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Prologue

Danslavie,tuaurastoujoursunesecondechance,disaitmonpère.Même quand tu ne vois pas d’issue, même si tu te sens perdu au plus profond des

ténèbres,ilyatoujoursunmoyendesortirdutunnel,l’espoirdevoirenfinseleveruneaubepureetlumineuse.

Toutlemondeseplantesansarrêt,c’estmêmeçaquinouscaractérise.Nousconnaissonstousdespériodesdepeuretdevulnérabilité,nous sommes tousun jourou l’autreenproieauxaffresdelajalousie.Iln’existepasunepersonneàtraverslevastemondequin’aitsombréàunmomentdonné.Cequiimporte,c’estcequenousfaisonsaprèsavoirtouchélefond.

Parcequel’amournedurepasforcémentlapremièrefois,nilaseconded’ailleurs.Jeneconnais pas de cœur qui traverse la vie en un seulmorceau. Si vous ne rebondissez pas, sivousne trouvezpas la forcederéessayer,vousne trouverez jamais l’âmesœur,cellequivavousaimernonpasmalgrévosblessuresetvosfêlures,maisàcaused’elles.

Je n’étais qu’une gamine à l’époque, je n’ai pas compris. Cette seconde chance dontparlaitmonpère,ellen’étaitpaséternelle.Etl’étédemestreizeans, jenelavoyaispas.Cen’est que des années plus tard que ses mots sont devenus un réconfort pour moi, quelquechoseàquoimeraccrocherquandjemesentaistropperduepourosermêmerêverdepouvoiraimerànouveau.

Il savaitquemoncœurétaitplus fortque jene l’imaginais. Il savaitqu’un jour, l’avenirmesourirait,queledésespoirneseraitplusqu’unlointainsouvenir.

Parceque,àlafin,lasecondechancelaplusimportante,etquichangeratout,c’estcellequetusaurassaisir.

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1.

Ryland

J’ai un carré entre lesmains et quand le donneur retourne la dernière carte, je comprendstoutdesuite,c’est fini.Pas juste lapartie,mais tout.Mon jobdemerde,monpetit séjouràVegas.Fini,cesombrechapitredemavieenvrac.Personneautourdemoin’aencoreabattusescartes,maisjelesais.

C’estterminé.–Alors,lesgars,qu’est-cequ’ondécide?Mon patron, Driskell, s’enfonce tellement dans son siège qu’il semble sur le point de

posersessantiagssurlatabledepoker.Ilaauxlèvrescelégendairesourirederequin,celuiquin’annonceriendebonpourletypequialemalheurdesetrouverenfacedelui.

–Quic’estquiadescouilles,là?Jesensautourdemoilesautresquisedégonflentenunefractiondeseconde.Onnejoue

pasdespiècesenchocolat. Il yadéjà soixante-quinzemilledollarsaubasmot sur la table,sousformedejetonsplastique.AuBellagio,c’estlasalleréservéeauxflambeursetDriskellatoujoursaiméfaireétalagedesonfric.

Je tapotedoucementmes cartes, enm’efforçantdene rien trahir demes émotions. Enprincipe, je ne devrais pas être là. Tous ces gars sont pleins aux as, impeccables dans leurcostumedemarque,Rolexaupoignet.Moi?Jesuisenjean,santiagspoussiéreusesauxpieds.Mon job,c’estd’êtreplantéà l’entrée,ouà lasortie, làoùDriskellmeditdememettre.Jesuisjusteunhommedemain,chargédefaireensortequel’undesesennemisnel’approchepas de trop près. Et dans ce business, il y en a toujours qui sont tentés d’essayer. Lemoisdernier, le chef d’une bande rivale a braqué un flingue sur lui au beau milieu d’unenégociation,àTampa.

Aujourd’hui,ilestbranchésurrespirateur.

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Maisl’undesjoueurss’estdéfiléunpeuplustôtetDriskellm’ademandédeleremplacer.Etmaintenant,monbossmesouritaveclatêtedumecquiaaffaireàunminable.

–Tuessûrquetuneveuxpastecoucher,gamin?Iljetteuneautrepiledejetons,dixmilledollarsdeplusenjeu.–Tupeuxquitterlatabletoutdesuite,sansproblème.J’ajouteraijustetoutçaàtanote.Manote.Ilenparlecommesijeluidevaisdeuxbières,maisenfaitc’estbienpourçaquejesuis

là,quejetravaillepourlui.Deuxansetplusàsonservice,commegardeducorps,etjesuisencoreloindepouvoirluiremboursertoutcequejeluidois.

Çavalaitlecoup.Etçalevaudratoujours,maisquandilremuelecouteaudanslaplaiecommeça,jevoisrouge.

Jehausselesépaulesetavaleunegorgéedebière.–C’estbon,jesuis.Driskell ricane. Il croit que je bluffe. Ils le croient tous. Et après tout ! Ces types

contrôlentlaville,chaqueruellemalfamée,chaquequartiermiteux,etmoi,jenesuisqu’unpetitvoyouchargéd’exploserlesgueulesetdemaintenirl’ordre.

L’unaprèsl’autre,lesjoueursautourdemoisecouchent.–Mafemmevametuer,soupirel’un.–Commentça,tafemme?,rigolel’autreenjetantsescartes.Etmamaîtressealors?Quantàmoi,j’ailesyeuxrivéssurDriskell,àl’affûtdumoindrebattementdecils.Etc’estlàquelaportes’ouvre.Qu’elleentre.J’ignorecequifaitqu’ellecaptemonattention.OnestàVegasetdesbellesfilles,ilyen

apleinleStripquisebaladententalonsaiguillesetminijupesaurasdesfesses.Maisquandellesefaufileentrelestablespourserendreaucomptoir,c’estplusfortquemoi,jelasuisduregard. Une petite robe noire toute simple habille son corps menu, ses cheveux noirsretombentencascadesursesépaules.Elleaunefaçondesemouvoirparticulière,unegrâcenaturellehabite chacunde sesgestes.Elle s’assied surun tabouret et regardeavec curiositéautourd’elle.

Jesuisfasciné.Son regard soudain croise lemien, elleme surprend en train de l’observer,mais je ne

tournepaslatête.Aulieudeça,jeladévoredesyeux,mémorisechaquetraitdesonvisage,commejelefaistoujours.C’estmontruc,toutarchiverdansmamémoire.Onnesait jamaisquandonaurabesoindereconnaîtrequelqu’undanslafoule,etcettefractiondesecondequ’ilvousfaudrapourvousrappelerd’unepersonnepeutmêmevoussauverlavie.

Maiscesoir,cen’estpasledangerquifaitcognermoncœur.C’estelle,rienqu’elle.Cesyeuxnoirs,tellementnoirsparrapportàsonvisageblême,deuxlacsprofondsetmystérieux.Dansunesallebondéedefemmesbronzéesetentièrementrefaitesquirienttropfort,crientpourunrien,elletrancheneserait-cequeparsoncalme.Sonsilence.

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–Alorsgamin,tufaisquoi?,m’interpelleDriskell,meramenantaujeu.Merde. Je reportemon regard sur la table. C’est ton avenir qui se joue, là, et toi, tu te

laissesdistraireàmaterunefille?–C’estl’heuredevérité,marmonneundestypes.–Dit lementeurpathologique, rétorqueunautreet ça rigole, saufDriskelletmoi,nos

cartesenmain,commesiderienn’était.Voilà,onyest.Jedevraisêtrenerveux.Inquiet.Maisenfait,jen’airienàperdreencefichumonde.Et

quejepassecetteportesurmesdeuxjambesouquejesoisjetédehorslatêtelapremière,ensang,qu’est-cequeçachangera?J’enaifiniaveceux.

Jeneregardemêmepasmon jeu.Mêmesi je levoulais, jenepourraispasmecouchermaintenant.Jebalancemesderniersjetonssurlatable.

–Jesuis.Driskellricane.–Quinteflush,annonce-t-ilavecunsourirevictorieux,enétalantsescartesdevantmoi.Çasiffle,çaapplauditetdéjàDriskellseprépareàramasserlesjetonsquandàmontour

jeposemescartesbienalignées.–Carréd’as.JevoislevisagedeDriskellsedécomposer,maisilsereprendrapidement,pasquestion

detrahirlamoindrefailleenpublic.Iléclatederire.– Eh bien, ça alors ! Qui aurait pu croire une chose pareille ? C’est le gamin qui a le

derniermot.

J’attends que la foule se disperse, que chacun se barre, non sans avoir au préalabletémoigner son estime à Driskell à grand renfort de courbettes. Je glisse un jeton dans mapoche,puisjem’avanceversluietluitendslereste.

–Noussommesquittes,maintenant.Iln’apasl’aird’accord.– On reparlera de tout ça demain matin, me répond-il sur ce ton glacial qui n’admet

aucuneréplique.Maisjetiensbon.–Ilyenapourplusdequatre-vingtmille,là,c’estplusqu’iln’enfaut.–Cen’estpasqu’unequestiondefric.Je m’apprête à argumenter quand quelqu’un vient lui chuchoter respectueusement

quelquechoseàl’oreille.Onabesoindeluijenesaisoù.Unproblèmeavecunecargaisondedope.

Ilhochelatête,puissetourneversmoiavecungrandsourire.– Tu devrais fêter ça. Prends ta soirée, amuse-toi. Tu peux te la payer, ajoute-t-il en

désignantlafilleaucomptoir.Jeteverraidemainmatin.

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Et il s’en va, se dirige le pas traînant vers la porte. Son chauffeur, Jimmy, va pour lesuivre,maisjel’intercepte.

– Prends ça, lui dis-je en lui passant mes gains. Mets tout dans le coffre. Et préviensDriskellquandçaserafait.

–Entendu,répondJimmy.Tuviensavecnous?Aprèsleboulot,onpensaitallerfaireuntourauDiamondGirls.

–Non,merci,jerépondsenluibalançantuneclaquesurl’épaule.Ce n’est pas vraiment un ami, juste un collègue sympathique, l’un des rares dansmon

entourage.–Prendssoindetoi.Jimmy paraît un peu décontenancé, mais il ne pose aucune question, se contentant

d’emboîter le pas à Driskell comme un petit chien obéissant. Et moi aussi, en principe, jedevraissuivreauboutdemalaisseinvisible,docile,maispascesoir.

Plusjamais.J’enprendssoudainconscience,làaumilieudecettesallerempliedemonde.Jesuislibre,enfin.Madetteestpayée,monardoiseeffacée.Finilesaleboulot,lescassagesdegueulesetles

clubs louches, terminé les trafics dans les ruelles sombres et les nuits dans un appartementmerdiqueàfixerleventiloauplafond,àmerêverailleurs,n’importeoùsaufici.

Cesoirsonneledébutdurestedemavie.Jemedirigevers lecomptoir,avecunsentimentd’euphorie.Miracle, la filleestencore

là,seule,etjeprendsçacommeunsigne.Vite,jem’approched’elle.–Non.Savoixestpolaire,déterminée.Ellenemeregardemêmepas.–Jevoulaisjustevousoffrirunverre,dis-je,sourireauxlèvres.–Jesais,merépond-elle,etcettefoisellesetourneversmoi.Etj’aiditnon.J’hésite,confondul’espacedequelquessecondesparl’intensitédesesyeuxnoirs.Jesais

m’effacerquandonmeledemande,maiselleaunefaçondemeregarder,commes’ilyavaitautrechosecachésouslasurface.

–Puis-jesavoirpourquoi?–Parcequevousêtestropdangereux…Etelleneleditpascommeunefillequidrague,elleexposeseulementunfait.–Moi ? Je suis un vrai nounours, je réponds avecmon plus beau sourire, celui que je

dégaineàtouteslesfillesdecetteville,unsésamepouravoirlibreaccèsàleurchambre.Ellelaisseéchapperunrire.–Jediraisplutôtungrizzly.Jeréfléchis,tentedelacerner.–Unebière?

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–Jeneboispas.–Danscecas,vousn’avezpaschoisil’endroitleplusappropriépourpasserlasoirée.–Jesais,ellesoupireetletempsd’unéclair, laméfiances’estompedanssesyeux,juste

un peu. C’est mon anniversaire, ajoute-t-elle doucement. Enfin, ce le sera dans… troisminutes…

Elleregardelapenduleaumur.– Mon frère est quelque part avec sa copine, peut-être en train de se marier en ce

momentetmoi…moi,jesuislààblablateravecunparfaitinconnu…Ellelèvelesyeuxauciel.– Un mystérieux et irrésistible inconnu, je rectifie avec humour. Je m’appelle Ryland

James,j’ajoute,maintendue.Ellehésiteavantdelaprendre.–Tegan,dit-elle.Samain estdouce et froide, et quandelle la retirede lamienne etdétourne les yeux,

crispée, les épaules raides, je ressens une sorte de désarroi. Je me demande qui l’a faitsouffrir, pourquoi elle se retrouve ici, toute seule, à attendre son anniversaire. Loin de safamille,desesamis,siréservée,sisecrèteaumilieudelafoule.

Maisplusquetout,j’aienviedeluifaireoubliertoutça,justepourunmoment.– Vous êtes sûre, pour le verre ? Je parie que le barman se ferait un plaisir de vous

concocterunShirleyTemple.Tegansecouelatête.–Désolée,maisjeneplaisantepas,dit-elleaveccalme.Lesmecsdevotregenre,jelesai

assezvus.Je me rapproche et elle sursaute, surprise, quand je me penche sur elle pour lui

murmurerdemavoixlaplussuave.–Mabelle,tun’asjamaisrencontréunmeccommemoi.Etlà,jenesaispascequimeprend.Peut-êtreest-celabière,oulecontactdesonbras

contremoi. Peut-être est-ce la perspective enivrante d’un nouveau départ, de pouvoir enfinquittercetteville.Oupeut-êtreest-cejusteparceque,àcemoment,jelaveuxplusquetoutaumonde.Bref,quellequesoit laraison,sansplusattendre je l’embrasse, là,devanttout lemonde.

Elle entrouvre les lèvres de surprise, des lèvres douces, pulpeuses comme ces pêchesmûresquej’avaisl’habitudedevolerauranch.Jeglisseunemainsursanuqueetl’embrasseplusfort,subjuguéparlachaleurdesabouche,desalanguesouslamienne.

C’esttoutceàquoij’aspiraisetjenelesavaismêmepas.Tegansefige,hésitantecontremabouche,puisellemerendmonbaiser.Merde.

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Cen’est pasmoi le danger, là, c’est elle. Elle presse ses lèvres contre lesmiennes,medévore,memordilleavecunpetitsouriremoqueur.Tegans’abandonnecontremoncorps,endemandeplusetjedoisravalerungrognementdedésir.

Maisquiestcettefille?Derrière lesapparences, c’estdu feu,unconcentrédepassionà faire tourner la têtede

n’importe quel type. Je m’envole, dévore ses lèvres sucrées, promène mes mains sur soncorps. Je donnerais n’importe quoi pour être loin d’ici, loin de ce bar plein de monde.N’importeoùdumomentqu’ilyauneporte,uneserrure.Etunlit.

Teganmerepousseàboutdesouffle.–Bonanniversaire,jemurmureetjemedélectedecetincendiedanssesyeux.J’y vois dudésir, une faim insatiable.Mais quand je tends lamain, elleme repousse à

nouveau,serefermecommeunehuître.Jevoissoudainlapaniquetraversersonregard.Ellebasculeunpeusursontabouret.

–Jesuis…désolée,balbutie-t-elle,etsonvisageexprimede tels tourments.Jenepeuxpas.Pascettefois.

Etjen’aimêmepasletempsdelaretenir,ellemetourneledosets’enva,bousculantlesclientsdanssafuite.

Qu’est-cequeçaveutdire?Jem’élanceàsapoursuite,mais jesuisgênédansmacoursepar lafouleet jeperdsdu

temps. Je remonte le couloir à toutes jambes puis regarde dehors autour de moi. Elle adisparu.

Merde.J’arpente le trottoir éclairé au néon, dans un sens et dans l’autre, retourne dans

l’immensehôteletlachercheunpeupartout,croisàplusieursreprisesapercevoirsescheveuxnoirs,sesyeuxbrillants.Etc’estaprèsavoirfouilléchaquerecoinquejedoismerésigner.

Elleestpartie.Aupieddesfontaines,jereprendsmonsouffle.Unelargefoulefaitlaqueueetattendle

prochain spectacle. Juste à ce moment, la musique commence et les jets d’eau fusent,dessinantdes arcsde cercle lumineux sur fondde cielnoir.C’est beau, comme toujours. LeStripscintille,océandecouleursetdelumièresaumilieududésert.Saufquej’aivuçacentfois,troppourytrouverunequelconquebeauté.

Cebaiseraeusurmoil’effetd’unshootderéalité,éclipsanttoutecettemerdeambiantepourme rappeler à quoi ressemble quelque chosede vrai.Depur. Plus qu’assezde faire lesaleboulot,denageraveclesrequins.Assezdecetteville,detoutescesfaussespromesses,decesmirages.

Jesorsmontéléphonedemapocheetcomposeunnuméroquejeconnaisparcœur.Etquejen’aipasappelédepuistroplongtemps.Maiscesoir,jelesais,jelesens,lemomentestvenu.

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– Ray Jay ?, s’exclame la voix à l’autre bout du fil, surprise, et je ne peux pas lui envouloir.Quesepasse-t-il?Çava?

– Oui, je vais bien, je m’empresse de le rassurer, avant qu’il ne me croie derrière lesbarreauxdejenesaisquelleprisond’uncomtépaumé.Etsitupouvaisarrêterdem’appelerRayJay,jenesuisplusungosse.

Emersonrit.–Désolédenepasm’enêtresouvenu.Maisçafaitunbail.C’étaitquand,ladernièrefois

quejet’aivu?,demande-t-ilsuruntonléger,maisj’entendsbienlesreprochesdanssavoix.Tun’esmêmepas venu àmonmariage, ni à celui deBrit.Nous sommes encore ta famille,Ryland.Entoutcas,onaimeraitbienl’être,situvoulaisbiennouslaisseressayer.

–Alorstuasdelachance,grandfrère.Jerentreàlamaison.

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2.

Tegan

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Unmoisplustard…

LetrajetdeLosAngelesàBeachwoodBaymeprendsixjours.Sixjoursdemotelscrasseuxetdebouffedemerdedanslesdrives.Sixjoursàchanteràtue-tête,etfaux,branchéesurtouteslesstationsrockquejepeuxcapteraufildemacourse.Sixjoursàm’interrogerenfin.Jesuispartie surun coupde tête,maisqu’est-cequim’attendauboutde la route?Est-ceque j’aipris la bonne décision ? Ne suis-je pas en train de commettre la pire erreur de monexistence?Ladeuxième,pourêtreprécise.

Lapiredetoutes,biensûr,étantdetoujoursaimerConnor.Lorsquej’arriveenvuedelamaisondemonfrère,faceàl’océan,jememotivepourm’en

tenirà l’aspectpositifdeschoses.Toutvabien.Lesoleilestdéjàbasdansuncield’unbleuimmaculé, et depuis la route, j’aperçois des goélands qui font du rase-mottes au-dessus desvaguesdansune chorégraphie joyeuse etpleinedegrâce. Jemegaredans l’alléedéserte etdescendsdevoiture,procèdeàquelquesétirementsavecen fondsonore lebruitdesvaguesquisebrisentsurlerivageetcesilenceinfinidelanatureimmenseetsauvage.

Leparadis.LamaisondeDexestcontemporaine,unblocposélàsurlaplage,aucunvoisinàmoins

de plusieurs kilomètres. Je sors mes clés demon sac et ouvre la porte, mais à peine ai-jefranchileseuilquemontéléphonesonne.Unappeldemonfrèrequinemelaissemêmepasletempsdeposermesaffaires.

– Pile à l’heure, je réponds sur un ton enjoué dans l’espoir de retarder l’inévitablesermon.

Il y a un panneau d’alarme qui clignote dans un coin et ça bipe. Jem’en approche etexamineleclavier.

–C’estquoi,lecode?–Tegan…Jereconnaisceton,lereprochetrèsclairdanssavoix,mêmedepuisBuenosAires.

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–J’aipasséunsavonàBlake.Commentçasefaitquenotrepetitesœuraitpusecasseretentreprendrecevoyageàtraverslepays,sansriendireàpersonne!

– J’ai laissé unmot !, je proteste. Et vous n’avez pas arrêté dem’appeler tous les dixkilomètres.Pirequesij’avaiseulesflicsauxtrousses.

J’ai trois grands frères, tous plus surprotecteurs les uns que les autres. Surtoutmaintenant,aprèstoutcequ’ils’estpassé.Maisc’estbienpourçaquejesuis là,pour tenterd’échapperauxregardsinquiets,auxquestionsdugenre:«T’essûrequeçava?Sûre-sûre?»Auxattentionsplusoumoinsdiscrètes,commesitouscraignaientquejenem’effondre.

Encoreunefois.–Lecodedel’alarme?,jerépètealorsqueçabipedeplusenplusfort.–Sixhuitneufdeux,répondDexàcontrecœur.–Ladatedemonanniversaire,jenoteavecunsourire,toutenpianotantleschiffressur

leclavier.Qu’est-cequetuessentimental…– Je ne suis pas d’humeur à rigoler, réplique-t-il. Qu’est-ce tu fais là-bas ? La tournée

vientjustedecommencer.Legroupenereviendrapasavantdesmoismaintenant.–Jegardelamaisonpourtoi…Je traverse l’immense salon jusqu’à la baie vitrée panoramique, tout au bout. Un truc

géant,quicouvreunpandemurentier,dusolauplafond,pourunevuepleinementdégagéesur la baie. Je soulève le loquet et fais coulisser l’une des portes et quand je sors sur laterrasse de derrière, je reçois une claque d’iode et de vent. Il y a des transats et une tablebassepuis,encontrebas,c’estlapiscineprotégéed’unebâchebleuélectrique.Enfin,aufond,unportailblancquimènedroitàlaplage.Souvent,jemedisqu’avoirunerockstarpourfrèren’apasquedesinconvénients.

–Jen’aipasbesoinquequelqu’ungardelamaison,marmonneDex.– C’est criminel de laisser un endroit pareil inoccupé. Et puis, j’ajoute, presque en

chuchotant,j’aibesoindemeretrouverunpeu.Besoindetempspourfairelepoint.–Ettunepouvaispasfaireçaplusprèsdelamaison?,lâcheDex,vraimentinquiet.Je

n’aimepastesavoirtouteseule,là-bas.Ilpourraitt’arrivern’importequoi…Je réprime un éclat de rire, un rire nerveux. Le pire est déjà arrivé. Après l’année

dernière,j’aimêmel’impressiond’évoluerdanslemondedesBisounours.Etaussi,comparéàL.A., je n’imagine pas endroit plus tranquille que la maison de la plage, dans cette petitebourgadedeCarolineduNord.

Àdescentainesdekilomètresdemonpassé.Loindecessouvenirstapisàchaquecoinderue,toujoursàl’affûtpourmerappelerdeschosesquejevoudraisoublier.

Je regarde l’océan qui scintille tout en bleu et vert sous le soleil crépusculaire et unétrangesentimentdepaixm’envahit.C’est icietnullepartailleursque jevaispouvoir fairetablerasedupassé.Iciquej’aiunechancedepouvoirprendreunnouveaudépart.

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–Jesaisquetucherchesjusteàveillersurmoi,dis-jeàDex,avecdouceur.Maisfais-moiconfiance,s’ilteplaît.J’aibesoind’êtreici.J’ignorelepourquoiducomment,maisjelesens,çavamefairedubien.

Un longsilences’ensuitet j’ai l’impressionde l’entendrepeserchacundemesmots.Lesgensimaginenttoujourslesrockstarscommedesgensimpulsifsetturbulents,maisDexsaitmieux que personne ce que j’ai traversé. Et pourquoi me faire confiance revêt une telleimportanceaujourd’hui.

– Je te donnerai des nouvelles tous les jours, je te le promets, j’ajoute, avec un petitpincementdeculpabilité,carjenepeuxpasluireprocherdes’inquiéterpourmoi,jeleuraiàtouscausétellementdestressetdechagrin,cetteannée.Deuxfoisparjour.Entretoi,AshetBlake,jeneseraijamaisvraimentseule.

–Bien, soupireDex.Maisprends soinde toi surtout,d’accord?Et si tune te senspasbien…

– J’appelle, promis. Mais je t’en prie, ne t’en fais pas. Tu dois te concentrer sur latournée.Et t’occuperd’Alicia.Jure-moi justeque tunevaspas temarier sansnousàVegas,j’ajoute,insistante.

Dexrigole.–Quandonsemariera,voussereztousdelafête,répond-il.–Wow.Onestdanslequand,pasdanslesi…C’estdusérieux.–Pasdecommentaire,marmonneDex.Bon,jetelaisse,j’aiunerépète.Tuessûrequeça

vaaller?–Sûredechezsûre.Allez,retournerépéter.Etbonnechancepourcesoir.–Jet’aime…Dexraccrocheetjeserreletéléphonecontremoncœurenm’interrogeant.Jenesaispas

àquijemens,àluiouàmoi-même.Cesderniersmois,jen’aipasarrêté,faisantmillechosespour surtout ne pas penser. Ne pas ressentir. J’avais peur de ce qui arriverait si jamais jebaissais à fond le sondumonde, alors j’ai passémon temps à faire des va-et-vient, un tourchezmameilleureamie,unautrechezmesdifférentsfrères,enmemêlantdeleurvieàtous,commeça,jen’étaispasobligéedemepréoccuperdelamienne.

Maismaintenant,jesuislà,seuleenfin.J’observelemanègedesvaguesquisecassent,écoutelecridesoiseauxetlebruissement

duventdans les arbres. Pour lapremière fois depuis longtemps, jen’ai aucunplan en tête.Personnepourmetenircompagnie.C’estjustemoietmoi.

Etjesuisbien.UntextodeDexarrive.Jerigolepas.APPELLE!Jesouris,l’imagineseprécipitantdanslasalledeconcertpourlesderniersarrangements

et faireensortequetoutsepassebien.Enprincipe, jedevraisêtreàsescôtés.Pendantdesannées,maplaceétaitencoulisse,j’étaislààmonterlagardecontrelesgroupieshystériques

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etlesrequinsdel’industriedudisque.Àlesconseillersurlestitresàjouer,surlescostumes.Leurmanagerauxsuperspouvoirs,voilàcommecertainsm’avaientbaptisée,dans lemilieu.Cette tournée est un événement. Elle marque les retrouvailles du groupe, après un an deséparation.Dexm’a invitéeà les suivrebien sûr,mais j’aidécliné laproposition.Attention,j’aitoujoursadorélavieentournée,êtresurlaroutejouraprèsjour,maisaujourd’hui,çamerappelletropdechoses.SijesuisalléelesapplaudiràVegas,c’estuniquementpourleurdireaurevoir,c’esttout.

Vegas…Une fraction de seconde, je repense à l’inconnu duBellagio. Ces yeux noirs, ce sourire

espiègle.Charmeur.Jemesouviensdeladouceurinfiniedesamainsurmajoue.Etdecefeudanssonbaiser.Del’incendiemajeurquiaravagémoncorps.

Ungarçon comme lui, ce ne sont que des problèmes en perspective. Et c’est bien la dernièrechosedonttuasbesoin.Tudevraisavoircomprislaleçonmaintenant,non?

Jelezappedemamémoireetvaischercherlerestedemesaffairesdanslavoiture.J’aile choix entre une bonne dizaine de chambres,mais je prends celle qui surplombe l’océan.C’est lapluspetite,pourtant jem’ysenscommedansuncocon,bienà l’abri,ausommetdumonde.Àl’intérieur,unlit toutsimpleavecdesdrapsblancs,unecommodeannées1950etune vue à en tomber par terre. Je défais en vitesse ma valise puis descends inspecter lesautrespiècesdelamaison.

Je dois reconnaître ce talent à mon frère : il a du goût en matière de déco etd’aménagement.Toutestenperspective,lespiècessontouvertesauvent.Rienpourdistrairedelavue.Danslacuisine,jetrouvelesplacardsetleréfrigérateurquasivides,alorsjedresseunelistedeschosesdontj’auraibesoindurantmonséjour.Àmanger,desaffairesdetoilette,quelques fringues et aussi de quoi me maquiller, puisque j’ai oublié ma trousse dans mondépart précipité. J’ai juste envie de me détendre après tout ce temps sur la route. Maisj’ignoreàquelleheurefermentlesmagasinsdanslecoin,alorsj’attrapemesclésetreprendslevolantdemaprécieuseMustang65.

Jemetslecontact.Lavoituretousse,deuxfois,puiscrachoteetdémarre.–Gentillefille,dis-jeenm’engageantsurlaroute.DepuisAlbuquerque,elleémetdedrôlesdebruits,commeungrincement,maisaufond

demoijesavaisqu’ellenemelaisseraitpastomber.Monpère a retapé cetteMustangde sespropresmains, deAàZ,dans le garagede la

maison.Ilatravaillédessusdesannées,arpentantlessalonsdel’autovintageetépluchantlespetitesannoncespourtrouverlespièces.Ilmel’avaitpromis,ceseraitaveccettevoiturequ’ilm’apprendraitàconduire.Malheureusementiln’enajamaiseul’occasion.Mamanetluisontmortsdansunaccidentde la route, l’étédemes treizeans.C’estBlake,mon frèreaîné,quim’aapprisàmeservird’unembrayage,entournantenrondsurunparkingdésert.

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Mais le jour où j’ai passé mon permis, j’ai senti que mon père était là, avec moi,m’encourageantavantchaquemanœuvre.

Aujourd’hui, cette voiture, j’y tiens comme à la prunelle de mes yeux. Je l’ai baptiséeDolly, en l’honneur d’une autre vieille dame. Bien sûr, le cuir des sièges est craquelé et laradio ne capte que certaines fréquences, mais je ne l’échangerai pour rien au monde. Mesfrères préfèrent les bagnoles actuelles, sportives, le genre de modèles au design épuré quiattirent le regard, et pas uniquement à cause des pots d’échappement qui pétaradent. IlscomprennentquejeveuillegardermabonnevieilleMustang,maisbon,çanelesempêchepasdesemoquerdemaconsommationd’essencechaquefoisqu’ilslepeuvent.

Maisunsoircommecelui-là,cen’estquedubonheur.Jeroulevitresbaisséessurlaroutequi longe la côte, la brise fouette mes cheveux et je me laisse aller à la douceur de cettesoiréed’été.

JesuisvenuesouventvoirDexici,parlepassé,maisc’étaittoujoursencoupdevent,uneescaleavantdemerendrejenesaisoù.Aujourd’hui,jeregardeautourdemoiaveccuriositétoutenmedirigeantverslaville.C’estpleindecottagesaucharmedésuetsurleborddemer,quelques résidences de vacances récemment construites se dressent près du port où sontamarrés des voiliers qui clapotent gentiment au gré des courants. Au bout de la rueprincipale, c’est l’église et tout le long des magasins destinés aux gens du coin, unequincaillerieetunsnackquicôtoientdesboutiquesàtouristes,pourcertaineslesrideauxdéjàbaissésen cette finde saisonestivale. Il yadumonde.Des famillesqui sebaladentet fontleurscourses,quatrehommesd’uncertainâge,assissurunbanc,devantlesnack,sansdouteentraind’évoquerdessouvenirsdufront,entredeuxéclatsderires.

L’atmosphèreestpaisible.Tranquille,décalée.JecommenceàcomprendrepourquoiDexachoisicetendroitperduauboutdumonde.

Aumomentoù jemegaredevant l’épicerie,unemployévientde retourner lapancartesurlaquellejelis«Fermé»,maisquandilmevoit,ils’arrête.

–Faitesvite,dit-iletilmetientlaportepourmelaisserentrer.–Merci!Jesuiscrevéeaprèscetrajet,maisjeneveuxpaslefaireattendre.Jeparcourslesrayons

aupasdecharge,prendscequejepeux.Iln’yapasvraimentdechoix,aussi jem’entiensàl’essentiel. Céréales, lait, pâtes, sauce tomate. Je suis tellement habituée à me nourrir debarquettes traiteur et des plateaux-repas du room service dans les hôtels, je n’ai jamaisvraimentapprisàcuisiner.Jefaisunehaltedevantleslessives,perplexe,avantd’attraperunbidonauhasardtoutenmedemandantsiDexaduproduitvaisselle,chezlui.Sansdoute.

J’arriveàlacaisseessoufflée,posemonpaniersurlecomptoir.–Vousavezété rapide, remarque lecaissier,un typeâgé,et il commenceàenregistrer

mesachats.Vousvenezd’arrivercheznous?

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–Commentavez-vousdeviné?, je répondsensortantunepoignéedebillets froissésdemapoche.

– C’est une petite ville, explique-t-il avec un sourire. Après le 1er

mai, on ne voit pasbeaucoupdetouristes.Etvousrestezlongtemps?

–Peut-être…Enréalité,jen’ensaisrien.Jenemesuispasprojetéeaussiloin.Dexestentournéepour

deuxmois,mais j’ignore si je resterai ici tout ce temps.Mes frèresontpeut-être raison.Meretrouvertouteseulesiloindetoutpourraitmerendreleschosesplusdifficiles.

Ouaucontraire,medonnerenviedeposermesvalisespourtoujoursàBeachwoodBay,quisait?

J’attrape mon sac de courses avec l’intention de rentrer à la maison de la plage pourm’installer.Maissoudainuneimmensefatigues’abatsurmoi.Jemesensvidée.

– Vous pouvez m’indiquer un endroit où grignoter quelque chose ?, je demande aucaissierprêtàfermerlaboutique.

–Hmmm…Ilréfléchittroissecondes.–Toutestdéjàferméàcetteheure,vousn’avezpasvraimentlechoixàpartlesnackde

MrsOlsenouChezJimmy.Detoutefaçon,vousneserezpasdéçue.–Merci.Une fois sur le trottoir, j’hésite. Le snack a l’air désert, mais plus bas, près du port,

l’enseigneChezJimmyscintilleetj’entendsdelamusiquequis’échappedubar.Leparkingestpleinetj’imaginequ’àl’intérieur,ildoityavoirfoule,touteuneclientèled’habitués.L’endroitidéalpourprendreunebière,unhamburgeretsedétendre,unvendredisoir.

CependantjetourneledosàlamusiqueetchoisislesnackdeMrsOlsen.Jem’apprêteàtraverser quand j’aperçois une voiture qui descend la rue à toute vitessedansmadirection.Une Chevrolet Camaro bleu métallisé. Mon père aurait été fou de joie de voir un modèlecommeçaensibonétat.

J’aperçois le type au volant. Cheveux noirs, Ray-Ban. Ça ne dure qu’une fraction deseconde, le temps que la voiture passe devant moi, mais c’est suffisant pour que je lereconnaisseetqu’aussitôtj’enailachairdepoule.

LemecdeVegas.Non.Jesecouelatêtepourchassercetteidéedemonesprit.Voilàcequisepassequand

onn’arienmangéd’autrequedesBigMacdepuistroisjours,jemesermonne.Tuasdesvisionsmaintenant.

Oui,desvisionssupersexy.Je traverse et pousse la porte du snack.Aussitôt, je suis commehappée par l’odeur de

tarteauxpommes,parfumd’innocenceetdetendresseetenunéclair,jereprendsmesesprits.

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CegarçondeVegasestàdesmilliersdekilomètres.Loin,trèsloin.Làoùestsaplace.Commenotrepetitflirt.Madernièreerreurendate.

Carjemelesuispromisetpasquestionquejereviennesurmaparole.Finilesbadboys.Terminé.

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3.

La première chose que j’ai apprise, en cure de désintox, c’est que personne ne prononcejamaislemot«désintox».

Dans sa brochure, Pinecrest se présente comme un « centre de remise en forme ». Çaressembleàunestationthermaleaveceauturquoisedanslespiscinesetmassagesrelaxants,etonvoitdesgenstoutsourires,desgensstablessurleplanémotionnelquidéambulentdanslesalléesd’unparcarboré.

La brochure vante une pratique holistique de la médecine, des consultations avec desthérapeutes renommésainsiquedesmenusgastronomiques,concoctéspardeschefsétoilés,letoutdanslecadreidylliquedelavalléedeSonoma.

Mes frères voulaient le meilleur pour moi. Ils l’ont trouvé. Hors de prix, discrétionassurée.J’aiétéhospitaliséetroismois.Pasdebarreauxauxfenêtres,maisunecertitude.Onnes’échappaitpasdePinecrest.

Je n’ai d’ailleurs pas opposé la moindre résistance. À ce stade, j’étais incapable deprendreuneinitiative.LesmoisquiontsuivilamortdeConnor,j’aidérapéetsombrédirectdanslesténèbres.

Je n’étais plus que désespoir, une plaie à vif. Et tout ce que je voulais, c’était que ças’arrête,trouverdequoianesthésiercettedouleurhorriblequimedéchiraitlecœur,secondeaprèsseconde.

J’aiplongésansmêmem’enrendrecompte.Lanuits’estabattuesurmoi,m’étouffantunpeupluschaquejour,jusqu’àcequemeleverlematinoumetraîneràlasalledebainspourprendremadouchedevienneinsurmontable.

Jemesuisperdue,c’estlaseulechosequejepuissedire.Commesil’êtrequej’étaisavaitquitté mon corps et s’en éloignait toujours plus, et moi je le regardais, simple spectatrice,disparaîtrederrièrel’horizon.

Je me suis abîmée dans le néant, la mélancolie paralysante du chagrin, mais aussiéprouvantquecefut,jenetouchaipaslefond.

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Jusqu’àcejouroù,àtroisheuresdumat’,jemesuisretrouvéeécrouléesurlecarrelaged’uncopain,dansunapparttoutenhautd’unetouràHollywood,unflaconvided’antalgiquesdansunemain,montéléphonedansl’autre,enligneaveclesurgences.

Etdansmatêterésonnaitunepetitevoixterrifiéequimerépétaitencoreetencoreunesortedemantra.

Etaprès,plusrien,lenoircomplet.Espèced’idiote.Maisqu’as-tufait?

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4.

Impossiblededormir.C’est toujours lesmêmescauchemarsetquand jemeréveille,àboutdesouffle,ensueur, lalune se pavane dehors avec un éclat insoutenable, elle se reflète sur l’océan enmilliers defragmentsvernisargenté.Jem’envelopped’unecouvertureetattrapemontéléphone,traverseensilencelamaisonplongéedansl’obscuritéetsorssurlaterrasse.L’airestfraisetjeresserrelacouvertureautourdemesépaulestoutendescendant lesmarches, jepassesansm’arrêterdevantlapiscine,presséed’atteindrelaplage,desentirlesablefroidsousmespiedsnus.

Iln’yapersonne,lesvaguesvontetviennentàunrythmeapaisant.Moncœursecalme,puislesdernierschuchotementsdusommeilsetaisentetenfin,jerespiremieux.

IlesthuitheuresàParis,jedécided’appelermameilleureamie,Zoey.Elledécrocheàlapremièresonnerie.

–Tudevraisêtreentraindedormir,dit-elle.–Ettoi,tudevraisdéjàêtreautravail.Zoeyrigole.– LeDragon est absent aujourd’hui. À la seconde où elle a quitté le bureau hier, on a

improviséunepetite fête.Alors, commentDexa-t-il pris lanouvelle ?, enchaîne-t-elle, sansreprendre son souffle. Il ne t’a pas envoyé les forces spéciales pour te ramener à L.A.,menottesauxpoignets?

–Presque…Jem’assiedsenlotussurlesableetregardel’océan.Maisbon,jeluiaiparlé.–Etalors?–Etalorsquoi?–Commenttesens-tu,maintenantquetueslà-bas?J’hésite.Zoeyestlaseulepersonneaumondeàlaquellejeneracontepasdemensonges.

Onse connaîtdepuisqu’ona seizeans, l’annéeoùmes frèresm’ontenvoyéeaupensionnat.On est devenue amies dès la première nuit, au dortoir, en se découvrant une passioncommunepourlesromansd’amourdelacollectionHarlequinetlesgroupesderockanglais.Ses parents travaillent comme consultants pour des grosses boîtes et sont donc souvent par

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montsetparvaux.Laplupartdesvacances,ellelespassaitavecmoi,àjouerdestoursàmesfrères, àme traîner sur laplagepourbronzer etdraguer les surfeurs.Elle travailledansunmagazinedemodeàParisdepuisl’annéedernière.Jesuisalléelavoir, ilyadeuxmois.Unsuperséjour.Maisenmêmetemps,çan’a faitquemerappelercombienelleétait loin,avecunocéanetsixheuresdedécalagehoraireentrenous.

–Enfait,jenesaispastrop,j’avoue,toutenfaisantglisserdusableentremesdoigts,leregard rivé sur l’horizon. Je croyaisqu’envenant ici, tout s’éclairciraitdansma tête.Que jefiniraisparsavoircequejeveuxfairedemavie,quelledécisionprendre…

–Écoute, tues là-basdepuis,allez,dixheures?, remarqueZoeynonsansunecertaineironiedanslavoix.Peut-êtrequetudevraistedonnerplusdetemps,non?

– Oui, je sais, je réponds en souriant. C’est juste que… Je suis à la dérive depuis silongtemps. C’est comme si ces douze derniers mois de ma vie n’avaient été que pour lui.Mêmeaujourd’hui qu’il est parti, il continuede contrôler tout ce que je fais, tout ce que jeressens.

Quandnousétionsensemble, j’avais l’impressiondemenoyer.C’est lemêmesentimentquim’étreint,lanuit.Submergéeparlessouvenirs,àsuffoqueretcherchantàrefairesurface.

–Çafiniraparpasser,ditZoeyavecfermeté.Tuenastellementbavé.Tunepeuxpasteréveillerunmatincommeçaetjustetournerlapage.

–Jesais.Jel’aiapprisàmesdépens.Iln’yapasdesolutionmiraclepours’ensortir.Onneguérit

passanspasserparlacasedouleur.–Bon,raconte,jedemandeenm’allongeantsurlesable.Cerendez-vous,avecLuc?–Oui,ehbien,en fait, finalementonadécidédesepasserderestau,marmonneZoey,

plutôtcontented’elle.J’éclatederire.–Tuœuvresdoncpourleréchauffementdesrelationsinternationales,c’estça?–Absolument!– Allez, je veux tout savoir, j’exige, j’ai tellement besoin de me changer les idées. Y

comprislesdétailslespluscroustillants.–Ehbien,pourcommencer,ilm’aemmenéefairedushoppinglingerie…

Nousbavardonsjusqu’àl’aubepuisZoeydoitallertravailler.Onseditaurevoiretjeme

sensmieux,commeàchaquefoisquejeparleavecelle.–DisbonjouràLucpourmoi,jelataquine.Elleéclatederire.– Et toi, prends soinde toi.Détends-toi, essaie de t’amuser unpeu. Les réponses à tes

questionsfinirontbienparvenir.–Jel’espère.Je raccroche et regarde les nuages prendre des couleurs, alors que les rayons du soleil

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commencentàbalayerlanuit,donnantausableunecouleuror.Zoeyaraison.Neserait-cequedéciderdeveniriciaétéungrandpaspourmoi.Prendre

monenvol, loinde la routineconfortableet rassurantedeL.A.Là-bas, ilmesuffitd’appelern’importequiparmimescontactsetencinqminutes,j’airendez-vousdansunrestauoupouraller à un concert ou au ciné. L’avantage d’avoir un méga réseau de presque amis et deconnaissancesdiverses,desgensprêtsàmeservirdedistraction,surunsimpleclaquementdedoigts.

Mais ces distractions ne m’ont été d’aucune aide quand j’en ai eu vraiment besoin. Etcettefois,c’estseulequejedoisyarriver.

Jerentre,maisaulieud’allerprendreunedoucheetdem’habiller, jevaisfaireuntourdans lasalledemusique,aufondde lamaison.LerefugedeDex,unesalledécalée,commegrefféesurlamaison,avecunebaievitréequicourtsurtoutunpandemuretungrandpianoquitrônedansuncoindelapièce.

Jem’arrêtesurleseuil.Jen’aijamaisvraimentpassébeaucoupdetempsici.Jerespectetropsonâmed’artiste, jesaiscombien lamusiqueestquelquechosed’intimepour lui.Maisaujourd’hui,commeDexestloind’ici,jemesensmoinsintimidée.

J’entre dans la pièce. Aux murs, c’est plein de guitares, modèles électriques, colorés,d’autres acoustiques, plus vieilles, style vintage. Jem’emparede l’antiqueGibsonqu’il avaitreçue,ado,etjevaism’asseoirdevantlafenêtre,l’instrumentsurlesgenoux.

Je pincedeuxou trois cordes. Le son se répercutedans le silencematinal. Ensuite, lesmotsquin’enfinissentpasderésonnerdansmatêtedepuismonréveilprennentforme.

L’étésemeurt/renaît/etàchaquefoisjetombeàlarenverse…Jem’interromps,gênée,mêmes’iln’yapersonneicipourm’entendre.Jechantemal, je

suislapremièreàlereconnaître.J’ail’oreillemusicale,oui,maispourcequiestdechanter…Non,c’esthorrible.Toutemavie,mesfrèressesontmoquésdemoiàcausedeça.Ondiraitunchatquisefaitmarchersurlaqueue,unevraiecasserole,j’aieudroitàtout.Etçanemefaisaitrien.Dexétaitlemusiciendelafamille.Jen’aijamaisressenticettesoifdeprojecteurscommelui,cebesoinvitaldelascène.

Mais il s’est passé quelque chose à Pinecrest qui m’a fait regretter de ne pas avoir cetalent,justepourunefois.

En guise de thérapeute là-bas, j’étais suivie par une femme, Jeannie, genre hippie etcafetan,uneâmed’enfant.Souvent ilm’arrivaitdenepaspouvoirdécrocherunmot lorsdenosséances,alorsunjourellem’aditd’écrirecequej’avaissurlecœurdansunjournal.Ellem’a donné un petit carnet bleu et un feutre, mais ce soir-là, au moment de rédiger mespremiers mots, j’ai réalisé que ce n’étaient pas des phrases ni des paragraphes qui mevenaient,maisdesparolesdechanson.

Couplet.Pont.Refrain.

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Lechaoset l’indescriptible, capturésenquelquesvers imparfaits.Ces sentimentsque jepeinaistantàcommuniquersedéversaientsoudaintoutnaturellement,serépandaientsurdespagesetdespages.Etune fois sur lepapier–noir surblanc,bienconcrètes,mesémotionsdevenaientplusfacilesàsupporterd’unecertainefaçon.Cen’étaientplusjustedesténèbresetdelasouffrance,ellesétaientlàenpleinelumière.Nommées,formulées.

Chosestangiblesquejepouvaismettresousclédansuntiroir,lanuitvenue.Cecarnet,jel’aifinienunesemaine,puisilyenaeuunautreetunautreencore.Etpeu

àpeu,j’aicommencéàentrevoirlapossibilitédem’extrairedessablesmouvants,d’emprunterce pont pour me relier à la personne que j’étais. Même après mon départ du centre, j’aicontinué à écrire. Pensées, fragments de sensations. Parfois, j’avais l’impression de mecomportercommeuneadolescentecachéeaudernierrangdelaclassequis’épanchesursonjournalintime.Pourtant,jelesais,çam’apermisdegarderlatêtehorsdel’eau.

Jen’aijamaismontrémescarnetsàDex,peut-êtreneleferai-jejamais.Entoutcas,dansl’immédiat, ces quelques accords me tiennent compagnie tandis que les lueurs de l’aubes’invitentparlafenêtreetquelemondeseréveille.

Etpendantunmoment,jenemesensplusaussiseule.

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5.

Ryland

Ladernièrefoisquej’aivumonfrère,ons’estengueulé.Àcetteépoque,onseprenait latêteenpermanence.Parcequejeséchais l’écoleetque

j’avaisdemauvaisesfréquentations.Leweek-end,jedisparaissaisavecdespotespourécumerlacôte,debarenbar.Unepenséeémuepourleshérifducoin,c’estàluiquejedoisd’avoirconservéuncasierjudiciairevierge.J’avaisdix-septansalorsetunehaineàfleurdepeau,uneragequimebouffaitlesentrailles.Majunkiedemèrenousavaitabandonnés.Jen’aijamaissulenomdemonpère.C’estEmersonqui s’estbattupourpréserver lacohésionde la famille.C’estluiquis’estprisenpleinegueulemacolère,àchaquefoisquejepétaislesplombs.

Maiscettedernièreengueuladeaétélapire.Leprincipaldubahutl’avaitappelé.J’étaisentrainderatermaterminale.Avecmesnotesdemerde,sûrquejenedécrocheraispasmondiplômedefind’études,quantauxlicencesprofessionnelles…Mêmepaslapeined’ypenser.

Emersonestdevenufou,jamaisjenel’avaisvudanscetétat.Ils’estmisàgueulercommequoi il se crevait à cumuler trois boulots pour nous garder un toit au-dessus de la tête. Laseule chose qu’ilme demandait, c’était d’avoirmon bac et je n’en étaismême pas capable.Notrepetitesœur,Brit,estalléeseréfugierdanssachambreetamislamusiqueàfondpourcouvrirnoscris.Jemesouviens,elleavaitpréparéledîner,mislecouvert.Troisassiettesdegratin de macaronis sur la table pliante de la cuisine. Vaisselle en porcelaine dépareillée,verresenplastique.

Tellement touchant.Tellementnaïf.Comme sinousétionsunevraie famille etpasdesespèces de cas sociaux, des marginaux. Alors, d’un coup, j’en ai eu assez, quelque chose acraquéenmoi,c’était trop.Emersonn’en finissaitpasdehurlerque tantque jevivrais sousson toit, il exigeait que j’aille vissermonculdeparasite sur lesbancsde l’école, que jemetrouve un job pour enfin commencer àme comporter comme un homme et pas comme un

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gaminsanscervelle.Jesuisallécherchermonsac,j’aijetéquelquesaffairesdedansetjesuissorti.

Surlepasdelaporte,ilm’amenacé.Sijepartais,c’étaitfini.Terminé.Jenedevaispluscomptersurlui.

Jemesuisbarré,sansunregardenarrière.Aujourd’hui, je suis là, assis sous le porche de sa nouvelle baraque, un peu gêné, une

tassedecaféàlamain.Lapeintureestfraîchesurlesvoletsetdesfleursontétéplantéesaufonddelacourquilongelaplage.Onvientjustedeterminerdedéjeuneravecsafemmeetsabelle-sœur. Celles-ci se prélassent au soleil, leurs rires montent jusqu’à nous alors qu’elless’amusent à lancer un bâton au chien. La scène a quelque chose de si normal, de sidomestique. Tout ce qui manque au tableau, c’est la petite clôture blanche autour de lamaison.

Mongrandfrère,cetadulte.–Alors,commentvas-tu?,demandeEmersonenmerejoignantsousleporche.Ils’assiedetmedévisage,toujoursaveclemêmeregardscrutateurdepuismonarrivée,la

nuitdernière.–Bien,jecrois,jerépondsavecunhaussementd’épaules.–C’estjusteunevisiteoutucomptesresterunpeu?Jepèsemesmotsavecsoin.–Çadépend.–Dequoi?–Desijesuislebienvenuoupas…Jebaisselesyeux.Jesuispartidepuistroplongtemps,jelesais.Septanssansrienque

quelquescoupsdefildetempsàautre,pourqu’ilsachequejen’étaispasmortouentôle.Jemesenscommeunétranger.J’aiquasimenttoutratédeleurvie,àluietàBrit.

Etilsnesaventriendelamienne.–Évidemmentquetues lebienvenu,répondEmersonsuruntonbourru, lesyeuxrivés

surlelarge.Onestunefamille.Riennepeutchangerça.Je laisse échapper un soupir, que j’ignoraismême retenir. Jem’enfonce surmon siège,

jambessurlabalustrade.–Ondirait que les choses ont bien tournépour toi, je remarque endésignant la plage

d’uncoupdementon.Maintenant,c’estautourd’Emersondesemblerembarrassé.– Je ne me plains pas. Le restaurant marche bien et Juliet… Eh bien, j’ai une sacrée

chance,j’ensuisconscient…Etunsourirepleindefiertésedessinesursonvisage.Merde,ilal’airvraimentamoureux.Jeris.

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–EmersonRay,lepilierdenotrepetitecommunauté.Quil’auraitcru?–Bah,arrêteavecça…Emersonmebousculegentimentetj’enfaisautantenretour.L’espaced’uneminute,c’est

commesionretombaitenenfance.Puissonsourires’estompe.–T’asl’intentiondemeraconteroùtuasététoutcetemps?J’hésite.–Par-ci,par-là.Cen’estpasimportant…Jesuisderetouraujourd’hui.Emersonsemblevouloirdirequelquechose,maisilseravise.–Siçatedit,tupeuxrentreravecnous,enville.Onestjustevenupourleweek-end.La

sœurdeJuliet,Carina,viticiavecsonfiancéletempsderestaurerleurappart,au-dessusdubar.

–Merci,maisnon…J’hésite.–Enfait,jevoulaisteparlerdequelquechose.Jefouilledansmapocheetensorsunboutdepapiertoutfroisséquejeposesurlatable

entrenous.Letitredepropriétédenotrevieillemaison,celleoùnousavonsgrandi.Emersonleprendetémetunlongsifflement.–Putain…J’auraisjuréqu’ellel’avaitvendue…Oùas-tutrouvéça?Nouveausilence.Cettefois,jeleregardedanslesyeux.–C’estmamanquimel’adonné.Levisaged’Emersonseliquéfie.Puisuneombrepassedanssonregard.–Tul’asvue?–Mouais,ilyaunanenviron.Emerson laisse échapper un soupir. Puis c’est un long silence. Je peuxpresque voir les

pièces du puzzle qui se déplacent dans sa tête, comme nous tous dès qu’il est question denotremère.J’attendsd’autresquestions,maisaulieudeça,ilregardelepapierànouveau.

–Tuespasséàlamaison?Jesecouelatête.–Jevoulaisteparlerd’abord.ÀtoietàBrit.Jemedisaisquepeut-être…Jepourraisla

retaper,voirsionpourraityvivreànouveau…C’estunrêve,maisc’estlaseulechosequim’apermisdetenir,cetteannée.L’idéed’avoir

quelquechoseàmoi,unendroitquejepourraisappelermamaison.– Jenevoudraispas jouer les rabat-joie,ditEmersonenme rendant lepapier.Mais je

suisalléyfaireuntour,ilyadeuxans.Déjà,çatombaitenruineetenplus,depuis,onaeudesacréestempêtes.

– C’est pas grave, je peux m’occuper des travaux, j’insiste. Du moment que vous êtesd’accord.

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– Moi, je n’y vois pas d’inconvénient, répond Emerson. Et je ne pense pas que Brittrouveraquelquechoseàredire.Ellen’aplusunesecondeàellemaintenant,entresamarquedefringuesetsonmari.

–Sonmari…C’estplusfortquemoi,jesouris.–Ladernière foisque je l’aivue,elleavait lescheveuxrosesetpiquaitunecriseparce

quetuvoulaisqu’ellerentreàvingt-deuxheures.Unenouvellefois,Emersonmefixeavecceregard.–C’étaitilyalongtemps,Ryland.Beaucoupdechosesontchangé.Uneboufféederegretsmeprendàlagorgequandjepenseàtoutescesannéesperdues,

gâchées.–Jesais.Maisaujourd’hui,jesuisderetour.Ilhoche la tête, commes’ilhésitait encoreàme faire confiance, s’attendait à ceque je

disparaisseànouveau.Maiscen’estpasunproblème.J’aidutempsàrevendreàprésent.Dutempspourtenterderéparercelienentrenous.Dutempspourtenterdesavoircequirestedemafamille.

PouressayerderetrouvermaplaceàBeachwoodBay.

Je finis mon café, puis je m’en vais jeter un coup d’œil à la maison. À rouler sur cesroutescabossées,àl’ombredeslourdesbranchesdescèdres,jesenslessouvenirsamersetlacolèrebrûlerdansmesveines.Jem’empressedechasser toutçademonesprit.Rienquedesfantômes,me dis-je, enterrés depuis longtemps. Je ne suis plus le gamin d’autrefois, j’en ai finidepuisunbailaveclacrised’adolescence.

AprèsmondépartdeBeachwood, j’ai roulémabossedenombreusesannées, travaillantici et là sur la côte, commettantdes erreurs et essayantde rattraper le coup.Cent fois, j’aipensé rentrer à lamaison,mais quelque choseme retenait toujours. Emerson avait raison.J’avais besoin de grandir, de devenir un homme. Et je savais que ce n’était pas ici que j’yarriverais,danscettevilleoùtoutlemondeconnaissaitmonfoutupassé,oùmongrandfrèrevolaitàmonsecourschaquefoisquej’avaisunproblème.

J’avais besoin dem’affirmer enme débrouillant seul et j’ai fini par apprendre, avec letemps.Jen’aijamaisrenoncéàrentreràBeachwood,c’estjustequejen’imaginaispasqueçaprendraitautantdetemps.

À la périphérie de la ville, les jardins sont laissés à l’abandon et les vieilles bicoquesdisparaissent sous les mauvaises herbes, envahies par le lierre, à des kilomètres l’une del’autre.Jepensaisconnaître lecheminparcœur,maisc’esttellement la junglepar iciquejepasseunepremièrefoisdevantlanôtresanslareconnaître.

Puis, réalisantmon erreur, je fais demi-tour et vaisme garer dans l’allée. Je coupe lecontact et reste assis là unmoment, bercé par le bruit du vent et le chant des criquets, àregardercettemaisonabritanttantdemauvaissouvenirs.

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Deretour,aprèsseptansd’errance.Jedescendsdevoiture.Emersonnerigolaitpas.C’estuneruine.Abandonnée,décrépite.

Le toitestàmoitiéarraché, lespoutresduporchepourries. Impossiblededécelerune lignededémarcationentrelejardinetlacampagnesauvagejustederrière,l’undesmursdisparaîtsous le chiendent qui tente de se frayer un chemin par les vitres cassées d’une fenêtrepoussiéreuse.

Je m’approche doucement. À l’époque, ce n’était déjà pas Versailles, rien qu’unassemblagebasiquedeplanches etdepoutres.Aujourd’hui, après toutes ces années livréeàelle-même,lamaisonsedécomposesousl’assautrépétédestempêtes.Jepousselaportequis’ouvredansungrincementetj’entendsunbruit.Unopossumquis’enfuitquandj’entre.Jemeprépare à une nouvelle déferlante de souvenirs, les disputes et la rage et tout ce qui aprécédé. Maman rentrant ivre morte au beau milieu de la nuit, ses petits copains junkiesaffalés sur le canapé. La vaisselle qui vole, Brit qui pleure dans son berceau. Et moi enpositionfœtaledansuncoin,attendantqueçapasse.

Pourtant,àcemomentprécis,alorsquejemetiensdanscequinousservaitdesalon,iln’y a que le silence. Rien d’autre que du désordre et du verre brisé, de l’humidité et de lapourritureetdesrayonsdesoleilquis’invitentparlesfissuresdutoit.

Je regarde autour demoi.Mais cette fois, j’ignore le chaos pourme concentrer sur cequ’ilestpossiblede faire.Unenouvelle toiture,denouveauxmurs.Les travauxdepeinture,restaurerleporche…

Pour lapremièrefoisdepuisuneéternité, jemesenspleind’énergie.J’aidupainsur laplanche,c’estsûr,etpourpayertoutça, jevaisdevoirmetrouverunboulot,mais j’imaginedéjà le résultat. J’ai encaissédeuxou trois jetonsdemadernière partie àVegas, çadevraitsuffirepourcommencer.

Oui,jepeuxyarriver.Jecommenceàlistercedontj’aibesoin,matériauxetoutils,puisjedécidederetourner

en ville pour aller chez Eddie, à la quincaillerie, voir ce qu’il a en stock. Avec un peu dechance, la météo restera clémente quelque temps. Et puis, j’ai appris un ou deux trucs enmatièredemaçonneriecesdernièresannées,jedevraispouvoiryarriverseul.Çarisqued’êtreun peu long, c’est sûr,mais jem’enmoque. Je n’ai nulle part ailleurs où aller et du tempscommes’ilenpleuvait.

Jeréfléchisdéjàauxréparationsdelatoiturequand,audétourd’unvirage,j’aperçoisunebagnole garée un peu plus loin, en travers de la route. J’en laisse échapper un sifflementadmiratif.UneMustang65.Onn’envoitpastouslesjours.

Lecapotestlevé,leconducteurpenchésurlemoteuret,delàoùjesuis, jevoisqueçafume.

Jemerangesurlebas-côtépourproposermonaide.–Besoind’uncoupdemain?,dis-jeenm’approchant.

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– Non, sauf si vous vous y connaissez assez pour changer un moteur en cinq minuteschrono,répondunevoixaudésespoir.Jecroisquej’aicouléunebielle…

Finalement,ilnes’agitpasd’unconducteur,maisd’uneconductrice.Etlorsqu’ellefaitunpasdecôté,j’enrestescotchésurlebitume.

C’estelle.L’angeauxyeuxnoirsdecebar,àVegas.Vêtued’unminishortenjeanetd’undébardeur,ducambouissurlesjoues.Sibellequejepourraisenmourirsurplace.

Tegan.

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6.

Tegan

C’estpasvrai.Je regardeRyland, sous le choc.Le tempsd’unéclair, je croishalluciner. J’aidesvisions, lafauteauxgazd’échappementquidésinhibentmamémoireetlibèrentlessouvenirsdeVegas.Maisnon.Laterreestbienfermesousmespieds,labrisequisouffledel’océansurmapeaubienréelle.Ilestlàdevantmoi,enchairetenos.

Je le dévore des yeux et pendant ce temps-là, mon esprit tente de trouver desexplicationsàl’inexplicable.Ilestjusteaussibeauqu’àVegas.Mieuxmême.Sanscecostumefoncé, il sembleplusdétendu,plusauthentique.Sescheveuxnoirsontpoussé,unebarbedetroisjoursombresesjoues.Ilestgrand,athlétique,irrésistibleenjeanetchemiseenflanelle.Quantàsesyeux…Oh,commejemesouviensdeceregardintense,brûlant,mêmes’ildonnel’impressiondepouvoirpercerchacundemessecrets.Sesyeuxsontnoirsetlimpidescommeunenuitd’hiver,ilsétincellentdemilliersd’étoiles.

Lessouvenirsmesubmergent,ladouceurdeseslèvressurlesmiennes.Jefrémisencore,secouéeparceséismequefutsonbaiser.Unvolcan.Unetornade.

Tadernièreerreur,quetuavaispourtantjurédenepluscommettre.–Quefais-tuici?,jeparviensfinalementàarticuler.Pendant un moment, il est comme pétrifié, sans doute aussi surpris que moi de cette

rencontre.Puisiléclatederire,sursabouchesedessineunsourireàtomberàlarenverse.–Hello,bébé.Jet’aimanqué?Oui.Je me garde bien de répondre et lui tourne le dos pour regarder la petite route de

campagne.Pasâmequivive,deschampsetdesboisàpertedevue,l’océanauloin.Personneà des kilomètres à la ronde et il a fallu que ma voiture rende l’âme ici. Exprès pour queM.Problèmepuissem’ytrouver.

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–J’arrivepasàlecroire,dis-jeensecouantlatête.–C’estpeut-êtreledestin,répondRylandenvenantversmoi.Ilsepencheetregardesouslecapotavecunegrimace.–Merde, qu’est-ce que tu lui as fait ? Unemécanique aussi raffinée, ça se traite avec

respect.–Etévidemment,toiseulsaisyfaire,jeréplique,surladéfensive.–Non, dit-il en riant.Oh, taMustang a de la classe, je le concède,mais je préfère les

bagnolesplusénergiques.J’aimequandçavavite,ajoute-t-ilavecunclind’œil.–Iln’yapasdequois’envanter,jerétorque.Ànouveau,ilrit,puismedévisage.Sonsourires’estompe,devientplusgrave.Plusvrai.–Jamaisjen’auraispenséterevoir.– Désolée, je réponds, sarcastique, en essayant de garder le cap dans ma tête, en me

concentrantsuricietmaintenant,passurcebrefmomentdefaiblesse,unmoisplustôt.Cemomentdefaiblessehypertorride…–Alors?Tuvisicioutuesjustevenumeharceler?,dis-jeencroisantlesbras.Le regard de Ryland descend sur moi et je sens mes joues qui s’embrasent. Je suis

habilléepourlaplage,paspourêtrematéenijaugéeparunbadboytoutenmuscle.–Hé, jeme suis juste arrêté pour proposermon aide, répondRyland,mains levées en

signedereddition.Maintenant,situveuxquejeparte…Etilmetourneledos,s’éloignesanssepresser,ilenfaitdestonnes.Merde.Ànouveau,

jeregardelaroute,d’uncôté,del’autre.Ladernièrevoiturequej’aivuepasser,c’étaitilyaunebonnedemi-heure.Etellen’amêmepasralenti.

–Non,attends!,jel’appelleàcontrecœuretRylandmefaitface,unsouriresuffisantauxlèvres.

Génial.– Tu n’aurais pas le numéro d’un garage dans le coin ?, je demande, ramenant notre

conversationàdeschosesconcrètes.–Ehbien, il yaEddie, répondRylandet j’attrapemon téléphone,attends.Maisonest

dimancheetledimanche,ilsortenbateauetboitdelabièrejusqu’àlanuit.Moncœurseserre.–Etiln’yapersonned’autre?–Ah,lecharmedespetitesvilles,répondRyland,sourireencoin.Tun’aimespas?–Demoinsenmoins,jesoupireenm’appuyantàlavoiture,écœurée.Unechoseestsûre,

jesaisqu’aucungaragedansunendroitpareiln’auraenstocklespiècesnécessairesàcegenredevoiture.Unefoiscommandées,ilfaudrasansdoutedessemainesavantqu’ellesn’arrivent.Question.Qu’est-cequejevaispouvoirbienfairetoutcetemps?

– Ne fais pas cette tête, dit Ryland, apparemment amusé. Je suis là, non ? Ça fait aumoinsunebonneraisondeteréjouir!

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–Ouunebonneraisondemeremettreauvolantpourmecasser loind’ici, très loin, jemarmonne.

–Désoléde te décevoir,mais tun’iras nulle part avec elle, ditRyland en refermant lecapot.JepeuxappelerEddiepourqu’ilviennelaremorquerdemainmatin,etd’icilà…

Il se tait et regarde autour de lui, comme pour bienme faire comprendre que je suiscoincée.

–Allez,jet’emmène.J’hésiteletempsqu’ilfaut,maisjenesuispasidiote.–Merci,dis-jeavecmauvaisegrâce,puisj’attrapemonsacsurlesiègeavantetverrouille

lesportières.Jelesuis jusqu’àsaCamaroetm’apprêteàouvrirlaportièrecôtépassagerquandilme

devance.–Veuillezprendreplaceàborddemoncarrosse,dit-ilavec l’undeces fameuxsourires

dontilalesecret,puisilm’ouvrelaportière.Àcemoment-là,monestomacexécuteunsautpérilleux,maisjefaisensorted’éviterson

regardetprendsplacesurlesiègepassager.Ilfermelaportièreetcontournelavoiturepourvenirsemettreauvolant.–Jetedéposeoù?,demande-t-ilenmettantlecontact.Lemoteurrugit,féroce.–22BeachLane.Ryland hoche la tête et nous prenons la route, vitres ouvertes, radio en fond sonore.

J’effleurel’intérieurdelaportière.Enparfaitétat,monpèreauraitadoré.–Unevoiturepareille,onn’en trouveplusquedans lesmuséesoupresque.Onnevoit

plusdesMustang68surlesroutes.–Tut’yconnaisenbagnoles?,demande-t-il,l’airsurpris.–Pasvraiment.Maismonpèreétaitfan,j’explique.J’aidûhériterunpeudesapassion,

enfant.– C’est le modèle standard, répond Ryland en caressant le tableau de bord. De toute

façon,ilsnefabriquentmêmepluslessiègesbanquettes.Ànouveau,ilmedégainesonsourirecharmeur,puisiltapotelecuiràcôtédelui.–Tupeuxt’approchersituveux.Onpourraitfinircequenousavonscommencé…Unenouvelle fois, lesouvenirdenotrebaiserressurgitdansmatêteet j’enai lesouffle

coupé. S’il a le pouvoir deme faire tant d’effets dans un bar bondé, devant tout lemonde,j’imagine sansmal les choses dont cette bouche serait capable, une fois seuls, garés sur unchemindecampagne,faceausoleilcouchant…

–Écoute, il fautquetucomprennesuntruc, jem’empressederépondre,avantquemeshormones ne partent en vrille. Vegas, c’était… Une bêtise, un coup de folie. Je ne croyaismêmepasterevoirunjour.

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–Etpourtant,jesuislà,répondRylandenmesouriant.Lecoudeàlavitre,unemainsurlevolant,ilmeregarde,avecunedrôled’étincelledans

lesyeux.C’esttoutàfaitlegenredegarçoncontrelequelmonpèrememettraitengarde,s’ilétaitencoreparminous.

Un garçon synonyme de problèmes, avec un grand « P ». Beau, sympathique ettotalementinterdit.

–Quisait,l’universavaitpeut-êtreuneraisondenousréunir,ajoute-t-il.– Je ne crois pas au destin, je réponds, blasée. C’est juste une excuse que les gens

s’invententpourjustifierleursmauvaisesdécisions.Aprèscetteremarqueamère,Rylandmeregardedetravers,sansinsister.Aulieudeça,il

prendl’alléemenantchezDexets’arrête.Puisilregardelamaisonets’esclaffe.– Etmoi qui croyais que rien n’avait changé ici. C’était sans compter sur la venue des

citadinspleinsauxas.–C’estlamaisondemonfrère,dis-je,piquéeauvif.Etilatravaillédurpourpouvoirse

l’offrir.–Oh,mais,jenejugepas,répondRylandavecunhaussementd’épaules.Moiaussi,jeme

pavanerais bien dans une villa de luxe, si j’en avais la possibilité. J’embaucherais une jolieassistantepourmemasser ledosetellemeferaitdepetitesgâteries,ajoute-t-ilavecunclind’œil.

Je lève lesyeuxauciel etmedétournepourdescendredevoiture.Ryland sortà toutevitesseetseprécipitepourm’ouvrirlaportière,maisjenel’attendspas.Etjemeretrouvenezànezaveclui,coincéeentrelavoitureetsoncorpsmusclé.

Jeretiensmonsouffle.Ilestsiprèsdemoi,moncœurs’affole.J’ail’habitudedesbeauxgosses. J’ai grandi entouréedes copains rockersdeDex,des collègues acteursdeBlake,desamis futurs chefsd’entreprised’Ash.Mais jen’ai jamais réellementprêtéattentionàun seuld’entreeux.Pourmoi, iln’ya jamaiseuqueConnor.Visagepâle,grandetmaigre. Intense,créatif.Quandilm’enlaçait,mesoulevaitdeterrepourmeplaquercontreunmur,j’avaispeurqu’ilnesecasse…

Non.Jem’efforced’endiguerleflotinsidieuxdudésirdansmoncorps,maisc’estplusfortque

moi.Jerestelà,figée,tandisqueRylandplongesesyeuxnoirsdanslesmiens.Ilneritplus.Sonregardmaintenantestonnepeutplusclair.

Ilaenviedemoi.Jetressaille,troublée.Toutçaestensommeildepuissilongtemps.Ilapprochesamain,

me caresse la joue, et en une fraction de seconde, je sens mes jambes qui me lâchent. Jem’appuie contre la voiture. Il fait aller et venir sonpouce rêche surma joueet à ce simplecontact,untourbillondechaleurserépanddansmoncorps.

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Prisedevertiges,j’attendsleprochaingeste.Toutceàquoijepense,c’estàseslèvres,àleurcontact sur lesmiennes.Quim’explorentdoucementd’abord,puis sa languequiplongedansmabouche…

–Tuavaisunpeudecambouissurlajoue…Rylandretiresamainetfaitunpasenarrière,regardeautourdelui.Jeclignedesyeux,encoreivredesescaresses.–Oh…Oui…,jebafouille.Merci.Jeluitourneledospourattrapermonsacsurlesiège,mesermonnantdéjà.Maisqu’est-

cequec’était,ça?D’abordtuluidisquetun’espasintéresséeetpuisàlapremièreoccasiontutelaissessubmergerparledésir?Bravopourleself-control!

–JevaisdemanderàEddiederemorquerlaMustang,ajouteRyland.Quandjemeretourne,ilestadosséàsavoiture,brascroisés,avecunedésinvolturerare.–Jepeuxt’emmeneraugarage,demain,tuverrascequ’ilenest,commeça…– Pas la peine, je réponds, la gorge serrée rien qu’à imaginer les effets surma pauvre

libidod’unenouvelleviréeenvoitureavecRylandJames.Non.Àéviter,sûr.–J’iraiàpied,jeréponds.–C’estàhuitbornes,mefait-ilremarquer,sourireencoin.–Etalors?J’adoremarcher,jeréplique,mentonfièrementrelevé.Mercipourtonaide.

Passeunebonnesoirée.–Oui,m’dame…Rylandhochelatêteenguised’aurevoir,sansesquisserlemoindregeste.Alorsjetourne

lestalonsetmedirigeverslamaison.Ettoutcetemps,pasaprèspas,jesenssonregardsurmoi.Moncœurbatàtoutevitesse,maisjem’interdisdemeretourner.Cen’estqu’unefoislaporte refermée que jeme laisse glisser doucement sur le carrelage avec un long soupir desoulagement…

Etdedésir.Jemedisetmerépète:Plusdebadboys.Jecroyaisêtreensécurité,ici,danscettepetite

ville.Entouréedetrucsrassurants,demessieursfriandsdetartesauxpommesfaitesmaison,debonsmarisquivontà l’église.Etvoilàqueleplusdangereuxdeshommesressurgit,avecun regardnoir qui affolemon cœur et un sourire quimedonne envie demedéshabiller làdevantlui,surlapelousemanucuréedemonfrère.

J’aiungrosgrosproblème.

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7.

Encurededésintox,c’estquelquechosequel’onvousapprendtrèsvite:nousavonstousnospointsfaibles.Desidéesfixesquinousgouvernentencoreetencore,etquinousempêchentdevoirlaréalité.Impossibled’avancer,detournerlapage,àmoinsd’enprendreconsciencepouravoirunechancedes’enlibérer.

Monproblèmen’ajamaisétélesmédicamentsoulaboisson.Non,monproblèmeaétédecroirequemessentimentspourConnorauraientlepouvoirdelechanger.Qu’enessayanttrèsfort,qu’enluipardonnantjusteunefoisdeplus,jeparviendraisàl’éloignerduprécipice.

Maisjemetrompais.Onnepeutpassauverunhommecommeça.Connor,c’était l’enfer.Dès ledébut, je l’aisu. Ilétait intense,bourrédecontradictions,

lunatique – et il dégageait un tel magnétisme, je n’avais pas la moindre chance. Il y avaitquelquechosedesauvageenlui,defouetdespontané,etdansunpremiertemps,çan’afaitquerendrelaviepluspassionnante.Jemesouviensdesesregards,desmoisetdesmoisavantqu’il ne se passe quelque chose entre nous, qui faisaient battre mon cœur plus vite, etm’ôtaient toutes forces.Le jouroù ilm’a finalementcoincéederrièreunampli,encoulisses,aprèsl’undeleursconcerts,j’aicrufondrelittéralementfaceàtantdeferveur.

Ilm’aembrasséeetj’aicomprisquedèslors,rienneseraitplusjamaispareil.Ons’estd’abordvuensecret,encachettedeDexetdugroupe.Ilignoraitcommentmes

frèresréagiraient.Auxyeuxdelaloi,j’étaismineure,àquelquesmoisàpeinedemesdix-huitans. Et si je ressentais l’envie de crier au monde mon bonheur, j’aimais aussi cetteclandestinité. Connor était en quelque sorte tout à moi, personne ne savait à part nous.Baisersvolésdanslesloges,étreintesfiévreusesdansleslocauxtechniquesetlestoilettes,aurythme des concerts. Je racontais n’importe quoi à mes frères, prétendais aller voir descopines,puisConnorvenaitmerécupérerauboutdelarue.Onallaitchezlui,ouauborddel’océan,etons’aimait,ivresdecaresses.

Jen’enavaisjamaisassez.Même après avoir officialisé et tout avoué à Dex, restait un sentiment de danger, de

grandfrisson.LafaçondontConnormeplaquaitsurunlitenm’emprisonnantlesmains,cette

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lueurfarouchedanssesyeuxquandjeleprovoquais,jusqu’àcequ’ilcraqueetviennesurmoi,prenant possession demon corps avec une telle fougue… Jeme sentais désirée. Vivante. Ilétait toujours dans l’excès et quand on s’envolait, c’était comme si jamais plus je ne devaisrevenirsurterre.

Jusqu’à ce que lui dégringole et que je découvre ce que veut vraiment dire toucher lefond.

Çam’aprisdutemps,mais ilyaunechosequej’aiappriseconcernantlesgenscommeConnor. Ilyauneraisonàcettequête incessantechezeuxde l’extrême.Uneraisonqui faitquec’esttoujourstoutourien,queçapassedezéroàcentencinqsecondeschrono.

Etçan’arienàvoiravecmoi.Rienàvoirnonplusaveclapassionouleromantisme,del’amourabsolusinonrien.Ces

gens-làn’ontjustepasbesoindequelqu’unàaimer,deprouverqu’ilsenvalentlapeine.Non.Il y a une voix dans leur tête qu’ils cherchent à étouffer, une angoisse désespérée enfouiederrièreleurarrogance,leursregardstorrides.Lanormaliténelessatisfaitpas.Leplaisirleurapporte unmoment de répit, l’occasion aussi de prendre conscience de leurs problèmes, àl’affût dans les ténèbres de leur cerveau. Alors, ils partent en vrille, pire qu’une tornade,déchiquetanttoutsurleurpassage,nelaissantderrièreeuxquedésolation.

Connorm’abrisée.Ilfonçaittoutdroitverslenéantetmoi,j’étaistropjeune,tropnaïve,j’aivouluembarqueraveclui.

Mais jeme suis arrêtéeen chemin.Etpasquestionde répéter lamêmeerreur. Jedoisfaireleschosesautrementmaintenant,etprotégermoncœur.Nepluslaisserledésiraltérermon jugement, ne plus miser sur quelqu’un qui déclenche tous mes systèmes d’alarme. Leprochain garçonque je choisirai sera garanti sansdanger, gentil, honnête. Et ilmeprendraavecdouceurdanssesbras,sauramefairerireet jamais, jamaisnem’abandonnera seuleencemonde,enpleurssurlecarrelagedelasalledebains.

Le soir de notre rencontre, j’ai senti tout de suite le danger chez Ryland James et iln’arriverapasàmefairechangerd’avis.

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8.

Lelendemainmatin,ilfaitfroid,lecielestcouvert.Pourtant,jetranspirecommeunemaladeaprèsavoirmarchésixkilomètresetdespoussièrespourallervoirmavoitureaugarage.Jepénètre dans la boutique climatisée et tente de reprendre mon souffle, en rêvant d’uneboissonbienfraîche.Etd’unseaud’eauglacéepouryplongerlatête.

–Jepariequeturegrettesdenepasavoiracceptémapropositiondet’emmener…LavoixdeRylandrésonnedanslegaragedésert,mefaisantsursauter.Jefaisdemi-tour,àboutdesouffle.–Encoretoi!–Enpersonne,répond-iltoutgentil,ens’essuyantlesmains.IlporteunjeanetunT-shirtbleucielquidonneunéclat incroyableàsesyeuxnoirs.Il

meregardedelatêteauxpiedsetsourit.– J’aurais dû temettre en garde. Dans le coin, le taux d’humidité en cette période de

l’annéeestinfernal.–Maisjemesensparfaitementbien,jeréplique,moncœurbattantunpeutropfort.JepensesoudainàmonT-shirt trempédesueurquimecolleà lapeau,àmescheveux

toutraplaplaquimeretombentsurlevisage.On se fout de quoi tu as l’air, me susurre une petite voix.De toute façon, Ryland t’est

interdit,tuterappelles?Mais ma détermination, le serment que je me suis fait durant la nuit, me semblent

soudaintrèsloinavecRylandlà, justedevantmoi,unmètrequatre-vingtsdemusclesetuneprésence,unmagnétismed’unetonne.

–Lepatronestici?,jedemande,enfeignantl’indifférence.J’aperçoisDolly,surcales,aufonddugarage,capotbéant.–Comments’appelle-t-il,déjà?Eddie?–Eddieaétéappeléenurgence,maisjemesuisoccupédetout.Jeleregarde.–Tutravaillesici?Depuisquand?

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Je suis sûre que Ryland n’en a rien dit hier,même si je ne garde de nos retrouvaillesqu’unsouvenirconfus,tantj’étaistroublée.Maismessoupçonsseconfirmentquandilhausselesépaulesavecnonchalance.

–Vingtminutesenviron.Jesuisvenufaireunsautpourvoirtavoiture.CommeEddieaduboulotpar-dessuslatête,jeluiaiproposémonaide.

–Justecommeça?,jedemande,sceptique.–Eddiemeconnaîtdepuisdesannées,répondRyland,hilare.Jeluipiquaisdespiècesde

moteuravantmêmedesavoirconduire.–Rassurant,jechuchote,maismonestomacestnoué.Jemesuisjurédeneplusjamaislerevoir.Loindesyeux,loinducœur…Mêmesiçan’a

pas vraiment fonctionné, jusqu’ici. Mais là, il semble bien que je n’ai pas le choix. Je suiscoincée.

– La bonne nouvelle, c’est que tu ne l’as pas trop abîmée, reprend Ryland qui changeillicodesujetenmefaisantsignedelesuivre.

Ce que je fais en slalomant entre les machines et les câbles qui serpentent sur le solmaculéd’huileetdecambouis.

–Lamauvaisenouvelle,c’estquetuavaisraison.Tuascouléunebielleetlespiècesderechangenesontplusenstock,ondoitlescommander.J’aifaitmonenquête,maislemieuxqu’onapumeproposer,c’estundélaid’attenteentredeuxettroissemaines.

–Jem’endoutaisunpeu,jerépondsavecunsoupirlas.–Alors,qu’est-cequejefais?Jedonnel’accordpourlacommande?,demandeRyland,

toutenconsultantunbloc-notes.–Faiscequetujugesbondefaire,jeréponds.–Entendu,princesse,dit-il,eninsistantsurlederniermot.–Tuveuxdirequoiparlà?–Oh,rien.Jemedisaisjustequ’unefillevivantdansunetellebaraquen’aprobablement

aucunproblèmedefric.Rylandgribouillequelquechosesursonbloc,maissaréflexionm’agace.–Tunesaisriendemoi.Rien.–Toutesmesexcuses…Ildétacheunefeuilledubloc,melatend.–Jeneteconnaispas.Maisonpeutarrangerça,ajoute-t-il,avecunautredesessourires

ravageurs.Voyons.Dînonsensemble.Cesoir.Vingtheures.Et merde, le sourire de ce mec devrait être signalé par gyrophare. Attention, danger.

Lorsque je prends la feuille, ses doigts effleurent les miens. Un frisson de désir aussi brutqu’inattendumeparcourt.

–Non,jeréplique,enretirantvivementmamain,commesijevenaisdemebrûler.Zoeym’encourageraitàaccepter,maisjenepeuxpasprendrecerisque.

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–Jetel’aidéjàdit.Vegasaétéuneerreur.Rylandhausselesépaules,sanssedépartirdesonsourire.–Tuvaspasmereprocherdevouloirtentermachance.Jet’appellerai.–J’aiditnon,jerépèteavecfermeté,alorsquetoutenmoimepousseàdireoui.À monter dans sa voiture et à le laisser m’emmener où il en aura envie. Un homme

commeluiasûrementdestonnesd’idéespourmedistrairedecetteculpabilitéquimehante.Destonnesd’idéessensuelles,érotiques,libertines.–J’aicompris,princesse…Jevoulaisdirequejet’appelleraipourlaMustang,quandelle

seraprête.–Oh.Ah.D’accord.Désolée,jerépondsetjesensmesjouesquis’embrasent.Jerecule,meprendslespiedsdansuncâble.–Hé,attention…Soudain, deux bras puissants se referment autour demoi pourm’empêcher de tomber.

L’espaced’unmomentaussifugitifquedélicieux,jemeretrouvepresséecontresoncorpsdontémane une chaleur intense, je sens ses muscles irradier sous son T-shirt. Puis il me lâche,s’assureavecdouceurquejetiensbiensurmesjambes.

–Tudevraispasserausupermarchéensortant,j’aivudesbasketsenrayon.–Desbaskets?,jerépète,encoretoutétourdie.Rylandsourit.–D’iciquecebébépuissereprendrelaroute,tuvasdevoirtedébrouilleràpied.Rylanda raison.Alorsque je sorsdugarage, je réaliseque faire sixkilomètresaller et

retour chaque fois que me prendra l’envie d’aller en ville va poser problème. Je pourraisappelerl’undemesfrèrespourqu’ilmeloueunevoiture.Maisjesuissérieusequandjeparlededevenirplusindépendante.Commentpourrais-jeexigerd’euxqu’ilsmeconsidèrentcommeune adulte si je les appelle à la rescousse chaque fois que je rencontre un obstacle, enl’occurrence,aujourd’hui,unmoteurenrade?

Jenesuispasencoredécidéequandjepassedevantunesortedebrocante,auboutdelarueprincipale.Envitrine,c’estunbazarindescriptible.Desvieuxbouquins,dumobilieretdestasd’autrestrucs.Maisquelquechoseretientmonattention,aufond.

Unvieuxvélobienrétro.Je n’ai pas fait de vélo depuis des années, mais je pousse la porte du magasin,

déclenchantlaclochettequiémetun«ding»commeonn’enfaitplus.Personneenvue,justedesrayonspleinsàrasbordd’articlesdiversetvariésquidébordentjusquedanslesallées,aupoint que c’est à peine si je peux avancer. Jeme faufile sous une pagaie antique et trouveenfinlevélo,appuyécontreunevieillemalledevoyage.Ilestrougeceriseetdoitavoirunebonnetrentained’années.Jenem’yconnaispasparticulièrement,maislecuirdelasellemeparaît en bon état et quand j’appuie sur les pédales, la chaîne tourne au ralenti,mais sansaccroc.

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Letypedumagasinmelelaissepourvingtdollarset,grandseigneur,merefileenprimeun casque d’une laideur à vomir. Je me mets aussitôt en route, direction la maison de laplage, hésitante, vacillantemême, comme si c’était la première fois que jemontais sur unebicyclette. Les voituresmedoublent avecun coupdeklaxon,mais je les ignore et pédale àfond,etchaquetourderouemedemandeungrandeffort.Cen’estpasjustemoiquimanqued’entraînement.Lespneussontquasimentàplatetlachaînepeineàfairesonjob.J’auraisdûfaireréparerlevéloavantdepartir,maisjesuisàmi-cheminmaintenantetjenemevoispasretournersurmespas,alorsjedonnetoutcequej’ai,àboutdesouffle.

C’estRylandquirigoleraits’ilmevoyait.Jeme rappelle ses bras autour demoi, cette étincelle de désir dans ses yeux. Sous le

coupdel’émotion,jemanquebasculerdanslefossé.Ducalme,jeunefille!Avant de tomber tête la première sur le bitume, je laisse échapper un soupir de

frustration et fais une halte. J’inspire, expire et recommence. C’est clair, Ryland est unemenace pourmon bien-être, et plutôt mille fois qu’une. J’en suis juste à commencer àmepromettre de faire à l’avenir des choix sensés sur le plan émotionnel qu’il apparaît.Irrésistible, le danger incarné. Je le connais à peine, c’est vrai, mais un type quim’abordecommeçadansuncasinoetmedonneunbaiseraussipassionnénepeutpasêtrefiable,c’estclair.

Or,laconfianceetlasécurité,c’esttoutcequejerecherchedansl’immédiat.Etpourquoipasunprofildecomptable.Oui,uncomptablebiennormal,chiant,bénévoleàlaSPAetquitéléphone à sa maman tous les dimanches. Il m’emmènerait au restaurant, me prendraitgentiment lamain etme raccompagnerait à lamaison avant de s’en aller, après un chastebaisersurlajoue.Pasd’étreintesérotiquesettorrides,pascetteespècededésirardentdanslesyeuxquimedonnelachairdepouleetmefaittournerlatête…

Montéléphonesonnedansmonsac.Sauvéeparlegong,avantquemespenséesàproposdeRylandetdesesincroyablesbaisersnedérapent,m’entraînenttroploin.J’éclatederireendécouvrantquim’appelle.

–Vingt-quatreheuressansprendredemesnouvelles!Tuteramollis,chergrandfrère,jeplaisante et jememets àmarcher sur le bordde la route, tout en poussantmon vélo, unemainsurleguidon.

– J’essaie de faire preuve de modération, répond Dex, apparemment plus détenduaujourd’hui.Onapassé la journéedans l’avion.Unmoment j’ai faillidemanderaupilotedet’appeler, ajoute-t-il en rigolant. Et puis, je me suis dit que tu étais en sécurité, là-bas, àBeachwoodBay.

Situsavais…– Eh bien, rien de neuf ici en fait, je dis sur un ton enjoué. Comment se passe la

tournée?

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–Bien.Lepublicestaurendez-vousetpuis,c’estgénialderetrouverlegroupe.Onadéjàcomposédenouveauxtitrespourleprochainalbum.

– C’est super, dis-je, avec une pointe d’envie, non pas pour la célébrité, ni l’adorationdontmonfrèrefaitl’objet,nipourlerythmedevietrépidantpropreàunetournée.

Maispour sadétermination.Duplus loinque jeme souvienne, il a toujours vouluêtreune rock star. Après l’école, il se précipitait au garage pour gratter sa vieille guitaredéglinguée.Lamusique,c’estsavie,sapassionetmêmesiaujourd’huiAliciafaitpartiedesonexistence,toutsepassecommesiseschansonssenourrissaientdecetamour,aulieudes’entrouverlésées.

Encoreunefois,j’enviecettesortedelumière,lesensqu’ilasudonneràsavie.Quelquechosepour leguider, jouraprès jour.Connorétaitmonétoileetmaintenant, jesuiscommel’aiguilled’uneboussoleàladérive,quicherchesonnord.

–…lelabelestavecnous.Ilsontmêmedécidéd’organiserunconcours.Lesfansquilesouhaitentvontpouvoirnousécrireunechanson.

LavoixdeDexm’arracheàmespensées.–Unconcours?,jerépète,monvélodeplusenpluslourdàpousser.Àtoutinstant,jepensemeliquéfiertantj’aichaud.–Oui,c’estcool,non?,répondDex.Oninvitenosfansànoussoumettreunedémoetla

meilleurechansonferapartiedel’album.Toutlemondepeutparticiper,pasjustelespros.Audébut,j’étaissceptique,ajoute-t-il.Maisonvientjustedel’annonceretonadéjàdestonnesderéponses,çafaitlebuzz.

–C’estunesuperidée,jerépondsetjedéconnecte,m’imagine,passerdel’anonymatàlalumière, en signantune chansonquipourrait être le tubede l’année. Legenrede trucdonttoutlemonderêve.

–Etçanetedérangepasd’enregistrer lachansondequelqu’und’autre?Tuastoujourscomposétespropresmorceaux.

– Tu sais, quand la musique est bonne, peu importe qui l’a composée, répond Dex,désinvolte.Bref,onaunmoisdevantnousavantdedésignerlevainqueur,alors jem’enfaispas.Pourl’instant,jemeconcentrejustesurlatournée,enespérantnepasm’écrouler,mortdefatigue,enchemin…

Jeretiensmonsouffle.Unlongsilence.Lourd.–Merde,pardon,sedépêchedes’excuserDex.–Hé,c’estbon…,jerépondsenforçantletonenjoué.Écoute,jedoistelaisser.Embrasse

Aliciaetlesgarçonspourmoi.–Tegan…–Çava,Dex,jelerassure.Jesaisquetunel’aspasfaitexprès.Jet’aime!

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Etjem’empressederaccrocher,avantqu’ilnes’excuseencoreunefois.J’enaimarredeles voir tous marcher sur des œufs autour de moi, comme si je risquais de craquer à lamoindreallusion,commesilesténèbresallaientm’engloutirànouveau.

J’aibesoindecroirequejenesuisplusaussifragile.Je suispresquearrivéequand j’entendsunevoiturederrièremoi.Unpick-upblanc tout

dégueu,vitresbaissées,d’oùs’échappeà fondunvieux tubecountry. Jem’écarte sur lebas-côtédelaroutepourlelaisserpasser,maisunefoisàmahauteur,lepick-upralentit.

–Oùas-tudénichécetteantiquité…de1952,aumoins?Leconducteursepencheàlavitreensifflant.Unfrissonmeparcourtdebasenhautàcettevoixsexy.Unevoixquejenedevraispas

connaîtresibiendéjà,maisc’estcommeça.Ryland.–Qu’est-ilarrivéàtaCamaro?,jerépliqueenmeremettantàpoussermonvélo.Ilrouleaupasàcôtédemoi,dixàl’heurepasplus.Surlaportièredupick-up,ondevine

unlogoetdanslabennes’entassentduboisetdessacsdeciment.–Onm’ajusteprêtécepick-uppourquejepuissetransporterdestrucsdontj’aibesoin.–Ah,jeréponds,lointaine,alorsqu’enfaitjemedemandecequ’ilpeutbientrafiquer.Maisentameruneconversationnememèneraitàriendebon.Ouaucontraireàdeschosestropbonnes.–Ehbien,jem’envoudraisdetemettreenretard!,dis-je,lesyeuxrivésdevantmoi,sur

lamaisondelaplage,decettefaçon,jenevoispaslesmusclesdesonbrassoussonT-shirt,nicesourireirrésistiblesoussesRay-Ban.

Tulesasdéjàtropvus.–Tucomptesvraimenttedéplacersurcemachin?,demandeRyland,visiblementiln’est

pasdécidéàmelâcher.Ilcontinuederouleràcôtédemoi,unemainsurlevolant.–Arrête-toideuxsecondesetlaisse-moijeterunœil.Tespneussontpresqueàplatetla

chaînemesemblebiennase.Ellen’apasdûêtregraisséedepuisunedécennieaumoins.–Çamevatrèsbien!,jeproteste,mêmes’ilaraison.–Bien sûr.Et tu lepoussesuniquementparceque ça t’amuse, rigoleRylandet sa voix

déclenchequelquechoseenmoi.C’estcommesij’avaisdéjàvécucemoment,notrerencontreici,enville,sonemprisesur

moi, toujours désinvolte, toujours dragueur, comme si j’étais juste une autre fille à séduiredansunelonguesériedefemmes.

CommesinotrebaiseràVegasn’étaitqu’unepéripétie.Jestoppenetetluifaisface.–Qu’est-cequetuveuxdemoi?,jeluidemandesubitement,sansdétour.Rylandsembledésarçonné.

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–Sérieux,j’enchaîne,lecœuràtoutevitesse,boostéeparl’audace.Jedis rarementceque jepense,mais je suis fatiguée,ensueur,et le sourire torrideet

sensueldeRylandmeperturbe,medémangeet jesaistropcombiençapourraitêtrebondegratter.

–Commenttuimagineslescénario?Tuveuxbalancermonvélodanstonpick-upetmeprendredanstesbras,etaprès?Tuveux joueràdespetits jeux,meproposerunepartiedejambesenl’air,deuxinconnusquitirentuncoupcommeça,enpassant?Parcequejetel’aidéjàdit,jenepeuxpastedonnercegenredechoses.Jenepeuxrientedonnerdecequetuveux,j’ajouteaveccalme,pleinederegrets.

Peut-êtredansuneautrevie, j’auraispu,désinvolteet insouciante,être legenredefillequi saute au cou d’un type croisé au hasard, insensible aux cicatrices. Mais non, c’estimpossible, je restemoi, enveloppée de lamême peau toute balafrée demon passé, et j’ensuisencoreàessayerdemerecoudre.

LeregarddeRylands’assombrit.Ilcoupelecontact,descenddupick-up.Etmerde.Enunéclair,mabelledéterminationsedésagrège.Luiaussiestensueur.Sexy,

athlétique,soncorpsirradieunepuissance,unevirilitébrutetandisqu’ilsedirigeversmoi.–Necroispasça,répondRylandd’unevoixricheetprofonde.Ilvientjusqu’àmoietjesuiscommepétrifiée.–Tuveuxsavoircequejeveuxdetoi,monange?J’oseàpeinerespirer,hypnotiséeparsonregard.Jedevraisleplanterlà.Fuir.Aulieudeça,jehochelatête.–Ça.Ilsepenchesurmoidoucement,approchesonvisagedumien,lefrôlemaintenant.Plus

riennemeséparedesachaleur,desonpouvoir,desonintensité.Puisseslèvreseffleurentlesmiennes,sidouces,commedansunrêve.

Oui.Jepeuxmelerépétercentfois,non,jen’aipasenviedelui.Jepeuxmefairetoutesles

promessesdumonde.Enuninstant,moncorps,lui,s’abandonnecontrelesien.Jesuisfichue.

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9.

Ryland

Seslèvressontaussisucréesquedansmessouvenirs.Mélangedesoleiletdemiel,toutesceschosesquin’ontcessédemehanter.Toutesceschosesquejen’auraisjamaiscruretrouver.Etpeut-êtreest-ceque jene lesméritepas,aprèstout,maisoh, làdans l’immédiat,monpassén’aplusaucuneimportance.

SeuleTegancompte.Unemainsursa joue, jedonneunnouvelélanànotrebaiserennouantmalangueà la

sienne.Ellegémitcontremoietjustecommeça,jesuisperdu.J’oubliepourquoiceciestunetrèsmauvaiseidée.Etqu’ellen’apascessédemerejeterdepuisnotrerencontre.J’oubliequeje ne peux rien offrir à une fille pareille et sans doute ne le pourrai-je jamais. Tout ce quim’importe,c’estcemoment,sousceciellumineuxdeseptembre,lafusiondenoslèvres,toutlerestem’indiffère.

C’estcommerevenirparmilessiensaprèsunelongueabsence.LecorpsdeTeganploie contre lemien, son souffle s’accélère. Jeglissemonautrebras

autourdesataille,verrouillesoncorpsmenuaumien,pressemontorsecontre lesien.Ellerépondàmonbaiseravecunepassionprochedudésespoir.S’accrocheàmoicommesielleétaitentraindesenoyer,commesij’étaislaseulechosecapabledelamainteniràflot.

Ivrededésiretdeplaisir,decettechaleurardente,jemerappellesacolère.Queveux-tu?Ça.Elle.Toutdesuite.Jen’aijamaisvouluqueçaetd’oresetdéjàjelesais,jamaisjen’enserairassasié.Teganm’étreintet çane ressembleà riend’autreencemonde. Je la serreunpeuplus

fortcontremoi,écrasemoncorpscontrelesien, ladévore.Jeprendstoutcequ’elleaàmedonner. Jeme fiche que l’on soit au bord de la route, que quelqu’un puisse nous voir. J’aienviedelaplaquercontrelepick-up,deluienleversonhaut,deléchersapeausaléeetdelui

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montreràquoi ressemble leplaisir, levrai. J’ai envied’assouvirunmoisde fantasmesnon-stop.

Attends.Quelquechosemeretient,endépitdudésir,endépitdudélire.Jerevoisdansmatêtela

résignation,latristessedesonregardlorsqu’ellem’aditqu’iln’yauraitjamaisrienentrenous.QueVegasétaituneerreur.Qu’ellenepouvaitpasfaireça.Unefoisdeplus.

Quelsecretcache-t-elle?Quiluiafaitpeur,aupointqu’ellenepuisseprendrecerisqueànouveau?

Avec un soupir de regret, je m’arrache à ses bras pourtant si chauds. Tout en mois’insurge,toutmoncorpsserebelle,maisjemeforceàneplusbouger.

Ellevamehaïrd’arrêtercommeça.Maisj’ailesentimentqu’ellemehaïraitplusencoresijecontinuais.Quelquechoselaretient,lafaitbattreenretraitequandj’avance,etsij’adorem’amuseraveclesfilles,jesaisquepourelle,toutçan’estpasunjeu.

C’estsérieux.Important.Ducoup,c’estimportantpourmoiaussi.Jelalâcheettentedereprendremonsouffle,metraitantdetouslesnomstandisquela

réalitéreprendsesdroits.Tegan,lesyeuxmi-clos,chancellequandj’écarteunemèchesursajouepuism’éloigned’unpas.

Elleécarquillelesyeux.–Maisque…?Savoix tremblealorsqu’elle retrouve ses esprits.Elle regardeautourd’elle, confuse et

désorientée,avantderamenersonregardsurmoi.Lentement,sonvisagechange, lacouleurdudésirsursesjouessedilue,remplacéepardelamélancolie,dudésarroi.

–J’airecommencé,c’estça?Cettetristessedanssavoixmedéchire.–Tuveuxdire,embrasserunhommejusqu’àlerendrefoudedésir,aupointqu’iltienne

àpeinesursesjambes?,jedemandeenessayantd’adopteruntonléger.Oui,m’dame.Etvousêtesplutôtdouéepourça.

Ellelaisseéchapperunsoupir.–Jesuisdésolée.Jenecherchepasàtemanipuler,jetelepromets…Tegancroiselesbrasetmeregarde,l’airperdu.–Jenecomprendspascequis’estpassé.Jeneveuxpast’embrasser.– Tu as de la chance que je sois aussi maître de moi, je réponds, toujours en mode

dérision,mêmesijem’inquiètedecesombresdanssesyeux.Unmecplusfragileauraitdéjàperdusesmoyens.

Ellelèvelesyeuxauciel.–Jeconstatequetun’asaucunproblèmed’ego.–Jesuisfaitcommeça.Unbloc,bébé…

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Jeluifaisunclind’œiletenfin,ellerit.Unétrangesentimentdesoulagementm’envahit.Elleestencorelà,ellen’apascherchéàfuir.C’estunprogrèsparrapportàladernièrefoisoùjel’aiembrassée.

J’ignorecequisepasseaveccettefille,maisj’aienvie–non,j’aibesoin–delaconnaître.Delacomprendre.Etmêmesicelavaàl’encontredemoninstinct,quelquechosemeditquele mieux à faire, dans l’immédiat, c’est d’en rester là et de lui donner l’espace dont elleprétendavoirtantbesoin.

Aprèstout,c’estunepetiteville.Etavecsavoitureaugarage,jesaisqu’ellenerisquepasd’allerbienloin.

–Je te laisse tranquillemaintenant,dis-je,avecdésinvolture.Faisattentionà toi. Je tetiendraiaucourant,pourtavoiture…

Jevaispourmonterdanslepick-up,quandelles’exclame:–Attends!Jemeretourne.Ellemedévisage,l’airintrigué.–Pourquoies-tusigentil?Jeveuxdire,j’aiétéclaireavectoietpastrèsaimable,mais

turestesstoïque…–Queveux-tuquejetedise,chérie?, jeréponds,lesyeuxrivésauxsienset jesensma

déterminationquiflanche,justeunpeu.Quejereconnaissequej’aienviedetoi?Noussavonstous les deux ce qu’il en est. J’ai eu envie de toi à la secondemême où je t’ai vue pour lapremièrefois,danscebar.Tuesentréedanscettesalleetsoudain,toutestdevenuévident.C’étaittoi,toiquejevoulais.Teslèvres.Toncorps.Etcesyeuxmagnifiques,tellementvifs…

–Maisje…Jet’aidit…,bredouilleTegan.– Et je t’ai écoutée, je l’interromps. Je nous ai arrêtés, non ? J’aurais pu t’allonger à

l’arrièredecepick-upàl’heurequ’ilest.Maispasencore,tun’espasprêtepourmoi.Sesyeuxm’incendient.–Tuestellementsûrdetoi,tuleréalises,ça?–Tun’imaginespas àquelpoint !Tuveuxque je te confieun secret ?, j’ajoute enme

rapprochant.Teganagrippesonguidonquandjemepenchesurelleetcollemaboucheàsonoreille.– Tu seras àmoi, princesse. J’apprendrai ce corps par cœur. Ces lèvres hurlerontmon

nom,bientôt.Maispasavantque tunesoisprête.Laprochaine fois, je t’en fais le serment,c’esttoiquim’embrasseras,mesupplieras.Laprochainefois,jetemontreraiàcôtédequoituespasséetoutescesannées.

Jerecule, la laisse làbouchebée,chancelante.Jeremontedans lepick-upetm’envais,son visage défait, stupéfait, de plus en plus petit dans mon rétro. Puis un virage et elledisparaît.

Mais elle est encore là avec moi pourtant. L’odeur de ses cheveux, leur douceur. Lachaleurdeseslèvresfiévreuses,impatientes…

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Cen’estqueledébut.Je rentre, la tête ailleurs. Difficile encore de considérer cette maison commemienne,

même quand je me gare dans la cour et décharge mon matériel. Je pense à Tegan, à sonregardnoir,méfiant,quandmontéléphonesonne,m’arrachantàmesrêveries.

J’attrape l’appareil sur le siège avant et vais pour répondre quand je vois le nom ducorrespondant.

Driskell.Monsangnefaitqu’untour.Pourquoim’appelle-t-il?J’aiétéclair,c’estterminé.Notre

petitarrangementaprisfinquandj’aigagnémalibertélorsdecettepartiedepokeretquej’airéglémadette.

Jen’airienàluidire.J’attends que la boîte vocale se déclenche, puis reposemon téléphone sur le siège. Je

déposelesplanchesdanslamaison,m’attaqueensuiteàremplird’autressacsdepoussièreetdegravatsquejetransportedanslabenneàordures.Impossiblepourtantdemedéfaired’uncertain malaise. J’ai beau essayer de faire comme si le passé n’existait pas, impossible. Etapparemment,Driskelln’enapasnonplusl’intention.

Merde.Jeretourneaupick-up,reprendsmontéléphoneetécoutelemessage.«Ryland, mon pote, je trouve que tes vacances ont assez duré… » Il est comme

d’habitude,calme,froid,chaquemotclaquecommeunemenace.«J’aibesoindetoiicipourunboulotettulesais,jedétesteattendre.Appelle-moi.»

J’en frissonne. Il ne sait pas où je suis, il ne peut pas le savoir. Je n’ai jamais laissééchapperlamoindreinfosurmonpassé,riensurl’endroitoùj’aigrandi.Jamaisjen’aiévoquéEmerson ou Brit, que dalle. La seule personne qui pourrait le conduire jusqu’à Beachwood,c’estmamère,etellevitàdescentainesdekilomètresdelà.Suruneautreplanète.

Non,ici,jesuisensécurité.Cettevie-làestderrièremoi,jemelesuisjurélesoiroùj’aiquittéVegas.LasalebesognequejefaisaispourDriskell,lesbagarres,lesfillesetlesflingues.Unboulotquivouspourritl’âme,ettoutçapourdel’argentsale,unvrainiddevipères.

Unlieusansespoir.Aujourd’hui,jepeuxcroireàquelquechose.J’aiunaveniràmeconstruire,unevieàmoi.

Jecontemplenotrevieillemaisonencoreàl’étatderuine,maisjeressensunecertainefiertéaprès ces quelques jours de travail. J’ai presque fini de dégager le toit effondré et lesmurspourris.Prochaineétape,rasercequitientàpeinedeboutetm’attelerauxfondationspourlesfortifier,quelquechosedesuffisammentcostaudpourrésisterauxdixprochainestempêtes.

CettemaisonnepaieévidemmentpasdeminecomparéeàcelleoùvitTegan,maisc’estla mienne. Et bientôt, j’y habiterai et ce sera l’occasion pour moi de prendre un nouveaudépart.Dereconquérirmafamilleetdemebâtiruneviedontjepuisseêtrefier.

ÀconditionqueDriskellnetetrouvepasavant…

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10.

Tegan

Et de deux ! Deux baisers impulsifs, passionnés, sublimes. C’est la deuxième fois que jedérape,maiscelanesereproduiraplus.Pasquestion.

Parce que si je m’effondre encore une fois, je le sais, le petit jeu est fini, terminé. Etmerde,jesuisplusfortequeça.

Tuserasàmoi,princesse.J’apprendraicecorpsparcœur.LesparolesdeRylandmehantentlerestedelasemaine.Chaquefoisquejemeretrouve

seule,jerevois,revislascène.Cettecertitudedanssesyeuxquandilapprochesonvisagedumien.Cespapillonsdansmonventrequandsaboucheeffleuremonoreille.

La prochaine fois, je t’en fais le serment, c’est toi qui m’embrasseras, me supplieras. Laprochainefois,jetemontreraiàcôtédequoituespasséetoutescesannées.

Promesses,promesses,toujoursdespromesses…Jeposelaguitareenrâlant.Je suis restée sur la terrasse toute lamatinéeà essayerd’écrirequelque chose,mais je

n’ai en têtequedes chansons romantiqueset sensuelles, tourmentéespar ledésir.Quand jepenseàunemélodie,c’estlevisagedeRylandquejevois.Etquandmeviennentdesparoles,cesontdesmotsquejebrûledeluidire.

Prends-moi.Libère-moi.Jesuisàtoi.Jetournenerveusementlespagesdemoncarnetetcherchel’inspiration,enespérantque

çanemeramènepasausouvenirdenotrebaiser.Depuis que Dex a parlé de ce concours, l’idée s’est logée dans un coin de ma tête et

refuse d’en sortir. Ce n’est pourtant pas faute de me répéter que le projet est fou, le défiimpossibleàrelever.Jemesuismiseàcomposerdeschansonsilyaquelquesmoisàpeine.C’est bien connu, il faut parfois des années avant qu’un artiste accepte la chanson d’un

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compositeur,mêmeunpro.Alors,ungroupecommeTheReckless.Rienqu’àlaperspectivedesoumettremamusique à quelqu’un, j’en suismalade, et enmême temps, quelque part, j’enrêve.Couchersurlepapiertouscesairs,toutescesmélodiesquej’aidanslatêtepourenfinlespartageravecquelqu’un,n’importequi.

Leurdévoilermonêtreprofond.Je réprimeun sentiment acidede regret etme lève.C’est presque l’heuredudéjeuner,

alors je vais prendre une douche pour dessalerma peau aprèsma baignade dumatin, puism’habille d’une petite robe d’été toute simple. J’attache mes cheveux en queue-de-cheval,attrapemonsacetenfourchemabicyclette,capsurlaville.

Après ledésastredemonpremier trajet, je suispasséeà la station-servicepourgonflerlespneus.J’aiaussigraissélachaîneetc’estnettementplusfaciledepédalermaintenant.Jefilesurlaroute.Leventcaressemesépaulesdénudéesets’engouffresousmarobe.

J’ai adopté une certaine routine dorénavant, un emploi du temps qui rythme mesjournées.Écriredeschansons,marchersurlaplage,déjeunerausnack.

Lapremière foisque je suis repasséedevant legarageen rentrantchezmoi, j’aiaperçuRyland en train de travailler sur un vieux camion. Ilm’a fait signe et j’ai bien failli atterrirdanslefossé,letempsquejemedécidesijedevaisluirépondreoupas.

Le lendemain, j’aipenséque ça serait sympademapartde justealler luidireunpetitbonjour et voir où il en était avecDolly. Puis jeme suis dit que ça ne se faisait pas de sepointer comme ça, lesmains vides, alors j’ai demandé à la serveusedem’emballer un sodabien frais avant dem’y arrêter. La surprise deRyland quand je lui ai tendu la bouteille, çavalaitlapeine.

Àcerythme,d’icilafindelasemaine,jeluiapporteraiunpanierpique-niquecomplet.J’ensuisconsciente,jejoueaveclefeu,maisjemerassurecommejepeux.Il n’y a rien demal, je veux justememontrer amicale, c’est tout. Etm’assurer par la

mêmeoccasionqu’ilnevapasgâchertoutletravaildemonpèresurmaMustang.Etpuis,depuisl’incidentdubaisersurlaroute,Rylands’estcomportéenvraigentleman.

Pas de frôlements intempestifs quand il se penche pour attraper une clé à douille, plusd’invitationaurestauouderendez-vous.Toutsepassecommes’ilavaitvraimentacceptéquejenelaisseraipluscegenredechosesarriverentrenous.Exactementcequej’attendaisdelui.

Maisalors,pourquoicettedéceptionenmoi,quandjerentreàlamaison,seule?Etpourquoiest-cequejeprendslapeined’appliquerunpeudeglosssurmeslèvres,une

touchedemascarasurmescils,quandc’estluietluiseulquejevaisvoir?Jechassecespenséesdemonesprit,dévoreenvitessemonsandwichetcommandedeux

partsdetarteàemporter.Ensuite,jetraverselaruepourmerendreaugarage,maisunefoislà-bas, je tombe sur un os. Enfin, plus exactement une fille, assise sur le comptoir, jambescroiséesetquiritàgorgedéployéeàuneremarquedeRyland.

Instantanément,jesuisprised’unprofondsentimentdejalousie.

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Ilestadosséaumuràcôtéd’elle,l’airdétendu,etplussexyquejamais.Lafilleporteunerobeimpressionvintageetdesbottinesàlacets,coupeaucarrédéstructuréeettandisquejem’approche,jelavoisébourifferlescheveuxdeRylanddansungestepleind’affection.

Tuvois, fanfaronneunepetitevoixtriomphale.Tusavaisqu’iln’étaitpaspourtoi. Ildoitavoirunebonnecentainedefillesdanssescontacts.Tutecroisdoncsiunique?

Àcemoment-là,ilm’aperçoit.–Tegan!,m’appelle-t-il,toutsourire.Troisièmevisiteentroisjours…Siçacontinue,je

vaisfinirparcroirequetunemedétestespasautantquetuleprétends.–Jen’aijamaisditquejetedétestais,jeproteste.Lafillem’observeaveccuriosité.–C’estjuste,acquiesceRyland,rieur.Tuasuniquementditquetunevoulaisplusjamais

merevoir.–Ah,tuvois,jeréponds,suruntonléger.C’esttotalementdifférent.Jemetournefaceàlafille,attendslesprésentations.Rylandlaissepasserunmoment.–Tegan,voiciBrit,mapetitesœur.– Sa petite sœur très sage et très stable et tellement talentueuse et intelligente, le

corrige-t-elle,enluienvoyantuncoupdecoudedanslescôtes.Jeris,soulagéequ’ellenesoitpaslanouvellepetitecopinedeRylandettoutdesuite,je

compatis.–J’aitroisfrèresplusâgésettupeuxmecroire,«petitesœur»,c’estplutôtmignon.Dex

m’aappeléela«gamine»pendantdesannées,devantsesamis.Ilafalluquejelemenacedecassertoutessesprécieusesguitarespourqu’ilarrête.

Britécarquillelesyeux.–Dex?DexCallahan?LechanteurdeTheReckless?,medemande-t-elle.Aussitôt,jemeraidis.–Oui,jeréponds,surmesgardes,craignantqu’ellenesoitl’unedecesgroupiesprêtesà

toutpourunautographeoun’importequoi.–Mais je le connais,ditBrit, toute contente.Enfin, je connaisAlicia. Ils étaient àmon

mariage.–C’estsuper,dis-je,rassurée.Jen’avaispasfaitlerapprochement…–Moinonplus,remarqueRylandquim’observe,l’airintrigué.EntreluietlesregardscurieuxdeBrit,j’aisoudainl’impressiondepasserauxrayonsX.– Bon, bref, je voulais juste prendre des nouvelles de la voiture. C’est Ryland qui s’en

occupe,j’expliqueàBrit.Jet’aiapportédelatarte,aucasoù,tuvois,tuauraisfaim.Maisje,euh,jedoisyaller…

Jeposelesacetm’éloigneaussitôt.Maisferme-ladoncunpeu,Tegan!–Attends,m’appelleBritensautantducomptoir.Tufaisquelletaille,enfringues?–Hmmm?,j’interrogeRylandduregard.

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Il se contente de hausser les épaules quand Brit m’attrape les bras et les lève, pourm’examiner.

– Tu mesures quoi, un mètre soixante-dix ? Et tu fais du 36-38, c’est ça… Oui, tu esparfaite !Tuesoccupée,cetaprès-midi?Tupourraismedonneruncoupdemainpourdesessayages?Jesuisentraindecréerunerobedemariéepourunecliented’Atlanta,maisçafait déjà deux fois qu’elle rate les essayages et je dois absolument savoir si la longueur estbonne,expliqueBritsansmelâcher.Ettuaspilesataille.Allez,s’ilteplaît?Pitié…

–Euh,oui,biensûr,j’acceptesansrechigner,puisqueapparemmentjen’aipasvraimentlechoix.

–Wow,merci !, s’exclame Brit, radieuse. Tume sauves la vie, sérieux. On pourrait yallertoutdesuite,qu’enpenses-tu?

–Maintenant?OK.Enfin,jeveuxdire…Monhésitationestvitebalayéeparsafougue.–Génial!J’aiunatelier,auranch.C’estpasloin.Jet’emmène.Çaneprendrapasplusde

deuxheuresettun’aurasrienàfaire.Etc’estgarantiindolore,jetelejure.Saufsitubougesetquejetepiqueavecuneaiguille,maisçan’arrivequasimentjamais.

–Quasiment?,jerépètealorsqueBritm’entraînedéjààsavoiture.–Oh,unefois,Julietafaillimetuer,maisc’étaitsafaute,raconteBrit,touteguillerette.

Ellen’arrêtaitpasdesedandiner.– Au moins, je suis prévenue, je réponds, absente et un peu désemparée, je jette un

regardderrièremoiàRyland,maisilestdéjàentraindedévorersonmorceaudetarte.–Moijepeuxrienpourtoi,dit-il,hilare,labouchepleine.Masœurn’ajamaissuceque

voulaitdire«non».C’estdansnosgènes,ajoute-t-ilavecunclind’œil.

Avant que je puisse comprendre ce quim’arrive, jeme retrouve ceinturée sur le siègepassager,roulantpleinpotsurunepetiteroute.Britconduitcommeunpilotedeformule1,viragesàfond,toutenmemitraillantdequestionssurAliciaetDex.

– Ils sont partis en tournée. L’Amérique du Sud, puis l’Europe, je crois, je réponds, enm’accrochantàlaportière.

– Je suis vraiment heureuse pour eux, me dit-elle. Et maintenant, tu es là, toi. JustequandRylandrefaitsonapparition.Alors,vousvousêtesrencontrésaugarage?

–Non,jeréponds,enregardantaveceffroileprochainvirage.ÀVegas,lemoisdernier.–Vegas?,s’exclameBritensetournantversmoi.Quefaisait-illà-bas?Jeretiensmonsouffle.SiRylandn’apasjugébondedireàsasœurqu’ilétaitàVegasces

derniersmois,cen’estpasàmoidetrahirsonsecret.–Jen’ensaisrien,jeréponds,etc’estlavérité.Ons’estjustecroisé.Parhasard,j’ajoute,

enrestantvague.Unerencontredehasard,quiafinienunbaisertorrideenàpeinedixsecondeschrono.–Hmmm,marmonneBrit,maisellen’insistepas.Entoutcas,tuarrivesaubonmoment

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pourm’aider.J’aibienlaisséunetonnedemessagesàmacliente,mais jepensequ’elleadûallersereposerdansjenesaisquelcentrethalassopourleweek-endenoubliantd’emporterson téléphone. Je lui dirais bien d’aller se faire voir avec sa robe de mariée, maisfranchement,cetterobeesttropbelle,çaseraitdommagedenepaslafinir.

Ellequittelanationalepourprendreunepetiterouteàtraverslesboisetlescollines.Onestenpleinecampagne,toutprèsdelavillepourtant,eticilanatureestverdoyante,sereine.

Bientôt, au détour d’un virage, j’aperçois le ranch. Une maison immense, une grangepeinteenrouge,desécuriesetdesenclos.IlyadeschevauxdanslepréetquandBritsegareà côté de deux pick-up, je remarque un type d’un certain âge qui tente de faire tourner enrondunpoulaintoutfougueuxauboutd’unelonge.

–Hunter,monmari,entraînelaplupartdeschevaux,expliqueBrit.Maisilestenvilleencemoment, complètement surbooké.Alors j’aidécidédevenir icipour terminer cette robe.Tuvasvoir,c’estunevéritablemaisondecouture…

Jelasuisàl’intérieuretjecomprendstoutdesuitecequ’elleveutdire.Danslesalon,ondirait qu’unebombede tissus et d’étoffes a explosé. Il y en apartout.Despetits bouts, desgrands,desrubansettoutessortesdematières,sansparlerdescroquisquijonchentlesol.

– Bien, dit Brit, elle regarde autour d’elle et attrape deux ou trois trucs. Est-ce que tupeuxjusteenlevertesvêtementsetvenirtemettrelà?

Ellememontreunepetiteestrade,devantlacheminée.–Oh, tu ne veux pasm’inviter au restaurant avant…, je plaisante en prenant une voix

lubrique.Elleécarquillelesyeux,éclatederire.–Pardon.Oh,j’aioubliéquetu…Bref,jevaistechercheràboireetpuis,jetemontrerai

lemodèle.J’aiunespritétriqué,pasplusd’une idéeà la fois,mais j’aipresqueterminé,medit-elleensedirigeantverslacuisine.

–Cen’estpasgrave,jeréponds,détendue,enluiemboîtantlepas.

Lamaisonestdestylerustique,chaleureuse,toutinondéedesoleil.Britattrapedeuxsodasdans le réfrigérateuret je la rejoinsà lagrande tableenchêne,

encombréedecroquisetd’échantillonsdetissus.– Tu vois, elle souhaite quelque chose de classique. C’est le genre de réception

ultramondaine,expliqueBrit,endésignantsescroquis.Maisc’estàlaportéedetoutlemondederéaliserunerobelonguebustier.Alors,j’aipenséàuntrucstyleglamour,unerobecommeenportaientlesstarsdecinéavant.

J’examinelesdétailsdudessin,lafluidité,lacoupedumodèle.–C’estmagnifique,dis-je,impressionnée.–Jesais,répondBrit,ellen’estpasarrogantepourunsou,justehonnête.Tucomprends

mieuxpourquoijelasupportemalgrétouscesfauxbonds.Jeveuxlafinirmalgrétout.Ilfautquejel’imagine,quandellemarcheraversl’autel…

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–Sonmarivaadorer,jel’interromps.–Sansdoute,répond-elleavecunhaussementd’épaules.Maissurtout,touteslesfiancées

vontvouloirlamêmeaprèsça.–C’estplutôtcool,non?,jeremarqueenriant.– Oh, oui, répond-elle avec un sourire espiègle. Mais bon, tu n’as pas idée de ce que

coûtelasoied’importation.C’estloind’êtregratuit.Brit s’empare de la robe en devenir sur la table et me montre où aller me changer,

derrièreunparaventdefortune.Je retiremapetite robed’été devant elle pour enfiler l’autre. Je portemonmaillot de

bainsousmesvêtementsetdetoutefaçon,aprèsdeuxansdepensionnat,j’aiviteperdumescomplexesquandjedoismedéshabillerdevantdesinconnus.

–Peux-tujusteredresserunpeulesépaules…?Oui,parfait!Britmefaitmeretourneretajusteavecdouceurlarobesurmoi,autourdemataille.–Alors,qu’est-cequeçadonne?,jedemandeenmecontorsionnantpouressayerdeme

voir.LevisagedeBrits’illumine.Ellejointlesmains,auxanges.–Jesuisd’ungénieinégalable,chantonne-t-elleetànouveau,j’éclatederire.Ilyaquelquechosedespontané,decashchezelle,difficiledenepasl’aimer.–Maisj’avaisraison,ajoute-t-elle.L’ourletdéconne.Peux-tugrimpersurcetabouretpour

quejelemarque?–C’estlàoùtuvasmetortureravectesépingles?Brits’agenouilleetcommenceàpiquerletissu.–Çadépenddecequisepasseentre toietmonfrère, répond-elle, surun tondétaché,

maisjesursautequandjeréalisecequ’ellevientdedire.–Quoi?Maisrien!Aïe!–Jet’avaisditdenepasbouger!,râleBrit,enmeremettantdroite.Çava?–Euhoui,jeréponds,surmesgardes,enlasurveillant.Ellecontinuedepiquerlebasdelarobe.–Alors,monfrère…?Jenesaisquerépondre,etjemerappellequ’enguisededéfense,riennevautl’attaque.– Il a l’air gentil, je réponds avec désinvolture. Et il s’y connaît, en mécanique. Il a

toujoursfaitça?Brit sembleamusée,commesiellen’étaitpasdutoutdupedemonesquive,maiscette

fois,ellenemepiquepas.–Jenesaispas.Jenel’aijamaisbeaucoupvu,quandnousétionsenfants.Ilétaittoujours

parmontsetparvaux.Toujoursàs’attirerdesproblèmes…Elleattrapeuneautreépingleetfronceletissu.

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– Et puis, un jour, il a disparu et je n’ai plus entendu parler de lui pendant sept ans.Jusqu’àcequ’ilrevienneenville,lasemainedernière.

–C’estvrai?,jem’exclame,surprise.Unesilongueabsence,sanslamoindrenouvelle?–Oh, il appelait parfois pour savoir comment on allait. Un coup de fil par-ci par-là, à

Emerson,principalement.Maissinon,oui,rien.Iln’estmêmepasvenuàmonmariage.Elletired’uncoupsecsurletissuetjecomprendsqu’ellenel’atoujourspasdigéré.–C’esttriste,jechuchote.Mesfrèresmetapentsurlesnerfs,maisjelesaime.Jeneveux

mêmepasimaginersil’und’euxprenaitlelargeetm’excluaitdesavie.Tudoisêtreheureusedelerevoir.

Britlèvelesyeux,surlaréserve.–Àconditionqu’ilreste,cettefois,dit-elleavecunhaussementd’épaules.MaisRayJay

esttoujourssimystérieux.Onnesaitjamaisàquois’attendreaveclui.Il plane en effet commeune énigme autourdu garçon rieur, charmeur, que je connais,

maisc’estladernièrepartiedesaphrasequiretientmonattention.–RayJay?,jerépète,incrédule.–Oh,merde,dit-elleenvoyantmonsourire.Ildétestequ’onl’appellecommeça…Elleéclatederire.–Tantpis.Çaluiapprendraàdisparaîtresilongtemps.Sérieux,appelle-leRayJayetdis-

luiquec’estcadeaudemapart.–Lepauvre,jerépondsengloussant.

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11.

Britpiquesonourletavecméthodeetminutie.Àunmoment,elles’interromptpourmettreun peu de musique et peu à peu, on finit par se détendre tout en discutant de la vie entournéeaveclegroupeetdesapetiteentreprise.

–Situm’avaisvueaudébut,explique-t-elle.Jen’osaismêmepasmontrermonbook.Jemerappellemonpremierentretiendansunegrandeenseignedefringues,j’aicrum’évanouirtellementj’étaisnerveuse.

–Etças’estbienpassé?–Unecatastrophe, répond-elleen riant.Le typeétaitunvrai connard. Ilm’aditque je

n’avaisaucuntalentetquejen’arriveraisjamaisàrien.–Wow,c’estdur!–Oui,maisilfautsavoirs’ypréparer.Ilyatoujoursquelqu’unpourtedénigrerunjour

oul’autre,marmonneBrit.Le secret, c’estd’apprendreàavoirconfianceensoietàallerdel’avant.

Je pense àmon carnet plein de chansons, à ce super concours auquel j’ai troppeur departiciper.

–Pourmoi,c’estencoreautrechose,jesoupire.C’estpéniblequandlesautresépientlemoindredetesfaitsetgestes…

– Ah oui, répond Brit en me regardant. Ton frère… Les gens te harcèlent à cause deDex?

– Pas juste Dex, je soupire. La carrière de Blake est en train de décoller aussi. Sonpremier vrai film sort à Noël. Il ne peut pas aller boire un café sans être suivi par lespaparazzi.

– Je ne supporterais pas de vivre comme ça, répond Brit avec une grimace. Toujourspimpanteet tiréeàquatreépingles.Lematin, je suisau radar,àpeine si je suis capabledemettremonT-shirtàl’endroit.

– Je vois ce que tu veux dire, je souris. Ils nous ont pris en photo, à L.A. J’avais l’aird’avoircouruunmarathon,lesjouesenfeuetdégoulinantedesueur.

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–Laville,trèspeupourmoi,jerestefidèleàBeachwoodBay,mercibien.–Çadoitêtregénialdegrandirici,jeremarque,avecunsoupçond’envie.–Netelaissepasimpressionnerparlesjoliespetitesboutiquesettoutlefolklore,ricane

Britenmemettantengarde.Parfoisc’estpénible,parcequetoutlemondesaittoutsurtoutlemonde.Çam’exaspéraitquandj’étaisgamine,ajoute-t-elle,etsonsouriresefane.Tuasvitefaitdeteretrouveravecuneréputationicietc’estcompliquédes’endébarrasseraprès.

–Tucroisquec’estpourçaqueRylandestparti?,jel’interroge,curieuse.Pourprendreunnouveaudépart?

– Je suppose qu’il avait ses raisons, répond Brit, songeuse, toujours ses aiguilles à lamain. J’étais trop jeune à l’époque pour vraiment savoir ce qu’il avait dans la tête. Je saisqu’Emersonet luisedisputaientsouvent,maisenfaitonn’étaitpastrèsproches, luietmoi.Pour te dire la vérité, c’est tout juste si je l’ai reconnu quand il a débarqué, la semainedernière,ajoute-t-elle. Jeveuxdire,physiquementnon, iln’apas tropchangé, saufqu’il faitde lamuscu et qu’il est plus baraqué, dit-elle non sans ironie.Mais ce n’est pas ça… Il y aautrechose.Ilsemble…Plusserein,aujourd’hui.

Je fronce lessourcils.Jene trouveriendesereinauRylandque jeconnais.Touten luiestchaos,passion,puissanceetdésiràfleurdepeau.

Britadûcaptermaperplexité,carellemeregardebizarrement.–Maisj’ail’impressionquetuleconnaismieuxquemoi…–Non,onestjusteamis.Etencore…–Bien sûr, bien sûr, répondBrit,manifestement peu convaincue, puis elle se replonge

danssonourletetfinitdemarquerlesdernierscentimètres.Voilà.Qu’enpenses-tu?Jemeretournepourmeregarderdanslemiroir,calécontrelemur.–Wow,jechuchote,impressionnée.Cetterobeestsplendide,unelonguerivièredesoie

quiserépandsanslemoindrefauxplisurmoncorps,avecunmagnifiquedécolletéplongeant.–C’estparfait,ditBritàvoixbasse.Complètementenaccordavectonteint.Je regardemon reflet.Ondirait que jem’apprête àmarcher vers l’autel pourdire oui.

Bon, j’aidescernes, c’est sûr,et les cheveuxunpeuenpétard,mais cette robea suffiàmemétamorphoserenquelquechosedepur,debeau.

Jem’interroge:aurais-jeressembléàça,lejourdemonmariageavecConnor?Ilm’ademandémamainunebonnedizainedefois.Solennel,avecunebagueenplastoc

trouvée au fond de la boîte de céréales, l’anneau d’une tringle à rideau ou encore cettealliance en argent, dénichée au marché aux puces, au Mexique. C’était devenu une blagueentrenous,n’empêche,j’enétaissûre,unjour,ilmeferaitsademandepourdevrai.

La dernière fois que je l’ai vu, il m’a suppliée de rester. Enme jurant que tout seraitdifférent,àl’avenir.

–«Tuestoutemavie,m’a-t-ilditcejour-là,lesyeuxfousetdésespérés.Bébé,jen’aiquetoi…»

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Maisc’était troptardpour lespromesses. Ilm’avaitbrisé lecœurtantde fois.Mêmelabaguenemeferaitpaschangerd’avis,unepièceexceptionnelle,avecdiamanttailleprincesse.Dansunaccèsdecolère,ill’abalancéeparterreaumomentoùjesortais,enhurlantquejeleregretterais.Quenousleregretterionstous,unjour.

C’estcequis’estpassé.–Tegan?LavoixdeBritm’arracheàmespensées.Ellemeregarde,l’airinquiet.–Çava?–Ohoui,désolée…Je secoue la tête tout en remettant sous clémes souvenirs de Connor dans une petite

boîtebienenfouiedansuncoindematête.–Tuesvraimentsuper,c’estuntravailmagnifique.–Merci, sourit Brit. Etmerci aussi pour ton aide. Je sais, je ne t’ai pas trop laissé le

choix,maisj’apprécie,vraiment.–C’étaitchouette…Je lui fais face, déjà prête à retirer la robe, quand je le vois, lui, Ryland. Appuyé

tranquillementàlaporte,entraindenousobserver,sansunmot.Ceregard…Moncœurdérape,s’affole.Regardnoiretardent,regardd’envie,dedésirà

l’état brut. Ilme fixe,medévoredes yeuxavecuneadmiration comme jen’enai jamais vuavant. D’une intensité absolue, et j’ai le sentiment qu’une étincelle suffirait pour quel’électricitéentrenouscrépiteetquetouts’embrase.

Jeretiensmonsouffle.Endépitdelarobe,jemesensnuesoussonregard.Britseretourne.–Depuisquandes-tulà?–J’étaisjustevenuadmirertontalent,répondRyland,avecunsouriredésinvolte.Il s’avance, etmon cœurn’en finit pasde caracoler, après ce regardentrenous.Puis il

approchesamainetinstinctivement,jerecule,lecorpstoujoursenfeu.Ilmeregardealorsavecperplexitéet jecomprendsqu’ilveut justem’aideràdescendre

del’estrade.Jeprendssamain.Etjesenslachaleurdesapeauquimepénètretoutentière,jusquedansmesveines.–Merci,jechuchoteendétournantlesyeux.J’arrachemamain à la sienne, je suffoque, attrapemes vêtements sur le banc. Jeme

précipitedanslecouloirjusqu’àlasalledebains,sansunmot,etclaquelaportederrièremoi.Ques’est-ilpassé,là?Je tente de reprendre mon souffle, encore bouleversée, mais impossible d’oublier le

regarddeRyland, commemarquéà l’encre rougedansmonesprit. Jamaispersonnenem’aregardéeainsi,commesij’étaisquelquechosedetellementprécieux,tellementparfait.

Commesij’étaistout.

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Personne,jamais,nem’afaitmesentiraussiconscientedemoncorps,del’énergieetdelachaleurenactiondanschacunedesmoléculesdemonorganisme.Jenemeseraispassentieplusvivantes’ilm’avaitbardéedesanglesetenvoyécentmillevoltsdanslecorps.

Toutçaenunsimpleregard.Je fais en sorte de zapper ce qui vient de se passer. Je retire la robe demariée avec

précautionetlaposesurledossierd’unechaise.Jeremetsmapetiterobed’été,ramasseplusoumoinsbienmescheveuxenunpetitchignon.Sorsdelasalledebains,surmesgardes,àpeuprèsremisedemesémotions.Çan’avaitrienàvoiravecmoi,jemerépète,c’étaitjustelarobe.J’imaginedeschoses,lesnerfsàfleurdepeau,entremeshormonesetmessouvenirs.

PuisRylandposesonregardsurmoiquandjeréapparaisdanslesalon,etjeréaliseavecangoissequejen’airienimaginédutout.

Ilyalamêmeintensitédanssesyeux,lamêmepénétrationquifaitvolerenéclatstoutesmesdéfensesetmemetànue.Commeécorchéevive.

–…etça,jel’aifaitpourunecliente,l’annéedernière…Britestentraindeluimontrersonbook,unesériedephotosetcroquis.Rylandreporte

sonattentionsurlescréationsdesasœur.–C’estdingue,dit-il,admiratif,toutenluiébouriffantlescheveux.Ondiraitbienqueles

genssebousculentpourtravailleravectoi.Tuasréussi.Brithausselesépaules,l’airgêné.– Bof. En fait, si j’ai autant de clientes, c’est bien grâce à Hunter. Elles croient toutes

qu’en s’adressant à moi, il va les introduire dans le cercle très mondain où évoluent sesparents.

–Netedénigrepascommeça,insisteRyland.Tuasparcouruunsacréboutdechemin,depuis le tempsoùtubricolaisdes fringuesdénichéesauxpuces, làsur le tapisdusalon.Jesuisfierdetoi,ajoute-t-ilavecdouceur.

Britrougit,feintl’indifférence,toutens’affairantàrangersonmatériel.Maisjevoisbiencetteexpressionsursonvisage.Ellen’estpasdifférentedemoi,dèsqu’ils’agitdenosfrères.On peut les critiquer et râler contre eux à longueur de temps, au final, tout ce qu’on veut,c’estqu’ilssoientfiersdenous,etnepasleurfairedepeine.

Britm’aperçoitàcetinstant.–Oh,super,tut’eschangée…Elles’approche,prendlarobequ’elledéploieavecsoinsurlatable.–Tuétaissublimededans,dit-elle.Etjenedispasçaparcequec’estmoiquil’aifaite.Jesouris,sensencorelabrûlureduregarddeRylandsurmoi.Alorsquejenesaismême

pass’ilcontinueàmeregarder.Ceregard,ilvamehanterdesjoursentiers.–Onpourraitserevoir,quandjeseraimoinsà labourre,suggèreBrit.Maisd’abord, je

vaisdevoirtravaillernon-stoppourterminerdanslesdélais.Tuserasdanslecoin,lasemaineprochaine?

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–Oui,biensûr.–Super,répondBritquivientmefairelabise.Rylandvateraccompagner.Mon cœur se rétracte. Je le regarde en tressaillant. Me retrouver seule avec lui, juste

après ce qui vient de se passer, est un risque que j’hésite à prendre. La tentation est tropévidente,tropforte.

–Tuavaislaissétonvéloaugarage,expliqueRyland,sansdétachersesyeuxdesmiens.Ilestdansmonpick-up.

–Merci,jechuchoteetjebaisselatête,jem’enveuxd’êtreaussimalàl’aise.–Bon,ehbien,jenevousretienspas,déclareBritenclaquantlesmains.Si elle perçoit la tension entre Ryland et moi, elle n’en laisse rien paraître. Elle nous

accompagnesurlepasdelaporte.–Toi,appelle-moidemain,dit-elleàsonfrère, jepourraisbienavoirbesoindecertains

trucs.Tun’aspaslechoix,tudoistefairepardonnerpourcesseptansd’absence.–Bien,m’dame,répond-il,sourireencoin.Brit à nouveaume remercie pourmon aide, puis elle ferme la porte et on se retrouve

seulssousleporche.Unangepasse.Jen’arrivepasàleregarder.Jen’arrivemêmepasàbouger.–Bon,ehbien…,murmure-t-iletsavoixestcommedumielquimedégoulineraitlelong

dudos.Jevaisteramener…–Euhoui,jechuchoteencroisantlesbras.Ilfaitquoi,25degrés,etlesoleilbrille,maisjenepeuxpasm’empêcherdefrissonnerà

lesentirsiprès.Jeregardedroitdevantmoiet faisunpremierpasendirectiondupick-up,puisunsecond.

Tout va bien se passer, je me motive. Tu montes dans son pick-up et tu le laisses teraccompagneràlamaison.Cinqminutes,grandmaximum.Tuvaspouvoirteretenircetemps-là,non?

–Oualors…ÀlavoixdeRyland,jemefige.Etmetourneverslui.Ilestlààattendre,tellementbeau

avecceT-shirtblancetcejean.–Onpourraitallerailleurs.–Oùça?,jedemandeenessayantdegagnerdutemps.Commesisaréponseétaitsusceptibledefaireunedifférence.Parcequedetoutefaçon,

jelesuivrailàoùildécideradem’emmener,jusqu’auboutdelaTerresiçalechante.Toutça,àcausedelafaçonqu’iladevoirenmoi.

Tuesfoutue,TeganCallahan.Foutueettuvasau-devantdegravesennuis.– Quelle importance ?, me sourit-il et je sens mes dernières résistances qui cèdent,

s’effilochent.

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Moncœurs’emballedevantluietjelejure,jepourraisoublierjusqu’àmonnom,tantjesuisenvoûtéeparlespromessesquiscintillentdanssesyeuxnoirs.

–Partonsàl’aventure…

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12.

Ceque j’adoraispar-dessus tout, c’était rouler auhasarddes routesavecConnorauvolant.J’adoreconduirepourtant,maisjemesentaisbiensurcesiège,toutprèsdelui,samainposéesurmacuisse, jeme sentaisprêteà le suivre commeçaauboutdumonde.Vitresbaissées,musique à fond. J’en frémis encore de ces nuits d’été, du temps de mon adolescence. Leréservoirpleinàcraqueretrienquelaroutedevantnous,àpertedevue.Onallaitauborddel’océanetonfaisaitl’amoursurlabanquettearrière.OnsebaladaitsurMulhollandDrive,au-dessusdescanyons,justepouradmirerleslumièresdeL.A.

Pourmoi, lemonde entier se résumait à ces instants, dans cette voiture. Connor, unemainsurlevolant,sisûrdelui,ilétaittoutcedontj’avaisbesoin.

Et c’est là, sur ce siège passager, que j’ai compris la toute première fois que quelquechose ne tournait pas rond. On rentrait d’un concert, un dimanche matin de bonne heure.Connor était encore électrisé, exalté. Après avoir joué devant son public, il était toujoursfébrilemaislàc’étaitdifférent,commes’ilétaitenébullition,commeauborddel’implosion.

–Tuasdéjàvuquelquechosed’aussibeau?,m’avait-ildemandé,commeonarrivaitausommetd’unecolline.

La route à cet endroit se rétrécissait et les virages en épingle frôlaient le vide. Unprécipiceànotredroite,toutlelongdelaroute,plongeantdroitsurlavalléeendessous.

–Jamais,avais-jerépondudansunbâillementtoutenmêlantmesdoigtsauxsiens.– Les mecs qui perdent le contrôle ici, c’est direct en bas, avait remarqué Connor, le

regardrivésurl’horizon.Imagine,cepaysage,çaseraitladernièrechosequetuvois…J’aisentilavoitureprendredelavitesse.–Connor…Je l’avais regardé, inquiète. Puis il avait pris un virage trop serré et là, je m’étais

carrémentaccrochéeausiège.–Connor,ralentis!–Détends-toi,bébé…

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Connoravaitencoreaccéléré,enchaînant lesviragesàtoutevitesse.J’avais l’impressionquemoncœurallaitexploser,jesentaislapaniquemonterenmoi.

–Jet’enprie,tumefaispeur!–Calme-toi!,avait-ilri.Tulesens,là?Puis tête rejetée en arrière, il avait pousséunhurlement, le cri d’une bête sauvage. La

voitures’étaitdéportéeaumilieudelaroute.–Connor!Je lui avais remis les mains sur le volant, mais il n’avait pas redressé, il avait juste

continuéàroulercommeçaenpleinmilieudecetteroute,danslanuit,négociantàfondunautrevirageenépingleàcheveux.

100…110…130…Lecompteurn’enfinissaitpasdegrimper.J’avaissentilepicotementdessanglotsdansmagorge,alorsquelaterreurs’emparaitpeuàpeudemoi.

Puisilyaeul’éclatdecesphares,justeenfacedenous.–Connor!,j’aihurlé,enmecachantlevisageentrelesmains.Impossiblederegarder,c’étaitau-delàdemesforces.Etàladernièreseconde,iladonnéuncoupdevolantetnousaramenéssurnotrevoie.

L’autrebagnolenousacroisésavecuncoupdeklaxonrageur.Jen’arrivaisplusàrespirer,souslechoc.–Maisputain!Tuasprisquelquechose?!,m’étais-jeécriée,tremblante,enluidonnant

uneclaquesurl’épaule.Tuauraispunoustuer!–Quoi?Maisnon.Nefaispastachochotte,avait-iléclatéderire,indifférentàmapeur,

àmeslarmes.Jesuisinvulnérable,putain!Et il s’était remis à hurler. À cet instant, je l’ai vu dans ses yeux, j’ai compris qu’il le

croyait,qu’illecroyaitvraiment.Cefutledébutdelafin.

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13.

Jem’éveilledecesouvenir,commed’unrêve.Lecœurbattantàtouteallure,letempsquejereprennemesesprits.C’estRylandquiconduit,pasConnor.Etlaroutedevantnousestlarge,toutedroite,lesoleilbrille.

Lepasséestderrièremoi.J’inspiredoucement.Jemesensmalàl’aiseàcausedemesémotions,commesijedevais

fairemieux.Êtreplusforte.–Jepeuxmedébrouillerseule,tusais,jedéclame,surladéfensive.Lesmotss’échappentdemabouche,sansquejepuisselesretenir.Rylandmeregarde,hausseunsourcilperplexe.Jerougis,craignantdepasserpouruneingrate.–Cequejeveuxdire,tuasbeaufaireletaxietm’emmenericietlà,nevasurtoutpaste

fairedesidées.Jen’aipasbesoinquel’onvoleàmonsecours.– Je n’en doute pas, rigoleRyland.Àmon avis, si le prince charmant s’amenait, tu lui

enverraistonpoingdanslafigure.Nonsansluiavoirdonnéunbaiseraupréalable,ajoute-t-il,avecunsourireespiègle.

Jeme tournevers lavitre.On suit la routenationale le longde l’océan,pouralleroù,mystère.Etalorsqueleskilomètresdéfilent,jemedemandesijen’aipascommisuneterribleerreur.

J’aienviedeluietunechoseestsûre,jenedevraispas.–Oùva-t-on?–Jet’emmènedînerquelquepart,répondRylandaveccalme.–Mais…Ilestàpeinedix-septheures.–Jesuissûrquel’onvatrouverunmoyendes’occuperd’icilà,dit-ilens’étirant,détendu

–alorsquemoi,j’ailesnerfsàvifetjeressenstoutàdeuxcentspourcent,lemoindregeste,lemoindrecaillousurlaroute.

Ressaisis-toi,Tegan.C’estjusteundîner.Mêmepasunrendez-vous.

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J’ensuisencoreàtenterderespirernormalement.Àmedemanderpourquoi jemesensaussiàcrancommeça,avec justece levierdevitessequinoussépare.J’aigrandiaumilieudesgarçons,j’aipassélamoitiédemavieentouréedesamisdemonfrère.Desmecscanons,entouteobjectivité,del’avismêmedeZoey.Jen’airiendelaviergeeffarouchéequineseraitjamaissortieavecungarçon.

Sauf…Connor,c’étaitConnor.Etàpartlui,iln’yenapaseuvraimentd’autres.Biensûr,quand

tout s’est cassé la gueule, jeme suis réfugiée dansma bulle, j’ai cherché du réconfort dansl’alcool, les cachets et les aventures sans lendemain. Avec des types dont je ne garde qu’unvaguesouvenir.Moncœurn’ajamaisconnuqu’unseulhomme,moncorpsaussietlecontactdeseslèvressurlesmiennes,lepoidsdesoncorpssurlemien,sesbrasquimetiennentdanslanuit.

Jusqu’àRyland…Cebaiser entrenous, àVegas, cen’était rienquede l’instinct,une sensationenivrante.

Une façonde tout balayer, tout nettoyer pour remettre le compteur à zéro. Problème, ça aévoluéenquelquechosedeplus…Debeaucoupplus.

Enprincipe,cegenrede rencontrenevouspoursuitpas jusquedansvotre sommeildessemaines après, la chaleur de ces baisers ne vous hante pas. Ce genre de garçon n’est pascensé vous embrasser sur le bord d’une route et vous faire fondre avec l’intensité de sonregard.

Jemesuispourtantfaitlaleçon,pastouche.Maismerevoilààmonpointdedépart.EnroutepourDieusaitoù,etcesontlesmainsd’unautresurlevolant.

Cettefois,jepriepourqu’ilnenousenvoiepasdirectementdansleprécipice.–Jedonneraistoutcequej’aipoursavoircequisepassederrièrecesyeux-là…La voix de Ryland se glisse dansma tête et je le regarde. Sur ses lèvres, un sourire à

tomberparterre.–Bon,jeparledevingt-cinqdollars,pasplus,ajoute-t-il.–Oh,aurais-tulaissétachemiseàVegas?,jedemande,curieuse.Est-cepourcetteraison

quetuesrentré?–Non,répond-il.Enfait,j’aimêmegagné.Ledroitdeprendreunnouveaudépart.–Unnouveaudépart?Enrevenantàtonpointdedépart?,jeréplique,narquoise,mais

intriguée.–Toutà fait.Ça fait trop longtempsque je fuismesproblèmes. Iln’estpasdemeilleur

endroitpourseposerquelàoùtoutacommencé…Ilpianoteunmomentlevolant.–Ettoi,princesse?Tuasunchez-toi,unendroitoriginel?–Jenesaispas…LorsqueAshestentréàl’écoledecommerce,onadéménagéàL.A.et

onyestresté.MaisL.A.n’estpasvraimentcequel’onpeutappelerunchez-soi,luidis-jeen

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me rappelant les centres commerciaux et les rocades embouteillées, les propriétés privéesprotégéesdehautesmuraillesetlesruesdésertées,lanuitvenue.

–Ettesparents,ilsviventoù?,m’interroge-t-il.–Ils…J’étaisenfantquandilssontdécédés.Iln’yaplusquemesfrèresetmoi.Ilmeregarde.–Désolé,dit-il.–C’étaitilyalongtemps,jerépondsavecunhaussementd’épaules.Unsilences’ensuit,puisilseremetàparler,d’unevoixposée,grave:–On peut dire que j’ai grandi sans parents,moi aussi. C’était leur choix, pas lemien,

maisbon,c’estcommeça.Alorsjesais,c’estpasévident.Jeleregarde,surprise.M’apprêteàluidemandercequis’estpassé,maisquelquechose

meretient.Auxombresquiplanentdanssesyeux,jecomprendsqu’iln’apastrèsenviedeseconfiersurça,pasencore.

Etjemeprendsàespérerqu’illefasse,unjour.Ryland continue de rouler. Et le silence s’éternise entre nous, avec les souvenirs, les

cicatrices.Mesparents,Connor,touslesmauvaischoixquej’aipufaires’abattentsurmoiàcemoment. Ils bourdonnent autour de nous comme une nuée de mouches, comme unedéferlantedeculpabilitéetdesolitudequimenacedem’engloutirdanslesabysses.

Etsoudain,toutçamerévolte.–Faisonsunmarché!,jedéclaresubitement.Onneparleplusdupassénidecequiapu

arriveravantaujourd’hui.Pourlerestedelasoirée,onfaitcommesirienn’avaitexisté,avantquel’onn’arriveàBeachwoodBay.

Rylandsemblesurpris,puisilsourit.–Jesuisd’accord,acquiesce-t-il.Lapageblanche.– La page blanche, je répète en écho, déterminée, et ça suffit pour que les ténèbres se

dissipent,s’évacuentparlesvitresouvertes,alorsquenousfilonssurlaroute,entrechampsetboisàpertedevue.

J’inspireà fond,m’emplis lespoumonsde l’airvivifiantde l’océan.Unair tonique,pur.Justepourcesoir,jevaislâcherprise.Pourvoircequeçafaitdelaisserlepasséderrièresoi.Jem’yemploiedepuisdesmois,sanssuccès,etsijemesuisfaitlesermentdenepasutiliserRylandpourmedistrairedemasouffrance,aujourd’hui,çasembledifférent.Luietmoiavonsdeschosesàcacher,unpassétourmenté.Luietmoiaspironsànousaffranchirdelapersonnequenousavonsété.Alorspourquoinepastournerlapage, justepourquelquesheures?Pasdejugement.Pasdeculpabilité.

Pasderegrets.

Ryland parcourt une soixantaine de kilomètres, plein sud, le long du littoral. Je medétends,calemespiedsnussurletableaudebordetlaisseleventjoueravecmescheveux.À

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laradiosesuccèdentvieuxtubesrocketcountryet,detempsentemps, jefredonnetoutenadmirantlepaysage.

JesurprendsalorsleregardamusédeRylandsurmoi.J’éclatederire.–Oui,jesais,jechantefaux.C’estDexquiaraflétouslesgènesdelamusique.–Jen’airiendit,protesteRyland,hilare.–Peut-être,maistul’aspensétrèsfort.Maisjem’enfiche,j’aitantd’autrestalents.–Vraiment?EtleregarddeRylandsefaitsuggestif.–Hé!, jem’exclameenluienvoyantuneclaquesurl’épaule.Jeveuxdire,conduirepar

exemple.Oupréparerdescheeseburgers.–Jen’aipaspenséunseulinstantàautrechose,répond-il,toutsourire,unsourirequise

propageàsesyeuxetleurdonnecetéclatquiàchaquefoismebouleverse.–Parlonsdetoi,unpeu, j’enchaîne,presqueàmeliquéfiersur lesiègetant ilestbeau.

Undon,untalentquelconque?–Hmmm,réfléchit-ilunmoment.Lamécanique.Lescartes.Labagarre.– Oui, bon, le bad boy classique, je plaisante, mais ma gorge se serre tant cela me

ramèneàautrechose.–Moi?Nooon,pasdutout, sedéfendRyland.Je te l’aidéjàdit,chérie, jesuisunvrai

nounours.J’éclatederireausouvenirdenotreconversation,àVegas.– Un nounours avec un poing américain dans la poche et trois as planqués dans sa

manche.Rylandquittelanationaleets’engagesuruneroutepoussiéreuse.–Mêmeunnounoursdoitsavoirsedéfendre.–Contrequi?Unegirafeenpeluche?,jeréponds,avantderéaliser.Quelleconversation

débile.–Pasdutout,remarque-t-il.Jelatrouveintéressante,moi.Jesouris,secouelatête.–Bref,oùva-t-on?,jedemandeenapercevantunbâtimentdebriquesunpeuplusloin,

avecdesvoituresgaréesdevant.– Je me suis dit qu’une fille comme toi avait sûrement besoin de se défouler un peu,

répondRyland,énigmatique,enpénétrantsurleparking.J’aiunmomentdeflottement,puisj’aperçoisl’enseigneau-dessusdelaporte.Paintball.–Dupaintball?,jem’exclame,auxanges.Jen’enaipasfaitdepuisquej’étaisgamine!Jedescendsvitedupick-up,avecl’impressionderetomberenenfance.– Pourmon anniversaire, c’était toujoursmonpremier cadeau sur la liste, je raconte à

Ryland qui se dirige vers l’entrée. Ils avaient ouvert un site, à la périphérie de la ville.On

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pouvaits’amuserdesheuresetaprès,onallaitsegaverdehotdogsetdesoda.Etc’estlàquetum’asemmenée,j’ycroispas!

Rylandmesourit.–Tuessuperadorable,tulesaisça?Jeleregarde,troubléequandjelefrôlealorsqu’ilmetientlaporte.Cesétincellesdans

sesyeux,lesoleilenarrière-planquiformecommeunhalodelumièreautourdesescheveuxnoirs.

Ethop,voilàmonestomacquirefaitunsaltoarrière.Cetteimpressionfugitivemequitteaussivitequ’elleestarrivée,etj’entre.–Bien,ditRylandensetournantverslecomptoir.Tuveuxquoi,ungroslanceur,outu

préfèreslestrèsgros?–Nesoispasobscène,jenepeuxm’empêcherdeplaisanteretilrit.–Ah,princesse,àcepropos…–Maisbiensûr,jesoupireetjerismoiaussitoutenlevantlesyeuxauciel.Onnetel’a

jamaisdit?Cen’estpaslataillequicompte.– Oh si, ça compte, insiste Ryland. Mais c’est surtout ce que tu fais avec qui est

important.C’est plus fort que moi, je baisse les yeux sur son jean taille basse qui tombe à la

perfectionsursonpetitcul.Vite, jem’empressededétournerlesyeux.Pasassezrapidementnéanmoins.Iléclatederire.

Priseenflagrantdélit.Les joues en feu, je me précipite pour examiner les lanceurs alignés au-dessus du

comptoir. J’y croispas, ilm’a surprise en trainde lemater.Et alorsque je voudrais que laterre s’entrouvre pour m’avaler tout entière, je sens son corps tout près derrière moi, sonsoufflechaudsurmanuquequandilsepenchepourmechuchoteràl’oreille.

–Situasenvied’unedémoenprivé,tun’asqu’àmesonner.–Merci,mais dans l’immédiat, j’ai d’autres projets, je réplique sur un ton que j’espère

désinvolte.Commedetemettreuneracléeaupaintball,parexemple.– Ah, ah,mademoiselle aime la bagarre ?, répondRyland et je l’entends rigoler. Nous

allonsvoirça,bébé.Nousallonsvoirça.

On enfile nos combinaisons, coudières etmasque, puis on nous lâche sur un immenseterrainhérisséd’obstaclesavecnoslanceursetunstockdebilles.Ilyafouleautourdenous…Unebanded’adosquihurlentetpleindemecs, lavingtaine,crâneraséetarmedepoingenguise de lanceur, un matériel de pro. C’est à peine s’ils nous regardent quand ils passentdevantnousenbeuglantetsejettentderrièredesbottesdefoin,avantdecourirseplanquerdanslesbois.

–Jevaisêtrebonprince.Jetelaissepartirdevant,meditRylandaveccondescendance.Jeremontemonsacdemunitionssurmesépaulesetsouris.

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–Commec’estgentildetapart,jeroucoule.Bon,alorsfermelesyeuxetcomptejusqu’àcinquante.

Ils’exécute.Jedégainemonlanceuret luitiredessus,troisfois,droitdanslarégionducœur.

–Maisputain…!,s’exclame-t-ilenfaisantunbondenarrière,puis ilmevoitsourireetsecouelatête.Oh,ça,tuvasleregretter.

Quandilportelamainàsonflingue,jem’enfuisencourantsansdemandermonrestesurle terrain à découvert. Jusqu’à une botte de foin derrière laquelle je me cache juste aumomentoùunebillemefrôlelecrâne,avantd’allersecrashersurunepalissadederrière.Jeregardevitefaitpouranalyserlasituation.Ilestàunequinzainedemètres,accroupiderrièreune pile de cageots. Quand il me voit, il tire une nouvelle rafale. Je me baisse, rampequelquesmètres derrière la botte de foin puis jeme relève, tire deux ou trois fois dans sadirection,avantdemeprécipiterverslebois.

Discrétion, rapidité et surtout, ne jamais les laisser trop s’approcher pour tirer le coupfatal. Tout en slalomant entre les arbres, jeme récite les commandements du paintball, enquête de la cachette idéale. L’effort physique est si soudain quemes poumonsme brûlent,maisdansmesveines,c’estdel’adrénaline.Unsentimentdeliberté,dejoie.Jenemesuispasamusée comme ça depuis desmois, des années. Et je sens un grand sourire se dessiner surmes lèvres tandis que je recharge mon arme et attends, le cœur battant, que Ryland semontre.

Silence.Jeregarde,méfiante,maispasl’ombred’unesilhouette…Soudain,unebranchecraquederrièremoi,jemeretourne,surprise,justeàtempspourle

voirsurgirdederrièreunbuisson,armeaupoing.–Tumecherchais?,s’écrie-t-il,avantdememitrailleret j’entendslesbillesquisifflent

autourdemoi.– Pas assez rapide, Ray Jay !, je hurle et je réplique avec une rafale, puis m’enfuis à

toutesjambes.Je sens l’impact d’une bille surma cuisse,mais je nem’arrête pas, il est juste derrière

moi. Jem’élance à travers champ vers le bois,mais Rylandme rattrape. Ilme plaque par-derrière et nous tombons. Son corps amortit ma chute et nous roulons par terre dans unemêléedebrasetdejambesavantdenousarrêter,àboutdesouffledanslapoussière.

–Commenttum’asappelé?Il se redresse sur les coudes au-dessus demoi, sourit derrière sa visière. Son front est

tachédepeinturebleueetc’estalorsplusfortquemoi,jeluienétalesurlajoue.–Partonprénom,jerépondsensouriant.Jeletrouvetellementmignon.Il rit, m’attrape les poignets et exécute une roulade, si bien que je me retrouve à le

chevaucher.Lacombinaisonrecouvreentièrementsoncorps,maisjepeuxsentirsachaleur,la

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puissancedesesmusclesentremesjambes.Moncœursemetàbattreplusvite.Couchésurledos,Rylandalesmainssurmescuisses.Ilnebougepas,n’esquissepasun

geste,maisjesenslefluxmagnétiquequiémanedesoncorps,quim’attire,pluspuissantques’ilpesaitsurmoidetoutsonpoids.

Oh,j’aienviedelui.Magorgesenoue.Moncœurdérapealorsquejemepenchedoucement,doucement,sur

lui. Jeplace lesmainsdechaquecôtédesa tête,mescheveuxsedéploientautourdenous,rideaudemèches follesetmaculédepeinture.Unebulle,ununiversrienqu’ànous,à l’abridumonde.

Le regard de Ryland se fait plus noir. Je sens son cœur qui s’accélère tandis quej’approcheencoremonvisagedusien,jel’entendsretenirsonsouffle.

Plusprès…Àcemoment,unepetitevoixvientmerappelerquec’estune très, trèsmauvaise idée.

Petitevoixréduiteausilenceparlesbattementsassourdissantsdemoncœur.Plusprès…Lesdernierscentimètresquimeséparentdelui,jefermelesyeux,puisjel’embrassed’un

baiserlégersurseslèvres.Oh.Ses lèvres sont chaudes contre les miennes, mais Ryland ne frémit même pas. Nous

restonslàcommeensursis,avecnoslèvresquis’effleurentàpeineetmoncorpsquichanteàtue-tête.Jelesens,jelesenspartout,chaqueseconde,chaquepulsation.Lemondeseréduitàcetteréalité,lasaveurdeseslèvres,leurdouceursouslesmiennes.

Puislentement,jem’écarte.–Quefais-tu?,murmure-t-iletjesenslesouffledesesmotssurmabouche.Jeplongealorsmesyeuxdanslessiens,noirabysse,etmenoieeneux.–Jenesaispas, jechuchote,toujoursensouriant, lecorpsencoreparcourudefrissons,

tellementvivant.SurlevisagedeRylandsedessineunsourire.Ilprendmonvisageentresesmains,puis

approchesabouchedelamienne.Ilm’embrasse,avecdouceur,sanshâte,avecunetendressetellequej’enailevertige.Seslèvresontungoûtdemiel.Ilprendsontemps.Jem’abandonnecontrelui,danssesbras,meperdsdanscemomentpurdesoieetdelumière.

Rylandm’étreint,puisilbasculeendouceuretnousnousretrouvonscôteàcôtedanslapoussière.Soncorpsétenducontrelemien,metouchantàpeine,sesmainssilégèressurmapeau.Ilm’embrassecommesij’étaisencristal,commesij’étaislachoselaplusprécieuse,laplusdélicateencemonde.

Riennemeretient.Riennemepresse,nemetourmente.

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Je flotte dans une brume de baisers et de soleil et pour la première fois, je pressensquelquechose.Jepourraisbienmetrompersurluidepuisledébut.

IlneressembleenrienàConnor.

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14.

Notrepartieterminée,nousretournonsnouschanger.Jemesensbizarre,commeivre,etleregardeà ladérobéependant le court trajet censénousmener, selonRyland, à l’endroit oùl’ontrouvelesmeilleurshotdogsdetoutelacôte.

Quesuis-jeentraindefaire?Jen’enaiaucuneidée,jesaisjustequej’éprouveunétrangesentimentdelibertéaveclui

aujourd’hui, un renouveau, une réincarnation presque. C’est comme si, l’espace d’un après-midi,j’avaischangédepeauetrésultat,j’ailasensationquetoutçamemanquaitdepuistroplongtemps. Cette innocence, en dépit de la chaleur quim’envahit à chacun de ses regards.Chacundesesgestes.

Desesbaisers.–Tuvois,jesaisêtregénéreuxaveclesdames,plaisanteRylandendéposantunplateau

surnotretable,danscesnackquinepaiepasdemine,enbordderoute.Jeris.Ilaprisunebonnedemi-douzainedehotdogs,plusunebarquettegéantedefrites

etdeuxmilk-shakes.–Sijemangetoutça,jevaisêtremalade,jelepréviensenpiquantunefrite.–T’inquiète,jem’encharge,répondRylandetilengloutitunhotdogentroisbouchées,

avantdes’essuyerlabouchedureversdelamain.Je comprends alors qu’il ne plaisante pas et me dépêche de me servir avant qu’il ne

dévoretout.Jeleregardeavalerdeuxhotdogsàlasuitesansmêmeprendreletempsderespirer.–Tuesinsatiable.–Ettun’asencorerienvu,répond-ilavecunsourire.Il a les cheveux trop longs, ils lui tombent devant les yeux et soudain, je brûle de lui

écartercettemèchesurlefront.Jem’emparedemonsodaetenboisunegorgée,tropvite,jemanquedem’étouffer.– Brit est super gentille, je remarque bêtement, en quête d’un sujet de conversation

neutre.

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La sensationdebien-êtrede toutà l’heureadisparuetàprésent, jeme sensnerveuse,oppressée,àfleurdepeau.

–«Gentille»n’estpeut-êtrepas le termeexactpourdécriremasœur, rétorqueRylandavecunsourirenarquois.«Garce»mesembleplusapproprié.

–Vraiment?,jeréponds,perplexe,enrepensantànotreaprès-midiensemble.–Oh,maisellesebonifieavecl’âge,remarqueRylandengobantunefrite.Qu’est-ceque

tuveux,c’estcommeçaquandturencontreslegrandamour…–Dex, c’estpareil, jenoteavecunsourire.Si tu lesvoyais luietAlicia,yadequoi te

rendremalade.–Et toi ?,demande-t-il,désinvolte, en regardantderrièremoi lesgens sur lesbancset

autourdetablesdepique-nique.C’estqui,l’amourdetavie?Jeretiensmonsouffle.–Encemoment?,jeplaisante,esquivantlaquestion,avantdepasseràautrechose.Ce

milk-shakeestgénial.Rylandplongesesyeuxdanslesmiens,visiblementiln’estpasdupe.– Et toi ?, je lui retourne la politesse. Je suis sûre qu’elles sont des dizaines, le cœur

brisé,entreicietVegas.–Oh, ce n’est pasmon genre, princesse, dit-il dans un éclat de rire. Je vais être franc

avectoi,enfait,jen’aijamaisétéamoureux.Ilditçaavecdétachement,commes’ilparlaitdelamétéooududernierrealityshowàla

télé,cetteconfidencemeprendtoutdemêmeparsurprise.J’auraiscruqu’ungarçoncommeluiavaitdûtomberamoureuxunebonnedizainedefois.Pendantunmoment,jel’envie.

–Tun’asdoncjamaiseulecœurbrisé,dis-jedoucement.Tantmieuxpourtoi.Jesensànouveausonregardsurmoi,perplexe.–Comments’appelle-t-il?Je n’ai aucun besoin de lui demander d’explications. Il veut parler de celui quime fait

souffrir.Quim’arenduesiméfiante.Jesecouelatêteavecdétermination.–Onaconcluunmarché,non?Lescompteursàzéro.Avantcettesemaine,pasdepassé.–D’accord,soupire-t-ilavecunsourirecontrit.Dis-moiunechosequandmême,si tu le

pouvais,remettrais-tuvraimentlescompteursàzéro?J’hésite, essaie de réfléchir demanière objective. Effacerais-je toute cette partie dema

vie, si c’était possible ? Est-ce que je choisirais d’oublier toutes ces nuits avec Connor, lesbonnescommelesmauvaises?Depuissilongtempsmaintenantjechercheàtoutoublier.Sesouvenirétaittropdouloureux,lesmomentslesplusdouxentrenousentachésparcequiestarrivéaprès.

Maisenmêmetemps,oùenserais-jesanstoutça?Quiserais-jesi jen’avais jamaisétéaveclui?

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–Non, jechuchoteenenfonçantmesonglesdansmongobeletencarton.Jen’effaceraisrien,saufquelquesmoments,j’ajoute.Àlafin…

Ryland acquiesce d’un hochement de tête. J’essaie d’effacer tout ça de mon esprit, derefoulermessouvenirsdans lepuitssansfonddesténèbres, làoùest leurplace,envain, ilssontlààmetourmenterànouveau,chaped’amertumeetderegret.

Lesoleilàcemomentsefaufilederrièreunnuage.Jefrissonne.–Tuasfini?,demandeRylandendésignantmanourriture.–Vas-y,jeréponds,l’appétitcoupé.Ildévorecequiresteetfaitpasserletoutavecunegorgéedesoda.–Prête?Jehochelatêteet lesuis jusqu’aupick-up,maisaulieudem’ouvrir laportière,Ryland

s’arrêtecôtépassager.Ilmeregarde,mecaresselajoueavecdouceur.– Pardon, murmure-t-il, son regard noir dans le mien. On s’amusait bien et j’ai tout

gâché.–Oh,çava,jerépondsavecunhaussementd’épaules.Jepensequec’estçaleproblème,

aveclepassé.Tunepeuxpasfairecommes’iln’avaitjamaisexistétrèslongtemps.–Jetelepromets,unjour,ladouleurs’atténuera.Je ravale des paroles cinglantes. Que sait-il, lui, des souffrances d’un cœur en mille

morceaux ? Ne l’a-t-il pas reconnu, il n’a jamais été amoureux. Comment pourrait-ilmêmeimaginer ce que Connorm’a infligé, dans quel état de désespoir j’ai pu sombrer encore etencoreàcausedelui.

Commes’ilsentaitmaperplexité,Rylandmesourit.– Le fait que je n’ai jamais été amoureux ne signifie pas quemon cœur n’a jamais été

brisé. Nul besoin d’un être aimé pour te faire souffrir le martyre. Parfois même, c’est pirequandiln’yapasd’amour.

Jemedemandedequiilparle.Auxombressoudainesquiternissentsonregard,j’enailacertitude,ilditlavérité.

– Parfois, jeme demande comment les gens y arrivent, dis-je avec calme. Après avoirsouffert,commentfont-ilspourcontinueràpouvoirouvrirleurcœur,àpouvoiraimer?Sijedevaismettremonâmeànueànouveaupourquelqu’un…

Jemetais.Laperspectivemeremplitdepeur,d’unesourderésignation.–Commentpeut-ontrouverlaforced’aimerànouveauquandonsaitcombiençafaitmal

aufinal?Ilfautêtrefou.Fouounaïf.Jeréalisesoudaincequejeviensdedire,l’aveuquejeviensdefaireàRyland,maisilne

relèvepas.Àmagrande surprise, il se penche surmoi et déposeun tendre baiser surmonfront.Unecaressequimedonnelachairdepoule.

–Parfois, c’est simple,murmure-t-il aprèsunmoment et c’est plus fort quemoi, jemelaisseallercontrelui.Situsouffresautant,c’estpeut-êtreparcequ’iln’étaitpasfaitpourtoi.

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Ses paroles finissent parme faire craquer, je sens les larmes qui s’amassent dansmesyeux,mebrûlent.Siçaaétésicompliqué,c’estàcausedelaculpabilité,parrapportàcettefoi malsaine en nous, cette certitude que nous étions destinés l’un à l’autre. Si seulementj’avaispulereteniravantlachute.

Siseulementj’avaissuffisammentaiméConnorpourlesauver.Je le saisaujourd’hui, c’étaitde l’utopiepure. Iln’yapasde salutpour leshommesde

sonespèce.Mais j’aurais pume sauvermoi-même, cent fois aumoins, si seulement j’avais été plus

lucide,pluscourageuse,plusforte.J’auraispum’épargnertantdesouffrances.–Hé,murmureRylandet il noue sesbras autourdemoi,me serre contre lui.Tout va

bien,dit-ilavecdouceurenmecaressantlescheveux.C’estfinimaintenant.Fini.Jemeblottiscontrelui,maiscen’estpasdelatristessequejeressensàprésent,jesuis

apaisée, soulagée.D’être làavec lebruitde la circulation justeàcôté, le soleilqui tape surmesépaules,l’odeurdefritesquisaturel’airautourdenous.

Je me sens vivante. Heureuse. Est-ce que cela fait de moi quelqu’un de mauvais ? Jel’ignore.Toutcequejesais, icietmaintenant,c’estquecechapitreobscuretdouloureuxdemonexistenceestclos.Etquej’aiunechanced’yarrivercettefois.Dechoisirunhommequisauramefairemesentirmieux,paspire.Unhommequisauramerassureretm’aimer,quinerisquepasàtoutinstantdedevenirunautre.

Oui,aujourd’hui,j’aiunesecondechance.EtConnor?Connor,lui,avaitépuisétoutesseschancesdepuisbienlongtemps.Jereprendsdoucementmonsouffle,m’écartedeRyland.Sesbrasm’étreignenttoujours.

Çasembledéjà tellementévidentqu’ilme tienneainsi contre lui, c’est incroyable.Desmoisquejemesenscassée,quejerepoussetoutetendresse,quejefuistoutemarqued’affectiontelunanimalblessé.

PourtantRylandm’enlacecommesic’étaitlachoselaplusnaturelleaumonde.–Çavamieux?L’échodesavoixmefaitvibrer,jehochelatêteenesquissantunsourire.–Jesuisdésolée,jenecomprendspascequis’estpassé,jeréponds,embarrasséesoudain

aprèscemomentdefaiblesse.Passercommeçad’auborddeslarmesàuneétrangeeuphorieenmoinsdedixsecondes

chrono.Ildoitmeprendrepourunecinglée.MaisRylandhochesimplementlatête.–Parfois,toutcequetupeuxfaire,c’estattendrequelatempêtes’éloigne.Jeluisouris,espiègle.–Tuparlescommemapsy. Ilsnousserinaienttousdegrandesthéoriesdecegenre,en

curededésintox.

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Rylandsefigecontremoi.Jesenstoussesmusclessecrisper.–Curededésintox?Merde.Lagorgenouée,jeleregarde.J’hésite,tremblante,puisjechuchote:–J’yaipasséunpetitmoment,unpeuplustôt,cetteannée.Je cherche son regard, espérant trouver dans ses yeux de la compréhension, mais

soudain, c’est comme s’il avait tombé lemasque.Disparu le sourire réconfortant, complice.Rylandmedévisageavecfroideur.

–Pourquoinepasmel’avoirditavant?– Ce n’est pas quelque chose dont je suis particulièrement fière, dis-je en baissant les

yeux.Ilmerepousse,s’éloigneetjetressaille,privéedelachaleurdesoncorps.– C’était juste une cure de quelquesmois, jem’empresse d’expliquer. J’avais besoin de

temps,deprendredureculparrapportàcertaineschoses…–Tun’aspasàtejustifier,répondsèchementRylandendétournantlesyeux.Ondevrait

rentrermaintenant.Tuesprête?Il n’attendmême pasma réponse, il contourne le pick-up pour semettre au volant et

claquelaportièrederrièrelui.Jesensmoncœurquiserétracte.Lemessage est on ne peut plus clair. Tourner la page ? Tu parles. Le passé pèse une

tonnesurnous,impossibledes’endéfaire.J’aitoutgâché.

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15.

Ryland

Les mots n’en finissent pas de se télescoper dans ma tête, avec l’énergie d’une tornade,balayant tout,nos fous rires, cebaiserd’une tendresse infinie.Souvenirs réduitsànéant,neresteplusquecestroismots.

Curededésintox.Merde.Je tiens le volant si fort quemes doigts virent au blanc, je dois prendre surmoi pour

gardermonsang-froid.Lesentimentdetrahisonestécrasant.Toutl’après-midi,j’ainagédansuneespècedebéatitudefaceàsajoie,salégèreté,tirantdéjàdesplanssurlacomète,voilààquoi ça ressemblerait, nous deux. J’avais le pouvoir d’effacer cette noirceur dans ses yeuxcouleurdenuit. J’avaisgagnésaconfiance, jepouvais savourerchacundesesbaisers. Je luiferaisoublierceluiquil’avaitblessée.

Je lui montrerais ce que ça signifiait d’être touché par quelqu’un qui vénérait chaqueparcelledevotrecorps,àquoiçaressemblaitdes’affranchirdesesultimespeurspourenfinseretrouverenvie,entieretlibre.

Maisça?Ça,c’estautrechoseetc’estcommeunrazdemaréequim’asubmergé,noyantle désir sous une déferlante de doutes. Pourquoi neme l’a-t-elle pas dit plus tôt ? A-t-ellecherchéàmelecachertoutcetemps?

Je sens le regard de Tegan sur moi, mais je garde les yeux rivés sur la route, roulecommeunfoupourlaramenerleplusvitepossiblechezelle.Avantdelaregarderànouveauetd’êtreaspiréunefoisdeplusdansl’immensitédesesyeux.Impuissant.Avantd’oublierqu’iln’yaaucunespoirpournous,maintenant.

C’étaitfiniavantmêmedecommencer.Jefreineàfond,prendsl’alléeetmegaredevantsamaison,faceàl’océan.Silence.

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–Mercidem’avoirramenée,ditTeganaveccalme.Etpourlaséancedepaintballaussi.Jemesuisbienamusée.

Jehochelatête,toujourssanslaregarder.–Oui.Avecplaisir.Mais elle n’a pas l’air de vouloir bouger, puis je réalise. Le vélo. Il attend sagement à

l’arrièredupick-up,làoùjel’aibalancéunpeuplustôt.Merde. J’étais tellementheureuxde ce rendez-vous surprise avec elle, d’avoir enfinune

chancedepouvoirpercer sesdéfenses. Jevoulais luioffriruneparenthèse,un répit, effacercesombresdesonregard,justequelquesheures.

Je n’aurais jamais dû m’emballer comme ça. Si je n’avais pas vu cette joie innocenteilluminersonvisage,si jen’avaispasgoûtéaumieldesonbaiser,à ladouceurdesoncorpssurlemien,alorspeut-êtrequejeneressentiraispascettedouleur,cettecolèreenmoi,acide,lancinante.

Entrevoir leparadis commeça, juste avantqu’il ne s’effondre la seconde suivante, c’estpirequetout.

Jedescendsdupick-up,attrapesabécanequejeposesansménagementdevantelle.– C’est bon, tu as tout ce qu’il te faut ?, je demande, agressif, toujours en fuyant son

regard.–Ryland…LavoixdeTeganvacille.Jelèvelesyeux.Merde.Ladouleursursonvisagemefaitl’effetd’uncoupdepoignardenpleincœur.Elleestlàà

meregarder,désemparée,vulnérable.Elleserrelesdents,sansdoutepournepaspleurer.J’aienvied’allerverselle.Denouermesbrasautourd’elleetdeluipromettrequetout

va bien se passer. Mais ce serait mentir et mon cœur ravagé ne peut supporter une autresouffrancecommecelle-là.

– À un de ces jours, je marmonne, je lui tourne le dos et remonte dans le pick-up,démarrepuisjem’envais,piedauplancher,sivitequ’unnuagedepoussières’élèvederrièremoi,effaçantsonvisagedansmonrétro,etj’accélèreencore,jusqu’àcequejesoisensécurité.

Loin.Jerentreàlamaison.Macolèreesttombée,neresteplusquelesregrets.Unejournéederêve,etvoilàcommentçasetermine.Jesuisunsalauddeluiavoirfait

malcommeça,maisquepouvais-jefaired’autre?Quandellem’aparlédecurededésintox,c’estunebombequim’aexploséenpleinegueule,réveillantuntasdesouvenirsquejepensaisenfouis, inertes,me forçantà repenserauxpages lesplus sombres, lesplusdouloureusesdemonexistence.

Ilesthorsdequestionquejereviveça.

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J’arriveàlamaison,maisj’aperçoisunevoituregaréeàcôtédustockdeplanchesetdessacsdeciment.Unefractiondeseconde,j’ailanausée.Driskell.Commenta-t-ilpuretrouvermatraceaussivite?

Puis je reconnais la silhouettegraciledeBrit qui attendaupiedduporcheàmoitié enruines,brascroisés,l’airperdudanssespensées.

– Hé !, je l’appelle en descendant de bagnole, puis mon soulagement laisse place àl’inquiétude.Toutvabien?

–Alors, ce rendez-vous du siècle ?,medemande-t-elle en guise de réponse. Je pensaisquetunerentreraispasdelanuit.

–Quelleidée,jerépondssèchementenlarejoignant.Çanerisquepas!Britmedévisageavecinsistance,maisnefaitaucuncommentaire.–Jenesuispasrevenueicidepuisdesannées,dit-elleenregardantlamaison.Jenesais

pas à quoi je m’attendais. Mais elle est restée comme dans mes souvenirs. Comme si rienn’avaitchangé.

–C’esttoutlecontraire,jerépondsenl’observant.Elle semble sur la défensive et a une façonde fixer la porte d’entrée, comme si à tout

momentrisquaientdesurgirlesfantômesdupassé.Jemerappellemespremièresimpressionsàmonretour.Lessouvenirssonttoujourspiresquelaréalité.

–Viens…Jeluitendslamainpourl’aideràgravirlesmarchesdéfoncées.–Jevaistefairevisiter.Brit semble réticente, mais finit par me suivre à l’intérieur. Elle regarde autour d’elle

pendant que je vais nous chercher deux bières dans la glacière que j’ai planquée dans lacuisine. J’aidégagé lesgravats,abattu lespartiespourriesdu toit.Laplaceestnette, jen’aiplusqu’àreconstruiremaintenant.

Brit inspecte l’avancée des travaux et se dirige vers la pièce qui était autrefois sachambre.

–Maisqu’est-cequetuasfait?,s’exclame-t-elle,surprise.–Jesais,jerépondsenriant.Maislesmursnetenaientplusdebout,alorsj’enaiabattu

deux. Je vois bien un espace ouvert, décloisonné, salon, salle àmanger et cuisine…, je luiexplique, en faisant de grands gestes. Bon, c’est un projet, parce que je n’ai pas commencéencore,maisunjour…

Jemetais,priepourqu’ellenesefâchepas.C’estunechosedereveniricietdedéfoncercettemaisondefondencomble,maisBritasonmotàdire,elleaussi.Merde,elleavécuicipluslongtempsquemoi,justeEmersonetelle,aprèsmondépart.

–Unprojetambitieux…LavoixdeBritgardequelquechosedeméfiant,maiselleprendlabièrequejeluitends

etme suit dans l’arrière-cour. Elle stoppe net quand elle découvre la tente que jeme suis

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installéesousl’arbredufond.–Tudorslà?,s’exclame-t-elle.–Lamétéoestplutôtclémente,jerépondsavecunhaussementd’épaules.–Pasquestion,ditBritensecouantlatête.Tuvasvenirvivreauranchavecmoi.–Maisce…,jetentedeprotester,maisellemefusilleduregard.–Ladiscussionestclose.J’avaleunegorgéedebière.–Tuesdevenuebienautoritaire,jeremarque,amusé.–Ettoibizarroïde,répondBritdutacautac.–Bizarroïde?,jerépète,perplexe.–C’estquoicedélirededormirsouslatenteaumilieudesbois?Ellemedévisage,commesielleessayaitdemeperceràjour.–D’icipeu,tumedirasqueturenoncesàtoutbienmatérielettupartirasenpèlerinage

àtraverslepayslespiedsnus.J’éclatederire.Ondiraitladescriptiond’unhippie.–Pasdutout,jelarassure.Lesdeuxderniersendroitsoùj’aivécuétaientsuperbruyants.

J’apprécielesilenceici,riendeplus.–Tuveuxdire,aprèsVegas?Unmoment,jemedemandecommentellepeutsavoir.Puisjecomprends.Tegan.–Net’inquiètepas,ellenem’arienditd’autre,ajouteBrit, intriguée.Quefaisais-tu, là-

bas?–Unjobàlacon,jerépondsenrestantexprèsdanslevague.Maisjedétestaisça.Toutce

bruit, la foule, les bagnoles, ça n’arrête jamais. Les néons qui clignotent de jour commedenuit,septjourssursept.Jenem’entendaismêmepluspenser.

–Pourcequetuasdanslatête,ironiseBrit.Jelabousculegentiment.–Attentionàtoi…Jeterevoisentraindegambaderdanscettecourencouche-culotte.Le rire de Brit se fane. Elle me tourne le dos pour contempler la maison, je la sens

nerveuse.–Emersonm’aditquetul’avaisvue…Jen’aipasbesoindeluidemanderdepréciserdequielleparle.J’acquiesced’unsignede

tête.–Est-cequ’elle…?Brits’interrompt.–Jeveuxdire…Ellesetait.–Elleestclean,jedisalorsaveccalme.Britlaisseéchapperunlongsoupir.

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–Elleestcleandepuisdeuxansenfait,jepoursuis.–Commentçasefait?,demandeBrit.– Elle a suivi une cure de désintox et visiblement, ça a marché. Elle vit à Tulsa et

travaillecommesecrétaireouuntrucdugenredansunhôpital,là-bas.Britavaleunegorgéedebière.– Elle ne m’a jamais appelée, dit-elle après un long silence. Pas une fois depuis son

départ. Ni pour Noël ni pour les anniversaires, rien. Alors un jour j’ai décidé de ne plusattendre de ses nouvelles, mais je suppose… Je suppose qu’on ne cesse jamais vraimentd’espérer,non?

Jeposelamainsursonépaule.–Parfois,jemedemandesicen’estpaspourçaquejesuisparti.Elleseretourne,l’airsurpris.– C’est plus facile pour celui qui part, je tente d’expliquer, avec un sentiment de

culpabilité.Denepasresterlààattendrequelqu’unquinerevientjamais.Britsouritavectristesse.–Moi,jet’aiattendu,dit-elleavecdouceur.Merde.J’étreins doucement son épaule, de façon un peumaladroite. Lesmots ne suffisent pas

pourm’excuser,maisj’essaiequandmême.–Jesuisdésolé.Ellehochedoucement la tête.Lesoleil sombreà l’horizon, s’attardeunmomentsur les

bois, avant de plonger dans l’inconnu. Nous nous asseyons sur les marches, sirotons notrebièretoutenregardantlanuitprendresesquartiers.

JepenseàTegan,unpeuplus loin,dans cette grandemaison sur laplage.Seule.Moncœurseserretantjeressensdelahaineenversmoi-même,delacolèreaussi.Àlasecondeoùjel’aivue,jemesuisforgéd’elleuneimagequinecorrespondaitenrienàlaréalité.Jesavaisqu’elle avait des secrets, c’est juste que je n’imaginais pas qu’ils étaient aussi noirs, aussidouloureux.

Jenelajugepas,seulementjenemesenspaslaforcedeprendrecerisque.–Quevoulait-elle?Jenecomprendspastoutdesuite,tropabsorbédansmespensées.–Qui?–Maman.Elledevaitvouloirquelquechose.Etpuis,comments’yest-elleprisepour te

retrouver?J’hésite,pèsemesmots.Jen’aipasenviedeluimentir,maisenmêmetempslavéritéest

tropdégueulasse,ellen’apasbesoindelesavoir.–Jesupposequ’ellesesentaitmaldanssapeauàcausedetoutcequis’étaitpassé.Elle

voulaitnousdonnercettemaison,ellesedisaitqueçapourraitnousservir.

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–Moi,ellenevapasm’acheteravecça,répondBritavecamertume.–Cen’estpascequ’ellechercheàfaire.–Tuladéfendsmaintenant?,répliqueBrit.–Non,c’estjuste…Jesoupire.– Cette maison représente quelque chose pour moi… La chance d’un nouveau départ.

C’estplusquejen’auraisoséenespérerdelapartdecettefemme.–Jemedemandepourquoiellet’acontacté,toi.J’avaleuneautregorgéedebièretoutenhaussantlesépaules.–Sansdoutesavait-ellequevousnevouliezplusentendreparlerd’elle.–Là,elleavaitraison.Britsemblesidéterminée,sicatégorique,maisjelesais,ellen’estpasaussidurequ’elle

veutlelaissercroire.Onatoussouffertdenotreputaind’enfance.Elleasescicatrices,j’ailesmiennes.

–Hunterestaucourant?,jedemandeaveccuriosité.–Pourmaman?Ilsaittout,oui.Elleditçaaveccalme,mais jenotecettecertitude,danssonregard.Pasdehontenide

regret. Pour la première fois, je l’envie d’avoir quelqu’un pour l’aider à porter ce fardeau.Emersonaussi.Tousdeuxsontencouplemaintenantpoursupporterlepoidsdupasséettoutdesuite,lacroixpèsemoinslourd.

Pendant un moment, j’ai cru comme un idiot que Tegan pourrait être celle quej’attendais.Maintenantjelesais,rienn’étaitplusfaux.

–Ilabiendelachance,jedisenluidonnantunpetitcoupdecoudedanslescôtes.Britlèvelesyeuxauciel,maissurseslèvresunsourirefinitparsedessiner.–Ça,tupeuxledire.Jerigole.–Mapetitesœur,unexempledemodestie.Ellehausselesépaules,gênée.–Jemesuistropdénigrée.Jesupposequej’essaiederattraperletempsperdu…Ellefinitsabièrepuisselève.–Allez,zou.J’aileréfrigérateurremplidebouffeetunechambred’amisquit’attend.–Rentre,toi,jerépondsenmelevantàmontour.Jevaisbosserunmoment.–D’accord.Mais je suis sérieuse,pasquestiondedormir ici commeunsauvage,medit

Britavecunregardmenaçant.Cettetentetientàpeinedebout.–Oh,situsavais,dis-jeenriant.J’aidormidansdesendroitsbienpires.

Jelasuisdesyeuxquandellemonteenvoitureets’enva,puisjerentreetm’attaqueaux

poutresboufféesparlesvers.Maisnotrepetiteconversationcontinuedemehanteretl’échodemesmensongesdeserépéterdansmatête.

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En réalité, ce n’était pas la première fois que notremèreme contactait. Loin de là. ÀpartirdumomentoùjesuispartideBeachwoodBay,ellen’ajamaisperdumatrace.Chaquefois qu’elle avait un problème, besoin de fric ou d’un endroit où crécher, elle surgissait denullepart,toujourspathétique.«C’estjustepourquelquesnuits»,mesuppliait-elle,lesyeuxcernésdemascara, l’empreinte toute fraîched’unpoingsur lapommette.«Justedeuxcentsdollars,c’esttoutcedontj’aibesoin.Tuvasaidermaman,pasvrai,monpetitchéri?»

Etàchaquefoisjecédais.J’aurais dû être plus fort. Parfois, je pensais que ça permettrait de changer les choses,

parfoisjevoulaisjustequ’elledisparaisse.Jen’imaginaispasenparleràEmersonetàBrit.Detoute façon, c’était à peine si je leur adressais la parole et puis, je n’avais pas envie de lesembêteraveclesconneriesdenotremère.Ilsn’enauraientsouffertqueplus.

Non, c’était le prix à payer pour être parti loin d’eux. Un moyen pour moi de meracheter, sans qu’ils le sachent. Je pouvais l’empêcher d’aller frapper à leur porte, de fairevolerenéclatsleurpetitetranquillitésidurementgagnée.Ici, lesgensparlenttoutletempsdecequine lesconcernepas, ilsn’enauraient tiréquedumalheur.Jenesavaispasgrand-chose de l’existence qui était la leur dans cette ville,mais dansma tête, c’était clair, notremèretoxicoétaitunemenacepoureux.

D’autant,qu’elleallaitdeplusenplusmal.Vousnesavezpascequec’estquedetoucherlefond,avantd’avoirdécouvertvotremère

secouéedespasmessurlecarrelagedelasalledebains,entraindeselacérerlapeau,àvoussupplierdeprendre son fricpouraller lui chercher sadose.C’était insupportablede la voirdanscetétat,pas justeunefois,maisdesdizaines,etc’étaitdepireenpire,deplusenplusdégradant.

Britn’apaslamoindreidéedeladéchéancedanslaquelleelleavaitsombré.Emersonetmoi, quand on était plus jeunes, on faisait de notre mieux pour la préserver, même si àl’époque,enyrepensant,mamanarrivait leplussouventàdonner lechange.Bon, ilyavaitbienlespetitscopainsminablesetlesbagarresdanslesbars,maisaumoinsBritnel’avait-ellejamaisvuedéfoncéeoudansundesesdélires,suiteàunmauvaisshoot.Ellenel’avaitjamaisvue implorer son dealer. Elle n’avait jamais piqué son stock de cachets planqué sous lematelas.Nireçuensuiteuneracléepourlesavoirtousbalancésdansleschiottes.

Aprèsuneenfancecommecelle-là,j’auraisdûêtrecapabledeluiclaquerlaporteaunez.Maisquelquechosem’ena toujoursempêché,àchacunede sesvisites,quandelleme juraittoujoursquecettefois,ceseraitdifférent.Quecettefois,elleétaitbiendécidéeàarrêter.

J’avaistellementenviedelacroire.C’estaussisimple,aussifaiblequeça.Jevoulaisquetout s’arrange. Elle restait malgré tout ma mère et au fond de moi, je ne pouvais pasm’empêcherd’espérerquecettefois,ellesauraitréagir.Enfinirdéfinitivementaveccettesalemanie.Devenirunemèreclean,prochedenous.

Oui,jesais,c’estbête.

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Il m’a fallu un bout de temps pour comprendre, mais j’y suis arrivé. Les toxicos nechangentjamais.Passansdesmesuresdrastiques,unesortedeprisedeconsciencebrutalequimontrequ’iln’yapasd’issueàcettevie-là,exceptéunbilletpourunvoyagesansretouràlamorgue.

Jedevraisêtrereconnaissantàmamèredel’avoircomprisenfindecompte.Jeregrettejuste qu’elle ait dû en passer par une overdose dans une ruelle mal famée de la Nouvelle-Orléans pour en arriver là. Je bossais à Miami quand j’ai reçu le coup de fil. Elle était àl’hôpital,unbonsamaritainl’avaitramasséejusteàtemps.

Ilétaiturgentqu’ellesoitsoignée.C’étaitunequestiondevieoudemort.Jen’avaispaslechoixsijevoulaislasauver.Aucuneautreoptionàmadisposition,etje

savaistrèsprécisémentcequ’ilmerestaitàfaire.

Jesuis là,assisdans lenoir,quandmontéléphonesonne.Unesemaineque j’ignore lestextos,maisilscontinuentàarriver,àmeharceler.Implacables,commelui.

Driskell.Tuasunedetteenversmoi.Necroispasquejevaislaissertomber.Jebalancemontéléphonedansunsacetemballelerestedemesaffairespourmerendre

chez Brit. Je croyais que mes gains au poker suffiraient à effacer mon ardoise, maisapparemment,non.Ilfautquejetrouveunmoyendel’obligeràmelâcher,avantquelepassénemerattrape.

Soixante-quinzemilledollars.Leprixdemonâme.Lecoûtdelacurededésintoxdemamère.

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16.

Tegan

Çanedevraitpasfaireaussimal.Voilàcequejenecessedemerépéterchaquefoisquej’émergedecettebullededouceurausouvenir des baisers de Ryland. Lorsque me revient en mémoire son regard glacial,impitoyable,quandilasulavérité.

Quejerevenaisdel’enfer.Cassée.Sale.Non.Toute la semaine, je me suis battue contre cette chape de doute. Je suis plus forte

maintenant.Cechapitredemavieestclos.J’aitraversélespiresténèbres,alorsça,c’estriendu tout à côté. Voilà ce dont je tente deme convaincre. Enme rappelant que je connais àpeineRyland,onn’aeuqu’unseulrendez-vous,onaéchangéquelquesbaisers,ouietalors?Quelle importance si cemecme rejette à cause demonpassé ?C’est son problème, pas lemien.

Saufqu’ilyavaitquelquechosed’énormedanscesbaisers.Quelquechosedetotalementnouveau.

J’évited’alleraugarageetRylandn’appellepasdesoncôté.Lesjourspassentetpourmechangerlesidées,jemejettedansl’écrituredemachanson,remplistoutuncarnetdeparolesgribouillées, d’idées demélodies. J’ai unmorceau en tête, et je veux que ce soit parfait. Jepenseauconcoursorganisépar le labeldeDex, j’ai le tempsencore,mais jesuis loind’êtreprête.Jesuisalléesur lesitedugroupe, j’aivulespremièreschansonspostéesparlesgens.Debonneschansonsenfait.Trèsbonnesmême.Maisaulieudemedécourager,lesmorceauxdesautresconcurrentsmeboostentd’unedéterminationnouvelle.

Jen’airienàproposerpourl’instant,maiscen’estqu’unequestiondetemps.Letravail finitpareffacerRylanddemespensées,maischaquefoisque jevaisenville,

j’aipeurdetombersurlui.Quandmontéléphones’éclaireàl’arrivéed’untexto,quandl’unde

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mes frères appelle – il y a toujours une nanoseconde d’espoir quim’envahit.Mon cœur, letraître,bonditàl’idéequepeut-être,ouipeut-êtrequec’estlui.

Maisçan’estjamaislui.Je joue quelques accords, sur la terrasse de derrière. Le temps s’est rafraîchi cette

semaine,etc’estvêtued’unjeanetd’unsweatàcapuchequejeregardeleventfairemousserlesvagues.Laplageestdéserte,quelquescentainesdemètresdesablegris,commeleciel,enharmonieavecmonhumeurcematin.

Ilmemanque.C’estunsentimentétrangequequelqu’unquejeconnaisàpeinememanquecommeça,

maisc’estainsi.IlémanedeRylandunesortedechaleur,quelquechosedecharmeurquiautoutdébutm’alaisséecomplètementfroide.Maisdepuiscejouroù,surleborddelaroute,ilm’aprisedans sesbrasquand j’étaisauborddes larmes…J’ai sentialorsen lui cette force,cette sincérité. Le genre d’homme, j’ai pensé, sur lequel je pourrais me reposer. Il m’aembrasséesurlefront,m’apromisquetoutsepasseraitbien.Etjel’aicru.Jemesouviensdecette détermination, dans ses yeux. D’une sorte de sagesse chèrement acquise. Je me suissentie en sécurité, comme s’il savait tout ce que j’avais traversé, parce que lui-même avaitvécuquelquechosed’identique.

Jusqu’àl’instantoùilasulavérité…Jesursautequanduncoupdesonnetteretentit.Depuismonarrivée, jen’aireçuaucune

visite.Jeneconnaispersonneenvillesusceptibledepassermedirebonjour.ÀpartRyland.Jeposelaguitareetmerueàl’intérieur,lecœuràcentàl’heure.Jefaisunebrèvehalte

devantlaglacedanslecouloir,retiremacapucheetmerecoiffeenquelquesgestesprécipités,maisdifficilededonnerlechange.J’ai latêtedequelqu’unquiestrestécloîtréunesemaineentière,àl’écartdumonde.

Nouveaucoupdesonnette,impatientcelui-là.–J’arrive!J’inspireungrandcoupetouvre.–Surprise!Jereculeentrébuchant,assaillieparunmètrequatre-vingtsd’enthousiasme,fouettéepar

unecascadedecheveuxblonds.–Zoey?,jem’exclame,stupéfaite,enessayantdemelibérerdesesbras.Unefractiondeseconde,jeressensunepointededéceptionquecenesoitpasRylandlà,

surlepasdelaporte,maistrèsvite,jesuisfolledejoie.–Maisquefais-tuici?JetecroyaisencoreàParisjusqu’àl’automne!–C’estjusteunevisiteéclair!,répondZoey,radieuse.Ellerecule,sansmelâcher,etuneridealorssedessinesursonfront.

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– Et visiblement, j’aurais dû venir plus tôt. Ils n’ont donc pas de shampoing, dans lecoin ? Peu importe, j’ai apporté le ravitaillement. Ilsm’ont interceptée, à l’embarquement,soi-disantquejedépassaislepoidsautoriséenbagages,ajoute-t-elleenmontrantuneénormevalise derrière elle.Mais j’ai fait semblant de pleurer jusqu’à ce qu’ils cèdent. J’ai rapportépleindecadeaux!

–Tuasdévaliséledutyfreeouquoi?,jerépondsenrianttoutenl’aidantàrentrersesaffairesdanslehall.Oh,c’esttellementbondetevoir!,jem’exclameenlaserrantdansmesbras.

Je n’avais pas réalisé combien elle me manquait. Rien qu’à la voir, je me sens mieuxcommesi,touteslesdeux,nousétionslesreinesdumonde.

–Oh,moiaussijesuisheureusedetevoir,ditZoeyenm’étreignantàm’enétouffer.Etwow,c’estlegrandluxe!

Elleregardeautourd’elleavecunsifflementadmiratif.– Si j’avais su que tu temorfondais dans un endroit pareil, j’aurais rappliqué bien plus

tôt.–Jenememorfondspas!J’essaiededécompresser.Etjemesensbien,enjeanetsweat-

shirt.Que veux-tu, tout lemonde n’a pas la chance d’être une frenchie fashionista, j’ajoute,espiègle.

Zoeyéclatede rire.On ladirait toutdroit sortied’unmagazinedemode, cheveluredestaret lèvresrougesang.ElleabeauporterunsimplejeanetunT-shirtàrayures, ilémaned’elleuneélégancenaturelledigned’uneauthentiqueParisienne.

–C’estvrai,ilsontdûtefaireboireleurpotionmagiquespécialglamour,là-bas,j’ajouteenlataquinant.

– Les choses n’ont pourtant pas été roses, soupire Zoey en levant les yeux au ciel. LeDragonexigeque l’on soit toujours tiréàquatreépingles.Ellem’apasséun savon,un jour,devant tout lemondepouravoiroséveniraubureauenballerines.Avecelle, tout talonendessousdeseptcentimètresestunehérésie!

–Aïe!,jem’exclameensouriant.Bon,maistueslibreici.Enzone«no-talon».Rienquedesbasketsetdestongs.Oudesbottessiçatefaitplaisir!

– Super, répond Zoey, radieuse. Allez, fais-moi visiter. Je veux tout voir. J’espère queDexaunjacuzzi!

Jemontre lamaisonàZoey,puiselle insistepouraller faireuntouràBeachwoodBay,histoiredes’imprégnerdel’ambianced’unepetiteville,alorsjedécidedel’emmenerprendrele petit déjeuner chezMrs Olsen. Elle dévore une pleine assiette de pancakes et de bacon,commesielleétaitenmanquedeglucides.

–Oh,monDieu,gémit-elleenglissantdeuxtranchesdebacond’uncoupdanssabouche.Tun’imaginespascomme lavraienourriturem’amanqué.Tune trouvesquedu fromageet

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des petits-fours à temettre sous la dent, là-bas. J’aurais fait n’importe quoi pour unmaxi-hamburger.

–Tropdur,j’ironise.J’imaginequetuasdûenbaver…– Oh, c’est bon, répond Zoey en riant. Mais c’est vrai, j’avais le mal du pays. C’est

tellementloinlà-bas.–Etcombiendetempstucomptesrester?,jel’interroge,tassedecaféentrelesmains.–Deux jours, pas plus, répondZoey en arrosant demiel ses pancakes et en se léchant

consciencieusementlesdoigtsjusteaprès.–Maispourquoi…?Attention,jesuisheureusedetevoir,j’ajoute,confuse.Maisbon,un

voldedixheuresaubasmot,plusletrajetenbagnole…Zoeymeregarde,avecunsouriredébordantd’affection.–Bon,d’accord.Jesais,tuasditquetuavaisbesoindeprendredurecul,deteretrouver,

maisjen’allaisquandmêmepastelaisserseule…Surtoutunjourcommeaujourd’hui.Jeladévisagesanscomprendre.Zoeyfroncelessourcils.–Onestle22,ajoute-t-elle,sursesgardes.Sesmotsmetranspercent.Monsangseglace.–J’avaiszappé,jechuchote,horrifiée.C’estpasvrai,commentai-jepuoublier?L’anniversairedeConnor.Conscientedemadétresse,Zoeymeprendlamain.–Hé,çava.C’estplutôtunebonnechose.–Non,jerépondsensecouantlatête.Jesuisnulle!J’arrivepasàlecroire…J’aioublié!Un sentiment de culpabilité me submerge. Aujourd’hui, il aurait eu vingt-cinq ans.

Commentcelaa-t-ilpumesortirdelatête?Cettedatedevraitêtregravéedansmamémoire.Aulieudeça,j’agiscommes’iln’avaitjamaiscomptépourmoi.TropobsédéequejesuisparRylandetnosbaisers,pourpenseràcethommequej’aimais,autrefois.

L’hommequej’aiperdu.Zoeymedévisage,l’airinquiet.–Jen’auraispeut-êtrepasdûvenir…?Pardon, jene faisque te rendre leschosesplus

difficilesenterappelantcettedate.–Non,cen’estpastafaute,jeréponds.C’estlamienne.Je regarde par la fenêtre, l’esprit ailleurs. L’anniversaire de Connor était toujours un

événement.J’adoraisluipréparerdessurprises.Commel’annéeoùj’avaisréussiàconvaincresonbatteurpréférédeluisignerunautographesurunvinyle.Ouquandonavaitprislaroutedelacôtejusqu’àSanFrancisco,dormantdansdesbed&breakfastsuperkitsch.

L’annéedernière,cen’étaitdéjàpluspareil.Lafinétaitproche,onétaitdéjàfoutus,sansquejesachedirepourquoi.J’avaispenséàtoutessortesd’activitéspourcettejournée,voulantencore une fois que tout soit parfait, mais Connor ne s’est pas montré. Toute la journée,

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j’avaisessayédele joindre,deplusenpluspaniquée, jusqu’àcequeje leretrouve,dansunede ces supers villas de luxe à BeverlyHills, en train de se prélasser au bord de la piscine,entouréd’unessaimdegroupies,déjàivremort.J’auraisdûm’enalleràcemoment-là,maisConnorétaittellementdésolé,ils’étaitconfonduenexcuses.Ilnes’étaitpasrenducomptedel’heure.Ilavaitjustebesoindesedétendre.Ilvoulaitsimplementseréconcilieravecmoi.

Jesais,jen’auraispasdûlecroire.Àcetteépoque,jen’étaisdéjàplusdupe,néanmoinsquelquechoseenmoicontinuaitàs’accrocher,ensouvenirdubonvieuxtemps.J’avaisbesoindecroireenlui,decroirequ’ilm’aimaitencore,malgrétout.Parcequelapenséedeleperdreétaitpirequen’importequelledisputeentrenous.Ilétaitdevenumonunivers,moncentredegravité,monétoilePolaire.Sanslui,jenepouvaisimaginerquellevieseraitlamienne,alorsj’étaisprêteàmecontenterdecesmiettesd’affection,decesmomentsfugitifsdenormalitéetàm’yaccrocherdetoutesmesforces.

Connorétaituncharmeur,capabledemefaireoubliernosséismes,justecommeça.Jusqu’àcequ’iln’yaitplusd’échappatoireàlavérité.–Bon,entoutcas jesuis làmaintenant,ditZoeyetsavoixm’arracheàmessouvenirs,

unevoixenjouéeetdynamique.Lesnackestquasidésert,seulsquelqueshabituéssontlààsiroteruncafé,ouàdévorer

leplatdujour.Zoeyappellelaserveusepourl’addition.–Nous avons quarante-huit heuresdevantnous avantmon vol retour.Qu’est-ce que tu

veuxfaire?Je hausse les épaules, avec encore cet étau autour du cœur. Chagrin et culpabilité, un

mélangeamer.–Çam’estégal.–Allez, soupireZoeyen levant les yeuxau ciel. Je veuxque cette journée soit ànous.

Piscine,plage,séancejacuzzimaison,filmsdébiles…Ellesourit,pleinedevie.–Commequandonétaitaulycée!J’esquisseunsourire.Zoeyatoujourssutrouverlesmotspourmemotiver.–CommelafoisoùMrsWilkinsnousasurprisesentrainderegarderSexandtheCityet

nousaprivéesdesortiependantunmois?–Ohoui,répondZoeyenriant.Tutesouviensdesesparoles,cejour-là?«Cecinefait

que vous encourager à attendre beaucoup trop des relations sexuelles », ajoute-t-elle enimitantlavoixsnobdenotrevieilleprof.

–Oh,ellen’avaitpastort, jerépondsengloussantausouvenirdesonexpressionquandelleavaitfaitirruptiondanslachambre,enpleinescènedesexe.

–Parlepourtoi,marmonneZoey.Jeluijetteàlafigureunrestedemuffinqu’elleesquivedansunéclatderire.

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–Cen’estpaslapeinedelaramener,avectesétalonsfrançais!Toutlemonden’apaslachanced’avoirdeshommesquivoustombentàgenouxcommes’ilenpleuvait.

– Pourtant, je suis sûre que cet endroit a du potentiel, remarque Zoey en regardantautour d’elle. Je parie qu’un beau ténébreux traîne dans le coin, un type fait pour toi. Quiportedeschemisesécossaisesetcapabledetebâtirunemaisonàlaseuleforcedesesmains.

Je pense à Ryland avec ses bottes et son T-shirt, à sa peaumate, à sa barbe de troisjours…

–Wow…,rigoleZoey.C’étaitquoi,ça?–C’étaitquoiquoi?–Cesourire,insiste-t-elle,toutexcitéesoudain.Toi,tumecachesquelquechose!Allez,

avoue!–Riendutout,jerépondsensecouantlatête.Absolumentrien…Maiselleattend,faitminedes’impatienter,alorsjesoupire.–Bon,ilafailliyavoirquelquechose,maisc’étaitfiniavantmêmedecommencer.–Hmm…Zoeymedévisageavecinsistanceetjesaisdéjàcommentçavatourner.–Etcethommemystérieux,ilaunnom?–Ryland,jechuchote.RylandJamesRay.–Sexy,répondZoeyavecunsouriresalace.Ondiraitlenomd’unbraqueurdebanquedu

tempsdelaconquêtedel’Ouest.–N’importequoi, je répondsenriant.Tuescomplètementbarrée, j’ajoutepuis je règle

l’additionetmelève.– C’est pour ça que tum’aimes, dit Zoey et elleme prend le bras, m’entraîne vers la

sortie.Dehors, les nuages se sont dissipés et c’est un soleil radieux qui domine dans un ciel

limpide.–Super!,s’exclameZoeyalorsquenousmarchonsverssavoituredelocation.Direction

laplageettumeraconterastoutsurtonbraqueursexy.– Il n’y a rien à raconter, je réponds,mais je ne peux pasm’empêcher de regarder de

l’autrecôtédelarue,verslegarage.Rylandest là,penchésur lecapotd’unvieuxpick-up.Jenelevoispastrèsbienàcette

distance,maissaseuleprésencesuffitàlancermoncœurdansunecourseéperdue.Zoeysuitmonregard.–Ah,d’accord,dit-elle en joignant lesmains. Joli spécimen.C’est le typequi répare ta

voiture?Allonsvoircommentilva!– Zoey !, jem’écrie quand elleme prend par lamain et se dirige droit vers lui. Zoey,

non!,jeprotesteenessayantdelaretenir.S’ilteplaît,jenerigolepas,j’insiste,enespérant

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queRylandnenousapasvues.Jeteraconteraitout,maisjenepeuxpasallerlà-bas.Ilaétéclair,ilneveutplusmerevoir.

Zoeys’arrête,medévisage.Etelledoitdevinermapeine,carellemelâchelamain.–D’accord,j’aicompris.Unconnard.PuiselleobserveRyland,leregardmauvais,etc’estplusfortquemoi,j’éclatederire.–Tum’asmanqué,tusais,jeluiavoue,submergéeparunsentimentd’affection.–J’espèrebien,répondZoeyenmeserrantdanssesbras.Allez,rentronsmaintenant.J’ai

enviedeposermesfessessurl’undetestransats.On retourne à la voiture,mais commenous nous éloignons, c’est plus fort quemoi, je

tournelatêtepourregarder.Ryland a émergé de son capot et nous suit des yeux. Une décharge électrique me

parcourtquandjecroisesonregard.Puisilsedétourneetlamémoiremerevient.Ilneveutpasdemoi.AlorsjecontinuemoncheminavecZoey.

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17.

Toutelajournée,Zoeym’aideàmechangerlesidées.Nousnousdoronsausoleildesheuresdurant,nousbaignonsdans lapiscine, avantdenousgaverde chips etdeglaces. Plus tard,elle propose de sortir dîner dans le coin,mais je n’ai pas très envie de voir des gens, alorsnousrestonsàlamaison.Nousnousinstallonsdevantl’écrancinédeDex,danslesalon,pourregarder de vieux films pour ados tout en nous vernissant les ongles, comme quand nousavions seize ans. Je m’assoupis sur le canapé à côté d’elle, enveloppée d’une couverture,réchaufféeparnotreamitié.

Jemeréveilleensursaut,tremblante,ensueur.Connor,blême,immobile.Marbreblancetrosesrouges.Lafin.Non.Jesuffoque, terrifiée,monsangseglace.J’agrippeuncoussinetattendsque lapanique

régresse.Envain.Lapeurneme lâchepas,douleuret culpabilitépèsent surmapoitrineetc’estàpeinesijepeuxrespirer.

Mes poumonsme brûlent.Mon cœur dérape, frénétique, hors de contrôle. Jeme lève,chancelante,me précipite vers la porte, enjambant Zoey, paisiblement endormie, en faisantattentiondenepaslaréveiller.

Respire,jem’ordonne,désemparée,perdue.Respire,toutvabien.Jeparcourslescouloirsentitubantetjedoism’appuyeraumurpournepastomber.La

voixdeConnorrésonnedansmatête.–Unjour,tuleregretteras,tuverras.Toutça,c’estdetafaute…Cesontsesdernièresparoles.Ladernièrefoisoùjel’aivuenvie.Respire!L’étau autour de mon cœur finit par se relâcher. Je tousse, remplis mes poumons

d’oxygène,enfin.Jerespirevite,àboutdesouffle,maisfinisparmeressaisir.Lapièces’arrêtedetourner,lemondeserecalesursonaxe.

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Danslamaison,ilfaitnoir,pasunbruit.Zoeydort.Jesuisseule.Soudainune enviedepleurerme submerge, ondirait qu’un torrent furieuxde sanglots

medéchirelesentrailles.C’estsonanniversaire.Lepremierd’unelongueséried’anniversairesqueConnorneverrapas.

Est-cevraimentmafaute?Aurais-jepulesauver?Lespetites voix que j’ai réduites au silencedepuisunmois recommencent à chuchoter,

perverses,sournoises,chargéesdereproches.Tusavaisquequelquechosen’allaitpas.Turefusaisdevoirlavéritédepuissilongtemps.Si

seulement tu avais dit quelque chose plus tôt. Si seulement tu avais été assez forte pour le fairechanger.

Siseulementilm’avaitaiméeassezpouressayer.Danslamaisonbaignéeduclairdelune,iln’yarienpourétouffercesvoix.Ànouveau,

j’inspire,expire,puismerendsdanslehall.Là,j’enfilemesbaskets,attrapemonsacetlesclésdeZoeyavantdesortirenprenantbiengardeànefaireaucunbruit.

La voiture de location de Zoey est garée dans l’allée. J’ouvre la portière, memets auvolantetdémarre,endirectiondelaville.Mesmainstremblentencoresurlevolant.Lapeurliéeàmoncauchemarestentraindes’estomper,maisladouleur,elle,demeurevivace.Elleforme une sorte demagma de souffrance que je connais trop bien. Une profonde tristesse,premièresvaguesd’uncourantqui, je le sais, risquentdem’aspirerdansdes fossesobscuresoùjefiniraiparmenoyer.

Larouteestdéserte,ilestplusdeminuitmaintenant.JeporteunpantalondejoggingetunvieuxT-shirt,vestigedelapremièretournéedeReckless,maisjem’enfiche.J’éprouvelebesoin de faire un break, dans un endroit de préférence plein de monde et de bruit. Unendroit où je pourrais mettre en sourdine la douleur qui me cisaille la poitrine à chaquebattementdecœur,cettefidèlecompagnetoujoursprêteàmerappelercequej’aiperdu.

Leserreursquej’aicommises.Jemegaresurleparkingdubar,ChezJimmy,leseullieuoùilyadelalumièreenville

àcetteheure.Àl’intérieur,c’estretourdanslepassé,unjuke-boxquibeugledurockclassiqueetune tabledebillard,au fond,mais jememoquedesgens réunis ici, tout ceque jeveux,c’estdébrancher.Fuirlesdémonsquimetraquentauplusprofonddelanuit.

Jem’installeaucomptoir,metourneversleserveur,unmecgrandauxcheveuxchâtains,unregardplutôtamical.

–JackDaniels,jecommande.Undouble.Sec.Ilhausselessourcils.–J’aivingtetunans, jesoupireencherchantmacarted’identité,dansmonsac,maisil

secouelatête.

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–C’estbon,c’est justequevousne ressemblezpasàune fillequiaime lewhisky,dit-iltoutenregardantl’étagèrederrièrelui.Pourquoipasunverredevin?Ouunmojito,untrucléger…?

–Whisky.S’ilvousplaît,jerépète.–Bien…Toutdesuite,marmonne-t-ilavecunhaussementd’épaules.Ilposeunverredevantmoi.Jevaispourleprendrequand…–Jecroyaisquetunebuvaispas.Ryland.Savoixmesubmergeet jedois fermer lesyeux.Jen’arrivepasàcroirequ’ilsoit là,au

piremoment.Jeneveuxpasqu’ilmevoiecommeça.–Quefais-tuici?,jeparviensàarticulerentremesdents.Jenemeretournepas,etRylands’assiedsur le tabouretvoisin.Jecontinueà regarder

droitdevantmoi.–Jesuis justepasséprendreunebière,dit-ild’unevoixtraînante,maisdans laquelle je

perçoisunecertainetension.Jenetevoisplus,encemoment.–Jepensaisquec’étaitcequetuvoulais,non?,jeréponds,etjesensmoncœursaigner.Jem’apprêteàprendremonverre,maisRylandattrapemamainpourm’enempêcher.Soncontactauneffetimmédiatsurmoi.Jetressaille.–Tegan.Regarde-moi,dit-iletsavoixs’adoucit.La gorge serrée, je ferme brièvement les yeux puis lui fais face.Mais rien ne peutme

préparerà saprésence, là,àquelquescentimètresdemoi.L’éclatnoirdesesyeuxmetmesdéfensesànu.Cevisageburiné,ceslèvressensuelles.

–Qu’est-cequinevapas?,demande-t-ilenplongeantsonregarddanslemien.–Tun’espasobligédefairecommesitut’inquiétais,dis-jeensecouantlatête.Cartuas

ététrèsclair,tuneveuxrienavoiràfaireavecmoi.–Arrête,dit-il,aveccalmeetautorité.Oublieça,tuveux,etdis-moiplutôtcequetufais

là.–Commetoi,jerépondssuruntonfaussementdésinvolte.Jesuisjustevenueprendreun

verreunvendredisoir.Àlatienne!Jerepoussesamainet lèvemonverreavantdeleporteràmeslèvres.Mais jemefige,

incapabled’avaleruneseulegorgée.J’aijurédenejamaisluiressembler.Deneplusfermerlaporteàlaréalitédumondeà

grandrenfortd’alcool,desensationsbonmarché.Oudechercherdesréponsesdansuntubepleindecachets.

Encoreunshoot.Encoreunfix.Mamaintremble.Jereposemonverre.JesenslesyeuxdeRylandsurmoi,quim’observent.Mejugent.Etc’esttrop.

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–Laisse-moitranquille,jesoupireetjemedétestepourceslarmesquienflent,brûlantes,acidesaucoindemesyeux.

Jedescendsdemontabouret, sorsunpeudecashdemapoche, jettemespiècessur lecomptoir.

–Jedéconnepas,laisse-moitranquille!Etjeluitourneledos,m’enfuissouslesregardscurieuxetsorsdubarpourmeretrouver

surleparking.Ilfaitsombre,justedeuxlampadairesdiffusentunvaguehalosurlebitume.Jetournesurmoi-même,désorientée,ententantdemesouveniràquoiressemblelavoituredeZoey.

Unbruitdepas.EtRylandquim’appelledanslanuit.–Tegan,attends!–Non!,jerépondsdansuncri,enessayantdegardermonsang-froid.Tout ceque je voulais, c’était penser à autre chose,maisRylandneme laisserapas en

paix. Il va juste continuer àme renvoyer àmon passé, me rappeler que l’on n’en échappejamais.

–C’estbientoiquiasdécidéquec’étaitterminéentrenous,non?Quetunevoulaisplusmevoir!Alorslaisse-moimaintenant!

Ils’approche.Jerecule,cherchantdesyeuxlavoiture.–Arrêteça,Tegan,demandeRyland.Écoute-moi!Ilm’attrapeparlebras,m’attirecontrelui.–Chhhuut,ilm’ordonne.Calme-toi.Dis-moicequinevapas.Jepeuxt’aider,Tegan.Dis-

moijustedequoiils’agit.Ses bras se referment autour demoi,mais au lieu de serrer, ilme berce, doucement,

commesij’étaisenverre.–Toutvabien,murmure-t-ilenmecaressantlescheveux.Jesuislà,toutvabien.Oh. Je sanglote, et je voudrais le repousser, mais sa douceur l’emporte. Cette fois, ce

n’estpas ledésirquimeretient,quime faitm’abandonnercontre lui,meblottir contre lui,c’estl’envie,lebesoin.

Besoinde croire à la tendressede sesparoles.Besoindésespérédem’ancrer à quelquechosedevrai,desincère.

–Qu’est-cequetuveuxàlafin?,jechuchote,tremblantedanssesbras.Je suis si désemparée, je ne comprends pas. D’abord il me rejette pour ensuitemieux

couriraprèsmoi. Il secomportecommes’ilnevoulaitplusmevoir,maisme tientdanssesbras,là,commesij’étaislachoselaplusprécieuseaumonde.

–Jesaiscequetupensesdemoi,jesanglote.Jel’aivudanstesyeux,quandtuasapprislavérité.

–Cen’estpasàcausedetoi,répondRyland,d’unevoixblanche.

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Jem’écartepourleregarder.Sesyeuxsontnoirsdanslapénombre,tonsurton,maisjevoissursonvisagequ’ilesttorturé.Parunedouleursecrète,quelquechosequilehante,sansdoutebienavantquej’entredanssavie.

–D’abord,ilfautquetulesaches,jen’aijamaisétéaussiloinavecunefille,dit-ilentresesdents, livrantunebataille intérieure. Jenepeux rien tepromettre,Tegan,mais jepeuxt’écouter.Situveuxmeparler,jesuislà.Jenetejugeraipas,jetelepromets.Jen’enaipasledroit.

Jeressensunevivedouleurdansmapoitrine.Ceserait tellementsimple.Medéchargerdu fardeau demon passé, confessermes secrets les plus noirs. Je n’ai plus envie de les luicacher,maisenmême temps, jeme rappelle son regardquand ila su,pourPinecrest. Jenesupporterais pas de revoir cette expression sur son visage, peut-être pire même, quand ilsauralavérité,toutelavérité.

Jeveuxconnaîtresessecrets,mais j’aitroppeurmoi-mêmedem’ouvriràlui.Certaineschosesneserattrapentjamais.

Onnepeutpasrevenirsurcertainschoix.–C’estunelonguehistoire,jecommence,méfiante.Rylandplongesesyeuxdanslesmiens.–J’aitoutelanuitdevantmoi.Ungroupedegensémergedubar,bruyants,unpeuéméchés.Leursriresrésonnentsurle

parking.Jeregardeautourdemoi,frissonnesousmonsweat.–Pasici.–Jeconnaisunendroitoùnouspourronsparler,acquiesce-t-il.J’hésite, mais à ce moment il me tend la main. Je sens alors l’espoir m’envahir, une

lumièreténuedanslesténèbres.Àlasecondemêmeoùnousnoussommesrencontrés,Rylandm’a faitmesentircommerégénérée.Commesi les souffrancesdemonpassépouvaientêtredépassées, comme si ses baisers avaient le pouvoir d’effacer les cicatrices dans mon cœurmutilé,encoresanguinolent.

J’aibesoind’ycroire,jepeuxlefaire.J’aibesoindecroirequ’unhommecommeluipeutmepardonnermeserreurs.

Alorsjeluiprendslamainetprieensilence.Puisjelesuisdanslanuit.Ilsortdelavilleetempruntedespetitesroutesseulementéclairéesparleclairdelune.

L’océan au loin derrière les bois scintille par intermittence. Bientôt, il se gare devant unevieillemaisonàmoitiéenruines.Àlalueurdesphares,jedistingueunejungled’herbesfolles,unporchedélabré.Etdessacsdeciment,toutuntasdematériauxdeconstruction,sagementrangéssurlapelouse.

–J’aigrandiici,ditRylandaveccalme,avantdecouperlecontact.Nousrestonsunmomentassislàdansl’obscurité.

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–Mamaman était une junkie,mon père n’est pas resté bien longtemps.On était justeBrit,moietnotrefrèreEmerson.Jusqu’àcequejeparte.

Sesmotssontcommeuneclaque.Soudain,touts’éclaircit.Samère.Macurededésintox.Pasétonnantqu’ilsesoitenfui.–Oh…,jechuchote,lecœurserré,puisjeveuxprendresamain.Ryland…Ilm’arrête.Etcommenceàparleretjevoisbiencombienc’estdifficilepourlui,comme

s’iln’avaitjamaisrienditdetoutçaàpersonne.–Jenedemandequ’àtecomprendre,Tegan,vraiment.Mais j’aidéjàvuçatantdefois.

Lesrechutes,encoreetencore…Savoixsebrise,c’esttropd’émotion.–Çam’afoutuenl’air.Etjeneveuxplusrevivreuntelcauchemar.Voilàpourquoij’aidit

stopl’autrejour.Jerefusedeprendrecerisqueavectoi.Maisjepeuxêtretonami,situveux.–Çan’arienàvoir,jedis,bouleversée.Rylandsecouelatête,regardedroitdevantlui.–Touslestoxicosdisentça,maisaufinal,c’esttoujourslamêmechose.Ilouvre laportièreetdescenddevoiture, commesi respirer lemêmeairquemoiune

secondedeplusétaitau-delàdesesforces.Je le regarde s’avancer sur la pelouse, puis il s’arrête.Ne bouge plus.D’ici, je vois ses

bras ballants, ses poings serrés, toute cette crispation dans son corps, épaules rigides, têtebaissée.

Ilnem’apasabandonnée.Pasencore.Jesorsdelavoitureetmedirigeverslui.Noussommesseulsdanslenoircomplet,pas

decirculationnidevoisinsàdeskilomètresàlaronde.Justelechantentêtantdescriquetsetlabrisefraîchesurmapeau.

–Ryland,jechuchoteetjeposeunemainsursonépaule.Àmoncontact,ilsecontracte.–RayJay,regarde-moi.S’ilteplaît.Ilseretourneetjevoisl’angoissequipalpitedanslaprofondeurdesesyeuxnoirs.Alors

jecomprends,ilculpabilise.Pasjustepoursamère,maispourmoiaussi.Ilveutêtrelàpourmoi.Il leveutvraiment,maisilatropsouffertpourfranchirlepas.

Tout comme moi, son passé l’entrave, pèse de tout son poids sur lui et l’emprisonne dechaînesquisemblentimpossiblesàbriser.

Maisniluinimoin’arriveronsànousdébarrasserdenosferstantquenousn’auronspasregardélavéritéenface.Tantquenousn’auronspasrouvertlesvieillescicatricesetmisànunosplaies,mêmesiçanoussembletropcompliqué,tropabject.

–Jenesuispasunetoxico,Ryland,dis-jeavecdouceur.Quandjesuisentréeencurededésintox,cen’étaitpaspourdesraisonsdedrogueoud’alcool.C’étaitpourautrechose.

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Quelquechosedepire.–Jenecomprendspas,marmonneRyland.J’inspire, expire. Le risque, c’est que pour lui cela ne fasse aucune différence. Car la

vériténevautpasmieuxquel’addiction.Maisquelquechosedenouveau,d’urgentmepousseàparler,àtoutdire.

Jeveuxqu’ilsachequijesuis.Qu’ilconnaissetoutdemoi,lebiencommelemal.Jeneveuxrienluicacher.

–Ils’appelaitConnor,jecommenceetj’ail’impressionderaconterunehistoire,saufquecettehistoire-làn’ariend’uncontedefées,ellenefinitpasbienetleprincecharmantlaissetomberlajeunefilleàlafin.Jel’aimaisetil…Ilm’aimait.Maispassuffisamment.Moinsquesadose,j’ajouteaveccalme.

L’expressiondeRylandchange.Illaisseéchapperunsoupiretsedétend,justeunpeu.–Viens,murmure-t-il.Tuvastoutmeraconter.Situenasenvie.Il m’entraîne vers le porche. Une lanterne électrique se balance à une poutre. Ryland

l’allume,puisils’assiedsurlesmarchesenboismaculéesdepoussière.Jeprendsplaceàcôtédelui,sansletoucher,maisassezprèspoursentirlachaleurquiémanedesoncorps.

Quelquepart, celamedonnedu courage.Suffisamment en tout caspour lui parler, luiracontermonpitoyablecontedefées.

–JemesouviensquandDexm’aappelée,dis-jeenfixantlanuitdevantnous.Ilsétaiententournée,enEurope.Connoravaitplusieursfoisdéconnéenpleinconcert,ilfaisaittroplafête,étaitàcran,agressif.Alorsilssontallésluiparlerentrequatreyeuxetc’estlàqu’ilsontdécouvertqu’ilprenaitdel’héroïne,j’ajoute,lagorgeserrée.Lepéchémignondesrockstars.

Rylandtrouvemamainsurleplancheretsesdoigtsenveloppentlesmiens.Jefermelesyeuxunmoment,soncontactmedonnelaforcedepoursuivre.

–Ilsvoulaientinterromprelatournéeetl’envoyersefairesoigner.MaisConnorausédeson charme habituel pour les embobiner, comme il le faisait avecmoi. « Pas de problème,j’arrête », voilà ce qu’il leur a dit… Je me souviens de ses excuses, je les avais toutesentenduesàlafin.Illeuraexpliquéquejouerétaitvitalpourlui,illesasuppliésdelelaisserfinir leurs concerts et puis après, il ferait ce qu’ils voulaient. Le label leur faisait subir unetelle pression, je suppose que pour eux, c’était plus simple de le croire que d’admettre lavérité. Connor avait le chic pour vous convaincre de sa bonne foi et se montrer sous sonmeilleurjour.

Jemetais.Rylandserremamainavectendresse.Alorsjereprends,endépitdeslarmesquimenacentdemesubmerger.– Dex m’a appelée et j’ai pris tout de suite l’avion pour les rejoindre. C’était une

délivrance pour moi, c’est ça le plus étrange. Comme si une partie de moi était soulagéed’avoiruneréponse.Jesavaisenfinpourquoiilagissaitcommeça,àtoujoursmerepousser.

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C’étaitdevenuinvivableàcetteépoque.J’étaiscomplètementdésespérée,désarméefaceàlui,àlevoircommeçaserefermersurlui-même,àdérivertoujoursplusloin.

–C’estfou,non?,jedisavecamertume.Caroui,j’étaisheureusequandj’aisuquec’étaitça,laraisondesonattitude,etpasparcequ’ilnem’aimaitplus.

Rylandnepipemot,ilm’écoute.Alorsjereprends,obligelesmotsàsortir,cesmotsquidécriventsibienl’horreurdecetteterriblenuit.

– J’ai essayé de l’encourager, mais je ne savais que lui dire. Je ne comprenais paspourquoi il faisait ça, ce besoin qu’il avait de se défoncer. Il avait tout ce qu’il voulait, legroupe,lacélébrité,lefric…

Jem’interromps,ressensdansmachairànouveaucerejet.–Etmoiaussi…Rylandsecouelatête.–Ilnes’agitpasdenous,Tegan.Parfois,tuasbeauchercher,iln’yarien,aucuneraison,

c’estjusteunchoixdemerdequ’ilsfontetrefont.–Jelesaismaintenant,jechuchote.Maisàcemoment-là…Jecroyaispouvoirleguérir.

Lesauver,siseulementilvoulaitbienm’aimerassezpouressayer.– J’ai souvent cru lamême chose avecmamère, avoue-t-il d’une voixposée.Mille fois

peut-êtrej’yaicru.Maisçanesuffisaitpas.–Onsedisputait,desdisputesatrocesquipouvaientdurerdesheures.C’étaitdescriset

des larmes et je le suppliais… C’est devenu l’enfer. Je voulais partir, mais ça m’étaitimpossible.Ildisaitquej’étaislaseulequiluipermettaitdetenirencoredebout.Jenevoulaispaslelaissertomber,malgrétout.PuisnoussommesarrivésàLondres…

J’hésite.Cettepartie-làdel’histoire,jenel’airacontéeàpersonne,mêmepasàDex,niàmapsy.J’aigardécesecret,cetteculpabilitéenmoitoutcetemps,maisaujourd’hui,j’ensuisconsciente,jenepeuxplusletaire.

J’aibesoindedirelavérité.– On logeait dans un super hôtel. Tout avait été arrangé par le label. C’était sublime,

tellement romantique.Mais tout ceque jepouvais faire, c’étaitde surveillerConnor,demedemanders’ilmedisaittout,s’ilétaitvraimentclean.Ilmesemblaitquelepireétaitderrièrenous, comme s’il redevenait lui-même, mais quelque chose m’empêchait d’y croire, unpressentiment… Alors j’ai fouillé dans ses affaires, j’explique en me souvenant de messoupçons,et jeme revoisen traindechercherdans les tiroirspendantqu’il était en répète.J’aitrouvéuneseringueetunsachetdedopeplanquésdansunechaussette.Ilcontinuaitàenprendre.Toutcequ’ilnousavaitdit,nousavaitpromis,toutçan’étaitquemensonges.

Mavoixtremble,sebriseetRylandglissesonbrasautourdemesépaules,m’attirecontrelui.

–Ilestarrivé justeàcemoment.Alors je luiaiditque j’enavaisassez. Ilm’asuppliée,promisd’allersuivreunecurededésintoxdèsquelatournéeseraitterminée, ilm’a juréses

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grandsdieuxquetoutseraitdifférent,maisj’avaisentenduçatropsouvent.J’avaislecœurenmiettes. Je l’aimais,mais j’étais tellement en colère, je lui en voulais tant de semettre endangercommeçaetpourquoi?

JeregardeRyland,deslarmespleinlesyeux.–J’aiessayé,vraiment,jeluiaitoutdonné,maisçan’apassuffi.Ilatoutfoutuenl’air.Jemeforceàrespireret je l’entendsmesupplier,m’implorer, labaguequiroulesur le

parquetciré.Laportequiclaquederrièremoialorsquejem’envais.–Alors,jesuispartie…– Tu as fait ce qu’il fallait faire, me réconforte Ryland en me serrant contre lui, si

rassurant, si vrai. Tu ne pouvais rien pour lui, tu le sais Tegan. Il faut que tu en soisconsciente.

Unfrissonmeparcourt.– Tu ne comprends pas. Quand je suis sortie de la chambre, j’ai laissé la drogue, je

chuchoteetànouveaulahonteetlaculpabilitémebroientlecœur.Jeneveuxpasluidire,maisc’estplusfortquemoi.–Cetaprès-midi-là,ilafaituneoverdose,jereprends,anéantie.C’estDexquil’atrouvé.

Ilaappelélesurgences,maisc’étaitdéjàtroptard.Ilétaitmort.

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18.

Ryland garde le silence,mais il ne s’écarte pas. Il reste assis à côté demoi,me serre fortcontreluietattendlasuite,toutcequ’ilresteàdire.

Unétrangesentimentdesoulagementmesubmerge.Ilestencorelà.Iln’estpasparti.–Aprèsça,je…C’étaittrop,j’aicraqué,jereprends,avecunbesoindetoutdéballer,tant

quej’enaiencorelecourage,tantquejesenssoncorpschaudcontrelemien,etc’estcommesi ma parole était libérée. Je ne garde aucun souvenir des mois qui ont suivi. J’ai joué lacomédie à mes frères, mes amis, mais à l’intérieur de moi j’étais perdue, effondrée. Laculpabilitémetenaillait,m’étranglait,àpeinesijepouvaisrespirer.Etpuis…

J’hésite,parcequecettepartieestpeut-êtrelapiredetoutes.–Etpuisjen’aipluseuenviederespirer.Unsilence.J’aiapprisàPinecrestqueladépressionétaitpareilleàdessablesmouvants.Toutparaît

normal, tellementnormalquevousneréalisezmêmepasquevousvousenfoncez jusqu’àcequeça se refermeau-dessusdevotre têteetqu’il semblealorsqu’iln’yaitplusmoyend’ensortir. J’aurais fait n’importe quoi pour arrêter la souffrance, pour mettre un terme à cesentimentdenéantquim’imprégnait.

Untubedecachets.Unverredewhisky.Enyrepensant,j’aidumalàcroirequej’aivouluenfinir.Maisàcetteépoque,rienn’avaitdesens.J’étaisdévoréeparundésespoirplusgrandquemoi,dépasséepar l’ampleurdes ténèbresquim’enveloppaient.Çaparaissait si simpleàcemoment-là,tellementj’étaismal.Aumoins,commeça,touts’arrêteraitnet.

–J’airéalisétroptard,jechuchote,avantdecorriger,non,troptardauraitétéunedemi-heure après. Mais dès que j’ai avalé ces cachets, j’ai senti que j’avais tout faux. Comme sipendantdesmois j’avais vécu en somnambule et que soudain, j’ouvrais les yeux et y voyaisclair.J’aiappelélesurgences,enleurexpliquantcequejevenaisdefaire.Jemesuisréveilléeàl’hôpital…Ilsm’ontfaitunlavaged’estomac.Ilsm’onttrouvéeàtemps.

Rylandgardelesilenceunmoment.–Tuasvraimentvoulumourir?

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– Je voulais que la douleur s’arrête, je répète, la gorgenouée. Je n’ai pas réfléchi plusloinqueça.Çapeutparaître fou, je sais,mais jen’aipas réaliséque fairecesser ladouleurmettraitaussiunpointfinalàtoutlereste.Etquandj’enaiprisconscience…

Jemetais,ausouvenirdematerreur,demahonte,decettepanique.Àattendrel’arrivéedesmédecins,alorsquelanuitpeuàpeum’enveloppaitetm’aspiraitdanssesentrailles.

Jen’aijamaiseuaussipeurdetoutemonexistence.Rylandlaisseéchapperunsoupir.Ilinclinelatêtepourmeregardertoutengardantson

brasautourdemesépaules.Difficilede savoircequ’ilpense,dans lenoir,mais je sensuneimmensetendresseenlui.

Ilm’écoute,iln’apasfuiaurécitdespiresmomentsdemavie.–Etlacurededésintox?– Mes frères ont eu très peur, je réponds, honteuse. Ils ont décidé que j’avais besoin

d’aide. Et c’était vrai. C’était essentiel, j’admets avec calme. J’avais besoin de faire le pointavec tout ça, de me libérer de cette culpabilité et de cette colère envers Connor. Decomprendreoùseschoixs’arrêtaient,oùcommençaientlesmiens.Detournerlapage.

–Peut-onvraimenttournerlapagequandquelqu’unvousaquittéscommeça?,soupireRyland.

Àsavoix,jecomprendsquecettequestions’adresseàluiautantqu’àmoi.Moncœuramalpourlui.Connorafaillim’anéantir,maisilyaunedifférenceentreun

amourfouetvotrepropremère.Quelssouvenirsdouloureuxrenfermecettemaison,pourlui?Combiendefoisa-t-ilprié

pourquesamèrelechoisisselui,aulieudeladrogue?Il n’était qu’un petit garçon. Et aujourd’hui, il en est encore à s’accabler de reproches

pourquelquechosequ’iln’auraitjamaispuchanger.Jelevoisdanssesyeux,l’éclatdésabusédecettedéceptionquandtousvosespoirsontfiniencendresl’unaprèsl’autre.

Ilméritaitplusdelapartdesamère.Ilmérited’êtreheureux.–Tupeuxoublier.Tuoublieras,dis-je,avecunedéterminationnouvelledanslavoix.Cettefois,c’estmoiquiluiprendslamainetlapressecontremoncœur.–Jesuispasséeparlà,Ryland.Etpasquestiondefairemarchearrière,dereplongerdans

les ténèbres. Jour après jour, j’apprends à me pardonner et je progresse, vraiment. Je nelaisseraipasConnorfoutremavieenl’aircommeluil’afaitaveclasienne.Jesuisplusfortequeçaaujourd’hui…

Jemetais,nerveuse,maisquelquechosemepousseàajouter.–Ettoiaussi.Ryland me regarde, la douleur dans ses yeux se meut en espoir. En une fraction de

seconde,jeréalisemachance.J’aimesfrères,Zoey,lespsysducentre.Touscesgensquimedisentquejevauxmillefoisplusquetoutça,quemavievautplusqueleschoixdeConnor.

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MaisRyland?Ils’estbattuseultoutescesannées.Seulavecsaculpabilité,etsahonte,etsasolitude.

Maisàprésent,iln’estplusseul.J’approchelamaindesonvisage,sapeauestrêche.Jeplongemesyeuxdanslessienset

metstoutemonâmeàessayerdeleconvaincre.– Quels que soient les choix de ta mère, ce n’est pas à toi de porter ce fardeau, je

chuchote touten ravalantmes larmes.Laseulechoseque tupeux faire, c’estvivre tavieetapprendredeseserreurs.Écoute-moibien,Ryland.Cen’estpasdetafaute.Tuasfaittoutcequetupouvaispourelle…Tudoispenseràtoi,ettournerlapage.

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19.

Ryland

TandisqueTeganmeregarde,sesyeuxbrillent,passionnés,unelumièredanslapénombre.Alorsquelquechoseenmoivoleenéclats.Laganguedeglacequidepuis tantd’années

mecompressaitlecœurfondinstantanément.LachaleurdeTeganenestvenueàbout.Cettefillerayonne,anged’espéranceetdeforce,malgrétoutcequ’elleaenduré.

Jeréalisesoudainqu’ilnes’agitpasdefairetablerasedupassé.Cen’estpaslaquestion,çanel’ajamaisété.

Jem’accrocheàl’idéed’unnouveaudépartdepuissilongtemps.Unmoyend’oubliertousmesmauvaissouvenirspourmeconstruireunevieentièrementneuve.EtjemesuisaccrochéàTegandanscetesprit,pensantqu’elleeffaceraitmonpassé.Pourmedonnerquelquechosedepur,devrai.Unenouvelle chancequi serait commeun soleil,unbonheurentier lavédetousmesfantômes,detousmescauchemars.

Maislavérité,c’estqu’ilnesertàriend’ignorernosdémons.Noussommestouscassés,désenchantés,estropiésparunamourdéçu.Nousportonstouslesstigmatesdemillebatailles,deserreursquenousavonscommises,desregretsaveclesquelsnousvivons,jouraprèsjour.

Toutçafaitpartiedenotrehistoire.Toutçanousaconstruittelsquenoussommes.Jenepeuxpasoubliermonpassé,maispeut-êtrepuis-jemepardonner.Jenepeuxpas

effacer chaque souveniramerdemamémoire,mais jepeuxen revanche construirequelquechosepar-dessus.Strateaprèsstrate,jouraprèsjour,jusqu’àcequequelquechosedeplusforts’élève à leur place. Quelque chose de mieux. Un avenir dont je sois fier, à conjuguer auprésent,surlesruinesd’hier.

Neplussecacher.Neplusavoirhonte.Rienquelavérité.Souslechocdecetteprisedeconscience,jeregardeTegan.Ellenesaitpasqu’ellevient

demelibérer.Ellen’imaginepascequejeluidois.

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Maisavantmêmequejepuissearticulerunmot,elleapprochesabouchedelamienne,hésitante,timide.

Etàcetteseconde,c’estunecertitudepourmoi.Maviecommenceaujourd’hui.

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20.

Tegan

Mes lèvres effleurent cellesdeRylandunmoment.Hésitent.Soudainmoncœur se fige, enproieàlapiredesterreurs.Etsijevenaisdeleperdre,àjamais?

Jeluiaitoutdit.Tropdit.Commentpourrait-ilm’aimeraprèstoutcequej’aifait?Puis sa bouche vient sur la mienne et les pièces du puzzle de ce monde fragmenté

retrouventleurplace.Oui.Jem’abandonneàcebaiserenchutelibre,commeonsejetteduhautd’unefalaisedans

levide,aveclafoiseuleenguisedeparachute.Ilrefermesesbrasautourdemoi,enfouitlesdoigtsdansmes cheveux.Et ses lèvres…Ses lèvresprennent lesmiennes avecune voraciténouvelle, baiser avide etpleind’espoir qui apour effetd’effacer le restede l’universdemamémoireetd’éclairerjusqu’auxrecoinslesplussombresdemoncœur.

Je laisse échapper un soupir, submergée soudain par le besoin, l’envie de le toucher,partout. Les bras deRylandm’étreignent avec force, ilm’attire sur ses genoux et à présentassisesursescuisses,jem’enrouleautourdeluietfaiscourirmesmainssursondosmusclé,apprendssoncorpsparcœur.Jel’embrassesansretenue,avecpassionetsensualitéetfougue,tombeàchaquecaressedansunbrasierdeplaisir.

Jepensais tout savoirde lapassion.En fait, jen’en sais rien.Nosbaisersavantétaientchastes comparés à cette fournaise.Rylandme serre contre lui, d’unemain agrippemonT-shirt,del’autremepressesursesgenoux.Jemecambre,lafièvremonteenmoi,lemondeseréduit à ce désir. C’est du feu dansmes veines qui attise les flammes qui nous consument,tandis que je nouema langue à la sienne, le savoure, le provoque, nos corps bougeant l’uncontrel’autre,etvontroulersurlesplanchescabosséesduvieuxporche.

Ryland s’allonge surmoi,m’emprisonnede ses jambes.Oui. Jemedélectedupoidsdesoncorps,glissemesmainssoussonT-shirtpourtouchersapeau,sidouce,sibrûlante.Ilse

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figeau-dessusdemoi,m’immobilisetoutenralentissantlerythmedenosbaisers.Jemetordssous lui, ardente,mais il prend son temps,plongeavecdouceur sa languedansmabouche,prenanttoutcequej’aiàluidonneravecuneindolencequimefaitfondredel’intérieur.

J’ail’impressionqu’ilm’embrassejusqu’àl’âme.Jesuffoque,enapesanteur,ivredesonbaiser.Denous.Plusriennenoussépare,plusde

mensonges ni de secrets, plus de culpabilité ni de honte. Je lui ai toutmontré et j’ai vu sapropredouleurserefléterdanssesyeux.

Jeleconnais,commejen’aijamaisconnupersonneavant.N’enpouvantplus, jemepressecontre lui,m’imprègnedesoncorps lourdetdursur le

mien.Déjà,jeleveuxavecuneintensitéquidevraitmechoquer,maisquejeressenspourtantcommelachoselaplusnaturelleaumonde.

J’aibesoind’airpour respirer.D’eaupourétanchermasoif.Et j’aibesoindeRylandenmoipourmesentirentière.

J’arrachemaboucheàlasienneetmemetsàléchersagorgerâpeuse.Rylandgémit,puisils’emparedemespoignetsetmecloueauplancher,toutenfaisantglisserunemainsurmoncorps, avec une lenteur insoutenable. Ses doigtsm’effleurent, s’attardent en bas demon T-shirt etpartoutoù ilme touche,mapeau crépite.Puis samain se faufile sous le tissuet jeretiensuncri,griséeparsescaressesquimeliquéfient,medésintègrent.

Etquandsesdoigtss’arrêtentsurmesseins,c’enestfinidemoi.Jegémis, corpsbandéà la recherchedu sien,maisRylandm’obligeavec fermetéàme

rallonger.Ilpèsesurmoiavecforceetassurance,sesyeuxscintillent,regardnoiretaffamé,regardtellementpossessifquej’enailesoufflecoupé.

Ilrecommenceàmecaresser,sansdétachersesyeuxdemonvisage.Jemesensrougir,mais impossible de détourner le regard alors que son pouce va et vient sur le bout demesseinsetjelesuppliedecontinuer.

Unsouriredévastateur sedessinesur les lèvresdeRyland.Sabouche trouve lamiennepour un baiser aussi bref qu’intense, puis il fait remonter mon T-shirt sur mon ventre etplongetête lapremièrepourmelécher,memartyriser, laissantunetraînéehumideet tièdeautourdemonnombriletplushautsurmescôtes,centimètreaprèscentimètre.

Je laisse retomberma tête en arrière. Je regarde le ciel, émerveillée, bouleversée. Lesétoilesm’éblouissent,àmoinsquecenesoitcettefaimqu’il libèreenmoi.Cedésirbrûlant,cebesoindésespéréquisenicheentremescuisses.

Saboucheserefermeautourdemontétonetjelaisseéchapperuncri,tantleplaisirestabsolu.Salanguerêchesedéplacesurmonautresein,puiscesontsesmainsquiviennentenrenfortet jouentavec leboutdemesseinsetmemettentausupplice, tandisquesabouchemesuce,metète,avide.

Jemetordsenproieauxaffresdudésir,enpleindélire.Jepourraisrestercommeçadesheures,maisdéjàjeveuxplus.Jeleveuxlui,toutentier.

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Maintenant.J’enroulemesjambesautourdesesreinsetsenslafrictionincandescentedesonérection

entremescuisses.Rylandémetunesortederâlecontremapeau,alorsjememetsàbougercontrelui,encoreetencore,savourelatensiondanssoncorps,chacundesesmusclesbandéparl’effortetunepuissancetoutenretenue,alorsquesabouchemultiplielesprodigessurmapeau.

Jemesenssi libre.Libredem’abandonneretd’acceptersapassion.Demeperdredansses bras, pas parce que j’ai besoin d’une diversion ou d’une échappatoire, mais parce que,ensemble,noussommesplusquecequenouspourronsjamaisêtreseul.

Rylanddélaissemapoitrineetfaitcourirsabouchedeplusenplusbas,surmonventre,mettant le feu à tout mon corps. Arrivé à la taille de mon pantalon, il s’interrompt,suffisammentlongtempspourquejeredresselatêteetcroisesonregard.

Unregardquim’interroge,etletempss’arrêtealorsquenoscœurss’emballent.Jelaisseéchapperunsouffleethochelatête.

Rylanddéboutonnemonjean.Jemerelèvesurlescoudesetl’observe.Lemondeautourdenous s’est figé. Iln’y aquenous,nousdans lanuit, lehalode l’ampoulenuequi tanguedoucement au-dessus de nos têtes, éclairant son corps, ses boucles brunes d’une lumièremordorée.

J’enoubliepresquederespirer.Avecdélicatesse,Rylandfaitglissermonjeansurmeshanches,mesjambesetbientôtje

meretrouveenpetiteculotte.Jefrémis.Ilmedécochel’undesessouriresravageurs.– J’ai tellement rêvé de toi, murmure-t-il, la voix chargée de désir. De ça. De goûter

chaquecentimètrecarrédetapeau.Desentirtoncorpsmerépondre…Sesdoigtseffleurentl’intérieurdemescuisses.– S’abandonner…, poursuit-il en baissant la tête pour déposer un baiser sur le coton

humidedemapetiteculotte.Jegémis,retombeenarrièrelesbrasencroix,avidedesescaresses.—Abdiquer…Lesouffledesesparolesmefaitvibreraupointleplussensibledemoncorps.Leplaisir

metransporte,douxetlumineux.Oh,jepourraisjouirmaintenant,seulementavecça.Àsentirsesmainssurmeshanches,

lourdes.Aucontactde sa languequivaetquivient sur le tissu.À la sensationde ses jouesrugueusessurl’intérieurdemescuisses.

Jem’entendsgémir, lesupplier,puisRylandarrachemapetiteculotteetmelèchedansuncoupdelanguetorride.

–Oh…Moncorpssefige.Jechercheàl’aveuglequelquechoseàquoim’accrocher,maisiln’ya

rienquelabouchedeRylandsurmoi,sonindécente,sonirrésistible,samerveilleusebouche.

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Il me lèche le clito à un rythme lent, affolant, s’abreuve à moi, couvre l’intérieur de mescuissesdepetitsbaisers,s’arrêteavantdeseremettreàl’ouvrageetsalangues’appliqueàmetorturer,refusedevenirlàoùjel’attends,auplusprofonddemoi.

Jeluiagrippelescheveux,veuxleforceràaccélérersescaresses,maisilnecèdepas,nes’arrête même pas et continue de m’infliger ce délicieux supplice. Avec obstination,implacable.Mesossefragmentent.Mesmuscless’atomisentenunenébuleusedesensations.Je bascule dans le ciel étoilé au-dessus denous, dans sa constellation, dans la pureté de cemoment.

QuandRylandplongedeuxdoigtsenmoi, je laisseéchapperuncridésespéré.Leplaisirdéferle sur moi, encore et encore, tout mon corps se ramasse autour de ses doigts quim’explorent, se presse contre sa bouche insatiable, puis je me perds dans les vagues d’unbrasierflamboyant.Jetombe,l’imploreencoreetencorejusqu’àl’extasesuprême,moncorpsressuscité par une lueur aveuglante qui me parcourt de la tête aux pieds, chaque cellule,jusqu’àmonâme,tandisqueRylandmepossèdeavecsabouche,sesmains,salangue…

Jetombeetc’estcommerenaître.

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21.

Lorsque je refais surface,Rylandest contremoi,appuyé suruncoude,etdessinedes rondssurmonventreduboutdesdoigts.

–Hello,jechuchoteavecunsouriretimide.Latensionentrenousestencoreélectrique,maisilyaunelueurnouvelledanssesyeux,

uneintimitéquimeserrelecœur.Toutachangé.Pasàcausedelafaçondontilmetouchemaintenant,niàlafaçondontje

mesuisabandonnéeuneminuteplustôt,maisàcausedecequenousavonspartagé.Decesvéritésquenousnoussommesavouées,decescicatricesquenousavonsmisesaujour.

Iln’yaplusrienquinoussépare.–Hello,murmure-t-ilàsontourendéposantuntendrebaisersurmeslèvres.Jem’enivredesonparfum,odeursdeshampoing,goûtdesel.Etsasaveurprofonde.Ma

timiditésedissipepour laisserplaceà labéatitudequicouledansmesveinesetauxbraisesardentesdudésirquipeuàpeuseréveillent.Déjà.

–Tuavaisraison,jeréalisesoudain.Ilmeregarde,perplexe.–Cejour-là,auborddelaroute.Quandtuasditquejetesupplieraidem’embrasser,la

prochainefois…Jeris,promènemesmainssursontorse,vibreaucontactdesesmuscles.LesouriredeRylandsefaitprédateur.–Jen’aipasditqueça,mechuchote-t-ilàl’oreille.Sijemesouviensbien,j’aipromisde

tefairehurlermonnom.Jerougis.–C’étaitplusungémissementqu’uncri,jeplaisante.–Onverrabienlaprochainefois,rigole-t-il.Ilplongesesyeuxdanslesmiensetdanslesflammesdudésircrépitentdespromesses.Je

frissonne,prendssonvisageentremesmains.Cettefois,nosbaisersprennentunedimension

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plus intense, habités par une chaleur aussi lumineuse que les lucioles qui dansent dans lessous-bois.

Oh, j’ai tellement enviede lui. Jamais jen’ai ressenti ça, une telleharmonie avecmoncorps,chaqueparcelledemonêtrerésonnantdelamêmemélodie.

Prends-moi.Jemepresse contre lui, ivrede ses lèvres contre lesmiennes,desassautsde sa langue

autour de lamienne. Rylandm’étreint, serremon corps contre le sien, si dur. Je suffoque,aveuglée par tant de désir, toutmon être en appelle à lui. Je fais glissermesmains sur sapeaudebronze,jusqu’àsaceinture,quej’ouvre,puisj’enfouismesdoigtssous…

Le téléphone de Ryland beugle à cet instant précis, nous ramenant brutalement à laréalité.

Ilsefige.– Laisse tomber, je chuchote en couvrant son cou de baisers,mais il s’échappe demes

brasetsepenchepourattraperl’appareilsurlesol.Ilregardel’écran.–Brit,medit-ilet,l’espaced’uneseconde,ilmesemblelevoirlaisseréchapperunsoupir

desoulagement.Qu’est-cequ’elleveutàdeuxheuresdumat’?,dit-il,l’airsoucieuxàprésent.–Allô,Brit?Quesepasse-t-il?Ilsetait,puissetourneversmoi.Non,elleesticiavecmoi.Noussommesàlamaison…

Oui…Ok,onarrive.–Qu’ya-t-il?, jedemande, intriguée.Je remetsmonT-shirtet croise lesbras.Queme

veut-elle?–TonamieZoey a appelé, répondRylanden cherchantmon regard.Elledit que tu as

laissé ton téléphoneà lamaison, avantdedisparaîtredans lanature.Elle aappelé tous tescontacts.T’acherchéetoutelanuit.

Zoey.– Oh, merde !, je m’exclame et je me relève d’un bond en imaginant son affolement.

J’aurais dû lui laisser unmot. Je n’ai pas voulu la réveiller, j’avais juste besoin de prendrel’air.

– Tout va bien,me rassure Ryland. Brit va l’appeler pour lui dire où tu es. Je vais teramenercheztoi.

–Non,tunecomprendspas,jeréponds,paniquée.C’estl’anniversairedeConnor,Zoeyadûcroirequeje…

Jeme tais,horrifiéeà l’idéede tout cequiapu traverser l’espritdemonamie. Jen’aijamaisnourridetellespenséescesoir,maisça,Zoeyn’ensaitrien.Ellenes’esttoujourspaspardonnéed’avoirétéabsente,siloinaumomentoùj’avaisleplusbesoind’elle.

LevisagedeRylandsedécomposequandilcomprend.–Merde…

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Ilrajustesesvêtementsetattrapesesclés.–Viens,jeteraccompagne.Peut-êtrequecen’estpassigrave,ajoute-t-il,pleind’espoir.

Britaappelé toutde suite.Tonamievientpeut-être justede se rendrecompteque tuétaispartie…

Jem’accrocheàcetespoirtoutlelongdelaroute,jusqu’àlamaisondelaplage.Toutesleslumièressontalluméesetilyadeuxvéhiculesdepolicegarésdansl’allée.

LavoituredeRylandn’estpasencoreàl’arrêtquedéjàj’ouvrelaportièreetm’élance.–Tegan!L’échodesavoixrésonnederrièremoitandisquejetraverselacouràtoutesjambes.–Zoey?,j’appelleenregardantautourdemoi.Elle est là et fait les cent pas dans le salon, en pleine conversation téléphonique. Son

visages’illuminequandellemevoit.–Oh,monDieu,tueslà!Jemejettesurelleetlaserredansmesbras.–Jesuistellement,tellementdésolée,jesanglote.Jen’aipasréfléchi.Jem’enveux,situ

savais.–J’ignoraisoùtuétaispassée,répondZoey,enlarmeselleaussi.Etlaportedederrière

étaitouverte.J’aicruquetuétaisdescenduefaireuntoursurlaplage.Maisilfaisaitsinoir,ettun’avaispaspristontéléphone…

–Jevaisbien,dis-je,lesoufflecourt.Jevaisbien.Onfinitparselâcher.Rylanddiscuteaveclesagentsdepolice,àlaporte,ilseconfond

en excuses. Apparemment, il connaît bien l’un d’entre eux et, après un moment, les flicsprennentcongé.Rylandrefermelaportederrièreeux.

–Voilà,dit-ilavecunsourirerassurant.Toutestarrangé.–Saufque…Zoeysembleconfuse.–J’aiappelétesfrères.Moncœurseserre.–Lequel?–Euh…Tous,répond-elleavecunegrimace.J’étaissiinquiète.Jesuisdésolée…–Non,cen’estpastafaute,jem’empressedel’interrompre.Tuasfaitcequ’ilfallait.Exceptéquemaintenant,j’aitroisfrèressurprotecteursquidoiventserongerlessangs,là

oùilssont.– Appelle Blake, je me charge de Ash, je lui dis en prenant mon téléphone. Peut-être

pourra-t-onlesavoirauboutdufilavantqu’ilsnesautentdansunavionpourrappliquerici…J’imaginel’étatdanslequelmesfrèresdoiventêtre,j’enaimalauventre.Commentai-je

pumemontrer aussi stupide ? Jamais plus je ne leur ferai un truc pareil, promis juré. Ils

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commençaientàpeineàmefaireconfianceetj’aitoutgâché.Jenemepardonneraijamaisdeleuravoirfaitunetellefrayeur.

–Hmm,bien,jem’envais.LavoixdeRylandm’arracheàmespensées.J’avaisoubliéqu’ilétaitlà.–Oh,désolée,dis-jeenmeprécipitantverslui.Jesuisvraimentstupide.Toutçaaprès…Ilmesourit,rassurant.– Hé, c’est bon. La famille, je sais ce que c’est, rappelle-toi… Heureux de t’avoir

rencontrée,ajoute-t-ilàl’attentiondeZoey.– Moi aussi, répond Zoey en me regardant avec curiosité, et je comprends que nous

allonsavoirtouteslesdeuxunediscussion.J’accompagneRylanddehors.–Merci,jechuchoteenleregardantdanslesyeux.Cesoir…Jecherchemesmots,envain, jen’entrouvepas.Oui,quelsmotspourexprimercequi

est arrivé entre nous, ce lien que nous avons forgé ? J’ai l’impression d’avoir vécu descentainesd’annéesenl’espacedequelquesheuresàpeine.

Rylandmesourit,commes’ilcomprenait.–Jet’appellerai,demainmatin,dit-ilavantdedéposeruntendrebaisersurmabouche.Puisils’enva,jelesuisdesyeuxjusqu’àcequ’ilremonteenvoiture,s’éloigne.C’est à cemoment quemon téléphone sonne.Ash. J’inspireunbon coup,décroche. La

nuitprometd’êtrelongue.

Unefoismesfrèresrassurés,Zoeyetmoimontonsnouscoucher.Jedorscommeunbébéetquandjemeréveille,lesoleilestdéjàhautdansuncielsansnuages.

Lesévénementsdelasoiréemehantent.Jemedétested’avoir inquiété les personnes qui comptent le plus aumondepourmoi.

Zoey,mesfrères…Ilssonttellementattentifs,prévenants,anxieuxàl’idéequejenesoispastout à fait guérie, que je puisse retomber dans les abysses au moindre accroc. J’aimeraistrouverunmoyenpourqu’ilscomprennentquec’estterminé.Jenereplongeraiplus.

Entevolatilisantdanslanuit?Drôledefaçondeleleurprouver.Jesoupire.Unepartiedemoileurenveutdes’affolercommeça,maisjenepeuxpasle

leurreprocher.Ilsm’aiment,ilss’inquiètentpourmoietsijeveuxreprendremavieenmainsans les avoir en permanence sur le dos, c’est à moi de leur prouver que je suis stable etresponsable. Alors, terminé, plus question de disparaître sans prévenir quelqu’un. À partird’aujourd’hui,sijeveuxquel’onmetraiteenadulte,jedoismecomportercommetelle.

Je passe sous la douche, enfile un jean et un sweat léger avant dedescendre. Zoey estassisesurlesmarchesdederrière,faceàlaplage,unetassedethéentrelesmains.

–À quelle heure dois-tu être à l’aéroport ?, je lui demande,mal à l’aise, jem’en veuxencoredel’avoirinquiétée,elleetlesautres.

– Pas avant cet après-midi,me répond-elle avant d’arborer un sourire canaille. Ce qui

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signifiequetuastout letempspourmeracontercequis’estpassélanuitdernièreavectongaragiste.

J’éclatederire,soulagée.–Ehbien…, jecommenceenm’asseyantàcôtéd’elle.Commentdire…?C’était,hmm,

plaisant.–Oh, allez, jeméritemieux que ça,marmonne Zoey enm’envoyant un léger coup de

coudedanslescôtes.Aprèscequej’aienduré,j’aidroitàplusdedétails,non?–Oh,tusais, jem’enveux,dis-je.Jesuissortiecommeça,sansmeposerdequestions,

c’étaitcomplètementirresponsable.–Jecomprends,dit-elleavecunpetitsourirecrispé.Etjemesuisunpeutropaffoléede

mon côté, à appeler tout lemonde comme ça,mais…S’il t’arrivait quelque chose, je ne lesupporteraispas.Sijevenaisencoreàpasseràcôtéd’unsignal…

FaceaudésarroideZoey,jelaserrecontremoi.–Cen’étaitpas ta faute, je réponds,enpesantbienmesmots.Etcelanesereproduira

pas.Ellesoupire,hochebrièvementlatête.–EtRyland?Ilestaucourant?–Jeluiaitoutraconté.Etilnem’apasjugée,Zoey,pasuneseulefois.Ilcomprend.–Ilmeplaîtdéjà.–J’auraisaiméqueturestesunpeuplus, j’ajouteenl’étreignantànouveau.Jevoudrais

quetuapprennesàleconnaître.– Pour tenir la chandelle en vous regardant roucouler ? Non, merci. Et puis, je suis

presque au bout de mon stage, encore quelques mois et je devrais pouvoir rentrerdéfinitivementàNoël.

–Tun’aspas enviede rester enEurope ?Tuas l’air de tellement t’amuser, là-bas. Lesphotosdesdéfilés,descoulissesdelamode,c’estsuperglamour.SansparlerdushoppingsurlesChamps-Élysées…

–Tulesaisbien,répondZoeyavecunsouriredésabusé.Toutça,c’estduvent.Mafaçonàmoidedire«Allezvousfairevoir»àtoutescessalopesdulycée.Non,enfait,j’ailemaldupays.Vousmemanqueztous.

Jeme tais. Avantmon entrée au bahut, Zoey subissait des brimades incessantes de lapart des autres filles. Et, je le sais, elle en a gardé des cicatrices,même si aujourd’hui ellemèneuneviederêve.

–Oui,Paris,c’estunesacréerevanche,jetentedelaréconforter.–Tuasraison,acquiesce-t-elledansunéclatderire.Bon.Toutestrégléavectesfrères?,

enchaîne-t-elle,changeantdesujet.– Oui, plus ou moins, je réponds avec une grimace. Heureusement, Dex est encore à

l’étrangeretAshenpleine restructurationde jenesaisquelleboîte, sinonàcetteheure, ils

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seraientdéjàicipourmereconduiremanumilitariàPinecrest.–Ilss’inquiètentjustepourtoi,commenoustous,chuchoteZoey.Ellemarqueuntemps.–EtBlake?–Ilétaitenroutepourl’aéroportquandjel’aieuautéléphone…Jesoupire,avecdenouveaucetteculpabilitéquimeprendàlagorge.–Ilvoulaitvenir,maisjel’enaidissuadé.Ilestenpleintournage,çaseraitdelafoliede

quitterlavilleencemoment.–Etcommentçasepassepour lui, là-bas?,m’interrogeZoey,en fixant l’océan,surun

tondétaché,maisjejureraisavoirvusesjouess’embraser.–Bien,jecrois,jerépondsavecunhaussementd’épaules.Ilsortavecunefilledelatélé.

Ilsfontsouventlaunedestabloïds.–Oh…Zoeybaisselesyeuxetavaleunenouvellegorgéedethé.–Jenesavaispas.– Tu connais Blake, je poursuis en riant. Une nouvelle petite amie chaque semaine.

Difficiledesuivre…– Je m’en souviens, oui… Il ne ramenait jamais deux fois de suite la même fille à la

maison.Soudain,monventreémetunesériedegargouillis.Jerisetmelève.–Etsionallaitpetit-déjeunerausnack,avantquetuprenneslaroute?Jesuissûreque

tun’asjamaishumédesodeursdegraisseaussialléchantes!Zoeysouritetselèveàsontour.–Allonsvérifierçatoutdesuite!

Onsegavedoncd’unpetitdéjeuneraussicopieuxquecalorique,puisonseditaurevoir.

Elle s’éloigneauvolantdesavoiture.Je la suisdesyeuxetagite lamain, jusqu’àcequ’elletourne pour prendre l’autoroute et disparaisse dema vue. J’ai de la peine, mais enmêmetemps je suis heureuse qu’elle soit venue. Nos confidences me manquent, tous ces petitssecretsque l’onéchange,ces fousriresque l’onpartage.Cettecomplicitéque l’onnetrouvequ’auprèsd’uneamie,unevraie.

Mêmesijen’aipastoutracontéàZoey,loindelà.Cen’estpasfautedem’avoirsuppliéepourdesdétailssurcequis’estpasséavecRyland.Maisj’aienviedegarderçapourmoi.Cequenousavonsvécuétait si intime, si sensuel, jeneme senspasprête à enparler.Encoremaintenant,rienqu’ausouvenirdesesmainssurmoi,desabouches’abreuvantàmoi,jesuisprisedeboufféesdechaleur,j’enaidesnœudsàl’estomac.

Quecethommeestsexy.Je rentre dans la maison et me rends directement dans la salle de musique, encore

perduedansmespensées.JevoislesyeuxdeRylandquibrillentdanslanuit,intenses.Quand

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jerepenseàsoncorpssurmoi,j’enailesoufflecoupé,jeperdslespédales,messeinssefontlourds,etentremescuisses,c’estdufeu.

J’aienviedelui.Jeme jette sur l’un des canapés, attrape la guitare. Une dizaine demélodies tournent

dansma tête, douces, sensuelles, érotiques. Je joueun accord,mais jeme sens trop fébrilepourcomposerquoiquecesoit,aujourd’hui,alorsjemecontentedejouer,commeça,aucunairparticulier.Je laisse juste lacascadedenotes tomberdemon instrumentetde tempsentemps,jechantonnedesfragmentsdeparoles.

Quitoutesneparlentquedelui.Ryland.Jen’arrivepasàlecroire,jeluiaicollédepuisledébutuneétiquettedebadboy.Orle

vraiRylandesttellementplusqueça.Unhommeblessé,attentif,généreuxetdotéd’uneforcequejenesoupçonnaispas.

Etsexy,n’oubliepas.Jesensunsouriresedessinersurmonvisageetsoudain,j’éclatederire.J’ail’impression

d’avoirquinzeansànouveau,uneadoamoureuse,maiscettejoie,cettelégèreté…Jamaisjen’ai ressentiquelquechosedecomparable,pasmêmeavecConnor.Avec lui, c’était intense,exaltant,jamaisvraimentdoux,mêmedanssesbonsjours.

Aujourd’hui,c’estdifférent.Jemesensdifférente.Montéléphonesonne.UntextodeRyland.Onsort,cesoir?Undélicieuxfrissonmeparcourt.Serait-ceunrendez-vous?,jem’empressederépondre.Oui.Unvraidevrai.Jepasseteprendreàdix-huitheures?Jet’attends.Je presse mon téléphone contre mon cœur, déjà ivre d’impatience à la perspective de

cettesoiréeaveclui.

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22.

Ryland

–RayJayestamoureux-eux!,chantonnemasœurdansmondos,tandisquejem’affairesousle capotde la voituredeTegan.L’après-midi toucheà sa fin. J’ai travaillé commeun forçattoutelajournée,maisjeveuxabsolumentfinirpourcesoir.

–RayJayestamou-ou-reux-eux!,continuedefredonnerBrit,perchéesurl’établi,toutenbattantlerythmeavecletalondesesbottescontrelebois.

Uneheurequ’elleestlààmeprendrelatête.–Tupourraislafermer,unpeu?,jemarmonne,enessuyantmonfrontquidégoulinede

sueur.Tun’asriendemieuxàfaire?Pourquoin’irais-tupasembêtertonmariplutôt?–Ilmevoitassezcommeça,répond-elletoutsourire.Maistoi,cherfrère,tuespartisi

longtemps,troplongtemps.Jerattrapejusteletempsperdu.–Tsst,âgemental,onzeans,jesoupire.– Non,mais, regarde-toi !, s’exclame-t-elle dans un éclat de rire. Tout transi d’amour.

Jamaisjen’auraisimaginétevoircommeça.Etc’estquand,leprochainrendez-vous?– Ça te regarde ?, je rétorque, mais impossible de rester en colère contre elle bien

longtemps.Moi-même,j’ail’impressionderetomberenenfance,toutfébrileàlaperspectivedevoir

Tegancesoir.J’aipenséàelletoutelajournée,hantéparlessouvenirsclassésXdelaveille.Dessouvenirsquejenevaiscertainementpaspartageravecmapetitesœur.

LesyeuxdeTeganquiseferment…Unsoupirquis’échappedeseslèvres…Soncorpsquivibrecontrelemien…

–Où vas-tu l’emmener ?Qu’est-ce que vous allez faire ?, demandeBrit,m’arrachant àmespensées.Tuasintérêtàtecreuserlatête,aprèsluiavoircausétantdeproblèmesl’autrefois.

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–Pourcommencer, jeneluiaicauséaucunproblème,jeprotesteet jerefermelecapotpourtesterlemoteur.

Jemepencheàlavitrecôtéconducteurettournelaclédecontact,écouteavecattentionleronronnementdelamécanique.C’estmieux.

–Ensuite,cenesontpastesaffaires.Quandest-cequej’aurailedroitd’avoirmespetitssecrets?

–Ditleroidescachotteries!,répondBritengloussant.Allez,rienqu’unechoseoudeux.Jepourraistedonnerdesconseils,parceque,àmonavis,tumanquesunpeudepratique.

Jelaisseéchapperunsoupir,attrapemabouteilled’eau.–Jevaisl’emmenerdînerquelquepart.Britlèvelesyeuxauciel.–Etaprès?–Etaprèsquoi?–Ehbien,leclouduspectacle,c’estquoi?Letrucromantiquequilaferacraquer.J’observe la fillequi,enfant,haussait lesépaulesquandon lui lisaitdescontesde fées,

tantelletrouvaitçaennuyeuxetirréaliste.–Tegann’estpascommeça.– Toutes les filles sont comme ça,me reprend Brit avec tendresse. Je ne parle pas de

fleurs, ni de bijoux, ni de tous ces trucs clichés, je parle de quelque chose qui lui prouveraqu’ellecompte,pourtoi.Pournotrepremierrendez-vous,Hunteravaitorganiséunrepasentêteàtêtesurletoitdubar…

Àl’évocationdecesouvenir,sonvisages’adoucit,unsourirepleindenostalgiesedessinesurseslèvres.

–Ilavaitpenséàtout,lamusique,lesbougies…C’étaittellementromantique.–Maisjedoisallerlachercherdansdeuxheures,jeréponds,prisdepanique.Jen’aipas

letempsd’organiseruntrucpareil.– Tu n’es pas obligé de faire la même chose. Juste un truc qu’elle gardera dans sa

mémoire comme un précieux souvenir. Montre-lui que tu ne t’es pas contenté d’attendrel’heuredevotrerendez-vouspourl’emmenerlemomentvenuChezJimmyboufferunepizzaetprendreunebière.

Aïe.Commenta-t-elledeviné?Ellemevoitmedécomposer.–J’ycroispas!,s’exclame-t-elle.C’estcequetuasprévu?–Jenesuispasdouépourça,jetentedemedéfendre.Merde.Jenemesuisjamaisposé

cegenredequestions.Lesfillesétaientjuste…–Justelàpoursejeterdanstesbras,finitBritenriant.Je hausse les épaules, mal à l’aise. En fait, toutes ces années à bourlinguer, je les ai

passées seul le plus souvent. Les filles que je croisais, dans ce monde qui était le mien,

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n’attendaient pas de grandes envolées romantiques, de tendres rendez-vous en tête à tête.Ellesétaienttoutescassées,désabusées,commemoi,lecœurverrouillé,toujoursunœilsurlaporte, en quête d’undestin plus rose. J’ai bien euune liaison oudeux,mais jamais dans laperspectived’unerelationdurable.C’étaitjustequelquechosequejelaisseraissansproblèmederrièremoi, une foisma dette remboursée, quand je fermerai définitivement la porte surcettevie.

Avec Tegan, ça n’a jamais ressemblé à ça. Avec elle, c’est un joyeuxmélange d’espoir,d’émotionetdepassion.Jenemereconnaisplus,jesuisenpleindésarroi,commeunadoquimeurtd’envied’inviterlafillelaplussexydubahutaubaldefind’année.Saufquejenesuisjamais allé à un bal de promo.Mon truc, c’était d’emmener unemeuf au vieux phare pourbaiserjusqu’àl’aube,unpackdebièresdanslecoffredelabagnole.

C’estunvraicoupdemassuequandjeréalisetoutça.Jesuisdanslamerde.–Pasdepanique,meditBrit.C’estsimple.–Vraiment?– Fais-moi confiance, répond-elle avec un grand sourire. Quand j’en aurai fini, elle te

mangeradanslamain.–Brit…, je soupire,méfiant.Surtout,pasde folie.C’estnotrepremier rendez-vous, j’ai

enviequeçasepassebien.Jeveuxjustequ’ellesedétendeetpasseunbonmoment.–Relax,grandfrère,répondBritenattrapantsonportable.Jem’occupedetout.Toi,tu

teprépares, et basta.Première chose,unedouche.Unevraiedouche, insiste-t-elle avecunegrimacedevantmasalopettemaculéedecambouis.Tupues.

– Faux, c’est toi qui pues, je réplique et je l’empoigne, badigeonne ses bras d’huile demoteur.

Ellehurleetmerepousse.–Beurk,baslespattes!–Non,attends…Tuasuntruc,là…Etjeluibarbouillelevisage,mortderire.Britsedébat,mesupplie,etjedoislalâcher

quandellem’envoieuncoupdecoudedanslescôtes.–Jetedéteste,dit-elleenriant.–Toiaussi,tum’asmanqué,jerépondstoutsourire.Etc’estlavérité.C’estloind’iciàdesmilliersdekilomètresquej’aicompriscombienma

famillecomptaitpourmoi.Pasmesparentsavec leurputaindevicesetdeproblèmes,maislesseulespersonnesquim’étaientchèresencemonde.Emerson.Brit.

Lamaison.–Alors,dis-jeenjetantuntorchonpropreàBrit.C’estvrai,tuveuxbienm’aiderpource

soir?–Biensûr.–Parcequej’aiuneidée.

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Ilestdix-huitheuresprécisesquand jemegaredevant lamaisonde laplage.Et jesuissacrémentnerveux.J’aiencoredanslatêtelessermonsdemasœur,commequoicettesoiréedoitêtreinoubliable,spéciale.JesuisprêtàtoutpourTegan,jetiensàcequecemomentsoitparfait.

Ellelemérite.J’essuiemesmainsmoitesd’angoissesurmonjean,puismedirigeverslaported’entrée,

maisjen’aipasletempsdesonner,Tegansurgit.–Hello,dit-elle,commeàboutdesouffle,avecunsouriretimide.Tueslà.Elleestd’unebeautéàcouperlesouffleetj’enrestesansvoix.Il n’y a pas de mots dignes d’elle. Elle porte une robe noire toute simple, sobre, ses

cheveux tombent en cascade autour de son visage aux lignes si douces. Ses yeux brillent,pétillent.Surseslèvres,unglossrougecerise.Toutenelleestlumière,elleirradie.Elleacegenredebeautéàmettretousleshommesàgenoux.Legenredebeautéquieffacetoutcequil’aprécédée.C’estaussisimplequeça.

Elleestlaseule.L’unique.–Euh,salut,oui, jeparviensàarticuler,envoûtépar lesauroresboréalesdesesgrands

yeux.Unsilenceélectriquecrépiteentrenous.–Tues…divine.–Merci,répond-elleavecunsourireetellerougit.Je ne peux pas résister une seconde de plus. La gravité m’attire vers elle, force

élémentairecontrelaquellejesuisdésarmé.J’approchemonvisagedusienetposemeslèvressurlessiennes.

Je l’embrasse et soudain, tous lesmorceaux éclatés de ce putain demonde retrouventleurplace.

Teganlaisseéchapperunsoupiretsepressecontremoi.Soncorpssefondtellementbiendansmesbras,saboucheestbrûlanteetavidesur lamienne.Ellemerendmonbaiseravecardeur,m’attirecontreelleetsecambreengémissant.

Merde.Son contact agit comme un détonateur sur le désir quime consume depuis le premier

jouroùj’aiposélesyeuxsurelle.Aujourd’hui,plusriennemeretient.Jesoupire, laplaquecontre le mur en béton, submergé par une déferlante de désir. Je la veux. Sa saveur mepénètre enun torrentde feu. Je l’embrasse commeundément,mesmainsvont et viennentsurelle, fébriles, jeglisseungenouentre sescuisses.Tegan ronronne,puis sepressecontremon érection et au contact de son corps, de ses mains qui se faufilent sous ma chemiseblanchebienrepassée,jesuisprèsdeperdrelatête.

Jerecule,dentsserrées.Elleécarquille lesyeux,abasourdie, lèvresrougesang,pupillesdilatées.

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–Qu’ya-t-il?,demande-t-elle,pantelante.–Rien,bébé,jeluicaresselajoueetluimurmureàl’oreille.Maissijenet’emmènepas

danslescinqprochainessecondesdanstavoiture,onvaseretrouverparterreàfairel’amour.–Etpourquoipas?,chuchote-t-elleentressaillantetellecouvremonvisagedebaisers.Lescaressesdeseslèvresdescendentdirectentremesjambes.Franchement,jeméritelamédailledusang-froid.–Plustard,jepromets,puisjereculeencore,remonteàregretsursonépauledénudéela

bretelledesarobequiaglissédanslabataille.Puisj’inspireunboncoupetfaisensorted’éteindrelesflammesquimedévorent.–Prête?–Biensûr,Teganmesourit,attrapesonsacdansl’entrée,avantdesefiger.Uneseconde,

tuasbienditmavoiture?–Possible,jerépondsenriant.–Oh,monDieu!,s’exclame-t-elleenmesautantaucou.Puiselleregardedansl’alléesaMustangquibrilledemillefeux.Ellejointlesmainsetse

précipite, s’engouffre dans la bagnole, côté conducteur. Elle met le contact et écoute avecattentionlebruitdumoteur.

–Tul’asréparée!Ondiraitqu’elleestneuve!Sonvisageirradieunejoietellequ’unsentimentdefiertém’envahit.C’estgrâceàmoi,siellesouritcommeça.Etj’aienviequeçanes’arrêtejamais.–Jetel’avaispromis,non?,dis-jeetjelarejoinsalorsqu’elleexaminemontravail.–Ettutienstoujourstespromesses?,demande-t-elle,lesyeuxrieurs.–Tupeuxenêtresûre.Je lesais,onpense tous lesdeuxà ladernièrepromesseque je luiai faite,cellede lui

fairecriermonnom,et jedoisfaireappelàcequimerestederaisonpournepasl’allongersurlabanquettearrièreetluiprouverquejesuisunhommedeparole.

Ducalme,monvieux.Tuastoutelanuitdevanttoi.Teganfaitletourdelavoiture,laissecourirsesdoigtssurlacarrosserie.–Lesenjoliveurssontneufs?,s’extasie-t-elle.–Mouaisetj’airedressélepare-chocsaussi.Soudain,ellesejettesurmoi,meserredetoutessesforces.– Je ne te remercierai jamais assez, dit-elle en me poussant contre la voiture. Cette

voiturereprésentetantdechosespourmoi.–Jesais,jemurmureenécartantunemèchedevantsesyeux.Etçamefaitplaisirdete

faireplaisir.Teganm’embrassesurlajoue,puiss’écarte.Jemesensdémuni,abandonné.Jevoudrais

nejamaislalâcher.

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–Est-cequejepeuxconduire?,demande-t-elle,lesyeuxpleinsd’espoir.– Je vous en prie, princesse, je réponds en riant, tout en ouvrant la portière côté

passager.Onadeuxheuresderoutedevantnous…Ellem’interrogeduregardpar-dessusletoitdelaMustang.–C’estunesurprise.Etd’uncoup,jemedisquetouscespréparatifsdedernièreminute,çaenvalaitlapeine,

rienquepourvoirsonvisages’éclairercommeça.Ellesemetauvolant,démarreetfaitrugirlemoteur.

–Qu’est-cequetuattends,monte!,m’appelle-t-elle.Allons-y!

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23.

Tegan

C’estunesensationgénialedemeretrouverauvolant,àroulervitresbaissées,souslesoleilpresquecrépusculaire.L’océanvaetvientsurlacôteetleventébouriffemescheveuxquej’aimisun temps infiniàcoiffer,mais jem’en fous.Unprofondsentimentde libertécouledansmes veines, alimentépar laprésencedeRylandà côtédemoi, confortablement installé sursonsiège,quinecessedem’observerderrièresesRay-Ban.

Ilrefusedemerévélernotredestination,jesuisdoncsesdirectives,capsurlaville,avecun frisson d’excitation. La radio en fond sonore, nous bavardons de choses et d’autres, deZoey,deBritetdenossaintesfamilles.

– Je commence juste à réaliser combien ils m’ont manqué, me confie Ryland, l’airsongeur.J’imaginequejemesuisarrangépourenfouirtoutça,quandj’étaisloin,maisdepuismonretour,àpasserdutempsaveceux, jemerendscomptedetoutcequej’airatédeleurvie. Surtout celle de Brit, ajoute-t-il en riant. À peine si je la reconnais. Elle a tellementchangé.

–Tantqueça?,jedemande,curieuse.– Plus encore, répondRyland, coude à la vitre. Elle était plutôt cinglante, sarcastique,

autrefois.Trèssecrèteaussi, impossibledesavoircequ’elleressentait.Toutétaitsouscléenelle,leboncommelemauvais.

–Changédanslebonsensalors,dis-je,enmesouvenantdemonaprès-midiavecelle.Britsemblaitbiendanssapeauàplaisanteretàmedonnerdesordres.–C’est sûr et je n’en reviens toujours pas de la voir si ouverte, si amoureuse, poursuit

Ryland avec un sourire las. Emerson aussi. Tu vois, je pensais que nous étions tous cassés,foutus.Brisésparnotreputaind’enfance,condamnésà lacolère,audésespoir,à lasolitude.Maisjereviensaprèstoutcetempsetilssont…heureux.

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–Enfait,dis-jeenriant,vousêtestousdesBisounours.Àfairelesdurs,maisaufonddevous,c’estdelaguimauve.

Rylandsetourneversmoiavecunregardespiègle.–Tuveuxvérifier?–Oh…Cen’estpascequejevoulaisdire,tulesaisbien…Jetâteenriantsonbiceps,maisils’emparedemamainqu’ilporteàseslèvres,dépose

untendrebaiseràl’intérieuretenunéclair,àsoncontact,jefonds.Ohoui.Rylandmêlesesdoigtsauxmienset laisse reposernosmains jointes sur le siège,entre

nous.Jerespireprofondément,tentederesterconcentréesurlaroute,malgrémoncœurquibatàunrythmed’enfer,etj’aibiendumalàpenseràautrechosequ’àlui,rienqu’àlui.J’aienviedemerangersurleborddelaroute,desautersursesgenoux,del’enlaceretdeneplusjamaisremonteràlasurfacepourrespirer.

–Alors?Tuneveuxtoujourspasmedireoùnousallons?,jeparviensàarticuler.–C’estunesurprise,jetel’aidit,répondRylandtoutsourire.–Hmm, jemarmonneen faisantminede réfléchir.Ladernière fois, c’était lepaintball.

Voyons…Austanddetir?–Absolumentpas.–Aucircuitdekarting?–Tsst,patience,femme.–Quoi?Commenttuasdit?,jem’exclame,enfeignantd’êtrefâchéeparcetteremarque

dignedupiredesmachos.–Tupréfèresprincesse?Poupée?Chérie?,proposeRylandd’unevoixricheetprofonde

quimefaitvibrer.–Peuimporte…RayJay,jeréponds,enlenarguant.–Tuvasmetortureravecçajusqu’aubout?– Jevaismegêner !, je répondsen riant.Mêmequandnous seronsbienvieux, chaque

foisquetudépasseraslesbornes,jet’appelleraicommeça,exprès.Lesmotsm’échappentsansquejepuisselesretenir.Jemetais,malàl’aise.C’estnotre

premier vrai rendez-vous et déjà je lui parle de nous, dans cinquante ans ?Nerveuse, je leregardeàladérobée,maisRylandnesemblepaschoqué.Ilmeserrelamain.

– Pas de problème, poupée, dit-il avec un sourire diabolique. Je suis prêt à tenter lecoup.

Aprèsdeuxheuresderoute,lesoleils’estcouchéquandonarriveenville.Rylandmefaitprendreladirectionducentre.Onsegaredansuneruepleinedeboutiquesbranchéesetdebars d’où s’échappent de lamusique et des rires. Ilme conduit à un restaurant niché entredeuximmeubles,unendroitchaleureux,àladécorustique.Avecpleindegensdevantquifontlaqueue.

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–Jaybird…Jaybird…Jelisl’enseigneduresto.Çameditquelquechose…–C’estlerestaurantdemonfrère,répondRyland,unpeugêné.Commejeneconnaissais

pasencore,j’aipenséque…Etpuis, j’avaisenviequetufassessaconnaissance,ajoute-t-ilendétournantlesyeux.

–C’estsuper,jerépondsauxanges,englissantmamaindanslasienne.Ilpassedevanttoutlemondeetm’ouvrelaporte.Àl’intérieur,ilyafoule,aucunetabledelibre.Àdroite,c’estlebaravecunmagnifique

comptoirenboisverniet,surlesmurs,toutuntasdephotosnoiretblanc.Jeregardecellesprèsdelaporte,m’arrête.

–Maisc’estBeachwood!–Lafemmed’Emerson,Juliet,adorelaphoto,m’expliqueRyland.Ellepourraitenvivre,

maisellepréfèrefaireçapourlefun.–Ellessontsuper,dis-jeenadmirantlesclichés:champdedunessurlaplage,océanen

colèresousuncielnuageux.– Tu vas pouvoir le lui dire en personne, poursuit Ryland enme désignant une jeune

femmequivientjustementversnous,avecunsourireradieux.UnhommelasuitàquelquesmètresetlaressemblanceavecRylandmesauteauxyeux.

Son frère, forcément. Mêmes cheveux noirs, même visage comme taillé à la serpe, saufqu’Emersonestunpeuplusgrand,plusmince,avecunregardempreintdesérénité.

JulietprendRylanddanssesbras.–C’esttellementbondetevoir!–Toutjustesionapusefrayerunchemindanslafoule,ditRylandenregardantautour

delui.Ondiraitquelesaffairesmarchent.–Onvientd’avoirunarticledithyrambiquedans lemagazineSouthernLiving, explique

Juliet.Carina,masœur,afaitnotrepromo.Touslescritiquesgastronomiquesdelarégionluimangentdanslamain.

–EttuesTegan,ditEmerson.–Euh,oui,jeréponds,intimidée,enluiserrantlamain.–Teganestfandetesphotos,intervientRyland.–Oh,merci,répondJuliet,toutsourire.BeachwoodBayreprésentetantdechosespour

nous.Alors,mêmesinousvivonsicimaintenant,c’estunpeunotremaison,là-bas.–Jeferaismieuxd’yretourner,ditEmersonenregardantducôtéde l’entrée lesclients

quitrépignent.Onn’estpasloindel’émeute.Heureuxdeterevoir,ajoute-t-ilavecuneclaqueamicale à Ryland entre les épaules. Tegan, ne laisse pas ce gars-là te détourner du droitchemin.C’estunvrainidàproblèmes.

Rylandsemblemalàl’aise.–C’estpeut-êtremoi,l’exempleànepassuivre?,jerétorque.Emersonéclatederire.–Bienfaitpourmoi.Jevoisqu’ilestendebonnesmains.

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Julietnousconduitjusqu’àunbox,aufonddelasalle.Unendroittranquille,éclairéparquelquesbougies,avecunmagnifiquebouquetdefleurssurlatable.Etaussiunebouteilleaufraisdansunseauàglace.

– Notre meilleure place, nous dit-elle avec un clin d’œil complice. Comme tu l’asdemandé.

–Merci,répondRyland.–Leserveurvavenirprendrevotrecommande.Passezunbonmoment!Julietnousabandonne.Rylandm’avanceunechaise,jem’assieds,auxanges.–C’estsuper.Ilsontfaittoutçapournous?–Pour toi, rectifieRyland,ànouveauavecunpetitair timide.Je leuraiditquec’était

pouruneoccasionexceptionnelle.–Merci, je chuchote en lui prenant lamainquand il prendplace en facedemoi.C’est

parfait.–Tuassoif?,medemande-t-ilens’emparantdelabouteilledansleseau.C’estducidre.–Tuaspenséàtout,jeréponds,aussiémuequ’attendrie.JelèvemonverreetRylandenfaitautantpourporteruntoast.–Àcettesoirée,dit-ilavecdouceur.Unesoiréecartessurtable.Je cognemonverre contre le sien. Ilme sourit et à la lueurdes bougies, il est encore

plusbeau.Jesensdesfrissonspartout,maiscettefoisauseulplaisird’êtrelà,aveclui,toutesnostragédiesdésormaisloinderrièrenous.

–Quoi?,demande-t-il.–Rien,jerépondsavecunsourireénigmatique.Jesuisheureuse,c’esttout.–Bien,dit-il, lesyeuxpleinsde tendresse.C’est toutceque je souhaite.Car tumérites

d’êtreheureuse.Ilsepenchesurlatablepourmedonnerunbaiser.Jetressailleaucontactsoudaindeses

lèvres,chaudes,souplesetavides.Puisilglisseunemainsurmanuque,m’attirecontrelui.Jem’abandonne,m’enivreduparfumcitronnéde sonaprès-rasage.Sonvisageestdoux, il s’estrasé pour notre rendez-vous et je lui caresse la joue. Sa bouche se fait plus pressante, salanguetrouvelamienneetc’estleparadis,unfeud’artificedesensationsenmoi,unechaleurintensevasenicherentremescuisses.

Maisils’écarte,bientropvite.Letempsdereprendremesespritsetjevoisleserveurquihésite,àdistancerespectable.Jerougisquandilapproche.Rylandprendleschosesenmainetpassecommande,desplatsauxnomsextraordinaires,maiscen’estpasdenourrituredontj’aienvie,c’estdelui.Unefaimdelouppoursesbrasautourdemoi,lepoidsdesoncorpssurlemien…

Essaiedenepasluisauterdessusavantledessert,jemesermonne.Surtoutavecsafamilledanslesparages.

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J’avaleunegorgéede cidrepourme rafraîchir les sens et regarde les autres clients. Jevois une table composée uniquement de femmes qui nous observent. Surtout Ryland. Jesouris. Il est toujours séduisant,mais c’est lapremière foisque je le vois aussi bienhabillé,chemiseblancheetjean,cheveuxcoiffésenarrière.Oui,ilestbeauàcroquer.

Ducalme,mafille!– Alors, comment s’est passée ta journée ?, m’interroge-t-il. Je n’ai pas arrêté de me

demandercequetupouvaisbienfairedanscettegrandemaisontouteseule…–Enfait,encemoment,jedevraisêtreàlafac,j’expliqueetjerougisenpensantàmes

chansons.Maismesfrèresontdécidédem’accorderuneannéesabbatique.AvantConnor…Jemetais.Jen’aiplusenviedeparlerdelui,pascesoir.–Bref,çafaitquelquesannéesqu’ilsmepressentdetrouvermavoieetdememettreau

travail.–Çan’apasl’airdet’enthousiasmer,remarqueRylandenm’observantaveccuriosité.J’aiunpeuhontequandjepenseàtoutescesheuresqu’ilpasseaugarage.–Jesuisconsciented’avoirbeaucoupdechancequ’ilsm’aidentfinancièrement.–Cen’estpascequejevoulaisdire,merassureRyland.Tuenasbavé,cetteannée.Se

remettredetrucsaussigraves,c’estuntravailàpleintemps.Jehoche la tête, soulagéequ’ilmecomprenne.C’estdéjàunegrandevictoirepourmoi

depouvoirmeleverchaquematin,detenirdeboutjusqu’ausoir.–Mais je le sais, il faudrait que jeme décide à présent. Je pensais peut-être travailler

danslamusique…–Chanter?– Oh non, je réponds en secouant la tête avec vigueur. Tu m’as entendue. Une vraie

casserole,j’ajouteavecunpetitsourire.–Joker,éclate-t-ilderire.– En fait, je pensais à quelque chose du style chargée de production, un travail de

l’ombre.J’ai toujoursété fascinéepar lesrouagesenœuvrederrièreTheReckless. Ilyadestasdegensimpliqués,agents,publicitaires,responsablesdelabels…Maisbon,aujourd’hui,jene sais pas, j’avoue… Après ce qui est arrivé, les coulisses réveillent trop de mauvaissouvenirs en moi. Je ferais bien quelque chose avec Dex, mais il m’est impossible departiciperàunconcertsanspenseràConnor.Etjen’aiplusenviedemesouvenir.

–Jecomprends,acquiesceRyland.Ettuasd’autresidées?Jehausselesépaules.–Allez, insiste-t-il.Si tupouvaisvraiment faireuntruc,untrucdontturêves,ceserait

quoi?J’hésite. Je n’en ai jamais dit unmot à personne, j’ai peur d’être ridicule.Mais c’est si

faciledeparleravecRyland,alorsjecède.

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– Je voudrais être auteur-compositeur. Pas interprète, non, jeme dépêche de préciser.Maisj’aimeraisentendreunjourdesartisteschantermeschansonssurscèneouàlaradio…

Jem’interromps,baisselesyeux.–C’estbête,jesais.–Pasdutout,protesteRyland.J’ignoraisquetuécrivais.–Personnene le sait, je réponds, intimidée.Enplus, je suis sûrequec’estnul.Mais ce

que j’aime, c’est raconter des histoires, trouver lesmots justes pour véhiculer toutes sortesd’émotions.Enfin,entoutcasc’estcequej’essaiedefaire…

–Tudevraiséviterdefaireça,meditsoudainRyland,leregardnoir.Aussitôt,jemecontracte.– De te rabaisser de cette façon, poursuit-il. Tu dois avoir plus confiance en toi. Du

momentquetuycrois,tupeuxtoutfaire,conclut-il.–Exceptéde chanter juste, je remarqueen riant, troubléepar la chaleurde savoix, la

sincéritédesesparoles.–Bon,oui,àpartça,admet-il.Il se tait quand l’entrée arrive, un plat qui a l’air délicieux, enveloppé de pâte,

accompagnéd’unesaladeverteappétissante.–Alors,qu’est-cetucomptesfaire?,demandeRyland,unefoisleserveurparti.–Pourleschansons?Ehbien,ilyaceconcours…JeluiexpliquecommentlelabeldeDexadécidédefaireappelàl’inspirationdesfans.– C’est génial !, s’exclame-t-il, visiblement enthousiaste. Il faut absolument que tu

participes!– Je ne sais pas, je soupire. Je ne veux pas que Dex se croie obligé de se montrer

indulgent.Etsicequej’écrisestnul?Toutlemondelesauraalors.–Tun’asqu’àutiliserunpseudo,suggèreRyland.–Tucrois?–Pourquoipas?,répond-ilavecunhaussementd’épaules.Lesgensfontçatoutletemps,

j’en suis sûr. Tu n’as qu’à présenter ta chanson sous un faux nom, comme ça, personne nesauraquec’esttoi.

–EtainsiDexn’aurapaslapression,j’ajoute,toutexcitée.Etsijemeplante,personnenes’ensouciera,exceptémoi.

– Et si tu gagnes, alors à cemoment-là, tu pourras dire qui tu es, çamontrera que tuméritespleinementtavictoire,argumenteRyland.

Je décroche, perdue dansmes pensées. Oui, ça peutmarcher. J’ai fait en sorte demetrouverdes centainesd’excusespournepasparticiper à ce concours,mais ellesne tiennentplussijeprendsunpseudo.Ceseraitmonsecret,unefaçondetâterleterrainetdesavoirenfindecomptecequevalentvraimentmeschansons.

–Jecroisquejevaislefaire,dis-je,avecunfrissond’adrénaline.

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–Tuasintérêt,répondRylandensouriant.Ettuvastouslesépater.Jeleregardeàlalueurdesbougies.Ilycroitsifort.Alorsmoiaussi.

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24.

Ledînerestunenchantement.Onreste là,àcettetable,àdiscuterdesheures,etquandonémergedenotrebulle,lesautresclientssontpartis,lesserveurss’affairentpourtoutnettoyer.Au moment de rentrer, je laisse Ryland prendre le volant et je me laisse conduire, enregardantleskilomètresdéfiler,dansuneespècedecoton,toutimprégnéedelachaleurdesaprésence, samainsurmongenou.Sidouce, si légère surmapeau, juste sousmarobe.Unecaresseplusqu’uncontact,quim’envoiedesubtilséclatsdedésirardentdans tout lecorps,justeàpartirdecepoint,dececontactdesesdoigtssurmapeau.

Je le sens partout. Chaque souffle, chaque battement de cœur. Chaque atome de cetespaceentrenouspalpite,chaquemoléculequiconstituesoncorpss’engouffreenmoi.

Cethomme… Lesmots résonnent dansma tête, semélangent à la fièvre qui rugit dansmesveines.Cethommecroitentoicommepersonne.

Quand la voiture s’arrête, je regarde autour de moi, désorientée. Tellement absorbéedansmespensées,quec’estàpeinesij’aieuconsciencedutrajet.

–Onestdéjàarrivé?– Tu avais l’air si paisible, répond Ryland en coupant le contact. Je ne voulais pas te

réveiller.Jem’abstiensdeluidirequejenedormaispas,quejemesuisabandonnéeauxrêvesde

sesmains surmoi, le corpshésitant entre le chaudet le froid, électrique, auxabois tout lelongdelaroute.

–J’aipasséunemerveilleusesoirée,jechuchote,lecœurenpleinedébandade.–Moi aussi, répondRyland enme regardant. Ses yeux brillent dans la pénombre. Puis

c’estlesilence,avecunequestion.Etmaintenant?Je n’ose plus respirer. J’ai attendu de tout mon être ce moment où nous nous

retrouverionsseulsdanslanuit,sanspersonnepournousépier,àquelquespasàpeined’uneporte,d’uncouloir.

D’unlit.

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–Jeteraccompagne,ditRylandendescendantdevoiture.J’hésite,essaiedemeressaisiralorsqu’ils’éloigne.Lanuit jusqu’iciaétémagique,mais

c’estplusfortquemoi,jemesensnerveuseàl’idéedecequivasuivre.Mondésirpourluiestsi fort, ça me fait peur. Mon corps a tellement envie du sien, mais il y a plus. Un besointellementplusprofond.

Tout ça est plus quephysique, ça l’a toujours été.Dès ledébut, je l’ai eu littéralementdanslapeau.Etmaintenantqu’ilsaittoutdemoi,qu’ilconnaîtlesrecoinslesplussombresdemonâme,jesensmoncœurquisedéploie,telslespétalesd’unefleurquis’offreausoleil.

Unepetitevoixchuchotedansmatête,implore.Jeveuxplus.Ontapoteàlavitre.Jesursaute,pousseuncri.C’estRylandquim’attenddehors.–Tum’asfaitpeur,jegémisensortantdevoiture.–Tuascruquec’étaitqui?,demande-t-iletilrit,meprendlamain.–Qu’est-cequ’il faitnoir ici,dis-je,reprenantpeuàpeumesesprits.Oh, jenesaispas,

quelqu’un,n’importequi.–Jesuis làpourteprotéger,bébé,dit-ilavecunclind’œil.Personneneposeralamain

surtoi.Exceptémoi.Savoixrésonnecommeleplusdouxdesserments.Jetressailleendépitdelachaleurde

lanuit.–Promesses,promesses,toujoursdespromesses,jeparviensàplaisanter.En une fraction de seconde, ilme plaque contre la voiture, presse son corps contre le

mien.Puisilmeregarde,sonvisageàquelquescentimètresdumien,siprèsquejepeuxvoirl’éclatd’undésirinsatiablescintillerdanssesyeux.

–Toutelasoirée,jen’aipenséqu’àça.Àt’embrasser,dit-ild’unevoixricheetprofonde.Puis il sepenchesurmoi,maisau lieudeposersabouchesur lamienne, ildescendunpeuplusbasetcouvremagorgedebaisers.

Moncorpsprendaussitôtfeu.Jel’enlace,enfouismesdoigtsdanssescheveuxtandisqueseslèvresfontdesmerveilles

surmapeau.Puisildescendencoreunpeu,etcettefoissabouches’arrêteàlalimitedemondécolleté,sepresseàlanaissancedemesseins.

Je vacille sur mes jambes. M’abandonne contre lui, contre son corps brûlant et dur,prisonnièreetdésarmée,incapabledefairequoiquecesoit,exceptédetremblerdeplaisiràchacundesesassauts.

Jesuffoquelorsqu’ilrelèvelatêteetmefixeavecunregardàtomberàgenoux.–Tudoisavoirchaudavectouscesvêtements,dit-il,etc’estl’incendie,lesflammesqui

me submergent avant d’aller se concentrer entre mes cuisses, en un point de désir quasisurhumain.

S’il me le demandait, avec cette voix-là, je serais capable de me déshabiller dans laseconde,surcettepelouse,devantlamaison.

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Mais au lieu de ça, je lui prends lamain et l’entraîne vers la porte. Je suis tellementtroublée,àfleurdepeau,quejedoism’yreprendreàplusieursfoisaveclescléspourouvrir.Enfin,nousentrons.

J’allume les lumières, pianote le code de sécurité sur le clavier. Ryland émet unsifflement.

–Donc,quandtudisquetonfrèreestunerockstar,tuneplaisantespas…–Disquedeplatine,meilleuresventesàl’international,j’acquiesce.– Tant mieux pour lui, remarque Ryland et je le regarde pour tenter de voir s’il se

moque.Jesuissérieux,dit-il.Cettebaraquedoitvaloirpasloindumilliondedollars.Iladûtravaillerdurpourselapayer.

–Exact,jerépondsavecfierté.– La détermination doit couler dans les gènes des Callahan, dit Ryland en souriant. Et

unebonnedosed’entêtement,aussi.–Hé!,jem’exclameetjelebousculegentimentenriant.–Jeplaisante,répondRylandenm’emprisonnantdanssesbrasetmonriresemeurtsur

meslèvres.Jesuissûrqu’ilestfierdetoi.–Maisjen’aiencorerienfaitdemavie,jechuchoteendétournantlesyeux.–Possible,maistun’enesqu’audébut,medit-ilavectendresse.Lemeilleurestàvenir.Il plonge ses yeux dans les miens. Quelque chose crépite, lumineux, entre nous, une

fulgurancequimecoupelesouffle,quimedonnelafièvre.Ilaraison.Lemeilleurestàvenir…Cesoir.–Viens,dis-jeetànouveau,jeluiprendslamain.Jevoudraistemontrerquelquechose.Jel’entraînedanslamaison,jusqu’àlasalledemusique,commeensuspensionau-dessus

de l’océan avec sa baie vitrée qui court sur tout un pan demur. Dehors, il fait nuit noiremaintenant, on ne distingue que les méandres de la baie. J’allume et aussitôt une lumièrechaudebaignelapièce.

–C’estdonciciquelamagieopère,ditRylandenregardantautourdelui.Ils’approchedupianoàqueue,faitglissersesdoigtssur lestouchesivoire,pianoteune

mélodie.–Mais…Tusaisjouer?,jem’exclame,stupéfaite.–Pasvraiment,répond-ilensouriant.J’aijusteapprisquelquesaccords,icietlà,àforce

detraînerdanslesbars.Jebrûled’ensavoirplus.LepassédeRylandresteunmystèrepourmoi.Oui,ilm’aparlé

desonenfance ici,àBeachwoodBay,maissursesannéesd’errance, rien.Et jemeposedesquestions. Qu’a-t-il fait tout ce temps ?Que faisait-il, le soir où je l’ai rencontré à Vegas ?Quelque chose, pourtant, me retient de l’interroger à ce sujet. Je suis bien placée pour lesavoir.Certaineschosessonttropintimes,tropsecrètespourpouvoirlespartagercommeça.

Laconfiancesemérite,elleneseforcepas.

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Jevaism’asseoirsurlecanapé,m’emparedelaguitarequej’yailaisséelematinmême.Rylandsourit.

–Aurais-jedroitàunconcertprivé?–Peut-être, je réponds, la gorge serrée.À conditionque tumepromettesdenepas te

moquer,j’ajoute,surmesgardes.–Jamaisdelavie,dit-ilenvenants’asseoiràcôtédemoi.Maistun’espasobligée,situ

nelesenspas.Jesaisquecen’estpasévidentpourtoi.D’une certainemanière, sa confiancemedonnedu courage. Je pose la guitare surmes

genoux,caressedeuxcordes.–Cen’estpasfini,dis-je,encoremalàl’aise.Commes’il sentaitmanervosité,Rylandse retourneet s’allongesur lecanapé, tête sur

mesgenoux.Decettefaçon,ilnemevoitpas.–Peuimportecequetujoues,dit-il,lesyeuxrivéssurl’océandevantnous.Jeveuxjuste

t’entendre.Sanssonregardfixésurmoi,jereprendsconfiance.Jememetsalorsàjouerlamélodie

quimetrottedanslatêtedepuisdessemainesmaintenantetpeuàpeu,touts’efface,neresteplusque lamusique,etRylandet cettechansonqui s’échappedemes lèvres, commesiellen’attendaitqueça.

–L’étésemeurt/repeintlemonde/etàchaquefoisjeretombedanslepassé/Jusqu’àcettenuit où tum’avais dit /Que c’était pour la vie /Et la vie aujourd’hui est semblable aunéant,depuisquetuesparti.

L’échodesdernièresnotes se tait. Jepose laguitare et regardeRyland, enquêted’uneréaction,ànouveaul’angoisseauventre.Ilserelèvesanshâte,s’assiedetmefaitface.

–C’esttoiquiasécritça?Jehochelatête.–C’estbeau.Tuasvraimentdutalent.Jerougis,gênée,maisilserapproche.–Jesuissérieux,insiste-t-ilenécartantavecdouceurunemèchesurmonfront.Mêmesi

tu ne remportes pas ce concours, surtout, ne renonce pas. Il faut que les gens entendent tamusique.Ellemérited’êtreécoutée.

– Tu le crois vraiment ?, je chuchote en le regardant dans les yeux, le cœur emplid’espoir.

–Absolument.Rylandmurmurecemottoutensepenchantsurmoietjesenssonsoufflechaud,sidoux

surmes lèvres.Satendressemesubmergeetunefoisdeplus, jem’émerveille.Commentunhomme aussi fort, aussi viril, peut-il me toucher comme ça, me faire me sentir comme sij’étaislachoselaplusprécieuse,laplusdélicateaumonde?

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Mais jenesuispasenverre.Jenerisquepasdemecasser.Etàcet instant, ledésirenmoiveutplusdeluiquedetendresbaisers.Jem’accrocheàsachemise,l’attirecontremoietprendssabouche,nouemalangueàlasienne,tousmessensleréclament.

Rylandlaisseéchapperungémissement,puisjemeretrouvesouslui,soncorpspesantdetoutsonpoidssurlemienetjemecambre,subjuguéeparsoncontact.Jeglissemesmainssursondos, le presse contremoi et arrachemaboucheà ses lèvres brûlantespour couvrir sonvisage,soncoudebaisers.Fébrile, jebatailleaveclesboutonsdesachemise,laluiarrache.J’aibesoindegoûtersapeau.

Jelelècheplusbasetjesenssoncorpsquisetend.–Wow…,dit-il,d’unevoixincertaine,maisjecontinuedel’embrasser,defairecourirma

languesursontorse,delemettreausuppliceavecmabouche,tandisquemesmainss’égarentsurlui,deplusenplusbas.

Jen’entendsplusquemonsangrugirdansmesveines,medélectedesessoupirs,desestressaillementssousmesdoigts.

Cette fois, c’est son plaisir que je veux. Je veux explorer son corps, chaque centimètrecarrédesapeau.

Auprixdequelquescontorsions,jeréussisàluiéchapperpourmeretrouveràprésentàlechevaucher,puisjemeredresseau-dessusdelui,pèsesursonérectionentremescuisses.JebougecontreluietRylandvaetvientavecmoi.Ilm’embrasseàpleinebouche,jegémis,n’enpouvant plus de désir. Il fait alors glisser une première bretelle sur mon épaule, puis ladeuxième.Marobecèdeetdévoilemapoitrine,maisc’estàpeinesi je sensunsouffled’airsur ma peau avant que la bouche de Ryland vienne sur moi et lèche mes seins avecgourmandise. Je frissonne, me presse à la rencontre de sa bouche alors qu’il joue et metorture à grand renfort de baisers. Et c’est quand je crois ne plus pouvoir supporter de telssupplicesqu’ilprendleboutdel’undemesseinsentreseslèvres,memordilleetmesuce.

Jeperdslatête.Ledésirm’engloutit,unrazdemaréeplusfortquetout.J’aibesoindeluicommejen’ai

jamais eu besoin de personne avant. Je le repousse, ivre de sensations, et rampe sur soncorps,couvredemillebaiserssonventremuscléetsesabdos,deplusenplusbas.

Puisjedéfaissaceinture.LecorpsdeRylandsefige.–Tegan?Jedevinesaquestion.Jerelèvelatêteetleregarde,cedésirquirougeoiedanssesyeux,

sonvisagetenduparleseffortsqu’ildéploiepourgarderlecontrôle.– J’ai envie de te toucher, je chuchote en faisant glissermesmains sur la taille de son

jean.Je le caresse à travers le tissu, frémis au renflement brûlant de son érection. Ryland

respireavecfrénésieetjesourisavecunsentimentdetoute-puissance.C’estmontour…

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25.

Rylandselaisseretombersurlecanapéetjefaisdescendresonjeansursesjambes.Pourmefaciliter la tâche, il relève les hanches et bientôt, il est là, nu devant moi, dans toute sapuissance,toutesabeauté.

Jeledévoredesyeuxtoutenpromenantmesmainssursapeauambréeparl’éclatdorédelalampeetlesoleil,suislesillondeduvetnoirquiplongeetplonge…

Puisc’estsonsexeduretlongquifrémitsousmesdoigts.Ilestlaperfectionincarnée.Beauetsouverain,ettotalementàmamerci.Je referme la main autour de lui et je regarde son visage changer, ce moment où il

s’abandonneàmesdoigts,auplaisirquejeveuxluidonner.Ilserrelespoings.Jemepenche,ettoutdoucementleprendsdansmabouche.–Tegan,gémit-il.L’entendre m’implorer comme ça m’électrise. Je m’affaire, le lèche et l’attire dans ma

boucheetleprendsdansmamainetcaressesescouillestoutenleprenantplusprofondémentenmoi,jusqu’aufonddemagorge.C’estsiintime,siérotique,quejesensmoncorpssecouédespasmesd’excitation,unechaleurardenteseformerentremescuissesalorsquejelegoûte,lesavoureetm’enivredesonodeur,desasaveur.Rylandsuffoque,gémit,secambrepoursecoller àmabouche alors que je le prends tout entier entremes lèvres, le suce sur toute salongueur,jusqu’àl’avoirtotalementenfoncédansmabouche,puisjerelâchelapressionetlelèchetoutlelong.

Monsangrugitdansmesveines.Moncorpsestenfeu.Oh,j’aitellementenviedeluiquej’enailesoufflecoupé.

Chaque caresse, chaquemouvement de langue autour de luim’aspire en peu plus loindans une sorte de brume de désir, jusqu’à ce que plus rien n’existe au monde que lemartèlementdemoncœur,cettefoliequimeguetteetlecorpsdeRyland.

Ilenfouitsesmainsdansmescheveux,soncorpsbrûlantdefièvreetbandésousmoi,sonsexedansmabouche.

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Il est à moi, je pense avec un sentiment possessif d’une extrême férocité. Tout à moi.Offertàmesmains,mabouche,macuriosité.

Etilm’appartientdelerendrefou.Jefaiscourirmalanguetoutautourdeluietilrugitcettefois.Puisjeleprendstoutau

fonddemaboucheetaccélèreletempo.Jelesuceavecfrénésiemaintenant,etlafièvrequis’emparedemoiesttellequebientôtjelaisseéchapperungémissementdedésespoir.

Alors soudain, Ryland me saisit par les poignets et m’attire sur lui, puis il me faitbasculeretjemeretrouveplaquéesouslui,surlecanapé.

Ilplacemesmainsau-dessusdema têteetmemaintientainsi,prisonnière. J’en frémisd’excitation,mecambreàlarencontredesoncorps,maisRylandmesourit,espiègle.

–Patience,mon chou,murmure-t-il. J’attends çadepuis trop longtempspourprécipiterleschoses.

Il promène ses yeux sur moi, me déshabille d’un seul regard. Je n’en peux plus de ledésirer,alorsjemedébats,tentedeluifairelâcherprisepourmelibérer.

Rylandrit,déposeunbaisersurmeslèvres.–Nous avons toute la nuit devant nous,murmure-t-il et soudain, samain survolemon

corps,effleurepuisjoueavecmesseinsdeplusenpluslourds,deplusenplusdurs,etbientôtjesanglotepresquesoussescaresses.

–Jet’enprie,jel’implore,auborddeladémence.J’aibesoindesentirsoncorps,sonsexedélicieuxplongerenmoi.–Ryland,jet’enprie…–Queveux-tudemoi?,demande-t-ilavecunsourirediabolique.Mabouche,là?Etilsepenchesurmoietprendleboutdemonseinentresesdents.Jecrie.–Oupeut-êtremesmains…Ici?Et ses doigts descendent sur mon ventre, jusqu’à ce point de désir intense entre mes

cuisses.Jemanquem’évanouirquand ilme toucheà traversmapetiteculotte,déclenchantune

sériedeséismesdanstoutmoncorps.Jemepressecontresamain,supplie.Le sourire de Ryland disparaît. Ses yeux se perdent dans les miens, des yeux presque

fous,alorsqu’ilenlèvemaculotte.Jeretiensmonsouffle.Impossiblededétournerleregard,totalementabsorbéeparl’éclat

noir de ses yeux et la sensation de ses mains sur mon corps, tandis qu’il se penche pourprendremabouchetoutenglissantdeuxdoigtsenmoi.

Ohoui.Je suffoque, perdue dans la sensation étourdissante de sa langue qui plonge dans ma

bouche, de ses doigts qui viennent en moi et m’explorent implacablement. Je perds

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conscience,tombeenlui,gémisetrugisetmedébatsalorsqu’unplaisirinouïmenacedemesubmerger,presquetroppuissant,àlalimitedel’insoutenable.

–Attends,jel’implore.Jeveuxquetuviennesenmoi.Rylandmelâcheetm’abandonne.Jeresteallongée,inerte,désemparéeparsonabsence,quandjelevoisattrapersonjean

par terre et sortir son portefeuille de la poche arrière. Il prend une capote, l’ajuste sur lui,puisrevientàmoi,mecouvredesoncorps.

J’en pleurerais presque, tant le contact de sa peau m’a manqué durant ces quelquessecondes.

Ilseredressesuruncoudeetfaitcourirsamainavecdouceursurmoi.Ses yeux plus noirs que jamais pénètrent lesmiens et soudain, j’en ai le souffle coupé.

L’intensitédecemomentmesaisit,lasignificationdecedésirentrenous,plusquedesimplesjeuxérotiques,plusquedusexe,m’apparaîtdanstoutesavérité.

Cettenuit,toutvachanger.J’enailecœurchaviré.Mêmesijesaisquelesexenedoitpasrésonnercommeunultimatumdutoutourien,je

sensdéjàquepartagercettepartiedemoi-mêmeavecRylandaquelquechosededéfinitif.Etquejen’imaginemêmepasfairemarchearrièreaprèsça.Jeluiaidéjàconfiémesplusnoirssecrets,mesterreurs lesplusdouloureuses.Mesespoirs.Mesrêves.Alorsça…C’est l’ultimerempartquisedresseentrenous.

Avantquejenetombeabsolument,désespérémentamoureusedelui.Rylanddéposeunedizainedetendresbaiserssurmonvisageetmagorge,mais toutce

que j’entends,cesontcesmêmespetitesvoixmalignesquiautrefoism’ontaspiréesibas.Lapeuretledoutem’envahissent,cherchentàm’arracheràcetétatdebéatitudedanslequeljenage.

Pourquoiprendrais-tucerisqueànouveau?Monpassémerevientcommeuneclaque,lourdderegretsetdeténèbres.Il n’y a eupersonnedepuisConnor. Il étaitmonpremier,monunique. Le seul homme

auquelj’avaisoffertmoncœur.Toutçapourquoi?Jenesuispasnaïveaupointdecroirequefairel’amouravecRylandcesoirn’aurapasde

conséquences. Que rompre avec tout ce à quoi je me raccrochais encore, qu’abattre cettedernièrefrontièreentrenousnevautquepourpermettreaucorpsd’exulter.Cen’estpasunjeu,niunepassionérotique.Pourmoi,c’estcommemejeterdanslevide.

–Bébé,murmure-t-il,commes’ildevinaitmestourmentsintérieurs.Ilapprochesonvisagedumienetmecaressedélicatementlajoue.–Oùétais-tupartie?

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Je reprendsmon souffle,plongemesyeuxdans les siens.Et l’émotionque j’y vois à cemomentmesubjugue.

Delaconviction.Del’espoir.Del’amour.Ilcroitenmoi,ennous,endépitdetoutcequ’ilatraversé.Etcettefois,cettevéritéque

jevoisdanssafaçondemeregarder,oui,ellem’emplitd’uneforcenouvelle.La force de croire que notre amour peut être différent de celui que j’ai connu avec

Connor.Plustendre,plusprofond,plusvrai.Unamourquineserapasentachédepeur,unamourquinemepousserapasàallertrop

loin,au-delàdemeslimites.Il est différent. Je suis différentemaintenant. J’ai enmoi la possibilité de l’aimer d’un

amourquejen’aijamaisressentiavant.Sansunmot,jeprendssonvisageentremesmainsetluidonneunbaiserardent.Jelaissemafoienlui,ennous,chassertouteslesombres.EtlabouchedeRylandsurla

miennefinitdebalayermesderniersdoutes.Jeleveux.J’aienviedelui.Il m’attire contre lui, écarte mes jambes. Je retiens mon souffle, mon cœur bat à la

vitessed’unchevalaugalopquandilm’embrasseetjem’enflammeàsoncontact,toutentièredévoréeparcebrasier.

Oui.Jeglissemamainentrenouset lecaresse, sidur, si long,et leguideauplussecretde

moi.Rylandrelèvelatêteetsoutientmonregard.Letempssuspendsonvolquandilmepénètre,centimètreaprèscentimètre.Oh.Je retiens un cri à son contact, à le sentir m’ouvrir, m’emplir tout entière, au plus

profonddemoi.Jem’agrippeàsesbras,mecambrepourleprendrecomplètement.LevisagedeRyland se crispedans l’effort,mais il nedétournepas les yeux, son regard reste rivé aumien et alors, je m’abandonne, emportée par la douceur de cette invasion qui résonne àtraverstoutmoncorps.

Lasensationétourdissantedesonsexeenmoi.Comme s’il ne pouvait se retenir plus longtemps, Ryland écrase ses lèvres sur les

miennes.Ànouveau, jemecambreetbougecontre luipour l’attirerencoreetpuis, il vientplus

loinenmoi,etvaetvientjusqu’àl’infini.Jusqu’àcequejenesacheplusrienetperdelatête.Soudain,ilm’entraîneetnousroulonssurlecanapéetjemeretrouvesurlui,sesongles

enfoncésdansmeshanchesetj’expirepresqueàlesentirsiprofondémentancréenmoi.

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–Ryland!,jecrietandisqu’ilaccélèresesassautsetqu’unenouvelledéferlantedeplaisirgonfle.

Jebougesurlui,mainsplaquéessursontorse,lecorpshabitéparunefièvrenouvelle.Etje m’envole, alors que ses mains me pétrissent, que sa bouche, sa langue me dévorent lesseins.Oh,c’estpresquetrop,cettesensationquimetransperce.

Ils’empaleenmoietsepressecontremonclito,refermelaboucheautourdemonseinetmesuce,m’aspireet lapressionestsublime, jemedésintègre.L’orgasmemetraverse telunrazdemarée libérateur,maisRylandn’enapas finipourautant.Ànouveau, il roule sur ledrapetvientsurmoi,surélèvemesjambes,lesplacesursesépaules,m’ouvrantdetellesortequecettefois,ilmepénètreplusprofondément,etlasensationm’envoieplushautencore.

Jecriesousl’effetd’unplaisirdélirantlorsqu’ilsefigeenmoidansuneultimeetpleinepoussée.Jemebrise,telleunevagueetmecasse,ballottéeparl’orgasmeentresesbras.

C’esttrop,tropfort,tropbon,maisRylandànouveaucapturemabouchepourunbaiserdigned’unouragan toutencontinuantdemeprendre telun forcené.Jenoue lesbrasà soncou, les jambes à ses reins, totalement hors de contrôlemaintenant. Je ne saismême plusrespirer,etjecriealorsqu’ilvaetvientàunrythmed’enfer.

Toutcequejepeuxfaire,c’estmerendreàluitoutentière,monsangtelledelalaveenfusiondansmesveinesetànouveaulavagueenfleetgonfle.

–Tegan,murmureRyland,puisilreprenddeplusbellesachevauchéeetnousbougeonsensemble à l’unisson et encore une fois, je crie sous l’explosion frénétique d’une extaseabsolueetsenssoncorpsparcourudefrissonspuissefigerenmoi,vibrantsouslapuissancedesonplaisir.

Voilàtoutcequejeveux,jepense,enétatsecond.Neplusjamaisrevenirenarrière.

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Jegissurlelit,àboutdesouffle,balayéeparlesultimessecoussesduplaisir.Rylandàcôtédemoimeregarde,accrochéeaucanapécommesimavieendépendait,encoretremblantedelaviolencedemonorgasme.

– Hello, chuchote-t-il en écartant sur mon visage une mèche de cheveux trempée desueur.

–Hello,jeparviensàarticuler,peinantàrespirer.Jetentederemonteràlasurface,maisrenonceetmelaissealleràunprofondsentiment

debien-être,lecœurbattant,lecorpslourd.–Wow…,j’ajoutedansunsoupir.–Jet’enprie,plaisanteRylandavantdedéposeruntendrebaisersurmeslèvres.C’estplusfortquemoi,jeleserrefortdansmesbras,l’embrasseavecpassionalorsque

lesflammesdansmesveinespeuàpeus’éteignent.–Wow,jechuchoteànouveau.Leplaisirmerendidiote.Jeflotteencore.–Tuterépètes,rit-il.–Possible,maisçalevautbien,jerépondstoutenluiprenantlamain.Jem’assiedset regardeautourdemoi. LesvêtementsdeRyland sontéparpillésunpeu

partoutparterre,l’unedemessandalesestcoincéesousuncoussin,l’autretrônesurlatablebasse.Jeris,remontelesbretellesdemarobesurmesépaules.Àcetinstant,Rylandm’enlaceetposelatêtedanslecreuxdemoncou.

–Tuesravissanteaveccetterobe,maisjetepréfèrecommeça…Et ilm’enlèvema robe, la jette avec les autres vêtements à nos pieds. Jeme retourne

pourluifaireface,moncœurànouveaus’emballe.Jemecolleàlui,monventrenucontrelesienetlecontactdesapeausurlamienneestsidouxqueledésirmesubmergeencoreunefois.

J’aienviedem’enroulerautourdelui,maisjemanqueperdrel’équilibreentreaccoudoiretcoussins.

Page 142: Beachwood Bay - Tome 5: Unstoppableekladata.com/xjpU2IfnbtV1CRsca5Q6hqTVNwc/Beachwood_Bay...1. Ryland J’ai un carré entre les mains et quand le donneur retourne la dernière carte,

–Cecanapéesttroppetit,jegémis.–Onpeutremédierauproblème,dit-ilavecunsourireespiègle.Ilselaisseglisseraubasducanapé,m’attireàsasuiteetsoncorpsamortitmachute.Je

roule à côté de lui sur le tapis. Déjà, le contact de son corps pressé contre le mien memanque,maisjeprofitedemalibertédemouvementpourfairecourirmesmainssursapeau,surchaquemuscledesoncorpsderêve.

Jeluicaresselesbras,m’arrêtesursesbiceps.–Tun’aspasdetatouages.–C’estgrave?,demande-t-il,interloqué.–Non,c’est justeque j’auraiscruquetuenavaisun,commemesfrères.Jepensaisque

c’étaitunefaçond’affirmersavirilitéchezlesmecs,tuvois?– Je n’en ai jamais voulu, répond Ryland avec un haussement d’épaules. Rien que de

penseràuntruccommeça,inscritpourtoujoursdanstapeau…C’estunpeucommesic’étaitfaitpourterappelerquel’onn’échappepasàsonpassé.

J’en ai le cœur serré tant je comprends ce qu’il veut dire. Je déplacemamain sur sontorse,l’arrêtesursoncœurquipulsesousmesdoigts.Cecœur-làasubitantdechagrins,esttorturépartantdeculpabilité.Maisquelquepartaussi,cecœur-làasurésisterauxtempêtesetresterfort,resterpur.

–Tupeuxtoutfaire,dèslorsquetul’asdécidé,jechuchote.C’estquelqu’undesagequimel’adit.

–C’est vrai, répond-il, tout sourire, puis il fait courir samain surmondos, effleure lecreuxdemesreinsets’attardeplusbas,surmesfesses.Untypecommeça,aussisage,tudoisêtretrèsgentilleaveclui…

–J’enaibienl’intention,dis-jeenriantetjemeblottiscontrelui.Unedoucelassitudem’envahit,j’ail’impressiondepeserunetonne.Jesenssoncœurqui

batdoucementetc’estcommeunemélodiequim’apaise,meberce.Jem’assoupisunmomentdanslachaleurrassurantedesesbras.

Soudain,uneporteclaqueauboutducouloir.Jesursaute,m’assieds.–Tuasentendu?–Quoi?,bâilleRyland.Reviensici.Il m’attire dans ses bras et je me love contre lui. J’ai dû rêver. Soudain, quelqu’un

m’appelleauloin.–Tegan?Onsefige.Monsangseglace.Cettevoix,jelaconnais.–Monfrère!,jechuchote.Vite!Jemelèved’unbond,fouilleparterreleméli-mélodenosvêtementsetremetsmarobe

à toute vitesse, Ryland saute dans son pantalon. C’est la panique, mais quand des pas

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résonnentdanslecouloiretquelaportes’ouvre,onestrhabillé.Ouf.–Hé,salut!,jem’exclamesuruntonenjouéenmeprécipitantpourprendreBlakedans

mesbras.Maisquefais-tuici?Jenesavaispasquetuvenais!SonregardbleuazursebraquesurRyland,derrièremoi,quitentededonnerlechange

enprenantunairdésinvolte,assissurlecanapé.– Euh, désolé… J’aurais peut-être dû appeler avant…, dit Blake en reportant son

attentionsurmoi.Jeme recoiffe d’un geste et j’en suis sûre, ce que nous venons de faire se lit surmon

visage.–Non, bien sûr que non. C’est super que tu sois là !, je proteste, puis j’entraîne Blake

danslecouloir.Jetecroyaisenpleintournage,c’esttout!Jemeretourneetfaisdegrandsgestesfrénétiquesàl’attentiondeRyland.Sabraguette

estouverte.–J’avaisdeuxjoursderepos,alorsjesuisvenutedireunpetitbonjour.Nous nous rendons dans le salon, où Blake a posé son sac. Mon cœur a retrouvé son

rythme normal,mais j’ai des sueurs froides rien qu’à imaginermon frère arrivant quelquesminutesplustôt.

Àsonregardrieur,jecomprendsqu’ilsefaitlamêmeréflexion.– Alors, si je comprends bien, c’est lui, Ryland ?, demande-t-il. Il a l’air… un peu

essoufflé.Jelebousculegentiment,rougis,malàl’aise.–Arrête!–J’espèreaumoinsquetuprendstesprécautions,ajoute-t-il,narquois.–Laferme!Jenesaisplusoùmemettreavecsesallusions,maissurtout,jesuisheureusequecesoit

BlakeetnonDexquidébarquecommeça,àl’improviste.ÀlaminuteoùDexseseraittrouvéface àRyland, il lui aurait sauté dessus pour luimettre une raclée, quant àAsh…Ehbien,monfrèreaîné,àcetteheure,ilseraitprobablemententraindenouscrierdessuscommeunsauvage.

AumoinsBlake,lui,prendçaavechumour.– Pardond’avoir interrompu ta petite fête, sœurette, dit-il enme serrant dans ses bras

avectendresse.MaisaprèslecoupdefildeZoey…–Jevaisbien!–Jesais,répond-ilaveccalme.Maisbon,j’avaisbesoindefaireunbreakdetoutefaçon.J’hésite,ledévisage.Luitoujourssiimpeccable,siphotogéniqueavecsabellegueulezéro

défautde jeunepremier, il paraît aujourd’huibien las et son charismehabituel semblebienterne.

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–Qu’est-cequinevapas?–Rien,laroutine,répond-ilavecunhaussementd’épaules.Lesdésaccordséternelsentre

monagentetladirectiondesstudios.Toutcepetitmondeauneidéetrèsprécisedufilmdanslequel je devrais tourner après celui-là. D’après eux, je suis aux portes de la gloire. Ceprochainfilmmarquerauntournantdansmacarrière.

–Oh,monpauvregarçon,quelle tragédie, je le taquine,avantde le serrer contremoncœur,pourqu’ilcomprennequejeplaisante.

Unetouxdiscrètederrièrenous.Rylandestlà,braguetterefermée,avecunairpenaud.IltendlamainàBlake.

–RylandJames,enchanté.– Enchanté, répond Blake et tous deux échangent une vigoureuse poignée de main.

Désoléd’arrivercommeça,sansprévenir.–C’est,euh,pasdeproblème.Jen’ai jamais vuRylandaussi gêné,maisbon, après tout, il a failli se faire surprendre

aveclapetitesœurdumonsieurdansunesituationtrèscompromettante.Laprochainefois,jeveilleraiàfermerlaporteàclé.–Bon,jevaisyaller,meditRyland.–PrendslaMustang,luidis-jeenattrapantlesclés,surlaconsole.–Wow ! Tu lui confiesDolly ?, s’exclameBlake.C’est du sérieux, dis donc.Quand j’ai

voululuiempruntersacaisse,l’annéedernière,ellem’amenacédemebotterlecul,ajoute-t-ilàl’attentiondeRyland.

–Rylandapasséplusieurssemainesàlaréparer,dis-je.Etpuis,ilconduitavecprudence,lui…

–Ah,ça,c’estunemenaceàpeinevoilée,rigoleBlake.Jepréfèreteprévenir,aucasoùtuneconnaîtraispasencoreceton.

–J’essaied’apprendre,ditRyland,visiblementsoulagéparl’attitudeamicaledeBlake.Quantàmoi,jenesuispasdupe:Blakeabeaudonnerl’impressiond’êtreunmeccool,

mieuxvautnepasluichercherdesproblèmes.–Jet’accompagne,dis-jeenmedépêchantdelesinterrompre,avantqueleface-à-facene

dégénèreenpugilat,onnesaitjamais.JeprendslebrasdeRylandetl’entraînejusqu’àlaporte.–Jesuisvraimentdésolée,jechuchote.C’estdingue,çafaitdeuxfoisquenoussommes

interrompus.Mafamillearrivetoujoursaumauvaismoment.–C’estpasgrave,répondRyland,ilsort,puismefaitfaceetm’embrassesurlefront.En

fait,sijecomprendsbien,tuesunevraiepochette-surprise.Toi,Zoey,tesfrères…– Oh, tu n’es pas fâché, dis ?, je demande, prise de panique. J’ai essayé de leur faire

comprendrequ’ilsdevaientapprendreàmelaisservivre,mais…

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–T’inquiètepas,mesouritRyland.Ilsveulentjusteprendresoindetoi,jecomprendsça.J’auraisdûenfaireautantpourBrit.

– Il ne va pas rester longtemps, dis-je, soulagée. Et cela ne nous empêche pas de nousvoir.

–Demain?–Ohoui,s’ilteplaît,jerépondsavecempressement.– Demain alors, dit-il, puis il approche son visage dumien etmemurmure à l’oreille.

Parcequeçanefaitquecommencer,bébé…Je retiensmon souffle.Ses yeux scintillentdans lanuit alorsqu’il fait courir sesdoigts

surmonbrasnu.Enunéclair,moncorpsrevientàlavie,crépite.–Faisdebeauxrêves,dit-il,aprèsundernierbaisersurmeslèvres.Puisils’éloigne,m’abandonnantentraindemeliquéfierdedésir,justelàsousleporche.Commentpourrai-jesurvivresansluijusqu’àdemain?

Impossibledefermerl’œil.Cettefois,cenesontpasmescauchemarsdeConnorquime

maintiennent éveillée, mais je ne cesse de penser à Ryland. Hantée par des souvenirsérotiques, torrides. Je suis là allongée, à tourner etme retourner dansmon lit, à batailleraveclesdrapsetjerevoisledésirdanssesyeux,ressenslestourmentsdélicieuxdesesmainssurmoi…

Etsoncorpsquimepénètre.Ceplaisirquejen’imaginaismêmepasressentirunjour.J’ai l’impression d’être en feu,ma peau consumée par une fièvre que le vent frais qui

s’engouffreparlafenêtregrandouverteéchoueàapaiser.Moncœurcontinuedebattreavecfrénésieetmoncorpsdesupplier,delevouloir.Lui.Rienquelui.

J’empoigne l’oreiller et laisse échapper un grognement de frustration. Je devrais mesentirrepue,comblée,maisledésirenmoiestplusvoracequ’avant.Depuisnotrerencontre,l’envienecessedemetenailler,debrûlerenmoi,toujoursplusprofonde.Lemoindrebaiser,lamoindrecaressenefaitqu’attiserlesflammes,qu’alimentercebrasierquimeconsumetoutentière.Maintenantquejesaisàquoiçaressembledeleposséder,mondésirestdécuplé.Ettoutceque jepeux faire, c’est revivreces instantsmagiquesentrenous.Legoûtde sapeausousmeslèvres.Desoncorpssousmesdoigts…

Mes mains s’égarent sur mon corps, comme sous l’emprise d’une force extérieure. JeporteunvieuxT-shirtetunshortdesport,mais jemesenssexyetvivanteenimaginantlesdoigts de Ryland errant surma poitrine gonflée, jouant avec le bout demes seins si durs,douloureuxàforcededésir.

Monsouffles’accélère.Jen’enpeuxplus,j’attrapemontéléphone.Jenepeuxpasdormir.J’aienviedetoi.J’appuiesur«envoi»etattendssaréponse,toutefébrileaprèscetaveu.C’estcommesi

Rylandpouvaitmevoir,glissersesmainssousmonT-shirtetsurmonventrenu.Commes’il

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voyaitmoncorpsvibreràsoncontact,toutçajusteenpensantàlui.L’écrandemontéléphones’allumeavecsaréponse.J’aiencoreplusenviedetoi,tellementplus.Je souris, le souffle court. Sur une impulsion, au lieu de lui renvoyer un texto, je

composesonnuméro.Ilrépondàlapremièresonnerie.–Hello.Savoixestdouce,profondeetmepénètre,voluptueuse.–Hello,jerépondsdansunsoupir.Un long silence, mais je sens l’électricité qui passe entre nous, comme un câble sous

hautetensionquinousreliedanslanuit.–Oùes-tu?,jechuchote,mêmesiBlake,quidortenbas,nepeutm’entendre.–Danslachambred’amisdeBrit,répondRyland,surlemêmetondelaconfidence.Elle

ainsistépourquejedormedansunvrailit,pourunefois.–Lesvrais litsont leursavantages, jeplaisante.Unmatelasmoelleux…Desoreillers…

L’intimitéd’unechambre…–Etpersonnepourvenirnousinterrompreaumauvaismoment,finitRylandenriant.–Quepourrais-jebienfairepourquetumepardonnes?–Queproposes-tu?–Toutcequetuveux.Un silence, long silence, et je jurerais entendre son souffle s’accélérer. Il est là-bas,

quelquepart,allongédansunlitcommemoi.Lesilences’éternise,maispasunsilencegêné,inconfortable,çasemblejustenaturel.Nousn’avonspasbesoindeparler,jesaisqu’ilpenseàmoi.

Qu’ilmedésire.Jelaisseéchapperunsoupir,tremblante.Jemesenstellementconnectéeàlui,endépit

deceskilomètresentrenous.Jeconnaislasensationdesesbrasautourdemoi,j’entendslesbattementsdesoncœur.Jeconnaissonodeur,jesenssoncorpscontrelemien.

Jeconnaissasaveur.–Tumemanques,jesoupire,souffrantdansmachairdesonabsence.Dece lit tropgrand sans lui. Je l’ai vu il yadeuxheuresàpeine,pourtant,moncœur

saigne. Ce n’est pas assez. Des heures, des jours, des semaines, il semble que je n’en auraijamaisassezdelui.

– Toi aussi, tumemanques, chérie, murmure-t-il en retour et je sens le désir quimesubmergeàsesparoles.Onsevoitdemain.

–Demain,c’esttroploin.–Jesais,répond-ilenriant.Maisçanefaitrien.Cen’estqueledébut.Sesmotsmefonttressaillir.Ledébut…

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Je retiensmon souffle, surprise par ces larmes qui viennent tout à coupme piquer lesyeux.Deslarmesdebonheur.J’aienvied’unfuturaveclui,d’unmillierd’autresnuitscommecelle-ci.Parler, rire,partagernos secrets lesplusenfouis. Jusqu’àaujourd’hui, jeneme suisjamaisprojetéeau-delàdequelquesjours,maissoudain,jevoisunavenirsedéployerdevantnous, une vertigineuse succession de jours simples et heureux, de nuits passionnées etmagiques.

Un avenir dont je n’aurais jamais osé rêver. Avec l’homme qui a déjà bouleversémonexistencesurtantdeplans.

Etc’estpourdevrai.Jefrémis,merecroquevillesouslacouette.–Jen’aipasenviedetedirebonnenuit,dis-jeavecdouceur.–Alorsneledispas.Jesuislà,avectoi.Lesilencemesubmerge,profond,bienveillant.Jem’allonge,détendueàprésent,écoute

l’écho délicat de sa respiration qui se confond avec le va-et-vient des vagues au loin, encadence.Unemélopéequimeberce,meréchauffeàlaperspectivedetouslespossibles,puisjefinisparglisserdansleveloursdesténèbres.

Cen’estqueledébut.

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27.

– Ton petit ami a appelé, me lance Blake, mine de rien, devant son petit déjeuner, lelendemainmatin,commes’ilvenaitjustedeserappeler.

Jerelèvevivementlatêtedemonassietterempliedepancakes.J’attrapemontéléphone,fébrile,maisiln’yaaucunmessage.

–Rylandt’aappelé?Toi?Pourquoi?–Parcequ’ilsaitcequiestmieuxpourlui,répondBlakeavecunsouriresuffisant.Voilà

pourquoi.Ilavaleunegorgéedecafé,puisregardeparlafenêtredusnack,commesiderienn’était,

exprèspourmefaireenrager.Après l’intensité de la nuit dernière avec Ryland, je suis presque surprise de voir le

monde tourner encore sur son axe. Être assise là, dans cette salle inondée de soleil, avecSpringsteen en fond sonore et les serveuses qui vont et viennent, comme si rien n’avaitchangé.

Alorsque tout estdifférent, comment se fait-il qu’ilsne le comprennentpas ?Tout esttellementpluslumineux,plusdoux,lescontoursdumondeplusnets.Laviesipleinedevie.

Moncœursipleind’amour.–Quevoulait-il?,jedemande,anxieuse.Blakebâille,nonchalant.Puisilmâcheunetranchedebacon.Etsegrattelesjoues.C’enesttrop.–Aïe!,s’exclame-t-ilensefrottantlemolletsouslatable,molletdanslequeljeviensde

donneruncoupdepied.Pourquoit’asfaitça?– Parce que tum’énerves, abruti ! Alors, que voulait Ryland ? Je te préviens, si tu ne

veuxpas rentreràHollywoodavec tes jambesparfaites couvertesdebleus…, jem’emporte,menaçante,neplaisantantqu’àmoitié.

– Mes jambes ne sont pas parfaites, marmonne-t-il. Elles sont « super sexy etmasculines»,rétorque-t-il,citantunarticleparusurluidansVanityFair, lemoisdernier.Lajournalisteétaitmanifestementtoutémoustillée…

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–J’ignoraisquetulisaislesmagazinesquiparlentdetoi.Bonjourl’ego!– Oh, j’en lis un de temps en temps, avoue Blake en souriant. Tu ne vas pas me le

reprocher. Lamoitiédes rôles que j’ai décrochés, c’est grâce à launedeUSWeekly que j’aifaite.Rienàvoiravecmestalentsd’acteur.

–T’as raison,dis-jeen lui tapotant lamain, compatissante.Çadoit êtredurd’être jugésursabellegueuleàlongueurdejournée.

Blakemefusilleduregard.–Rienquepourça,jenetediraipascequevoulaittonpetitami.–Ohnon,excuse-moi.S’ilteplaît.Pitié.Jememetsàgenouxsituveux…Blakes’esclaffedevantmaminedéconfite.–Allez,çava.Ilaappelépoursavoirsionvoulaitveniràunbarbecue,cetaprès-midi.Sa

sœuretsonmarinousinvitent.–BritetHunter,dis-je,avecunsentimentdedéception.J’avais d’autres projets en tête, pour nous. Cette chambre fermée à double tour, dont

nousavonstantparlé.–Onn’estpasobligéd’yaller,ditBlake,devantmaréaction.– Quoi ? Oh non, je ne pensais pas à ça. Brit est super, je n’ai pas encore rencontré

Hunter,maisjesuissûrequec’estunmecsympa.Non,çavaêtregénial,dis-je,enthousiastemaintenantàcetteperspective.

Jeme réjouis de revoir Brit, et ce n’est sans doute pas plusmal queBlake apprenne àconnaître Ryland, dans un autre environnement. Dans d’autres circonstances, moinsembarrassantes.Braguettefermée.

–Tul’aimesbien,pasvrai?,demande-t-ilenm’observantavecattention.Jesensmesjouesquis’embrasent.Jehochelatête.–C’estriendeledire.–Hmmm…Blakenetrahitaucuneémotion,ilmepiqueunmorceaudebaconetajoutesimplement.–Gardejusteenmémoirecequ’ontditlesthérapeutesàPinecrest,d’accord?–Blake…,jesoupire,agacée,maisilm’interrompt.–Tun’espascenséesortiravecquiquecesoit,pasavantplusieursmois.Tunedoispas

chercheràremplacerConnor.–JenecherchepasàremplacerConnor,jerépondsaveccalme,maisleregardquejelui

lanceestenaciertrempé.Blakeencaisse.Puisildétournelesyeux.–Bon,ilyaunsupermarché,danslecoin?J’aipromisd’apporterlessteaks.

Lerestedelamatinée,Blakeévitesoigneusementderevenirsur lesujet.Letempss’est

gâté,maisonrestesurlaplage,luiavecunepiledescénariosàlire,moiavecmoncarnetde

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chansons.JouerpourRyland,lanuitdernière,m’ainspirée.Jegrattequelquesaccordssurmaguitare,notedesidéespourlerefrain,fredonnedenouvellesnotes.

Une sorte de frénésie s’est emparée de moi. Des mélodies éclosent dans ma tête, desparolesparcentainesquitoutesneparlentquedelui.

Je ne vois pas le temps passer. Et déjà, il est l’heure d’aller retrouver Ryland et safamille,auranch.

Jemechangetroisfois,nesachantquemettre,avantdejeterfinalementmondévolusurunjeanbleufoncéetuntopblancajourésousuncardiganrouge.

– Très patriote, rigole Blake en tirant d’un coup sec sur ma queue-de-cheval quand jemonteenvoiture.Tutecroislejourdelafêtenationale?Le4Juilletestdéjàloin…

–Tuétais là, toi peut-être ce jour-là ?Monsieur faisait le beauauMexique, avec cettefillebouffeusedequinoa!

LadernièreconquêtedeBlakeétait l’unedeces fillesdeL.A.,abonnéesauyogaetauxrégimes détox. Elle ne se nourrissait quasiment que de germes de soja, y compris au petitdéjeuner.

Blakedémarredansunéclatderire.–Ellenepouvaitpast’encadrer,tusais.–Oh,jesais,jerépondsensouriant.Lejouroùtuasrompuavecelle,j’aifêtéçaavecun

cheeseburgerXXLetunegrandefrite.–C’estquandmêmedingueque jenepuissepasgarderune fille, soupireBlake.Tu les

faistoutesfuir.– Si tu ne peux pas garder une fille, c’est parce que tu as mauvais goût, je réplique.

Kayla?Lulu?Et,euh…Mitzi?,j’ajouteengloussant.Chaquefoisquetuprononçaissonnom,àcelle-là,jem’attendaisàvoirunchinchillavenirfrétilleràtespieds.

Blakeessaiedenepasrire,maisc’estraté.–C’étaitunefilletrèssympa.–C’était surtoutunmannequinVictoria’s Secret avecdegros seins etunQI au rasdes

pâquerettes.Jemedemandaiscequetuluitrouvais,maisc’estévident.–Ons’estbienamuséensemble,ditBlake,songeur.–S’amuser,çanesuffitpas,dis-jeensecouant latête.Cequ’il tefaut,c’esttrouverune

fillequisemoquecomplètementdetoutecettepourritured’Hollywood.Unefillequiaenvied’êtreavectoi,pasjustedesependreàtonbraspourfoulerletapisrougeàl’occasiond’uneavant-première.

–Jen’aipasdetempsàconsacreràcegenredechoses,répondBlakeavecunsourireencoin.TupeuxtemoquerdemoiavecMitzi,Kaylaetlesautres,n’empêche,ellesétaientcool.Dans l’immédiat, jen’aipas l’énergiepourquelquechosedeplus sérieux.Toutva tellementvite.Jusqu’àNoël,jen’auraispasuneminuteàmoi,mêmepasunjourdevacances.

–Wow,jenemerendaispascompte.

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– Voilà pourquoi je ne suis pas en mesure de me lancer dans une histoire sérieusemaintenant,ajoute-t-il.Jeconnaismeslimites.

Jesensmoncœurseserrer.–J’aicommel’impressionquejevaisavoirdroitàunautresermon…–Toutsimplementparcequetusaisque j’airaison,répondBlakeavectendresse.Tues

venueicienquêted’uneespèced’échappatoireettut’esjetéedirectdanslesbrasdecemec.Etjesuissûrquetunesaisriendelui,exceptéqu’ilbossecommesimplegaragistedanscettepetitevilledeprovince…

–Hé!,jeprotesteavecvéhémence.Neprendspascetonméprisant.–Désolé, tu as raison.Tu le sais, l’argent, la frime, tout çane signifie pas grand-chose

pourmoi,s’excuseBlake.Maisceque jeveuxdire, jusqu’oùçavaaller?Combiendetempsprévois-tuderesterici?

–Jel’ignore,jerépondsdansunsoupir.–Etquecomptes-tufairedetavie?Mondésarroidoitêtrelimpide,carsavoixseradoucit.–Jenecherchepasàtefaireangoisser,jem’inquiètejustepourtoi,c’esttout.Tuvisune

sortedeliaisonpassionnée,maisest-cesuffisant?Ils’interrompt,maisjeconnaislafindesaphrase.N’est-cepasçaquit’avalutantdeproblèmes,lapremièrefois?Saremarquemeblesseauplusprofond.–Jen’aipeut-êtrepasbesoinderaisonpourêtreavecRyland,jeréplique,hargneuse.Et

puis, dis-moi, qui choisit ses nanas en fonction de leur célébrité ou de leur beauté, dans leseulbutdefairelaunedesmagazinespeople?

Àlasecondeoùlesmotss’échappentdemabouche,jelesais,jevaistroploin.Maispasquestiondem’excuser,pasaprèslafaçondontilaparlédeRyland.

Silence.–C’estlà?,demandeBlake,lavoixcrispée,endésignantunembranchement.Auboutde

lapetiteroute,c’estleranch.Uneminuteencoreetonestarrivé.

Irrésistible dans son jean destroy et son T-shirt délavé, Ryland vient nous accueillir

chaleureusementsurlepasdelaporte.–Salut!,lance-t-ilsuruntonenjouéetilm’embrassesurlajoue.J’ensuistouteretournée,commesic’étaitnotrepremierrendez-vousetrienqu’àlevoir,

jesensmesjouess’embraser.–Vousaveztrouvéfacilement?,demande-t-il.Onseperdvite,surcespetitesroutes.–Ouais,c’estbon,répondBlakesèchement.Rylandmarqueuntempsd’arrêt,nousregardel’unetl’autre.–Hmm,bien.BritetHuntersontdanslejardin,derrière.Lebarbecuechauffepleinpot.

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–Onaapportélaviande,dis-je,malàl’aise,enluitendantlaglacière.–Merci,répondRyland.Allez,venez,jevaisvousservirquelquechoseàboire.Ilmeprendlamainetonpénètredanslamaison,directionlacuisine,Blakedansnotre

sillage.–Toutvabien?,mechuchote-t-il.–Jeteraconterai,jerépondsàvoixbasse.Rylandacquiesced’unhochementdetêteetsetourneversmonfrère.–Onadessodas,jusdefruits,bière…–Unebière,merci,répondBlake,toujoursaussitendu.–Toutdesuite,ditRylandetilsortunecannetteduréfrigérateur,laluitend.– Je vais faire un tour dehors,marmonne Blake quime lance un regard noir avant de

sortirdelapièce.Parlaportegrandeouverte,jelevoisrejoindreBritetsonmariquis’affairentdevantle

barbecue.–J’aiditquelquechosequ’ilnefallaitpas?,demandealorsRylandsuruntonenjouéen

venantderrièremoi.Ilglissesesbrasautourdematailleetdéposeunbaisersurmonépaule.Leseulcontactdesoncorpssuffitàbalayermanervosité.Jelaisseéchapperunsoupir,m’abandonneavecdélicecontrelui.–Ons’estunpeuaccroché,danslavoiture.Ils’inquiètepourmoi.Ilcraintquejen’aille

tropviteavectoi.Rylandmefaitmeretourneretplongesesyeuxdans lesmiens, sesmainssontchaudes

surmeshanches.–Ettoi,tutrouvesqueçavatropvite?Jene…Jevoulais justequel’onpassetousun

bonmomentavecBritetHunter.–Cen’estpas ça, jem’empressedeprotester,mêmesi,maintenantque j’ypense,nous

noussommesprésentésànosfamillesrespectivesàprésent.C’estunpasimportant.Officiel.Jedétournelesyeux,puism’obligeàleregarderànouveau.–C’est justeque…ÀPinecrest, avant de sortir, ilsm’ont conseillé de ne pasme lancer

tout de suite dans une autre relation. Parfois, les gens opèrent un transfert, passent d’unehistoireàl’autredirectement,sansavoirrienrésoludeleursproblèmes.

LevisagedeRylands’assombrit,maisilgardesonregardrivéaumien.–Ettucroisquec’estcequetufaisencemoment?,medemande-t-il,sursesgardes.Tu

croisquetuesavecmoipourtenterd’oublierConnor?–Non!,jem’exclameenluiserrantlesbras.Cequ’ilyaentrenousneressembleàrien

de ceque j’ai connuavecConnor, j’insiste.Tun’imaginespas…Tout ceque je ressens avectoi,Ryland,nuitetjour,sansarrêt…

Jesoutienssonregard,ilfautquejesoisbrave,qu’ilcomprennequejeluidislavérité.

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– Je n’ai jamais éprouvé ça avec personne. Toi etmoi, c’est… C’est tellement beau etdoux,pasdutoutcontaminéparlapeuretledoute,commej’enavaisl’habitude,aveclui…

Jemetais,cherchelesmotspourluiexpliquercommentaveclui,toutachangé.–Jepensaisquel’amourétaituneforcehorsdecontrôle,commefaireuntête-à-queueen

bagnole,tunepeuxquet’accrocheretprier.Maistoi…Jepose lamainsursontorse, justesursoncœur.Jedoisabsolument luidirecequ’ila

besoind’entendre.–Avectoi,jemesensforte,vivanteetprotégée,jechuchote.Iln’yajamaiseupersonne

commetoi,Ryland.Etiln’yenaurajamais.Sonexpressionchange,latensiondisparaît.Unejoieintenseilluminesesyeux.Jen’aipas le tempsderajouterquoiquecesoit, ilm’enlaceet s’emparedemabouche

pourunbaiservibrantdepassion.Cette fois, je peux sentir l’émotion entre nous, entendre les non-dits, les promesses,

l’espoir.Cette chose entrenous, elle est vraie, j’en ai pris conscience la nuit dernière,maisaujourd’hui,blottiedanssesbras,cettevérité,jelasensdanschaquecelluledemonêtre.

C’esticiqu’estmaplace.Aveclui.Letempsse fige,puisquelqu’untoussotederrièrenous.Rylandmelâche,c’estBrit,qui

sourit,pleinedemalice.–Hello,Tegan!Jesuiscontentequevousayezpuvenir,tonfrèreettoi.–Mercipourl’invitation,jeréponds,gênée,enm’écartantdeRyland.– Tu rigoles ?, s’exclame Brit en allant chercher un saladier sur le comptoir.Hunter a

pété lesplombsquand il a suqueBlakeCallahanétait àBeachwood.C’estun superacteur.Hunteraimeparticulièrementcefilmqu’ilatournédernièrement,surlamafia.

– Il l’a vu ?, je m’exclame, impressionnée, car c’est un petit film indépendant, qui n’aquasimentrienrapporté,maisencenséparlacritique.Surtout,nelerépètepasàBlake,sonegovaexploser!

–Troptard,répondBritenregardantdehors,BlakeetHunterenpleineconversation.Hunterfaitdegrandsgestes,commeilluminé,entranse.Blakedesoncôtéaretrouvéle

sourire.J’espèrequel’enthousiasmedeHuntervaeffacerlemalaisecrééparnotredispute.–Etcommentçasepasse,aveclarobe?,jedemandeensuivantBritdanslejardin,avec

lesassiettes.Surunetableenbois,aumilieudelapelouse,ilyaunbouquetdefleursfraîchesetdes

platsquiontl’airsucculent,pâtesetlégumesvariés.– La robedemariée ?Elle est sublime, répondBrit avec fierté. La cérémonie a lieu la

semaineprochaineetlarumeurditqu’ellepourraitfairelaunedeModernBride.–Félicitations!RylandmepasseunsodaetjeporteaussitôtuntoastàBrit.

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–Cetterobeestmagnifique,j’ajouteetjerepenseàmonrefletdanslemiroir,auregarddeRylandquandilm’avuelaporter.Tuasunréeltalent.

–Oh,répond-elle,désinvolte,j’aimejustem’amuseravecdesboutsdetissus…Quandelles’éloigneverslebarbecue,Rylandvientversmoi.– Tu as réfléchi au concours de chanson dont tu m’as parlé la dernière fois ?, me

demande-t-ilenpiquantunefraisedansunecoupelle.Je hoche la tête, lance un regard inquiet à mon frère pour m’assurer qu’il n’a rien

entendu.– Je crois que je vais le faire, je réponds avec un frisson d’adrénaline. Sous pseudo,

commetul’asdit,ainsipersonnenesauraquec’estmoi.UngrandsouriresedessinesurlevisagedeRyland.–Vraiment?C’estgénial!Ilmeprenddanssesbrasetmefaittournoyerdanslesairs.–Maisjen’aimêmepasencoreterminémachanson,jeprotestequandilmereposepar

terre.–Etalors?Déjàladécisiondeparticiper,c’esténorme.Jesuisfierdetoi,ajoute-t-iletil

m’embrassesurlabouche.Je jette un œil derrière nous. Blake nous observe, il sourit à quelque chose que lui

raconteHunter,maisjevoisbienl’inquiétudedanssonregard.Jetournelatête,tented’ignorerlapetitevoixquimeditquemonsurprotecteurdefrère

n’apeut-êtrepastort.AutantjesuissûredemessentimentspourRyland,autantilrestedansuncoindematêteunebonnecentainedequestionslaisséessansréponses.

Non.Je chasse ces idées noires demon esprit et prends lamain deRyland dans lamienne,

déterminée. Pourquoi faudrait-il forcément des réponses à tout ?, je me sermonne, enl’entraînant vers les autres. N’est-ce pas pour ça que le futur est fait ? Pour trouver desréponses et voir ce que la vie nous réserve, un jour après l’autre. Pour l’instant, je suisheureuse,etc’estbientoutcequiimporte,non?

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28.

Ryland

Pasbesoind’êtreungéniepourcomprendrequelefrèredeTegannemeportepasvraimentdanssoncœur.Iljouelemeccool,lastard’Hollywoodquineselaracontepas,maisjevoisbienqu’ilnousobserve,nenousquittepasdesyeuxtoutendéconnantavecHunter.

Etçacommenceàmegonfler.Nonquej’enaiequelquechoseàfoutre,perso,maisTeganaunefaçondeleregarderquinetrompepas.Àcherchersabénédictionetsonrespect,quandluisecomportecommesiellen’étaitpasassezfortepourprendresespropresdécisions.

Necomprend-ildoncpasqu’elleestlapersonnelaplusforteaumonde?Il m’est impossible de détacher mes yeux d’elle. La nuit dernière m’a complètement

subjugué,meperdrecommeçadanssadouceur,prendresoncorpssublimecommej’enrêvaisdepuisnotrerencontre,cesoir-là,àVegas.

Etc’étaitmieuxencorequedansmesrêves,mieuxqu’aucunmotnesauraitledire.Sentirsoncorpsvibrersouslemien,cetteconfianceabsolueetcetespoirdanssesyeuxtandisquej’allaisetvenaisenelle.Lavoirenproieauxfeuxdelapassion,jusqu’àcequeleplaisirnoussubmerge. Bon sang, ça a été la nuit la plus hot, la plus bouleversante de ma vie etaujourd’hui,elleesttoutceàquoij’aspireencemonde.

Tegan,nuedansmesbras,leplusvitepossible.Mais d’abord, il faut montrer patte blanche à la famille. Pas de souci. J’ai envie de

prouveràBlakemesbonnesintentions.Ilpeutmefaireconfiance.JedonneraismavieplutôtquedevoirTegansouffrirànouveau.Onsemetà tableet les fillessonthilarescar ilyaàmangerpourunrégiment.

–Onn’arriverajamaisàfinirtoutça,remarqueTeganensecouantlatête.–Tumangeraslesrestespendantunesemaine,aumoins,ditBritàHunter.–Desrestes?Quelsrestes?,ricaneHunterenremplissantsonassietteàrasbord.–N’oubliepasqu’onestdesmecs,jerenchérisenmeservantunautrehamburger.

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–Devraismecsavecl’appétitquivaavec,ajouteBlakeensemartelantletorse.Teganéchangeunregardavecmasœur.–J’ail’impressiondemangeravecdeshommesdeCro-Magnon.–Bah,jem’enfiche,rigoleBrit.Dumomentquel’hommedescavernesfaitlavaisselle…Lesoleil s’éclipsederrière lescollines,dispensant toutautourdenousunedouce lueur.

Toutestsicalmequejepeuxentendrelechantdescriquets.Jem’enivredecesilence,c’estsiapaisantaprèslebruitetlefracasdeLasVegas,heureaprèsheure,jouraprèsjour.Unebriselégères’engouffredanslesarbres.Teganfrissonneàcôtédemoi.

–Tuasfroid?– Non, ça va,me répond-elle,mais déjà je pars en courant chercher un sweat dans la

maison.Àmonretour,jeprendsmontempspourleluiglissersurlesépaules,latouchantautant

quejepeuxavecsonfrèrequinenousquittepasdesyeux,àl’autreboutdelatable.Teganmesourit,unpetitsourirepleindepromesses.Jefaisdemonmieuxpournepastroppenseràsoncorps,àsespetitsseinsronds,àses

hanchesquibougentsous…– Alors, Ryland, m’interpelle Blake. J’ai entendu dire que tu venais juste de rentrer à

Beachwood.Oùvivais-tuavant?Débutdel’interrogatoire.–Oh,unpeupartout, je réponds, leplus amicalpossible. J’ai pasmal roulémabosse,

jusqu’àcequejecomprennequelemomentétaitvenuderetrouvermesracines.Lerestedelafamilleatellementvieilli,j’ajoute,moqueur.

–Hé!,s’exclameBritenmebalançantunpetitpainquej’esquive.–Jeretire,dis-jeenriant.Toujoursaussigamine.Britlèvelesyeuxauciel.Elleparaîtheureuse,alorsjelesuisaussi.C’estgénialdelavoir

épanouiecommeça,etHuntersembleunmecbien.Il l’adore,c’estévident,etaprèstoutcequ’elleaenduré,elleadroitaubonheur.

–Ettutravaillaisdansquoi?,reprendBlake.–Despetitsboulots,par-cipar-là,jeréponds,surmesgardes.J’aibossésurdeschantiers

unmoment,etdanslasécuritéaussi.–Rylandestentrainderestaurerleurmaison,intervientTegan.C’estimpressionnant,il

refaittoutdefondencomble.Unsentimentdefiertém’envahit.Et,alléluia,Blakeparaîtunpeuimpressionné.– Notre frère aîné, Ash, est promoteur immobilier, dit-il. Vous devriez vous entendre,

touslesdeux.–Oui,jeréponds,surpris.JemetourneversTegan.–Onpourraitserencontrer,laprochainefoisqu’ilseradanslecoin.

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Ellesourit, radieuse,etenune fractiondeseconde jemerappellepourquoi jesupportetoutescesquestionsdelapartdesonfrère.Jesuisprêtàtoutpourlavoirsourirecommeça,commesij’étaisleseulhommesurcetteTerre.

Blake arrête de m’interroger et je peux enfin me détendre, apprécier pleinement cemoment, devant un bon repas, avec des gens qui me sont chers. Voilà ce qui m’amanquétoutescesannées.Jeregardeautourdemoi,etunprofondsentimentdebien-êtrem’envahit.Il s’agitpourtantd’un simpledîner,mais je suisbienplacépourapprécier lavaleurd’un telmoment. J’ai passé tropde temps seul, à tenter de préservermon intégrité aumilieude lapourrituredecemonde.Aujourd’hui,rienqu’àentendreleriredemasœur,TeganquitaquineBlake à propos d’une fille, Hunter qui parle de sport, je réalise combien tout ce qui m’estdonnélàestprécieux.

Unevieàlaquellejamaisjen’auraispensépouvoirrevenir.–Hé, au fait,Ry !,m’interpelleHunter à cet instant. J’allais oublier.Un type a appelé

pourtoi…Laréalitémerattraped’uncoupenpleinegueule.Jemefige.–Ici?,jedemande,enessayantdemeressaisir.Dansmatête,c’estlapanique.Jetentedemecalmer.Peut-êtreai-jemalcompris.Peut-

êtrequeHuntern’apassaisi.Aprèstout,Jimmyaugaragesaitquejecrècheici,çapeutêtrelui.

Ohoui,pitié,faitesquecesoitlui.–Oui,marmonneHunterenseresservantdesaladedepommesdeterre,sansréaliserla

terreurquim’agite.Unmecdunomde…Driskell,c’estça?Iln’apaslaissédemessage.Iladitquetucomprendrais.

Driskell.Le temps s’arrête. J’entends la planète qui se fixe sur son axe et l’espace de quelques

secondeshorribles,iln’yarienquemoietlacertitudeglaçantequevoilà,toutestfini.Cettevie simple et précieuseà laquelle je viens justed’accéder, toutes ces chosesmerveilleuses àcettetable.Mesprojets,mesespoirs,mesrêves.Toutçavoleenéclats,réduitencendres.

J’auraisdûlesavoir.Il finiraitparmeretrouver.Untypecommeluinerenoncejamais,pasavantd’avoirobtenucequ’ilveut.Oualorsenlaissantdanssonsillageuntasdecadavres.

–Etilaappeléquand?,jedemande.Merde.Combiendetempsluifaudra-t-ilpourarriverjusqu’ici?Viendra-t-ilenpersonne

ou enverra-t-il un de ses hommes de main, le genre qui vous cogne d’abord et pose lesquestionsaprès.

–Oh,hier,répondHunter.Désolé,j’étaispressé,çam’estsortidelatête…Hier. Vingt-quatre heures durant lesquelles je neme suis jamais douté que la fin était

proche.

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Lespenséessebousculentdansmatête,l’adrénalinerugitdansmesveines.Oututebats,oututecasses.C’estaussisimplequeça.

Ilsaitoùjesuis.Àn’importequelmoment,ilpeuts’enprendreàmafamille.–Hello,chuchoteTegan.Çava?Jemetourneverselle.Ellemeregardebizarrement.–Oui,oui,super,jerépondsavecunrireforcéquisonnefaux.Jechercheenvitessedansmatêteunehistoireàraconter.–Unvieuxpote.Jel’appelleraiplustard.Hunter hoche la tête et se met à parler avec Blake de son prochain film, mais Tegan

continuedem’observer.Elleposeunemainsurlamienne,c’estlàquejeréalise.Jetiensmoncouteausifortquemesarticulationsontviréaublanc.

–Chéri?,insiste-t-elle,tantdequestionsdanssavoix.Jereprendsmesesprits,lâchelecouteau.–C’estrien,jemensànouveau.Jet’expliquerai.

Jefaissemblantlerestedelasoirée,commesitoutallaitbien.JediscuteavecHunterdu

ranch,tenteunrapprochementavecBlakeenparlantdebaseballetdeciné,maisaufonddemoi,c’estlapanique.

Qu’est-cequejevaisfaire?À l’idéedeDriskell débarquant ici –menaçantma famille, foutant leur vie en l’air – je

suismaladede rage,d’angoisse. Je croyais enavoir fini avecmonpassé. J’ai remboursémadette, jusqu’aumoindre centime, intérêts compris. J’ai passédeux ans là-bas, dans la fange,entre truands etdealers, à faire leménageautourdeDriskell, pourquemonsieurgarde lesmainspropres.Cettepartiedepoker,jel’aigagnéeàlaloyale.Jedevraisêtrelibre,merde.

Maisilaretrouvématraceetmanifestement,iln’enapasencorefiniavecmoi.JeregardeBritàladérobée,blottiecontreHunter,unsourirebéatsurlevisage.Lapeur

me déchire les entrailles. Ce coup de fil résonne inexorablement comme une menace. Enréalité, il ne veut pasme parler, sinon il aurait pume joindre surmon portable. Il voulaitjustemefairecomprendrequ’ilsavaitpourmafamille.

Qu’ilcontinuaitàmenerlejeu.Aprèscequimesembleuneéternité,oncommenceàdébarrasserlatable.– Vous aviez raison, les garçons, remarque Brit en souriant. Vous avez presque tout

englouti.Ilmeresteàpeinedequoigrignoter…Hunterl’attiredanssesbras.–Net’inquiètepas,situesprisedefringale,jesuistonhomme…,plaisante-t-il.–Jem’ensouviendrai,répond-elleenluioffrantseslèvres.J’imagineDriskellici.Sijamaisilposelamainsurelle…Jeserrelespoings.Jedoislesprotéger,coûtequecoûte.–Jecroisqu’ilesttempsderentrer,ditTeganalorsquemasœuretHunteréchangentle

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plus passionné des baisers. Tu me raccompagnes ?, demande-t-elle en nouant son bras aumien.

–Sijedérange…,ricaneBlake.Moiaussi,jerentre.Etenplus,c’estmoiquiailesclés…J’aienvied’êtreseul,j’aibesoinderéfléchir,maisàcemoment,Teganmesourit,avecce

sourirequi à chaque foismedonnedes ailes, et enmoinsd’unquartde seconde, je changed’avis.

–Biensûr.Jet’emmène.Teganvaembrassersonfrère.–Nem’attendspas!Blakelèvelesyeuxauciel.–D’accord.Ne rentrepas trop tard, c’estbienceque je suis censédire,non?Et roule

prudemment,ajoute-t-ilàmonattention,avecunregardsanséquivoque.Prendssoind’elle.–Commelaprunelledemesyeux,jerépondsaveccalme.OnmontedansmavoitureetjesuisBlake,maisauboutdel’allée,aulieudeprendrela

direction de la maison de la plage, je tourne dans la direction opposée. Le paysage défilederrièrelesvitresdanslanuitnoireetépaisse,etjesensmonsangcommefigé,glacé.

Tuas eu tort de croire que tu pouvais lui échapper.Un type comme lui ne respecte pas lesrègles.

Je suis tellement préoccupé que lorsque je me gare devant la maison, je réalise queTegann’apasprononcéunmotdetoutletrajet.Devantnous,c’estlechantier,sacsdecimentetplanchess’entassentdanslacour,ombreslugubresdanslanuit.Évocationdouloureusedemongrandprojet.

Jecoupelemoteur.Silence.–QuiestDriskell?,medemande-t-elledanslapénombre.Jefermelesyeux.Merde.Jenevoulaispasluidévoilercetaspect-làdemavie,cepassé

sombreetcreux.Jevoulaisenavoirfiniavecça,jepensaisquelesfantômesresteraientbiensagementdansleurtombe.

–Untypedemavied’avant,jeréponds,ébranlé.Tousmesespoirs,toutmonbonheur,toutçapartenfumée.Jemesenscommesij’étais

là-bas à nouveau, les chambres d’hôtel glauques, les ruelles mal famées. La violenceomniprésente,lesmenaces,lestraficshideuxdeDriskellquej’aipréférénepasvoir.

–Jenepensaispasqu’ilmeretrouverait.–Queteveut-il?,chuchoteTegan,tendue.–Que je sachequ’ilm’a retrouvé, jemarmonne.C’est pour ça qu’il a appelé chezBrit,

c’estbiensonstyle.Pasdemessage.Ilaappeléchezelle,parléàHunter,lemessageilestlà.Commeça,jesuisaverti,ilm’atrouvé.Atrouvélesgensquej’aime.

–Cecoupdefilalors,c’étaitunemenace,dit-elle.Jehochelatête.

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–Ilestdangereux?,poursuit-elle,leregardapeuré.Commentas-tufaitsaconnaissance?Pourquoiest-ilaprèstoi?

–Ilpensequej’aiunedetteenverslui,j’avouedansunsoupir,abattu.Etsoudain,lacolèreesttropforte,jetapedupoingsurlevolantenjurant.–Merde!Tegansursaute.Jem’enveuxdeluiavoirfaitpeur.– Pardon, je me tourne vers elle, je me sens minable. Je suis vraiment désolé. Je ne

voulaispastemêleràtoutça.Jepensaisqu’enrevenantici, jepourraisprendreunnouveaudépart.

–Maisc’estencorepossible,répond-elleavecdouceur.Explique-moi.Pourquoiaurais-tuunedetteenverslui?Est-cequejepeuxt’aider?

Elleestloind’imaginer.– Non, tu ne peux rien pourmoi, je réponds en secouant la tête.Moins tu en sauras,

mieuxcesera.Mieuxvautqueturestesloindetoutça.Demoi.–Jet’interdis,réplique-t-ellebrutalement.Nedisplusjamaisunechosepareille.Unjour,

tum’asdemandéd’avoirconfianceentoi,detouttedire.Aujourd’hui,c’esttontour.Jelaregarde,lecœurserré.Elleirradieauclairdelune,sibelle,siforte,sicourageuse.

Etj’aitellementenviedetoutluiavouer,maisc’estmacroix,paslasienne.Putain.–Parle-moi,jet’enprie,dit-elle,lavoixcassée.Nemerejettepas.Je devrais la raccompagner chez elle, là, tout de suite, et partir, sans un regard, pour

toujours.Maiselledescenddevoitureetvientouvrirmaportière,puisellemetendlamain.Alorsjenepeuxplusgarderçapourmoi.

Jeprendssamainetlasuisdanslamaison.Une foisà l’intérieur, j’attrapequelquesbougiesdans lecoffredusalon,unecouverture

quej’étaleparterre,souslesétoiles,lesbougiestoutautour.–C’est beau, chuchoteTegan en regardant autour d’elle. Tu as bien avancé, ça va être

super.Depuis la dernière fois, j’ai tout démoli, déblayé les gravats. Dégagé le toit à moitié

effondré, si bien qu’il n’y a plus d’obstacle entre nous et le ciel bleuté parsemé demilliersd’étoiles.Jevoulaisquesaprochainevisitesoitunmomentromantique,j’avaisimaginétoutela scène, mais là, ce soir, je ne ressens qu’un poids mort dans ma poitrine, une sorte derésignationfaceàtoutcetravailaccompli.Pourrien.

Tegans’assiedsurlacouvertureetjelarejoins,nesachantparoùcommencer.Quelsmotspourraconterça?Commentfairepouravouerlepireenvous,cesrecoinsles

plussombresquevousvousêtesjurédenejamaisexposeràlalumière?–Aprèsmondépartd’ici, j’aitraînéunmoment, jecommence,têtebaissée.Jevivaisde

petits boulots, surtout sur des chantiers. Un type en connaissait un autre qui avait besoin

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d’ouvriersquelquepart…J’ai fait toute lacôteetmesuisretrouvéàMiami,où jesuisrestéunmoment.

Jem’interromps,tripotemeslacets,nerveux,pleinderessentiment.–C’estàcetteépoquequej’aifaitlaconnaissancedeDriskell.Ilnedirigeaitpaslaville,

maispresque.Iltrempaitdanstouslestrafics,ladrogue,lejeuetd’autresmagouillesencoreque jen’imaginemêmepas.Tuneposaispasdequestionset t’occupaisde tesaffaires, c’estcommeçaqueçamarchait,j’ajouteaveccalme.

Elleacquiesced’unsignedetête,attend.Tellementcompréhensive,tellementforte.– Bref, certains demes potes bossaient parfois pour lui, je poursuis avec réticence. Ils

faisaient le chauffeur, le gardedu corps…despetits boulots sansprétention. Il payait bien,maisjen’avaispasenviedemecompromettredanscegenred’affaires.Jevoulaisjustegagnermavie,honnêtement.Etpuis…

J’hésite,lagorgenouée.–Etpuis,mamèreatouchélefond.–Tamère ?, répèteTegan enprenantmamain. Je croyais que tune l’avais pas revue

depuistonenfance.– Elle venaitme voir souvent, pourmedemander de l’aider. Pendant unmoment, elle

était clean, puis elle rechutait, j’explique et une profonde amertume m’envahit à cessouvenirs,vieillesblessurestoujoursàvif.Elleavait toujoursuntrucàmeréclamer.Dufricpoursonloyer,unendroitoùloger.Etàchaquefois,jecédais…

Jesecouelatête.–Jusqu’àcejour…C’étaitgrave.Elleafaituneoverdose,afaillimourir.Uneinfirmière

atrouvémonnumérosurelleetm’aappeléd’Atlanta.Jen’avaisjamais…Jen’avaisjamaisvuquelqu’undanscetétat…

Jerevoislascène,lugubre,horrible.–Àpeinesijel’aireconnue.J’aicomprisquejedevaisfairequelquechose,maislescures

dedésintoxdignesdecenomcoûtaientunefortune.Onn’avaitpasd’assurancemaladie,pasd’économies,rien.Alors jesuisalléauseulendroitoù jesavaispouvoirrécupérercinquantemilledollarsenunriendetemps.

–Driskell,chuchoteTeganquicommenceàcomprendre.– Oui, Driskell. Lui me prêterait le fric tout de suite, mais pas sans contrepartie.

Protection rapprochée, il appelait ça,mais engros, çavoulaitdire faire le saleboulot aussilongtemps qu’il le faudrait pour régler ma dette. Je n’avais pas le choix, je soupire. J’aiacceptélemarchéetjesuisrestéàsonservicedeuxans.Jusqu’àcefameuxsoir,àVegas.Lesoiroùjet’airencontrée.

Tegansembleperduedanssespensées.–Tujouaisaupoker,sijemesouviensbien.Jet’aivuàcettetable.Àl’évocationdecettesoirée,l’étauserelâcheautourdemoncœur.

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–Tum’asportéchance,dis-jeensouriant.Cesoir-là,j’aigagnégros,assezpourpayermadetteetplus…J’aicrualorsenavoirfiniavecDriskell,jepoursuis,maisdepuismondépart,ilnecessed’appeler.Ilditqu’iln’enapasterminéavecmoi.

Jelaisseéchapperunsoupir.–Jenesaispass’ilmelâcheraunjour…–Maistul’asremboursé,non?,s’exclameTegan,révoltée.–Untypecommeluinerespectepaslesmêmesrèglesquenous.S’ilestimequenousne

sommespasquittes,ilcontinueraàmeharceler.Jusqu’àcequ’unjour,ondécouvremoncadavredanslecaniveau,murmureunepetitevoix

dansmatête.–Etquevas-tufaire?,demandeTegan,catastrophée.Tonfrèrenepeutpast’aider?Ou

Brit?Hunterconnaîtbeaucoupdemondedanslapolice…–Non!, jem’exclame,paniqué,avantd’ajouter,àvoixbasse: ilsnedoiventriensavoir

detoutça.Promets-lemoi,Tegan.Surtout,neleurdisrien.–Jenetecomprendspas,dit-elle,perplexe.Ilst’aideraient.–Ilnefautpasqu’ilssachent,jamais,jerépèteentremesdents.S’ilssaventpourDriskell,

ilssaurontpourladette.Pourmaman.Etça,jeneveuxpas,Tegan.Toutescesannées,j’aifaiten sortede lesprotégerd’elle,de l’empêcherdebousiller leur vie, commeelle l’a faitpourmoi.

Moncœursaigne.Toutcetemps,maisçafaittoujoursaussimal.–Ilssontheureuxmaintenant,jereprends.Tulesasvus.Emersonasonrestaurant,Brit

commenceunenouvellevieavecHunter.Ilsonttournélapage,ilsontréussiàenterrerleursvieuxdémons,maistun’imaginespasleseffortsqueçaleurademandés,leprixqu’ilsontdûpayerpours’ensortir.Ceneseraitpasjustederéduiretoutçaànéant.Non,jenel’imaginepas,jenepeuxpas.

Ellehochedoucementlatête.–Promets-lemoi,jel’implore.Promets-moideneriendire.– Je te le promets, répond-elle à contrecœur. Mais que vas-tu faire ? Il sait où tu es

maintenantetd’aprèscequetuasdit,cen’estpaslegenredetypeàrenoncer.–Jevaistrouverunesolution,jerépondsetcemensongemedéchirelestripes.Parcequejesaisdéjàcequ’ilmeresteàfaire.Parleravecellem’apermisd’yvoirclair.Ilyatropdepersonnesauxquellesjetiensdanscettevillepourlaissercesalaudymettre

lespieds.Illeurferaittropdemal.Etcesviesmesonttropprécieusespourquej’acceptedelevoirlesfoutreenl’air.

Brit.Emerson.Tegan.Jeluicaresselajoue,frémisàtantdedouceur.Dieu,qu’elleestbelle.–Jet’aime,jemurmureetçavatellementdesoi.

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Sonvisages’illumine,millefoispluséclatantqueleciel.–Jet’aimeaussi.Etnoustrouveronsunesolutionensemble,mepromet-elleenprenant

mamaindanslasienne.Jet’enfaisleserment,toutirabien.Sesparolesm’achèvent, c’en est troppourmon cœurmeurtri, sanguinolent. Impossible

d’articulerunseulmot.J’enaidéjàtropdit,detoutefaçon.Etlà,maintenant,jedevraism’enaller,disparaître,maislagravitémepousseverselle,forced’attractionirrésistible.

J’ai envie d’elle, une dernière fois. D’entrevoir les possibles, ne serait-ce qu’un instant,avantqu’ilsnem’échappentàjamais.

Je pose mes lèvres sur les siennes. Je veux prendre mon temps, savourer chaquemoment,maisTegangémitcontremabouche,sepressecontremoipourdemanderplus.Etcequimerestedesang-froidfinitparlâcher.Ledésirmetlefeuàmesveines.Impossibledefaire marche arrière quand elle me fait m’allonger par terre, me couvre de son corpsvoluptueux et s’accrochedésespérément àmonT-shirt. Jem’empare de ses hanches, l’attirecontremoietellem’enserredesesjambes,meprendfortentresescuisses.

Elle secambre,bougecontremoietmerde, j’ai tellementenvied’elleque j’ensuffoquepresque.

Jemeforceàrespirerlentement,jeveuxêtreàlahauteur,êtrel’hommequ’ellemérite.Teganprendmonvisageentresesmains,plongesesyeuxcouleurdésirdanslesmiens.– Ne te retiens pas, halète-t-elle en se remettant à bouger contre moi. Je t’en prie,

Ryland,j’aienviedetoi.Maintenant.Etsesparoleslibèrentlapassiondévorantequej’essayaisdecontenir.Jelaisseéchapper

un râle, l’enlace et nous voilà tous deux projetés en chute libre dans la fournaise, lèvresbrûlantes, gémissements etmains fiévreuses. Je lui arrache ses vêtements, embrasse chaquecentimètrecarrédesoncorps jusqu’àcequ’elle tressaille sousmoi, cuissesouvertes, chacundesesbaisers,chacunedesescaressescommeuneinvitation.Uneprière.

Jeplongeenelle,meperdsenelle.Tegan laisse échapper un cri, se plaque contremoi pourm’attirer un peu plus loin en

elle. Je la sens se refermer autour de moi, si étroite, si bonne. Je ressens tout, chaquebattementde cœur, chaque souffle. L’espaced’unmoment, je suis plus quemon corps, plusquelepoidsdévastateurdetoutesmeserreursstupides,demeschoixmalheureux.

L’espaced’unmoment,jemevoistelquejesuisdanssesyeuxetj’enailesoufflecoupé.Ellem’aime.Ellevoit toutdemoi,maisellem’aimequandmême.C’estplusque jene

pouvais en espérer de sa part,mais elleme l’offre sans lamoindre hésitation, sans crainte.Aprèstoutcequ’elleaenduré,ladouleuretlesténèbresetledoute,elleafoienmoi,ellemefaitconfiance.

Jedoislaprotéger,peuimportecequeçamecoûtera.Jepourraisresterainsidanssesbraspour l’éternité,perdudanssonregardardentet la

sensationdesoncorpsautourdemoi,maisc’esttrop.L’envieesttropforte,sauvage,animale

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etnousrecommençonsàbougerl’uncontrel’autre,ànefairequ’un.Elletremblecontremoiet j’essaie de garder le contrôle, subjugué par lamoindre pulsation de son corps, et jemeretiensjusqu’àcequ’ellesebrisedansuncri,alorsj’exploseetmefragmentedanslachaleuretleplaisir,momentd’extase,purdiamant.

Je la tiens, la bercedesheures entières et bientôtnos chuchotements s’arrêtent et elles’assoupit,blottiedansmesbras.

Jenedorspas.Jesorsetarpentelacour,enproieàuneragevaine.Jehurleensilenceàla lune, cherche une autre issue, une façon de sortir de ce piège,mais je doisme rendre àl’évidence.Jen’aipasd’autrechoix.

Jevaisdevoirbriseretsoncœuretlemien,justepourlaprotéger.L’aubepointeàl’horizonquandjeprendsmadécision.Jegriffonneunmot,leposesurla

couverture.Puisjemepenchesurelle,m’imprègneunedernièrefoisdesonodeur,duparfumdesonshampoing,deladouceurdesescheveux.

Jel’embrassedoucementsurlefront.Etjem’envais.Je suis arrivé ici avecpasgrand-chose, et j’en reparsde lamême façon.Un réservoir à

moitié vide, mon sac sur le siège arrière. J’appellerai Brit plus tard, sur la route, en luiracontantuntrucdugenre«c’estplusfortquemoi,j’aibesoindebouger,etpuisj’aiunpland’enferquim’attend».Ellemecroira.

Jeferaiensortequetousmecroient.MaisTegan…Depuislaporte,jejetteundernierregardsursoncorpsendormi.Lafaçon

dontellesouritdanssonsommeil.Jemedemandesiellerêvedemoi.Jemedemandesiellemepardonneraunjour.Jeneleméritepas,jelesais.Jeprendslaroute,capsurlesoleilquipeineàselever,etc’estcommesionm’arrachait

lecœur.

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29.

Tegan

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Unmoisplustard…

LosAngeles.Je me réveille comme je le fais tous les matins depuis quelque temps : en émergeantlentement,jusqu’àcequelesoleildéchirelecocondemesrêvesetquejemerappellecequ’ils’estpassé.

Rylandestparti.Paspourtoujours,jemerépète,encherchantdéjàmontéléphone.Justeletempsqu’ilme

faudrapourleramener.«Vousn’avezaucunnouveaumessage…»Jelaisseretombermatêtesurl’oreilleretsoupirelonguement.Oùes-tu,Ryland?Mon réveil sonne, et je me lève pour me préparer. Le ciel sur Hollywood Hills est

limpide, derrière les fenêtres. Je prends une douche, choisis de jolies fringues, puis jem’attache les cheveux, mets une touche de gloss sur mes lèvres et enfin je descends à lacuisineoùjetrouveBlakepliéendeux,ensueuraprèssonjoggingmatinal.

–Del’eau…,halète-t-il.Jevaismourir…Jecoursàl’évier,medépêchedeluiservirunverre.–Jenecomprendspaspourquoitut’infligesça,dis-jeenleregardantboire,encoretout

essoufflé.Tunepeuxpasfairelagrassematinée,detempsentemps?– Ce n’est pas en dormant que je risque de décrocher le rôle dans ce nouveau film de

superhéros.IlsontdéjàauditionnéRyan,etChrisaussi…Il se plante devant la centrifugeuse et commence à remplir le récipient de fruits, de

protéinesenpoudre,puisajoutedeuxœufscruspourfinir.–Quellehorreur,jemarmonne,écœurée.–C’esttrèsnourrissant,proteste-t-ilensouriant,trèsfierdesamixtureinnommable.T’en

veuxunpeu?

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–Beurk,jerépondsenriant.Blakemixetoussesingrédientsetm’observe,unesourdeinquiétudetransparaîtdansses

yeuxbleus.–Etsituvenaisfaireuntouraustudio,aujourd’hui?,suggère-t-il,d’untonenjoué.C’est

justequelquesprises,maisçadevraitêtremarrant.–Jevaisbien.–Jen’aipasditquetuallaismal,rétorqueBlake.–Maistulepenses,jelevoisdanstesyeux.Détends-toi,luidis-jeavecunsourire,puisje

regarde la pendule, attrape quelques fruits dans le saladier, sur le comptoir. Il faut que j’yaille.Àplus!

Je me mets en route, laisse le canyon derrière moi pour prendre Sunset Boulevardjusqu’au bout, direction SantaMonica. Il n’y a pas l’ombre d’un nuage dans le ciel et il faitencoresuffisammentchaudpourroulervitresbaisséesetlaisserleventmecaresserlesbras.Toutes les saisons se ressemblentplusoumoins ici,mais àBeachwoodBay, l’autreboutdupays,l’automnedéjàatirésarévérencepourlaisserplaceàl’hiver.Lesvaguessebrisentavecragesur lerivage, lesboutiquesàtouristesontfermé.J’aimel’hiver, lefroidnemedérangepas,bienauchauddansungrospull,enhibernationdevantlacheminée.

MaissansRyland,jen’avaisaucuneraisonderester.Jeroulepratiquementenpiloteautomatique,perduedansmessouvenirs.Lorsquejeme

suisréveilléeseulecematin-là,danslamaisonencoreenchantier,j’aid’abordcruqueRylandétaitpartichercherlepetitdéjeuneroupourpréparerjenesaisquellesurprise.

Puisj’aitrouvésonmotetalorsj’aicomprisqu’ilnereviendraitpas.Jetedemandepardon.Jenepeuxpastemettreendanger.Cettehistoireneconcernequemoi.Jet’enprie,ilfautquetucomprennes,cen’estpastoi.Sijelepouvais,jepasseraislerestant

demesjoursàt’aimer,ici.Tueslameilleurechosequimesoitjamaisarrivéeetc’estpourquoijeneveuxsurtoutpastevoirsouffriràcausedemeserreurs.

Nem’attendspas.Quelques lignes griffonnées à la hâte, mais qui disaient tout ce que j’avais besoin de

savoir.Rylandétaitdéjà loin,enroutepourcetteviequ’ils’était juréde laisserderrière lui.Pour ma sécurité, pour protéger sa famille. Il n’hésiterait pas à sacrifier l’espoir d’une viemeilleurepour laquelle il s’était tantbattu,uniquementpour leurdonnerune chanced’êtreheureux. Pourmedonner àmoi ce qu’il croit que jedevrais avoir, alors que tout ce que jeveuxenréalité,c’estlui.

J’aipleurétoutelamatinée,avantdereveniràlamaisondelaplage.Blakem’attendait.Un regard a suffi pour qu’il comprenne et il a tout de suite voulume réserver un vol pourrentrer à lamaison. J’ai d’abord refusé, jusqu’à ceque j’aille voirBrit etHunter. Jepensaisquepeut-êtreelleauraitunepetiteidéedel’endroitoùilsetrouvait,maisj’aivitedéchanté.

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Ilavaitdéjàappelé.Enluiracontantuneexcusebidon,commequoiilavaitbesoindebouger,quelebruitetlefracasdelavilleluimanquaient.IlétouffaitàBeachwoodBay.

J’ai bien vu la lueur de compassion dans les yeux de Brit, quand elle m’a appris lanouvelle.Ellenepouvaitpas comprendre.En fait, ellenepouvaitquevoir lepire chez sonfrère,pourlasimpleetbonneraisonqu’ilneluiavaitjamaismontrélemeilleur.Toutcequ’ilavaitdonnédéjàpour lapréserver.Leprixqu’il continuait àpayerpour s’assurerqu’elleneconnaissejamaislavérité.

Jenepouvaispasluiexpliquer.Ilm’avaitfaitpromettredegarderlesilencesurDriskelletleurmèreet,mêmes’ilm’abrisélecœurenpartantcommeça,ilnem’apaslaissélechoix.

Sijevoulaisleretrouver,jenedevaiscompterquesurmoi-même.Aujourd’hui, sur cette route pour me rendre au travail, les mêmes hypothèses se

bousculent dans ma tête. J’ai déjà essayé de remonter jusqu’à Ryland, à Vegas et à sa vied’avant,maisàchaquefois, jefinisdansuneimpasse.Si jeveuxleretrouver, il fautd’abordque jemette lamain surDriskell,mais dans cemondede trafics en tout genre, le type estdiscret.

Cequisemblelogique.Lescriminelsontrarementpignonsurrue.SiseulementRylandm’avaitfaitconfiance…Ilpenseavoirfaitcequ’ildevaitenretournantversDriskell,maisiln’apascomprisune

chose:iln’estplusseul.Toutescesannées,c’estseulqu’ilaportélefardeaudesadette,c’estseul qu’il s’est battu jour après jour. Sans personne sur qui s’appuyer, personne vers qui setournerpourdemanderdel’aide.

Iladitvouloirmeprotéger,maisenfaitilatoutfaux.Carjenerenonceraipasàlui.Nousaffronteronstoutçaensemble,qu’illeveuilleounon.

J’aitrouvéuntravaildebureau,àdeuxpasdel’océan.Unespaceimmenseautroisième

étaged’unetour,desdizainesd’employésalignésentredeuxcloisons,laclimleplussouventenpanneetzérosalaire.

L’expériencelaplusenrichissantedemavie.À peine suis-je assise que le téléphone sonne. Jeme sens nerveuse. Après des jours de

formation,jevaisenfinopérerensolocommebénévolesurlahotline.–Hello,monnomestTegan,jecommence,intimidée.Commentvousappelez-vous?Lesappels se succèdentnon-stop toute la journée,desgensde tout lepaysquiontdes

idéessuicidairesoujusteenviedeparler.Montravailconsisteà lesécouteretà lesorienterselonleursbesoins,unhôpital,unpsyouunservicesocialquelconque.Audébut,j’aipriscejob juste pour ne plus penser à Ryland et aussi pour arrêter de consulter de façon quasicompulsivelesitewebduconcoursdechansonpourvoirsilesrésultatsétaientaffichés.Maisbien vite, c’est devenu plus que ça. Après ce qui m’est arrivé avec Connor, je réalise machance.Mesamis,ma familleétaientauprèsdemoipourm’aider les joursoù jeme sentaissombrer,maistoutlemondenepeutpasprofiterd’untelsoutien.Etd’unecertainefaçon,en

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exploitantmaguérisonpoursoulagerlesautres,j’ail’impressionderéparerunpeucechagrinque j’ai causé auxmiens. Ces gens, je les connais, je les comprends, ils ont juste besoin dequelqu’unquilesécoute,quileurdisequ’ilsnesontpassiseuls.

Mon service au téléphone se termine à quatorze heures. Ensuite, je donne un coup demainauxtâchesadministratives,enpréparantdesenveloppespouruneprochainecampagnede collecte de fonds, avec une autre bénévole, Sophie. Elle est inscrite en master depsychologieetcestagefaitpartiedesesétudes.Radioenfondsonore,touteslesdeux,onplieetcolleàunrythmed’enfer.Etc’estplusfortquemoi,mespenséesdérivent.Jemedemandeoùilestencemomentmême,cequ’ilfait.

Est-cequ’ilpenseàmoi?Quelquepart,aufonddemoncœur,j’ensuissûre.Çapeutsemblernaïf,dem’accrocher

comme ça à mes souvenirs, alors que je n’ai reçu aucun signe de lui depuis un moismaintenant.Maisj’aicettecertitudequirésonnecommeunemélodiedanstoutmonêtre.Lelienquinousunitestréel,tropsolidepourdélitercommeça.

Enfait,Rylandetmoiformonslesdeuxmoitiésd’unmêmecœur.Nousnouscomprenonsl’un l’autre comme personne. Si l’on m’avait dit que le garçon d’une beauté vénéneuserencontré à Vegas deviendrait ma raison de vivre, mon port d’attache,ma lumière etmonenvol, jamais jene l’aurais cru.Rylandestplusqueceque j’imaginais.Plus courageux,plusfort,plustendreetplusvraiaussi.

Ilsaitcequec’estdesebattrecontrelesténèbres.Ilcomprendtoutcequej’aitraverséavecConnor, cescicatricesqu’uneviene suffirapeut-êtrepasàguérir.Toutceque j’ai fait,toutcequejesuis,ill’accepte.Ilm’accepte,merespecte.

Ilm’aime.Pas comme cet amour que j’ai connu avec Connor, étouffant, addictif, àme demander

constammentsij’étaisassezbienpourlui.Cettecertitudemedonnedesailes.Quandvoustrouvezunhommecommeça,vousnerenoncezpasàluisansvousbattre.Et

jen’aimêmepascommencéencoreàmejeterdanslabataille.Etsij’aiapprisquelquechose,cet automne, c’est que l’avenir est devantmoi. J’ai passé des années avec le sentiment quetoutéchappaitàmoncontrôle,emportéedanslesillagedeConnor,àessayerdésespérémentdejustifierseschoix.Deméritersonamour.Aujourd’hui,jelesais,jeméritemillefoisplus.Àconditionquejeveuillebienm’endonnerlapeine.

Laviem’adonnéunesecondechance,etcettevie,jeveuxlapasseràl’aimer.–Tegan?Jelèvelesyeux,Sophiemeregardeavecunsourireencoin.–Çafaitcinqbonnesminutesquetupliesetreplieslemêmeprospectus.–Oh…Désolée,jerépondsenrougissant.–Tupensaisàquelqu’un,peut-être?,dit-elleavecunairinnocent.

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Elle a de longs cheveux blonds qui retombent en cascade sur ses épaules et elle portel’unedesesfameusespetitesrobesd’étévintage.

–Possible,j’avoue,surmesgardes.On passe beaucoup de temps ensemble, au bureau,mais nous ne nous sommes jamais

vraimentconfiéesl’uneàl’autre,surnotrevieprivée.–Monpetitamiest…loind’ici,jefinisparrépondre.Cen’est pasunmensonge, carnous appartenons l’un à l’autre, peu importe ladistance

quinoussépare.–Etc’estdur,commenteSophieavecunsourireamical.–Tonpetitamin’estpasici,luinonplus?–Onpeutdire ça.En fait, il vit àLosAngeles,m’explique-t-elle.Mais il est interneau

CedarsSinaiHospital.Illuiarrived’êtred’astreintequarante-huitheuresd’affilée,ilpourraitvivreàl’autreboutdupaysqueçaseraitpareil.

–Oh,dis-je,çanedoitpasêtreévident.–Onyarrivequandmême,dit-elle en souriant.Nousne sommesensemblequedepuis

quelquesmois,maisc’estunmecgénial.Unmauvaismomentàpasseretaprès,toutirabien.– Exactement, je réponds, et ça fait du bien que quelqu’un comprenne. C’est juste

temporaire.L’avenirseradifférent.Ilfautqu’illesoit.Après le boulot, je rentre chez Blake. Il est au studio, aussi je m’attends à trouver la

maisonvide,maisquandjedescendsdevoiture,j’entendsdelamusiqueàfond.Àl’intérieur,Dexetlerestedesongroupesontavachisdanslesalon.–Quesepasse-t-ilici?,jehurlepourmefaireentendre.–Désolé,jecroyaisqueturentraisplustard,répondDexetilbaisselesond’uncran,se

précipitepourmeprendredanssesbras.Çafaitàpeuprèsdeuxsemainesqu’ilestrentrédesatournéeetilestrestéàL.A.avec

Alicia pour enregistrer le nouvel album du groupe. Après, je suppose qu’ils retourneront àBeachwood Bay –mais plus personne nementionne le nom de cette ville enma présence,commesijerisquaisdem’effondrerausouvenirdeRyland.

–Qu’est-cequetuenpenses?,m’interrogeDex.Tout lemondeécoute lamusique.Dante, lebatteur, tapedesmains sur la tablebasse,

Austinsetrémousse.Lerythmeestprenant,brut,contagieuxmême.–C’est l’undevosnouveaux titres ?, jedemande, enprêtant l’oreille.Oui, j’aimebien,

c’estdifférent,maisdansvotrestyle.– En fait, c’est la chanson qui a remporté le concours, annonceDex, tout heureux.On

vientjustedesedécider.Onpensel’enregistrerlasemaineprochaine.Unprofondsentimentdedéceptionmesubmerge.Leconcours.J’aiperdu.

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–Oh,c’estsuper,dis-jeavecunsourireforcé.Jesuissûrequeçavamarcher…Jeravaleleslarmesquisoudainmepiquentlesyeux.–Jereviens…Jemedépêchededisparaître,prendslecouloiretm’engouffredanslacuisine,j’aibesoin

d’êtreseuleunmoment.Jetentealorsdemeressaisir,d’apaiserladouleur.C’était courud’avance, je le sais, et à entendre la chansongagnante, ils ont fait le bon

choix.LemorceauestdanslaveinedeTheReckless–unfutursuccès,c’estsûr.Machansonétait plus acoustique, plus intime, un autre univers. J’avais demandé à la sœur de Juliet,Carina,d’enregistrer ladémo,àBeachwoodBay.Unejolievoix,douce.Jecomprendsquelegroupenel’aitpaschoisie,n’empêche,çafaitmal.

Quelque part, j’espérais avoir une bonne nouvelle à annoncer à Ryland, quand je lereverrais.Aprèstout,c’estluiquim’adonnésuffisammentconfianceenmoipourparticiper.

Maisjesupposequ’onseberçaitd’illusions,touslesdeux.Unbruitderrièremoi.Austin,leguitariste,apparaît,santiagsauxpieds,jeandestroy.Je

medépêched’essuyermeslarmes.–Quoideneuf,gamine?,lance-t-iltoutenattrapantunsodadansleréfrigérateur.–Pasgrand-chose,jemens.Cettechansonesttop,vousdevezêtretoussupercontents.– Il y en avait plusieurs d’intéressantes. Notamment une que j’aimerais bien repêcher.

Unechansonquin’arrêtepasdemetrotterdanslatête.Peut-êtrequejepourraisl’enregistrerensolo.C’estplusmonstylequeceluidugroupe.

–Oh ? Je prends un fruit dans la corbeille sur le comptoir, une grappe de raisin bienmûr.

–Oui,c’estunechansond’amour,unrythmelent,obsédant.Austin fredonne quelques notes, mais je ne percute pas, jusqu’à ce qu’il se mette à

chanter,avecsavoixgrave,façoncountry.–Etlavieaujourd’huiestsemblableaunéant,depuisquetuesparti.Moncœurs’arrête.Ma chanson. Il chante ma chanson. Et il la trouve assez bonne pour envisager de

l’enregistrer,paspourlegroupe,maispourlui!Unformidablesentimentdefiertémesubmerge.Jusque-là,jen’avaispasréalisécombien

j’avaisenviedeça.D’entendremesparolesdanslabouchedequelqu’und’autre,dedonneràmesémotionsuneautredimension.Jesuis tellementémueque j’enrestemuette tandisqueAustinretournedanslesalon.Jem’appuieaucomptoir,souslechoc.Ilnesaitpasencorequejesuisl’auteurdecettechanson.C’estleplusgrandsecretquej’aijamaiseu.

IlfautquejelediseàRyland.Mon téléphone sonne. Je regarde le numéro sur l’écran et encore une fois, mon cœur

exécuteundoublesalto.

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–Allô?,jeréponds,fébrile.–Salut…C’estunevoixmasculine,rocailleuse,quitrahitunebonnevingtained’annéesd’addiction

au tabac.Cen’est pasRyland,maisGage, le détective privé que j’ai fini par engager, aprèsavoiréchouéàretrouvermoi-mêmelapistedeRylandetDriskell.

–Alors?,jedemande,impatiente.Desnouvelles?–Oui,m’dame,répond-il,stoïque.J’aitrouvécequevouscherchez.

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30.

–Nousapprochonsdel’aéroportinternationaldeTulsa.Veuillezredresservossiègesetvousprépareràl’atterrissage,merci.

Jem’accrocheauxaccoudoirsetinspireungrandcoup.L’hommed’affairesàcôtédemoimejetteunregardméfiant.

–Vousavezenviedevomir?,demande-t-il,horrifié.Je secoue la tête. Ce ne sont pas les trous d’air quime nouent l’estomac, c’est ce qui

m’attendauboutdelapiste.Pourlacentièmefois,jemedemandesijenesuispasentraindecommettreuneerreur,maisquandlesrouestouchentletarmac,jelesais.J’iraijusqu’aubout.

Rylandacruenmoi.C’estàmoimaintenantd’enfaireautantpourlui.Jen’ai faitenregistreraucunbagage, jemerendsdoncdirectementaucomptoiret loue

unevoiturepourlajournée.Jerentrel’adressequeGagem’adonnéedansleGPSetmemetsenroute,directionunebanlieueàlapériphériedelaville.

J’ignorecequejevaistrouverlà-bas.Ilsepourraitquejesoisdéçue.Jemedirige vers l’autoroutequandBlake appellepourprendredesnouvelles. J’appuie

surleboutonmainslibresetjeréponds,avantmêmequ’ilnem’interroge.–L’avionabienatterri,jesuisarrivée,jesuisdéjàenroute…,jerécite,unbrinagacée.Unsilence,puisilmarmonne:–Super.Situasbesoindequoiquecesoit…–Merci,jemeradoucis.Toutsepasserabien.Ilvoulaitm’accompagner, ils levoulaient tous, sansdistinction.Jen’allaisquandmême

pasm’enfuirencoreunefois,jenepouvaispasleurfaireça,alorsj’airacontéàmesfrèresuneversion améliorée de la vérité. Je devais parler à Ryland, face à face. L’idée ne les a pasvraiment emballés,mais lorsqu’ils ont compris que je ne changerais pas d’avis, ils n’ont eud’autrechoixqueceluideserésigner.

–Netefaisquandmêmepastropd’illusions,meditBlake,toutgentil.J’aidiscutéavecBrit et ellem’a expliqué qu’il avait la bougeotte, il n’en pouvait plus de Beachwood. Il est

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parti, Tegan. Peut-être ne devrais-tu pas te lancer à la poursuite d’un homme quiapparemmentnetientpasenplace.

–Jet’enprie,fais-moiconfiance,jesoupire,carilnepeutpascomprendre,iln’ajamaisressentiça.Unjour, tuaimerasquelqu’uncommeçaetàcemoment, tucomprendras. Ilesttoutemavie,monaveniretjenerenonceraipasàluisansmebattre.

Je sors de l’autoroute et finis parme retrouver dans une avenuemorne, au cœur d’unquartierpeuengageant.Jetressaille.Peut-êtreaurais-jedûveniravecundemesfrères,aprèstout.

LeGPSm’amènejusqu’àunpetit immeuble,aucoind’unerue,coincéentreunpressingetlaboutiqued’unprêteursurgage.Jemegareetprendsuneminutepourtenterdefairelepoint.

Faisçapourlui.Jedescendsde voiture,m’engagedans l’escalier extérieur quimonte aupremier étage,

surmesgardes.Jeregardelenumérosurlesportes,jusqu’àl’appartement14,celuiqueGagem’anoté.

J’inspire, expire,quand j’entends soudainunbruitderrièremoi,dans la caged’escalier,justeaumomentoùjevaissonner.Unefemme,laquarantaine,émerge,avecunénormesacdecoursesdanslesbras.

Lorsqu’ellem’aperçoitdevantlaporte,elles’arrêtenetpuismeregardeavecméfiance.–Vouscherchezquelqu’un?,m’interpelle-t-elle,engardantsesdistances.–Oui,jeréponds,nesachantquedire.Maisjen’airienquelavéritépourmoi,alorsjemelance.–VousêtesDawn?Ellefroncelessourcils.Ellealesyeuxcernés,lemascaraendéroute.Toutenellesemble

usé, fatigué, depuis ses fringues, un chemisier et une jupe bon marché, jusqu’aux cheveuxfilasses qui lui retombent mollement sur les épaules, avec la couleur aux racines quis’estompe.

–Quilademande?,répond-elle,tendue.–C’estausujetdeRyland.Sonvisagesedécompose.–Jesuislàpourvotrefils.

Dawnme faitentrerdans l’appartementetvaposer sonsac. Je regardeautourdemoi.

C’est triste, négligé. Un canapé tout défoncé, une étagère qui repose sur des bouquins depsychologieécornés.Elles’affairedansleminusculecoincuisine,rangesescoursestoutenmelançantdesregardseffarouchés.

–Vousvoulezboirequelquechose?,demande-t-elle,d’unevoixmalassurée.Jusdefruit,théglacé?

–Unthéglacé,avecplaisir,merci,jeréponds,ententantdelamettreàl’aise.

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Elle acquiesce d’un signe de tête, attrape une bouteille dans le réfrigérateur et remplitdeuxverres,avantdemerejoindredansl’espacesalon.Elles’assiedsurlecanapé,nerveuse.

Lesverresdethéattendentsurlatablebassebranlante.–Alors,commeça…Dawn toussote. Je la regarde avec attention. Je ne sais pas à quoi je m’attendais. La

dernièredescriptionqueRylandm’enafaiteétaitsidéprimanteetjevoisbienlesravagessursonvisage.Ellecroiselesmainssursesgenoux.

–Vousditesquec’estausujetdeRayJay?– Oui, il faut absolument que je le retrouve. Je pensais que vous pourriez peut-être

m’aiderdansmesrecherches.Dawnfaitlamoue.– Dans quelle histoire est-il encore allé se fourrer ? Écoutez, moi, je ne veux pas

d’ennuis…Cegarçonatoujourstraînéaveclaracaille.Jenel’aipasvudepuisdesmois.–Depuisqu’ilvousafaitsuivrecettecurededésintox,jeréplique,furieusedel’entendre

parlerainsidelui,aprèstoutcequ’ilafaitpourelle.Elleaccuselecoup.–Ah,ilvousaparlédeça?Maisjevaisbienaujourd’hui,trèsbienmême.J’aiuntravail

àl’hôpitaletjeparticipeàdesréunionsdeuxfoisparsemaine,répond-elle,surladéfensive.–Super,dis-jeenm’efforçantdegardermoncalme.Dawntripoteconvulsivementsesbagues.–Bien,qu’attendez-vousdemoi?,demande-t-elleenregardantducôtéde laporte.J’ai

pasmaldechosesàfaire…Jerespireunboncoup.–IlfautquejeretrouveDriskell.Cesparolesmevalenttoutesonattention.Dawnblêmit.–Qu’est-cequevousluivoulez?– Ryland est avec lui, quelque part. Obligé de travailler pour lui, à rembourser cette

dette. Dette qu’il a contractée pour vous, dis-je en insistant bien là-dessus. Écoutez, je doisabsolument savoir où ils sont.Vousn’avezpasunepetite idée, un indice ?C’est important,j’ajoute,émue.Jesaisquevousl’aimez,Dawn.Vousluiavezdonnécettemaisonetçasignifietellement,pourlui.

–IlestretournéàBeachwood?,demande-t-elle,soudainauborddeslarmes.–Oui, il voulait commencerunenouvellevie. Ilpensait enavoir fini avec sonpasséet

aujourd’hui,ilestpiégéparcetype.Aidez-moi,jevousenprie.Jerefusederenonceràlui.Elle m’observe un moment et je vois bien l’indécision dans ses yeux. Puis enfin, elle

hochelatête.– Une minute, dit-elle et elle se lève, se rend dans la chambre, laisse la porte

entrouverte.

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Lessecondessesuccèdent,puisjel’entendsquiparleàvoixbasseautéléphone.–S’ilteplaît,Wes…Non,c’estjustepourrembourserunevieilledette.Hmm,euh…La

Nouvelle-Orléans?Oui…Merci.Laporte s’ouvre,Dawnsortde la chambre. Je tournevite la têtepourqu’ellene sache

pasquej’aitoutentendu.Entresesdoigts,unvieuxprospectussurlequelelleagriffonnéuneadresseaufeutrenoir.

–IlparaîtqueDriskellestallésemettreauvertàlaNouvelle-Orléans,dit-elle,hésitante.Jetendslamain.–Jevousenprie.Dawnsoupire,puismedonneleprospectus.Jeleplieavecsoin,lecœuràtouteallure.

Enfin,c’estmapremièrepistesérieuse.Merci,dis-jeenattrapantmonsac.C’estsiimportantpourmoi.

Dawnm’accompagnejusqu’àlaporte.– Et les autres ?Vous les avez vus ?,m’interroge-t-elle, la voix brisée. Emerson etma

petiteBrit?Jeluifaisface.Sonregardbalanceentrepeuretespoir.J’acquiesced’unsignedetête.–Etest-cequ’ils…?Ellenevapasplusloin.–Ilssontheureux.Ellehochelatête.–DitesàmonRayJayquejeleverraibientôt,ajoute-t-ellequandjesors.Je…J’aijuste

besoindereprendremesmarques.Çan’apasétéuneannéefacilepourmoi…Jerestedemarbre.J’aiencoreenmémoireleregarddeRylandquandilm’aparléd’elle,

cettelueurd’espoirdanssesyeuxqu’unjour,elleresteraitcleansuffisammentlongtempspoursecomportercommeunevraiemère,sonchagrinchaquefoisqu’elleéchouait.

–Ilseratoujourslàpourvous,vouslesavez.Dawnsefige.–Aussilongtempsquevousluidemanderez,ilferatoutcequ’ilpeutpourvousaider,dis-

je.C’estàvousdedécidersic’estlaviequevousvoulezpourlui.S’ilneméritepasmieux.SurlevisagedeDawntransparaîttouteladétressedumonde.–Jesais…Jevoudraistellement…Maisj’essaie,vraiment…Ellelaisseéchapperunsoupir,puismeregarde,lesyeuxbaignésdelarmes.–Prenezsoindeluipourmoi,d’accord?Jehochelatête,lagorgenouéeparl’émotion.–Jevouslepromets.Jeretourneàlavoiturelecœurgros.JecomprendsencoremieuxRylandmaintenant,je

voismieuxcequ’ilendure,àtellementvouloirlasauver,maisécraséparlepoidsdel’échec,à

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chaquefois.J’espèreseulementpouvoir l’aideràseconstruireuneautrevie.Àneplusêtre laproie

dudoutecommeça.Jeregardel’adresse,plusdéterminéequejamais.J’arrive,jechuchote.Tiensbon.Jet’enprie,tiensbon.

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31.

Ryland

LeVieuxcarréfrançaisestbruyantlevendredisoir,remplidetouristeséméchés.Lamusiquegueuleàfonddanslesbarsetilplanedansl’airunechaleurmoite,fébrile.

ÀpeinesiDriskelldaignejeterunregardauchaosambiantquandildescenddelaberlineclimatisée. Je referme la portière derrière lui et pendant qu’il ajuste ses boutons demanchette, jeme précipite pour le précéder dans le club. Il préfère que j’entre toujours lepremier,pourm’assurerqu’iln’yapasdedanger,dit-il,maisnoussavonsbienluietmoiquec’estpourlafrime.Legardeducorpsdubossquidégagelepassageetlesclientsquiattendentl’arrivéeduking.

Jesuissonjouet,samarionnette,sonclebsauboutdelalaisse.Etcetteputaindechaîneinvisiblesetendnetaumoindredemespas.

–Vamechercherunverre,m’ordonneDriskell,unefoisàl’intérieur.UnMexiCoke,sansglacenitoutessesmerdesàcocktail.

Jeserrelesdents,acquiesced’unsignedetête.–Et trouve-moi cette fille,de lanuitdernière, jene saisplus sonnom,Candymachin,

ajoute-t-il,leregardlubrique.Jeseraidanslasalledederrière.–Oui,patron,jeréponds.Aussitôt, il me fixe, au cas où je me ficherais de sa gueule, mais je me contente de

soutenirsonregard,indifférentetdocile.– Bien. Et ne traîne pas en route. Je veux que tu sois avec moi quand Kolchock se

pointera.JemefondsdanslafouletandisqueDriskellsedirigeverslesalonVIP.D’habitude,pour

uneréuniondecegenre,ilemmènetroisouquatred’entrenous,seschiensdegarde,maisseprésenteravecjusteundesessbiresestunsignederespect.Kolchock,c’estlerequinjusteau-dessusdeluidanslachaînealimentaire, leseultypequej’aie jamaisvudonnerdesordresà

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Driskell. Il ignorecomplètementqueDriskellpiquedanslacaissedepuisdesannées.Le jouroùilledécouvrira,çarisquedefairemal.Etavecmachance,c’estmoiquiseraidevant,dansl’angledetir.

Poings serrés, je me refais les mêmes calculs toxiques, toujours hanté par la mêmequestion.

Commentfairepourreprendremaliberté?Driskell n’a même pas cillé quand j’ai passé la porte, le mois dernier, mon sac sur

l’épaule.–Contentde te revoir, a-t-ilmarmonné, comme si le faitd’être revenuétaitmon libre

choix.Maisàsa façondemeparler,àmeraconter toutes lesconneriesquiavaienteu lieuen

monabsence,pourunpeu,j’auraiscruquejeluiavaismanqué.Salebâtard.Aucomptoir,jecommandelecocadeDriskelletunwhiskypourmoi.Jeleboisculsec,

la gorge en feu, et soudain la douleur me submerge, toujours aussi intense. Il est plus deminuitàBeachwoodBay, jesupposequeTeganestencoredebout.Peut-êtredanslasalledemusique,entraindejouerlespremièresnotesd’unenouvellemélodie.Oudanssonlit,sousla couette, ses cheveux en corolle sur l’oreiller, noir sur blanc. Je me demande si elle aparticipéàceconcoursaufinal,oumêmesielleestencoreàlamaisondelaplage.

Mepardonnera-t-elleunjourdel’avoirabandonnéecommeça?–Puis-jevousoffrirunverre?Cettevoix,derrièremoi…Jeretiensmonsouffle.Non,c’estimpossible.Je me retourne doucement, mon cœur bat si fort que je n’entends plus rien du fracas

autourdemoi.Etpuis,elleestlàetjen’encroispasmesyeux.–Tegan…Jeladévisage,souslechoc.Elleportelamêmechosequelesoirdenotrerencontre,une

petite robe noire qui lui colle au corps, tellement sexy que tous les mecs au comptoir lamatent. Elle hésite, se mordille la lèvre. Dans ses yeux noirs, un vrai feu d’artifice, entrenervosité,fièvreeteuphorie.C’estunrazdemaréed’émotionsquidéferlesurmoi,lapeursedisputeàl’espoiretausoulagement,unsoulagementtelquej’enchanteraispresque.

Oh,ellem’atellementmanqué.– Surprise, me dit-elle avec un sourire timide et ce sourire me bouleverse, comme à

chaquefois.–Tunedevraispasêtrelà!, jem’exclameenregardantautourdemoi,paniqué.Tegan,

jet’enprie,tunecomprendspas,jecherchejusteàteprotéger…Je l’attrape par le bras pour l’attirer dehors, même si le seul fait de la toucher, rien

qu’auxeffluvesdesonparfum,j’enailesjambesquisedérobent.

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Merde,elleestmillefoisplusbellequedansmesrêves.Toutedechaleuretdedouceur.Teganrésiste,refusedebouger.–Jen’irainullepart,dit-elleentresesdents,déterminée.Jenesuispasvenue jusqu’ici

pourrepartircommeça.–Tegan…Elleposeunemainsurmontorse.Àsoncontact,moncœurcessedebattre.–Jetelerépète,jenem’eniraipas.Jerefusedepartirsanstoi.Je sens mon sang qui se glace. Putain. Elle ne comprend donc pas que c’est le seul

moyen?Teganmeregarde.Ledoutes’immiscedanssesyeux.–Àmoins…Elleparaîtsidésemparéeàcemoment.–Àmoinsquetuneveuillesplusdemoi.Lesmots se bloquent dansma gorge. Parce que c’est ça que je devrais lui dire, qu’elle

n’estplusrienpourmoi,ainsielles’eniraitetjen’auraisplusàm’inquiéterpourelle.Maisjenepeuxpasluimentir.

Jenepeuxpastrahircequejeressensdansmoncœur.Cesentimentquihabitetoutmonêtre,toutemonâme.

–Tusaisquejet’aime,jemurmureetcetaveuscellemonsort.Jenelalaisseraipas.Plusjamais.LevisagedeTegans’illumine.–Danscecas,tudoiscomprendrequec’estensemblequenousdevonsaffronterça,dit-

elleennouantlesbrasautourdemoncou.Soncorpssepressecontre lemienetenunéclair, lasensationprendlepassurtout le

reste.C’estplus fortquemoi, jenepeuxplus résister, jenepeuxpas renier cette émotion,cettepassionquisedéversedansmesveinescommedufeu.

Jetrouveseslèvres,l’embrassecommesijedevaismourirdemain.Tegan s’abandonne contremoi,me serre de toutes ses forces.Unmois de colère et de

regrets, une vie de solitude et de désespoir. Tout ça se dissout dans la chaleur de notreétreinte.

Elleestvenuepourmoi.Ellen’apasrenoncé.Jel’aiquittéeetellecroittoujoursenmoi.Cettefille.Elleesttoutpourmoi.Jel’embrasse,m’abreuvecommeunfouàseslèvres,menoiedanslasaveurdesalangue

autourdelamienne.Jemeperdsenelle jusqu’àceque,àboutdesouffle, jem’arracheàsabouche.Aussitôt,laréalitémerattrape.

–Tunepeuxpas rester ici, je luidis, ébranlé. Jene saispas ceque je vais faire,maisdansl’immédiat,non,tunedoispasresterici.

Teganprendmonvisageentresesmains.Sesyeuxétincellent.

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–Jerefusedeteperdre.Jeviensjustedecommenceràt’aimer,RylandJames,ajoute-t-elleavecunsourire.Ettusaiscommejepeuxêtretêtuequandj’aidécidéquelquechose…

–Oui,m’dame,jerépondsenriant.–Oh, jen’aiplusdroità«machérie»,nià«monchou»?,dit-elleavecunairmutin,

puissonregarddérivederrièremoietsonsouriresefissure.Je me retourne. Driskell est là devant nous, rictus aux lèvres, glacial. Il promène son

regarddemaladesurTegan,dehautenbas,enprenantsontempsetjesuisàdeuxdoigtsdeluibalancermonpoingdanssasalegueuledepervers.

–Etsitumeprésentaisàtonamie,dit-il,etjeperçoisaussitôtledangerdanssavoix.Merde.–Voici…Jeréfléchisviteàunnombidon,maisTegann’hésitepasuneseconde.–Tegan,dit-elle,maintendue.Driskelllaserre,unpeupluslongtempsquenécessaire.–TeganCallahan,susurre-t-iletmonsangnefaitqu’untour.Ilsaittoutsurelle.Cequ’ellereprésentepourmoi.–Commentvavotrefrère?,enchaîne-t-il,avecsonrictusdefaux-cul.–Lequel?,demandeTegandutacautac,sanssedémonter,leregardfroid.Larockstar

que vénèrent tous les blousons noirs de ce pays ? La star du grand écran qui a tous lesjournalistes de la ville à sa botte ? Ou l’homme d’affaires sans doute en train de boire unwhiskyaveclegouverneuràl’heurequ’ilest?

LalitanieduréseaudesesfrèressembleamuserDriskell.–Tonamieade la repartie, çameplaît,dit-il en se tournantversmoi.Bien, lapartie

peut commencer, et si ma mémoire est bonne, elle est ton porte-bonheur, non ? MissCallahan?

Il lui offre sonbras.Teganme lanceunbref regard, puis ellenoue sonbras au sien ets’éloigne.

Je leur emboîte le pas et analyse la situation en cherchant un moyen d’en sortir. LapaniquemonteenmoitandisqueTeganéchangequelquespiquesavecDriskell.Necomprend-elledoncpasquetoutçaestplusfortquenous?

Àl’intérieurdusalonVIPtrôneunetabledepoker.Kolchockestdéjàinstallé,unverreàlamain,etdiscuteavecunautretypeplusâgé.Driskells’assiedàsontour,puismefaitsignedelesrejoindre.

–Lequatrièmes’estdésisté,dit-il.Peut-êtrequec’esttonjourdechance,quisait?Jeprendsplace,nerveux.Teganvientsemettrederrièremoi,elleposelamainsurmon

épauleet son contactmedonnedu courage. Je regardeautourdemoi et, pour lapremièrefois,jeréalisequelquechose.

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Lepoker,cen’estpastantl’artdedégainerlesmeilleurescartes,maisdesavoiranalyserlesautresjoueurs.

Je n’ai ni les moyens ni le pouvoir d’obliger Driskell à faire ce que je veux. MaisKolchock,lui,oui.

–Prêtàtefaireplumer?,nargue-t-ild’entréeDriskell.–Bla-bla-bla,répondcelui-ci,hilare.Nousallonsbienvoir…Ilsetourneversmoi.–Jepeuxtefairecrédit,medit-il,grandseigneur.Ledonneurdistribuelescartesetoncommenceàjouer.Jemeretrouveaumêmepoint

qu’il y a quelquesmois, à Las Vegas, sauf que cette fois, jeme bats pour tellement plus. Àcetteépoque,jevoulaisjustereprendremaliberté.Pouvoirm’échapper.

Aujourd’hui, je me bats pour mon avenir. Pour une vie avec Tegan, une vie honnête,simpleetvraie.Elleatrouvélecouragedevenir jusqu’icipourmoi.Maintenant,c’estàmoid’agir.Denousramenercheznous.

J’ailecœurquicogne.C’estlemoment.L’enjeuesténorme.Jemiseunpeupar-cipar-là,mais surtout j’observe le jeudesautres. Jemecouche, faisprofilbas, tandisqueDriskell etKolchocksurenchérissentdansunduelàmort.

Tegansepencheetmechuchoteàl’oreille:–Est-cequeçava?Tescartes…Ellevoittoutderrièremoi.Ellesaitdoncquejemesuiscouchéavecunsuperjeu.–Fais-moiconfiance,jerépondsetellehochelatête.Au tour suivant, jeme retrouveavecun jeuminable.Mais lavaleurdes cartesn’aplus

aucuneimportance.Jeposemamise,dulourd.Dixmilledollars,d’entrée.Kolchockémetunsifflement,etsuit.–Tuessûrdevouloirpariersigros,gamin?Jesouris,joueàfondlemechyperconfiant.– Pourquoi pas ? Les affaires marchent du tonnerre, pas vrai, patron ? Jamais la

marchandisenes’estécouléeaussivite…Driskellsembletendud’uncoup.Kolchockserenfrogne.–Tum’aspasditquelesbénéficesétaientenchutelibre…?–Oh,jedoismetromper,jeremarqueavecunhaussementd’épaules.C’estvrai,qu’est-ce

quej’ensais,moi?Jesuisjusteunchiendegarde.Quandarrivemontourànouveau,jepousseencoreplusdefricaucentredelatable.–Jerelance,vingtmille.Driskellm’observeavecsesyeuxdefouine.J’airéussiàcaptersonattention.Parfait.Onfaitunautretourdetable.PuisKolchocksecouche.

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– On n’arrive pas là où j’en suis sans savoir reconnaître une mauvaise main, dit-il,placide.

Sesparolesrésonnentautourdenous,lourdesdesens.Je relanceencoreune foisetmaintenant, c’estplusdecentmilledollarsquiattendent,

surlatable.–Oh,peut-êtreque j’utiliseraismesgainspourm’acheterunmanoirauxKeys,pasvrai,

patron?,jeréponds,avecunsourireinnocentàDriskell.Vousdevriezvoirlabaraque,j’ajouteà l’attention de Kolchock, plein d’entrain. Vue sur la plage, un sauna digne d’un princesaoudien.Oui,uneviedeluxe,lerêve…

Driskellestlivide.Jecroisesonregard.C’estça,tupeuxcommenceràflipper.Volerlebosseststupide.Megarderavecluipourm’entendrebalancercegenredechoses

devantluil’estencoreplus.EtsiDriskellestunsalepsychopathe,iln’estpasstupide.– Un jour, qui sait, hein, patron ?, je poursuis, de telle sorte qu’il saisisse bien le

message. Si je reste avec vous, j’y arriverai. Oui. Plus je suis avec vous, plus j’apprendscommentfairepourréussir…

Jemetais,baisselesyeuxsurmescartesdemerde.Tapis.Driskellme fixe. Je vois les rouages qui tournent à toute vitesse dans sa tête,mais la

messe est dite. Il ne va pas s’écraser devant un freluquet comme moi, mais ce qu’il veutencoreplus,c’estsauversapeau.

Ilhochelatêtediscrètement.–Jecroisqu’ilvautmieuxquejemecouche,dit-ilfinalementetiljettesescartes.Unsoulagementcolossalm’envahit.Jemetiensàlatable,aveclatêtequitourne,jene

suispassûrd’avoirbienentendu.LesmainsdeTegansurmesépaulesseresserrent,ellenonplusn’oseycroire,maisdéjàDriskellsereculesursachaiseenfaisantlagueule.

–Wow,soupireKolchock.Ondiraitbienquec’esttonjourdechance,gamin.Lachancen’arienàvoirlà-dedans.IlposeuneliassedebilletssurlatableetbalanceuncoupdecoudeàDriskell.–Paye.Driskellbalancelecashavecunregardassassin.–Tuvassortirenprofiter,pasvrai?,dit-il,glacial.Jehochelatête,jesensdéjàleparfumdelaliberté.–Vousnemereverrezjamais.Maisjeneveuxaucunproblème,j’ajouteàvoixbasse.Je

vousfouslapaix,vouslaissezmafamilletranquille.Ilacquiesced’unsignedetête.C’estledeal.Monsilenceetenéchange,iloubliejusqu’à

monexistence.Cettefois,jelesais,ilneviendrapasm’emmerder.J’aiunsupermoyendepressionetil

neprendrapaslerisquedefoutreenl’airsonavenir,voiredavantage…

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Jeprends lamaindeTegan et l’entraîne, sors du club aupasde course, avant qu’il nechanged’avis.Onseretrouvedans laruerempliedetouristesetde joyeuxfêtardsdéjàbienimbibés.

– J’arrivepas à le croire,ditTeganenm’enlaçant, ça y est !Tuavaisun jeu tellementnul,j’étaissûrequ’ilallaitgagner!

Jelaprendsdansmesbrasetlafaistournoyer,ivredeliberté.–Peuimportelescartes,dumomentquetumaîtriseslesautresjoueurs.Jelaposesursespiedsetl’embrasse,m’abreuveàseslèvresirrésistibles.–Jamaisplusjenetequitterai,jeluifaisleserment.–Tantmieux, répondTegan, radieuse.Parcequemaintenant, tuesprévenu,oùque tu

ailles,jeteretrouveraietteramèneraiillicoavecmoiparlapeaudesfesses…Jeris,l’embrasseànouveau.–Finalement,talégendaireobstinationadubon…–Etmaintenant?,demande-t-elle.Quefait-on?–Àvraidire,jerépondsenlaserrantcontremoi,j’aibienuneidéeoudeux…Jedéposeunbaiserdanslecreuxdesoncou.Elletressaille.–Jeparlaisdel’argent!,dit-elleenmepinçant.J’hésite. Je n’ai pas vraiment prêté attention au fric. L’enjeu pour moi était ailleurs,

tellementplus important.Mais àprésent, je reviens sur terre, j’ai unmaxdebilletsdans lapocheetlaviedevantmoi.

Notrevie.–Tueslibremaintenant.Tupeuxfairecequetuveux,alleroùtuveux,ditTeganenme

dévisageant,puisellesetait,attend.Jelaserrecontremoi,m’imprègnedesonodeur.Iln’yaqu’unseulendroitencemonde

oùmoncœurm’appelle.Unepetitebicoqueenpleinecampagne,surlacôte,avecunporchepour prendre le frais, les longues soirées d’été, et un jardin pour que les enfants puissents’amuserenpaix.Unjour.

Touteunevie à construire. Les fantômes à envoyer au diable pour toujours.Un avenirpluslumineux,plusheureuxquelepassé,quenotrepasséàtousdeux.

JebercedoucementTegancontremoi.Mavie.Monéternité.–Onrentreàlamaison…

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Déjàparu

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Retrouveztousnosouvragessurwww.editions-prisma.com

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Titredel’éditionoriginale:UNSTOPPABLE

©MelodyGrace2014

Responsableéditoriale:AmbreRouvièreÉditeur:NicolasRabeau

Correctionetcomposition:NordCompoMultimediaCouverture:ÉricDoxatetNordCompoMultimedia

Photosdecouverture:©Studio10Artur/Shutterstock(premierplan)et©Jhuku/Fotolia(arrière-plan)

©2016ÉditionsPrismapourlatraductionfrançaise

Tousdroitsréservés.Toutereproduction,mêmepartielle,decetouvrageestinterditesansl’autorisationécritedel’éditeur.Unecopieouunereproductionparquelqueprocédéquecesoitconstitueunecontrefaçonpassibledespeinesprévuesparlaloisur

laprotectiondudroitd’auteur.

EAN:978-2-8104-1927-2