Baby Loup - Mémoire Ampliatif Waquet

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1 @ POURVOI N° E 13-28.369 COUR DE CASSATION ASSEMBLEE PLENIERE MEMOIRE AMPLIATIF ET DEMANDE EN PAIEMENT DE FRAIS IRREPETIBLES POUR : Madame Fatima LAAOUEJ épouse AFIF CONTRE : L’Association BABY LOUP - Me Spinosi - * * * FAITS Madame Afif, exposante, a été engagée le 06 décembre 1991 dans le cadre d'un contrat emploi solidarité à mi-temps, comme assistante maternelle au service de la crèche associative Baby Loup, à Chanteloup les Vignes, qui venait d'être créée. Ce contrat, plusieurs fois renouvelé, a été prolongé en septembre 1994 par un contrat de qualification qui devait lui permettre d'acquérir, dans le cadre d'une formation de 27 mois, la qualification sanctionnée par un diplôme d'éducatrice pour jeunes enfants.

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    POURVOI N E 13-28.369

    COUR DE CASSATION

    ASSEMBLEE PLENIERE

    MEMOIRE AMPLIATIF

    ET DEMANDE EN PAIEMENT DE FRAIS IRREPETIBLES

    POUR : Madame Fatima LAAOUEJ pouse AFIF

    CONTRE : LAssociation BABY LOUP

    - Me Spinosi -

    * * *

    FAITS

    Madame Afif, exposante, a t engage le 06 dcembre 1991 dans le cadre d'un contrat emploi solidarit mi-temps, comme assistante maternelle au service de la crche associative Baby Loup, Chanteloup les Vignes, qui venait d'tre cre.

    Ce contrat, plusieurs fois renouvel, a t prolong en septembre 1994 par un contrat de qualification qui devait lui permettre d'acqurir, dans le cadre d'une formation de 27 mois, la qualification sanctionne par un diplme d'ducatrice pour jeunes enfants.

  • 2A compter du 1er janvier 1997, Mme Afif a exerc dans le cadre d'un contrat dure indtermine, en qualit d'ducatrice, des fonctions de directrice adjointe de la crche.

    Fin avril 2003, Mme Afif, enceinte de son 4me enfant, a t arrte pour accoucher le 30 mai suivant. Le cong postnatal a t suivi d'un cong parental qui a t renouvel jusqu' la date de la reprise d'activit, fixe au 09 dcembre 2008 11h00.

    Durant cette priode, Mme Afif qui avait confi sa fille la crche, a rencontr la directrice, Mme Baleato. Celle-ci l'a informe quen raison du nouveau rglement intrieur ayant t adopt en juillet 2003, elle ntait pas autorise revenir travailler avec le foulard qu'elle avait l'habitude de porter.

    Le 14 octobre 2008, Mme Afif a pris l'initiative d'crire l'association pour solliciter un entretien en mentionnant qu'elle n'tait pas oppose une rupture conventionnelle du contrat de travail.

    Par courrier du 29 octobre suivant, Mme Afif a t convie un entretien en prsence de la directrice de la crche, pour le 5 novembre 2008.

    A cette date, un acte de rupture conventionnelle au contrat de travail a t sign par la salarie, la prsidente et la dlgue du personnel, Mme Grolleau. Les termes de ce document montrent que les parties signataires n'taient pas exactement informes de la nature de l'acte juridique envisag et en particulier, qu'elles pensaient que l'inspection du travail avait un rle dcisionnaire.

    Puis, le 22 novembre 2008, l'employeur a adress Mme Afif un compte rendu d'entretien pralable une demande de rupture conventionnelle du contrat de travail formule par Mme Fatima Afif, faisant une relation totalement errone de la rencontre du 5 novembre, mentionnant notamment que la salarie aurait indiqu que depuis plusieurs annes, ses convictions religieuses l'amnent porter le voile islamique intgral et qu'elle ne fera aucune concession lors de son retour et que le dlai de rtractation courait du 12 au 27 novembre, l'inspection du travail devant tre saisie le 28.

    Mme Afif a rpondu le 28 novembre pour contester cette narration des faits et du contenu de l'entretien, rappelant en particulier : je porte le voile depuis 1994 et cela ne posait pas de problme. Ce jour vous m'avez clairement prcis que je ne pouvais reprendre mon poste avec mon voile car cela est stipuler (sic) dans le rglement intrieur. Ainsi, il devient vident pour vous qu'il y a incompatibilit de travailler ensemble, pour conclure ce jour, je me demande ce que vous attendez de moi .

  • 3Il na ds lors plus t donn suite au projet de rupture conventionnelle.

    Convoque pour reprendre son travail le 09 dcembre 2008, Mme Afif sest prsente la crche, portant sa tenue habituelle, cest--dire un foulard autour du visage et aucunement un voile intgral.

    Mme Balato l'a prsente aux personnes qui taient sur les lieux et qu'elle ne connaissait pas, puis lui a fait visiter une partie des locaux.

    Elle lui a ensuite demand de rester avec Mme Elodie Grolleau, qui l'a invite retirer son foulard.

    Mme Afif a rpondu qu'elle avait toujours t vtue ainsi.

    Environ un quart d'heure plus tard, Mme Balato, de retour, a ritr la mme demande, puis aprs un change bref, l'a invite la suivre dans le bureau o se trouvaient Mme Gomis, adjointe, Mme Grolleau, dlgue du personnel et adjointe, la secrtaire et la mre de Mme Gomis.

    Invite quitter la crche faute d'avoir accept de retirer son voile, Mme Afif, conformment aux conseils que l'inspection du travail, interroge par tlphone, venait de lui donner, a rclam un crit.

    Il a alors t fait injonction Mme Afif d'attendre dans la salle d'attente le temps que la directrice consulte son avocat. Mme Afif a ainsi patient de 12h 15h00. A 15h00, il lui a t demand de signer une convocation un entretien pralable motiv par un grave incident , avec mise pied conservatoire

    Mme Afif a refus de signer ce document car elle estimait ne pouvoir admettre la qualification de ce qui venait de se passer, en particulier la rfrence un grave incident .

    Mme Afif est donc retourne dans la salle d'attente pour appeler au tlphone un conseiller du salari qui lui a dit de rester sur place pour ne pas se voir reprocher un abandon de poste, ce que l'inspection du travail, nouveau consulte, a confirm.

    Mme Afif est reste assise dans la salle d'attente jusqu' son heure de dpart, sans provoquer aucune perturbation.

    N'ayant reu aucun courrier, Mme Afif sest de nouveau prsente son travail le lendemain, 10 dcembre.

  • 4L'accs de la crche lui a alors t refus au motif qu'une mise pied conservatoire lui aurait t notifie la veille.

    Finalement, aprs avoir d'abord refus de partir, sur le conseil renouvel d'un conseiller du salari, Mme Afif, aprs un nouvel change, a quitt les lieux.

    Alors qu'elle tait convoque un entretien pralable pour le 15 dcembre, Mme Afif a pris l'initiative d'crire la Prsidente de l'association Baby Loup pour rappeler la chronologie des faits, depuis lenvoi du courrier du 5 novembre faisant tat de manire fallacieuse d'un voile islamique intgral jusqu' l'interdiction qui lui avait t faite les 9 et 10 dcembre, de reprendre son travail au seul motif qu'elle portait un foulard.

    Par lettre du 19 dcembre 2008, l'association Baby Loup a notifi Mme Afif son licenciement pour faute grave pour insubordination aux motifs essentiels qu'elle aurait viol le rglement intrieur en refusant d'ter son voile islamique, qu'il s'en serait suivi une altercation puis quelle aurait refus de quitter la crche au mpris de la mise pied conservatoire prononce :

    Pour rappel, avant votre retour de cong parental prvu le 9 dcembre 2008, vous nous avez crit le 15 octobre 2008 pour nous faire part de votre dcision de rompre votre contrat avec Baby Loup suivant la procdure de la rupture conventionnelle.

    A l'occasion de l'entretien du 5 novembre organis pour rpondre votre demande, vous nous avez indiqu que vos convictions religieuses vous amenaient porter le voile islamique et que, de ce fait, vous n'tiez prte faire aucune concession sur votre tenue vestimentaire lors de votre retour la crche. Aprs un rappel des principes de lacit et de neutralit auxquels notre tablissement est particulirement attach, ces principes figurant d'ailleurs dans le rglement intrieur, nous vous avons indiqu que votre poste tait toujours disponible, votre arrive tant attendue, et que dans un contexte de pnurie de personnel diplm nous ne pouvions envisager de nous sparer de vos services.

    Face l'absence d'accord sur une rupture conventionnelle, par lettres des 22 novembre et 4 dcembre, nous vous avons rappel votre reprise de travail au 9 dcembre en vous invitant prendre connaissance de la planification de service.

    Le 9 dcembre, vous vous tes prsente la crche, revtue de votre voile islamique. Aprs qu'un vestiaire vous a t affect et que le temps vous a t donn pour vous changer, Madame Baleato, Directrice de la crche, descendant vrifier l'organisation du repas des enfants, a constat que vous tiez toujours habille comme votre arrive, et ce malgr les demandes rptes de son adjointe,

  • 5Madame Grolleau, de vous changer. Madame Baleato vous a alors ritr l'ordre de vous changer, mais vous avez catgoriquement refus de suivre ses directives, faisant valoir que vous tiez ainsi en tenue de travail.

    Pour viter tout incident devant les enfants, Madame Baleato vous a invite l'accompagner dans la salle de runion l'tage. Mesdames Gomis, adjointe la direction, et Grolleau, adjointe galement et dlgue du personnel, taient prsentes cet entretien. Devant ces personnes, sur un ton arrogant, aprs un rappel des rgles de neutralit s'appliquant la crche, vous avez dclar Madame Baleato tu ne vas pas me faire la morale!. Cette dernire vous a rpondu qu'il s'agissait simplement d'un rappel des termes du rglement intrieur. Elle a alors ritr l'ordre de vous changer sans dlai, ordre auquel vous avez oppos un refus catgorique. Une altercation s'en est suivie, vous en prenant Madame Gomis qui, pour sa part, tentait aussi de vous raisonner.

    Devant la violation manifeste de vos obligations, et face votre insubordination caractrise, Madame Baleato n'a eu d'autre choix que de rfrer de la situation la Prsidente. Elle vous a alors demand de sortir et de patienter dans la salle d'attente, ce quoi vous avez rpondu J'espre que tu ne vas pas me faire poireauter longtemps, je n'tais venu ici que pour 5 minutes. Environ une heure aprs, Madame Baleato est venue vous remettre une lettre vous signifiant votre mise pied conservatoire effet immdiat, ritre verbalement, et vous avisant d'une convocation un entretien pralable une ventuelle mesure de licenciement.

    Aprs avoir lu cette lettre, vous avez refus de la signer. Vous tes ensuite reste dans la salle d'attente jusqu' environ 15h, passant divers appels tlphoniques, puis avez fait irruption en pleine runion de direction, rclamant que l'on vous remette de nouveau cette lettre qu'une nouvelle fois vous avez refus de signer. Elle vous a donc t adresse le jour mme par voie recommande. Une deuxime altercation s'est produite en pleine runion, alors qu'une adjointe vous demandait de quitter la salle pour cesser de perturber le travail.

    Au mpris de la mise pied qui venait de vous tre signifie, vous vous tes maintenue dans les locaux de la crche, vous informant des situations des enfants prsents, ayant des changes avec les parents. Rpugnant tout recours la force physique, nous avons tent de vous convaincre de partir, mais en vain. Ce n'est qu' 18 heures 30 que vous avez enfin dcid de quitter la structure, mais en annonant tous que l'on vous aurait sur le dos tous les jours.

    Le lendemain matin, 10 dcembre, votre comportement inqualifiable a repris de plus belle. Aprs tre rentre de force dans la crche alors que Madame Baleato tentait de vous en dissuader en vous rappelant de nouveau la mise pied conservatoire prononce la veille, vous avez indiqu cela ne vaut rien et vous vous tes rendue directement au milieu des enfants dans la salle des moyens. Madame

  • 6Baleato vous a demand de quitter les lieux. Le ton montant, elle vous a convoqu dans son bureau, ce que vous avez refus.

    Vos provocations incessantes et multiples, parfois sous le regard des enfants, n'ont cess de redoubler durant le temps o vous avez impos votre prsence dans les locaux. Alors que Madame Baleato vous ritrait encore l'ordre de partir, vous lui avez rtorqu Eh bien vas- y appelle la police pour me faire sortir! , vos agissements n'ayant manifestement d'autres fins que de tenter de multiplier des incidents dont vous espriez qu'ils tournent votre avantage.

    Nous avons joint la Mairie pour qu'un mdiateur intervienne d'urgence, mais cela n'a pas t possible ce moment-l. Mprisant ouvertement nos injonctions multiples de vous voir quitter sans dlai les lieux, vous avez dcid de partir dfinitivement 18 heures.

    Votre insubordination, votre obstruction, vos menaces, constituent autant de violations de vos obligations contractuelles totalement incompatibles avec votre maintien dans les effectifs durant votre pravis et justifient plus qu'amplement votre licenciement pour faute grave ... .

    Mme Afif a saisi le Conseil de prudhommes de Mantes-la-Jolie aux fins, titre principal, de voir prononcer la nullit de son licenciement pour discrimination fonde sur ses convictions religieuses et atteinte aux liberts fondamentales, titre subsidiaire, de voir reconnatre labsence de cause relle et srieuse de son licenciement, et dobtenir la condamnation de son employeur lui payer des dommages et intrts ainsi que diverses sommes titre dindemnit de pravis, de congs pays sur pravis et d'indemnit conventionnelle de licenciement.

    Par un jugement du 13 dcembre 2010, le Conseil la dboute de lensemble de ses demandes.

    Sur lappel de Mme Afif, par un arrt du 27 octobre 2011, la Cour dappel de Versailles a confirm ce jugement en toutes ses dispositions.

    Cette dcision a t casse et annule dans toutes ses dispositions par un arrt de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 19 mars 2013.

    Statuant comme juridiction de renvoi, la Cour dappel de Paris, par un arrt du 27 novembre 2013, a confirm le jugement du Conseil de prudhommes de Mantes-la-Jolie du 13 dcembre 2010, rejet toute autres demandes et condamn Mme Afif aux dpens de premire instance et dappel, y compris ceux exposs devant la Cour dappel de Versailles.

  • 7Cest la dcision attaque.

    *

    La rsistance avait t annonce. Elle est certainement vive et de principe, puisque pour la premire fois dans cette procdure dans une dcision juridictionnelle, la cour dappel qualifie lassociation Baby Loup dentreprise de conviction et justifie ainsi du moins le croit-elle lordre licite donn Mme Afif de retirer son voile. Et la Cour den conclure que le comportement de Mme Afif ayant consist rsister une mise pied conservatoire constitue bien une faute grave, fondement du licenciement.

    Ces motifs ne justifient en rien la dcision rendue. Leur lecture dmontre quel point la notion dentreprise de conviction a t utilise rsolument en-dehors des hypothses que pourrait recouvrir cette notion.

    Il sera dmontr que lassociation Baby-Loup nest pas une entreprise de conviction (1er moyen) :

    - parce quelle ne repose pas sur une conviction ;

    - parce quelle ne peut pas se prsenter comme telle pour appliquer en son sein des principes propres lEtat ;

    - parce que le juge ne peut pas, dfaut de loi, ly autoriser.

    *

    Il sera dmontr ensuite que, la supposer de conviction, lentreprise Baby-Loup a mconnu les exigences essentielles pesant sur une telle entreprise (2me moyen).

    Aprs la critique du rglement intrieur (3me moyen) lexposante mettra en vidence la mconnaissance de son office par le juge (4me moyen). Une critique finale est prsente sur la qualification de faute grave (5me moyen).

    * * *

  • 8DISCUSSION

    PREMIER MOYEN DE CASSATION

    Il est fait grief larrt confirmatif attaqu DAVOIR DEBOUTE Mme Afif de sa demande de nullit de son licenciement et de condamnation de lAssociation Baby-Loup lui payer des dommages et intrts, lindemnit compensatrice de pravis, les congs pays affrents, un rappel de salaire sur mise pied, les congs pays affrents et lindemnit conventionnelle de licenciement ;

    AUX MOTIFS propres QUune personne morale de droit priv, qui assure une mission d'intrt gnral, peut dans certaines circonstances constituer une entreprise de conviction au sens de la jurisprudence de la Cour europenne des droits de l'homme et se doter de statuts et d'un rglement intrieur prvoyant une obligation de neutralit du personnel dans l'exercice de ses tches; qu'une telle obligation emporte notamment interdiction de porter tout signe ostentatoire de religion ; qu'aux termes de ses statuts, l'association Baby Loup a pour objectif de dvelopper une action oriente vers la petite enfance en milieu dfavoris et d'uvrer pour l'insertion sociale et professionnelle des femmes...sans distinction d'opinion politique et confessionnelle; que de telles missions sont d'intrt gnral, au point d'tre frquemment assures par des services publics et d'tre en I'occurrence finances, sans que cela soit discut, par des subventions verses notamment par l'Etat, la rgion Ile-de-France, le dpartement des Yvelines, la commune de Chanteloup-les-Vignes et la Caisse d'allocations familiales; qu'au regard tant de la ncessit, impose par l'article 14 de la Convention relative aux droits de l'enfant du 20 novembre 1989, de protger la libert de pense, de conscience et de religion construire pour chaque enfant, que de celle de respecter la pluralit des options religieuses des femmes au profit desquelles est mise en uvre une insertion sociale et professionnelle aux mtiers de la petite enfance, dans un environnement multiconfessionnel, ces missions peuvent tre accomplies par une entreprise soucieuse d'imposer son personnel un principe de neutralit pour transcender le multiculturalisme des personnes auxquelles elle s'adresse; qu'en ce sens, l'association Baby Loup peut tre qualifie d'entreprise de conviction en mesure d'exiger la neutralit de ses employs; que sa volont de l'obtenir rsulte suffisamment en l'occurrence des dispositions tant de ses statuts que de son rglement intrieur, que ce soit celui adopt lors de sa cration en 1990, selon lequel le personnel doit dans l'exercice de son travail respecter et garder la neutralit d'opinion politique et confessionnelle en regard du public accueilli, ou celui modifi, entr en vigueur le 15 juillet 2003, aux termes duquel le principe de la libert de conscience et de religion de chacun des membres du personnel ne peut faire obstacle au respect des principes de lacit et de neutralit qui s'appliquent dans l'exercice de l'ensemble des activits dveloppes, tant

  • 9dans les locaux de la crche ou ses annexes qu'en accompagnement extrieur des enfants confis la crche; que la formulation de cette obligation de neutralit dans le rglement intrieur, en particulier celle qui rsulte de la modification de 2003, est suffisamment prcise pour qu'elle soit entendue comme tant d'application limite aux activits d'veil et d'accompagnement des enfants l'intrieur et l'extrieur des locaux professionnels; qu'elle n'a donc pas la porte d'une interdiction gnrale puisqu'elle exclut les activits sans contact avec les enfants, notamment celles destines l'insertion sociale et professionnelle des femmes du quartier qui se droulent hors la prsence des enfants confis la crche; que les restrictions ainsi prvues sont, pour les raisons ci-dessus exposes, justifies par la nature de la tche accomplir et proportionnes au but recherch au sens des articles L.1121-1 et L.1321-3 du code du travail; qu'au vu de l'ensemble des considrations dveloppes, elles ne portent pas atteinte aux liberts fondamentales, dont la libert religieuse, et ne prsentent pas un caractre discriminatoire au sens de l'article L.1132-1 du code du travail; qu'elles rpondent aussi dans le cas particulier l'exigence professionnelle essentielle et dterminante de respecter et protger la conscience en veil des enfants, mme si cette exigence ne rsulte pas de la loi; que le comportement de Mme Afif, qui a consist se maintenir sur les lieux de travail aprs notification de la mise pied conservatoire conscutive au refus d'ter son voile islamique et faire preuve d'agressivit envers les membres de la direction et de ses collgues de la crche dans les conditions et selon les circonstances relates par la lettre de licenciement, au contenu de laquelle il est expressment fait rfrence, rsulte suffisamment des dclarations concordantes de Mmes Baleato, directrice de la crche, Gomis, directrice adjointe, Grolleau, ducatrice, Zar pouse Almendra, animatrice, El Khattabi, ducatrice, Soumare, employe de mnage; () que ce comportement, alors que la mise pied reposait, pour les raisons ci-dessus exposes, sur un ordre licite de l'employeur au regard de l'obligation spcifique de neutralit impose la salarie par le rglement intrieur de l'entreprise, caractrise une faute grave ncessitant le dpart immdiat de celle-ci; que cette faute grave justifie le licenciement ainsi qu'en a dcid le conseil de prud'homme dont la dcision sera en consquence confirme, sauf relever que Mme Afif ne revendique pas le statut de cadre autrement que pour chiffrer ses demandes conscutives la rupture du contrat de travail;

    ET AUX MOTIFS ventuellement ADOPTES QUE la Constitution du 4 octobre 1958 prcise en son article 1er : La France est une Rpublique indivisible, laque, dmocratique et sociale ; () que le rglement intrieur du personnel de 1990 prvoyait en son article 5 : Rle du personnel : "Le personnel doit avoir un rle complmentaire celui des parents pour ce qui est de l'veil des enfants. Dans l'exercice de son travail, celui-ci doit respecter et garder la neutralit d'opinion politique et confessionnelle du public accueilli tel que mentionn dans les statuts" ; que le comit technique dans son rapport en date du 10 octobre 1996 relevait: "... que diffrents

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    partenaires publics, institutionnels, ont plusieurs reprises attir l'attention de l'association Baby-Loup sur le fait que le rglement intrieur du personnel doit tre encore plus explicite quant au devoir de neutralit respecter par les salaries dans leur travail..." ; que l'association Baby-Loup a rappel Madame Afif, par lettre remise en main propre le 21 mars 2001, les rgles de lacit au sein de Baby-Loup en ces termes: "En lien avec le nouveau conseil d'administration, le bureau actuel tient raffirmer l'importance du respect de la rgle de lacit applicable aux salaries quelles que soient leurs opinions, lorsqu'elles sont en activit Baby-Loup.... Je souhaite donc qu'en votre qualit de Directrice adjointe de la crche, vous appliquiez cette rgle et la fassiez appliquer auprs des salaries que vous dirigez ... " ; que le rglement intrieur du 9 juillet 2003 en son article II A) libert de confiance, neutralit, obligation de rserve et respect du secret professionnel dispose que: "Le principe de la libert de conscience et de religion de chacun des membres du personnel ne peut faire obstacle des principes de lacit et de neutralit qui s'appliquent dans l'exercice de l'ensemble des activits dveloppes par Baby-Loup tant dans les locaux de la crche, ses annexes ou en accompagnement des enfants confis la crche l'extrieur" ; que dans le contrat de travail rgularis par les parties le 1er janvier 1997, Madame Afif s'engageait respecter les prescriptions du rglement intrieur en vigueur dans l'association et se conformer aux instructions et directives manant de la direction ou son reprsentant ; que l'Inspection du Travail n'a fait aucune remarque particulire l'association Baby-Loup sur son rglement intrieur; qu'aucun salari de l'association n'a saisi l'Inspection du Travail pour faire constater une irrgularit du rglement intrieur ; qu'il ressort du tmoignage de Madame FiombeaI attestant pour Madame Afif que cette dernire avait connaissance du nouveau rglement intrieur ; que Madame Afif a sign le compte-rendu du 5 novembre 2008 o elle a dclar sa direction: "Que ses convictions religieuses l'amnent porter le voile islamique et qu'elle ne fera aucune concession sur son lieu de travail. Qu'elle sait par ailleurs que le rglement intrieur de l'association ne l'autorise pas ..." ; que le rglement intrieur de lassociation Baby-Loup est bien conforme aux dispositions de l'article L 1311 et suivants du code du travail ; que l'association Baby-Loup est un tablissement priv mais a une activit de service public par l'activit d'une crche et est finance plus de 80 % par des fonds publics ; () que le rglement intrieur de l'association Baby-Loup est parfaitement licite et que Madame Afif devait le respecter ; () que Madame Afif en ne respectant pas le rglement intrieur comme elle l'a reconnu dans le compte-rendu du 5 novembre 2008 a fait preuve d'une insubordination caractrise ; que Madame Afif a refus de retirer son voile le 9 dcembre 2008 sa reprise de travail malgr les demandes ritres de sa direction; que Madame Afif a refus de quitter les locaux de l'entreprise lors de sa mise pied conservatoire ; () quelle devait quitter son lieu de travail et ne devait pas se prsenter dans les locaux de l'association le 10 dcembre 2008 ; que dans ces conditions, Madame Afif a fait preuve, de nouveau, d'insubordination ; que l'insubordination rpte est un motif licenciement

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    pour faute grave ; () que Madame Afif est bien l'origine des altercations des 9 et 10 dcembre ; que les tmoins cits la barre par Madame Afif ont tous prcis qu'elle portait le voile mais pas constamment avant janvier 2003 ; que si Madame Afif a port le voile avant dcembre 2003, ctait linsu de la direction ; que le 21 mars 2001, l'association Baby-Loup par lettre remise en main propre Madame Afif avait bien confirm la lacit de l'association et de faire respecter les rgles la rgissant ; que dans ces conditions, le Conseil dit que Madame Afif ne peut affirmer qu'elle portait le voile de faon constante sur son lieu de travail avant janvier 2003 ; que Madame Afif a fait preuve d'insubordination caractrise en refusant de retirer son voile conformment au respect du rglement intrieur et en refusant de quitter les locaux de l'Association malgr sa notification de mise pied conservatoire et n'a pas hsit interrompre une runion sans qu'elle en soit invite ; que le Conseil dit que le licenciement de Madame Afif est bien constitutif d'une faute grave la privant de son pravis qu'elle ne pouvait donc effectuer, refusant de se conformer au rglement intrieur de l'association Baby-Loup;

    1) ALORS QUE lentreprise de tendance ou de conviction suppose une adhsion militante une thique philosophique ou religieuse et a pour objet de dfendre ou de promouvoir cette thique ; que ne constitue pas une entreprise de tendance ou de conviction une association qui, assurant une mission dintrt gnral, se fixe pour objectifs dans ses statuts de dvelopper une action oriente vers la petite enfance en milieu dfavoris et duvrer pour linsertion sociale et professionnelle des femmes () sans distinction dopinion politique et confessionnelle ; quen se fondant sur les missions statutairement dfinies pour qualifier lassociation Baby Loup dentreprise de conviction cependant que son objet statutaire nexprime aucune adhsion une doctrine philosophique ou religieuse, la Cour dappel a viol les articles L. 1121-1, L. 1132-1, L. 1133-1 et L. 1321-3 du code du travail, ensemble larticle 9 de la Convention europenne de sauvegarde des droits de lhomme et des liberts fondamentales et larticle 4 2 de la Directive 78 /2000/CE du 27 novembre 2000 ;

    2) ALORS QUE les convictions ou tendances dune entreprise procdent dun choix philosophique, idologique ou religieux et non de la ncessit de respecter des normes juridiques ou des contraintes attaches la nature des activits de lentreprise ; que la ncessit prtendue de protger la libert de conscience, de pense et de religion de lenfant dduite de la Convention de New-York ou celle de respecter la pluralit des options religieuses des femmes au profit desquelles est mise en uvre une insertion sociale et professionnelle dans un environnement multiconfessionnel ne sont pas constitutivement lies une entreprise de conviction ; quen se fondant sur cette ncessit pour qualifier lassociation Baby Loup dentreprise de conviction en mesure dexiger la neutralit de ses employs, la Cour dappel a viol les articles L. 1121-1, L. 1132-1, L. 1133-1 et L. 1321-3 du code du travail, ensemble larticle 9 de la

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    Convention europenne de sauvegarde des droits de lhomme et des liberts fondamentales, et larticle 42 prcit de la Directive 78 /2000/CE du 27 novembre 2000 ;

    3) ALORS QUE larticle 14 de la Convention relative aux droits de lenfant qui nest pas au demeurant dapplication directe nemporte aucune obligation quune entreprise recevant de petits enfants ou ddie la petite enfance soit oblige dimposer son personnel une obligation de neutralit ou de lacit ; que la Cour dappel a viol ledit texte par fausse application, outre les textes prcits ;

    4) ALORS QUen tant que mode dorganisation de lentreprise destin transcender le multiculturalisme des personnes qui elle sadresse, la neutralit nexprime et nimpose aux salaris ladhsion aucun choix politique, philosophique ou idologique seul apte emporter la qualification dentreprise de tendance ou de conviction ; que la Cour dappel a viol les articles L. 1121-1, L. 1132-1, L. 1133-1 et L. 1321-3 du code du travail, ensemble larticle 9 de la Convention europenne de sauvegarde des droits de lhomme et des liberts fondamentales, et larticle 4 2 de la Directive 78 /2000/CE du 27 novembre 2000 ;

    5) ALORS QUE la lacit, principe constitutionnel dorganisation de lEtat, fondateur de la Rpublique, qui, ce titre, simpose dans la sphre sociale ne saurait fonder une thique philosophique dont une entreprise pourrait se prvaloir pour imposer son personnel, de faon gnrale et absolue, un principe de neutralit et une interdiction de porter tout signe ostentatoire de religion ; que la Cour dappel a viol les articles L. 1121-1, L. 1132-1, L. 1133-1 et L. 1321-3 du code du travail, ensemble les articles 9 et 14 de la Convention europenne de sauvegarde des droits de lhomme et des liberts fondamentales et larticle 1er de la Constitution ;

    6) ALORS QUune entreprise ne peut sriger en entreprise de conviction pour appliquer des principes de neutralit ou de lacit qui ne sont applicables qu lEtat ; que ni le principe de lacit instaur par larticle 1er de la Constitution, ni le principe de neutralit consacr par le Conseil constitutionnel au nombre des principes fondamentaux du service public, ne sont applicables aux salaris des employeurs de droit priv qui ne grent pas un service public ; quils ne peuvent ds lors tre invoqus pour les priver de la protection que leur assurent les dispositions du code du travail ; quil rsulte des articles L. 1121-1, L. 1132-1, L. 1133-1 et L. 1321-3 du code du travail que les restrictions la libert religieuse doivent tre justifies par la nature de la tche accomplir, rpondre une exigence professionnelle essentielle et dterminante et proportionnes au but recherch ; quen retenant que lAssociation Baby Loup pouvait imposer une obligation de neutralit son personnel dans lexercice de ses tches, emportant notamment interdiction de porter tout signe ostentatoire de religion aux motifs de la ncessit de protger la libert de pense, de

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    conscience et de religion construire pour chaque enfant ainsi que la pluralit des options religieuses des femmes au profit desquelles est mise en uvre une insertion sociale et professionnelle aux mtiers de la petite enfance, et que lentreprise assure une mission dintrt gnral subventionne par des fonds publics, la Cour dappel a viol les articles L. 1121-1, L. 1132-1, L. 1133-1 et L. 1321-3 du code du travail, ensemble larticle 10 de la Dclaration des droits de lhomme et du citoyen de 1789, larticle 9 de la Convention de sauvegarde des droits de lhomme et des liberts fondamentales, larticle 10 de la Charte des droits fondamentaux de lUnion europenne et les articles 1 4 de la directive 78/2000/CE du 27 novembre 2000 ;

    7) ALORS QUE des restrictions la libert de manifester sa religion ou ses convictions ne peuvent tre cres que par la loi nationale au sens de la jurisprudence de la CEDH ; que cette loi nationale doit elle-mme, au sens de cette jurisprudence respecter lordre interne de cration des normes ; quil en rsulte que la cration dun type dentreprise de conviction fonde sur le seul principe de neutralit ne peut rsulter que de la loi au sens organique du terme ; que la Cour dappel a viol les articles 34 de la Constitution, 10 de la Dclaration des droits de lhomme et du citoyen de 1789, 9 2 de la Convention europenne des droits de lhomme et des liberts fondamentales, 4 et 14 de la Convention relative aux droits de lenfant du 20 novembre 1989, L. 1121-1, L. 1132-1, L. 1133-1 et L. 1321-3 du code du travail, 1 4 de la directive 78/2000/CE du 27 novembre 2000, 10 de le Charte des droits fondamentaux de lUnion europenne, et a excd ses pouvoirs ;

    8) ALORS QUune mesure ou une diffrence de traitement fonde notamment sur les convictions religieuses peut ne pas tre discriminatoire si elle rpond une exigence professionnelle essentielle et dterminante et pour autant que l'objectif soit lgitime et l'exigence proportionne ; quen nonant que les restrictions prvues au rglement intrieur rpondent aussi dans le cas particulier l'exigence professionnelle essentielle et dterminante de respecter et protger la conscience en veil des enfants , la Cour, qui a confondu exigence professionnelle essentielle et dterminante, et objectif lgitime, a priv sa dcision de base lgale au regard des articles L 1133-1 et L 1132-1 du code du travail, 1 4 de la directive 78/2000/CE du 27 novembre 2000, 10 de la Charte des droits fondamentaux de lUnion europenne ;

    9) ALORS QUE larrt attaqu, qui na pas constat ni caractris, au vu des lments particuliers et concrets de lespce (tches dvolues Mme Afif personnellement dans son emploi, ge des enfants, absence de comportement ostentatoire ou proslyte de Mme Afif) lincompatibilit du port de son voile islamique avec lengagement et lemploi de Mme Afif, a priv sa dcision de toute base lgale au regard des articles L 1121-1, L 1132-1, L 1133-1 et L 1321-3 du code du travail, ensemble les 9 et 14 de la

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    Convention europenne de sauvegarde des droits de l'homme et des liberts fondamentales, 1 4 de la directive 78/2000/CE du 27 novembre 2000, 10 de la Charte des droits fondamentaux de lUnion europenne.

    *

    La Cour dappel de Paris a qualifi lassociation Baby Loup dentreprise de conviction au sens de la jurisprudence de la Cour europenne des droits de lHomme qui, assurant une mission dintrt gnral, pouvait se doter de statuts et dun rglement intrieur prvoyant une obligation de neutralit du personnel dans lexercice de ses tches, emportant notamment interdiction de porter tout signe ostentatoire de religion.

    Pour ne pas heurter de front la position de la Cour de cassation qui a exclu que le principe de lacit soit applicable aux entreprises prives nayant pas la charge dun service public, la Cour dappel de renvoi se place sur le terrain des entreprises de tendance, rebaptises pour la cause entreprise de conviction au sens donn par la Cour europenne des droits de lHomme, pour affirmer que la crche aurait pu valablement rglementer la libert religieuse dans son rglement intrieur. Or il nen est rien.

    La Cour dappel ne parvient pas justifier la qualification dentreprise de conviction applique lAssociation Baby Loup. Elle est ce point gne quelle ne dit pas de quelle tendance ou conviction se rclame lAssociation Baby-loup.

    Nulle part larrt ne prcise si cest la lacit ou la neutralit qui serait la conviction en cause - ce qui serait antinomique puisque ces principes dorganisation de lEtat et des services publics marquent une distance par rapport toute conviction ou opinion - ou si la conviction de lassociation consiste en la ncessit de protger la libert de conscience des enfants et de respecter la pluralit des options des femmes vises par son action dinsertion, ce qui ne relve plus alors dun choix mais dune obligation simposant toute entreprise.

    LAssociation qui naffiche, ni ne promeut, dans le cadre de son action, aucune conviction philosophique ou thique particulire, nest pas une entreprise de tendance.

    En doctrine, les entreprises de tendance sont dfinies comme tant celles dans lesquelles une idologie, une morale, une philosophie ou une politique est expressment prne : lobjet essentiel de (leur) activit est (donc) la dfense ou la promotion dune doctrine ou dune thique (Ph. Waquet, Loyaut du salari dans les entreprises de tendance, Gaz. Pal. 1996, p. 1427). Lentreprise de tendance correspond

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    une entit reposant sur une identit politique (un parti politique), syndicale (une organisation syndicale) ou confessionnelle (une association religieuse) (F. Laronze, Affaire Baby-Loup : Lpuisement du droit dans sa recherche dune vision apolitise de la religion, Dr. Soc., 2014, p.100).

    La directive 78/2000/CE du 27 novembre 2000 attribue la qualification dentreprise de tendance aux organisations professionnelles dglises et aux autres organisations publiques ou prives dont lthique est fonde sur la religion ou les convictions . La Cour europenne des droits de lhomme se rfre larticle 4 et au considrant 24 de la directive pour dfinir lentreprise de conviction. Elle reconnat que la nature particulire des exigences professionnelles imposes au salari rsulte du fait quelles ont t tablies par un employeur dont lthique est fonde sur la religion ou les convictions (CEDH, 23 septembre 2010, Obst c. Allemagne et Schuth c. Allemagne, req. n 425/03, 27 et 46 ; 3 fvrier 2011, Siebenhaar c. Allemagne, req n 18136/02, 46 ; 28 juin 2012, req. n 1620/03, 40).

    La tendance relve dun choix idologique que lentreprise se donne pour objectif de promouvoir et de dfendre. Cet objectif doit tre clairement affich lgard du public auquel lentreprise sadresse. Lentreprise de conviction ou de tendance suppose ladhsion militante une doctrine philosophique ou religieuse (J. Mouly, Laffaire Baby Loup devant la Cour de renvoi : la revanche de la lacit ?, D. 2014, p.65), et la volont de la promouvoir.

    Cette adhsion doit apparaitre dans le pacte social de lentreprise. Les statuts dune association peuvent, en amont, permettre de dfinir si lon est en prsence ou non dune association pouvant se rclamer dune tendance ou de convictions particulires (cf. P. Mbongo, Affaire Baby Loup : lentreprise de tendance laque au secours de la Cour dappel de Paris, JCP E 2013, n 49, act. 888).

    Or, rien de tel dans les statuts de la crche.

    La Cour dappel, sy rfrant, relve que lassociation Baby Loup a pour objectif de dvelopper une action oriente vers la petite enfance en milieu dfavoris et duvrer pour linsertion sociale et professionnelle des femmes sans distinction dopinion politique et confessionnelle . Elle ajoute que de telles missions sont dintrt gnral au point dtre frquemment assures par des services publics et dtre en loccurrence finances () par des subventions verses notamment par lEtat, la rgion Ile-de-France, le dpartement des Yvelines, la commune de Chanteloup-les-Vignes et la Caisse dallocation familiale (ibid., 6me ).

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    Les missions que sassigne lassociation Baby Loup nexpriment aucun choix thique particulier. Statutairement, elle ne sest aucunement donne comme objectif de promouvoir ou de dfendre un principe de lacit ou de neutralit par ses actions orientes vers la petite enfance dfavorise et linsertion des femmes du quartier et au-del, la revalorisation du quartier. Elle naffiche pas davantage, lgard du public concern, un choix dorganisation fond sur la lacit ou la neutralit de ses membres. Ses statuts expriment simplement que dans lexercice de ses missions, sera appliqu, envers ceux qui elle sadresse, un principe de non-discrimination au regard de leurs opinions politiques ou confessionnelles.

    Ces objectifs, au demeurant, peuvent tout fait tre ceux dune association confessionnelle, avec une identit religieuse affirme, qui prciserait accueillir, dans lexercice de ses activits, tous les enfants sans distinction dorigine, dopinion ou de croyance. Il est donc impossible de dduire de la nature des activits de lAssociation Baby Loup lexpression dun choix idologique ou thique particulier, marqueur dune tendance propre.

    Le fait que lAssociation Baby Loup assure une mission dintrt gnral et que son financement soit notamment assur par des fonds publics ne permet pas davantage de caractriser une tendance laque ou neutre.

    Ainsi, dans les tablissements denseignement priv sous contrat dassociation avec lEtat rgis par la loi Debr du 31 dcembre 1959, tenus par des communauts religieuses, lEtat rmunre les enseignants et les collectivits publiques financent le fonctionnement de ltablissement dans les mmes proportions quils financent les coles et les tablissement publics. Ces tablissements qui, comme lassociation Baby-Loup, assurent une mission dintrt gnral et bnficient dun financement public nen deviennent pas pour autant des tablissements de tendance laque ou neutre.

    Consciente que lobjet de lassociation ne permet pas de caractriser une entreprise de conviction, la Cour dappel relve encore quau regard de la ncessit impose par larticle 14 de la Convention relative aux droits de lenfant du 20 novembre 1989, de protger la libert de pense, de conscience et de religion construire pour chaque enfant que celle de respecter la pluralit des options religieuses des femmes au profit desquelles est mise en uvre une insertion professionnelle aux mtiers de la petite enfance dans un environnement multiconfessionnel, ces missions peuvent tre accomplies par une entreprise soucieuse dimposer son personnel un principe de neutralit pour transcender le multiculturalisme des personnes auxquelles elle sadresse .

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    Or, ds lors quil y a ncessit ou obligation, il ny a plus choix. Et cest bien le choix dadhrer et de promouvoir une thique philosophique qui caractrise une entreprise de conviction ou de tendance.

    Si la protection de la libert de pense, de conscience et de religion construire pour chaque enfant tait une ncessit impose par larticle 14 de la Convention des droits de lenfant , il ne sagit plus alors dun choix propre de lentreprise mais dune obligation conventionnelle. Sil sagit dune obligation conventionnelle, elle a vocation, suivre le raisonnement de larrt, sappliquer tout employeur dont le personnel serait en contact avec des enfants, et ce quelles que soient ses convictions, ce qui au passage interdirait les coles ou crches confessionnelles.

    Sil sagit de protger la conscience des enfants, une telle protection ne peut relever du volontariat et doit bnficier tous les enfants quelle que soit la structure daccueil.

    De mme, la ncessit de respecter la pluralit des options religieuses des femmes vers qui est mise en uvre une insertion sociale et professionnelle aux mtiers de la petite enfance, autrement dit des salaries de la crche, est une obligation lgale laquelle est soumise tout employeur de droit priv puisque la loi interdit toute discrimination fonde sur les convictions religieuses du salari (article L. 1132-1 du code du travail).

    La ncessit de respecter lordonnancement juridique ou des contraintes attaches la nature des activits nest pas constitutivement lie aux entreprises de tendance, sauf considrer que toutes les entreprises, soumises ce mme ordonnancement et ces mmes contraintes, sont des entreprises de tendance ou de conviction.

    Entreprise de tendance et obligation sont deux valeurs rigoureusement antinomiques. Soit on fait le choix dune conviction que lon peut dans une certaine mesure imposer son salari comme on peut faire le choix dune conviction inverse, soit lobjet de lentreprise impose telle rgle ou telle attitude et cette rgle ou cette attitude ne sont pas lexpression dune conviction. Ainsi le respect du secret professionnel dans un cabinet davocat nest pas le rsultat dune conviction mais dune obligation. Et si lon a la conviction inverse (le secret professionnel ne devrait pas exister) on na pas le droit de la faire prvaloir !

    On observera mme si ce nest peut-tre pas le fondement direct de larrt que larticle 14 de la Convention relative aux droits de lenfant ne cre lui seul aucune obligation de neutralit lgard des crches.

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    Ce texte, qui ndicte dobligation qu la charge des Etats parties, nest pas dapplication directe (CE, 3 juillet 1996, n140872). Il interdit une ingrence (obligation ngative) de lEtat ( lEtat respecte ) dans le droit de lenfant la libert de pense, de conscience et de religion, sauf dans les conditions classiques- prvues par son paragraphe 3.

    Sagit-il de rechercher une obligation positive de protger la libert ainsi reconnue lenfant, et cest alors larticle 4 de la Convention des droits de lenfant quil convient de se rfrer:

    Les Etats parties sengagent prendre toutes les mesures lgislatives, administratives et autres qui sont ncessaires pour mettre en uvre les droits reconnus dans la prsente Convention .

    Cet article nest pas dapplication directe (CE, 10 avril 2002, n220588 ; Soc. 13 juillet 1994, B. n 236, pourvoi n93-10891 ; en ce sens galement, Thierry Fossier, Les dispositions de la Convention de New York relative aux droits de l'enfant peuvent tre d'application directe en droit interne, AJ Famille 2005, p. 274) : Certains articles de la sont si gnraux que leur applicabilit directe est simplement impossible (art. 2-2, Les Etats prennent toutes les mesures appropries... ; art. 3-3, Les Etats veillent ce que ... ; art. 4, Les Etats s'engagent prendre toutes les mesures ... ).

    En outre, la Convention des droits de lenfant ne permet pas de passer outre lexigence dun texte national.

    Dduire en ltat et directement de larticle 14 de la Convention des droits de lenfant un principe de neutralit applicable aux mtiers de la petite enfance ou une entreprise ou association accomplissant une mission dintrt gnral dans le secteur de la petite enfance, cest faire fi de lexigence de qualit, de prcision et de prvisibilit de la source lgale susceptible de fonder une restriction la libert religieuse des salaris. Il ny est question daucun droit de lenfant la neutralit, droit dont les contours resteraient dfinir (quels enfants ? quel ge ? quel contexte ?), et encore moins dune interdiction explicite des signes religieux dans un secteur dactivit particulier, ici les mtiers de la petite enfance.

    Le lgislateur, qui seul aurait pu dicter une telle restriction, na pas jug ncessaire, pour garantir lexercice du droit de lenfant la libert de pense, de conscience et de religion ou pour veiller la protection de cette libert, dimposer une obligation gnrale de neutralit au personnel des mtiers de la petite enfance et il nappartient pas au juge de se substituer lui.

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    Larticle 14 de la Convention des droits de lenfant ne peut pas fonder les dispositions de son rglement intrieur dictant une telle obligation en labsence de toute loi dont il pourrait tre lapplication.

    En toute hypothse, ce texte, qui garantit le droit de lenfant la libert de pense, de conscience et de religion, nimpose aucune neutralit. La meilleure preuve en est que coexistent, en France notamment, deux types denseignement : lun public et neutre, lautre priv et possiblement confessionnel.

    Fonder directement une obligation de neutralit pesant sur les salaris des mtiers de la petite enfance sur larticle 14 de la Convention des droits de lenfant, cest nier la possibilit, pour les parents, dans leur rle de guide, de faire le choix dune cole ou dune crche confessionnelle, le choix de labsence de neutralit, et nier lobligation de lEtat de respecter ce choix.

    Le contexte de diversit culturelle et confessionnelle dans lequel lAssociation exerce son activit ne suffit pas riger en choix idologique ou thique le principe de neutralit quelle impose lensemble de son personnel. Il sagit, dans une socit dmocratique, du contexte normal dans lequel volue toute entreprise. La neutralit choisie par lemployeur comme rponse la diversit confessionnelle et culturelle des personnes qui ses activits sont destines nexprime aucun choix philosophique ou thique particulier.

    On ne peut, sur ce point, que partager la surprise exprime par le Professeur Jean Mouly (op. cit., D. 2014, p.65) de lire, sous la plume de la Cour dappel de Paris, que la crche constitue une entreprise de tendance pouvant imposer son personnel une obligation de neutralit : Telle nest pas, en effet, la fonction habituelle dune entreprise de tendance qui, au contraire, exige de son personnel un engagement fort et de tous les instants au service dune cause (). [La neutralit] ne suppose, en effet, aucun engagement ou dvouement au service de convictions. Elle exige, linverse, une certaine retenue de la part de ceux qui y sont soumis en sorte que toutes les opinions mme contraires, puissent cohabiter .

    La neutralit nest pas une tendance et nexprime pas en elle-mme une conviction. Elle marque au contraire labsence de choix idologique face au fait religieux. La neutralit peut tre la posture des athes, des agnostiques des sceptiques ou des indiffrents dont la libert de conscience est protge au titre de larticle 9 de la Convention europenne des droits de lHomme.

    Comme le rappelle, fort propos, M. Huglo, contrairement lathisme, la neutralit nest pas une tendance, mais une absence de tendance (J.-G. Huglo, SSL 2013, n 1577, p.7).

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    Or, lentreprise de tendance requiert une adhsion du salari une idologie, une morale ou encore une politique, ce qui est le contraire de la neutralit (J.-D. Dreyfuss, La neutralit religieuse peut tre impose au personnel dune crche associative entreprise de conviction, AJ Collectivit territoriales 2014, p. 63). En rsum, neutralit et entreprise de conviction sont deux notions tout aussi rigoureusement antinomiques que les notions de conviction et dobligation.

    Admettre le contraire donnerait la possibilit nimporte quel employeur, sous couvert de la qualification dentreprise de conviction, de priver ses salaris de leur droit fondamental exprimer leurs convictions religieuses. Aussi, la gestion dun service daccueil de la petite enfance et dinsertion professionnelle de femmes sans distinction de leur opinion et confession autour dun principe de silence sur le religieux ne permet pas didentifier une thique ou idologie particulire.

    Aucun des motifs de larrt attaqu ne permet daffirmer que lassociation Baby Loup ait impos une obligation gnrale et absolue de neutralit son personnel en raison dun choix idologique. Dans ses critures (p. 25 32), lassociation affirme au contraire que cette neutralit simposait par la nature ducative de ses missions. Mais on a vu que cet argument nest pas davantage fond sauf admettre que les missions ducatives soient soustraites toute communaut confessionnelle. Et lon sort alors prcisment du champ de la tendance ou de la conviction .

    Par ailleurs, lassociation Baby Loup na aucunement revendiqu, devant la Cour dappel, tre une entreprise de tendance ou de conviction laque. La Cour dappel ne la dsigne dailleurs pas comme telle.

    On ne peut du reste souscrire, comme lobserve la majorit de la doctrine, la qualification dentreprise de tendance ou de conviction laque en relguant un principe constitutionnel dorganisation de lEtat au rang dune simple idologie (cf. notamment, F. Dieu, La lacit devient tendance, JCP Administrations et Collectivits territoriales n 49, act. 944).

    Et puisque la Cour dappel de Paris se place sous les auspices de la jurisprudence de la Cour europenne des droits de lhomme, il nest pas inutile de rappeler sa conception de la socit dmocratique (Leyla Sahin c. Turquie, prc., 108) :

    108. Pluralisme, tolrance et esprit douverture caractrisent une socit dmocratique . Bien quil faille parfois subordonner les intrts dindividus a ceux dun groupe, la dmocratie ne se ramne pas la suprmatie constante de lopinion dune majorit mais commande un quilibre qui assure aux individus minoritaires un traitement juste et qui vite tout abus dune position dominante (voir, mutatis mutandis, Young, James et Webster

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    c. Royaume-Uni, arrt du 13 aot 1981, srie A no 44, p. 25, 63, et Chassagnou et autres c. France [GC], nos 25088/94, 28331/95 et 28443/95, 112, CEDH 1999-III). Le pluralisme et la dmocratie doivent galement se fonder sur le dialogue et un esprit de compromis, qui impliquent ncessairement de la part des individus des concessions diverses qui se justifient aux fins de la sauvegarde et de la promotion des idaux et valeurs dune socit dmocratique (voir, mutatis mutandis, Parti communiste unifi de Turquie et autres, prcit, pp. 21-22, 45, et Refah Partisi (Parti de la prosprit) et autres, prcit, 99). Si les droits et liberts dautrui figurent eux-mmes parmi ceux garantis par la Convention ou ses Protocoles, il faut admettre que la ncessit de les protger puisse conduire les Etats restreindre dautres droits ou liberts galement consacrs par la Convention : cest prcisment cette constante recherche dun quilibre entre les droits fondamentaux de chacun qui constitue le fondement dune socit dmocratique (Chassagnou et autres, prcit, 113) .

    Comme lanalyse le Professeur Mouly (D. 2014, prc.), la lacit nest pas une idologie, une fin en soi. Elle nest quun moyen, un mode dorganisation dun groupement destin permettre la coexistence didologies concurrentes. Elle est donc loppos de lentreprise militante, sauf la confondre avec le lacisme, forme exacerbe danticlricalisme .

    M. Huglo a dailleurs expos les obstacles auxquels se heurtait la qualification dentreprise de tendance laque : La lacit incarne la neutralit vis-vis du fait religieux. Lentreprise de tendance requiert une adhsion du salari une idologie, une morale ou encore une politique. Cest le contraire de la neutralit. Les deux concepts sont antinomiques. Par ailleurs, nous navons pas souhait tendre cette notion dentreprise de tendance. Il na jamais t dit jusquici dans notre jurisprudence quune crche prive tait une entreprise de tendance (J.-G. Huglo, Le juge ne tranche pas les questions de socit, SSL 2013, n 1577, p.6).

    Certains partisans de la thse de lentreprise de conviction laque prtendent tirer argument de larrt Lautsi c. Italie (18 mars 2011, req. n 30814/06) rendu par la Cour europenne des droits de lHomme le 18 mars 2011 en ce quil nonce que les partisans de la lacit sont en mesure de se prvaloir de vues atteignant le degr de force, de srieux, de cohrence et dimportance requis pour quil sagisse de convictions au sens des articles 9 de la Convention et 2 du Protocole n 1 ( 58). Cet arrt ne consacre cependant aucune reconnaissance de la lacit en tant que conviction dune entreprise. Dans cette affaire, la requrante tait une mre de famille qui se plaignait que dans lcole publique italienne o taient scolariss ses deux fils, un crucifix tait accroch dans les salles de classe. Larrt enseigne quelle tait membre et militante de lunion des athes et agnostiques rationalistes (34) et que la requrante tant favorable la lacit, [la prsence du signe religieux en cause dans lcole]

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    violerait son droit ce que ses enfants soient duqus conformment ses propres convictions religieuses (41). La Cour a opr une confusion entre lacit et athisme, comme lavait pertinemment observ M. Huglo. Elle a surtout cart tout manquement de lEtat son obligation de respecter le droit des parents dassurer lducation et lenseignement de leurs enfants conformment leurs convictions religieuses et philosophiques dans lamnagement de lenvironnement scolaire ( 63 et suivants), et considr aprs mise en balance de tous les intrts en prsence que le respect de lgitimes convictions des enfants et de leurs parents tait compatible avec la prsence dun signe religieux dans lcole.

    En outre, il ne faut pas perdre de vue que si lexigence de neutralit de lEtat existe dans le droit de la Convention europenne des droits de lhomme, elle y est conue comme la garantie du pluralisme ncessaire une socit dmocratique (CEDH, 13 dcembre 2001, Eglise mtropolitaine de Bessarabie et autres c. Moldova, n 45701/99, 115-116 ; 26 octobre 2000, Hassan et Tchaouch c. Bulgarie, n 30985/98, 2) et ne trouve sappliquer quen tant que sont en cause la fonction de rglementation de lEtat et sa relation avec les diffrentes communauts religieuses ainsi que, en vertu de larticle 2 du protocole additionnel la Convention, ses missions dducation et denseignement. La Cour rappelle cet gard quen France, la lacit est un principe constitutionnel, fondateur de la Rpublique, auquel lensemble de la population adhre.

    Force est dadmettre que lentreprise de tendance laque na jusquici encore t consacre ni en droit interne, ni en droit europen. Quelques auteurs en particulier, le Professeur Gaudu (Lentreprise de tendance laque, Dr. Soc. 2011, p.1186), en ont t les promoteurs : Il existe des institutions religieuses, mais, surtout, les individus et les organisations socits, associations - partir du moment o ils respectent les lois en vigueur, ont le droit de se montrer parfaitement indiffrents la question de la lacit. Cest donc un choix idologique de sy rfrer, tout autant que celui dune orientation politique, religieuse ou syndicale .

    Cette opinion repose sur une certaine ide de la lacit, qui serait de combat . Mais cette ide rvle rapidement ses limites au regard mme des principes juridiques de lacit et de neutralit de lEtat : La neutralit de lEtat qui dcoule du principe de lacit juridique nest pas une rgle visant lutter contre les religions. Cette neutralit vise ne favoriser aucune religion afin de mieux garantir la libert de toutes les religions (E. Docks, Libert, lacit, Baby Loup : de la trs modeste et trs conteste rsistance de la Cour de cassation de cassation face la xnophobie montante, Dr. Soc. 2013, p.388).

    Surtout, lonction juridique de la notion dentreprise de tendance ou de conviction laque irait rebours de la conception mme de la lacit.

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    Lavis sur la lacit rendu par la Commission Nationale consultative des Droits de lHomme le 26 septembre 2013 en souligne le risque : la lacit nest pas une tendance, sauf ne plus tre un principe constitutionnel partag par tous et quelles que soient les raisons pour lesquelles une entreprise souhaiterait exclure de son espace le fait religieux (paix social, image de marque), la simple volont de ne pas heurter les non croyants ne saurait tre une raison suffisante. Cela conduirait confrer un blanc-seing aux employeurs pour priver leurs salaris de leurs droits exprimer leurs convictions .

    Faire de la lacit, principe dorganisation de lEtat simposant dans la sphre sociale, une idologie comme une autre dont une structure prive pourrait se prvaloir pour restreindre de faon absolue la libert religieuse des salaris, est dangereux et conduirait invitablement des drives liberticides. Il suffirait une entreprise prive dont lobjet serait purement conomique dinscrire dans une charte quelconque de dontologie ou un code de bonne conduite - si en vogue dans un contexte de gouvernance de lentreprise - son profond attachement la lacit pour museler toutes les liberts, et pas seulement religieuse, des salaris.

    Le professeur Docks (Libert, lacit, Baby Loup : de la trs modeste et trs conteste rsistance de la Cour de cassation face la xnophobie montante, prc., p.388) a dnonc cette acception de la lacit : Alors que lhabit des religieuses catholiques est bienvenu dans les prisons, le voile musulman est interdit jusque dans les bureaux subalternes des CPAM, sans contacts avec le public. Mais ce qui choque lopinion nest pas cette diffrence de traitement. Cest que lon naille pas plus loin dans la prohibition du voile et que la Cour de cassation se soit permis de rappeler que le principe est la libert, mme au sein dune crche. La lacit tendrait-elle perdre sa signification originelle pour devenir lexcuse rhtorique dun droit tendance xnophobe ? .

    Et bien lire le Professeur Gaudu (Lentreprise de tendance laque, Dr. Soc., 2011, p.1186), qui voque la prsence dune zone grise qui voit des structures diverses concourir des degrs variables lintrt gnral , on se rend compte que lentreprise de tendance laque ne serait quun succdan, un moyen de contourner le refus de voir tendre aux structures qui accomplissent une mission dintrt gnral le principe de neutralit rserv aux seuls services publics. Cette notion pourrait devenir, selon lexpression vocatrice du Professeur Mouly, le cheval de Troie dune lacit expansionniste de combat dans lentreprise prive (J. Mouly, Laffaire Baby Loup devant la cour de renvoi : la revanche de la lacit, D. 2014, p.65).

    La lacit et la neutralit sont des rgles dorganisation de lEtat applicables lEtat et aux services publics qui ne peuvent tre relgues au rang de simples convictions. Un employeur de droit priv na

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    pas la libert de sriger en promoteur ou protecteur de tels principes qui ne sappliquent pas la socit civile.

    Comme le font observer des sociologues (J. Baubrot, M. Millot, Lacits sans frontires, Seuil 2011), Les lacits ont toutes en commun le fait darticuler, de faon plus ou moins harmonieuse, quatre principes. Deux portent sur les finalits : la garantie de la libert de conscience, lgalit et la non-discrimination. Deux concernent les moyens : la sparation du politique et du religieux, la neutralit de lEtat lgard des diverses croyances. Le terme de lacit est donc irremplaable () parce que seul il est capable de rassembler ces quatre lments .

    Mais l o le sociologue peut dsigner par le mme mot, la fin et les moyens, le juriste doit soigneusement les distinguer.

    Si la lacit est une fin en soi, elle nest srement pas quune conviction dans une socit dmocratique dont elle constitue lun des fondements. En tant que fin, la lacit nest pas la neutralit religieuse. Elle ne consiste ni en lathisme, ni en labsence de religion sous peine den rduire la porte une notion faisant obstacle lexpression des convictions religieuses, ce qui est contraire son objectif.

    Cest ce qua rappel le Conseil constitutionnel dans sa dcision Association pour la promotion de la lacit : Le principe de lacit impose notamment le respect de toutes les croyances, lgalit de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion (Cons. Constit. 21 fvrier 2013 n 2012-297 QPC).

    Si la lacit nest quun moyen, elle dsigne alors le concept juridique de neutralit qui nest pas non plus une conviction mais un mode dorganisation qui ne sapplique quaux services publics.

    Lassociation Baby-Loup nest pas une entreprise de conviction ou de tendance. Si elle est une crche dont les missions sont tout fait louables, ses objectifs nont rien didologique. Elle est une personne de droit priv qui a impos ses salaris, dans le rglement intrieur, un principe de neutralit absolue totalement illicite.

    *

    Une entreprise ne peut se constituer en entreprise de conviction pour appliquer des principes de neutralit ou de lacit qui ne sont applicables qu lEtat ou aux services publics comme la rappel la chambre sociale de la Cour de cassation dans larrt CPAM de Seine St Denis rendu le mme jour que larrt de cassation concernant la prsente affaire (Soc., 19 mars 2013, pourvoi n 12-11.690).

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    Par ces arrts, la Cour de cassation a rappel que les principes de lacit et de neutralit dsignent lattitude de lEtat face au religieux et ne sont pas applicables la socit civile. Cette solution, appele de ses vux par lunanimit de la doctrine (cf. notamment, P. Adam, Lentreprise, sans foi ni voile ?, RDT 2011, p.182 ; J. Savatier, Conditions de licit dun licenciement pour port du voile islamique, Dr. Soc. 2004, n 4, p.354 ; C. Brisseau, La religion du salari, Dr. Soc., 2008, p.969 ; I. Desbarats, Entre exigences professionnelles et libert religieuse : quel compromis pour quels enjeux ?, JCP S 2011, p. 1307) a largement t approuve (cf. notamment, E. Dockes, Libert, lacit, Baby Loup : de la trs modeste et trs conteste rsistance de la Cour de cassation face la xnophobie montante, Dr. Soc. 2013, p.388 ; P. Mbongo, Institutions prives, entreprise de tendance et droit au respect des croyances religieuses, JCP G 2013, doctr. 750).

    M. Adam (La Crche et (l) au-del, SSL 2011, n 1515, p.10) a parfaitement rsum lincohrence et les dangers dune extension du principe de lacit dans la sphre prive : La lacit est une rgle dorganisation de lEtat et de ses rapports avec la ou (les) religions(s). En faire une rfrence normative destine trancher des conflits entre un employeur priv et un salari na strictement aucun sens. Importer la lacit dans lentreprise cest la travestir. On prtend en effet en infrer dans lespace social dont lentreprise est une des composantes, une obligation de neutralit alors quelle y postule au contraire la libert pour chacun dexprimer librement ses convictions religieuses. Au-del de la sphre de laction publique, la lacit dfend et soutient la libert religieuse .

    Dans larrt attaqu la Cour dappel a considr que la crche pouvait adopter un mode dorganisation comparable celui des services publics, parce que son objet contact avec la petite enfance, respect de la pluralit religieuse, ainsi que les conditions de son activit - le commandaient ainsi.

    Cette analyse est en totale contradiction avec notre systme juridique et, au-del, avec les valeurs dune socit dmocratique.

    Il faut rappeler que le principe de neutralit du service public est le corollaire du principe dgalit (voir Conseil constitutionnel, Dcisions n 2004-505 DC du 19 novembre 2004 et n 2012-297 QPC du 21 fvrier 2013) qui rgit le fonctionnement des services publics et implique notamment lgal accs des usagers au service public et leur gal traitement. Le principe de neutralit du service public a t consacr par le Conseil constitutionnel au nombre des principes fondamentaux du service public de faon autonome par rapport au principe de lacit. Il nest dailleurs pas limit au champ du religieux car il sapplique aussi aux champs

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    philosophique et politique (Dcisions n 2013-353 QPC du 18 octobre 2013).

    Les principes de lacit de lEtat et de neutralit des services publics constituent donc les deux fondements constitutionnels de lexigence de neutralit religieuse des services publics (Etude adopte par lassemble gnrale du Conseil dEtat le 19 dcembre 2013 la demande du Dfenseur des droits). Propre lEtat, ces principes ne peuvent pas tre revendiqus par une entreprise prive.

    Au demeurant lventuelle lapplication dans la sphre prive des principes de lacit et de neutralit irait rebours de leurs objectifs.

    La neutralit de lEtat qui dcoule du principe de lacit juridique nest pas une rgle visant lutter contre les religions. Cette neutralit vise ne favoriser aucune religion afin de mieux garantir la libert de toutes les religions et leur mode dexpression. Cest pourquoi la neutralit quexige le principe de lacit nest absolument pas gnralisable tous. Ainsi que lexplique le Professeur Docks, Les personnes prives ont le droit de ne pas tre neutres, davoir des opinions et des convictions religieuses et de les exprimer. Cest pour protger ce droit labsence de neutralit quil a t ordonn la Rpublique , ou lEtat dtre lac. En clair, la lacit a t impose la puissance publique et elle seule, au nom de la diversit qui est de droit pour les personnes prives (E. Dockes, Libert, lacit, Baby Loup : de la trs modeste et trs conteste rsistance de la Cour de cassation face la xnophobie montante, Dr. Soc. 2013, p.388).

    Aussi, dfaut de se prvaloir de la qualification de service public, ce qui nest pas discut, lAssociation Baby-Loup est soumise aux dispositions du code du travail. Elle ne peut invoquer ni le principe de lacit, ni le principe de neutralit des services publics, pour mettre en uvre un mode dorganisation fond sur une obligation de neutralit de son personnel emportant notamment interdiction de porter tout signe ostentatoire de religion.

    Ds lors que le principe constitutionnel de neutralit ne peut tre transpos dans lentreprise prive, lemployeur ne peut limposer ses salaris. Il doit au contraire, en ce qui les concerne, faire prvaloir la libert religieuse.

    Ainsi que lanalyse le Professeur Mouly, (La libert dexpression religieuse dans lentreprise : le raidissement de la Cour de cassation, D. 2013, p.963), lentreprise prive, que lon a cru pouvoir assimiler un espace social , est en ralit, comme les lieux publics, gouverne par le principe de libre expression des convictions religieuses. Seule une disposition lgale particulire peut faire exception la rgle,

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    comme le montre lexemple de la loi interdisant la dissimulation du visage dans les lieux publics .

    Hors la sphre tatique et les services publics, et spcialement dans lentreprise, la libert religieuse est la rgle, la restriction est lexception. Autrement dit, une entreprise ne peut pas dcider quelle va se comporter comme lEtat et se placer dans une optique de neutralit impose en tant que telle (encore moins de lacit). Il nexiste pas, dans lentreprise prive, de droit gnral la neutralit. En autorisant la crche Baby-Loup sriger en entreprise de conviction de neutralit la Cour dappel a commis une erreur de droit.

    *

    Au demeurant, si une telle option devait tre un jour ouverte aux entreprises, ce ne pourrait tre que sur le fondement dune loi. Le juge ne peut pas sarroger cette prrogative.

    Une restriction la libert religieuse doit avoir une base lgale au regard du droit communautaire, europen et interne.

    En droit communautaire, la Charte des droits fondamentaux de lUnion europenne, proclam en 2000 et ayant force juridique contraignante depuis lentre en vigueur du Trait de Lisbonne en dcembre 2009, tablit une liste des droits de lhomme qui sinspire des droits consacrs par les constitutions des Etats membres, la Convention europenne des droits de lhomme et les traits internationaux relatifs aux droits de lhomme.

    Elle consacre larticle 10, la libert de pense, de conscience et de religion en ces termes :

    Toute personne a droit la libert de pense, de conscience et de religion. Ce droit implique la libert de changer de religion ou de conviction, ainsi que la libert de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en priv, par le culte, lenseignement, les pratiques et laccomplissement des rites .

    Larticle 52, intitul Porte et interprtation des droits et des principes dispose que :

    1. Toute limitation de lexercice des droits et liberts reconnus par la prsente Charte doit tre prvue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et liberts. Dans le respect du principe de proportionnalit, des limitations ne peuvent tre apportes que si elles sont ncessaires et rpondent effectivement des objectifs dintrt gnral reconnus par lUnion ou au besoin de protection des droits et liberts dautrui .

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    Le paragraphe 3 de cet article vise assurer la cohrence ncessaire entre la Charte et la Convention europenne des droits de lhomme en posant la rgle que dans la mesure o la prsente Charte contient des droits correspondant des droits garantis par la Convention europenne de sauvegarde des droits de lhomme et les liberts fondamentales, leur sens et leur porte sont les mmes que ceux que leur confre ladite convention. Cette disposition ne fait pas obstacle ce que le droit de lunion accorde une protection plus tendue .

    Il en rsulte en particulier que le lgislateur, en fixant des limitations ces droits, doit respecter les mmes normes que celles fixes par le rgime dtaill des limitations prvu par la Convention europenne des droits de lhomme, qui sont donc rendues applicables aux droits couverts par ce paragraphe, sans que cela porte atteinte lautonomie du droit de lUnion et de la Cour de justice de lUnion europenne (explications relatives la Charte des droits fondamentaux, JOUE 2007/C 303/02).

    Et prcisment, la Convention europenne des droits de lhomme exige, linstar de la Charte, que les restrictions aux liberts quelle protge, notamment la libert de religion, reposent sur une base lgale.

    Pour la Cour europenne des droits de lhomme, le port du foulard peut tre considr comme un acte motiv ou inspir par une religion ou une conviction religieuse (CEDH, Leyla Sahin c. Turquie, 10 novembre 2005, req. n 44774/98, 78 ; 4 dcembre 2008, Kervani c/ France, 4 dcembre 2008, req. n 31645/04, Drogu c/ France, req. n 27058/05, 32)

    En application de larticle 9 2 de la Convention europenne des droits de lhomme : La libert de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prvues par la loi, constituent des mesures ncessaires, dans une socit dmocratique, la scurit publique, la protection de l'ordre, de la sant ou de la morale publiques, ou la protection des droits et liberts d'autrui .

    Un Etat peut restreindre lexercice des droits et liberts garantis par la Convention europenne mais trois conditions cumulatives doivent tre runies : lingrence doit tre prvue par la loi, poursuivre un but lgitime et tre ncessaire dans une socit dmocratique.

    La notion de loi est ainsi entendue par les juges europens : les mots prvues par la loi signifient que la mesure incrimine doit avoir une base en droit interne, mais ils impliquent aussi la qualit de la loi : ils exigent laccessibilit de celle-ci aux personnes concernes et une formulation assez prcise pour leur permettre de prvoir, un degr

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    raisonnable dans les circonstances de la cause, les consquences pouvant rsulter dun acte dtermin, et de rgler leur conduite (CEDH, Leyla Sahin c. Turquie, 10 novembre 2005, 84 ; Dogru c. France, 4 mars 2009, prc., 49).

    La notion de loi doit tre entendue dans son acception matrielle et non formelle . En consquence, elle y inclut lensemble constitu par le droit crit, y compris des textes de rang infra lgislatif ainsi que la jurisprudence qui linterprte (Dogru c. France, prcit, 52).

    Cette interprtation simpose pour concilier le droit des pays de Common law, essentiellement jurisprudentiel, et celui des pays continentaux, comme le ntre.

    Selon sa jurisprudence constante, la Cour europenne laisse aux Etats parties la convention une certaine marge dapprciation pour ce qui est de dire si et dans quelle mesure une ingrence est ncessaire. Cette marge dapprciation va de pair avec un contrle europen sur la loi et les dcisions qui lappliquent. La tche de la Cour consiste rechercher si les mesures prises au niveau national se justifient dans leur principe et sont proportionnes (CEDH, 15 janvier 2013, Eweida et autres c. Royaume-Uni, req. N 4820/10, 59842/10 et 36516/10, 84 ; 10 novembre 2005, Leyla Sahin c. Turquie, prc. 110).

    Lorsque les ingrences dnonces ont t commises par des personnes morales de droit priv et ne sont pas directement imputables lEtat poursuivi, la Cour doit examiner les questions sur le terrain de lobligation positive incombant aux instances de lEtat de reconnatre toute personne relevant de sa juridiction les droits noncs larticle 9 (CEDH, 15 janvier 2013, Eweida et autres c. Royaume-Uni, prc. 84).

    A cet gard, il faut rappeler qu il incombe au premier chef aux autorits nationales, et singulirement aux cours et Tribunaux, dinterprter et dappliquer le droit interne (CEDH, Otto Preminger Institut c. Autriche, 20 septembre 1994, 45, srie A n 295-A ; Chorherr c. Autriche, 25 aot 1993, srie A n 266B, 25 ; 10 novembre 2005, Leyla Sahin c. Turquie, prc. 87).

    La Cour europenne des droits de lHomme vrifiera ds lors si les conclusions des juridictions du travail ne sont pas draisonnables et si, au regard du droit interne que les juridictions sont tenues dappliquer, elles sont parvenues une mise en balance circonstancie des intrts divergents en jeu (CEDH, 3 fvrier 2011, Siebenharr c. Allemagne, req. n 18136/02, 47).

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    Aussi, lorsque lEtat est dot de normes encadrant le pouvoir de direction de lemployeur en matire de droits et liberts du salari, il est bien vident que les mesures prises au sein de lentreprise devront tre apprcies par le juge national, et sil y a lieu, par le juge europen, laune de cette rglementation. Elle sera essentiellement constitue par le droit jurisprudentiel dans les pays de Common Law, comme le Royaume-Uni (cf. (CEDH, 15 janvier 2013, Eweida et autres c. Royaume-Uni, prc., 41 46 rappelant les lments pertinents du droit interne ) et par les normes crites dans les pays continentaux (CEDH, 23 septembre 2010, Obst c. Allemagne, req. n 425/03 ; 3 fvrier 2011, Siebenharr c. Allemagne, req. n 18136/02).

    En droit interne, la libert religieuse est constitutionnellement garantie par larticle 10 de la Dclaration des droits de lhomme et du citoyen ainsi que par lalina 5 du Prambule de la Constitution de 1946, aux termes duquel Nul ne peut tre ls, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances .

    Le Conseil dEtat a dgag un principe constitutionnel de libert d'expression religieuse (CE, 27 juin 2008, Mme Mabchour, n 286798, Rec. T. p. 737 et 743 ; AJDA 2008, p. 1296 et p. 1997, tude H. Zeghbib, note P. Chrestia).

    De surcrot, une intervention lgislative serait requise pour imposer aux salaris dune entreprise prive une obligation de neutralit impliquant une interdiction gnrale de porter tout signe religieux. En effet, aux termes de larticle 34 de la Constitution, la loi dtermine les principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et de la scurit sociale . Sur ce point, le Conseil constitutionnel a prcis quil incombait au lgislateur pour dterminer les principes fondamentaux du droit du travail, dassurer la mise en uvre des principes conomiques et sociaux du Prambule de 1946 parmi lesquels figure ceux de lalina 5, tout en les conciliant avec les liberts constitutionnellement garanties (Cons. Const., 13 janvier 2005, n 2004-509 DC 23).

    Par ailleurs, la libert religieuse est garantie de faon gnrale par larticle 1er de la loi du 9 dcembre 1905 qui dispose que La Rpublique assure la libert de conscience et garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions dictes ci-aprs dans l'intrt de l'ordre public .

    En droit du travail, elle est spcifiquement garantie par linterdiction des discriminations directes ou indirectes fondes sur la religion prvue par larticle L 1132-1 du code du travail selon lequel :

    Aucune personne ne peut tre carte d'une procdure de recrutement ou de l'accs un stage ou une priode de formation en entreprise, aucun

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    salari ne peut tre sanctionn, licenci ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que dfinie l'article 1er de la loi n 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matire de rmunration, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses murs, de son orientation sexuelle, de son ge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractristiques gntiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou suppose, une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activits syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou en raison de son tat de sant ou de son handicap .

    Cette disposition fait cho larticle 21 de la Charte des droits fondamentaux de lUnion europenne aux termes duquel est interdite toute discrimination fonde notamment sur la religion ou les convictions.

    La possibilit pour lemployeur doprer des diffrences de traitement est encadre par larticle L. 1133-1 du code du travail qui dispose que :

    Larticle 1132-1 ne fait pas obstacle aux diffrences de traitement, lorsquelles rpondent une exigence professionnelle essentielle et dterminante et pour autant que lobjectif soit lgitime et lexigence proportionne .

    Les dispositions constituent la transposition directe de la directive 78/2000/CE du 27 novembre 2000.

    En dehors des dispositions relatives aux discriminations, la seule restriction la libert religieuse, prvue par la loi au sens de larticle 9 2 de la Convention europenne des droits de lhomme est celle prvue aux articles L. 1121-1 et L. 1321-3 du code du travail.

    Larticle L. 1121-1 du code du travail dispose que :

    Nul ne apporter aux droits des personnes et aux liberts individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifies par la nature de la tche accomplir, ni proportionnes au but recherch .

    Aux termes de larticle L. 1321-3 du code du travail :

    Le rglement intrieur ne peut contenir :

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    ()

    2 Des dispositions apportant aux droits des personnes et aux liberts individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifies par la nature de la tche accomplir ni proportionnes au but recherch.

    3 Des dispositions discriminant les salaris dans leur emploi ou leur travail, capacit professionnelle gale, en raison de () leurs convictions religieuses () .

    Il rsulte des dispositions du code du travail, comme la jug la Chambre sociale (Cass. Soc., 19 mars 2013, prc.), que les restrictions la libert religieuse doivent tre justifies par la nature de la tche accomplir, rpondre une exigence professionnelle essentielle et dterminante et proportionnes au but recherch.

    Il ny a, en France, ni loi, ni acte rglementaire ni plus gnralement aucune norme pouvant faire faire office de loi au sens de la jurisprudence de la Cour europenne des droits de lHomme imposant aux salaris dun employeur de droit priv accueillant des enfants en bas ge une stricte obligation de neutralit, emportant interdiction de porter tout signe ostentatoire de religion.

    On observera dailleurs que les dcisions de la Cour europenne des droits de lhomme qui ont admis des mesures dinterdiction du port du voile concernaient lenseignement public organis, dans les pays concerns, autour des principes de lacit et de neutralit de lEtat constitutionnellement garantis (cf. collgiens scolariss dans des tablissements scolaires franais : CEDH, 4 dcembre 2008, Kervani c/ France, req n 31645/04 ; Dogru c/ France, prc. ; 30 juin 2009, Aktas c/ France, n 43563/08, Bayrak c/ France, n 14308/08, Gamaleddyn c/ France, n 18527/08, Ghazal c/ France, n 29134/08, J. Singh c/ France, n 25463/08 et r. Sinh c/ France, n 27561/08 ; enseignante dans une cole publique suisse : Dahlab c/ Suisse 15 fvrier 2001, req. n 42393/98 ; tudiante en mdecine lUniversit dIstanbul :Leyla Sahin c/ Turquie ;10 novembre 2005, req. n 44774/98).

    En lespce, la prohibition du port du voile islamique oppose Mme Afif, et donc lingrence de son employeur dans son droit de manifester sa religion protg par larticle 9 2 de la Convention, rsulterait, selon la crche, de son rglement intrieur aux termes duquel le principe de la libert de conscience et de religion de chacun des membres du personnel ne peut faire obstacle au respect des principes de lacit et de neutralit qui sappliquent dans lexercice de lensemble des activits dveloppes, tant dans les locaux de la Crche ou ses annexes quen accompagnement extrieur des enfants confis la crche .

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    Mais cette clause, la supposer valable (ce que conteste le troisime moyen de cassation), ne peut, en toute hypothse, faire office de la base lgale requise tant par la Constitution que par la Convention europenne des droits de lHomme.

    En droit europen, si un acte administratif (CEDH, 22 fvrier 1992, Anderson, Srie A, n 226, 84) ou lacte pris par un ordre professionnel dans le cadre de son pouvoir normatif autonome et par dlgation du lgislateur (CEDH, 25 mars 1985, Barthold c. Allemagne, Srie A, n 90, 46) peuvent constituer la base lgale dune ingrence, au sens de la jurisprudence de la Cour europenne, le rglement intrieur na pas cette nature.

    Le rglement intrieur, selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, constitue un acte rglementaire de droit priv (Cass. Soc., 25 septembre 1991, Bull. V, n 381). Le contrle de lgalit dvolu linspecteur du travail par larticle L. 1322-1 du code du travail ne saurait lui ter sa nature pour le transformer en un acte administratif (Cass. Soc., 16 dcembre 1992, Bull. V, n 602).

    Selon larticle L. 1321-1 du code du travail :

    Le rglement intrieur est un document crit par lequel lemployeur fixe exclusivement:

    1 Les mesures dapplication de la rglementation en matire de sant et de scurit dans lentreprise ou ltablissement, notamment les instructions prvues larticle L.4122-1;

    2 Les conditions dans lesquelles les salaris peuvent tre appels participer, la demande de lemployeur, au rtablissement de conditions de travail protectrices de la sant et de la scurit des salaris, ds lors quelles apparaissent compromises;

    3 Les rgles gnrales et permanentes relatives la discipline, notamment la nature et lchelle des sanctions que peut prendre lemployeur .

    Il a pu tre soulign que seules les mesures vises au 1 et au 2 de cette disposition pourraient tre considres comme des mesures prises sur dlgation de la loi sagissant dappliquer la rglementation en matire de sant et de scurit. En revanche, il est clair que la clause litigieuse du rglement intrieur de lassociation Baby Loup relve du 3 de cette disposition et ne peut tre considre comme une mesure dapplication dune disposition lgislative (Rapport de M. le conseiller Huglo sur le pourvoi n F 11-28.845).

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    Il rsulte de lensemble de ce corpus normatif quen droit interne, seul le lgislateur aurait la comptence de prescrire une obligation de neutralit du personnel ou une interdiction absolue de porter des signes religieux ostentatoires, sous rserve quune telle loi passe lpreuve du contrle de constitutionnalit, ce qui est loin dtre assur.

    Or, aucune loi matrielle au sens de la jurisprudence de la Cour europenne des droits de lhomme nimpose ou nautorise lapplication dun principe de neutralit dans les entreprises prives en gnral et dans les crches prives en particulier. Cest ce que confirme indirectement le projet de loi visant tendre lobligation de neutralit aux structures prives en charge de la petite enfance et assurer le respect du principe de lacit (Rapport n 144 enregistr la Prsidence du Snat le 30 novembre 2011).

    Les diffrences de traitement fondes notamment sur les convictions religieuses peuvent ne pas tre discriminatoires mais seulement si elles rpondent une exigence professionnelle essentielle et dterminante et pour autant que l'objectif soit lgitime et l'exigence proportionne.

    En lespce, larrt attaqu, en nonant que les restrictions prvues au rglement intrieur rpondent aussi dans le cas particulier l'exigence professionnelle essentielle et dterminante de respecter et protger la conscience en veil des enfants , a confondu exigence professionnelle essentielle et dterminante (ici, lexigence de neutralit) et le but lgitime recherch par lemployeur. La Cour dappel, qui ne peut ce faisant tre regarde comme ayant correctement exerc son contrle, a donc priv sa dcision de base lgale.

    En dautres termes, lemployeur ne peut pas, par un rglement intrieur, rduire des liberts dont lorganisation relve en droit franais du lgislateur. Le juge ne peut pas davantage, en crant des catgories dentreprises plus ou moins innommes se substituer au lgislateur sur ce terrain.

    La Cour dappel a clairement excd ses pouvoirs.

    Enfin, et en toute hypothse, la Cour dappel na pas effectu le contrle de proportionnalit quimpose le choc de deux liberts entrant en conflit.

    Car, mme supposer que Baby-Loup soit une entreprise de conviction de neutralit , il nen demeure pas moins que les obligations quelle imposerait ses salaris doivent rpondre une ncessit au regard des circonstances concrtes de lespce, par la tche spcifique qui lui a t confie et, au regard de cette tche, proportionne au but

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    recherch (encore rcemment : Soc. 28 fvrier 2012, publi au bulletin, pourvoi n 10-18308).

    Ce contrle seffectue in concreto, au cas par cas. Et la Cour de cassation vrifie que ce contrle a t effectu par des motifs suffisants (cf. notamment propos du vtement du salari, larrt dit du bermuda ) ; (Soc., 12 novembre 2008, pourvoi n 07-42220 ; 28 mai 2003, pourvoi n 02-40273). La libert religieuse tant, contrairement la libert de se vtir, une libert fondamentale, le contrle exerc par la Cour de cassation en cette matire doit tre encore renforc, et les restrictions cette libert doivent tre plus strictement interprtes (J. Savatier, Condition de licit dun licenciement pour port du voile islamique, Droit social 2004, p. 355).

    Mme dans une entreprise ayant un caractre propre , il ne peut tre port atteinte sans abus une libert fondamentale par un employeur que dans des cas trs exceptionnels o les ncessits des fonctions l'exigent imprieusement (Ass. pln. 19 mai 1978, pourvoi n 76-41211, B. n 1).

    La Cour europenne des droits de lhomme ne procde pas autrement, y compris dans les entreprises de conviction. Dans larrt Sieebenhaar c. Allemagne du 20 janvier 2011, tait en cause le licenciement, par lEglise protestante, dune ducatrice employe dans une garderie protestante, pour manquement son obligation de loyaut. Membre dune autre Eglise, lEglise universelle, elle y donnait de