Bande dessinée et littérature - · PDF fileGILLES PERRON BANDE DESSINÉE...

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  • Document gnr le 27 avr. 2018 02:18

    Qubec franais

    Bande dessine et littrature

    Gilles Perron

    La communication oraleNumro 118, t 2000

    URI : id.erudit.org/iderudit/56072ac

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    diteur(s)

    Les Publications Qubec franais

    ISSN 0316-2052 (imprim)

    1923-5119 (numrique)

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    Citer cet article

    Perron, G. (2000). Bande dessine et littrature. Qubecfranais, (118), 8688.

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  • G I L L E S P E R R O N

    BANDE DESSINE ET

    LITTRATURE

    a bande dessine n'est pas un genre littraire, pas plus que la chanson ou mme au risque de m'attirer des horions le thtre : le thtre est un

    spectacle, la chanson, une uvre musicale et la BD est videmment une oeuvre dessine. Chacune de ces formes d'expression artistique flirte pourtant avec la littrature et, selon l'importance accorde au texte qui en est un des constituants, s'en rapproche au point parfois de voir son aspect littraire devenir dominant. La BD, pour sa part, met volontiers profit toutes les possibilits de la narration littraire : narration, niveaux de rcit, focalisation, etc.

    S'il est possible de penser une bande dessine sans texte, elle ne saurait exister sans dessin. Le rapport d'antriorit est tabli ds l'origine par Roland Topffer (1799-1846), considr comme l'inventeur de la BD : Les dessins, sans le texte, n'auraient qu'une signification obscure ; le texte, sans les dessins, ne signifierait rien ' . Cependant, comme au cinma, lorsque l'image domine largement le dialogue, il y a tout de mme un scnario ; le texte , porteur d'un rcit, est l'quiva-lent d'un support narratif qui passe ou non par des mots. La BD peut alors tre bavarde ou silencieuse. ses dbuts, elle parle beaucoup : l'image semble souvent accompagner le texte, et le dessinateur se confond avec l'illustrateur. Certains se souviendront trahissant ainsi leur ge de Bcassine, person-nage populaire dessin par Pinchon durant toute la premire moiti du XXe sicle. Les aventures de la

    J entrepris e descendre l'avenue d'Italie, J'fttxivjafe une lange sensafen de vblupti. -tein\e d'an arr irerai ' aisperT- paler eel" asphalte sur lequel j'avais tant Saine' la savate.

    Bcassine, person-

    nage populaire

    dessin par Pinchon

    durant toute la

    premire moiti du

    XX' sicle.

    Bretonne taient racontes sous des dessins redou-blant les informations donnes par le texte (ou vice-versa). Cette tendance se poursuivra durant plusieurs dcennies, s'attnuant avec la gnralisation de l'usage du phylactre 2 pour l'inscription des paroles des personnages. La BD mettra longtemps se rsoudre attnuer l'importance du narrateur, mais c'est dsormais chose faite.

    NARRATION ET POINT DE VUE La narration, dans une bande dessine, est le plus souvent de nature omnisciente. Le narrateur se fait discret, inscrivant a et l des informations ncessai-res la comprhension du rcit qui, essentiellement, passe par le dessin et le dialogue. L'impression d'objectivit est d'autant plus grande que le lecteur aura tendance, cause de cette discrtion, oublier la prsence du narrateur. Mais d'autres BD emploient volontiers le narration subjective la premire

    MON NOM ESTJUU'OS CORaSr-m'N AaCaueFACOUfS.J OCCUPEE ON "UNE PiCE" DU SUAKTiR NORD ( 5 DU MINISTRE) COMME TOUS LES AWTINS. je ME LEVE, DEJEUNE, ME LAVE FT At'HABILLE SEUL . JE SUIS aa.IBAT.4IPE", CAR COMME AiME LE RAPPELLER /HON VOISIN PE MUER, OHE FeMMEiOzST TRdS UNITS D'ESWCE VfTALEN MOINS .

    http://aa.IBAT.4IPE

  • e s t - c e . Q U E . L K - f b e s i e v o u s I N T R E S S E : ? Q u e $ A V / E Z . - V O U S c e R I M - A U C E T e t V E R L A I N E 7 o u e - R i M S A u t ?

    ruMAIf t?U HACHISCH/ QUE vRLAJNE SE SOULAIT" A L-'AftlNTME.' VOUS CONNAISSEZ L MYTHE, LA LaCNPE.' NOUS PARLERONS T7 LA LaSNtfE CANS C COURS, CAR LA LICENCE t7E Rl.* n a a i o i x ?! ESSAI . J ces exTBA TeBBE&mes.

    * ) IISM'ONT I T jueefl oe ne CIEN pire '.

    ETE 2000 | NUMERO 118 | QUEBECFRANAIS 87

  • du type comic strip (une seule bande horizontale, comme on en retrouve dans la majorit des quoti-diens). L'exemple clbrissime de Peanuts, o on retrouve Charlie Brown et ses amis dans des situa-tions qui se rptent depuis cinquante ans, est probant : le dessin y est statique, redondant, sembla-ble d'une bande l'autre et parfois mme d'une case l'autre. Ce qui compte, c'est ce que se disent les personnages ; Schultz aura donc privilgi, jusqu' sa mort il y a quelques mois, un dessin simple et efficace, au service du propos. Dans ce cas particulier, o le texte lui-mme est souvent en apparence d'une grande simplicit, la connaisssance de l'univers des Peanuts est essentielle pour apprcier la subtilit des propos changs par les compagnons de Charlie Brown, voire pour simplement en saisir l'humour particulier (habituellemnt dfini comme psychologi-que, ou intellectuel).

    Le Chat, du belge Philippe Geluck, pratique pour sa part un humour absurde, bas essentiellement sur le langage. La reprsentation graphique du personnage (appel simplement Le Chat), bien qu'elle soit plaisante, n'impressionne gure. Il en va autrement toutefois pour le qubcois Claude Cloutier, dont on reconnatra la force du dessin. La lgende des Jean-Guy ou Gilles la Jungle contre Mchant Man proposent une rencontre entre texte et image o se disputent la concordance et le dcalage, produisant encore une fois un effet d'absurde partir des mots. Enfin, un dernier exemple : Le baron noir, de Got et Ptillon. Strip politique publi l'origine dans le quotidien franais Le Matin, la srie met en scne le Baron noir, un prdateur (entre l'aigle et le vautour), dans sa relation avec un troupeau de moutons dont il se nourrit. Le discours y est ironique souhait : c'est une satire de la vie politique, de la rpression policire ou du discours social creux. Ainsi, un mouton qui, dsirant porter plainte contre le Baron noir, lui demande ce que prvoit le code pnal pour une tentative d'enlve-ment, un policier-rhinocros rpond : De trois mois un an pour diffamation !

    BANDE DESSINE ET LITTRATURE La bande dessine se rclame de la littrature par son texte ; on la nomme parfois, afin de la rendre plus prsentable dans des milieux qui pourraient la snober, littrature graphique. Mais l'occasion, pour mieux s'inscrire dans le littraire, elle ira volontiers flirter avec des oeuvres dj consacres ; ou alors elle dbauchera des auteurs srieux pour se donner une plus grande crdibilit ( moins que ce soit les auteurs qui ressentent le besoin de s'encanailler ?). De toute faon, les rsultats sont probants. Tardi en a pris l'habitude, lui qui a dessin trois romans de Lo Malet,

    Il faut encore

    souligner l'apport

    inestimable de

    Goscinny, en

    particulier avec

    Astrix, pour la

    finesse de son

    langage et la subtilit

    de ses rfrences

    littraires et

    culturelles, qui vont

    de Don Quichotte

    {Astrix en Hispanie)

    Prochain pisode

    [Astrix chez les

    Helvtes), en passant

    par le Csar-Raimu de

    Marius {Le tour de

    Gaule d'Astrix).

    Notes

    Cit par Yves Frmion dans Le guide de la bd francophone, Syros/ Alternatives, 1990, p.l 6.

    Appel parfois, simplement, bulle ou ballon.

    un Go-Charles Vran (Jeux pour mourir), un Didier Daeninckx (Le der des ders), sans oublier ses nombreu-ses illustrations pour une magnifique dition du Voyage au bout de la nuit, de Cline ; il a aussi travaill avec Jean-Pierre Manchette {Griffu) et, tout rcemment, avec Daniel Pennac (La dbauche). Dans les collabora-tions les plus russies, il faut mentionner L'outremangeur, une bande dessine de Ferrandez scnarise par Tonino Benacquista (Ferrandez avait dj illustr La maldonne des sleepings, du mme auteur). L'amricain Paul Auster a, pour sa part, eu la bonne ide d'autoriser la transposition de sa Cit de verre en bande dessine. Mme Anne Hbert avait, avant sa disparition, donn son accord la version en BD de La

    mercire assassine que vient de publier Mira Falardeau.

    O n le voit, la littrature et la bande dessine font dsormais bon mnage. 11 faut encore souligner l'apport inestimable de Goscinny, en particulier avec Astrix, pour la finesse de son langage et la subtilit de ses rfrences

    littraires et culturelles, qui vont de Don Quichotte (Astrix en Hispanie) Prochain pisode (Astrix chez les Helvtes), en passant par le Csar-Raimu de Marius (Le tour de Gaule d Astrix). Je laisserai le dernier mot Achille Talon, dont le vaste vocabulaire et le style ampoul font de ce personnage une parodie de l'rudit en mme temps que la joie de tous les amoureux de la langue franaise : Je relis ici les bandes dessines de mon enfance pourtant encore toute frmissante, et le marteau de la nostalgie s'abat avec un bruit fracassant sur l'enclume de mon cur stupfait .

    88 QUBEC FRANAIS | T 2000 | NUMRO 118