Belleville au cœur

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BELLEVILLE AU CŒUR

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CHEZ LE MEME EDITEUR

La colère de vivre, Jean Tavantzis.

A PARAITRE

Les violons de l'enfer, roman, Jean Tavantzis.

DANS LA COLLECTION « SPIRITISME »

La vie et l'œuvre d'Allan Kardec, André Moreil.

Recueil de prières, Allan Kardec.

Révélation spirite, Allan Kardec.

Esprits et médiums, Léon Denis.

© Éditions Vermet, 1980 ISBN 2-86514-002-4

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CLÉMENT LEPIDIS

BELLEVILLE AU CŒUR

ÉDITIONS VERMET 10, avenue du Père-Lachaise, 75020 Paris

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DU MEME AUTEUR

L'amour dans la ville poèmes, Ed. du Toro La rose de Büyükada roman, Ed. du Seuil La fontaine de Skopelos roman, Ed. du Seuil Le marin de Lesbos roman, Ed. du Seuil L'Arménien roman, Ed. du Seuil Les émigrés du soleil nouvelles, Ed. du Seuil La main rouge roman, Ed. du Seuil La conquête du fleuve roman, Ed. du Seuil Belleville album, Ed. Veyrier

en collaboration avec Em. Jacomin

Le mal de Paris récit, ed. Arthaud photos de Robert Doisneau

A Paraître

Andalousie Ed. Arthaud (ouvrage écrit en collabo- ration)

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Les éditions VERMET remer- cient « Le Figaro », « L'Humani- té », « Le Matin », « Les Nouvelles Littéraires », « Le Monde » et « France-Culture » qui ont permis la réalisation d'une partie de ce livre.

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à ma mère.

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SOMMAIRE

Paris, ça r e c o m m e n c e 13 Belleville à la casse 19

Belleville personnages 29 Belleville cosmopo l i t e 31 Un bo t t i e r ph i losophe 35 Gabriel le Eulalie Moul in 39 Belleville é té 36 47

Belleville occupé 51 14 jui l let 57 Les Folies 61 Voulez-vous danser m u s e t t e ? 65

Le roi de la J a v a 71 Reine du m u s e t t e 75

Germaine fais-gaffe 83 Les vampires 107 Belleville au cœur ou Le Br ise-béton 111 Assez ! 125 Paris chansons 129

Belleville n o u s avons eu p e u r p o u r toi 137 Belleville... je veux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145

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PARIS, ÇA RECOMMENCE

On dit couramment : Paris c'est la Tour Eiffel, le musée du Louvre, les Champs Elysées. L'Orangerie ! Bien sûr, Paris c'est tout cela : des monuments, des avenues. De la peinture; surtout les impressionnistes : Gauguin l'émigrant qui pour créer abandonna femme et enfants. Monet n'en parlons pas, un pionnier. Des toiles magistrales : les meules ! Les bords de la Seine et ceux de la Tamise. Sa cathédrale. Et Van Gogh avec ses mangeurs de pommes de terre, ses Tournesols et son bout d'oreille coupée ! Vous voyez que j'aime la peinture ! Mais enfin la rue des Gravilliers, la rue au Maire et la rue Réaumur, n'est-ce pas ça aussi, Paris ? N'entendez-vous pas la Jane Chacun lancer au porte-voix accompagnée par Emile Vacher, des Nocturnes et du Dénicheur, les refrains ? Une valse- musette bien enlevée, pour un Parisien, c'est une forme d'art. Son caviar. Mais pour cela, il faut aimer Paris avec un cœur d'autrefois, à certains endroits res- pirer son haleine alors que, disons depuis trente ans, il ne se serait pas lavé les dents. Je ne manque jamais chaque année de déambuler en août dans ses rues, là où les touristes sont absents.

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Le temps des vacances supprime du tintamarre, du tohu-bohu. De la vapeur d'essence; alors de bonne heure, en baguenaude, je reviens au temps de mes vingt ans et retrouve bien sûr, avec de la différence, un peu de son climat d'antan. Tout ce que je vois me sourit ; je me sens pousser des ailes même si dans la poche je n'ai pas trop de sous. Je suis capable de tout : vivre dans l'insouciance ! chanter à tue-tête ! Trouver sympathique un agent et ça, croyez-moi, pour ceux qui me connaissent, c'est une performance !

Paris me rend heureux malgré ma haine des pro- moteurs, le prix de la frite en hausse, l'absence des Quatre Saisons au bord des trottoirs et dans les res- taurants, la disparition des plats en sauce. Malgré la pollution, j 'explore et farfouille, comme la fouine cherche sa proie, mais moi, en fait de volaille, ce qu'il me faut c'est une vieille enseigne encore de- bout, un café non pas refait à l'ancienne et du style rétro, mais un vrai bistrot avec comptoir en zinc et glace piquée, grenelle et patron moustachu, Au- vergnat de préférence.

Noblesse oblige, je flâne en priorité à Belleville où le soleil de l'Assomption — je ne suis pas sec- taire — illumine ici un mur, là une frise ou un mas- caron. Le plus rare c'est de croiser un passant qui aurait l'allure d'un ancien copain : Poitrine d'Acier ! Marius ! Edouard l'Arménien ! Coco de la rue Jouye Rouve et ses costumes à trois cents francs ! La belle Josette de la rue des Cascades, vêtue à la Myrna Loy : jupe entravée, escarpins vernis, usinés dans le meil- leur atelier du quartier. Chez Palacci. Il manque aussi, pour que l'illusion soit parfaite, un parfum de gigot échappé d'une fenêtre, traversant un rideau avant de s'épanouir et d'embaumer la rue. J'oubliais l'essentiel : un soupçon d'accordéon.

Voilà donc ce que j'imagine en marchant : des

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visages retrouvés mais aussi des odeurs de cuisine. Je poursuis mon pèlerinage revenant sur mes pas pour éviter les constructions nouvelles, l'assassinat de mon quartier et conserver à plein mon spleen du passé. Faubourg du Temple, apparemment rien n'a bougé. Galerie du Commerce, la Java. Plus bas, direction Parmentier, l'ancien Dimax ; le nom seu- lement a changé. La Capitale, vieille brasserie au bord du canal où grincent les crémaillères des éclu- ses quand passent les péniches tandis que chante la marinière, dans sa cambuse. J'arrive tout naturel- lement à la République. A ma gauche les Réunis. J'avais dix ans à peine quand on m'offrit mon pre- mier ciné à manivelle et obturateur. Un Pathé 35m/m exposé au premier étage du magasin. On vous dira : la statue de la République ? pouah c'que c'est laid ! Eh bien à moi elle me plait. Je me fiche de son es- thétique ; pour Paris elle est une griffe : de son pied partent toutes les manifs.

Statue dans le dos, me voici sur les Grands Bou- levards, intacts ou quasi; je pense à l'Ambigu que l 'on a démoli pour une poignée de dollars. La porte Saint- Martin est encore debout. Il ne manque à Saint-Denis que son agent barbu. Le plus célèbre de tous les flics. Il buvait du Quinquina, utilisait Dentol, la ouate Thermogène, s'approvisionnait en lentilles au Plan- teur du Caïffa. On parlait de lui à New York ! à Tokyo ! A Bombay et en Afrique. Je remonte le fau- bourg où est née la Mistinguett, direction Paradis, forcément. Marcilly la poissonnerie est fermée, mais l 'odeur de la morue séchée semble attendre la réou- verture, en Septembre. Le Passage du Désir a tu ses machines d'imprimerie et de petite mécanique. Tiens ! au Café Napoléon, n'est-ce pas, au comptoir, le beau Gegène qui tondait sur le dos de Ginette, la laine qu'elle gagnait rue du Château d'Eau, chez Suzy ?

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Je délire assurément car il y a belle lurette que Gegène s'en est allé à Pantin faire un dernier réassor- timent. Souvenirs souvenirs, tandis que j 'arpente le faubourg, vous mettez le feu à mon âme ; sans vous je ne pourrais vivre ; sans les boulevards, sans la Seine. Sans Paname. Me voici à présent devant un couloir : l 'entrée du Central Dis Anastase, te souviens- tu des combats d'autrefois ? Edy Rabak ! Necolny ! Joe Mendilla le poids coq philippin. Et le beau Théo Médina aujourd'hui dans la dèche après avoir roulé calèche ! Coups de poing du passé, Faubourg Saint- Denis tu me fais mal, comme si chez toi j'étais né.

Tel un aimant le Sebasto m'attire. Dans ses rues en échelle je tourne et vire où sont bâtis du tissu les empires : Cléry ! Sentier ! Aboukir ! Halte un moment rue Notre-Dame de Nazareth à l'endroit même où tapinait avant la guerre, vêtue en petite sœur des pauvres avec mante et cornette, la môme Lulu dite Boule d'ébène rapport à l 'authentique cha- pelet qu'elle portait à la ceinture et qu'elle égrenait en attendant le client. Ne croyez pas que j'exagère, que j'invente. On disait alentour que Lulu n'avait pas sa pareille pour faire l 'amour en latin : jamais elle ne se mettait nue !

Alors vous voyez, si à certaines places Paris a changé, à d'autres il est encore debout. Je vous le re- commande en août. Mais surtout, et c'est indispensa- ble, oubliez vos soucis, vos démangeaisons si vous en avez. Oubliez les élections manquées, laissez dans le tiroir la note du gaz et de l'électricité, le visage rebon- di et satisfait du Premier ministre sur l'écran de télé. Oubliez tout, ne pensez qu 'à Paris et venez...

Ah mon Paname Je t'aime tiens Comme une femme

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jardins et bosquets où l'on peut déguster la frite de Paris (qui n'a rien à voir avec la belge) et la moule ma- rinière. En hommage à Cavargna, un restaurant à son enseigne permet d'apprécier comme au bon vieux temps la morue pannée à l'ail, le cervelas grillé, l'an- douillette grise et le boudin bleu. Le pot-au-feu ma- nière bellevilloise. Le petit rouge que l'on sert à son comptoir n'est pas piqué des vers. On entend l'accor- déon partout. A ce propos, la Java, le bal-musette du Faubourg du Temple est également classé. Son pro- priétaire et animateur Augusto Baldi, dirige dans sa célèbre salle une école d'accordéon et de danse uni- que en son genre.

L'effort des urbanistes s'est surtout porté sur les cités-jardins qui, toutes, ont été conservées. Villa Ottoz. Villa Castel. Villa Faucheur. A ce propos, l'a- telier du maître céramiste Le Tallec a été agrandi par l 'adjonction de plusieurs maisons vides. L'ensemble sert aujourd'hui d'école où on enseigne la peinture sur porcelaine, cela pour répondre au vœu du président de la République inquiet de la disparition des métiers d'art. Il est question aujourd'hui d'adjoindre au nom de la Villa, celui de Le Tallec qui fit tant pour le re- nom de l'art de la porcelaine dans le monde. On doit inaugurer très prochainement la nouvelle villa Le Tallec-Faucheur. Belleville lui devait bien ça.

Oui, tuer nos cités-jardins eût été criminel et nos urbanistes, nos architectes sont loin de l'être. Merci à eux de les avoir conservées. Merci d'avoir sauvé ces havres de paix, de les avoir agrémentés de jardins nou- veaux, de bassins et de fleurs. De n'y avoir abattu au- cun arbre. Autre restauration importante que nous devons aux Beaux-Arts : la maison du meunier située dans le haut de la rue Piat. Les pouvoirs publics ont compris à quel point les Bellevillois y sont attachés. Du même coup, le Repos de la Montagne, ce célèbre

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bistrot de la rue Vilin est toujours en place. La ville de Paris s'est rendue acquéreur de la Maison du Meu- nier qu'elle a transformée en musée du Vieux Belle- ville. Son conservateur, Emmanuel Jacomin est un homme que nous connaissons bien. Ses travaux sur l'histoire de Belleville font aujourd'hui autorité. Ce poste lui revenait de droit.

Nous n'en finirions pas de parler de tout ce qui a été fait pour Belleville et il me faut conclure. Pour ce faire, j'ai choisi la réalisation la plus spectaculaire pour le renouveau de Belleville. J e veux parler de la sauvegarde de la Place des Fêtes qui conserve son aspect traditionnel en évitant le béton agressif. Toute la façade de la place a été jalousement conservée. Rue des Lilas, rue du Pré Saint-Gervais, rue des Bois, l'édi- fication d'immeubles sociaux ne dépassant pas cinq étages est une merveille d'équilibre et de bon goût. Un modèle du genre pour que la Place des Fêtes reste la Place des Fêtes. Avec quelle intelligence les promo- teurs ont travaillé ! Ils ont droit à toute notre re- connaissance car jamais ils n 'ont pensé au profit, mais au seul désir de satisfaire une population en lui con- servant son patrimoine. Rendons-leur cette grâce, ja- mais diplômes d'architectes ne furent mieux mérités. C'est un art que de savoir tirer parti d'un espace, d'un volume, incorporer une vieille et belle maison à un ensemble moderne, fignoler avec amour un cadre nou- veau où des êtres humains vont avoir à vivre. Ces spé- cialistes y sont parvenus. Ils ont droit à toute notre admiration car ils ont tenu compte du facteur humain dans ce juste équilibre entre le moderne et le tradition- nel. Ils ont respecté la demande, je veux dire celle des habitants du quartier. Cela prouve une chose : leur en- quête auprès de la population n'a pas été vaine. Leur sympathie envers cette vieille Place des Fêtes a fait le reste. Nous ne les remercierons jamais assez, je rends