Baudelaire Et La Photographie

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Jerome THELOT

" Ie R e v e d ' u n cur ieux"

ou la photographiecomme F l eur du M al

F i g. 1 . N a da r , p o rt ra i t d e C h ar le s B a u de l ai r e,

t ir ag e s u r p a pi e r s al e, 2 4 x 1 7 e m , v . 1 85 6.

« L a p o e s i e ct I e p r o g r e s 50n f d e ux a ll lb it ie u x q u i se hajsse~lt

d 'u l1 c h a in c i ns ti nc ti vc , c t q u au d i ls se r m w n / r e u !

d a l l s Ie m c m e c h em i H , ilJ nu ! q ue I ' U H d es d ru x s er ve l ' a u t r e . »

Charles Baudelaire, 5 n l o H de 1859.

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Le c h e m i n au Baudelaire r e nc o nt re i e p r o g rc s est celui qui lemene rue Saint-

Lazare, ou Nadar a son studio de prise de vue: c'est le chemin qui

va du romantisme aux temps modernes, au long duquel le g e H i e cede

devant I ' i n g e n i e u r , Ie c r e a t e u r devant Ie p r o d u c t c u r , l ' c l : 'U v r e devant l e p r o d u i t ,

et c 'est lechemin ou I 'epoque de l 'art visant l 'lnvis ible commence a cederdevant ce li e des images sans au-del a, rnecaniques , s tri ct ement mime-

t iques. Poesi e, rue Sa int-Lazare , s 'en va t rouver Photographic . Mais s 'i l

faut q ue l 'u n d es d eu x s er ve 1 'a ut r e, l 'i ndeci sion du conf li t durera, ca r cert es

Nadar, le chevalier de Iatechnique, ne pliera pas plus devant Baudelaire

que celui -ci, Ie cel ebrant des images, devant son Frere ennemi qu'il a

vraiment aime. D'ou l'interet extreme, et merne la s ort e de « primitive

passion », qu'eut l e poet e, malgre t out, pour cette photograph ie que 1e

progres venait de jeter au monde, et du coup pour l'operati on merne,

cornpli quee si non magique, int erpretable en t out cas, par laquell e se

produit l'image phot ographique. Qu'on regarde, de nouveau, les por-

t rai ts de Baudelaire par Nadar ici ceuvrent ensemble d eu x a mb it i e u x q ui

Sf i J ai s s en t d 'u n e h a i f1 f i n s ti n ct iv e . Voici par exemple Ieportrai t de trois quarts,

d 'envi ron 1856, fameux parce que b o ug e ( fi g . 1) : ce flou indique que Ie

poet e, qui l it te ra le rnent s 'evade de l 'i rnage, n 'a pas consenti , cet te foi s-

ci, aux exigences du photographe, ou que la c iv il is a ti o n b au d el aj ri m 11 f

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Etudes photographiques, 6 "le Reve d'un curieux"

( imaginat ion, cult e du grand ar t, mimes is comme soter iologi e) a refuse

tout accord avec l abarbari c moderne ( real isme, narc is si sme de la foule ,

copie et voyeurisme), cett e \arbari e qu'on peut nommer la c i v i l i s a t i o n

11 a d a r i e n l 1 e . Cette image que Nadar crut ratee, Baudelaire l 'aura jugee par-

faitement reussie elle chifl re la resis tance de Poesie devant Photogra-

phi e, Et dans le portrait , vraisemblablement du merne jour, celui que

Claude Pichoi s e t J ean-Paul Avice ont recernment public '. le poete se

t enant de face, sourc il s s er res sur un proj et dur , Ievres I e r r n e e s par de la

fureur , ne port e s i i nt ensernent devant lui son regard qu'en s igne de pro-

. t es ta ti on cont re l a capture des apparences par Iep iege t echnique, s auf

que ce tt e prot es ta ti on cont radi ctoi rement produi t une be ll e image, une

des plus bel les qui sci ent, puis que s 'y conjoignent, f inal ement , l a sai si e

photographique du masque et l 'insaisissable subject ivite du regard. Qu'il

bouge, ou qu' il fi xe l 'opera teur et s 'ar re te dans sa pose devant l 'obj ec ti f

inexorable, Baudelaire collabore toujours it Ia qual it e spi ri tuel le de ses

port rai ts , ou l es tatut de l aphotographie , s a fonct ion soc ia le e t s aval eur

est het ique, sa constit ution semiologique et son regne symbolique se

trouvent dramatiquement engages.

Ent re Baude la ire e t Nadal ', par consequent , une I rarerni te t ravai ll e,

de ce ll es qui font l es guerres « parfa it ement f rat ri cides» - comme i l est

dit dans le poerne en pros e "Le Gat eau" -, de ceIles , du coup, qui font

auss i l es grandes oeuvres, ou se prennent l es dec is ions d 'une epoque.

Baudel ai re peut bi en ecri re dans Ie chapi tre I Idu S a l o l 1 d e 1859 que « l'in-

dustrie phot ographique etait le refuge de t ous les peintres manques,

t rop mal doues ou t rop pares seux pour achever l eurs etudes2 »,e t i l peut

bi en, avec ce la , croi re se venger de son ami, i l n 'empeche que celui -ci ,

it peine plus tard, ecrira la merne chose dans Q u a l1 d j 'f t ai s p h ot og r ap h e :

« Aussi tout un chacun dec lasse ou it classer s 'ins tallai t photographe [... ]

- pe intres rat es , s culpt eurs rnanques affluerent, e t on y vit merne re luire

un cuis inie r" )}Lun est s i exac tement d 'accord avec I' autre, que 1aques -

tion maintenant s e pose de savoir ce qui d istingue, au jus te, l es freres,

surtout s 'i ls represer it ent des c ivil is at ions qui se croi ent ennemies . Or

cette question, un poeme des F l e u r s d u M a l permet de Ia poser ri gou-

reusement et de commencer it y repondre . Posons ce tt e hypothese: que

l 'avant-dernier poeme des Fleursd u M a l , "Le Reve d'un curieux" ( f i g . 2 ),

dune part rapport e une s eance depose chez Nadar, d'aut re part, et ce

fai sant , i nt ensi fi e l e confl it ent re Poes ie e t Photographie . Cet te hypo-

these conduira it l 'i dee que ce poeme, sur un mode a ll egor ique i roni sant

F i g. 2 . C h a rl e s B a u d el a ir e ,

m a nu s cr it d u " R ev e d 'u n c u ri e ux " ( M s b ), 1 86 0 .

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Etudes photographiques, 6 --

la photogenic. invente une metaphysique de I'amour et de lamort qui,

selon Baudelaire, sera celle de l'epoque O U triomphera - c'est aujour-

d'hui- « l'homme photograp{lique4 ».

Position de l'hypothese

Pour qu'une hypothese de lecture devienne une these assurnee, il

faut et ilsuffit qu'elle soit a Ia fois justifiable et feconde. Mais d'abord,

pcecisons que cette hypothese n'ajamais ete proposee par les critiques

quiont durablement interprete Baudelaire, cependant qu'elle a e te avan-

cee par Eric Darragon dans un texte intitule "Nadar en double", paru

dans C r i t i q u e en 1985. Voici ce qu'a ecrit Eric Darragon

« IIs'agit d'une des pieces les plus abstraites et dune mise en scene de lacurio-

site devant lamort iIedestinataire est choisi non sans arriere-pensee rnalgre

l'intimite amicale, [.. . J le sonne t lui est destine de facon mains supernc ie lle

qu'it titre de singularite delimitant son pouvoir d'abstraction. Lexperience de

la mort est decri te comme ceIle du passage de l 'atten te avant un spectac le i t

une autre attente qui peut s'assimiler itune pose devant lachambre noire. Cest

la mort qui semble photographier et reveler l 'attente, la deception, lanaivete

de I 'enfant avide du spectac le . El1eest la "veri te fro ide" ou s'inscr it le chati -

ment d'une realite sans surprise, d'une vie sans realite, sans images", f)

Eric Darragon ayant sur Nadar autre chose a dire s'arrete en sibon

chemin, et laisse a son lecteur Ie soin de developper son hypothese.

Celle-ci pourtant ne va pas de soi, et Iepremier destinataire du poeme,

Felix Nadar lui-rneme, qui en est aussi le dedicataire (( A F . N. ») , n'a

rien devine dune telle lecture, aussi peu intuitif sur ce point que les cri-

tiques venus apres lui. Voici comment Baudelaire prend soin de rap-

porter a Poulet-Malassis la reaction qui fut ceIle de Nadar devant le

rnanuscrit «j'ai donne hier soir ce sonnet a Nadar , il m'a dit qU'11n'ycomprenait rien du tout, mais que cela tenait sans doute a l'ecriture, etque des caracteres d'irnprimerie le rendraient plus clair-. »

Pourquoi cette incomprehension etpourquoi Iepoeme n'a-t-il ete lu,

depuis, que comme un temoignage de la passion baudelairienne de la

mort, et unaveu de I'angoisse de nepouvoir mourir, egalement dite dans

IJLeSquelette laboureur", IJLeMasque", "LeMauvais Moine", "Remords

posthurne"> IIfaut sans doute remonter au chapitre IIdu S al o n d e 1859,

et a l'eHet de repoussoir que produisit sa critique de la photographic,

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"le Reve d'un curieux"

pour expliquer que personne n'ait imagine qu'un poerne des F le u rs d u

M a l put avoir l'operation photographique pour modele inspirateur. Ce

S a / o n exprime un degout systematise pour la photographic, accusee de

provoquer lerenoncement de lapeinture a sesprerogatives et a savoca-tion propre, de disqualifier l'Imagination, d'etouffer le gout du Beauet

d'ernpecher le bonheur du Reve, de meconnaitre les differences et les

fonctions specifiques de l'art et de l'industrie, de favoriser lenarcissisme

- dont Ienom socia l est la foule , et Ienom poli tique lademocrat ic - ,

bref de rendre un de ces cultes a la matiere O U s'exalte et s'epaissit I'avi-

lissernent reciproque des artistes et du public. Cette sorte d'anatherne

ne pouvait que detourner de l'idee qu'une dedicace a un photographe,dans Les F le u rs d u M a l, chiffralt Ie recit d 'une prise de vue. Pourtant la

lecture disons classique de ce poeme comme figuration dune attente

metaphysique infiniment decue - lecture accornplie exernplairement

par Jean Starobinskf - n 'est guere sat isfaisante . el le ne peut rendre

compte ni de la dedicace ni des deux premiers vers, que l 'hypothese

d'Eric Darragon au contra ire va permettre de rendre a I'unite du son-

net. Quant a I 'angoisse de ne pouvoir mourir , s i on ne la repere pas

comme lamise a l'exces de l'angoisse devant lachambre noire, alors on

ne peut laconcevoir que comme une phobie toute personnelle, et par-

tant il faut prendre Ie poeme pour rien qu'une confidence singuliere

d'une idiosyncrasie sans signification esthetique ni historique. Or il

serait pour le moins etonnant que l 'avant-dernier poerne des F le u rs d u

M a l ne parle pas de notre monde.

Justifier l 'hypothese, en outre, c'est ce que permet une lecture du

S a l o n de 1859 qui fasse droit non pas seulement a sa critique esthetique

de la photograph ie, ni a ses critiques psychologique, morale, et poli-

tique, rnenees de front, mats aussi ou d'abord a sa critique religieuse.

Qu'on reprenne Iechapitre II, on verra que la pensee de Baudelaire y

est fondamentalement theologique . l'apparition de la photographic

dans I'histoire lui semble un evenement qui concerne la « foi », la « ere-

dulite » - ces mots lui appartiennent -, et encore I'« idolatrie », Ie

({Credo», Ie « fanatisme », le « sacrilege ». Car l'industrie photogra-

phique, en s'opposant a la « divine peinture », a satisfait Ie ressentiment

de la multitude, de la meme [aeon qu'une religion universaliste oppo-

see aux mysteres et aux elections des traditions du sacre a pu satisfaire

la revanche des esclaves. Ainsi Baudelaire ecrit-il : {(Un Dieu vengeur

a exauce les vceux de cette multitude. Daguerre fut son messie.»

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F i g. 3 .

Bertrand,vue

s t e r eo scop i q u e ,

8,5 x 17 em,

vers 1850.

Etudes photographiques, 6- OL e Reve d'un cu rieux"

La photographic pose un problerne rel igieux. La photog raphic est

divine comme la peint ure, mais son Dieu populai re n'est pas le merne

que celui de s amait resse ari stacrat ique. Le Dieu de la pho tographic se

disserni ne au s'univers ali se dans l a foule et dans l es reproduct ions

innombrables que ce ll e-c i rec lame de sap ropre image : « Peu de temps

apres , des mi ll ie rs d 'yeux avides se penchai ent sur l es t rous du s tereo-

scope comme sur l es lucarnes de l 'i nfini . » La photographi c - avec son

Deux d'entre eux sont lies, qui s'imposent comme de nouveaux signes

justi fiant l'hypothese : le theme de / ' e t o H n e m w t , et celui du r e v e .

Ce que Ie S a l o H d e i 859 fust ige dans l a photographic, c 'es t de c h e r c h e r

a d o n n e r s a n s d o n n e r a r f u e r :

«Le desir d 'e tonner e t d 'e tre e tonne est t res- legi tl rne [ . .. J c'est un bonheur

d 'e tre e tonne [ . . . J mais aussi, [. . . J c 'est un bonheur de rever . Toute la ques-

tion, sivous exigez que jevous confere Ietitre d'artiste oud'amateur des beaux-

arts, est done de savoir par que ls precedes vous voulez creer ou senti r l 'e ton-

nement. Paree que IeBeau est t O J J j o t i r s etonnant, il serait absurde de supposer

que ee qu i es t et onnan t es t tOlijOtlf5 beau. »

Laphotographie - precede sans imagina tion, t rouvai ll e sans genie -

c'est l'etonnement s ans le reve, ce n'est done pas l'art. Et par opposi-

tion a cet te defai llance du reve dans la stupefact ion photographique,

a cet te suppres sion du « bonheur de rever » dans la surprise marne de

la reproduction, l e poeme se forme, lui , comme la di vine pei nture, de

la cooperation du reve et de l'etonnernent . et ee poeme-ci en parti-

cul ier, de fa~on rnerne appuyce, scelJe presque didactiquernent I 'union

prescrit e de ces deux vertus du grand art. D'abord, Ie tit re du sonnet

aurai t du alerter Nadar et le persuader que la problernat ique du S a l o 1 1

etait la ressais ie :"LeR e v e d'un c u r i e u x " , cela signifie : I ' lmaginat ion inte-

rieure a la curiosi te, J 'enchantement interne a la s urprise, Ie gen ie de

l 'e tonnant-etonne. Ensui te , Ie fec it du reve char ri e t ant de figura ti ons

de l 'etonnernent qu'il conv ient de le l ire comme un def l ance au pho-

tographe. Non seulement l e reveur, dans son reve, s 'e tonne :« Eh quai!

n 'es t-ce done que cel a ?}) (v. 13) imais encore i l s 'e tonne du peu d 'e ron-

nemen t que lui donne l amort : «j'etais mort sans surpris e» (v , 12). Le

reveur s'etonne, juste un peu, de n'etre pas etonne de la mort, pour-

tant Ia chose au monde la plus etonnante. De surcroit ce reve - d'un

petit etonnement a n'etre pas etonne par le plus etonnant - est rap-

port e dans un rec it adresse a un des ti na ta ire pour que celui -c i, Ie rece-

vant, s'en et onne. D'ol! les deux premiers vers . « Connais-tu, eomme

rnoi, la douleur savoureuse,lEt de toi fais-tu dire: "Oh : l 'homrne s in-

gulier j/l » Entendons bien ce tt e adresse, del ibere rnent cont ra ire au pro-

cede photographique t el que Baude la ire, quelques rnois auparavant, I 'a

incrirni ne. Le plus etonnant, iei, ce n'est pas que le reveur s'etonne un

peu de n'etre pas et onne du plus etonnant, et ce n'est pas non plus qu'i l

m e s s i e i ngenieur et s es effe ts coll ec ti fs , son indus tr ia li sa ti on et son auto-

idolat ri e - es t pensee par Baudel ai re rigoureusement comme la sor ti e,

rel igieuse, du « public rnoderne » hors de la religi on de l'art . Levene-

ment es t rel igieux puisque s 'y exacerbe un cul te des images , rna is i l est

une sortie hors de la reli gion puis que s'y defont les val eurs du Beau, de

l 'l nf ini, du Reve, de l 'Au-del a de toute f igure. Or cet te rei lexion de part .

en part theologique, et qui date du printemps de 1859, est celie qui se

reflechit i roniquement dans le poerne offert a Nadar en 1860. Lereveur,

dans "Le Reve d'un curieux", quai que mort, ne voit rien : « La toi le etait

levee et j 'attendais encore. » Ce poerne par le done du desert re li gi eux,

de l a derel ic ti on dans l a pert e de l 'Au-del a, de I' at tent e infiniment insa-

tisfai te qui vi ent aux modernes pour avoi r fait s'evanouir Ies dieux du

passe: cette evocation relance la theologie du S a l o l 1 d e i 859 et ell e

s'adresse a Nadar - au champion du progres et de la nouvelle image -

com me au responsable de cet te scene metaphysique.

Et non seulement , done, l e S a l o n d e 1859 n'aurai t pas du detourner l a

c ri ti que de l 'hypothese d 'Er ic Dar ragon, mais d 'aut res ana logi es main-

t enant appara is sent, d 'autres renvoi s du sonne t aux themes de l 'e ssai .

10 11

 

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Etudes photographiques, 6 ----------- "Le Reve d'un curieux"

en fass e un recit pour et onner son ami , - non, ult imement le plus eton-

nant c 'est I 'h o m m e m e m e , cet homme «curieux» qui a fait Ie reve et son

recit : « "Oh J I ' h o m m e singulier..(' ». Letonnant c'est l ' h o m m e : ce n'est pas

l econtenu dureve, e t ce n 'en est pas l e rec it , ce n 'es t pas meme I'adres se

ni la quest ion posee au desti nataire, - ('est J ' h o m m e . Mais dans l e cadre

de [a polemique contre la photographie, cel a s ignifie que Ie poerne

tenant ensemble Ie bonheur de rever et le bonheur d'etonner, obtient

l 'ult ime s urprise dont la photographie est absolument incapable: la

surpris e, non dune representation, mais du s u j e f de cette representa-

tion, l'artiste « singulier », plus e tonnant quetoute image. Quel le photo

pourra jamai s exalter de cette facon l'exces de I'homme par rapport a

ses representat ions? Quel le photo pour ra j amais el ever l 'a rt is te s ingu-

Iier -Ie genie d'exception, le moi sans pareil- au-des sus merne de son

autoportrait?

Au tot al , s i l ' invention et l 'i ndus tr ie de l a photographic const it uent

pour Baudelaire un repous soir, cela n'empeche que la photogenic est

un centre -modele esthe ti que et serniologique dont l e poerne i ci s 'i ns -

pire. Ce cent re-model e au demeurant a pu s ervir au poete, ailleurs,

t out bonnement de modele, et ce la contribue a jus ti fi er l 'hypothese i ci

defendue. Dans "Le Voyage", par exemple - Ie derni er poeme des F l e u r s

d u M a l, et qui fait suit e au "Reve d'un curieux"-, c'est sur ce model e de

l a photogenie qu'es t representee l a psyche : « Nous voulons voyager

sans vapeur et sans voile i/Faites, pour egayer l'ennui de nos pri-

sons/Pass er sur nos espri ts, tendus comme une toile,Nos souvenirs

avec leurs cadres d'horizons. »

Les esprits -toi les de ces voyageurs en chambre sont analogues aux

plaques photosensibl es sur l esquel les l 'empreint e Iumineuse se f ixe:

et les c a d r e s des souvenirs ainsi traces sur Ie coll odion de la rnemoire

sont analogues aux cadres del imitant les t irages photographiques. « La

presence du modele photographique dans ce texte est d'autant plus

vraisemblable que [Maxime] Du Camp, a qui le poerne est dedie et

qui fai t partie de ces voyageurs [auxquels] Baudelai re demande des

vues, s'etait [distingue] comme photographe lors de son voyage en

Orient avec Gust ave Haubert: [il aJ edite Ie premier recit de voyage

i ll us tre de photographies e t fai t l 'el oge de ce nouve l ar t dansL e s C h a nt s

m o d e m s (1855), hyrnne a la modernite technique auquel L e V o ya g e

oppose une vision desenchantee du Progress. » Maxime Du Camp a

envoye a Nadar une autobiographie en 1853; on y lit ceci :« La tete

es t un object if daguer reotype", » Cet te metaphore photographique

pour desi gner l'esprit est devenue des le mi lieu du siecle un poncH-

un cli che - dans les caricatures qui raillent l'acti vite du photographe :

mais c 'est elle qui sert serieusernent a Baudelaire dans M o r al e d u j o u j ou ,

ce grand t exte d'examen de soi ou, parlant des enfant s, il evoque « la

chambre noire de leur pet it cerveau'? ». On peut mont re r que l emodele

photographique travail le egalernent dans "Obsession", dans "Paysage",

et dans "Le Miroir" , Aussi hai ssabl e soi t-el le, l a photographie fourni t

un scheme d'i nt el li gibi li te pour l aconna is sance des operat ions de l 'es -

pri t, et pour int erpre te r l amoderni te t el le qu'el le -rnerne l a det ermine .

Que "Le Reve d'un curieux" soi t s imultanernent modele sur l 'operation

photographique e t ori ente par I ' intent ion de comprendre les implica-

t ions metaphys iques de ce ll e-c i, cet te hypothese en tout cas est desor -

mai s assez jus ti fi ee pour qu'on s 'ernploi e maint enant a mesurer sa

fecondite.

12 13

Verification

« A F N. » : cornmencons par demander pourquoi cet te dedicace ne

presente que l es ini ti al es du dedicat ai re . Le fai t doi t e tre note puisqu 'i l

est unique dans L e s F le ur s d u M a l, a u tous ceux d'entre les dedicataires

qui appartiennent au monde des arts et des lettres voient leur nom

imprime ent ie rement . T h eo p h il e G a u ti e r recoit Ie recue il cornplet , E r n e s t

C h r i st o p he , s ta t ua i re , recoit "Le Masque"; V ic to r H u g o , trois "Tableaux pari-

siens", C o n s ta n ti n G u ys , "Reve parisien"; M a xim e D u C a m p ," Le Voyage?".

En out re, dans la version manuscri te du poerne envoyee par courri er a

Poulet-Malassis ( vo i r j ig . 2) , la dedicace etait complete: « A M. Fel ix

Nadar », que Baudelaire a done tres del iberement voulue, pour l 'edi tion

en volume, al a Ioi s rest reint e e t chiff ree . Or, pour resoudre cet te pe ti te

enigme il faut en passer encore par le chapitre II du S al o n d e 1859, "Le

public moderne et la photographie", O U l 'on voi t Baudel ai re, t res sur -

prenant, d 'abord ne r ien dire de l aphotograph ie, e t commencer par des

cons iderat ions moqueuses , ou depi tees , sur l es fa~ons bizarres dont l es

pe intres exposants du Sa lon ont int it ul e l eurs t abl eaux. Cett e diat ri be

cont re l es « t it res ridi cules» parce qu' indechi ffrabl es . contre l es t it res

« alambiques », les « allegories vraiment trap obscures», contre les

« inut iles rebus» ou encore l es « logogriphes », dont le s rapins se ser -

vent pour e tonner sans frai s, ce tt e diat ri be apparemment hors suj et mais

qui occupe les deux premieres pages du chapitre a en verite avec la

 

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F i g. 4 .

Alophe ,

" L a C l oi re e t

I e Po t -a u - fe u " ,

e p r eu v e s u r

pa p i e r s a le ,

1859.

Etudes photographiques, 6- -----

quest ion de Ia photogra -

phie un lien aussi fort que

subt il , puisque ce que Bau-

del ai re denonce i ci COlIIlHe la

c'est « l a dominati on pro-

gres sive de l a mati ere » : asavoir, dans le cas de la

photographic, Ie prim at

accorde a « l'industrie » et

la relegat ion consecutive

de l 'espri t creat if , comme,

dans Ie cas de ces titres-

logogriphes ( f i g . 4 ), Ie pri -

mat accorde a la l ett re, au

signifiant impenetrable, au

t exte ne designant que soi.

La photographie, c'est un

peu lamerne chose que ces « inuti les rebus» int itulant des tableaux inin-tel ligibles .c 'est un precede qui ne montre que lui-rnerne, un stratagerne

sans incompletude done sans exter iori te , une fabri ca ti on s i depourvue

de sens, s ip rivee de viser au-del a de son s igne aucune t ranscendance,

qu'elle est anal ogue aces « logogriphes» vides de tout esprit. La

condamnat ion general e du progres comme « domination progressive

de la matiere » convient done i g a l e t n e n t aux t itres i diots et a 1 a photo-

graphic sans amel2.

La dedicace du sonnet s'explique maintenant. Elle es t un l o g o g r i p h e

comme la photographic, et elle est pourt ant designatrice d'un sens au-

del a de sa lettre rnateriel le, comme la grande pein ture. Baudelaire

s 'amuse de Nadar , e t s 'amuse de sap ropre pensee les initiales forment

un rebus ouvrabl e, comme Ie poerne lui -rneme est une allegorie chil-free rnai s dechi jf rabl e. Et i l faut proceder avec Ie tout du poeme comme

avec cette dedicace iI Iaut en r i l J i l e r l e sens couver t sous l e vet ement

allegorique, comme on d e v e l o p p e Ienom ent ie r de Fe lix Nadar a parti r de

ses ini ti al es . Ce tt e expl ica ti on du poerne conformernent audechijfre-

ment de l adedicace coincide avec l 'operat ion dud e l J e i o p p e l t l e J 1 t par lequel

s 'obt ient , a parti rde l 'image negat ive sur laplaque de verre, l 'image posi-

t ive sur papier ici encore Ie modele phot ographique organi se l e di s-

posi ti f du poerne, qui a tt end sa l ecture comme l 'image l at ente a tt end sa

14

"Le Re v e d'un curieux"

revelation. Encore Iaut-il ajouter, I ami l i e r s que nous sommes du modele

psychanalyt ique d'int erpret ati on des reves - et sachant que ce sonnet

est un recit de reve -, que 1a relation exegetique entre le sens lit teral du

poerne e t son sens f igure est ana logue a celIe qui art icule Ie recit mani-

fest e du reve a son recit laten t, comme a cel le qui ouvre le Iogogriphe

de la dedicace au nom developpe de F e li x N a da r. Deeidement , ce F e 1 i x

N ad a r - image posit ive du negat if « F N. »,01..1exte latent du recit mani-

fes te, ou operat ion photographique dis simulee sous veture metaphy-

sique - est bien la clef d'interpretation du sonnet t out entier".

Reste a comprendre avec cet te clef les r e l a t i o n s entre les sens litteraux

et f igures , l es rel at ions en part icul ie r ent re son sens metaphys ique e t son

sens photographique . Comment s 'a rt icul ent, dune par t, l amort dans l e

thea tre du sommei l, dont I' evenement quasi nul dece it i nf iniment l 'at -

t ent e metaphysique, et, d'aut re part, la prise de vue dans le studi o du

photographe, dont l 'operation deco i t l 'attente du sujet photographie.

II faut, pour repondre a ce tt e quest ion, rel ire Iepoeme, avec desormais

l 'idee que l e « curieux ». pers onnage pri ncipal du reci t, n'es t done pas

seulement l 'etonnant-etonne rnais aussi [ 'a m a t eu r d e c u r io s i te s , l 'esthete quipour se desennuyer cherche des objets rares , de preci euses images ou

des images nouve ll es comme par exernple, en 1855-1860, t el le photo-

graphic singuliere. ( j 'allais mourir », du coup, s igni fi e :} ' a l l a i s c he z Ie p l J o -

t o g r a p h e . Et i l n'est pas interdi t d'ent endre le pronom «je», dans cette

phrase e t dans Iesonne t ent ie r, comme synecdoque general is ante s igni -

fiant au-dela de Ia personne particuliere l e Type du Peete. Si «j'allais

mourir », en effe t, s igni li e en profondeur j 'a ll ai s chez l ephotographe,

c'es t parce que l aphotographic fut ce tt e « industrie nouvelle » Iselon l e

S al o n d e f 859, qui « contr ibua [ . .. ] a ruiner ce qui pouvai t rest er de divin

dans l'esprit [rancais ». Cest le Peete typique, comme celebrant de la

divine peinture et de lameta physique du Beau, qui allai t necessairernent

m o u r i r quand i l se rendait chez le photog raphe, puisque celui-ci, der-ri ere l e fana! obseur de sa chambre noi re , ceuvra it a l a decrepi tude de

l 'art . D'ou aussi Iemot du cinquierne vers « sans humeur factieuse », car

l e poet e a ll ant rue Sa int-Lazare (Ia rumeur rai1l euse du Pari s du Second

Empi re disai t volonti ers , «Sa int-Nadar») a eer tes tout pour se vouloir

un f a c t i e u x par rapport a I 'approbation generale en faveur de l 'industrie,

M o u r i r , cependant , n'est a ce poi nt rnetapho rique que par l 'effet de la

rencont re - pragrnati quement et serniologiquernent l ourde - entre Ie

s ujet phot ographic et l 'operateur qui, pour Ie p r e n d r e en photo, le v i s e .

15

 

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Fig.5.

II LI execution",caricature

d 'A . G r e vi n,

P e t it J o u r na l

p o ur r is e, 1849.

F ig . 6 .

" A u c a ve a u

d e fam iJ l e .

Photog raphie

a r t i s ti q ue",

caricature

d e Ma rce li n ,

J o u r na l e m u s z nt ,

1856.

-..--- ....--. ...-- ...--------.---------- Cest encore un poncii, et deja

vivace a l 'epoque, que d'identi-

fi er l a pri se de vue au meurt re ,

l 'image-trace au masque rnor-

t ua ire , Ia reproduct ion photo-

graphique a la contaminationcadavereuse, - et e'en est un

autre , aus si repandu, qui iden-

tifie l 'atelier du photographe aune chambre mortua ire, l a t et e

._.:__de l'operateur enfouie sous Ie

voi le noir a cel le d 'un pret re enigmatique de l 'ombre, et l es dif ferents

instruments servant a pet ri fier Ie modele durant Ie t emps de la pose, a

ceux d'une operation chirurgi cale ou d'une sal le de torture. Taus ces

themes se t rouvent , par exernple, dans l e fameux art icl e i ll us tre de Mar-

celin - collaborateur et ami de Nadar - paru en 1856 dans Ie J o u r n a l

a m u s a 1 1 t 14 ( f i g . 6) . I ls ci rcul ent peu ou prou sous l es plumes de Hauber t,

de Barbey d'Aurevil ly, des Concourt, taus amis de Baudelaire et commelui as sez inquiet es par l a nouvel le image pour en deviner l a puis sance

syrnbolique. } 'a ll ai s m o u r ir comme le grand art devant l 'industrie, pour

aut ant que ce ll e-ci , m'ar ret ant def init ivement dans rna pose, me fixant

a j amais dans mon apparence tracee sur Ie cercuei l de verre - comme

Eurydice morte d'avoir ete vue -, irai t me reprodui re s ans fin tel que je

lui apparai trais, sans fin semblable a l 'apparence qu'elle m'obligerait aprendre. Lasignificat ion Iit terale, a lafin du sonnet, disant l 'ennui meta-

physique d'un sujet p o st m o r te m recondui t i dentique a lui -meme, e t a t t e n -

d a 1 1 t apres sa mort autant qu'avant «La toi le e ta it l evee e t j 'a tt enda is

encore H, al legor is e ce tt e s igni fi ca ti on chifl ree, dis ant l a decept ion

esthe ti que d 'un modele

exac tement reprodui t, etqui ne trouve dans l 'image

photographique que l 'en-

nuyeuse perpe tuat ion de

soi , apres comme avant l a

prise de vue!".

« }'allais mourir.

C'etait dans man arne

amoureuse.ZDesir mele

Etudes photographiques, 6

16

"le Reve d'un curieux"

d'horreur, un mal particulier. » I Ies t dif fi ci le de ne pas entendre main-

tenant, a l 'art iculat ion des deux versants de I 'allegorie - a I 'intersect ion

du sens metaphysique et du sens photographique -, une dimension

erotique dans ce recit, qui est en cela encore un fecit de reve. « Arne

amoureuse », « Desir mere d'horreur », et dans l a strophe suivante

« Angoi sse e t vif espoir », « t orture [ . .. ] del ici euse )},ilne fait pas dedout e que ces oxymores figurent l'ambival ence du desir de la chai r, -

des ir coupable de voi r l acha ir i nt erdi te der ri ere Ie ({rideau » de la cen-

sure (v, 10) , de l avoi r comme jadis l 'enfant des irai t voi r l ecorps mater -

riel « comme I'enfant avide du spectacl e» (v. 9). Lerotique pl ie l 'un

sur l 'aut re Iemetaphys ique e t l e photographique . Le des ir et s es ambi -

val ences , s es oxymores qui sont f igures a deux vers ants , d'une part se

soc ia li se en cur iosi te es thet ique devoir sap ropre image dans l e mi roir

phot ographique, d'autre part s'i dealise en curiosite metaphys ique et

des ir de voi r l 'Au-del a de toute image. La decept ion fina le : ({Eh qua i I

n'est -ce done que cel a > » , ou s 'enonce l ametaphys ique du dandy supe-

rieur que merne le mystere dernier n'impres sionne pas , et ou se pour-

suit la critique de la photographie comme operation nulle et imagesans prest ige, exprime auss i, ou d 'abord, l adecept ion erotique du sujet

des irant , s a jouis sance pauvre. I 'at el ier du photographe n 'est pas seu-

lement une sal le de torture, c'es t auss i un bordel , dont l es clients, I'un

apres l'autre, passent pour la merne operation mecanique, dont ils

pa ient Ie profes sionnel '" . «j' et ai s mort s ans surpri se» (v. 12) , s igni fi e

donc, selon le versant du texte qu'on parcourt : l a m o r t e U e-m im e n 'a p as

s ur p r is I 'i m p as si b le d an dy q ue j e s ui s t o u j o ur s, ou bien: l a p r i s e d e v ue p o u rt a 11 t

t r e s a tt e nd u e e s t u n no n -e ve n em e 1 1t , c e q u i p r ou ve q u e la p h ot o g ra p hi e, d 01 1t l es t i ra g es

S 0 1 1 t tr i s te s , 1 1 e c r e e t i en , ou bien encore: f a p e t i t e m o rt d e f a j o u i s sa nc e p hy si c o-

c h i m i q u e 11 ' es t p a s a l a h au te ur d u d es ir .

Un orgasme sans plai sir, line pri se de vue sans spectacl e, une mort

sans au-del a, l 'homme auqueI arri ve cett e triple deception - qui est Ieheros sans heroisme de ce theat re sans beaute - , est fonci erement celui

auquel il n'arrive rien. Ni Ie pl ais ir; ni la beaute, ni l a mort ne lui arri-

vent, qu' il at tenda it , e t qu' il at tend toujours, Qu'es t- il done arrive dans

l 'h is toire de cet homme s i n g u / i e r pour que lui fassent defaut tout es l es

experi ences permises aux aut res hommes, et qui donnent a l acondi ti on

humaine saval eur? IIest ar ri ve, exact ement , une apocalypse: ({Enf in l a

verite froide se revela. })(v. 11 ) Metaphys iquement , cel a s igni fi e que l a

mort n'est pas le det roit menant au del, et n'est pas fondatrice comme

17

 

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Etudes photographiques, 6

e ll e l 'e tai t dans l es rel igions du passe . Erot iquement, ce la s ignifi e que

I 'objet du des i r ; quand il est devoi le , n'es t pas des irabl e, e t que l a jouis -

sance est eontraire a la sublimation. Photographiquement, eela signifie

que l'image produite parra ehambre noi re - eette image qui se r e v e i a , en

ef fet , sui te au developpernent du negat if en posi ti f - es t aus si peu t rans -

figuratrice que lamort industrielle, aussi i rrel igieuse que le progres , aussidecevante que la jouiss ance au miroir, et aussi des enchantant e que

J r o i d e l? S 'accumulent i ei , de nouveau, l es gri ef s baudel ai ri ens cont re

l 'image nouvelle. Ou r e v d a t e u r que manipule dans son laboratoire lepho-

tographe developpant ses pl aques , es t sort ie une image qui n ' e s t J r o i d e ,

jus tement , que d'etre v r a i e . « La verite frotde », ce la veut dire : l averi te

d o n c l a perte du desi r , d o n e la perte de l 'au-dela. Cette v e r i t e J r o i d e est par

consequent l 'eHet esthe ti que - S I une decept ion vaut un eHet - produi t

par I e r e a li sme photographique, par « la reproduction exacte de la

nature», ou encore par « Iegout exclusif du Vra i », dont font preuve l es

peintres rates comme Ie public moderne, et qui « etouffe le gout du

Beau ». F r o i d e est la v e r i t e quand el le n'est que la verit e, aut rement rut

quand la f igura ti on exact ement mimet ique int erdi t l a t ransf igurat ionidea l i s t e , quand ]'as servi ssement aux apparenees tue l a foi dans l ' invi-

s ib le , ou quand - on peut reprendre Ie s mots de Baudelaire expliquant

a sa mere ce que devrait etre un portrait d'elle -, faute du « f l o u » du des-

sin, la photographic est « t ri vi al e» et « dure18». Lapocalypse, c 'est

l'irnage r e l J d e e au monde par la France en 1839, quand Arago dans l'en-

ceint e de I'Instit ut devoi la Ie secret de Niepce et deDaguerre cette

« t er ri bl e aurore» du progres t echnique « enveloppa . Ie poete et le

monde d 'un Crepuscule des Idoles .

L.:homme « singulier », dont lajouissance est aussi pauvre que lameta-

phys ique es t nul le , n'es t ains i que « l 'homme photographique », c 'est -

a-dire l'homme moderne. Ce dont a reve ce « curieux », ce n'est que

not re monde tel que l e fai t depuis cent soixant e ans l a photographic.Nous sommes aujourd'hui plus encore que du t emps de Baudelaire,

com me il Ie dit dans le S a l a H d e 1859, « ces nouveaux adorat eurs du

soleil », qui s 'en remett ent a l a reproduct ion de l anature par e ll e-merne

dans l'operation sans genie de cett e mimesi s technique et acheiro-

poiete 19. Cett e i dol atrie collecti ve - du soleil rien que materi el- est la

catastrophe que Baudelaire deplore ail leurs, sous lametaphore du "Cou-

cher du sol ei ! romantique" , quand i l associ e dans ce t aut re grand poeme

de la dereliction moderne le declin historique du romantisme avec

18

--------- "le Reve d'un curieux"

l 'exper ience subject ive de l amort de Dieu. La f in de l 'e sperance meta-

physique et la fin du plaisir transfigurateur s ont les consequences du

sol ei l noi rde l aphotographic. Ou, comme i l l 'ecr ivai t des 1855, l a« Ian-

terne moderne» du progres produit un monde {(d'ou Ie chatiment dis-

para it '" . :monde sans au-del a , mort sans resurrect ion, images sans invi-

s ibl e, j ouis sance sans bonheur, et ce tt e dispar it ion du chat iment es t l epi re chat iment a rr ive au « curieux ». Celui-ci n 'es t que l ep remier venu,

dent le « reve » est notre quotidien cauchemar.

Pour esperer, tout de merne, aujourd'hui dans cet te catastrophe, seule

demeure - s e l o n l a / e q o l 1 d u p oe m c - l' ami ti t: ce tt e arnitie qui a permis que

Baudel aire, non merne sans rire un peu, garde a Nadar sa confiance, et

fas se, de ce poerne, don au photographe, pour Ie remercier sans doute

des grands por trai ts qu' il a imai t. C'es t qu'une beaute, dans ces photo-

graphics de Nadar , resi st e aux theses du "Reve d 'un curi eux" , comme y

resist e l e don du poerne . l a b eaut e obtenue, dans le t ravail part age et

l e respect reciproque, par l 'ami ti e plus haute que I'art . Nul doute qu'on

peut done entendre dans l 'hernis ti che f inal ; « et j 'attendais encore»,non pas seulement l adecept ion int erminable mai s une endurance , mal-

gre tout, u ne patience gardant conf iance.

Crt flltide e st J W e v m i o i J COl/ltd'lIlIf c O l l l l l l 1 l 1 l i -

mtioll p r e s e n t f e a u c o l la r /l i e o r g m r i s i par Y v e s Ball ue -

f o y d O d i l e B O / ll !J ar de a l a F O l ld a ti ol l H ll go td ll C o l-

l eg e d e F r al lc e, d ll 22a l l 2 ·j jallvier 1997, Sill' "L a

(Ol l lc imee de so l d e l a p o i si e ". L'alltcllr r e i l l f I ' C i e Y v e s

B O l l ll c I o y de p e r m e t t r e l a p u b li ca ti ol l d e ce bie,

l. Claude P ICHOIS , Jean- Pau l A VICE,

B a l l d e l < l i r e i P a r i s , Pari s, Edi ti ons Pari s-

Musees/Quai Voltaire, 1993, p. 208.

2. Charles BAUDEI .AIRE , S alo ll d e j8)9,

C E l l U r e s c o m p l l t e s , ed. CI. Pichois , Paris , Calli-

rnard, 1976, t. II(ci-dessous . O C 1 1 ) , p, 618;

voir egalernent ci-apres l 'cdition cri tique du

Jerome THELOT

Universite Paris XII

NOTES........................... .

"Publi c moderne et la photogr aphi e" , en

annexe, p, 22 ..32.

3. Felix N A D A R, Q l lf il id j ' f t a i s p / J o l o y r a p / J e

[1900], Paris , Editions du Seuil , "l:Ecole des

le t t r es " , 1994, p. 234.

4. ~expressjon est de Philippe ORIEL,dont

la these remarquablc ( U t t i r a t l l l ' e rt P h o t o g m p l J i e ,

c ti se e l il lo p i ed e l a repr{mllalioll till x a . " sifcie,uni-

versite Paris Ill, 1996) a inspire ces reAcxions.

5. Eric DARRAGON, "Nada r en double" ,

(rilir/lIe, aout-septembre 1985, n'' 459-460,

p. 868-869.

19

 

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Etudes photographiques, 6

6. Lettre de Ch. BAUDELAIREt Poulet-

Malassis, 13 mars 1860, C O r r t 5 p O l l d tl l lc e , r. Il,

ed . CI. Pichois . avec lacollaboration deJean

Ziegler , Gallimard, 1973, p. IS"

7. Jean STAROBINSKI,Reve et irnrnortalite

chez Baudelaire", C o r p s e c ri t, 7, Ie S o m m c i l ,

Paris , PUF, 1983, p. 45-56.

8. Ph. ORIEL, op . cit ., p . 116.

9. Ci t . ill Lore CHOIARD, N a d a r. C a r ic a tu H S

d p h o t o g r a p h i e s , Par is , Mai son de Balzac,

1991, p. 141.

10 . M o r a l e d l l j o l l j o l l , OC JJ , p. 582.

11. Leseul casou Iededicatairc est r<'duit as e s i n i ti a l e s est c e lu i d e T'Heontonnrnomn-

menos" , dedie "A J. C. E » ; r n a is l a p e r sonn e

dont i ls 'agit a lors (sans doute jeanne Duval)

n 'est pas rencontree en tant qu'artiste niper-

sonnage pub li c par l 'a tt en tion du poc tc qui

lui menage sa pudeur, et Baudelaire entend

que son identite demeure impenetrable.

12. Cette interprctat ion-ci de cette page du

S a lo l l d e 1859 n'cst quun resume du magistral

chapi tr e que Ph. ORIEL a consacre dans sa

these a cette question (c f op . cit. , p. 161-169).

13. Qu ant au fai t qu e cc sonne t est a c l e f et

qu'il a fallu 11Baudelaire crypter ainsi da ns Ie s

F l e l l r s dll M E l sa relation 11la photographic.

alors que c 'cst explici tement que s 'y exprime

sarelat ion aux autres arts visuels , et quant au

fait qu'il a fal lu si longtemps (depuis Nadar

qui n'a den vu ) pou r que ce cr ypta ge soi t

apercu - cela temoigne assurement dece que

lephotographique, dans un champ culture]

dornine par les humanites, est a p r i o r i illegt-time, o u r e fo u le ,

14. C i t . ittAndre ROU!lJ..E, L a P / ' o t o g r a p l J i e ell

F r a n c e . T e x t e> d c O t ra VE f5 CS ; UHf n th o lo g ie ( iBi6-

j 871) , Par is , Macula, 1989, p . 255 -266 .

Meme le « fatal sablier »-embleme dela pre-

c ip it at ion du temps per sonnel dans [ amor t

- t rouve saFoncHon dans l es u sages pho to -

graphiques {« 5 i vous voyez [1 ' opcrateur]

prendre samontre ou consulter un sablier; ou

20

compter , en battant lamesure, les secondes

qui passent, ne ] 'interrogez pas, et surtout ne

l'interrompez pas ivous compromettr iez son

ceuvre. Cest l'artiste photographe », Ernest

LACAN, "Lephotographe, Esquisse physiolo-

gique.Ill. Du photographe artiste", L a lHmiere,

nO3, 15janvier 1853, p. 1 I ). L es elements

de l'allegorie de la mort tel le que lapeinture

duXVn'siecle l a f ig u ra it . l e r i de a u etlesablier,

sc retrouvent iei desenchantcs, comme ele-

ments de l'instrumentation du photographe.

15. Pour comprendre Iepremier ht'mistiche

duv . 12; « j'et al s mor t s an s surpr is e» , i l f au t

se souvenir que Nadar etait extrernernent

habile 11detendre son modele et a lc [aire

poser en Iedecrispant autant que possible de

s a pose; «B ie n dif fe rent es des sean ces

courtcs et stereotypees d'un ateliercommer-

cial, cclles de Nadar etaient detendues, ami-

ca l es , personnelles, c o n c u e s pour mettre 11

l'aise » (Maria MORRISHAMBOLlRG,Ve r s u n e

ressemblance intime : une esquisse biogra-

phique de Nadar " , N a d a r, I .e s m i ll ee s c re a tr ie e s ;

1854-1860, Par is , RMN, 1994, p . 28) .

16. Pour interpreter l'atelter du photographe

comme un bordel, et l'acte photographlque

comme une pas se , voi r par exemp le dans l e

chapitre suggestivement intitulc "Clients et

clientes" de QHllud j ' i t l l i s p l J a t o g r a p h e , la

demande faite parNadar aux clients contem-

plant le t irage de leur portrai t (( Etes-vous

satisfaits » , a p . cil. , p. (68), ou Ie c o n se i l q u 'i l

donne a qui voudrait s'installer photographe

(« Met tez une femme aubu reau d 'une pho -

tographie », p. 170), ou encore ce raccourci

de l a nar rat ion ( " l .e s det :x pos es acc om-

plies J- Combien ?/-Mais cene sera pas

bon .l - Combien 7/-Ce serait deux cents

francs; mais ...!Quand r n eme ils pre t cndent

payer ii ls met tent deux b il le ts sur l a t ab le ,

s an s accep te r de re~u - e t l es voi la par ti s " ,

p. t 75). Les con nota ti ons e rot iqu es de l a

prise de vue sont nombreuses, quand l 'expo-

s it ion sous l 'obj ec ti f n 'e st pas puremen t e t

sirnplement I 'exposit ion du corps denude.

Quant a l 'identif ication de l 'a telrer a un

theat re , e ll e a ll ai t d e sol des l es p rimi ti fs de

la photographic ( C f . Michel FRfZOT[dlr.],

NO l l v r / l e H i st o ir c d e l a p h a to g ra p lJ ie , Paris, Bor-

das/A. Biro, 1995, p. 103-(23).

17. IIy a donc deux a tt en te s, qui! faut dis-

t inguer, et deux deceptions dans l 'a telier du

ph otog raphe , I 'att ent e de l a pri se de vue

(en tr e I emomen t ou le suj et vachez Iepho -

t ograp he et c elui ou l 'ob tura t eur Icrrne la

chambre noi re ) e t la decep tion de son eve -

nement nul; I 'a ttente de l 'image ttrce (entre

le momen t de la p ri se de vue et celui de l a

con temp la tion du por tr ai t) e t la deception

de son dur realisrne. Cetre seconde attente

a de decnte avec force par CAVELL;«Vous

ne pouvez savoi r ce que vous avez fai t I ai re

a I 'objectif, ce qui lui est r evele, t an t que les

resultats n 'en sontpas apparus [ . . . J . le mys-

t er e de l a pho tographie ne res ide pas dans

la mecanique qui la produit, mais dans

l 'abysse insondable entre ce que saisi t [Iecli-

che ] ( son sujet ) e t c e qui e st s ai si pou r nous

(cette fixation-ci du suict). I'attente meta-

physique entre laprise de vue et l'exposition,

l 'a utor it e ou la f inal it e absolue de l 'image

fixee » ( c i t . i ll Michael FRIED,L e R i ai is ll le d e

C o m · h e t . E s t h e ti q u e er o r i gi ll fs d e la peilltllre l l O d e l " l l e ,

t. 1 1 , P a r is , Cal lima rd , 1990, p . 395 ). Ell e a

ete decri te aussi par John BERGER;«Entre Ie

moment recueill i sur la pellicule et Ie

momen t p re sent du regard que l 'onpo rt e sur

la photographic, it y a tou jour s un abime »

(cit illPhilippe DUUOIS,L ' A c t e p h o t o g r a p h i q l l e ,

Par is , Nathan, 1990, p . 88) . La decep tion

devant l 'image tiree est un l ieu commun dud iscour s de recep tion de la pho tographic ,

NADAl~en parle dans le chapitre "Clients et

fi le Reve d'un curieux"

clientes" (Quafld j 'd l li s p l J o to g r a p h e , op. cit.,

p. 15 9-162) , et MARCEUNen av ait f ait I e

centre de sacharge "A bas la photographie"

("On ot e la p laq ue, on la p asse au bain, on

tire l 'epreuve et l 'on vous apporte votre por-

trait.!I-!orreur! horreur! horreur! », c i t. i u A.

ROUfLLE, p . c i t. , p. 259).

18. Dans la lettre souvent citce du 23

decernbre 1865, ou se marque son gout

a vert i pour l a pho togr aphi c, Ch. BAUDE-

I . A I R E , C o r r e s p o u d a H c e , t. 1 1 , o p . cit. , p. 554 ("Je

voudra i sb ien avo ir ton por tr a i t. C'est une

idee qui s ' e st e r npar e e de mol. IIy a un excel-

lent photographc au Havre.» - Et voir la

suite).

19_ Voir ace sujet I 'art ic le d 'Eric M!CHAUD,

"Daguerre, u n P ro rn er he e c hr e ri e n" , E t l l d e s

p h o t o g r a p h i l j u r s , n° 2, ma i 1997, p. 44-59.

20. E x p o s i t i o l l fluivemUr. 1855. B e a l l x - A r t s ,

OC II, p. 580. Souv ent , l a phot ogra phie a

ainsi ete jugee contraire au ca rholic ismc, par

exernple par les GONCOURT qui rapportent

ce prop os de Saint -V icto r da te du 12 juin

1859; «}e trouve que I'homme a fait des

choses plus fortes que Dieu, avec ses forces

si petites. 1 I a tout fait pour lui, tout cree .

vapeur, irnprimerie , daguerreotype . .. [__JI I

n'y a pa s it d ir e, chaque decouv ert e de l a

science demolit lecatholicisme » ( c i t . iu J o u r -

IIal,MrilloirfSde l a v ie / iN e r ai fe , e d, R . Ricatte,

Paris , Robert laffont, 1989, t. 1, p_462).

21

 

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Etudes photographiques, 6

Annexe

Le public moderne

e t Ia photographie

Mon cher Morel', si j 'avais le temps

de vous egayer, j 'y reussirais faci-

lernent en feuil le tant Iecatalogue e t en

faisant un extrait de tous les t it res r id i-

cu le s e t de tou s I es suj et s cocasses qu i

.ont l 'ambit ion d'attirer le s yeux. Cest la

l'esprit francais, Chercher a etonner par

des moyens d'etonnernent etrangers it

l 'art en question est la grande ressource

des gens qui ne sont pas 1 1 4 t u r e l l e m w t

peintres, Quelquefois meme, rnais tou-

jour s e n Franc e, ce v ice ent re dan s de s

hommes qui ne sont pas denues de

talent e t qui ledeshonorent ainsi par un

melange adultere. je pourrais faire defi-

ler sous vas yeux [e t it re cornique it la

maniere des vaudevillistes, le titre sen-

timental auque] il ne manque que le

point d'exclamation, Ie titre calembour,

le titre profond et phllosophique, le

t it re t rompeur, ou t it re a piege , dans le

gen re de B r u tu s , f fi c iJ e U s a r 1} ,,6 race

incredule et depravee l d it No tr e Sei -

gneur, jusques a quand serai -j e avec

vous z jusques 11quand souffrirai-je ' '("

Cett e r ac e, e n ef fe r, a rt is te et pub li c, a

tant de f oi dans la peinture, qu'elle

cherche sans cesse a ladeguiser et a I'cn-

velopper cornrne une medec ine desa-g reabl e dans de s capsul es de sucre; et

que l sucre , grand Dieu t je vous signa-

lerai seulement deux t it res de tableaux

que d' ail le ur s j e n 'a i pas V l l S : A m o H r e t

g i b d o t f e4J Comme la curiosi te se t rouve

tout d e sui te en a p p r f t l t , n'est-ce pas? [e

cherche a comb ine r i nt ir nement c es

deux idees, l 'idee de l 'arnour, e t I 'idee

d'un lapin depouill€ et range en ragout.

22

je ne puis vraiment pas s upposer que

l 'imagination du peintre soi t allee jus-

qu'a adapter un carquois, des ailes e t un

bandeau sur Ie cadavre d'un animal

domestique i l'allegorie serait vrairnent

t rap obscure . je c ro is p lu to t que Ie t it re

a ete compose suivant la recette de

MisafltJJropirrt R e p w l i , 5 . Levrai titre serait

done: Persounes a m O f l r e lt s r s m a H g c l l II t Hlle

g i b e f o t t e . Maintenant, sont- ils jeunes au

vieux, un ouvrieretune grisette, ou bien

un inval ide e t une vagabonde sous une

tonnelle poudreuse zIIfaudrait avoir vu

le tab leau . - M O l J a rc i Ji q tl E, c a ti 1 0l iq H c c t

s o l d a t ! Celui-c i est dans Iegenre noble ,

Ie genre p a J ad h r, i ti ll rm i r e d e P a r is Ii H r u s a ~

le m (Chateaubriand, pardon! les choses

[es plus nobles peuvent devenir des

moyen s de cari ca tu re, et l es p arol es

politiques d'u n chef d'empire des

pe ta rd s de rap in" ). Ce tabl eau ne peut

r ep resent er qu 'un per sonnage qui f ait

trois choses Ii f a j o i s , se bat, communie,

et ass is te au pe ti t l ev er de Loui s XlV.

Peut -e tr e es t- ce un guer ri er t at oue de

fleurs de lys e t d 'images de devot ion.

Mais a quoi bon s'egarer > Disons sim-

plement que c 'est un moyen, perfide e t

s te ril e, d' etonne rnent . Ce qu 'i l y a de

plus deplorable, c 'e st que le tableau , si

s ingu li er que c el a pu is se parai rr e, es t

peut-et re bon. A m o ur e t g ib clo t tc aussi ,

N'ai- je pas rcmarque un excel lent pet it

[263] groupe de s culpture dont mal-heureusement je n 'avais pas note lenu-

rne ro, e t quand j 'a i voulu connai tr e l e

sujet , j 'ai, 11quatre reprises e t infruc-

tu eu semen t, r el u l e ca ta logue. Enf in

vous rn'avez chari tablement instrui t

que cela s'appelalt T O l l j o t l r s et j a m a i s 7. Je

me suis senti sincerernent afflige devoir

qu'un hom me d 'un vrai talen t cul tivat

inutilernent le rebus8.

j e vous de rnande pardon de m 'et re

diverti quelques instants 1: 1 la rnaniere

des pet its journaux. Mais, que lque fri -

vole que vous paraisse la mat ie re , vous

y trouverez cependant , en l 'examinant

bien, unsymptome deplorable. Pour me

resumer d 'une maruere paradoxale, je

vous demanderai, a vous e t a ceux de

mes amis qui sont p lus instrui ts que moi

dans l'histoire de l'art, siIegout du bete,

le gout du spirituel (qui est [a rnerne

chose) ont existe de tout temps, si

A p p a r t e m w t Ii / o H e r9 et autres conceptions

alambiquees ont paru dans tous les ages

pour soulever Iemerne enthousiasme, si

laVenise de Veronese e t deBassan ae te

aff ligee par ces logogriphes, si les yeux

de Jul es Romain, de Michel -Ange , de

Bandinel li ont et e e ff ar es par de sern-

blables monstruosites , je dernande, en

un mot , siM. Biard est e te rnel e t omni-

present, comme Dieu. [e ne le c ro is pas,

e t je considere ces horreurs comme une

grace speciale attribuee a la race fran-

caise . Que ses art istes lui en inoculent

Iegout, cela est vrai i qu'elle exige d'eux

qu'ils satisfassent 1:1 c e be so in, cel a es t

non moins v ra i , ca r s i l 'a rt is te abet it I e

public, celui-c i le lui rend bien. l is sont

deux termes correlatifs qui agissent l 'un

sur I 'aut re avec une egal e puissance!" .

Aussi adm iron s avec quel le r ap idi te

nous nous enloncons dans la voie du

progres ( j'en tends par progres la dimi-

nut ion progressive de l 'ame e t la domi-

na ti on p rogressi ve de l a mat ier e! ') , et

quel1ediffusion merveilleuse se fait tous

lesjours del'habilete commune, decelle

qui peut s'acquerir par la patience.

Chez nous Ie peintre naturel ,

comme Iepoere naturel , est presque un

monstre. Le gout exclus if du Vra i (si

noble quand ilest limite 11esveritables

--- Le public moderne et la photographie

appl ica tions ) oppr ime i ci et et ouf fe I e

gout du Beau. Ou i l Iaudrai t nevoir que

IeBeau (je suppose une bel le peinture,

e t l 'on peut aisernent deviner cel le que

je me figure) , notre public ne cherche

que l e V ra i" , I In ' es t p as a rt is te, na tu-

r el lement a rt is te ; ph il osophe peut -

e tr e, mo ra li st e, i ngeni eur , amate ur

d 'anecdotes instruc tives, tout ce qu'on

voudra, rna is j amai s spontancrncnt

artiste. IIsent ou plutot iljuge succes-

sivement, analy tiquernent . D'autres

peuples, p lus favorises, sentent tout de

suite, tout a la fois, synthetiquement.

Je parlais tout a l 'heure des artistes

qui eherchent 11e tonne r l e pub li c. Le

desir d 'e tonner e t d 'e tre e tonne est t res-

legitime. I t i s a h a p p i l 1 m to U J O f d e r , « c'est

un bonheur d 'e tre € tonne;" mais aussi ,

i ti , a h a P P in e s s to d r e a m , « c'est un bonheur

de rever'!». Toute la quest ion, si vous

exigez que je vous confe re Ie t it re d 'ar-

t is te ou d' amate ur des beaux -a rts , es t

done de savoir par que ls precedes vous

voulez creer ou sentir l 'etonnement,

Parce que l eBeaue s t t o u j o u r s etonnant,

i l se rait absurde de supposer que ce qui

est e tonnant est [264] t o u j o u r s beau. Or

notre public, qui est singullerernent

impuissant a sentir Ie bonheur de la

r ever ie ou de I 'adm irat ion ( si gne des

pet it es ames), ve ut et re e tonne par des

moyens etrangers 1:1 l 'art, et ses artistes

obeissants se conferment a son gout;

i ls veulent le frapper , le surprendre, le

stupefier par des stratagernes indignes,

parce qu' il s le savent incapable de s 'ex-

t as ie r d evan t l a t ac ti que naturel le de

l'artveritable".

Dans ces jours deplorables, une

industr ie nouve lle se produisit , qui ne

contr ibua pas peu a con firmer la sottise

dans sa foi et a ruiner ce qui pouvait

23

 

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Etudes photographiques, 6

reste r de div in dans I 'e spri t f ranc ;ais .

Cet te [oule idolatre postu lait un ideal

d igne d 'e IIe e t approprie a sa nature,

c el a e st b ien ent endu , En' rna ti er e de

peinture e t de statuaire , Ie C r e d o actuel

d es gens du monde, sur tou t en Franc e

(et je ne crois pas que qui que ce soit

ose aff irmer Ie contrai re ), est ceIui-c i ;

«)e crois a l an atur e e t j e n e c roi s qu 'a

Ia nature 01y a de bonnes raisons pour

cela) , Je crois que I'art est et ne peut

etre que [a reproduction exa cte de la

nature '5 (une secte tirnide et dissidente

veut que les objets de nature repu-

gnan te soi en t e cart es , a ins i un po t de

chambre ou un squel ett e) . A in si l 'i n-

dustr ie qui nous donnerait un resul tat

identique a Ia nature serait l'ar t

absolu. " Un Dieu vengeu r a exauc e l es

vceux de cet te multi tude . Daguerre fut

son Messie 16 Et alors elle se dit ;

« Puisque la photographic nous donne

toutes les garanties desirables d'exacti-

tude (ilscroient cela, les insenses), l 'art,

c'est Ia photographie". » A part ir d e c e

moment, la societe immonde se rna ,

comme un seul Narcisse, pour contem-

ple r sat r iv iaIe image sur le metal . Une

folie, un fanatisme extraordinaire s'ern-

para de tous ces nouveaux adorateurs

du sol ei ]. D 'et range s abominat ion s se

produisiren t. En assoc iant e t en grou-

pant des droles e t des drolesses, att ifes

c omme [es bouche rs et I es bl anch is -seuses dans l e c arnava l, e n p riant c es

} J e r 0 5 de bien voulo ir continuer , pour Ie

temps necessaire a l 'operation, leur gri-

mace de circonstance, on se flatta de

rendre les scenes, tragiques ou gra-

cieuses, de I'histoire ancie nn e!".

Que lque ecrivain dernocrate a dil voir

lale moyen, abon marche, de repandre

dans le peuple Iegoutl9 de l 'h isto ire e t

24

de la peinture, commettant ainsi un

double s acrilege et insulta nt ainsi [a

divine peinture et I'art sublime du

comedien. Peude temps apres, des mil-

liers d'yeux avides se penchaient sur les

trous du stereoscope comme sur les

lucarnes de l 'mfinr, I'amour de l'obsce-

ni te , qu i es t aussi vi vace dans Ie c ceu r

nature] de [ 'homme que I 'amour de soi-

meme, ne laissa pas echapper une si

belle occasion de se sut is fa ir e?" . Et

qu'on ne dise pas que les enfants qui

r ev iennen t d e [ 'e col e prena ie nt seul s

plaislr aces sot tises ie lles furent l 'en-

gouement du rnonde. ) 'ai entendu une

bel le dame, une dame du beau rnonde,

non pa s du mien, repondre a ceux qui

lui cachaient discretement de pareilles

images, sechargeant ainsi d 'avoir de la

pudeu r pou r e ll e , «Donnez toujours i

i] n'y a rien de trop fort pour mol. » ]e

j ur e que j 'a i en tendu c el a , mais qu i me

croira? « Vous voye z bi en que ce son t

d e grandes dames l » dit Alexandre

Dumas. « II y en a de plus grandes

encore! » dir Cazotte?'.

Comme l'industrie photographique

e tait le refuge de tous les peintres man-

ques, t rop mal doues ou trop paresseux

pour achever leurs etudes, cet universe]

engouement portait non-seulement Ie

carac te re de l 'aveugle rnent e t de l'im

beci ll ite , r na is ava it aussi l a cou leu r

dune venge anc e+ . Qu 'une s i s tup ideconspirat ion, dans laque lle on trouve,

comme dans routes les autres, les

mechant s et le s dupes , pui sse r eussi r

d'une manrere absolue.je ne lecrois pas,

ou du morns je ne veux pas Ie croire ,

mais je suis convaincu que les progres

mal app li ques de l a photograph ie ont

beaucoup contribue, comme d'ailleurs

tous les progres purement mater ie ls , a

~-- Le p ub l ic moderne et la photographie

l 'appauvrissement du genie artistique

francais, deja sirare. LaFatuite moderne

aura beau rugir , e ructer tous les borbo-

rygmes de sa ronde personnalite, vomir

tous les sophisrnes lndigestes dont une

phlloscphi e recente l'a bourree 11

gueule-que-veux-nr" , cela tombe sous

[esens que l'industrie, faisant irruption

dan s I 'a rt , en dev ient l a plus rno rt el le

ennemie , e t que [a confusion des fonc-

tions ernpeche qu'aucune soit bien rem-

p lie . La poe si e et I e p rog res son t d eux

arnbitieux qui se ha' issent d 'une haine

instinctive, et, quand its se rencontrent

dans le meme chemin, il [a ut que l'un

des deux serve l'autre". S'i[est permis aIa phorographie de suppleer l 'art dans

que lque s-ones de ses fonct ion s, el le

l 'aura bientot supplante ou corrompu

tou t a f ai t, g race

al 'a ll ia n c e n a tu r e l le

qu 'elle trouvera dans lasottise dela mul-

titude. II faut donc qu'eIle rentre dans

son veritable devoir, qui est d'etre laser-

vante des sciences et des arts, mais [a

t r es humble servante, comme l ' I rnpr i-

rner ie e t l a s tenog raph ie, qui n' ont n i

cr ee ni suppl ed l a l itt er at ur e. Qu 'el le

enrichisse rapidernent I'album duvoya-

geur et rende a ses yeux [aprecision qui

manquait a sa memoire , qu'el le orne [a

btbltotheque du naturaliste, exagere les

animaux rnicroscopiques, fortifie rnerne

de que lques rense ignements les hypo-

theses de l'astronorne ,qu'elle soit enfinle secreta ire et Ie garde-note de qui-

conque a bes oin dans sa profession

d 'une absolue exact itude marcrie lle,

jusque-la r ien de mieux". Qu'el le sauve

del'oubli les ruines pendantes.les livres,

les estampes et les manus crits que le

t emps devo re, le s choses p rec ie uses

don t la forme va d ispara it re et qu i d e-

mandent une place dans les archives de

no tr e memo i re, el le ser a r eme rci ce et

applaudie/". Mais s'illuiest permis d'em-

pie te r sur Iedornaine de l 'impalpable e t

de l 'i rnaginaire , sur tout ce qui ne vaut

que parce que l 'ho rnme y a jout e de son

arne, alors malheur a nous J

)e sais b ien que plusieurs me diront .

« Lamaladie que vous venez d'cxpliquer

est celle des imbeciles. Quel homme,

digne du nom d'art iste , e t que! amateur

veritab le a jarnais confondu l 'art avec

l'industrie > » Je l e sai s, et ce pendant je

l e u r demanderai a mon tour s'ils croient

a l ac on tagion du bi en et dumal, a ['ac-

t ion des Iou les sur l es i nd ividu s, e t al 'obeissance involontaire, Iorcee de l'in-

drvidu [266] a la foule2?Que l'artiste

a gisse sur Ie public, et que le public

reagisse sur l'artiste, c 'est une 10iincon-

testable et irresistible; d 'a i ll e u r s l e s faits,

terribles temoins, sont faciles a etudier i

on peut constater [edesast re '" , De jour

en jou r, l 'a rt diminue l e r espect d e lui -

rnerne, se pros terne devant l a r ea li te

exter ieure, e t lepe in tre devient de plus

en plus enclin a peindre, non pas cequ'il

reve, mais ce qu' il voit, Cependant c'est

UlJ b01'liJr l , J) , d e r e ve r , e t c 'e tait une glo ire

d' exp rimer ce qu'on revai t , r na is , que

dis-je > connait-il encore ce bonheur?

Lobservatenr de bonne foiaffirmera-

t -i l que l 'invasion de laphotographic e t

la grande fol ie Industr ie lle sont tout a

fait etrangeres ace resultat deplorable 7

Est-i l permis de supposer qu'un peuple

dont lesyeux s'accoutument a conside-rer les resultats d'une science rnaterielle

com melesproduits dubeau, n 'a pas sin-

gulierernent. au bout d'un certa in

temps, d iminue la Iacul te de juger e t de

sentir ce qu'il y a de plus ethere et de

plus immateriel">

Charles BAUDELAIRE

25

 

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Eludes photographiques, 6 ----- ....

Notice

"L e p u b li c l II o JW : e rI l a p ho to g ra pl J ie " d e

C / Ja r le s B a u dE l ai re ( 1 8 2 1 - 1 8 6 7 } C O l l s t i t u e la

J wx i b ue p ar t i e d e I 'i ll ir o du c t io ll d u Salon de

1859, C G l J l f l J a H d c p a r l a Revue lrancaise. e e t t e

i n tr o d u ci i cn s e d e c o m p o s e el d e ux t em p s, I e p r e m ie r

( "[ ar li sl e m o de ru e ", ' 'L e p u bl ic m o de m c et 1< 1 p h o -

l o g r a p IJ i e ") , r d a ti J au p b e J J o m e lJ e d e s SalolJ5, se s

arlisles fISOH p u b l i c i Ie s c e o u d ( " L a r e i ne d c s j a c u l-

tes", " [e g O H o e r ue l Jl w l d e I 'i ll la g iu a ti o r( ], at) Ie

p o r le e x p o se le s p r il Jc ip e s g e ll ir a ux d e SOl i e s l h f l i q l l e .

C e Salon, q ui e sl p o u r B au de la ir e l 'o cc as io ll d e

s ' e x p r il l le r s u r I ' n r fc o ! l l e ll l p o r a i !l c a l i l l l i e il lie 1' " p as

j ai l d e p ll is p i l l s de i r e t z e aflS, d o i t f a rill e r l a c le f d e

pan te de s Curiosi te s estheti ques, 01 1D r a g e r e p r e -

lIaJJt ses diJfire!lls a r li c le s s l lr l'ar: c t q u ' il p r o j ct te

d ' e d it e r d r s 1856.

Le 14 l I I a i 1859, B a u d e l a i r e r c r i t Je H O f l / l e l l r

a S O H a il l i N ad ar , « l« sui: D r a i l l l e J I t j o r l el l p d l f e i

a va ll l d e p ll b li e r m e s Curiosttes, j e j a is w co re

q u e l q ll e s a r ti c le s S i l l ' la peil ilure ( l e s d em im !) . e t

j ' e c r i s l J Ia i l l tc l lm l l U l f Salon s a li s I 'a v o ir V I I. Mais

j 'a i un l lv re t, S au f l a f a ti g uc d e dwillel·les

l a bl e au x , e 'e s l u l l ee x cd lf fl te m e th o d e q ll e je tr r e C O I I I -

" , a l l d e . 0 1 1 c ra i ll l d e tm p I O l l e r e t J e l r ap b la m e r /

Oil a r r iv e a i ll s i a I ' i l l i p a r t i a h t e . » D eu x j o II rs p i l l S

l a rd , B a u de l ai re r e ct if ie , " OIwn t al S a la H , b A a s!

j e t 'a i lill p e l l H l w ti , f il a i s s i p e l l !T ai j ai tl lw o is it e,

U N E Sa l LE , c O H s a e r r e a e i J e r c i m Ie; l I o l w e a u t c s ,

l IIa is j 'm a i t r o uv e b i w p m i d p O l l r 10115 l es v iw x

l Ioms, all le s 1I0lllS s i l l i p l e f f l f H t comlllS, je l IIe c O l l f i e

a ilia v ie il le m e ll io ir e, e xc it er p a r I e h u re t. C e tt e

I f l " , h o d c , j e I e tlpelr, II ' e s t p a s m a ll va is e, a la e O ll di -

t i o l l I /U 'O I i p O > s e d e b i m , O f l personnel, » LeSalon

de 1859, ell e f fe l , s e p r e s w te mai llS CO i l ime , , ' I c a t a -

l og ll e d ita il l{ q ue c o tf lm e I we p r o m rJ Ia d e p h il os o-

p l Ji qu e , I w e e x p o si ti o n d e s cOllcePliollS estlJail/lies de

B C l H d e ia i rr q u i s ' a p p l l i e SHr I ' i t a t d e l a p e il li ur e

c O l i t e l l i p a r a i l l e , COffHfle Ie IH i a d e ll la f) d f I e d i re c tw r

d e l a Revue fran<;:aise. " Le p u bl ic m o de m e . . . "l ie

d e ro g e p a s a l a r e g ie , a l f C l 1 i I p / ., o lo g r a p h e l I 'e s t f u o -

q l f t, a t lc l il l e p l J o l o g r a p / J i e til p m i i c u l i e r f 1 'a r e l w lI

26

/ 'C l t t C ! l t i o l l d e B a I Id e ia i r e . P o w - la l it , e r fl e miller-la,

se 50111 o l lv e r is I e m e l il e j O l l r all p a la is d e s C / "a ll lp s -

S ly si e s ( ma is a ue e d es w lr ie s s ip a r ie s) ' I e S al o ll

p r o pr e ll lw t a it e t l a t ro i si e m e e x p o si ti o ll d e la S o c i e t e

F a ll ~a is e d e p lJ o lo g ra p fJ ie ( SF P ). P O l lr l a p r e m ih e

j o i s , a p re s w le IOllgue b a ta il le d a ll S l aq u cl le N a d a l'

s ' e s l IIotabletlirHi i fl lp l iq t lt , I 'w r e g i si r e il lw / a r g e J I-

t iq ll e o b ti wi I e d r oi t d e c M o ye r I e g ra ll d a rt . Vi' flgi

a il s a p rr s I ' a n n o l l c c d e / ' i l l om l i o l l d e D a gu e m ,

i 'rvcl lefl lCi l I est d'illlpoltmice et s l Is c it e d e f l O f i l b r e u x

C OII!IIICfJt a i r e s (d, H i I~ lI e B O C A R D , Les Cri-

t iques des exposit ions de phorographie aParis sous IeSecond Empire, DE A IIlIivers ite

S a r h o l l f l f - P a r i s IV . 1995). C e p f f l d " 1 1 / , a l l Ie

c O l I S la t e , s a p a r t ie ue d e pa ss e g ll er e l es c e rd e s p h o-

t o g ra p h it /u e s , B al ld e la ir e q u i, el l ( e p r i l i t e l l i P s 1859,

CIItretiml I l I f e c o rr e sp o ll d al le e s O l ll wu e a o e e N a d a l;

l I 'y j a it j a fl la i , C l l / l i s i o i l iI r e x p o s i t i o l ! d e l a S Fp ,

p a s plus q u ' i l lie l a m w l i O f Il i e d al l s " Le p ub li c

m o d e rl fe . .. " .

L e rexte p e l l l e i r e 5 c h e l l la t i q u e m e i l l diuisf el l

d e ll x p m ii es : l a p r e m ie r e e O ll sa cr le a l l x d i f J r r w l ,

a rl if ic es e m p lo ye s p a r l es P c il lt re s p o u r " it o ll ue r I e

p ub li c "; l a m O I l J e, In p l u s s O l w wl r e p ro d u it e,

c on sa cr te a l a p h o to g r ap hi e . L e p r e m i e r i J Jo m wt

founJitles e l es p e r me t ta ll l d e siluer I e c O l lt e xt e d a u s

l eq ll e! p rw ll wt p la ce l es c ri li qu cs c O ll lr e I n p h o to -

g r ap h ie . L e 1 0 ll g p a ra g ra p he d'il l trodllctiolf dalls

l e t / l l e l l e p o rt e s e lIIol/lle d c s t i tr e s - r e b u s l l l i p e r me ! d e

j u st fg e r I c s p r o d de s 1 1 0 1 1m t i s t i t j u e s , l e s a r t if ic e s a u x -

q u e l, a li t r e co I I 1 ' 5 Ir s l IIauoais p r i l l ! r e s p o w - i l O f l 1 l e r

Ie p ll bl ie : a m ou r d ll d it ai l, g o a t pOllr I e v r a i, l it re s

a la m b iq ui s . F ra nr oi s -A ug us le B ia rd ( v. 1799-

1882) r ep r l sw te a ll x y wx d e B a ll de la ir e I 'm -e h e-

t yp e d e c e s l II a uv a is p e r ll tr e s.

A b s w t a u S al of ) d e 1859, B i a r d i/lustre 1111

courallt qui, a l a s u il e d e R ev oi l e t R ic ha rd el

q u E l q l l e s a u t r e s pril ilres d e I 'a tc li e r d e D a ll id , t O ll m e

Ied o s a P al t i l ' d e j815 aux slUds t i r e s d e r A l l li t /l l il i

g r e co - ro m a iJ le , C e s p e il il re s , d il s p r i n l r r s " I w l l b a -

d o u r s" , d O l i ll C I II d a ll s le " g a m a l le d o t it /l le " , dille/-

Iw a l ' l l i l o d e I e M oy c u A ge et l ' IJ i s lo i r e e o n l e f l l p o -

mille, c e q ll i p e r m et a lo l ·S a 1111 l a nj e p ub li c d e

Le public moderne et l a photographie

s ' i n t e r e s s e r t : I I I p a ss e l l at io n al . L e g w r e a I I e c d o t i q l l f

j ai l d e l Io m b re li x e m il ie s d O H t c e rt ai ll S, i le lJ es de

R iv o il d R ic ha rd , s e r e g ro u pc nt S O l i S Ie 1 1 0 1 1 1 I ' i e o l e

de L y o l l ( d o l l t j a it p a r li e B i ar d , v o ir j ig . 8) . S i p O l lr

e e rl ai ll s c ri ti qu e s c e g w r e a ll ee d ol iq u e d ip w d d e /a

p e i l i l u r e d ' h i , I o i r e , p o u r n o m b re d 'e n lr e e I I X , iI fie

s'agil l a q u e d e s ce n es d c g e H r e , d e sc ri pt io n s lIIillll-

t i e u s e s ct s e ll ti ll lw t a ie s d e p e t il jo r m a t , d'lIlIe / > e i l i l u r e

d e t II a : ur s q l l i e x p ri m e d e s p a s si o lf s vulgaim, Ball-

d e / a ir e I 'a p p e l le 1' « e c o l e d e s f i ll i s se l l r s ». Al l d i b l l l

d e s a n l le e s 1820, i l l j 1 l 1 f f 1 e f s p 4 r l a If 01 1D e l l e h i s l o i r e

d e W a lt a SCali ( t r a d u i t ell j r m l f a i s a p a rt ir d e

1816), J O l i l i e s rolllmS h i st o r iq l le s p o p u l a r is m t IIHe

I J is l o ir e l Ia r r a ti v e c t p i tt o r e sq u e , se v o u l a l l t a l a j o i s

« t o t a l e » ct « e xa ct e» , l es a d rp te s dll g w re a ll ee -

d o ti qu e s 'e m p a rC f Jt d ll jo m w i d e s t a b le a ll x d '/ Ji st o ir e ,

c e q l li dO li l ie J l ai SSa i lc e o f f i c i e l / e l l i e n t e ll 1 83 3

( 1 1 1 ' ' g e f l l d J i s t o r i q l l e ' ' , « COlllmelestellalllsdll " g e u r e

a f l e c r l o l i q u e " , CeliX qu i pm t i q l l a i e l l t I e ' 'g e l lr e h i st o -

r i q ue " p r i vi le g i a ie l lt I tI e s c ri p ti o ll , l a r e p r e se n t a ti o l l

d ' d im c l lt s s i g ni fi c a ti J s d ' lI J 1 e C p o q ll e , I ' e x p r e ss i o ll d e s

e m o ti o ll s, m a is a v e c 1111s o u c i I IO IWWU d e l a " co u-

I w r l o ca le " , IIlIe " e x a c t i l l l d e r i g o u r C l i s e l l l C l i t / J i s t o -

r i q u e " , CO l f l l l l e Ie flolwl e e r t a i l l S » (Les Annees

romantiques. L a peinture fran"aise de 1815

a 1850, c a l. e x p ., P a r is , R e iw i ol l d e s f ll ll se e s fltftio-

lIallx, 1996, p . 76). F m l lr o is -A lI g li sl eB i ar d , P a ll l

D e ia fD c he , H o ra ce V cm e t all E ll ge n e D e ue ri a s ou t

d e l a m em e gelicratiOJI (a p a r i V e r ll ft , ils e x p o s C f J I

tOilS p O I lr /a I m m ie r e j o is all SalOIl de j822] e t r e p r e -

SClltel it p o ur B a ll de la ir e l 'o p p os it io ll a I'mt i d e a l eI

all g r l li e d e D e l a e ro i x .

AIiX y e u x dll p o f fe , I e g o n t e x cl ii si f dll v r a i

s ' e s t i l l J l l t r e d al ls I e lIIolide d e l 'a rl p ar WI d o u h l e

III a IIIIelllml d ' i f l j 1 I 1 C 1 1 c e r e c i p r o q l l e d l l p l l b l ic Sill' I ' a r -

t is t e et d e I'miis te slIr I e p ll bl ic , e t c e b i m < I va ll t 1839.

L a p l lo l o g r a p h ie lIe j a i t 1 / 1 1allglllfflter I e m a l w / C l l d ll

et la (oIIjll5ioil a l l p r e s al l p u bl i c - C f J t e n d o l i s ie i Ie

pllblic d e s S a lo u s, a q ui 1 ' 0 1 1 'I j ai t c r oi re , a t o r i ,

I ) I I ' i l i ta it p o ss ih le a 'a s s im il a l es p r o d ll it s d e I'ill-

d u s lr i e p l J o to r j ra p h i q ll e a v e c I 'a r t. C O f if us io il q l li I I f

j a i t q l l e c r o f t r e df P l l i s 184 B a v ec l e s i d re s p r o pa g fe s

p ar I e ff101WfIIlCfllr i a l i s t e .

P i ll S q ll e l a p l Jo t og m p h ie c ll e -m f m e, a / aq ll e /l e

iI r r C o f l l l l l r t l o u t e s sr s j ac u lt is J o c ll ll lw i ai re s , c 'c st

1 a p l l o t o g r a p h i e camIlle m o d e l e qu e B a u d el ai re v is e

d an s sa r l i a t r i b e . A e e t e r ja r d, i l li e f ai l b i en S O l w el lt

q ue r ep rw d rc l es P O I fC i J Sd e II I c r i t i q l l e a l l t i - p h o t o -

g m p h iq u e d e / 'f p oq ll e , q l l i s 'e x p r il il e d e s colOlil ies du

Figaro iI c e l l e s de la Revue des deux-rnondes,

P l lb li ie s d a ll s l a livraiso« d ll 2 0j ll il l 1 85 9 r ic

la Revue francaise (1101. Xl'Ir, p . 262-266), SOl i S

I e l i tr e , "L e t lr e a M . l eD i r e ct w r de l a Revue fran-

ca i se Sill'I e S a lo H d e j859", b r i f / e x i o l l s rlu p o e t e

lie C O l i ll t J iS S w t a l o r s qll!I)Ie d iJ ju s io i l m l re il lt e , c a r

c e p e r i od iq u e e s l d e ja it e e t te d a t e rlall, IIl ie t r e s I l i a l l -

v a i s e 5itll4tioll, e t c m e d e p a r ar tr e a ll e c I e fH l fflero

d ll 2 0j u il ie t s !l ip a ll t - d a ll s leqlld s e t r o l lv e I n r l u -

l Ii e r e p a r t ie dll Salon. Celui-ei lie s er a r ee d iU

q ll 'a p rr s l a l I I o r t d e B a u d e l ai r e , ell j868, a l l e e

q u e l ql le s m o d i fi c at io n s m i ll e u re s , [ors d e l a p l lb l ie a -

t i o l l d es Curiosites esthetiques. Cdle d e l ' l l i e r e

v e rs iO l 1 s e ra c e li e a d o p te r p a r l e s d l ff ir w tr s cditiotls

p o ~ t i r i e l l r e s dl l t e x l e ,

L a p r e se J It e e d i l i o l l d l l " P u bl ic m o d e m e "

r r p ro d l li r j id e l e ll iw i l a oersioll o r i g il l, d e p l l hl ii e d a l ls

la Revue francaise, n v e c s a p O l fC t u at io i l e l s a

g r ap h ic [ le s s al lt s d e p a ge etal l t i l l d i q l l e s e i li r e e m -

e l J e t s ) , a I 'e xc e pt io ll d e t ro i s c o rf ui li es I yp o g ra -

p h iq ll e s, c o rr ig f es i ei ( p m ll ie r p a ra g r ap h e , « c a r i -

c a tl lr e » p ou r « c a r i c a lure » i d w x i e m e

p ar ag ra ph e, " je lI e I e e ro is p as " p O ll r « Je lit Ie

e ro i s p a s » i s r p l i e l l i f p a m g r a p b e , « Q l lc ll e s a l iv e

J e ! 'o l lb l i " pailI' « 01 1 ' el le s a ll ve d e I'ollbli »J

P a l i l - L o l l i s ROllberl

Fig,7.

Anon., vue

ster eoscop ique

pornograph i q u e ,

daguer r eotype,

8,5 x 17 em ,

vers 1850.

27

 

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Etudes ph otogre phi ques, 6

NOTES

1. Jean Morel est le directel.![ de la R e v i l e

f r a l l f < l i s e it qui son t adres sees l es l et t r es qui

constituent IeS a lo ll d e 1859. Baudelaire redige

le texte pendant un seiocr a Hontleu r , OU il

a rr iv e aup lu s t ard Ie2 [ avr il , I eSalon ayant

ouvert ses pones le 15 du meme rnois (cf

Claude PICHOIS et jean ZIEGLER, C l J < l r J e s B a H ~

d e l a i r e , Paris , Fayard, [996, p. 39051.) .

2. Brutus , l ac h e C i sa r ! e st une comed ic de

Joseph-Bernard Rosier, creee au Gymnast

dramatique I e2 juin [849 { c f . Charles BAU~

DELA IRE, ( E u vr c s c o m p le t e s, ed, Claude Pichols,

Par is , Ga11ima rd , t . I I, 1976 [ci -des sous :

OC 1 1 ] , p. 1387).

3. Matthieu, xvn, 17. Cl. Plchots repro-

duit la traduction de la B i b l e de Lemais t re de

Sacy, « souvent reeditee jusqu'au XIX ' steele

indus e t don t Baude la ir e dut avo ir le rexre

sous les yeux. "0 race incrcdule et depra-

vee I Iusqu'a quand serai-je avec vous 7 jus-

qu'a quand vous s ou l fr t r at - je ; " S o r i f . { r i r au sens

de slippOIter(verbeemploye dans d'autres tra-

ductions) avec uous pour complement d'ob-

jet direct. I..:absence de VOIi S donne a la cita-

t ion de Bau dela ir e un s ens tou t di fferent.

Est - ce l e r esul ta t d 'un l ap sus ou d 'une fau te

d'irnpression r » ( OCI I , p. 1387-1388).

4. Tableau d'Ernest Seigneurgens.

5. T it re d' un dr ame d'Augu st von Kot ze-

bue , qui fut c el eb re en France sous la Res-

tauration et lamonarchie de juillet .

6. Tablea u de Jo seph Gou ezou e xpose au

Salon, appartenant au "genre anecdotique".

Selon CI. Pichois , cc titre provient d 'un dis-

cours prononce par Napoleon III a Rennes le

20 aoflt t 858 , «La legende se l it a in si dans

l e l ivr et , "Su r son l it , a u son t acc roches l e

vieux mousquet anglais donne parle marquis

de Puysaie et I 'humble bcnit ier de Iarence oir

chaque jour i l trempe ses doigts, unjeune gars

du Morbi han cl oue les port rai ts d e Leurs

28

Majes te s l 'Ernpe reur c t l 'Imperat ri ce qu' il

v ient d 'a chet er au marche voi sin"» (OC If,

p. 1388). Publ ie en 181 l,' I t i m ' I a i r e de P a r i 5 II

N r u s a l m de Chateaubriand est l 'ouvrage fon-

dateur du recit de voyage romantique.

7. Baudelaire sinqulcte du titre de ce

g roupe dans sa l et tr e a Nad ar du [6 mai

1859: "Dans l a scu lp tu re , j 'a i t rouve aus si

[ . .. J quelque chose qu'on pourrait appeler

de l a s m r p t l l r c ~ v i ! f ) J c t t e - r o l l l a J J t i l i i e , et qui est fort

joli iunejeune fille etun squelette s'enlevant

comme une Assomptton , lc squclette

embra sse l a j eune f il le , [ . .. J - Croirais-tu

que t ! " O i s f o is d ~ ii j 'a i Iii, I lg l lc pa r Jigllc, t out I e

cat al ogue de la s culp tur e, et qu' iI m' est

impossibl e de t rouver quo i que ce soi t qui

ait rapport a eela ? 11faut vraiment que l'ani

mal qui a f ai t c e jol i morceau I 'a it intitule

A m o l l r c t g i h e l o t l e au tout autre t itre 1 1 l a C01l lP lc-

Calix , pour qu'il me soit impossible dela troll-

verdans lel ivre. Tache.je t 'cn prie, desavoircela ilesujet, e t Ienom de I 'auteur, » Le titre

e t I'auteur decette sculpture (TOIljoIJrst j m " a i s ,

par Emi le Heber t) s eron t fou rn is it Baude-

laire par]. Morel .

8. Dans lc chapitre Xlll deson S a /a ll d e of 846,

Baudelaire laisait une scmblable digression

au tour des ti tr es de tab leau x en forme de

rebus, visant la petite peinture de genre ex e -

cu r e e par les peintres "singes du sentiment" :

«[Ce] sont, en general , de mauvais art is tes.

S' il en et ait autr ement , i ls f erai ent aut re

chose que du sentiment. I.es plus forts

d 'ent re eux sont c e ux qui ne comprennent

que le joli. [ . .. ] Le singe du sentimentcompte sur tout sur l c l iv re t. 11e st a rernar-

que r que Ie t it re du tab leau n 'en d lt j amai s l e

sujet , surtout chez ceux qui, par un agreable

melange d'horreurs, melent le sentiment aI 'e sp ri t. On pou rr a a in si , en e la rg is sant I a

methode , a rr iver au rebus sen timental»

(OC II , p. 475-476).

9 . Tab leau de Francoi s-August e Bia rd , un

g rand succe s du Salon de 1844.

...~- Le public moderne et la photographie

10. Les Sal ons av aie nt e te mst it ues pour

r endre compte des p rogres de l 'a rt . Sous l a

m o na rc h ic d e luillet, Ie s u c c es p o pu l ai r e a ll a

grandissant, ct avec lui lepoids econornique

du public: "Montalembert constate en

1838 que lice n 'est qu'en France O U I'artiste

puisse s'adresser a un public aussi vas te e taussi complet . [ . . . J Une masse de 200000 a300000 spectateurs, dcpuis Iechef de l 'Etat

jusqu'au dernier soldat de la garnison vien-

nen t se con fond re e t def il er succe ss ive-

men t. " En 1846, on compte 40000 vis it eurs

en moyenne par semaine ct 80000 le

d imanche, cequi f ai tun pub li c de 1 200000

personnes au total . » ( I es A I lt J €e s r o m a J J f i r j t J f S ,

o p . c i t. , p . [ [6 .) Le rappor t officiel du Salon

de 1838 constate de lui-merne que" l 'expo-

s it ion ins ti tu ee pou r a tt es te r l es p rogres de

l ' ar t s ' e lo igne de son but» et degenere en

ba zar au prof it des march ands. Le s ucce s

gra n d is sa n t, c o rn b i n e a I'envahissement pro-

gressif des cirnaises par lapeinture de genre,

envahissement inversement proportionnel aladesert ion de lapeinture d 'histoire, arnene

bon nombre decrit iques a d e pl or e r l a "deca-

dence" de la production picturale francaise,

decadence dont Iebourgeois est rendu cou-

pable ( c f . i b i d ., p. t [9).

11. Baudelaire formule 11 maintes reprises

son degout de lanotion deprogres etnotam-

ment dansson compte rendu de l 'Exposit ion

uni vers ell e de 1855 : "Ce fanal obs cur,

invention du philosophisme actuel, brevete

sans garantie de la Nature DU de la Divinite,

cette lanterne moderne jette des tenebres sur

tous les objets de laconnaissance , la l iberte

s'evanouit, Iechiitiment disparait. [... ] Cette

ide e grot esqu e, qui a fl eur i sur l e ter rai n

pourri dela iatuite moderne, adecharge cha-

cun de son de voir , deli vre tou te ar ne de s a

responsabihte , degage lavolonte de tous les

Iiens que lui imposait l 'amour du beau: et les

races arnoindries, sicerte navrante folie dure

longtemps, s 'cndormiront sur I 'oreil ler de la

fatalit€ dans le sommcl] radoteur de ladecre-

pitude. Cette infatuation est Ie diagnostic

d 'une decadence deja t rap v is ib le» (OC II ,

p.580). Surla notion deprogres, onse repor-

tera, entre autres, aux r ef er ences suivantes :

OC I, p. 182, 663, 697, 705, 707,. OC T J,

p.299.

12. Lhistorien Adolphe Thiers, que Baude-

laire cite largement dans les S a l o " dE 1846 et

S<lIOHdr 1859, est l'un des premiers it Iouer le

gen ie de Delac ro ix dans sa r evue du Salon

de (822 parue dans Ie Cml>titutiofl l le l. Mais il

est auss i cehr i qui ec ri t en 1824: «Ce qui

caracterise notre epoquc, c 'est l 'amour de la

reali teo» On note alors ungout general pour

Ia "veri te » ( te rme qui r ev ien t sans cesse

dans les cornptcs rendus des Salons) , faisant

reference a une facture servant ladescription

exactc des accessoires et des faits historiques

( c f . u s A I i H e e s r o m 4 ut ir jl le s , o p . c i t. , p. 79). Cette

nouvelle voi eprise par lapeinture tend it dis-

c redi te r l 'e co le de Dav id devenue "acade-rnique" . Delac ro ix , qui , pou r son p remier

envoi au Salon en 1822, p re sente La B a r q u c

de Dalrlr , voi t so n s tyl e quallfie de "ta r-

tourllade » par Dele cluz e. Ba udel air e n e

manque pas de noter l'importance de cette

recherche du vrai en peinture, au detriment

du beau et de l'imagination [« Songez que

c ett e co rnedi e s e j oue con tr e Del acroi x

depuis 1822", S a l a H de 1859, OC If, p. 633).

[3 . Cit at ion t ir ee de M o re ll a, c f. Edgar Allan

POE , H i s t o i r e s eXlraordilraim, trad. de l'anglais

par Ch. Baudelaire [1856], Paris, Gallimard,

1973,p.312.

14. Pou r en juge r, on se r appor te ra aux d if -

f cr en ts commcntai re s sur l 'c euvre de Pau l

Dela roche , «le r oi de la I oule ». « La cri-

tique, admirative ou exasperee, soulignait, achaque Salon , l a capac it e de Delaroche a

emouvoi r: "Ce q ue veut l e publ ic, ce qu' il

demande aux arts, c 'est dese rcconnaitre lui-

rneme, ou d'etre vivement et profondement

emu: c 'cst la le secret de M. Delaroche."»

Delaroche avait suetre "vra l" en faisant appcl

29

 

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Etudes photographiques, 6

ausentiment, ensuseitant l 'emotion duspec-

t at eu r, en dec rivant avec soin t au s l es e le -

ments signiftcati ls d 'unc cpoque (architec-

ture, mobil ier, costumes), ce=que souligne

Gall tier a propos de L f u s 4 s s i l , , / t JI / ,fIlC de G u i s e

all d J t l t c t l l / de B l O is , ( {veritable epreuve photo-

g raph ique d 'une epoquc » ( cf . L es AIII l t 'es

r o m a H t i q u c s , o p . c i t . , p. 84).

15. Allusion it laprofession de foide la revue

R e a b l / c , editce entre novembre 1856et mars

1857 par Duran ty , Assezat et Thulte.

Duranty et ses collaborateurs representent

Ie r ea li sme le p lu s dur , c elui qui mep ri sc l a

poes ie et l es p oetes dans l eur ens emble: il

nefautplus" chanterni rncttrc enmusique »,

mais peindre, «c'est-a-drre reproduirc lereel

et l e r eel cont ern porai n, par cc que c' est Ie

seul que l 'on puisse reconnaitre avec exacti-

tude» ( R { o l i s l I l e , 15dccembre 1856).

16. On ret rouve une rnc taphore du rne rne

type dan s un art ic le pam dans Lr F i g a r o au

debut de l 'annee 1859: « Laissons-les donc

[res photographes] crier a rue-tete. sauf a ne

pas f ai re chams avec eu x i Ie mid i s e u l es t Din/

et T a l / m o d a r es l 50/1 p r o p / J e t e I (Charles BALl-

QLlIER,"Paris dans la me: La photographie",

Lc F i g a r o , n° 409, 16janvier 1859).

17. La r e v u e L ' A l t d e pub lie, deuxjours apres

l 'ouverture du Salon, un art ic le intitule "De

laphotographic aupoint de vue de l 'art", qui

de bu te ainsi : « Lart 'estl'exprcssion du beau i

Ie beau se trouve-t- il dans la nature? Assu-

rernent i car ce qu e nous a ppelo ns Ie beau

ideal n 'existe pas seulement dans l 'imagina-

t ion, i l exi st e dans l a r ea li te de la forme. La

pho tographie e st l 'exp re ss ion de la r eal lt e ,

s i cdt e r ea li te e st bel le , e ll e peu t donc e tr e

aussi l 'expression dubeau. Comment se fait-

i lque beaucoup d'art is tes n 'a ient pas encore

songe a profi ter de toutes les ressourccs que

leur ofFre la photographic> [. .. 1 La photo-

g raph ie n 'e st -e ll e pas l 'exp re ss ion [a p lu s

fidele que nOllspuissions avoir de la nature?

pow·quoi ne pas laconsulter? [ . . . J La pein-

30

Le public moderne et l a photographie

ture n'est pas seulement une chose qui existe

dans I 'imagination, comme 1 3 poestc et la

mus iquc , . [ . . . J Voyez l es pet it s chef s-

d'oeuvre de Messonie r , je dis petits comme

grandeur ivoyez les admirab le s des sins de

B id a , ce qui fai t leur principal meri te , c'est

qu'ils sont dans larealire, c 'est-a-dtre dans Ievrai iilsvivcnttant la forme est e t u d i e e , com-

prise et rendue. De nos jours la convention

n' est pl us poss ibl e, l a phot ogra phte lui a

plante le dernier coup, nous avons en elle un

guide certain, nous y trouvons un cnseigne-

ment infarlhhl« i quclque f ort que nous

soyons, fus sion s-nous Raphael , I ng re s ou

Delacroix, c 'est notre grand maitre a taus.

Inclinons-nous done et consultons ccgrand

a rt ist e qu' on appel le l e sole rl » (Emile

DEFOt--.1[)S,De la p hotogr aphi c au point de

vue de l'art", CA , . l i s l e , 17avril 1859, p. 246).

18. Lopinion deBaudelaire quanta cegenre

de reconst it ut ions semble par tagce par l a

rnajori te des cri tiques francais de l 'epoque :

« On voi t a l 'exposit ion [de la Societe fran-

<;:aisede photographic] differents specimens

d 'un genre propre 1 1 l' An gl e te r re , o ir i l e st

ext remernen t en laveu r . c e son t de pet it es

compositions, des scenes de sentiment dans

I e goi lt d e l a peintur e ang la is e. Le Sec re t,

I'Effroi, laMourantc, toutes ces scenes d 'cx-

p re ss ion peuvent p la ir e aux ama teur s b ri -

tanniques, rnais elles ne sont gucre it notre

adresse, et lcs photographistes franc;ars ant

tou jour s echoue en abo rdan t ce gen re , qui

sor t t rop man if es tcment du d om ai ne n at u-

r eI e t des r es source s p ra tiques de leu r a rt .

Fairc poser sept 11huit personues dont les

physionomies expriment chacune un senti-

ment, c 'est unc entreprise pueri Ieet d 'un sue-

ces impossible" (Louis F!CtHER,L a PIJofo.qra-

/ ) / ' i e 1111a l O i I d e j859, Paris , Hachettc, 1860,

p . 30) . Sur l es t ab leaux v ivan ts pho togra-

phiques , voi r notamment : Quent in RA)AC,

T a b l w l l x p i v a l/ t s . Fa l l ia i s ics p l Jo tograp lJ i q l lEs pic/o-

r i e l / l i e s (j840-1~80), cat. exp., Paris, Reunion

des musecs nationaux, 1999.

19. Laversion de cette phrase dans la R e v i l e

J I " I I / l r a i s c semble p lu s log ique que cel ie des

C l l d o s lt i s e s t /J i ti q u e s , qui indique . «Ie degout

de l 'histoire et de 1apcinture ».

20. Baudel air e r euni t i ei da ns une mer n e

phrase I'allusion aux deux industries photo-

g raph iques l es p lu s I lo ri ss an te s de l a p re -

miere moitie du XIX'siecle . la stereophoto-

g raph ie e t l e por tr ai t c ar te -de-vi si te . I I e st

notable que lastereoscopic soit ici associee

au commerce de photographies obscenes,

ide e que I' on t rouve devel op pe e chez de

nombreux comment ate urs de l 'epoque .

«Quant aux s te reoscopes, j e c ro is qu'il est

evident pour tout lc monde aujourd 'hui que

se sont simplement des pretextes a exhibi-

t ions de s e in s I l eu t s de blanchisseuses et de

femmes qui attachent leurs j ar re ti er cs a us si

haul que possible» (Ch. BAUQUIER,ococit.).

21. Jacques Crepet, d ans son ed it ion des

Clir iosi fc5Cslhctiq l les de 1923, indique I'origine

de ces deux citat ions; Ia premiere est t iree

de L a TOllr d e Nde (I, 5) d'Alexandre DUMAS,

laseconde du chapitre consacre i1J.Cazotte

dans Ies I l i l l l l / i"is de Gerard de NERVAL.

22. La figure du photographe-peintre man-

que e st Ie poncif de la cri tique anti-photo-

graphique de laperiode. "Que deviennent,

quand leu rs r eves de g lo ir e ont avo rt e, l es

innombrables jeunes peintres mal peigncs

qui obstruent les galeries du Louvre i cette

question personne n'a repondu, Cestmoi qui

vous ledirai, ~ lIssont photograplres » (Ch.

RAUQU!FR,loc. c i t . ) . Voi r cga le rnen t Anne

McCAULEY, b ld l/ st ri al lv la d ll rs s. C o m m er ci al

p I J o t o l j r a p / , y ill P a r i s , 1848-1871, New Haven,

Yale University Press, 1994, p. 17.

23. Baudelaire vise ici le saint-sirncnisrnc.

qui t rouve en la pho tographic un exemp le

ideal pou r sa p romo tion de l 'i dee dun p ro -

gres auservice du grand ceuvre moralisa telll".

2 4. C f. ci-dessus, p. 5-7, voir egalement

Jerome TH[LOT, E m / de l ll ir e . V i o le n c e rI p a r s i c ,

Paris, Gallimard, 1993, p. 251-257.

25. Cet te l is te des "ve ri t ab le s devoi rs " de l a

phorographie reprend 9 " 0 55 0 l II o d o celie dres-

see par Francois Arago lors de sa presenta-

tion du daguerreotype a l a Chambr e d es

deputes en 1839, souvent reprise depuis.

26. Un des evenements de I 'exposit ion de

la Soc ie te f rancai se de pho tographic e st l a

p re sentat ion par M. de Sevas ti anof f d 'une

"Repr oduct ion ar cheol ogique des pl us

anciens manuscr i ts de la b tb li ot he qu e d u

Mont-Athos", ainsi qu'une reproduction de

la "Ceographie de Ptolernee. Manuscrit du

x I I" s ie c le . C o pi e complet e de 112 pages"

( C a t a l o l j l l e d e l a t l "O i 5 i r l ll e e x p o s i t i o ll dc In S o c i e t E

f ra /I ~a is e d e p iJ o io g m pl Ji e . .. , Paris , SFP, 1859,

n05 1198, 1199, 1199 bis}, Voir egalernent

L. HCLlIER, p . cil., p. 53-55.

27. Pa rm i quel ques note s r eunie s sous I e

titre P l l i s q l l e rcaljslllfi/ Y ilet q ue I' on dat e de

1855, Baudelaire ecrit , «{Charnpfleury]

r evai t un mot , un drapea u, u ne bl ague, un

mot d'ordre, ou de pas se , pou r cnloncer le

mot de r al li er ne nr : R O I I I I H l l i s l l l c . II croyait qu'i]

f aut touj our s un de ces mot s a I'inAuence

mag ique , e tdont l e sen s peu t n 'e tr e pas b ien

determine. [ . . . J Le canard l ance , i l Fal lu y

croire. Promener une exhibit ion peu solide

qu' il f al la it t ou jour s e taye r par de mauva is

etancons philosophiques. La e st I e Chau-

men t. ChampAeury por te avec lui son rea -

l is m e. P ro m et hc e a son vautour. [ ... J

D'atl leu r s , en somme, Champf leu ry etait

excusable iexaspcre par lasott ise, Ieponci f,

ct l c b on s ens, il ch crcha it un si gne de r al-

Bement pour lcs amateurs de laverite. Mais

tou t cel a a mal tou rne. D'a il leur s tou t c rea-

teur de parti setrouve par necessite naturelle

e ll r nauvai se compagn ie . [ . .. J Pour IIOIIS

blague. ~ Charnpfleury, hierophante. Mais

[a loulc » (OC II , p. 57-59). Le point d 'inter-

rogation reste en suspenso Baudelaire resume

I'histoire du realisme a un canular l ance par

un"farceur', Champfleury, et auquella mu[~

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Etudes photographiques, 6

t it ude acnL S ib ien qu' i I a bien Fallul'entrc-

tenir, notamment en I ai s an t I a promotion de

Courhet.

28. Dresse des l'introduction d~Salof1dE 1859

(ef . OC II , p. 610-6(2) lc constat du

« desastre » semble en accord avec la majo-

rile des cri tiques de l 'epoque . « A lire l 'abon-dante litterature que suscita IeSalon de 1859,

on es t fra ppe d e l a s ingulie re harmonie des

constats ,en deptt dela dtvcrsne de leurs opi-

nions, tous l es c ri ti ques s 'a ccordent sur

quelques points: le Salon de 1859 marque la

f n dune epoque sans pou r autan t anna nce r

un cycle nnuveau , jamais le savoir-faire n 'a

ete aussi repandu etj amais n 'on t aussi mani-

festement manque le s gran des ambitions i

partout se lit laconfusion des genres qui rend

imperceptibles les [rontieres autrefois S I

nettes et, a l a I aveu r de ce desordre, l 'a n-

cienne hie ra rchic est c h ar nb ou l ee . on assiste

au t r io rnphe du paysage e t de l a peintur e de

genre, au declin. voire a la fin, de lapeintured'histoire » (Henri LoYRETTE,l .e Salon de

1859", fmpressiollttislllE.esorigilles!59-1869,

cat e xp . , Paris , Reunion des mus e e s natio-

naux,1994, p. 7.Je rernercie Sylvie Aubenas

de m'avoir signale ce texte),

29. Cette conclusion en forme d'hyporhese

propose de designer la phot ographie

cornrne modele nefas te pou r un pub li c qui

s'habitue a confondre larepresentation pure

et simple de larealite avec l 'arc. Cette hypo-

these n 'est pas nouvelle. On Iatrouve notam-

merit d evel op pe e dans la R ev il e d es d eu x-

lIIonJes , qui rnc ne u n combat sans r el ache

contre les tendances reallstes en peinture et

en l it terat ure . Ie 1 5 j uin 18 57, Gu sta ve

PLANCHE , qui t enai t l e mag ts tc re de l a c ri -

t ique d 'art dans la revue, et dont Baudelaire

l aue la cl air voya nce de s 1845, publ ie "Le

paysage e t l es paysagi st cs ", dans l eque l i l

denoncc les « doc tr ines qui dominen t

auiourd'hui lepaysagc », « IInefaut [... [voir

dans l a pho tographie qu'un documen t aconsu lt er , un documen t t re s f idel e dans l e

32

sen s absolu du mot , pui squ' il n e r cvcl c r ien

d 'i ll iagina ir e, mai s qui nous abuse en nous

off rant l es chose s s ous un a spec t que no s

regards ne p e u v en t c o n rr o le r . Malheureuse-

ment 13photographic est acceptee aujour-

d' hui c ornme un e aut ori re san s ap pe], Les

ceuvres du pinceau, on peut ledire sans exa-

geration, sont estunees en raison direcrc de

l eu r con fo rnute avec l aphotog raph ic , e t j e

n'hesite pas a dire que la decouverte de

Daguerrc, si estimable d'ailleurs aupoint de

vue s c ie n ti f iq u c , a p u i ss ar nm c nt c o n tr i bu c alacorruption dugout dupublic, [... J Or c'est

1 1 1 p reci sement ce que le s gens du monde

paraissent ignorer; i ls consultent 13photo-

g raph ic comme un o racl e, e t rou te s l es loi s

qu' il s ne re trouvent pas sur l a to il e ce que la

photographic leur a montre, i ls se declarent

me cont ent s. Les pci ntr es qui nc s ont pas

assez opulents ou assez resolus pour resister

augout COTTomudesgens dumonde sepro-

posen t l 'i rn it at ion commc but sup reme , e taccreditent l' erreur que leur bon sens

conda rnne , Ces t a in si que le paysage s 'e st

detournc de savoie legit ime» (eft. ill Andre

ROUlUE, L a P h o lo g r ap h ic eJI F r a n c e . Trxles rl

c O l l l r w e r s e s : l i n e a n t h o l o g i e , 1816-1871, Paris,

Macula, 1989, p. 269)_

Le public moderne et la photographie

F ig . 8 _

F r an c oi s B ia rd , " Q ua tr e h e u r es

au Salon", h u il e s u r toile, 1847

( copy r ig h t RMN-A rn au d e t) ,

33