Benoît Couthier — Éleveur de bovins

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Entretien avec Benoît Couthier Eleveur de bovins à Villeberny (Côte d’Or) Entretien mené par Camille Bordet-Sturla Le 26 février 2014, à Villeberny

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Benoît Couthier élève ses bovins en Bourgogne.

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Entretien avec Benoît Couthier

Eleveur de bovins à Villeberny (Côte d’Or)

Entretien mené par Camille Bordet-Sturla Le 26 février 2014, à Villeberny

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Pourriez-vous vous présenter ? Benoît Couthier, éleveur de bovins à Villeberny, en Bourgogne, installé depuis 1994.

Pourquoi avez-vous eu envie de travailler dans l'élevage ? J'ai grandi là-dedans. Je viens d'une famille d'agriculteurs, j'ai grandi dans la ferme où travaillaient mes parents, à Villeberny. Après je suis parti faire mes études en Belgique. J'aurais pu aller plus loin, continuer les études, mais il y avait besoin de monde pour travailler à la ferme alors je suis rentré. Peut-être que tout aurait été différent si j'avais continué, je sais pas... a

Travaillez-vous seul ou en équipe ? a Je travaille seul, avec parfois l'aide de mon père, même s'il a soixante-quinze ans. Il est

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impossible financièrement d'embaucher quelqu'un à temps plein. J'ai fondé un GAEC (Groupement agricole d’exploitation en commun) avec ma mère, mais on ne fait pas la même chose, elle, elle travaille avec les volailles et les lapins, et puis elle a le restaurant à Flavigny. Et puis le problème aussi, c'est que si vous embauchez quelqu'un, il va vouloir travailler huit heures par jour, et pas le week-end, mais c'est pas comme ça que ça marche. Vous allez pas demander à une vache de mettre bas entre 8h et midi parce que ça tombe sur vos heures de travail. On travaille tout le temps, jour et nuit, 365 jours par an ! a

Dans la chaîne de la viande, où commence et où finit votre métier ? a On fait naître les bêtes, on les soigne, on veille à ce qu'elles grandissent en bonne

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santé, on les suit individuellement, et on les emmène jusqu'à l'abattoir. a Quels outils/procédés techniques utilisez-vous ? a Le métier est beaucoup plus mécanisé qu'avant. On n'embauche plus de main d’œuvre, c'est trop cher. Donc on dépend beaucoup du matériel. Ce métier, c'est énormément de travail. Je m'oblige à prendre des vacances l'été mais la semaine me coûte 1800 euros de remplacement... Alors tu imagines, non seulement je dois payer mes vacances mais en plus je dois payer 1800 euros pour faire tourner la boutique. A

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Avez-vous un objectif de production en termes de quantités ? a Aujourd'hui c'est de plus en plus difficile de vivre sur de petites exploitations. Avant, des personnes vivaient avec cinquante hectares avec un revenu convenable, aujourd'hui ce n'est plus possible (avec la mécanisation et tout ça...). Les charges sont tellement importantes qu'on est obligés d'avoir de grosses exploitations. a Comment qualifieriez-vous votre élevage ? a Je ne me considère pas comme un éleveur industriel. Je ne fais pas du bio mais je m'en rapproche. Je produis de la viande de qualité.

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Sur la sélection des bêtes a Quels animaux élevez-vous ? Quelle est la taille de votre troupeau ? a Je suis éleveur de bovins. Aujourd'hui il y a 400 têtes dans le cheptel. Je ne suis pas sûr de la moyenne des élevages en France, il faudrait vérifier, mais pour te donner une idée je pense que ça doit tourner autour de 120 – 130 têtes. a Quelle est leur race ? Pourquoi avez-vous choisi cette race en particulier ? Où vous êtes-vous procuré vos premières bêtes ? a En 2008, j'étais en Charolais / Blanc bleu belge, du culard (qui présente une hypertrophie à l’arrière-train, ndlr). C'est ce qui se fait de mieux en termes de qualité mais il faut savoir qu'il y a des problèmes, par exemple les naissances se faisaient

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uniquement en césarienne car les bassins étaient effacés... En 2008 j'ai eu une suspicion de tuberculose et j'ai du abattre tout mon troupeau. J'ai été obligé de reconstituer mon cheptel. Alors je suis parti, j'ai fait 30 000 km pour trouver des bonnes bêtes. J'ai fini par racheter des Blanc-bleu-belges en Belgique, et le reste en Blondes d'Aquitaine. Le marché des Blanc-bleu-belges s'est fermé, surtout en mâles, donc je suis en train de l'éliminer aujourd'hui, et on va bientôt passer en Blondes d'Aquitaine complètement. Elle a une meilleure texture de la viande, un meilleur rendement carcasse (poids de la carcasse par rapport au poids vif), ça c'est pas des culards. C'est un pari, je sais pas si j'ai raison ou pas car les gens avec qui je bosse travaillaient principalement sur du culard (meilleur pour la découpe, ils font de la première catégorie jusque dans le collier, alors qu'avec les autres vaches c'est

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beaucoup plus difficile de faire de la première catégorie partout). a Est-ce que vous renouvelez votre cheptel, ou bien est-ce que vous vous contentez de faire évoluer votre troupeau ? a De temps en temps on achète de nouvelles bêtes pour la reproduction ou pour compléter le troupeau. Celles-là par exemple je suis allé les chercher à Bordeaux il y a pas longtemps, celle-là était déjà pleine quand je l'ai eue. a Quelle relation diriez-vous avoir avec vos animaux ? a Il faut quand même savoir être détaché, ne pas être trop fraternel parce que ça reste des animaux et ils sont énormes, il ne faut pas prendre de risque. Il faut que l'animal vous craigne un peu. Si tous les matins vous

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caressez un petit veau et qu'il prend l'habitude de jouer avec vous, qu'il vous donne des petits coups de tête, c'est tout mignon au début, c'est sympa. Mais je peux vous dire que quelques mois plus tard, s'il continue de jouer avec vous comme ça, c'est pas compliqué, il vous tue. a

Sur la vie des animaux a

De quoi se compose la nourriture des animaux ? Utilisez-vous des compléments alimentaires/médicaments pour les aider à se développer d'une certaine manière ou à lutter contre les maladies ? a A 95%, je nourris mes animaux avec les aliments que je produis (foin, céréales), plus les compléments nécessaire à la qualité. Il y a des rationnements, il faut équilibrer les rations (mais pour ça on fait appel à un

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nutritionniste). Les vaches qui sont « à l'entretien » ont un programme pour le développement squelettique, puis « à l'engraissement » c'est une ration pour les engraisser : il faut que l'animal soit rempli et qu'il ait une proportion intéressante dans la fibre musculaire de viande. Je travaille beaucoup en vaccins, mais je ne fonctionne pas comme le système industriel, je n'utilise pas les antibiotiques en prévention. Les seules fois où j'utilise les antibios, c'est quand les vaches sont malades et que c'est nécessaire, mais je peux vous dire que c'est très rare. A

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Vos vaches sont-elles principalement à l'intérieur ou à l'extérieur ? De quel espace disposent-elles ? Pourquoi avez-vous fait ce choix ? a Les vaches sont à l'intérieur quatre mois et demi de l'année, et le reste dans les pâturages. On les rentre l'hiver parce qu'il n'y a plus d'herbe dans les prés, et puis la terre est complètement molle, elles pataugent dans leur merde. Quand elles sont à l'intérieur, on paille tous les soirs, et on récure à fond quand elles s'enfoncent trop dans la merde, parce que c'est pas bon pour les sabots, ni pour la respiration. Et elles restent à l'intérieur aussi au moment de l'engraissement. Mais le reste du temps elles sont dehors. C'est bien meilleur d'abord pour leur bien-être, et en plus pour la viande. a

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Quel est votre point de vue en ce qui concerne le bien être de l'animal ? a Pour moi, le bien-être des animaux est une priorité. Ça implique une vraie surveillance, des soins appropriés... Clairement il y a des éleveurs qui s'en foutent. Il y en a plein, même. Mais pour moi c'est très important. a Comment définiriez-vous l'élevage industriel ? Qu'en pensez-vous ? a Alors pour moi, ma définition de l'élevage industriel, c'est du hors sol, déjà, auquel on ajoute une concentration d'animaux énorme au m², et du début à la fin on les tient à l'antibiotique. Aujourd'hui, je ne mangerais pas un poulet industriel ! Mais les consommateurs vont vers ça... Parce que c'est pas cher ! Il faut savoir qu'un poulet industriel est tué au bout de six semaines

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contre quatre mois normalement. Pour les bovins, c'est le secteur où il y a le moins de dérapages. Je pense que c'est une espèce qui est plus difficilement industrialisable. a Ah bon ? Mais alors tout le bœuf utilisé par les fast-foods et compagnie ? Ce n'est pas de la viande industrielle ? a Ils prennent les avants. C'est-à-dire qu'ils prennent les mauvais morceaux et qu'ils les broient. C'est l'avant de la carcasse, ce dont personne ne veut. Donc votre steak McDo, c'est tous les restes qui sont broyés. a

Sur la reproduction a Comment se passe la reproduction de vos vaches ? Comment travaillez-vous à améliorer votre race par la reproduction ? a

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Tous les reproducteurs viennent de mon élevage, je suis encore dans la vieille tradition. Je me déplace en vrai pour choisir les bêtes. Quand on a un reproducteur qui fait des bons veaux, on le garde longtemps. Mais c'est important qu'on soit là pour surveiller les vaches pleines, et les aider quand elles mettent bas, parce que parfois elles ne peuvent pas accoucher toutes seules et le veau meurt. On a perdu beaucoup de veaux parce qu'on n'était pas là lors de la naissance.

a Sur l'abattage

a A quel âge vos bêtes sont-elles abattues ? Où s'arrête votre travail ? Vous occupez-vous également de l'abattage ? a On essaye de faire abattre les vaches en-dessous de sept ans, pour les mâles c'est en-

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dessous de vingt-quatre mois. Mais il y en a à tous les âges, et ça dépend des animaux, de leurs capacités, il y a un tri sélectif au niveau de l'élevage. Par exemple un taureau qui est un bon reproducteur, on va le garder longtemps. C'est au cas par cas. On amène les vaches à l'abattoir, et après c'est le boucher qui prend le relais. On travaille quasiment tout le temps avec des bouchers de la région, sauf parfois il y a un boucher de Franche Comté qui vient acheter notre viande, mais là je lui donne les vaches vivantes et c'est lui qui se débrouille pour les amener à l'abattoir. a Où et comment les bêtes sont-elles abattues ? La mise à mort s'effectue-t-elle dans des conditions que vous qualifieriez de respectueuses de l'animal ? a

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On va chez plusieurs abattoirs, mais il faut bien savoir qu’à 92% en France c'est Bigard qui a le monopole des abattoirs. Je pense que c'est très bien suivi, il y a beaucoup de normes et en général les abattoirs respectent bien tout ça. Après il y a le halal, qui coûte moins cher, et qui a tendance à se généraliser, et au niveau du bien-être animal je trouve ça vraiment limite. Je l'ai vu sur un de mes animaux, c'est dur à voir... Aujourd’hui les abattoirs utilisent le halal même quand la viande n'ira pas chez le marchand halal parce que ça coûte moins cher... A

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Sur la qualité de la viande a

Comment définiriez-vous une viande de qualité ? a Ça dépend, chaque personne a une perception différente de la qualité : ça peut être la tendreté, le goût... ça évolue, le consommateur évolue. Traditionnellement, les Français mangeaient de la femelle (gras, plus rouge, plus de goût), aujourd'hui on va vers de la viande plus tendre, moins goûteuse, comme le jeune mâle. C'est très travaillé par les industriels, depuis tout petit, et puis les mâles sont moins chers. Prenez la pub Charal par exemple : c'est pas de la haute qualité, et on fait croire au consommateur que c'est de la viande tip top. On ne veut plus faire d'effort, les gens achètent de la viande prémâchée, des plats cuisinés, etc. Regarde, quand tu vas au

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restaurant aujourd'hui, c'est quasiment impossible d'avoir une vraie pièce de viande. a Que pensez-vous des différents labels, et notamment du nouveau label « viande de France » créé par le Ministère de l'Agriculture ? Est-ce que votre viande est labellisée ? a Je suis contre les labels, je trouve que c'est une grosse arnaque. Je ne trouve pas que ce soit une marque de qualité ; il faut la main de l'éleveur, il faut que l'éleveur connaisse son métier... Il y a des éleveurs qui ne connaissent pas leur métier... Il y a les passionnés, et puis ceux qui font dans la facilité, qui font « de la cueillette », qui vivent avec les primes pour la grande distribution. Pour moi, avec le bio on tombe dans l'extrême : on n'aide plus, on retire tous les engrais, et on prend ce que l'animal a bien

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voulu prendre dans la nature, mais ça ne veut pas du tout dire que c'est de la bonne qualité. Pour moi, le label, ça ne veut rien dire. Il y a de bons éleveurs bio, de mauvais éleveurs bio... On met tout dans la même barquette ! Moi j'essaye d'amener l'animal dans le meilleur de ses capacités pour que le goût soit le meilleur. Tiens, je vais te donner un exemple : il y a quinze ans, on avait de bonnes vaches, le label étaient en pleine explosion, les gars qui voulaient le label manquaient de bêtes. Donc ils m'ont demandé si je pouvais leur donner mes bêtes, car elles sont de bonne qualité. J'ai signé un papier. Mes vaches sont de bonne qualité, mais ça veut rien dire, s'il y a du manque on donnera tout et n'importe quoi... Tout ça c'est des conneries. Ceux qui sont à la tête du label vont gagner de l'argent, mais c'est tout... a

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Qu'est-ce que vous entendez par « aider », quand vous dites qu'avec le bio « on n'aide plus » la nature ? a Pour moi c'est pas la label bio ou autre qui fait la qualité. Ce qui fait la qualité, c'est la génétique à 30% (c'est vraiment important la génétique), l'alimentation à 20% et l'éleveur à 50%. Si vous avez un mauvais éleveur, même avec un label bio, vous aurez de la mauvaise viande. Et au niveau de l'exploitation, il faut aider en ayant les ressources suffisantes : acheter de l'azote, cultiver les terres, lutter contre les champignons... sans aller aux excès ! Je vais vous donner un exemple : la mycotoxine. C'est super mauvais pour la santé, on est bien obligés de lutter contre ! C'est là où on voit les limites du bio. a

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Mais alors, si même les labels n'ont aucune signification, comment je peux faire, moi, en tant que consommateur, si je veux être sûre d'acheter de la viande de qualité ? a Aujourd'hui si vous voulez de la bonne viande il faut aller chez un vrai petit boucher, mais un vrai hein ! Un qui achète sa vache complète, pas des morceaux découpés. Après, il faut voir si la viande vous plaît, c'est tout. a

Sur les clients a

Qui sont vos clients directs ? Travaillez-vous plutôt en circuit court ou en circuit long ? On privilégie les circuits courts, pas les marques. Je travaille principalement avec des bons bouchers, mais les clients viennent,

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partent, ça change souvent. C'est les bouchers qui me choisissent, mais on les démarche de temps en temps. Après, c'est sûr que c'est plus facile de vendre à la grande distribution qu'avec les bouchers qui peuvent avoir plus de problèmes d'argent. En plus il y a très peu de place chez les bouchers, donc les éleveurs vont vers la grande distribution. C'est facile. Mais parfois la grande distribution a ses propres bouchers... Enfin c'est compliqué tout ça. a Fournissez-vous de grandes marques ? a Généralement je ne travaille pas avec les marques. Ça m'est arrivé de le faire quand c'était vraiment difficile, mais j'essaye toujours d'éviter.

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Merci pour ces informations précieuses. En guise de conclusion, pourriez-vous nous dire comment vous voyez votre métier aujourd'hui ? a C'est un métier de passion, mais on travaille énormément et on ne gagne rien. Il faut savoir tout faire : s'occuper des bêtes, avoir des notions scientifiques, être commerçant, gestionnaire, faire de l'administration (ça, la paperasse, on en a de plus en plus)... Avant, la PAC arrivait à donner des garanties sur les prix, et aujourd'hui la PAC est complètement remise en question : aujourd'hui on a déjà perdu 15% sur les prix, si ça se trouve demain ce sera 30%... Ça devient de plus en plus difficile économiquement, le matériel coûte très cher et prend 5 ou 6% tous les ans, sans parler de la nourriture des animaux : on doit payer sept tonnes de nourriture par jour, ce qui fait 1400 euros. Par jour. Un céréalier, lui,

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il récolte et vend directement. Tu imagines la différence ? Tu me diras, ici en Bourgogne on ne peut pas faire de céréales, la terre n'est pas bonne pour ça. Mais en plus c'est un métier de plus en plus individualiste, c'est plus ce que c'était, même si nous au village on n'a pas à se plaindre, on continue de se rendre service, de s'aider entre nous. Tiens, pour te donner une idée : aujourd’hui une ferme c'est 1 million, 2 millions de capital : si tu la vends, tu gagnes plus que le revenu annuel ! Faut être fou pour continuer, hein ?

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