Avant et après la sauvegarde coeur défense (h kensicher magazine décideurs - avril 2010)

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En partenariat avec N°115 - avril 2010 Extrait du magazine / Décideurs N°115 / avril 2010 Le point sur... RESTRUCTURATION - CŒUR DÉFENSE Avant et après la sauvegarde Cœur Défense Par Hervé Kensicher, avocat associé. Orrick Rambaud Martel

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En partenariat avec

N°115 - avril 2010

Extrait du magazine / Décideurs N°115 / avril 2010

Le point sur...

RESTRUCTURATION - CŒUR DÉFENSE

Avant et après la sauvegarde Cœur Défense

Par Hervé Kensicher, avocat associé. Orrick Rambaud Martel

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DÉCIDEURS : STRATÉGIE FINANCE DROIT - AVRIL 201053

INVESTISSEURS & CAPITAUX • PAROLES D'EXPERTS

L e financement de l’investis-sement immobilier a fondu comme peau de chagrin

depuis 2007, sous l’effet combiné de la sévère contraction de l’offre de dette bancaire due à la crise financière et de la raréfaction des mutations immobilières due à l’in-certaine évolution des valeurs de la pierre.

MARCHÉ ATONE EN 2008-2009 Il n’y a certes pas pénurie de fonds propres à investir, mais l’effet de levier bancaire s’est amoindri. Le flux des CMBS ayant tari, les banques tributaires de la titrisation ont cessé de prêter ; d’autres, en proie à de cruels problèmes bilan-ciels, se sont retirées du secteur, et celles qui prêtent encore le font avec parcimonie. De surcroît, acheteurs et vendeurs potentiels se rencontrent difficilement sur les prix ; et malgré le nombre de crédits défaillants, il n’y pas encore assez de reprises d’actifs par les créanciers ou de ventes de créances décotées pour susciter un redémarrage significatif du marché.La mode des deux années écoulées a donc plutôt été au réaménage-ment des prêts de la folle période 2005-2007, venant à échéance de 2010 à 2014.

La crainte que la mise en recouvre-ment mène à une perte est bien sûr la motivation première du prêteur dans la recherche d’une solution consen-suelle. La plupart des prêts en difficulté le sont en effet parce que la décrue des valeurs déjà observée provoque méca-niquement un manquement au res-pect du ratio LTV convenu : du fait des niveaux de levier consentis en 2007 (jusqu’à 85 % et au-delà) et de la pré-valence des prêts à remBoursement in fine, il n’est pas rare qu’un ratio encours sur valeur atteigne désormais 100 %, voire plus. Si les défauts relatifs au ratio de couverture des intérêts (ICR) sont moins fréquents, ils existent néan-moins et le congé d’un seul locataire peut suffire à pousser l’ICR en deçà du plancher prescrit. Quand approche la maturité du prêt, il ne s’agit plus là de défaillances techniques à traiter par un simple « waiver », mais bien du reflet d’une réalité pressante : l’emprunteur ne peut céder l’actif sans perdre ses fonds propres ; ou pire, il ne peut le céder ni le refinancer à un niveau de prix ou d’effet de levier permettant le remBoursement à l’échéance.

L’EFFET CŒUR DÉFENSELa hantise d’une procédure de sauve-garde a elle aussi influencé les banques, les investisseurs en difficulté ne s’étant

pas privés d’en brandir le spectre. Il faut dire que la sauvegarde Cœur Défense ouverte en novembre 2008 a laissé chez les créanciers une amer-tume d’autant plus vive que les juri-dictions ont aussi initialement mis en échec la cession Dailly des loyers, puis permis l’adoption d’un plan de sauve-garde faisant application sélective des stipulations du prêt, sans en respecter les conditions, tout en laissant le prin-cipal à remBourser en dehors du plan d’apurement.Le sentiment du prêteur à cet égard est que la sauvegarde se conçoit mal dans le cas d’une société dédiée, sans employés et ne produisant rien d’autre que les loyers d’un immeuble financé aux trois quarts par lui, seul créancier ; dans un tel schéma, la sauvegarde ser-virait surtout à préserver les intérêts de l’actionnaire au détriment du prêteur, alors même qu’il est naturel que l’ac-tionnaire, qui contrairement au prê-teur peut voir son profit croître avec la valeur du bien financé, subisse avant le prêteur toute perte due à la décrois-sance de cette valeur. Les seules issues que le prêteur conçoit donc sont le réa-ménagement consensuel, la reprise de l’actif par lui, ou la liquidation.Du point de vue de l’emprunteur, surtout celui ne souffrant que de la dégradation supposée temporaire de la valeur de marché de l’immeuble, un plan de sauvegarde l’autorise à attendre que, par le double effet du retour à de meilleures valeurs de marché et de l’emploi des excédents trimestriels de trésorerie à la réduction graduelle de l’encours, le ratio LTV soit bientôt ramené sans casse inutile à un niveau permettant d’envisager sereinement une vente ou un refinancement ; ceci, tout en payant les intérêts, mais peut-être sans devoir accepter une marge bancaire accrue venant annuler en par-

Avant et après la sauvegarde Cœur Défense2008 et 2009 auront marqué les acteurs du financement immobilier comme une période de vaches maigres, dédiée au réaménagement de dette dans la crainte d’une sauvegarde à la Cœur Défense. Mais cette sauvegarde n’est plus, ainsi en a décidé la Cour d’Appel de Paris. La donne a-t-elle changé ?

Hervé Kensicher, avocat associé

Hervé Kensicher, spécialiste de longue date du financement immobilier conseillant prêteurs et emprunteurs et ayant fait ses premières armes dans ce secteur en réalisant la première cession française de créances immobilières non performantes en 1995, nous livre ses réflexions sur la restructuration de dette immobilière avant et après Cœur Défense.

SUR L'AUTEUR

RESTRUCTURATION - CŒUR DÉFENSE

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AVRIL 2010 - DÉCIDEURS : STRATÉGIE FINANCE DROIT 54

LES POINTS CLÉS

La sauvegarde Cœur Défense a incité les prêteurs à la prudence dans l’exigence du respect des ratios LTV mis à mal par la crise.

La Cour d’Appel de Paris vient pourtant de fermer le refuge de la sauvegarde aux sociétés d’investissement immobilier dédiées, par un raisonnement à contrepied du mouvement législatif.

La cession Dailly, confirmée dans son efficacité, met de toute façon les cartes dans la main du prêteur.

tie l’économie provenant de la réduc-tion des taux de swap…

COUP DE FREIN DE LA COUR D’APPEL DE PARIS

Dans ce débat où aucun des argu-ments qui s’opposent n’est pleinement convaincant ni totalement inopérant, la Cour d’Appel de Paris vient de tran-cher, par des décisions qui retiendront l’attention, rendues le 25 février en des termes similaires non seulement dans l’affaire Cœur Défense, mais aussi dans une autre affaire n’ayant pas défrayé la chronique, indiquant ainsi que la posi-tion de la Cour n’est pas spécifique à la saga Cœur Défense, mais bien une position de principe. On en comprend que la Cour parisienne entend empê-cher, du moins s’agissant de sociétés dédiées, qu’on fasse de la sauvegarde (et du juge) une simple arme de dis-suasion aidant l’emprunteur à imposer unilatéralement un réaménagement qu’il ne pouvait obtenir par la négo-ciation contractuelle ; elle le fait au moyen du surprenant argument selon lequel le risque de réalisation des sûre-tés à l’échéance n’est pas une difficulté insurmontable remettant en cause la pérennité de l’exploitation, car celle-ci peut alors continuer… dans la main d’un autre propriétaire (de l’immeuble ou de la société).

Mais, outre que la réalisation des hypothèques met bien fin à l’activité de la société dédiée, qui est la personne morale dont la demande de sauvegarde vise à permettre la survie, on note que la procédure offre à l’emprunteur industriel la même arme qu’à la société dédiée sans employés : il s’agit de retar-der, en attendant meilleure fortune, l’exécution d’obligations valablement souscrites. Peut-être la motivation décisive, mais non exprimée, est-elle ici que l’imposition de délais aux créanciers n’est acceptable que si l’em-

ploi est en jeu. Pourtant, on pourrait tout aussi bien soutenir que le change-ment de propriétaire d’une entreprise industrielle n’est pas en soi de nature à entraver la pérennité de son activité ou de ses emplois, et qu’ainsi la sauvegarde ne devrait pas plus lui être accordée si elle ne vise qu’à forcer la main du prêteur. Enfin, il n’est pas évident que l’argument central de la Cour, fondé sur l’absence de difficulté à poursuivre l’exploitation de l’actif lui-même, reste pertinent si les difficultés de l’emprun-teur, non résolues, le mènent à la cessa-tion des paiements et au redressement judiciaire. Sauf à ce qu’elle ait en vue de revenir à la situation antérieure à la loi de sauvegarde, où, en pratique, une société immobilière en cessation de paiement et sans employés allait tout droit la liquidation sans passer par la case redressement…

LA CESSION DAILLY RENAÎT DE SES CENDRES

Par ailleurs, ayant annulé l’ouver-ture de la sauvegarde, la Cour n’a pas eu à trancher le fond du litige sur la compatibilité des cessions Dailly avec cette procédure. On en reste donc au jugement du tribunal de commerce d’octobre 2009 confirmant leur oppo-sabilité, mais qui semble avoir été en grande partie motivé par l’engagement du créancier de restituer à l’emprun-teur la part des loyers requise pour le fonctionnement de l’immeuble. De fait, si l’on donne plein effet à la cession Dailly, la sauvegarde est impossible, ainsi que le redressement judiciaire, sauf à se reposer sur le bon sens du créancier qui ne voudra pas dégrader la valeur de l’actif en le privant des fonds nécessaires à son exploitation  ; mais c’est bien lui et non plus l’emprunteur qui aura les cartes en main.En effet, s’il ne peut imputer sur sa créance les sommes reçues des débi-teurs cédés qu’au fur et à mesure de

l’exigibilité de cette créance, qui se trouvera retardée par le plan de sauve-garde ou continuation, il peut toutefois conserver ces sommes, jouissant ainsi d’une influence considérable sur le sort de la procédure.

APRÈS CŒUR DÉFENSE

Il est prématuré d’en déduire que nous venons de rejoindre résolument le club des pays dits « creditor-friendly », tant les décisions judiciaires évoquées ici semblent aller à contrepied de la récente réforme de la sauvegarde, dont le législateur a nettement voulu étendre l’utilisation. Certes, les prêteurs mène-ront dès aujourd’hui plus sereinement leurs négociations en cours pour le réaménagement de la masse des prêts immobiliers venant bientôt à échéance.Mais gageons aussi que le microcosme du financement de l’investissement immobilier aura tiré les leçons de Cœur Défense, et que les crédits nou-vellement octroyés, que l’on voit plus nombreux en ce début 2010, seront conçus de sorte à mieux prémunir le prêteur de l’éventualité d’une sauve-garde, notamment celle visant à pro-téger la holding de l’emprunteur du recours sur les titres sociaux de celui-ci donnés en nantissement.

D.R.

Par Hervé Kensicher, avocat associé. Orrick Rambaud Martel