Bataille de la Somme Extrait Hors Série Courrier-picard

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La bataille de la Somme Petites histoires de la Grande Guerre TOME 5 14 - 1 8 NOTRE RÉGION DANS LA GRANDE GUERRE HORS SÉRIE - JUIN 2016 - 5,90

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La bataille de la SommePetites histoires de la Grande Guerre

TOME 5

14 -18NOTRE RÉGIONDANS LA GRANDE GUERRE

HORS SÉRIE - JUIN 2016 - 5,90€

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Éditions Courrier picard29, rue de la République,

CS 41 021 - 80010 Amiens Cedex 1Tél. 03 22 82 60 00Fax. 03 22 82 60 11

www.courrier-picard.fr

Hors-série juin 2016édité par le Courrier picard

Directeur de la publication :Jean-Dominique Lavazais

Rédacteur en chef du hors-série :Daniel Muraz

Auteurs des textes : Yves-Marie Lucot, Jean-Marie Deroy,Henry Lagasse et Philippe Lacoche.

Cartes : Robert Cotrelet Jean-Bernard Roussel

Mise en page :Gérard Garcia - Studio PMP

Illustration de couverture :cliché provenant de la Collection

Historial de la Grande Guerre,Musiciens posant avec leurs instruments.

Les documents photographiques proviennent de l’Historial

et des Archives du Courrier picard.Tous droits réservés.

Aucune partie de ce livre ne pourra être reproduite ni diffusée sous aucune forme ni

par aucun moyen électronique, mécanique ou d’autre nature, sans l’autorisation écrite des

propriétaires des droits de l’éditeur.

Ouvrage paru lors de la première édition (2006) avec le soutien du Conseil général de la Somme

et de l’Historial de la Grande Guerre.

Impression : Léonce Deprez

© 2016 - Courrier picard

Principale offensive britannique sur le front ouest en 1916, premier engagement de la « nouvelle armée » de volontaires de Kitchener, la bataille de la Somme s’inscrit en lettres de sang dans l’histoire

du Royaume-Uni et des autres pays du Commonwealth, symbolisée par le désastre de la journée du 1er juillet ; premier jour de l’attaque, soldé par la perte de 58 000 soldats (dont 20 000 tués). Côté français, en revanche, la Somme est « l’hécatombe oubliée » de l’histoire, comme le titrent Marjolaine Boutet et Philippe Nivet dans leur récent ouvrage (*) sur le sujet.

Pour les Français, 14-18 c’est avant tout Verdun et sa « noria » de poilus qui fi t que presque toute l’armée française a eu à combattre sur le front de la Meuse. À l’inverse, l’offensive en Picardie envisagée au départ comme franco-britannique fut une bataille qui engagea principalement des troupes britanniques, en raison justement de l’attaque imprévue à Verdun qui fi xait l’armée française à l’Est… Et ce même si 14 divisions françaises combattirent aux côtés des 26 britanniques sur le front de la Somme à l’été 1916 et que les Français eurent à déplorer 201 000 des 1,2 million de « pertes » en hommes de ces cinq mois de bataille.

Pensés comme deux faits distincts, Verdun et la Somme sont ainsi bien liés : le premier théâtre d’opérations est venu bouleverser la stratégie et le dispositif initial sur la Somme tandis que la seconde offensive a permis d’alléger la pression allemande sur Verdun.Autre rapprochement, l’une comme l’autre de ces « grandes actions »de 1916… furent des échecs sanglants pour les assaillants, alliés ici, Allemands là-bas. La Somme pouvant même se targuer d’avoir été la plus meurtrière des deux offensives. Méconnue dans la mémoire collective, la bataille de la Somme ne peut bien sûr être oubliée en Picardie. Pour les habitants de la région, au-delà de cette macabre hécatombe, elle demeure toujours présente dans ses monuments, ses mémoriaux, dans la terre même d’où ressurgissent encore régulièrement des objets, parfois des corps, résidus de ce que cette guerre industrielle a déversé sur ce territoire martyr et meurtri.

Il y a dix ans, le Courrier picard avait entrepris de proposer à ses lecteurs une série de chroniques sur la « petite histoire » de cette bataille de la Somme. Des récits anecdotiques sur de « petits faits vrais » qui restituaient des visages, des destins, des aspects concrets et bien humains à cette guerre massive et inhumaine. Écrites avec sensibilité et style, celles-ci avaient été très appréciées. Au point que ces articles avaient été réunis dans un ouvrage, aujourd’hui épuisé.

En cette aube du centenaire de la bataille de la Somme, qui mettra le département véritablement au centre du monde, il nous a semblé opportun de rééditer ces textes, toujours aussi forts et émouvants, et de les intégrer dans cette série sur « Notre région dans la Grande Guerre »où ils ont pleinement leur place.

(*) « La Bataille de la Somme, l’hécatombe oubliée », Marjolaine Boutet, Philippe Nivet, ed. Tallandier, 272 pages, 20,90 euros.

Daniel MURAZAdjoint au rédacteur en chef

Courrier picard

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Une somme de petites histoires sur une grande bataille

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Les empires britannique, français et allemand en 1914

Chronologie des événementsen Picardie entre 1914 et 1918

Le théâtre des chroniques

Cinq continents vinrent y mourirRécit Yves-Marie LUCOTCollection Historial de la Grande Guerre

Un écrivain blessé surgit à PéronneRécit Yves-Marie LUCOTArchives Courrier picard

Les amertumes du matricule 7 253Récit Yves-Marie LUCOT et Henri LAGASSEArchives Courrier picard

Quand les cigognes tuaient les aiglesRécit Yves-Marie LUCOTCollection Historial de la Grande Guerre

Héroïques bêtes de SommeRécit Philippe LACOCHEArchives Courrier picard

Deux lions au chevet des cooliesRécit Yves-Marie LUCOTCollection Historial de la Grande Guerre

Au temps des moissons à DouillyRécit Jean-Marie DEROYArchives Courrier picard

La survie d’un trappeur australienRécit Yves-Marie LUCOTCollection Historial de la Grande Guerre

La compassion du vaguemestre américainRécit Yves-Marie LUCOTCollection Historial de la Grande Guerre

Les petits pains de la Croix-RougeRécit Jean-Marie DEROYArchives Courrier picard

Les Tacots de la SommeRécit Jean-Marie DEROYCollection Historial de la Grande Guerre

Les prisonniers d’une bataille d’imagesRécit Yves-Marie LUCOTArchives Courrier picard

Un prêtre auprès des mourantsRécit Jean-Marie DEROYCollection Historial de la Grande Guerre

Tous ces morts,comme s’il en pleuvait !Récit Yves-Marie LUCOTArchives Courrier picard

Les gars, y’a du rab, ed’rata ed’jaja !Récit Yves-Marie LUCOTCollection Historial de la Grande GuerreLe miroir du 29 août 1915

Des cavaliers indiens à l’assautRécit Yves-Marie LUCOTCollection Historial de la Grande Guerre

Une mère inconsolableRécit Jean-Marie DEROYCollection Historial de la Grande GuerreCopyright Yazid Medmoun

L’impitoyable guerre des minesRécit Jean-Marie DEROYCollection Historial de la Grande Guerre

Grande et petite guerres sur écran blanc Récit Yves-Marie LUCOTCollection Historial de la Grande GuerreCopyright Yazid Medmoun

Des ballons ronds en première ligneRécit Jean-Marie DEROYCollection Historial de la Grande Guerre

L’incroyable sacrifi cedes Terre-NeuviensRécit Jean-Marie DEROYCollection Historial de la Grande Guerre

Orfèvres pendant les heures d’accalmieRécit Yves-Marie LUCOTArchives Courrier picard

Un artiste devant les ruinesRécit Jean-Marie DEROYCollection Historial de la Grande Guerre

Les Canadiens dans la tourmenteRécit Jean-Marie DEROYCollection Historial de la Grande Guerre

À l’école des petits patriotesRécit Yves-Marie LUCOTCollection Historial de la Grande Guerre

Une si insupportable attenteRécit Jean-Marie DEROYArchives Courrier picard

Les Amiénois descendent à la caveRécit Yves-Marie LUCOTCollection Historial de la Grande Guerre

L’apparition d’une nouvelle armeRécit Jean-Marie DEROYCollection Historial de la Grande Guerre

« Adi », Croix de ferde première classeRécit Yves-Marie LUCOTArchives Courrier picard

Retour au village détruitRécit Jean-Marie DEROYArchives Courrier picard

Un banco de quinze mille canonsRécit Yves-Marie LUCOTCollection Historial de la Grande Guerre

L’andante du concerto de Saint-SaënsRécit Jean-Marie DEROYCollection Historial de la Grande Guerre

Désobuser se conjugueà tous les tempsRécit Yves-Marie LUCOTArchives Courrier picard

La paix se révélant à l’humanitéRécit Jean-Marie DEROYCollection Historial de la Grande Guerre

Et maintenant, le ciel leur est ouvertRécit Yves-Marie LUCOTCollection Historial de la Grande Guerre

À l’heure de l’appel des mortsRécit Jean-Marie DEROYCollection Historial de la Grande Guerre

Les développementsde l’Entente cordialeRécit Jean-Marie DEROYCollection Historial de la Grande Guerre

Coquelicots mesdames ! Gentils coquelicots messieursRécit Yves-Marie LUCOTCollection Historial de la Grande GuerreCopyright Yazid Medmoun

Le circuit du souvenir

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Chronologie des événementsen Picardie entre 1014 et 1918

Chronologie des événementsen Picardie entre 1914 et 1918

191428-30 août : combats dansla Somme pendant la retraite française.

22-27 septembre : combatsde la course à la mer se déroulantau Nord de l’Avre jusqu’au Nord d’Albert.

1915Blaise Cendrars combatdans la Somme.

6-8 décembre : à Chantilly, conférencedes états-majors interalliés réunie à l’initiativedu général Joffre.

191619 mai : en raison de l’attaque allemandeà Verdun, Joffre réduit la participation françaisedans la bataille de la Somme qui se prépare.

24 juin : début de la préparation d’artillerie.

29 juin : à cause de la pluie et d’une préparation insuffi sante, l’attaque est reportée.

1er juillet : début de l’offensive. Échec total au nord, plus de succès au sud ; les Britanniques prennent Mametz et Montauban. Les Français progressent.

14 juillet : deuxième attaque d’envergure.Les Britanniques la mènent sur un front plusrestreint sur la deuxième ligne allemande.Les Sud-Africains attaquent au bois Delville.Bataille d’usure.

3 septembre : attaque générale alliée depuis la rivière Ancre jusqu’à Chilly. Les Britanniquess’emparent de Guillemont, les Français deSoyécourt.

5 septembre : les Canadiens relèventles Australiens devant la ferme du Mouquet.

9 septembre : Ginchy est pris défi nitivementpar la 16e division irlandaise.

15 septembre : troisième grande poussée avecla première apparition des chars dans la batailleentre Courcelette et Flers.

26 septembre : début d’une offensive généralefranco-britannique, de Martinpuich à la Somme. Thiepval et Combles sont aux mains des Alliés.

07 octobre : offensive alliée de Courceletteà Bouchavesnes. Les Britanniques se rendentmaîtres du Sars. La pluie ralentit la progression des troupes. Guerre d’usure.

18 novembre : fi n de l’offensive de la Somme.e la Somme.

191716 mars : retrait volontaire des Allemands sur la ligne Hindenburg après avoirsystématiquement détruitles régions abandonnées.

16 avril : les Français lancentune grande offensive sur le chemindes Dames, près de Soissons.

Fin 1917 : des mutineries éclatent.

191821 mars : offensive allemande entre Arras et La Fère.

26 mars : Foch est nommé coordinateurdes armées alliées à Doullens.

4 avril : l’avance allemande est stoppée au nordsur l’Ancre, à Villers-Bretonneux et au sud aprèsla prise de Montdidier et de Grivesnes.

19 juillet : attaque préparatoire des Australiensau Hamel.

8 août : la « journée noire de l’armée allemande » marque le début de la contre-offensive alliée.

8 et 9 août : un monument dédié aux hommeset aux chevaux, à Chipilly, commémore la batailled’Amiens livrée par la 58e Division britannique.

2 septembre : Péronne est entièrement reprise par les Alliés.

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Yves-Marie LUCOT

Cinq continentsvinrent y mourir

Bataille de la Somme en 1916, dites-vous ! Pour les Français et les Britanniques, il s’agissait de

percer le front une bonne fois pour toutes et d’arrêter la guerre enlisée. Au prix inimaginable alors d’un million de tués, de disparus et de blessés, la bataille opposa trois chefs de guerre : le Français Joffre, le Britannique Haig et l’Allemand von Falkenhayn.Pouvait-on espérer plus grande dou-ceur de l’air en ce début de décembre 1915 à Chantilly ? La guerre qui avait ravagé le Noyonnais n’avait jamais at-teint la petite ville du Prince de Condé et duc d’Aumale. Dans ses allées cava-lières, sous des ramées d’arbres cente-naires aux premières heures ensoleil-lées, des offi ciers d’état-major saluaient en les croisant des promeneuses en manteaux brodés. Elles cachaient leurs doigts dans de profonds manchons parfumés de lavande et souriaient aux offi ciers derrière de mystérieuses voi-lettes.C’était à Chantilly une atmosphère de villégiature à l’orée d’une forêt. Le général Joseph Joffre (1852-1931) y avait installé son grand quartier gé-néral (GQG). Les 6, 7 et 8 décembre 1915, frais et dispos, il y tint un conseil de guerre en compagnie du général Douglas Haig (1861-1928), récemment promu commandant en chef des forces britanniques en France - lesquelles avaient relevé les troupes françaises dans la Somme de Hébuterne à Curlu. À l’ordre du jour, la stratégie de l’année 1916 : « Continuer à maintenir la pres-sion par des actions locales et se don-ner les moyens de rompre les défenses allemandes. »La guerre s’enlisait contre un ennemi enterré, fortifi é, très résistant. À Chantil-ly dans les cabinets militaires résonnait le mécontentement des gouvernants à Paris. L’année 1915 avait été celle des

grandes offensives qui devaient percer le front (Artois en mai, Champagne en septembre et octobre). Toutes avaient échoué. Sait-on encore que, en pertes humaines en France, 1915 fut de loin l’année la plus sanglante de la Grande Guerre (devant 1914, 1916, 1918 et 1917). Trop de morts pour rien, pen-sait-on de plus en plus fort dans les mairies des campagnes françaises qui gavaient d’hommes valides la grande gueule des combats.Mais nos généraux devaient-ils renon-cer à la percée, au mythe de la percée de l’infanterie baïonnette au canon etpréférer la longue bataille martelant de leur artillerie lourde l’ennemi jusqu’à ce que, désarticulé, il cédât enfi n ?Le très persuasif généralissime Joffre convainquit les Britanniques qu’il fal-lait convenir d’une autre attaque mas-sive, sur la Somme cette fois-ci, là où les Allemands semblaient les moins aguerris à contenir une grande offen-sive combinant les mouvements de forces françaises et britanniques. L’on en vint à panacher cette conception de la récente instruction générale sur l’ar-tillerie lourde : « Sous peine d’exposer l’infanterie à des pertes excessives, une attaque ne peut réussir qu’à la condi-tion d’avoir été préparée et d’être appuyée d’une façon continue par une puissance d’artillerie. »À Chantilly, le 14 février 1916, la conférence militaire des Alliés présidée par le généralissime français entérina les suggestions du mois de décembre 1915. Grande offensive il y aurait, bel et bien, sur la Somme, « les Français à cheval sur la rivière de Lassigny à Maricourt et les Anglais au nord entre Maricourt et Gommecourt, une attaque à commandement séparé sur un front de soixante-dix kilomètres ». Forces à engager : soixante divisions dont trente-cinq françaises du groupe

d’armées du général Ferdinand Foch (1851-1929), chargé de préparer l’attaque ainsi défi nie par Joffre dans ses Mémoires : « porter une masse de manœuvre sur le faisceau des lignes de communication de l’ennemi qui jalonnent Cambrai, Le Cateau, Maubeuge. »Seul parmi les parlementaires français, Georges Clemenceau (1841-1929), qui présidait alors au Sénat la commission de l’armée, s’inquiéta à juste titre de la coordination effi cace des armées britannique et française durant l’offen-sive, sachant leur culture très différente du commandement militaire et la riva-lité des généraux français et anglais. Quand se produisit, dans les rangs alliés, le 21 février 1916, un fantastique coup de théâtre !Les Allemands attaquaient ! Pas dans la Somme. Non ! Mais le secteur de Verdun fortifi é par les Français. Le général en chef Erich von Falkenhayn (1861-1922), pourtant enclin à la dé-fensive plutôt qu’à l’offensive, y faisait déverser ce jour-là un déluge d’obus sur quinze kilomètres de feu roulant, prélude à la montée de l’infanterie allemande. Voilà qui contrariait la stra-tégie franco-britannique. Pouvait-on attaquer dans la Somme et défendre à Verdun ? L’on allait tout perdre face au stratège von Falkenhayn.Contre l’acharnement des Allemands à Verdun, Joffre dut réduire effectifs, matériels et front d’attaque dans la Somme : 26 divisions françaises et 540 pièces d’artillerie lourde (contre 946 prévues) déployées sur quinze kilo-mètres de Maricourt jusqu’au sud de Foucaucourt. Du coup, il ne s’agissait plus d’une offensive franco-britan-nique, mais anglo-française, Ferdinand Foch rétrogradant en second de Dou-glas Haig. Appuyées par les Français à l’est, les divisions anglaises assumeront

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le principal : la percée vers le nord, à travers les positions de la VIe armée allemande.Mais jamais à l’ouest dans la Somme, l’on ne connut plus gigantesque noria de préparatifs : constructions de routes, de voies ferrées, de ponts, d’abris ; re-groupements de munitions, de vivres, de chevaux, de cantines, de camions de canons ; rassemblements de troupes des cinquante nationalités de l’Empire.

Neuf mois plus tard, le front allemand n’était pas rompu dans la Somme. Les Alliés n’avaient gagné que peu de ter-rain. Les Allemands avaient résisté au-delà de la raison : ce fut leur victoire muette d’horreur. Des centaines de milliers de soldats s’étaient précipités dans un gigantesque entonnoir rem-pli de boue comme les étoiles du ciel dans un infernal trou noir.

Collection Historial de la Grande Guerre

Chantilly, le 8 décembre 1915. Le général Joffre reçoit les états-majors alliés dans la villa Poiret afi n de mettre au point l’offensive dans la Somme.

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Yves-Marie LUCOT et Heni LAGASSE

Àmon papa chéri, j’envoie toutes mes caresses et tous mes gros baisers. » Cette tendresse fi liale

d’une écriture hésitante à la plume sergent major est signée de Gene-viève, 6 ans, qui va à l’école à Saint-Lô dans La Manche. La petite carte pos-tale est datée du mois de mai 1915. Son destinataire, Alexandre de Gieysz, « prisonnier de guerre du camp de Friedrichsfeld, bei Wesel, baraque 14 A, Allemagne » ne se lasse pas de la relire avec les lettres et les mots doux de son épouse Amélie et de Made-leine, la soeur aînée de la mignonne « Vévette ».Sous le printemps qui mûrit derrière les barbelés électrifi és, un jour mou repousse inlassablement l’échéance du lendemain dans les trente bara-quements du camp. Les mandats (quelques francs), les colis de vivres et de vêtements envoyés par les familles via la Croix-Rouge et les cartes pos-tales que les KG (Krieg Gefangener) punaisent aux montants de leur châlit distillent l’illusion de vivre un peu chez soi, en France, auprès des siens.« Les Allemands envoient quelques prisonniers travailler dans les fermes de la région. Je ne suis pas paysan, mais peintre décorateur et je reste au camp. Le temps est de plus en plus long » écrit une fois encore Alexandre de Gieysz, 40 ans, mobilisé en août 1914 dans le 10e Régiment du génie et dont l’Historial de la Grande Guerre de Péronne conserve la correspondance. Alexandre a été fait prisonnier dès les premiers combats aux frontières du Nord, pendant la reddition de la place forte de Maubeuge. Les Allemands y ont capturé quelque 40 000 soldats français, hagards, en képi rouge et pantalon de garance, abasourdis par la rapidité de mouvement de l’en-nemi. Voyage dans la puanteur d’un

wagon à bestiaux ; débarquement à Friedrichsfeld dans la Ruhr sous une pluie battante avec, dans la gorge, la nausée de la honte et du désarroi ; installation dans une baraque de bois aux planches disjointes et que le vent rabote ; un poêle unique et cinquante hommes autour ; des lits superposés dans la promiscuité ; une soupe claire de choux et de pommes de terre et déjà l’infection du typhus.« La faim nous tenaille, note le KG immatriculé 7 253. L’inaction nous tor-ture. L’ennui est bien présent et fait des ravages chez mes camarades. Certains pensent à se suicider. » Alexandre que soutient à la pointe du crayon la ten-dresse d’Amélie et de ses fi lles, a dé-tourné de lui « la maladie des barbelés »en sculptant des menus objets : des plumiers de bois, des porte-plumes ou de petits sabots. Des objets sacralisés quand ils parviennent à Saint-Lô dans son foyer. Du commandement du sta-lag, il a réussi à obtenir des pinceaux et des couleurs afi n de décorer sa ba-raque. « Nos gardiens se sont empres-sés de montrer cette réalisation à une délégation de la Croix Rouge helvé-tique » racontera-til plus tard.Sur les cartes vierges de correspon-dance que les Allemands distribuent aux prisonniers, il est interdit d’écrire à l’encre et de transcrire quelque in-formation que ce soit sur ce camp de vingt milles hommes du rang, sous-of-fi ciers et offi ciers alliés dont le nombre ne cesse d’augmenter à Friedrichsfeld. En 1914, leur sort semblait bel et bien réglé par la Convention de La Haye(18 octobre 1907) que quarante-quatre pays avaient ratifi ée. En respectant l’intégrité morale et physique des pri-sonniers de guerre, chaque signataire était responsable de leur internement, des rigueurs de la discipline, du travail forcé, de la régularité du courrier et

des rapatriements.En 1916, plus de 300 000 Français étaient détenus en Allemagne dont 30 000 astreints au service des usines Krupp (selon le secrétariat d’état à la Défense chargé des Anciens Combat-tants). Les réalités de la captivité furent très différentes d’un camp à l’autre. À Friedrichsfeld, il semble, à la lec-ture des témoignages d’Alexandre de Gieysz qui souffrit de malnutrition et d’ennui, que les Allemands ont respec-té à peu près la convention de La Haye, par crainte de représailles en France sur les prisonniers allemands. Mais à Effry (Aisne) près d’Hirson, l’armée du Kaiser avait établi « un camp de concentration impérial de prisonniers punis de travaux forcés », un bagne, un mouroir de 600 rebelles à l’autorité, de saboteurs, d’évadés repris et que leurs gardiens torturaient. Ils fi gurèrent sur la liste des criminels de guerre réclamés par les Alliés après la signature du Trai-té de Versailles en 1919.Lorsqu’éclate la Bataille de la Somme le 1er juillet 1916, Alexandre de Gieysz ne sait rien, ou pas grand-chose, du sort de la guerre. Sinon qu’elle s’éter-nise, que les uniformes ont changé, que le fantassin a mué en cloporte dans la boue et que ses gardiens volent les colis de pains noirs parce qu’ils souffrent à leur tour de la faim. Dans le courrier qu’il reçoit, beaucoup de minauderies d’Amélie, de Made-leine et de Vévette, mais pas un mot des offensives de 1915 ou des batailles de Verdun, du Chemin des Dames, de la Marne et de l’Ourcq.« Pendant la guerre, il fut abondam-ment question dans les journaux des prisonniers de guerre français en Alle-magne, souligne l’historien René Ri-chard dans le bulletin Bretagne 14-18 (N° 16, mars 2001). On évoquait leur sort, leurs privations, les moyens de les

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contacter ou de leur venir en aide, les transactions diplomatiques les concer-nant. On les plaignait. On rassurait les familles inquiètes de ne plus avoir de nouvelles et qui craignaient le pire. »Alexandre de Gieysz demeura pri-sonnier quarante-quatre mois dans le camp de Friedrichsfeld dont il décorait la chapelle à la veille de sa libération en janvier 1919. Mais dans sa tenue avachie de 1914 et qu’il imaginait toute glorieuse de sa captivité, quelle

ne fut pas son amertume en débar-quant à Lyon du train du retour. Pas d’hommage. Un accueil indifférent, voire glacial. « Car la suspicion régnait :avoir été fait prisonnier, c’était avoir failli et ne pas avoir participé aux ef-forts de la victoire comme le véritable Poilu de la Grande Guerre. Les droits des prisonniers ne pouvaient être les mêmes que ceux des combattants. »

Rassemblement près du front de prisonniers français en février 1916avant leur déportation en Allemagne.

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