Baby Loup - Rapport CR Truchot

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  • Pourvoi no E13-28.369 assemble plnire 16 juin 2014

    Dcision attaque : 27/11/2013 de la cour d'appel de Paris

    Madame Fatima LaaouejC/Association Baby-Loup_________________

    Laurent Truchot, rapporteur RAPPORT

    Sommaire

    I - Rappel des faits et de la procdure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4

    II - Analyse succincte des moyens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8

    III - Principaux points de droit faisant difficult juger . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14

    IV - Analyse des principaux points de droit invoqus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15

    A - Le voile islamique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15

    1o) Sens du voile islamique et perception . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15

    2o) Elments de droit compar . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19

    B - Le droit pour lemploye, directrice ajointe et ducatrice, dune crche prive revendiquantune obligation de neutralit confessionnelle, de porter un voile islamique . . . . . . . . . . . . . . . 23

    1o) Principes de raisonnement des juges du fond . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23

    a - Le jugement du conseil de prudhommes de Mantes-la-Jolie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23

    b - Larrt de la cour dappel de Versailles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23

    c - Larrt de la cour dappel de Paris . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24

    d - Les termes de la divergence entre la cour dappel de Paris et la Cour de cassation . . . . . . . . . 25

    2o) La libert religieuse en droit europen . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25

    a - Droit de la Convention . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25

    - Dispositions applicables- Mthodes et interprtation

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    b - Droit de lUnion europenne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28

    3o) Lentreprise de conviction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29

    a - Larticle 4, paragraphe 2, de la directive 2000/78 instituant une clause de standstill (ou de gel) 31

    b - Les conditions de la reconnaissance des entreprises de tendance, en labsence de lgislationnationale conforme larticle 4, paragraphe 2, de la directive 2000/78 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38

    - Les entreprises de tendance en droit interne- Les entreprises de tendance dans la jurisprudence de la Cour europenne des droits de

    lhomme- Lexistence dune condition dadoption dune loi, au sens organique du terme, pour la cration

    dun type dentreprise de conviction fonde sur la neutralit confessionnelle (septime branche dupremier moyen)

    c - Nature des convictions dont peut se rclamer une entreprise vocation de neutralit confessionnelle(six premires branches du premier moyen) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48

    - Les opinions favorables la reconnaissance dune conviction laque ou de neutralitconfessionnelle

    - Les opinions opposes la reconnaissance dune conviction laque ou de neutralitconfessionnelle

    - Sens et porte de larticle 14 de la Convention internationale des droits de lenfant du 20novembre 1989 (troisime branche du premier moyen)

    d - Justifications des diffrences de traitement et des restrictions et mise en balance des droits en cause(premire branche du deuxime moyen) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63

    e - La dtermination du caractre disciplinaire ou pour trouble objectif du licenciement de lemploydune entreprise de conviction (deuxime et troisime branches du deuxime moyen) . . . . . . . . . 71

    4o) Les justifications des restrictions lexercice de la libert religieuse ou des diffrences detraitement des salaris en raison de leurs convictions religieuses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76

    a - Caractristiques de la clause litigieuse (troisime moyen, pris en ses trois branches) . . . . . . . 77

    - Le principe de non-licit des clauses gnrales et imprcises- Apprciations sur le degr de prcision de la clause litigieuse

    b - Le contrle de proportionnalit de la restriction litigieuse (neuvime branche du premier moyen etpremire branche du deuxime moyen) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 82

    - Le contrle de proportionnalit des restrictions dans les entreprises ordinaires - Le contrle de proportionnalit des restrictions dans les entreprises de tendance

    C - Les rgles applicables en matire de licenciement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90

    1o) La nullit du licenciement fond sur le refus de Mme Afif dter son voile, exclusive de toutautre motif de licenciement (quatrime moyen) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90

    a - Sur lexistence dun motif dit contaminant (premire branche du quatrime moyen) . . . . . . . 91

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    b - Sur le caractre non fautif du refus de Mme Afif de se soumettre la mise pied conservatoire et desautres griefs elle reprochs, en labsence de faute grave constitue par le refus dter son voile(deuxime et troisime branches du quatrime moyen) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96

    c - Sur le dfaut dexamen pralable du grief pris du caractre licite du refus dter le voile (quatrimebranche du quatrime moyen) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99

    2o) La nullit du licenciement fond sur le comportement adopt par Mme Afif aprs son refusdter son voile (cinquime moyen) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100

    a - Sur le dfaut de caractrisation dune faute grave par le seul maintien sur les lieux en dpit dun ordre,mme licite, dter un signe religieux (premire branche du cinquime moyen) . . . . . . . . . . . . . . 101

    b - Sur labsence de mention de faits dagressivit reprochs Mme Afif dans la lettre de licenciementdu 19 dcembre 2008 (seconde branche du cinquime moyen) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101

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    I - Rappel des faits et de la procdure

    Suivant contrat dure indtermine du 1er janvier 1997, lequel faisait suite un emploi solidarit du 6 dcembre 1991 au 6 juin 1992 et un contrat de qualificationdu 1er dcembre 1993 au 30 novembre 1995, Mme Laaouej pouse Afif a t engageen qualit d'ducatrice de jeunes enfants exerant les fonctions de directrice adjointede la crche et halte-garderie gre par l'association Baby-Loup.

    En mai 2003, elle a bnfici d'un cong maternit suivi d'un cong parentaljusqu'au 8 dcembre 2008.

    Elle a t convoque par lettre du 9 dcembre 2008 un entretien pralable envue de son ventuel licenciement, avec mise pied titre conservatoire, et licenciele 19 dcembre 2008 pour faute grave, pour avoir refus dter le voile islamiquequelle portait pendant les heures de travail et en raison du comportement inappropriquelle aurait eu aprs la mise pied dcide son gard.

    S'estimant victime d'une discrimination au regard de ses convictions religieuses,Mme Afif a saisi le conseil de prudhommes de Poissy le 9 fvrier 2009, titre principal,en nullit de son licenciement et en condamnation de son employeur lui payerdiverses sommes.

    Par jugement du 13 dcembre 2010, le conseil de prudhommes de Mantes-la-Jolie, dsign temporairement par le premier prsident de la cour dappel de Versaillespour connatre des affaires inscrites au rle du conseil de prudhommes de Poissy, arejet lensemble des demandes de Mme Afif ainsi que la demande reconventionnelleforme par lassociation Baby-Loup.

    Par arrt du 27 octobre 2011, la cour dappel de Versailles a confirm lejugement en toutes ses dispositions.

    Le 27 dcembre 2011, Mme Afif a form un pourvoi lencontre de cet arrt.

    Par arrt du 19 mars 2013, la chambre sociale de la Cour de cassation a casslarrt de la cour dappel de Versailles dans les termes suivants:

    Sur le troisime moyen, pris en sa premire branche :

    Vu les articles L. 1121-1, L. 1132-1, L. 1133-1 et L. 1321-3 du code du travail, ensemble l'article 9 de laConvention de sauvegarde des droits de l'homme et des liberts fondamentales ;

    Attendu que le principe de lacit instaur par l'article 1er de la Constitution n'est pas applicable auxsalaris des employeurs de droit priv qui ne grent pas un service public ; qu'il ne peut ds lors treinvoqu pour les priver de la protection que leur assurent les dispositions du code du travail ; qu'il rsultedes articles L. 1121-1, L. 1132-1, L. 1133-1 et L. 1321-3 du code du travail que les restrictions la libert

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    religieuse doivent tre justifies par la nature de la tche accomplir, rpondre une exigenceprofessionnelle essentielle et dterminante et proportionnes au but recherch ;

    Attendu, selon l'arrt attaqu, que, suivant contrat dure indtermine du 1er janvier 1997, lequel faisaitsuite un emploi solidarit du 6 dcembre 1991 au 6 juin 1992 et un contrat de qualification du 1erdcembre 1993 au 30 novembre 1995, Mme Laaouej pouse Afif a t engage en qualit d'ducatricede jeunes enfants exerant les fonctions de directrice adjointe de la crche et halte-garderie gre parl'association Baby-Loup ; qu'ayant bnfici en mai 2003 d'un cong maternit suivi d'un cong parentaljusqu'au 8 dcembre 2008, elle a t convoque par lettre du 9 dcembre 2008 un entretien pralableen vue de son ventuel licenciement, avec mise pied titre conservatoire, et licencie le 19 dcembre2008 pour faute grave aux motifs notamment qu'elle avait contrevenu aux dispositions du rglementintrieur de l'association en portant un voile islamique ; que, s'estimant victime d'une discrimination auregard de ses convictions religieuses, Mme Laaouej pouse Afif a saisi la juridiction prud'homale le 9fvrier 2009, titre principal, en nullit de son licenciement ;

    Attendu que, pour dire le licenciement fond et rejeter la demande de nullit du licenciement, l'arrtretient que les statuts de l'association prcisent que celle-ci a pour but de dvelopper une action orientevers la petite enfance en milieu dfavoris et d'oeuvrer pour l'insertion sociale et professionnelle desfemmes du quartier, qu'elle s'efforce de rpondre l'ensemble des besoins collectifs manant desfamilles, avec comme objectif la revalorisation de la vie locale, sur le plan professionnel, social et culturelsans distinction d'opinion politique ou confessionnelle, que conformment ces dispositions la crchedoit assurer une neutralit du personnel ds lors qu'elle a pour vocation d'accueillir tous les enfants duquartier quelle que soit leur appartenance culturelle ou religieuse, que ces enfants, compte tenu de leurjeune ge, n'ont pas tre confronts des manifestations ostentatoires d'appartenance religieuse, quetel est le sens des dispositions du rglement intrieur entr en vigueur le 15 juillet 2003, lequel, au titredes rgles gnrales et permanentes relatives la discipline au sein de l'association, prvoit que leprincipe de la libert de conscience et de religion de chacun des membres du personnel ne peut faireobstacle au respect des principes de lacit et de neutralit qui s'appliquent dans l'exercice de l'ensembledes activits dveloppes par Baby-Loup , tant dans les locaux de la crche ou ses annexes qu'enaccompagnement extrieur des enfants confis la crche, que les restrictions ainsi prvuesapparaissent ds lors justifies par la nature de la tche accomplir et proportionnes au but recherchau sens des articles L. 1121-1 et L. 1321-3 du code du travail, qu'il rsulte des pices fournies,notamment de l'attestation d'une ducatrice de jeunes enfants, que la salarie, au titre de ses fonctions,tait en contact avec les enfants ;

    Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait constat que le rglement intrieur de l'association Baby-Loupprvoit que "le principe de la libert de conscience et de religion de chacun des membres du personnelne peut faire obstacle au respect des principes de lacit et de neutralit qui s'appliquent dans l'exercicede l'ensemble des activits dveloppes par Baby-Loup, tant dans les locaux de la crche ou sesannexes qu'en accompagnement extrieur des enfants confis la crche", ce dont il se dduisait quela clause du rglement intrieur, instaurant une restriction gnrale et imprcise, ne rpondait pas auxexigences de l'article L. 1321-3 du code du travail et que le licenciement, prononc pour un motifdiscriminatoire, tait nul, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres griefs viss la lettre de licenciement,la cour d'appel, qui n'a pas tir les consquences lgales de ses constatations, a viol les textes susviss;

    PAR CES MOTIFS et sans qu'il soit ncessaire de statuer sur les autres griefs :

    CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrt rendu le 27 octobre 2011, entre les parties,par la cour d'appel de Versailles ; remet, en consquence, la cause et les parties dans l'tat o elles setrouvaient avant ledit arrt et, pour tre fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;

    --------------------------------------------------------------------------------No 11-28.845 Mme Laaouej, pouse Afif

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    Contre association Baby-Loup

    --------------------------------------------------------------------------------Prsident : M. Bailly (conseiller doyen faisant fonction de prsident) - Rapporteur : M. Huglo - Avocatgnral : M. Aldig - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Waquet, Farge et Hazan --------------------------------------------------------------------------------Publication : Bull. 2013, V, no 75 .

    Par arrt du 27 novembre 2013, rendu sur renvoi aprs cassation, la courdappel de Paris a confirm le jugement du 13 dcembre 2010 dans les termessuivants:

    Considrant qu'une personne morale de droit priv, qui assure une mission d'intrt gnral, peut danscertaines circonstances constituer une entreprise de conviction au sens de la jurisprudence de la Coureuropenne des droits de l'homme et se doter de statuts et d'un rglement intrieur prvoyant uneobligation de neutralit du personnel dans l'exercice de ses tches ; qu'une telle obligation emportenotamment interdiction de porter tout signe ostentatoire de religion ;

    Considrant qu'aux termes de ses statuts, l'association Baby Loup a pour objectif de dvelopper uneaction oriente vers la petite enfance en milieu dfavoris et d''oeuvrer pour l'insertion sociale etprofessionnelle des femmes ... sans distinction d'opinion politique et confessionnelle ;

    Considrant que de telles missions sont d'intrt gnral, au point d'tre frquemment assures par desservices publics et d'tre en l'occurrence finances, sans que cela soit discut, par des subventionsverses notamment par l'tat, la rgion Ile-de-France, le dpartement des Yvelines, la commune deChanteloup-les-Vignes et la Caisse d'allocations familiales ;

    Considrant qu'au regard tant de la ncessit, impose par l'article 14 de la Convention relative auxdroits de l'enfant du 20 novembre 1989, de protger la libert de pense, de conscience et de religion construire pour chaque enfant, que de celle de respecter la pluralit des options religieuses desfemmes au profit desquelles est mise en oeuvre une insertion sociale et professionnelle aux mtiers dela petite enfance, dans un environnement multiconfessionnel, ces missions peuvent tre accomplies parune entreprise soucieuse d'imposer son personnel un principe de neutralit pour transcender lemulticulturalisme des personnes auxquelles elle s'adresse ;

    Considrant qu'en ce sens, l'association Baby Loup peut tre qualifie d'entreprise de conviction enmesure d'exiger la neutralit de ses employs ; que sa volont de l'obtenir rsulte suffisamment enl'occurrence des dispositions tant de ses statuts que de son rglement intrieur, que ce soit celui adoptlors de sa cration en 1990, selon lequel le personnel doit dans l'exercice de son travail respecter etgarder la neutralit d'opinion politique et confessionnelle en regard du public accueilli, ou celui modifi,entr en vigueur le 15 juillet 2003, aux termes duquel le principe de la libert de conscience et de religionde chacun des membres du personnel ne peut faire obstacle au respect des principes de lacit et deneutralit qui s'appliquent dans l'exercice de l'ensemble des activits dveloppes, tant dans les locauxde la crche ou ses annexes qu'en accompagnement extrieur des enfants confis la crche ; Considrant que la formulation de cette obligation de neutralit dans le rglement intrieur, en particuliercelle qui rsulte de la modification de 2003, est suffisamment prcise pour qu'elle soit entendue commetant d'application limite aux activits d'veil et d'accompagnement des enfants l'intrieur et l'extrieur des locaux professionnels ; qu'elle n'a donc pas la porte d'une interdiction gnralepuisqu'elle exclut les activits sans contact avec les enfants, notamment celles destines l'insertionsociale et professionnelle des femmes du quartier qui se droulent hors la prsence des enfants confis la crche ;

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    Considrant que les restrictions ainsi prvues sont, pour les raisons ci-dessus exposes, justifies parla nature de la tche accomplir et proportionnes au but recherch au sens des articles L.1121-1 etL.1321-3 du code du travail ; qu'au vu de l'ensemble des considrations dveloppes, elles ne portentpas atteinte aux liberts fondamentales, dont la libert religieuse, et ne prsentent pas un caractrediscriminatoire au sens de l'article L.1132-1 du code du travail ; qu'elles rpondent aussi dans le casparticulier l'exigence professionnelle essentielle et dterminante de respecter et protger la conscienceen veil des enfants, mme si cette exigence ne rsulte pas de la loi ;

    Considrant que le comportement de Mme Afif, qui a consist se maintenir sur les lieux de travail aprsnotification de la mise pied conservatoire conscutive au refus d'ter son voile islamique et fairepreuve d'agressivit envers les membres de la direction et de ses collgues de la crche dans lesconditions et selon les circonstances relates par la lettre de licenciement, au contenu de laquelle il estexpressment fait rfrence, rsulte suffisamment des dclarations concordantes de Mmes Baleata,directrice de la crche, Gomis, directrice adjointe, Grolleau, ducatrice, Zar pouse Almendra,animatrice, El Khattabi, ducatrice, Soumare, employe de mnage ;

    Considrant que les rtractations de Mmes El Khattabi et Soumare, qui sont revenues sur leurs premierstmoignages en faveur de l'association, ont t expliques ensuite par les intresses par le fait queMme Afif avait fait valoir la solidarit entre musulmanes et leur avait dict de nouveaux tmoignages,tandis que les attestations dont se prvaut l'appelante doivent tre apprcies la lumire des prcisionsde Mme Bendahmane pouse Boutllis, ancienne salarie de l'association, qui a reconnu avoir rdig enfaveur de Mme Afif sous sa dicte, ou encore de parents d'enfants inscrits la crche qui, ayanttmoign en faveur de l'association ou refus de le faire au profit de la salarie licencie, ont dpos desmains courantes pour signaler les insultes, menaces et pressions de la part de celle-ci ;

    Considrant que ce comportement, alors que la mise pied reposait, pour les raisons ci-dessusexposes, sur un ordre licite de l'employeur au regard de l'obligation spcifique de neutralit impose la salarie par le rglement intrieur de l'entreprise, caractrise une faute grave ncessitant le dpartimmdiat de celle-ci ;

    Considrant que cette faute grave justifie le licenciement ainsi qu'en a dcid le conseil de prud'hommesdont la dcision sera en consquence confirme, sauf relever que Mme Atif ne revendique pas le statutde cadre autrement que pour chiffrer ses demandes conscutives la rupture du contrat de travail ;

    Considrant que l'quit ne commande pas d'appliquer les dispositions de l'article 700 du Code deprocdure civile ;

    Considrant que l'appelante, qui succombe, doit supporter les dpens.

    PAR CES MOTIFS

    CONFIRME le jugement du conseil de prud'hommes de Mantes-la-Jolie du 13 dcembre 2010 ;

    REJETTE toutes autres demandes ;

    CONDAMNE Mme Laaouej pouse Afif aux dpens de premire instance et d'appel, y compris ceuxexposs devant la cour d'appel de Versailles .

    Le 24 dcembre 2013, Mme Afif a form un pourvoi lencontre de cet arrt.

    Par ordonnance du 8 janvier 2014, le premier prsident de la Cour de cassationa ordonn le renvoi de lexamen de ce pourvoi devant lassemble plnire.

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    Conformment lordonnance de rduction des dlais du 10 janvier 2014, lemmoire ampliatif a t dpos et signifi, le 13 mars 2014, par Mme Afif. Celle-cidemande quil plaise la Cour de cassation casser et annuler larrt attaqu etcondamner lassociation Baby-Loup lui payer la somme de 5 000 euros, au titre delarticle 700 du code de procdure civile.

    Conformment la mme ordonnance, le mmoire en dfense a t dpos etsignifi par lassociation Baby-Loup le 22 avril 2014. Celle-ci demande quil plaise laCour de cassation rejeter le pourvoi et ne prsente pas de demande au titre de larticle700 du code de procdure civile.

    La procdure devant la Cour de cassation est rgulire.

    II - Analyse succincte des moyens

    Le pourvoi comporte cinq moyens. Les quatre premiers moyens font grief larrt confirmatif attaqu davoir rejet les demandes de Mme Afif en nullit de sonlicenciement et de condamnation de lassociation Baby-Loup lui payer desdommages et intrts, lindemnit compensatrice de pravis, les congs paysaffrents, un rappel de salaire sur mise pied, les congs pays affrents etlindemnit conventionnelle de licenciement. Le cinquime moyen fait grief larrtdavoir rejet les demandes dindemnisation de Mme Afif raison de son licenciementpour faute grave.

    Le premier moyen est divis en neuf branches.

    Les sept premires branches sont diriges contre les motifs de larrt dont lacour dappel a dduit que lassociation Baby-Loup pouvait tre qualifie dentreprisede conviction.

    Selon la premire branche, fonde sur la violation des articles L. 1121-1, L.1132-1, L. 1133-1 et L. 1321-3 du code du travail, 9 de la Convention desauvegarde des droits de lhomme et des liberts fondamentales (ci-aprs la Convention ) et 4 2 de la Directive 2000/78 /CE du 27 novembre 2000 portantcration d'un cadre gnral en faveur de l'galit de traitement en matired'emploi et de travail (ci-aprs la directive 2000/78 ), lentreprise de tendance oude conviction suppose une adhsion militante une thique philosophique oureligieuse et a pour objet de dfendre ou de promouvoir cette thique, objet que napas une association telle que Baby-Loup qui, assurant une mission dintrt gnral,se fixe pour objectifs dans ses statuts de dvelopper une action oriente vers lapetite enfance en milieu dfavoris et doeuvrer pour linsertion sociale etprofessionnelle des femmes () sans distinction dopinion politique etconfessionnelle .

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    Selon la deuxime branche, fonde sur la violation des mmes textes, lesconvictions ou les tendances dune entreprise procdent dun choix philosophique,idologique ou religieux et non de la ncessit de respecter des normes juridiques,telles que la protection de la libert de conscience, de pense et de religion de lenfant,dduite de la Convention de New-York, ou des contraintes attaches la nature desactivits de lentreprise, telles que le respect de la pluralit des options religieuses desfemmes au profit desquelles est mise en oeuvre une insertion sociale etprofessionnelle dans un environnement multiconfessionnel, ncessits qui ne sont pasconstitutivement lies une entreprise de conviction.

    Selon la troisime branche, fonde sur la violation de larticle 14 de laConvention relative aux droits de lenfant ainsi que des mmes textes, larticle 14ne comporte aucune obligation impliquant quune entreprise recevant de jeunesenfants ou ddie la petite enfance soit tenue dimposer son personnel uneobligation de neutralit ou de lacit.

    Selon la quatrime branche, fonde sur la violation des mmes textes queceux invoqus par les premire et deuxime branches, la neutralit, en tant que modedorganisation dune entreprise destin transcender le multiculturalisme despersonnes qui elle sadresse, nexprime et nimpose aux salaris ladhsion aucunchoix politique, philosophique ou idologique, qui serait seul apte justifier laqualification dentreprise de tendance ou de conviction.

    Selon la cinquime branche, fonde sur la violation des mmes textes ducode du travail que ceux prcdemment invoqus, ainsi que des articles 9 et 14 dela Convention et de larticle 1er de la Constitution, la lacit, principe constitutionneldorganisation de lEtat, fondateur de la Rpublique, qui, ce titre, simpose dans lasphre sociale, ne saurait fonder une thique philosophique dont une entreprisepourrait se prvaloir pour imposer son personnel, de faon gnrale et absolue, unprincipe de neutralit et une interdiction de porter tout signe ostentatoire de religion.

    Selon la sixime branche, fonde sur la violation des mmes textes du codedu travail que ceux prcdemment invoqus, ainsi que de larticle 10 de laDclaration des droits de lhomme et du citoyen de 1789, de larticle 9 de laConvention, de larticle 10 de la Charte des droits fondamentaux de lUnioneuropenne (ci-aprs la Charte ) et des articles 1 4 de la directive 2000/78,une entreprise ne peut sriger en entreprise de conviction pour appliquer desprincipes de neutralit ou de lacit qui ne sont applicables qu lEtat. Selon cettebranche, ni le principe de lacit instaur par larticle 1er de la Constitution, ni le principede neutralit consacr par le Conseil constitutionnel au nombre des principesfondamentaux du service public, ne sont applicables aux salaris des employeurs dedroit priv qui ne grent pas un service public. Il en rsulterait quils ne peuvent treinvoqus pour les priver de la protection que leur assurent les dispositions du code dutravail. Il rsulterait des articles L. 1121-1, L. 1132-1, L. 1133-1 et L. 1321-3 de ce code

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    que les restrictions la libert religieuse doivent tre justifies par la nature de la tche accomplir, rpondre une exigence professionnelle essentielle et dterminante ettre proportionnes au but recherch.

    Selon la septime branche, fonde sur la violation des articles 34 de laConstitution, 10 de la Dclaration des droits de lhomme et du citoyen de 1789,9 2 de la Convention, 4 et 14 de la Convention relative aux droits de lenfant du20 novembre 1989, L. 1121-1, L. 1132-1, L. 1133-1 et L. 1321-3 du code du travail,1 4 de la directive 2000/78, 10 de la Charte, et soutenant que la cour dappel aexcd ses pouvoirs, des restrictions la libert de manifester sa religion ou sesconvictions ne peuvent tre cres que par la loi nationale, au sens de la jurisprudencede la Cour europenne des droits de lhomme. Cette loi nationale devrait elle-mme,au sens de cette jurisprudence, respecter lordre juridique interne de cration desnormes. Il en rsulterait que la cration dun type dentreprise de conviction fonde surle seul principe de neutralit ne peut rsulter que de la loi au sens organique du terme.

    Les huitime et neuvime branches du premier moyen ne sont pas, quant elles, spcifiquement diriges contre les motifs de larrt attaqu relatifs laqualification dentreprise de conviction attribue par la cour dappel lassociationBaby-Loup.

    Selon la huitime branche, prise dun dfaut de base lgale au regard desarticles L. 1133-1 et L. 1132-1 du code du travail, 1 4 de la directive 2000/78 et10 de la Charte, il est reproch la cour dappel, en nonant que les restrictionsprvues au rglement intrieur rpondent aussi dans le cas particulier l'exigenceprofessionnelle essentielle et dterminante de respecter et protger la conscience enveil des enfants , davoir confondu exigence professionnelle essentielle etdterminante et objectif lgitime, alors quune mesure ou une diffrence de traitementfonde sur les convictions religieuses peut ne pas tre discriminatoire si elle rpond une exigence professionnelle essentielle et dterminante et pour autant que l'objectifsoit lgitime et l'exigence proportionne.

    Selon la neuvime branche, prise dun dfaut de base lgale au regard desarticles L. 1121-1, L. 1132-1, L. 1133-1 et L. 1321-3 du code du travail, ensembleles articles 9 et 14 de la Convention, 1 4 de la directive 2000/78 et 10 de laCharte, il est reproch la cour dappel de ne pas avoir constat ni caractris, au vudes lments particuliers et concrets de lespce (tches dvolues Mme Afifpersonnellement dans son emploi, ge des enfants, absence de comportementostentatoire ou proslyte de Mme Afif) lincompatibilit du port de son voile islamiqueavec lengagement et lemploi de Mme Afif.

    Le deuxime moyen est divis en quatre branches.

  • E132836911

    Les trois premires branches reposent sur la prmisse selon laquellelassociation Baby-Loup serait une entreprise de conviction. La quatrime contestequelle puisse bnficier des droits attachs une telle qualification.

    Selon la premire branche, fonde sur la violation des articles L. 1121-1, L.1132-1, L. 1133-1 et L. 1321-3 du code du travail, ensemble les articles 4 2 dela directive 2000/78, 9 et 14 de la Convention et 10 de la Charte, supposer quelassociation Baby-Loup soit une entreprise de conviction, au sens de la jurisprudencede la Cour europenne des droits de lhomme et dfinie par la directive 2000/78, elleest soumise, comme tout employeur de droit priv, en labsence de dispositionsparticulires de droit interne, aux dispositions des articles L. 1121-1, L. 1132-1 et L.1321-3 du code du travail, dont il rsulte que les restrictions aux liberts fondamentalesdes salaris, dont la libert religieuse, doivent tre justifies par la nature de la tche accomplir, rpondre une exigence professionnelle essentielle et dterminante ettre proportionnes au but recherch.

    Selon la deuxime branche, fonde sur la violation des textes cits dans lapremire branche, ainsi que sur les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 ducode du travail, la qualification dentreprise de conviction, si elle autoriseexceptionnellement le licenciement dun salari raison dune conviction ou de lamanifestation dune conviction contraire ou devenue contraire celle de sonemployeur, cest--dire pour un motif a priori discriminatoire ou interdit, nautorise pasque le comportement ainsi allgu comme motif de rupture puisse tre imput fauteau salari.

    Selon la troisime branche, fonde sur la violation des mmes textes queceux cits dans la deuxime branche, linscription ventuelle, dans le rglementintrieur dune entreprise de conviction, de la ncessit pour les salaris de syconformer, ne peut avoir pour effet de constituer en faute le salari dont la convictionviendrait changer.

    Selon la quatrime branche, fonde sur la violation des articles L. 1121-1, L.1132-1, L. 1133-1 et L. 1321-3 du code du travail, ensemble les articles 4 2 dela directive 2000/78, 9 et 14 de la Convention et 10 de la Charte, larticle 4 2 dela directive 2000/78 instaure une clause de standstill qui exige que les dispositionsspcifiques aux entreprises de tendance, autorisant une diffrence de traitementfonde sur la religion ou sur les convictions dune personne, rsultent de la lgislationnationale en vigueur la date dadoption de la prsente directive ou dune lgislation future reprenant des pratiques nationales existant la date dadoption dela prsente directive . Selon ce grief, la clause interdit pour lavenir ladoption denormes rduisant le niveau de protection des droits reconnus aux salaris parlordonnancement juridique de lEtat membre.

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    Le troisime moyen, dirig contre les motifs de larrt par lesquels la courdappel constate que lobligation de neutralit formule par le rglement intrieur estprcise et dapplication limite, exclusive dune interdiction gnrale, est divis en troisbranches.

    Selon la premire branche, fonde sur la violation des articles L. 1121-1, L.1321-3 et L. 1132-1 du code du travail, 4 2 de la directive 2000/78, 9 et 14 de laConvention, le rglement intrieur, ft-ce dans une entreprise de conviction, ne peutcontenir de dispositions apportant aux droits des personnes et aux liberts individuellesdes restrictions qui ne seraient pas justifies par la nature de la tche accomplir, nerpondraient pas une exigence professionnelle essentielle et dterminante et neseraient pas proportionnes au but recherch. Selon ce grief, larticle II, A) durglement intrieur de lassociation Baby-Loup, de 2003, en ce quil soumet lensembledu personnel un principe de lacit et de neutralit applicable lensemble de sesactivits, sans prciser les obligations quil impliquerait, en fonction des tches accomplir, prsenterait un caractre gnral et imprcis, de sorte quil serait illicite etporterait une atteinte disproportionne aux liberts des salaris.

    Selon la deuxime branche, fonde sur la violation des mmes textes queceux viss par la premire branche, la clause du rglement intrieur de 1990 selonlaquelle le personnel doit respecter et garder la neutralit dopinion politique etconfessionnelle au regard du public accueilli tel que mentionn dans les statuts seraitentache du mme vice de gnralit et contraire ces mmes textes.

    La troisime branche invoque un grief de dnaturation et de violation delarticle 1134 du code civil, par la cour dappel, des termes et de la porte de larticleII, A) du rglement intrieur de lassociation Baby-Loup de 2003.

    Le quatrime moyen, qui est dirig contre les motifs de larrt par lesquels lacour dappel se fonde, pour justifier le licenciement, sur les autres griefs viss lalettre de licenciement que celui du refus de la salarie dter son voile, est divis enquatre branches.

    Selon la premire branche, fonde sur la violation des articles L. 1132-4, L.1121-1, L. 1132-1, L. 1133-1 et L. 1321-3 du code du travail, le licenciement,prononc en violation dune libert ou dun droit fondamental ou pour un motifdiscriminatoire, est nul, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres griefs viss la lettrede licenciement.

    Selon la deuxime branche, fonde sur la violation des articles L. 1234-1,L. 1331-1, L. 1234-9 et L. 1232-1 du code du travail, le refus du salari de sesoumettre une mise pied conservatoire injustifie ne peut justifier son licenciement.En labsence de faute grave susceptible dtre reproche Mme Afif pour avoir refusde quitter son voile, la mise pied conservatoire ntait pas justifie et, en

  • E132836913

    consquence, le refus de Mme Afif de sy soumettre en demeurant sur son lieu detravail ne pouvait justifier son licenciement pour faute grave.

    Selon la troisime branche, fonde sur la violation des mmes textes queceux viss par la deuxime branche, nest pas fautif le comportement du salari quin'est que l'expression de son refus de se conformer une dcision illicite del'employeur, tel que le comportement faisant lobjet, en lespce, de lensemble desautres griefs reprochs Mme Afif, lesquels, nauraient t que lexpression, aussi vivesoit-elle, de son refus de se conformer lordre illicite qui lui avait t donn dter sonvoile.

    Selon la quatrime branche, fonde sur la violation des articles 4 du codecivil et L. 1234-1, L. 1331-1, L. 1234-9 et L. 1232-1 du code du travail, lorsque sontinvoqus plusieurs griefs de licenciement dont lun deux est susceptible dentraner lanullit du licenciement, le juge est tenu dexaminer ce grief au pralable et deprononcer la nullit du licenciement, sans pouvoir sen dispenser au prtexte que lesautres griefs invoqus seraient eux seuls constitutifs dune faute grave. Ensabstenant de rechercher, comme elle y tait expressment invite, si le refus de lasalarie dter son voile islamique pouvait, sagissant de lexercice dune libert et delexpression de convictions personnelles licites, tre sanctionn disciplinairement etcaractriser une faute et donc de sinterroger sur la nullit du licenciement, la courdappel aurait mconnu son office et viol les textes susviss.

    Le cinquime moyen, qui est dirig contre les motifs par lesquels la courdappel de Paris statue sur les autres motifs de licenciement que celui pris du refus deMme Afif dter son voile, est divis en deux branches.

    Selon la premire branche, fonde sur la violation des articles L. 1234-1, L.1234-9, L. 1232-1 et L. 1331-1 du code du travail, ne caractrise pas une faute graveprivative des indemnits de licenciement le seul fait de se maintenir sur les lieux dutravail aprs notification dun ordre denlever un signe religieux qui, le supposer licite , nen serait pas moins de nature affecter la salarie dans ses convictions,et sans que ce maintien dans les lieux ait affect le fonctionnement de lentreprise,aucun trouble ce fonctionnement ntant caractris par larrt attaqu.

    Selon la seconde branche, fonde sur la violation des mmes articles queceux viss par la premire branche et de larticle 4 du code civil, la lettre delicenciement ne mentionnait aucun fait dagressivit lgard de quiconque et encoremoins lgard des collgues de Mme Afif, de sorte que la cour dappel ne pouvaitlui imputer ce fait faute.

    III - Principaux points de droit faisant difficult juger

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    Le prsent pourvoi invite lassemble plnire rpondre aux questionssuivantes :

    - Lobligation de neutralit confessionnelle inscrite, dans ses statuts et dans sonrglement intrieur, par une association dont laction est oriente vers la petite enfanceen milieu dfavoris et qui oeuvre pour linsertion sociale et professionnelle desfemmes, constitue-t-elle une conviction dont cette association pourrait se prvaloir, enapplication de la jurisprudence de la Cour europenne des droits de lhomme et dudroit de lUnion, pour justifier que linterdiction impose son personnel de porter unvoile islamique ne soit pas considre comme une discrimination fonde sur lareligion ?

    - La cration dune organisation prive dont lthique est fonde sur le seulprincipe de neutralit confessionnelle, constitutif dune conviction, au sens de laConvention et du droit de lUnion, ne peut-elle en droit interne rsulter que dune loi ?

    - Une association peut-elle se prvaloir du statut dentreprise de conviction,aprs la date dadoption de la directive 2000/78, en labsence de lgislation nationaleautorisant une telle organisation pratiquer, lgard de son personnel, desdiffrences de traitement en raison de la religion qui peuvent, certaines conditions,ne pas tre qualifies de discriminations fondes sur la religion ?

    - Pour tre licites, les restrictions la libert religieuse institues lgard deses employs par une entreprise de conviction doivent-elles, comme celles quepeuvent prvoir les autres employeurs privs, tre justifies par la nature de la tche accomplir, rpondre une exigence professionnelle essentielle et dterminante ettre proportionnes au but recherch ?

    - Le licenciement de lemploy dune entreprise de conviction, motiv parlinobservation de la conviction dont elle se rclame, peut-il tre qualifi de fautegrave ?

    - La clause du rglement intrieur dune association, que celle-ci rponde ounon la qualification juridique dentreprise de conviction, selon laquelle Le principede la libert de conscience et de religion de chacun des membres du personnel nepeut faire obstacle au respect des principes de lacit et de neutralit qui s'appliquentdans l'exercice de l'ensemble des activits dveloppes par Baby-Loup, tant dans leslocaux de la crche, ses annexes ou en accompagnement extrieur des enfantsconfis la crche lextrieur , est elle gnrale et imprcise et, en consquence,illicite comme portant une atteinte disproportionne la libert religieuse de sesemploys ?

    IV - Analyse des principaux points de droit invoqus

  • E132836915

    1Mmoire ampliatif, p. 3

    2Rapport de M. le conseiller Huglo, dans la prsente affaire, pourvoi n F 11-28.845, page 7.

    3Sur la difficult de dfinir un signe religieux, v. P. Waquet, dans Convient-il dinterdire le portde signes religieux dans lentreprise ? , Le droit actuel offre toutes les ressources utiles , Revue de droitdu travail 2009, p. 485.

    4 CEDH, Manoussakis et autres c. Grce, arrt du 26 septembre 1996, Recueil 1996-IV, p. 1365, 47, Hassan et Tchaouch c. Bulgarie [GC], n 30985/96, 78, 2000-XI, Refah Partisi (Parti de laprosprit) et autres c. Turquie [GC], n 41340/98, 41342/98, 41343/98 et 41344/98, 91, 2003-II. Ceprincipe ne semble pas avoir t appliqu par le procureur gnral de Paris dans ses conclusionsprsentes, le 14 octobre 2013, dans la prsente affaire, devant la cour dappel de Paris, lequel a estimque linterdiction du port du voile islamique limite une manifestation dappartenance religieuse dontle caractre obligatoire nest pas tabli est tout fait proportionn au but recherch par lemployeur, avant

    Avant dexaminer les principales questions souleves par le prsent pourvoi, quise rapportent au droit pour la directrice ajointe et ducatrice dune crche priverevendiquant une obligation de neutralit confessionnelle de porter un voile islamiquesur son lieu de travail (B) et au respect par larrt attaqu des rgles applicables enmatire de licenciement (C), il convient de rappeler divers lments de contextepermettant de mieux cerner la place du voile islamique au sein de la socit (A).

    A - Le voile islamique

    Dans la prsente affaire, la clause incrimine du rglement intrieur delassociation Baby-Loup impose le respect des principes de lacit et de neutralit,obligation qui emporte, selon larrt attaqu, interdiction de porter tout signeostentatoire de religion.

    Il nest pas contest que le signe de religion considr comme ostentatoireque portait Mme Afif lorsquelle sest prsente la crche, le 9 dcembre 2008, pourreprendre son travail, tait un voile islamique dcrit comme un foulard autour duvisage1 et laissant visible lovale du visage2, quelle a refus dter.

    Le voile islamique, dont la signification religieuse ne semble pas clairementtablie et dont le port est diversement peru par le juge (1o), se trouve soumis, dansplusieurs Etats, des rgimes juridiques varis (2o).

    1o) Sens du voile islamique et perception

    Il nappartient pas la Cour de cassation de se prononcer sur le sens,notamment religieux, et sur le caractre obligatoire ou facultatif, selon les prescriptionsde lislam, du port du voile islamique3. Selon la Cour europenne des droits delhomme, le droit la libert de religion exclut toute apprciation de la part de lEtat surla lgitimit des croyances religieuses ou sur les modalits dexpression de celles-ci4.

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    de prciser les autres raisons pour lesquelles il considrait que la restriction litigieuse respectait le principede proportionnalit.

    5CEDH, Leyla Sahin c. Turquie [GC], n 44774/98, 78, 2005-XI, les passages souligns descitations figurant dans le prsent rapport le sont toujours par le rapporteur.

    6Cour suprme du Canada, 30 juin 2004 Syndicat Northcrest c. Amselem, cit dans Le voileintgral dans lespace public en Belgique, audition dE. Delruelle auprs de la Commission denquteparlementaire de lAssemble nationale franaise sur le port du voile intgral sur le territoire national .Ambassade de France, le 13 novembre 2009.

    7Rapport, p. 121, R. Dubertrand, Perceptions internationales de la lacit en France .

    8Ibid. p. 122.

    Au regard du droit la libert religieuse, la Cour europenne des droits delhomme a jug, sagissant de linterdiction du port du voile islamique par une tudianteturque, que, dans la mesure o la requrante, en revtant un foulard, [estime obir] un prcepte religieux et, par ce biais, manifeste sa volont de se conformerstrictement aux obligations de la religion musulmane, (...) lon peut considrer quilsagit dun acte motiv ou inspir par une religion ou une conviction et, sans seprononcer sur la question de savoir si cet acte, dans tous les cas, constituelaccomplissement dun devoir religieux, la Cour partira du principe que larglementation litigieuse, qui soumet le port du foulard islamique des restrictions delieu et de forme dans les universits, a constitu une ingrence dans lexercice par larequrante du droit de manifester sa religion5.

    La Cour suprme du Canada a tenu le mme raisonnement dans laffaireAmselem. La Cour suprme y dfinit la libert religieuse comme la libert de se livrer des pratiques et dentretenir des croyances ayant un lien avec une religion, pratiqueset croyances que lintress exerce ou manifeste sincrement, selon le cas, dans lebut de communiquer avec une entit divine ou dans le cadre de sa foi spirituelle,indpendamment de la question de savoir si la pratique ou la croyance est prescritepar un dogme religieux officiel ou conforme la position de reprsentants religieux 6.

    Il nest cependant pas inutile de rappeler, comme lment de contexte, lesopinions exprimes par des autorits religieuses de lislam sur ce sujet. Ainsi que laexpos lObservatoire de la lacit, dans son rapport dtape du 25 juin 2013, certainesautorits musulmanes du monde arabe considrent que le voile nest pas un signe ou un symbole , mais une prescription religieuse7. Selon le rapport, certaines voixont fait valoir, en revanche, que le voile ntait pas une obligation et que son port taitbas sur une interprtation errone du Coran 8.

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    9Selon C. Wolmark, La manifestation de sa religion, par le port dun foulard notamment, et leproslytisme doivent tre nettement distingus (...). Le proslytisme est susceptible dtre trait dans lescatgories de labus du droit dexpression (...) ce qui nest pas le cas du simple port dun signe religieuxqui nest pas en tant que tel, il faut insister, un zle dploy pour rpandre la foi, dfinition du proslytisme, dans Convient-il dinterdire le port de signes religieux dans lentreprise ? , Lentreprise nest pas untablissement scolaire , Revue de droit du travail 2009, p. 485.

    10 CEDH, Dahlab c. Suisse, arrt du 15 fvrier 2001, n 42393/98, 2001-V.

    Il y a lieu dajouter quaux termes de la Recommandation no 1927 Islam,islamistes et islamophobie en Europe du 23 juin 2010 de lAssemble parlementairedu Conseil de lEurope: ni le port du voile intgral par les femmes, ni celui du foulard,ne sont universellement reconnus comme une obligation religieuse impose par lislam;ils relveraient plutt dune habitude sociale et culturelle, cette tradition peutreprsenter une menace pour la dignit et la libert des femmes, aucune femme nedevrait tre contrainte de porter une tenue religieuse par sa communaut ou sa familleet il importe de protger les femmes contre toute exclusion de la vie publique

    Les apprciations portes par certaines juridictions statuant en dernier ressortsur les caractristiques du voile islamique, qui reflte la manire dont celui-ci peut treperu par le juge exerant sa mission de dire le droit, expriment une certainedivergence, le voile islamique, selon la juridiction concerne, prsentant un caractreostensible certain ou exprimant une revendication proslyte9.

    Ainsi, selon la Cour europenne des droits de lhomme, statuant sur un recoursexerc par une institutrice de lenseignement public contre la dcision dautoritsnationales de lui interdire de porter un foulard islamique dans le cadre de ses activits,a estim quil est bien difficile dapprcier limpact quun signe extrieur fort tel que leport du foulard peut avoir sur la libert de conscience et de religion denfants en basge. En effet, la requrante a enseign dans une classe denfants entre quatre et huitans et donc dlves se trouvant dans un ge o ils se posent beaucoup de questionstout en tant plus facilement influenables que dautres lves se trouvant dans un geplus avanc. Comment ds lors pourrait-on dans ces circonstances dnier de primeabord tout effet proslytique que peut avoir le port du foulard ds lors quil semble treimpos aux femmes par une prescription coranique qui, comme le constate le Tribunalfdral, est difficilement conciliable avec le principe dgalit des sexes. Aussi,semble-t-il difficile de concilier le port du foulard islamique avec le message detolrance, de respect dautrui et surtout dgalit et de non-discrimination que dans unedmocratie tout enseignant doit transmettre ses lves10.

    Statuant, avant lentre en vigueur de la loi no 2004-228 du 15 mars 2004encadrant en application du principe de lacit le port de signes ou de tenuesmanifestant une appartenance religieuse dans les coles, collges et lyces publics,sur un recours relatif au port dun foulard par une lve dans lenceinte de son lyce,le Conseil dEtat a jug que le foulard par lequel [cette lve] entendait exprimer ses

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    11CE, 27 novembre 1996, n 170941.

    12CE, 5 dcembre 2007, n 285394, 285395, 285396.

    131re civ., 21 juin 2005, Bull. I, n 271.14C. Wolmark, article prc.

    convictions religieuses ne saurait tre regard comme un signe prsentant par sanature un caractre ostentatoire ou revendicatif et dont le port constituerait dans tousles cas un acte de pression ou de proslytisme11.

    Aprs lentre en vigueur de la loi du 15 mars 2004, qui a cr larticleL. 141-5-1 du code de lducation, aux termes duquel, "dans les coles, les collgeset les lyces publics, le port de signes ou tenues par lesquels les lves manifestentostensiblement une appartenance religieuse est interdit.", le Conseil dEtat a considrquil rsultait de ce texte que si les lves des coles, collges et lyces publicspeuvent porter des signes religieux discrets, sont en revanche interdits, d'une part, lessignes ou tenues, tels notamment un voile ou un foulard islamique, une kippa ou unegrande croix, dont le port, par lui-mme, manifeste ostensiblement une appartenancereligieuse, d'autre part, ceux dont le port ne manifeste ostensiblement uneappartenance religieuse qu'en raison du comportement de l'lve12.

    La Cour de cassation, quant elle, a considr que le port dun voile par llvedun collge constituait un simple mode d'expression ostensible de [ses convictionsreligieuses] 13.

    Sagissant de linterfrence qui existe parfois, au sujet du port du voile, entre ledroit la libert religieuse et le principe de lgalit entre hommes et femmes, la Coureuropenne des droits de lhomme, dans larrt Dahlab, prcit, a considr que leport du foulard (...) semble tre impos aux femmes par une prescription coranique qui(..) est difficilement conciliable avec le principe dgalit des sexes . Il a aussi tsoulign par un auteur quil paraissait quelque peu paradoxal au nom de la dignit dela femme, de prsumer que le port dun voile ou dun foulard nest que le produit dunesoumission, ce qui conduit refuser dentendre la parole de femmes musulmanes 14.

    2o) Elments de droit compar

    Ltude des normes en vigueur dans plusieurs Etats rvle lexistence deconceptions nationales trs diffrentes et, en consquence, de statuts juridiques desenseignants, au sein des tablissements prscolaires et scolaires, dune grandevarit, du point de vue de la libert religieuse et, en particulier, quant au port du voileislamique.

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    15Selon la dfinition qui en est donne dans une tude de droit compar du Snat (Documentsde travail du Snat, srie Lgislation compare, Le port de la Burqa dans les lieux publics, n LC 201,octobre 2009), la burqa, qui est le vtement traditionnel des tribus pachtounes d'Afghanistan, recouvreentirement la femme en dissimulant les yeux derrire un grillage, mais elle laisse apparatre les mains,qui peuvent nanmoins tre couvertes par des gants.

    16CEDH, Leyla Sahin, prc. 59; Etude, prcite, du Snat. Dans cette tude, il est prcis que Si le port du foulard islamique n'est pas expressment mentionn par les textes, il est vis au titre dessymboles religieux ou des manifestations religieuses extrieures. Les dispositions adoptes par lesLnder de Berlin, Hesse et Bavire sont plus prcises : elles font rfrence au port d'une pice devtement . Dans ces Lnder, les enseignantes qui portaient en classe un foulard islamique ou unsubstitut comme une casquette ou un bret ont toutes perdu leur procs .

    17 Le port du voile dans les garderies denfants (Allemagne, Belgique et Pays-Bas) . Etuderalise par le bureau du droit compar du SAEI, Ministre de la justice, octobre 2012.

    Pour conserver leur caractre pertinent aux fins de lexamen du prsent pourvoi,auquel ils ne sauraient prtendre apporter de rponse normative, les lments de droitcompar en matire de libert religieuse qui suivent doivent tre examins avecprcaution. Il convient de toujours distinguer le caractre public et priv de la personneen cause et, au sein dun tablissement prscolaire ou scolaire, de prter attention lge des lves, au sujet (enfant ou enseignant) et lobjet (voile ou burqa) de larestriction, linterdiction du port dun signe religieux nayant pas la mme valeurcomparative selon les cas. Il reste que mme limite, par exemple, aux tablissementspublics, une information telle que celle relative au droit des enseignantes, enAllemagne, de porter le voile islamique, sauf loi contraire, et celle, relative au droit destablissements scolaires publics britanniques dinterdire la burqa, vtementsensiblement plus couvrant que le voile islamique15, sont clairantes par linterprtationa fortiori que lon peut faire de ces droits pour les tablissements caractre ducatifprivs.

    La diversit des rgimes va de la libert la prohibition du port du voileislamique par les employes des garderies ou des coles, en passant par unedlgation aux autorits dcentralises de la comptence pour dcider de rglementerou non cette pratique.

    En Allemagne, la Cour constitutionnelle fdrale a jug, par une dcision du24 dcembre 2003, quen labsence dinterdiction lgislative expresse, lesenseignantes taient autorises porter le foulard et que, lorsquils entendent interdirele port du foulard islamique dans les coles publiques, les Lnder devaient rglementerla tenue vestimentaire des enseignants16. La solution a t transpose aux garderies,ainsi que lont confirm certaines juridictions nationales, le port du voile islamique tantadmis en labsence de norme contraire17. Huit Lnder sur seize ont adopt des

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    18Etude comparative sur la lacit du bureau du droit compar du SAEI, Ministre de la justice,juillet 2013.

    19Etude du ministre de la justice de 2012, prc.

    20Etude du Snat de 2009, prc. Information arrte la date de ltude.21Ibid.

    22Etude du ministre de la justice de 2012, prc.

    23Parlement danois. Etude du Snat de 2009, prc. Information arrte la date de ltude.

    dispositions spcifiques18, en invoquant le devoir de neutralit de lEtat lgard deslves et de leurs parents, ainsi que la ncessit de ne pas troubler lordre scolaire. Deux Lnder se sont dots dune lgislation sur linterdiction du port du voile dansles garderies. Dans le Bade-Wurtenberg, linterdiction de porter des signes religieuxsapplique aux tablissements publics. Dans le Land de Berlin, la loi applicable auxgarderies denfants ne fixe pas dinterdiction de principe du port de signes religieux lgard du personnel des garderies, mais reconnat aux parents le droit de sopposerau port de tels signes. En cas dopposition, une tentative de conciliation est entrepriseet, en cas dchec, linterdiction du port du foulard sapplique aux personnes en chargede lenfant dont les parents auront manifest leur opposition19.

    En Autriche, le port du foulard islamique par les enseignantes ne fait lobjetdaucune rglementation20. A Vienne, deux enseignantes ont port le foulard islamique,en 2008, sans susciter de problmes ou de plaintes21.

    En Belgique, en application de la loi du 1er juin 2011, visant interdire le portde tout vtement cachant totalement ou de manire principale le visage, il est interditde se prsenter dans les lieux accessibles au public le visage masqu ou dissimul entout ou en partie, de manire telle quils ne soient pas identifiables. Un rglement detravail , ou rglement intrieur dentreprise, peut cependant droger cette interdictionde principe. La puissance publique semble avoir dlgu aux directions dcole, enapplication de ce texte, la rglementation du port du voile intgral, solution critique parcertains responsables dtablissements scolaires qui rclamaient ladoption dun textede loi22.

    Au Danemark, aucun texte lgislatif ou rglementaire ne traite explicitement duport de signes religieux. Le port du foulard islamique est largement admis, y comprisdans les salles des sances du Folketing23.

  • E132836921

    24 Etude du Snat de 2009, prc. Information arrte la date de ltude.25Etude du Snat Le port du foulard islamique lcole , (Documents de travail du Snat, srie

    Lgislation compare, n LC 128, novembre 2003), information arrte la date de ltude.26Etude du Snat de 2009, prc.

    27Etude du ministre de la justice de 2012, prc.

    28Etude comparative sur la lacit du bureau du droit compar du SAEI, Ministre de la justice,juillet 2013

    29Etude du Snat de 2009, prc.

    En Espagne, aucun texte lgislatif ou rglementaire ne traite explicitement duport de signes religieux24. Lenseignement relve de la comptence des communautsautonomes et, dans la plupart dentre elles, le port du foulard par les lves dans lestablissements publics denseignement sest dvelopp sans quaucun dbat ait lieu.En labsence de rgles spcifiques et compte tenu, dune part, de la comptence descommunauts autonomes en matire dducation et, dautre part, de la relativeindpendance des tablissements scolaires, les conflits sont rgls localement, lapriorit tant donne la scolarisation des enfants25.

    Aux Pays-Bas, une loi interdisant le port de la burqa a t adopte en 2012.Avant cette loi, en 2004, la Commission pour lgalit de traitement avait estim queles vtements couvrant le visage pouvaient tre interdits dans les tablissementsscolaires parce qu'ils gnent l'identification ainsi que les relations personnelles et qu'ilsconstituent une source d'inscurit. La commission prcisait toutefois que lesinterdictions devaient tre formules de faon neutre et ne contenir aucune allusionau fait que les vtements viss sont ports pour des raisons religieuses26. Il nexistepas de texte interdisant le voile islamique dans les coles ou les garderies denfants.Il semblerait quen labsence de texte, la jurisprudence joue un rle important. Parexemple, le tribunal dHaarlem a rendu, le 4 avril 2011, un jugement permettant uncollge catholique dinterdire le port du voile islamique dans ses locaux, et ce,contrairement lavis qui avait t rendu par la Commission sur lgalit de traitement.La cour dappel dAmsterdam a confirm le jugement27.

    Le Royaume-Uni ne connat pas de principe gnral rgissant le port du voileou de tout signe extrieur religieux28. Le port du foulard islamique est gnralementadmis dans les lieux publics et ne semble pas susciter de difficult. C'est notammentle cas dans les coles, aussi bien pour les lves que pour les enseignantes, ainsi quedans l'exercice de certaines professions. Les agents de police, par exemple, peuventporter le foulard islamique29.

  • E132836922

    30Etude du ministre de la justice de 2013, prc.

    31Information du magistrat de liaison franais en Tunisie. On ignore si cette dcision est isoleet si elle est dfinitive.

    32Etude du ministre de la justice de 2013, prc.

    33A. Fiorentino, La libert religieuse sur les lieux de travail: approche comparative des systmesamricain et britannique , Revue de droit du travail, 2013, p. 649.

    34Etude du ministre de la justice de 2013, prc.

    En Algrie et au Maroc, il nexiste pas de disposition lgislative ourglementaire permettant de restreindre la libert de porter des signes ostensiblesdappartenance une religion30. En Tunisie, plusieurs circulaires prohibent le port duvoile islamique dans ladministration, les tablissements scolaires publics et, depuis1991, dans les tablissements scolaires privs. En 2007, un tribunal administratif a misfin la mesure de suspension dont faisait lobjet une enseignante dans une colesecondaire pour son insistance porter le voile. Le tribunal administratif a considrque cette dcision de licenciement tait inconstitutionnelle comme contraire auxdispositions de l'article 5 de la constitution de 1959 qui garantissait la libert du culte31.

    Enfin, au Canada, en droit du travail, doit tre releve la pratique desaccommodements raisonnables, destine la recherche, par les juridictions, duneconciliation entre les croyances religieuses personnelles et les ncessits sociales.Lobligation daccommodement est celle qui est impose lemployeur de prendre desmesures raisonnables, lesquelles ne doivent pas lui causer de contrainte excessive,afin de composer avec les pratiques religieuses de lemploy, victime dunediscrimination en raison dune rgle ou dune condition de travail. Plus frquemmentinvoque pour des motifs de discrimination en raison du sexe ou dun handicap quereligieux, il en a t fait usage, aux fins de respecter les croyances religieuses, pourautoriser le port du turban sikh dans la gendarmerie canadienne. De mme, lescroyants sikh ont t dispenss du port du casque de scurit, pour porter leur turban,sur le site du port de Montral32. La mme notion existe dans le droit des Etats-Unis.Apparue en 1964 dans une dcision de la Commission institue par le Congrs poursurveiller lapplication sur le lieu de travail de la loi Civil Rights Act, elle a t insredans cette dernire loi en 197233. Dans le but daccommoder la libert religieuse aucontexte professionnel, les forces de police des trois plus grandes villes de Etats-Unisont adopt des rgles permettant leurs agents de porter le voile dans lexercice deleurs fonctions34.

    B - Le droit pour lemploye, directrice ajointe et ducatrice, dune crcheprive revendiquant une obligation de neutralit confessionnelle, de porter unvoile islamique

  • E132836923

    Il convient de rappeler, aux fins de se prononcer sur lexistence dun tel droit,au regard des motifs contests de larrt de la cour dappel de Paris et du jugementquil confirme, dune part, la substance de ces dcisions ainsi que de larrt de la courdappel de Versailles (1o), et, dautre part, les normes de droit europen applicables enmatire de libert religieuse (2o) avant de sinterroger sur les principaux thmessuivants, invoqus par le pourvoi : lentreprise de conviction (3o) et les justifications desrestrictions lexercice de la libert religieuse ou des diffrences de traitement dessalaris en raison de leurs convictions religieuses (4o).

    1o) Principes de raisonnement des juges du fond

    Bien que conduisant la mme dcision de rejet du recours de Mme Afif enannulation de son licenciement, ainsi que des demandes indemnitaires y affrentes,les raisonnements du conseil de prudhommes de Mantes-la-Jolie, de la cour dappelde Versailles et de la cour dappel de Paris sont fonds sur des motifs diffrents, donton rappellera les grandes lignes.

    a - Le jugement du conseil de prudhommes de Mantes-la-Jolie

    Le rejet par le conseil de prudhommes du recours form par Mme Afif estprincipalement fond sur la violation, par le refus de celle-ci dter le voile islamiquequelle portait sur son lieu de travail, des dispositions du rglement intrieur delassociation Baby-Loup imposant son personnel, de manire licite, de respecter lesprincipes de lacit et de neutralit applicables au personnel de lassociation Baby-Loup, eu gard lactivit de service public de celle-ci.

    b - Larrt de la cour dappel de Versailles

    Le rejet du recours de Mme Afif, confirm par la cour dappel de Versailles, nestpas exactement justifi par les mmes motifs que ceux des juges de premireinstance.

    Si le rejet est lui aussi fond sur la violation, constitue par le refus de Mme Afifdter son voile islamique, des dispositions considres comme licites du rglementintrieur de lassociation, le raisonnement suivi par la cour dappel de Versailles sedistingue de celui du conseil de prudhommes sur les points suivants:

    Dune part, la cour dappel rappelle les dispositions des statuts de lassociationqui dfinissent le but, poursuivi par lassociation, de dvelopper une action orientevers la petite enfance en milieu dfavoris et doeuvrer pour linsertion sociale etprofessionnelle des femmes du quartier.

    Dautre part, la qualification de service public attribue lactivit delassociation a disparu.

  • E132836924

    Enfin, la rfrence au principe de lacit, quoique maintenue par la citation dela clause applicable du rglement intrieur, est en retrait, dans le raisonnement, parrapport lobligation de neutralit quimposent au personnel de lassociation tant sesstatuts que son rglement intrieur.

    En consquence, la cour dappel retient, par un motif nouveau par rapport aujugement contest, que le rejet est fond sur la considration principale que lesrestrictions ainsi prvues la libert religieuse sont justifies par la nature de la tche accomplir et proportionnes au but recherch, au sens des articles L. 1121-1 et L.1321-3 du code du travail.

    c - Larrt de la cour dappel de Paris

    Larrt attaqu emprunte, quant lui, une troisime voie pour rejeter le recourset dclarer justifi le licenciement de Mme Afif.

    Les quatre sries de motifs nouveaux sont les suivants :

    En premier lieu, lassociation est une entreprise de conviction, au sens de lajurisprudence de la Cour europenne des droits de lhomme.

    En deuxime lieu, les missions de lassociation Baby-Loup sont dintrtgnral, au point dtre frquemment assures par des services publics et debnficier, en loccurrence, de financements publics.

    En troisime lieu, la formulation de lobligation de neutralit qui simpose aupersonnel de lassociation dans son rglement intrieur est suffisamment prcise pourtre entendue comme tant dapplication limite aux activits dveil etdaccompagnement des enfants lintrieur et lextrieur des locaux professionnels,de sorte quelle na pas la porte dune interdiction gnrale.

    Enfin, les restrictions ainsi prvues la libert religieuse rpondent aussi, dansce cas particulier, lexigence professionnelle essentielle et dterminante de respecteret protger la conscience en veil des enfants, mme si cette exigence ne rsulte pasde la loi.

    Au motif de larrt de la cour dappel de Versailles selon lequel les restrictionsainsi prvues la libert religieuse sont justifies par la nature de la tche accompliret proportionnes au but recherch, au sens des articles L. 1121-1 et L. 1321-3 ducode du travail, la cour dappel de Paris ajoute que ces restrictions ne prsentent pasun caractre discriminatoire, au sens de larticle L. 1132-1 du code du travail.

    d - Les termes de la divergence entre la cour dappel de Paris etla Cour de cassation

  • E132836925

    35F. Sudre, Droit europen des droits de lhomme , 2013, points 200 et s.

    36Ibid., CEDH, 25 mai 1993, Kokkinakis c/Grce, n 14307/88, 33; 13 dc. 2001, Eglisemtropolitaine de Bessarabie et autres c/ Moldova, n 45701/99, 114 et s.

    Dans son arrt du 19 mars 2013, la chambre sociale a cass larrt de la courdappel de Versailles au motif que la clause litigieuse du rglement intrieur delassociation Baby-Loup instaurait une restriction gnrale et imprcise la libertreligieuse, de sorte que le licenciement de Mme Afif tait nul comme ayant tprononc pour un motif discriminatoire en raison de la religion.

    La divergence de vues entre la cour dappel de Paris et la Cour de cassation,justifiant le renvoi du prsent pourvoi devant lassemble plnire, est exprime parle motif de larrt attaqu selon lequel lobligation de neutralit formule dans lerglement intrieur de lassociation est suffisamment prcise.

    2o) La libert religieuse en droit europen

    Ainsi que le rappelle M. Sudre, La libert davoir des convictions et descroyances ne peut tre quabsolue: sagissant dides et de convictions profondes, seforgeant dans le for intrieur de la personne, et ne pouvant donc en soi porter atteinte lordre public, toute restriction de la part des autorits de lEtat est interdite 35.

    Il ajoute que La libert davoir des convictions et des croyances impliquenaturellement celle de manifester ses convictions ou ses croyances, en particulier sareligion , mais qu il nen reste pas moins vrai que certaines limitations sont possiblespour concilier les intrts des divers groupes et le respect des convictions dechacun 36.

    a - Droit de la Convention

    - Dispositions applicables

    Aux termes de larticle 9 de la Convention, intitul Libert de pense, deconscience et de religion :

    1. Toute personne a droit la libert de pense, de conscience et de religion ; cedroit implique la libert de changer de religion ou de conviction, ainsi que la libert demanifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ouen priv, par le culte, lenseignement, les pratiques et laccomplissement des rites.

    2. La libert de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire lobjet dautresrestrictions que celles qui, prvues par la loi, constituent des mesures ncessaires,dans une socit dmocratique, la scurit publique, la protection de lordre, de la

  • E132836926

    37V. Berger, Une logique de mise en balance des intrts , Semaine sociale Lamy, 25 mars2013, n 1577. Voir, comme exemple dapplication de cette mthode, CEDH, Leyla Sahin c/ Turquie,prc., 75 et suivants.

    38F. Sudre, Les obligations positives dans la jurisprudence europenne des droits de lhomme, Revue trimestrielle des droits de lhomme, 1995, p. 363.

    sant ou de la morale publiques, ou la protection des droits et liberts dautrui.

    Aux termes de larticle 14 de la Convention, intitul Interdiction dediscrimination :

    La jouissance des droits et liberts reconnus dans la prsente Convention doit treassure, sans distinction aucune, fonde notamment sur le sexe, la race, la couleur,la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, loriginenationale ou sociale, lappartenance une minorit nationale, la fortune, la naissanceou toute autre situation.

    - Mthodes et interprtation

    La mthode mise en oeuvre par la Cour europenne des droits de lhomme pourcontrler le respect de larticle 9 de la Convention commence par la vrification delexistence, dune part, du droit dont la protection est invoque par le requrant, et,dautre part, de lingrence de lEtat dans ce droit. Lorsquune ingrence existe, la Coursassure, conformment larticle 9, paragraphe 2, de la Convention, quelle poursuitun but lgitime, quelle est prvue par la loi et quelle est ncessaire dans une socitdmocratique37. Cette mthode est caractristique du contrle du respect par les Etatsde leurs obligations ngatives , qui consiste sabstenir de porter atteinte aux droitset liberts.

    La Cour de Strasbourg semble suivre une mthode diffrente de la prcdente,lorsquelle est saisie dune plainte qui nest pas dirige contre une action de lEtat, maiscontre une personne prive, et en particulier, comme en lespce, contre uneingrence impute un employeur. Les Etats sont, en pareil cas, investis d obligations positives, lesquelles ont un contenu prcis : adopter des mesuresraisonnables et adquates pour protger les droits que lindividu tient de laConvention 38. La mthode est ainsi dcrite par la Cour : si de nombreusesdispositions de la Convention ont essentiellement pour objet de protger l'individucontre toute ingrence arbitraire des autorits publiques, il peut en outre exister desobligations positives inhrentes un respect effectif des droits concerns (zgrGndem c. Turquie, no 23144/93, 41, CEDH 2000-III). Elle raffirme que de tellesobligations peuvent aussi s'imposer sur le terrain de l'article 9 de la Convention(Membres (97) de la Congrgation des tmoins de Jhovah de Gldani c. Gorgie, no71156/01, 134, CEDH 2007-V). Ces obligations peuvent ncessiter l'adoption de

  • E132836927

    39CEDH, Siebenhaar c. Allemagne, arrt du 3 fvrier 2011, n 18136/02, 38.40Ibid, 40

    mesures visant au respect de la libert de religion jusque dans les relations desindividus entre eux. Si la frontire entre les obligations positives et ngatives de l'Etatau regard de l'article 9 ne se prte pas une dfinition prcise, les principesapplicables sont nanmoins comparables. En particulier, dans les deux cas, il fautprendre en compte le juste quilibre mnager entre l'intrt gnral et les intrts del'individu, l'Etat jouissant en toute hypothse d'une marge d'apprciation (voir, mutatismutandis, Evans c. Royaume-Uni [GC], no 6339/05, 75-76, CEDH 2007-IV,Rommelfanger, dcision prcite ; voir aussi Fuentes Bobo c. Espagne, no 39293/98, 38, 29 fvrier 2000) 39. Dans cette dernire affaire, par exemple, la Cour sest posela question de savoir si l'Etat tait tenu, dans le cadre de ses obligations positivesdcoulant de l'article 9, de reconnatre la requrante le droit sa libert de religioncontre la mesure de licenciement prononce par [son employeur] . Et c'est enexaminant la mise en balance effectue par les juridictions du travail nationales dece droit de la requrante avec le droit de son employeur dcoulant notamment delarticle 9 que la Cour apprcie si la protection offerte la requrante a atteint ou nonun degr satisfaisant 40.

    Sagissant de larticle 14 de la Convention, la Cour de Strasbourg juge que cetexte na pas dexistence indpendante puisquil vaut uniquement pour la jouissancedes droits et liberts garantis par les autres dispositions normatives de la Conventionet des Protocoles . Elle ajoute que cependant, il peut entrer en jeu mme sans unmanquement leurs exigences et, dans cette mesure, possde une porteautonome . Selon la Cour, seules les diffrences de traitement fondes sur unecaractristique identifiable ( situation ) sont susceptibles de revtir un caractrediscriminatoire aux fins de larticle 14 (...). La religion est expressment mentionne larticle 14 parmi les motifs de discrimination interdits . Poursuivant la dlimitationdu domaine de larticle 14, la Cour de Strasbourg prcise qu en principe, pour quunproblme se pose au regard de larticle 14, il doit y avoir une diffrence dans letraitement de personnes places dans des situations analogues ou comparables (...)[et que] le droit de jouir des droits garantis par la Convention sans tre soumis discrimination est galement transgress lorsque, sans justification objective etraisonnable, les Etats nappliquent pas un traitement diffrent des personnes dontles situations sont sensiblement diffrentes . Enfin, la Cour ajoute qu une telledistinction entre personnes dans une situation comparable ou un tel dfaut detraitement diffrent entre personnes dans des situations sensiblement diffrentes estdiscriminatoire si lun ou lautre manque de justification objective et raisonnable,cest--dire si lun ou lautre ne poursuit pas un but lgitime ou sil ny a aucun rapportraisonnable de proportionnalit entre les moyens employs et le but vis et que lesEtats contractants jouissent dune certaine marge dapprciation pour dterminer si etdans quelle mesure des diffrences entre des situations dautres gards analogues

  • E132836928

    41CEDH, arrt du 15 janvier 2013, Eweida et autres c/ Royaume-Uni, n 48420/10, 59842/10,51671/10 et 36516/10, 85-88

    42Rapport, IV, B, 3), a, p. 31.

    justifient des distinctions de traitement (...). Ltendue de cette marge dapprciationvarie selon les circonstances, les domaines et le contexte 41.

    b - Droit de lUnion europenne

    Aux termes de larticle 10, paragraphe 1, de la Charte, intitul Libert depense, de conscience et de religion , Toute personne a droit la libert de pense,de conscience et de religion. Ce droit implique la libert de changer de religion ou deconviction, ainsi que la libert de manifester sa religion ou sa convictionindividuellement ou collectivement, en public ou en priv, par le culte, l'enseignement,les pratiques et l'accomplissement des rites .

    Aux termes de larticle 51, paragraphe 1, de la Charte, intitul Porte etinterprtation des droits et des principes , Toute limitation de l'exercice des droits etliberts reconnus par la prsente Charte doit tre prvue par la loi et respecter lecontenu essentiel desdits droits et liberts. Dans le respect du principe deproportionnalit, des limitations ne peuvent tre apportes que si elles sontncessaires et rpondent effectivement des objectifs d'intrt gnral reconnus parl'Union ou au besoin de protection des droits et liberts d'autrui .

    Aux termes de larticle 51, paragraphe 3, de la Charte, lequel tablit un lien entreles droits de la Charte et ceux de la Convention, Dans la mesure o la prsenteCharte contient des droits correspondant des droits garantis par la Conventioneuropenne de sauvegarde des droits de l'homme et des liberts fondamentales, leursens et leur porte sont les mmes que ceux que leur confre ladite convention. Cettedisposition ne fait pas obstacle ce que le droit de l'Union accorde une protection plustendue .

    Outre larticle 4, paragraphe 2, de la directive 2000/78, cit dans le prsentrapport42, on rappellera les termes de larticle 4, paragraphe 1, de la mme directive,applicable en la cause : Nonobstant l'article 2, paragraphes 1 et 2, les tats membrespeuvent prvoir qu'une diffrence de traitement fonde sur une caractristique lie l'un des motifs viss l'article 1er ne constitue pas une discrimination lorsque, en raisonde la nature d'une activit professionnelle ou des conditions de son exercice, lacaractristique en cause constitue une exigence professionnelle essentielle etdterminante, pour autant que l'objectif soit lgitime et que l'exigence soitproportionne.

  • E132836929

    43Tendenzbetrieb, littralement tablissement de tendance .

    44J.-P. Margunaud, Les droits de lHomme salari de lentreprise identitaire , Recueil Dalloz2011, p. 1637.

    45Ph. Waquet, Loyaut du salari dans les entreprises de tendance , Gaz. Pal. 1996, p. 1427.46Il parat possible davancer lide que la notion d entreprises de tendance , correspond celle

    d organisations publiques ou prives dont lthique est fonde sur la religion ou les convictions (article4, paragraphe 2, de la directive 2000/78).

    47voir, par exemple, CEDH, Siebenhaar c. Allemagne, prc., 46, et la jurisprudence cite.

    Cette disposition a t transpose en droit interne par la loi no 2008-496 du 27mai 2008 portant diverses dispositions dadaptation au droit communautaire dans ledomaine de la lutte contre les discriminations, laquelle a notamment modifi larticle L.1133-1 du code du travail, dans sa version applicable en lespce.

    3o) Lentreprise de conviction

    Ainsi que cela a t rappel, larrt attaqu qualifie lassociation Baby-Loupdentreprise de conviction.

    La notion d entreprise de conviction recouvre en partie une catgorie depersonnes dabord dsignes, dans la doctrine, par la dnomination : entreprise detendance , emprunte au droit allemand43, ou entreprise identitaire 44. Selon M.Waquet, on admet en gnral que les entreprises de tendance sont essentiellementdes associations, des syndicats ou des groupements (partis politiques, glises ouautres groupes caractre religieux), dans lesquels une idologie, une morale, unephilosophie ou une politique est expressment prne. Autrement dit, lobjet essentielde lactivit de ces entreprises est la dfense et la promotion dune doctrine ou dunethique 45.

    Le recours la qualification d entreprise de conviction par la cour dappel deParis est fond, de manire plus juridique, sur la Convention, eu gard la rfrenceexpresse faite par la cour dappel la jurisprudence de la Cour europenne des droitsde lhomme, laquelle interprte la notion de conviction , qui figure larticle 9 de laConvention, aux cts de la notion de religion , dont toute personne dispose de lalibert de changer et que toute personne est libre de manifester, au nom de la libertde pense, de conscience et de religion46. La Cour de Strasbourg admet quunemployeur dont lthique est fonde sur la religion ou sur les convictions puisseimposer ses employs des exigences professionnelles particulires47. Ces obligationsde loyaut sont susceptibles de limiter les droits que ceux-ci tiennent de la Convention:

  • E132836930

    48G. Calvs, Devoir de rserve impos aux salaris de la crche Baby-Loup, quelle lectureeuropenne du problme ? , Revue de droit du travail, n 2, fvrier 2014, p. 94.

    49Voir, par exemple, CEDH, 23 septembre 2010 Obst c/ Allemagne, n 425/03 et CEDH, 23septembre 2010 Schth c/ Allemagne, n 1620/03. Larticle 1er de la directive 2000/78 prvoit que celle-ci a pour objet d'tablir un cadre gnral pour lutter contre la discrimination fonde sur la religion ou lesconvictions, l'handicap, l'ge ou l'orientation sexuelle, en ce qui concerne l'emploi et le travail, en vue demettre en oeuvre, dans les tats membres, le principe de l'galit de traitement .

    50Entendue en ce sens volontairement tendu, la notion d entreprise de tendance comprendles organisations publiques ou prives dont lthique est fonde sur la religion ou les convictions , ausens de la directive 2000/78.

    droit la libert dexpression, droit au respect de la vie prive, droit au respect desconvictions religieuses, ou mme, dans le cas de prtres, libert syndicale48.

    Mme lorsque le litige dont elle est saisie se limite linvocation de restrictionsaux droits et liberts garantis par la Convention et ne ncessite en consquencelexamen daucune diffrence de traitement prtendument discriminatoire, la Coureuropenne des droits de lhomme se rfre au droit de lUnion applicable en matirede discrimination en citant la directive 2000/78, qui vise lutter contre lesdiscriminations fondes notamment sur la religion ou sur les convictions49.

    Les motifs par lesquels larrt attaqu qualifie lassociation Baby-Loupdentreprise de conviction sont critiqus par les sept premires branches du premiermoyen, pour la plupart affrentes la nature des convictions dont serait ou non endroit de se prvaloir un employeur, et par la quatrime branche du deuxime moyen,relative la clause de standstill (ou, en franais, de gel) institue par larticle 4,paragraphe 2, de la directive 2000/78.

    Les motifs de larrt qui dduisent de la qualification dentreprise de convictionattribue lassociation Baby-Loup son droit dexiger la neutralit de ses employs et,en cas de mconnaissance de cette obligation, de prononcer un licenciement pourfaute sont critiqus, respectivement, par la premire branche du deuxime moyen,relative la justification et la proportionnalit des restrictions quapporterait lalibert religieuse un employeur priv, ft-il le dirigeant dune entreprise de conviction,et par les deuxime et troisime branches du deuxime moyen, relatives limpossibilit de recourir un licenciement de nature disciplinaire de lemploy dontle comportement serait contraire la conviction de lentreprise.

    Il convient de rappeler le rgime applicable aux discriminations, tel quinstitupar la clause de standstill de larticle 4, paragraphe 2 de la directive 2000/78 invoqueen lespce (a), avant de prsenter la jurisprudence nationale et la jurisprudence dela Cour europenne des droits de lhomme en matire d entreprise de tendance 50(b) et de dterminer la nature des convictions de caractre non confessionnel qui

  • E132836931

    peuvent tre invoques par un employeur (c), les justifications possibles desrestrictions la libert religieuse dont peut se prvaloir une entreprise de convictionnon confessionnelle (d) et le caractre disciplinaire ou pour trouble objectif dulicenciement de lemploy dune entreprise de conviction (e).

    a - Larticle 4, paragraphe 2, de la directive 2000/78 instituant uneclause de standstill (ou de gel)

    Larticle 4, intitul Exigences professionnelles , dispose ce qui suit :

    2. Les tats membres peuvent maintenir dans leur lgislation nationale en vigueur la date d'adoption de la prsente directive ou prvoir dans une lgislation futurereprenant des pratiques nationales existant la date d'adoption de la prsentedirective des dispositions en vertu desquelles, dans le cas des activitsprofessionnelles d'glises et d'autres organisations publiques ou prives dont l'thiqueest fonde sur la religion ou les convictions, une diffrence de traitement fonde surla religion ou les convictions d'une personne ne constitue pas une discriminationlorsque, par la nature de ces activits ou par le contexte dans lequel elles sontexerces, la religion ou les convictions constituent une exigence professionnelleessentielle, lgitime et justifie eu gard l'thique de l'organisation. Cette diffrencede traitement doit s'exercer dans le respect des dispositions et principesconstitutionnels des tats membres, ainsi que des principes gnraux du droitcommunautaire, et ne saurait justifier une discrimination fonde sur un autre motif.

    Pourvu que ses dispositions soient par ailleurs respectes, la prsente directive estdonc sans prjudice du droit des glises et des autres organisations publiques ouprives dont l'thique est fonde sur la religion ou les convictions, agissant enconformit avec les dispositions constitutionnelles et lgislatives nationales, de requrirdes personnes travaillant pour elles une attitude de bonne foi et de loyaut enversl'thique de l'organisation .

    Le considrant 24 de la directive vise clairer les dispositions de larticle 4paragraphe 2 : L'Union europenne a reconnu explicitement dans sa dclaration no11 relative au statut des glises et des organisations non confessionnelles, annexe l'acte final du trait d'Amsterdam, qu'elle respecte et ne prjuge pas le statut dontbnficient, en vertu du droit national, les glises et les associations ou communautsreligieuses dans les tats membres et qu'elle respecte galement le statut desorganisations philosophiques et non confessionnelles. Dans cette perspective, lestats membres peuvent maintenir ou prvoir des dispositions spcifiques sur lesexigences professionnelles essentielles, lgitimes et justifies susceptibles d'trerequises pour y exercer une activit professionnelle .

    Le libell de larticle 4, paragraphe 2, semble limiter la comptence dontdisposent les Etats membres dadopter une loi permettant aux personnes, notamment

  • E132836932

    51Rapport du 17 janvier 2014 sur l'application de la directive 2000/43/CE du 29 juin 2000 relative la mise en oeuvre du principe de lgalit de traitement entre les personnes sans distinction de race oudorigine ethnique et de la directive 2000/78, COM(2014) 2 final. La Commission a relev que : Ladirective interdit la discrimination fonde sur la religion ou les convictions dans le domaine de lemploi ettend cette protection toute personne professant une religion ou des convictions quelles qu'elles soient.Toutefois, larticle 4, paragraphe 2, de la directive prvoit une drogation pour les glises et autresorganisations dont l'thique est fonde sur la religion ou les convictions en position d'employeurs. Cesorganisations sont autorises, sous certaines conditions, imposer des exigences spcifiques fondessur la religion ou les convictions de leurs employs. Ces exigences (appels exigences professionnelles) doivent tre essentielles, lgitimes et justifies eu gard l'thique de l'organisation et ne doivent pasreposer sur dautres critres (par exemple, lorientation sexuelle d'un employ). La Commission a contrlla conformit des dispositions nationales d'application cette drogation, qui doit tre interprte demanire restrictive puisqu'il sagit dune exception ... .

    52Selon M.-A Moreau, la directive permet un Etat membre de maintenir ses dispositions maisnon den adopter de nouvelles , dans Les justifications des discriminations , 1.2.1, Droit social 2002,p. 1112.

    prives, dont lthique est fonde, notamment, sur les convictions, dappliquer dans lecadre de leurs activits professionnelles des diffrences de traitement fondes sur cesconvictions. Cette libert encadre des Etats membres leur permettrait dautoriser les organisations en cause pratiquer des discriminations lgard de leurs employs,lorsque les convictions sur lesquelles elles reposent constituent une exigenceprofessionnelle essentielle, lgitime et justifie, eu gard lthique de lorganisation,en exigeant de ceux-ci une obligation de loyaut susceptible de limiter leur droitdopposer lemployeur leurs propres religion ou convictions.

    On soulignera que, comme toutes les exceptions, cette disposition, qui autorise certaines conditions ladoption de rgimes juridiques drogatoires au principedgalit, doit tre entendue strictement. Cest ce que rappelle la Commissioneuropenne dans son rapport commun au Parlement europen et au Conseil de201451.

    La limite apporte la comptence lgislative des Etats membres est de naturetemporelle, la date de rfrence, qui semble constituer un terme, tant, dans les deuxcas de comptence lgislative prvus par ce texte, la date dadoption de la prsen