Berlin (représentations artistiques de la fête)

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Comment les représentations artistiques de la fête à Berlin témoignent de la déconstruction et de la reconstruction de la ville ? Berlin Party Is Over Herbert Tobias (1961) Berlin Lou Reed (1973) • Extrait du film Berlin Calling de Hannes Stoehr (2008)

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Dossier d'Histoire de l'Art niveau Terminale

Transcript of Berlin (représentations artistiques de la fête)

Comment les représentations artistiques de la fête à Berlin

témoignent de la déconstruction et de la reconstruction de la

ville ?

• Berlin Party Is Over – Herbert Tobias (1961)

• Berlin – Lou Reed (1973)

• Extrait du film Berlin Calling de Hannes Stoehr (2008)

Depuis la chute du mur en 1989, Berlin s’est peu à peu transformée en capitale artistique, attirant des artistes du monde entier s’installant dans l’enceinte de cette ville « pauvre, mais sexy » - selon les mots du maire Klaus Wowereit – et trouvant parmi les décombres d’une ville maltraitée quarante ans durant l’inspiration nécessaire à l’élaboration de leur oeuvre. Mais depuis cette même période, la capitale allemande s’est également transformée en pilier de la vie nocturne, devenant célèbre pour ses nuits agitées qui ont témoigné de l’apparition et de l’évolution de la techno, genre particulier de la branche musicale électronique. Pour les amants de la fête et les artistes, Berlin fait figure depuis vingt ans – et particulièrement durant la dernière décennie écoulée – de lieu incontournable où l’on a l’impression à la fois d’être au centre de quelque chose tant l’activité y est foisonnante et à la fois de se tenir à l’écart du monde, la ville ayant une position particulière dans le pays. En effet, Berlin est une capitale pauvre qui coûte énormément d’argent au pays et où la vie est bien moins chère que partout ailleurs en Allemagne. Dès lors, la ville attire une population spécifique : des artistes ayant besoin d’espace et de liberté pour créer, des jeunes à la recherche de nouvelles expériences attirés par l’ambiance festive ainsi que toute une population portée par le mouvement de cette ville aux allures « underground » , c’est-à-dire en marge des circuits officiels. L’on peut venir à penser que le monde artistique et le monde de la nuit se complètent, les producteurs de musique électronique évoluant dans ce dernier et de nombreux artistes s’inspirant de la fête dans leur production artistique.

Mais si Berlin est considérée comme un lieu privilégié d’art et de fête depuis la chute du mur, l’on peut voir que ces deux domaines ont longtemps été présents dans la ville. Dans les années 60 et 70, la société ouest-allemande s’est largement démocratisée. Américanisation autour de valeurs telles que la réussite personnelle et la consommation, amélioration de la qualité de vie, accroissement de l’anticonformisme et révolution sexuelle chez les jeunes ; telles sont les évolutions ressenties en Allemagne de l’Ouest à partir des années 60. Mais à une époque où le monde est bipolaire, il est difficile de ne voir que les bons côtés de ces changements : il existe de fortes tensions entre l’Ouest et l’Est et Berlin se trouve au centre du conflit. Scindée en deux par le mur depuis août 61, la ville évolue à grand peine à l’Ouest tout en craignant ce qu’est le monde à l’Est, pourtant si proche.

Ces tensions qui règnent à Berlin à l’époque vont bien sûr influencer les artistes qui s’y trouvent. Parmi eux, certains ont ressenti le besoin de traduire la situation de la ville par la représentation de la fête. Car même lorsque l’heure est grave, la fête continue dans les grandes villes du monde entier. Les gens continuent de ressentir le besoin de se retrouver, même quand il n’y a pour ainsi dire rien à « fêter ». Pour les artistes, la fête représente alors une mine d’or tant elle est représentative du monde contemporain et des habitants d’une ville.

Dès lors, nous nous demanderons dans quelle mesure les représentations artistiques de la fête à Berlin témoignent de la déconstruction et de la reconstruction de la ville. A cet effet, nous étudierons trois œuvres issues de décennies différentes. Pour illustrer le rapport art/fête dans les années 60 et 70, il s’agira d’étudier comment Herbert Tobias et Lou Reed ont représenté la fête dans leurs œuvres. La première œuvre étudiée sera Berlin Party Is Over, une photographie prise en 1961 – soit l’année de la construction du mur - par le

photographe allemand Herbert Tobias représentant un jeune homme torse nu un lendemain de fête. Douze ans plus tard, le chanteur américain Lou Reed donnera à un de ses albums les plus noirs le nom de la capitale allemande. Nous étudierons le titre éponyme Berlin qui relate une fête d’anniversaire sur un ton plaintif et mélancolique, bien loin de l’idée que l’on se fait généralement de la fête. Enfin, nous étudierons le Berlin des années 2000, devenu une ville attirante pour de nombreux artistes et non seulement pour quelques exceptions – à travers un extrait du film Berlin Calling réalisé en 2008 par Hannes Stoehr. Dans ce film, le réalisateur allemand nous immerge dans le quotidien de DJ Ickarus – incarné par le véritable producteur de musique électronique Paul Kalkbrenner - , descendant la pente raide de la toxicomanie de et se retrouvant dans une clinique neurologique après que sa consommation excessive de drogue l’ait mené à la dernière mauvaise pilule. La scène étudiée montre le DJ en plein « bad trip » au milieu de la nuit, s’échappant du club où il jouait ce soir là pour aller prendre l’air, se retrouvant à quitter ses vêtements dans une sorte de transe contre les vestiges du mur de Berlin. Le plan suivant montre le DJ au petit matin, encore sous l’emprise de la drogue, jouant comme un enfant avec son repas dans un hôtel de luxe.

A travers ces trois œuvres, nous montrerons que les représentations artistiques choisies montrent autant la fête comme une réponse au climat politique de la ville que comme une tentative de reconstruction collective ainsi que comme une déconstruction individuelle, en montrant l’envers du décor de ces moments festifs.

Berlin, et ce depuis plusieurs décennies, a été le centre de l’attention de l’Europe :

ville brisée puis ville cosmopolite, la déconstruction et la reconstruction de la ville ont suscité l’intérêt partout en Allemagne et dans les pays voisins. Cette ville-monde qui semble coupée du pays dont elle est la capitale a ainsi vu son climat politique influencer la vie de ses habitants bien plus qu’ailleurs dans le pays. A l’époque du mur, Berlin est au centre des tensions car si les autres villes du pays sont soit à l’est, soit à l’ouest et peuvent ainsi mieux s’adapter à cette période de trouble, Berlin est véritablement scindée en deux ce qui bouleverse de façon monumentale le climat de la ville. Ainsi, de nombreux artistes ont tenté de traduire cette scission de la ville et comment le climat politique de la ville se répercute sur les affects des habitants et modifie considérablement leurs habitudes de vie, transformant la capitale en une ville fantôme, où la vie semble irréelle.

• Berlin à la construction du mur vu par Herbert Tobias :

Le jeune homme représenté sur la photographie semble encerclé, on ne voit pas d’issue ni de sortie, tout est délimité par des murs. C’est un lendemain de fête, manifestement. Tout gît et évoque la fête qu’il y a pu y avoir la veille, et qui s’est terminée, comme l’indique le titre : « The party is over ». Mais le titre nous indique surtout que cette fête, c’était Berlin toute entière. Le jeune homme fait figure d’allégorie : une jeune personne, belle - puisque la ville est en reconstruction après les bombardements de la seconde guerre mondiale -, qui fait la fête, qui est en pleine allégresse, en pleine effervescence. Et il est

soudain coupé dans son élan, il est scindé (littéralement dans le cas de la ville) : on peut penser que derrière lui le mur qui est représenté est celui qui est construit en août 1961 à travers Berlin. Cela expliquerait l’étrange solitude du personnage et l’étroitesse de cette cour où il a fait la fête : on peut éventuellement imaginer que sans le mur, le plan serait plus profond. Le jeune homme se réveille peut-être et trouve l’endroit où encore hier il a fait la fête. Il nous regarde, interloqué, voire consterné. Il doit tout ranger de son côté, ramasser les reliques de la fête et se réhabituer à sa solitude. C’est à l’image de Berlin qui a de nouvelles habitudes à se forger quand en 1961 elle a été défigurée par un mur, et cette photo présente aussi l’effarement de la jeunesse qui ne voit que des inconvénients dans cette construction, qui doit se replier dans une partie de la ville et qui ne bénéficie plus d’autant de liberté et de possibilités qu’auparavant. • Le Berlin de Lou Reed, plus de dix ans après la construction du mur Dans cette chanson, Lou Reed fait le portrait du climat politique berlinois bien qu’elle ouvre un album racontant une histoire d’amour entre deux personnages, Jim et Caroline. L’artiste américain montre dans la mélancolie du morceau que la fête n’a plus de sens dans un Berlin scindé en deux depuis plus de dix ans. Il s’agit d’une fête d’anniversaire comme l’on peut l’entendre au début de la chanson où des voix jeunes chantent le célèbre « Happy birthday to you » . Mais Reed plaque tout de suite après une ambiance froide, terrifiante où ne sont festifs que les souvenirs qu’il s’évertue à nous transmettre :

« We were in a small cafe, you could hear the guitars play / It was very nice / it was paradise »

« Nous étudions dans un petit café, on pouvait entendre les guitares / C’était très sympa / C’était le paradis »

L’on devine alors au ton de sa voix que ce paradis est perdu, que l’on ne célèbre ici un anniversaire qu’en pensant que l’on entre dans une nouvelle année « by the wall ».

Mais après la chute du mur, Berlin va entamer une sérieuse reconstruction après

avoir été meurtrie par la seconde guerre mondiale puis par le conflit Est/Ouest. Devenue une ville cosmopolite, « sexy, mais pauvre », Berlin garde les traces de son passé en devenant la capitale qui laisse vivre et évoluer les cultures « underground », à l’image du New York des années 70. Ainsi, la ville a vu naître dans ses ruines et ses espaces verts inutilisés un nouveau genre de musique : la techno, qui deviendra dans les années 2000 la musique de fête par excellence . Dès lors, les jeunes viendront réanimer des espaces en ruine, à l’abandon au son de cette musique électronique dansante et vivifiante. Dans son film Berlin Calling, Hannes Stoehr nous montre la capitale culturelle des années 2000, au centre d’un pays redevenu puissant. « L’appel de Berlin », le titre du film résume à lui seul l’influence et le rayonnement de la ville allemande dans le monde. La fête berlinoise des années 2000 réunit des amateurs de musique électronique venus du monde entier pour danser jusqu’au lever du jour sur des rythmes saccadés des grands noms de cette musique tels que Paul Kalkbrenner qui joue ici le rôle de DJ Ickarus. Dans l’extrait choisi, le DJ qui a pris la relève après Ickarus joue avec entrain et le public danse, presque en transe, démontrant la joie qu’ils éprouvent à être réunis ce soir là à Berlin. La capitale allemande ne fait plus peur, on y respire la joie et l’inspiration de jour comme de nuit et le mot « fête » semble avoir repris tout son sens.

Extrait du film « Berlin Calling »

Si la fête n’a jamais quitté Berlin, même à ses heures les plus tristes, nous pouvons voir qu’une évolution se fait sentir dans la manière de faire la fête selon que le climat politique est favorable ou non : les jeunes berlinois des années 60 et 70 font la fête entre quatre murs, dans un « small café » comme le dit Lou Reed tandis que la jeunesse contemporaine, qui connaît l’expansion de la ville, fait la fête dans des espaces ouverts où dans des clubs aux couleurs fluorescentes.

Qu’il s’agisse des années 60, 70 ou de l’époque contemporaine, la ville de Berlin

apparaît en reconstruction permanente. En effet, la ville détruite durant la seconde guerre mondiale ne peut se reconstruire en un jour. De plus, le mur a paralysé cette reconstruction qui commençait à se mettre en place car si la ville évolue, l’on ne ressent pas la même évolution d’un côté du mur que de l’autre tant les différences idéologiques des deux gouvernements sont flagrantes. Encore aujourd’hui, si le paysage architectural de la ville est presque entièrement reconstruit, la ville cherche encore sa place parmi les capitales mondiales, étant toujours à part à la fois à cause de son passé et de l’énergie qu’elle dégage aujourd’hui, lui donnant des allures de capitale artistique et non économique. Face au besoin de reconstruire la ville, la fête apparaît comme un moyen de se soutenir et de retrouver espoir.

En effet, lorsqu’un groupe de personnes se retrouve autour d’un événement à fêter,

on y voit souvent une marque d’amitié ou de soutien. La photo d’Herbert Tobias a su capter tout le paradoxe de l’époque de la construction du mur de Berlin : même si l’événement n’est pas vraiment à fêter, il est important de se retrouver au moment où la ville prend un nouveau tournant, où le pays semble entrer dans une nouvelle phase et où le monde devient bipolaire. La fête devient un moyen de se souvenir ensemble de cette période tout en se soutenant pour affronter le moment présent. Faire la fête à ce moment là c’est avoir la certitude que ce que l’on vit est bien réel, si désespérante soit la situation. Dans la chanson de Lou Reed l’événement qui réunit les personnages est un anniversaire dans le Berlin Est du début des années 70, où la fête n’est plus vraiment au goût du jour. Mais les amis du personnage en question se réunissent tout de même pour fêter cette entrée dans une nouvelle année, si funeste soit la perspective d’une année de plus dans cette atmosphère de guerre froide, dans cette ville scindée en deux. Ensemble, ces amis tentent de reconstruire l’atmosphère de fête que la ville a pu connaître autrefois. Mais le chant plaintif de Lou Reed nous ramène très vite à la difficulté de la tache. L’on peut ajouter que la présence du chanteur américain à Berlin et son envie d’en faire une chanson relèvent déjà d’une forme de soutien, comme un appel à tous les berlinois qui connaissent cette morosité même dans les moments de fête. Lou Reed crée ici une sorte d’hymne pour tous les jeunes qui se sentent écrasés par la situation et ont perdu toute forme d’espoir. Dans l’extrait du film d’Hannes Stoehr, l’on est dans le prolongement de la reconstruction de la ville car même si Berlin a fait du chemin, elle cherche encore son identité. Si elle est souvent représentée comme une ville attractive, elle fait également figure de « ville transit », attirant des jeunes et moins jeunes venus dépenser dans la capitale allemande

l’argent gagné ailleurs, comme le suggère le titre du film « Berlin Calling ». Mais la fête représentée dans cet extrait réunit des berlinois autour de la prestation de DJ Ickarus, qui semble soulever un certain mouvement dans la ville, à tel point que sa tache de créer le « nouveau son berlinois » l’amène à s’empoisonner la santé. Il prend des drogues pour devenir plus productif mais elles lui sont nocives comme à son travail dans la mesure où il s’éloigne de la réalité. La drogue l’empêche de créer à partir des sons berlinois comme au début du film - où il est montré capturant le son des portes du métro pour créer un morceau – car il s’enferme dans un monde irréel qu’il ne peut partager ni avec ses proches, ni avec ses fans.

Se retrouver dans la ville pour ces jeunes c’est aussi une façon de fêter l’espoir, de se retrouver et de se rendre compte ensemble que la ville est bien présente : les bars et les cafés sont toujours là, leur amitié tient toujours et la musique continue d’être jouée quoi qu’il arrive. La fête peut être un moyen de réaliser que tout n’est pas si noir et qu’il est bon de reprendre espoir ensemble. Dans la fête, chacun peut aussi faire part de l’espoir qu’il porte en soit et qui ne demande qu’à être partagé pour faire bouger les choses. Dans la chanson de Lou Reed, l’on sent l’espoir que les souvenirs qu’il évoque redeviennent un jour réalité. S’il partage sa mélancolie, ce n’est que pour mieux inciter les autres à retrouver espoir. Il semble vouloir nous dire que si « avant c’était mieux », rien n’est pour autant perdu et l’avenir pourrait bien être plus brillant . Dans la photo d’Herbert Tobias l’espoir ne se communique pas entre les participants de la fête puisqu’un seul personnage est mis en scène. Lui seul semble vouloir communiquer de l’espoir à celui qui voudra bien regarder la photographie, captant son regard qui nous appelle à aller au-delà de ce mur qui délimite le cliché. Sa position même – à demi tourné vers nous, à demi vers le mur – nous invite à le suivre pour aller au-delà des limites fixées par la situation politique de l’époque.

Dans le film d’Hannes Stoehr , l’on sent l’espoir que Berlin restera cette ville où tout se passe – à l’exemple de la soirée Djing montrée dans l’extrait choisi où la fête bat son plein au rythme des sons techno et des lumières stroboscopiques - sans que les individus soit gâchés à l’exemple du personnage principal. Car s’il y a à Berlin une tentative de reconstruction collective, les individus semblent eux se déconstruirent.

« In a small, small cafe / we could hear the guitars play /It was very nice »

« You know I'm gonna miss you now that you're gone » « Tu sais que tu vas me manquer maintenant que tu es partie »

Si la fête est généralement considérée comme une démonstration de joie et un divertissement, elle peut prendre une toute autre tournure et devenir la démonstration d’une fuite du quotidien où chacun cherche désespérément à se divertir face à la morosité du quotidien. La photographie d’Herbert Tobias reflète la détresse du personnage qui semble s’être plongé dans la fête avec ardeur la veille au soir et qui retrouve la situation inchangée au réveil : il n’a pas rêvé, le mur existe et il est toujours là bien qu’entouré de ballons qui semblaient vouloir fêter quelque chose : tout cela était vain et le jeune homme se retranche dans sa solitude. Herbert Tobias semble ici vouloir nous montrer les dessous de la fête : si elle se joue à plusieurs, chacun fait la fête avec sa propre solitude, sans vraiment partager avec ceux qui l’entourent. En montrant le personnage seul dans ce lieu de fête, il souligne une certaine hypocrisie de ce mouvement de masse : beaucoup sont là pour se montrer et non pour être avec les autres, préférant se retrancher dans leur propre solitude. La fête serait alors avant tout un moyen de s’oublier, de se fondre dans la masse anonymement. Photographe de mode, Tobias connaît bien cette hypocrisie des milieux festifs où tous veulent se montrer mais où personne n’est vraiment heureux, usant de substances illicites pour supporter cette fête perpétuelle qui perd tout son sens. Dans la chanson de Lou Reed, le chanteur nous fait la démonstration d’une tentative ratée pour chacun des membres de la fête de se sortir d’un quotidien amer, où personne n’ose plus faire de projets dans un monde qui paraît bouché, où toutes les issues sont condamnées. Si la voix de Lou Reed est unique, ce cri de désespoir aurait très bien pu être poussé par des centaines de jeunes berlinois qui voyaient la fête comme leur dernier recours, arrosant parfois ce qui n’avait pas des allures de fête, comme dans la chanson étudiée. Dans le film d’Hannes Stoehr, l’on ne peut que ressentir la douleur du personnage qui a sombré dans la drogue pour tenir au rythme que la ville lui impose, devant être toujours à 100% de ses capacités pour faire danser les gens la nuit, s’entretenir avec les producteurs et créer le jour, tout en sauvegardant le peu de vie amoureuse qui lui reste encore. La fête est alors perçue comme un échappatoire et non comme celle qui inflige sa peine car – et ce grâce à la drogue qu’il y consomme – le personnage de DJ Ickarus oublie dans la fête ses peines et ses préoccupations quotidiennes.

Dans la séquence étudiée, la déconstruction du personnage principal est flagrante. Alors qu’il a appris que sa maison de disque veut qu’il retravaille son album car ses productions musicales perdent de leur valeur, le DJ berlinois replonge dans la drogue dure. Un soir, alors qu’il mixe dans une des plus grandes boîtes berlinoises, il s’échappe juste après son set pour consommer de la drogue et s’enfuir de la salle. Le protagoniste se retrouve alors seul dans Berlin, en plein bad trip. Hannes Stoehr s’attache à nous montrer à quel point DJ Ickarus a pu se détruire en usant à surabondance de ces substances qui sont utilisées occasionnellement par de nombreux jeunes lorsqu’ils font la fête dans ces clubs. Il se retrouve bientôt prêt des ruines du mur, seul face à lui-même, d’abord éclairé par les lampadaires puis s’enfonçant dans une zone plus sombre – quittant ses vêtements dans le même temps - comme si ce plan voulait nous dire que la drogue l’avait fait passer de la lumière à l’ombre, pour mieux nous faire comprendre à quel point cet individu s’est gâché dans la fête, croyant y trouver l’inspiration mais ne trouvant finalement que des déceptions. Berlin la festive peut donc se transformer en véritable gouffre pour ceux qui ne parviennent pas à se gérer, à trouver leur rythme dans la ville.

La fête a donc des travers plus sombres où la solitude et le désespoir l’emportent sur l’amitié, les rythmes dansants et les ballons gonflés qui veulent suggérer un enthousiasme là où Berlin offre aux individus un moyen de se retrancher et de s’oublier.

Ces représentations artistiques de la fête, d’époques et de genres différents, nous montre toute la diversité de la ville et surtout comment la population, et les jeunes plus particulièrement, s’adapte à la ville. A l’époque du mur, les personnages de la photographie d’Herbert Tobias comme ceux de la chanson de Lou Reed apparaissent scindés, détruits bien que l’espoir y réside encore. Le film d’Hannes Stoehr, quant à lui, nous montre à quel point la ville moderne absorbe les populations, qui peuvent se perdre eux-mêmes en tentant d’explorer toute les possibilités qu’elle offre. En cela, Berlin – et le portrait qui en est fait dans Berlin Calling – reflète particulièrement bien le monde contemporain où tout se vit à cent à l’heure sans penser aux conséquences, où beaucoup sont à la recherche de la beauté du moment présent sans se soucier de ce qui pourrait advenir d’eux à l’avenir. DJ Ickarus, incarné par Paul Kalkbrenner, représente ici des milliers de jeunes qui voient en le milieu de la nuit leur ticket d’entrée pour un monde où seul le présent importe, ne se rendant pas compte que si l’avenir importe peu c’est que personne dans ce milieu n’est capable d’anticiper et d’envisager leur avenir.

Il y a donc bien dans ces représentations artistiques de la fête un portrait de la ville de Berlin, assez négatif en somme, puisque la reconstruction n’y est présentée que comme une tentative et que la déconstruction n’est pas celle de la ville pour bâtir à nouveau mais celle des individus, qui eux rencontreront des difficultés à se bâtir à nouveau.

http://www.coupdoreille.fr : article « Découvrir Berlin en musique » Art Press 2 n°2, 2006 : « Berlin, ville transit » www.evene.fr : « Berlin, pépinière artistique » www.lagazettedeberlin.de : Berlin, capitale de l’art contemporain Histoire de l'Allemagne depuis 1945 - Dennis L. Bark et David R. Gress