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20 © Cerveau & Psycho - n° 51 mai - juin 2012 Dossier Autisme : l’enjeu crucial du dépistage précoce L’autisme : une différence plus qu’une maladie Du dépistage à la prise en charge L’intelligence des autistes Les interactions sociales dans l’autisme Les bases neurobiologiques de l’autisme La génétique de l’autisme 21 26 32 46 36 40 L es autistes ne traiteraient pas les infor- mations qu’ils reçoivent de la même façon que les non-autistes. On décou- vre que le cerveau présente une orga- nisation et une structure neuronale différentes, qui pourraient expliquer un fonc- tionnement spécifique. Certains parlent tard, mais apprennent parfois à lire seuls, bien avant les autres, même s’ils ne comprennent pas ce qu’ils lisent. D’autres ont des capacités visuelles ou mnésiques exceptionnelles. Leur traitement perceptif serait exacerbé, et leur univers mental différent. À nous de le com- prendre pour les aider à trouver leur place dans une société qui cesserait de vouloir adapter à une minorité un modèle d’apprentissage unique, même s’il est pertinent pour la majorité. Pour ce faire, il faut déceler, dès le plus jeune âge, les ébauches de leurs spécificités.

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Dossier

Autisme : l’enjeu crucialdu dépistage précoce

L’autisme : une différence plus qu’une maladie

Du dépistage à la prise en charge

L’intelligence des autistes

Les interactions sociales dans l’autisme

Les bases neurobiologiques de l’autisme

La génétique de l’autisme

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Les autistes ne traiteraient pas les infor-mations qu’ils reçoivent de la mêmefaçon que les non-autistes. On décou-vre que le cerveau présente une orga-nisation et une structure neuronale

différentes, qui pourraient expliquer un fonc-tionnement spécifique. Certains parlent tard,mais apprennent parfois à lire seuls, bien avantles autres, même s’ils ne comprennent pas cequ’ils lisent. D’autres ont des capacités visuellesou mnésiques exceptionnelles.

Leur traitement perceptif serait exacerbé, etleur univers mental différent. À nous de le com-prendre pour les aider à trouver leur place dansune société qui cesserait de vouloir adapter à uneminorité un modèle d’apprentissage unique,même s’il est pertinent pour la majorité. Pour cefaire, il faut déceler, dès le plus jeune âge, lesébauches de leurs spécificités.

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L’autisme : une différenceplus qu’une maladie

Parce que l’organisation de leur cerveau est différente, les autistes ont un mode de pensée spécifique. À nous

de le respecter pour qu’ils trouvent leur place dans la société.

Tout ce que l’on sait aujourd’huide l’autisme nous conduit à yvoir une organisation cérébraledifférente, plutôt qu’une mala-die – l’effet du dysfonctionne-

ment d’une partie du cerveau. L’idée de fairede l’autisme une différence plutôt qu’unemaladie commence à être reçue par la com-munauté scientifique, même si elle ne fait pasencore l’unanimité. Bien que le terme anglaisutilisé dans le Manuel des troubles psychia-trique, le DSM-4, utilise le terme autistic disor-der, c’est-à-dire trouble autistique, qui impli-que plutôt une désorganisation, nous pensonsque le cerveau autistique s’adapte au mondeà sa façon, traite de l’information, vit desémotions, apprend, comme un cerveau nonautiste – mais autrement. Nous soutenonsqu’il s’agirait d’une différence d’organisationcérébrale, et non d’une maladie, et que cettedifférence peut avoir, selon le contexte, deseffets défavorables, mais aussi favorables, surl’adaptation du sujet au monde.

Il est probable que le « spectre autistique »,c’est-à-dire l’ensemble des personnes présen-tant la plupart des caractères par lesquels ondéfinit cette condition, représente une popu-lation considérable. Loin d’une prévalenceégale à 4 cas pour 10 000 personnes issuesdes premiers travaux épidémiologiquesdénombrant les autistes, les chiffres avancésaujourd’hui avoisinent un pour cent. Plusencore, une étude coréenne récente a montréqu’un individu peut répondre aux critèrescomportementaux de l’autisme tels que lesdéfinit la communauté scientifique, en étant

totalement autonome et sans que ses pairs neremarquent quoi que ce soit. Ce serait le cas deplus de deux pour cent de la population géné-rale, s’ajoutant au un pour cent pour qui la dif-férence est évidente. Ces individus sont-ils« autistes» ? Oui, si on les définit par un com-portement particulier ; non, si on les définitpar une maladie.

Des différencesanatomiques

Se pose alors une question primordiale :sommes-nous en mesure d’étudier et de com-prendre cette différence avec nos outils scien-tifiques ? Oui, dans le sens où la science restele moyen privilégié d’investigation des phé-nomènes biologiques (la psychanalyse n’a rienapporté à la compréhension ni à la prise encharge de l’autisme, ni en termes de pratique,ni en termes de connaissance). Toutefois, cetteinvestigation reste bien imparfaite, parce quenous ne pouvons étudier que le développe-ment, les performances et les substrats neu-ronaux des autistes n’ayant pas reçu une édu-cation qui aurait optimisé leurs compétences.

Laurent Mottronest professeur

au Département de psychiatrie et

titulaire de la chairede neurosciences

cognitives de l’autisme au

Centre d’excellence en autisme

de l’Université deMontréal, CETEDUM,

au Canada.

• Chez les autistes, l’organisation cérébrale, de la cellule jusqu’à la communication des régions entre elles, et surtout l’activité des aires de la perception diffèrent.

• Il conviendrait de respecter leurs modes d’apprentissage particuliers.

• L’intégration des autistes dans la société soulève la questionde l’acceptation de la différence.

En Bref

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En effet, ce que nous savons de la différenceautistique vient de l’étude de personnes quin’ont pas eu accès à l’information et à la cul-ture que leur cerveau peut traiter.

Prenons une analogie : les études que nousfaisons aujourd’hui du cerveau autistique, etles conclusions que nous tirons sur leurs défi-cits, risquent d’être aussi erronées ou partiel-les que si des anthropologues avaient tiré desconclusions sur la suprématie des peuplesoccidentaux à partir d’études cognitives réa-lisées sur les esclaves des plantations duXVIIIe siècle. On ne sait pas comment se com-porteraient les autistes s’ils avaient accès, dèsleur naissance, à la bonne information.

Chez les autistes, le tissu cérébral, c’est-à-dire la substance grise – ou l’ensemble desnoyaux des neurones – et la substance blan-che – c’est-à-dire les axones, ou prolonge-ments, de ces neurones –, présente des dif-

férences dont on commence à mesurerl’ampleur. Elles sont présentes dans tout lecerveau, même si leur expression varie selonles fonctions et les composants. Les noyauxdes neurones sont plus petits et plus nom-breux. Dans certaines régions, on dénombreplus de 60 pour cent de cellules de plus parrapport à un cerveau typique. La plus petiteunité fonctionnelle de la substance grise aprèsle neurone est la minicolonne. L’étude postmortem du cerveau d’autistes montre que cesminicolonnes sont plus rapprochées et com-posées de corps neuronaux plus petits quedans un cerveau non autiste. Cette organisa-tion cellulaire expliquerait pourquoi l’infor-mation perceptive des autistes, stockée dansde telles minicolonnes, serait plus précise.

Les axones de ces neurones, qui formentles faisceaux de substance blanche, c’est-à-

dire la connectivité anatomique entre régionscérébrales, sont maintenant accessibles in vivogrâce à la technique d’imagerie par tenseurde diffusion. On aurait pu penser que s’il y adavantage de cellules, il y a aussi plus de fibrespour les connecter, mais c’est apparemmentl’inverse qui se produit. Le câblage axonal estnettement diminué, surtout entre les deuxhémisphères cérébraux, puisque le corps cal-leux (les fibres qui relient les deux hémisphè-res) des autistes est en moyenne 15 pour centplus petit que chez les sujets témoins.

Une connectivité différente

Ainsi, on observe une diminution de laconnectivité anatomique. Par ailleurs, laconnectivité fonctionnelle, qui reflète leséchanges d’information entre les régions céré-brales ayant une fonction distincte, est éga-lement différente de celle des non-autistes.On étudie cette connectivité fonctionnelle parrésonance magnétique fonctionnelle ou élec-troencéphalographie : pour ce faire, onobserve si deux régions cérébrales différen-tes sont ou non activées en même temps. Cesétudes ont donné naissance à un modèle dela différence de fonctionnement du cerveauautistique maintenant bien étayé, le modèlede la sous-connectivité.

Ce dernier s’appuie sur le fait que lesrégions corticales impliquées dans une tâchedonnée s’activent de façon moins simultanéechez un autiste que chez un non-autiste. C’estpourquoi on le nomme aussi modèle de ladiminution de la synchronie corticale. Cetteconstatation s’applique à de nombreusesrégions, dans un même hémisphère ou entredeux régions homologues des deux hémisphè-res. Ces différences se manifestent dès l’âge dedeux ou trois ans, dans les aires du langage.En revanche, on constate, dans une mêmerégion fonctionnelle, une augmentation de laconnectivité locale. Toutefois, ces modèles neparviennent pas à expliquer que les autistesréussissent très bien des tâches qui requièrent,chez le sujet non autiste, une excellente com-munication entre les aires cérébrales. Les dif-férences ne permettent donc pas d’expliquerles déficits observés : les zones concernées s’ac-tivent en IRM fonctionnelle, c’est-à-dire qu’el-les « font leur travail », même si elles ne le fontpas comme chez un non-autiste. Dans l’au-tisme, différence ne signifie pas déficit.

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1. Certaines aires cérébrales sont utilisées davantage par les autistespour la reconnaissance de visages (en rouge), d’objets (en vert) et de mots (enbleu) que par les non-autistes.

Fabi

enne

Sam

son

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Il existe également des différences de spé-cialisation fonctionnelle des aires cérébrales,et on commence à les comprendre. On sait quecertains autistes ont des capacités visuellesexceptionnelles, et que les autistes en généralréussissent mieux les tâches visuo-spatiales(par exemple faire tourner mentalement uneforme ou reproduire une figure). Ces capaci-tés reposent sur une redistribution des rôlesdes régions cérébrales. Nous avons récemmentutilisé la méta-analyse quantitative ALE pourvérifier l’hypothèse d’une perception exacer-bée dans l’autisme. Cette analyse regroupe26 études de neuro-imagerie où l’on présen-tait des informations visuelles à 357 individusautistes et 370 individus non autistes. Cetteapproche permet de quantifier la probabilitéque différentes régions cérébrales soient acti-vées par telle ou telle tâche et d’identifier leréseau cérébral associé à une tâche particulière.

Les aires de la perceptionvisuelle plus actives

Nous avons trouvé une augmentation del’activité des zones du cerveau responsablesde la perception visuelle, et plus spécifique-ment du gyrus fusiforme, essentiel à la recon-naissance des visages et des objets. Ce résul-tat permet d’expliquer plusieurs aspects dumode de fonctionnement perceptif des autis-tes, qui attribue de multiples aspects de l’au-tisme à une augmentation de l’efficacité et durôle du traitement perceptif du monde (animéet inanimé). Selon ce modèle, l’autisme n’estpas un « désordre », mais une forme d’orga-nisation différente. En effet, le cerveau autistese caractérise par une activité supérieure danscertaines régions cérébrales lors de la recon-naissance des visages, des objets et des mots(voir la figure 1). Cette spécialisation est effi-cace : sur les 26 études, les autistes présentaientdes résultats inférieurs au groupe contrôledans moins d’un quart des tests seulement.Pour les autres études, ils se révélaient le plussouvent égaux aux sujets contrôles et parfois

supérieurs, mais utilisaient des régions céré-brales différentespour réussir la tâche.

Le cas du langage illustre à lui seul la diffé-rence autistique, dans sa richesse et sa singu-larité. Le langage autistique pose d’ailleurs uneénigme aux neuroscientifiques. Ils ont observéque certains autistes n’émettent pas un mot (unautiste sur dix ne parle pas ou quasiment pas),alors que d’autres parlent un langage d’uneperfection syntaxique inégalable et ne fontaucune faute d’orthographe. Dans les cas typi-ques, les autistes ne parlent pas ou peu jusqu’àl’âge de quatre ans, puis développent un lan-gage fait de répétitions plus ou moins reliéesau contexte, et finissent par parler tard, de façoncorrecte, mais particulière, ou en présentantdes anomalies de langage (voir la figure 2).

Soulignons un autre fait étonnant : cer-tains des autistes les plus marqués, pendantla période où ils ne peuvent communiquerpar le langage, présentent souvent une hyper-lexie, c’est-à-dire une avance de plusieursannées sur les autres enfants pour le déchif-frage et la lecture. Cette capacité est associéeà une recherche assidue de matériel écrit,alors que ces enfants ne communiquent pas

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Une différence plus qu’une maladie

Chez l’autiste, certaines aires cérébrales « font leur travail », même si elles opèrent différemment : ici, différence ne signifie pas déficit.

()

Un an Quatre ans Six ans

Langage acquis

Enfant non autiste

Enfant autiste sans langage oral

2. Le langage oral est acquis dès le début de la deuxième année par unenfant non autiste qui prononce quelques mots isolés.Vers trois ans, il formedes phrases grammaticalement correctes. Au contraire, l’enfant autiste neparle pas avant trois ou quatre ans. Certains ne parlent jamais, d’autresfinissent par rattraper leur retard.

Raph

ael Q

ueru

el

Enfant autiste acquérant un langage oral

Phrases à un,puis deux mots

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par le langage et ne comprennent pas ce qu’ilslisent. Toutefois, ces mêmes enfants finirontle plus souvent par parler correctement etcomprendre ce qu’ils lisent.

Ainsi, les autistes acquièrent le langaged’une façon singulière, mais qui peut être effi-cace, et qui défie les lois du développement.C’est pourquoi nous recommandons, dans laprise en charge des enfants autistes, de suivreleurs modes d’apprentissage particuliers (parexemple, les exposer précocement à l’écrit)plutôt que de leur faire suivre un parcoursdéveloppemental normal, ce qui est à la foisdouloureux pour eux, peu efficace et n’amé-liore pas leur qualité de vie.

Afin de mieux comprendre comment lesautistes traitent l’information et le dialogue,une étude a été réalisée sur plus de 1 000 d’en-tre eux, de tous âges et de tous niveaux. Cetteétude nous a convaincus que leur universmental est profondément différent de celuides personnes typiques (si tant est qu’onpuisse faire de ce dernier groupe un ensem-ble homogène). Ainsi, la place de l’imagina-tion semble fondamentalement différente.L’univers mental des autistes paraît donnerune importance plus grande au maniementde matériel où le sujet est absent, alors quel’imagination typique tend à mettre en scènel’individu dans une sorte de « film dont on estle héros ». De même, les attentes, les émotionset le langage paraissent moins déformer la per-

ception de la réalité, qui serait ainsi perçueet mémorisée de manière plus véridique.

Pourtant, il existe bel et bien une créati-vité autistique, qui s’exerce dans les arts aussibien que dans la science. Nous avons émisl’hypothèse qu’un principe dit de cartogra-phie véridique joue un rôle important dansla créativité des autistes, aussi bien que danscertaines de leurs capacités exceptionnelles,telles que la mémorisation du jour associé àune date ou l’oreille absolue (la reconnais-sance des notes sans référence). La cartogra-

phie véridique orienterait spontanément lesautistes vers ce qui est structuré, par exem-ple l’écriture ou la musique plutôt que versle langage oral, permettrait de mémoriser descorrespondances terme à terme entre desstructures et favoriserait l’activité scientifi-que et le réalisme dans l’art.

La société et la scienceface à la différence

On tend souvent à associer différence (parexemple, les signes d’autisme) et déficit, alorsque, selon notre collègue Michelle Dawson,être « plus autiste» ne signifie pas forcémentêtre moins adapté. On mesure la réussited’une technique d’intervention à sa capacitéà faire disparaître des signes d’autisme, et nonà sa capacité de faire progresser l’adaptation,ce qui est à mon sens une grande erreur. Enconséquence, les techniques d’interventionprécoce les plus élaborées ont une action àpeu près nulle sur l’adaptation. Mesurerait-t-on un programme éducatif pour les enfantsatteints d’un syndrome de Down à sa capa-cité de rendre l’enfant « moins mongolien» ?Bien sûr que non. Et pourtant, on continue àle faire pour l’autisme. Alors que l’on acceptela différence pour le syndrome de Down oula surdité non appareillable, il persiste pourl’autisme l’illusion que nous pouvons – etsurtout devons – réduire cette différence.

Les sociétés avancées ont une faible tolé-rance à l’égard de la différence. Le harcèlementscolaire reste ainsi la difficulté majeure desautistes intégrés dans le système scolaire régu-lier. Quant au monde du travail, il ne s’est pasadapté à leur particularité. La demande des’adapter à un monde majoritaire, fondée surune logique du plus grand nombre (vousdevez vous adapter à notre monde parce quenous sommes les plus nombreux), est unelogique guerrière, ou électoraliste. Elle nedevrait pas concerner les différences neuro-biologiques qui existent dans la famillehumaine. Une société ouverte devrait sereconnaître à ce que le plus grand nombre nedicte pas ses priorités au moins nombreux, etlimite ce qui est exigé de ses membres pourles intégrer de plein droit, quels qu’ils soient.Comprendre l’autisme, et rendre un autisteheureux, ayant accompli ses potentialités etcontribué à la société ne consiste pas à réduiresa différence, mais à lui trouver sa place. �

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Dossier

Bibliographie

L. Mottron,Changing perceptions :The power of autism,in Nature, vol. 479 (7371),pp. 33-35, 2011.F. Samson et al.,Enhanced visualfunctioning in autism :an ALE meta-analysis,in Human BrainMapping, 2011.M. Dawson et al.,Learning in autism, in J. H. Byrne & H. Roediger (Ed.),Learning and memory :A comprehensivereference, CognitivePsychology,pp. 759-772, Elsevier, 2008.L. Mottron et al.,Enhanced perceptionin savant syndrome :Patterns, structure andcreativity, in Philos.Trans. R. Soc. Lond B,vol. 364(1522),pp. 1385-1391,2009.

On ne cherche pas à éduquer un enfantatteint d’un syndrome de Down pourqu’il devienne « moins mongolien ».Pourquoi vouloir réduireles spécificités des enfants autistes ?

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Les troubles autistiques sont caractérisés par des déficits des interactions sociales et du langage. Un dépistageprécoce et une prise en charge adaptée sont indispensables.

Dossier

L’autisme est un trouble qui com-mence dès le plus jeune âge. Denombreuses études récentes mon-trent que ce trouble est lié à desperturbations précoces du fonc-

tionnement cérébral. Le terme de troublesenvahissants du développement est utilisédans l’ensemble des classifications médica-les actuelles pour indiquer que tous lesaspects du développement des personnesatteintes d’autisme sont altérés : langage,communication, cognition et motricité(même si cette fonction est généralementépargnée). Aujourd’hui, on ne dispose d’au-cun traitement curatif, si bien que ce troubleconcerne des enfants, des adolescents, desadultes et des personnes âgées.

Les classifications médicales, notammentla Classification statistique internationale desmaladies (10e édition), CIM 10, et le Manueldiagnostique et statistique des troubles men-taux (4e édition), DSM IV, proposent lessignes permettant de circonscrire un ensem-ble que l’on désigne sous le nom de troublesdu spectre autistique. On ignore encore si cesdifférentes catégories diagnostiques ont ounon les mêmes causes.

Cette notion de spectre rend compte dela diversité que présentent les troubles autis-tiques. En effet, d’une personne à l’autre, lestableaux cliniques peuvent être très différentsselon, par exemple, la présence ou non d’unretard mental et la gravité de ce retard, ouencore la présence ou non d’une autre mala-die (neurologique ou génétique, par exem-ple). On estime à un pour cent le nombre

d’enfants atteints d’un trouble du spectreautistique, dont la moitié présenterait unretard mental. Ces troubles se caractérisentpar des déficits des interactions sociales, dela communication et du langage, ainsi quepar un répertoire d’activités et d’intérêts res-treint, stéréotypé et réduit. Ces déficits, qua-tre fois plus fréquents chez les garçons quechez les filles, représentent des handicaps plusou moins marqués.

Dépistage précoce :indispensable

On constate des troubles du sommeil, uneanxiété souvent marquée, un déficit de l’at-tention, une hyperactivité et, à des degrésdivers, un retard mental. Chez les personnessans retard mental, les compétences sont infé-rieures à la moyenne sur certains points,supérieures sur d’autres. Par exemple, en cequi concerne le langage parlé, il ne se déve-loppe pas chez certains, alors que les enfantsayant un syndrome d’Asperger acquièrentplus tôt que les autres un vocabulaire élaboré.Enfin, avec l’âge, les symptômes évoluent, denombreux mécanismes de compensation semettent en place, gommant parfois les per-turbations caractéristiques de l’autisme infan-tile. On parle alors de tableaux atypiques oude troubles envahissants du développement« non spécifiés ».

Quelle que soit sa forme, le syndromeautistique donne lieu, pendant toute la vie dela personne concernée, à des difficultésd’adaptation importantes, qui ont un impact

Du dépistageà la prise en charge

Amaria Baghdadliest professeurde psychiatriede l’enfant et de l’adolescentà la Faculté demédecine deMontpellier, EA 4525,et coordonnateurdu Centre deressources autismedu Languedoc-Roussillon,CHU de Montpellier.

[email protected]

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négatif sur la qualité de vie de la personneet sur celle de son entourage familial.Toutefois, diverses études montrent qu’uneprise en charge adaptée et surtout précoce desenfants leur permet souvent de trouver leurplace dans la société. En 2005, la Fédérationfrançaise de psychiatrie en partenariat avecla Haute autorité de santé a proposé desrecommandations sur le dépistage et le diag-nostic des troubles autistiques. L’adoptionpar tous les professionnels de santé d’unedéfinition du syndrome et des terminologiesdevant être utilisées pour le décrire a repré-senté une avancée notable. Le terme de psy-chose a été abandonné pour laisser la place à

la notion de trouble du développement. Parailleurs, le texte insiste sur l’importance dudépistage. Si ces recommandations ne sontpas encore appliquées partout aussi bienqu’elles le devraient, elles ont représenté unprogrès pour la prise en charge des malades.

Les outils de dépistage précoce étant peusensibles (il s’agit notamment d’un question-naire nommé CHAT, d’après la terminologieanglaise, Check-list for autism in toddlers, listede questions pour dépister l’autisme chez lestout-petits), on recommande de recherchercertains signes cliniques chez tous les jeunesenfants, lors des examens systématiques desanté effectués par le pédiatre, le médecin

Du dépistage à la prise en charge

• Les professionnels de santé et de la petite enfance doivent surveillerdivers signes d’alerte pour dépisterdès que possible un syndrome autistique, qu’il convient ensuite de confirmer par divers examens.

• Les thérapies cognitives et comportementales sont efficaces si parents et éducateurs dialoguent régulièrement. Les enfants mettentsouvent en place des stratégies de compensation de leurs déficits.

• Toutefois, les prises en charge ne sont pas évaluées de façon assez précise pour adapter au mieux les méthodes disponibles aux spécificités de chacun,lesquelles évoluent avec l’âge.

En Bref

Craintif,redoutant les interactions avec

autrui, qui parfoisl’angoissent, l’enfantatteint d’un trouble

du spectre autistiquepréfère s’isoler, et fuit la compagnie d’autrui.

Dan

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généraliste ou encore les professionnels desétablissements de protection maternelle etinfantile, PMI. Ces signes, plus faciles à repé-rer chez l’enfant âgé de plus de 18 mois, sontles suivants : difficultés à accrocher son regard,à mobiliser son attention sociale et à partagerses intérêts avec son entourage. Ils recouvrentaussi la difficulté à coordonner le regard, lelangage et les gestes (par exemple pointer ledoigt vers un objet), ce qui est nécessaire pourattirer l’attention d’autrui vers l’objet jugéintéressant, par exemple. La régression du lan-gage ou des interactions sociales chez unenfant, mais aussi les inquiétudes de sesparents indiquent généralement la survenueeffective d’un trouble du développement. Enprésence de ces signes d’alerte, le test duCHAT, mis au point par Simon Baron-Cohen,de l’Université de Cambridge, au Royaume-Uni, sert généralement à confirmer un risqued’autisme. Ce test suppose non seulementd’interviewer les parents sur les capacités d’at-

tention sociale et de jeu symbolique de leurenfant, mais également d’examiner le com-portement social et les capacités de commu-nication de l’enfant.

Comment dépister les enfants à risque ?

Ainsi, les professionnels de santé, et ceuxde la petite enfance (notamment des crèches)doivent surveiller ces signes d’alerte. Lorsquele développement d’un jeune enfant se révèlepréoccupant, il est conseillé, dans un premiertemps, de réexaminer l’enfant et notammentses capacités de communication et d’interac-tion en utilisant un jeu, par exemple. Lorsquele doute persiste, il est important que cetenfant soit rapidement vu par des spécialis-tes du développement, notamment des neu-ropédiatres et des pédopsychiatres. Ces équi-pes doivent être à même de mettre en placedes examens cliniques transdisciplinaires.

Concrètement, tous les domaines du déve-loppement susceptibles d’être « envahis» parl’autisme doivent être évalués : langage etcommunication, cognitions, comportementsadaptatifs, motricité. On recherche aussid’éventuels antécédents médicaux chez l’en-fant et dans sa famille. Un examen neurolo-gique est également nécessaire, ainsi que desexamens complémentaires, notamment unélectroencéphalogramme (ou EEG), car sou-vent l’épilepsie – que l’EEG peut révéler – estassociée à l’autisme.

Une consultation dans un service de géné-tique clinique est nécessaire en particulierquand existent un retard moteur, une épilep-sie ou des particularités morphologiques, carune maladie génétique risque alors d’êtreassociée : 15 pour cent environ des cas d’au-tisme sont associés à des anomalies généti-ques, sans pour autant que ces anomaliesn’expliquent le syndrome autistique.

Le diagnostic est établi par une évaluationclinique multidisciplinaire comprenant habi-tuellement des examens clinique, psycholo-

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Dossier

Une prise en charge adaptée et surtout précoce permetsouvent aux enfants atteints d’un trouble autistique de trouver leur place dans la société.

Test de dépistageLe diagnostic de l’autisme est posé au terme d’un entretien avecles parents et d’un examen clinique de l’enfant. Voilà quelques-unesdes questions auxquelles les parents sont invités à répondre :

• Votre enfant aime-t-il être balancé, sauter sur vos genoux ?

• Votre enfant montre-t-il de l’intérêt pour les autres enfants ?

• Votre enfant aime-t-il jouer à faire « coucou » ?

• Votre enfant aime-t-il faire semblant de jouer à la dînette parexemple ?

• Votre enfant utilise-t-il parfois son index en pointant pour deman-der quelque chose ?

• Votre enfant utilise-t-il parfois son index en pointant pour indi-quer son intérêt pour quelque chose ?

• Votre enfant est-il capable de s’amuser avec des petits jouets sansles mettre sans cesse dans sa bouche ou les lancer ?

• Votre enfant vous apporte-t-il parfois des objets pour vous mon-trer quelque chose ?

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gique, psychomoteur et orthophonique. Cetteévaluation peut être faite en milieu hospita-lier ou en libéral, à condition que les profes-sionnels qui interviennent soient expérimen-tés et formés à cette pratique et qu’ils secoordonnent. Le diagnostic doit être annoncéaux parents et à la personne concernée de lafaçon la plus claire et la plus honnête possi-ble dans l’état des connaissances actuelles.L’annonce du diagnostic est un moment dou-loureux pour les parents. Elle est souvent à lafois redoutée et attendue, car les parents met-tent alors des mots sur les difficultés qu’ilsavaient repérées depuis longtemps chez leurenfant. Ainsi, beaucoup de parents se disentbouleversés, mais en même temps soulagésde pouvoir enfin mieux comprendre les dif-ficultés de leur fils ou de leur fille.

L’annonce du diagnostic doit être associéeà celle des ressources disponibles pour accom-pagner l’enfant et son entourage. La capacitédes parents à faire face aux difficultés que sou-lève le handicap de leur enfant est renforcéedès lors qu’on leur décrit comment ils pour-ront l’accompagner de façon active. Ainsi, lesparents reçoivent une information précise surle syndrome, son évolution, ses modes deprise en charge et l’état des connaissances.L’équipe médicale décrit également les struc-tures spécifiques permettant la mise en œuvrede cette prise en charge (maisons départe-

mentales des personnes handicapées, établis-sements scolaires, médico-sociaux, etc.). Cesexplications sont essentielles pour éviter l’er-rance des familles et réduire leur anxiété.

Les prises en charge

En 2010, un état des connaissances sur l’au-tisme, ses facteurs de risque, son évolution,mais aussi sur les principes qui doivent gui-der les interventions spécifiques et l’accom-pagnement a été proposé par la Haute auto-rité de santé. Dans ce document, était mis enavant l’intérêt d’une approche fonctionnelledans la définition des prises en charge. Cetteapproche implique d’observer avec précisiontoutes les dimensions du fonctionnementd’une personne (communication, relation àautrui) de façon à repérer les stratégies adap-tatives qu’elle a mises en place et à les soute-nir. Cette année, sont publiées les recomman-dations sur les pratiques d’interventionauprès des enfants et adolescents qui ont destroubles autistiques.

La démarche de la Haute autorité de santérepose sur une revue exhaustive et critiquede la littérature scientifique, permettant d’éta-blir l’efficacité des méthodes interventionnel-les proposées aux personnes présentant destroubles du spectre autistique. Cette démar-che se heurte à une difficulté majeure : il est

Deux exemples de troubles du spectre autistique

Parmi les différentes formes de l’au-tisme, précisons les caractéristiquesde deux d’entre elles.

• L’autisme infantile apparaît avantl’âge de trois ans et persiste toute lavie. Le développement est perturbé,ce qui se manifeste par des interac-tions limitées et des comportementsrépétitifs et restreints. Les parentsremarquent souvent des signes quiles inquiètent,bien avant que le diag-nostic ne soit posé. Ils constatent,par exemple, que leur enfant, dès sapremière année, est passif, souritrarement aux autres, ne babille pas,ne regarde pas dans les yeux, ne se

retourne pas quand on l’appelle parson nom. Il ne manifeste pas d’atten-tion conjointe (attention portée pardeux personnes sur un même objet)et ne pointe pas son index vers lesobjets. Il présente des difficultéspour imiter ou faire semblant.L’enfant manifeste un retard d’acqui-

sition du langage et des activitésrépétitives avec certains objets.

• Une personne ayant un syndromed’Asperger est souvent qualifiéed’autiste de haut niveau. Elle com-munique difficilement, a peu d’inter-actions sociales, présente des com-portements répétitifs et des intérêtsspécifiques.Mais elle a une mémoireextraordinaire et une pensée logi-que, respecte les règles, n’aime pasles changements, est sensible auxdétails, ne manifeste pas d’émotion.Le film Rain man a permis au grandpublic de découvrir ce trouble enva-hissant du développement.

Du dépistage à la prise en charge

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beaucoup plus difficile (pour des raisonstechniques et éthiques) d’effectuer l’étudecontrôlée rigoureuse d’une approche théra-peutique non médicamenteuse, une psycho-thérapie notamment, que d’évaluer un médi-cament. Pourtant, les thérapies cognitives etcomportementales, les TCC, sont relative-ment faciles à évaluer. C’est en partie pourcette raison que les études dont les résultatspermettent de juger l’efficacité des interven-tions proposées aux personnes ayant un trou-ble du spectre autistique, portent principa-lement sur le modèle thérapeutique de l’ABA

(Applied analysis behavior ou analyse appli-quée du comportement).

Ce modèle est souvent considéré (à tort)comme une méthode récente. Il s’agit d’unethérapie cognitive comportementale très lar-gement utilisée en France et dans de nom-breux pays pour traiter, chez l’enfant oul’adulte, les troubles anxieux, dont les pho-bies et les troubles obsessionnels compulsifs,mais aussi la dépression, ou les troubles desconduites alimentaires. Les TCC font aussipartie de l’arsenal thérapeutique dans la prise

en charge de patients ayant une schizophré-nie ou des troubles bipolaires. L’ABA ad’abord été appliquée à des personnes attein-tes d’autisme aux États-Unis au début desannées 1980. Bien que ses premiers travauxaient été critiqués (notamment parce qu’ilsprétendaient pouvoir « guérir » les enfantsautistes), d’autres études ont suivi, et la majo-rité a mis en évidence un impact positif surdes dimensions cognitives telles que le QI.Aujourd’hui, plus aucune étude ne prétendplus que les enfants sont guéris. Le corpsmédical (notamment aux États-Unis) admetque ces méthodes sont pertinentes et utiles,mais elles ne sont pas indiquées pour tous, etne peuvent pas non plus être appliquées à unmême individu tout au long de sa vie,puisqu’il est établi que les symptômes évo-luent au fil du temps. D’autres approches sontégalement utilisées, mais elles n’ont pas tou-jours fait l’objet d’études contrôlées, alorsmême que les familles en sont satisfaites. C’estle cas notamment aux États-Unis, de TEACCH

ou de PECS (voir l’encadré ci-contre).

Quelles sont les pratiquesen France ?

Aujourd’hui, en France, semble s’exprimerune opposition entre tenants des pratiqueséducatives et tenants des pratiques relevantdes psychothérapies d’inspiration analytique.Toutefois, cette situation de quasi-clivage nereflète pas les pratiques professionnelles dansnotre pays. Les rares études concernant les pra-tiques en France révèlent leur diversité, voireleur éclectisme, avec une intrication des pri-ses en charge éducatives et médicales, tellesque rééducation orthophonique et psychomo-trice, psychothérapies et pharmacothérapie.Progressivement, la scolarisation des enfantsest devenue une règle plus qu’une exception,avec une progression notable depuis 2005 :mêmes si l’on ne dispose pas de chiffres vali-dés, on estime que 50 pour cent des enfantsde plus de trois ans avec un trouble envahis-sant du comportement sont scolarisés, aumoins partiellement. Les enfants sont le plussouvent maintenus dans leur famille et inté-grés dans les instituts médico-éducatifs ou lesinstituts de rééducation qui proposent desclasses dans le cadre des Services d’éducationspéciale et de soins à domicile, SESSAD. Cessystèmes de prise en charge reposent sur la

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Le modèle ABAOn apprend à l’enfant à structurer ses actions en décomposant

chaque acte, par exemple se laver les mains, en ses diverses éta-pes. On lui explique la suite des gestes à accomplir ; on l’encou-rage et le félicite quand il réussit. On fait en sorte que l’enfantanalyse ses comportements, afin de les maîtriser ou de s’habituerà des situations initialement désagréables. On y associe progres-sivement une connotation agréable, tel un jeu, quand le com-portement ou la réponse sont adaptés. Quand l’enfant échoue,on lui explique pourquoi.

Le programme TEACCHIl a pour principal objectif de développer la communication

entre l’enfant et son entourage. On aide l’enfant à comprendreen utilisant des gestes, des images, des objets. On s’assure qu’il abien compris,on l’encourage.On mime ce que l’on attend de l’en-fant. La méthode implique les parents et les professionnels quidoivent se parler souvent pour évoquer l’évolution de l’enfant.

Le système PECSIl s’agit d’un programme progressif de communication par

échange d’images. L’enfant dispose d’un classeur d’images qui luiservent à communiquer.

Les prises en charge

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pluridisciplinarité des acteurs, le partenariatavec l’entourage de l’enfant et l’appui sur lesmilieux de vie de l’enfant, pris en charge defaçon aussi précoce que possible, afin de favo-riser le développement de ses capacités.

Un encadrement insuffisant

En France, les établissements et les servicessanitaires ou médico-sociaux, y compris ceuxayant un agrément spécifique autisme, ont despratiques hétérogènes. Cette diversité pour-rait sembler pertinente étant donné les besoinsextrêmement variés des personnes avecautisme, mais rien n’indique qu’elle soit vrai-ment mise au service de la diversité de leursbesoins. Toutefois, on constate une évolutiondes pratiques depuis quelques années, celles-ci intégrant davantage les principes des systè-mes de communication visuelle si importantspour les individus qui ne parlent pas. En pra-tique, les familles qui souhaitent un type spé-cifique d’intervention pour leur enfant (parexemple, l’ABA) doivent souvent faire appel àdes intervenants à domicile, plus ou moinsqualifiés, et dont l’intervention n’est supervi-sée que par les parents. Dans ce cas, l’inter-vention ABA n’a généralement pas le caractèreintensif souhaitable avec ce type d’approche.

Un rapport publié en 2011 par l’Associationnationale des centres ressources autisme,ANCRA, a montré que les pratiques d’accom-pagnement manquent de spécificité au regarddes problématiques rencontrées par les per-sonnes présentant un trouble envahissant dudéveloppement, même si une évolution posi-tive a été constatée. Ce constat est particuliè-rement critique en ce qui concerne les struc-tures accueillant des adultes, où l’améliorationdes pratiques est indispensable. On se contentegénéralement de « stabiliser » les acquis de lapersonne adulte, sans lui proposer un accès àl’éducation, la pédagogie ou à des thérapeuti-ques spécifiques, ce qui peut être vécu de façondramatique par les plus jeunes à l’occasion dupassage d’un établissement pour enfants à unétablissement pour adultes.

Dans tous les cas, les pratiques des établis-sements n’ont pas fait (ou très peu) l’objetd’études contrôlées. Leur validité sociale (sus-ceptible d’être mesurée par la satisfaction desusagers ou l’amélioration de leur qualité devie) n’a pas non plus été étudiée. Le rapportrécent de Valérie Létard, sénatrice et ancienministre, chargée de l’évaluation du planautisme 2008-2010, souligne la nécessité deréaliser des études destinées à examiner l’im-pact des différentes thérapies et méthodeséducatives proposées aux personnes ayant untrouble autistique. De telles études sont par-ticulièrement complexes et relèvent d’uneméthodologie rigoureuse. Elles nécessiterontune étroite coopération des établissements spé-cialisés, services hospitaliers et laboratoires derecherche, mais aussi de ces professionnels avecles familles et les personnes concernées.

Pas assez de places d’accueilet de structures adaptées

Les combats idéologiques actuels autourdes interventions utiles aux autistes et à leursfamilles sont regrettables, car ils découragentles professionnels et ne contribuent pas à l’op-timisation des ressources. Ils sont pour l’es-sentiel liés au fait que les différents types d’in-terventions n’ont pas été évalués de façonrigoureuse. La recherche scientifique fonda-mentale progresse et contribue à l’émergencede connaissances nouvelles. En revanche, larecherche interventionnelle, c’est-à-dire l’éva-luation des prises en charge des patients, doitêtre renforcée. Ce type de recherches est unesource précieuse de données factuelles per-mettant d’éclairer les responsables des poli-tiques de santé. N’oublions pas que, commele recommande l’Organisation mondiale dela santé, toute prise de décision raisonnée etefficace doit reposer sur la recherche. Enoutre, ces évaluations permettront de mieuxadapter les prises en charge aux besoins spé-cifiques de chacun des malades, qui ne pré-sentent pas tous les mêmes signes cliniques,signes qui évoluent souvent avec l’âge. �

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La scolarisation des enfants est devenue progressivement une règle plus qu’une exception, avec une progression notable depuis 2005.

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Du dépistage à la prise en charge

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2011. A. Baghdadli et al.,

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2011.B. Rogé et al.,

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Les capacités cognitives des autistes sont sous-estimées par les tests de QI, ce qui peut être un handicap pour leur insertion à l’école ou dans le monde du travail.

Dossier

Le pédopsychiatre américain d’origineaustro-hongroise Léo Kanner (1894-1981) écrivit en 1943 : « L’excellentemémoire [des autistes] [...] et le rap-pel précis de motifs et séquences

complexes laissent présager une bonne intel-ligence. » Cette intuition a été ultérieurementreprise en 1989 par Utah Frith, du King’sCollege de Londres, qui identifia des « îlotsd’habiletés » chez les personnes autistes. Maiscette expression fit perdre l’idée qu’il pouvaits’agir d’intelligence. Ainsi au début desannées 2000, 60 ans après les travaux deKanner, « l’autisme est un trouble de traite-ment de l’information complexe [...] et unelimitation généralisée de plusieurs domainescognitifs et neurologiques », selon NancyMinshew, du Centre d’excellence de recher-che sur l’autisme, à l’Université de Pittsburgh,aux États-Unis.

Pourtant, certains enfants autistes font desapprentissages surprenants, voire spectacu-laires, alors même que leur intelligence mesu-rée par le QI leur attribue une déficience intel-lectuelle. Ainsi, certains enfants apprennent àlire par eux-mêmes vers deux ans, à utiliserun ordinateur pour communiquer, à mémo-riser de grandes quantités d’information, àmonter et démonter des composants électro-niques ou à décomposer un nombre en nom-bres premiers. S’agit-il d’habiletés « isolées »ne faisant pas appel à l’intelligence ?

On sait aujourd’hui que le développementcognitif des autistes diffère en termes de lan-gage, de perception, de mémoire, etc. Or cescapacités sont précisément ce que mesurentles tests d’intelligence, ce qui contribue au faitque diverses mesures d’intelligence donnent

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Isabelle Soulièresest professeure,au Département de psychologie,

Université duQuébec à Montréal,

et chercheure au Centre

d’excellence enautisme, Université

de Montréal,au Canada.

L’intelligence des autistes

des portraits différents des compétences despersonnes autistes. Dans certains cas, l’écartpeut être important. Ainsi, l’évaluation d’unadolescent autiste âgé de 13 ans au moyen destests de Wechsler, la batterie de tests d’intel-ligence la plus utilisée, indiquait une déficienceintellectuelle moyenne. Ces tests évaluent lesconnaissances générales (Quelle est la capi-tale de l’Argentine ?), le vocabulaire (Quesignifie simultané ?), les capacités de calcul (Sicinq gâteaux coûtent dix euros, combien coû-tent huit gâteaux ?), d’assemblages de blocsou de puzzles, etc.

Cet adolescent n’employait que quelquesmots isolés, ne prononçait aucune phrase,mais pouvait faire des calculs par écrit. Quandon a utilisé un autre test d’intelligence – letest des matrices de Raven –, qui ne repose passur l’utilisation du langage ni sur celle deconnaissances mémorisées, l’adolescent a sur-pris toute l’équipe clinique en obtenant unrésultat associé à une intelligence supérieure.L’adolescent a complété ce test des matrices deRaven sans instructions et a montré qu’il pou-vait effectuer des raisonnements complexes.

Des tests de QI inadaptés

En quoi consiste ce test qui évalue la capa-cité à résoudre des problèmes ? À trouver paranalogie et déduction logique une figure quimanque dans un ensemble de dessins (voir lafigure page 34). Il est fondé sur le raisonne-ment abstrait et mesure l’intelligence ditefluide. Il nécessite de formuler des hypothè-ses et de les tester, de faire des abstractions,ainsi que de maintenir en mémoire de travaildes objectifs et de les gérer selon les hypothè-ses testées. Ce test ne requiert pas d’instruc-tions orales ni la manipulation d’informa-tions stockées en mémoire à long terme.

On sait maintenant que le cas de l’adoles-cent évoqué est loin d’être isolé, que d’autresenfants ou adultes présentent des écartsconsidérables entre les résultats obtenus autest des matrices de Raven et aux tests deWechsler. Toutes les personnes autistes nemontrent pas d’écarts aussi importants, maisles résultats au test des matrices sont généra-lement meilleurs que ceux obtenus aux testsde Wechsler. Le potentiel intellectuel des per-sonnes autistes est donc probablement sous-

estimé par les échelles conventionnelles d’in-telligence, ce qui peut avoir des conséquen-ces sur la façon dont on envisage leur éduca-tion et leur insertion socioprofessionnelle.

Une imagerie mentaleperformante

Pourquoi les autistes réussissent-ils au testdes matrices de Raven ? Pour le savoir, nousavons demandé à des personnes autistes et nonautistes de résoudre des matrices de Ravenalors qu’on enregistrait leur activité cérébralepar imagerie par résonance magnétique. Lemême réseau cérébral du raisonnement,incluant des portions des lobes pariétaux etfrontaux, était activé chez les personnesautistes et non autistes. Toutefois, nous avonsmontré que, si les aires impliquées sont lesmêmes, leur activité diffère. Par exemple, lesnon-autistes utilisent pour les problèmes faci-les des aires que les autistes recrutent aussipour les raisonnements complexes, problè-mes qu’ils réussissent aussi bien et plus rapi-dement que les non-autistes.

On montre que le raisonnement autisti-que serait caractérisé par une plus grande uti-lisation des processus perceptifs (la recon-naissance de détails et des structures visuelles,le maintien en mémoire de travail de l’infor-mation visuelle, l’élaboration et la manipu-lation d’images mentales) et des représenta-tions visuospatiales. À l’appui de cettehypothèse, plusieurs études récentes ont mon-tré que la capacité à manipuler les imagesmentales, à retrouver un élément parmi unensemble d’objets, ou encore à traiter uneinformation visuelle présentée brièvementreflète plus l’intelligence des personnes autis-tes que celle des non-autistes.

• Les tests de QI évaluent surtout les capacités de langageet les connaissances acquises à l’école, ce qui défavorise les autistes.

• Contrairement aux autres enfants, les autistes enregistrent souventdes connaissances sans que l’on s’en rende compte tout de suite.

• Il faut faire le pari de l’intelligence, c’est-à-dire multiplier les méthodesd’enseignement, afin que le jeune autiste trouve une approche qui lui permette de valoriser son potentiel intellectuel.

En Bref

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Qu’en est-il des personnes ayant un syn-drome d’Asperger, c’est-à-dire sans retard dedéveloppement du langage ? Réussissent-ellesmieux aux tests classiques de QI ? Elles ont deshabiletés verbales beaucoup plus développéesque leurs habiletés perceptives. Ainsi, ellesréussissent beaucoup mieux des tâchesdemandant de définir le sens de certains mots,ou de trouver la ressemblance entre deuxconcepts, que des tâches demandant de repro-duire un modèle avec des blocs ou de recher-cher des symboles identiques parmi unensemble. Les forces sur le plan cognitif despersonnes présentant un syndrome d’Aspergerne sont donc pas les mêmes que celles retrou-vées chez les personnes autistes.

Le syndrome d’Asperger

Cela se reflète également dans les modes deraisonnement. Ainsi, la performance des per-sonnes présentant un syndrome d’Aspergerau test des matrices de Raven diffère moins decelle obtenue avec les tests de Wechsler quechez les autres autistes. Leur performance autest des matrices de Raven est comparable àcelle obtenue dans des tâches de manipula-tion de mots, alors que la performance desautistes correspond davantage à celle qu’ilsobtiennent dans les tâches faisant appel autraitement visuospatial. Les modes de raison-

nement privilégiés par les personnes présen-tant un syndrome d’Asperger seraient plutôtde nature verbale, alors que ceux des person-nes autistes impliqueraient davantage des pro-cessus de nature perceptive et visuospatiale.

Il peut paraître évident qu’on se doit dedonner toutes les occasions d’apprentissagepossibles à un enfant, mais on peut être par-fois démotivé quand on ne voit pas de signesapparents de progrès. Toutefois, il faut savoirqu’il n’est pas rare que des enfants autistesmontrent qu’ils ont appris et compris desconcepts, alors même que l’on n’attendaitplus de tels résultats.

Par exemple, les parents d’un enfant autisteâgé de deux ans et demi nommaient tous lesobjets qui l’entouraient et décrivaient leursactions, mais ils avaient l’impression que l’en-fant n’y prêtait aucune attention. Pourtant,lorsqu’il est entré dans sa chambre fraîche-ment repeinte, l’enfant a prononcé le premiermot de sa vie : « jaune ». Il a ensuite pu nom-mer les couleurs que sa mère lui montraitdans un livre d’images. Contrairement auxautres enfants, les enfants autistes acquièrentsouvent des concepts, connaissances et savoir-faire même si ces apprentissages ne se mani-festent pas immédiatement. D’où l’impor-tance de faire le pari de l’intelligence chez lespersonnes autistes, même lorsque le niveaude fonctionnement apparent n’est pas élevé.

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Exemples similaires aux matrices de Raven. Par déduction logique, il faut choisir,parmi les figures proposées en bas,celle qui complète la série du haut.

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L’intelligence des autistes

L’âge auquel un enfant commence à par-ler est souvent pris comme un indicateur deson potentiel intellectuel. Ainsi, un enfantautiste se présentant avec un retard massifd’acquisition du langage, ne prononçantaucun mot à l’âge de trois ou quatre ans etdont il est quasi impossible d’évaluer le déve-loppement, peut donner l’impression d’êtrelimité sur le plan intellectuel. Et pourtant, unenfant autiste peut parler tard, ne pouvoirêtre évalué vers trois ans, mais avoir un QI

élevé vers dix ans. Chez les enfants autistes,il n’y a pas de relation entre l’âge de début dulangage et le QI final.

Faire le pari de l’intelligence

Prenons le cas de Mélissa, 3 ans et demi,semblable à celui de plusieurs autres jeunesenfants autistes. Mélissa n’employait aucunmot fonctionnel à son arrivée à l’hôpital dejour et présentait un retard de développementimportant selon les échelles de développe-ment courantes. Pourtant, en employantd’autres tests avec des instructions plus sim-ples, focalisées sur des domaines d’intérêts etd’habiletés fréquents chez les autistes, Mélissaa montré de bonnes capacités de reconnais-sance visuelle et d’associations, signes pré-curseurs d’un raisonnement abstrait.

Les capacités langagières de cette enfant ontprogressé après seulement quelques semai-nes de fréquentation de l’hôpital de jour, cequi laisse supposer que ses capacités de rai-sonnement sont intactes et pourront égale-ment se développer. Dans ce type de struc-ture, les enfants autistes sont pris en chargepar des personnes qui adaptent les outilspédagogiques disponibles à chaque enfant enfonction de ses capacités et centres d’inté-rêt. Un enfant à qui l’on attribue une intelli-gence limitée aura probablement moins d’oc-casions d’apprentissage, alors qu’en multipliantces occasions, on augmentera les chances qu’iltrouve une approche qui lui convienne.

Il est important ici de faire la distinctionentre le potentiel intellectuel d’une personneautiste et ses capacités d’adaptation parmi lesnon-autistes. Les méthodes d’enseignement,ainsi que les méthodes de travail dans lemilieu professionnel sont conçues pour lesmodes d’apprentissage et de raisonnementdes non-autistes. Qu’un enfant autiste ait desdifficultés à s’adapter à l’environnement nonautiste, cela ne fait pas de lui une personnemoins intelligente. Il est donc essentiel de nepas réduire le potentiel intellectuel au niveaude fonctionnement observé.

Dans ce contexte, les enfants autistes quimontrent un potentiel de raisonnementélevé, mais qui ont de mauvais résultats auxtests d’intelligence classiques, peu adaptés àla cognition autistique, sont probablementdes enfants chez qui l’enseignement régu-lier a peu de chances d’être efficace. L’échecdu cheminement scolaire ne proviendrait pasd’un manque de potentiel intellectuel, maisbien d’une difficulté à appliquer et à utiliserce potentiel dans un contexte d’apprentissagequi diffère trop du contexte optimal de l’en-fant autiste.

Adapter les méthodesd’apprentissage à chacun

Ainsi, le potentiel intellectuel de cesenfants risque de rester sous-exploité et sous-exprimé si l’on n’adapte pas les méthodesd’apprentissage à leur style cognitif. Celarequiert des méthodes pédagogiques flexi-bles, mieux adaptées à la façon d’apprendredes personnes autistes, et suppose de remet-tre en question le rôle du pédagogue et del’enseignant, et de repenser la façon d’accom-pagner les enfants et les adultes autistes dansleurs apprentissages.

Il y a 70 ans, Kanner soutenait que l’in-telligence des autistes est différente. On saitaujourd’hui qu’il avait raison, mais aussi queleur intelligence est bien réelle et qu’elle peutêtre valorisée. �

Bibliographie

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Le potentiel intellectuel des enfants autistes risquede rester sous-exprimé si l’on n’adapte pas les méthodes d’apprentissage à leur style cognitif.

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Plusieurs particularités des interac-tions sociales font partie inté-grante de l’autisme : le manque deréciprocité, qui peut donner lieuà des conversations « à sens uni-

que », et le manque de partage des émotionset d’intérêt pour les préoccupations desautres. Parfois même, on observe une absencetotale d’interactions sociales. La communi-cation non verbale se caractérise par des dif-ficultés à utiliser et comprendre le « langagedu corps » (expressions du visage, mouve-ments, contact visuel). Enfin, on constate desdifficultés à se faire des amis ou à les garderet une absence (ou quasi-absence) de partagedes jeux d’imagination. Ajoutons aussi queles autistes sont souvent rejetés, harcelés,humiliés par leurs pairs et qu’ils ne parvien-nent pas à faire reconnaître leurs qualités.

Les interactions sociales ont eu un impactessentiel sur la survie et le succès reproduc-teur de nos ancêtres. Des outils performants,qui nous permettent de détecter sur un visageou dans le timbre d’une voix des informations,telles que l’identité d’autrui ou les émotionsqu’il ressent, ont été progressivement sélec-tionnés au cours de l’évolution. Nous savonsattribuer à autrui des pensées, des buts, desopinions et les relier à l’ensemble de notreréseau de connaissances. Nous disposons demécanismes attentionnels qui orientent trèstôt l’intérêt des petits humains sur l’environ-nement social, leur permettant de poser lesfondements de leur expertise sociale ulté-rieure. Enfin, une gestion constante de notrestatut dans le groupe motive nos interactions.

L’autisme serait-il l’expression de la défail-lance d’un de ces systèmes ?

Que les particularités autistiques soient laconséquence d’un dysfonctionnement spéci-fique de ces systèmes mentaux spécialisés ouqu’elles résultent de différences plus globalesdu fonctionnement cognitif, nous devons,pour mieux comprendre les autistes, décou-vrir en quoi leurs interactions sociales diffè-rent de celles des non-autistes.

Une analyse des situationscomplexes moins efficace

Dans les années 1980, le Britannique SimonBaron-Cohen et ses collègues ont émis l’hy-pothèse que les autistes auraient des troublesde la « théorie de l’esprit», la capacité à attri-buer à autrui des pensées. Cette hypothèse aeu une influence considérable. L’impossibilitéde se représenter les pensées des autres per-mettait d’expliquer des symptômes apparem-ment éloignés, tels que les difficultés des autis-tes à comprendre les intentions du langage(ils ne sont pas sensibles à l’ironie), ou le faitqu’ils ne savent pas « faire semblant ».Plusieurs situations expérimentales ont mon-tré que les autistes devinent moins bien lespensées des autres que la moyenne.

Pourtant, certains, en particulier ceux ayantle plus haut niveau de langage, réussissent cestests, et on ne peut certainement pas dire desautistes en général qu’ils n’ont pas de théoriede l’esprit. Il reste que même les adultes autis-tes ayant un niveau intellectuel élevé analy-sent les situations sociales complexes de façon

BaudouinForgeot d’Arcest psychiatre auCentre d'excellencedes troublesenvahissants de l'Université deMontréal, CETEDUM,à l'Hôpital Rivière-des-Prairies et chercheur au Centre Fernand-Séguin,à Montréal, Canada.

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Les interactions sociales dans l’autisme

Les autistes ont un comportement social atypique :peu de relations avec autrui et, notamment, un manque de communication non verbale.

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moins spontanée et moins efficace que lesautres personnes. De plus, l’activation desrégions cérébrales impliquées dans ces pro-cessus est en moyenne moins importante chezles autistes que chez les non-autistes.

Reconnaître les visagespar les détails

Les interactions sociales mettent égalementen jeu des processus perceptifs spécialisés quinous informent sur des caractéristiques tellesque l’identité, les émotions, les comportementsadoptés par nos partenaires. Une méta-ana-lyse récente a révélé que sur 90 études analy-sées, 46 montraient des performances plusfaibles dans le traitement des visages chez lesautistes… mais 44 n’en retrouvaient pas ! Parailleurs, on sait que le traitement des visageschez les non-autistes est moins efficace si levisage est présenté à l’envers ou si la distanceentre les différentes parties du visage est modi-fiée. On a longtemps cru que ces mécanismesétaient très différents chez les autistes, parceque ces derniers reconnaissent les visagesd’après les détails. Il semble pourtant que lesprincipales caractéristiques comportementa-les du traitement des visages soient identiquesdans l’autisme. En revanche, leur mémoire desvisages, ainsi que le traitement de la région desyeux, semble moins efficace, pour des raisonsencore inconnues.

Concernant les expressions faciales émo-tionnelles, une récente étude réalisée sur denombreux adolescents n’a pas mis en évi-dence de différence majeure entre autistes

sans retard mental et non-autistes. Malgréces performances proches dans les tests, desétudes plus portées sur les mécanismes, étu-diant les mouvements des yeux, l’activitéélectrique ou métabolique du cerveau mon-trent de façon répétée des différences entreautistes et non-autistes. Par exemple, onconstate que les régions cérébrales impli-quées dans la reconnaissance des expressionsfaciales et la détection des mouvementsvivants s’activent en général moins chez lesautistes que chez les non-autistes.

Mais on ignore si ces faibles activationscérébrales sont une cause ou une conséquencedes particularités sociales des autistes. Ainsi,les processus de perception sociale font appa-raître des différences, mais pas de déficit quiserait profond et universel dans l’autisme.L’hétérogénéité des résultats est même le phé-nomène le plus constant ! Elle semble liée à lavariété des tests utilisés, à l’hétérogénéité despersonnes autistes (âge, niveau intellectuel,niveau de langage, intensité des symptômes)et aux multiples mécanismes cognitifs pouvant

• Beaucoup d’interactions sociales passent par le regard, mais les autistes regardent peu dans les yeux et utilisent moins le regard pourmoduler les interactions avec autrui et voir ce que les autres observent.

• Dans les situations sociales complexes de la vie quotidienne,même des autistes avec un haut niveau intellectuel sont en difficultépour comprendre ou réagir.

• Ils ne cherchent pas à enjoliver leur image et ne savent pas ou ne veulent pas flatter les autres.

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être impliqués. Elle laisse aussi supposer l’exis-tence de mécanismes de compensation.

La clé de l’autisme se trouverait-elle dansla façon dont les autistes s’intéressent à leurenvironnement social, qui fourmille d’indi-ces sur nos congénères, mais également d’in-formations sur le monde ? Le manque d’in-térêt pour l’environnement social esteffectivement l’un des signes les plus préco-ces de l’autisme. Alors qu’au cours du déve-loppement typique, les bébés sont fascinéspar les visages et les voix, les bébés futursautistes regardent moins les yeux, davantagela bouche et la périphérie des visages. Ils fixentplus le décor et leur attention est davantageattirée par les aspects sensoriels de l’environ-nement (textures, couleurs, mélodies) que parses aspects sociaux (sourires, regards). Lesautistes suivent moins la direction du regard.

Pourtant, en l’absence de déficience intel-lectuelle associée, les autistes savent que ladirection du regard indique là où une personneregarde. Lorsque nous observons un visage, ladirection du regard focalise notre attention.C’est le cas chez les autistes comme chez lesnon-autistes. De plus, face à un visage faisantune saccade oculaire, les réactions du cerveauchez les autistes et les non-autistes semblentsimilaires. En revanche, chez les non-autis-tes, l’activation diffère selon que le regard pré-senté est dirigé vers un objet ou un être vivantou dans le vide. Cette différence n’apparaît paschez les autistes (voir l’encadré page ci-contre).

Un « déficit en hypocrisie »

Un autre aspect de nos interactions est l’at-tention que nous portons à notre réputation.Nous sommes prêts à beaucoup d’effortspour elle. Ainsi, nous essayons de nous mon-trer sous un jour favorable en mettant enavant nos succès plutôt que nos échecs, ouencore faisons preuve de modestie ou de flat-terie selon la situation. Par exemple, lorsd’une expérience, des adolescents, autistes ounon, devaient commenter un dessin en pré-sence d’une personne. Dans certains cas, cette

personne était présentée comme l’auteur del’œuvre, dans d’autres non. Les psychologuesont constaté que le jugement de jeunes ado-lescents autistes n’était pas modifié que la per-sonne soit ou non l’artiste, alors que les ado-lescents non autistes le modifiaient, ce que lesenfants non autistes ont tendance à faire dèsl’âge de quatre ans. De même, tandis que lesgens ordinaires font en moyenne des donsplus généreux aux œuvres de charité en pré-sence de témoins, les autistes donnent lamême chose, qu’ils soient observés ou non.On pourrait presque dire qu’ils ont un « défi-cit en flatterie » et un « déficit en hypocrisie ».

Pas de flatteries

Peut-on interpréter ces résultats commeune simple insensibilité à la présence ou à l’ab-sence d’un témoin durant le test ? Ce n’est passi simple. En effet, on rapporte souvent le plai-sir que les autistes ont à montrer leurs talentsà quelqu’un plutôt que de les exercer seuls. Deplus, d’autres aspects de l’influence socialesemblent identiques chez les autistes et non-autistes. C’est ce que montre l’expérience sui-vante : le participant voit défiler pendant unedizaine de minutes une série de lettres, cha-cune étant affichée pendant 0,2 seconde. Il nedoit appuyer sur un bouton que si la lettre estun X. C’est une tâche fastidieuse et la plupartdes sujets se trompent. Mais on constate qu’enprésence d’une tierce personne dans la pièce,les participants (autistes ou non) réussissentmieux cette tâche. Cela montre que dans cer-taines situations, les autistes sont sensibles àl’influence d’autrui. On ne peut donc pasinterpréter la baisse de l’hypocrisie chez lesautistes comme le résultat d’une insensibi-lité générale à la présence d’autrui. On ignoresi les autistes ne sont pas hypocrites et ne flat-tent pas leurs interlocuteurs parce qu’ils neveulent pas ou ne savent pas le faire.

De ce tableau de la recherche sur la cogni-tion sociale dans l’autisme, difficile de tirerl’image d’un simple déficit qui expliquerait lesperturbations des interactions sociales. Tout

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Dossier

Bibliographie

C. Chevallier et al.,The social motivationtheory of autism, inTrends in CognitiveScience, à paraître. B.Forgeot et L. Mottron,Cognition in autism, inDevelopmental SocialNeuroscience andChildhood Brain Insult(Anderson &Beauchamps éditeurs),Guilford Publications,2012.S. Weigelt et al.,Faceidentity recognition inautism spectrumdisorders : A review ofbehavioral studies,in Neurosci. Biobehav.Rev., vol. 36(3),pp. 1 060-84, 2012.C. Jones et al.,A multimodal approachto emotion recognitionability in autismspectrum disorders, in J. Child Psychol.Psychiatry, vol. 52(3), pp. 275-285, 2011.K. Pelphrey et al.,Neural basis ofeye gaze processingdeficits in autism, inBrain, vol. 128(5),pp. 1038-1048,2005.

Ainsi, les processus de perception sociale font apparaître des différences, mais pas de déficit qui serait profond et universel dans l’autisme.

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Les interactions sociales dans l’autisme

d’abord, rappelons que le terme d’autisme,surtout pris au sens large, recouvre une grandevariété de situations : enfants, adolescents,adultes, avec ou sans déficience intellectuelle…Les causes, telles que les variations génétiqueset les voies biologiques impliquées, sont dif-férentes. Les associations avec d’autres condi-tions, notamment psychiatriques (anxiété,dépression, hyperactivité), influent aussi surla diversité des symptômes. Devant une tellediversité, certains ont pris l’habitude de neparler de l’autisme qu’au pluriel. Quoi qu’ilen soit, il est possible que la variété parfoisdéroutante des informations concernant lacognition sociale des autistes soit liée à lagrande hétérogénéité des personnes concer-nées. Il se pourrait que les fonctions cogniti-ves impliquées dans l’autisme varient selondifférents sous-groupes, non encore identifiés.Des facteurs tels que l’âge, le niveau intellec-tuel, le niveau de langage permettraient la miseen place de mécanismes de compensation.

Rappelons que l’autisme est défini par descaractéristiques sociales, mais aussi par desmanifestations non sociales (intérêts senso-riels, comportements répétitifs, stéréoty-pies). Les liens entre particularités socialeset non sociales sont loin d’être élucidés, et ilse pourrait qu’une partie des particularités

du fonctionnement social évoquées ici soitl’expression de différences générales de fonc-tionnement, par exemple de la perception oudes processus de décision. Ces différencesconcernent l’ensemble des facultés cognitives,pas seulement le domaine social. Et si l’on évo-que souvent les perturbations des interactionssociales chez les autistes, c’est plus en raisondes conséquences de ces perturbations sur leurvie que de leurs spécificités.

Une remarquable probité

Enfin, certains aspects du fonctionnementautistique remettent en question la notion dedéficit. On l’évoque souvent concernant laperception ou la mémoire, mais on peut éga-lement le souligner dans le domaine social.Ainsi, leur irréductible probité, l’indifférenceà leur propre réputation, une grande indépen-dance, voire une certaine naïveté, ont pu, bienavant l’avènement de la clinique psychiatri-que et des diagnostics, conduire à considérercertains autistes comme des modèles, voiredes saints. Ce n’est pas nier ou banaliser lehandicap dramatique et les souffrances sou-vent associés à l’autisme que de rappeler quele comportement social normal gagnerait parcertains aspects à être plus autistique. �

Le sujet testé doit observer uneimage de visage et appuyer sur unbouton lorsque les yeux du person-nage bougent. Parfois, les yeux bou-gent vers un objet (a), parfois, dansune direction différente (b), maisquelle que soit la condition, le sujetdoit juste presser le bouton lors-que les yeux bougent. Par imagerieIRM, on enregistre l’activité céré-brale quand le participant observeles yeux qui bougent : les activitéssont identiques entre autistes etnon-autistes (c).

On peut aussi montrer que, chezles non-autistes, certaines aires (d, àgauche) ne s’activent pas de la mêmefaçon quand le regard se dirige versun objet (a) ou dans le vide (b).Cetteimage est obtenue en faisant la dif-férence des activités dans les deux

conditions.Chez les non-autistes, enrevanche (d, à droite), il n’y a pas dedifférence de ce type. Leur cerveaune traite pas différemment un regardqui se dirige vers un objet et unregard qui fixe à côté d'un objet.

Ainsi,quand,dans une situation expé-rimentale où le sujet doit simplementindiquer quand les yeux bougent, lesnon-autistes traitent simultanémentla direction du regard, ce que lesautistes ne font pas.

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Le terme autisme désigne un largespectre de conditions pathologiques.À partir des années 1960, les travauxexpérimentaux du psychologueaméricain Bernard Rimland et le

pédopsychiatre britannique Michael Rutteront montré que l’autisme a des causes neuro-développementales et génétiques, apportantainsi un démenti à la thèse défendue par lepsychanalyste Bruno Bettelheim pour qui lecomportement des parents, et en particulierde la mère, serait à l’origine de l’autisme del’enfant. Depuis, la communauté scientifiqueinternationale reconnaît l’existence des basesbiologiques de l’autisme, et des liens étroitsentre les anomalies touchant différentes struc-tures du système nerveux central et les défi-cits cognitifs et comportementaux.

Ces déficits sont souvent regroupés en troistypes de symptômes : une altération qualita-tive des interactions sociales, un trouble de lacommunication (verbale et non verbale) et unchamp d’activités et d’intérêts restreint, sou-vent répétitif. Toutefois, cette classification estloin d’être exhaustive, car, dans la réalité, onobserve un nombre plus important de déficitset un tableau clinique complexe et hétérogène.

À côté de symptômes que l’on peut quali-fier de négatifs, les enfants autistes présententsouvent des signes positifs, tels qu’une sensi-

bilité sensorielle accrue ou des capacités per-ceptives et mnésiques exceptionnelles. Cettehypersensibilité se manifeste surtout dans ledomaine de la perception auditive : des sonssoudains ou irréguliers, des bruits aigus etcontinus peuvent être perçus comme dou-loureux. La recherche récente témoigne d’undéveloppement atypique des compétencessociales chez l’enfant autiste. Les diverses stra-tégies utilisées par les autistes pour explorerun visage, une image ou leur environnementdiffèrent des approches usuelles.

Les différentes théories de l’autisme

Ainsi, diverses études ont montré que lastratégie d’exploration visuelle des visagesgénéralement adoptée par les autistes secaractérise par un évitement du contact ocu-laire, c’est-à-dire la tendance à ne pas porterspontanément l’attention aux visages et auxyeux de leur interlocuteur. La cause de cetteanomalie du regard et plus généralement destroubles de l’interaction sociale serait undéfaut de la théorie de l’esprit, c’est-à-dire dela capacité à se représenter les pensées d’au-trui, à se mettre à sa place.

On a également montré que les autistes ontdes difficultés à percevoir les stimulus et à les

Tiziana Zallaest chercheur CNRSau Départementd’études cognitives,à l’École normalesupérieure, à Paris.

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Dossier

Les bases neurobiologiquesde l’autisme

L’imagerie cérébrale révèle diverses anomaliesneuroanatomiques et fonctionnelles qui expliquent les déficits cognitifs et comportementaux des autistes.

Les bases neurobiologiquesde l’autisme

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interpréter de façon globale, mais aussi quecertaines de leurs capacités sont supérieuresà celles des personnes ordinaires. Chez lesautistes, la perception de l’environnement estsouvent fragmentée ou orientée vers les détailsau détriment du contexte ou d’une visiond’ensemble. Selon une autre théorie, l’autismese caractérise par l’atteinte des fonctions decontrôle et de régulation de l’ensemble desprocessus cognitifs, perceptifs et moteurs.

Plus récemment, Giacomo Rizzolatti et sescollègues de l’Université de Parme, en Italie,ont proposé qu’un défaut du système de neu-rones miroirs jouerait un rôle essentiel dansl’autisme. Ces neurones, initialement identi-fiés chez le macaque, s’activent quand unindividu effectue une action spécifique ouquand il observe quelqu’un d’autre exécutercette action. Selon cette théorie, une pertur-bation du système des neurones miroirs s’ac-compagne d’une cascade de déficits, qui par-ticiperaient aux symptômes des troublesautistiques résultant des anomalies de la com-préhension des actions d’autrui, de l’imita-tion, de l’interaction sociale et de l’empathie.

Les recherches récentes ont mis en évidencedes anomalies anatomiques dans d’autresstructures du cerveau, telle que l’amygdale.Ce noyau cérébral intervient notammentdans la perception et la mémorisation des

émotions, notamment de la peur, et dans ledéveloppement des comportements sociaux.

Les sites anatomiques des perturbations

Toutefois, chez les autistes, les résultatsobtenus sont contradictoires : chez certains,l’amygdale présente un nombre notablementinférieur de neurones, mais chez d’autres, sonvolume est nettement augmenté. De même,plusieurs études d’imagerie par résonancemagnétique fonctionnelle ont montré queparfois l’activation de l’amygdale est supé-rieure à la moyenne, parfois, elle est inférieure.En fait, ces résultats confirment seulement unlien probable entre un dysfonctionnement decette structure cérébrale et l’autisme.

Un nombre important d’individus atteintsd’un trouble autistique présente également

Les bases neurobiologiques de l’autisme

• Diverses anomalies anatomiques ont été mises en évidence chez les autistes. Elles touchent notamment le cortex frontal.

• Le cortex frontal est peu connecté aux aires sensorielles, alorsqu’il existe une hyperconnectivité locale.

• Ces anomalies du câblage neuronal expliqueraient la plupart des comportements associés à l’autisme.

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des anomalies du cervelet, une structure dusystème nerveux central qui joue un rôle cru-cial dans la coordination des fonctionsmotrices ainsi que dans la modulation et l’in-tégration sensorielle. En particulier, ÉricCourchesne et ses collègues, de l’Université deCalifornie à San Diego, ont trouvé que levolume du cervelet est réduit chez des autis-tes de haut niveau ou présentant un syndromed’Asperger, que les neurones inhibiteurs sontmoins nombreux ou encore que le vermiscérébelleux, une partie du cervelet qui moduleles perceptions sensorielles, présente des ano-malies. Ces dernières expliqueraient la sensi-bilité sensorielle exacerbée observée dans laplupart des formes d’autisme.

Dans les années 1980, les neuropsycholo-gues Donald Norman et Tim Shallice ont pro-posé un modèle selon lequel le cortex frontalreprésente un système de contrôle exécutifpermettant de programmer, réguler nosactions et nos pensées. Les fonctions exécu-

tives recouvrent un ensemble complexe deprocessus incluant l’inhibition, la flexibilitécognitive, la mémoire de travail, l’initiationde l’action. La flexibilité cognitive permet dechanger de stratégie de pensée ou de raison-nement, c’est-à-dire de s’adapter à des situa-tions nouvelles et d’adopter des comporte-ments flexibles et adaptés au contexte.

Le rôle du cortex frontal

Ces fonctions exécutives jouent un rôle cen-tral dans le contrôle cognitif, la prise de déci-sion et la planification de l’action volontaire,où les intentions et les désirs de l’agent sontessentiels. De nombreuses recherches ontmontré que ces fonctions sont perturbéesquand le cortex frontal est lésé. Dans l’autisme,l’hypothèse d’un trouble des fonctions exécu-tives a été évoquée, car on avait noté des simi-litudes entre les comportements répétitifs etstéréotypés des autistes et les conduites despatients ayant des lésions du cortex frontal.

Le cortex préfrontal est relié aux régionsassociatives visuelles et auditives des régionspostérieures du cerveau – les connexions ana-tomiques réciproques sont nombreuses –ainsi qu’aux régions du système limbique,comprenant notamment l’amygdale. Les airesassociatives assurent l’intégration des infor-mations issues des aires visuelles et auditivesprimaires aux informations sensorielles etcognitives notamment. Le cortex préfrontalintègre les informations sensorielles prove-nant des différentes modalités perceptives(vue, ouïe, odorat, etc.). Il assure l’intégra-tion des informations issues des cortex asso-ciatifs, et contrôle les flux d’informationsconduisant de la perception à l’action. Undysfonctionnement de cette région ou unerupture des connexions avec les autres airescérébrales peut entraîner divers déficits, telsque des troubles du contrôle de l’action et dela pensée, de la modulation et de l’intégra-tion des perceptions, de la régulation desémotions, ainsi qu’une hyperactivité et unehypersensibilité sensorielles.

Dossier

Un dysfonctionnement du cortex préfrontal peut perturberle contrôle de l’action et de la pensée, ainsi que la régulation des émotions, et entraîner une hypersensibilité sensorielle.

( )

Des réactions émotionnelles inadaptéesChez un enfant non autiste (à gauche), l’information sensorielleest relayée vers l’amygdale et le cortex préfrontal. Ces deux airessont connectées, les interactions se faisant dans les deux sens. Chezl’enfant autiste (à droite), la connectivité entre le cortex préfrontalet l’amygdale est insuffisante. Dès lors, certaines réactions face àdes stimulus, même anodins, sont excessives et inappropriées.

Cortex visuel

1. Connectivité correcte entre l’amygdale et le cortex préfrontal.

2. Réponse émotionnelleappropriée :l’enfant sourit.

1. Connectivité insuffisante

entre l’amygdale et le cortex préfrontal.

2. Réponse inadaptée :

l’enfant anxieuxévite les contacts

sociaux.

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Cortex préfrontal

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Les bases neurobiologiques de l’autisme

De nombreuses études ont mis en évidencel’existence d’un vaste éventail de déficits ducontrôle exécutif, tels que troubles de l’atten-tion, défaut d’inhibition des stimulus nonpertinents, incapacité de découvrir une règlecachée et de l’appliquer. Ces déficits identi-fiés au cours de divers tests cognitifs expli-queraient pourquoi les personnes autistesrencontrent tant de difficultés dans la vie quo-tidienne, quand il faut réaliser, en un tempsdonné, plusieurs tâches simultanées ou dansles activités qui nécessitent de planifier et decoordonner plusieurs actions.

Par ailleurs, l’imagerie cérébrale a confirméla présence de différentes anomalies anato-miques ou fonctionnelles, localisées dans lesrégions frontales : réduction de l’activitémétabolique et de la connectivité fonction-nelle entre ces régions et les aires associativespostérieures du cerveau. En mesurant le débitsanguin cérébral, on a mis en évidence unretard de la maturation postnatale du cor-tex préfrontal chez des enfants autistes. On aégalement observé une réduction du débitsanguin dans le cortex préfrontal droit dansun groupe d’autistes adultes et chez des sujetsjeunes atteints du syndrome d’Asperger.

Des anomaliesdu développement in utero

Plus récemment, l’équipe d’É.Courchesnea trouvé un nombre de cellules neuronalessupérieur (de 67 pour cent) à la normale dansle cortex préfrontal de sept garçons autistes.Selon ces neurobiologistes, on remarque sou-vent chez les autistes un petit périmètre crâ-nien à la naissance, suivi par une augmenta-tion brusque et excessive de ce périmètrependant la première année de la vie. Unedéfaillance des processus impliqués dans larégulation de la production ou l’éliminationnormale (l’élagage) des neurones durant lafin de la grossesse et la toute petite enfanceexpliquerait une surabondance pathologiquede neurones corticaux.

Ces derniers sont fabriqués avant la nais-sance, ce qui suggère que les troubles autisti-ques s’installent in utero. Or le cortex préfron-tal est un indispensable chef d’orchestrecoordonnant l’ensemble des fonctions cogni-tives, motrices, perceptives et affectives. Enprésence d’anomalies anatomiques ou deconnexions non fonctionnelles entre les

régions frontales et les autres aires associativesdu cerveau, on observe des dysfonctionne-ments de l’activité du réseau cérébral assurantle traitement et la régulation de ces fonctions,ainsi que des troubles des cognitions sociales,des émotions et de la communication.

Par ailleurs, plusieurs études ont montréque, contrairement à un cerveau normal,celui des autistes suit une croissance atypi-que, car les régions frontales se développentplus rapidement que les autres régions céré-brales. Ces différences de vitesse de croissanceentraîneraient des anomalies de la connecti-vité neuronale à longue distance entre le cor-tex frontal et les aires postérieures.

Plusieurs aires cérébrales, notamment celles indiquées sur leschéma, présentent des anomalies de leur activité, de leur consti-tution cellulaire ou encore de leurs connexions aux autres régionsdu cerveau. Dès lors, les fonctions qu’elles assurent normalementet qui ont été résumées ici ne sont pas remplies correctement.En outre, les connexions à longue distance (flèches jaunes) sontaffaiblies, alors qu’il existe une hyperconnectivité locale (flèchesvertes).Ainsi, l’amygdale, qui traite les émotions, serait surstimu-lée : les sujets ressentent comme menaçants des stimulus anodinsde l’environnement, et cherchent à les éviter.

Les spécificités anatomiques

Cortex frontal• Raisonnement• Flexibilité cognitive• Initiation de l’action

Cortex préfrontal• Intégration des informations sensorielles• Régulation des émotions

Aire prémotriceet neurones miroirs• Compréhension des actions d’autrui• Imitation• Empathie

Cervelet• Coordination des fonctions motrices• Intégration sensorielle

Amygdale• Perception et mémorisation des émotions• Comportements sociaux

Connexions à longue distance affaiblies• Intégration des perceptions• Régulation des émotions• Contrôle de l’action

Connexions locales renforcées• Hyperexcitabilité• Hyperréactivité

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Cela renforce l’hypothèse selon laquelle unéchec des mécanismes de contrôle et d’inté-gration de l’information engendrait des ano-malies de la régulation et de la coordinationdes fonctions sensorielles, cognitives, émo-tionnelles et motrices chez les personnes ayantun trouble du spectre autistique. Les circuitsneuronaux concernés, ainsi que l’étendue decette déconnexion fonctionnelle déterminentla gravité de l’atteinte et le tableau cliniquespécifique à chaque malade. Chez l’enfantautiste, ce syndrome affecterait surtout lesrégions frontales du cerveau, ce qui explique-rait les troubles de l’attention conjointe, fonc-tion nécessaire au développement normal descapacités langagières et sociales.

Des anomalies de câblage

Récemment, Kamila et Henry Markram, del’Institut Mind Brain de l’École polytechniquede Lausanne, ont proposé un modèle neuro-biologique expliquant le syndrome autistiquepar le fait qu’au lieu d’être échangée entre airescérébrales distantes, l’information resteraitlocalisée. Selon ce modèle, fondé sur la recher-che animale, le syndrome autistique se carac-tériserait par une hyperconnectivité neuronalelocale accompagnée d’une excitabilité exces-sive de certains sous-ensembles de neurones.L’hyperréactivité neuronale produirait locale-ment un traitement et un stockage excessifs del’information. En raison d’une faible connec-tivité fonctionnelle entre ces circuits locaux etle cortex frontal, cette hyperexcitabilité seraitamplifiée, car le cortex frontal n’exercerait pasle contrôle et la régulation des activités cogni-tives qu’il assure normalement.

Dès lors, les troubles de la socialisation résul-teraient d’une physiopathologie généraliséetouchant de nombreuses fonctions cognitives,notamment les fonctions de contrôle et derégulation de l’activité cérébrale, qui sous-ten-dent l’ensemble des fonctions cognitives etaffectives. Car, contrairement à l’idée selonlaquelle les autistes n’éprouveraient pas d’émo-tions ou d’intérêt pour autrui, on saitaujourd’hui qu’ils sont capables de ressentir

des émotions et d’éprouver de l’empathie, etce bien qu’ils aient des difficultés à reconnaî-tre et à identifier les états émotionnels d’au-trui et même leurs propres émotions.

S’isoler pour se protéger

D’après le modèle proposé par l’équipe deLausanne, l’évitement oculaire et les trou-bles de l’attention conjointe résulteraient del’hyperexcitabilité du système neuronal trai-tant les stimulus émotionnels (centré surl’amygdale), et de l’échec des processus decontrôle et de régulation des émotions. Enraison de leur expérience émotionnelle accrueet de leur hyperréactivité sensorielle, les autis-tes percevraient des stimulus environnemen-taux anodins comme hostiles et menaçants.

De même, comme ils sont incapables detraiter plusieurs informations simultanémentet que leur activité cognitive est excessive, ilspourraient adopter des comportements inap-propriés et socialement inadaptés ou mettreen place des stratégies cognitives compensa-toires. Une activité sensorielle, cognitive etaffective trop intense les pousserait à s’iso-ler, à se mettre en retrait de la société et lesrendrait anxieux. Ainsi, les troubles de lasocialisation ne seraient que le reflet d’unephysiopathologie généralisée touchant denombreuses fonctions cognitives, et en par-ticulier les fonctions de contrôle et régulationde l’activité cérébrale.

La théorie d’un dysfonctionnement ducontrôle cognitif dans l’autisme, engendrépar un câblage neuronal anormal, c’est-à-direun déficit de connexions à longue distance,expliquerait les comportements répétitifs etstéréotypés, une perception sensorielleaccrue, un déficit de l’attention conjointe, unefocalisation sur les détails au détriment del’intégration globale des informations, desdifficultés à traiter les informations com-plexes, une mauvaise régulation des émotionset des troubles de l’anxiété. Les autistes fui-raient ces sensations anxiogènes en évitantles stimulus issus de l’environnement et toutparticulièrement de leurs congénères. �

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Dossier

Bibliographie

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Une activité sensorielle, cognitive et affective trop intense les pousserait à s’isoler de la société et les rendrait anxieux.

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Les troubles du spectre autistique secaractérisent par des troubles majeursde la communication sociale et dudéveloppement du langage, accom-pagnés par des intérêts restreints et

des comportements stéréotypés. Des déficitsdans ces trois domaines émergent avant l’âgede trois ans. Les nombreuses études familia-les et de jumeaux ont montré que des facteursgénétiques sont impliqués dans les troublesdu spectre autistique. On estime que si, dansune paire de jumeaux, l’un des deux estautiste, le second présente un risque de 60 à90 pour cent de l’être également s’il s’agit devrais jumeaux, contre 10 pour cent si ce sontde faux jumeaux. Par ailleurs, les troubles duspectre autistique sont associés à de nom-breuses maladies génétiques.

Ainsi, plusieurs syndromes génétiques(plus d’une centaine) sont fréquemmentidentifiés chez des patients ayant un troubledu spectre autistique, et, inversement, lespatients ayant ces syndromes ont souvent dessymptômes autistiques. Le syndrome de l’Xfragile est le plus fréquemment associé ; il secaractérise par un retard mental plus oumoins prononcé, un déficit de l’attention etde la concentration. On retrouve souvent unemutation du gène FMR1 chez les patients quiprésentent aussi un trouble du spectre autis-tique. De même, les caractéristiques cliniquesdes patients ayant un syndrome d’Angelman,souvent dû à une délétion ou une inactiva-tion de gènes localisés sur le chromosome 15hérité de la mère, ou un syndrome de Rett,dû à une mutation du gène MECP2, rappel-

lent les symptômes des personnes ayant untrouble du spectre autistique.

Les efforts réalisés ces dernières années ontpermis d’identifier de nombreux gènes confé-rant un risque élevé d’avoir un trouble duspectre autistique. Le nombre de tels gènesassociés augmente de façon exponentielle(219 gènes à ce jour), mais seuls quelques-unsseraient réellement impliqués. L’absence demarqueurs biologiques sensibles et spécifi-ques des troubles autistiques complique par-fois le diagnostic en raison des risques deconfusion avec d’autres maladies génétiques,d’autant qu’un retard mental marqué est diag-nostiqué chez environ un patient sur deux sil’on considère l’ensemble du spectre. Dès lors,on ne sait pas toujours si l’anomalie généti-que est impliquée dans le déficit intellectuelou dans l’autisme, ou dans les deux.

Mutations et variations dunombre de copies de gènes

Les premières mutations ont été identifiéesdans le gène NLGN 4X codant la protéine neu-roligine impliquée dans la synthèse de molé-cule d’adhérence synaptique. Elle participe àl’assemblage des différents éléments consti-tuant une synapse (voir l’encadré page 48).Notre équipe a identifié dans le chromo-some X de patients atteints une mutationdélétère dans le gène NLGN 4X qui produitalors une neuroligine tronquée. Dans le casque nous avons étudié, cette mutation estapparue chez une mère non atteinte, et a ététransmise à ses deux enfants, l’un ayant un

Richard Delormeest praticienhospitaliser,responsable du Centre expertautisme de hautniveau, de l’HôpitalRobert Debré,à Paris.

Marion Leboyerest professeur depsychiatrie et chef du Pôle depsychiatrie adulte desHôpitaux Mondor etChenevier à Créteil.

Thomas Bourgeronest professeur debiologie à l’UniversitéParis Diderot etdirige le Laboratoirede génétiquehumaine et fonctionscognitives del’Institut Pasteur,à Paris.

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Les causes de l’autisme, souvent très différentesd’une famille à l’autre, sont le plus souventgénétiques, mais parfois aussi environnementales.

La génétique de l’autisme

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La génétique de l’autisme

syndrome d’Asperger, l’autre un autismeassocié à une déficience intellectuelle.

Peu après, une autre équipe a identifié unemutation similaire dans une famille où plu-sieurs garçons étaient atteints. L’implicationdes protéines participant à l’architecture dessynapses dans l’apparition d’un trouble duspectre autistique a ensuite été confirmée parl’identification de plusieurs patients portantdes mutations sur le gène SHANK 3 qui codeune protéine d’échafaudage postsynaptique.La protéine codée par ce gène forme un com-plexe avec les neuroligines. Plus récemmentencore, des mutations ont été identifiées dansd’autres protéines interagissant avec ce com-plexe protéique, incluant les gènes NRXN 18et SHANK 29. Les neuroligines jouent un rôlemajeur dans l’établissement des synapses glu-tamatergiques, qui fonctionnent avec le glu-tamate, le principal neurotransmetteur exci-tateur présent dans le cerveau.

Outre les mutations, on constate d’autrestypes d’anomalies génétiques. Depuis l’avè-nement, il y a quelques années, des puces degénotypage à haut débit, capables d’identi-

fier de nombreuses variations génétiques, plu-sieurs anomalies chromosomiques ont étémises en évidence chez les personnes attein-tes d’un trouble du spectre autistique, notam-ment une variation du nombre des copies desgènes. Au lieu de porter deux copies d’unmême gène (un issu de la mère, l’autre dupère), les autistes portent parfois des copiessurnuméraires (duplication) ou une seulecopie (délétion). Les variations les plus fré-quentes sont des duplications portées par lechromosome 15 (sur le locus 15q11-q13d’origine maternelle). Quant aux délétions

• On a découvert plusieurs anomalies génétiques impliquées dans le développement de l’autisme.

• Les anomalies les plus fréquentes sont des mutations impliquant desgènes participant au fonctionnement de la synapse et à son organisation.

• La multitude des anomalies observées traduit la pluralitédes formes cliniques des troubles du spectre autistique.

En Bref

Une prédispositiongénétiqueà l’autisme a étémise en évidence :quand dans une pairede vrais jumeaux l’unest atteint d’un troubledu spectre autistique,le second a un risqueimportant de l’êtreégalement, même si la forme que prendle trouble peut êtredifférente de celle de son jumeau. M

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les plus fréquentes, elles peuvent toucherdiverses régions (2q37, 1q21, 22q11 et 22q13).Michael Wigler, du Laboratoire Cold SpringHarbor, dans l’État de New York, a été le pre-mier à identifier un excès du nombre devariations de copies de gènes (délétion ouduplication) chez des sujets issus de famil-les où un seul membre était atteint (dix pourcent), mais aussi chez des personnes issues defamilles où plusieurs membres étaient atteintsde troubles du spectre autistique (trois pourcent). Ces modifications du nombre de copiestouchent essentiellement des gènes impliquésdans le fonctionnement des synapses, et dansceux qui participent à la prolifération, lamigration et la mobilité des neurones, ainsiqu’à la signalisation interneuronale.

Une anomalie génétiquepartagée par tous ?

Existe-t-il des anomalies génétiques parta-gées par tous les patients ayant un trouble duspectre autistique ? En fait, pas plus que dansles autres maladies psychiatriques de l’enfant,on n’a mis en évidence d’anomalies généti-ques partagées par tous ces patients. A poste-riori, cela n’est guère surprenant étant donnél’hétérogénéité clinique de ces personnes.Jusqu’au début des années 2000, on a sup-posé que l’on trouverait des anomalies géné-tiques fréquentes associées à des maladies fré-quentes, jusqu’à ce que l’identification des

premières mutations rares conduise à privi-légier l’hypothèse qu’il y aurait surtout desvariants rares associés à de multiples formesrares de la maladie.

Trois études ont été réalisées sur de largescohortes de patients et de sujets contrôles. Lapremière a inclus 780 familles et un groupesupplémentaire de 1 204 personnes atteintes.On a mis en évidence un lien entre les trou-bles du spectre autistique et la région 5p14.1contenant les gènes Cadherin 9 et Cadherin 10,impliqués dans l’adhérence cellulaire. Ladeuxième, qui a inclus 1 031 familles, a mon-tré une association avec des variations de l’ADN

situé à proximité du gène Semaphorin5A18.Enfin, une troisième (1 558 patients) aretrouvé une association avec la région del’ADN incluant le gène MACROD2. Maisaucune de ces études n’a confirmé les résultatsdes deux autres. Tous ces résultats, même s’ilssemblent décevants, soulignent l’hétérogénéitégénétique des patients ayant un trouble duspectre autistique, ainsi que la difficulté à iden-tifier des gènes de vulnérabilité.

Des modèles cellulaireset animaux

Les résultats de la génétique ont montréque les gènes impliqués dans le fonctionne-ment des synapses semblent jouer un rôledans l’autisme. L’amélioration des techniquesde séquençage du génome entier devrait nouspermettre de découvrir de nouveaux gènes etles voies biologiques associées aux troublesdu spectre autistique. Toutefois, pour pro-gresser plus rapidement dans la compréhen-sion de ces troubles complexes, les chercheursattendent beaucoup de l’étude des modèlescellulaires et animaux. Ils espèrent pouvoirétudier sur des modèles cellulaires et animauxles anomalies observées chez les patients, parexemple en obtenant des souris portant lesanomalies découvertes chez les patients. Celapermettra de mieux comprendre les consé-quences des anomalies génétiques décelées,de préciser le rôle de l’environnement, voirede tester l’effet de molécules à visée thérapeu-tique. Cliniciens, neurobiologistes et généti-ciens moléculaires vont continuer à coopé-rer pour préciser les relations entre les gènes,leurs anomalies et les manifestations clini-ques chez les personnes atteintes d’un trou-ble du spectre autistique. �

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Dossier

Bibliographie

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Des anomalies de la synapseS’il n’existe pas d’anomaliegénétique unique partagéepar l’ensemble des patientsayant un trouble du spectreautistique, on constate queplusieurs des anomalies misesen évidence touchent l’archi-tecture et le fonctionnementde la synapse,qui permet nor-malement aux neurones decommuniquer.Ces anomaliesconcernent la neuroligine etla protéine SHANK 3. Ellesperturbent l’activité des neu-rones.

Neurone présynaptique

Neurone postsynaptique

Synapse

Glutamate

Neuroligine

SHANK 3

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