Bergson y La Estetica Japonesa

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Une Esthétique de l'intuition - Bergson et la spiritualité japonaise- TAKI Ichiro Bergson n'a écrit aucun livre sur l'esthétique, mais ses oeuvres contiennent des idées importantes pour la philosophie du beau et de l'art. L'étude de l'esthetique bergsonienne a été inaugurée par un article classique de R. Bayer, qui l'a cependant condamnée comme une esthétique négative. Sa critique porte notamment sur la notion bergsonienne de l'intuition, qui est, selon lui, contradictoire et impossible. Or, du point de vue oriental, l'intuition bergsonienne a une éclatante parenté avec la "spiritualité japonaise" (Suzuki Daisetsu), c'est- à-dire, la conscience non dichotomisante du bouddhisme. En effet, au-dessus de l'intelligence dichotomisante, l'intuition bergsonienne consiste dans un acte simple où la "conversion" des Alexandrins ne fait qu'un avec leur "procession", acte comparable à la conscience de la nature de l'esprit par lui-même au Japon. C'est eette intuition créatrice, origine de la distinction du theô ria , du prâxis, et du poiêsis, en même temps que leur fin, qui pourrait fonder l'esthétique bergsonienne. O. Bergson et les japonais Quand le Japon, après deux cents ans de replis sur soi, a ouvert ses portes, la première philosophie occidentale qui nous est parvenue durant l'ère Meiji était l'utilitarisme de Stuart Mill et Spencer. Cependant l'esprit japonais ne pouvait pas se contenter de ce genre de pensée. Dès que la philosophie allemande est entrée chez nous vers 1885, Kant nous a imposé un profond respect.· Fichite, Hegel sont aussi estimés. A cemoment là, vers 1910, Bergson (1859-1941) a été introduit au Japon par Nishida Kitarô (1870-1945). C'est Kuki Shûzô 0888-1941) qui rapporte notre considération pour ce philosophe français. "Notre esprit, dit-il, trop desséché par le formalisme critique du néo-kantisme allemand a reçu une "céleste nourriture" de l'intuition métaphysique bergsonienne. " (KuKI 1928:260) Or, pourquoi avons-nous autant de sympathie pour Kant et Bergson? Pour expliquer un tel penchant, Kuki nous donne le schéma suivant. " [ ... ] il Y a ehez nous deux courants prédominants de la pensée; pensée shintoïste dans la forme du Boushido, et pensée bouddhique dans celle du Zen. Le Boushido, "la voie des Samouraï" est le culte de l'esprit absolu, le mépris du matériel. C'est une morale idéaliste de la "bonne volonté". Il devait être ainsi la condition sine qua non de l'acceptation du kantisme au Japon. [ ... ] D'autre palt, le Zen, ou Dhyâna, ou "méditation" consiste en un effort pour saisir l'absolu par l'intuition. Et dans la pensée japonaise e'est lui précisément qui a frayé la voie à la philosophie de M. Bergson." (KUKI 1928:258) -19-

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resumen del pensamoemiento estetico oriental en Bergson

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Une Esthétique de l'intuition

- Bergson et la spiritualité japonaise-

TAKI Ichiro

Bergson n'a écrit aucun livre sur l'esthétique, mais ses oeuvres contiennent des idées

importantes pour la philosophie du beau et de l'art. L'étude de l'esthetique bergsonienne

a été inaugurée par un article classique de R. Bayer, qui l'a cependant condamnée comme une

esthétique négative. Sa critique porte notamment sur la notion bergsonienne de l'intuition, qui

est, selon lui, contradictoire et impossible. Or, du point de vue oriental, l'intuition

bergsonienne a une éclatante parenté avec la "spiritualité japonaise" (Suzuki Daisetsu), c'est­

à-dire, la conscience non dichotomisante du bouddhisme. En effet, au-dessus de l'intelligence

dichotomisante, l'intuition bergsonienne consiste dans un acte simple où la "conversion" des

Alexandrins ne fait qu'un avec leur "procession", acte comparable à la conscience de la nature

de l'esprit par lui-même au Japon. C'est eette intuition créatrice, origine de la distinction du

theô ria , du prâxis, et du poiêsis, en même temps que leur fin, qui pourrait fonder l'esthétique

bergsonienne.

O. Bergson et les japonais

Quand le Japon, après deux cents ans de replis sur soi, a ouvert ses portes, la première philosophie

occidentale qui nous est parvenue durant l'ère Meiji était l'utilitarisme de Stuart Mill et Spencer.

Cependant l'esprit japonais ne pouvait pas se contenter de ce genre de pensée. Dès que la philosophie

allemande est entrée chez nous vers 1885, Kant nous a imposé un profond respect.· Fichite, Hegel sont

aussi estimés. A cemoment là, vers 1910, Bergson (1859-1941) a été introduit au Japon par Nishida

Kitarô (1870-1945). C'est Kuki Shûzô 0888-1941) qui rapporte notre considération pour ce

philosophe français. "Notre esprit, dit-il, trop desséché par le formalisme critique du néo-kantisme

allemand a reçu une "céleste nourriture" de l'intuition métaphysique bergsonienne. " (KuKI 1928:260)

Or, pourquoi avons-nous autant de sympathie pour Kant et Bergson? Pour expliquer un tel penchant,

Kuki nous donne le schéma suivant.

" [ ... ] il Y a ehez nous deux courants prédominants de la pensée; pensée shintoïste dans

la forme du Boushido, et pensée bouddhique dans celle du Zen. Le Boushido, "la voie des

Samouraï" est le culte de l'esprit absolu, le mépris du matériel. C'est une morale idéaliste de

la "bonne volonté". Il devait être ainsi la condition sine qua non de l'acceptation du kantisme

au Japon. [ ... ] D'autre palt, le Zen, ou Dhyâna, ou "méditation" consiste en un effort pour

saisir l'absolu par l'intuition. Et dans la pensée japonaise e'est lui précisément qui a frayé la

voie à la philosophie de M. Bergson." (KUKI 1928:258)

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Certes le bouddhisme Zen et la philosophie bergsonienne ne sont pas la même chose, mais selon

Kuki "il y a un esprit si évidemment commun à tous deux qu'on ne saurait méconnaître leur affinité

essentielle." (KUKI 1928:258) Cet "esprit commun à tous deux" n'est rien d'autre que leur conception

de l'intuition.

Nous indiquons en outre le caractère esthétique du bergsonisme. En effet, la référence à l'oeuvre

d'art est si fréquente sous la plume de Bergson. Si nous acceptons surtout le côté éthique du kantisme,

c'est plus pour son côté esthétique que la philosophie de Bergson est estimé chez nous. De fait, non

seulement des philosophes mais aussi des écrivains tels que Natsume Sôseki 0867-1916) et Akutagawa

Ryûnosuke 0892-1927) ont admiré la bcauté stylistique de cette philosophie.

Dans ces lignes, nous partons du sentiment vague d'une grande ressemblance entre Bergson °et le

Zen. La comparaison des deux serait d'autant plus intéressante que le premier reste dans la filiation du

spiritualisme français qui s'est développé indépendamment de la tradition orientale. En ce qui concerne

le bouddhisme Zen, nous prenons avant tout la théorie de la "spiritualité japonaise" (nihonteki reisei)

développée par Suzuki Daisetsu (1870-1966). En prenant d'abord l'intuition bergsonienne, puis la

spiritualité japonaise, nous voulons examiner leurs points communs ainsi que leurs différences. Au

travers de cette confrontation, nous déterminons enfin la possibilité et la signification d'une esthétique

de l'intuition.

1 . l'intuition bergsonienne comme sympathie spirituelle

C'est dans l'article "Introduction à la métaphysique 1" (1903) que Bergson a formulé pour la première

fois l'intuition comme méthode métaphysique. Le point capital du problème est résumé dans ces phrases.

" [ ... ] un absolu ne saurait être donné que dans une intuition, tandis que tout le reste

relève de l'analyse. Nous appelons ici intuition la sympathie par laquelle on se transporte à

l'intérieur d'un objet pour coïncider avec ce qu'il a d'unique et par conséquent d'inexprimable.

Au contraire, J'analyse est l'opération qui ramène l'objet il des éléments déjà connus, c'est­

à-dire communs à cet objet et à d'autres. Analyser consiste donc à exprimer une chose en

fonction de cc qui n'est pas elle." (BERGSON 1903: PM 181, OE1395-1396)

Bergson distingue ici "deux manières profondément différentes de connaître une chose" (PMI 77 ,

OE1393): l'analyse est un mode de connaissance du dehors, donc relatif, en ce sens qu'elle dépend du

point de vue de l'observateur et des symboles du traducteur; l'intuition est un mode de connaissance

du dedans, donc absolue, en tant qu'elle est parfaite et infinie parce qu'ici l'objet est saisi en soi, par

rapport à ce qu'il est. L'analyse est donc condamnée à tourner autour de l'objet à l'infini sans jamais

l'atteindre, tandis que "l'intuition, si elle est possible, est un acte simple" (PM181. OE1396); elle

consiste à aller immédiatement à l'objet.

Mais, à première vue, on peut trouvcr deux moments contradictoires dans la structure de l'intuition

bergsonicnne. Précisons cette difficulté apparente scIon l'exemple de Bcrgson concernant le mouvcment

d'un objet dans l'espacc.

"Quand jc parle d'un mouvement absolu, c'est quc j'attribue au mobile un intérieur et

comme des états d'àme, c'est aussi que je sympathise avec les états et que je m'insère en eux

par un effort d'imagination. [ ... ] Bref, le mouvement ne sera plus saisi du dehors et, en

Lorsque cel article fut présenté comme communication à l'Académie des Sciences morales, il s'appelait primitivement "De l'analyse et de l'intuitiOn en métaphysique" (Cf. MOSSE-BASTIDE 1948:195).

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quelque sorte, de chez moi, mais du dedans, en lui, en soi." (BERGSON 1903: PM178,

OE1393-1394)

Pour connaître le mouvement absolument. je dois sortir de moi pour m'insérer dans le mobile, mais

en même temps je dois rentrer en moi par ma coïncidence avec l'objet. parce que c'est encore moi qui

le connais quoique du dedans de lui-même. Or, comment peut-on réconcilier les deux mouvements

opposés? Une difficulté semblable se trouve déjà dans Matière et mémoire (1896). La conception

bergsonienne de "la perception pure où le sujet et l'objet coïncident" est problématique (BERGSON 1896:

MM248, OE354), car "les objets extérieurs. dit Bergson, sont perçus par moi où ils sont, en eux et

non pas en moi." (MM58, OE206)

C'est ainsi que R. Bayer nie la possibilité de l'intuition bergsonienne en l'identifiant avec "la perception

pure" et en l'appelant "l'aliénation sympathique" ou encore "le vertige conscient" (BAYER 1942: § N).

Il y a certainement un point commun entre la notion de perception pure et celle d'intuition, car dans les

deux cas la chose est absolument donnée en soi; de même que "philosopher consiste à se placer dans

l'objet même par un effort d'intuition" (BERGSON 1903: PM200, OE1411), ainsi de même par "l'acte

originel et fondamental de la perception, cet acte, constitutif de la perception pure, [ ... ] nous nous pla­

çons d'emblée dans les choses" (BERGSON 1896: MM70, OE215). Mais il faut noter une différence de

nature entre les deux actes. Ce qui est donné dans la perception pure est la réalité de la matière, car

la perception pure est "celle qu'aurait un être [ ... ] capable [ ... ] d'obtenir de la matière une vision à

la fois immédiate et instantanée" (MM31, OEl85) , tandis que c'est d'abord la réalité de l'esprit qui est

donnée dans l'intuition bergsonienne, définie plus tard comme "la connaissance intime de l'esprit par

l'esprit" (BERGSON 1903: PM216, OE1424) C'est cette différence que R. Bayer méconnaît, ce qui

l'amène à caractériser l'esthétique bergsonienne comme "esthétique de la perception pure", qui est pour

lui négative et enfin impossible.

D'oû vient la critique de R. Bayer? Elle vient de son point de vue, celui de l'analyse. C'est une

connaissance du dehors qui présuppose la séparation du sujet qui connaît et de l'objet qui est connu.

Mais, Bergson soutient plutôt une connaissance du dedans où il n'y a ni sujet ni objet à proprement

parler, car le premier ne fait qu'un avec le dernier sous la forme d'une sympathie. Il n;y a plus ici

les deux mouvements inverses; c'est un double mouvement simultané qui se produit. On doit

donc comprendre le sens de l'intériorité de cette connaissance non pas comme spatiale mais comme

spirituelle.

Quant à la terminologie bergsonienne, la notion d'intuilion, d'abord esquissée ainsi dans "Introduction

à la métaphysique" (1903), est définitivement établie dans L'Evolution créatrice (1907) par la limitation

du sens du terme "intelligence" (Cf. HUSSON 1947:214) .

"La conscience, chez l'homme, est surtout intelligence. Elle aurait pu, elle aurait dû, semble­

t-il, être aussi intuition. Intuition et intelligence représentent deux directions opposées du travail

ccmscient: l'intuition marche dans le sens même de la vie, l'intelligence va en sens inverse,

et se trouve ainsi tout naturellement réglée sur le mouvement de la matière. " (BERGSON 1907:

EC267, OE72I)

Bergson distingue ici "deux puissances immanentes à la vie" (EC134, OE608), l'intelligence et

l'instinct qui sont néanmoins complémentaires. L'instinct est "une faculté d'utiliser et même de

construire des instruments organisés" (EC141, OE614), et sa connaissance est ''jouée et inconsciente"

(EC146, OE618). L'intelligence est "la faculté de fabriquer et d'employer des instruments inorganisée",

et sa connaissance est "pensée et consciente". "L'instinct est sympathie. Si cette sympathie pouvait

étendre son objet et aussi réfléchir sur elle-même, elle nous donnerait la clef des opérations vitales, "

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(ECl77, OE645) dit Bergson en désigna~t l'intuition sans oublier d'ajouter qu'il faut "user de l'intelligence

pour dépasser l'intelligence" (EC199, OE663).

Selon Bergson, l'art suffirait à nous montrer qu'une telle intuition est possible. En effet, "J'artiste vise

à ressaisir [l'intention de la viel en se replaçant à l'intérieur de l'objet par une espèce de sympathie, en

abaissant, par un effort d'intuition, la barrière que l'espace interpose entre lui et le modèle." (EC178,

OE645) Une philosophie pourrait donc se constituer en s'orientant dans la même direction que l'art,

mais en dépassant l'individuel pour aller au général.

2. la spiritualité japonaise et la logique de sokuhi

L'intuition bergsonienne comme sympathie spirituelle nous fait penser à la théorie esthétique de

Matsuo Bashô (1644-1695), un des plus grands poètes japonais au XVIt siècle. Son disciple, Hattori

Dohô 0657-1730) nous a légué les enseignements du maître sur l'art du poème haïku.

"Le maître a dit: "Sur le pin apprenez du pin. Sur le bambou apprenez du bambou. " IJ

entend par là qu'on doit se libérer de l'arbitraire subjectif. [ ... ] "Apprenez" veut dire d'avoir

l'expérience dans laquelle le poète pénètre dans la chose pour coïncider avec elle, et dans

laquelle le léger mouvement de la réalité intérieure surgit de la chose en activant l'émotion

créatrice du poète, qui vient cristallisée sur le coup dans une expression poétique. " (HATIOR]

1704 in IzUTSU 1981:162-163)

Il se trouve une ressemblance frappante de l'expression. Un élément essentiel de l'intuition, l'insertion

du sujet dans l'objet en vue de leur coïncidence, est commun entre le philosophe français et le poète

japonais. En outre, ce dernier parle de "l'émotion créatrice", qui nous reporte au texte de Bergson sur

"émotion et création" dans Les Deux sources de la morale et de la religion (932). "Quiconque s'exerce

à la composition littéraire a pu constater la différence entre l'intelligence laissée à elle-même et celle

que consume de son feu l'émotion originale et unique, née d'une coïncidence entre l'auteur et son

sujet, c'est à dire d'une intuition 2 ." (BERGSON 1932: MR43, OE1013-1014) A l'origine des grandes

créations de l'art, Bergson aussi trouve l'émotion "supra-intellectuelle" (MR41 , OE1012), "une émotion

capable de cristalliser en représentation" (MR44 , OE10l5). Dans le cas de Bashô ainsi que de Bergson,

le caractère passif de la conscience esthétique est inséparable de son caractère actif; la contemplation

n'est pas autre chose que la création.

Comment interpréter une telle ressemblance? Nous allons maintenant prêter attention à la théorie de

la "nature spirituelle" ou "spiritualité japonaise" (nihonteki reiseil développée' par Suzuki Daisetsu

0870-1966). Soucieux de se démarquer du nationalisme militariste japonais, Daisetsu a recherché des

significations de cet concept.

"Dans la pensée qui oppose l'esprit ou le coeur à la chose (la matière), on ne peut mettre

l'esprit dans la matière, ni la matière dans l'esprit. Il faut trouver encore quelque chose au

fond de l'esprit et de la matière. En tant que deux choses s'affrontent, la contradiction, la

lutte, le conflit, la compensation sont inévitable. Alors l'homme ne saurait pas vivre. Il faut

quelque chose qui enveloppe deux choses en regardant que les deux ne sont pas deux mais un

2 "Quiconque s'est exercé avec succès à la composition littéraire sait bien que lorsque le sujet a été longuement étudié, tous les documents recueillis, toutes les notes prises, il faut, pour aborder le travail de composition lui-même, quelque chose de plus, un effort, souvent pénible, pour se placer tout d'un coup au coeur même du sujet et pour aller chercher aussi profondément que possible une impulsion à laquelle il n'y aura plus ensuite qu'à se laisser aller." (BERGSON 1903: PM225, OE143I)

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après tout, en même temps qu'ils sont un et à même deux. Voilà la spiritualité." (SUZUKI

1944:21)

D'après Suzuki, la conscience de l'homme se laisse distinguer en deux aspects. D'une part, la

conscience dichotomisante (J'intelligence), et d'autre part, la conscience non dichotomisante (la

spiritualité). Dans la terminologie technique du bouddhisme, cette dernière est appelée prajnâ, tandis

que la première corresponde à vijnâna et à manas. (Cf. SUZUKI 1947:250) Quant au caractère local

ajouté à celte "spiritualité, "la conscience de la spiritualité par lui-même au Japon, dit Suzuki, d'une

part, apparut comme la pensée des écoles de la terre pure à travers saint Hônen (1133-1212) et saint

Shinran (1173-1263), et d'autre part, pénétra comme le sens du Zen dans la vie du Japonais. " (SUZUKI

1947:255)

La conception dc la spiritualité chez Suzuki a une parenté avec celle de l'intuition bergsonienne.

L'une et l'autre ne sont pas simplement considérées comme opposées à l'intelligence dichotomisante.

Tous les dcux désignent le fondement de l'intelligence analytique, autrement dit, la condition de la

possibilité de la conscience qui présuppose l'opposition du sujet et de l'objet. C'est pour cela que Bergson

dit: " [ ... ] de l'intuition on peut passer à l'analyse, mais non pas de l'analyse à l'intuition" (BERGSON

1903: PM202, OEI413), ou encore dit-il: "On ne reconnaît [l'unité de la vie mental] qu'en se plaçant

dans l'intuition pour aller de là à l'intelligence, car de l'intelligence on ne passera jamais à l'intuition. "

(BERGSON 1907: EC268, OE722). De la mêmc façon, Suzuki dit de sa part: "De l'intelligence on ne

peut tirer la spiritualité, mais de la spiritualité on peut tirer l'intelligence." (SUZUKI 1947:250)

Dans un séminaire sur le Bouddhisme Zen et la Psychanalyse, Suzuki explique "la manière Zcn" en

interprétant un haïku poème de Bashô:

"Je regarde avec attention:

Un nazuna en fleur

Au pied d'une haie!

Yoku mireba Nazuna hana saku

Kakine kana. " Selon Suzuki, l'étude scientifique de la réalité consiste à l'envisager sous un angle dit "objectif". Par

exemple, une fleur étudiée scientifiquement sera soumise à l'analyse minutieuse. Mais le résultat

rassemblé des études botanique, chimique, etc. n'est que le discours a propos d'un objet. Donc sa

réalité profonde lui échappe. "Il y a une autre manière d'aborder la réalité, avant ou après la science, "

dit Suzuki,

"L'approche Zen de la réalité consiste à pénétrer doit au coeur de l'objet lui-même, à

l'appréhender de l'intérieur tel qu'il est en lui-même. Connaître la fleur est devenir la fleur,

fleurir comme elle et comme elle jouirdu soleil et de la pluie. Alors la fleur nous parle, nous

livre sa vie tout entière, telle qu'elle est, frémissante au plus profond d'elle-même. [ ... ] En

revanche, connaissant maintenant la fleur, nous connaissons notre Moi. C'est-à-dire nous­

mêmes absorbé dans la fleur, nous connaissons notre Moi aussi bien que la fleur." (SUZUKI

1960:18)

Bashô n'est plus simplement spectateur dans sa subjectivité. Il est devenu la fleur elle-même, la fleur

devenue consciente d'elle-m ême; Au fond de la subjectivité absolue, Bashô arrive à l'objectivité

absolue. Voilà la spiritualité japonaise de Bashô telle qu'elle est entendue par Suzuki. Il en va de

même pour l'intuition bergsonienne. En effet, "une connaissance", disait Bergson, "qui saisit son objet

du dedans, qui l'aperçoit tel qu'il s'apercevrait lui-même si son aperception et son existence ne faisaient

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qu'une seule et même chose, est une connaissance absolue, une connaissance d'absolu 3. "

L'affinnation de la possibilité de la connaissance toute nue, dépouillée de ce qui n'est pas l'objet lui­

même irait contre la direction du travail habituel de l'intelligence. Quel est le principe fondamental de

la réflexion bouddhique, par lequel on brise la consciencc dichotomisante? C'est ce que Suzuki appelle

"la logique de sokuhi".

"Je voudrais ajouter ce qu'on peut dire de la logique de l'expérience du Zen, à laquelle je

pensais quand j'ai fait des conférences originales [en 1935-1936]. Je l'appelle "la logique de

sokuhi" en résumant la phrase de Mahâprajnâpâramitâsûtra: taccittam accittam yaccittam,

c'est-à-dire que "le coeur n'est pas le coeur pour cela le coeur est le coeur." Ici la négation n'est

que l'affinnation. L'une et l'autre sont absolument contraires, mais cette position de "hi" [soi­

négation] est immédiatcmcnt celle de "soku" [soi-affinnation]. Voilà cc que je dit la logique

du Zen. "Sokuhi" est aussi "le discernement sans discernement" ou "la conscience de

l'inconscient". Je cède plus d'argument à des philosophes." (SUZUKI 1938:33-34)

La logique de sokuhi, logique de l'intégration dans l'altérité nous semble paradoxalement illogique à

première vue. Suzukî lui-même ne l'explique pas davantage comme philosophe, mais la vit comme

religieux.

C'est Nishîtani Keiji (1900-1990) qui développe, dans la lignée de Suzuki, la discussion sur

la logique de l'identité dans l'altérité. D'après Nishitani, la manière pour une chose d'être vraiment

soi-même, de conserver l'identité de soi chez soi est directement exprimée dans la maxime orientale "le

feu ne brûle pas le feu." (NISHITANI 1961:130-133, 210, 283, 314) Le feu peut brûler n'importe

quoi, parce qu'il ne brûle pas lui-même. La substance de feu, l'identité de feu pour nous est dans son

energeia, son inflammabilité, tandis que le soi-même de feu, l'identité de feu pour soi est dans son

ininnammabilité. L'inflammabilité étant impossible sans l'ininflammabilité, la vrai identité de feu ne

peut être que l'identité entre la première identité (comme l'être) et sa négation absolue (comme non­

être). C'est en ce sens qu'on peut dire "le feu n'est pas le feu pour cela le feu est le feu." De son point

de vue de la vacuité (kü) qui dépasse le substantialisme (l'être) et le nihilisme (le néant), Nishitani

démontre la logique de sokuhi non seulement du côté objectif mais aussi du côté subjectif. "Je ne suis

pas Je pour cela Je suis Je. " (NISHITANI 1961:276-277) Voilà une appréhension réelle de notre être tel

qu'il est, qui ne ferait qu'un avec la réalisation de la réalité par soi.

3. la possibilité d'une esthétique de l'intuition

La possibilité de l'intuition bergsonienne ou de la spiritualité japonaise, malgré qu'elle puisse être

niée du point de vue intellectuel, est déjà démontrée par l'existence d'une faculté esthétique chez

l'homme. Alors que doit-on dire sur la possibilité d'une esthétique de l'intuition tel qu'elle est suggé­

rée par Bergson et Suzuki? En ce qui concerne l'esthétique bergsonienne, BAYER (1941) la condamne

comme "négative", caractérisée par la passivité et la contemplation. Suivant Bayer, SOURIAU

(1970:87 -88) aussi la critique comme "implicite". Il ose dire que la philosophie de Bergson est toute

pénétrée de l'esthétique de son temps. Un tel reproche n'est pas impossible dans leur perspective, mais

en ce qui nous concerne, nous voulons dire que l'esthétique bergsonienne est plutôt "virtuelle", virtuelle

en ce sens qu'elle n'est pas contre l'esprit esthétique ni actuellement dispersée dans ses oeuvres.

mais qu'elle est une puissance d'actualisation de la réalité. L'intuition bergsonienne est en effet une

3 Discussion à la Société Française de Philosophie (2 juillet 1908) sur Inconnaissable. (BERGSON Mél 774)

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virtualité en train de s'actualiser, si l'on utilise la distinction de G. Deleuze entre le possible et le réel,

le virtuel et l'actuel 4 • C'est pour cela que le bergsonisme est une philosophie de la création. Nous

pouvons dire la même chose dans le cas de la spiritualité japonaise.

Dans une telle virtualité se trouve la signification de l'intuition bergsonienne. Pour Bergson, la vie

envisagée en elle-même est "une immensité de virtualité" (BERGSON 1907: EC259, OE714) et ce n'est

qu'en se plaçant dans ce point de vue qu'on pourrait saisir la relation entre l'esprit et la matière. Sans

tomber dans le paradoxe de la représentation - ce qui est indépendant de la représentation doit être lui­

même représenté comme l'objet-, on pourrait saisir la réalité de l'esprit telle qu'elle est ct celle de la

matière telle qu'elle est. Alors pourrait-on comprendre la signification de la spiritualité 5 et de l'objet

même de la vie humaine.

"Si donc, dans tous les domaines, le triomphe de la vie est la création, ne devons-nous pas

supposer que la vic humaine a sa raison d'être dans une création qui peut, à la différence de

celle de l'artiste et du savant, se poursuivre à tout moment chez tous les hommes: la création

de soi par soi, l'agrandissement de la personnalité par un effort qui tire beaucoup de peu,

quelque chose de rien, ct ajoute sans cesse à cc qu'il y avait de richesse dans le monde?

(BERGSON 1911: ES24, OE833)

D'après GOUHIER (1989:124), la notion bergsonienne de création n'est pas "la création ex nihilo dans la

conscience religieuse d'origine judéo-chrétienne", ni "la création vidée de sa réalité dans les philosophies

d'origine gréco-latine", mais "la création-invention dans la philosophie nouvclle où sa réalité est enfin

reconnue. " En effet, "l'invention, dit Bergson, donne l'être à ce qui n'était pas." (BERGSON 1934:

PM52, OE1293)

Gouhier ainsi situe le bergsonisme comme philosophie nouvelle dans l'histoire de la pensée occi­

dentale. C'est ici que la tradition orientale est rejointe. En effet Suzuki aussi parle d'''artiste de la

vieil.

"On ne peut demander à chacun de devenir savant, mais par nature nous sommes tous

capables d'être des artistes, non pas au sens étroit du mot, peintre, sculpteur, musicien,

poète, mais au sens large, artiste de la vie. " (SUZUKI 1960:20)

Malgré que nous soyons tous nés "artistes de la vie", beaucoup oublient cette vocation innée. "Il suffit

d'un peu de vérité Zen dans notre vie pour transformer sa monotonie et sa banalité en oeuvre d'art

débordant de créativité intérieure." (SUZUKI 1960:22) Pour l'artiste de la vie, "à l'aide de tout ce qui

réside en lui dès sa naissance et peut-être depuis bien avant sa naissance, il façonnera sa personnalité.

Il lui donnera le sens d'une liberté croissante, d'un dépasscment sans cesse plus élevé de toutes les

formes de conventions et de motivations inhibitrices. " (SUZUKI 1960:21) La destination de la vie

humaine d'après Suzuki n'est pas autre chose que "la création de soi par soi, l'agrandissement de la

personnalité" dont parle Bergson.

Dans l'intuition bergsonienne ainsi que dans la spiritualité japonaise, la "conversion" des Alexandrins

ne fait qu'un avec leur "procession", la contemplation n'est pas autre chose que la création. C'est cette

intuition créatrice, origine de la distinction du theôria, du prâxis, et du poiêsis, en même temps que

4 ,,[ ... ] Je possible est le contraire du réel, [ ... ] le virtuel s'oppose à l'actuel. [ ... ] le possible n'a pas de réalité (bien qu'il puisse avoir une actualité) ; inversement le virtuel n'est pas actuel, mais possède en tant que tel une réalité." (DELEUZE 1966:99)

5 "L'intuition, attachée à une durée qui est croissance, y perçoit une continuité ininterrompue d'imprévisible nouveauté; elle voit, elle sait que l'esprit tire de lui-même plus qu'il n'a. que la spiritualité consiste en cela même, et que la réalité, imprégnée d'esprit. est création, " (BERGSON 1934:PM30-31, OE 1275)

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leur fin, qui pourrait fonder J'esthétique bergsonienne. Celle-ci nous amènerait à l'origine de la beauté

et de l'art en nous désignant la direction de la vie. Telle est la signification de l'esthétique de l'intuition.

Reste à éclairer la différence entre l'intuition bcrgsonienne et la spiritualité japonaise. Il nous semble

insuffisant de faire remarquer leur différence, comme le fait YAMAGUCHI (1969), en utilisant des con­

cepts telles que "subjectivité / objectivité", "immanence 1 transcendance". car une telle catégorisation

n'est que l'oeuvre de l'intelligence. alors que l'intuition toujours dépasse le point de vue de l'intelligence.

De même que l'intuition bergsonienne est supra-intellectuelle, ainsi la logique de sokuhi est supra­

logique. Donc nous remarquons, en demandant à l'intuition elle-même, son objet et sa portée dans le

cas de Bergson et de Suzuki.

Quant à Bergson, dans sa démarche philosophique il s'avance en prolongeant l'intuition esthétique de

l'artiste par l'intuition philosophique de lui-même dans L'Evolution créatrice, et finalement il va jusqu'à

prolonger cette dernière par l'intuition mystique chrétien dans Les Deux sources. Nous devons faire at­

tention à la conception du prolongement de l'intuition. Chaque intuition va dans la même direction,

mais seulement sa portée est différente.

"La vérité est qu'une existence ne peut ètre donnée que dans une expérience. Cette

expérience s'appellera vision ou contact, perception extérieure en générale. s'il s'agit d'un

objet matériel; elle prendra le nom d'intuition quand elle p0l1era sur l'esprit. Jusqu'où va

l'intuition? Elle seule pourra le dire. Elle ressaisit un fil: à elle de voir si ce fil monte

jusqu'au ciel ou s'arrête à quelque distance de terre. Dans le premier cas, l'expérience

métaphysique se reliera à celle des grands mystiques: nous croyons constater, pour notre

part, que la vérité est là 6." (BERGSON 1934: PM50, OE1292)

C'est le dernier mot de Bergson sur l'intuition. A la fin de sa carrière philosophique, Bergson semble

systématiser pour nous des intuitions. car "l'effort d'intuition peut s'accomplir à des hauteurs différentes,

sur des points différents" (PM29. OEI274). L'intuition bergsonienne monte ainsi de la terre vers le

ciel. Pour Bergson, "la philosophie devrait être un effort pour dépasser la condition humaine." (PM

218. OE1125)

Au contraire, dans le cas de Suzuki, il n'y a aucun souci systématique pour intégrer des pensées

bouddhiques. Dans l'article "La Raison et l'intuition dans la philosophie bouddhiques" (1951), Suzuki

distingue l'intuition des moines Zen (l'intuition-prajnâ) de l'autre type de l'intuition, soit philosophique,

soit religieuse, au point de vue de l'objet.

"Comme l'immédiateté caractérise l'intuition-prajnâ, on est enclin à confondre celle-ci

avec l'intuition en général. [ ... J Dans le cas de l'intuition au sens général, il doit y avoir ce

qu'on appelle l'objets de l'intuition tels que Dieu, la réalité, l'absolu, la vérité etc. Un acte

intuitif est donc considéré comme accompli quand on arrive à l'état d'union entre le sujet et

l'objet. Cependant dans le cas de l'intuition-prajnâ, l'objet de l'intuition n'est pas spécialement

décidé. Si j'ose dire. n'importe quoi peut être l'objet de l'intuition; à partir d'une mauvaise

herbe sur le bord du chemin jusqu'à statue d'or du Bouddha qui a cinq mètres de haut. "

(SUZlJKI 1951:99)

L'objets de l'intuition-prajnà ne sont pas des concepts issus d'une pure spéculation, mais quelque chose

de concret, par J'intermédiaire duquel l'objet est saisi en soi et en même temps le sujet est saisi en moi.

6 Bergson a dû écrire ce texte après la publication des Deux. sources. En effet, dans la dactylographie corrigée et manuscrite de La Pensée et le mouvant (déposée à la Bibliothêque littéraire Jacques Doucet sous la cote BGN 868), ce texte est ajouté et daté "12 Sept. 1933" de la main de Bergson.

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Loin de s'orienter vers le ciel, la spiritualité japonaisc demeure toujours sur la terre. En pensant

surtout à Shinran, Suzuki dit: "La spiritualité japonaise ne peut s'éloigner de la tetTe." (SUZUKI

1944:57) D'après Suzuki, la nature de la terre consiste dans une sorte de dialectique entre le général

et l'individuel, car la logique de sokuhi qui est général doit être réalisée dans l'individualité de chaque

personne. En outre, la passivité de l'homme par rapport au ciel doit être complétée par son activité par

rapport à la terre. "La possibilité de cultiver la terre vient de ce que la lumière du ciel tombe sur la

tenc." (SUZUKI 1944:47) En ce sens la tene est la mère aimante qui peut produire le vrai individu.

Voilà la différence entre l'intuition bergsonienne et la spiritualité japonaise, la première montant vers

le ciel paternel, la dernière enracinée dans la terre maternelle.

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直観の美学ーベルクゾンと日本的霊性一

瀧一郎

ベルクソン美学の中心概念といふべき「直観Jは、実在の絶対的認識として、しばしば「純

粋矢IJ覚Jと混同され、その可能性が疑はれてきた (R.Bayer) 0 たしかに、主観と客観との分離

を前提とするす場からみると、茎的な共感といふベルクソン的直観の本性は誤解されやすい。

しかし、この概念は東洋人にはむしろ馴染み深いもので、とくに鈴木大拙のいふ「日本的霊性」

浄土系思想および禅に見られる非二元論的な宗教意識 との類似は著しい。そこで、ベルク

ソンと大fH1とを比較して両者の共通点ならびに相違点を指摘し、直観の美学の可能性を検討し

直すこと、これが本論文の目的である。

ベルクソンが「直観」と呼ぶものは、「対象の内部に身を移し入れ、対象のもつ独自なところ

と一致する共感」である。分析的な知性の見池に立っかぎり、このやうに自己の外に出ながら、

しかも自己でありつづけることは不可解で=あらう。しかし、ここで主張されてゐるのは、主観

の側から対象を外的に見ることではなく、むしろ客観の側から対象を内的に感じることである。

そこでは、対象を知るといふ主観的契機と汁象が在るといふ客観的契機とがひとつであって、

主容の空間的な対立が霊的に解消されてゐる O 知るものと知られるものとが一体となりつつ両

者が区別されるやうな経験の直接性こそ、ベルクソン的直観の本質である。

これと類似 Lた考へを日本の美学に探るならば、「松の事は松に習へ、竹の事は竹に官へiといふ芭f!:、の教へに対して、「習へといふは、物に入りて、その微の顕れて情感ずるや、名]と成る

所なり!と土方が説明 Lてゐる O ベルクソンの創造的情動論にも通じる洞察である。また、芭

蕉の匂に日本的霊性の表現をみる大拙は、「禅の方法とは直に対象そのものの中に入り、いは

ば内側から対象を見るのである」と述べてゐる。ベルクソンが「直観Jを「知性」から区別する

のと同じ仕方で、大拙は「霊性Jを「知性」から区別し、 <AはAでないがゆゑにAである〉と

いふ「即非の論理jを立てるが、そこにはやはり主客関係におけるくー即二・二即ー〉が認め

られる。

ベルクソン的直観と日本的霊性とは、主客の不可分・不可同といふ基本的な構造を共有する

一方で、見逃せない差異もある O 前者は、一般的なものを対象として「美的直観」から「哲学的

直観jへ、さらには「神秘的直観」へと延長されながら、天に向かって上昇するのに対して、後

者は、あらゆる具体的なものを対象にして、母なる大地に根ぎすのとはいへ両者は、観想 (theo-

ria) とも実践 (praxis) とも制作 (poiesis) とも規定されない、三者がそこに区別されなくなる

やうな終極、もしくは二者がそこから区別されてくるやうな始加であって、創造といふ人間の

存在理山と、美や妻。術の実存的意味を教へてくれる。そこに直観の美学の可能性がある。

[本稿は第15四国際美学会議(神田外語大学)における研究発表(2001年8月27日)に基づく。)

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