B. Rioux - La Notion de Verite Chez Heidegger Et Saint Thomas d'Aquin

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Rioux talks about the notion of truth in Heidegger and Aquinas.

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  • LA NOTION DE VRIT CHEZ HEIDEGGER

    ET SAINT THOMAS D'AQUIN

    par

    Bertrand RIOUX

    Professeur l'Universit de Montral

    Est-il possible de confronter deux penses aussi loignes l'une de l'autre que celles de saint Thomas d'Aquin et de Heidegger? Leur loignement historique et spirituel semble creuser un foss infranchissable. Et mme si Heidegger repose des questions anciennes comme celles de l'tre, il le fait l'intrieur d'une philosophie de la finitude qui est essentiellement post-kantienne. Cependant, la loi fondamentale de la pense ne consiste pas dans un progrs constant de la rflexion, de telle sorte qu'une doctrine postrieure dans le temps doive tre suprieure une autre en tous points. L'enchanement ontique et linaire des doctrines doit tre approfondi dans la dimension ontologique du dvoilement de l'tre.

    Du point de vue de ce qui donne le plus penser , Heidegger et saint Thomas d'Aquin occupent une place privilgie dans la tradition occidentale. Leur commun effort, plus explicite chez Heidegger quoique non moins vrai chez le docteur du moyen ge, pour situer l'tre par-del le rgne des essences et de l'intemporel comme aussi par-del l'tant donn, constitue une base qu'on ne trouve dans aucune autre philosophie, pour le dialogue entre ces deux penseurs.

    En essayant de rencontrer ce Mme qu'ils ont pens autrement, nous voulons mettre en doute l'accusation de Heidegger voulant que toute la tradition mtaphysique soit tombe en dehors de l'tre . Nous voulons montrer aussi que seule une mtaphysique de l'tre et de l'esprit est capable d'achever pleinement une rflexion sur la vrit comme dvoilement. Nous croyons que l'admirable profondeur de pense de Heidegger devrait nous stimuler dans la rptition du problme de la vrit et de l'ontologie dans la pense thomiste. Nous ne visons pas exposer le point de vue historique de saint Thomas d'Aquin, mais nous inspirer de ses principes fondamentaux tout en faisant ressortir les deux ples corrlatifs de son intuition mtaphysique, savoir l'tre et l'esprit.

    Nous voudrions, dans ce court expos, rflchir sur les conditions de possibilit radicale d'une ontologie de la vrit. Ce problme

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  • B. RIOUX

    de la vrit est au cur de la philosophie contemporaine. C'est Heidegger, croyons-nous, qui l'a situ le plus profondment. Nous exposerons donc les rflexions de ce penseur, pour ensuite tcher d'laborer un essai sommaire de solution dans les perspectives d'une mtaphysique de l'tre et de l'esprit de type thomiste.

    l

    Ce que Heidegger met d'abord en question, c'est une thorie ontique de la vrit, fonde sur le primat du jugement. Elle s'exprime dans toute la tradition philosophique par une adquation de la connaissance au rel. Pense comme accord entre deux termes, la vrit verse dans un empirisme latent comme chez Aristote ou dans un idalisme de la constitution comme chez Kant. Dans un cas, l'tre prime le connatre et la vrit ne consiste alors qu' sparer ou unir ce qui est effectivement uni ou spar dans la ralit; dans l'autre cas, la pense rend possible le vrai en se conformant ses objets. Dans les deux doctrines, on ne rend pas compte que l'tre tel qu'il est se manifeste la pense. La vrit comme manifestation de l'tant dans l'tre est oublie. La cause de cette chute est dans une nouvelle conception de l'tre

    chez Platon. Alors que les premiers Grecs exprimentaient l'tre comme un rgne qui clt et qui dure (das aufgehend-verweilende Walten), Platon conoit l'tre comme rapport au logos humain, la raison qui le soumet sa loi et qui le digre dans le discours de l'onto-logie. L'tre sera dsormais sous le signe d'une philosophie des essences dont la caractristique est de dterminer l'tant par l'intelligibilit qu'il acquiert dans l'esprit. Les philosophies modernes de la subjectivit qui rduisent l'tre de l'tant sa constitution en objet par le sujet, ne seraient que la consquence extrme de ce fait que l'essence, pour la mtaphysique, est vue moins dans son rapport l'tre, que dans son rapport l'intelligence. La raison est le lieu, crit Max Mller, o l'essence devient visible, et l'essence est dtermine dans son essentialit comme ce qui est vu par l'espri , comme ce qui est rationnel l Du fait que l'tant a son tre authentique dans l'apparatre de l'ide qui le rend intelligible, il est subordonn la clart de l'ide qui claire l'tant. Il n'est plus la dcouverte de l'tant dans l'tre comme la dimension cache qui laisse merger les tres en tant que prsences particulires, mais comme celle de l'tre dans l'ide 2.

    1. Crise de la mtaphysique, Paris, p. 20. 2. Platons Lehre von der Wahrheit, p. 42 (sigle: PLW).

  • ~ ~ ~t de type thomiste.

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    le primat du jugement. Elle s'exprime _. -ophique par

    comme ~. irisme latent comme chez Aristote ou 1,,,,,,,,,,~h'Ml..;{,n comme chez Kant. Dans un cas,

    : la vrit ne consiste alors qu' sparer -......,pnt uni ou spar dans la ralit; dans

    possible le vrai ~.. u. :W":" a la pense. La vrit comme manifestation oublie. est dans une nouvelle conception de l'tre

    les premiers Grecs exprimentaient l'tre et qui dure (das aufgehend-verweilende

    l'tre comme rapport au logos humain, sa loi et qui le digre dans le discours de sormais sous le signe d'une philosophie

    est de dtermin.er l'tant par dans l'esprit. Les philosophies modernes

    l'tre de l'tant sa constitution en que la consquence extrme de ce fait ~eraplhysique, est vue moins dans son rapport

    l'intelligence. La raison est le lieu, l'essence devient visible, et l'essence est ~.enltialit comme ce qui est vu par l'esprit,

    1. Du fait que l'tant a son tre authende l'ide qui le rend intelligible, il est sub

    qui claire l'tant. Il n'est plus la dcoucomme la dimension cache qui laisse

    que prsences particulires, mais comme 2

    Paris, p. 20. Wahrheit, p. 42 (sigle: PLW).

    dans l'ontologie. Le type de relation qui dfinit la connaissance consiste faire voir la chose telle qu'elle est (so-wie). Dire que le mur est blanc, ce n'est pas avant tout tablir une conformit entre mon jugement et le rel, mais c'est faire apparatre le mur sous la formalit de blancheur. Heidegger a tendance dissoudre le

    ~actr: de concordance du jugement dans un processus de rgresSIon qUl va du caractre de la proposition jusqu' l'ouverture (Erschlossenheit) du Dasein. Pour lui, le fait que la connaissance dcouvre l'tant tel qu'il est semble s'opposer ncessairement la dfinition de la vrit-adquation. Cette dernire ne serait invitable qu' la manire o l'interprtation du monde selon le mode chosiste l'est dans l'existence dchue. Pourtant, il nous semble bien que la vrit-concordance dans l'homme a un autre fondement. N~us verrons dans la deuxime partie de ce travail, que si la connrussance apprhende l'tant lui-mme et non pas son succdan psychique, elle ne se ralise qu'en prsupposant en nous la distinction de l'ordre intentionnel et de l'ordre ontologique. La distinction de ces deux ordres doit rendre compte que tout en intentionnant

    1. Einfahrung in die Metaphysik, p. 10 (sigle: EM).

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    philosophie contemporaine. C'est . ' le plus profondment. Nous

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    une adquation de la accord entre deux termes,

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    LA NOTION DE VRIT

    Intimement lie cette dchance de la physis des Prsocratiques l'essence de l'homme perd son rapport l'tre. Au lieu d'tre ce qui pose l'ttre en le recueillant (die lesende Lege) et en rpondant ainsi au logos de l'ttre qui rassemble originairement tout tant dans

    l'unit~ d'une mme prsence sur-dominante (berwaltigend) , le logos humam devient un discours sur l'tant qui le manifeste selon telle ou telle formalit. L'homme est un tant parmi d'autres tants et son essence spcifique est de contempler l'tre vritable des choses. Il fait face un ~onde intelligible auquel participe comme un vague reflet notre uruvers changeant. Le langage n'est plus le lieu o les choses deviennent et sont 1 . Il s'objective dans la forme d'un tant transmissible et devient un outil qui sert au commerce des hommes. La formule adaequatio rei et intellectus repose sur la chosification du jugement, sur la base du langage comme l'expression par un tant d'un autre tant - le rel - et cela, sur le modle d'un monde conu comme un ensemble de substrats plus ou moins isols. Heidegger fait trois remarques en ce qui concerne la dfinition

    de la vrit. Elle prsuppose, en effet, la vrit comme une mise dcouvert de l'tant tel qu'il est. Le phnomne de connaissance, tel qu'il est vcu, consiste dans l'apprhension immdiate de ce qui est.. La sphre gnosologique de l'tre objectif, qui se trouve la racme de la dfinition de la vrit comme un accord entre l'immanent de la conscience et le transcendant de l'tre, est radicalement fonde

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    l'tant lui-mme, je ne le suis pas dans son tre naturel. La phnomnologie et Heidegger en particulier, en ne rsolvant pas ce problme selon une mthode adquate qui situerait l'intentionalit du connatre dans l'homme en regard de sa structure ontologique d'ens et d'esse, risquent de grever leur ontologie d'une quivoque fondamentale. Heidegger ne rend la connaissance sa vise ontologique qu'en

    limitant le jugement une valeur purement ontique. En effet, si ce dernier montre l'tant tel qu'il est en lui-mme, ce n'est que sous des aspects dtermins et limits. Il laisse voir quelque chose comme quelque chose (etwas aIs etwas). Il restreint pour ainsi dire la manifestation de l'tant la dtermination du prdicat. L'tre comme dimension de l'tant ne se trouve pas au niveau prdicatif. Il est en de du jugement dans un arrire-fond du monde infiniment plus riche que les pauvres reprsentations de nos noncs. Nous voyons se scinder ici, au plan de la connaissance, la sphre ontique et la sphre ontologique. Les donnes ontologiques ne passent pas au plan d'une connaissance articule. Heidegger abandonne au logique et l'ontique la connaissance conceptuelle. C'est l l'hritage qu'il tient de la mtaphysique: la pense ne pense que l'tant. Dpasser la mtaphysique sera dpasser le discours abstrait. Le savoir sous toutes ses formes est vou l'existence dchue du Dasein dans l'oubli de l'tre. Nous nous demanderons cependant, si le jugement a bien sa structure formelle dans le quelque chose comme quelque chose . Le verbe tre ne relance-t-il pas les dterminations ontiques du sujet et du prdicat dans un au-del d'ellesmmes? Dans la perspective de Heidegger, le jugement n'est qu'une forme

    drive de la dcouverte de l'tant. Il a son fondement dans une vrit plus haute en origine. Il ne rend pas accessible comme tel l'tant. Ce dernier doit tre manifest au pralable comme ce dont (Worber) est possible une dtermination prdicative. Il doit donc tre manifest avant cette prdication et pour elle. La connaissance thorique a son fondement dans la proccupation quotidienne (Besorgen). Cependant, on aurait tort de croire que l'attitude pragmatique est le sens dernier du Dasein, mme si elle jouit d'une priorit qualitative sur le jugement qui s'y enracine. Elle n'est qu'une des manires pour le Dasein de projeter ses possibilits et de comprendre le monde. N'est-elle pas guide et claire, elle aussi, par la comprhension de l'tre qui prcde toute relation avec l'existant l? Si la pense abstraite est dcouronne de sa primaut

    1. Sein und Zeit, p. 15 (sigle: SZ).

  • B. RIOUX

    pas dans son tre naturel. La phnoparticulier, en ne rsolvant pas ce pro. ate qui situerait l'intentionalit du

    ::n regard de sa structure ontologique - - grever leur ontologie d'une quivoque

    . connaissance sa vise ontologique qu'en -= valeur purement ontique. En effet, si ce

    qu'il est en lui-mme, ce n'est que sous _limits. Il laisse voir quelque chose comme uf1Jas). Il restreint pour ainsi dire la mani

    13 dtermination du prdicat. L'tre comme - ne se trouve pas au niveau prdicatif. Il est en

    un arrire-fond du monde infiniment plus reprsentations de nos noncs. Nous voyons

    de la connaissance, la sphre ontique et la s Les donnes ontologiques ne passent pas au

    ce articule. Heidegger abandonne au logique nnaissance conceptuelle. C'est l l'hritage

    ::ltaphysique : la pense ne pense que l'tant. . hysique sera dpasser le discours abstrait. Le

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    du sujet et du prdicat dans un au-del d'elles. :e de Heidegger, le jugement n'est qu'une forme

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    'res pour le Dase-in de projeter ses possibilits

    le monde. N'est-elle pas guide et claire, elle

    prhension de l'tre qui prcde toute relation avec

    pense abstraite est dcouronne de sa primaut

    " p. 15 (sigle : SZ). 2. EM, p. 59, trad. p. 87-88 ; SZ, p . S, I. EM, p. 23, trad. p, 38.

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    LA NOTION DE VRIT

    absolue, c'est au profit de la Pense de l'~tre et de l'appartenance rciproque du Denken et du Sein en de de la conscience.

    Notre rapport au monde, sous la forme de la prdication et de la proccupation, n'est possible en dfinitive que parce que le Dasein est ouvert l'~tre. Cette dfinition de l'tre de l'homme comme Dasein s'appuie sur le fait de la comprhension de l'tre. Tous les comportements de l'homme sont clairs et guids par la comprhension de l'tre de l'tant. Ils ne manifesteront l'tant que parce qu'ils sont traverss de fond en comble par la rvlation de l'tant comme tel, c'est--dire de l'tant dans la structure de son tre. Avant mme d'avoir formul une opinion sur la vanit ou le mystre de l'tre, nous avons dj compris ce que l'tre veut dire, sans quoi nous ne pourrions mme pas en parler. Il nous serait bien impossible de saisir un tant comme tant, si cette saisie ne s'clairait dans la diffrence ontologique de l'tre et de l'tant.

    Toute chose est comprise l'intrieur du couple tre-tant (Sein-Seiendes). Nous saisissons l' tant dans son tre et l'tre de l'existant. Le dvoilement de l'tre est toujours vrit de l'tre de l'tant (Wahrheit des Seins von Seiendem ) ,. inversement dans le dvoilement d'un tant, se tient toujours le dvoilement de son tre. Cette diffrence ontologique, qui est toujours dj prsente, ne peut tre le fait du pouvoir synthtique du jugement. Si l'tre de la connaissance est d'ouvrir l'tant tel qu'il est, et si dans cette ouverture de l'tant nous comprenons que l'tant est par opposition ce qui n'est pas, qu'en tant, il pourrait ne pas tre, comment ne pas reconnatre que la diffrence ontologique affecte l'tant lui-mme au point qu'elle l'oppose au nant l , Comment constater, crit Heidegger, qu'en un lieu et en un temps quelconque un tant suppos n'est pas, si nous ne sommes pas capables de distinguer clairement entre tre et non-tre? Comment excuter cette distinction, dj accomplie d'une manire dcisive, si nous ne savons pas d'une manire aussi dcisive et dtermine ce que signifient l'tre et le non-tre ainsi distingus? Comment, toujours et dans chaque cas, un tant peut-il tre pour nous un tant, si nous ne comprenons pas d'abord 'tre' et 'non-tre' 2? 1)

    C'est en fonction de la diffrence ontologique qu'il faut penser l'tre de l'homme. Heidegger radicalise donc la base d'interrogation concernant la comprhension de l'tre eu gard sa condition de possibilit dans l'homme. Il ne s'agit plus de se rendre prsents des objets ou des tants, mais bien la dimension radicale dans laquelle

  • B. RIOUX

    tout tant est manifest. La finitude de l'homme a le caractre d'un laisser-tre de l'tant (das Seinlassen von Seiendem). L'acte fondamental du Dasein est de se laisser donner les choses telles qu'elles sont en servant de brche l'avnement de l'tre de l'tant. Sa seule initiative est de se tenir au pralable dans le nant pour pouvoir rencontrer l'intrieur et la place du nant, un nonnant, c'est--dire un tant 1. La remise de la libert existante l'tant comme tel, est une remise dans laquelle l'ouverture du Dasein s'accomplit comme l'ouverture de l'Ouvert, c'est--dire au service et en vue de l'Ouvert.

    L'essence de l'homme doit donc tre pense partir de son existence. Cette dernire doit tre comprise comme Dasein, c'est--dire comme le lieu et le champ de la vrit de l'tre. C'est en accomplissant son rapport l'tre comme son ouverture, que le Dasein forme l'horizon du monde. Il ne cre pas partir de lui les significations des tres. C'est parce qu'il tient la place de l'tre en vertu de son essence extatique, qu'il est un pur pouvoir)} de projeter le monde. En d'autres termes, il ne forme l'horizon d'apparition de tout tant qu'en venant se briser sur l'tre, puisqu'il tient de lui sa mesure dans la prsentation de tout tant tel qu'il est.

    Ce caractre selon lequel le Dasein est capable de l'tre en le manifestant, rend compte qu'il est toujours dans la vrit . Tout tant, en effet, n'apparat que sur le fondement de l'ouverture du monde qui est le Dasein. Plus fondamentalement, le Dasein est dans la vrit parce qu'il existe toujours dans 1' aprit de l'tre 2. Si l'on pense le monde, selon le versant de l'analyse existentiale, comme un a priori de projection qui rend possible l'apparition de tout tant dans un horizon de comprhension anticipative globale * (das je vorgreifend-imgreifende Verstehen) , il faut alors penser l'tre comme l'apriorit de l'a priori du monde, titre de ce qui ~ transcende dans la transcendance. L'tre et le Monde ne sont que les deux faces transcendantes et transcendantales d'un seul et mme phnomne: la vrit de l'tre, le sens de l'tre. Le Dasein n'exerce toute possibilit de son tre-au-monde que sur le fondement de l'accomplissement de la relation de l'tre l'essence de l'homme. Et c'est en servant d'ouverture pour l'Ouvert de l'tre qu'il achve ce Rapport.

    La vrit n'est dans un lien aussi troit avec le Dasein que parce que ce dernier dsigne ce qui est ouvert dans et pour l'ouverture

    I. Kant und das Problem der Metaphysik, trad. p. 67.

    :.;1. Was ist Metaphysik"l, p. 16 (sigle: WM).

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    de l'a priori du monde, titre de ce qui transcendance. L'tre et le Monde ne sont que ~"-C.LU

  • B. RIOUX

    L'1hre, dans sa transcendance mme comme le sens de tout tant, y compris l'homme, est expriment d'une manire finie. Au plan phnomnologique du vcu comme tel, il est un absolu-fini qui n'est jamais sans l'tant (das Sein nie west ohne das Seiende) 1. Il est transcendance pour l'tant, temporalisation originelle. Il n'apparat pas comme un en-soi que l'intelligence pourrait- intentionner la manire d'un tant suprme. Il est tourn vers l'tant qui le manifeste et qu'il fonde son tour. S'il a besoin de l'tant et, en particulier, du Dasein, c'est en donnant tout tant son tre, en remettant l'tant sa propre essence. Dans le rapport l'tant dans lequel il apparat et s'enracine c'est comme Don qu'il se rvle. L o Sartre pense le fait pur de l'existence des choses s'imposant nous brutalement et sans raison, Heidegger exprimente l'tre comme une gnrosit radicale qui fait clore tout tant et qui lui accorde sa vrit. L'tre est manifest comme fondement du point de vue de la

    vrit de l'tre, c'est--dire partir de la finitude essentielle du Dasein. Il ne fonde pas la manire d'une cause selon un enchanement ontique des tres. Pour Heidegger, c'est l prendre appui sur les tants en les supposant comme donns et dj prsents. La transcendance de l'tre radicalise le caractre donn des tants et les fait apparatre dans une Prsence qui motive tout pourquoi ultrieur. Dans la question qui ouvre l'horizon du questionner philosophique: Pourquoi y a-t-il de l'tre et non pas plutt rien , l'tre se manifeste dans et pour l'tant comme un fondement qui s'effondre . Il est 1' abme (Ab-grund), c'est--dire ce qui n'a aucun fondement en motivant tout autre fondement. Mais parce qu'il est infond comme don originel de tout, tout en apparaissant sur le fondement ontique de l'tant, il n'est jamais dans le pouvoir d'un tant. Ce qui avait permis au philosophe d'crire qu'il est bien ainsi sans l'tant . Comme la diffrence elle-mme, il n' a pas de diffrence avec l'tant, il est cette diffrence elle-mme, de telle sorte qu'il porte en lui le diffrent. Il n'y a rien qui soit extrieur lui 2. Il en est ainsi pour l'actus essendi du thomisme qui est racine de la concrtude de l'tant et qui rapporte lui, COmme un de ses modes, l'essence en tant que manire typique pour un tant d'exercer l'acte d'tre. L'exprience ontologique que dcrit Heidegger n'atteint pas l'tre comme transcendance dtache. Elle est un indice cependant, qui fait signe vers un Absolu qui se serait librement alin dans l'tant et dont nous n'exprimentons que

    I. WM, p. 41. 2. Max MLLBR, Existenz-Phi/osophie, p. 45.

  • dans l'tant et dont nous n'exprimentons que

    &:ttnz-Philosophie, p, 45,

    d'invariable titre d'noncs sur les choses. L'exactitude de la repr~sentation concerne la science et la technique, elle ne saurait valOIr pour la pense de l'tre. Cette dernire cesse d'tre un systme

    205

    B. RlOL"X

    ~

    Elmi%::dance mme comme le ({ sens de tout nlt:!E:=..~ est expriment d'une manire finie.

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    .

    LA NOTION Dl! VRIT

    la face intramondaine dans le dvoilement de l'existant. Pour le nommer, partir de l'absolu-fini du ({ sens de l'tre , il faudrait une autre mthode qui nous permt de situer la vrit de l'tre sur la base de l'an~logie de l'tre et de la participation. Parce que l'Etre est dcrit au plan de l'intentionalit o le Dasein

    le devient en acte selon un phnomne de transparence, il est li cet avnement pour nous. Une philosophie de la finitude, telle qu'elle est conue ici, ne nous dcrit les tants dans l'vnement ontologique de la diffrenciation de l'tre et de l'tant, que comme des temporalisations de l'tre qui apparat ainsi comme l'origine du Temps. L'tre se temporalise comme vrit de l'tre: l'arrive de l'tant dans la lumire de l'tre ({ occulte ce dernier. Ce ({ clement (Verborgenheit) de l'tre par un Dasein qui le manifeste engendre l'histoire de l'tre. La vrit est ainsi finalement cette manifestation de l'tre qui fait entrer le Dasein dans son essence ({ historiale comme celui qui en a la gestion et qui doit constamment lutter pour que l'tre demeure l'Ouvert. Elle devient temporelle, non pas dans un sens historiciste, sur le fondement du rapport que le Dasein accomplit comme comprhension de l'tre. On ne juge plus en regard d'un univers abstrait des essences auquel l'homme participerait en mergeant de notre monde changeant et fugace. A cet empyre d'entits intemporelles, on substitue le monde vu dans son surgissement mme pour un Dasein dont la vrit consiste le tenir ouvert dans sa dimension originelle. L'histoire est constitue par cet affrontement du Dasein avec 1' ouvert de l'tre qui se cache et se voile dans la dchirure mme qui le fait apparatre. Elle est le drame de la rvlation elle-mme de l'tre le long de toute l'histoire, selon les deux faces insparables du dvoilement et de l'occultation. C'est l'arrangement interne de la constellation dans laquelle la manifestation et le voilement s'accompagnent indissolublement, qui dfinit pour une poque donne la manire plus ou moins profonde de correspondre l'vnement fondamental de l'clairement (Lichtung) de l'tre. La conception de la vrit dans une poque donne est ce qui nous permet de juger de la rvlation de l'tre pour cette poque. Le problme du caractre relatif ou absolu de nos vrits se situe po~ ~e philosophe ~u niveau ontique. Les philosophies ne sont pas mdifferemment vraIes ou fausses, elles rpondent diffremment l'appel de l'tre. Elles ne peuvent tre juges selon des critres de rectitude et d'adquation au rel. Le vrai n'est pas quelque chose

  • B. RIOUX

    d'affirmations correctes qui prtendrait retrouver et recomposer la Vrit absolue. Elle est une question de l'!tre et non pas une thse sur l'tre. La mtaphysique doit tre refuse parce que son mode de repr

    sentation est li ncessairement l'tant et la structure logique de la pense. Elle oublie, par son essence mme, l'!tre comme le sol nourricier de la philosophie. Elle ne dtermine pas ses notions partir de l'!tre lui-mme. Comme par ailleurs c'est par un saut qu'on s'engage dans l'!tre, un approfondissement dialectique des concepts qu'utilise la mtaphysique est impossible. L'!tre est l'au-del de toute reprsentation. Il n'y a pas ainsi de passage continu entre la vrit ontique et la vrit de l'!tre. On ne peut fonder la mtaphysique sur le sol de l'!tre qu'en y renonant comme discours sur l'tre. De la pense de l'!tre, on ne peut revenir la vrit ontique de la mtaphysique pour la radicaliser. On ne peut garder l'ancien difice sur une base nouvelle. La pense essentielle exige qu'on quitte l'abstraction et la dialectique pour ne plus voquer l'!tre que dans les parages et sous les voiles de l'art et de la posie. On est alors bien prs de se taire comme philosophe, s'il est vrai que ce dernier ne peut se passer d'un certain discours. Nous ferons, pour terminer, deux remarques. La premire, c'est

    que Heidegger a malheureusement li la valeur de l'intelligence une certaine conception logique de la raison coupe de l'!tre. Il a jou le sort de l'intelligence sur sa faillite historique dans l'idalisme. Pourtant, dpasser ce dernier n'est pas dpasser l'intelligence. Cette dernire vise ultimement le concret comme acte d'tre et c'est dans l'acte d'tre qu'elle tend rconcilier le singulier et la ncessit la plus haute. Le retour de Heidegger l'!tre aboutit l'impasse d'une pense qui ne peut articuler aucun discours sur l'!tre. Voulant se situer au-dessus du problme logique de l'analogie de l'tre dans les tres et du problme mtaphysique de la participation des tants un !tre transcendant qui serait une pure Prsence, elle ne peut tre une philosophie dans le sens traditionnel. Elle n'en garde pas moins une profondeur incomparable comme pense-souvenir qui fait entendre l'imprieuse ncessit pour la pense de se recueillir sur ce qui lui donne le plus penser. Dans notre poque qui vit toujours sous le signe de l'absence ou du manque de Dieu , chacun parvient le plus loin possible, du moment qu'il va aussi loin qu'il peut aller sur le chemin qui lui est dparti 1 . La mthode phnomnologique utilise par l'auteur achoppe sur

    le problme de penser le rapport du Dasein et de l'!tre. Si le plan

    1. Holzwege, p. 251.

  • 'B. lUOUX

    tendrait retrouver et recomposer la uestion de l'1!tre )} et non pas une

    e refuse parce que son mode de repr~l:II!IilIIernlenl l'tant et la structure logique

    par son essence mme, l'1!tre comme le sol .8CI5

  • B. RIOUX

    tions. L'homme n'accomplit son tre que par le dploiement de ses pouvoirs qui le font tre ceci et cela sur la base de donnes ontologiques investies dans tout son agir. Il est donc tourn essentiellement vers le monde. Mais le monde n'est pas l'horizon des choses perceptibles. Il est la dimension de l'tre qui merge partir d'un univers antprdicatif. L'homme est un tre-dans-Ie-monde, cela veut dire qu'il peroit les corps, les personnes et lui-mme sur la base d'une communaut dans l'tre et d'un principe d'unit qui l'ouvre l'infini. Il apporte toujours cette dimension radicale qui lui fait tout saisir sous un mode rassembl et lui permet de se saisir comme sujet visant des objets. L'imperfection ontologique de notre tre nous explique que nous

    devenons l'tre dans la connaissance selon une ( surexistence active immatrielle , selon une identit intentionnelle qui repose sur la dualit ontologique de l'tre connaissant et du sujet comme des actes diversifis par leur structure formelle. L'explication ontologique devra donc fonder ces divers actes d'exister dans leur autonomie relative. De plus, si l'ouverture l'tre qui dfinit mon essence ne se ralise que dans des actes visant les choses et moi-mme, il faut expliquer, par-del le plan vcu de l'intentionnalit, comment l'tre peut merger dans ces actes. Si nous avons conscience de viser l'tant tel qu'il est, il n'en reste pas moins vrai qu'il faut concevoir un tre objectif gnosologique qui rend cette vise possible pour nous. Notre ouverture l'tre qui nous dfinit structuellement doit se

    concrtiser dans l'immanence de nos actes. La phnomnologie s'est employe exorciser la connaissance du vocabulaire spatial qui l'exprime et qui a donn lieu aux pires quivoques. La formule idaliste ( un au-del de la pense est impensable , si elle a un fondement beaucoup plus profond, relve dans une certaine mesure de l'imagination spatiale. Il est clair que l'tre en tant que connu, n'est pas et ne peut tre en dehors de l'esprit qui le connat. Si la connaissance est une opration immanente, elle doit se terminer en nous. Dans ce sens, elle n'atteint pas un dehors. Pourtant, le propre de la connaissance est de participer intentionnellement la perfection des autres tres. Il faut donc distinguer les deux modes diffrents d'existence que la mme chose a ( dans l'esprit et ( en dehors de lui, en tant qu'elle est pose dans l'existence pour elle-mme, mais aussi capable d'tre en nous comme principe ou terme de la pense. La position d'une chose extra nihil ne dpend pas de notre connaissance, mais pour qu'elle soit connue ainsi par nous, il est ncessaire que nous la connaissions. Sous cette forme, c'est un truisme, car il est vident que la pense ne peut atteindre un tant sans qu'il soit par le fait mme pens. Si par ailleurs, on veut

    208

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    ce que la mme chose a dans l'esprit et e ui, en tant qu'elle est pose dans l'existence pour

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    tl'il wit par le fait mme pens. Si par ailleurs, on veut

    208

    un signe formel et non-discursif, il est intermdiaire entre l'intelligence et la chose intellige, parce que c'est par lui que l'intelligence atteint la chose; c'est pourquoi, il est non seulement ce qui est intellig, mais de plus ce par quoi la chose est intellige, de telle sorte que ce qui est intellig peut tre dit la chose elle-mme et le verbe mental 2 . Ce qui veut dire que le verbe mental dans sa pure tendance dsigner le rel est identique la chose elle-mme. Il est tellement insparable de la chose, comme le note . Gilson, que quand saint Thomas dit que l'objet immdiat de notre connaissance est le concept, il pense garantir la continuit la plus stricte entre l'intelligibilit de l'objet et celle du concept 3 . I. Quodlib., VII, a. 4 . 2. De Veritate, q. 4, a. 2, ad 2um. 3. Le thomisme, p. 324.

    209

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    agir. Il est donc tourn essentiellee monde n'est pas l'horizon des choses

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    ~ toujours cette dimension radicale qui lui mode rassembl et lui permet de se saisir objets. a1;.u~ur,Ique de notre tre nous explique que nous

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    formelle. L 'explication ontologique ces divers actes d'exister dans leur autonomie ouverture l'tre qui dfinit mon essence ne

    des actes visant les choses et moi-mme, il faut e plan vcu de l'intentionnalit, comment l'tre

    actes. Si nous avons conscience de viser est, il n'en reste pas moins vrai qu'il faut concevoir

    ologique qui rend cette vise possible pour nous. l'tre qui nous dfinit structuellement doit se

    l'immanence de nos actes. La phnomnologie s'est ciser la connaissance du vocabulaire spatial qui

    aux pires quivoques. La formule el de la pense est impensable , si elle a un up plus profond, relve dans une certaine mesure

    LA NOTION DE VRIT

    exprimer qu'un tre, d'une manire absolue, ne saurait exister sans tre dcouvert, cette doctrine est ontologiquement correcte. Encore faut-il faire la part entre une connaissance humaine et une connaissance infinie, cratrice de l'tre des choses. La pense de Heidegger, si elle exprime, notre avis, les relations ncessaires qui lient tre, pense et tant, en approfondissant le Denken dans le Dasein et l'Etre comme principe unique de toute ralit, laisse planer une ambigut fondamentale concernant l'existence des tants comme tels en regard du Dasein. Quant saint Thomas, il tient compte de l'aspect entitatif du concept et de son aspect intentionnel. Considre comme accident du connaissant, la connaissance a lieu

    en nous, tandis que comme relation au connu et dans la pure ligne du connatre, elle n'est pas dans l'me comme dans un sujet. Selon qu'elle est compare au connaissant, crit-il, (la notion ... ) se trouve dans le connaissant comme l'accident dans un sujet, et sous cet aspect ne dpasse pas les limites du sujet, parce qu'elle ne peut jamais avoir d'autre sujet d'inhrence que l'esprit ( ... ). Si on la compare au connaissable, ( .. . ) elle n'est pas ce qui existe dans, mais ce qui renvoie quelque chose d'autre. Ce qui se dit en rapport avec quelque chose, n'a pas la raison d'accident sous l'aspect o il renvoie quelque chose, mais seulement en tant qu'il existe dans le sujet. ( .. . ) Et sous ce point de vue, la notion n'est pas dans l'me comme dans un sujet; selon ce rapport, elle dpasse (excedit) l'esprit en tant que d'autres tres sont connus en elle par lui 1. On voit de quelle faon l'essence de l'homme est extatique . L'homme n'a pas sortir de lui-mme pour rencontrer le monde. C'est en lui-mme, comme sujet pos pour lui-mme, qu'il devient dans une surexistence spirituelle propre l'esse intentionale, les perfections des sujets trans-objectifs. Parce que le verbe mental est

  • B. RIOUX

    La conception si diffrente que Heidegger et saint Thomas se font du jugement dcide de l'avenir de leur rflexion sur l'lltre. Si l'lhre est le singulier universel qui fonde tout tant et si par ailleurs la connaissance prdicative est non seulement drive mais dchue en regard d'une manifestation ant-prdicative de l'tant, la pense de l'tre tentera un saut par-del tout prdicatif pour ressaisir la prsence de l'tre au Dasein. Pour saint Thomas d'Aquin, la signification ontologique du jugement grce l'affirmation de l'esse, le place dans une situation privilgie pour exprimer la vrit de l'tre. S'il est driv, en tant qu'il s'appuie sur la vrit antrieure de la perception sensible et intellectuelle, il donne cette dernire une forme d'achvement qu'elle n'a pas d'elle-mme. Comme pour Heidegger, la vrit du jugement a un caractre

    driv. Le jugement n'a lieu que s'il fait appel une connaissance dj vcue en nous. Le rel doit dj s'tre rvl pour que nous puissions l'affirmer selon les notions du sujet et du prdicat avec lesquels nous composons tout jugement. Pour que la chose apparaisse dans son identit travers les concepts qui en expriment des aspects divers, il faut qu'elle soit dj rvle. Autrement, le jugement serait une construction de l'esprit plutt qu'une affirmation de l'esse de l'tant tel qu'il est, manifest selon une certaine composition. Il n'a pas constituer une intelligibilit purement formelle, mais affirmer de la chose elle-mme une intelligibilit qui en jaillit. Tout jugement repose donc sur des matriaux simples comme point de dpart de toutes nos constructions ultrieures 1. Par la simple apprhension, nous sommes prsents quelque

    chose, un ce-qui-est (quodquid est) comme au sens immanent de l'tant prsent par le phantasme selon un faisceau de caractres concrets et stables propres signaler son mode d'tre. L'esprit est d'abord recueillement sur ce qui est, avant de surabonder dans le fruit de l'intellection. Nous formons le concept parce que nous voyons quelque chose. La connaissance spculative ne part pas de concepts et de contenus de pense signifis en eux comme des natures simples et indivisibles tel que l'explique la logique. La simple-apprhension a une structure complexe. Elle comporte indivisiblement un acte de connaissance (que saint Thomas appelle notitia, visio, intellectus) et l'expression du concept, savoir une dictio, expressio ou fonnatio activa. Le concept lui-mme est rgl ainsi par une vision, une intuition de l'tre du sensible prsent dans le sens. C'est sur cette saisie obscure, et implicite le plus souvent, que repose la raison dans son travail de classement et de syst

    1. De Veritate, q. l, a. 1 .

    210

  • Heidegger et saint Thomas se mir de leur rflexion sur l':thre.

    .......::- .....-n.'.-..... , qui fonde tout tant et si par ~~c::arrll'e est non seulement drive mais '

    ~estation ant-prdicative de l'tant, saut par-del tout prdicatif pour

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    les notions du sujet et du prdicat avec IImDCSDI15 tout jugement. Pour que la chose appa

    travers les concepts qui en expriment des u'elle soit dj rvle. Autrement, le jugement de l'esprit plutt qu'une affirmation de l'esse

    est, manifest selon une certaine composition. une intelligibilit purement formelle, mais

    chose elle-mme une intelligibilit qui en jaillit. donc sur des matriaux simples comme point '

    nos constructions ultrieures 1. apprhension, nous sommes prsents quelque . (quodquid est) comme au sens immanent de par le phantasme selon un faisceau de caractres

    propres signaler son mode d'tre. L'esprit l''''-' .......... ''.''L sur ce qui est, avant de surabonder dans

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    de pense signifis en eux comme des indivisibles tel que l'explique la logique. La a une structure complexe. Elle comporte

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    sur cette saisie obscure, et implicite le plus sou1.; raison dans son travail de classement et de syst-

    LA NOTION DE VRIT

    matisation. {, Notre connaissance tout entire commence donc par un complexe intellectuel-sensible, o le sensible joue le rle de signe (plutt que de donne matrielle seulement), la donne ontologique (quelle qu'elle soit, substance ou accident), le rle de signifi. Donnes absolument premires (resolutio ad sensum, resolutio ad ens et ad prima principia), qui devraient aussi constituer le ple autour duquel tout notre univers mental ne devrait cesser de tourner, autour duquel notamment devrait se mouvoir tout au long de son histoire le discours rationnel, ce labeur de classement, d'analyse, d'organisation et de systmatisation qui constitue la part la plus apparente et la plus volumineuse de notre savoir 1. Faute de voir la prsence de ces donnes ontologiques dans toute connaissance ontique, on risque de couper l'intelligence de l'tre et de la condamner une certaine forme de narcissisme. Une interprtation de l'action (, constitutive de l'intelligence doit reposer sur l'affirmation de la prsence de l'esprit l'tre saisi obscurment comme rapport normatif d'essence et d'esse. Les dfinitions que la raison constitue sur le plan univoque du savoir doivent rencontrer secrtement le rel apprhend selon les donnes htrognes de l'tre analogue en tant que l'essence est rapporte l'esse comme l'un de ses modes.

    lC'est sur la base de ces analyses, que l'on doit comprendre la

    nature du jugement. Ce dernier ne consiste pas essentiellement montrer un tant comme tel tant. L'me du jugement consiste dans l'affirmation, au sein de la propre intelligibilit de l'esprit, de l'existence que dtient la chose. Tout jugement a un sens existentiel. {, Le verbe tre, note Jacques Maritain, employ comme copule dit que la chose existe, ou actuellement hors de l'esprit, ou possiblement hors de l'esprit, ou dans l'esprit seulement (pour le cas des tres de raison) avec telle ou telle dtermination 2. Le jugement suppose toujours implicitement que le sujet est situ par rapport l'existence et qu'il en est ainsi de ce qui est affirm de lui. Par ailleurs, le jugement dans son affirmation d'une synthse objective visant l'esse de la chose, connote indissolublement l'esse actuel de cette opration originale de l'esprit. Le mystre qui donne toujours penser est cet enveloppement mutuel de l'acte de l'esprit et de l'acte du rel de telle sorte que l'esprit et l'tre puissent se conjoindre dans le mme acte. Nous devons en tirer deux enseignements. Dans le jugement,

    l'tre est pos non pas comme la facticit d'un tant, mais comme

    210

    1. L.-B. GEIGER, Revue de Mtaphysique et de Morale, 1952, n. 4, p. 409. 2. lments de philosophie, t. l, p. 67.

    211

  • B. RIOUX

    valeur suprme d'intelligibilit. C'est sur le fondement de l'intelligibilit propre l'esse que tout jugement a une valeur existentielle. Il est bien vident que nous pouvons faire des jugements sans connatre que l'exister des choses est leur perfection suprme. Il appartient la mtaphysique de le dcouvrir. Ce que nous affirmons, c'est l'acte comme mode d'tre substantiel ou accidentel; dans l'existence actuelle ou possible, tel sujet existe et il est dtermin de telle faon. L'acte d'existence que chaque tre possde dans sa nature est substantiel. Quand nous disons que Socrate est et que ce 'est' est employ selon le premier sens du mot, il est un prdicat substantiel [ ... ] Mais si on prend le est dans le second sens du mot, il est un prdicat accidentel l En se terminant l'esse de la chose, le jugement connat le rel comme substance et accidents. Mais en rester l, c'est oublier que pour saint Thomas, si l'tre se dit avant tout de la substance comme pour Aristote, c'est sur la base de l'esse comme principe formel de l'tre (ens). Le mode d'tre substantiel et les modes d'tre accidentels sont donc affirms sur le fondement du transcendantal etre. De soi l'acte d'tre n'a aucune limite. Il demande passer dans un mode d'tre infini qui soit l'acte pur, incluant toutes les perfections simples qui lui sont lies. Il se suffit luimme dans l'ordre de l'intelligibilit qui, pour cette unique fois, recouvre aussi l'ordre du concret. Quand donc le jugement pose l'tre du sujet, c'est implicitement l'intrieur de cette valeur polyvalente de l'tre qu'il le fait. Tout le contenu catgorial du jugement est subordonn au est de l'affirmation. Par ce est le jugement n'a pas seulement une valeur ontique qui serait une pure position d'actualit la manire de l'tant simplement donn dont parle Heidegger. Virtuellement, tout jugement tend se rsoudre dans le rapport ttanscenaantl de l'esprit et de l'tre selon leur aprit infinie. Ce n'est que dans le cas unique de Dieu que cette tension se change en identit. Le jugement concerne l'esse (respicit esse), mais pour nous, il concerne indivisment le sujet fini d'o il est d'abord dcouvert. L'esse est toujours affirm d'abord et avant tout d'un sujet fini. Il n'est jamais pos directement dans sa richesse propre, mais il est constamment rabattu sur les sujets qui l'exercent. On comprend ainsi que la direction imprime par saint Thomas dans l'interprtation de la connaissance prdicative ne soit pas dans le sens d'une concatnation de formes de plus en plus parfaites, mais dans la rintgration dans l'existence des essences abstraites et universelles spcifiant l'esse contingent des choses. La vise ontologique du jugement peut ainsi envelopper dans la

    1. In 1 Metaph., lect. 9, n. 896.

    212

  • le fondement de l'intelligi~=~ a une valeur existentielle. !!Ir!I=~ frire des jugements sans con~1aI.s ~ ?erl"ection suprme. Il appar

    ~~!":'r"":;:. Ce que nous affirmons, c'est "a~IIiII:S::cl:i'ci' :l accidentel; dans l'existence

    et il est dtermin de telle e tre possde dans sa nature est

    que Socrate est et que ce 'est' est .u mot, il est un prdicat substandans le second sens du mot, il est

    terminant l'esse de la chose, le jugeE!nI'"1":lh

  • B. RIOUX

    sens transcendant de ce rapport en tant que tout tant comme esse fini doit tre non seulement motiv, mais constitu au sens le plus fort du terme, 1'intrieur d'une structure dvoilante. Il faut alors dpasser la vrit de l'tre comme Da-Sein et situer le mystre, o plonge toute question de l'tre, dans l'identit ontologique, et non plus intentionnelle, du Penser et de l'tre, comme Foyer en soi de lunre. Le dpassement vers l'tre comme source transcendante s'opre

    sur la base d'une thorie de l'tre qui dbouche sur 1'acte de la prsence de l'tre au cur de tout tant. Le temps et le changement sont ainsi rcuprs pleinement dans la dimension de cet esse la racine du rel. Mais parce que saint Thomas appuie la connaissance abstraite sur l'intuition intellectuelle, il lui est possible, dans la ligne de la concrtude de l'esse, de dgager la valeur transhlstorique de l'tre. Si l'esse comme principe formel de l'ens qui se subordonne l'essence comme un de ses modes est l'acte sur lequel reposent tous les autres actes, nous pouvons le saisir dans sa possibilit suprme d'Acte pleinement inconditionn, de Concret absolu. Cette possibilit, nous ne l'atteignons pas comme directement exerce par un tre, mais nous y sommes ports par tout le dynamisme concret du concept d'esse comme racine de tout tant et dans sa pure intelligibilit d'acte. L'ontologie comporte ainsi ncessairement deux temps qui soulignent la finitude de l'esprit humain en mme temps que la vise absolue de sa dmarche. Le premier temps consiste penser l'tre lui-mme en utilisant l'abstraction et l'analogie, ce qui dtermine le statut logique de l'tre en tant qu'tre. Le deuxime temps consiste fonder, par la participation, tout tant comme acte d'tre limit dans l'Esse pur. C'est dans 1' ouvert de Pesse que tout tant est manifest l'esprit. Cet ouvert emprunte l'esprit l'unit et l'universalit de lunre qu'il projette sur le rel, et la fonction de prsence actualisante (au plus intime des tres) sa singularit absolue. La diffrence ontologique consiste dans le fait que tout tant est atteint par la mdiation de la transcendance de l'esse couvrant tout l'entre-deux de l'tre comme modes fini et infini. L'tant est manifest sur fond d'universel concret. Sous cet aspect, l'tre dpend de 1'ouverture l'tre que nous sommes en tant que nous surexistons immatrie11ement selon la vise concrte de l'esse commune. Cette dpendance pourtant se fonde radicalement sur la possibilit pour l'tant tel qu'il est dans son esse propre et autonome de se manifester l'esprit. C'est alors le deuxime temps de la dmarche ontologique. Il consiste fonder dans la participation l'Ipsum Esse Subsistens les actes d'tre limits que nous rvlent les tants , dans la lunre de l'esse commune.

  • s.. RIOUX

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    que saint Thomas appuie la connaissance intellectuelle, il lui est possible, dans la

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    C'est dans 1' ouvert de l'esse que tout tant Cet ouvert emprunte l'esprit l'unit qu'il projette sur le rel, et la fonction

    (au plus intime des tres) sa singularit ontologique consiste dans le fait que tout mdiation de la transcendance de l'esse coude l'tre comme modes fini et infini. L'tant d'universel concret. Sous cet aspect, l'tre l'tre que nous sommes en tant que nous

    selon la vise concrte de l'esse pourtant se fonde radicalement sur

    tel qu'il est dans son esse propre et auto- l'esprit. C'est alors le deuxime temps il consiste fonder dans la participation actes d'tre limits que nous rvlent de l'esse commune.

    conforme ou capable de l'tre l'intelligence; et ainsi ceux qui dfinissent le vrai correctement, posent dans sa dfinition l'intelligence 2 .

    I. Sumo Theol., I, 16, 4 ad z. De Veritate, q. 1, 8. I. z. Stre et Agir, Paris, 1945, p. 31.

    3. De Veritate, q. ZI, 8. 1.

    215

    LA NOTION DE VRIT

    Ce qui fait question, en effet, c'est l'intelligibilit de chaque tant dans sa consistance mme d'tant comme structure d'essentia et d'esse. L'intelligibilit qu'il faut expliquer est celle de l'tre luimme des tants. Un tre n'est pas pensable prcisment sous l'aspect o il acquiert formellement un esse intentionnel. L'universalit qui se fonde sur l'abstraction est un caractre spcifiquement humain de la comprhension des choses. L'intelligibilit de l'tre n'est pas celle de l'tre irrel ou idal que revt le rel pour tre prsent l'intelligence humaine, mais celle de l'tre lui-mme dans sa densit ontologique de chose (ens). L'essence n'est ontologiquement vraie qu'en faisant retour l'esse, dont elle est un de ses modes. L'esse seul est inconditionnellement vrai, parce que sa pure raison d'acte se suffit elle-mme. C'est sur la base de la prsence de l'acte d'tre au sein de toute chose qu'il faut fonder l'intelligibilit du rel. En tant que l'esprit agissant comme intellectus saisit l'tre et qu'il

    a ainsi conscience de connatre l'tre, il le dcouvre comme intelligible : D'abord, crit saint Thomas, l'intelligence apprhende l'tre lui-mme (ipsum ens),. secondement, elle saisit qu'elle connat l'tre, troisimement elle saisit qu'elle tend vers l'tre. On le voit donc, la premire notion est celle de l'tre, la seconde celle du vrai 1 La raison formelle du vrai comme proprit transcendantale de l'tre, c'est que celui-ci correspond l'intelligence (ens intellectui correspondet). Je ne puis, comme esprit, tre prsent l'tre tel qu'il est selon une perfection qui enveloppe l'esprit lui-mme, sans que l'tre soit en lui-mme radicalement intelligible dans sa densit d'acte sur le fondement de l'esse. Le Pre de Finance crit justement: Comme je ne puis penser sans poser ainsi l'ordre de l'tre, je ne puis poser l'tre sans le poser accessible la pense. L'inconnaissable, au sens strict, est contradictoire, puisque, en le supposant, j'en fais ncessairement un objet de connaissance 2.

    Si l'tre est en lui-mme intelligible, c'est dire qu'il comporte un rapport intrinsque l'esprit. C'est ainsi que nous pouvons expliquer qu'il soit rvlable. Il faut donc poser dans l'tant un rapport constitutif l'tre dont il participe et l'esprit qui le rend manifestable. Tout tre est dit vrai seulement pour autant qu'il est

  • B. RIOUX

    Ce rapport l'intelligence et l'esse dans sa pure raison d'acte qu'exige l'intelligibilit de tout tant, ne peut s'expliquer dans le rapport l'intelligence humaine. Nous ne manifestons l'tant sur fond d'tre que parce que dj il est manifestable selon cet ouvert qu'il apporte avec lui. La vrit de l'ttre comme Da-Sein, prsuppose l'intelligibilit des tants et donc le rapport intrinsque l'esprit. Nous savons maintenant qu'une intelligibilit de l'ttre au plan intentionnel ne saurait fonder rellement cette intelligibilit des tants. La notion absolue d'tre, ft-ce selon le principe formel de l'acte

    d'tre, ne fonde rien; elle ne fait que motiver le rapport de tout tant en tant que vrai l':tre et la Vrit comme Dvoilement radical dans l'identit ontologique parfaite. Parce que l'intelligibilit n'est rien d'autre que l'tre en lui-mme en tant qu'il est possible, le rapport intrinsque et constitutif des tants l'esprit implique que cet Esprit soit identiquement l'Acte d'tre dans toute sa plnitude donnant tout tant d'tre prsent et manifest dans la Prsence. L'tre des tants n'est assimilable par l'esprit que s'il est clair et manifest dans un Esprit qui le produit comme tel et le tient sous la mesure de son Ouverture radicale. La vrit qui se dit des choses par rapport l'intelligence divine leur est communique d'une manire insparable de leur tre: elles ne peuvent en effet subsister moins que l'intelligence divine ne produise leur tre (esse) 1 . L'adaequatio rei et intellectus, vcue par l'esprit humain comme manifestation de l'tre, n'atteint sa perfection entire, justifiant la participation imparfaite dans l'homme, que dans l'identit de l'ttre et de l'Esprit en Dieu. L'idalisme reoit ainsi pleine confirmation de son intuition majeure, mais en acceptant un fondement transcendant et radicalement prsent l'esprit humain et l'tre des tants manifest par ce dernier. Aucun rel ne peut exister, non seulement pour nous, ce qui pourrait n'tre qu'un vulgaire truisme, mais absolument et simplement, que s'il est pens et rendu ainsi pensable. Quelque chose qui existerait sans tre actuellement pens est impensable et impossible. C'est ce que dit saint Thomas : Si l'intelligence humaine n'tait pas, les choses seraient dites vraies tout de mme cause de leur rapport l'intelligence divine. Mais si l'une et l'autre intelligence disparaissaient, par impossible, il n'y aurait plus de vrit sous aucun aspect 2. Il faut comprendre qu'aucun tre non plus ne subsisterait. La pense de l'Ange de l'cole sur la vrit des choses, c'est que le rel ne subsiste

    I. De Veritate, q. l, a. 4. 2. Ibid., q. l, a. 2.

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  • dans sa pure raison d'acte etant, ne peut s'expliquer dans lIa~me., ~ous ne manifestons l'tant sur

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    Attre et la Vrit comme Dvoilement gique parfaite. Parce que l'intelligibi

    l'tre en lui-mme en tant qu'il est poset constitutif des tants l'esprit

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    tants n'est assimilable par l'esprit que s'il dans un Esprit qui le produit comme tel de son Ouverture radicale. La vrit qui

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    LA NOTION DE VRIT

    dans une relative indpendance, que pour autant qu'il est connu et pens, prsent comme acte d'tre imparfait en tant que manifest l'Esprit divin. N'est-ce pas ce que Heidegger vise obscurment en affirmant que l'tre n'est qu'en tant et qu'aussi longtemps qu'il yale Dvoilement de l':tre et que le Dasein est le lieu de cette piphanie de l'tre? L' tre , en tant que dvoil dans le Dasein, se fonde pour saint Thomas sur 1':tre rflchi dans l'Esprit absolu. Mais l'homme n'est pas sans participer ce dvoilement originel et c'est bien pourquoi il y a un chemm vers la Vrit de l':tre.

    Bertrand RIOUX professeur l'Universit de Montral

  • Rioux, Bertrand : La notion de vrit chez Heidegger et Saint Thomas d'Aquin , in Saint Thomas d'Aquin aujourd'hui, Bruges, 1963 (Recherches de Philosophie, 6), p. 197-217.