œuvre de pionnier » de Bordeaux 2. Cette même année 1989, aux États-Unis, l’université de Northridge (Californie) prend la déci-sion de doter sa bibliothèque Oviatt (22 000 m², 1,4 million de volumes) d’un système automatisé de stockage

1. Archives de la bibliothèque de Bordeaux. Je remercie chaleureusement Nadine Massias, directrice adjointe de la bibliothèque de Bordeaux, pour son concours précieux dans l’écriture de cet article.2. Livres Hebdo, 1989, no 41 (6 octobre) et no 42 (13 octobre).

et de recherche de documents (Auto-mated Storage and Retrieval System, ASRS). Bordeaux apparaît alors sur la scène internationale comme pionnière et particulièrement inspirée.

Dans les années 1990, le système est visité par des professionnels du monde entier. Une veille scrupuleuse est effectuée sur lui, constamment positive : en 1998, un audit extérieur souligne sa fiabilité et préconise de maintenir son activité durant 25 à 30 ans, moyennant quelques aména-gements mineurs 3 ; fin 2001, l’Inspec-tion générale des bibliothèques recom-mande l’accroissement des possibilités de stockage du magasin robotisé, tout en invitant à établir le coût complet de l’installation.

Pourtant, en 2004, alors que d’autres bibliothèques recourent à des systèmes comparables aux États-Unis et en Europe 4, la ville de Bordeaux prend la décision de démanteler son magasin robotisé, en mettant en avant que « les bénéfices attendus ne sont pas au rendez-vous » et que son coût de maintenance est « très élevé 5 ».

Qu’est-ce qui a pu conduire en si peu de temps à un tel revirement ? Pourquoi ce système est-il passé aussi rapidement du statut de prototype exemplaire, abondamment visité, à celui d’équipement si coûteux que s’est imposée « l’opération très com-plexe » de son remplacement par des magasins classiques ?

3. Étude Apave, Archives de la bibliothèque de Bordeaux.4. Voir le tableau infra.5. Marie-Claude Julié, « De Mériadeck 1 à Mériadeck 2 : requalification profonde et mutations subtiles », BBF, 2011, no 1. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2011-01-0066-001

Serge [email protected]

Conservateur général des bibliothèques, archiviste-paléographe, Serge Bouffange a été en poste au ministère de la Culture (Direction du livre et de la lecture), puis au Conseil d’État. Il a été responsable du service de l’Inventaire du patrimoine en Poitou-Charentes et, en parallèle, chargé de la préfiguration de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image à Angoulême. Après avoir dirigé la médiathèque François Mitterrand de Poitiers, il est depuis 2010 directeur de la lecture publique de Bordeaux.

LES MAGASINS ROBOTISÉS DE LA BIBLIOTHÈQUE MUNICIPALE DE BORDEAUX… ET D’AILLEURS

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Les magasins robotisés de la bibliothèque municipale de Bordeaux… et d’ailleurs :

La réponse à ces questions ne sau-rait être unique ni simple. Approcher les raisons de ces deux décisions ex-ceptionnelles (celle de la construction, celle de l’arrêt de ce système) nous conduit à nous replonger dans leur contexte d’émergence, et à mettre en perspective le lien, toujours ambigu, entre les bibliothèques et la techno-logie.

« Voir grand »

L’histoire du magasin robotisé de Bordeaux débute réellement à l’été 1980. C’est alors que Jacques Chaban-Delmas, maire de Bordeaux depuis 1947, prend la décision de doter sa ville d’une bibliothèque moderne, une centaine d’années après son installation dans un ancien couvent du centre-ville, rue Mably. Il entend l’implanter dans le quartier nouveau de Mériadeck, sorte de quartier de la Défense à l’échelle bordelaise, dont il est le promoteur. Pour la concevoir et la réaliser, il donne « carte blanche » à Pierre Botineau, directeur de la biblio-thèque arrivé cette même année et lui demande « de voir grand 6 ». Nous sommes avant la décentralisation, avant la vogue de constructions de grandes bibliothèques municipales qui l’accompagnera. La bibliothèque de la Part-Dieu, à Lyon, conçue à la fin des années 1960, a ouvert sept ans auparavant, et la BPI, voilà trois ans ; mais il n’y a alors pas, en France, de projet d’envergure. Une telle com-mande est exceptionnelle, tout comme la latitude laissée pour sa conception.

La réalisation du programme fonctionnel de cette bibliothèque s’échelonne sur trois ans, jusqu’en décembre 1983. Dans l’intervalle, le concours d’architecture retient, en février 1983, les cabinets ARC (Bor-deaux) et AAA (Pau), avec comme ar-chitecte mandataire Bernard Trinqué.

6. Entretien avec Pierre Botineau, 16 août 2012. Pour une présentation générale illustrée de la bibliothèque de Mériadeck, se reporter à la contribution de Danielle Robert, alors directrice adjointe de la bibliothèque de Bordeaux, dans Gérald Grunberg (dir.), Bibliothèques dans la cité, Paris, Le Moniteur, 1996, passim (et notamment p. 46-50, 188-215, 265).

Pour « voir grand », la direction de la bibliothèque prend le temps de regar-der ce qui se passe d’innovant dans le monde et visite des bibliothèques majeures à l’étranger, en compagnie de l’architecte : Birmingham, Cologne, Rotterdam. Dans cette dernière ville, la découverte du système Randtrie-ver à l’université Erasmus est décisive pour le projet bordelais. Depuis 1969, cette université a en effet implanté un système Remington Rand pour gérer de façon automatisée et, en partie, robotisée le stockage, l’extraction et le convoiement de ses documents en magasins. Face aux défaillances régu-

lières du système d’origine, l’univer-sité l’a toutefois amélioré elle-même, en en changeant les dispositifs de sécurité et de communication et en l’asservissant à un contrôle par ordi-nateur interfacé avec le système infor-matisé de gestion de la bibliothèque. Sa fiabilité est supérieure à 99 % 7.

7. Leen Meijboom, « The Randtriever at Erasmus University, Rotterdam, 1969 – 1990 : Two decades of change in mechanical books storage », Library Hi Tech, 1990, vol. 8, no 3, p. 83-85. Et aussi, sur YouTube : De Randtriever, Leen Meijboom en zijn levenswerk, film (9’42) réalisé par l’université Erasmus en 2012.

Vue du magasin robotisé. © Ville de Bordeaux – Valérie Daviet

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L’installation est alors unique au monde et ses résultats, spectaculaires, particulièrement pour un bibliothé-caire français, habitué – mais non ré-signé – aux délais extrêmement longs et aux quotas de communications réduits des ouvrages issus des laby-rinthiques magasins de bibliothèques d’étude et de conservation.

Faisant preuve de volontarisme dans un climat général ouvert aux technologies, mais encore peu dans les bibliothèques 8, le programme défi-nitif de la bibliothèque de Bordeaux souligne l’intérêt de « rechercher, pour les magasins ordinaires, une solution mettant en œuvre les techniques les plus modernes de l’informatique et de la robo-tique. On pourrait imaginer en particu-lier que les déplacements des documents les plus consultés ne se fassent plus selon les méthodes traditionnelles (principale-ment l’intervention de nombreux maga-siniers dont la tâche est plus ou moins facilitée par des auxiliaires mécaniques), mais selon des procédures radicalement différentes éliminant presque toute inter-vention humaine, à l’instar du système de Rotterdam 9 ».

Sollicité une première fois, le ministère de la Culture (Direction du livre et de la lecture – DLL) fait part de son intérêt pour ce projet : il contribue à l’élaboration des études de flux, de conservation, de temps de réponse et finance à 70 % l’étude de faisabilité, confiée à ARC architecture et à la Secotrap, bureau d’études 10. À sa remise, la DLL donne son accord pour l’adoption du système, en jan-vier 1985, en incitant à explorer da-

8. On lira à cet égard avec saveur l’article annonciateur de Libra signé Jean Gattégno, dans la présente revue : « L’introduction des techniques nouvelles », BBF, 1983, no 6, p. 609-612. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-1983-06-0609-0069. La Bibliothèque municipale centrale de Bordeaux : programme, décembre 1983, p. 25.10. L’essentiel des informations sur l’ensemble du SATD sont tirées de : Pierre Botineau, « Le projet de système de stockage et d’acheminement automatiques de documents de la nouvelle bibliothèque municipale centrale de Bordeaux », Seminar on Library buildings organized by the IFLA section on Library buildings and Equipment. The control of capital and maintenance costs of library buildings and equipment, Bordeaux, juillet 1989, 12 p.

vantage la solution de déplacement unitaire – et non par bacs – des do-cuments. En mars 1988, vingt et un groupements d’entreprises répondent à l’appel d’offres international res-treint lancé par la ville. Sept sont admises à soumissionner, et cinq déposent une offre finale. La solution retenue dans l’été est celle présentée par la société Game ingénierie, avec le groupe Société générale pour les techniques nouvelles, Electrolux (ma-gasin et transtockeurs), Teleflex pour les carrousels et Aquitec pour l’ins-tallation, ainsi que la Secotrap. L’un des avantages de la proposition, outre sa relative simplicité d’ensemble, est de contenir une variante portant sur la manipulation des documents à l’unité, conditionnés.

« En utilisant massivement les res-sources de la mécanique, de la robotique et de l’informatique », les avantages attendus, présentés en 1989, étaient importants et nombreux : « satisfaire mieux les usagers » par la réduction des temps d’attente des documents et une augmentation du quota des docu-ments par session de travail, « libérer le personnel de tâches peu enrichissantes », « améliorer ses conditions de travail ainsi que l’intérêt de sa vie professionnelle », « contribuer à limiter l’effectif du per-sonnel et, partant, le coût de la biblio-thèque pour la collectivité ». Pour autant, le maître d’ouvrage n’élude pas les écueils que présente cette « réalisation d’un système qui sera sans doute unique au monde », « voie onéreuse qui est aussi celle du risque technologique 11 ».

Dans le « robot »

La réalisation du marché se dé-roule entre 1989 et 1990, et le système entre en service en même temps que la bibliothèque, en juin 1991. Il a coûté 20 millions de francs, soit 4,5 millions d’euros en valeur 2011 12.

Sa capacité totale est de 150 000 vo-lumes (sur les 1 200 000 qu’abrite la bibliothèque municipale en ses diffé-rents sites) et, par souci d’efficacité, il est chargé pour l’ouverture aux deux

11. Ibid., p. 12.12. Sauf mention contraire, les valeurs dans cet article sont données en euros 2011.

tiers, soit environ 100 000 volumes, sélectionnés parmi les types de docu-ments les plus demandés dans la bi-bliothèque de la rue Mably, à savoir : les collections, les ouvrages de petit format et ceux de moyen format ; les grands formats (et notamment les livres d’art) en sont exclus par leur ga-barit.

C’est un système imposant : 8,40 m de haut (soit trois niveaux de la bibliothèque), 25 m de long, et plus de 8 m de large (voir photo page pré-cédente). Pour le supporter, « une dalle d’une épaisseur exceptionnelle » a été coulée, résistant à plus de trois tonnes au mètre carré. Sa capacité est pré-sentée comme équivalant à celle d’un magasin compact. Ce volume accueille les différents composants qui font de cette réalisation l’alliance, alors inédite en France, du trans-stockage et de la robotique.

Le magasin robotisé lui-même est composé d’une « armature métallique formant quatre épis » : les deux cen-traux sont adossés ; entre ce bloc cen-tral et les deux périphériques, deux allées de circulation. « Ce bâti métal-lique est un ensemble de cases dans les-quelles prennent place, installés comme des tiroirs, c’est-à-dire dans le sens de la profondeur », 3 000 bacs-magasins, d’un mètre de long, contenant cha-cun une cinquantaine de documents, tous équipés eux aussi de codes-barres, conditionnés individuellement en pochettes interchangeables de 3 cm d’épaisseur pourvues d’une poi-gnée en fil d’acier, et suspendus (voir schéma page ci-contre).

Sont liés à ce magasin deux transtockeurs, dotés chacun d’une na-celle comportant un dispositif d’extrac-tion des bacs-tiroirs, ainsi qu’un robot équipé d’un préhenseur télescopique – pour attraper les pochettes dans les bacs-tiroirs – et une base de réception pour accueillir six pochettes.

En bout d’allée, les bacs unitaires et leur contenu sont transférés sur vingt chariots automoteurs (Télédoc), qui empruntent ensuite un système de distribution automatique verticale (deux paternosters – système d’ascen-seur-descenseur – installés dans des gaines), jusqu’aux niveaux de consul-tation des documents (niveaux 1 et 3), et horizontale, sur des rails fixés au

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Les magasins robotisés de la bibliothèque municipale de Bordeaux… et d’ailleurs :

acceptable pour un prototype : 4 % en moyenne sur les dix premières années de vie du système. Lors d’un audit du système en 1998, l’Apave extrapole les coûts unitaires de communication des documents par le SATD sur 17 ans, échéance de « l’optimum économique », et aboutit à leur diminution constante, « malgré les investissements de renouvel-lement » et sous réserve de modifica-tions mineures, jusqu’à une durée de vie de 30 ans ; de plus, le bureau pré-conise d’étendre « son utilisation aux futurs supports d’information (CD-Rom, K7, DVD) ». En 2004, sa disponibilité oscille encore entre 97 et 100 %.

En outre, à l’instar de leurs col-lègues des universités américaines dotées d’ASRS, les responsables bordelais relèvent les « conditions de manipulation exceptionnelles » dont bénéficient les ouvrages du magasin robotisé : « Rangement en rayon en posi-tion horizontale, tranche vers le bas, en suspension, dans des pochettes plastiques protectrices des maladies du papier ou des bactéries. En outre, les documents sont manipulés avec soin, ne rencontrant la main humaine, pratiquement, que lors de la consultation. Au final, les ouvrages

plafond jusqu’aux banques de consul-tation de chacun de ces étages.

Un système automatique de pro-cess (SIP) calcule et optimise les trajets des transtockeurs et de leurs robots, en sortie et retour des docu-ments. Il est lié au système informa-tique de gestion de la bibliothèque (SIGB), par lequel se fait la recherche du document. En réintégration, les documents consultés sont placés en extrémité de leur bac hôte, de façon à ce que les titres les plus sollicités soient les plus rapidement accessibles lors d’une recherche ultérieure.

Le dispositif est conçu pour ré-pondre à des pics de 240 transactions par heure, sur une base de 660 par jour, avec un temps de mise à disposi-tion compris entre 5 et 10 minutes.

Un système opérationnel…

La fiabilité générale du système est objective ; en pratique, le magasin assure une centaine de transactions par jour, dans les temps de réponse attendus, et avec un taux d’incident

obtenus rapidement sont aussi en bon état 13. »

Une première déception vient en revanche de sa fréquence d’utilisa-tion : jusqu’en 1996 inclus, le maga-sin robotisé représente la majorité des communications de documents prove-nant des magasins. À partir de 1997, sa part relative diminue, pour se sta-biliser un peu au-dessus de 40 % au début des années 2000 14.

13. « La bibliothèque municipale de Bordeaux Mériadeck et son magasin robotisé : communiquer le plus vite possible les documents les plus demandés », dans : Amanda Cruguel, Hohanne Richard, Ophélie Ramonatxo et Caroline Rogier, Les classements de proximité en bibliothèques : comment rapprocher les livres des lecteurs. Quatre études de cas, sous la direction de Michel Melot, mémoire de recherche pour le diplôme de conservateur de bibliothèques, juin 2005, p. 49-60. Et aussi : Céline Le Basque, L’apport du magasin robotisé à la gestion du fonds documentaire de la Bibliothèque municipale de Bordeaux Mériadeck, 1996, mémoire de maîtrise « information et documentation », université Bordeaux 3. 14. Les classements de proximité, op. cit., p. 57.

Schéma synoptique général du magasin robotisé

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… et très coûteux

Mais le magasin robotisé pèche par un autre défaut, bien plus criti-quable au fil des années : son coût. La dépense de maintenance annuelle visée initialement était de 800 000 F (187 000 €). Sur les onze premières années de vie du système, la dépense décaissée n’en a pas été très éloignée : 217 000 € en moyenne, soit 16 % de plus qu’initialement envisagé. Une dé-rive, certes, mais non aberrante pour un objet aussi unique et complexe. Ces chiffres recouvrent toutefois d’im-portantes disparités : jusqu’en 1996, la ville doit débourser annuellement plus de 1 900 000 F (360 000 €), dans un cadre négocié avec le fournisseur. Si-tuation atypique qui voit la démarche « pionnière » de Bordeaux se répercu-ter dans la maintenance : celle-ci a été non-linéaire, élevée et, somme toute, peu maîtrisable, sans point de com-paraison avec d’autres systèmes, sans source d’approvisionnement de pièces autres que le constructeur initial, sans réelle capacité à faire jouer une concurrence (voir figure 1).

De plus, à ces coûts facturés, se sont ajoutées des dépenses non négli-geables en personnel – de la biblio-thèque mais aussi des services infor-matiques – pour assurer l’évolution du système dans la durée. Ainsi était-il nécessaire par exemple de mainte-nir les capacités de dialogue entre le SIP du magasin robotisé et les SIG de la bibliothèque. Lorsque Bordeaux adopta Absys en 1999, les services informatiques de la collectivité déve-loppèrent ainsi une passerelle entre le SIP et le module de communication sur place de ce SIG.

Un deuxième robot embarrassant

L’addition devenait lourde, et elle fut encore accrue par un héritage que la bibliothèque reçut par décision municipale : un deuxième magasin robotisé, dévolu à l’association Vidéo-thèque Bordeaux Aquitaine (VBA). Cette association, fortement soutenue par Jacques Chaban-Delmas, était chargée de la création, de la gestion et de la diffusion d’un fonds de docu-

ments vidéographiques d’intérêt local et régional 15. Dès sa création, en 1988, il fut décidé qu’elle s’installerait dans le nouveau et vaste bâtiment de la bi-bliothèque Mériadeck. Il y avait là un intérêt public manifeste, l’usager de-vant trouver, grâce à la VBA, une offre originale, complémentaire de celle de la bibliothèque et de ses propres collections audiovisuelles. Outre une demi-douzaine de cabines de consul-tation, au niveau 1 du bâtiment, l’association disposa d’un magasin audiovisuel et d’une régie robotisée, à l’instar de ce qui existait à l’Institut du monde arabe et à la Vidéothèque des Halles 16. La régie robotisée se révéla être un investissement onéreux, parti-culièrement au regard de son activité. Desservant un stock de 2 000 cas-settes environ, il ne dépassa en effet

15. Ivan Lacaze, « La Vidéothèque Bordeaux Aquitaine », Bulletin d’informations de l’ABF, 1992, 155, p. 12-15.16. Images en bibliothèque. Journée « profession : bibliothécaire », 4 mai 1995, sous la direction de Marie Dinclaux et Jean-Pierre Vosgin, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 1996.

la cinquantaine de transactions quo-tidiennes que les trois premières années de son fonctionnement. Et s’il n’était pas d’une aussi grande complexité que son homologue du magasin de livres, le robot vidéo fut très coûteux en maintenance. Au fil des modifications contractuelles, à la recherche du meilleur équilibre, la maintenance des deux robots finit, à compter de 1996, par être réunie en une même prestation, confiée à une unique société. L’entretien du robot vidéo se stabilisa alors aux trois cin-quièmes du coût total du contrat.

La fragilité intrinsèque de la structure porteuse de la Vidéothèque ne facilita pas le développement de sa collection, pas plus que son ins-cription dans la durée. L’association Vidéothèque Bordeaux Aquitaine fut dissoute en juillet 2000 et sa collec-tion, dévolue à la bibliothèque, sans que son enrichissement soit pour au-tant assuré. Dès cette année, les tran-sactions s’effondrèrent, pour ne plus représenter qu’une dizaine sur l’année 2002 (voir figure 2).

Ainsi, en 2003, après le départ en retraite du fondateur de la biblio-

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Nombre de communications annuelles Coût annuel de la maintenance (en euros 2011)

Magasin robotisé

Magasin traditionnel

Maintenance annuelle

Figure 1 Bibliothèque de Bordeaux : activité et coût du magasin robotisé de livres (1991 – 2004)

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Les magasins robotisés de la bibliothèque municipale de Bordeaux… et d’ailleurs :

thèque de Mériadeck, le contexte n’ap-paraissait pas favorable aux systèmes robotisés : plus que leur coût total, investissement compris, c’est leur charge d’entretien qui les stigmatisait, à un moment où l’équipe municipale élue en 1995, celle d’Alain Juppé, enta-mait un deuxième mandat et recher-chait les capacités budgétaires lui permettant de réaliser ses priorités. Parmi elles, figurait le développement des bibliothèques dans leur dimen-sion de lecture publique ; mais pas le maintien coûteux de robots censés être porteurs d’un rayonnement ja-mais réellement atteint.

La nouvelle direction de la biblio-thèque perçut dans l’arrêt des robots une capacité de réorienter les crédits vers des dépenses plus productives, notamment documentaires.

Si l’arrêt du magasin robotisé vidéo s’imposait au regard de son activité, de-venue quasi-nulle, et du faible impact de la mesure sur le fonctionnement de la bibliothèque, la question était plus complexe pour le SATD. Début 2004, une mission d’élèves ingénieurs du Centre des études supérieures indus-trielles (Cesi) de Bordeaux fut conduite, à la demande de la direction de la bi-bliothèque, sur le devenir du système. La proposition des élèves ingénieurs consista à démanteler le magasin ro-botisé et sa distribution horizontale, à modifier les zones d’échange et à ins-taller des magasins compacts. Le coût alors estimé était bas (213 000 €), équi-valant à une année de contrat de main-tenance des robots, pour un temps d’acheminement des volumes compa-rable (environ 10 minutes). Cette hypo-thèse, validée par les services de la ville, fut alors insérée, la même année, dans les documents établis par le cabinet ABCD en vue de la requalification de la bibliothèque, requalification rendue nécessaire, avant tout, par l’évolution des normes de sécurité.

Démanteler, et après ?

ABCD préconisait de restituer des planchers dans le volume dégagé par le robot, d’implanter ainsi trois ni-veaux de magasins de 170 m² chacun environ – dont un équipé de rayon-nages compacts – et de transformer

les gaines des paternosters en monte-livres classiques.

L’arrêt de fonctionnement du SATD soulevait toutefois de nom-breuses questions épineuses : comment extraire ces quelque 120 000 livres sans interrompre trop longtemps leur communication, ou du moins celle des plus demandés ? Comment reconstituer une collection unique, en regroupant les blocs issus du magasin robotisé et ceux des maga-sins classiques ou compacts, dans des espaces de stockage désormais entiè-rement « humanisés » ? Comment re-classer – et à quel prix – dans un ordre compréhensible par les humains tous ces livres que le robot avait pendant 15 ans excellemment rangés en fonc-tion, non de leur cote, mais de leur plus ou moins fort taux de rotation, afin de réduire de quelques secondes leur délai de communication ? Com-ment établir de nouvelles modalités dans l’envoi des demandes de com-munication des documents en consul-tation, qui reposait jusqu’alors sur l’interface logicielle développée entre le SATD et le SIGB ?

Avant que les travaux ne débutent, le coût du démantèlement commença dès 2004 à se laisser appréhender avec plus de netteté. Le recours à des surfaces de stockage temporaire exté-rieures s’imposa comme inévitable : la remise en état des collections néces-sitait 3 km nets de rayonnages, que la bibliothèque, alors en saturation, ne pouvait offrir. Le montant des tra-vaux de gros œuvre dans le magasin robotisé fut estimé par l’architecte à 400 000 € HT. Le temps à consa-crer aux opérations de reclassement, recotation, etc., s’avérait très difficile à évaluer, tout en étant à calculer en années-hommes.

Après extraction des collections, le SATD fut définitivement arrêté en janvier 2008. Le volume du maga-sin robotisé et les espaces attenants purent être remodelés, et offrir ainsi un rayonnage installé supérieur à celui antérieurement disponible. Les travaux furent réceptionnés en octobre 2010, à l’issue de la première phase de requalification de la biblio-thèque. Depuis juillet 2012, au terme d’un intense effort de plusieurs an-

Magasin robotisé vidéo

Maintenance annuelle

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Coût annuel de maintenance (en euros 2011)

Figure 2 Bibliothèque de Bordeaux : activité et coût du magasin robotisé vidéo (1991 – 2003)

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nées, la totalité des collections d’étude en magasin est enfin réunie dans un ordre permettant sa communication, et les contrats de location de surfaces prises à l’extérieur ont pu être rési-liés, six ans après leur établissement. Il demeure difficile d’estimer dans sa totalité le coût de l’abandon du maga-sin robotisé et des solutions de rem-placement qui ont été trouvées, tribu-taire de multiples lots techniques plus vastes. Le chiffre d’un million d’euros peut toutefois être avancé avec des élé-ments suffisants.

L’histoire du magasin robotisé des livres de la bibliothèque de Bor-deaux est en somme étonnamment brève. On trouvera, en premier lieu, des explications locales à cette briè-veté. La discontinuité dans les priori-tés entre deux équipes municipales a pu fragiliser la réalisation : la forme de gaullisme économique (la com-mande publique doit être un moteur de l’industrie) à l’œuvre dans la déci-sion de Jacques Chaban-Delmas excé-dait peut-être les capacités d’une ville, fût-ce Bordeaux. Interrogation que l’on pourrait avoir pour d’autres aspects du bâtiment de Mériadeck, voulu en son temps comme une vitrine de l’innova-tion technique, mais dont la plénitude n’a jamais été atteinte, qu’il s’agisse de la « double peau » vitrée destinée no-tamment à réguler la température inté-rieure, du raccordement à la géother-mie, ou de la climatisation intégrale.

Sur un plan bibliothéconomique, deux faiblesses peuvent être relevées. L’une tient au vieillissement du fonds contenu dans le magasin robotisé. Même si des acquisitions courantes y ont été placées, la collection a été constituée pour l’essentiel à la fin des années 1980. En 2004, le magasin ro-botisé gère 118 400 documents, en ma-jorité vieillissants et, en conséquence, moins demandés. L’accroissement a été maîtrisé (+ 20 % en 15 ans) mais l’adaptation aux demandes effectives et le renouvellement corollaire des collections dans le robot n’ont pu être assurés. La charge de travail a fait obs-tacle à ce que l’équipe des bibliothé-caires – demeurée toujours modeste – assure la gestion dynamique de cet ensemble qui, en en garantissant la fraîcheur documentaire, aurait renou-velé constamment son intérêt, main-

tenu son attrait et limité la concentra-tion des critiques à son endroit.

L’autre faiblesse vient d’un signale-ment trop limité des collections dans le catalogue informatisé : l’aventure du magasin robotisé devait s’accom-pagner de la conversion rétrospective du catalogue de la bibliothèque de Bordeaux, comme s’y était engagée la DLL, au titre des premiers pôles associés de la Bibliothèque de France. Dans cette attente, seul un catalogage informatisé minimal avait été effectué par les équipes, à la volée. Or, peu de temps après sa création, en 1994, la toute jeune Bibliothèque nationale de France fit savoir à la ville qu’elle ne pourrait financer l’opération de conversion rétrospective. Identifiables uniquement par leur auteur, leur titre et leur numéro d’ISBN, la centaine de milliers de volumes du chargement initial du magasin robotisé avaient peu de chance de ressortir des inter-rogations du catalogue informatisé. Et le personnel était réduit à inviter les lecteurs à rechercher dans le cata-logue… papier pour retrouver des livres acheminés ensuite par un sys-tème des plus sophistiqués ! Ce n’est qu’en 2003 que la rétroconversion fut remise en chantier, peu de temps avant l’arrêt du robot, qui ne put ainsi bénéficier de ses effets.

Au-delà de son histoire propre, le SATD de Bordeaux nous invite à nous

poser une série de questions de por-tée plus large, touchant aux raisons de son échec. Non pas fonctionnel, puisqu’on a vu qu’il fonctionnait bien. Mais économique, sur d’autres sites : comme Jack Lang l’avait souligné, c’était là l’enjeu majeur. Si les visites de la bibliothèque de Bordeaux ont été nombreuses, nous sommes dépourvus de retours appréciatifs sur ces visites. Sauf à considérer comme suffisam-ment explicite, justement, qu’aucune bibliothèque n’ait retenu le système.

Et pendant ce temps, dans le reste du monde…

L’examen des ASRS déployés dans les bibliothèques dans le même temps apporte des éléments d’explica-tion plus fine. Sur le continent nord-américain, la première expérience d’ASRS fut conduite à partir de 1972, à la bibliothèque John A. Prior des sciences de la santé de l’université de l’Ohio, à Columbus 17. Comme à Rot-terdam trois ans plus tôt, c’était un système Randtriever. Comme à Rot-terdam, il était peu efficient. L’univer-sité le maintint jusqu’en 1992, pour un coût total de deux millions de dol-lars. Tirant les enseignements de cet exemple malheureux, la société HK Systems mit au point à la fin des an-nées 1980 un dispositif plus simple. C’est lui qui devint opérationnel à la bibliothèque de Northridge en 1991. Son schéma général de fonctionne-ment est le même que ceux obser-vés à Rotterdam ou Bordeaux : une armature métallique compacte d’al-véoles accueillant des bacs remplis de livres, des transtockeurs dans les allées chargés d’extraire les bacs de leurs alvéoles, un interfaçage entre le SIGB et un SIP. Toutefois, la finesse recherchée est moindre. Pas de bras robotisé extrayant des pochettes : c’est un opérateur humain qui sort du bac l’un des 50 à 100 volumes qu’il contient, et dont les tranches comportent les derniers chiffres du code-barres, facilitant ainsi un repé-

17. Barbara Van Brimmer et Elizabeth Sawyers, « The Randtriever: Its use at the Ohio State University », Library Hi Tech, 1990, vol. 8, no 8.

Extraction des rails du robot. © Ville de Bordeaux – Valérie Daviet

bbf : 2012 51 t. 57, no 5

Les magasins robotisés de la bibliothèque municipale de Bordeaux… et d’ailleurs :

rage visuel. Pas de raccordement com-plexe et fragile dans les circulations entre le transtockeur et un système de convoiement des volumes jusque dans les salles : là aussi, c’est un opé-rateur humain qui intervient. Les résultats sont bien supérieurs, tant en termes de fiabilité, de coût, que de compacité ; le magasin robotisé est, à Northridge, douze fois plus dense qu’un stockage en libre accès, pour un coût qui n’est que le quart de celui de la construction de surfaces en libre accès : 2 100 000 $ d’investissement et… 25 000 $ annuels de maintenance pour la gestion d’une collection de 800 000 volumes 18 ! À la bibliothèque Bruce T. Halle de l’Eastern Michi-gan University, en 1998, les chiffres donnent le même vertige : 1 400 000 $ d’investissement pour une capacité de 800 000 volumes 19.

Les quatre cinquièmes des 25 ASRS installés aujourd’hui dans le monde relèvent de cette techno-logie (voir tableau page suivante), principalement aux États-Unis mais aussi au Canada (université de Van-couver, 2007) et en Australie (univer-sité Macquarie, 2011). Nous sommes maintenant loin du stade du proto-typage : le recours à ces solutions en bibliothèque bénéficie des progrès effectués par de nouvelles générations d’ASRS dans l’industrie, et particuliè-rement l’industrie automobile, dans le contrôle par l’ordinateur et la fiabilité des composants mécaniques.

Le développement des ASRS en bi-bliothèque est ainsi le reflet de la force d’entreprises ayant su au préalable allier robotique et informatique dans d’autres secteurs. La prééminence acquise par la solution développée par HK Systems n’a pas empêché d’autres entreprises de tenter de faire vitrine d’une réalisation expérimentale en

18. Sarah Elizabeth Kirsch, « Automated storage and retrieval – the next generation : how Northridge’s success is spurring a revolution in library storage and circulation », 1999, en ligne sur le site de l’Association of College and Research Libraries. Et : David Rapp, « Robot visions », Library Journal, 15 septembre 2011.19. Linda Shirato, Sarah Cogan et Sandra Yee, « The Impact of an automated storage and retrieval system on public services », Reference Services Review, 2001, vol. 29, no 3.

bibliothèque : Swisslog implante un système robotisé sur le site de la Bi-bliothèque nationale de Norvège à Mo i Rana en 2002 ; Daifuku, dans son « BARN » (acronyme pour Borrower’s Automated Retrieval Network, mais aussi « grange », en anglais) à la biblio-thèque universitaire de Logan (Utah, 2005), développe un système plus simple encore, dans lequel c’est une mini-travée complète qui se déplace.

Il s’agit dans tous les cas de groupes considérables spécialisés dans la logistique indutrielle : Dai-fuku, d’origine japonaise, emploie 5 700 personnes et son chiffre d’af-faires (CA) 2012 dépasse 1,34 milliard d’euros ; Swisslog compte 2 000 sala-riés et son CA atteint les 500 millions d’euros ; il a racheté en 1994 Télédoc, société dont les convoyeurs de livres équipent de nombreuses bibliothèques (BnF, Poitiers, Rennes, Châlons-en-Champagne…). Quant à HK Systems, l’entreprise, originaire du Michigan, a été rachetée par le groupe allemand Dématic en 2010 (4 000 employés, 1 milliard d’euros de CA). Y a-t-il dans cette dimension économique une clé à l’échec bordelais, qui aurait été celui d’un « petit poucet français » ? Pas vraiment. Game, spécialiste de l’ingé-nierie de maintenance, a rejoint le groupe Clemessy en 2000, année qui suivit la vente par la famille Clemessy de ses parts au consortium EDF-Cogema- Siemens ; en 2001, Dalkia prit le contrôle du groupe avant qu’en 2008 l’actionnaire majoritaire ne de-vienne Eiffage. Le groupe Clemessy a réalisé en 2011 un CA de 620 millions d’euros et emploie 4 900 salariés dans le monde.

Poursuivons notre recherche des causes de l’échec bordelais dans l’exa-men des systèmes en fonctionnement. On constate que tous les sites équipés sont des bibliothèques académiques ou de recherche, pour l’essentiel dans le monde anglo-saxon, où l’accès di-rect aux collections a longtemps été le modèle dominant. Il s’agit d’établisse-ments aux collections substantielles, avec de ce fait un faible taux de rota-tion de nombreux volumes : sans pou-voir remplacer les atouts du feuilletage et du butinage que confère le libre accès (le « serendipitous browsing »), un ASRS est toutefois de nature à garan-

tir leur disponibilité immédiate – à l’inverse d’un silo lointain, coûteux et aux performances limitées – tout en dégageant de grandes surfaces pour les usagers (places de lecture, de formation et de travail). Si la den-sité observée à Northridge est particu-lièrement forte, dans aucun site elle n’est inférieure à sept fois celle de magasins ouverts. Avantages précieux à l’heure des learning centers ! La renta-bilité d’un tel investissement apparaît atteinte dès lors qu’il gère au moins 400 000 volumes 20.

À Bordeaux, l’on était assez loin de ces données : en raison de l’emprise relativement importante des instal-lations de contrôle et de raccorde-ment des voies et lignes de transport, le SATD offrait un coefficient faible de densité, équivalent à celui d’un magasin à rayonnages compacts. Le niveau de complexité qu’il lui était demandé d’assurer était par ailleurs certainement trop élevé, notamment au regard de l’état de la technologie à cette époque, laquelle se situait entre les deux générations Rand (dont on a vu qu’elles ne fonctionnaient pas vraiment) et HK Systems, mais aussi avant une stabilisation des standards de systèmes de gestion de biblio-thèque : l’accumulation de tâches fines, l’articulation requise entre de multiples manipulations tridimen-sionnelles, la gestion, de ce fait, de plusieurs systèmes, était un vrai défi.

La Bibliothèque nationale de France, assurément, ne s’est pas orien-tée vers ce dispositif, ou vers un sem-blable. Parmi de multiples raisons, l’auteur de ces lignes se souvient ainsi d’une réunion d’arbitrage budgétaire, voici près de vingt ans, où le ministère des Finances pesa pour que la future bibliothèque se dote avant tout d’un système de circulation des documents, de préférence strictement comparable à celui qui assurait le déplacement du courrier à l’intérieur de Bercy, à 200 mètres de là. Ce qui fut fait.

L’adoption d’un tel système était par ailleurs peu envisageable dans les bibliothèques universitaires, orientées

20. Richard W. Boss, « Automated Storage /Retrieval and Return / Sorting Systems », mai 2008, en ligne sur le site de l’American Library Association.

52 bbf : 2012 t. 57, no 5

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1998

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2000

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2000

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2001

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2004

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2005

1,5 million

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2006

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2007

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2007

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Italie

2007

120 000

Bibliothèque Henderson de l’université de Georgie du Sud 

14États-Unis, Georgie du Sud

2008

800 000

Bibliothèque de l’université de Santa Clara 15

États-Unis, Californie

ARS

2008

800 000

Université de Californie à Long Beach 16

États-Unis, Californie

ORCA (Online Rem

ote Collections 

Access)

2008

Knowledge Center de l’université de Reno 

17États-Unis, Nevada

Merril M

athewson Autom

ated 

Retrieval System (MARS)

2008

Bibliothèque J. W

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tah, à Salt Lake City 18

États-Unis, Utah

Autom

ated Retrieval Center (ARC)

2009

2 millions

Bibliothèque M

iller Nichols de l’université du Missouri, Kansas City 19

États-Unis, M

issouri

Roobot

2010

400 000

Bibliothèque Joe and Rika Mansueto de l’université de Chicago 20

États-Unis, Illinois

2011

3,5 millions

Bibliothèque de l’université M

acquarie, à Sydney 2

1Australie

Autom

ated Retrieved Collection

2011

1,5 million, sur une collection de 1,8 million

J. Paul Leonard Library de l’université de San Francisco 

22États-Unis, Californie

Library research system (LRS)

2012

1,5 million

Bibliothèque James B. H

unt Jr. à l’université de Caroline du Nord 

23États-Unis, Caroline du Nord

bookBot

Fin 2012

2 millions

Bibliothèque M

ary Idem

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États-Unis, M

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bbf : 2012 53 t. 57, no 5

Les magasins robotisés de la bibliothèque municipale de Bordeaux… et d’ailleurs :

vers d’autres modèles de développe-ment dans les années 1990. Restaient les grandes bibliothèques de lecture publique nées après Mériadeck et fortement soutenues par l’État, les BMVR. Pourtant, aucune ne s’est aventurée dans cette voie. Cinq ont fait le choix d’un système de transport automatique de documents (Orléans, Poitiers, Châlons-en-Champagne, Tou-louse et Rennes), suscitant au demeu-rant la prudence de la DLL 21. Sans

21. Marc Germain et Marion Lorius écrivent dans cette revue, dans leur bilan « Architectures des bibliothèques municipales à vocation régionale : programmes, projets » : « Il est à noter que cette solution technique soulève encore bien des questions en termes d’efficacité, de maintenance et d’éventuelles nuisances sonores » (BBF, 2000, no 3, p. 43, en ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2000-03-0039-003).

doute l’ampleur limitée des collections des bibliothèques en France réduisait-elle l’intérêt de solutions robotisées. Peu de bibliothèques de lecture pu-blique disposent en effet de collections d’étude en nombre, qualité et usages suffisants pour justifier semblables choix. Avec 300 000 volumes d’étude, la bibliothèque de Bordeaux n’appelle-rait pas aujourd’hui un investissement dans un magasin robotisé, dont on a vu que l’intérêt se fait sentir à partir de 400 000 volumes gérés de façon auto-matisée.

À l’instar des États-Unis, les biblio-thèques de lecture publique française sont engagées dans d’autres choix robotiques, qui portent, eux, sur leur point fort, les collections de prêt : ce sont les dispositifs automatisés gérant les transactions d’emprunt, automates de prêt et robots de retour, dans des

versions sans cesse renouvelées, qui repoussent toujours davantage la présence humaine, avec l’accord des financeurs locaux et les encourage-ments de l’État. Dans leur propension constante à adapter au monde de la culture les techniques de l’industrie et de la grande distribution, les biblio-thèques semblent ainsi avoir trouvé un nouveau miroir fascinant, dans le-quel le reflet de modernité du « robot de Bordeaux » apparaît aujourd’hui bien sage… •

Août 2012

54 bbf : 2012 t. 57, no 5

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ues Déficients visuels et RFID

La médiathèque José Cabanis de Toulouse a mis en place de nom-breux services en direction des

publics handicapés. Dans une logique d’accessibilité universelle (Univer-sal Design)1, elle s’attache à travers son département « L’œil et la lettre » à rendre au maximum ses services accessibles au plus grand nombre. Outre l’offre de collections adaptées (documents en braille, LSF – langue des signes française, Daisy, large vision…), elle a aussi développé une programmation culturelle accessible qui encourage la mixité des publics : contes bilingues LSF/français, exposi-tions tactiles, visites adaptées d’exposi-tions, formation à la lecture de l’image tactile, sensibilisation au handicap… Cette programmation fait l’objet d’une communication adaptée grâce à un site web et une newsletter accessibles et l’utilisation systématique des picto-grammes spécifiques.

RFID et déficients visuels

Dans le cadre de notre objectif d’adapter les services et les collec-tions aux besoins des utilisateurs afin de favoriser l’autonomie de tous les publics, l’opportunité que nous offre aujourd’hui la RFID d’étendre l’acces-sibilité des collections à l’ensemble de nos fonds, et pas seulement aux col-lections adaptées, nous a intéressés.

La RFID a, en effet, désormais été intégrée à de nombreux dispositifs d’aide à la vie quotidienne des défi-cients visuels. Ceux-ci peuvent main-tenant taguer leurs produits domes-tiques : aliments, médicaments, CD,

1. Ramatoulaye Fofana-Sevestre et Françoise Sarnowski, « Universal design : les principes de la conception universelle appliqués aux bibliothèques », BBF, 2009, no 5, p 12-18. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2009-05-0012-002

en y apposant des étiquettes RFID pré-alablement identifiées de façon à re-connaître ensuite ces produits via une synthèse vocale. Même si, dans les usages, cette utilisation personnelle de la RFID reste marginale, la lecture par crayon optique étant encore largement majoritaire, différents outils destinés à ce public intègrent désormais cette fonctionnalité. Ainsi, le Milestone 312, petit appareil nomade de type MP3 est un lecteur Daisy 2 utilisé par les déficients visuels pour la lecture de fi-chiers numériques en synthèse vocale qui dispose, entre autres, d’un lecteur d’étiquettes RFID.

Mettant à profit cette évolution, nous avons commandé à une société de mise en œuvre de solutions d’ac-cessibilité une application spécifique pour que cet appareil puisse identi-fier tous les documents de la média-thèque José Cabanis en synthèse vocale via leurs étiquettes RFID. Le développement de cette application a nécessité le concours actif du chef de projet RFID de la médiathèque mais aussi du fabriquant du Milestone et du fournisseur des étiquettes RFID. Le catalogue du fonds documentaire a ensuite été chargé dans la mémoire du Milestone, ce qui permet à celui-ci de mettre en relation l’étiquette RFID du document avec sa notice bibliographique. De cette façon, le Milestone 312, positionné sur un docu-ment de la médiathèque José Cabanis, détecte la puce RFID et énonce en synthèse vocale les informations qui le caractérisent : auteur, titre, éditeur, nombre de pages, résumé pour les livres ; compositeur, titres des chan-sons pour les CD ; acteurs, réalisateurs pour les DVD.

Grâce à cette technologie, les usa-gers déficients visuels, munis de cet outil, peuvent accéder seuls à l’offre do-cumentaire de la médiathèque et choi-

2. Cf. www.daisy.org

Marie-Noëlle [email protected]

Conservateur chargé du développement des publics et du réseau de lecture publique adulte à la bibliothèque de Toulouse, Marie-Noëlle Andissac est responsable de la commission « Handicap » de l’Association des bibliothèques de France. Elle a dirigé le Médiathèmes intitulé « Handicap et bibliothèques » publié par l’ABF en 2009.

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Déficients visuels et RFID :

sir en toute autonomie le ou les docu-ments qu’ils souhaitent emprunter.

L’intérêt de ce développement par rapport à d’autres dispositifs d’acces-sibilité via la RFID existant à l’étran-ger est qu’il ne nécessite pas d’équi-pement manuel supplémentaire des documents. Par exemple, la biblio-thèque de Göteborg qui, comme la plupart des bibliothèques suédoises, offre des services aux publics handica-pés 3, propose un dispositif similaire. Cependant, celui-ci consiste à apposer une deuxième puce RFID sur les do-cuments, ce qui n’est réalisé de ce fait que sur les collections adaptées, soit une toute petite partie des fonds.

Le dispositif que nous avons retenu à Toulouse présente, lui, l’avantage de l’immédiateté, car une fois l’application développée, elle s’applique d’emblée à tous les fonds même si ce système nécessite des mises à jour régulières de la base « embarquée » pour l’actualisation des nouveautés. Il n’occasionne ainsi pas de délai supplémentaire de mise à dis-position de l’offre.

Un dispositif en test

Ce dispositif, testé par nos usagers depuis le mois de juin 2012, ne dis-pense pas de la médiation humaine, toujours essentielle dans l’accompa-gnement des personnes handicapées. Néanmoins, nous avons remarqué qu’il autorise un « butinage » ce qui n’était pas, jusque-là, une pratique courante des déficients visuels. Il est évidemment apprécié par les usa-gers les plus habitués au maniement des aides techniques. Il faut cepen-dant souligner que le monde de la déficience visuelle est de plus en plus technophile, les aveugles et mal-voyants ayant conquis leur autonomie dans la vie quotidienne grâce à l’utili-sation d’outils complexes, particulière-ment pour l’accès à l’écrit. Il n’est en revanche pas forcément adapté aux seniors perdant la vue, peu rompus au maniement des aides techniques et à l’utilisation de la synthèse vocale mais

3. Marie-Noëlle Andissac, « Un monde bien adapté », Bibliothèque(s), 2011, no 55, p. 81-83.

qui pourraient acquérir peut-être dans un avenir proche ces compétences.

Soulignons que ce projet n’aurait pas vu le jour sans l’expertise essen-tielle de Jean-Michel Ramos, bibliothé-caire déficient visuel du département « L’œil et la lettre ». Les technologies liées au numérique ont modifié consi-dérablement et positivement les possi-bilités d’accès à l’écrit des publics em-pêchés de lire mais restent difficiles à utiliser. Les déficients visuels qui intègrent notre profession utilisent l’informatique adaptée et la synthèse vocale de longue date et maîtrisent totalement ces problématiques com-plexes de téléchargement et de for-mats. Ces « biblio-geeks » d’un nou-veau genre apportent beaucoup aux bibliothèques, grâce à leur virtuosité informatique et à leur connaissance des publics spécifiques.

Selon les principes de l’Univer-sal Design, ce dispositif nous per-met d’offrir un accès identique pour tous aux collections. Jusqu’à présent, seuls les documents adaptés (livres en braille, livres audio, Daisy…) étaient équipés d’une signalétique en braille. Désormais, ce dispositif donne accès à l’ensemble des fonds, tous supports confondus. Il permet aux usagers dé-ficients visuels d’utiliser les services de la médiathèque comme n’importe quel autre usager. Ces publics ont-ils besoin d’avoir accès à l’ensemble de la collection, nous demande-t-on sou-vent ? C’est oublier qu’ils fréquentent aussi les bibliothèques en famille. Nous espérons qu’à terme, ce dispo-sitif leur permettra aussi de choisir des documents « en noir » pour leurs proches. C’est tout l’intérêt des biblio-thèques publiques que d’encourager la mixité des publics et de permettre un usage non seulement individuel mais aussi familial et égalitaire pour tous. •

Août 2012

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ou éthique du libre et lecture publique en zone rurale

Les réflexions qui suivent sont nées d’une jeune et modeste expérience, initiée au sein du

Réseau intercommunal et solidaire des médiathèques de Tence, Saint-Jeures et Le Mazet-Saint-Voy (RISOM) en Haute-Loire, plateau rural de moyenne montagne aux confins de l’Auvergne où les abeilles se portent pour le moment plutôt bien...

Le monde rural n’est plus ce qu’il était

Le métier de bibliothécaire des champs nous place devant de nom-breux paradoxes. Certains de ces paradoxes sont largement partagés avec les bibliothécaires des villes : les bouleversements dans l’accès à l’information, la crise des fonctions d’intermédiaire entre la connaissance et les citoyens, la (relative) pénurie de l’argent public dans un contexte d’inflation des attentes et des normes, l’individualisation des comportements et des besoins, la nécessaire automati-sation de certaines tâches au profit de missions à plus forte plus-value cultu-relle, pour n’en citer que quelques-uns. Ces contradictions sont déjà bien documentées et analysées dans la littérature professionnelle, nous n’y reviendrons pas. Mais, à ces tensions inhérentes au métier et au service pu-blic, s’en ajoutent d’autres, propres à l’action publique en territoire rural.

Rappelons au passage que dans ce monde rural, le temps ne s’est pas nécessairement arrêté aux années René Coty et que les autochtones n’y ressemblent pas tous aux touchants

personnages des films de Raymond Depardon 1. Bien au contraire, un regain démographique rural, débuté dès 1975, s’est considérablement accru dans les années 2000. Il traduit un phénomène de repeuplement des campagnes, qui s’accompagne d’une baisse de croissance du cœur des villes. La campagne de 2012 est plus ouverte sur son voisinage, sur le reste de la société et sur le monde. Elle est marquée par des éléments constitu-tifs inédits 2 : brassage sociologique au sein des ménages, diversification des professions, choix réfléchi du lieu d’installation, développement des pra-tiques sociales et culturelles citadines, dont précisément la lecture.

On devine donc l’une des pro-blématiques des espaces ruraux aujourd’hui : dans cette dynamique d’installation de nouvelles populations aux pratiques citadines, comment ré-pondre aux nouvelles aspirations des habitants ? La question, qui se pose d’abord aux élus, se pose très rapide-ment aux bibliothécaires ruraux. En effet, et comme le souligne justement Bertrand Calenge 3, dans les petites communes, la bibliothèque est assez souvent la seule institution culturelle. Cette problématique, nul ne l’ignore, se développe dans un contexte de tension budgétaire et de manque de

1. Raymond Depardon, Profils paysans, trilogie, 2001, 2005, 2008.2. Bertrand Hervieu et Jean Viard, Au bonheur des campagnes (et des provinces), Marseille, L’Aube, 1996.3. Bertrand Calenge, Les petites bibliothèques publiques, Paris, Éditions du Cercle de la librairie, 2006.

Renaud AïoutzMédiathèque départementale du Puy-de-Dô[email protected]

Renaud Aïoutz est bibliothécaire et chef de projet « développement numérique » à la médiathèque départementale du Puy-de-Dôme. Après avoir travaillé au sein des bibliothèques de Fresnes puis de Lyon, il a créé et dirigé de 2005 à janvier 2012 le RISOM à Tence, en Haute-Loire. Il a dans cette période conduit plusieurs projets partenariaux comme l’informatisation du réseau documentaire du Pays Lecture, ou hors-les-murs comme la Petite université libre & populaire de Tence (PULP).

Avec la collaboration de Patrick BartetRéseau intercommunal et solidaire des médiathèques de Tence, Saint-Jeures et Le Mazet-Saint-Voy

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L’abeille et le bibliothécaire ou éthique du libre et lecture publique en zone rurale :

visibilité fiscale qui n’épargne aucune collectivité. Pour les services publics à la population, la réponse n’est donc pas à chercher dans le recrutement d’équipes pléthoriques, couvrant tout le spectre des compétences attendues. Cette modestie de moyens du biblio-thécaire rural l’incite à réviser ses ha-bitudes de travail et l’invite à s’insérer dans une autre forme d’économie des projets publics.

Politique intérieure et politique extérieure, c’est tout un : le partenariat

Dans ce cadre, une réponse pos-sible est souvent cherchée du côté du concept pluriel de partenariat. Comme le rappelait Dominique Arot 4, le mot partenariat (inspiré du mot anglais partnership) évoque la réunion d’au moins deux partenaires mais traduit aussi une attitude et une méthode. Il implique une forme d’égalité, de respect mutuel des partenaires qui peuvent appartenir à des secteurs ou des niveaux hétérogènes.

Le partenariat se décline donc sous de multiples formes pour le bibliothé-caire des champs. La première moda-lité de partenariat est la complémen-tarité évidente avec la bibliothèque départementale de prêt (BDP). La BDP vient en appui pour le développement des collections, de l’action culturelle, de la formation des personnels sala-riés ou bénévoles, sans oublier son intervention dans l’ingénierie des projets et leurs financements. Mais le partenariat peut aussi prendre la forme d’une complémentarité ou d’une mutualisation des moyens entre bibliothèques de même strate grâce au développement des réseaux de lecture publique. Ces réseaux sont

4. Pour Dominique Arot, les partenaires peuvent en effet être liés par leur domaine de l’activité culturelle (par exemple la lecture publique) ou bien par leur fonction (par exemple la diffusion), voire par leur public spécifique (par exemple les enfants) et bien entendu par une combinaison de deux ou trois de ces critères. Cf. Dominique Arot, Les partenariats des bibliothèques, Villeurbanne, Presses de l’Enssib, 2002.

à géométrie (très) variable, qui reflète les multiples voies, pour ne pas dire les vicissitudes, de la coopération intercommunale en France. Enfin, de nombreux partenariats se nouent avec d’autres acteurs publics, privés ou as-sociatifs : écoles, maisons de retraite, relais d’assistantes maternelles, foyers ruraux...

Malgré l’intérêt et les apports indé-niables de cette logique de dévelop-pement des partenariats multiples, le temps humain disponible pour les mettre en œuvre reste encore et tou-jours le nœud gordien. D’autant plus que dans le management des organi-sations, la mode semble être à l’hyper-trophie du transversal, pour des rai-sons plus ou moins avouables et avec des effets secondaires plus ou moins souhaités. Aussi, pour que ce nœud gordien trouve une solution moins brutale que celle que la légende lui prête, il serait prudent de nous don-ner une forme d’hygiène profession-nelle pour la conduite de nos projets. Le partenariat, oui, mais comment et pourquoi ? Il ne s’agit ni de satisfaire aux injonctions managériales ni d’em-piler des projets en vue du rapport d’activité. Alors, et sans renier notre ouverture sur les autres, nos premiers partenaires dans la construction du-rable de nos pratiques ne sont-ils pas les membres de notre communauté professionnelle elle-même ? C’est-à-dire les bibliothécaires eux-mêmes, tous, dans tous les types d’établisse-ments.

Ouvrir nos cuisines et partager nos recettes

Feue la liste de discussion biblio-fr 5, avec ses seize années d’exis-tence et ses 17 550 abonnés, avait bien démontré, y compris dans les critiques qu’elle a suscitées, l’intérêt et le besoin de ces échanges horizontaux, concrets, archivés et accessibles aisément. Dans l’univers numérique, les blogs, quelques forums, les wikis et de plus en plus les réseaux sociaux assument une forme de relève mais qui, mani-festement, n’est pas adoptée par tous.

5. https://listes.cru.fr/sympa/info/biblio-fr

De plus, ces espaces de contenus ne couvrent pas, loin s’en faut, tous les domaines de la gestion d’une biblio-thèque et ce n’est pas leur prétention.

Alors, il ne s’agit surtout pas de prôner un nouvel outil de contenus centralisé, un de plus, pour pallier l’arrêt d’une liste de discussion fédé-ratrice ou le manque d’insertion d’une partie de notre communauté professionnelle dans les usages du web social et inscriptible. Il s’agit plus modestement, et en commençant sans prétention par nous-mêmes, de dire : « Libérons nos pratiques : documen-tons-les, publions-les, peu importe notre statut et notre échelle de bibliothèque, il en sortira toujours quelque chose pour quelqu’un, quelque part. » Mais de quel côté regarder pour libérer nos pra-tiques et, ce faisant, contribuer à re-nouveler l’économie de nos projets et leur méthodologie ? L’un des modèles possibles, bien connu désormais des bibliothécaires, est celui appliqué dans les projets de logiciels dits libres et / ou open source (nous ne développe-rons pas ici la nuance entre ces deux notions). Cette notion qui repose sur quatre libertés fondamentales de l’uti-lisateur contribue aussi à la construc-tion d’un mode opératoire pour la fa-brication, la maintenance, la gestion et la diffusion du logiciel produit.

Pour mémoire, les quatre liber-tés fondamentales des logiciels libres sont :1. la liberté d’utiliser l’œuvre pour

tous les usages ;2. la liberté de copier l’œuvre et d’en

diffuser des copies ;3. la liberté de l’étudier ;4. la liberté de la modifier et de dis-

tribuer des copies de l’œuvre ré-sultante.Dans le domaine informatique,

ces quatre libertés se concrétisent par plusieurs licences possibles qui, outre leurs réelles nuances, sont aussi l’hé-ritage de plusieurs visions du logiciel libre. Plus généralement et pour tous les domaines de la création cette fois-ci, des licences comme les Creative Commons 6, développées notamment sous l’impulsion de juristes comme

6. Site officiel : http://creativecommons.org Voir aussi en français : http://creativecommons.fr

58 bbf : 2012 t. 57, no 5

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Lawrence Lessig 7, fournissent un cadre propice à la publication de nos productions. Ces licences garantissent toute la diffusion de l’œuvre sous ré-serve d’en attribuer systématiquement la paternité. Elles peuvent permettre en outre la modification, l’utilisation à des fins commerciales ou peuvent imposer le partage à l’identique. Une combinaison de ces différents critères aboutit à six licences disponibles, adaptées au droit français qui lui viennent en complément.

Aujourd’hui, plusieurs biblio-thèques, sur leurs sites ou leurs blogs, proposent des espaces dédiés où dé-couvrir, voire télécharger, les outils professionnels qu’elles ont dévelop-pés. Nous n’évoquons pas ici les éta-blissements comme la BnF, la BPI ou les BDP (voire l’Enssib), dont la fourniture de services et la production d’outils ou de règles de bonnes pra-tiques font partie des missions. Leurs pages professionnelles sont souvent très riches mais relativement prescrip-tives, et c’est bien compréhensible. Nous faisons également l’impasse sur les « espaces pros » de certaines biblio-thèques qui se contentent de renvoyer vers des sitothèques ou vers les prin-cipales lectures professionnelles que tout aspirant bibliothécaire se doit de lire. Dans ce cas, il s’agit plutôt d’une réponse de premier niveau à qui veut entrer dans la carrière. Les « espaces pros » qui ont véritablement inspiré la modeste initiative du RISOM sont plutôt ceux de la bibliothèque univer-sitaire d’Angers 8, du réseau de média-thèques du SAN Ouest-Provence 9 ou encore de la bibliothèque munici-pale de Toulouse 10 (la liste n’est pas exhaustive). On y trouve les outils développés ou adaptés mais aussi des analyses de leur usage dans ces éta-blissements.

Toute proportion gardée et avec beaucoup de modestie, c’est dans cette

7. Lawrence Lessig, L’avenir des idées : le sort des biens communs à l’heure des réseaux numériques, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2005. Disponible en ligne : http://presses.univ-lyon2.fr/livres/pul/2005/avenir-idee/xhtml/index-frames.html8. http://bu.univ-angers.fr/BUApro9. http://docmiop.wordpress.com10. http://pro.bibliotheque.toulouse.fr/experimentati ns-colloques-journees.html

perspective que s’inscrit un projet tel que celui du RISOM. Il s’agit tout simplement de publier, en accord avec la collectivité et sous le régime d’une licence Creative Commons, certains projets du RISOM. Les bibliothé-caires du RISOM ont choisi de pro-poser sur le web leurs contributions dans le domaine de l’action culturelle (animations et projets pédagogiques), afin d’en permettre la réutilisation, la diffusion, l’étude et la modification. Un aperçu de cet « espace pro » du RISOM, qui est et sera toujours un work in progress, pourra être découvert à l’adresse suivante : www.risom.fr/espace-pro

L’axe des animations a été retenu car il constitue une part importante de l’activité du RISOM et qu’il semble par ailleurs peu présent dans les « es-paces pros » évoqués et sur les réseaux sociaux. Pour l’écriture et la publica-tion de ces expériences, nous avons fait le choix d’adopter le formalisme utilisé notamment pour la présenta-tion des initiatives des territoires sur le site de l’Observatoire des territoires numériques 11. Il faut souligner que ce format n’est pas une nouveauté. La majeure partie de nos collectivités utilise ce type d’instrument sous une forme ou une autre dans la conduite de ses projets. Pour le moment, les supports créés à l’occasion de deux projets du RISOM sont en ligne et té-léchargeables pour tout collègue sou-haitant les reproduire ou les adapter. La licence Creative Commons adoptée est la CC BY-SA 2.0 12 qui permet de partager cette création, de la remixer, sans interdire de l’utiliser à des fins commerciales mais en imposant l’at-tribution et le partage à l’identique en cas de diffusion d’une adaptation.

Une question de formation tout au long de la vie

Dans l’immédiat, le choix de pu-blier ces projets et de les documenter n’a bien sûr ni participé à une dimi-nution du temps de travail qui leur est

11. http://oten.fr/?-Initiatives-des-territoires-12. Pour plus de détails : http://creativecommons.org/licenses/by-sa/2.0/fr

consacré – au contraire – ni offert de retours sur lesdits projets. Alors quel constat fait-on au sein de l’équipe du RISOM ?

D’abord, au-delà de la simple mise en ligne d’outils, l’élaboration de ces contenus implique des mécanismes plus complexes de formalisation du côté des contributeurs : une prise de recul collective en réunion d’équipe sur ce que l’on fait (regard interne), une explicitation des objectifs et des méthodes par l’expérience de l’écri-ture 13 et enfin, par la publication de notre travail, accepter l’échange et la confrontation (regard externe). Dans le vaste chantier ouvert de la refon-dation de nos médiathèques, le fait de recenser et de donner à voir le contenu de nos actions participe d’un inventaire objectif. L’enjeu est aussi de « transmettre l’expérience pour qu’elle provoque une prise de connaissance chez d’autres praticiens […] 14 ». Outre le par-tage immédiat, qui pourrait constituer la base d’un corpus professionnel uti-lisable et amendable par tous, il s’agit d’interroger les fondements, le fonc-tionnement et les objectifs de nos pra-tiques professionnelles. Si l’on entend le terme « pratique » dans sa double dimension de faire et de penser le faire, alors le contenu de ce que l’on partage devrait comprendre tant les outils matériels que les outils concep-tuels nécessaires à la construction de nos actions.

En toile de fond se pose – de ma-nière accrue sous l’effet des récentes mutations du métier – la question de la formation du bibliothécaire. En effet, la diversification de nos champs d’interventions contribue à l’éclate-ment des compétences demandées et aboutit à une complexité sans cesse

13. « C’est en travaillant qu’on devient un professionnel, de même que c’est en réfléchissant sur ses pratiques (“une théorie de la pratique”) qu’on avance dans la professionnalisation. Pratique et théorie ne sont que les mêmes fondements d’une activité professionnelle consciente de ses difficultés, de ses enjeux et de ses responsabilités – et, donc, porteuse d’une culture. » Anne-Marie Bertrand, « La formation des bibliothécaires », BBF, no 5, 2007. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2007-05-0005-00114. Mireille Cifali, « Transmission de l’expérience, entre parole et écriture », Éducation permanente, no 127, 1996.

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L’abeille et le bibliothécaire ou éthique du libre et lecture publique en zone rurale :

ment renforcent de manière masquée un processus de subordination 17. Dans ce cadre, la participation des agents serait dès lors perçue moins comme une « communauté autonome » que comme une communauté « hiérar-chique 18 ». À l’inverse, la communauté de pratique se fonderait non sur l’ad-hésion aux objectifs définis en amont, mais sur l’idée d’un groupe de profes-sionnels s’associant sans contrainte autre que de réfléchir et de partager ensemble leurs préoccupations. Alors, et puisque nous tentons de construire la bibliothèque de demain, revendi-quons non seulement le droit à l’expé-rimentation mais aussi le droit à re-nouveler notre modalité d’intervention pour nous insérer dans une nouvelle économie, celle de la contribution de chaque bibliothécaire.

L’économiste Richard Musgrave avait dressé naguère une classifica-tion des trois fonctions principales de l’action publique, qui sont aussi trois modalités d’intervention publique : l’affectation de ressources, la redis-tribution et la régulation. À côté de ces trois modalités, l’économie de la contribution et de la pollinisation 19, qui occupe déjà une place non négli-geable dans l’action publique si l’on regarde bien, peut encore être encou-ragée et développée, notamment dans notre manière de mener et de libérer nos projets bibliothéconomiques. Bien entendu « la collaboration ne se décrète pas a priori […] » mais doit cor-respondre à un besoin 20. Le besoin professionnel étant là, le bibliothécaire peut, par ce partage simple et gratuit de sa production, contribuer active-ment à une économie de la connais-sance. Le bibliothécaire des champs en particulier, abeille polyvalente et tout-terrain, a tout à y gagner pour

17. Jean-Marc Fridlender, « Structure de gouvernement managérial, puissance de menace et contrôle psychosocial », Connexions 2009/1, no 91.18. « Pourquoi s’intéresser aux communautés de pratique », En lignes – La lettre du CEDIP, janvier 2004.19. Yann Moulier Boutang, L’abeille et l’économiste, Paris, Carnets Nord, 2010.20. Alain Chaptal, « Rhapsodie sur la collaboration : le travail collaboratif », Les dossiers de l’ingénierie éducative, no 65, mars 2009.

plus grande de notre action publique. D’autant que l’identité même de notre profession se trouve interrogée par la « pluralité 15 » de notre quotidien. Nous avions jusqu’ici trois modes princi-paux pour nous former : la formation initiale universitaire dans les diffé-rentes disciplines, la formation initiale post-concours et continue aux métiers des bibliothèques (Enssib, CNFPT, CRFB, BDP...) et enfin un appren-tissage quotidien par la pratique et la transmission de savoirs. Mais une quatrième voie, celle justement de la formalisation et de la publication de nos pratiques qui sont à la fois diffé-rentes et communes, semble émerger. Cette forme d’hygiène profession-nelle, qui ne doit pas être réservée à quelques cadres dans la bibliothèque, est peut-être l’une des réponses à ces nouveaux enjeux.

Ne confondons pas théorie du management et communauté de pratique

Cependant ce processus d’échange d’information par le bas – plus préci-sément par la transformation de notre expérience individuelle au sein d’une communauté en expérience collec-tive 16 – pose la question de sa coexis-tence avec notre mode d’organisation actuel. En effet, il s’agit de ne pas confondre théorie du management (verticale) et communauté de pratique (horizontale).

Les nouvelles théories managé-riales mettent au centre de leurs pré-occupations la participation des agents à la définition des projets en vue de susciter leur adhésion (par exemple les groupes « projet » transcendant les positions hiérarchiques). Or un certain nombre de critiques émettent l’hypothèse que, loin de permettre un réel échange, les outils du manage-

15. Anne-Marie Bertrand, « La transmission de l’implicite ou comment la culture professionnelle vient aux bibliothécaires », BBF, no 1, 2003. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2003-01-0010-00216. « Le Web 2.0 et les profs », Les cahiers pédagogiques, no 482, juin 2010.

dépasser nombre de clivages. Car en effet, et comme l’expliquait André Gorz, « l’économie de la connaissance a vocation à être une économie de la mise en commun et de la gratuité, c’est-à-dire le contraire d’une économie. […] Elle est à la fois connaissance, technique de pro-duction de connaissances et moyen de fabrication, de régulation, d’invention, de coordination. […] La production de soi est ici production de richesses et inverse-ment […] 21 ». •

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21. André Gorz, Misères du présent, richesse du possible, Paris, éditions Galilée, 1997. Nous invitons également le lecteur à découvrir les notions et les initiatives autour des biens communs informationnels, à partir par exemple de cette page et des références citées : http://p2pfoundation.net/Bien_Communs_Informationnels

Le projet de système de gestion de bibliothèque mutualisé de l’Abes

La formation des directeurs de bibliothèque de recherche en Europe

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Le projet de système de gestion de bibliothèque mutualisé de l’Abes

L’Agence bibliographique de l’enseignement supérieur (Abes) a inscrit dans son projet d’établissement 2012-2015 la mise en œuvre d’un système mu-tualisé de gestion de bibliothèque (SGB). La demande a été formulée en

2011 par le conseil d’administration de l’Abes et plus particulièrement par les re-présentants des universités au sein du conseil. Elle partait du constat connu 1 de la multiplicité des systèmes locaux de bibliothèque (SIGB, systèmes intégrés de gestion de bibliothèque) et du coût non négligeable de leur acquisition et de leur maintien. Elle visait simplement à faire une économie d’échelle en utilisant un système commun à plusieurs établissements qui étende à l’ensemble des fonc-tions informatiques locales le modèle de partage du catalogage en œuvre dans le système universitaire de documentation (Sudoc). Mais l’approfondissement de la demande initiale a rapidement montré qu’il s’agissait moins de mettre en com-mun les systèmes de bibliothèque existants que de dépasser leurs limites pour adopter un nouveau modèle de système de bibliothèque, voire d’accompagner un nouveau modèle de bibliothèque.

Les limites de l’informatisation actuelle

Les SIGB actuels reposent encore pour l’essentiel sur une architecture appli-cative des années 1980. Ils sont nés avec la technologie des mini-ordinateurs au-jourd’hui disparue. Ils ont été les premiers systèmes hébergés ou au moins admi-nistrés par les bibliothèques, ils ont introduit dans les bibliothèques des fonctions centrées sur l’informatique et ils proposaient au départ une automatisation cohé-rente des principales fonctions de la bibliothèque (acquisitions, catalogage, circu-lation) autour d’un catalogue exhaustif de la collection physique de la bibliothèque. L’informatisation du catalogue s’est très vite accompagnée de l’idée de normalisa-tion (choix d’Unimarc en France) et d’échange entre le système local et un système central de catalogage. En revanche, les acquisitions et la circulation sont restées des fonctions locales, mis à part l’usage des notices Électre pour les acquisitions. C’est aujourd’hui encore l’architecture de base du réseau universitaire français constitué de SIGB locaux (ILN) échangeant leurs données avec le catalogue central du Sudoc.

Depuis les années 1980, l’évolution des technologies a apporté de grands changements dans le fonctionnement des bibliothèques universitaires. Les deux principaux changements liés entre eux sont, bien sûr, le développement d’inter-net et celui de la documentation numérique. L’informatisation des bibliothèques s’est en gros adaptée de deux manières. D’un côté, elle a peu à peu intégré les SIGB au web sans remettre fondamentalement en question leur architecture : interface web pour le public d’abord, pour les professionnels ensuite. Des web services disséminent quelques fonctions du SIGB : interrogation simple du cata-

1. Marc Maisonneuve, « 2011 : le marché des logiciels de bibliothèque poursuit sa transition », Archimag, no 252, mars 2012, p. 27-30.

Jean BernonAgence bibliographique de l’enseignement supérieur (Abes)[email protected]

Jean Bernon a été conservateur en bibliothèque publique pendant douze ans, à Mulhouse puis à Lyon. Chef de projet de la première informatisation en réseau de la BM de Lyon, il a ensuite travaillé pendant six ans chez un fournisseur de SIGB et contribué à l’informatisation de nombreuses bibliothèques françaises et européennes. Il a enfin exercé pendant quinze ans en bibliothèque universitaire, à l’université Lyon 3 dont il a été directeur du SCD pendant dix ans. Il est chargé de mission Abes pour le SGB mutualisé depuis avril 2012.

62 bbf : 2012 t. 57, no 5

principalement l’un des deux métiers et qui investissent dans l’autre ou nouent des partenariats pour compléter leur offre de service en direction des bibliothèques : Ebsco, Ex Libris, Innovative Interfaces, OCLC, Serials Solutions...

Les choix d’acquisition s’exercent dans un environne-ment beaucoup plus riche en métadonnées permettant d’identifier les documents imprimés et les ressources électroniques, de gérer les abonnements papier et élec-troniques, de calculer les liens d’accès aux ressources nu-mériques, d’analyser l’usage des différentes ressources. L’envoi de commandes et leur suivi s’appuient sur des échanges automatiques de données ou de messages avec les fournisseurs et se répercutent immédiatement sur la fonction de découverte en direction des usagers. En effet, le SGB intègre, en plus des fonctions classiques des SIGB, les fonctions de gestion des ressources électroniques : ges-tion des licences, des bouquets d’abonnements, des listes de périodiques et des métadonnées d’articles contenus dans ces bouquets, des métadonnées de calcul des liens d’accès aux articles. La comptabilité des commandes et leur suivi financier constituent un autre point fort des SGB, même si leur intégration à un système financier local de-meure une difficulté.

Le catalogage change lui aussi de nature dans un en-vironnement où les métadonnées sont plus nombreuses, leurs formats et leurs règles de construction variées et où cohabitent des données locales, nationales et interna-tionales liées entre elles et non plus échangées entre des systèmes séparés, dupliquées et reformatées sans cesse. La majorité des métadonnées, surtout pour la documenta-tion numérique, provient de chargements de grands cata-logues ou de bases d’éditeur et le catalogage original de documents imprimés diminue. Mais l’expertise des cata-logueurs, des spécialistes de la recherche documentaire et des personnels chargés de l’accueil et de la formation du public demeure indispensable pour détecter les erreurs, les corriger et améliorer constamment les règles de char-gement. Ce phénomène déjà connu des utilisateurs pro-fessionnels du Sudoc suscite parfois des réserves, mais il est inévitable de l’accentuer pour intégrer la documenta-tion électronique aux outils de recherche. Le nouvel envi-ronnement fera incontestablement évoluer le régime de définition et de production de la qualité de la recherche documentaire. D’ores et déjà, les producteurs de bases de connaissance et les éditeurs qui les alimentent travaillent avec les bibliothèques à définir des normes adaptées à la documentation numérique (KBART, ONYX) et les mé-thodes de chargement de données sont engagées dans une course à la qualité. Un éditeur de système de base de connaissance déclare utiliser 100 000 règles de traitement des données et en ajouter 200 par mois. L’Abes, comme d’autres opérateurs publics français, s’est déjà lancée dans l’étude et l’expérimentation des traitements d’enrichisse-ment des données : Qualinca, licences nationales, hub de métadonnées 2. L’adoption des FRBR 3 pour le catalogage

2. Voir www.lirmm.fr/qualinca/?q=fr et www.licencesnationales.fr3. FRBR : Functional Requirements for Bibliographic Records.

logue, bibliographies sélectives, dossier lecteur, prolonga-tions, réservations, suggestions. D’un autre côté, en com-plément du SIGB qui continue de gérer essentiellement les collections imprimées, de nouveaux systèmes ont été mis en place pour la documentation numérique : réseaux de cédéroms, moteurs de recherche fédérée, listes de pério-diques électroniques, résolveurs de liens, gestion d’abon-nements numériques, bibliothèques de documents numé-riques, outils de découverte.

La multiplicité des systèmes documentaires locaux pose une série de problèmes. Elle complique la mise en œuvre d’un portail d’accès simple et cohérent à l’ensemble des res-sources par les usagers. Elle a un coût probablement élevé qui n’est pas clairement évalué. Elle maintient artificielle-ment une gestion séparée de la documentation imprimée et numérique par les acquéreurs et les catalogueurs. Elle est enfin de plus en plus lourde à maîtriser et à gérer par les services d’informatique documentaire. L’usage de systèmes open source apporte une plus grande maîtrise mais la ges-tion est aussi, en général, plus lourde.

Les systèmes de découverte constituent une première brèche dans cette architecture. À l’inverse des moteurs de recherche fédérée qui interrogent simultanément dif-férents systèmes, ils s’appuient sur une base de connais-sance internationale centralisée et rassemblent pour chaque établissement les métadonnées de toutes ses res-sources locales ou distantes, payantes et gratuites. Ce sont des systèmes hébergés chez un fournisseur hors de l’établissement (informatique dans les nuages). La biblio-thèque n’achète plus un système (investissement) qu’elle administre mais un service (abonnement) qu’elle adapte à ses ressources. Elle s’appuie sur la base de connaissance commune et bénéficie automatiquement de nombreuses mises à jour qui seraient entièrement à sa charge et très difficilement réalisables sur un système local.

Les promesses des systèmes de nouvelle génération

Les systèmes de gestion de bibliothèque de nouvelle génération ont l’ambition d’étendre la logique des sys-tèmes de découverte à l’ensemble des fonctions de gestion de la bibliothèque : base de connaissance commune, re-groupement de tous les types de ressources, abonnement à un service dans les nuages. Les fonctions d’acquisitions et de catalogage sont les plus fortement remodelées par ce nouveau cadre.

La distinction actuelle entre système local et système central de catalogage partagé est remplacée par deux ni-veaux de métadonnées dans une même base de connais-sance, les métadonnées communes qui n’appartiennent à personne (et donc à tous) et les métadonnées proprié-taires d’une bibliothèque ou d’un groupe de bibliothèques. Les données communes sont alimentées par de grandes sources de catalogage mais aussi par de nombreuses bases d’éditeurs. Les fournisseurs de SGB de nouvelle génération cumulent les métiers d’agrégateurs de données et d’édi-teurs de logiciel. Ce sont de grandes sociétés qui exerçaient

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Le projet de système de gestion de bibliothèque mutualisé de l’Abes :

(World share Management System) d’OCLC est opération-nel depuis 2011. Alma d’Ex-Libris est opérationnel depuis 2012. D’autres fournisseurs ont une offre en cours de ma-turation : Serials Solutions, Innovative Interfaces, Ebsco. Par ailleurs, un consortium d’universités américaines an-nonce pour début 2013 la mise en production d’un système open source, Kuali OLE, et s’est associé au JISC britannique pour construire une base de connaissance internationale produite par les universités, GoKB 4.

Vers un bouleversement des réseaux documentaires de l’enseignement et de la recherche ?

L’émergence de tels systèmes interroge forcément les agences bibliographiques nationales, l’Abes mais aussi la plupart des agences bibliographiques européennes. Elle remet en question le rôle actuel d’un système de catalogage

4. Sont seulement mentionnées les solutions les plus proches de la définition donnée dans cet article d’un SGB de nouvelle génération. Pour plus de détails, voir la dernière note du présent article.

s’inscrit dans le même mouvement général d’adaptation des métadonnées documentaires à la richesse du web. La convergence entre ces différents mouvements n’est pas toujours claire dans le détail, mais elle dépend aussi de la vision des acteurs.

En matière de circulation, les systèmes de nouvelle génération nous promettent de faire simplement aussi bien que leurs prédécesseurs. Tout au plus, la génération de statistiques et de tableaux de bord personnalisés sur l’usage de la documentation sera simplifiée pour l’ensemble des données et donc aussi pour les données de circulation. La difficulté juridique et technique essentielle réside dans l’identification des usagers et les modalités d’accès d’un sys-tème international aux annuaires du personnel et des étu-diants. Notons cependant que le problème n’est pas aussi nouveau qu’on le dit parfois et que les systèmes de décou-verte le posent déjà en partie, voire de façon plus radicale, pour les nombreux usagers dont l’emprunt de monogra-phies n’est pas l’activité documentaire principale.

L’offre de systèmes de nouvelle génération est encore neuve. Deux produits sont réellement en production dans des bibliothèques anglo-saxonnes, essentiellement aux États-Unis, au Canada, en Australie et dans une moindre mesure en Grande-Bretagne et en Europe du Nord. WMS

SGB mutualisé, présentation aux Journées Abes, 20 juin 2012

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une meilleure maîtrise de leurs applications dans le cadre de l’informatique dans les nuages que dans celui de leur établissement.

Les détracteurs insistent toutefois sur les risques liés à la sécurité des données personnelles et à la dépendance d’un hébergeur. Quel que soit le statut juridique des don-nées, l’hébergeur en garde une maîtrise concrète difficile à contrôler. Le directeur de Microsoft Grande-Bretagne a admis l’an dernier que les données personnelles stockées par une compagnie américaine sur des serveurs européens pouvaient être transférées aux autorités américaines sur la base de réglementations comme le Patriot Act. En effet, la Grande-Bretagne est signataire de la Convention pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel (Strasbourg, le 28 janvier 1981), mais non les États-Unis. Par ailleurs, dans le cas d’un SGB qui regroupera la majorité des services en ligne et des données d’un grand nombre de bibliothèques publiques, on peut s’interroger sur les conditions de migration des don-nées de la bibliothèque qui veut changer de fournisseur, ou sur l’évolution du coût d’abonnement à un service qui sera indispensable au fonctionnement de la bibliothèque.

Les entreprises et les organismes publics utilisent déjà largement l’informatique dans les nuages et leur expé-rience a permis de dégager des recommandations contrac-tuelles qui pallient au mieux les risques. Ces recomman-dations pragmatiques invitent à mesurer exactement la situation sans la sous-estimer, ni la surestimer : évaluation du degré de confidentialité des données, engagements contractuels précis de l’hébergeur sur la localisation des données, sur leur usage exact, sur la sous-traitance éven-tuelle, sur le traitement de demandes de données prove-nant d’un tiers, mais aussi comparaison précise avec la sécurité des données sur le système local 5.

En ce qui concerne la maîtrise des données et du sys-tème par une bibliothèque particulière, les fournisseurs de SGB sont conscients des interrogations en la matière. Ils proposent que le niveau des données communes relève d’une licence ouverte, par exemple ODC-BY (« autorise l’utilisation, la copie, la redistribution, la modification, la réa-lisation de travaux dérivés de la base de données, sous réserve d’indiquer le nom de l’auteur de la base de données originale », Wikipedia). Une série d’initiatives récentes venues de dif-férents horizons est en train d’accélérer le mouvement d’ouverture des métadonnées documentaires, par exemple le versement dans le domaine public du catalogue de la bibliothèque d’Harvard sous licence CC0 (« permet au ti-tulaire des droits de renoncer au maximum à ceux-ci dans la limite des lois applicables, afin de placer son œuvre au plus près du domaine public », Wikipedia).

5. Quelques sites pour en savoir plus :– www.cnil.fr/la-cnil/actualite/article/article/cloud-computing-les-conseils-

de-la-cnil-pour-les-entreprises-qui-utilisent-ces-nouveaux-services– www.ssi.gouv.fr/fr/bonnes-pratiques/recommandations-et-guides/

securite-de-l-externalisation/externalisation-et-securite-des-systemes-d-information-un-guide-pour-maitriser.html

– http://blog.privacylawyer.ca/2011/04/cloud-computing-and-privacy-faq.html

partagé comme le Sudoc. Si une partie croissante des éta-blissements opte individuellement pour un SGB de nou-velle génération, et certains l’envisagent déjà sérieusement, ils reconstitueront de fait des réseaux séparés analogues aux anciens réseaux de catalogage préalables au Sudoc. De plus ces réseaux séparés réaliseraient d’emblée l’intégra-tion des ressources imprimées et numériques qui reste la difficulté majeure du Sudoc. Autrement dit, le réseau na-tional risquerait de devenir un réseau d’appui des réseaux SGB dédié aux collections imprimées françaises.

La question se pose donc d’une démarche nationale conjointe de l’Abes et des établissements pour passer peu à peu du Sudoc à un SGB de nouvelle génération. Cette démarche touche aussi de près ou de loin la plupart des activités actuelles de l’Abes dont le Sudoc est la base prin-cipale. C’est une démarche longue, probablement une dizaine d’années, avec des étapes. A priori, les bases spéci-fiques (thèses, Calames, IdREF, Numes, Signets) comme les licences nationales et les projets qui leur sont liées (Istex et hub de métadonnées) garderont fondamentalement leur régime actuel même si elles doivent se repositionner vis-à-vis du nouveau réseau : bases complémentaires pour la recherche ou bases d’appui pour la fourniture de données. Les étapes dépendront largement des calendriers de réin-formatisation et du choix des établissements. L’objectif est de rassembler le maximum d’établissements dans un ré-seau commun autour de l’Abes, mais une partie des établis-sements, difficile à évaluer, maintiendra un système local ou pourrait choisir un autre réseau.

Peut-on se fier aux promesses des SGB de nouvelle génération ?

Les modalités de fonctionnement des SGB eux-mêmes soulèvent des interrogations sur les promesses de leurs fournisseurs et peuvent faire craindre un bouleversement plus contrasté que prévu. Le principe de l’informatique dans les nuages alimente le débat avec des arguments par-fois contradictoires.

Les adeptes de ce mode de fonctionnement insistent sur le professionnalisme des hébergeurs qui garantit une meilleure disponibilité du service et des temps de réponse inférieurs à ceux de la grande majorité des systèmes lo-caux. Le fonctionnement en mode service (Software as a ser-vice) débarrasse la bibliothèque de tout le volet purement informatique (acquisition, installation et maintenance de matériel et de logiciel), simplifie les opérations de réinfor-matisation et permet de recentrer les moyens sur le volet métier. Dans le cas des SGB, le partage d’une large base de connaissance et d’un système communs à de nombreuses bibliothèques renforce l’effet de recentrage sur le métier et sur des services locaux à valeur ajoutée. Il permet à chaque bibliothèque de limiter au maximum les paramétrages, les adaptations informatiques et la saisie courante de données et en même temps de participer à un réseau d’expertise pour les paramétrages et les adaptations locales qui restent nécessaires. Certaines bibliothèques estiment même avoir

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Le projet de système de gestion de bibliothèque mutualisé de l’Abes :

Pour le logiciel, ils proposent classiquement du para-métrage par bibliothèque mais aussi des plateformes de services sur lesquelles les bibliothèques participantes peuvent construire leurs propres services ou des services partagés à partir des API, plug-in ou connecteurs du logi-ciel de base. Les utilisateurs de logiciels libres soulignent que le noyau du système reste propriétaire et s’interrogent sur l’étendue réelle des adaptations possibles dans un tel cadre et de la maîtrise des applications et des données par la bibliothèque. Ils savent aussi que la réalisation d’un logi-ciel libre complet de nouvelle génération et la constitution parallèle d’une base de connaissance collaborative représen-tent des années de travail, qu’elles devraient s’appuyer sur une équipe ou un réseau très étoffé, que son adaptation par une bibliothèque repose largement sur ses propres moyens et peut bloquer l’accès aux évolutions ultérieures. En un mot, une démarche entièrement fondée sur la seule colla-boration entre Abes et établissements consommerait des moyens informatiques et humains importants alors que les SGB sont censés alléger ce volet. Le projet Kuali OLE précé-demment mentionné est peut-être une solution open source crédible, mais il est réalisé dans le cadre d’une coopération internationale et semble très orienté vers la recherche.

Les SGB de nouvelle génération et l’évolution du modèle de la bibliothèque universitaire

Les SGB de nouvelle génération prétendent à la fois ré-concilier les bibliothèques avec le web et délivrer les biblio-thécaires du technicisme. Le développement de formats et de systèmes spécifiques aux bibliothèques ne les a-t-il pas en partie détournées de leurs missions et enfermées dans une concurrence sans issue avec les systèmes de recherche nés du web ? D’où le projet d’un réseau documentaire à l’échelle du web qui affranchisse chaque bibliothèque des tâches techniques inutiles pour la faire bénéficier du meil-leur de la technologie, qui la réoriente vers une médiation cohérente des collections locales et des contenus dispersés sur internet, vers un service des usagers au bon endroit et au bon moment (« just in time ») et vers une valorisation collective des collections existantes pour mettre fin aux excès de la conservation locale (« just in case »).

Vers un nouveau contrat de mutualisation entre l’Abes et les établissements

Il ressort de ce qui précède que les SGB de nouvelle génération représentent plus qu’une simple évolution tech-nique de la documentation d’enseignement supérieur et de recherche française, que leurs promesses soulèvent de nombreuses questions mais que l’attentisme serait encore plus dangereux. Une réflexion commune sur le sens de cette évolution est nécessaire. Elle peut s’appuyer sur l’ex-

pertise acquise par l’Abes dans la mise en œuvre de bases documentaires nationales essentielles pour l’enseignement supérieur et la recherche, dans la gestion de groupements de commande électroniques en collaboration avec Coupe-rin et dans l’étude et l’expérimentation sur l’évolution des métadonnées documentaires vers le web de données.

La réflexion a commencé dès le printemps 2011 par un séminaire interne à l’Abes. Elle s’est poursuivie par un séminaire du réseau d’établissements qui s’est tenu en prélude des journées Abes 2011 et d’où sont issus, au deuxième semestre 2011, deux groupes de travail restreints, un groupe d’établissements piloté par le PRES de Toulouse et un groupe projet d’élèves de l’Enssib piloté par l’Abes. Le degré d’implication de l’Abes était l’une des questions majeures des deux groupes. Leurs conclusions, rendues début 2012, recommandaient que l’agence joue plus qu’un simple rôle de coordination d’actions locales ou même de groupement de commandes, mais qu’elle joue au contraire un rôle moteur dans le passage des établissements à un système commun de nouvelle génération et dans le fonc-tionnement du futur système.

Le passage par un groupement de commandes natio-nal permettra aux établissements d’obtenir de meilleures garanties sur les risques évoqués plus haut. La mise en commun autour d’un opérateur national expérimenté de l’expertise en informatique documentaire et de la forma-tion aux nouveaux outils constitue également la meilleure garantie de prise en compte des besoins nationaux et lo-caux pour les bibliothèques d’enseignement supérieur et de recherche.

Au vu de ces conclusions, l’Abes s’est engagée plus avant dans une démarche d’étude et de mise en œuvre. Un chargé de mission a été recruté en avril 2012 avec la feuille de route suivante :

• Mener d’ici fin 2012 une étude de l’impact tech-nique, organisationnel, juridique et financier de l’adoption conjointe par l’Abes et les établissements d’enseignement supérieur et de recherche d’un système de nouvelle géné-ration ;

• Proposer début 2013 un scénario d’évolution vers un tel système ;

• Avant fin 2013, rédiger le cahier des charges et lancer l’appel d’offres pour la réalisation du scénario retenu.

Le chargé de mission travaille en collaboration avec un comité technique de seize représentants des établisse-ments. Leurs études et propositions sont validées par un comité stratégique composé de représentants du ministère de l’Enseignement supérieur (MISTRD) et de la Confé-rence des présidents d’université, d’associations profes-sionnelles (Aura, ADBU, Eprist, Couperin), d’un expert étranger (réseau suisse RERO) et de partenaires tech-niques (AMUE et un DSI d’établissement). Le comité tech-nique a été constitué en juin 2012 et a tenu sa première réunion en juillet à la Bulac 6. •

Août 2012

6. Pour en savoir plus sur le projet, consulter le blog http://sgbm.abes.fr et la bibliothèque de signets du comité technique http://delicious.com/sgbm/tags?view=cloud

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La formation des directeurs de bibliothèque de recherche en Europe

S’il existe de nombreux travaux consacrés à la formation des personnels des bibliothèques 1, on en trouve beaucoup moins portant sur ces agents spécifiques que sont les directeurs, à l’exception notable, pour la France,

d’une enquête menée en 2009 par Benoît Lecoq, intitulée Les profils de carrière des directeurs de bibliothèque 2. Tiré d’un mémoire réalisé dans le cadre de l’Ens-sib 3, l’article que l’on va lire ici aborde cette question à l’échelle de l’Europe.

Le terme « formation » est envisagé dans son acception la plus large. Il dé-signe non seulement les cours et séminaires auxquels les directeurs de biblio-thèque ont assisté, soit dans le cadre de leurs études universitaires initiales, soit dans le cadre de sessions de formation continue, mais aussi les congrès, confé-rences et rencontres dont ils estiment avoir tiré profit, ainsi que l’expérience qu’ils ont acquise au fil de leur carrière. Ainsi conçue, la notion de formation recoupe en partie les concepts de « parcours » et de « profil », avec lesquels elle entretient des relations de proximité.

Cette étude, qui se fonde sur le dépouillement d’un questionnaire auquel ont répondu 75 directeurs et directrices membres de l’association Liber, a par ailleurs été limitée aux seules bibliothèques d’enseignement et de recherche. Deux rai-sons ont justifié ce choix : d’abord, il s’agissait de réduire un champ d’investiga-tion déjà très vaste ; ensuite, l’inclusion de bibliothèques correspondant à ce que l’on appelle en France des bibliothèques territoriales aurait fait apparaître une série de problématiques différentes, qui auraient rendu malaisées l’interprétation et la restitution des données recueillies.

Plus hauts diplômes et question du doctorat

Une grande partie des directeurs et directrices de bibliothèque européens ont obtenu leur plus haut diplôme dans l’une des disciplines ressortissant aux « hu-manités » ou aux LSH (lettres et sciences humaines). Ces catégories doivent ce-pendant être maniées avec précaution, car elles ne correspondent pas au même découpage des cursus dans tous les pays. Les sciences de l’information et des bibliothèques (15) arrivent en tête, suivies par l’histoire (12), la littérature (10), le management (5), les langues et littératures étrangères (4), la philosophie (3), les sciences politiques (3), puis d’autres disciplines, telles que la biologie, l’histoire de l’art, la chimie, la géographie, le droit.

1. Voir notamment Anna Maria Tammaro (Ed.), Towards Internationalisation in Library and Information Studies, Fiesole, Casalini Libri, 2002 ; Anna Maria Tammaro et Susan Myburgh, Exploring Education for Digital Librarians : Meanings, Modes and Models, Oxford, Chandos Publishing Ltd., 2012.2. Benoît Lecoq, Les profils de carrière des directeurs de bibliothèque, Paris, Inspection générale des bibliothèques, rapport no 2009-019, 2009. En ligne : www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/document-480843. Nicolas Di Méo, La formation des directeurs de bibliothèque de recherche en Europe, mémoire d’étude DCB, 2012. En ligne : www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/document-56737

Nicolas Di Mé[email protected]

Docteur en littérature française, Nicolas Di Méo a enseigné à l’université Michel de Montaigne Bordeaux 3 et à l’université de Strasbourg. Il est actuellement conservateur des bibliothèques, en poste au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.

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La formation des directeurs de bibliothèque de recherche en Europe :

partition disciplinaire des doctorats des futurs directeurs et directrices européens sera amenée à évoluer et qu’un réé-quilibrage en faveur des SIB s’effectuera dans les années ou les décennies à venir : c’est possible, mais cela n’a rien d’une évidence, ni d’une nécessité.

Bien qu’il faille considérer de tels ensembles géogra-phiques avec prudence et ne pas sous-estimer leur hétéro-généité, il semble par ailleurs que la possession du titre de docteur soit nettement plus fréquente dans les pays d’Eu-rope du Nord que dans ceux d’Europe du Sud ou d’Europe centrale et orientale. Nulle part, toutefois, elle n’est systé-matiquement obligatoire. Lorsqu’un doctorat est exigé, c’est en vertu d’une politique d’établissement (souvent dans des universités anciennes et prestigieuses), et non d’une quelconque règle nationale.

Enfin, les directeurs et directrices les plus récemment entrés dans la carrière sont aussi les plus susceptibles de posséder un doctorat. Sur l’ensemble de l’échantillon, le nombre d’années passées à travailler en bibliothèque est de 24 ans et 4 mois en moyenne, mais il descend à 21 ans et 2 mois pour les directeurs ayant le titre de doc-teur et s’élève au contraire à 25 ans et demi pour ceux qui ne l’ont pas. La différence semble donner raison à ceux qui estiment que la proportion de docteurs parmi les di-recteurs de bibliothèque est en train d’augmenter. Même si le modèle du bibliothécaire érudit ou spécialiste d’une discipline particulière est de plus en plus concurrencé par d’autres sources de légitimité professionnelle, plus fondées sur l’aptitude au management ou à la conduite de projet, l’accroissement du nombre de masters et de doctorats sou-tenus en Europe, directement lié à la massification de l’en-seignement supérieur, fait que la sélection, pour continuer à reposer sur des critères de rareté, sera conduite presque mécaniquement à s’opérer de plus en plus haut dans la hiérarchie des grades universitaires.

Utilité du doctorat

Deux directeurs interrogés (soit 2,67 % de l’échan-tillon) estiment le doctorat indispensable pour diriger une bibliothèque d’enseignement et de recherche ; 40 (soit 53,33 %) le jugent utile ; 20 (soit 26,6 %) le consi-dèrent comme inutile ; 3 (soit 4 %) pensent qu’il constitue un problème ou un handicap et 10 (soit 13,33 %) n’ont pas exprimé d’avis sur la question. Si l’on additionne les deux premières catégories, 56 % des personnes ayant répondu jugent donc qu’il présente un intérêt.

Les raisons avancées pour justifier cette opinion sont variées. Il y a d’abord l’idée selon laquelle l’expérience de la recherche permettrait de mieux comprendre les attentes et les besoins de ce public particulier qu’est la communauté des chercheurs. Mais un autre argument revient souvent sous la plume des directeurs de bibliothèque, celui de la reconnaissance, du statut, voire du prestige que confère le titre de docteur. Il témoigne de la difficulté qu’il y a parfois à construire une relation d’égalité avec les enseignants et les chercheurs et à faire entendre sa voix au sein du monde universitaire.

Cette domination des « humanités » semble toutefois moins marquée dans le reste de l’Europe qu’en France 4. La différence tient probablement (au moins en partie) à la nature des épreuves du concours de conservateur qui, mal-gré des réformes destinées à renforcer la variété des profils, privilégient encore largement l’histoire et la littérature. Si la France ne constitue pas à proprement parler une exception, elle pousse donc un peu plus loin qu’ailleurs une tendance répandue dans de nombreux pays, selon laquelle les « hu-manités » représentent souvent la première étape du par-cours menant aux fonctions de direction de bibliothèque.

Quant à la possession d’un doctorat, elle est plus fré-quente en Europe que dans l’Hexagone, mais reste tout de même minoritaire. Sur les 119 directeurs de bibliothèque ayant répondu à l’enquête de Benoît Lecoq, 5 possédaient le titre de docteur, soit 4,2 % 5. 4 d’entre eux étaient des di-recteurs de bibliothèque municipale classée (sur 28 inter-rogés, soit 14,2 %) et 1 de service commun de la documen-tation (sur 42 interrogés, soit 2,4 %). Dans l’échantillon étudié ici, 1 directeur français sur 11 (soit 9 %) est titulaire d’un doctorat. À l’échelle européenne, en revanche, le taux est nettement plus élevé, puisque 21 personnes ayant ré-pondu au questionnaire (soit 28 %) ont le titre de docteur. Ce pourcentage monte même à 31,25 % si l’on exclut les directeurs et directrices français du calcul. À la lecture de ces résultats, il semble donc bel et bien qu’il existe une ex-ception française ; mais il apparaît aussi que le doctorat est loin d’être obligatoire pour exercer des fonctions de direc-tion dans le reste de l’Europe.

En ce qui concerne les disciplines dans lesquelles ces doctorats ont été obtenus, les « humanités » dominent très largement, puisque l’on obtient la répartition suivante :

Histoire (dont histoire du livre) : 7Littérature : 5Philologie classique/Latin : 2Pédagogie/Éducation : 2Sciences de l’information et des bibliothèques : 1Géographie : 1Écologie : 1Management : 1Droit : 1Le trait le plus saillant (par rapport aux résultats

concernant les plus hauts diplômes, sans distinction de na-ture) est le recul des sciences de l’information et des biblio-thèques (SIB). Cela s’explique probablement par le fait que les formations proposées dans ce domaine sont, dans l’en-semble, plus récentes que les formations en histoire ou en littérature et que les départements de SIB, dans les univer-sités européennes, n’offrent pas toujours de programme de doctorat (et en offraient encore moins à l’époque où les personnes ayant répondu au questionnaire ont commencé leur thèse). Toutefois, rien ne permet de conclure que la ré-

4. Voir Benoît Lecoq, op. cit., p. 18 : « Le passage par les “humanités” (histoire, lettres classiques ou modernes, philosophie, sciences humaines, etc.) demeure un itinéraire obligé : 81,5 % des futurs directeurs s’y sont engagés, une majorité préférant le chemin de l’histoire (42,8 %), un gros bataillon les sentiers de la littérature et de la philosophie (38,7 %). »5. Op. cit., p. 17.

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pour savoir si de telles études représentent une plus-value déterminante aux yeux des recruteurs, ou si elles ont été choisies par des personnes qui avaient très tôt une idée claire des fonctions qu’elles souhaitaient exercer et ont en-suite développé des stratégies de carrière leur permettant d’atteindre leurs objectifs le plus rapidement possible.

Les données recueillies au sujet de la formation pro-fessionnelle continue (c’est-à-dire de l’ensemble des cours, stages et séminaires suivis par les personnes interrogées en dehors de tout cursus donnant lieu à un diplôme uni-versitaire) montrent pour leur part qu’une majorité de directeurs et directrices de bibliothèque actuellement en poste ont bénéficié de formations de ce type, formations durant lesquelles les questions relatives aux fonctions de direction ont été abordées de façon significative. Ils sont en effet 45 sur 75 dans ce cas, soit 60 % de l’échantillon.

Ces formations ont eu lieu, en majorité, après l’accès au premier poste de direction, même si un nombre non négligeable d’entre elles se sont tout de même dérou-lées avant : 4 directeurs européens disent en effet avoir suivi une (ou plusieurs) formation(s) de cette nature plus de 3 ans avant leur entrée en fonction ; 5 l’ont fait entre 1 et 3 ans avant et 5 moins d’un an avant. À l’inverse, 11 ont bénéficié d’une (ou de plusieurs) formation(s) de ce genre moins d’un an après avoir obtenu leur premier poste de direction, 17 entre 1 et 3 ans après et 12 plus de 3 ans après. 5 personnes, enfin, n’ont pas indiqué de moment précis.

Les contenus

Il semble donc que ces formations soient parfois sui-vies pour se préparer à un poste de direction que l’on souhaite obtenir dans un futur proche, mais répondent la plupart du temps à des besoins ressentis par des per-sonnes exerçant déjà le métier de directeur, en général dans les premières années suivant leur entrée en fonction. Toutefois, il convient de ne pas conclure trop hâtivement et surtout de ne pas considérer la motivation personnelle comme la seule variable : certaines formations aux fonc-tions de direction de bibliothèque sont en effet exclusive-ment réservées aux directeurs déjà en poste, ce qui fait que l’état de l’offre influence considérablement les pratiques, et donc aussi les statistiques qui les décrivent. Par ailleurs, les incitations (ou les pressions) des autorités de tutelle peuvent également jouer dans la décision de participer à un stage ou à un séminaire de formation continue.

Les principaux domaines abordés au cours de ces séances sont le management et les ressources humaines, la motivation personnelle et la connaissance de soi, l’infor-matique et le numérique, la gestion financière et enfin le patrimoine. Le degré de satisfaction est très élevé : 35 di-recteurs estiment en effet que ces formations leur ont été utiles ; 8 ne se prononcent pas ; 1 les juge utiles mais insuf-fisantes et 1 affirme avoir perdu son temps.

Les directeurs français sont 8 (sur 11) à déclarer avoir suivi des formations de ce type, ce qui les situe légèrement au-dessus de la moyenne européenne, sans doute en rai-son de la grande structuration de la profession à l’échelle

Ceux qui jugent au contraire le doctorat inutile affir-ment que les compétences acquises lors de la préparation d’une thèse n’ont rien à voir avec celles qui sont néces-saires pour gérer une bibliothèque. Ce sont les directeurs et directrices français qui séparent le plus nettement le sa-voir académique de l’aptitude au management.

Les thèses en sciences de l’information et des biblio-thèques, quant à elles, ne semblent pas particulièrement valorisées : 43 directeurs et directrices (soit 57,33 %) esti-ment qu’un doctorat en SIB n’est pas plus utile qu’un autre pour diriger une bibliothèque ; 10 (soit 13,33 %) pensent au contraire qu’une thèse soutenue dans cette discipline offre une plus-value indéniable, tandis que 4 (soit 5,33 %) jugent que cela peut éventuellement représenter un atout, mais sous certaines conditions. Les autres ne se sont pas pro-noncés. Au total, 14 directeurs et directrices seulement (soit 18,67 %) jugent qu’un doctorat en SIB est préférable à un autre doctorat.

Ces réponses traduisent une certaine méfiance à l’égard des SIB, accusées d’être trop théoriques et de ne pas suffisamment préparer aux situations concrètes de tra-vail ; mais elles montrent surtout que ce qui est jugé utile, dans un doctorat, c’est plus la familiarité acquise avec le monde de la recherche que le contenu des travaux menés.

Les formations aux fonctions de directionLes formations

24 directeurs et directrices seulement (soit 32 % de l’échantillon) disent avoir suivi une (ou plusieurs) formation(s) de type universitaire (c’est-à-dire intégrée(s) à un cursus donnant lieu à un diplôme) abordant des ques-tions relatives aux fonctions de direction, soit dans le cadre de leur période d’études initiale, soit dans le cadre d’une reprise d’études. Parmi eux, 14 l’ont fait plus de 5 ans avant d’accéder à leur premier poste de direction, 4 entre 1 et 5 ans avant, 3 moins d’un an avant et 1 plus de 5 ans après. Enfin, 2 ont fourni des réponses plus difficiles à classer, car ils ont suivi des formations de cette nature à la fois avant et après être devenus directeurs, si bien qu’ils ont obtenu plusieurs diplômes échelonnés sur une période d’une vingtaine d’années environ. Le degré de satisfaction est relativement élevé, puisque 15 directeurs et directrices jugent que ces formations leur ont été utiles et 6 qu’elles ne l’ont pas été, tandis que 3 ne se prononcent pas.

Les personnes ayant bénéficié de ces formations tra-vaillent en moyenne depuis 26 ans dans le monde des bibliothèques, contre 23 ans et 6 mois pour les autres. En revanche, elles ont accédé à leur premier poste de direc-tion sensiblement plus tôt : 38 ans et 8 mois en moyenne contre 42 ans et 3 mois.

Les directeurs et directrices ayant suivi ces formations sont donc assez peu nombreux, mais les cursus concernés ne sont pas nouveaux pour autant et constituent (au moins dans une certaine mesure) un « accélérateur de carrière ». Les données disponibles s’avèrent cependant insuffisantes

bbf : 2012 69 t. 57, no 5

La formation des directeurs de bibliothèque de recherche en Europe :

nombre important de personnes) et prédestine aux fonc-tions de direction, contribue à expliquer cette moindre mobilité.

Parmi les 36 directeurs et directrices qui ont exercé une activité professionnelle dans au moins un autre sec-teur, on trouve trois grands types de profil.

D’abord, d’anciens enseignants et/ou chercheurs. Il peut s’agir d’enseignants du second degré ayant opté au bout d’un certain nombre d’années pour la carrière des bibliothèques, mais, la plupart du temps, ce sont des docteurs qui ont enseigné sur des supports temporaires durant la préparation de leur thèse (parfois même un peu après) et ont commencé ensuite à travailler en biblio-thèque.

D’autres ont été employés par des entreprises pri-vées, dans des secteurs aussi variés que le journalisme, la publicité, l’informatique, le conseil en management et en ressources humaines, le droit et la finance – autrement dit dans des domaines qui, pour la plupart, leur ont per-mis d’acquérir des compétences aisément réutilisables lorsqu’ils ont accédé à des fonctions de direction de biblio-thèque.

Enfin, quelques personnes ont occupé des postes au sein de services administratifs, que ce soit dans des minis-tères, des universités ou des musées.

Par ailleurs, les directeurs engagés dans des activités de recherche ne représentent qu’un tiers de l’échantillon, tan-dis que la moitié dispense des enseignements, la plupart du temps dans le domaine des SIB. Et si l’on tient compte du fait que 20 % des personnes interrogées n’enseignent plus aujourd’hui mais ont eu l’occasion de le faire par le passé, ce sont 70 % des directeurs et directrices européens qui ont exercé des responsabilités pédagogiques au cours de leur carrière.

En ce qui concerne l’avenir, les directeurs interrogés déclarent massivement vouloir continuer à travailler dans le secteur des bibliothèques : 59 (soit 78,67 %) n’envi-sagent pas de le quitter avant la retraite, tandis que 6 (soit 8 %) souhaitent tenter une expérience dans un autre sec-teur (ou revenir à une profession qu’ils exerçaient aupa-ravant) et 8 (soit 10,67 %) n’excluent pas de changer de métier un jour, mais n’ont pour le moment ni projet précis en tête, ni désir d’abandonner leurs fonctions. Enfin, une personne ne s’est pas prononcée sur ce point.

Certes, parmi les 59 directeurs du premier groupe, quelques-uns sont très proches de la retraite, ce qui fait que la question n’avait guère de sens pour eux ; mais beau-coup ont encore une carrière relativement longue à mener, ce qui signifie que l’accès aux fonctions de direction de bi-bliothèque est envisagé comme une sorte d’aboutissement, et que ceux qui parviennent à de tels postes les jugent suf-fisamment intéressants et valorisants pour ne pas songer à explorer d’autres voies.

nationale et du rôle joué par l’Enssib, qui demeure une institution sans véritable équivalent et qui organise de nombreuses actions de formation bénéficiant d’une bonne publicité auprès des publics qu’elle vise. La France, sur ce point, semble donc relativement performante par rapport au reste de l’Europe.

Enfin, si l’on croise les résultats concernant la forma-tion universitaire et la formation professionnelle continue, on se rend compte que 24 directeurs et directrices tout de même (soit 32 % de l’échantillon) déclarent ne jamais avoir suivi de formation les préparant aux fonctions de direction.

De multiples manières de s’informer

Au-delà des formations proprement dites, les direc-teurs et directrices utilisent des moyens variés pour se tenir au courant des évolutions du monde des biblio-thèques : 86,67 % des personnes interrogées déclarent lire des revues ou des ouvrages professionnels ; 89,33 % se tiennent informées en assistant à des conférences, voire en intervenant elles-mêmes. Enfin, 85,33 % visitent régulière-ment d’autres établissements.

D’autres sources d’information ont par ailleurs été si-gnalées. Les listes de discussion, blogs et réseaux sociaux représentent des moyens efficaces pour échanger sur les pratiques, surtout à l’échelle d’un continent comme l’Eu-rope. Les associations professionnelles occupent aussi une place de choix, de même que les relations interperson-nelles et le networking. Viennent ensuite la participation à des projets, les responsabilités pédagogiques, la veille sur des sites institutionnels et les activités de conseil auprès de certains éditeurs.

Ces données confirment ce que les directeurs et direc-trices ont déclaré au sujet des stages et séminaires qu’ils ont suivis, à savoir qu’en plus des cours et des travaux pratiques, les échanges avec les collègues et les relations nouées constituent des éléments clés de leur formation.

La mobilité professionnelle

Pour terminer cette enquête, il a paru judicieux de s’in-téresser à la mobilité des directeurs de bibliothèque, autre-ment dit à l’expérience qu’ils ont acquise sur le terrain et aux évolutions de carrière qui les ont conduits à occuper des postes de direction. Il semble en effet difficile d’étu-dier leur formation sans tenir compte des étapes qui ont jalonné leur parcours.

38 directeurs sur 75 (soit 50,67 % de l’échantillon) disent avoir toujours travaillé dans le monde des biblio-thèques, 36 (soit 48 %) ont exercé dans d’autres secteurs et 1 n’a pas fourni de réponse sur ce point. Les directeurs français, pour leur part, sont 4 (sur 11) à avoir connu une activité professionnelle dans un ou plusieurs autres domaines, ce qui les place légèrement au-dessous de la moyenne européenne. Là encore, on peut penser que le concours de conservateur, qui est souvent obtenu relative-ment tôt (à l’issue de la période d’études initiale pour un

70 bbf : 2012 t. 57, no 5

La mobilité internationale

L’examen de la mobilité internationale, enfin, montre que la formation des directeurs de bibliothèque européens s’effectue de plus en plus à l’étranger, même si l’échelle na-tionale demeure largement prépondérante : 19 personnes interrogées (soit 25,33 %) déclarent avoir fait au moins une partie de leurs études supérieures dans un pays différent de celui où elles exercent en ce moment. Ces directeurs et directrices travaillent en bibliothèque depuis sensible-ment moins longtemps que leurs collègues, puisqu’ils y ont passé en moyenne 21 ans et 9 mois (contre 25 ans et 3 mois). Cela laisse penser que les carrières des biblio-thèques ont tendance à accueillir de plus en plus de pro-fessionnels ayant connu une expérience de mobilité inter-nationale depuis leurs études. Comme dans la plupart des autres secteurs, ce phénomène va sans doute s’accentuer.

23 directeurs et directrices (soit 30,67 %) déclarent par ailleurs avoir effectué un ou plusieurs stages à l’étranger, tandis que 15 (soit 20 %) ont déjà travaillé dans un autre pays. Les activités concernées sont assez variées : les mé-tiers des bibliothèques arrivent en tête, mais rarement au niveau des fonctions de direction. Là encore, les per-sonnes concernées travaillent en bibliothèque depuis un peu moins longtemps que les autres : 22 ans et 4 mois en moyenne contre 24 ans et 10 mois. Cela veut dire que la mobilité professionnelle internationale est probablement en train de se développer, même si elle reste minoritaire, dans la mesure où 80 % des directeurs ayant répondu au questionnaire n’ont jamais travaillé en dehors du pays où ils exercent aujourd’hui.

Conclusion

Cette enquête montre ce qu’a été la formation des di-recteurs de bibliothèque en poste actuellement et permet d’esquisser quelques tendances : le doctorat, sans être obligatoire (sauf dans certaines institutions prestigieuses), tend à devenir de plus en plus courant, notamment parce que la possession d’un master constitue de moins en moins un critère de distinction ; dans le même temps, cependant, il est concurrencé (ou complété) par d’autres sources de légitimité professionnelle, qu’il s’agisse de l’expérience acquise tout au long de la carrière ou de for-mations aux fonctions de direction dont l’offre est à la fois riche et diversifiée. Enfin, la mobilité professionnelle et internationale semble être une expérience de plus en plus partagée.

Cette étude mériterait cependant d’être prolongée par une enquête d’un autre type, qui consisterait à demander aux personnes chargées du recrutement des directeurs de bibliothèque de noter les critères leur paraissant les plus importants, comme cela a déjà été fait aux États-Unis 6. Il serait ainsi possible d’identifier avec plus de précision en-core les éléments décisifs dans les parcours de formation des professionnels concernés. •

Juin 2012

6. Voir à ce sujet Gary Neil Fitsimmons, « Academic library directors in the eyes of hiring administrators : a comparison of the attributes, qualifications, and competencies desired by chief academic officers with those recommended by academic library directors », Advances in Library Administration and Organization, vol. 26, 2008, p. 265-315.

COURRIER DES LECTEU

RS

COURRIER DES LECTEU

RS

À propos de « Connaissez-vous [vraiment] Léo Crozet ? » Un bibliothécaire agent double ? Le rapport secret américain

72 bbf : 2012 t. 57, no 5

ricaine, quelques années à peine avant le plein développement du maccarthysme aux États-Unis. Ce rapport de deux pages retrace de manière précise les activités du « French intellectual » Léo Crozet : après un premier paragraphe rappelant sa position favorable à l’occupant allemand pendant la guerre, l’essentiel du rapport décrit la manière dont Crozet semble avoir développé un comportement d’agent double zélé, officiellement colla-borationniste mais discrètement proche de l’ambassade soviétique. Il est notam-ment signalé que, insigne honneur, Cro-zet a ses entrées au sein des très secrètes archives de cette institution, renfermant notamment toutes les minutes des pro-cès politiques moscovites des années 1936-1937. Autre fait jugé suffisamment intrigant pour maintenir une surveillance rapprochée, l’auteur du Manuel pratique du bibliothécaire se déclare brusquement passionné par le christianisme d’Orient et entre en contact avec des membres du clergé russe de Paris, membres apparte-nant à ce que le rapport américain quali-fie de « portion bolchévique ».

Il est intéressant de constater qu’en dehors de toute considération politique, Léo Crozet a déjà eu l’occasion de s’in-téresser à l’administration soviétique, au niveau bibliothéconomique cette fois. Dès le premier numéro de la revue Archives et Bibliothèques qu’il contribue à fonder en 1935, il loue les mérites des bibliothèques moscovites : « Cette orga-nisation doit être étudiée attentivement : elle constitue la première tentative faite en Europe pour donner aux bibliothèques une organisation rationnelle, des ressources cor-respondant à leur fonction (que, jusqu’à ce jour, elles ne remplirent jamais) et elle bé-néficie déjà des premières retouches dues à l’expérience. » Parallèlement, son dossier personnel à la Bibliothèque nationale 4

4. Archives de la BnF, dossier de personnel no 3908 (Crozet, Léo).

garde la trace du vif intérêt de Léo Crozet pour un article de Nadejda Kroupskaia sur « ce que Lénine a dit et écrit sur les bi-bliothèques ». Le futur père de la Révolu-tion russe, en visite en 1909 à Paris, avait en effet, aux dires de son épouse, trouvé la Nationale « malaisée » et « pitoyable-ment administrée ». Crozet, qui prend soigneusement en note cet avis, fait part de son amertume : « Cette page est émou-vante, un homme qui s’apprêtait à refaire un monde et dont la pensée gouverne au-jourd’hui 150 millions d’hommes, a cherché dans les bibliothèques de France un recours qu’elles lui ont refusé. »

Faut-il voir dans ces différentes marques d’intérêt une confirmation des craintes américaines sur les activités de Crozet ? Où est la vérité dans ce rapport ? Il ne s’agit pas là de trancher, et seul un travail précis de confrontation de sources permettrait peut-être de se faire un avis précis et argumenté. Ce qui est sûr, c’est que le positionnement au moins instable de Crozet a inquiété outre-Atlantique. Il est d’ailleurs expressément demandé que ce rapport ne soit pas diffusé car, comme cela est mentionné au crayon sur la feuille de couverture, « une très bonne présomption d’agent soviétique de haut niveau » nécessite une filature discrète et vigilante. Ce rapport offre aux bibliothé-caires d’aujourd’hui un témoignage inso-lite sur un collègue apparemment sans grand intérêt, aux idéaux et aux compor-tements assez détestables en maintes circonstances, mais dont la vie, malgré lui ou à cause de lui, ressemble décidé-ment à un roman d’espionnage 5… •

Juin 2012

Guillaume LebaillyBibliothèque nationale de France

[email protected]

5. Le texte de ce rapport peut être trouvé dans le mémoire cité en note, p. 91-93.

Il a déjà été question à plusieurs reprises de Léo Crozet (1885 – 1969) dans les pages du Bulletin des biblio-

thèques de France, tant au sujet de sa vie professionnelle que de ses écrits, ou encore de ses valeurs pour le moins dou-teuses 1. Ce bibliothécaire apparemment sans histoire, qui commence sa car-rière honorablement au Havre avant de rejoindre la Bibliothèque nationale, est l’auteur d’un intéressant Manuel pratique réalisé pour le compte de l’Association des bibliothécaires français (dénomina-tion de l’époque) en 1932, manuel réédité en 1937 2. Proche des milieux anarchistes et de la droite conservatrice, son posi-tionnement franchement antisémite et collaborationniste sous l’Occupation le met au ban de la profession qu’il avait contribué à théoriser.

Regardons ici un aspect plus inso-lite de sa personnalité trouble, mis au jour grâce à un document administra-tif 3 des services secrets américains daté d’avril 1946. Crozet avait eu l’occasion d’être engagé politiquement par ses écrits ou ses amitiés, mais c’est ici sa proximité avec le pouvoir soviétique d’URSS qui est visée par l’autorité amé-

1. Voir : Claudine Belayche, « Le manuel pratique du bibliothécaire », BBF, 2012, no 1, p. 63-69. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2012-01-0063-011 ; Martine Poulain, « Connaissez-vous [vraiment] Léo Crozet ? », BBF, 2012, no 3, p. 82. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2012-03-0082-0022. Guillaume Lebailly, Vers une pensée modernisée du métier de bibliothécaire : le cas du Manuel pratique de Léo Crozet, Enssib, 2008. En ligne : www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/document-20603. Records of the Office of Strategic Services (RG 226): Entry 212, box 1; location: 250/64/33/5/1 ; Report: April 25, 1946, 2pp. Document conservé à la NARA (National Archives and Records Administration, College Park, Maryland, USA). Nous remercions la NARA de nous avoir gracieusement transmis en novembre 2008 copie de ce rapport, déclassifié pour l’occasion.

À propos de « Connaissez-vous [vraiment] Léo Crozet ? »

UN BIBLIOTHÉCAIRE AGENT DOUBLE ? LE RAPPORT SECRET AMÉRICAIN

Écritures : sur les traces de Jack GoodySous la direction d’Éric GuichardCollection Papiers • 240 pages • 15 x 23 cm • 38 €iSbn 979-10-91281-00-3 • ISSN 2111-0212

L’écriture constitue-elle le trait d’union entre technique et culture, et par là entre science et culture ? Cet ouvrage donne des éléments de réponse à cette double question, à l’acuité renouvelée par le numérique. Il fait donc appel aux anthropologues et philosophes (Jack Goody, Jens Brockmeier, David Olson…), aux spécialistes des pratiques lettrées de l’Antiquité (Christophe Batsch, Flavia Carroro), de l’internet (Paul Mathias, Henri Desbois, Michael Heim…), de la physique et des mathé-matiques (Jean Dhombres, Patrick Flandrin, Cédric Villani). Cet ouvrage est issu d’un colloque international consacré à Jack Goody, qui s’est tenu à l’Enssib du 24 au 26 janvier 2008, auquel il a contribué et qu’il a conclu.

Retrouvezle catalogue des Presses

sur notre site :www.enssib.fr/presses

Quel modèle de bibliothèque ?Sous la direction d’Anne-Marie bertrandCollection Papiers183 pages • 15 x 23 cm • 34 €ISBN 978-2-910227-73-9 • ISSN 2111-0212

Le modèle s’essouffle-t-il ? Quel modèle ? Faut-il un mo-dèle ? De quoi parle-t-on ? Voilà quelques-unes des ques-tions que cet ouvrage aborde. Le « modèle de bibliothèque publique à la française » est à la fois une évidence et un trou noir. Une évidence indiscutée qui a structuré, accom-pagné, encouragé le développement récent des biblio-thèques publiques. Un trou noir précisément parce qu’il est une évidence indiscutée, en voie de fossilisation, voire de nécrose.Cet ouvrage collectif rassemble 9 contributions (et une postface) qui interrogent à la fois le concept même de modèle de bibliothèque publique, ses composantes, ses

contradictions, la place qu’il réserve aux usagers, aux collections ou aux services. Il fait la part belle aux inspirations étrangères de ce modèle ou aux comparaisons avec d’autres héritages. Loin de répondre, il questionne. Et c’est très bien ainsi.

Presses de l’enssib

Modalités de vente

LibrairesLe Centre interinstitutionnel pour la diffusion de publi-cations en sciences humaines (CID) diffuse et distri-bue les ouvrages publiés par l’enssib aux libraires.

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Institutions et particuliersLes commandes des établissements publics et des particuliers se font par l’intermédiaire d’un libraire ou directement sur le site du Comptoir des presses d’uni-versités : www.lcdpu.fr

Apprendre à gérer des collections patrimoniales en bibliothèqueSous la direction de Dominique CoqCollection La Boîte à outils #26180 pages • 15 x 21 cm • 22 €iSbn 979-10-91281-01-0 • ISSN 1259-4857

Éclairé par des retours d’expériences de spécialistes, ce manuel réunit un en-semble raisonné d’informations de base, qui présente la marche à suivre pour appréhender, traiter, signaler et valoriser les fonds patrimoniaux ; il permet d’en comprendre l’environnement juridique, administratif et documentaire.Un document indispensable pour les professionnels peu formés dans le do-maine, confrontés pour la première fois à une collection patrimoniale, ou qui s’y destinent, et désireux d’acquérir les rudiments nécessaires pour la gérer.

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La bibliothèque, une affaire publique : 58e Congrès de l’ABFYves Desrichard

101e Congrès des bibliothèques allemandes à HambourgJean-Philippe Accart

Les modèles économiques de l’édition scientifique publique : 3es Journées du Réseau MédiciHervé Le Crosnier

6e Journée sur le livre électronique (Couperin)Sébastien Respingue-Perrin

Des lieux de savoir en perpétuelle évolutionCéline Clouet

Le livre en Afrique francophoneRaphaël Thierry

Les jeunes et les inégalités numériquesMarie-Agnès Doussot-Loth

Journées professionnelles du Centre technique du livre de l’enseignement supérieurOdile Nguyen

Quels obstacles à la formation à l’information ? 12es Rencontres FormistCécile Poirot

Bibliothèques et chercheurs en sciences humaines et socialesAdèle Spieser

Journées Abes 2012Yves Desrichard

bbf : 2012 75 t. 57, no 5

c’est, bien sûr, un leurre. Le décideur ne se comporte jamais comme « un pur intellect », et la rationalité est toujours « limitée », ainsi que le notait Herbert Simon. Il faut donc tempérer : « Les ac-teurs sont raisonnables et non rationnels. » Ce qui est sûr, en revanche, c’est qu’il n’y a pas de fin aux politiques publiques, qui se nourrissent d’elles-mêmes (voir quelques exemples fameux au ministère de la Défense), car les administrations, elles, sont immortelles. Même à l’heure de la révision générale des politiques publiques ? On serait, à vrai dire, tenté de le croire.

Inclusion et bibliothèques

À cette présentation faisait un écho très atténué le débat organisé autour d’« Inclusion et bibliothèques : une vision positiviste de l’accueil des publics dits minoritaires ». Dans une subtile pré-sentation, Denis Merklen, de l’EHESS, dont on connaît les travaux sur les des-tructions de bibliothèque, interrogea l’établissement au regard des notions d’inclusion/exclusion. La bibliothèque est une institution définie par des normes, qui caractérisent son usage. Pour cer-tains publics, se plier à ces normes, c’est prendre le risque de se distancier de leur communauté, d’en être exclu. À cette aune, les normes de la biblio-thèque sont assimilées à une imposition par un groupe social étranger, où des clivages latents ou visibles (fonction-naires/pauvres, pas diplômés/diplômés, immigrés/blancs, etc.) sont à l’œuvre. Les modalités de l’exclusion sont hétéro-gènes, mais, heureusement, il en est de même des modalités de l’inclusion : la bibliothèque peut aussi être un support à l’individuation, c’est un espace ouvert et dynamique, qui peut jouer comme « agent de socialisation ». Si la lutte contre l’exclusion est une évidence pour les bibliothèques, la mettre en œuvre est

parfois difficile, et génère des conflictua-lités qui définissent l’établissement, ses publics, leurs comportements.

De ces réflexions, le très dyna-mique groupe « Construction de soi et lutte contre les stéréotypes » de l’ABF s’est emparé, pour aider les publics à la construction de soi, à la lutte contre les stéréotypes. Il ne s’agit pas de favoriser un communautarisme à l’américaine, qui n’est pas de nos cultures (ni même sou-haitable). Mais, attentif aux réalités intel-lectuelles du moment (Gender et Cultural Studies), il faut penser différemment les « publics dits minoritaires », et notam-ment les publics LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres) qui fréquentent l’emblématique « Point G » de la biblio-thèque municipale de Lyon, présenté par Sylvie Tomolillo.

Faut-il encore des bibliothèques ?

Dans tous les congrès, il faut un ramassement, une cristallisation, un moment non espéré qui transcende l’auditoire. Dans le présent congrès, ce fut, à n’en pas douter, l’intervention de Véronique Balbo-Bonneval, directrice de la culture et du patrimoine de la com-munauté d’agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines. Pour une fois, on ne peut qu’inviter les lecteurs du Bulletin des bibliothèques de France à aller la voir 2, et l’écouter, tant la force de conviction tranquille de cette femme qui semble ignorer le charisme de son attitude et de ses paroles (il ne s’agissait pas d’un discours, mais de tout autre chose) fait merveille. Pour elle, il faut « en revenir aux fondamentaux de 1789 », à « l’émancipa-tion du citoyen ». Les bibliothèques sont la première pratique culturelle des Fran-

2. Ici : www.libfly.com/session-faut-il-encore-des-bibliotheques-billet-1851-612.html

La bibliothèque, une affaire publique

C’est dans le cadre (absolument sinistre) de l’Espace Paris Est Montreuil que l’Association des

bibliothécaires de France (ABF) tenait, du 7 au 9 juin 2012, son 58e congrès, sur le thème de « La bibliothèque, une affaire publique » – sans point d’interrogation comme crut utile de le préciser un des intervenants. La question, pourtant, se posait. Car, si les bibliothèques repré-sentent le maillage le plus fin du terri-toire, elles sont, chacun en convient, en manque de visibilité et, par conséquent (cela fonctionne comme cela maintenant) en manque de politiques publiques ambi-tieuses, volontaristes – médiatisées.

Comme souvent, il est impossible tout à la fois de rendre compte de l’en-semble des sessions 1 et de rassembler en cohérences des interventions éparses qui épousent plus ou moins le thème choisi – quand elles ne lui font pas carré-ment faux bond.

Qu’est-ce qu’une politique publique ?

Dans une présentation un brin fastidieuse, Yves Surel, professeur de sciences politiques, eut le mérite de rap-peler quelques notions fondamentales concernant les politiques publiques. Empruntant à Thomas Dye, il définit une politique publique comme « tout ce qu’un gouvernement choisit de faire ou ne pas faire » (ce dernier point tout aussi im-portant, voire plus, que le premier), soit « un ensemble complexe d’enjeux sociaux, d’acteurs publics et privés, de dynamiques et de procédures plus ou moins formali-sées ». La rationalité des décisions est avancée comme l’alpha et l’oméga du déroulé d’une politique publique, mais

1. Que, pour les plus courageux, on retrouvera filmées ici : www.libfly.com/suivez-en-direct-le-eme-congres-de-l-abf-a-montreuil-sur-le-theme-quot-la-bibliotheque-une-affair-groupe-612-5-4.html

58e CONGRÈS DE L’ABF

76 bbf : 2012 t. 57, no 5

chèrent à examiner les conséquences de la crise économique sur les budgets et les ambitions.

Philippe Laurent rappela que les col-lectivités territoriales représentent (hors équipements nationaux) 70 % des bud-gets en matière de politiques culturelles publiques. Pour lui, il n’y a pas trop d’inquiétudes à avoir quant à la pérenni-sation des efforts en matière de lecture publique. En effet, ceux-ci représentent, toutes proportions gardées, un faible investissement financier, mais une mobi-lisation symbolique, politique, culturelle, forte pour les élus. La bibliothèque est « un équipement qui fait tellement partie du paysage » que, à son sens, les poli-tiques locales de lecture vont perdurer.

Christophe Pérales constata à re-bours que la bibliothèque universitaire, elle, n’est pas dans l’implication politique pour l’université, qu’elle n’est qu’un ser-vice support. La loi relative aux libertés et responsabilités des universités, si elle n’a pas changé fondamentalement la donne de l’autonomie des universités, qui restent toujours financièrement quasi entièrement dépendantes de l’État, en a modifié la gouvernance, incitant les bibliothèques universitaires à être « du côté du président » et pas « du côté des facultés ». Pour autant, leur utilité sociale n’apparaît pas clairement, alors que la bi-bliothèque reste, pour les étudiants mais aussi pour les lycéens, le lieu par excel-lence où l’on va travailler. Et de faire un sort d’une part à la mutualisation, « mot extrêmement dangereux », « qui n’est pas forcément un gage d’économie », et d’autre part et surtout au tout-numérique à l’uni-versité, évoquant l’importance largement usurpée des réseaux sociaux (où les étu-diants n’ont pas forcément envie de voir les institutions), le « gâchis d’argent pu-blic » que peut représenter le numérique, par exemple dans les illusions du e-lear-ning, notamment en formation initiale, ou demandant une évaluation des univer-sités numériques thématiques. Bref, pour lui, « le progrès n’est pas toujours là où il devrait être ». •

Yves [email protected]

résistance, et le prouva par un discours et une présentation des plus offen-sives, dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle n’y mania pas la langue de bois (qui existe aussi au Québec, n’en doutons pas) – d’où les nombreux ver-batims qui suivent. Pour elle, il ne faut pas attendre que les élus donnent les ré-ponses – « c’est le retour sur investissement qu’ils regardent ». La bibliothèque est un outil de développement au service des citoyens, et ce dernier est « le nerf de la guerre ». Les missions de la bibliothèque (alphabétisation, éducation, culture, information) sont « des mandats hyper d’actualité », et, pour les remplir, elle doit mettre en valeur collections et services par tous les moyens. Pour les collections, c’est l’actualité qui compte (« élagage, élagage, élagage »). Pour les services, il faut s’appuyer sur un personnel qui soit « capable d’aider les gens sur le plancher », et pas derrière une banque de prêt : « Le personnel qui est derrière le comptoir, on le dégage. » La bibliothèque de Brossard est ouverte… 61 heures par semaine, bien-tôt 69, 343 jours par an ! Comme le dit Suzanne Payette, « faut les ouvrir quand les gens ont le temps d’y aller ». Sans être désagréable, et à beaucoup de points de vue, le chemin est encore long, pour les bibliothèques françaises, d’approcher leurs cousines de l’autre côté de l’Atlan-tique.

Tony Durcan, directeur de la culture, des bibliothèques au conseil municipal de la ville de Newcastle, présenta quant à lui la difficile situation des bibliothèques britanniques, largement connue en France. Théoriquement, le Public Libra-ries and Museum Act de 1964 protège les bibliothèques, mais, quand on en est à poser la question « Health or Libraries ? », la réponse semble évidente, qui se tra-duit actuellement par des réductions im-portantes de budgets et de personnels, et de nombreuses fermetures d’établisse-ments. La résistance s’organise (« Advo-cacy for libraries »), et, on le sait, les An-glais sont de flegmatiques résistants.

Politiques publiques et rigueur budgétaire

Appliquant au « cas » français les exemples contrastés ci-dessus évoqués, Philippe Laurent, président de la Fédé-ration nationale des collectivités pour la culture, et Christophe Pérales, directeur des bibliothèques de l’université de Ver-sailles – Saint-Quentin-en-Yvelines, s’atta-

çais après le jardinage, et elles restent « le principal outil » de cette ambition, bien supérieur au spectacle vivant. Il faut changer le terme de « lecture publique », sans qu’on sache trop par quoi le rem-placer. Or, « quand on n’a pas les mots pour dire quelque chose, [on a] un pro-blème » – en l’espèce celui de nommer l’objectif des bibliothèques. Pourtant, il y a tant à faire, dans une « société du temps libre » qui est devenue une société de l’émotionnel, où la prégnance de l’audio-visuel ne privilégie plus le temps de la pensée, de la mise en perspective, qui sont partout en recul, quand ils ne sont pas moqués, brocardés. L’espace public a, lui, presque complètement disparu sous les assauts commerciaux, sauf dans les bibliothèques. Celles-ci sont trop modestes, et pas assez visibles. Pour-tant, il faut se départir de l’existant pour rêver de l’idéal, il faut « changer le rap-port de force et le basculement symbolique des choses », et « il ne faut pas prendre les armes de ceux qu’on critique pour les combattre » (le numérique ?). Heureux habitants de Saint-Quentin-en-Yvelines et de son agglomération, qui vont, dès la rentrée, bénéficier des effets de cette « politique publique » ! L’intervention de Véronique Balbo-Bonneval est à conseil-ler à tous ceux qui doutent, tous ceux qui perdent espoir, et même aux cyniques. C’est, presque et sans le vouloir, une sorte de manifeste de reconquête de la… lecture publique, écrirons-nous pour l’instant et faute de mieux.

Dans la même session décidément « irradiée », Vera Saboya, secrétaire d’État à la culture de Rio de Janeiro, apporta d’une Amérique du Sud, qui est un creuset de nouvelles formes de mise en œuvre de politiques publiques (soi-gneusement occultées, sans doute pour ces raisons mêmes, par les médias fran-çais), de magnifiques photographies de magnifiques bibliothèques, venant en appui à ce qui pourrait sembler, sinon, de vertueuses mais pieuses déclarations. Pour elle, la bibliothèque est un « lieu de puissance » pour transformer l’éduca-tion, dans un domaine où, au Brésil, il y a tant à faire. « C’est l’accès au livre qui compte » et « c’est sur l’évidence du public qu’on peut arriver à l’évidence de la lecture publique ».

Comme pour prolonger dans une autre langue la présentation de Véro-nique Balbo-Bonneval, Suzanne Payette, directrice de la bibliothèque de Bros-sard au Québec, refusa elle aussi de se placer dans une posture (passive) de

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Les nouveaux supports et modèles de lecture numérique

Hormis les aspects budgétaires, l’aspect « supports et modèles » est également largement débattu avec les tablettes, téléphones mobiles et autres e-books. Une table ronde sur les livres électroniques discute des meilleures pratiques du modèle PDA (Patron Driven Acquisitions). Dans ce modèle, l’usager oriente directement les choix d’acqui-sitions et, après un certain nombre de prêts, le livre électronique est acheté par la bibliothèque. Annette Klein (université de Mannheim) analyse le degré d’utilisa-tion des livres achetés via abonnement et ceux du modèle PDA. Au final, le modèle d’abonnement par l’intermédiaire de consortiums est en fin de compte plus rentable que le modèle PDA.

P. Mayr et A. Lopez, des universités de Cologne et de Duisburg-Essen, pré-sentent EVA (Erwerbungs Vorschlags-Assis-tant), une méthode comparative du mo-dèle PDA par rapport à l’imprimé et au prêt entre bibliothèques. Les demandes des usagers sont automatiquement com-parées aux critères définis puis, s’il y a correspondance, envoyées à l’acquéreur compétent. Ce modèle est utilisé dans plusieurs universités allemandes depuis octobre 2011. J. Lazarus (bibliothèque de l’université de Leipzig) présente un pro-jet similaire avec l’utilisation cette fois-ci d’un agrégateur et d’une banque de don-nées de livres, Nielsen Books Data. En ajoutant 100 000 livres dans le catalogue de la bibliothèque, et selon la demande de l’usager, l’ouvrage peut être acheté ou non. L’utilisateur est informé du déclen-chement de l’achat de l’ouvrage, avec un délai d’attente de deux semaines : 48 000 € sont consacrés au projet.

Publications électroniques et Open Access

Frank Scholze, de l’université de Bade-Wurtemberg, et K. Pappenberger, de l’université de Constance, discutent de la « voie verte » et de la « voie dorée » dans le cadre de l’Open Access. Pour eux, les bibliothèques s’avèrent être de plus en plus des services de consultation de publications électroniques. Une nou-velle encourageante est le support de la Fondation allemande pour la recherche (DFG) pour l’intégration des publications en libre accès dans les bases de données traditionnelles type EconBiz. •

Jean-Philippe [email protected]

101e Congrès des bibliothèques allemandes à Hambourg

Intitulé « Les bibliothèques, portes d’accès au savoir », le 101e Congrès des bibliothèques allemandes,

manifestation d’envergure, a réuni à Hambourg, du 22 au 25 mai 2012, quelque 4 700 bibliothécaires et invités internationaux (plus d’une trentaine, hôtes du ministère allemand des Affaires étrangères). Ce congrès est l’une des plus importantes manifestations pro-fessionnelles en Europe, relativement méconnue en France ou dans les pays francophones, mais très suivie dans les pays germanophones. Parmi les très nombreuses présentations, conférences et tables rondes tenues cette année, voici une sélection de quelques thèmes : l’éco-nomie du numérique, les supports de lecture numérique, l’Open Access.

L’économie du numérique en ligne de mire

Le thème de l’économie du numé-rique prédomine, avec des interventions axées sur les aspects budgétaires, les abonnements électroniques, les droits et les DRM (Digital Rights Manage-ment). Plusieurs modèles allemands de calcul de budgets à l’ère numérique ont été présentés lors de la session sur les acquisitions, notamment le modèle ba-varois et le modèle de Constance, ainsi que ceux de l’université Humboldt et de la Bibliothèque d’État de Berlin. Mettant en parallèle le besoin croissant de mé-dias électroniques et la stagnation des budgets, il est noté par les intervenants que les modèles existants d’acquisitions n’incluent pas les paramètres adéquats pour les médias numériques. C’est le cas, notamment, des statistiques offi-cielles des bibliothèques en Allemagne. Le financement des publications en libre accès devrait aussi faire partie des mo-dèles d’acquisitions de la bibliothèque. Une enquête sur ce thème sera envoyée aux bibliothèques universitaires l’année prochaine.

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uniquement par les ventes, mais par les citations, la transmission dans les ensei-gnements... De ce point de vue, la ques-tion de l’édition en accès libre a occupé une grande part des débats, avec notam-ment une présentation par Inès Secon-dat de Montesquieu du système « Open Edition » du Cléo (Centre pour l’édition électronique ouverte)1. Dans ce service aux chercheurs et aux bibliothèques, on trouve trois plateformes : Calenda, un système d’annonces partagées (confé-rences, appels à communication… soit environ 500 annonces publiées tous les mois), Hypothèses, une plateforme de plus de 350 blogs et carnets de recherche en sciences humaines et sociales, et Re-vues.org qui propose plus de 300 revues en accès libre.

Le projet 2012, pour lequel le Cléo a obtenu une dotation d’équipement d’excellence, est celui de diffuser plus d’un millier de livres numériques. Pour l’ensemble de ses services, le Cléo pro-pose un modèle innovant de relation aux bibliothèques, dit « freemium ». Une enquête menée par Emma Bester a mon-tré que les bibliothèques universitaires concentrent leurs efforts sur ce qui est payant, autour duquel est organisé tout le contexte de suivi et de chaîne de trai-tement. De ce fait, les revues et ouvrages en accès libre sont peu valorisés. Le modèle freemium, qui propose un abon-nement payant aux bibliothèques, devrait permettre de consolider la chaîne docu-mentaire, y compris pour les revues en accès libre, et permettre de trouver un modèle économique pérenne. Bien évi-demment, pour inciter les bibliothèques à financer des accès qui par ailleurs restent ouverts et gratuits, il convient de leur offrir des services complémen-taires : un tableau de bord des usages, une interface d’accès personnalisée aux revues « siglées » par la bibliothèque, la

1. http://cleo.cnrs.fr

possibilité d’obtenir des « formats déta-chables » (ePub ou PDF), des statistiques à la norme Counter, un système d’alerte des usagers (veille informationnelle). Alors que l’édition scientifique publique est généralement liée aux institutions en amont, le projet du Cléo vise à trouver un partenariat en aval qui implique toute la chaîne des professions de la documenta-tion.

Cette présentation a précédé une table ronde sur les modèles écono-miques, dans laquelle le débat a oscillé en permanence entre la logique stric-tement marchande et l’approche par l’accès libre. Quae (éditions de l’Irstea 2) et CNRS-Éditions discutaient de leur ren-tabilité pour l’imprimé, quand le Centre pour la communication scientifique directe (CCSd)3 proposait, au-delà de l’archivage, des articles en prépublication et la constitution « d’epi-revues » qui per-mettraient de créer des collections d’ar-ticles scientifiques validés par les pairs.

Des ateliers très suivis

Les ateliers ont été très suivis. Pour les animateurs du réseau Médici, la for-mation continue des professionnels est au carrefour entre les débats de posi-tionnement et les études de cas très pratiques, souvent même en « salle informatique ». Formation à XML, usage de ProLexis, préparation de copie, cô-toyaient les ateliers sur la création des couvertures ou les questions juridiques.

La dernière séance plénière était animée par les acteurs de l’université de Caen. Pascal Buléon, directeur de la Maison de la recherche en sciences humaines, a présenté le projet Numnie, qui vise à coordonner toutes les activi-tés autour des documents numériques.

2. Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture.3. http://ccsd.cnrs.fr

Les modèles économiques de l’édition scientifique publique

Le réseau Médici regroupe les édi-teurs travaillant au sein des struc-tures publiques (presses d’uni-

versités ou d’institutions scientifiques, musées...). Les rencontres annuelles de ce réseau permettent d’échanger entre acteurs de l’édition publique, soit au travers d’assemblées plénières visant à poser des questions concernant l’en-semble du secteur, soir par la tenue de nombreux ateliers pratiques pour jouer un rôle de formation continue des pro-fessionnels, trop souvent isolés dans leurs structures.

L’approche économique de l’édition publique

Les troisièmes journées se sont dé-roulées à Caen les 3 et 4 avril 2012. Elles portaient sur l’approche économique, et la situation un peu particulière de ce type d’édition. Dès l’introduction, Marianne Lévy-Rosenwald, médiatrice de l’édition publique, a tenu à rappeler l’existence de la circulaire du 9 décembre 1999 qui précise que l’édition publique, recueillant des subventions, ne doit pas concurren-cer l’édition commerciale. En dehors des livres d’art publiés par la Réunion des musées nationaux, et des cartes, la place économique de l’édition scientifique publique reste faible, voire marginale. Ce que soulignait également Jean-Michel Henny dans la conclusion des journées : « Selon le rapport de M. Hervé Gaymard, l’édition représente 4,7 milliards d’euros par an, soit 0,14 % du PIB. L’édition scientifique publique représente environ 3 % du sec-teur… On est dans l’anecdote au sens éco-nomique. Alors pourquoi tant de débats ? »

C’est évidemment la place spécifique du livre dans la diffusion de la culture savante qui est ici en jeu. Les universités ont besoin de valoriser le travail de leurs chercheurs : les travaux de recherche touchent peu de monde, mais ont un im-pact bien supérieur, qui ne se mesure pas

3es JOURNÉES DU RÉSEAU MÉDICI

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dination de plusieurs activités menées par des consortiums spécialisés : l’acqui-sition des revues et des archives (Cou-perin), l’accès et l’hébergement de res-sources numériques (Adonis, Inist), les dispositifs de signalement (Abes, Inist), les archives ouvertes (CCSd, Inria), la numérisation du patrimoine (Persée), l’archivage pérenne (Cines, BnF), l’édi-tion scientifique, la fourniture de docu-ments (Inist, Abes) et enfin la formation des chercheurs (Urfist). Il a également annoncé le projet de création d’un Col-lège de l’édition scientifique numérique ayant pour objectif de construire une édi-tion électronique durable, qui serait sanc-tionnée par un label pour les éditeurs qui respecteraient une charte des bonnes pratiques.

Formation, présentation de projets enthousiasmants, perspectives ouvertes, ces journées Médici sont chaque année une excellente occasion de rappeler que la recherche ne peut vivre qu’avec l’édi-tion, la diffusion et la circulation des connaissances. Et que les métiers de l’édition scientifique publique gardent une place déterminante pour faire vivre une édition de qualité, tant en mode im-primé que numérique. •

Hervé Le [email protected]

rielle. Ce que souligna ensuite Domi-nique Roux en présentant les usages de la TEI (Text Encoding Initiative) pour baliser les textes dans leurs diverses réa-lisations. Un tel balisage permet ensuite de proposer à l’écran des versions ordon-nées et annotées selon plusieurs angles de vue, tout en assurant le lien avec la copie image des sources originales. Il s’agit de réaliser un fichier balisé qui va produire plusieurs parcours et reconfi-gurations du texte. « La convergence numérique sur toute la chaîne du livre, depuis la saisie des sources et commentaires jusqu’à l’explosion des outils de lecture, per-met la multiplication des formes. En tant qu’éditeur, nous cherchons à développer une forme, une ergonomie, pour représen-ter tous les éléments et attributs, de sens comme de syntaxe, relevés par le chercheur et inscrits dans son balisage. Nous trans-formons les catégories de la recherche en formes éditoriales. »

Un schéma global

Tous ces projets éditoriaux méri-taient d’être ramassés dans un schéma global. Ce que fit Jean-Michel Henny en présentant la Bibliothèque scientifique numérique (BSN). Avec le numérique, les frontières des métiers et des fonctions se brouillent. La BSN est ainsi une coor-

Après avoir rappelé que Caen est placé sur la carte d’Europe du livre depuis le xve siècle, voire avant si l’on considère les manuscrits du mont Saint-Michel, il a présenté ce projet fédérateur autour du passage au numérique. Un projet qui comporte des aspects de recherche autant que d’application, ouvert sur le patrimoine et sur la « numérisation intel-ligente », c’est-à-dire susceptible d’appor-ter des compléments de contexte et des métadonnées aux fichiers numérisés.

Catherine Jacquemard, historienne, et Dominique Roux, directeur technique des Presses de l’université de Caen, ont su passionner le public en montrant l’enjeu du travail d’édition sur les textes anciens. L’édition de sources vise à pro-poser au lecteur une version lisible et intelligemment ordonnée des textes anciens. Nous ne connaissons les pro-ductions anciennes que par l’intermé-diaire de témoignages tous légèrement différents, ayant été copiés (et défor-més) les uns sur les autres. Le rôle du chercheur est alors de réordonner les fragments pour espérer retrouver au plus près le cours de pensée de l’auteur initial. Un travail qui a également besoin d’être explicité (quels sont les critères de choix) pour devenir compréhensible par les autres chercheurs. Dans ce domaine, nous avons un réel recouvrement entre l’édition scientifique et l’édition maté-

6e Journée sur le livre électronique (Couperin)

Cette journée, organisée par la Cellule e-books de Couperin (CeB), s’est tenue le 5 avril 2012 à la

Bibliothèque universitaire des langues et civilisations (Bulac). Son thème portait sur « l’intégration du livre électronique dans l’écosystème de l’établissement » : de quelles façons ce support s’articule avec l’environnement administratif, tech-nique et documentaire des établisse-ments.

La journée était organisée autour de séances plénières et de six ateliers. Un grand témoin, Hervé Le Crosnier (univer-

sité de Caen), était chargé de présenter et synthétiser les aspects les plus saillants des échanges. Signe de l’intérêt pour le sujet, près de 200 personnes s’étaient inscrites pour assister à ce programme prometteur 1.

1. La journée a été commentée par deux bloggeurs invités : Marlène Delhaye (http://marlenescorner.net) et Gaël Revelin (http://24hourlibrarypeople.wordpress.com).

Le livre électronique, définition et enjeux

Hervé Le Crosnier a débuté la jour-née en interrogeant la distinction entre « lecture attention » et « lecture dis-persion ». Livre papier et électronique sont-ils des médias concurrents ? Chaque support devient le véhicule privilégié d’un domaine éditorial : les manuels, les encyclopédies ou les œuvres du domaine public dans le cas des e-books ? Dans un contexte de « guerre des liseuses », l’ouverture des formats est un préalable

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à « jongler » avec les formats. L’e-book incite à créer des services pour répondre aux besoins qu’il engendre, principale-ment en termes de formation des per-sonnels ou du public. Stéphanie Gasnot (IEP Paris) a détaillé l’offre éditoriale de son établissement. Son intervention a abordé de nouveaux sujets, comme les licences nationales ou les difficultés cau-sées par le développement de l’électro-nique pour les centres d’acquisition et de diffusion de l’information scientifique et technique – Cadist (interdiction du PEB électronique).

Inventer de nouveaux accès

La seconde partie des séances plé-nières s’intitulait : « Plateformes mul-tisupports, portails et Discovery Tools (DT) : que reste-t-il du livre électro-nique ? ».

Annie Hélot (université de Caen, CeB) s’est prêtée à l’exercice délicat de présenter les travaux de Chérifa Bou-kacem (Urfist de Lyon) sur les DT. Ces derniers se situent à la confluence d’une réflexion englobant la gestion des collec-tions, des usages ou des outils documen-taires.

Une démonstration de la plate-forme Springerlink a montré l’impact de l’envi-ronnement technique sur le livre élec-tronique. L’unité de ce dernier disparaît après une interrogation par le moteur de recherche (affichage par chapitre).

Romain Le Nézet (Paris 3) et Chris-tophe Pion (Paris 7) ont présenté les outils documentaires de leurs établisse-ments. Le portail Primo du SCD Paris 3, mis en production en 2011, référence près de 125 000 ouvrages. Romain Le Nézet a insisté sur la nécessité d’articu-ler différentes méthodes pour signaler de façon exhaustive les collections élec-troniques : import XML, enrichissement de la base de connaissance… L’évolution vers Primo Central fait espérer une meil-leure exploitation des métadonnées, en dépit de difficultés (rigidité, interfaçage avec d’autres bases…).

Christophe Pion a présenté Summon, dont l’acquisition a permis de disposer d’une base de connaissance. Ses limites actuelles indiquent les marges d’évolu-tion : signalement des collections dépen-dant des fournisseurs, affichage mélan-geant livres électroniques et papier…

Pour conclure, une table ronde a résumé le contenu des ateliers. Hervé Le

Crosnier a souligné que le maître mot de la journée restera « complexe » et a relevé l’absence de la notion de « gratuité » dans les débats.

La CeB a mis en ligne les différents supports d’interventions 2, complétés par la publication prochaine d’un livre, élec-tronique, des actes de la journée. •

Sébastien [email protected]

2. www.couperin.org/fr/groupes-de-travail-et-projets-deap/ebook/journee-du-livre-electronique/item/955-6e-journee-sur-le-livre-electronique-avril-2012

indispensable au développement du marché. Pour ce qui concerne les biblio-thèques, la liberté de gestion est remise en cause (bouquets pré-paramétrés, archivage incertain, fichiers chronodé-gradables...). Par ailleurs, en lançant un service de prêt, Amazon devient-il « bi-bliothèque » ? Ce serait vite oublier les caractéristiques de cette dernière : anony-misation, pérennité des collections et in-tégration des savoirs. On en saurait donc trop peu sur le livre électronique pour le réglementer, mais il faut viser à maintenir la gratuité de l’accès à l’information.

Six ateliers pour un panorama des questions liées aux e-books

Guillaume Hatt (École nationale des chartes, CeB) a rappelé l’actualité et les interrogations autour du livre électro-nique, ce qui était l’objet des ateliers :• Son encadrement juridique est mou-vant (loi sur le prix unique et réduction du taux de TVA). Par ailleurs, la question des marchés publics se pose avec insis-tance.• La médiation du livre est modi-fiée. Quelle forme prend-elle à l’ère du web 2.0 (annoter, partager...).• Son signalement en bibliothèque dépend des outils disponibles sur le mar-ché. Un retour d’expérience de l’École po-lytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) complétait cet atelier.• Les tablettes numériques permettent l’arrivée de nouveaux services, mais les contraintes causées par des systèmes propriétaires demeurent.• L’édition pédagogique est extrême-ment variée. Quelle offre pour les biblio-thèques dans l’achat de manuels électro-niques ?• Les DRM cherchent à éviter le pira-tage, mais sont contournées. Le remède n’aggrave-t-il pas le mal ?

Un bouleversement des politiques documentaires ?

Pierre-Yves Cachard (université du Havre) a expliqué les raisons de son choix pour le développement d’une offre d’e-books et pour l’acquisition titre à titre. Principaux inconvénients : le coût et les DRM. Ces dernières sont un obstacle à la consultation, obligeant les lecteurs

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repenser leurs services et à prendre en compte les nouvelles formes culturelles.

Bernard Krespine, conservateur à la Bibliothèque nationale de France (BnF), illustre ces propos en présentant Sind-bad, le service d’information des biblio-thécaires à distance de la BnF 3. Ce ser-vice de questions-réponses devient la vitrine de la bibliothèque et constitue une valeur ajoutée aux missions tradition-nelles : prendre en compte les nouvelles pratiques, valoriser les ressources des bibliothèques et contribuer à la formation continue des professionnels. Les ser-vices de ce type mobilisent des savoirs (transdisciplinaires, émergents), des savoir-faire (méthode, catalogues) et des savoir-être (relation avec l’usager, déon-tologie).

Sindbad est donc un service person-nalisé à destination des usagers, qui a pour objectif de valoriser un savoir-faire en matière de recherche d’informations. Le professionnel répond dorénavant aux questions exclusivement par inter-net : « Le web n’est pas une succession de documents mais devient un seul et même document sur lequel on peut travailler. La bibliothèque s’ouvre sur le web comme une encyclopédie où il faut à chaque fois savoir s’orienter et analyser les résultats de la recherche. » La bibliothèque est aussi productrice d’informations (site web, ateliers d’écriture), tandis que les usa-gers peuvent enrichir certains contenus (notices, tags, blogs). L’open access offre aussi de nouveaux modes de production, de diffusion et d’accès à l’information (par le biais de revues scientifiques par exemple).

Le rôle socioculturel

La bibliothèque en tant que source d’information occupe une place privilé-giée et doit répondre aux attentes des usagers grâce au web, à la variété des

3. www.bnf.fr/fr/collections_et_services/poser_une_question_a_bibliothecaire/a.sindbad_votre_question.html

collections, des supports, des actions culturelles et des services adaptés aux évolutions de la société. La Charte des bibliothèques souligne le rôle majeur des bibliothèques dans l’accès, la transmis-sion et la médiation des savoirs (héritage et appropriation du contemporain) de façon continue et diversifiée selon les be-soins. La bibliothèque s’inscrit ainsi dans une démarche de démocratisation et de diversité culturelle. Comment retrou-ver la mémoire dispersée (destructions, guerres) ? Les expériences d’Hala Bizri, bibliothécaire au Liban, et de Franck Michel, créateur d’une bibliothèque à Bali, garantissent un accès au patrimoine local, en sauvegardant les livres oubliés ou censurés. L’ailleurs, les formes mar-ginales et novatrices telles que les livres d’artistes, les bandes dessinées ou les séries télévisées ont d’ores et déjà leur place en bibliothèque.

La bibliothèque favorise un accès élargi aux biens culturels, à l’informa-tion, et à des services « accessibles à tous, sans distinction d’âge, de race, de sexe, de religion, de nationalité, de langue ou de condition sociale 4 ». En prolongement de la déclaration de l’Unesco, Dominique Tabah, directrice des bibliothèques de Montreuil, lance un défi : « 100 % de la population peut avoir besoin à un moment ou à un autre de sa bibliothèque et doit donc pouvoir bénéficier de ses services. » De ce fait, la conquête d’usagers non-francophones passe par une communi-cation multilingue afin de favoriser les échanges. La médiathèque de Bobigny a par exemple créé un guide des lecteurs multilingue, et catalogue en bilingue les champs titre-auteur des livres en arabe. Cela permet aux populations migrantes de garder un lien avec leur langue, mais aussi de mieux connaître les autres cultures (classiques traduits).

Même si les statistiques en biblio-thèque (nombre de prêts, nombre d’ins-crits) sont d’une utilité incontestable,

4. Manifeste de l’Unesco sur la bibliothèque publique, 1994 : www.unesco.org/webworld/libraries/manifestos/libraman_fr.html

Des lieux de savoir en perpétuelle évolution

La journée d’étude intitulée « Biblio-thèque et transmissions des savoirs aujourd’hui : pour une éthique

des savoirs créatifs ? 1 », organisée par Médiadix, l’Institut Charles Cros et le Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines, le 4 mai 2012, a tenu toutes ses promesses. La pluralité des expériences associant les professionnels de bibliothèque et les chercheurs ont permis au public d’aborder les lieux de savoir en perpétuelle évolution. Du codex à internet, quels sont les savoirs trans-mis par les bibliothèques ? Le numérique et les réseaux invitent à reformuler la question de la transmission, de la créati-vité et du lien social. Comment conserver et transmettre les formes traditionnelles et modernes de l’information, de l’écrit au numérique, d’une œuvre stable à des formes culturelles multiples et fluc-tuantes ?

Robert Damien, professeur à l’uni-versité de Nanterre, définit les trois actes constitutifs de « l’éthique politique de la république : l’échange, le prêt et la lecture dans un lieu public de service ». Il rappelle que « la bibliothèque virtuelle, loin d’inva-lider la matrice bibliothécaire, en augmente les puissances 2 ». Effectivement, internet offre chaque jour de nouveaux contenus et outils. L’articulation entre espace phy-sique et virtuel induit une nouvelle pers-pective : comment partager des savoirs localement et à distance ? Sylvie Ducas, maître de conférences à l’université de Nanterre, insiste sur la nécessité pour les bibliothèques de se réinventer face aux savoirs « googlisés, amazonisés », et aux ressources numériques démultipliées sur internet. Ces phénomènes bouleversent les manières de voir, de penser et de créer. Ils conduisent les bibliothèques à

1. Programme : http://mediadix.u-paris10.fr/brochure/documents/bibsavoirs2012.pdf2. Voir notamment la conférence « Quel sens pour l’action culturelle en bibliothèque ? » donnée à l’Association des directeurs de bibliothèques départementales de prêt (2005) : www.adbdp.asso.fr/spip.php?article467

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elles ne donnent qu’une image partielle de ces services en laissant de côté le rôle social. Il faut rappeler que la bibliothèque est avant tout un passeur, où circulent les idées et les langues. Ouverte sur le monde et l’actualité, elle réaffirme son rôle socioculturel : c’est un lieu de vie, de

découverte, de rencontre, d’échange, de sociabilité, de loisirs, de formation et de partage, mais aussi un service de proxi-mité au cœur de la ville. En conclusion, Sylvie Dallet, professeur des universités, chercheuse au Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines, précise

que « les savoirs buissonnants en biblio-thèque sont fondamentaux : créer permet d’accepter et de résister [aux contraintes locales, budgétaires du réel] ». •

Céline [email protected]

tion des difficultés d’essor de l’édition en Afrique francophone depuis les indépen-dances. Si la moyenne des titres produits chaque année par million d’habitants n’a cessé de diminuer, la seconde moitié des années 1990 constitue une période où un frémissement se fait sentir et où s’opère une véritable éclosion de nouvelles struc-tures éditoriales à travers l’Afrique, et ce en dépit des nombreuses entraves : au-delà de la concurrence des éditeurs du Nord, difficile de ne pas faire cas de l’exi-guïté des marchés et de la faiblesse/ ab-sence de soutiens étatiques à la filière du livre dans de nombreux pays. Dans un tel contexte, le numérique offrirait des pistes intéressantes pour la filière du livre en Afrique.

Parmi les structures nées au cours des deux dernières décennies, les édi-teurs de jeunesse figurent en bonne posi-tion, comme l’évoqua Viviana Quiñones (La joie par les livres, BnF). « Quand on dit en Afrique “le livre de jeunesse” on pense surtout au livre scolaire », expliquait la bibliothécaire. Un secteur scolaire dans lequel les éditeurs africains par-viennent progressivement à capter des marchés publics à travers des appels jusqu’à il y a peu intégralement mono-polisés par des structures françaises. « Quels sont les livres de jeunesse que l’on trouve en Afrique ? » : si la majorité des ouvrages disponibles sont publiés en France (ces titres prédominent dans les librairies comme dans les bibliothèques), les éditeurs continentaux proposent au-jourd’hui des ouvrages de grande qualité et une belle diversité de thèmes. Viviana Quiñones n’oublia pas de soulever la question de l’édition en langues afri-caines : « L’accès au plaisir de lecture, qui n’est pas aisé dans sa langue maternelle, l’est encore moins dans une langue que l’on ne connaît pas bien. » Une difficulté qui

peut être surmontée grâce à la médiation du bibliothécaire.

Ce propos faisait écho à la communi-cation de Marie-France Blanquet (maître de conférences en sciences de l’informa-tion, IUT Métiers du livre, Bordeaux) qui intervint sur les « lieux du livre en Afrique francophone : bibliothèques et librai-ries ». Dans une Afrique où le livre existe historiquement à travers des manuscrits aussi remarquables que les collections patrimoniales de Tombouctou, les es-paces de consultation et de vente du livre demeurent encore trop rares, déplorait-elle. Pour autant, « les populations liront-elles davantage parce qu’elles auront des bibliothèques numériques plutôt que des bibliothèques physiques ? »

Pour clore la matinée, Alain Ricard (directeur de recherche au CNRS, Bor-deaux) choisissait de s’intéresser au rapport entre oralité et écriture, dans le cadre d’une réflexion intitulée « Culture de la voix et chaîne du sens ». Selon lui, l’importance réside plus dans le discours que dans sa forme : un manuscrit peut très bien appartenir à l’univers de l’ora-lité, alors que certaines représentations orales peuvent, elles, répondre aux codes de la littérature « écrite ».

Écrivains africains, regards africains

C’est par visioconférence que Chan-tal Stoïchita de Granpré (Bibliothèque francophone multimédia de Limoges) intervenait depuis la Haute-Vienne sur le projet d’acquisition des manuscrits de l’écrivain congolais Sony Labou Tansi. Elle décrivit à l’assistance l’importance de la sauvegarde du fonds et les moyens mis en œuvre pour le rassembler afin « de le conserver dans de bonnes condi-

Le livre en Afrique francophone

La Bibliothèque nationale de France (BnF) accueillait, le 15 mai 2012, son 31e « atelier du livre », dans le cadre

de la programmation de journées d’étude consacrées à « l’histoire du livre et son univers contemporain ». La rencontre avait pour thème « Le livre en Afrique francophone ». Gérald Grunberg (délé-gué aux relations internationales de la BnF) inaugurait la journée en rappelant le travail de valorisation des collections africaines mené par la BnF, et soulignait l’enjeu croissant du numérique pour la circulation de l’information et l’accès à des collections dématérialisées. Il pré-senta deux actions menées par la BnF : grâce à une loi récemment votée par le Parlement, la numérisation d’ouvrages africains présents à la Bibliothèque prendra effet à partir de 2013, pour une mise en ligne qui sera pleinement opé-rationnelle en 2014 ; la seconde action concerne le programme de conférences de lecture initié avec l’aide de l’Institut français et de plusieurs bibliothèques nationales de pays africains franco-phones : des lectures et conférences qui seront enregistrées et accessibles en ligne sur le Réseau francophone numé-rique 1, dont l’ambition est de constituer une galerie sonore des écrivains franco-phones contemporains.

L’essor de l’édition en Afrique francophone

Luc Pinhas (maître de conférences à l’université Paris 13 et vice-président de l’Alliance internationale des éditeurs indépendants) ouvrait ensuite la session, en entretenant l’assistance sur la ques-

1. www.rfnum.org

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Notre collection montre aussi l’autre face de l’Afrique : une Afrique riche, moderne, dynamique » termina-t-elle.

L’ultime intervention aura brillam-ment conclu la série d’exposés. Mama-dou Aliou Sow (directeur général de Soprodiff en Guinée) est intervenu sur le thème de « L’édition africaine fran-cophone aujourd’hui : contraintes et opportunités ». « Je ne suis pas sûr que l’on puisse vraiment parler de l’édition francophone africaine en tant que telle […]. On a souvent tendance à globaliser les pro-blèmes lorsque l’on parle de l’Afrique. Il est évident que l’Afrique est un continent et un ensemble de pays, avec des réalités quelque-fois extrêmement contrastées », commen-çait-il. L’éditeur construisit ensuite sa réflexion en décrivant les contraintes que rencontrent les éditeurs africains, avant d’évoquer certaines pistes existantes ou à envisager. En mettant l’accent sur la question des politiques nationales et in-ternationales du livre et de leur influence sur la structuration du tissu éditorial africain, Mamadou Aliou Sow souligna l’absence de reconnaissance des textes existants, ou encore la faiblesse de l’accompagnement des législations en vigueur, des faiblesses qui n’aident pas à la constitution d’un environnement légal structurant pour les éditeurs.

Concernant les opportunités, il mit en avant les enjeux de l’édition dans les langues transfrontalières, dont certaines se situent à l’intersection de pays fran-cophones, anglophones et lusophones. Enfin, M. Aliou Sow souligna le problème des réseaux de distribution : « Il y a beau-

tions », des conditions de préservation suffisantes n’étant pas encore présentes en République du Congo. À terme, il s’agira de numériser et de mettre les ressources à la disposition des cher-cheurs sur un site web en accès libre. Un tel accès offrira, selon elle, de nouvelles perspectives de recherche en Afrique, par exemple dans le cadre des études géné-tiques.

Les deux dernières interventions individuelles apportaient des regards africains sur les problématiques étudiées au cours de la journée. Alors que Viviana Quiñones avait abordé la question de la littérature d’enfance et de jeunesse, Méliane Kouakou Yao (directrice de la collection « Adoras » aux Nouvelles Édi-tions ivoiriennes) a apporté l’exemple d’un véritable succès d’édition populaire en Afrique, avec la collection « Adoras ». Cette collection de romans sentimen-taux africains, où les personnages sont africains et où les intrigues se déroulent en Afrique, revendique sa dimension pédagogique en abordant de nombreux thèmes de société (le sida, la drogue en milieu scolaire, la prostitution, le pro-blème des filles-mères, l’exode rural, la stérilité en Afrique, la tricherie en milieu scolaire, l’excision, la polygamie, le déca-page de la peau, le calvaire des veuves en Afrique, etc.). Du haut de ses qua-torze ans d’existence, « Adoras » reven-dique quelque 78 titres tirés entre 5 000 et 10 000 exemplaires, et vendus au prix de 1 500 francs CFA. « On a trop long-temps dépeint l’Afrique comme un conti-nent de tous les maux, avec misérabilisme.

coup d’efforts qui sont faits par les organi-sations professionnelles, et si les États ne font rien, il faut savoir que des associations africaines, notamment l’APNET, Afrilivres, ou la Panafrican Booksellers Association, œuvrent au rapprochement des éditeurs à travers le continent. »

La journée s’acheva par une table ronde intitulée « Quel avenir pour le livre africain ? Comment venir à bout des obstacles et satisfaire un lectorat très de-mandeur ? » qui réunissait Bernard Ma-gnier (directeur de la collection « Lettres Africaines » chez Actes Sud), Méliane Kouakou Yao et Mamadou Aliou Sow. La discussion aura donné lieu à un intéres-sant échange sur la question de l’orien-tation des catalogues, des normes et des publics cibles, mais aussi de la concur-rence en Afrique entre éditeurs français et éditeurs africains, ou encore des en-jeux des coéditions. Sur ce dernier point, c’est une intervention de Luc Pinhas qui clôturera la journée : « Je remercie un édi-teur comme Actes Sud et Bernard Magnier de jouer le jeu de la cession de droits à des prix solidaires, pour que les éditeurs du Sud puissent réaliser ce type de coéditions. Mal-heureusement, les éditeurs français, pari-siens, sont encore trop rares à jouer ce jeu qui constitue une amorce pour accoutumer les éditeurs africains à travailler ensemble et à susciter d’autres coéditions, et peut-être aussi des nouveautés et plus seulement des ouvrages d’auteurs africains qui ont été pu-bliés à Paris. » •

Raphaël [email protected]

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a justement concentré son étude sur ces pratiques informationnelles des jeunes sur internet. Elle note qu’une majorité d’entre eux confond rapidité d’accès à l’information et compétence à recher-cher cette information. Or, on remarque que c’est l’investissement personnel dans le traitement de l’information qui permet de développer l’autonomie et de s’approprier une culture. De ce fait, la mise en œuvre de méthodes de tra-vail et de recherche par les médiateurs s’avère difficile, car leur rôle est d’autant moins compris que les jeunes ont déjà un accès privé à internet. C’est pourquoi beaucoup distinguent leurs recherches personnelles de celles demandées par l’école. Sortir de cette dichotomie loi-sir/ apprentissage permettrait de prendre en compte la personnalité du jeune dans son ensemble.

D’où l’intérêt manifesté par Véro-nique Drai-Zerbib, docteur en psycho-logie cognitive, d’analyser la nature des compétences mobilisées par la lecture sur écran. Guidée par des facteurs de bas niveau comme les couleurs et des facteurs de haut niveau (tâche à faire, connaissance préalable), celle-ci est mul-timodale. Cependant, plus la tâche est cognitive, moins le facteur visuel compte. La navigation sur le web n’est donc pas une lecture superficielle : elle dévelop-perait des compétences nécessaires à la prise de décision et à la résolution de tâches complexes.

Acquis à cette idée, Pascal Coten-tin, inspecteur d’académie, voit d’abord dans le numérique l’intérêt de motiver tous les élèves en impliquant aussi ceux qui se mettent habituellement en retrait. L’objectif que vise le CRDP 1 de Versailles est donc l’accès à une culture numérique approfondie pour tous au moyen d’ac-tions Tice 2 : mutualiser, échanger, parta-ger, former… les enseignants, les élèves, mais aussi les parents, à l’usage des

1. Centre régional de documentation pédagogique.2. Technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement.

outils numériques, tant il est vrai que ces derniers sont souvent suspicieux quant à cet usage.

Un constat relevé par Michael Stora, psychologue-psychanalyste, pour qui la culture numérique serait considérée comme une contre-culture, dangereuse, par rapport à l’image « vraie » que consti-tuerait la télévision. Or, il nous explique que les jeunes ne sont pas dupes du Net, royaume du second degré et du faux. En effet, en jouant avec l’image, ils la relati-visent. La question est donc plutôt celle du fossé générationnel qui s’installe au-tour des écrans : blogs, réseaux sociaux, jeux vidéo utilisés comme espaces de construction identitaire. Ainsi, diabolisé par les adultes qui le soupçonnent de rendre les jeunes passifs, le numérique apparaît-il comme un lieu de transgres-sion, instrument de la crise émancipa-trice de l’adolescent. Mais nuançons… En effet, d’une certaine manière, le jeu vidéo, par la création d’avatars, autorise l’adolescent à être un autre et à redeve-nir acteur d’une image. En outre, devoir élaborer des stratégies pour avancer dans le jeu oblige à avancer en perdant. Or en perdant, on apprend à gagner. Et quand on sait qu’« il n’y a pas d’appren-tissage sans expérience hédonique », pour-quoi craindre le numérique dans la vie des jeunes ? Ainsi, si l’addiction aux jeux numériques, qui demeure un phéno-mène minoritaire, peut inquiéter, doit-elle empêcher leur introduction à l’école ? •

Marie-Agnès [email protected]

Les jeunes et les inégalités numériques

L’association Lecture Jeunesse orga-nisait à la mairie du 10e arrondis-sement de Paris, le jeudi 7 juin

2012, un colloque intitulé « Les jeunes et les inégalités numériques ». Sonia de Leusse – Le Guilloux, directrice de l’association, a ouvert la discussion par cette question : « Peut-on parler d’une “fracture numérique” au sein des adoles-cents et jeunes adultes ? » Six invités sont intervenus pour tenter d’y répondre en abordant tous les aspects du problème, socio- économique, éducatif, scientifique et psychologique.

Élie Maroun, chargé de mission national à l’ANLCI (Agence nationale de lutte contre l’illettrisme), a tout d’abord rappelé que la compétence numérique était l’une des compétences-clés définies en France et au niveau européen pour l’éducation et la formation tout au long de la vie. Outre la lecture, l’écriture et le calcul, faire face de manière autonome à des situations simples de la vie courante requiert l’utilisation des TIC (technolo-gies de l’information et de la communi-cation). Celle-ci demeure néanmoins un frein à l’apprentissage pour une mino-rité de la population européenne qui n’a pas ces compétences de base. L’usage comme les conditions d’accès au numé-rique sont à prendre en compte dans des actions de partenariat avec les parents, l’éducation, les associations.

Selon Gérard Valenduc, docteur en informatique aux FUNDP (Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix), ce phénomène de frein à l’intégration sociale chez les jeunes s’explique par une situation précaire, une situation fa-miliale difficile, des parents éloignés de la culture numérique… qui rendent son accès compliqué et ses usages peu éten-dus. Par ailleurs, il existe un fossé entre l’usage du numérique fait par les jeunes, centré sur les échanges conversationnels et les jeux, et les attentes du marché du travail et de la société nécessitant de sa-voir décrypter le monde de l’information et de la culture.

Karine Aillerie, docteur en sciences de l’information et de la communication,

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est désormais sans adresse, son implan-tation n’est plus définitive dans un lieu, mais elle peut bouger selon les besoins de l’usager.

La bibliothèque de la FMSH, pré-sentée par Martine Ollion, est un bon exemple de ces mouvements de col-lections, puisque la salle de lecture est située à Paris, et les magasins à Charen-ton. Ces deux sites étaient d’ailleurs pro-posés à la visite à la fin de ces journées professionnelles.

Mais, pour Martine Ollion, il faut rendre encore plus dynamique la gestion des collections pour accompagner les chercheurs de la FMSH. L’usager joue un rôle déterminant : pour Lluís Anglada i Ferrer, directeur du Consortium des bi-bliothèques universitaires de Catalogne, le document doit voyager pour aller vers l’utilisateur et plus l’inverse. Depuis fin 2011, un prêt universitaire consortium (PUC) gratuit a ainsi été mis en place au sein de ce consortium, avec l’utilisation de la messagerie privée pour la fourni-ture des documents et la fin du rôle d’in-termédiaire des bibliothèques pour les demandes, ce qui a provoqué de nom-breuses questions dans l’assistance.

La gestion des collections numé-riques a également été abordée dans ces journées avec l’intervention de Thomas Parisot pour Cairn et de Nathalie Fargier pour Persée.

Accompagner la gestion dynamique des collections

La question des moyens d’accompa-gnement de la gestion dynamique des collections et de la fourniture des docu-ments à distance était au centre de la journée du 8 juin.

Jean-Louis Baraggioli, directeur du CTLes, a présenté cette institution qui peut désormais être considérée comme un acteur, plus qu’un outil. En effet, le CTLes joue toujours un rôle central au

service des bibliothèques de la région pour le dépôt ou la cession de collec-tions variées, mais il a développé diffé-rents types d’actions et de partenariats pour répondre aux besoins, comme, par exemple, la participation au plan de conservation partagée des périodiques de médecine et l’amorce d’une collabo-ration avec un certain nombre de centres d’acquisition et de diffusion de l’informa-tion scientifique et technique (Cadist).

Confronté à des problèmes de place, le CTLes va bénéficier d’une nouvelle extension en 2015, avec en contrepartie la nécessité de mettre en place une poli-tique documentaire en lien avec les éta-blissements.

La fourniture des documents à dis-tance, c’est aussi le PEB dont la moder-nisation a été évoquée par Raymond Bérard, directeur de l’Agence bibliogra-phique de l’enseignement supérieur (Abes) ; une convergence entre l’Abes et l’Inist-CNRS devrait en effet permettre cette modernisation avec le rapproche-ment des deux opérateurs. Un groupe de pilotage est en cours de constitution et se réunira à la rentrée.

Reprécisant le contexte général dans lequel se situe la gestion dynamique des collections, Michel Marian, chef de mis-sion de la MISTRD, a souhaité évoquer l’implication du ministère sur ce sujet, en insistant sur quatre aspects :• le soutien apporté au CTLes dans sa dimension nationale de plus en plus marquée, par exemple dans le cadre de la conservation des collections papier Else-vier ;• la conservation partagée des docu-ments physiques, avec notamment une mission confiée à l’Inspection générale des bibliothèques sur l’analyse des plans de conservation partagée existants et des projets de sites de conservation par tagée ;• le soutien au développement des collections numériques comme Persée et Revue.org et l’acquisition d’archives numériques ;

Journées professionnelles du Centre technique du livrede l’enseignement supérieur

Les 3es Journées professionnelles du Centre technique du livre de l’ensei-gnement supérieur (CTLes) se sont

déroulées les 7 et 8 juin derniers à Paris, hébergées par la Fondation Maison des sciences de l’homme (FMSH).

La question de « la gestion dyna-mique des collections et la fourniture de documents à distance » était le thème retenu cette année. Après une brève introduction de ces journées par Michel Wieviorka, administrateur de la FMSH, plusieurs intervenants se sont succédé, permettant d’esquisser les contours de la gestion dynamique des collections.

Les multiples aspects de la gestion dynamique des collections

Un problème crucial de place lié à des travaux semble souvent être le point de départ de la mise en œuvre d’une ges-tion dynamique des collections, comme à la BIU Sorbonne dont le projet « Sor-bonne 2013 » a été présenté par Géraldine Péoc’h. Mais elle peut rapidement deve-nir un véritable outil de gestion, permet-tant de gérer l’accroissement et le stoc-kage (Jean-Claude Albertin, Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne).

À l’inverse, pour le projet de grand équipement documentaire du campus Condorcet (Odile Grandet), la gestion dynamique des collections a été intégrée dès la programmation en s’appuyant sur le CTLes dans sa deuxième phase, avec une notion rénovée de stockage distant qui permette du flux. Car c’est bien le flux qui semble désormais caractériser les collections même si cette notion est assez ancienne puisque développée en son temps par Eugène Morel 1. Le livre

1. Eugène Morel, Bibliothèques : essai sur le développement des bibliothèques publiques et de la librairie dans les deux mondes, Mercure de France, 1909.

86 bbf : 2012 t. 57, no 5

• l’acquisition mutualisée des res-sources par les Cadist et la modernisa-tion de la fourniture de documents à distance dans le cadre de la Bibliothèque scientifique numérique (BSN8).

Répondant à une question sur le lien entre collections physiques et collec-

tions numériques, M. Marian a affirmé qu’il fallait commencer à réfléchir sur la nécessité d’organiser la conservation partagée et dynamique des docu-ments numériques, dévoilant ainsi le thème des journées 2013 du CTLes. C’est en tant que président du conseil

d’administration du CTLes que Benoît Lecoq a conclu ces journées avant les visites de l’après-midi proposées aux par-ticipants. •

Odile [email protected]

ont vu leurs publics et leurs missions évoluer. Alors qu’au départ les Urfist avaient une mission de formation à la RDI (recherche documentaire informati-sée) pour les personnels de bibliothèque, médiateurs entre les bases de données et les chercheurs, elles ont aujourd’hui pour public majoritaire les doctorants.

Par ailleurs, l’évolution des interfaces permettant à l’usager d’interroger lui-même les bases de données depuis chez lui via internet, les Urfist ont vu émerger des besoins nouveaux chez les publics : on est passé de l’acquisition de compé-tences en documentation à la maîtrise de l’information. Quel avenir cependant pour les Urfist ? Structures interuniver-sitaires dotées de missions interrégio-nales, en même temps rattachées à une université, elles s’intègrent mal dans la loi LRU. Le chantier de la Bibliothèque scientifique numérique (BSN)1 permet-trait de les recentrer sur leurs missions de base.

Pierre-Yves Cachard, directeur du SCD du Havre et animateur de la « Com-mission pédagogie universitaire et docu-mentation » au sein de l’ADBU (Asso-ciation des directeurs et personnels de direction des bibliothèques universitaires et de la documentation), a présenté un état des réflexions de l’association autour de la formation à l’information. L’engage-

1. http://cleo.cnrs.fr/974

ment de l’ADBU dans ce domaine s’ins-crit dans le contexte de la réforme des universités, avec la LRU qui a conduit à un affaiblissement des SCD dans la stra-tégie des établissements, du développe-ment des projets de Learning Centers, et de la question de la rénovation pédago-gique des universités.

L’ADBU a engagé plusieurs dé-marches : d’abord, une étude sur les projets de Learning Centers ; ensuite, un travail de lobbying en lien avec les autres associations professionnelles, notam-ment auprès de la CPU (Conférence des présidents d’université), sur la question des formations. L’arrêté du 1er août 2011 relatif à la licence est en ce sens un élé-ment favorable pour les bibliothèques universitaires, la maîtrise de l’informa-tion étant ici considérée comme une science auxiliaire et un savoir capitali-sable participant à l’adaptation à la vie professionnelle des étudiants. Enfin, l’ADBU a élaboré un référentiel de com-pétences dépassant le cadre strict des compétences documentaires pour se fonder sur les compétences information-nelles.

Pierre-Yves Cachard a proposé une réflexion sur les évolutions nécessaires des dispositifs de formation, en pré-conisant une réforme en profondeur du modèle pédagogique d’établisse-ment français traditionnellement basé sur le modèle top-down. Le concept du Learning Center permettrait un renou-

Quels obstacles à la formation à l’information ?

Les 12es Rencontres Formist se sont déroulées le 12 juin dernier à l’ Enssib sur le thème « Quels obs-

tacles à la formation à l’information ? ». Dans son introduction à la journée, Anne-Marie Bertrand, directrice de l’Ens-sib, a présenté Formist et souligné l’ap-parition d’initiatives nouvelles en matière de formation des usagers.

Le paysage de la formation à l’information : ce qui a changé

Élisabeth Noël, responsable du ser-vice « Diffusion des savoirs » et de For-mist à l’Enssib, a retracé les évolutions de la formation à l’information des an-nées 1970 à nos jours, selon différents axes : les technologies, les évolutions de l’Université, les bibliothèques, et enfin la formation documentaire.

Ces évolutions ont bien sûr un im-pact sur les acteurs et les institutions, comme c’est le cas pour les Urfist (uni-tés régionales de formation à l’infor-mation scientifique et technique) dont Michel Roland (Urfist de Nice) a dressé un panorama. Mises en place en 1982 en tant qu’unités régionales et interuni-versitaires, elles sont le lieu de rencontre entre deux cultures universitaires, celle des bibliothécaires et celle des ensei-gnants-chercheurs. Ces établissements

12es RENCONTRES FORMIST

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complément du tutoriel Form@doct 2 (Formation à distance en information documentation pour les doctorants). Les actions de formation à l’information ont toutefois inévitablement été confrontées à des obstacles : questions de calendrier, retours aléatoires des enseignants sur les contenus des formations, manque de for-mateurs.

De leur côté, Damien Laplanche (SCD de Strasbourg) et Marie-Pierre Thévenot (SCD de Haute-Alsace) ont présenté l’expérience alsacienne de for-mation des usagers, en particulier les réalisations communes entre quatre partenaires : l’université de Haute-Al-sace, l’université de Strasbourg, la Biblio-thèque nationale et universitaire de Stras-bourg, l’Urfist de Strasbourg, qui ont constitué un groupe de travail autour de la formation des usagers : GTFU Alsace. Deux outils ont été élaborés au sein de ce groupe de travail : le premier, la « mal-lette du formateur », a pour objectif de partager les documents de formation de l’ensemble des collègues de ces éta-blissements dans une base commune. Le second permet d’estimer le temps nécessaire à l’organisation et l’animation d’une formation, et donc de nourrir la ré-flexion autour du coût d’une formation et de l’estimation de la charge de travail. Le GTFU va amorcer d’autres projets : éla-boration d’un questionnaire d’évaluation automatique des formations, création d’un atelier de retour d’expérience, mise en place d’une veille sur les tutoriels.

2. http://guides-formadoct.ueb.eu

vellement dans ce domaine. Il faudrait favoriser une interactivité maximale entre l’enseignant, l’étudiant et les ressources mises à disposition ; la place du biblio-thécaire serait alors celle de médiateur auprès des étudiants et des enseignants. Pierre-Yves Cachard souligne un change-ment de périmètre important : l’étudiant est amené à acquérir une double com-pétence, de recherche et de production (Literacy) ; l’enjeu des projets de Learning Centers est alors de viser la maîtrise de la recherche et la maîtrise de la production de l’information dès la licence.

La formation des étudiants en action : retours d’expérience

L’après-midi a été consacré à la pré-sentation de retours d’expériences faites dans différents établissements en ma-tière de formation des étudiants.

Anne-Céline Dubois, du SCD Rennes 1, a évoqué les actions de la for-mation à l’information dans son établis-sement. Les formations assurées par le SCD se sont mises en place relativement tardivement, mais elles sont désormais inscrites dans les cursus universitaires. Autre réussite : la mise en place de ré-seaux et de mutualisations, en interne au niveau licence (Plan licence), et à l’échelle régionale pour le niveau D avec le Collège doctoral international et les écoles doctorales de Bretagne, qui ont été les partenaires des SCD des univer-sités de Bretagne, pour concevoir des séminaires de formation sur place, en

Dernier retour d’expérience : la for-mation des usagers au SCD Lyon 2, qui s’articule de manière étroite avec le service de questions-réponses Biblio-thécaires en ligne (BEL)3, comme l’a souligné Christelle Caillet. Dans cet éta-blissement, la formation des usagers existe de manière structurée depuis 2001 et cible tous les niveaux de formation et toutes les disciplines. La plupart des for-mations sont dispensées hors cursus. De son côté, le service BEL a été créé en 2008, suite à la nouvelle organisation de la bibliothèque. Il s’est constitué sur la base de volontaires qui appartenaient au service formation, puis s’est ensuite étoffé. Il existe une complémentarité et une continuité entre ces deux services (démarche pédagogique, objectifs).

En conclusion, en dépit d’obstacles réels à la formation à l’information, de nombreuses opportunités s’offrent aux bibliothèques pour inscrire et rendre visibles leurs actions de formation au sein des instances universitaires. Cela nécessite une collaboration étroite entre acteurs universitaires et professionnels des bibliothèques. Or, le modèle des Learning Centers permettrait de réduire les frontières entre enseignement et do-cumentation, comme le soulignait Pierre-Yves Cachard lors de son intervention. •

Cécile [email protected]

3. www.univ-lyon2.fr/documentation/www3-bel-bibliothecaires-en-ligne-422454.kjsp

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le monde de la recherche, on se prend à parler anglais, et les SHS se font Digital Humanities. À charge pour les BU de pro-mouvoir archives ouvertes et d’accompa-gner les chercheurs dans la valorisation en ligne de leurs travaux.

Pour mieux connaître les pratiques informationnelles des chercheurs, une étude a été menée il y a quelques mois par l’Urfist de Nice 2 – les résultats font l’objet d’un chapitre spécifique dans l’ouvrage collectif Pratiques documentaires numériques à l’université 3, dont Annaïg Mahé (Urfist de Paris) a présenté une synthèse. Soulignant l’utilisation crois-sante de Google par les chercheurs, elle a pointé le déficit de relations chronique entre universitaires et professionnels de la documentation et des bibliothèques.

À ce propos, Caroline Abéla s’est appuyée sur son expérience de documen-taliste dans une unité mixte de recherche du CNRS 4 pour dresser un panorama des services de l’information scientifique et technique (IST) susceptibles d’être proposés aux équipes de laboratoires. Elle a identifié trois types de besoins pour les chercheurs : (1) une accessi-bilité en ligne rapide de la documenta-tion ; (2) être lu, cité et bien évalué ; (3) monter des projets de recherche sur des temps relativement courts. À cela, elle propose trois types de réponse : (1) per-mettre l’accès à une documentation en ligne ; (2) la valorisation des publications (dépôt en archives ouvertes) ; (3) l’ac-compagnement des projets de recherche. Sur ce dernier point, par exemple, les do-cumentalistes du centre de documenta-tion Regards proposent la mise en ligne

2. Les résultats de l’étude ont été présentés sous forme de diaporama lors des Universités d’été du Cléo en 2011 et sont disponibles en ligne : http://urfist.unice.fr/2011/12/02/epi-enquete-sur-les-pratiques-informationnelles-des-chercheurs3. Ghislaine Chartron, Benoît Epron et Annaïg Mahé (dir.), Pratiques documentaires numériques à l’université, Villeurbanne, Presses de l’Enssib, coll. « Papiers », 2012.4. Le centre de documentation Regards (www.regards.cnrs.fr) est une composante de l’UMR ADES (Aménagement, développement, environnement, santé et sociétés) du CNRS.

des carnets de recherche sur le site Hy-potheses.org 5 et guident les chercheurs dans cette démarche.

Tout au long de la rencontre, la ques-tion de la formation des chercheurs est revenue de manière récurrente. Marie-Laure Malingre (Urfist de Rennes) et Christophe Berthelot (SCD Rennes 2), ont présenté, en clôture de cette jour-née, un dispositif de formation innovant mis en place à Rennes, à destination des chercheurs en SHS. Intitulé « La Minute numérique du chercheur », ce projet est le fruit d’un travail conjoint entre l’Urfist et le SCD, soucieux de proposer une offre commune, la plus adaptée possible aux besoins des universitaires. Le dispositif se veut léger, souple et « sur-mesure ». Différentes formules complémentaires ont été mises en place :• Le café électronique – objectif : échan-ger. Connaître les thèmes et les pra-tiques informationnelles des chercheurs, recueillir les besoins en ressources, en services et en formation. Ce moment d’échange, autour d’un café, a lieu dans les laboratoires de recherche.• Le point sur... – objectif : informer. Sensibiliser les équipes aux outils, aux ressources et aux thématiques de l’IST (durée : 1 h 30).• Pratique de… – objectif : former. Faire manipuler les outils par les chercheurs lors d’un atelier pratique, à l’Urfist. (durée : 3 heures)

Plus globalement, le but est d’inciter les personnels universitaires à s’inscrire dans une démarche de formation qui soit adaptée aux besoins de leur recherche.

En bref : on continue souvent d’ima-giner les chercheurs dans leur tour d’ivoire – qu’on se le dise, cette tour est désormais équipée de wifi. •

Adèle [email protected]

5. Voir par exemple le carnet de recherche TerrFerme (http://terrferme.hypotheses.org)

Bibliothèques et chercheurs en sciences humaines et sociales

Une cinquantaine de profession-nels s’est déplacée à Pessac le 14 juin dernier pour assister à

une journée d’étude portant sur les « Bibliothèques et les chercheurs en sciences humaines et sociales (SHS) » organisée conjointement par l’Urfist (unité régionale de formation à l’infor-mation scientifique et technique) de Bordeaux et Médiaquitaine.

À l’instar des sciences dures, la recherche en SHS se détache de plus en plus de l’imprimé – et se pratique désormais au numérique. Pour les bi-bliothèques, cette mutation vers l’écran constitue une opportunité en termes d’offre et de valorisation des productions – encore faut-il connaître les usages des universitaires et réussir à les toucher sur ce terrain-là. Tout au long de la journée, différents intervenants se sont succédé pour proposer des éléments de réflexion et des exemples de réalisations.

Avant d’entendre des points de vue de bibliothécaires, la parole a été laissée, en guise d’introduction, à un chercheur, Vincent Hoffmann-Martinot, directeur de Sciences-po Bordeaux. Se définissant lui-même comme un « universitaire pas-sionné par les enjeux des bibliothèques », il est revenu sur son propre cheminement bibliothéconomique, oscillant entre re-cherche et documentation. En filigrane dans son discours, la nécessité pour les bibliothèques d’exister au-delà du lieu physique.

Comme l’a souligné Benjamin Ca-raco 1 lors de son intervention, les cher-cheurs en SHS attendent moins des espaces de travail que des accès aux ressources (un accès qui soit direct, ra-pide, intégral) : « La recherche en sciences humaines et sociales est de plus en plus inséparable des outils développés par les nouvelles technologies. » Cette mutation des pratiques s’accompagne d’une trans-formation des disciplines – comme dans

1. Auteur du mémoire d’étude DCB : « Bibliothèque de sciences humaines et sociales : quelles particularités dans le contexte du xxie siècle ? », Enssib, 2012. En ligne : www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/document-56730

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légier les personnes formées aux métiers des bibliothèques, qu’on peut toujours former sur le tas, s’ils ont, au préalable, les compétences indispensables à la sur-vie dans ce nouveau monde. Et Kurt de Belder d’indiquer benoîtement que, en tant que directeur des bibliothèques de l’université, il avait renouvelé un tiers du personnel… en moins d’un an, ce qui ne manqua pas de faire passer un frisson (poli) dans l’assistance.

Une vraie révolution

Puis, là encore fidèle à la tradition, Raymond Bérard, directeur de l’Abes, proposa un bilan des activités de l’éta-blissement sur l’année écoulée : le portail des thèses, theses.fr, celui des thèses en préparation, Step, le Sudoc en allemand, le Sudoc mobile, les Api Sudoc, et bien d’autres réussites, mais aussi quelques échecs : « feu le portail Sudoc », ou l’impossibilité de trouver une solution satisfaisante pour le signalement des ressources électroniques, lors même que c’est « l’activité de signalement qui fonde [la] mission [de l’Abes] ». Et puis, sans doute l’une des avancées majeures, la mise en place des licences nationales, qui proposent désormais, dans une gou-vernance partagée avec l’Inist, l’accès à des ressources de Springer, aux bases EEBO et ECCO, aux Classiques Garnier numériques – d’autres devraient être ac-cessibles prochainement.

Cette dernière actualité rejoignait l’un des enjeux majeurs liés à la création, en-core en devenir, de la Bibliothèque scien-tifique numérique (BSN), dans l’objectif de mettre en cohérence l’information scientifique et technique de l’État. Celle-ci ne passerait-elle pas par une fusion des services proposés par l’Inist et l’Abes ? Le projet ne fut évoqué qu’indirectement, par l’effort de rapprocher les deux outils de fourniture de documents à distance proposés par les institutions, respective-ment Refdoc et Supeb. Effort resté vain, tant la « philosophie » et le mode de fonctionnement de ces outils semblent incompatibles.

Autre préoccupation récurrente, les risques d’inféodation à OCLC, par-tenaire et prestataire du Sudoc et de

l’Abes. Dans le souci de « faire un sort » à OCLC, Raymond Bérard, membre du « board of trustees » de l’organisme, et qui n’ignore évidemment pas les suspicions des bibliothèques françaises à cet égard, rappela que 112 des bibliothèques adhé-rentes (sur 132) sont présentes dans le catalogue mondial d’OCLC, Worldcat, avec des résultats mitigés : doublons, dif-ficultés de mise à jour, etc.

Mais la vraie révolution prônée par l’Abes, présentée par Jean Bernon, chargé de ce projet, est celle du système de gestion de bibliothèque (SGB) mutua-lisé que l’Abes a charge de piloter 1. Le but : déporter dans le « cloud » toutes les applications courantes (SIGB locaux et Sudoc) et ne garder dans des bases lo-cales ou nationales séparées, pour éviter la « mono culture », que les applications spécifiques comme les licences natio-nales, les thèses et les manuscrits (Ca-lames), voire les annuaires de personnes, etc., de façon à disposer d’un outil adapté à la mutualisation des ressources électroniques, mais aussi à la gestion simultanée des ressources papier et élec-troniques, dont on sait qu’elle reste, à toutes les étapes, un achoppement de la gestion interne des établissements. Rien moins qu’une révolution : plus de cata-logage local, plus de client WinIBW, plus de transferts réguliers vers des SIGB qui n’existeraient plus, adoption de RDA 2, « FRBrisation des catalogues », etc. Bref, une bibliothèque électronique totalement externalisée, dans un nuage si possible national – mais on sait ce qu’il en est des nuages.

Pour autant, et comme pour le Sudoc et le progiciel Pica, le choix est fait de partir d’un produit existant – et c’est là que le bât blesse, car le nombre de can-didats potentiels pour un projet de cette importance est faible. Pour simplifier, Alma d’Ex-Libris et WMS… d’OCLC, ten-tation qui ne peut que raviver les craintes des adhérents du réseau quant à la main-mise de la firme, plutôt société commer-ciale de ce côté-ci de l’Atlantique, plutôt

1. Voir, dans ce numéro, l’article de Jean Bernon, « Le projet de système de gestion mutualisé de l’Abes », p. 61-65.2. En suspens l’année dernière et, semble-t-il, toujours cette année.

Journées Abes 2012

On ne se lasse pas, à chaque édition des Journées Abes, de remercier l’Abes de la qualité

de l’accueil et de l’organisation, et cette année ne dérogera pas à la sympathique antienne. De tradition aussi, les Journées Abes (cette année, les 19 et 20 juin 2012) sont ouvertes par un collègue étranger, en l’espèce Kurt de Belder, directeur des bibliothèques de l’université et des Presses de Leiden.

Trouver, c’est mieux que chercher

Écrire que l’exposé de K. de Belder fut l’occasion d’inattendues découvertes serait faux, mais il fit un point solide sans être catastrophiste, étayé sans être désespéré, de la « transformation des bi-bliothèques universitaires », qui doivent faire face à un nouveau monde – mais y participer aussi, autant que possible : Google, Google Books, les technologies mobiles, le print on demand, les « e » (sciences, humanities, research), le poids du commercial, les baisses de budget et, en corollaire plutôt fâcheux, l’aug-mentation des coûts de l’information, les « driven acquisitions », etc., imposent de repenser les modèles sur lesquels jusqu’alors les bibliothécaires universi-taires prospéraient.

Les pistes, pour K. de Belder, sont aussi nombreuses que les problèmes, et certaines recouvraient les préoccupa-tions plus ou moins souterraines de ces journées : sous-traiter le catalogage à un échelon national ou international, mutua-liser, toujours à un échelon national, le stockage de collections papier désormais peu utilisées, mais aussi des collections électroniques, pour lesquelles on peut même envisager un stockage transna-tional (dans le fameux « cloud », le mot de l’année). Bref, sous-traiter tout ce qui peut l’être, et spécialiser bibliothèques et bibliothécaires sur le spécifique, le « just in time » au lieu du « just in case », et passer du « find it business » au « get it business » – trouver, c’est mieux que cher-cher, comme le disait, on s’en souvient, un ancien président de la République.

Pour faire tous ces changements, il faut renouveler le personnel, sans privi-

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tenaires, venus de 33 pays (bien plus large donc que l’Union européenne pro-prement dite), bibliothèques, musées, archives, archives audiovisuelles. Un ser-vice qui détient, qui mutualise, les méta-données permettant l’accès à 23 millions d’« objets » numériques conservés par les partenaires.

Dans le même élan de « mutuali-sation », Deborah Shorley, directrice des bibliothèques d’Imperial College à Londres, présenta le « UK Research Reserve », projet de conservation parta-gée de collections de périodiques papier désormais peu utilisées. Le but est de se débarrasser « écologiquement » de ces collections, dont D. Shorley nous apprit qu’elles pouvaient servir pour les enro-bages d’autoroute, mais aussi pour les papiers de bonbons, sans parler des éco-nomies réalisées en termes d’espaces.

La place manque pour parler des autres interventions, souvent très tech-

coopérative dans ses terres natales, sur le système et les données françaises. Ce qui entraîna par avance Raymond Bérard à rassurer les présents, en réaffirmant la volonté de l’État de « ne pas donner l’Abes à une officine extérieure », « c’est aller au suicide ».

Un peu de rêve

À ces préoccupations, l’élégante pré-sentation de « The European Library » assurée par Aubéry Escande fit plus qu’écho 3. Il ne faut pas confondre, nous indiqua-t-il en préambule, « The Euro-pean Library », un service, qui propose une nouvelle interface depuis le mois de juin, et Europeana, qui est « encore un projet ». Un service qui réunit 2 200 par-

3. www.theeuropeanlibrary.org/tel4/

niques pour un public qui n’est plus composé seulement d’aficionados du catalogue en Unimarc (plus de 500 parti-cipants), desquelles on peut retenir, sans publicité exagérée, la présentation de la base « Early European Books », qui pro-pose de magnifiques ouvrages des xve et xvie siècles, celle du Journal de la Reine Victoria (avec laquelle il fut possible, merveille de la technique, de tweeter), et surtout de « The Vogue Archive », qui offre à la consultation la quasi-intégralité de ce « must » chic et mode, avec, pour les amateurs et pour les autres, un thé-saurus spécialisé à la conception duquel on aurait bien aimé participer. Un peu de rêve et d’apparente futilité dans un monde qui en semble parfois bien dé-pourvu. •

Yves [email protected]

Antonella Agnoli Caro sindaco, parliamo biblioteche

Livia Rapatel

Marine Aubinais Les bibliothèques de rue

Louis Burle

Françoise Benhamou Économie du patrimoine culturel

Thierry Ermakoff

Pierre Carbone Les bibliothèques

Thierry Ermakoff

Vincent Dubois, avec Clément Bastien, Audrey Freyermuth et Kévin Matz Le politique, l’artiste et le gestionnaire : (re)configurations locales et (dé)politisation de la culture

Anne-Marie Bertrand

Édition et diffusion de L’Imitation de Jésus-Christ (1470 – 1800) Sous la direction de Martine Delaveau et Yann Sordet

Rémi Mathis

Les facteurs de réussite des bibliothèques et médiathèques publiquesYves Desrichard

Le fil de l’esprit : Augustin Girard, un parcours entre recherche et actionAnne-Marie Bertrand

« Les jeux vidéo. Quand jouer, c’est communiquer ». Sous la direction de Dominique Wolton Hermès, no 62, 2012

Julien Devriendt

« Le livre, le numérique ». Sous la direction de Pierre Nora Le Débat, no 170, mai-août 2012

François Rouyer-Gayette

Michel Melot Mirabilia. Essai sur l’Inventaire général du patrimoine culturel

Serge Bouffange

Pour une histoire des politiques culturelles dans le monde (1945 – 2011) Sous la direction de Philippe Poirrier

Thierry Ermakoff

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Antonella AgnoliCaro sindaco, parliamo bibliotecheMilan, Editrice Bibliografica, 2011, 140 p.Coll. « Conoscere la biblioteca, 5 »ISBN 978-88-7075-709-5 : 12 €

A près le succès rencontré en 2009 avec Le piazze del sapere, biblioteche e libertà 1, Antonella

Agnoli, bibliothécaire convaincue de la place centrale de la bibliothèque au cœur de la cité, reprend sa plume militante et publie Caro sindaco, parliamo biblioteche [Cher maire, parlons des bibliothèques]. Ce petit opus est une longue lettre qu’elle adresse aux maires pour leur expliquer pourquoi il est absolument nécessaire et possible de continuer à créer des bibliothèques, et cela malgré Google, les réseaux sociaux et la crise économique.

Pourquoi les bibliothèques sont (encore) nécessaires

La première partie de l’ouvrage recense dans un contexte de développement permanent des technologies numériques et de réduction des dépenses publiques les atouts de la bibliothèque physique face à ses avatars protéiformes du web. L’auteur oppose ainsi à l’internet, qualifié de « bibliothèque globale », la certitude et la stabilité des collections. Elle rappelle aux maires le besoin de disposer de lieux où se rendre pour être guidé et formé afin de pouvoir s’orienter dans le grand maelstrom de la société de l’information et compare la longévité des bibliothèques institutionnelles à l’extrême vulnérabilité des réseaux sociaux, dont certains comme Wikipédia commencent à s’essouffler en raison d’une baisse du nombre des contributeurs, tandis

1. Aux éditions Laterza, 2009. Voir la critique dans le BBF, 2010, no 3, p. 94-95. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2010-03-0094-004

que d’autres subissent la censure de certains états ou sont victimes de la manipulation de leaders d’opinion. Elle vante les mérites d’une « bibliothèque vivante », indispensable terreau démocratique, un des rares lieux de la cité à permettre un véritable « melting-pot » de populations où il est possible de côtoyer des personnes ayant des appartenances religieuses, politiques ou sociales différentes et de faire de vraies rencontres. Elle rappelle aussi le rôle social qu’exerce la bibliothèque en période de crise et de paupérisation accrue de la population, elle est le lieu neutre, accueillant et gratuit qui permet de maintenir le lien social et facilite la réinsertion professionnelle.

Comment permettre leur développement

Après avoir exposé les arguments justifiant l’absolue nécessité de poursuivre le maintien, le développement et même la création de nouvelles bibliothèques, Antonella Agnoli propose dans la seconde partie de l’ouvrage des solutions pour continuer à construire, à réaménager des bâtiments et à les faire fonctionner, et cela malgré la rigueur et la baisse des dépenses des collectivités locales. Elle exhorte ainsi les élus à reconsidérer les dépenses dévolues à la culture et au tourisme et les interroge sur les centaines de milliers d’euros dépensés chaque année pour organiser le festival de l’aubergine, le concours de miss bikini ou accueillir des shows télévisés. Elle les incite à faire appel aux sponsors privés comme ce fut le cas à Fano (64 000 habitants) où la bibliothèque a été financée à hauteur de 6 millions d’euros par l’entrepreneur maritime Carlo Montanari ; mais aussi à multiplier les initiatives permettant de diversifier les financements et elle cite des exemples, à Pesaro une « liste de mariage » a été établie en partenariat avec les librairies de la ville pour inviter les habitants à contribuer à la constitution du fonds de la bibliothèque, avec un slogan très accrocheur : « Offre un livre et gagne une bibliothèque. » D’autres possibilités sont évoquées : l’organisation de marchés pour revendre les livres sortis des collections mais aussi l’utilisation des lieux, en particulier les bâtiments historiques, pour célébrer des mariages, organiser des anniversaires et pourquoi pas tourner des spots publicitaires ! La bibliothèque, pour Antonella Agnoli, doit être conçue comme une plateforme de services, une place publique close permettant à la population d’accéder à l’information, à la recherche, un lieu où l’on vient se

divertir mais aussi se faire délivrer une attestation, s’inscrire à un cours et même se marier…Une solution prônée dans l’ouvrage a fait débat et suscité de nombreuses réactions sur la liste de discussion des bibliothécaires italiens AIB-CUR (www.aib.it/aib/aibcur/aibcur. htm3) : la proposition de recourir largement au bénévolat pour assurer le fonctionnement des établissements 2. Cette nécessité présentée comme un bon moyen de continuer à assurer et à développer les services, alors que les équipes vieillissent et que les recrutements se raréfient, a été perçue, dans un pays en proie à une sévère crise économique et où les bibliothécaires jouissent d’une faible reconnaissance sociale, comme une réelle mise en péril de l’avenir de la profession. Mais beaucoup reconnaissent aussi qu’il s’agit d’une ressource précieuse et qu’il convient de réfléchir à la manière d’associer les citoyens volontaires et motivés aux projets de la bibliothèque.Cette virulente interpellation, adressée par Antonella Agnoli aux élus, a le mérite de poser la question du devenir des bibliothèques au cœur du débat public et de bousculer les canons de la profession en proposant des solutions radicales et peu orthodoxes pour assurer le financement et le développement des services des piazze del sapere.

Livia [email protected]

2. Anna Galluzzi, « Les bibliothécaires italiens s’interrogent sur le rôle des bibliothèques et des bibliothécaires », BBF, 2012, no 4, p. 67-68. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2012-04-0067-001

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Marine AubinaisLes bibliothèques de rueMontrouge, Bayard, 2010, 168 p., 15 cmISBN 978-2-227-48229-6 : 10 €

Toucher les non-lecteurs, les publics éloignés de la lecture, les personnes en grande précarité

dont le nombre ne cesse d’augmenter, apporter la lecture à tous, là où les institutions ont échoué ou ne sont jamais allées, voici ce que fut et ce qu’est toujours l’expérience des bibliothèques de rue conduite par l’association caritative ATD Quart Monde. L’auteur, Marine Aubinais, journaliste, décrit la genèse de cette initiative salutaire initiée en région parisienne en 1968, donne des exemples précis et la parole à des porteurs d’initiatives. L’ouvrage est d’un grand intérêt à plus d’un titre, il propose une méthode explicite pour construire un projet et le mener : comment monter un projet, aborder un public et surtout l’intriguer et le captiver, poursuivre l’action quelles que soient les conditions extérieures et environnementales – comment fermer une bibliothèque de rue également.Née dans le bidonville de Noisy-le-Grand en 1968, cette initiative portée par le fondateur d’ATD Quart Monde, l’aumônier Joseph Wresinski, a connu un vif succès comme outil de diffusion culturelle. Le principe en est simple, mais difficile à mettre en œuvre : porter des livres – justement choisis – à des publics éloignés de la lecture, et le plus souvent dans un immense dénuement. Monter une bibliothèque de rue, c’est d’abord travailler en plein air et être soumis aux aléas climatiques. C’est aller chercher les gens – enfants et parents – chez eux, car préserver les liens de parentalité est essentiel. Il en va de même pour le lieu : une bibliothèque de rue ne fonctionne que si les bénévoles se déplacent, cherchent le meilleur emplacement, celui que fréquentent les publics recherchés. Il reste à fidéliser le public. Là aussi, le rythme est essentiel ; il faut revenir

avec régularité et ponctualité, selon un espacement temporel suffisant. Marine Aubinais, qui a monté des bibliothèques de rue auprès de l’association, donne également des conseils pour choisir les livres et documents, pour approcher les lecteurs récalcitrants, les adolescents, sur la conduite à tenir face au public. La violence apparaît parfois : il faut alors agir, rester présent et surtout compter sur le temps, la durée, qui ont un effet pacificateur.Ouvrir une bibliothèque de rue constitue déjà un moment de bonheur pour son public, particulièrement pour les enfants ; c’est un fait qu’il ne faut pas négliger. Parfois, bien sûr, cela ne fonctionne pas. La plupart du temps, les résultats sont très variables : l’émergence de pratiques de solidarité, l’apprentissage de la lecture et du goût de lire, etc. Cet outil permet au moins d’être en contact avec le livre, avec un outil de connaissance. Il peut faire tâche d’huile : l’auteur rapporte quelques expériences en ce sens.

Louis [email protected]

Françoise BenhamouÉconomie du patrimoine culturelParis, La Découverte, 2012, 126 p., 20 cmCollection « Repères », no 600ISBN 978-2-7071-7156-6 : 10 €

«L e gros avantage des châteaux, nous écrit Alexandre Vialatte, c’est qu’on y a beaucoup de

place. On sait où mettre les allumettes, le vin, le fromage, la mort-aux-rats, le sel, le poivre, la cannelle. Il y a un endroit pour le fantôme et un endroit pour ranger le vélo. On peut regarder par les créneaux, se cacher derrière les merlons, monter des escaliers en vis, se perdre dans une antichambre et courir dans les oubliettes. »

Ce à quoi Françoise Benhamou ajoute, dans ce numéro 600 de la collection Repères publié par la Découverte, qu’il peut aussi entraîner quelques bénéfices : ce qui ne saurait laisser indifférent l’Auvergnat.Le sujet de ce passionnant ouvrage, dans la droite ligne des travaux qu’elle a déjà publiés (Économie du star-system, Odile Jacob, 2002 ; Les dérèglements de l’exception culturelle : plaidoyer pour une perspective européenne, Seuil, 2006 et L’économie de la culture, La Découverte, 2011) concerne en effet l’économie du patrimoine culturel mondial. « Le patrimoine vivant, créant du lien social et nourrissant la créativité : telle est la vision qui s’impose et pour laquelle la boîte à outils de l’économiste se révèle nécessaire .»L’ouvrage, complétant en ce sens celui de Michel Melot (Mirabilia, voir la critique dans ce numéro, p. 100), s’ouvre sur une tentative de délimitation toujours fluctuante du patrimoine, sur l’étude de la consommation du patrimoine, sur les coûts de conservation, de restauration, et donc, tout naturellement, sur les retombées directes (les entreprises qui interviennent, par exemple) ou indirectes (les nuitées escomptées), se poursuit par les politiques patrimoniales et se conclut par la défense et l’illustration du patrimoine, bien public global.Alors même que croissent les labels (patrimoine mondial de l’Unesco, villes et pays d’art et d’histoire…), que l’État a fait dévolution d’une partie de son patrimoine (par la loi de décentralisation du 13 août 2004), cette parution est tout à fait d’actualité : peut-on mesurer le système économique entier (du coût d’entretien à la « rentabilité » escomptée, en passant par une estimation du consentement à payer, qui varie, bien entendu, d’un lieu à l’autre) d’un ensemble patrimonial ? L’ensemble traite aussi bien de la Chine (qui, pour les JO de 2008, organise la destruction accélérée du vieux Pékin afin de programmer de vastes chantiers de construction confiés aux plus grands architectes), de la gare Penn Central de New York (dont l’extension fut refusée en 1978 pour des raisons similaires, donc opposées), du château d’Oiron, dans les Deux-Sèvres, modèle d’action séduisante mais à l’équilibre économique fragile, et, bien sûr, de « l’effet Guggenheim », du nom de la célèbre fondation qui a permis l’érection du musée de Bilbao, dû à l’architecte Frank Gehry, symbole d’une réussite mais aussi d’une course en avant toujours plus active, nécessitant des projets de valorisation toujours plus singuliers : location d’espaces, d’œuvres, production de produits dérivés. Ce que Françoise Benhamou pointe comme étant le risque de l’entertainment.

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L’ensemble de l’ouvrage aborde, évidemment, l’impact du tourisme, celui du star-system patrimonial, qui entraînent une dégradation des lieux (voir, par exemple, la grotte Chauvet), ou une muséification de certains sites, au détriment de la population, du concept de ville créatrice (voir, à ce sujet, l’excellente contribution de Guy Saez dans L’Observatoire, no 36, hiver 2009) mais aussi la nécessité d’analyser les coûts de conservation du patrimoine immatériel : on l’a compris, il s’agit ici de la numérisation de masse des documents imprimés.En économiste, très engagée dans l’étude des industries culturelles, Françoise Benhamou analyse l’effet multiplicateur éventuel d’une politique patrimoniale, des effets de classement ou d’inscription, et les possibilités de financement qui proviendraient d’autres sources que de la puissance publique : loterie, mécénat.Mais engagée au sein des politiques publiques de la culture, elle ouvre des voies de recherche que devraient saisir les bibliothécaires que nous sommes : « L’économie du patrimoine est un champ de recherche reconnu et nourri par un grand nombre d’études et de travaux académiques. L’importance économique du patrimoine aura montré, espérons-nous, l’importance de ce stock de richesses et des possibilités de le valoriser et de l’enrichir. »Cet ouvrage, une nécessité qui ne saurait nous échapper, est, et c’est presque un luxe, servi par une bibliographie abondante et riche et polyglotte, de surcroît.

Thierry [email protected]

Pierre CarboneLes bibliothèquesParis, Presses universitaires de France, 2012, 128 p., 18 cmCollection « Que sais-je ? »ISBN 978-2-13-059455-0 : 9,20 €

Signe des temps sans doute : si la première édition des Bibliothèques, signée André Masson, datée

de 1961, faisait la part belle aux bibliothèques du passé, si la réédition, sous la direction d’André Masson et Denis Pallier, en mars 1982, continue à traiter d’abord de « l’héritage du passé », si la dernière édition disponible, celle de Denis Pallier, seul, d’août 2010, gardait cette même structure : « héritage du passé » et « ressources actuelles », l’édition qui nous est présentée ici est établie sous un jour résolument moderne, pour ne pas aller jusqu’à dire marxiste, du passé faisons table rase, puisque Pierre Carbone, inspecteur général des bibliothèques, qui s’est attelé à cette tâche avec courage, constance et persévérance, organise de façon tout à fait différente cet ouvrage.Outre l’introduction, historique et contextuelle, l’ensemble traite des « bibliothèques dans le monde actuel », « des bibliothèques dans le management des institutions », de « l’étude et la recherche », des « services en ligne »… Bref, une volonté d’ancrer ces institutions dans le maelstrom contemporain, ou, pour le dire, ou l’écrire, différemment, de prouver que les bibliothèques, par leurs services, l’écoute qu’elles accordent à leurs publics, qu’ils soient étudiants, chercheurs, ou usager normal, comme on dit, sont immergées dans un monde qui les englobe et parfois, pourrait les dépasser, peuplé d’auteurs, d’ayants droit, d’hadopistes, de libraires, d’éditeurs, et de Google.Comment aborder en 128 pages, bibliographie et table des matières comprises, l’ensemble de ces questions brûlantes ? Comment saisir dans un même instant la fixité du passé et le

mouvement permanent des avenirs ? La bibliothèque, voilà la conclusion, est aujourd’hui bien vivante, elle est partout, dans les écoles, les communes, les universités, les lycées, les prisons, et même sur le quai de Tolbiac ; on a même vu des bibliothèques sur les plages ; dans certains salons de coiffure ; en Grande-Bretagne, et même en Hongrie. Mais faire le point de la question en 128 pages, c’est bien court : on voit par là que l’auteur n’est pas responsable de cette contrainte, ni de son modèle clos, d’ailleurs : et c’est bien à la fois la qualité de cet ouvrage que de tenter de proposer une vision panoptique, nouvelle et intéressante, de la bibliothèque, et sans doute sa principale faiblesse : 128 (cent vingt-huit) pages c’est vraiment bien court, décidément, les lois et règlements changent, les mentalités précèdent ou suivent le droit et il faudra remettre à jour dans combien de mois, de semaines ? Si le modèle encyclopédique a pris du plomb dans l’aile, à cause du développement du numérique, l’avenir d’un « Que sais-je ? » sur un sujet aussi mouvant est sans doute à repenser, une version numérique, des approfondissements sont nécessaires, car enfin, pour lire un ouvrage sur les bibliothèques et leur devenir dans un tel format, il faut être sans doute bibliothécaire, ou s’apprêter à le devenir. Donc être forcément familier de toutes ces nouveautés numériques, que Pierre Carbone décrit si bien.

Thierry [email protected]

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Vincent Dubois, avec Clément Bastien, Audrey Freyermuth et Kévin MatzLe politique, l’artiste et le gestionnaire : (re)configurations locales et (dé)politisation de la cultureBellecombe-en-Bauges (Savoie), Éditions du Croquant, 2012, 274 p., 14 cmISBN 978-2-36512-003-6 : 22 €

Cet ouvrage collectif aborde quelques grands thèmes qui intéressent toutes les

personnes concernées par les politiques culturelles locales : les acteurs (et leur positionnement respectif), leur poids, les registres successifs de légitimation, l’effacement de la politique.Dans les trois premiers chapitres, déjà publiés ailleurs, Vincent Dubois reprend certains de ces thèmes à partir d’études locales. Le rôle historique de la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture (FNCC), l’exemple de la ville de Givors (Isère), celui de Bron (Rhône) lui permettent de tirer des éléments explicatifs de l’évolution des registres culturels et de la montée en puissance de l’administration locale de la culture. Comment le socioculturel s’est effacé, comment le traitement de la culture s’est « désocialisé » (a quitté le registre social), comment les administrateurs culturels se sont autonomisés par rapport au politique (non seulement en se professionnalisant mais aussi en mobilisant des ressources externes), comment « la politique culturelle municipale est [devenue] désormais l’apanage de spécialistes, loin des militants qui en avaient constitué la base ».Quatre textes inédits enrichissent ce panorama. Vincent Dubois et Kévin Matz évoquent les « affaires » culturelles, les interventions directes d’élus qui, par une nomination, un désaveu, une coupure budgétaire, une censure, ont

réglé un conflit avec des acteurs culturels – 48 affaires ayant eu lieu de 1995 à 2008 sont étudiées.Audrey Freyermuth, à partir de l’exemple alsacien, analyse la place de la culture dans les intercommunalités : où elle montre que, malgré « l’encouragement au portage communautaire », « le cadre communal reste le principal échelon et le moteur de l’intervention culturelle locale ». L’intercommunalité confinée « aux interstices ».Kévin Matz présente les résultats provisoires (mais convaincants) d’une étude encore inachevée sur le nouveau paradigme de la culture comme outil du développement économique : « croyance », « nouvelle doxa » (« l’effet Bilbao », du nom de la ville où le musée a relancé l’économie locale), « le mythe des effets économiques de la culture », dont l’émergence a été facilitée par le nouveau modèle de maire manager (et la fin du modèle de maire bâtisseur) et la conversion des acteurs culturels au management. C’est « la neutralisation du politique par l’économique ».Clément Bastien revient, lui, sur le mécénat d’entreprise, ses effets (très limités), sa légitimité (la relève par des financements privés), son organisation (l’accent mis sur le territoire régional) et son périmètre (des projets « pacifiés », où des notables locaux peuvent s’investir, et d’où les acteurs culturels se sont retirés).Deux compléments méthodologiques sont proposés : « Éléments pour une socio-histoire », réflexion programmatique due à Vincent Dubois, et une très riche (mais un peu ancienne) bibliographie.

À ces intéressants apports à la réflexion sur les politiques culturelles, s’ajoutent quelques éclairages sur les bibliothèques : la gratuité (p. 65), le projet de bibliothèque (p. 83), la professionnalisation (p. 96), le « deuil d’une vocation sociale » (p. 100), les médiathèques intercommunales (p. 132 et 135).On notera, in fine, que cet ouvrage est dédié à Augustin Girard…

Anne-Marie [email protected]

Édition et diffusion de L’Imitation de Jésus-Christ (1470 – 1800)Sous la dir. de Martine Delaveau et Yann SordetParis, Bibliothèque nationale de France / Bibliothèque Mazarine / Bibliothèque Sainte-Geneviève, 2012, 514 p., 31 cmISBN 978-2-7177-2489-9ISBN 979-10-90853-00-3ISBN 978-2-900307-09-0190 €

L’Imitation de Jésus-Christ (Imitatio Christi) fait partie de ces livres que tout responsable de fonds anciens

a vu passer en de multiples exemplaires sans toujours savoir qu’en faire. À peu près jamais lu ni consulté de nos jours, il a pourtant été l’un des livres majeurs de la spiritualité européenne pendant près de cinq siècles… et par conséquent un des textes religieux les plus diffusés et traduits dans le monde. L’ouvrage est de plus très intéressant pour les historiens du livre car les querelles autour de sa paternité (rédigé au milieu du xve siècle et composé de quatre traités indépendants, il est anonyme et successivement attribué à un grand nombre d’auteurs religieux) ont nourri le développement des disciplines de l’érudition historique, bibliographique et codicologique.

Travail bibliographique…

C’est un fort beau projet, mené par Martine Delaveau et Yann Sordet, et réunissant en une fructueuse collaboration la Bibliothèque nationale de France, les bibliothèques Sainte-Geneviève et Mazarine, qui est à l’origine du présent ouvrage. Ce dernier n’est pas à proprement parler une bibliographie complète, mais un catalogue des fonds des trois bibliothèques qui publient l’ouvrage (Mazarine, Sainte-Geneviève et BnF, y compris la bibliothèque de l’Arsenal), ainsi que ceux de la bibliothèque de la Sorbonne.

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De l’édition princeps d’Augsbourg (antérieure à 1470) à la veille de la deuxième révolution du livre, ce sont 933 notices qui sont proposées, issues de la description livre en main de plus de 1 500 exemplaires – un travail de titan. Une notice correspond à une émission, chacune possédant un numéro. Sans doute aurait-il été prudent d’adopter une numérotation non continue (par exemple année + code de langue ou de pays + numéro) afin de permettre que le travail soit complété (ou réutilisé dans une bibliographie générale de l’œuvre) sans avoir à utiliser des bis et autres ter.Le plus surprenant pour le bibliographe est sans doute l’absence d’usage d’empreinte, au-delà même des habituelles polémiques entre partisans de la LOC ou du STCN. Cela est dommage pour la précision du catalogue puisqu’il ne fait aucun doute que leur emploi aurait fait surgir des éditions nouvelles, semblables par la formule de collation et la page de titre, et rendu certaines complexes situations bibliographiques plus faciles à appréhender (par exemple pour les nos 337-338, Rotterdam : Graswinckel, 1661). D’autre part, l’empreinte est fondamentale pour l’usage qui peut être fait d’un tel catalogue, qui est un excellent moyen de faciliter le travail des collègues responsables de fonds anciens : donner l’empreinte leur aurait permis de se rattacher à une de ces très bonnes notices de la manière la plus simple qui soit.

… et historique

Les données recueillies par les bibliographes ont permis de rédiger quelques études introductives fort intéressantes, convoquant pour l’occasion certains des meilleurs connaisseurs de la question. L’importance de l’œuvre est mise en perspective ; son histoire et sa géographie éditoriales explicitées, permettant de comprendre la diffusion de ses divers avatars en latin ou en langue vulgaire (F. Barbier). Véronique Meyer peut réaliser, grâce à la mise en série, une analyse des illustrations qui se sont succédé, où se mêlent de manière complexe créativité et traditions, copies, considérations économiques et de goût. Les usages ne sont pas oubliés, la diffusion exceptionnelle du livre étant corrélée à une lecture (ou une écoute) qui touche toutes les couches de la société ; et si jésuites et jansénistes polémiquent sur la justesse de la traduction des uns et des autres, chacun des deux camps s’accordent à reconnaître l’importance de la lecture.

En particulier, M. Delaveau offre à partir des marques de provenance une étude sur la présence de L’Imitation dans les bibliothèques ecclésiastiques – question très difficile à aborder autrement car l’ouvrage, de peu de valeur, est souvent négligé dans les inventaires. Yann Sordet va plus loin encore dans l’étude du singulier en étudiant les notes de lecture et autres marginalia permettant d’approcher l’appropriation du texte par ses lecteurs, au fil des générations. Enfin, la présence des exemplaires de L’Imitation dans les bibliothèques françaises est analysée à partir de la donation Delaunay à la bibliothèque Sainte-Geneviève, et de l’origine des 466 éditions présentes dans les collections de la BnF.Huit index sont proposés. Nous en savons extrêmement gré aux auteurs tant ce type de travail est à la fois ingrat et utile. Mais peut-être aurait-il été aussi plus pratique de mettre en ligne la base de données qui a certainement été réalisée par les auteurs, ce qui aurait permis d’obtenir des informations de manière plus aisée, complète et rapide pour les chercheurs.

L’ouvrage est accompagné d’une exposition à la bibliothèque Mazarine. À cette occasion a également été publié aux éditions des Cendres un très joli catalogue d’exposition, beaucoup plus accessible (aussi bien financièrement qu’intellectuellement), qui permet de présenter un certain nombre d’éditions et d’exemplaires avec de très belles reproductions. Mais c’est bien le premier qui demeurera pour longtemps un ouvrage de référence non seulement en France mais dans l’ensemble des pays où L’Imitation a été publiée et diffusée. Il est agréable de constater que des bibliothèques s’abstiennent encore de sacrifier la qualité de leurs publications à une approche purement commerciale de l’édition et continuent à remplir leurs missions en procurant au public des ouvrages de référence, tels que celui-ci.

Rémi [email protected]

Les facteurs de réussite des bibliothèques et médiathèques publiquesConseil général du Val-d’Oise, mars 2012, 81 p.

Il est bien rare que le Bulletin des bibliothèques de France rende compte d’un rapport circonstanciel, proposé

par une bibliothèque ou un groupe de bibliothèques, sur des études de terrain menées auprès des publics. Mais le rapport Les facteurs de réussite des bibliothèques et médiathèques publiques proposé par le conseil général du Val-d’Oise fera, ici, pièce à cette rareté 1. Car le travail présenté de manière claire mais détaillée vaut tout autant par sa méthode que par ses témoignages, par ses données chiffrées ou qualitatives que par ses conclusions.

Un volet quantitatif et un volet qualitatif

La méthode, comme toute enquête auprès des publics qui devrait se respecter, inclut tout à la fois un volet quantitatif et un volet qualitatif. Dans le premier cas, une campagne de comptage initiée dans 80 bibliothèques du département, sur une semaine, soit près de 40 000 entrées totalisées (qui permettent d’extrapoler à près de 2 millions les entrées réalisées sur une année !). Ensuite, 21 entretiens qualitatifs, dont il a déjà été rendu compte dans cette revue 2, et une « observation » de 6 établissements, passés au crible d’une série large de critères, complétée par un entretien avec le directeur des bibliothèques observées.On le voit, pour un périmètre géographique bien délimité, l’enquête est ample et rigoureuse, qui a été menée par la bibliothèque départementale du Val-d’Oise (BDVO), qui a bénéficié du soutien du bien connu service « Études et recherche » de la Bibliothèque publique d’information et de l’Observatoire départemental, service des études du conseil général du Val-d’Oise.On sait la propension quasi névrotique (aggravée s’il était possible par l’outil numérique) des bibliothécaires à accumuler les données chiffrées. Ce n’est donc pas là que se situe l’intérêt – et la réussite – de la présente enquête.

1. Le document, ainsi que sa synthèse, Réussir les bibliothèques : 7 leçons pour l’action, sont disponibles ici : www.valdoise.fr/8284-boite-a-outils.htm2. Diane Roussignol, « Les usagers ont la parole », BBF, 2010, no 6, p. 14-16. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2010-06-0014-003

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Car, les données, il faut les exploiter : on l’assène à chaque formation spécialisée, dans nombre de publications dédiées. Mais ce n’est pas toujours le cas, en tout cas pas toujours d’une manière aussi convaincante qu’ici.Car les initiateurs de l’enquête ont eu l’intelligence de compiler les données recueillies avec d’autres, des plus variées, comme, bien sûr la population, le nombre d’inscrits, le nombre de prêts, mais aussi des données sur les budgets de personnel, d’acquisition, le nombre de places assises, la surface, etc. Et, à partir de ces compilations et des graphes et autres figures obtenues, d’en dégager quelques vérités premières dont il serait bien étonnant qu’elles s’appliquent seulement au département du Val-d’Oise, si dynamique soit-il. Dire qu’il s’agit de bouleversantes révélations serait hypocrite. Mais c’est bien plus précieux que cela : il s’agit de confortations de discours (parfois considérés comme des postures) que les bibliothécaires portent auprès des élus depuis tant d’années déjà. Petit florilège.

Petit florilège

Les moyens sont un facteur incontournable de la réussite : ce sont les moyens qu’on met à sa disposition qui, numériquement, conditionnent l’usage de la bibliothèque, et notamment la quantité de l’offre. Autrement dit, une bibliothèque faiblement dotée dans une commune peuplée aura (proportionnellement bien sûr) bien moins de succès qu’une bibliothèque bien dotée dans une petite commune.Dépenser moins coûte plus cher : si on considère, bien sûr, que la fréquentation d’un établissement, même gratuite, est un critère de sa « rentabilité », de son efficacité, alors les moyens déployés sont proportionnellement plus efficients, c’est-à-dire que, si les moyens sont importants, alors le coût par usager est plus faible que si les moyens sont strictement limités.Plus encore, le rapport permet d’intéressantes perspectives, de par la méthode employée, sur un serpent de mer statistique très controversé dans le monde des bibliothèques depuis la publication du rapport du Crédoc 3, celui de la corrélation entre inscrits, prêts et fréquentants non-inscrits. Ces corrélations, cependant, auraient gagné à être plus fouillées.

3. Les bibliothèques municipales en France après le tournant Internet : attractivité, fréquentation et devenir, Bibliothèque publique d’information, 2007.

Mais l’enquête, sur ces bases solides, aurait vite trouvé ses limites si elle n’avait pas aussi pris en compte, d’une manière forcément moins systématisée, les données qualitatives recueillies. À vrai dire, c’est cette exploitation dont l’intérêt excède très largement les limites du département, qui permet de renvoyer intelligemment à des préoccupations qui doivent être communes à tous les responsables d’établissement (quel que soit leur type). Nouveau florilège.

Nouveau florilège

Le lieu doit être attractif et, pour cela, sa « localisation n’est pas neutre » et son attractivité est d’autant plus grande que la ville et le quartier de la ville où la bibliothèque se situe sont eux-mêmes attractifs. La présence de commerces, mais aussi d’établissements scolaires, culturels ou sportifs, fait partie de ces critères – auxquels il faut ajouter bien sûr le critère du temps pour s’y rendre, qu’on peut cristalliser dans la maxime : si on ne va qu’à la bibliothèque, au-delà de 15 minutes, point de salut. À méditer !Cette présence de la bibliothèque doit s’organiser, être rendue visible : signalétique dans le quartier, sur la bibliothèque, présence dans la vie locale, présence numérique, bref, faire connaître pour être connu.Mais attirer le public n’est que la première part du succès : le faire rester et revenir est la seconde, ce qui suppose de le satisfaire… et tous les « moyens » sont bons : qualité de l’accueil (« un savant dosage de chaleur et d’autonomie »), aménagement des espaces, selon les besoins et les publics, sont des éléments fondamentaux. Comme quantitativement indiqué plus haut, pour les inscrits comme pour les fréquentants, l’offre documentaire est cruciale, ainsi résumée : « Nouveautés, adéquation, adaptation, évolution ! » Cette offre doit être mise en valeur, puisque « le prêt demeure l’activité principale », même si des usages multiples et complémentaires de l’équipement doivent être recherchés.Les esprits chagrins (et qu’ils sont nombreux dans nos professions !) objecteront, ce qu’on soulignait en préambule, qu’il n’y a là rien de bien nouveau. Mais la lecture du rapport étaye de verbatims chaque considération, chaque hypothèse, chaque déduction, et dans un style dynamique et attrayant qui en rend la lecture beaucoup plus passionnante que celle de maint traité théorique (pour ne pas écrire dogmatique) qui prétend asséner les mêmes vérités, mais sans leur donner corps.

C’est là le principal mérite de l’étude : données chiffrées, verbatims, exemples, illustrations nombreuses, sont là pour « donner corps » aux propos. Et on ne peut que souhaiter que de telles études, s’appuyant sur cet exemple sinon pionnier du moins essentiel, voient le jour dans d’autres départements. Dans tous les départements ?

Yves [email protected]

Le fil de l’esprit : Augustin Girard, un parcours entre recherche et actionParis, Comité d’histoire du ministère de la Culture, 2011, 333 p. + 1 CD, 24 cmISBN 978-2-11-128143-1 : 18 €

Cet ouvrage, publié à l’occasion de la mort d’Augustin Girard, a Guy Saez comme conseiller

scientifique et Geneviève Gentil et Michel Kneubühler comme coordonnateurs éditoriaux. Leurs noms n’apparaissent pas sur la page de titre de cette entreprise résolument collective.La forme matérielle en est très agréable, pas de coquilles, belle police, beau papier, mise en pages soignée.Le contenu et l’organisation sont complexes : l’ouvrage comprend 9 textes d’Augustin Girard, plus 4 reprises d’articles déjà publiés ailleurs (sur Augustin Girard), plus 10 contributions originales, plus 3 entretiens (avec Catherine Tasca, Jacques Toubon et Emmanuel Hoog), mais aussi une bibliographie analytique d’Augustin Girard (qui, bien que non exhaustive, comporte 85 entrées), un index et, en accompagnement, un CD de 79 minutes.Venons-en au contenu.

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Augustin Girard

Tous les lecteurs du BBF ne connaissent sans doute pas le nom d’Augustin Girard (1926 – 2009). Pourtant ! Pendant ses trente ans d’activité au ministère de la Culture, il créa le Service études et recherche (devenu Département des études et de la prospective), contribua à créer, en 1989, l’Observatoire des politiques culturelles et créa le Comité d’histoire du ministère de la Culture, dont il fut président de 1993 à 2007.Cet ouvrage, qui ne cache pas sa fonction d’hommage, abonde de signes d’affection ou d’amitié, de reconnaissance, d’admiration, traitant son objet de « référence intellectuelle et morale », « grand commis de l’État », « père de la politique culturelle », « patriarche », « un esprit libre au service du bien commun », « haut fonctionnaire militant », évoquant son regard malicieux, son rire, sa pipe, ses costumes en tweed, mais surtout son exigence, son empathie, son ardeur au travail, ses convictions.Soulignant sa position particulière : fonctionnaire de l’administration de la culture, Augustin Girard n’a de cesse d’éclairer les acteurs, les décideurs de l’action publique grâce à la recherche, aux études, aux statistiques. Il s’agit, disait-il dès 1964, « de mettre un terme à l’ère des goûts et des couleurs », « d’évacuer les finalités esthétiques », de « monter un argumentaire objectif ». Il se veut un passeur entre l’action publique et la recherche, entre la recherche et la décision, entre l’analyse et l’action, mais aussi entre l’histoire et la prospective.Mais il est conscient de la difficulté et des limites de l’exercice. « Le hiatus entre les études et la décision est un problème permanent dans l’administration » (1993). Car le travail du chercheur s’arrête avant la décision : « Le statisticien pose ses chiffres en forme de défi, puis il se tait » (1982). Comment avoir accès malgré tout aux décideurs ? Rude tâche : à propos de la réception des études « Pratiques culturelles des Français » (menées par son service), il fait un constat désabusé et ironique : « Ne parlons pas des ministres, dont le métier est ailleurs, plus politique que technique, mais parlons de leurs conseillers “techniques” qui avaient approuvé les travaux, des directeurs spécialisés qui les avaient souvent commandés et payés, mais n’avaient pas le temps de les lire […] » (1997). Et, plus loin : « Si bien que le résultat des enquêtes a surtout cheminé comme un mince filet osmotique à travers d’infimes réseaux capillaires autour de quelques enseignants, quelques séminaires de formation professionnelle ou colloques en région jusqu’au jour où un espèce d’“air du temps” finalement s’est dégagé… »

Politiques et pratiques culturelles

Cet ouvrage ne serait pas digne d’Augustin Girard s’il se limitait à cet hommage. Mais, fidèle en cela à sa mémoire, il comporte aussi des contributions de chercheurs.Olivier Donnat retrace l’histoire de l’enquête « Pratiques culturelles des Français », l’extension de son périmètre, sa réception. Pour lui (pilote des trois dernières éditions), « la vertu de l’enquête est de souligner le décalage entre la politique culturelle réelle – celle des budgets et non des discours – et la réalité des comportements culturels ». La réception de l’enquête de 1989 (qui provoqua « une superbe colère du ministre », confie Augustin Girard) confirma la nécessité de réviser le cadre interprétatif et l’enquête de 2008 appelle, dit Olivier Donnat, à réviser « des catégories de pensée élaborées dans un monde pré-numérique ».Jean-Pierre Saez revient, lui, sur la décentralisation culturelle, sur laquelle Augustin Girard publia une vingtaine de contributions, au long de sa carrière. Il (A.G.) ne fit pas qu’écrire : il lança des enquêtes sur les dépenses culturelles des collectivités locales, éleva Grenoble, Rennes et Annecy au rang de laboratoires des politiques locales, pilota un programme de recherche sur l’histoire des politiques culturelles locales, et contribua, on l’a vu, avec René Rizzardo à la création de l’Observatoire des politiques culturelles. Convaincu de la nécessité d’analyser et décider « à l’échelon local », Augustin Girard n’avait qu’une réticence, concernant la création artistique : « Les mécanismes de la création, qui toujours met en cause l’ordre culturel antérieur, interdisent qu’on la livre au goût majoritaire des municipalités » (1986). Posture largement partagée par les créateurs…Pierre-Michel Menger livre une contribution sur les questions de définition et de catégorisation de la culture. Au-delà de l’opposition culture savante / culture populaire, il revient sur une autre dualité, celle de la production : action publique / industries culturelles. Dualité de finalités, de temporalités, de modes de sélection… Quant à la capitale question de la démocratisation culturelle, Augustin Girard, rappelle P.-M. Menger, avait jeté un gros pavé dans la mare, dès 1978, en observant « que le progrès de la démocratisation et de la décentralisation est en train de se réaliser avec beaucoup plus d’ampleur par les produits culturels accessibles sur le marché qu’avec les produits subventionnés par la puissance publique ». Il convient donc de connaître l’ensemble des dimensions de la consommation culturelle, pas seulement les pratiques relevant des établissements

culturels – objectif englobant auquel s’attache l’enquête « Pratiques culturelles des Français ».Enfin, Philippe Poirrier retrace la genèse du Comité d’histoire du ministère de la Culture, ses méthodes, ses travaux, toujours appuyés sur la volonté de faire travailler ensemble chercheurs et acteurs, témoins et universitaires. Avec les difficultés qu’on imagine.Bref, un ouvrage indispensable à qui s’intéresse aux politiques culturelles.On me permettra d’évoquer, in fine, un ouvrage d’hommage à René Rizzardo (Pierre Moulinier, René Rizzardo et l’invention de l’Observatoire des politiques culturelles 1988-2002, Observatoire des politiques culturelles, Comité d’histoire du ministère de la Culture, 2011), qui apporte un complément utile sur ce point.

Anne-Marie [email protected]

« Les jeux vidéo. Quand jouer, c’est communiquer »Sous la direction de Dominique WoltonHermès, no 62Paris, CNRS éd., 2012, 232 p., 22 cmISBN 978-2-271-07396-9 : 25 €

La figure du joueur de jeu vidéo, adolescent, solitaire, rivé à son écran, a vécu. Ces dernières

années, l’industrie du jeu vidéo a su se renouveler et s’imposer grâce à l’essor du jeu occasionnel (casual gaming) sur téléphone portable et tablette, ou encore des party games sur console avec l’arrivée du motion gaming (Wii, Kinect). Ces changements ont permis à l’industrie du jeu de toucher aussi bien des filles et des garçons et même de traverser les générations. Ainsi, selon l’étude GFK parue en février 2011 1, la moyenne d’âge

1. Étude GFK février 2011 : www.snjv.org/fr/industrie-francaise-jeu-video/sociologie-joueurs.html

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du joueur progresse, se situant à 33 ans, et l’on compte 60 % de joueuses.Cet essor a permis au jeu vidéo de dépasser l’industrie du cinéma, devenant ainsi la première industrie culturelle mondiale. Le jeu vidéo est également en relation étroite avec les autres industries culturelles : cinéma, bandes dessinées, musique, littérature, auxquelles il emprunte contenu et dispositifs techniques.Ces dernières années, on assiste à une augmentation des publications en sciences humaines sur le sujet. En effet, le jeu vidéo interroge de nombreuses disciplines comme la sociologie, l’histoire, l’économie et, plus récemment, la philosophie 2. La revue Hermès se propose d’aborder les jeux vidéo sous l’angle de la communication.

Enjeux communicationnels

Le jeu vidéo est souvent perçu comme une activité solitaire, voire désocialisante. Étienne Armand Amato montre comment l’arrivée d’internet a permis de mieux cerner les enjeux communicationnels autour des jeux vidéo. En se connectant à internet, les jeux ont pu intégrer d’autres joueurs et créer de nouveaux espaces de communication. Mieux, cette analyse a permis par comparaison de montrer les aspects communicationnels présents dans les jeux vidéo classiques.S’ensuit le développement des réseaux sociaux et avec eux l’apparition de jeux sociaux. Fanny Georges montre comment l’avatar intègre désormais l’identité numérique des joueurs. Les contacts devenant partenaires dans le jeu, la communication est au centre de ces jeux : « La vie du joueur et son activité fusionnent. » Cet effet est accentué par la montée en puissance du jeu sur mobile, accessible partout, tout le temps, avec des temps de jeu très courts.Le jeu devient également avec les serious games et news games un moyen de se former, de communiquer. Pour Jacques Perriault, l’aspect ludique n’est pas incompatible avec l’apprentissage et peut venir en complément d’une pédagogie traditionnelle. L’exemple du serious game « Jeu Serai », présenté par Stéphane Natkin, insiste sur l’importance de mêler à la fois ludique et utile dans la vie réelle.Enfin, Sébastien Genvo nous présente des pistes de réflexion pour comprendre le jeu vidéo en tant que moyen d’expression. À la différence du serious game, le jeu expressif défini par l’auteur ne doit pas transmettre un point de

2. Mathieu Triclot, Philosophie des jeux vidéo, Paris, Zones, 2011, 247 p.

vue définitif mais faire partager « une expérience de vie problématique » tout en permettant une expérimentation non moralisante.

Enjeux économiques et sociaux

L’ouvrage ne s’arrête pas à l’aspect communicationnel et offre un tour d’horizon complet de l’industrie du jeu vidéo, de ses enjeux économiques. Le jeu sur console ne représente plus que 50 % du marché et se répartit maintenant sur différents supports : jeux sur téléphones portables, tablettes, jeux sociaux. La montée en puissance des nouveaux modes de distribution numérique fait entrer de nouveaux acteurs sur le marché comme Apple, Google et Amazon, tout en favorisant le développement de petits studios indépendants. Va-t-on assister à une redistribution des cartes ?Les controverses autour du jeu vidéo sont également abordées, comme l’addiction et la dépendance. Les jeux à univers persistants massivement multijoueurs sont-ils des espaces de création de lien social comme le souligne Philippe Bonfils ? Philippe Lafrance analyse, à travers une série d’entretiens réalisés avec des joueurs de WoW (World of Warcraft), ce qui rend ce jeu si attractif et montre des cas où les joueurs entrent dans des pratiques excessives accompagnées de période de dépression. L’auteur souligne toutefois la difficulté à parler d’addiction (cette notion s’applique-t-elle à des objets qui ne sont pas des drogues ?). À partir de quel moment glisse-t-on de la passion à une pratique excessive ?

Hermès nous livre un ouvrage très complet sur le jeu vidéo aujourd’hui, que l’on peut conseiller aussi bien aux personnes découvrant cet univers (grâce à la présence d’un glossaire très complet et des encadrés pertinents comme celui sur le machinima ou la féminisation du jeu vidéo), qu’aux joueurs souhaitant prendre du recul sur leurs pratiques.L’ouvrage n’apporte pas de réponse définitive aux questions posées mais fournit de nombreuses pistes de réflexion, évitant ainsi de tomber dans le piège des a priori et ouvre des portes intéressantes. Comme le souligne Aymeric d’Afflon, « nous n’en sommes qu’à l’an 40 de ce moyen de communication et de création, alors soyons en sûrs : le plus beau reste à venir ».

Julien [email protected]

« Le livre, le numérique »Sous la direction de Pierre NoraLe Débat, no 170, mai-août 2012Paris, Gallimard, 2012, 192 p., 27 cmISSN 0246-2346 : 18 €

Comme le rappelle Antoine Gallimard dans l’introduction du no 170 de la revue Le Débat,

« le développement de cette offre nouvelle a d’ores et déjà suscité d’importantes réflexions et disposition du côté des acteurs de la chaîne du livre et des pouvoirs publics » dont, d’ailleurs, le Bulletin des bibliothèques de France s’est fait souvent l’écho. Il n’est pas un trimestre sans que ne soit publié un rapport, une étude, une synthèse reprenant et répétant le plus souvent la précédente. C’est pourquoi il a été préféré pour cette publication une vision prospective, à une énième approche « historique ». S’appuyant sur un état des lieux circonstancié, la revue de Pierre Nora fait se croiser dans une série de contributions riches et variées les points de vue de la création, de la diffusion, des pratiques/usages de lecture tout en évoquant la conservation, la diffusion de cette production immatérielle mais aussi le devoir de mémoire comme la souveraineté numérique.

Réguler ?

Curieusement, cet ouvrage collectif débute par un « Combat pour le livre » signé par Hervé Gaymard qui semblerait indiquer que, dans cette période « incertaine », il faudrait être attentif à la situation du livre et de la lecture en consolidant et renouvelant un écosystème législatif pour en assurer le développement et la pérennité. Jacques Toubon, qui confirme ce point de vue, fait preuve en plus d’un optimisme tranquille et serein. Acteur attentif engagé depuis les années 1990 dans les questions d’économie numérique, il développe l’idée qu’un simple appareil législatif, fût-il européen, ne suffira pas à endiguer

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le libre-échange et qu’il conviendrait que les acteurs de la chaîne du livre unissent leurs volontés de préparer l’économie de demain au nom d’une nouvelle vie qui ne passe jamais deux fois…

Avoir confiance dans l’usage

S’agissant de la situation du livre et de la lecture, Olivier Donnat nous rappelle que le recul de la lecture régulière de livres est ancien et général ; Caroline Leclerc constate une nouvelle fois l’échec de la démocratisation de l’enseignement supérieur qui n’a pas été suivie d’un accroissement du nombre d’acheteurs de livres, tout en s’interrogeant sur l’ampleur et la nature de la rupture entre le livre papier et le livre numérique et imaginant de nouveaux processus de pensée grâce à l’enchevêtrement de pratiques de lecture anciennes et nouvelles. Christophe Evans discerne un double paradigme pour les bibliothèques au xxie siècle : être entre « inactualité », qu’il illustre, entre autres, en reprenant les propos d’André-Pierre Syren – « à quoi sert une bibliothèque quand l’information est partout ? » – et « actualité », observant que la bibliothèque en ligne est bien plus que le prolongement de la bibliothèque physique, elle la régénère, voire la remplace… On observe un mécanisme similaire pour la presse magazine comme l’analyse avec acuité Jean-François Barbier-Bouvet, développant une théorie du « déplacement des horizons d’attente » dans son article qui concerne à la fois le mode d’écriture (le déplacement des rhétoriques) et le support de lecture (l’ordinateur) dans une prédominance de l’internet comme univers de référence.

Faire se rapprocher des points de tension

Françoise Benhamou reprend dans son papier, « Le livre et son double », les thèses qu’elle développe dans son importante production journalistique sur le sujet. Antoine Compagnon, dans un article très personnel, établit des liens entre le temps d’avant et celui de la navigation au cœur d’internet qui permet autant d’excroissances et autres boursouflures. C’est précisément ce « temps d’avant » qui sert de repoussoir à la très riche contribution de Pierre Assouline qui dissèque les points de tension entre œuvre littéraire et usages dans une indéfectible confiance en la capacité syncrétique et cursive du lecteur numérique.En restant dans leur registre, Bruno Racine, Jean-Noël Jeanneney et Robert

Darnton poursuivent leur échange entamé depuis une dizaine d’années. Ce dialogue à trois voix analyse la dimension universelle de certains projets développés dans la Silicon Valley et la nécessité de mettre en œuvre une « riposte » à la hauteur de l’enjeu : à savoir maîtriser par les peuples, dans leur diversité, leur héritage culturel. Si l’objectif est partagé par les trois hommes, ils divergent cependant dans leur stratégie pour atteindre cet objectif. Jean-Noël Jeanneney en mule du coche fait alterner son propos entre « allégresse et vigilance », tandis que Bruno Racine, dans un louable souci de consensus, définit une troisième voie permettant de concilier « utopie et pragmatisme », afin que se dessine pour Robert Darnton une « solution internationale ».

Franchir les frontières

Aux frontières de ce territoire du livre et du numérique, Le Débat élargit son propos à la souveraineté digitale (Pierre Bellanger), à la galaxie wikimédia (Nathalie Savary), aux questions de mémoire (comment l’écrire, pour Sébastien Ledoux, ou comment la représenter, pour Jean-Pierre Rioux), mais aussi à « la révolution médiatique de la condition humaine » qui, selon Olivier Ferrand, met en scène un dédoublement des plans de l’existence en installant un dualisme de la sphère privée et de la sphère publique. C’est dans ces articles, à la marge du sujet, que se trouvent les contributions les plus denses, les plus charnues, pour nous proposer de restaurer des frontières dans un mode indifférencié, rétablir des ordres symboliques et tenter de répondre à toutes les interrogations utopiques.

François Rouyer-Gayettefrancois.rouyer-gayette

@centrenationaldulivre.fr

Michel MelotMirabilia. Essai sur l’Inventaire général du patrimoine culturelParis, Gallimard (Bibliothèque des idées), 2012, 288 p., 23 cmISBN 978-2-07-013637-7 : 22 €

Cet essai n’est peut-être pas le livre de Michel Melot vers lequel le bibliothécaire se serait le

plus naturellement tourné. Et ç’aurait été à tort, car Mirabilia a pour lui de nombreuses vertus.La première est de fournir un pont entre les écrits de son auteur sur l’art (depuis L’œil qui rit 1) et l’histoire de l’art (Fontevrault)2, et la curiosité d’esprit qu’on lui connaît dans le monde des bibliothèques et les sphères médiologiques. Ce livre constitue l’aboutissement d’une réflexion engagée par Michel Melot dans les années 1980, du temps où il était au département des Estampes de la Bibliothèque nationale, sur le sens de l’art dès lors qu’une œuvre est reproduite. Une réflexion de chercheur et de praticien, ici étendue au « patrimoine culturel ». Pendant huit ans, après sa présidence du Conseil supérieur des bibliothèques, Michel Melot a en effet été le responsable national de l’Inventaire général, jusqu’à sa décentralisation aux régions en 2004. Il y a approfondi sa réflexion initiale sur l’art, en l’éprouvant au contact – rétrospectif, quotidien et prospectif – du patrimoine culturel, soit une « masse d’objets qui ne sont pas conçus avant tout comme objets d’art », mais qui révèlent, à un moment donné, de « nouvelles valeurs dont chaque collectivité se dote pour exister » et « tout ce que nous admirons de l’homme ». Le titre de l’essai est emprunté à Callimaque de Cyrène, bibliothécaire d’Alexandrie au iiie s. avant J.-C., auteur d’une série

1. Office du livre, 1975.2. Édition de la Caisse nationale des monuments historiques, 1973.

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d’ouvrages justement dénommés Mirabilia, regroupant la liste de tout ce que l’homme avait pu faire d’admirable.La deuxième vertu de cet ouvrage est de clairement documenter la genèse, les fondements et la nature d’une entreprise, celle de l’Inventaire général, qui, avec un millier d’études publiées sur le territoire national en moins de 50 ans d’existence, est un auteur collectif bien présent dans les bibliothèques. Mirabilia rappelle ainsi le long cheminement de l’idée d’inventaire général en France, des recueils de Bernard de Montfaucon, à l’orée du xviiie siècle, à l’installation de la Commission nationale présidée par Julien Cain, en 1964, en marge du Commissariat au Plan. L’ouvrage relate également l’évolution des objets successifs d’étude de l’Inventaire, depuis les formules programmatiques célèbres d’André Chastel (« de la cathédrale à la petite cuillère ») et André Malraux (« une aventure de l’esprit », « un filtre ordonné par des valeurs »), jusqu’aux évolutions les plus récentes, qui ont vu l’intérêt anthropologique prendre définitivement le pas sur l’intérêt esthétique : s’éloignant du simple patrimoine architectural et mobilier, l’Inventaire a progressivement inclus dans ses enquêtes et ses études le patrimoine industriel, puis les villes dans leur ensemble, les paysages, et l’activité humaine qui s’y est déroulée. Avec l’enthousiasme de l’honnête homme face à une connaissance qui se développe à l’infini, Michel Melot emboîte le pas à la sociologue Nathalie Heinich et brosse le portrait de l’Inventaire général en « école du regard » comme en « état-civil du patrimoine, comparable aux recensements de population, qui évolue sans cesse », à la fois « avant-garde du patrimoine » et « condamné à la perpétuité ».Pour le bibliothécaire, l’apport le plus riche de ce livre, comme ses développements les plus longs, réside peut-être dans la réflexion qu’il propose sur les frontières (sujet médiologique par excellence) : entre l’art et le patrimoine, entre l’exceptionnel et l’ordinaire, entre l’intime et le communautaire, entre le monument (qui avertit) et le document (qui enseigne). À partir du statut de l’illustration – et singulièrement de la photographie – dans l’histoire de l’art, Michel Melot donne de brillantes pages sur le rapport entre texte et image dans le livre, et sur l’esthétisation de la reproduction, passée au fil du temps du statut documentaire à celui d’œuvre d’art elle-même. Sur un autre plan, il restitue de façon limpide cette différence fondamentale entre bibliothèque et inventaire : l’inventaire, démarche « tabulaire », qui classe en un ensemble des objets épars, mais n’oriente pas, à

la différence du catalogue, qui décrit les éléments d’ensembles déjà constitués. Il y a là matière à approfondir l’analyse des parentés et dissemblances entre les métiers du patrimoine (archives, monuments historiques, musées, inventaire) et ceux des bibliothèques, dans la lignée de la réflexion initiée en 1999 par l’École nationale du patrimoine lors de sa table ronde comparative dénommée « Tri, sélection, conservation » et poursuivie récemment dans le Bulletin des bibliothèques de France (no 4 de 2011, « Confluences »).Au-delà de celle de ses feuillets, ce livre a l’épaisseur d’une vie d’ouverture intellectuelle, de fréquentation de l’art dans ses œuvres, ses praticiens, ses théoriciens. En miroir de l’Inventaire dont il part, Michel Melot a glissé de multiples objets dans son ouvrage : le portrait de Jean Le Bon – gloire du Louvre… – appartenant à la Bibliothèque nationale, des cimetières, les maisons d’écrivains, ou encore la convention de l’Unesco de 2005 pour la promotion et la protection de la diversité des expressions culturelles. Mais nul raton laveur…

Serge [email protected]

Pour une histoire des politiques culturelles dans le monde (1945 – 2011)Sous la direction de Philippe PoirrierParis, La Documentation française, 2011, 485 p., 24 cmISBN 978-2-11-008710-2 : 28 €

Cet ouvrage (et sans doute cette recension) vient à point nommé : voici donc un petit éloge de la

procrastination : la place, les fonctions, le rôle du ministère de la Culture, en France, sont, en ces périodes de doute budgétaire où les priorités nationales vont vers d’autres secteurs (la petite enfance, l’école, l’hôpital public), remises en question avec force, et sous un gouvernement de gauche.

Priorités et politiques

Qu’il est donc loin le temps où, en 1981, Jack Lang faisait de son entrée au gouvernement comme un symbole de la libération des mœurs, du bouleversement des traditions, dans une sorte de droit fil de mai 1968. Le livre était menacé, mais par les grandes surfaces, le cinéma, pensait-on parfois, par les Américains, et le budget du ministère de la Culture allait être doublé.Depuis quelques années, les sujets de ce ministère se sont déplacés : du contenu, classique, vers les industries culturelles (voir, à ce sujet, Philippe Urfalino, L’invention de la politique culturelle, La Documentation française, 1996), du support vers le numérique, nous sommes, pour reprendre le texte de Jeremy Rifkin, passés à l’âge de l’accès, contre l’excellence, pour reprendre l’expression très pertinente de David Losseley, contributeur de cet ouvrage pour le Royaume Uni. Aurélie Filippetti, nouvelle ministre de la Culture et de la Communication, doit en savoir quelque chose, elle qui déclare : « Les grands chantiers ne font pas une politique culturelle. »

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Philippe Poirrier a eu la très bonne idée de solliciter dix-huit contributions étrangères et une française sur la mise en perspective depuis la Seconde Guerre mondiale, des politiques publiques de la culture, autrement appelées « politiques culturelles ».

Comparaisons et raisons

Des dix-huit contributions, on retiendra qu’elles sont très étrangères, c’est dire : le Japon, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la Norvège, la Finlande, les États-Unis, le Chili, l’Italie, bref, tout ce que le monde compte de démocraties ; on notera, bien sûr, l’absence de la Corée du Nord…L’intérêt de cet ouvrage est qu’il est comparatif, et, prospectif.Les exemples de la dictature chilienne prouvent les errements d’une politique culturelle décidée, en ses débuts très centralisée, puis décentralisée au cours des années 1970, suivant en cela les recommandations des Chicago Boys. Que reste-t-il des structures et des concepts mis en place ? Un souhait que la culture participe à « l’identité nationale », comme on a pu le dire récemment, sous une acception nettement plus contestable, et une sorte d’écartèlement vers une mondialisation qui semble inéluctable.Le cas de l’Allemagne est tout aussi éclairant : après le partage du pays, deux conceptions se mettent en œuvre : une, « pluraliste et démocratique », en RFA, et l’autre, en RDA, « autoritaire et centraliste » selon les propos de Thomas

Höpel. Après la réunification, la création d’un ministère de la Culture – au sens moins régalien que le nôtre – agirait, là aussi, comme une sorte de catalyseur de cette introuvable identité nationale.On aurait pu s’attendre à ce que la Norvège, pays du Nord, soit une sorte d’exemple de politique culturelle stable et consensuelle : elle est certes traversée de grands invariants (soutien aux grandes institutions, par exemple) et fragmentée par les données économiques et les aléas gouvernementaux, qui ont induit, d’une part, une plus grande distance entre les artistes et l’État et, d’autre part, un contrôle plus étroit des finances. Per Mangset conclut par : « Enfin, un ministre à la française » (il s’agit ici de Jack Lang).Le cas des États-Unis nous est mieux connu, par les travaux d’Anne-Marie Bertrand et ceux de Frédéric Martel, nous n’y reviendrons pas.Notre grand voisin, le Royaume-Uni, est, à lui seul, une sorte de symbole de nos orientations, de nos hésitations : entre le thatchérisme décentralisateur et la politique du Labour Party, il y a plus qu’une nuance ; l’Arts Council, cette création de 1946 – qui n’est pas un ministère de la Culture, mais une institution dont les rapports avec l’État sont, écrit David Losseley, « à géométrie variable » – a survécu aux aléas gouvernementaux avec ce concept que les Anglais ont inventé, presque intraduisible, le principe de l’arm’s length, qui vaut que, selon la longueur de bras, l’État est plus ou moins à distance. La période thatchérienne étant celle où la longueur est la plus longue, la période

travailliste, essentiellement celle des dernières années, celle où le bras est le plus court, et l’interventionnisme accru.Cet ouvrage quasi mondial, pour lequel Laurent Martin évoque la France avec précision et vision, mais le sujet nous est familier, et dont nous avons tenté de découper, comme les archéologues, quelques carottes, tendrait à prouver que les politiques culturelles se sont inspirées de deux grands principes : d’une part, la présence plus ou moins forte de l’État, au gré des histoires nationales et des évolutions politiques (le Chili, la Grèce, la RDA, le Royaume-Uni), et, d’autre part, l’incarnation en la personne de deux grands animaux politiques incontestés, pourrait-on dire presque familièrement, André Malraux, pour son rapport direct à l’art, et Jack Lang, pour cette façon un peu ébouriffée de nommer Culture beaucoup de pratiques de société ; les deux avec talent et brio. Il ne s’agit pas de chauvinisme, mais, après tout, à un moment de notre histoire, ils ont sans doute été l’image de deux visions fortes, des phares, de la démocratisation à la démocratie culturelle (et retour). Pour toutes ces raisons, et mille autres encore, ce livre est à lire sans hésitation, sans modération ; il ouvre sur des perspectives qui ne nous sont pas, malgré tout, familières, et ne coûte que vingt-huit euros. C’est dire si Philippe Poirrier nous offre ici de belles voies de recherche (et de lectures).

Thierry [email protected]

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Bibliothèques et bibliothécaires dans le miroir des articles du MondeGaël Fromentin

Cet article reprend les principaux éléments d’un mémoire d’étude consacré à l’image des bibliothèques et des bibliothécaires dans Le Monde depuis 1999. Il souligne l’évolution de cette image au cours de la période et rend compte de ce qui intéresse principalement les journalistes et, donc, de ce qu’ils traitent (l’architecture, le numérique, les interrogations sur l’avenir et, bien sûr, la BnF).

Décrochages dans l’imaginaire technique des bibliothécairesAnne Boraud

Quels rapports l’identité professionnelle des bibliothécaires entretient-elle avec la technique ? Quelles évolutions, quelles interactions peuvent-elles être analysées ? Cet article replace ce dialogue dans ses fondements historiques et politiques, puis montre le changement radical produit par internet et le web 2.0. Plaidant pour une réelle prise en compte des évolutions actuelles, l’auteur ap-pelle les bibliothécaires à réinterroger leurs pratiques et s’éloigner de la position du stratège pour adopter celle du tacticien, plus à même de tirer parti des cir-constances et d’aménager une situation complexe.

La valeur des services documentaires en prise avec le numériqueGhislaine Chartron

Qu’est-ce que les outils numériques font aux techniques, aux pratiques, aux compétences des bibliothécaires ? Cet article présente un panorama rétrospectif et prospectif des nouvelles technologies : le web 1.0, le web 2.0, le web séman-tique, le cloud computing…, et analyse les conséquences de ces évolutions en terme d’accès aux données, d’organisation du travail (local, national, internatio-nal) ou de formation.

Index, Google et bibliothèquesDominique Maniez

Ancré dans le registre épistémologique, cet article interroge les rapports qu’entretiennent les bibliothèques (et leurs pratiques d’indexation) avec ces nouveaux outils de l’intellect que propose le web sémantique. Il analyse les effets de l’usage d’un célèbre moteur de recherche sur les pratiques, les accès, les habitudes de travail des étudiants, leurs attentes, leur impatience, ou leur demande d’instantanéité. Dans cet environnement, quelle peut être la place du bibliothécaire ?

Researchers of Tomorrow : doctorants britanniques, numérique et bibliothèquesCécile Touitou

Cet article rend compte de l’étude britannique, Researchers of Tomorrow, sur les usages de la documentation par des doctorants. Riche d’un très important échantillon (17 000 répondants) et enrichie d’un volet qualitatif, cette étude souligne les usages réels de ces étudiants, la préférence pour des sources se-condaires, leurs difficultés ou réticences pour accéder aux ressources en ligne, en particulier celles des bibliothèques.

L’opposition millénaire archives/bibliothèques a-t-elle toujours un sens à l’ère du numérique ?Marie-Anne Chabin

Cet article analyse les relations, autrefois claires et binaires entre archives et bibliothèques, puis l’irruption d’un troisième larron, la documentation. Il s’in-terroge sur les conséquences du séisme numérique dans la production de docu-ments, leur statut, leur masse, leur organisation et sur l’évolution du cycle de vie de l’information. Il conclut sur la permanence, malgré l’évolution technique et sociale, d’une dualité de finalité et d’objectifs entre bibliothèques et archives.

Une bibliothèque numérique sur les réseaux sociaux : l’exemple de GallicaL’équipe Gallica

L’offre de services numériques doit s’accompagner de leur mise en valeur sur les réseaux sociaux : c’est la décision que la BnF a mise en œuvre depuis 2010 à propos de Gallica. Dans cet article riche d’exemples concrets, l’équipe res-ponsable de cette présence numérique (informations, dialogue, valorisation) en expose les modalités, mais aussi les réactions des « Gallicanautes » et l’organi-sation de travail induite par cette activité nouvelle.

Des outils automatiques pour le signalement en bibliothèque : expérimentations autour du projet data.bnf.frRomain Wenz et Agnès Simon

Depuis 2011, grâce aux outils du web sémantique, la BnF mène une expérimen-tation de signalement et accès à ses ressources : data.bnf.fr. Ce dispositif per-met des regroupements de ressources présentes dans les bases de données de la BnF. Des pages sont créées sur des auteurs, des œuvres, des thèmes, avec des liens vers les documents. Cet article présente les principes et la mise en œuvre de ce dispositif.

D’une modernité l’autre : les magasins robotisés de la bibliothèque municipale de Bordeaux… et d’ailleursSerge Bouffange

À la fin des années 1980, la ville de Bordeaux a misé sur la modernité en im-plantant deux magasins robotisés dans sa grande bibliothèque de Mériadeck (27 000 m²). Elle était alors la seule en France à se lancer dans une telle aven-ture. Abondamment visitées, ces installations ont toutefois été démantelées dans les années 2000, au moment même où se répandaient des systèmes équi-valents de stockage et d’extraction automatisée de livres en magasins, principa-lement dans des bibliothèques universitaires nord-américaines. Qu’est-ce qui a poussé la ville de Bordeaux à ces deux décisions exceptionnelles, qui restent atypiques dans le paysage français ?

Déficients visuels et RFIDMarie-Noëlle Andissac

La médiathèque José Cabanis de Toulouse, attentive aux services attendus par les publics handicapés, vient de mettre en test un dispositif améliorant l’acces-sibilité aux collections : grâce aux étiquettes RFID, tous les documents de la médiathèque peuvent être identifiés par synthèse vocale. Les déficients visuels ont ainsi accès à toute l’offre documentaire de la médiathèque, pas seulement aux documents adaptés.

résumés des articles

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Libraries and librarians in articles in Le MondeGaël Fromentin

The article details the key findings of a study of the image of libraries and libra-rians in Le Monde since 1999. It shows how the image has changed over the period, reflecting the principal interests of journalists in the field: architecture, digitisation, the future of the sector, and the Bibliothèque Nationale de France.

Changing attitudes to technology among librariansAnne Boraud

How does the professional identity of librarians reflect their use of technology, and what developments and interactions can be analysed in this arena? The article looks at the historical and political basis for such a dialogue before stu-dying the radical shift brought about by the internet and the web 2.0. The author argues that current developments need to be fully taken into account and calls on librarians to study their own practices, becoming tacticians rather than stra-tegists and thereby becoming better placed to take advantage of circumstances and successfully managing what is a highly complex situation.

The value of document services in contact with digitisationGhislaine Chartron

How have digital tools changed the techniques, practices and skills used by li-brarians? The article looks back at recent technologies and forward to emergent ones, including the web 1.0, the web 2.0, the semantic web, and cloud compu-ting, and analyses the consequences of these developments in terms of access to data, how work is organised locally, nationally, and internationally, and libra-rianship training.

Index, Google and librariesDominique Maniez

The article applies an epistemological approach to the relationship between libraries (and their indexing practices) and the new intellectuals tools offered

by the semantic web. The author analyses the effect the leading search engine has had on students in terms of their practices, access, working habits, expec-tations, demands, and need for instant information. Where do librarians fit in?

Researchers of Tomorrow: British doctoral students, the digital world, and librariesCécile Touitou

This article presents the findings of the British study Researchers of Tomor-row on how doctoral students use documents. Drawing on the responses of 17,000 participants, the study – which also incorporated a qualitative approach – underscores how students really use these resources, particularly their prefe-rence for secondary sources and their difficulties and hesitations in using online material, particularly that offered by libraries.

Is the age-old distinction between libraries and archives still valid in the digital age?Marie-Anne Chabin

The article sets out to analyse the relationship between archives and libraries, which was clear and distinct until documentation arrived as a new category, blurring the boundaries. The author studies how the advent of the digital era shaped the way documents are produced, their status, quantity, and organisa-tion, and how the life cycle of information has evolved. She concludes that tech-nological and social changes have not abolished the frontier between the use and objectives of libraries and archives.

Digital libraries and social networks: a case study of the Gallica project The Gallica team

The provision of digital services must go hand in hand with their promotion on social networks, which is why the BnF decided to launch such a programme for Gallica in 2010. The article draws widely on concrete examples provided by the various members of the Gallica digital team with responsibility for information,

L’abeille et le bibliothécaire ou éthique du libre et lecture publique en zone ruraleRenaud Aïoutz et Patrick Bartet

Mariant évolution des techniques et analyse des territoires ruraux, cet article se veut une réflexion (et une incitation) sur le travail en commun, une « théorie de la pratique », la mise en œuvre professionnelle et partagée de la société de la connaissance. L’exemple du RISOM (Réseau intercommunal et solidaire des mé-diathèques de Tence, St-Jeures et Le Mazet-St-Voy, Haute-Loire), qui propose le partage d’informations sur des projets d’animation, leurs outils et leurs usages, vient à l’appui et en illustration de cette analyse.

Le projet de système de gestion mutualisé de l’AbesJean Bernon

Après un bref rappel historique de l’évolution des systèmes de gestion infor-matisés de bibliothèque, Jean Bernon présente les systèmes de nouvelle géné-ration, fondés sur des bases de connaissances communes et des métadonnées communes, dans le cadre de l’informatique dans les nuages. Avantages et risques de ces nouveaux systèmes sont analysés, avant que Jean Bernon ne pré-sente le projet de l’Abes d’élaboration d’un SGB mutualisé, ses objectifs, son mode d’élaboration et ses conséquences possibles sur les réseaux documen-taires universitaires.

La formation des directeurs de bibliothèque de recherche en EuropeNicolas Di Méo

Cet article étudie la formation des directeurs de bibliothèque d’enseignement et de recherche européens. Bien que 30 % d’entre eux seulement aient soutenu un doctorat, ils sont une majorité à juger ce diplôme utile (mais pas indispensable) pour exercer leur métier. Pour la plupart, ils ont bénéficié de formations aux fonctions de direction et l’offre existant actuellement dans ce domaine semble correspondre assez bien à leurs attentes. Enfin, la mobilité professionnelle et internationale ne concerne encore qu’une minorité des personnes interrogées, mais est probablement amenée à se développer au cours des années à venir.

abstracts

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contacts with users, and promotion, to demonstrate how the service works, how it is seen by “Gallicanauts”, and how the new tool has impacted working practices.

Automatic tools for signposting in libraries: experiments with the data.bnf.fr projectRomain Wenz and Agnès Simon

In 2011, the BnF launched data.bnf.fr, a new project for signposting and acces-sing its resources using the tools offered by the semantic web. The project groups together resources on offer in the BnF’s various databases, creating pages on authors, works, and themes with links to documents. The article out-lines the principles behind the project and its implementation.

Automated book storage systems at the Bordeaux municipal library... and elsewhereSerge Bouffange

Bordeaux set out to modernise its central library in the late 1980s, installing two automated book storage systems in the 27,000 m² Mériadeck library. At the time, the library was the only one of its kind in France. The installations were in great demand but were eventually dismantled in the 2000s just as equivalent automated book storage and retrieval systems were coming into widespread use, mainly in North American university libraries. What was behind the city’s thinking in both instances, which remain unusual in France to this day?

Visual impairment and RFIDMarie-Noëlle Andissac

The José Cabanis multimedia library in Toulouse, which makes a point of provi-ding access to users with various forms of disability, has recently begun testing a new service designed to improve access for the visually impaired. It has ins-talled RFID tags on all the items in the library so that they can be identified by speech synthesis, thereby opening the whole collection up to visually impaired users who are no longer limited in their choice of material.

The bee and the librarian: towards an ethics of books and reading promotion schemes in rural areasRenaud Aïoutz and Patrick Bartet

The article combines a study of changing technology and the specificities of rural communities to promote thinking about joint projects, the “theory of prac-tice”, and the professional implementation of a knowledge society. It focuses on a case study of a network of multimedia libraries in Tence, St-Jeures and Le Mazet-St-Voy in Haute-Loire (central France), which take a joint approach to information-sharing about their activity programmes, tools, and specific needs.

Setting up a pooled management system for the Abes catalogueJean Bernon

Jean Bernon’s article begins with a brief look back at the development of com-puterised library management systems before turning to the latest generation of cloud computing systems, based on shared knowledge bases and metadata-bases. He analyses the pros and cons of these new systems and applies them to the Abes catalogue’s project to set up a pooled management system, looking at how it has been drawn up, its objectives, and its likely consequences for univer-sity library networks.

Training research library directors across Europe Nicolas Di Méo

This article studies the education and training of university and research library directors in Europe. Though only 30% of European library heads have a PhD, most of them think that such a diploma is useful (but not vital) for running a li-brary. Many of them have undergone training prior to becoming directors (either during their university studies or in the context of lifelong education) and the current training offer generally meets their most frequently expressed needs and demands. Only a small minority of European directors have studied or worked abroad, but professional and international mobility is likely to increase in the future.

zusammenfassungen

Bibliotheken und Bibliothekare im Spiegel der Artikel der « Monde »Gaël Fromentin

Dieser Artikel nimmt die wesentlichen Elemente einer dem Image der Biblio-theken und der Bibliothekare in Le Monde seit 1999 gewidmeten Studienarbeit wieder auf. Er hebt die Weiterentwicklung dieses Images im Laufe des Zeitab-schnitts hervor und berichtet über das, was in erster Linie die Journalisten in-teressiert und mit was sie sich also befassen (Architektur, Digitaltechnik, Befra-gung über die Zukunft, und, natürlich, der BnF).

Abheben in die technische Vorstellungswelt der Bibliothekare Anne Boraud

Welche Beziehungen unterhält die Berufsidentität der Bibliothekare mit der Technik? Welche Weiterentwicklungen, welche Interaktionen können analy-siert werden? Dieser Artikel sieht diesen Dialog im Kontext seiner historischen und politischen Grundlagen und zeigt dann den radikalen durch Internet und Web 2.0 bewirkten Wechsel auf. Der Autor plädiert für eine reelle Berücksichti-gung der aktuellen Weiterentwicklungen und ruft die Bibliothekare zur Hinter-fragung ihrer Praktiken auf und dazu, sich von der Strategenposition zu entfer-nen, um jene des Taktikers anzunehmen, außerdem in der Lage zu sein, Nutzen aus den Umständen zu ziehen und eine komplexe Situation anzupassen.

Der Wert der dokumentarischen Dienste konfrontiert mit der DigitaltechnikGhislaine Chartron

Wie verändern die digitalen Werkzeuge die Techniken, die Praktiken und die Kompetenzen der Bibliothekare? Dieser Artikel präsentiert ein rückblickendes und zukunftsorientiertes Panorama der neuen Technologien: Web 1.0, Web 2.0, semantisches Web, Cloud Computing… und analysiert die Konsequenzen dieser Weiterentwicklungen in Bezug auf Datenzugang, Arbeitsorganisation (lokal, na-tional, international) oder Fortbildung.

Index, Google und BibliothekenDominique Maniez

Dieser im epistemologischen Register verankerter Artikel hinterfragt die Ver-hältnisse, die Bibliotheken (und ihre Indexierungspraktiken) mit diesen neuen Hilfsmitteln des Intellekts, die das semantische Web bietet, pflegen. Er analy-siert die Nutzungseffekte einer erfolgreichen Suchmaschine auf die Praktiken, die Zugriffe, die Arbeitsgewohnheiten von Studenten, ihre Erwartungen, ihre Ungeduld, oder ihr Verlangen nach Augenblicklichkeit. Welches kann in diesem Umfeld der Platz des Bibliothekars sein?

106 bbf : 2012 t. 57, no 5

Researchers of Tomorrow: britische Doktoranden, Digitaltechnik und BibliothekenCécile Touitou

Dieser Artikel berichtet über die britische Studie Researchers of Tomorrow über die Mediengewohnheiten von Doktoranden. Diese Studie, die durch einen sehr bedeutenden Querschnitt bereichert (17.000 Befragte) und mit einem qualitati-ven Teil angereichert ist, hebt die tatsächlichen Gewohnheiten dieser Studenten hervor, die Vorliebe für Sekundärquellen, ihre Schwierigkeiten oder Vorbehalte beim Zugang zu Onlineressourcen, insbesondere jene der Bibliotheken.

Hat die die tausendjährige Opposition Archive/Bibliotheken im digitalen Zeitalter noch Sinn?Marie-Anne Chabin

Dieser Artikel analysiert die einstmals klaren und binären Beziehungen zwi-schen Archiven und Bibliotheken, dann das Eindringen eines lachenden Dritten, der Dokumentation. Er stellt sich Fragen über Konsequenzen der digitalen Er-schütterung auf Medienproduktion, ihren Status, ihre Masse, ihre Organisation und über die Weiterentwicklung des Lebenszyklus der Information. Er schließt ab mit der Fortdauer eines Dualismus der Zweckbestimmung und der Ziele zwischen Bibliotheken und Archiven trotz der technischen und sozialen Weiterentwicklung.

Eine digitale Bibliothek in den sozialen Netzwerken: das Beispiel GallicaGallica-Team

Das Angebot an digitalen Diensten muss von ihrer Hervorhebung in den sozi-alen Netzwerken begleitet werden: dies ist die Entscheidung, die die BNF hin-sichtlich Gallica seit 2010 in die Tat umgesetzt hat. In diesem Artikel, der reich an konkreten Beispielen ist, stellt das für diese digitale Präsenz verantwortliche Team (Informationen, Dialog, Aufwertung) die Modalitäten, aber auch die Re-aktionen der „Gallicanauten“ dar und die durch diese neue Aktivität herbeige-führte Arbeitsorganisation.

Automatische Hilfsmittel zum Nachweis in der Bibliothek: Erprobungen zum Projekt data.bnf.frRomain Wenz und Agnès Simon

Seit dem Jahre 2011 führt die BnF dank der Hilfsmittel des semantischen Webs eine Nachweis- und Zugangserprobung zu ihren Ressourcen durch: data.bnf.fr. Dieser Dienst ermöglicht die Gruppenbildungen von in den Datenbanken der BnF angezeigten Ressourcen. Es werden Seiten über Autoren, Werke, Themen errichtet mit Links zu den Dokumenten. Dieser Artikel stellt die Grundsätze und die Umsetzung dieses Dienstes vor.

Von einer Neuartigkeit zur anderen: die vollautomatisierten Magazine der Stadtbibliothek Bordeaux… und anderswoSerge Bouffange

Ende der 80er Jahre hat die Stadt Bordeaux auf Modernität gesetzt, indem sie zwei automatisierte Magazine in ihrer großen Bibliothek Mériadeck (27 000 m²) eingeführt hat. Sie war also die Einzige in Frankreich, die sich in ein derartiges Abenteuer gestürzt hat. Dennoch wurden diese reichlich besuchten Einrichtun-gen in den 2000er Jahren abgebaut, in der Zeit, in der sich gleichartige Spei-chersysteme und automatisierte Förderanlagen von Büchern in Magazinen, vor allem in den nordamerikanischen Universitätsbibliotheken, ausbreiten. Was hat die Stadt Bordeaux zu diesen zwei außergewöhnlichen Entscheidungen, die in der französischen Bibliothekslandschaft atypisch bleiben, getrieben?

Sehbehinderte und RFIDMarie-Noëlle Andissac

Die Mediathek José Cabanis Toulouse, die auf die von behinderten Benutzern er-warteten Dienste achtet, hat soeben ein System, das den Zugriff zu den Samm-lungen verbessert, einem Test unterzogen: dank RFID-Etiketten können alle Medien der Mediathek durch Vokalsynthese identifiziert werden. Sehbehinderte haben somit Zugang zum ganzen Medienangebot der Mediathek, nicht nur zu angepassten Medien.

Die Biene und der Bibliothekar oder die Ethik des Freien und Bibliothekswesen im ländlichen RaumRenaud Aïoutz und Patrick Bartet

Dieser Artikel, der die Weiterentwicklung der Techniken und Analyse der länd-lichen Räume vereint, möchte eine Überlegung (und ein Ansporn) über die Gemeinschaftsarbeit, eine „Theorie der Praxis“, die professionelle und geteilte Umsetzung der Wissensgesellschaft, sein. Das Beispiel RISOM (Interkommu-naler und solidarischer Verbund der Mediatheken St-Jeures, Le Mazet-St-Voy, Haute Loire), das den Informationsaustausch über Projekte der Öffentlichkeits-arbeit, ihre Hilfsmittel und ihre Nutzungen vorschlägt, stützt sich darauf und veranschaulicht diese Analyse.

Das Projekt des gemeinsamen Bibliothekssystems der AbesJean Bernon

Im Anschluss an einen kurzen historischen Abriss der Entwicklung der elektro-nischen Bibliothekssysteme stellt Jean Bernon die neue Generation von Syste-men vor, die im Rahmen von Cloud Computing auf gemeinsamen Wissensbasen und gemeinsamen Metadaten aufbauen. Es werden Vorteile und Risiken dieser neuen Systeme analysiert, bevor Jean Bernon das Projekt der Abes der Entwick-lung eines gemeinschaftlichen Bibliotheksverwaltungssystems, seiner Ziele, seiner Art der Entwicklung und seiner möglichen Folgen für die universitären Verbünde vorstellt.

Die Ausbildung von Leitern von Forschungsbibliotheken in EuropaNicolas Di Méo

Dieser Artikel untersucht die Ausbildung von europäischen Leitern von Lehr- und Forschungsbibliotheken. Obwohl nur 30% unter ihnen ein Doktorat vertei-digt hat, hält eine Mehrheit unter ihnen dieses Diplom für nützlich (jedoch nicht unabdingbar), um ihren Beruf auszuüben. Die meisten haben von Ausbildungen in Leitungsfunktionen profitiert und das bestehende Angebot auf diesem Gebiet scheint ihren Erwartungen recht gut zu entsprechen. Die berufliche und inter-nationale Mobilität betrifft schließlich noch nur eine Minderheit der befragten Personen, doch wird sie im Laufe der kommenden Jahre wahrscheinlich dazu gebracht, sich zu entwickeln.

bbf : 2012 107 t. 57, no 5

resúmenes

Bibliotecas y bibliotecarios en el espejo de los artículos de Le MondeGaël Fromentin

Este artículo retoma los principales elementos de una tesina de estudio consa-grada a la imagen de las bibliotecas y de los bibliotecarios en Le Monde desde 1996.Este subraya la evolución de esta imagen en el curso del periódo y da cuenta de lo que interesa principalmente a los periodistas y, entonces, de lo que tratan (la arquitectura, lo digital, las interrogaciones sobre el porvenir y, por supuesto, la BNF).

Abandonos en el imaginario técnico de los bibliotecariosAnne Boraud

¿Qué relaciones la identidad profesional de los bibliotecarios mantiene con la técnica? ¿Qué evoluciones, qué interacciones pueden ser analizadas? Este artículo reubica este diálogo en sus fundamentos históricos y políticos, luego muestra el cambio radical producido por internet y la web 2.0. Abogando por una real tomada en cuenta de las evoluciones actuales, el autor llama a los bi-bliotecarios a reinterrogar sus prácticas y alejarse de la posición del estratega para adoptar la del táctico, más propicia a sacar partido de las circunstancias y planificar una situación compleja.

El valor de los servicios documentales en empatía con lo digitalGhislaine Charton

¿Qué hacen las herramientas digitales a las técnicas, a las prácticas, a las com-petencias de los bibliotecarios? Este artículo presenta un panorama retrospec-tivo y prospectivo de las nuevas tecnologías : la web 1.0, la web semántica, el cloud computing..., y analiza las consecuencias de estas evoluciones en término de acceso a los datos, de organización del trabajo (local, nacional, internacio-nal) o de formación.

Indice, Google y bibliotecasDominique Maniez

Anclado en el registro epistemológico, este artículo interroga las relaciones que mantienen los bibliotecarios (y sus prácticas de indización) con estas nuevas herramientas del intelecto que propone la web semántica. Este analiza los efec-tos del uso de un célebre motor de búsqueda sobre las prácticas, los accesos, las costumbres de trabajo de los estudiantes, sus espectativas, su impaciencia, o su demanda de instantaneidad. En este entorno, ¿Cuál puede ser el lugar del bibliotecario?

Researchers of Tomorrow: doctorantes británicos, digital y bibliotecas.Cécile Touitou

Este artículo da cuenta del estudio británico, Researchers of Tomorrow, sobre los usos de la documentación por doctorantes. Tiene como riqueza una importante muestra (17.000 respuestas) y enrriquecida con un aspecto cualitativo, este estudio subraya los usos reales de estos estudiantes, la preferencia por fuentes secundarias, sus dificultades o reticencias para acceder a los recursos en línea, en particular las de las bibliotecas.

¿La oposición milenaria archivos/bibliotecas tiene aún un sentido en la era de lo digital?Marie-Anne Chabin

Este artículo analiza las relaciones, antaño claras y binarias entre archivos y bi-bliotecas, enseguida la irrupción de un tercero en discordia, la documentación. Se interroga sobre las consecuencias del sismo digital en la producción de do-cumentos, su estatuto, su masa, su organización y sobre la evolución del ciclo de vida de la información. El artículo concluye sobre la permanencia, a pesar de la evolución técnica y social, de una dualidad de finalidad entre bibliotecas y archivos

Una biblioteca digital en las redes sociales: el ejemplo de GallicaEl equipo Gallica

La oferta de servicios digitales debe acompañarse de su puesta en valor en las redes sociales : es la decisión que la BNF ha ejecutado desde el 2010 a propó-sito de Gallica. En este artículo enrriquecido con ejemplos concretos, el equipo responsable de esta presencia digital (informaciones, diálogo, valorización) expone de ello las modalidades, pero también las reacciones de los “Gallicanau-tas” y la organización de trabajo inducida por esta nueva actividad.

Herramientas automáticas para el señalamiento en biblioteca: experimentaciones alrededor del proyecto data.bnf.frRomain Wenz y Agnès Simon

Desde 2011, gracias a las herramientas de la web semántica, la BnF lleva a cabo una experimentación de señalamiento y acceso a sus recursos: data.bnf.fr. Este dispositivo permite reagrupamientos de recursos presentes en las bases de datos de la BnF. Se han creado páginas sobre autores, obras, temas, con en-laces hacia los documentos. Este artículo presenta los principios y la ejecución de este dispositivo.

De una modernidad a otra: los almacenes robotizados de la biblioteca municipal de Burdeos... y de otra parteSerge Bouffange

A finales de los años 1980, la ciudad de Burdeos apostó por la modernidad implantando dos almacenes robotizados en su gran biblioteca de Mériadeck (27 000 m²). En ese entonces era la única en Francia a lanzarse en una tal aventura. Abundantemente visitadas, estas instalaciones fueron sin embargo desmanteladas en los años 2000, en el momento mismo en el que se expan-dían sistemas equivalentes de almacenamiento y de extracción automatizada de libros en tiendas, principalmente en bibliotecas universitarias norteamericanas. ¿Qué es lo que ha empujado a la ciudad de Burdeos a tomar estas dos deci-siones excepcionales, que permanecen atípicas en el paisaje francés?

Deficientes visuales y RFIDMarie-Noëlle Andissac

La mediateca José Cabanis de Tolosa, atenta a los servicios esperados por los públicos discapacitados, acaba de poner en test un dispositivo que mejora la ccesibilidad a las colecciones: gracias a la etiquetas RFID, todos los documen-tos de la mediateca pueden ser identificados mediante síntesis vocal. Los defi-cientes visuales tienen de esta manera acceso a toda la oferta documental de la mediateca, no sólamente a los documentos adaptados.

108 bbf : 2012 t. 57, no 5

La abeja y el bibliotecario o ética del libro y lectura pública en zona ruralRenaud Aïoutz y Patrick Bartet

Uniendo evolución de las técnicas y análisis de los territorios rurales, este artí-culo quiere ser una reflexión (y una incitación) sobre el trabajo en común, una “teoría de la práctica”, la ejecución profesional y compartida de la sociedad del conocimiento. El ejemplo de la RISOM (Red intercomunal y solidaria de las mediatecas de Tence, St-Jeures y Le Mazet-St-Voy, Alta-Loira), que propone la repartición de informaciones sobre proyectos de animación, sus herramientas y sus usos, vienen a respaldar y en ilustración de este análisis.

El proyecto de sistema de gestión mutualizada del AbesJean Bernon

Después de un breve recuerdo histórico de la evolución de los sistemas de gestión informatizados de biblioteca, Jean Bernon presenta los sistemas de nueva generación, fundados en bases de conocimientos comunes y metadatos comunes, en el marco de la informática en las nubes. Se analizan las ventajas y riesgos de estos nuevos sistemas, antes que Jean Bernon presente el proyecto del Abes de elaboración de un SGB mutualizado, sus objetivos, su modo de elaboración y sus consecuencias posibles sobre las redes documentales universitarias.

La formación de los directores de biblioteca de investigación en EuropaNicolas Di Méo

Este artículo estudia la formación de los directores de biblioteca de enseñanza y de investigación europeas. Aunque el 30% de entre ellos sólamente hayan sustentado un doctorado, ellos son una mayoría a juzgar este diploma útil (pero no indispensable) para ejercer su oficio. En su mayoría, se han benefi-ciado de formaciones a las funciones de dirección y la oferta existente actual-mente en este ámbito parece corresponder bastante bien a sus espectativas. Finalmente, la movilidad profesional e internacional sólo concierne todavía a una minoría de personas interrogadas, pero está llamada a desarrollarse en el curso de los años venideros.

9 782765 413561

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Bibliothèques et techniques

Le projet de système de gestion de bibliothèque mutualisé de l’Abes

La formation des directeurs de bibliothèque de recherche en Europebb

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DOSSIER

Bibliothèques et techniques

Bibliothèques et bibliothécaires dans le miroir des articles du MondeGaël Fromentin

Décrochages dans l’imaginaire technique des bibliothécairesAnne Boraud

La valeur des services documentaires en prise avec le numériqueGhislaine Chartron

Index, Google et bibliothèquesDominique Maniez

Researchers of Tomorrow : doctorants britanniques, numérique et bibliothèquesCécile Touitou

L’opposition millénaire archives/bibliothèques a-t-elle toujours un sens à l’ère du numérique ?Marie-Anne Chabin

Une bibliothèque numérique sur les réseaux sociaux : l’exemple de GallicaL’équipe@GallicaBnF

Des outils automatiques pour le signalement en bibliothèque : expérimentations autour du projet data.bnf.frRomain Wenz et Agnès Simon

D’une modernité l’autre : les magasins robotisés de la bibliothèque municipale de Bordeaux… et d’ailleursSerge Bouffange

Déficients visuels et RFIDMarie-Noëlle Andissac

L’abeille et le bibliothécaire ou éthique du libre et lecture publique en zone ruraleRenaud Aïoutz avec Patrick Bartet

À PROPOSLe projet de système de gestion de bibliothèque mutualisé de l’AbesJean Bernon

La formation des directeurs de bibliothèque de recherche en EuropeNicolas Di Méo

COURRIER DES LECTEURSÀ propos de « Connaissez-vous [vraiment] Léo Crozet ? » Un bibliothécaire agent double ? Le rapport secret américainGuillaume Lebailly

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BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2012 / Numéro 1BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2012 / Numéro 2BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2012 / Numéro 3BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2012 / Numéro 4BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2012 / Numéro 5BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2012 / Numéro 6BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2013 / Numéro 1BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2013 / Numéro 2BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2013 / Numéro 3BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2013 / Numéro 4BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2013 / Numéro 5BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2013 / Numéro 6

BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2012 / Numéro 1BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2012 / Numéro 2BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2012 / Numéro 3BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2012 / Numéro 4BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2012 / Numéro 5BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2012 / Numéro 6BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2013 / Numéro 1BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2013 / Numéro 2BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2013 / Numéro 3BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2013 / Numéro 4BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2013 / Numéro 5BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2013 / Numéro 6

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Octobre 2012