Bernard Gautier - La Rhétorique Au Service de La Publicité

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Jean-Charles Chebat Bernard Gautier La rhétorique au service de la publicité In: Communication et langages. N°38, 2ème trimestre 1978. pp. 103-116. Résumé Tout message, qu'il soit littéraire, poétique, pictural ou... publicitaire, vise à produire certains effets. Mais arriver au résultat cherché ne peut être laissé ni au hasard ni à l'improvisation. Il faut à la création des règles. Ceux qui prétendent n'en respecter aucune et s'en remettre à leur seule inspiration observent inconsciemment d'autres codes qui, pour ne pas être formulés, n'en sont pas moins impérieux. Ces régies en matière littéraire sont les lois de la réthotique. Elles consistent en la codification d'un certain nombre de procédés connus et qui sont chargés d'apporter dans le message explicite son aspect implicite, ce qui l'enrichit considérablement. Ajoutons que bien souvent elles sont observées sans être connues, et tel utilise couramment l'apocope, la métonymie ou le chiasme qui n'en pourrait donner une définition claire. D'une certaine façon, dans la mesure où jadis les lois de la rhétorique étaient connues de tout individu cultivé, on peut dire qu'un lecteur ou un spectateur voyait ou comprenait dans une tragédie de Racine plus que nous n'en voyons ou n'en comprenons aujourd'hui. Jean-Charles Chebat et Bernard Gautier exposent, dans l'article suivant, que le message publicitaire, texte ou image, est par une singulière rencontre soumis lui aussi aux lois de la rhétorique. La connaissance de ces dernières doit permettre l'élaboration d'un message publicitaire dont les effets et l'efficacité peuvent être, sinon calculés, du moins prévus avec plus de précision. Citer ce document / Cite this document : Chebat Jean-Charles, Gautier Bernard. La rhétorique au service de la publicité. In: Communication et langages. N°38, 2ème trimestre 1978. pp. 103-116. doi : 10.3406/colan.1978.1208 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/colan_0336-1500_1978_num_38_1_1208

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Jean-Charles ChebatBernard Gautier

La rhétorique au service de la publicitéIn: Communication et langages. N°38, 2ème trimestre 1978. pp. 103-116.

RésuméTout message, qu'il soit littéraire, poétique, pictural ou... publicitaire, vise à produire certains effets. Mais arriver au résultatcherché ne peut être laissé ni au hasard ni à l'improvisation. Il faut à la création des règles. Ceux qui prétendent n'en respecteraucune et s'en remettre à leur seule inspiration observent inconsciemment d'autres codes qui, pour ne pas être formulés, n'ensont pas moins impérieux. Ces régies en matière littéraire sont les lois de la réthotique. Elles consistent en la codification d'uncertain nombre de procédés connus et qui sont chargés d'apporter dans le message explicite son aspect implicite, ce quil'enrichit considérablement. Ajoutons que bien souvent elles sont observées sans être connues, et tel utilise courammentl'apocope, la métonymie ou le chiasme qui n'en pourrait donner une définition claire. D'une certaine façon, dans la mesure oùjadis les lois de la rhétorique étaient connues de tout individu cultivé, on peut dire qu'un lecteur ou un spectateur voyait oucomprenait dans une tragédie de Racine plus que nous n'en voyons ou n'en comprenons aujourd'hui. Jean-Charles Chebat etBernard Gautier exposent, dans l'article suivant, que le message publicitaire, texte ou image, est par une singulière rencontresoumis lui aussi aux lois de la rhétorique. La connaissance de ces dernières doit permettre l'élaboration d'un messagepublicitaire dont les effets et l'efficacité peuvent être, sinon calculés, du moins prévus avec plus de précision.

Citer ce document / Cite this document :

Chebat Jean-Charles, Gautier Bernard. La rhétorique au service de la publicité. In: Communication et langages. N°38, 2èmetrimestre 1978. pp. 103-116.

doi : 10.3406/colan.1978.1208

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/colan_0336-1500_1978_num_38_1_1208

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LA RHÉTORIQUE

AU SERVICE DE

LA PUBLICITÉ

par Jean-Charles Chebat et Bernard Gautier

Tout message, qu'il soit littéraire, poétique, pictural ou... publicitaire, vise à produire certains effets. Mais arriver au résultat cherché ne peut être laissé ni au hasard ni à l'improvisation. Il faut à la création des règles. Ceux qui prétendent n'en ■ respecter aucune et s'en remettre à leur seule inspiration observent inconsciemment d'autres codes qui, pour ne pas être formulés, n'en sont pas moins impérieux. Ces régies en matière littéraire sont les lois de la réthotique. Elles consistent en la codification d'un certain nombre de procédés connus et qui sont chargés d'apporter dans le message explicite son aspect implicite, ce qui l'enrichit considérablement. Ajoutons que bien souvent elles sont observées sans être connues, et tel utilise couramment l'apocope, la métonymie ou le chiasme qui n'en pourrait donner une définition claire. D'une certaine façon, dans la mesure où jadis les lois de la rhétorique étaient connues de tout individu cultivé, on peut dire qu'un lecteur ou un spectateur voyait ou comprenait dans une tragédie de Racine plus que nous n'en voyons ou* n'en comprenons aujourd'hui. Jean-Charles Chebat et Bernard Gautier exposent, dans l'article suivant, que le message publicitaire, texte ou image, est par une singulière rencontre soumis lui aussi aux lois de la rhétorique. La connaissance de ces dernières doit permettre l'élaboration d'un message publicitaire dont les effets et l'efficacité peuvent être, sinon calculés, du moins prévus avec plus de précision.

Si Molière devait recréer aujourd'hui le personnage du Bourgeois gentilhomme, M. Jourdain serait publicitaire et pratiquerait à son insu l'art de la rhétorique. C'est en effet — faut-il le rappeler ? — grâce surtout aux travaux de Barthes, de Durand et d'Eco que l'on a pris conscience que cette discipline, dite littéraire, couvrait un champ vaste qui incluait la publicité. L'ensemble de ces travaux permit de se rendre compte que cette fameuse créativité publicitaire, apparemment si spontanée, était un processus aboutissant à un répertoire fini de figures possibles, et qu'au fond le créateur publicitaire faisait de grands efforts pour retrouver ce qui était déjà fort bien connu et codifié par le rhétoricien classique. Le problème est bien entendu que les deux individus, publicitaire et rhétoricien, ont mis longtemps à soupçonner qu'ils travaillaient dans des domaines connexes. C'est à tort que la rhétorique est considérée comme un ornement, une parure élégante du discours. La rhétorique n'est pas non plus le précieux reliquat d'un art antique, celui d'un Démos-

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thène ou d'un Protagoras haranguant la foule sur quelque agora... La rhétorique est un art vivant et omniprésent dont une des manifestations les plus claires1 est la publicité. La rhétorique est une dimension essentielle à tout acte de signification. Cette signification se manifeste par un écart entre la formulation attendue d'un discours et une formulation chargée d'intentions persuasives. La formulation publicitaire se présente comme une entité où texte et image sont intimement interreliés. Cependant, si la rhétorique du texte est codée et formellement enseignée depuis des siècles, la rhétorique de l'image n'est l'objet d'études que depuis quelquesannées.

LA RHETORIQUE DE L'IMAGE La reconnaissance d'une rhétorique de l'image a fait l'objet de

nombreux commentaires. Anciens et Modernes se querellent à propos1 d'incompatibilité du genre : linéarité du verbe contre

spatialité de l'image1... Les travaux de Durand (1968) ont d'ailleurs. montré empiriquement que, non pas quelques-unes, mais toutes les figures de la rhétorique classique étaient transposables à l'image. Victoroff dit à ce sujet : « L'image utilise des signes qui correspondraient, » au niveau verbal, à de grandes unités du discours. » Quant à Osgood, il dit en substance que les codes des différentes langues sont comme des icebergs dont la partie immergée cache les mécanismes universels de la métaphore2 et de la synesthésie3 liés à des racines biologiques et synesthésiques communes à tous les hommes. La rhétorique de l'image, comme celle du texte, serait donc une manifestation supralinguistique proche de cet « hors langage » dont parle Eco (1972).

LE DEGRE ZERO DE L'ECRITURE PUBLICITAIRE Nous avons dit plus haut que la signification réside dans l'écart entre une formulation attendue et une formulation persuasive, « rhétorisée »... Ainsi, le slogan politique des années 50 aux Etats-Unis « I like Ike4» contient une intention persuasive par sa formation même, ce que l'on ne retrouve pas dans le banal « I like Eisenhower », qui n'est qu'opinion personnelle de

Cî l'électeur.

«L S1 1. Notons à ce propos que Chebat et Hénault proposent une lecture linéaire c* de l'image : c'est, selon ces auteurs, sur le mouvement linéaire des yeux -S ' que se construirait la rhétorique de l'image.

<S 2. Métaphore : figure de style qui fait passer un mot de son sens propre à g un sens nouveau en vertu d'une comparaison sous-entendue ou d'une ana- •«= logie. S 3. Synesthésie : association spontanée entre des sensations de nature diffé- | rente (Larousse). | 4. Exemple repris par R. Jakobson dans Essais de linguistique générale (Paris, P Editions de Minuit, 1959). .

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Lors de l'analyse de la rhétorique publicitaire, il importe de reconstituer la formulation de base afin de repérer les figures qui s'y sont greffées et d'apprécier ainsi l'écart entre les deux formulations. Il semble théoriquement hasardeux d'avancer qu'il existe apparemment un degré zéro universel et absolu. Ce dernier serait propre au mode de communication (picturale, cinétique, verbo-iconique...), voire au type de communication (publicitaire, poétique...). Développons cette idée : Etant donné que le degré zéro n'est pas une notion universelle, et en particulier qu'elle dépend de l'univers communicationnel du récepteur, il faut apprécier le degré zéro en fonction du public spécifique auquel s'adresse la publicité. Or, précisément, les études de marché sont là pour mettre* en évidence les axes publicitaires auxquels le consommateur serait éventuellement sensible. Le processus classique de marketing englobe — c'est ce que nous croyons du moins — le mouvement rhétorique qui mène de l'information des études de marché à la création d'images et de textes publicitaires.

Ainsi, dans son livre De l'étude de motivation à la création publicitaire et à la promotion des ventes5, Joannis met précisément en évidence le répertoire fini (supposé complet — et il en définit huit — ) des concepts d'évocation (ce que l'on pourrait appeler les « cordes sensibles » du récepteur). Ces concepts d'évocation constituent en quelque sorte le degré zéro publicitaire sur lequel se développe le mouvement rhétorique qui conduit à la création du message publicitaire. Nous n'avons guère l'ambition de résoudre Fe problème linguistique général de la définition du degré zéro. Nous limitant à l'écriture (au sens1 large) , nous espérons donner une définition opératoire de ce degré zéro en acceptant l'idée que le répertoire des concepts d'évocation constitue le degré zéro de l'écriture publicitaire. Autrement dit, nous pensons que le répertoire construit de « concepts d'évocation » constitue, à titre purement pragmatique, le degré zéro du langage publicitaire. L'intérêt pour ce répertoire est d'autant plus grand que le choix d'un concept spécifique est censé intervenir dans un processus rationnel (voir figure ci-dessous) et, surtout, s'adapter au public-cible. Autrement dit, ces « concepts d'évocation » de Joannis nous garantissent, en principe du moins, que le degré zéro est bien en relation avec l'univers communicationnel spécifique d'un segment-cible spécifique, car, répétons-le, il n'y a pas de degré 5. H. Joannis : De l'étude de motivations à la création publicitaire et à la promotion des ventes (Paris, Dunod, 1972), p. 422.

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zéro dans l'absolu. Celui-ci dépend, au moins, du mode de communication, d'une part, et du public-cible, d'autre part.

Nous pouvons représenter cette notion comme suit :

CONCRET ABSTRAIT CONCRET

Donnée de base (étude de marché)

Définition de l'élément moteur (la « corde sensible » du récepteur)

Concept d'évocation (thème ou degré zéro) + Charge rhétorique

Comment l'annonce le dit

JOANNIS A MIS EN EVIDENCE Flg- 1 : séquence de créatîon HUIT CONCEPTS D'EVOCATION

Groupés en deux catégories : 3 concepts d'évocation directe et 5 concepts d'évocation indirecte. Un exemple concret permettra de mieux comprendre le mécanisme de cette notion. Prenons l'annonce « Scout international » que nous analyserons en détail plus loin. Dans le texte, l'accroche dit: « II mène une » vie double... Tout comme vous. » Le concept d'évocation choisi est (dans les termes de Joannis) « l'induction de la satis- » faction par la description du résultat de l'action du produit ». L'image va également dans ce sens. Nous analyserons plus loin- comment les figures de rhétorique sont intervenues pour transmettre la signification. Une étude réalisée en 1976 par B. Gautier a utilisé le principe du degré zéro pour repérer les figures de rhétorique tant verbales qu'iconiques sur un corpus de trois cents annonces. A la lumière des travaux de J. Durand sur l'image publicitaire et de ceux du groupe h de Liège sur l'expression écrite, une grille d'analyse (appelée grille Alpha) commune aux registres a été construite.

Disons simplement ici que chaque figure de rhétorique a été définie sur le plan verbal et iconique, puis située suivant trois dimensions : 1. La catégorie à laquelle appartient la figure :

cq — figures qui affectent la forme de l'expression (métaplasmes), Ç — figures qui affectent la syntaxe (métataxes),

| — figures qui affectent le contenu de l'expression (métasé- | mêmes), t; — figures qui affectent la logique (métalogismes). c 2. La nature de l'opération entrant en jeu : | — adjonction, •| — suppression, | — substitution, | — échange, ô

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3. L'intensité de cette opération : — partielle, — complète.

Chaque figure de rhétorique a été définie aux niveaux du texte et de l'image et située dans cette grille. Ainsi, les figures correspondant à la combinaison métaplasmes-adjonction-par-

Termes APHERESE APOCOPE BLANCHISSEMENT CHIASME

DIERESE

ELLIPSE

EPENTHESE

INFIXATION METONYMIE

METAPHORE

MOT-VALISE OXYMORE

PARADOXE

PARAGOGUE

PREFIXATION PROTHESE

SUFFIXATION SYMETRIE

SYNCOPE

Signification suppression au début suppression à la fin rupture du discours symétrie en croix

adjonction phonétique d'une syllabe (utilité poétique) suppression de mots ou d'éléments (ponctuation) non nécessaires à la compréhension normale de la phrase adjonction d'un élément quelconque au milieu d'un mot adjonction d'un affixe au milieu d'un mot figure qui consiste à montrer l'effet pour exprimer la cause, le contenant pour le contenu- figure où un mot représentant une idée est utilisé à la place d'un autre mot afin de suggérer la ressemblance d'évocation création d'un mot contradiction entre deux éléments voisins désigne une situation contraire à la vraisemblance adjonction d'un élément quelconque à la fin d'un mot adjonction d'un affixe au début d'un mot adjonction d'un élément quelconque au début d'un mot adjonction d'un affixe à la fin d'un mot répétition d'éléments quasi identiques

suppression à l'intérieur d'un mot

Exemples mam pour maman photo, pour photographie

« le passé me tourmente et je crains Y avenir »

puiser (prononcé en trois syllabes) « sur la piste de l'homme » (absence de verbe)

mirlitaire

pensoyai-je dire : « un Crésus »

« mettez un tigre dans votre moteur »

rajolivissant, fruitillante... « cette obscure clarté... »

« l'homme est un poisson »

avecque

prévespéral esquelette

bedondaine la voiture dont vous avez hocAÎn ucouin la voiture dont vous avez envie empaqueter prononcé « empacté »

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tielle sont « préfixation », « infixation », « suffixation », « prothèse », « épenthèse *, « paragoque », « diérèse », « mot- valise »6. Nous proposons l'analyse de deux annonces qui sont apparemment voisines quant à la forme, mais dont les contenus rhétoriques sont différents. Ce choix permettra de mieux saisir la pertinence et la sélectivité que permet l'analyse rhétorique. Il s'agit, d'une part, de l'annonce « Scout international » publiée dans la presse canadienne en 1975 et d'autre part, de l'annonce « Armagnac » publiée dans la presse française la même année. Ces deux annonces présentent des similitudes structurelles frappantes. Elles sont toutes deux divisées par un trait vertical. D'un point de vue strictement rhétorique, nous assimilons le trait vertical de la première annonce à un « blanchissement », dans la mesure où il y a rupture totale entre deux zones au profit d'une zone neutre. La séparation de la seconde annonce (« Armagnac ») est assimilable à une « syncope », car il y a reprise quasi immédiate de l'image.

ANALYSE DE L'ANNONCE « Scout international » Quelle est la fonction du « blanchissement » (le trait blanc vertical) ? Tout d'abord, créer dans les parties droite et gauche de l'image un changement de paysage concrétisant ainsi la dualité exprimée dans le texte par « citation » (emprunt à une forme codifiée) : « mener une vie double ». Plus précisément, il y a rupture par la droite du paysage citadin et rupture par la gauche du paysage campagnard. (En termes rhétoriques, nous nommons respectivement ces ruptures apocope et aphérèse) . Le « blanchissement » est là pour souligner la contradiction d'autant plus contrastée qu'ils sont voisins : la ville et la campagne. Entre deux éléments cette contradiction porte le nom d'oxymore . Nous retrouvons cette « oxymore » dans l'accro- charje : opposition • dans les termes « une vie/double ». Donc, dans le texte comme dans l'image, on souligne l'opposition entre dualité et unicité. Bien plus, il y a une frappante correspondance entre texte et image :

SS, ^-—UNE VIE unicité da la voiture _ ^ TEXTE CT • IMAGE |> ^""'"DOUBLE dualité du paysage

|

^ On constate aussi un « blanchissement » (c'est-à-dire l'arrêt de c l'image par le trait vertical) au niveau de la voiture. Notons que § l'on retrouve dans le texte même cet arrêt, avec reprise sous § forme de point de suppression : « II mène une vie double...

| comme vous. » II y a là une remarquable symétrie dans la rhé- 1 torique du texte et de l'image.

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II mène une vie double

...tout comme vous

Sous les dehors paisibles de ce SCOUT® prévenant qui vous accompagne partout tout au

long de la semaine. Il y a l'autre. Le Scout impatient de filer vers la montagne.

Du lundi au vendredi, en citadin bien élevé, il se conduit tranquillement et se range sans histoires. Facile à vivre, il fait place aux amis et veille sur leur confort. Pas fier, il rabat une banquette et

porte les provisions. Comme une fourgonnette.

Mais samedi, attention!' Pressentant votre désir d'évasion, il dévore la route et aplatit les côtes. Même les pires.

Si vous prenez les quatre roues motrices, il passera n'importe où, en fin de semaine et s'accommodant de tous terrains durant la semaine.

Le jour où vous

rez de voir autre chose que le stationnement du centre d'achats, allez voir le dépositaire INTERNATIONAL®.

Votre ami le Scout vous y attend.

LE SCOUT INTERNATIONAL II mène une vie double

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Notons ici un élément fondamental, ce que nous appellerons la séquence rhétorique. Dans un premier temps, on insiste sur Vunité, qui se matérialise dans le texte par le « il » et le « une » (il mène « une » vie double) et dans l'image par la perception globale de l'automobile unique. Dans un second temps, on souligne la dualité, ce qui s'exprime dans le texte par « vie double » et dans l'image par le contraste entre la « ville » et la campagne entre lesquelles se trouve le blanchissement Dans1 un troisième temps, on met en évidence V harmonie (ou retour à l'unité) : dans le texte, il s'agit du « comme vous » ; dans l'image, les deux parties de la voiture (de part et d'autre du blanchissement) forment un lien entre les deux parties de l'image. La séquence rhétorique unité-dualité-harmonie n'est autre en fait que la structure très classique de thèse-antithèse- synthèse. Ce qui est tout à fait remarquable, c'est que les deux premiers temps de la démonstration correspondent aux temps des processus perceptuels ; dans un premier temps, on perçoit globalement l'image (temps unité) ; dans un second temps, on l'analyse par un balayage du regard (temps dualité). Donc, ici du moins, la séquence rhétorique logique est construite sur un schéma classique de démonstration et respecte le processus perceptuel. L'ensemble de la continuité (exprimé par l'ellipse) et de la discontinuité (exprimé par l'oxymore) est en soi un paradoxe, et c'est précisément le paradoxe qui constitue la figure rhétorique dominante, à savoir la coexistence harmonieuse et logique de contraires. Par ailleurs, l'annonce dans sa globalité présente une « métonymie » (il s'agit d'exprimer ou de montrer ici l'effet par la cause). Le départ de la ville pour la campagne (effet) au moyen de la voiture Scout (cause) constitue cette « métonymie », de même que le texte qui révèle que l'on mènera une vie double (effet, résultat) grâce à l'auto, c'est-à-dire la cause. Cette métonymie se greffe à la fois sur l'oxymore (qui présente l'effet) et sur l'ellipse (qui présente la cause). Nous pouvons représenter l'organisation rhétorique de cette première annonce comme suit :

APOCOPE ET

APHERESE

BLANCHISSEMENT | (trait vertical, arrêt)

(suppressions)

OXYMORE (discontinuité)

T METONYMIE cause, effet

A I ELLIPSE I

(reprise —continuité)

Fig. 2 : construction de la rhétorique de l'annonce Scout.

PARADOXE

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ANALYSE DE L'ANNONCE « Armagnac » Si l'on considère notre deuxième annonce (« Armagnac »), nous constatons que la syncope (arrêt de l'image avec repris'e immédiate) crée également une suppression par la droite et par la gauche d'une moitié des deux personnages (apocope et aphérèse). Ces deux figures provoquent également une contradic-. tion entre deux éléments voisins ; cette contradiction est dite oxymore. Par ailleurs, il y a de la part du créateur la volonté d'éviter une discontinuité tropJorte qui aurait été inévitable avec un « blanchissement ». En fait, sur l'« oxymore » se greffe un « parallélisme » construit par une « symétrie » évidente et un « harmonisme » dans les couleurs. Ces deux dernières figures sont destinées à donner à l'ensemble l'illusion d'un personnage unique, et contribuent ainsi à atténuer la discontinuité. La combinaison de cette « oxymore » et de cette « symétrie » forme un « chiasme », c'est-à- dire une figure qui réunit des éléments dispersés et rend viable à la fois la discontinuité (« oxymore ») et la continuité (« symétrie »). Ces deux éléments deviennent en quelque sorte réunis dans les deux propositions par la « syncope ». Nous retrouvons ce chiasme dans la séquence « croisée » du texte : l'armagnac (1) et le cognac (2) : c'est la différence entre la terre de la Gascogne (1 ) et celle de la Charente (2'). 1 -> 2 -»• 1' -♦ 2\

Notons également que c'est le terme « différence » qui unit les deux propositions. Un autre phénomène rhétorique de cette annonce mérite d'être signalé : la mise en parenthèses du produit (encart en bas à droite) permet la reconstitution d'une métaphore qui est présente dans le texte, à savoir l'assimilation du produit à It» terre, au vigneron. On peut résumer l'organisation rhétorique comme suit :

SYNCOPE

(arrêt)

APOCOPE ET

APHERESE

m

(suppressions)

' OXYMORE (discontinuité)

MÉTAPHORE A

SYMÉTRIE

HARMONISME

\ \

j CHIASME

( continuité ) Fig. 3 : construction rhétorique de l'annonce « Armagnac ». La séquence rhétorique est ici, en fait, fort différente de la séquence de l'annonce précédente. En effet qu'y voit-on ?

Au plan de l'image, il y a dans un premier temps une apparente similitude voulue : par la continuité de couleurs, les traits du

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visage connotant le terroir, par l'absence même de séparation, le premier temps de perception de l'image est une vision globale unifiante. Toujours' au plan de l'image, dans un second temps, on perçoit des différences qui ne sont que nuances et non oppositions : on a représenté deux éléments du paradigme iconique « vieux-paysan-français ». Or, les éléments de ce paradigme ne sont pas clairement différenciés dans la codification iconique classique. Il n'y a pas ici de ces attributs vestimentaires classiques (« chapeaux ronds » pour les Bretons, par exemple) qui distinguent et exposent le «vieux paysan» de Gascogne et le « vieux paysan » de Charente. Il y a donc ici beaucoup plus de nuances que d'oppositions. De plus, bien sûr, au niveau de la codification visuelle de différentes terres, les nuances sont inexistantes. Il y a au niveau de l'image une séquence démonstrative en deux temps : unité-différenciation.

Au plan du texte, M y a d'abord unité (ou plutôt réunion) « l'armagnac ET le cognac » ; puis, dans un deuxième temps clairement annoncé par les deux points (:), on met en évidence la différence. (« c'est la différence entre la terre de Gascogne et » la terre d'Armagnac »). Donc, ici aussi, dans le texte comme dans l'image, une séquence rhétorique en deux temps : unité- différenciation. Ce qui est frappant, c'est que cette annonce reproduit les deux premiers temps de la séquence rhétorique précédente, mais avec la dernière phase en moins, à savoir l'harmonie. Or il est clair que cette troisième et dernière phase, ne peut pas exister ici, dans la seconde annonce. Raisonnons par l'absurde et supposons un instant que la publicité ait créé une troisième phase de son mouvement rhétorique. Cela aboutirait à démontrer que cognac et armagnac ne font qu'un. Ce qui serait stratégiquemenl absurde • l'armagnac, digestif moins connu et moins. bien distribué que le cognac, est entouré de connotations floues. L'assimiler au cognac reviendrait à suivre les aléas du marché propre au cognac et à se couper définitivement de la possibilité de créer à l'avenir une image différente de celle du cognac. Donc, la troisième phase est impossible ici.

| CONCLUSION c1 Le type d'analyse que nous proposons ici implique que l'on se "2 demande quelle est la fonction, potentielle, du rhétoricien au c sein d'une équipe de publicitaires. | Dans la séquence longue et hasardeuse de chaînons méthodo- •| logiques qui vont de l'étude de marché à la création publicitaire, | on retrouve la séquence, classique en linguistique, de Yintenté, g du réalisé .et du perçu. Lorsque le -publicitaire conçoit une ô

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Term calcaire provenant de la région de petite Champagne ICharentel. Terre argilo-silideuse provenant de la région de Lannemaignan IGascognel.

L'Anr et le Cognac: c'est la différence entre la terre de la Gascogne et celle de la Charente.

L'Armagnac vient de la vigne. Mais des vignes qui mûrissent sous le soleil de b Gascogne.

L'Armagnac vieillit dans des tonneaux de chêne. Mais des chênes qui poussent sur la terre de Gascogne. LArmagnac, c'est la Gascogne qui le fait. Et la Gascogne n'a ni te même

soleil, ni la même terre, et ni le même paysage qu'une autre région.

Cest pour ça que l'Armagnac a une couleur, un parfum et un goOt qui ne ressemblent à rien d'autre.

Jusqu'à maintenant les gascons élevaient leur Armagnac, le sur

veillaient, le respiraient, le goûtaient

pendant des années et le gardaient pour eux. Peu connu ailleurs, l'Armagnac ne sortait presque pas de la Gascogne.

Aujourd'hui, les producteurs de l'Armagnac ont décidé de vous en parler. Pour vous apprendre à mieux le connaître. L Anvioonoc vhui m pobio qvvp9 connu»

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La rhétorique au service de la publicité

annonce, son intention est de communiquer un message qui corresponde aux motivations1 de ses récepteurs-cibles. Or le réalisé, c'est-à-dire l'ensemble des signifiants qu'il utilise — plus précisément la combinatoire de signifiants1 qu'il utilise — , n'est pas nécessairement identique à l'intenté. Ces « erreurs » d'écriture publicitaire doivent être corrigées avant que le message publicitaire ne soit émis dans le public et que s"es effets soient (éventuellement8) négatifs. Or, les pré-tests publicitaires visent, généralement, à contrôler si l'échantillon de récepteurs est sensible à l'humour, au plaisir, à la persuasion que voudrait transmettre le publicitaire. Autrement dit, on saute de l'étape « intenté » à l'étape « perçu ». L'intervention du rhétoricien porte sur le chaînon manquant : le « réalisé », afin de contrôler l'adéquation du réalisé avec l'intenté. La démarche classique du pré-test (intenté -* perçu) permet de dire si iintention est perçue (et dans quelle mesure éventuellement). Elle ne permet guère de définir ceux des constituants du texte ou de l'image qui trahissent l'intention du publicitaire. Or, si l'on admet que la fonction publicitaire — et c'est vrai d'évidence pour les produits nouveaux — est de réduire la polysémie des signifiants du produit-signe et, par conséquent, de préciser la relation entre signifiants du produit et signifié, pour un public-cible donné, alors la fonction du rhétoricien est toute trouvée au sein du processus publicitaire, sous certaines conditions. Le discours publicitaire persuasif, construit jusqu'ici sur une connaissance rhétorique latente ou intuitive s'éduit, convainc, attire, ou non, selon que :

a) il y a recouvrement (au moins partiel) des codes linguistiques et iconiques du publicitaire d'une part, et du récepteur d'autre part (mais cela est le domaine spéciquede recherches sémiotiques) ; b) il y a compatibilité entre la complexité de l'information émise et la capacité de traitement de l'information du récepteur (mais cela est le domaine de la psychologie cognitive) ; c) il y a adaptation du discours persuasif aux structures mentales du récepteur, et c'est là le domaine du rhétoricien. D.'E. Morin9 nous le rappelle : « Dans le royaume de l'intellect, » c'est l'inconscient qui se croit toute conscience. » C'est cette quête vers les structures latentes du langage (verbal ou/et iconique) qui est le fait du rhétoricien : ne pas être trahi par sa propre voix. 8. Quant aux effets négatifs de la publicité, rappelons que Marcus Steiff cite auelques exemples redoutablement explicites dans son article « A propos des effets de la publicité sur les ventes », in Communication, n° 17, 1971, pp. 3-28. 9. D.E. Morin : la Méthode, tome I : la Nature de la Nature (Paris, Le Seuil, 1977), p. 24.

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A-t-on démontré ce que l'on voulait démontrer ? A-t-on démontré la même chose au niveau du texte et de l'image ? Le rôle du rhétoricien est de contrôler la cohérence interne de la démonstration persuasive, et. une fois cela réalisé, de contrôler l'identité entre la démonstration réalisée et celle (intentée) issue de l'étude de marché.

Ainsi, pour ce qui est de l'annonce « Armagnac », cette annonce répond bien au critère de cohérence interne (c'est-à-dire que le texte et l'image tendent vers la même rhétorique). Cependant, est-ce bien cela que l'on voulait dire ? Plus précisément, l'axe publicitaire était-il vraiment de positionner l'armagnac par rapport au cognac. L'armagnac, moins connu, est moins clairement connoté que le cognac. Cette ligne de démarcation floue que l'on laisse entre ces deux images (mentales) de produits est-elle voulue ? Le risque est que l'on perçoive l'armagnac comme un substitut de cognac et que, à long terme, cette image de substitut soit définitivement ancrée dans1 la culture ambiante. Le risque est-il accepté par le directeur du marketing ? Si oui, alors l'annonce est acceptable. Si non, le rhétoricien a pour fonction de pointer vers les formes rhétoriques qui font problème (ici syncope et chiasme) et de proposer des formes plus appropriées qui serviraient mieux l'axe de communication publicitaire. Si, par exemple, on veut opposer les deux produits, le rhétoricien doit présenter un répertoire de formes rhétoriques qui mettent en valeur le contraste et qui soit utilisables par le rédacteur et le concepteur d'images.

Dans le cas de l'annonce « Scout International », qui répond aussi aux critères de cohérence interne, il se pose un problème semblable. La structure rhétorique tend à la démonstration de la dualité du véhicule ; mais a-t-on pris conscience de ce que ce véhicule pourrait alors, aussi, passer pour trop rustique pour !a ville et trop urbain pour la campagne ? A-t-on vraiment envisagé cette possibilité de confusion, probable dans le cas de démonstrations rhétoriques nuancées ? Le risque est-il acceptable pour le directeur du marketing ? Si oui, alors l'annonce est aussi acceptable. Si non, le rôle du rhétoricien est de faire savoir quelles sont les formes de rhétorique qui sont cause de l'ambiguïté (à savoir Je blanchissement et le paradoxe). Il doit alors proposer. une autre démonstration rhétorique qui mette en valeur que le véhicule est approprié à la fois en ville et en campagne : c'est-à-dire d'une part l'opposition (roulement doux en ville et « viril » en campagne) et d'autre part l'unicité.

Il faut comprendre que l'évaluation de l'analyse en rhétorique est un intrant (input) pour le jugement du directeur du marke-

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ting. Il ne peut prendre des décisions à sa place. Sa fonction est de corriger l'écriture publicitaire de façon à ce que la combinatoire des signifiants, tels que réalisés, communique bien l'intenté du publicitaire, c'est-à-dire son axe, lui-même découlant logiquement des études de marché. // contribue donc à renforcer le cycle.de communication qui part du public- récepteur (étude de marché, par exemple) pour y retourner (annonce publicitaire et stratégie du marketing en général).

J.-Ch. Chebat et B. Gautier

Jean-Charles Chebat est professeur au département d'administration à l'université du Québec à Montréal. Il a été invité à enseigner à 1'I.A.E. (C.E.R.O.G.) de l'université de Provence pour 1977-1978. Sa double formation (M.B.A. en marketing et Ph.D. en sociologie de la communication) explique son intérêt pour la communication publicitaire. I! a déjà publié dans Communication et langages (1974, n° 22, consacré à l'image) un article sur l'image publicitaire. Il est coauteur de deux ouvrages sur le marketing et de plusieurs articles concernant le marketing, la publicité, la psychologie sociale et la sociologie, publiés aux Etats-Unis, au Canada, en France, en Italie et en Belgique. Bernard Gautier, diplômé de I Institut des Hautes Etudes de Communication sociale (Belgique), est associé de recherches à l'U.O.A.M.

Bibliographie Barthes R. : « Rhétorique de l'image », in Communication et langages, n° 1, 1961, pp. 40-50. Chebat J.-C. et Henault CM. : « l'Efficacité de l'image publicitaire », in Communication et langages, n° 22, 1973, ipp. 107-116 ; « Pour une approche systématique à l'analyse sémiologique de la publicité fixe », in Journal canadien de recherches semiotiques, 1974, pp. 1-30. Durand J. : « Figures de rhétorique et Image publicitaire », in Communication et langages, n° 15, 1968. Eco U. : la Structure absente (introduction à la recherche sémiologique), Paris, Mercure de France, 1972. Fontanier P. : les Figures du discours, Paris, Flammarion, 1968. Gautier B. : « Rhétorique de la formulation verbo-iconique publicitaire » (non publié), 1976. Groupa de Liège : Rhétorique générale. Jakobson R. : Essais de linguistique générale, Paris, Editions de Minuit, 1959. Joannis H. : De l'étude de motivation à la création publicitaire et à la promotion des ventes, Paris, Dunod, 1972. Péninou G. : Intelligence de la publicité (étude sémiotique), Paris, Laffont, 1972.