Aubron, L'union du sujet et de l'objet dans la connaissance chez Aristote, d'après Cajétan, 1923

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    PARIS

    GABRBL BEAUCHESNBJ?Mt~~a)M~j~7

    itOtMtU

    VOLUME 1.

    CAHIER 1

    Etudes d'histoire de ta Phitosophie

    J.'SO'CLBE~ ~.AUBRON, B. ROMByER,. J. ae TONQUDEC;

    ''

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    Archives de Phitosophierue de Rennes, t ty, PAR!S-V!

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    ARCHIVES DE PHILOSOPHIE

    VOLUME 1

    1923

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    BBtMESDEPHILOSOPHIEVOLUME1

    1923

    GABRIEL BEAUCHESNE, DITEUR

    A PARIS, RUE DE RENNES, ![7MCMXXIH

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    ARCHIVES DE PHILOSOPHIE

    En 1890, OII-Laprune crivait au dbut de son bel ouvrage

    la Philosophie et le temps prsent ( Il s'agit ici de l'avenir.

    Il s'agit de prparer, dans les dernires annes de ce sicle

    finissant, un renouveau qui fasse honneur l 'humanit.

    Chacun, si petit, si humble qu'il soit, y doit travailler. Chacun,

    par ce qu'il dit et fait, hte ou retarde en quelque chose la

    dcadence ou un regain de sant et de vigueur. Cela est,

    qu'on le sache ou non, qu'expressment on le v euille ou

    non. Il faut, le sachant et le voulant, contribuer rtablir,

    accrotre la grandeur des esprits et des mes, dans notre

    France et par elle dans le monde Ces lignes, au lendemain

    de la grande guerre, ont une force d'actualit. Programme

    trs noble et sduisant, auquel, sans prtentions et dans

    des limites videmment modestes, les Archives de Philosophie

    aspireraient contribuer. Le devoir de chacun

    aujourd'hui,n'est-il pas de travailler, sa manire et suivant ses pouvoirs,

    au relvement matriel, intellectuel et moral de notre pays ?

    Servir est toute notre ambition.

    Or, si l'on a cru un moment que les Franais se dsintres-

    seraient du labeur de ia pense pour concentrer leurs efforts

    vers une utilisation pratique de l'existence, on s'est aperu

    bientt de l'inexactitude de ces prvisions, et que l'homme

    ici-bas a besoin d'autre chose que de pain. Nous n'en voudrions

    pour tmoins que le grand nombre de Revues ou d'associa-

    tions intellectuelles cres ces dernires annes, malgr une

    chert croissante de l a vie. Les problmes de toujours ont

    continu se poser aprs la guerre comme avant, et certainsmme d'une faon plus prcise et plus pressante. Nous ne

    1. OLL-L.tpRL'E, La P hi lo so ph ie et le temps prsent, Avant-Pr opos, p. VIII.

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    A RCHIVES DE P HILOSO PHIE~2}

    citerons, par exemple, que ceux du fondement de la Morale

    ou du fondement du Droit,questions philosophiques au premier

    chef, et qui, du fait des vnements, ont pris une ralit

    pour ainsi dire tragique. On les discute dans les congrs ou

    les priodiques, on veut et on cherche des solutions, satis-

    faisantes pour resprit, sans contredire cette logique naturelle

    des choses qui donne tant de poids aux rponses fournies

    par le sens naturellement droit de l'homme. Nous sollicitons

    une humble place ct de ceux qui travaillent mettre

    au point ces problmes.Y a vait-il lieu de crer un organe nouveau? Il existe,

    en effet, chez les catholiques franais plusieurs Revues et

    Bulletins dont le but est connu et l'utilit incontestable.

    Mais ces publications gnralement exposent des rsultats,

    suggrent des ides, laissant de ct la partie documentaire,

    plus strictement technique, ou du moins ne pouvant lui

    accorder qu'une importance restreinte. Nous avons pens

    qu'insrait opportun de diriger nos efforts dans ce s ens en

    visant surtout fournir aux travailleurs des matriaux

    qu'iis~soient mme d'laborer.'Ce n'est pas dire que nous

    voulions nous borner un rle de manuvres; mais nos

    tudes constructives s'appuieront sur des recherches dontelles exposeront le dtail, sans craindre de~mettre en vidence

    les assises qui les- soutiennent. C'est indiquer que nous ne

    chercherons pas faire d'abord uvre de vulgarisation

    mme' savante.

    Les Archives renoncent prendre la f orme d'une Revue.

    Elles n'auront pas par consquent de priodicit rgulire

    et l 'on ne trouvera pas dans chacun des fascicules les rubriques

    accoutumes articles d e fond, mlanges, bulletins. Destines

    tre avant tout un instrument de travail pour un public

    dj averti, elles paratront en cahiers portant chacun sur

    une. matire unique emprunte au domaine de la philosophie

    monographies ou tudes varies autour d'un mme sujet,

    textes indits, traductions et commentaires de philosophes

    trangers anciens ou modernes, essais critiques et historiques.

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    ARCHIVES DE PHILOSOPHIE 3.>

    Un des cahiers sera consacr la bibliographie philosophique

    annuelle. Nous apporterons cet examen critique un soin

    tout particulier. Notre intention n'est pas de donner une

    liste exhaustive des ouvrages parus et de constituer un

    catalogue gnral de philosophie, mais plutt de choisir les

    principales tudes, livres ou articles de revues, qui repr-

    sentent le mouvement philosophique de l'anne, les direc-

    tions vers lesquelles paraissent s 'or ienter les ides, de les

    analyser dans le dtail, avec un souci d'objectivit qui sera

    notre premire rgle. Nous esprons ainsi rendre service nos lecteurs, en facilitant, par des recensions dveloppes

    et loyales, la partie documentaire de leurs recherches.

    Dj dans le prospectus qui annonait cette collection,

    nous avons signal quel esprit animerait nos travaux. Il

    est donc inutile d'y revenir ici longuement. Nous resterons

    fidles la tradition scolastique reprsente en premire

    ligne par saint Thomas. Le temps n'est plus o l'on considrait

    comme une chose dsute sa mthode et ses solutions. Des

    esprits indpendants s'efforcent chez nous de la remettre

    en honneur, mais.hlas! il faut bien l'avouer, aprs que d'autres

    pays nous ont mis sur la voie du retour la scolastique').

    Les belles tudes de M. Gilson ne le cdent en rien cependant

    aux savantes contributions allemandes, et tous ceux qui

    s'intressent aux problmes de la pense ne pourront qu'ap-

    plaudir son initiative rcente de crer en France une collec-

    tion d' Etudes de Philosophie mdivale ) '. C'est donc de la

    philosophia perennis que nous nous rclamons. Elle seule,

    crivait il y a trs peu d'annes M. Gonzague Truc, restitue

    le problme philosophique dans toute sa teneur, ou mme,

    plus simplement, le formule elle seule sait y descendre avec

    assez de profondeur pour en profiter; elle seule enfin, par son

    entente de la dduction et sa longue pratique des principes

    de la connaissance, tire de l'esprit tout le fruit qu'on en peutesprer. En l'abandonnant dans une sorte d'ivresse physique,

    tout la joie de ses conqutes sur la matire et dans son culte

    du fait et de l'induction, le monde moderne s'est laborieuse-

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    ARCHIVES DE PHILOSOPHIE4[4.

    ment achemin vers l'ignorance. Il a compromis le gain de

    longs sicles de mditation. Il a failli oublier que le destin

    de l'homme n'est pas dans l'usage de l'immdiat et du sensible,

    mais dans la qute dsintresse d'un idal qu'on ne saurait

    mme dfinir~. Et l 'crivain concluait Il est ncessaire

    de retourner la scolastique pour une restauration de l'es- v

    prit

    Pourtant nous voulons rester dgags de tout exclusi-

    visme et de tout parti pris d'cole, prenant le bien de la

    philosophie, c'est--dire la vrit, en quelque lieu qu'ellese trouve, uniquement proccups de la faire mieux connatre

    et mieux aimer, o qu'elle soit. Aussi nous efforcerons-

    nous de faire profiter cet apport d'ternelle vrit que nous

    ont transmis les gnrations prcdentes, des prcieuses

    dcouvertes ralises dans les temps modernes. N'est-ce pas

    du reste respecter ainsi le sens de la tradition qui ne dit pas

    du tout stagnation et mort, mais ne se comprend que dans

    le progrs. Ainsi que l'crivait Lon XIII Equidem neces-

    sum nedum opportunum esse duximus, ea (philosophiae

    studia) recte et ordine dispertita sic tradi alumnis, ut quic-

    quid veterum sapientia tulit et sedula recentiorum industria,

    eos sint paritura fructus qui religioni pariter et civili societati

    proticiant Ce que le Pontife disait de l'enseignement

    vaut plus forte raison de travaux de spcialistes et d'rudits.

    Nous dsirons aussi faire uvre sereine et impartiale,

    cherchant le terrain qui unit plutt que celui qui divise.

    Notre ligne de conduite sera d'viter les polmiques qui

    irritent et gnent le labeur srieux. Les ides justes et saines

    ne rclament pour leur dfense ni attaques dsobligeantes

    ni outrance de paroles. Veritatem jfacten~s in capitale ce

    sera l notre devise, et, s 'i l 'en tait qui voulussent nous

    entraner dans des querelles de partis, nous les supplierionsde nous laisser travailler.

    1. GoxzAGUE TRUC. Le retour la scolastique, Paris, La Renaissance du

    livre, 19 19 , p. 161.

    2..Mem, p. 162.

    LEo~ xm. L ettre au Cardinal de Malines, 8 novembre 1889.

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    Nos lecteurs, nous l'esprons, seront nos amis. Nous ne

    savons que trop que nous n'atteindrons pas du premier coup

    la perfection. Ils nous pardonneront des ttonnements

    invitables, nous aideront de leurs conseils et c'est, en somme,

    guids et encourags par eux, que nous mettrons ainsi nos

    forces, dans notre sphre modeste, au service de la Vrit.

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    POUR INTERPRTER PLATON

    On n'a gure l'habitude d 'u til iser les le tt res platoniciennes:

    pour interprter la doctrine du philosophe athnien. Ceci se com-

    prenait jadisau

    tempso une

    critique radicale, rayant pour les

    moti fs les plus fragiles de sentiment ou d e soi-disant convenance

    une partie notable du corpus pZa

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    Joseph SOUILH. POUR INTERPRTER PLATONF] 7

    de gnie pour s'approprier ce point la langue du philosophe,les

    tours de phrase et jusqu' ces minuties de st yl e qu 'u n long contact

    avec l'crivain rendra seuls familiers, presque impossibles dureste

    reproduire, bref un e nsemble d'indices rvle l'identit de l'auteur

    des Dialogues et de l'auteur de certaines lettres Ces dernires,

    sans doute, ne portent pas toutes le mme cachet d'authenticit

    et les critiques ne leur attribuent pas indiffremment la mme

    valeur. Ils sont plutt rares ceux qui, avec Blass, Meyer, Raeder,

    acceptent dans sa totalit cette uvre pistolaire, sauf expri-

    mer quelque hsitation au sujet de la premire lettre. La plupart

    de ceuxqui

    ont fait du t exte un examen attentif croient devoir

    restreindre le nombre des ptres qui portent vraiment le cachet

    de leur auteur prsum ainsi Ritter les rejette toutes, hormis

    la 3e, la 7e (au moins substantiellement) et la 8e

    Au reste, les discussions sur l 'ensemble de cette correspondance

    nous intressent moins pour l'instant nous bornerons nos recherches

    1. A propos des indices internes, je donne au h asard un exemple emprunte la septime lettre je ne me souviens pas l'avoir vu signal dans les tudes

    que j'ai pu consulter, s ur l a question d'authenticit. Nous en trouverons du reste

    encore d'autres au cours de ce travail. On c onnat dans le fo/i~ue tout le

    passage sur la mesure, digression importante pour justifier la longueur de certains cr it s et expliquer en quoi consiste le point de perfection (le f~TOMtt). Or, la tin de la septime let tre, Pla ton, comme pour s' ex cu se r d 'a vo ir t si prolixe,fait mention de la juste mesure. H rappelle qu'il n'y a pas d'excs, s'il a russi

    par ses explications, convaincre se cf'

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    8 A RCHIV ES DE P HI LOSOPH IE r.8] l'une de ces lettres, la septime, la plus longue et la plus impor-

    tante, qui, par une heureuse chance, ~ouve gnralement grce

    aux yeux des rudits modernes: elle est notre source principale

    pour la c onnaissance de la vie de Platon, car Plutarque y a puis

    la plupart de ses rfrences. Rudolf Adam, plutt svr e dans son

    triage, n'hsite pas dfendre contre les objections de Wendiand

    l'authenticit de cette lettre tmoignages externes, merveilleuse

    affinit de style avec la langue des derniers Dialogues, se manifes-

    tant jusque par cette re~undan~a verborum, cette construction

    pnible des priodes, cet usage de tours qui la datent aussi bien que

    les vnementsrapports,

    tel s sont les t it resexceptionnels

    faire

    valoir en sa faveur'. Ritter reconnat galement la justesse de ces

    remarques. Toutefois, il rejette sans hsiter un passage capital,

    le seul passage philosophique, sous prtexte que le morceau trouble

    l'ordonnance de l'crit et nuit . son homognit. L'interpola-

    tion est pour lui vidente et il l'attribue quelque acadmicien

    qui aurait voulu complter la justification de l'attitude politique

    de son matre, expose dans la lettre, par une justification du sys-

    tme philosophique. Pourtant, ajoute-t-il, il faut reconnatre que,

    par ses caractres linguistiques, cet extrait ne peut se distinguer

    de l'ensemble Mais Taylor, dans un article du M:n~, rpond

    lumineusement ces objections et montre, par une analyse serre

    du texte, comment le passage incrimin est troitement soud

    au reste de l a l ettre. Si on l'en_ retranche, il subsiste une lacune

    qu'il s 'agit d 'expliquer Je ne veux pas reproduire la discussion

    trs fine du critique anglais, mais, aprs une tude attentive de

    toute la question, je souscris pleinement l'observat ion fort sense

    du dernier historien anglais de la philosophie grecque, l'diteur de

    Platon, John Burnet cette observation; qui vise l'ensemble des

    lettres, se vrifie particulirement pour la septime si les lettres

    sont des faux, elles sont du moins l'oeuvre d'un crivain sobre et

    bien inform et son emploi du dialecte attique prouve qu'il a t

    le contemporain de Platon. Il et t impossible de trouver quel-

    qu'un, cinquante ans plus tard, qui pt manier cette langue comme

    1.U'c/if'u /Nr G

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    Joseph SOL'ILHE. P.)L'!< [Xt'HRPRTEH Pi.T.)X[9! 9

    il le fai t. Mme les plus anciens des Dialogues inauthentiques,

    ceux qui ont eu le plus de succs, se trahissent tout endroit.

    Nous pouvons ajouter encore que le faussaire suppos doit avoir

    t nn homme d'une habilet littraire sans prcdent, sinon il

    n'aurait pu reproduire tant de particularits insignif iantes qui

    caractrisent le style de Platon, l 'poque prcise de sa vie o

    les lettres sont censes avoir t crites, mais avec ces nuances

    que suppose le style pistolaire, di ffrent d'une 'uvre li ttrai re-

    ment plus travaille o

    Je crois donc pouvoir m'appuyer lgitimement sur la lettre en-

    tire, etd'aprs elle, essayer

    de formuler unprincipe d'interprta-

    tion des Dialogues. Les remarques que je serai amen faire au

    cours de cette tude contribueront aussi confirmer la thse de

    l'authenticit.

    =!=

    Quelques annes sans doute aprs la mort de Dion (en 353),

    tomb sous les coups d'un assassin, victime de s on amour pour la

    patrie, Platon rpond aux parents et amis du noble syracusain

    qui l'ont engag s 'associer leurs efforts et ont soll ic it ses consei ls

    confident intime, inspirateur peut-tre des projets de Dion, n'est-

    il pas le mieux qualifi pour faire r evivre la pense du prince sage

    et gnreux qui avai t rv la l ibert de la Sic ile . II est clair que dans

    l'esprit de s on auteur cette lettre est une apologie apologie du

    disciple et de l' ami aux qualits exquises d'intelligence et de cur,

    dveloppes par l 'amour de la vritable philosophie, apologie du

    matr e dont l'enseignement contribua la formation de cette

    me d'lite et qu'il ne faut pas rendre responsable des mauvais

    rsultats constats au contraire chez le tyran de Syracuse, Denys

    A un malade dont le rgime est funeste la sant, le mdecin doit

    prescrire d'abord de modifier son genre de vie. Si le malade obit,

    il lui continuera ses soins mais, s'il rsiste, il est du devoir d'un

    mdecin digne de ce nom de se refuser une telle consultation

    celui qui resterait serait mon gr un lche et un maladroit' .

    Or tel le fut prcisment la conduite du philosophe l'gard du

    tyran apologie d'Athnes sur qui pourrait rejaill ir en partie la

    1. Ut/RXK'r. (frt't'A'/)~

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    10 ARCHIVES DE PHILOSOPHIE [101

    honte du meurtre de Dion ce furent des Athniens qui, oublieux

    d'une amiti ne de l'hospitalit reue, d'une rencontre dans les

    thtres et devant les autels, trahirent leur hte aux prises avec

    l'infortune, en venant les armes la main exciter et encourager

    les meurtriers. . Puisqu'on rejette sur l es Athniens la responsabi-

    l it de ce crime abominable, je dois les dfendr e. Ce fut galement

    un Athnien, je le proclame, qui refusa d'abandonner Dion, quo

    qu'on lui o ffrt des h onneurs et des richesses c'est que leur amiti

    n'tait pas une amiti vulgaire, mais fonde sur une commune

    ducation librale seule cette union mrite la confiance du sage,

    plus que toutes les sympathies du cur ou t ous les liens du sang.

    Aussi les assassins de Dion ne sauraient imprimer leur honte

    notre cit ils comptent trop peu pour cela )).

    Tel est au fond le but de ce tte le ttre. Elle nous renseigne sur les

    divers voyages en Sicile que Platon entreprit, sur sa tentative

    malheureuse pour diriger le tyran dans les voies de la justice.

    Une premire fois, c'tait au temps de Denys l'ancien, scandalise

    par ce luxe intemprant, cette course au plaisir, cette prodigalit

    d'or et d'argent qui emportait follement Syracuse, nerve par la

    mollesse de son ciel et grise par les raffinements de la volupt,

    le philosophe dsespra de r endre ce royaume la paix et la stabi-

    lit des Etats bien gouverns Ncessairement de telles cit&

    doivent passer par toutes les for mes du pouvoir, tyrannie, oligarchie,

    dmocratie, sans repos, ni trve, ceux qui sont la t te ne pouvantseulement supporter le nom d'un gouvernement fond sur la justice

    et l'galit~ Une intimit trs troite s'tablit ds lors entre

    Platon et le proche parent du prince syracusain, Dion. Ce dernier

    avait accueilli avec avidit les enseignements du ma tre a thnien

    et dcida de vivre dsormais autrement que la plupart des Italiens

    et des Syracusains, mettant la vertu bien au-dessus des plaisirs

    et de la mollesse 3 . S on ascendant sur le fils de Denys l'Ancien

    lui permit, quelques annes plus tard, de rappeler la cour sicilienne

    celui qui avait dj sem le germe d'une transformation morale

    et politique. Ce retour tait d'autant plus dsir que le jeune Denys

    paraissait mieux dispos que son .pre couter les leons du philo-

    sophe tranger. Mais le second voyage de Platon ne fut pas plus.

    1. Ep;s/. VU, 333 E, 334 A.2 /6M., 32H I).3. /&M., 327 B.

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    Joseph SOUILH. POUR INTERPRTER PI.ATOXtiH n

    heureux que le premier. Le vieux parti conservateur, jaloux de-

    reprendre l'influence perdue depuis la mort de Denys l'Ancien,

    ourdissait habilement troubles et agitations autour du nouveau

    souverain, calomniait Dion et s'efforait de le discrditer dans

    l'esprit du prince. Ses efforts aboutirent enfin, et, quatre mois

    environ aprs l'arrive de Platon, Dion devait prendre le chemin

    de l'exil. Dsillusionn, le philosophe voulut rejoindre son ami.

    Moiti par vanit, moiti par intrt, Denys tenta d'abord de le

    retenir, puis consentit son dpart en l ui faisant toutefois pro-

    mettre un prochain retour. De son ct, il s'engageait rappeler

    en mme temps l'exil. Mais, lorsqu' l 'poque convenue, le tyran

    sollicita Platon de regagner la Sicile, il manda aussi Dion de

    retarder sa v enue. Outr d'un tel manque de parole, Platon ne

    voulut pas consentir ce nouveau voyage. On le pressait pourtant

    de toutes parts, Dion joignait ses prires celles de Denys et de

    plusieurs autres Siciliens, dsireux de revoir et d'entendre encore

    le philosophe alors dans toute la force de son talent. Dion esprait

    que son ami prparerait les voies sa rentre dans la patrie. Et

    puis ne disait-on pas que Denys s'tait pris d'un merveilleux

    amour pour la phi losophie ? Il discutait les doctrines platoniciennes,

    se montrait dsireux de les approfondir. Qu'y avait-il de v rai ?

    Vaincu par toutes ces sollicitations, Platon se d cida se rendre

    compte par lui-mme.

    C'est ici que se place le passage qui nous intresse plus spciale-ment. Je l'analyserai d'abord dans le dtail avant d'en dgager

    les conclusions qui me paraissent s'imposer. On m'excusera d'in-

    tercaler entre crochets quelques commentaires explicatifs de la

    pense ou de la suite des ides parfois difficiles saisir.

    Pour prouver une me et juger de son aptitude l'acquisition

    de la vraie philosophie, il ex is te une mthode souveraine qui con-

    siste montrer sans doute la grandeur et l a beaut de c ette science,

    mais aussi sa difficult, le labeur qu'elle impose, l'austrit de vie

    qu'elle

    rclame. Un guide est ncessaire, mais il ne suffitpasil faut encore le feu sacr, l'enthousiasme qui entrane le disciple

    devancer mme son matre (340 C). Telles sont les dispositions

    de celui qui en toute circonstance vit en sage, s'exerant chaque

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    ARCHIVES DE PHILOSOPHIE [12]12

    jour au rgime le plus apte dvelopper l'activit de son esprit,

    de sa mmoire, de sa puissance de raisonnement. Bien vite ceux

    qui se contentent d'opinions superficielles (86~~ 8' sTrm~pMcu.e~o!.)se dcouragent devant l'immensit de la tche, ou bien se persuadent

    qu'ils sont suffisamment instruits, que tout exercice leur est dsor-

    mais inutile. Voil l'preuve la plus efficace pour apprcier la nature

    d'un homme et constater la ralit ou le caractre illusoire de ses

    attraits philosophiques. Tel fut aussi le procd utilis par Platon

    l'gard de Denys. Il ne tarda gure produire ses r sultats. Le

    tyran appartenait la catgorie de ceux qui s'imaginent eh savoir

    dj trs long aprs quelques entretiens. On prtend mme qu'il

    avait rdig et publi desnotes sur l'enseignement reu. Qu'avait-

    il pu comprendre? Le matre n'avait pas donn une exposition

    complte de sa doctrine et c e n'est pas du reste ce que le disciple

    rclamait (~x'~x u-ev o5v oSr' Ey~ StE~p.Qov oS~E &o'/o!.0!; eSE~TO 341 B).

    Denys avait sans doute imit ces lves presss d'taler leurs

    connaissances et qui pourtant ne s'entendent pas eux-mmes.

    .Je puis affirmer, ajoute Platon, que, de tous ces auteurs passsou futurs feignant une comptence en ces matires qui sont l'objet

    de mes efforts les plus srieux (rapt Sv eyo) mrouSx~M), pour les avoir

    apprises de ma bouche ou par d'aut res ou les avoir dcouvertes

    eux-mmes, i l n'en est pas un, mon avis, qui en puisse connatre

    quoi que ce soit. De moi, il n'existe du moins et il n'y aura

    jamaisaucun

    ouvragede ce

    genre.Cette

    science,en

    effet,ne

    peutnullement s'exprimer l a m anire des autres (p7)Tv Y;xp ouSxp.~

    sT~

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    [1~] Joseph SOUILH. POUR INTERPRTER PLATON 13

    lite capable de dcouvrir par elle-mme la vrit l'aide de quelque

    dmonstration. Quant aux autres, on les remplirait ou bien d 'un

    injuste mpris, ce qui est inconvenant, ou bien d'une vaine et sotte

    suffisance par la sublimi t des enseignements reus.)) (341 B. C. D. E.)

    C'est l une ide chre que Platon va s'attacher pleinement

    expliquer pour prvenir tout malentendu, au risque mme de briser

    l'unit de l a lettre. Digression, dira-t-on, qui se rattache mal au

    reste du texte. Digression ? D'accord, et il n'y a pas l de quoi

    dconcerter quiconque est tant soit peu familiaris avec les Dialogues.

    Digression qui se soude maladroitement l'ensemble de la lettre?

    Uneanalyse

    serrede tout le morceau permettra d'en juger.

    Pourquoi toute tentative d'crire sur la science, comprise au

    sens platonicien du terme, doit-elle ncessairement aboutir une

    incapacit ? Pourquoi la vrit refuse-t -el le de se lai sser emprisonner

    dans la gangue des mots ? C'est ce que l'auteur s 'a ttarde dmontrer

    en ne craignant pas de rompre le f il d e s on discours et en reprenant

    le langage technique des Dialogues, invi table ici .

    Toute connaissance se t raduit par des noms (~o~x), com-

    prend des dfinitions (~o:), uti li se des images (-;SMAo-~). La

    science ou l'opinion ( la o~x) se sert de ces intermdiaires pour

    exprimer par eux la ralit, distincte de ces lments et qui

    forme dans l'chelle du savoir comme le degr suprme. Un

    exemple clairera la thorie. Le mot xjxio; dsigne un certain

    objet, voil l'~o;

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    AR CHIVE S DE PHILOS OP HIE [14J~4

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    Joseph SOL'ILH. POUR IXTEUPRTEH PLATOX[15j 15

    lents de F Ide qui doit ncessairement se matrialiser pour se commu-

    niquer, ou des excitants de la pense (~xp~x).-f~xx --

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    ARCHIVES DE PHILOSOPHIE [16]16

    donc pouvoir retoucher et corriger sans cesse son langage que

    l'criture fixe et rend par consquent inexact'.]

    Mille motifs manifestent donc cette incertitude des lments

    utiliss pour l'expression de la vrit, mais le principal est encore

    cette distinction signale plus haut entre l'essence et la qualit:

    quand l'me cherche connatre non plus la qualit, mais ce qui

    est (o'jT6m)~-L,T6oE-~), chacun de ces lments lui prsente

    dans les formules ou -dans les images employes ce qu'elle ne cherche

    pas, [c'est--dire, sans doute, le ~o!ov, car les mots, les reprsen-

    tations, les constructions du monde sensible ne peuvent gure

    traduire que du particulier et du sensible, et sont de simples

    approximations du rel en soi] ce qui est dit, ce qui est montr

    reste donc soumis toutes les contradictions des sens, conduit

    des impasses, remplit d'obscurit. Aussi dans ces matires o la

    mauvaise ducation produit une sorte d' insouciance d'about ir

    au vrai et o on se contente des premires images venues, on ne

    voit pas le ridicule de ces discussions o sont rejets et rfuts

    tour tour termes employs, dfinitions, images, opinions mises

    Mais s 'il fau t rpondre par le cinquime lment, s'il faut mettre

    en vidence l'tre, l'Ide, n' importe quel habile dialecticien pourra

    facilement persuader que celui qui s'efforce ainsi d'exprimer la

    vrit en paroles ou dans des crits, ne sait pas le premier mot de

    ce qu'il expose, et l 'on ignorera que ce qui est rfut, ce n'est pas

    l'me de l'crivain ou de l'orateur, mais seulementla nature im-

    parfaite des intermdiaires qui revtent la pense.

    La science, et c'est la conclusion de Platon, n'est pas une chose

    facile. El le suppose deux conditions l'aptitude intellectuelle,

    grce laquelle l' esprit pourra se servir de ces intermdiaires par

    1. Voici, mon avis, quelle est dans tout ce passage la suite des ides. Il

    s'agit de montrer pourquoi la pense ne se laisse pas exprimer adquatement.10 Le 'premier motif est expos d'une faon trs gnrale la page 342 B, parla distinction des lments et par l'affirmation que seule l 'Ide est immuabletout le reste est changeant. 2" Puis vient le second motif ~po? -y&p Touro~en outre. 342 E. On explique ici comment le plus souvent c'est le n~~ quel'(m traduit plutt que 1' 3" Enfin Platon revient sur la premire raison

    pour la dvelopper d'une faon plus explicite rou-ro ~E n-z).~ etS To ~?~ ~E'/ov~M f/xSE~ 343 A, et i l insiste alors sur la manire dont se modifient les noms,les dnnit'ons, les ralits sensibles.

    2. N'est-ce pas prcisment tout l'art de la sophistique et sa raison d'tre?

    Les sophistes ne prtendent pas arriver l'expression de la vrit c'est rverl'impossible. Leur science se bornera donc discuter pour discuter. La caractris-

    tique du sophiste est de contredire et de contredire sur des apparences il n 'a

    pas la science. Voir le dialogue le .SnpMs/< 232 B 267 B-268 D.

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    [17] Joseph SOUILH. POUR INTERPRTER PLATON 17

    2

    o il doit passer, et la dignit de la v ie. L'me ne contemple le vrai

    que si e lle a une affini t avec lui, ce qui suppose en elle la puret

    de l'intelligence et la puret des murs. La premire sans la seconde

    ne suffit pas, car jamais ceux dont la nature n'est ni juste ni bonne

    ne pourront comprendre la justice et la beaut. Mais de mme

    cette droiture morale sans l'acuit de l'esprit ne rendra pas par elle

    seule capable de connatre la vrit sur le v ice et la v ertu Or,

    c'est par un exercice assidu e t constant que cette acuit de l'esprit

    s'affinera, c'est par la confrontation des mots, des dfinitions,

    des reprsentations sensibles, par une dia lectique sage et srieuse,

    sachant peser le pour et le contre, que l'me se disposera voiralors, soudain, brillera en elle cette lumire du '~o3.; avec toute

    l'intensit permise une nature humaine. On comprend ds lors

    que tout homme avis se gardera bien de l ivrer par crit sa pense

    l'envie et l'incomprhension du vulgaire. Et quand on rencontre

    un livre soit d'un lgislateur sur les lois, soit de tout autre sur

    n'importe quel sujet, il faut croi re que cet ouvrage n'est pas trs

    srieux, si l 'auteur lui-mme l'est, et il faut penser que le contenu

    en reste enferm dans la partie la plus prcieuse de l'crivain

    [dans son intelligence]. Que si rellement il avait confi des

    caractres ses i des comme des choses d'une grande valeur et d'une

    grande importance, i l faudrait alors supposer que, non pas les dieux,

    mais les mortels lui ont fait perdre le sens.

    De cette analyse dtaille, que conclurons- nous au sujet de la

    doctrine platonicienne telle que nousla connaissonsparles Dialogues?

    1. La thorie des Ides n'est nullement abandonne et on ne

    trouve aucune trace des restrictions ou des modifications que

    supposent certains critiques. Cette lettre est contemporaine des

    tout derniers Dialogues, elle est crite vers l'poque o le philo-

    sophe travaillai t l es Lois, au dclin de s a vie, et el le aff irme l' exis-

    tence des Ides avec la mme conviction que le Phdon ou l e Cratyle

    et en des termes presque identiques. Dans tout ce passage dont

    nous avons voulureproduire

    les moindres dtails, l 'auteur insiste

    sur la distinction des cinq lments le nom, la dfinition,, compose

    1. Ces deux conditions sont galement exposer dans les Dialogues. Voir,par exemple, .R

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    18 ARCHIVES DE PHILOSOPHIE [18]

    de noms, l'image ou l'objet sensible, la connaissance que l'on peut

    avoir et la ralit laquelle tout cela se rapporte selon des degrs

    plus ou moins loigns. De l'tre immuable, la science ou l'intelli-

    gence se rapproche davantage, mais ne se confond pas avec lui

    l 'Ide est autre que l'esprit, elle est la forme qui rend possible la

    pense, mais elle n 'est pas la pense Comment se ralise la partici-

    pation du sensible ces formes? La question n'est pas examine

    ici, mais uniquement l'existence distincte de ces dernires. Un

    exemple emprunt aux mathmatiques, celui du cercle, rend concrte

    la doctrine. Il faut toutefois r emarquer que la t horie des Ides

    n'estpas

    restreinte auxmathmatiques

    ou certainescatgories

    d'objets. Platon le note expressment, on doit appliquer l'exemple

    tout, aux figures, aux couleurs, aux qualits morales: bont,

    justice, aux objets naturels feu, eau. mme aux objets artificiels.

    De tout cela il y a donc Ide . Aussi, je ne vois pas .comment M. Bur-

    net, qui admet l'authenticit de la lettre et sans aucune amputa-

    tion que je sache, peut soutenir que Platon a restreint le systme

    des formes aux xo~di. du Thtte, c'est--dire aux catgories

    intellectuelles (ressemblance et dissemblance, unit et multitude,

    repos et mouvement). Si dans le Time, ajoute le critique anglais,

    i l est question des formes du feu ou des autres lments, c'est que

    le personnage principal du Dialogue est un pythagoricien or la

    doctrine des Ides, telle qu'on la conoit ordinairement, est d'origine

    pythagoricienne et socratique Mais, dans la septime lettre, le

    personnage principal est Platon et la thorie est identique celle

    que l'on veut attribuer ses prdcesseurs.

    Nous trouverons encore dans ce passage l'affirmat ion trs nette

    de l'existence d'Ides r elatives aux objets artificiels aussi bien

    qu'aux objets naturels (.icEpi. Ct&jjLO.iro:; o~o~'co~ sxeuoKrrou -cexx). x'x.T& (poLV

    Ys.Y~~=- 342 D). Or on connait la critique d'Aristote reprochant

    Platon de n'avoir pas t logique avec lui-mme en refusant de

    reconnatre une Ide pour les choses arti fic ie lles. Les objections

    d'Aris to te font le dsespoir des commentateurs, car les Dialogues,

    d'accord en cela avec la lettre, font mention de ces sortes d 'Ides.

    Aussi entreprend-on de la pense du Stagirite des exgses subtiles.

    Celle

    qui

    rencontre encore le plus de faveur consiste dire

    quePlaton aurait modifi 'sa doctrine dans la dernire partie de sa

    1. 342, c.2. BuRNET, GreeA- P/iHosopTiy, p. 257,

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    Joseph SOUILH. POUR tXTERPRTER PLATON'[19J 19

    vie et l 'aurait transforme en renonant d'attribuer une Ide

    ces objets fabriqus par la main de l'homme. Cet te lettre, on le voit,

    s'oppose pareille interprtation, car e lle appartient prcisment

    cette priode de la vie du philosophe o l'on veut voir un change-

    ment de conception. Evidemment, je ne puis songer ici essayer

    une critique des t extes aristotliciens ce serait dpasser mon

    but, mais il m'a paru bon simplement d 'a tt irer l' at tention sur l 'insuf-

    fisance d'une opinion gnralement rpandue et que la lettre pla-

    tonicienne ne favorise gure

    2. Un autre point important concerne la manire mme dont

    il faut comprendre les Dialogues et ce qu'on y doit cher cher. Re-

    jetant toute responsabilit de ces crits qui courent sous le nom de

    Denys ou d'autres et prtendent exposer la doctrine de Platon,

    l'auteur de l a lettre s'explique nettement ce sujet e t ne crain t

    pas de dvelopper dans le dtail son point de vue il n'a jamais

    publi et ne publiera jamais d'ouvrage d'un caractre propre-

    ment scientifique, e t la grande raison, c'est que ce n'est pas possible.

    L'Ide, la Vrit que l'me seule peut saisir, s'adapte mal au re-

    vtement extrieur du langage et ne se laisse pas fixer par l'criture.

    Voil bien, dit Ritter, un indice de l'inauthenticit du passage.

    Tout le morceau est certainement une justification faite par un

    disciple maladroit du systme philosophique de son matre. Il

    fallait venger ce d ernier des reproches provenant de l'entouragede Denys. Le mieux eut t d'exposer simplement la doctrine.

    Mais celui qui avait entrepris la dfense de Platon n'tait pas de

    taille l e fair e. Aussi n'eut-il qu'une ressource, c'est de dire aux

    critiques vous ne comprenez seulement pas celui que vous discutez.

    On ne peut, en effet, rien enseigner ni rien crire sur les premiers

    principes, et, de fait, Platon ne l'a pas fait l'attaquer l-dessus

    prouve que l'on n'a pas saisi le premier mot de la question. Le

    matre, ajoute Ritter, n'aurait certainement pas t flatt de cette

    idoltrie de sa propre personne et n'aurait pas approuv cette

    faon un peu sceptique d'luder des difficults srieuses Est-ce

    bien sr? Je crois, au contraire, que tout le morceau ref lte la

    conviction la plus int ime de Platon.

    Pour le montrer, il n'y a qu' le comparer un passage bien connu

    1. On t rouvera un rsum clair et dtaill de la discussion dans Roaix, la'.Thorie platonicienne des Ides et des Nombres d'aprs Aristote, p. 174 et sqq.

    2. RITTER, -Ph!/os Gesetze, p. 374 et sqq.

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    20 ARCHIVES DE PHILOSOPHIE' [20~

    de Phdre dont cette septime lettre est un cho. L aussi le philo-

    sophe insiste sur l'insuffisance de l'criture ou d e la peinture, en

    un mot de toute expression sensible de la ralit Celui qui pense

    communiquer un art au moyen de caractres et de mme celui

    qui croit puiser dans ,des crits une science claire et ferme (

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    Joseph SOUILH. POUR INTERPRTER PLATON 21

    dfinitions, schmes sont inadquats reproduire la simplicit,

    la clart, l'unit de l'essence. Mais ces dveloppements n'ont pas

    de quoi nous surprendre et il n'est r ien que nous ne retrouvions

    dans les Dialogues. Un lecteur du Cratyle reconnatra facilement

    tout un courant de penses spcialement cher Platon. Il n otera

    avec quelle insistance le philosophe rappelle que, dans toute imi ta-

    tion, toute image (et le nom n'est que cela), il y a une dficience

    par rapport la ral it (432 B. C. D. E.). Ne cr oyons pas nous

    assimiler la science au moyen du langage il entre d'abord dans

    les mots une part incontestable de convention (435), mais, de plus,

    ce qu'ils contiennent de similitude naturelle avec les objets a t

    tabli par les crateurs mmes du langage. Or les dterminations de

    ces derniers sont bases sur des hypothses cosmogoniques et des

    hypothses diffr entes. Aussi tantt les noms imitent-ils le flux per-

    ptuel des choses, tantt sont-ils caractriss par un lment essentiel

    de stabilit, suivant qu'une thorie hraclitenne du devenir ou

    une doctrine de la permanence sont l'origine de leur formation

    (436 D, E-437 A, B,C). Comment donc, au milieu de c es incertitudes,

    se fier pleinement eux pour atteindre la vrit ? (438 D.) Sans

    doute ce dialogue polmique est une protestation contre une mthode

    en faveur dans certains cercles sophistiques plus ou moins infods

    l'hraclitisme et dont Cratyle est ici le reprsentant, mthode

    consistant s'en tenir aux mots dans les discussions, en ngligeant

    la rflexion et lacontemplation

    directe de la r alit. Maisn'y

    a-t-il pas galement l'aveu de cette conviction intime, encore

    accentue dans la septime lettre, que jamais ce que l'me voit

    d'une vision nette et parfaitement pure ne saura se traduire

    extrieurement, car toute expression sensible, quelle qu'elle soit,

    est d'une aut re nature que l'Ide.

    Tout ceci nous amne poser une question intressante et

    nous demander ce qu'il faut donc chercher dans les crits plato-

    niciens. Une science toute faite qui permette de reconstituer le

    rel, ou une synthse totale ayant la prtention de r vler ce qui

    est, en un mot, une philosophie au sens d'Aristote et, aprs lui,

    d'un grand nombre de penseurs et de constructeurs de systmes ?

    Nullement. On s'garerait vouloir ramasser en formules rigoureuses

    et bien enchanes un corps de doctrines que l'on prsenterait

    comme une expression adquate de l a v rit. Je m'imagine plus

    volontiers les Dialogues comme des sortes de Mmoires philoso-

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    22 ARCHIVES DE PHILOSOPHIE

    [22}r

    phiques, o l'auteur a not les souvenirs de ces joutes d'ides aux--

    quelles il a pris part en spectateur et peut-tre en acteur, o il a

    fait r evivre avec un a rt et une grce incomparables ce milieu intellec-

    tuel de l'Athnes du Ve et du IVe sicle, passionn de discussions

    jusqu' s'enivrer de mots ouvert indiffremment aux concep-

    tions les plus contradictoires, pourvu qu'elles soient dveloppes

    habilement et en un b eau langage. Mais le fin c aricaturiste est en

    mme temps un ducateur il veut prolonger l'oeuvre de son matre

    Socrate, et ce qu'il s 'e fforce de persuader la gnration qui monte

    dans cette ambiance sceptique de dilettantisme, c'est qu'il y a

    une vrit et que l'me est faite pour elle. On ne la traduira pasy

    ou on ne la tradui ra qu'imparf aitement par des formes matrielleset sensibles, mais il e st possible l'esprit de la contempler. Le

    rle des Dialogues, qui sont aussi un enseignement, sera donc, non

    de transmettre une science, mais d'aider la possder. I ls se font

    le guide de l'intelligence, ils lui montrent la r oute suivre et a u

    bout de laquelle la lumire apparatra ils remplissent la fonction.

    du matre, telle que la d crit la septime lettre, la suite de la

    Rpublique, de Phdre et de Thtte ils suggrent, ils excitent

    la pense, ils dposent les germes qui cloront quelque jour en fruits

    de science, ils provoquent l 'tincelle d 'o rsultera, aprs de longues

    mditations, l'intuition de la ralit =. C'est pourquoi la question

    de mthode tient une place prpondrante dans les Dialogues,

    dans ceux surtout de la d ernire priode. La dialectique est le pro-

    cd capital qu'utilisera l'amant de la vrit, dir ig par un guide

    expert elle est cet art qui saur a mettre aux prises noms, dnnitions,.

    images, les considrera sous toutes leurs faces, les retournera, (des

    frottera les uns contre les autres a, p~y~ 8p Tp!.djj.Ev

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    Joseph SOUILH. POUR INTERPRTER PLATON[23] 23

    (~o!. AoYo'.) et plaider alternativement le pour e t le cont re

    Mais ici le jeu sera pnible et srieux, et le rsultat sera cette

    lumire de l a sagesse et de l 'intell igence qui finira par illuminer

    les objets et permettra d'atteindre jusqu'aux limites de la puissance

    humaine . Aussi l'on comprend que dans des crits et d ans les

    Dialogues eux-mmes, les exemples d'une pareille mthode n'a-

    bondent pas. Le Banquet, les VIe et VIle livres de la Rpublique,

    le Phdre, le Sophiste, le Politique, le Philbe tabliront les principes

    de ce procd d'investigation, l'exalteront comme la voie la plus

    sre pour l 'homme , montreront en quoi il consiste, le raliseront

    peut-tre en partie dans ces exercices scolastiques du Sophiste,

    du Politique et de Philbe 3, o se trouvent accumuls des modles

    de distinctions et de divisions, mais si l'on en veut un type achev,

    il faudra encore se reporter aux recherches laborieuses du Par-

    mnide on verr a l, sur un cas concret, ce qu'est pour toute question

    cet examen ncessaire du vrai et du faux, c'est --dire ce tte tude

    complexe des consquences qui dcoulent de la position d'une ralit

    ou de l'hypothse de son inexistence suppos, par exemple; que

    la pluralit soit, qu'en rsulte-t-il relativement d'abord cette

    pluralit mme et relativement l'unit, puis, modifiant le point

    de vue, qu'en rsulte-t-il pour l'unit relativement elle-mme et

    relativement la pluralit. Ceci fait, on reprendra le mme procd

    de discussion dans l'hypothse de l'inexistence de la pluralit.

    Et Parmnide gnralise quel que soit l'objet propos, la seulemanire de discerner clai rement la vrit est de d iscuter toutes les

    consquences qui se dduisent d'une supposition servant de point

    de dpart, mme les consquences les plus contraires, de les discuter

    soit par rapport l'objet tudi, soit dans les r elations de ce dernier

    avec les autres tres puis, vice-versa, de considrer les consquences

    par rapport ces autres tres et enfin dans leurs relations avec

    l'objet (Parmnide, 136 B. C.). Travail ardu, reconnait Socrate,

    1. Les c?to'o'o't M'yo[ taient des travaux de rhteurs qui s'exeraient a

    plaider le pour et le contre d 'une mme question. Sur un sujet, on peut toujourstenir deux discours contraires. On voit que les procds de Carnade ne datent

    pas de l'cole sceptique. Nous avons'un modle de ces exercices sophistiquesdans les Fragmente der VorxoA'ra/tA'er" de DjELS, II, p. 635 et sqq. D'aprsTAYLOR, VoTt~ Socratica, First Series,

    p.91 et

    sqq.,et BunNET, Greek

    Philosophy,p. 231, l' au teur en serait un socratique et appartiendrait l 'cole de Mgare.2. 7e Lettre, 344, H.3. Sur la dialectique, voir ma A'o//on p/a/onf'cf~~e d'Intermdiaire, p.

    227-243.

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    24 ARCHIVES DE PHILOSOPHIE [24]

    mais travail indispensable il est la seule route pour permettre

    l'esprit de monter vers la lumire, mais il est en mme temps

    l'preuve la plus efficace pour* distinguer les mes philosophiques.

    Platon, sans aucun doute, utilisait cette mthode dans son enseigne-

    ment oral et ne cherchait nullement rendre facile l'acquisition

    de l a science. Comme il l'crit dans la septime lettre, loin d'ouvrir

    les portes toutes larges ceux qui dsiraient s'attacher lui

    comme matre, il s'efforait de montrer quelle grande chose est

    la philosophie, quels travaux elle impose et quelles peines elle

    inflige . Aussi dcourageait-il parfois des bonnes volonts trop

    superficielles tmoin l'anecdote bien connue qu'Aristote rapporte

    non sans quelque malice. Attirs par l' annonce d'une leon sur le

    Bien, des auditeurs nombreux se pressaient auprs du brillant

    scolarque. Mais il s ne tardrent pas tre dus et, mcontents,

    se reti raient sans bruit les uns aprs les autres au lieu des discus-

    sions qu'ils attendaient sur les biens humains, ils ta ient tombs

    en pleins exercices d'cole, aux formes sches et abstraites et

    d'allure toute pythagorisante. L'preuve avait suffi pour eux,

    comme pour Denys se contentaient d'un vernis d'opinions.

    et, jugeant la philosophie trop exigeante, trop austre le genre

    d'tudes qu'elle suppose, ils n'avaient pas mme le courage de tenter

    un premier effort. Ils ignoraient que la vrit ne se communique

    ni par l'enseignement, ni par les crits, mais qu'elle s'acquiert

    par l'exercice, qu'elle est affaire personnelle, intuition de l'esprit:le matre est un guide, pas davantage. C'est ce qu'a voulu t re

    Platon, en partie par ses Dialogues, mais surtout par ses causeries

    intimes au jardin d'Acadmos: il ne faut donc pas lui demander

    un systme tout fait il n'a jamais tent d'en donner un et, selon

    lui, il ne l'aurait pas pu.

    Joseph SoutLH.

    Vals.

  • 7/28/2019 Aubron, L'union du sujet et de l'objet dans la connaissance chez Aristote, d'aprs Cajtan, 1923

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    L'UNION DU SUJET ET DE L'OBJET

    DANS LA CONNAISSANCE

    CHEZ ARISTOTE

    D'aprs le commentaire de Cajtan.

    Le problme fondamental, duquel dpend l'existence mme du

    ralisme mtaphysique, est celui de l'union du sujet et de l'objet

    dans la connaissance. Il se pose avec une particulire acuit pour

    le ralisme intgral qui admet une tendue en soi on peut encore

    concevoir une certaine compntration des intelligences, mais

    ent re deux corps pourra-t-il jamais y avoir autre chose que juxta-

    position ? Et comme cette prise de c ontact avec le rel extrieur

    s'tablit par la sensation, tout revient savoir si une interprtation

    raliste de la sensation est possible.

    Aristote l 'avait compris, et i l semble qu'il ait donn la solution

    df initive du problme, quand il dclare que l 'acte du sensible et

    du sens sont un seul et mme acte '). Mais, comme le remarque juste-ment Hamelin, ce qu'il importe au plus haut point et ce qu'il est

    le moins facile de comprendre c'est la signification exacte des mots

    acte commun, ou acte un:'f/ue de la s ensibilit et du sensible. Il va

    de soi que cela ne signifie pas une coopration quelconque des deux

    termes dans une uvre vaguement indique. Les mots doivent

    tre pris dans leurs sens prcis et technique ') Voil pourquoi le

    dernier mot sur le ralisme n'est peut-tre pas dit, lorsqu'on nous

    a parl de cette proposition monstrueuse que la reprsentation

    soi t une peinture d'un dehors dans un dedans")); au simple point

    de vue historique, nous avons le plus grand intrt suivre la d is-

    1. f~S ~ O' J K f- 0' TO 'J ~EC'V~.?.X'X~ T~ KtCT~Tj'C'SM KUT~ ~ST~

    ?0'Tt XXE~ET.

    I1EPI WXHX , tiv. III, ch. 11 4?,5 b , 26. Nous citons le texte d'aprsl'dition de G. RODIER.2. 0. HA-MEux, Le systme d'A.i'~o/c, p. 377.3. 0 . HAMEux cit par D. PAnoni, dans la Re! de AM. et ~~7- 1922,

    p.185.

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    ARCHIVES DE PHILOSOPHIE

    [26]'

    26

    cussion serre laquelle les philosophes de l'Ecole ont soumis le

    texte d'Aristote. Nous emprunterons l'un des commentaires les

    plus pntrants qu'ils aient crit sur le ftE PI ~PT XHS x, celui

    du cardinal Cajtan 1. L'ouvrage, n'ayant pas t rimprim depuis

    le xvis sicle, est devenu trop rare pour que tous les lecteurs de cette

    note le puissent facilement consulter, d'o la ncessit o nous

    sommes de l e citer longuement

    C'est au second livre, surtout au chapitre cinquime, qu'Aris tote

    dveloppe sa thorie l'objet agit sur le sens et, par cette action,

    le modle sa ressemblance un peu comme le cachet laisse son

    empreinte dans une cire molle 3 ainsi s 'effectue l'union du sujet

    et de l'objet sans laquelle aucune connaissance n'est possible.

    Mais, s'il est ais de l'esquisser grands traits, ds que l'on en veut

    prciser le dessin les difficults surgissent Circa principalem.

    materiam h uj us c ap it ul i dubium exurgit arduum. )) Nous nous

    trouvons en prsence de deux affirmations difficiles concilier

    1. S ur ce commentaire, on lit dans QUTIF et EcuART, Seriplores ordinis

    Prcrfcfica~or~m, t. II, p. 16 B

    Super tres l ib ro s d e Anima, N ni ti e t recogniti Romae anno 15] et OLI VERIO

    Cardinali CARRAFAE episcopo Ostiensi ordinis protectori ab auctore nuncupati.Prodibrunt typis Romae et Venetiis. Postea Parisiis, Jacobi Kerver, 1539'

    fol., elegantibus charta et charactere, cum eommentariis in eosdem libros

    S. THOMAE DE Aoui~o. E xs tant MS Florentiae. D

    En fait, l'dition de R ome n'est pas la premire, l'ouvrage parut ds 1509,

    Florence Commen~or:'n Rmi -Pa/rzs ~a/rM THOMAE DE Vio CAJETA~jl in

    /;Aro. AniSTOTELis Anima. Florentiae, 1509. in officina Bartholomaei Fran-

    cisci. tJn exemplaire de cette dition se'trouve Rome, la bibliothque< Casanatense , cote L , IV, 7 i n CC C.

    Il fut encore rimprim, la f in d u x vi s sicle, par les soins de Fr. Jo-PE Tnus

    CORTESIUS, 0. P. Commentaria, etc. Illustrissimo ac Revmo Domino, Licen-

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    [27] Pierre AUBRON L'uxto~ DU SUJET ET DE L'OBJET 37

    au premier abord. D'une part, tandis que l'intelligence, au dbut

    de la vie intellectuelle, est comme engourdie , qu' il lui~ faut pralable-

    ment sortir de ce s ommeil pour penser, le sens, lui, en vertu de sa

    nature mme, est dj en veil, tout prt sent ir . D'autre part,

    et l'exprience est l pour le prouver, i l n 'a pas en lui les formes-

    sensibles, il ne les acquier t que sous l'influence de l'objet, il lui

    faut donc, lui aussi, une excitation venue du d ehors

    Beaucoup interprtent ce chapitre en distinguant deux stades

    dans la sensation l'objet commence par imprimer son image dans.

    le sens, puis vient la raction vitale qui constitue la connaissance

    proprement dite, sorte de regard qui contemple, dans la reprsenta-

    tion ainsi obtenue, le sensible extrieur. Comme par ailleurs entre

    ces deux stades il n'y a pas succession mais simple priorit de

    nature, Aristote, opposant l'intelligence au sens, a pu trs juste-

    ment dire que ce dernier tait immdiatement capable de sentir,

    puisque l'assimilation du sensible est immdiate, au lieu que celle-

    de l 'intelligible exige toute une laboration A modernis, de

    sensu loquentibus more naturae, responderi potest quod in sensu

    jam genito restat duplex mutatio distincta tantum ordine naturae~

    non temporis. Prima quidem fit ab objecto et terminatur ad speciem,

    qua sensus f it s imi lis sensibili, secunda autem fit ah anima et

    terminatur ad ipsam sensationem qua sensus est formaliter sentiens.

    Utriusque siquidem meminit Aristoteles primse quidem in hoc

    capitulo secundae autem superius in capitulo quare de alimento ,ubi dixit animam esse causam efRcientem alterationis quae est

    secundum sensum

    Mais Cajtan rejette cette interprtation qui violente le texte

    d'aprs elle, en effet, la sensation rsulterait d'un double devenir

    le devenir smMa&~ et le sen~'r; or Aristote marque expressment

    qu' il n'y a en qu'un seul et que le sens passe d 'emble au sent ir .

    1. TO'J '6ttC'6!:T[:MU TTpMT!]{/.ETx6o).i 'y~ETKt U! TQ'J 'ys'M'TO~ 0-K'~ ~S 'yS'J

    '6~, SySt f~O'TTSO ETTM'TT'/i'C/J X~ ?0 0'~6~ET~~ ~XL TO XXT~ S'SC'gm'~ ~S OUO')';

    ).S')'ETe;[TM

    9 sMp E~* 8~ 'X~ ES~ 'E,O Tt T O' J

    pS'JTK 770t7,-[XX S'~5p'/SCX; ~fi.)6e~, -0.

    OpCtTO~XXCTO KXO'JCyTO' O~K)tM

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    28 ARCHIVES DE PHILOSOPHIE [28]Les comparaisons mmes qui lui servent claircir sa pense le

    prouvent le sens par rapport la sensation, nous dit-il, n'est pas

    comme l'ignorant qui doit tudier pour comprendre la gomtrie,

    mais comme le gomtre qui peut, son gr, contempler les lois

    et l'harmonie des figures ni comme l 'enfant qui doit grandir

    avant de porter les armes, mais comme l'adul te qui les peut saisir

    et manier quand il veut L'antinomie signale, naissant d'une

    pseudo-conception de la connaissance, disparat si l'on revient

    l'ide, plus subtile il est vrai, mais combien plus profonde et plus

    raisonnable, que s'en fait ristote Via subtilior, altior et rationa-

    bilior, ideo hanc sequamur sequendo Aristotelem. Il faut, une bonne

    fois, se rendre compte que, pour le sens, s'assimiler l'objet et le

    conna tre ne sont que deux aspects d'une seule ralit, la sensation.

    Pour l'il, par exemple, acqurir l' espce visible de l'objet et le

    voir ne sont qu'un seul e t mme acte, de mme que recevoir la

    blancheur et devenir blanc c'est tout un. (Adversarius) errat in

    radice, dum non distinguit inter naturam et animam. Ut enim,

    quum ex proposito tractabitur patebi t, longe al tior est condi tio

    t'ognoscentis animae quam illud in quod natura ducit non est

    putandum quod species sensibilis etsensatio sint sic d uo entia ut

    dent duo esse, sed se habent ut forma et esse formae, ut a lbedo et

    esse album, ita quod nihil aliud ,est videre quam esse speciei

    visibilis in visu, formaliter loquendo in genere cognoscibilis et

    cognoscitiviet non secundum entium rationem. Et

    proptereasicut eadcm est mutatio ad albedinm et esse album, ita eadem

    est mutatio ad speciem visibilem et videre. ))

    Toutefois cette lgante solu tion se heurte une difficult d'ordre

    mtaphysique qui, justifie, suffi rai t la ruiner: s i l 'assimilat ion

    et la sensation s'identifient, le sens se trouve l a f ois passif et

    actif par rapport au mme acte, ce qui rpugne. Mais e lle tombe

    d'elle-mme, si l'on remarque qu'entre la pure activit et la passi-

    vit pure il y a des intermdiaires, l'activit mixte des agents

    qui , pour passer l'acte, ont besoin d'tre mus eux-mmes telle,

    dans l'ordre spirituel, l'intelligence du savant qui possde la vrit

    et qui pourtant ne la contemple que sous la motion de la volont

    tel, par exemple, dans l 'ordre matriel, le ballon dont la for ce

    1. Liv. II, ch. 5-417 a, 22. Nous avons conserv l 'exemple que donne CA-jT \N bien qu'ARiSTOTE, dans son texte, prenne celui du grammairien.

    2. Liv. II, eh. 5-417 h, 30.

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    Pierre AUBRON. L'UNION DU SUJET ET DE L'OBJET 29[29]

    ascensionnelle n'obtient son effet qu'une fois les amarres coupes

    tel enfin, mi-chemin entre l'esprit et la matire brute, le sens qui

    a tout ce qu'il faut pour sentir, mais en qui la sensation ne se produit

    que sous l'influence du mili eu extrieur

    Respondendum est quod, ut ex dictis patere jam potes t, hujus-modi potentia me dia, e x sua ratione, vi detur hoc s olum habere quod,

    quantum est ex parte vis potentis, potest statim operari, sed aliunde

    provenit quod vis potentiae illius sine quocumque alio suam opera-t ionen habere possit. Quum enim potentia et ac tus s in t c ondi tiones

    rerum non accidentales sed substantiales, consequens est quod

    juxta rerum in quibus sunt naturas modificentur. Et hinc est quod

    potentia haec aliter in intellectu, al iter in sensu, aliter in natura notaest exire in actum. In natura namque modificatur naturalitate et

    propterea ab ipso suo intrinseco, remotis impedimentis, statim exit

    in actum, ut patet de potentia levis respectu esse sursum, natura

    enim est principium ejus in quo est, etc. In intellectu autem

    modificatur intellectualitate et propterea non ab ipso int ri nseco suo

    per modum naturae sed ab appetitu intellectivo qui est voluntas

    deductis impedimentis, s tat im exit in actum potentia enim rationalis

    a proheresi determinatur et ideo habitus est quo q uis operatur quum

    vult et non quum est absolute. Ex his autem extremis conjicere

    possumus medium, quod se. hae c potentia i n sensu modificatur

    animalit ate cum lati tudine quadam manifesta in parte sensitiva

    interiori et exteriori, ita ut in sensu exteriori de quo est sermo, quique

    est perceptiva animae vis propinquissima naturalibus passivis,

    ipsa a nima e intentio s ine e xtrinseco objecto non possit exire in actum.

    Ex hoc enim quod sens us es t potentia infima animalis ipsa extrinse-ca s r es pro objectis habet et sic in confinio naturalis animalisque

    passivi posita hoc de naturali passivo retinet ut ab extrinseco

    opus sit reduci in actum suae perfectionis ultimae et sic apparere

    potest quod et quare stant haec duo simul se. quod possit ex parte

    vis potentis sensus exire in actum ut potentia media et quod, quia est

    infima animae pot enti a, exigit actuationem ab extrinseco sicut

    etiam scientia, quia est in intellectu, exigit motionem a voluntate.

    Avouons-le, cependant, si l'on poussait trop la logique de ces

    comparaisons l'on aboutirait une sorte d'occasionalisme la

    facult, l'occasion de l'objet,sentirait d'elle-mme' la similitude

    entre la sensibilit en acte et le sens ible extrieur rsult erai t unique-

    ment d'un paralllisme prtabli. Cette possibilit d'interprta-

    tion, que le t ext e mme du

    IIEPI't'VXn~

    D suggre n'a pas plus

    1. C'es t dans ce s ens subjec tiviste que G. RODIER, t. II, p. 369 et 371,

    interprte la pense d'AmsTOTE.

    2. 0. HAMEUx, Le systme d'ArM/o~, p . 378.

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    30 ARCHIVES DE PHILOSOPHIE {30J

    chapp Aristote qu' son commentateur; aussitt ils la pr-

    viennent, en affirmant que l'objet, est vraiment avec le sens, cause

    de la sensation, en sorte que la formule dfinitive semble devoir

    tre celle-ci le sensible extrieur et l e sens sont les deux causes

    conjugues d 'un mme effet, la sensation. Non tamen hinc accipias

    quod tota le act ivum sensat ionis si t sensus quoniam, ut infra patebit

    .in loco proprio et ex verbis Aris to te lis , habet sensatio quod habet

    duas causas ac tivas partiales, sensum se. e t sensibile extra. Quod

    autem anima, mediante sensu, efficiat sensationem, patet ex

    capitule tertio hujus secundi, ubi dictum est quod anima est effectiva

    causa alterationis secundumsensum~ quod

    vero sensibile extrin-

    'secum sit causa activa ejusdem in hac li ttera expresse dicitur,

    'quum poni tur di fferentia inter scientiam et s ensum et dicitur

    quod act iva sensationis sunt extra, ut v isibilia et audibilia 2. Quo-

    modo autem hoc sit, inferius patebit, nunc autem in tantum

    dictum sit quod non inconvenit, imo oportet, in actionibus imma-

    nentibus idem esse per se activum, partiale tamen, et per se passi-

    vum respectu ejusdem operationis immanentis.

    Aprs l 'objection mtaphysique, viennent les difficults d'imagi-

    nation. En dpit de nos formules, nous concevons instinctivement

    tout agir sur le mode de l'action transitive, alors que l'action

    immanente dit beaucoup plus perfection intrinsque et stable du

    sujet que production Uniformiter loquuntur de immanentibus

    et transeuntibus distinguunt enim utrobique actiones e t passiones,

    non advertentes quod immanentes ac tiones grammatice tantum

    vocantur actiones, secundum rem enim sunt operationes quae in

    rei v eritate sunt quaedam qualitates. N Ou bien encore, tromps

    par les expressions image , ressemblance ?, nous considrons

    la species comme une c hose introduite dans la facult, alors que

    l'assimilation l'objet s'identifie avec la conscience elle-mme

    de sensu in actu secundo inquirunt et judicant per modum na-

    turae, quum plus distent quam coelum et terra. specieni sensi-

    bilem et sentire distinguunt in duos per se effectus, nescientes

    speciem sensibi lem in duobus generibus considerare, entium se.

    et cognoscibilium.

    Concluons donc, avec Aristote 3,que

    toute connaissance, la.

    1. Liv. II. ch. 4. Cf. supra, p. 27, note 4.2. Liv. II, ch. 5. Cf. supra, p. 27, note 1.

    3. Liv. III, ch. 5.

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    [31] Pierre AUBRON. L'Lxio!\ DU SUJET ET DE L'OBJET 31

    pense aussi bien que la sensation, est essentie llement une manire

    d'tre Hinc aperte habes quod inferre conor mentibus philoso

    phantium, se. quod intelligere et sentire nihil aliud est quam quod-

    dam esse. Pour la rendre possible, en effet, i l ne suffit pas que le

    sujet et l'objet se touchent, il faut, en quelque sorte, qu'ils s'identi-

    fient et, comme cette identification laisse subsister leur indivi-

    dualit propre, il reste que le sujet devienne l'objet suivant un

    mode d't re idal . Cet te plasticit, qui permet de devenir au tre tout

    en restant soi-mme, caractrise le connaissant; l'on comprend,

    ds lors, comment, par la connaissance, l'intelligence se dveloppe

    dans la ligne mme de l'tre, et comment l' s!8o; x ou

    species n'est pas une image qu'elle regarde, mais la f orme suivant

    laquelle son t re s'panouit Et nunc incipies, novitie, elevare

    mentem tuam in altiorem rerum ordinem et suspicari quomodo

    intellectus procedens de potentia ad actum non nisi ad perfectio-

    nem sui esse procedit, et quomodo intelligere nihil al iud est quam

    ejus esse et species forma 2 secundum quam est il lud esse.

    Dans la question ainsi pose, nous avons peine retrouver le

    problme absur de de savoir comment une image introdui te dans

    un rcepteur, quel qu'il soit, chambre noire, cerveau, me, de-

    viendrait un objet pour un sujet, au lieu de r ester une chose dans

    une aut re chose auquel on prtendait acculer le ralisme.

    Vals. Pierre AuBRON.

    1. L'on peut en dire autant du sens.2. Le texte imprim que nous avons consult porte /or77:am.3. 0. HAMELIN, cite par D. PARODI, dans la Rev. de Me7. c< Mor., 1922,

    p.1S5.

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    NOTRE SCIENCE DE L'ESPRIT HUMAIN

    D'aprs saint Thomas d'Aquin

    C'est par la sensation~ que notre conscience psychologique

    s'veille d'abord. Sensibles communs et sensibles propres com-

    mencent par fconder nos sens qui leur faon ragissent, et, peu

    peu, peroivent toute cette varit de corps dont les mouve-

    ments et les formes, les qualits incessamment act ives, bref , la

    grandeur, la beaut et la bont simplement sensibles font s i r iche

    et si fascinateur le monde matriel. Une iois sentis, les sensibles

    continuent d'agir leur influence assimilat rice monte jusqu'

    l'intelligence qui s'en imprgne et conoit spirituellement. Et

    l o cette mdiation, connaissante dj et levante, des sens

    vient manquer, l'ide correspondante manque aussi l'aveugle

    n'acquiert poin t les ides d'tendue colore, de lumire, de beau

    visuel =. Le vieil adage, condition d'en liminer toute significa-

    tion sensualiste, s 'impose bien ici Nihil est in intellectu quod

    nonprius

    fuerit in sensu.

    Mais s'i ls nous fournissent l'toffe de notre science de la matire,

    les sens nous donnent-ils aussi ce lle de notre science de l'esprit ?

    Ces ides suprieures qui nous manifestent le monde spirituel

    humain, les abstrayons-nous encore de l'exprience sensible ?

    1. Dean/mc; 1.4; ed. de Parme, p. 49: ':Necesseestenim,sisensibiIe

    perceptum est convenions, quod sit delectabile: si autem est nocivum, quodsitdolorosum. Ubi autem est dolor et d.electatio, oportet quod sit. appetitus.Saint Thomas marque ici les lignes matresses d'une psychologie de la vie

    sensible ou de la sensation au sens plein au mot. La sensat ion est percevante,affective et apptitive. En mme temps qu'ils indiquent la gense de la v ie

    sensible, ces trois qualificatifs en laissent souponner la richesse.2. Lire dans P. VILLEY, Le monde des aveugles, 1914, FIammarion, quelques

    pages (6 et sqq.)qui rejoignent la doctrine aristotlicienne et thomiste de l 'abs-

    traction.3. Ides de pense et de vouloir, d'me; de batitude, d'obligation et de

    libre-arbitre de bien et de mal moral, ides dont l 'ensemble nous permetde concevoir l'esprit humain. Dans la la 11~, saint Thomas ordonne ces ides

    et constitue ainsi une science de l'homme mental et moral. Le philosophe ne

    doit en cet ouvrage considrer que ce qui relve des lumires naturelles de la

    raison.

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    Blaise ROMEYER. SCIENCE D E L'ESPRIT H U~IAIN[ 33] ]

    3S

    Si oui, nous ne par venons pas nous faire de ce monde des ides

    propres, nous ne le pensons pas absolument, mais par son seul

    rapport la matire. Si non, la question reste de quel donn&

    formons-nous toutes ces ides qui, groupes en systme cohrent,

    constituent la science que nous avons de notre me? Quelle est

    sur ce point la doctrine de saint Thomas?

    Capi ta l pour l'entire intelligence du spiritualisme thomiste, ce-

    problme mrite d'tre abord de front et pouss fond. Mais il

    importe, avant de s'y essayer, d'en dterminer avec prcision

    le s ens et la porte.

    !!=

    Pour saint Thomas, l'essence spcifique des ralits matrielles

    est bien objet propre de l'intellection humaine. C'est l, au reste,

    une thse conforme l'exprience et qui se fonde sur la natur e

    mme de notre intelligence. Car celle-ci n'est pas une forme spare.

    Unie substantiellement au corps, elle doit, tout d'abord, trouver

    son b ien dans la matrialit en la dmatrialisant toutefois, car

    elle est tout de mme inorganique'. Mais autre est le point d-

    battre ici. L'essence spcifique des ralits matrielles est objet

    propre de notre intelligence unie au corps, c'est entendu en est-

    elle l 'o6/~ propre total? Telle est la vraie question dont le texte

    suivant de sa in t Thomas nous permet de prciser le sens

    Proprieautem illud assignatur objectum alicujus potentiae vel habitus,

    sub cujus ratione omnia referuntur ad potentiam vel habitum

    sicut homo et lapis referuntur ad visum in quantum sunt colorata

    unde coloratum est objctum proprium visus

    Si l'essence des ral its matriel les constituait tout l'objet

    propre de not re intelligence, les ralits spirituelles, mme les

    moindres, celles d 'ordre humain, ne nous seraient intelligibles

    que par rapport aux matriel les. Nous n'acquerrions d'elles aucun

    concept ayant un objet propre. Nous les penserions comme immat-

    rielles, mais dans la seule mesure o la science de la m atire nous

    en suggrerait quelque lointaine ide.

    Notre science de l'esprit humain ne serait forme, que d'ides

    ngatives el analogiques.

    1. la, q. 84, art. 7, c. < InteUectus autem humani, qui est conjunctus corpori,proprium objectum est quidditas sive natura in materia corporali existens. a

    2. la, q. 1, art. 7, c.

    3J

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    34 AR CHIVE S DE PHILOS OP HI E t34]

    Et c'est bien l, en vrit, le sentiment de maints commentateurs

    modernes, surtout scolastiques, de la pense thomiste. Relevons

    -quelques textes parmi les plus probants.

    L'obje t propre de l'intelligence humaine, crit le Cardinal

    Mercier est emprunt aux choses sensibles, mais il est abstrait

    et universel. C'est l une thse, et la suite montre qu'il s 'agit

    de l'objet propre total. Nous n'aurions des choses suprasensibles.

    que des connaissances impropres, ngatives et analogiques. Tout

    le contenu positil de nos concepts se trouve ralis, dans les choses

    sensibles, soit dans l'objet des sens extrieurs, soi t dans l'objet

    des sens internes. . Nos concepts des ralits spirituelles ne

    nous disent pas ce qui est caractristique de l 'esprit . C 'est trs net .

    Penser notre pense, assure de son ct le P. Sertillanges, ce

    n'est pas nous tourner vers notre objet propre c'est remonter

    dans le sens de ses conditions conditions ncessaires, donc dfinis-

    sables comme fonctions, mais non pas dfinissables en elles-mmes.

    Il y a l quelque chose de semblable ce qu'on dit de l a connaissance

    de Dieu. C'est une algbre. Puisque, mme intellectuellement, le

    sensible est notre objet propre, il ne peut y avoir d'arithmtique,

    pour nous, que de la s ensation ) '

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    Blaise ROMEYER. SCIENCE DE L'ESPRIT HUMAtX 35'[35j

    total de la connaissance intellectuelle drive, en dernire analyse,

    des sens )). M. Durante l Tout ce qui dpasse le sensible ne nous

    est connu que par ngation" M. Gilson L'incorporel ne nous

    est connu que par comparaison avec le corporel

    Ainsi l'exprience infr ieure des sens serait l'unique source de

    toutes nos ides; nous n'aurions pas'd' ide posit ive et propre

    de notre esprit.

    Suarez, commentateur relativement critique de saint Thomas,

    ne dpassai t point cette interprtation minimiste Anima non

    per seipsam se cognoscit. sed per affectus, seu actus proprios

    ergo per species alienas nempe ipsorum actuum se intelligit, poten-

    tiasque proprias, atque habitus. L'me, ne se connaissant que

    f per species alienas , n'a pas d'el le-mme d' ide propre. La parti-

    cule per pourrait bien, de soi, n'octroyer aucun monopole ou

    primat, mais une simple priorit la connaissance du non-moi

    matriel par rapport celle du m oi-mental. Seulement la doctrine

    gnrale ne semble pas autoriser cette version. Pour Lossada, il

    faudrait peut-tre introduire dans l'objet proportionn de l'intelli-

    gence humaine, les actes d'intelligence et de volont non quoad

    quid est, sed solum quoad an est vel fuit, quidditatem enim nostro-

    rum actuum nonnisi per discursum cognoscimus Lueur t imide

    et qui s'ignore, mais lueur.

    'Ce relev d'opinions n'est pas exhaustif ". Nous l'avons v ou lu n a n-

    moins suffisamment large pour rappeler un enseignement assez

    commun de nos jours et qui entend plutt strictement l'adage

    Nihil est intellectu. a. Ce d ernier ne comporte-t-il pas, quand

    I . Saint Thomas d'Aquin, 1912 (trad. Vansteenberghe, 1920, p. 154)nach ihm des Gesamtinhalt des geistigen Erkennens im Grunde durch die

    Sinne ve rm it tel t u nd zugeleitet wird , p. 116.

    2. Le Retour Dieu. 1918. p. 223.

    3. Le Thomisme, 1 92 0, p . 142

    4 . De An im a (Vivs), 1856, t. III, p. 734.

    5. Disputatio 7* de An:7n~, cap. I, n" 9. Si par le mot cf/scur~Hm Lossada

    e nt en dai t t ou t l 'or dr e conceptuel, et point seulement le raisonnement, il n'yaurait rien dire. Mais

    alors,i l ne

    pourraitexclure de

    l'objet proprede notre

    intelligence l'essence spcifique de nos actes mentaux.

    6. Aprs avoir magnifiquement rendu la grandeur de l 'i li te llec tion en soi,P. Rousselot laisse lui aussi, hors de'son regard, des textes qui lui auraient

    inculqu une plus haute ide de n otre science de l'esprit h um ai n se lo n saint

    Thomas. L 'Intel lectualisme de saint Thomas, p. 8S.

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    36 ARCHIVES DE P HILOS OP HIE [36]:

    i l es t question de penser l'esprit de l'homme, un sens tout autre

    que lorsqu'il s'agit de concevoir la matire? Et ne faut-il pas voir,

    en cette diversit d'origine psychologique, la raison pour laquelle-

    saint Thomas, dans la Somme, tudie sparment l'intellection de

    la mat ire e t cel le de 'notre esprit? Le problme en tout cas se pose

    en ces termes prcis Oui ou non sa in t Thomas inclut-il dans l'objet-

    propre de notre intellection, ds cette vie, les ralits spirituelles

    d'ordre humain ?

    Bien des textes semblent, premire lecture, rpondre par la

    ngative et justifier ainsi l'interprtation minimiste. En voici,

    quelques-uns parmiles

    plusnets

    Pro tanto. substantia intel lig ibi li s, quse est in se maxime-

    intelligibilis, fit nobis minus intel lig ibi lis , quia excedit formam

    a sensu abstractam qua naturaliter intelligimus 'e.

    Une substance, en soi trs intelligible, nous l'est, nous, d'autant

    moins qu'elle surpasse davantage ces formes abstraites de l'exp-

    rience sensible qui constituent le moyen connaturel de notre intel-

    lection.

    Saint Thomas pensait-il, en cr ivant ces l ignes, que nous pouvons

    comprendreaussipar des formes prises ' de notre exprience mentale?$

    Mme direction de pense dans le texte suivant Anima

    secundum potentiam naturalem non se extendit ad plura intelligi-

    bilia quam ad ea quae possunt manifestari per lumen intellectus

    agentis quae formae sunt abstractae a sensibilibus )) L'me peuttout connatre naturellement, disait Aristote. Saint Thomas

    explique: Tout ce que l'intellect agent peut abstr air e du sensible,

    rien de plus. Ce texte, pas plus que le prcdent, ne saurait tre

    dcisif, car saint Thomas laisse ici hors de son ~regard le problme

    de l'intellection de l'me par elle-mme. Venons-en donc de

    plus directs. En voici un fort explicite du commentaire sur l'me'

    Sciendum est. quod intellectus noster possibilis est in potentia.

    tantum in ordine intelligibilium fit autem actu per formam a

    phantasmatibus abstractam. Nihil autem cognoscitur nisi secundum

    quod est actu unde intellectus possibilis noster cognoscit seipsum

    per speciem intelligibilem. non autem intuendo essentiam suam-

    1. de Veritate, q. 8, art. 3, ad 4"' (1256-1259).2. L'abstraction eu ce cas serait universalisante sans tre dmatriaUsante-3. De Ver!'

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    Btaise ROMEYER. sciENCE nE L'ESPRITHUMAix 37L37J

    directe. Et i deo oportet , quod in cognitionem animae procedamus

    ab his quae sunt magis extrinseca, a quibus abstrahuntur species

    intell ig ibi les , per quas intellectus intelligit seipsum ut scilicet

    per objecta cognoscimus actus et per actus potentias, et per po-

    tentias essentiam animae.Si autem directe essentiam suam cognos-

    ceret anima per seipsam, esset contrarius ordo s ervandus in animse

    cognitione quia tanto aliquid esset propinquius animae tanto

    prius cognosceretur ab ea Mmes formules dans le de Ve/'t'/a~e

    Anima. non cognoscitur per aliam speciem abstractam a se,

    sed per speciem objecti sui, quae fit forma ejus secundum quod

    intelligitactu~.a Dicendum quod anima. non per seipsam in-

    telligitur, sed ex objecto suo

    Ces textes du de Anima et du de Veritale sont caractristiques

    de la pense de saint Thomas. Mais l'interprte ne peut se contenter

    de les transcrire, et d'y voir, en courant, un sens confor me ses

    propres ides il d oit les commenter. Ils signifient tout d'abord,

    e t sans doute possible, que notre intelligence ne se peroit pas

    nu non autem intuendo essentiam suam directe '). Mais aprs

    avoir conu du matriel per formam a phantasmatibus abstrac-

    tam , elle en vient se comprendre elle-mme. Comment cela ?

    Per speciem abstractam a se? Non, mais

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    38 ARCHIVES DE PHILOSOPHIE [38]-

    par l' efficacit de son exprience lui, et non par l'exprience des

    sens, qu'il se connat MunedMemen~. Il se connat donc par des

    ides prises de sa vie, par des ides propres et positives. La suite

    de cet te tude montrera qu'il faut interprter a insi ces textes, qui,

    premire lecture, sembleraient tmoigner pour l 'opinion que

    nous avons rapporte plus haut.

    Mais c'est dans la Somme Thologique, uvre de maturit (1267-

    1273), que cette dernire semble trouver ses plus fermes appuis

    c. incorporea. quorum non sunt phantasmata, cognoscuntur a

    nobis per comparationem ad corpora sensibili quorum sunt phantas-

    mata. Et ideo cum de hujusmodi a liquid in te lligimus, necesse

    habemus converti ad phantasmata corpornm, licet ipsorum non sint

    phantasmata Ces lignes limpides ne rendent pas une impression

    passagre ou superficielle, car el les appelleront souvent dans la

    suite des rfrences comme celles-ci

    Sicut supra dictum est, q. 84, art. 7, etiam postquam species.

    intelligibiles abstraxerit, non potest secundum eas actu intelligere,

    nisi convertendo se ad phantasmata in quibus species intelligi--

    biles intelligit, ut dicitur in 3 de Anima, text. 32 ))

    intellectus humanus non potest ipsam intelligibilem vri-

    tatem nudam capere quia connaturale est ei ut intelligat per

    conversionem ad phantasmata, ut supra dictum est, q. 84, art. 7

    L'homme ne saurait voir nu l'intelligible vrit, car il lui est

    connaturel de comprendre per conversionem ad phantasmata .Nous avons ici le choix entre deux interprtations. Premire

    nous tirons des phantasmes toutes nos ides, mme celles qui ont

    pour objet du spirituel nihil est in intellectu. seconde nous

    ne saurions sans antcdents ou concomitants sensibles, sans images,.

    concevoir des objets spirituels, tel notre propre esprit. Le seconde

    interprtation enlve aux textes prcits toute valeur probante

    en f aveur de l'opinion ici dbattue. Avant d'entrer fond dans la

    discussion de cette dernire, nous en prsentons un raccourci

    Plus une forme est suprasensible, moins elle ncus est intelligible.

    Nous ne pouvons rien comprendre au del de -ce que peut abs-

    traire l'intellect agent, au del des formes sensibles naturelle-

    ment s'entend. Nous ne prenons pas le vrai l ' ta t pur nous ne-

    1. I'. q. 84, art. 7, ad 3 m.3. I". q. 8(i. art. 1. e.3. I", q. ' [11, art. 1, c.

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    B la is e R OME YE R. SCIENCE DE L'ESPRIT HUMAIN[39] 39

    l'atteignons, tres corporels, qu ' tr avers les phantasmes. Nous

    ne pensons notre me qu'en pensant la matire et par comparaisonavec elle 1. Toutes assertions qui, premire vue, paraissent exclure

    de l'objet propre de notre intelligence, en ce monde, ce qui dpasse

    la matire, donc l'esprit humain lui-mme.

    Mais les lecteurs attentifs et a ssidus du texte de saint Thomas,

    ceux qui ont compris son spiritualisme et ce qu'il renferme d'ternel

    platonisme,

    n'admettront

    jamais q ue, p our lui, nous ne

    puissions,ds prsent, acqurir aucune ide positive et propre de notre me.

    Car ce qui est caractristique de l'esprit x, saint Thomas nous

    le dvoile avec magnificence on tous ses crits partir du Com-

    mentaire des Sentences jusqu' la Somme Thologique, en passant

    par les Questions Disputes, les Questions quodiibtiques, le Contra

    ~en~es. Une doctrine y domine l'absolue tr