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    CHARLES BARBARA

    LHOMME QUINOURRIT DESPAPILLONS

  • CHARLES BARBARA

    LHOMME QUINOURRIT DESPAPILLONS

    1860

    Un texte du domaine public.Une dition libre.

    ISBN978-2-8247-1191-1

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  • J note:Vers le milieu de la rue des Gravilliers, en face dun fondeuren cuivre, et dans la maison dun marchand de pinceaux, onvoit, la porte, une petite montre en forme de cadre, o sontxs quelques papillons. Elle est tiquete du nom de Pichon-nier, et la suite: fabricant de coupe-julienne, invite les ama-teurs monter chez lui, au deuxime, au fond de la cour, pourvoir plus de trois mille papillons vivants, quil nourrit depuisplusieurs annes.

    En vue de plaire la personne qui se attait sans doute daiguillonnervivement ma curiosit, jallai cette adresse. Mais la rue des Gravilliersnest pleine que de fondeurs en cuivre et de marchands de pinceaux. Lin-dication quon me donnait tait donc imparfaite. Jallai de montre enmontre, de fondeur en fondeur, et je ne trouvai trace de papillon ni dePichonnier.

    Quelques jours plus tard, lauteur de la note marma verbalementavoir vu le cadre prcit, tre mont au deuxime, chez ledit Pichonnier,et avoir vu de ses yeux voluer des centaines de beaux papillons dans des

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  • Lhomme qui nourrit des papillons

    cages en gaze.Un homme qui levait des papillons tait au moins chose nouvelle.

    Des connaissances bien profondes en histoire naturelle ne sont pas n-cessaires pour savoir que cet insecte aime lair, la chaleur, le soleil et leseurs. Il ne fait quapparatre et disparatre. On nen voit point, que noussachions, en hiver. Mme en t, quun rideau de nuages intercepte le so-leil, et il se cache. Et il vivrait dans une chambre de la rue humide desGravilliers, lombre dune cage, lgal dun linot ou dun chardonne-ret!. Se pouvait-il, dailleurs, que la passion des animaux vivants des-cendt chez lhomme jusquaux insectes les plus frles?

    Dans cette proccupation, je rencontrai, en visitant les parterres duJardin des plantes, un homme qui frappa mon attention. Ctait un grandvieillard, vtu dune longue redingote bleue. Son chapeau en soie, rouxde vieillesse, tait mouchet de papillons qui y taient xs laidedpingles noires. Les petites btes taient lagonie. Serrant comme unlivre, sous son bras, une bote oblongue, garnie, sur une face, dune grilleen l de fer trs-tnu, il cheminait le long des plates-bandes, sans remar-quer les curieux. Je le voyais de temps autre plonger le pouce et lindexdans le calice des eurs, et en retirer un objet quil emprisonnait danssa bote, par une petite porte qui y tait pratique. Il fut bientt videntpour moi, que, dans cette bote, grouillait une multitude dinsectes vi-vants, auxquels mon homme faisait la chasse. Je le suivis quelque temps,mu de lide davoir Pichonnier sous les yeux. Jallais laccoster. Les pa-pillons qui battaient des ailes son chapeau me donnrent des doutes. Uninconnu, qui mobservait observant, acheva de me faire comprendre queje me trompais.

    Cest un entomologiste, me dit-il, qui collectionne des insectes pourles vendre.

    Ce mcompte, je ne sais comment, loin dteindre mon dsir de voirPichonnier, laccrut au contraire.

    Je fouillai dun bout lautre la rue des Gravilliers. Mes recherchescette fois russirent. Pichonnier avait chang de domicile. A son anciennedemeure, le concierge me remit cette tte de facture:

    ADMIS A LEXPOSITION DE 1849.

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  • Lhomme qui nourrit des papillons

    (Rcompense obtenue.) (Mention honorable.)Rue Vieille-du-Temple.PICHONNIER,INVENTEUR ET FABRICANT BREVET,s. g. du g.

    Suivait lnumration de divers instruments pour tailler les lgumes,couper le verre, le graver, le percer, vider les pommes et presser lesconcombres. A la suite de quoi tait mentionn un nouveau procd pourembaumer les oiseaux et les poissons. Au sujet des papillons nanmoinsil gardait le silence, ce qui me donna penser que peut-tre il avait aban-donn ce passe-temps aprs des essais infructueux.

    Cependant je ne balanai pas laller voir. La pratique dindustriesqui avaient entre elles si peu de rapport devait, mon sens, occasionnerdans un cerveau une singulire confusion. Je mattendais trouver unegure au moins bizarre. Sous certains rapports, Pichonnier surpassa monattente. Il devait grossir dans mammoire la liste de ces hommes qui, dunextrieur plus quordinaire, quelquefois rebutant, sont pourtant commedes rservoirs de curiosits, et fortier cette opinion, en moi dj vieille,quil nexiste peut-tre pas dhomme qui nait son ct intressant.

    Au rez-de-chausse se voyaient des spcimens doutils dans une petitemontre, avec une tte de facture colle sur la vitrine. Jy cherchai vaine-ment quelque chose de semblable un papillon. Au nom de Pichonnier,une femme minvita monter au deuxime. La porte tait entrouverte.

    Mes regards tombrent tout de suite sur un homme de taille moyenne,de trente-cinq quarante ans, qui navait dans la physionomie rien denotable, sinon une habitude sourante et un il inquiet. Il tait seul, danslangle dune petite chambre donnant sur une cour troite, et prenait unmaigre repas sur le coin dune table. Je fus aussitt en proie une grandetristesse. Encore que je ne sse attention qu lui en pntrant dans cettepice silencieuse et morne, mon il tait tiraill en tous sens par unecollection dobjets tranges, tals sur un tabli, sur des rayons, le longdes murs et au plafond.

    Un ami de province, lui dis-je, qui soccupe dhistoire naturelle, aappris que vous leviez des papillons. Il ma charg de vous demander si

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  • Lhomme qui nourrit des papillons

    vous consentiriez lui donner quelques renseignements sur ce sujet.Jeus peur quil clatt de rire ou de colre. Mais il se leva, et, sans

    marquer de surprise:Certainement, me dit-il dun ton doux et mlancolique.Ce fut tout le prambule. Il mindiqua une cage assez grande, ac-

    croche prs de la fentre. La gaze y tait substitue au l darchal descages ordinaires. Elle tait partage en quatre compartiments peu prsgaux. Dans lun des compartiments suprieurs, de nombreuses chrysa-lides taient suspendues la gaze par un l. Dans un autre, ct, lelong des parois de la cage et sur les eurs dun rsda et dautres plantes,japerus une vingtaine de papillons vivants.

    Vous voyez l, me dit Pichonnier, des paons de jour, des belles-dames, le manteau royal, papillon du plantain. Il y a longtemps que jeles ai. Ils passeront lhiver.

    Je croyais rver. A voir ces petites btes voleter, aspirer le suc desplantes, vous les eussiez crues dans un jardin, sous les rayons du soleil.A lapproche de Pichonnier, elles battirent lenvi des ailes dont elles melaissrent admirer les fraches et vives couleurs.

    Dans le bas continua Pichonnier, ce sont des tortues. Il y en a troisespces, des grandes, des petites et des moyennes. Chaque espce a sescouleurs. Remarquez comment elles se nourrissent, avec un peu de paille.Il y en a une cinquantaine. Elles sont closes il y a aujourdhui huit jours.Je les garderai vivantes tant que je voudrai.

    Cest surprenant, s-je.Ici, ajouta Pichonnier en me montrant une case o taient ple-

    mle des feuilles de mrier, de tilleul, de chne, etc., ce sont ce que jap-pelle des goues de sang, parce quils ont des taches de sang sur les ailes;des nankins, quon trouve sur le chne; des mriers ou deux-yeux. Vousvoyez quen eet ils ont un il sur chaque aile. On prtend quils voientavec ces yeux; mais, moi, je ne le crois pas.

    Par obligeance, je ne laissais pas que dexagrer un peu mon extase.Puisque vous tes amateur, me dit Pichonnier, je puis vous montrer

    bien dautres choses.Il mentrana dans un cabinet voisin, o un rayon de soleil entrait

    obliquement, et me mit en prsence dune cage divise en deux. Dun

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  • Lhomme qui nourrit des papillons

    ct dinnombrables chenilles rongeaient des salades et en faisaient de ladentelle.

    Je les ai comptes, me dit Pichonnier: il y en a quatre cents. Cesont des chenilles de paons de jour. Mais regardez ct. (Il me dsi-gnait lautre compartiment, o se promenaient et foltraient toutes sortesde papillons.) Voici lazur, poursuivit-il, et le vert-de-gris. Vous trouve-rez ce dernier Bondy, en ce moment mme. Tenez, l, apercevez-vouslaurore? Il vient en mai, vers le 12, il disparat. Ce jaune-l, cest le ci-tron; cet autre, lcaille; puis le tigr, puis le sylvain, puis le grand et lepetit nacr. On na pas vu le petit depuis trois ans. Et le lithographe!Regardez ses ailes blanches avec des lignes noires.

    Certains de ces noms, entre autres, celui du lithographe, me sem-blaient tant soit peu aventurs.

    Cest bien possible, me rpondit-il. Je ne comprends rien leursnoms baroques. Je les baptise selon mon ide. Ce qui nempche pas queje ne connaisse mieux que bien des personnes leurs habitudes, leur nour-riture et les endroits o on les rencontre. Il ny a peut-tre que moi quisache o se trouve la chenille du vulcain. Je me ferais fort, dici un mois,de fournir un amateur deux mille papillons magniques.

    A votre place, lui dis-je, jessayerais.Il hocha douloureusement la tte.Il en serait de cela comme des autres choses, me dit-il. On ne veut

    pas que je gagne ma vie.Qui, on? lui demandai-je.Est-ce que je sais? Il retourna dans la premire pice, et me mon-

    tra un taille-racines dun systme trs-ingnieux. Cest de mon invention,me dit-il. Il ny a quemoi qui puisse faire a. Cest dune seule pice. On nepeut pas se couper les doigts. Eh bien! ils prtendent que a ne vaut rienparce que a nest pas bni. Ils voudraient me forcer daller confesse. Jene refuse pas dy aller, moi. Mais quils me laissent me marier. Jirai, jeferai comme tout le monde. Ils bniront tout la fois ma femme, moi etmon ouvrage.

    En mme temps que je regardais Pichonnier avec stupeur, une cigalese mit chanter, ce qui donna le change au bonhomme.

    Ah! oui, dit-il, ce sont des cigales.

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  • Lhomme qui nourrit des papillons

    Et il memena la premire cage, o je dcouvris, dans une des cases dedessous, cinq ou six belles cigales, qui, la vue de Pichonnier, grimprentle long de la gaze comme si elles le connaissaient.

    Il leur faudrait du soleil, ces petites btes, reprit Pichonnier. Elleschanteraient bien autrement! Jai aussi des grillons.

    Sur un amas de petites cages superposes, il en prit une de deuxpouces carrs peu prs. Au travers dun lger treillis en fer, qui y lais-sait pntrer le jour, japerus en eet un grillon en train de ronger delchaud et de la salade. Il marqua sa joie de voir son matre en chantant son tour.

    Un moment, dans cette pice, on entendit un concert de grillons et decigales, se croire au milieu des champs, le soir dune chaude journe.

    Pichonnier jouissait de mon tonnement. Quelques tincelles luirentdans ses yeux.

    Jen nourris de toutes les nations, continua-t-il en me faisant re-marquer, au bord de sa fentre, un bocal o une toute petite grenouille setenait hors de leau, sur les degrs dune chelle.

    Elle tait adorable. Blanche sous le ventre comme du lait, elle avaitle dos vert, mais de ce vert ple et tendre, si doux lil, des premirespousses.

    Cest une vraie rainette, dit Pichonnier. Elle me connat. Elle vientquand je lappelle. Petite!

    La rainette t un plongeon dans leau.Il va pleuvoir, dit Pichonnier avec conviction, sans consulter le ciel.

    La rainette est le plus sr baromtre qui existe.Je regardai le ciel. Il tait tout bleu. Je me mordis la lvre pour ne pas

    rire de la prdiction. Lheure ntait pas loin qui men ferait souvenir.Tenez, tenez! t tout coup Pichonnier avec une motion extrme.

    (Son il tait x en ce moment sur la case des chrysalides.) Voici unvulcain qui vient dclore!. Est-il beau!. A cause de vous, je ne le tueraipas.

    Il le prit dlicatement du bout des doigts, et le glissa dans le compar-timent o il y avait des eurs.

    Le papillon nouveau-n saccrocha la gaze, et ouvrit ses ailes pourla premire fois. Bien quelles fussent encore comme humides et chif-

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    fonnes, ctait vraiment quelque chose dadmirable voir. Impossibledimaginer rien daussi clatant que les bandes rouge-feu qui en traver-saient le noir velout. Je ne pouvais pas en dtacher mes yeux. Pendantce temps, Pichonnier disait:

    Cest curieux. Je voyais lautre jour, dans le bois de Vincennes, unnaturaliste qui courait aprs un paon de jour. Il se donnait un mal! Etpourquoi? Pour avoir un pauvre papillon tout abm. Moi, je ne pou-vais mempcher de rire intrieurement en songeant que javais dans machambre des centaines de ces papillons plus beaux quil ny en a jamaiseu dans aucun cabinet dhistoire naturelle.

    Je suivis la direction que mindiquait sa main, et je mavisai quil yavait au mur deux grands cadres remplis de papillons, depuis les plusgrands jusquaux plus petits, au nombre desquels il me t remarquer ledemi-deuil, largent ou grand tabac dEspagne, le meunier, petit papillonqui semble sortir de la farine, le porte-queue ou amb, le paon de nuit,la plus grande de nos phalnes, le sphinx du tilleul, loiseau-papillon, lafeuille morte, le papillon cornu, ou du diable, etc., etc.

    Lmail intact de leurs ailes avait une vivacit de coloris et une fra-cheur qui donnaient penser que tous ces papillons taient clos dhier.

    Les uns meurent aprs la ponte, ajouta Pichonnier, les autres, je puisles garder vivants, mais je ne les garde pas, parce quils se casseraient lesailes.

    Beaucoup dautres dtails me furent donns par ce brave homme dontles connaissances spciales eussent fait honneur un entomologiste deprofession.

    Mais, dis-je, vous devriez faire des dmarches. Il existe, mme pourles papillons, des collectionneurs passionns.

    Oui, me dit-il mlancoliquement, jaurais voulu leur en orir unebelle collection ces messieurs, mais je nose pas y aller. Dailleurs, mesennemis ne lauraient pas souert. Ils ont jur ma perte.

    De nouveau, je le considrai avec stupfaction.On me laisse dans la misre, continua-t-il. On veut que je meure de

    faim. Tous mes parents sont riches. Moi, je suis seul. Javais pris avec moiun enfant pour tourner ma roue, puisque jai une jambe presque para-lyse: eh bien, ils ont tant fait, quil ne revient plus. Si seulement ils ne

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  • Lhomme qui nourrit des papillons

    mempchaient pas de me marier.Est-ce que vous ne lavez jamais t? lui demandai-je.Ils sy sont toujours opposs, rpliqua-t-il. Dernirement encore,

    ctait une aaire convenue. Je reois une lettre qui mappelle dans monpays pour cela. Je cours au chemin de fer. Jarrive. Ctait pour assisteraumariage dema femme avec un autre. Hlas! t-il avec unemlancoliecroissante, il est bien inutile de lutter.

    Il ne faut pas, lui dis-je, vous abandonner ce dcouragement.Cest que vous ne savez pas tout ce quon ma fait sourir! scria-

    t-il. Tel que vous me voyez, je compte trente-deux inventions utiles. Lesvoici inscrites sur ce registre. (Il me montra un registre). Jai plusieursbrevets. Tenez, voyez ce taille-rondelles, ce coupe-cors plusieurs tran-chants, ces roulees pte, ce presse-citron. Tout cela est fait dans la per-fection. Jai encore dans ce tiroir cinq modles que je briserai un de cesquatre matins.

    Javoue que la main-duvre de ces instruments, fort ingnieusementconus, me sembla remarquable.

    Voici un couteau, reprit Pichonnier en tirant un couteau de sa poche,qui coupe le verre comme un diamant.

    Il tailla eectivement plusieurs fragments de verre avec la pointe dece couteau. Son index me t ensuite tourner la tte vers une grande vitresur laquelle taient gravs des bonshommes fantastiques et des arbresplus fantastiques encore. Dans linterstice des tailles, on avait introduitdiverses couleurs.

    Cest moi qui ai grav cela, me dit-il. Jai encore imagin ces grandspapillons plus beaux que nature qui sont ct. En voici un qui me cotecinq francs.

    Il mtait enn permis de me reconnatre aumilieu des myriades dob-jets disparates qui encombraient cette pice. Sur une table, parmi les us-tensiles invents par Pichonnier, je distinguai un singe, un perroquet, ungeai, un poussin trois pattes, un cureuil, un caneton, tous animaux sibien empaills quon les et crus encore en vie.

    Jai trouv un procd pour embaumer les oiseaux, me dit Pichon-nier, sans les dtriorer aucunement. Avez-vous vu rien de plus areuxque les animaux empaills par les naturalistes? Avec la peau des oiseaux

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  • Lhomme qui nourrit des papillons

    quils vident, ils font des animaux qui ne ressemblent aucun animalconnu. Moi, je ny touche pas, je ne les vide pas, je les sche avec laviande. Mes oiseaux gardent leurs formes. Ils restent morts comme ilstaient vivants.

    Est-ce que votre procd rsiste au temps? demandai-je.Tenez, dit Pichonnier en appelant mes yeux sur un petit meuble:

    voici un martinet sch par mon procd depuis dix ans. Je lai pourtantlaiss lair. On le dirait empaill daujourdhui.

    Il ne disait rien que de vrai.Des poissons suspendus au plafond frapprent alors ma vue.Il en est de mme pour les poissons, continua Pichonnier. On les

    coupe dun bout lautre sous le ventre, pour les vider. On coud cela en-suite. Cest areux. Il ne reste plus dcailles. Ils ont une collection depoissons, pour dire nous en avons une. De fait, leurs poissons ne sont pasdes poissons, ce sont des monstres quon na jamais vus. Voyez les miens.On dirait quils sortent de leau. Point dincision ni de couture. Jai ima-gin un outil pour les vider par les oues sans toucher aux cailles. En untour de main, cest fait.

    De nombreux spcimens cailles et nageoires tmoignaient eec-tivement, par leur clat, de son extrme habilet.

    En somme, ma mmoire ne surait pas contenir tous les objets quilne se lassait pas de livrer ma curiosit. Toutefois je me rappelle quilouvrit une armoire sur les tablettes de laquelle tait range une collectionde sonnettes fabriques laide du calice de verres patte, et quil me ditavoir trouv le moyen de rendre le coco souple autant que de la corne etden faire des manches de couteau.

    Mais quoi bon? ajouta-t-il toujours plus sombre. Les inventeurs, deleur vivant, on les perscute; on dit que ce sont des fous et des ivrognes.On ne leur rend justice quaprs leur mort.

    Jessayai de le distraire de ces penses funbres.Monsieur, dit-il, je devrais tre mon aise, on ne le veut pas.Quand

    je vais dans un magasin pour vendre mes instruments, on me rit au nez.Dautres ne veulent pas seulement les voir et me jettent la porte parcequils ne sont pas bnis. Jai t vingt ans dans la garde nationale. Unefois, jai sauv le poste. Sous Louis-Philippe, jtais port pour avoir la

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  • Lhomme qui nourrit des papillons

    croix. Cest un autre qui la eue ma place. Jusque dans la maison, ilnest sorte de mauvais tours quon ne me joue. Un voisin est entr chezmoi dernirement. Il tait ivre. Voulez-vous vous vendre? dit-il. Je netrouverais personne qui voult macheter, lui rpondis-je. Il se mit alors tourner et retourner les outils qui sont sur ma table, tout dranger, tout critiquer. Il me disait que mes presse-concombres taient faits dansle systme des casse-noisettes. Je vous demande un peu sil est permis devenir chez les gens pour les molester ainsi? Allez-vous-en, lui dis-je, etvenez au moins quand vous serez jeun. Je ne fais pas daaires avec lesivrognes. Je trouve quelquefois mon enseigne au milieu de lescalier.La blanchisseuse me garde mon linge. Ah! monsieur, je suis trahi detoutes les nations!

    Les mdecins vous diront que, sur vingt malades qui viennent lesconsulter, il y en a au moins la moiti dimaginaires. Ils ne nient pas nonplus que ces derniers sourent autant et plus parfois que les autres. Defait, les misres de ce pauvre inventeur, relles ou chimriques, avaientquelque chose de navrant.

    En province, cest la mme chose, continua-t-il; je rencontre des en-nemis partout. A Bayonne, on ma consqu plus de trois cents francs demarchandises, en prtendant que je devais dix-huit francs. Je nai jamaispu les ravoir.

    Il tait au moins probable que, dans les mcomptes ordinaires de lavie, ce brave homme voyait les rouages dune conspiration universellecontre sa personne.

    Les rves ne trompent pas, dailleurs, dit-il encore. Jen ai not plusde vingt sur mon registre. Tous ont le mme sens. Une fois ctait ungrand pr au milieu de terres laboures qui stendaient perte de vue.Tout coup voil que du pr surgissent des chats de toutes les nations,des blancs, des noirs, des verts, des rouges, les uns avec de petites oreilleset de longues queues, dautres avec des longues oreilles et des queuescourtes. Ils sortaient par milliers de dessous terre. Ils grouillaient commeles fourmis dune fourmilire eondre. A la n, il y en avait tant et tant,que le pr ne pouvait plus les contenir. Alors ils ont envahi les terreslaboures. Cest assez clair.

    Je ne comprends pas, lui dis-je.

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  • Lhomme qui nourrit des papillons

    Comment! t-il. Les chats, cest trahison. Le grand pr, cest Paris.Les terres laboures, ce sont les provinces. Mes ennemis ne peuvent plustenir dans Paris, tant il y en a. Ils se rpandent dans les provinces.

    Bien involontairement, le rve de Pharaon interprt par Joseph merevint en mmoire.

    Je sais bien quil faut que je succombe, ajouta Pichonnier. Ils nirontpar massassiner.

    Oh! oh! s-je avec compassion.Jai conance en Dieu. Dailleurs, vous parler franchement, mieux

    vaudrait tre mort que de vivre ainsi. Et si je navais pas ces petitesbtes.

    Il promenait ses yeux et sa main autour de sa chambre.En ce moment, comme pour lui rpondre et le consoler, les cigales et

    les grillons de nouveau se mirent chanter, cela est positif, se mirent chanter.

    Un sentiment de profonde tristesse moppressait. Lheure de me reti-rer tait venu. Ma visite avait un peu distrait ce pauvre homme. Il menga-gea revenir sous le prtexte de voir le vulcain lclosion duquel javaisassist. Je le lui promis et le quittai.

    A peine fus-je dehors, que la pluie tomba par torrents. Comment nepas me rappeler la prdiction de la rainette? Pour ny avoir point cru, jefus tremp jusquaux os.

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  • Une dition

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    Achev dimprimer en France le 11 juin 2015.