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LES PRISONS DE DIJON AU 18 E ET AU 19 E SIECLE 1 par Bernard SONNET LA STRUCTURE JUDICIAIRE EN FRANCE AU 18 E SIÈCLE Au cours du 18 e siècle, l'administration de la justice et la procédure pénale fonctionnent en application de textes que l'on pourrait qualifier d'obsolètes. Elles ne manquent pas d'ailleurs d'être complexes ! En ce qui concerne les sanctions, subsistent les châti- ments, toujours très rigoureux, issus de l'époque médiévale et com- prenant la peine de mort, sous toutes ses formes, la question, les galères, la fustigation et autres sanctions corporelles, l'exposition ou le bannissement dans le meilleur des cas. Dans ce contexte, la prison, selon les termes d'un président au Parlement de Bourgogne, Jannon, dans la première moitié du 18 e siècle : « n'est qu'un lieu d'attente pour les coupables avant leur jugement et non le dépôt de ceux que la fureur ou la démence rendent nuisibles à la société ». Le juriste Ferrière affirme à la même époque : « la prison n'est établie que pour garder les criminels et non pour les punir » 2 . Pourtant, il existait des prisons, comme les maisons de force, réservées aux femmes, les 1. Je remercie Mme Catherine Prade. Conservateur du musée des prisons à Fontainebleau, (récemment ouvert), au ministère de la Justice, qui m'a commu- niqué des documents pertinents sur l'histoire du système carcéral en France et M. Loy, ancien directeur de la maison d'arrêt de Dijon. Pour ce qui concerne la maison d'arrêt de Dijon, ce sont les fonds conservés aux Archives départementales de la Côte d'Or, série 4 N 4, qui ont été exploités ; aux Archives nationales, la série F 16/101 à 11.57 : Prisons, maisons centrales et dépôts de mendicité. 1789-1843, a été simplement consultée, car les versements sont lacunaires pour la seconde partie du 19 e siècle. 2. TOURNOIS (Jean-Marc), Dans l'antichambre des peines. Les prisons dijon- naises à la fin de l'ancien Régime.1774-1789, maîtrise d'histoire moderne, sous la direction de M. Benoît Garnot. Dijon 1991. & Mémoires de la Commission îles Antiquités de la Côte-d'Or. T. XXXIX. 2000-2001, p. 231-251.

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LES PRISONS DE DIJONAU 18E ET AU 19E SIECLE1

par Bernard SONNET

LA STRUCTURE JUDICIAIRE EN FRANCE AU 18E SIÈCLE

Au cours du 18e siècle, l'administration de la justice et laprocédure pénale fonctionnent en application de textes que l'onpourrait qualifier d'obsolètes. Elles ne manquent pas d'ailleurs d'êtrecomplexes ! En ce qui concerne les sanctions, subsistent les châti-ments, toujours très rigoureux, issus de l'époque médiévale et com-prenant la peine de mort, sous toutes ses formes, la question, lesgalères, la fustigation et autres sanctions corporelles, l'exposition oule bannissement dans le meilleur des cas. Dans ce contexte, la prison,selon les termes d'un président au Parlement de Bourgogne, Jannon,dans la première moitié du 18e siècle : « n'est qu'un lieu d'attentepour les coupables avant leur jugement et non le dépôt de ceux quela fureur ou la démence rendent nuisibles à la société ». Le juristeFerrière affirme à la même époque : « la prison n'est établie que pourgarder les criminels et non pour les punir »2. Pourtant, il existait desprisons, comme les maisons de force, réservées aux femmes, les

1. Je remercie Mme Catherine Prade. Conservateur du musée des prisonsà Fontainebleau, (récemment ouvert), au ministère de la Justice, qui m'a commu-niqué des documents pertinents sur l'histoire du système carcéral en France etM. Loy, ancien directeur de la maison d'arrêt de Dijon. Pour ce qui concerne lamaison d'arrêt de Dijon, ce sont les fonds conservés aux Archives départementalesde la Côte d'Or, série 4 N 4, qui ont été exploités ; aux Archives nationales, la sérieF 16/101 à 11.57 : Prisons, maisons centrales et dépôts de mendicité. 1789-1843,a été simplement consultée, car les versements sont lacunaires pour la secondepartie du 19e siècle.

2. TOURNOIS (Jean-Marc), Dans l'antichambre des peines. Les prisons dijon-naises à la fin de l'ancien Régime.1774-1789, maîtrise d'histoire moderne, sous ladirection de M. Benoît Garnot. Dijon 1991.

& Mémoires de la Commission îles Antiquités de la Côte-d'Or. T. XXXIX. 2000-2001, p. 231-251.

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prisons d'Etat, pour les condamnés politiques, envoyés par lettre decachet, et pour les dévoyés, placés parfois à la demande de leursfamilles. On pouvait être aussi emprisonné pour dettes, pendant sonprocès, avant l'exécution du verdict. Voici la définition que donnel'Encyclopédie à l'article prison : « on peut être retenu en prisonaprès un jugement interlocutoire, pendant le délai qui est ordonnépour informer plus amplement après un jugement définitif par formede peine. Mais quand un criminel est condamné à une prison perpé-tuelle, cette peine ne s'exécute pas dans les prisons ordinaires, maisdans quelque maison de force ».

Sous l'influence des philosophes, des juristes, en particulierl'italien Beccaria 3, de la dénonciation d'affaires judiciaires parVoltaire, une réforme des ordonnances criminelles est entreprise parLamoignon, garde des sceaux, sur décision de Louis XVI. Le textesupprime la question préalable et prévoit l'adoucissement decertaines peines 4.

A la veille de la Révolution, si la prison est toujours destinée àla surveillance des prévenus avant leur jugement, elle accueille aussiles vagabonds, les mendiants, les mineurs, les fous, les débiteurs.Mais elle n'a pas de forme architecturale précise et peut être installéedans des bâtiments souvent mal adaptés à cette fonction : Piranèse endonnera une vision, sans doute exagérée, mais particulièrement sai-sissante dans sa série de gravures : les Carcéri. Toutefois, parallèle-ment à l'évolution du droit pénitentiaire, on constate une lente amé-lioration de l'architecture carcérale, due à la réflexion visionnaire desarchitectes des Lumières. Ainsi, la prison de la Force à Paris,construite sur ordre du roi, par Etienne-Louis Boullée en 1780. Danscette prison, des quartiers sont créés pour isoler les hommes desfemmes, les délits des crimes, les prévenus des condamnés. En ce quiconcerne les projets, on notera celui de Pierre-Gabriel Bugnet, quiconçoit déjà en 1765 une prison panoptique, sans doute la premièrede ce genre et la prison que Claude-Nicolas Ledoux imagine pourAix-en-Provence en 1776, mais qui ne sera jamais édifiée.

3. BECCARIA (C), Des délits et des peines, Paris, 1979, réédition del'ouvrage paru à Milan en 1764.

4. PIEPAPE (L. de), Nicolas-Joseph Philpin de Piépape, jurisconsulte etconseiller d'Etat, Paris, 1924.

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LA SITUATION À DIJON

Dijon, le siège d'un parlement depuis le 16e siècle, comprend dece fait, une magistrature importante. La ville, en cette fin d'AncienRégime compte alors cinq prisons, relevant de juridictions distincteset réservées à des cas différents. On peut distinguer ainsi :

1- La conciergerie, qui ressort du Parlement, établie pour cetteraison, dans son enceinte, à côté de la Tournelle, ou Chambre criminelle; on y défère tous les jugements des tribunaux inférieurs. Créée au 16e

siècle pour les prisonniers (on disait criminels) « amenés à ladicte courde Parlement », elle occupe les terrains situés à l'angle de la rue du mêmenom et de la rue Madelaine, (actuelles rues Jean-Baptiste Liégeard etAmiral-Roussin) et des maisons bâties à l'angle de la place du Palais etde la rue du Trésor (actuelle rue du Palais). D'autres maisons sontachetées pour l'agrandir en 1611 et à la fin du 18e siècle pour y accueillirla chaîne des galériens. Ce qui occasionne des travaux très onéreux, quel'Intendant de la Province, Feydeau de Brou doit justifier, (fig. 1 et 2)

2- Les prisons de la ville de Dijon. La ville étant seigneur hautjusticier depuis l'octroi de la charte de Hugues III en 1187, ses prisonssont installées dans son hôtel, appelé alors « la maison aux Singes »,à l'emplacement de la faculté des Lettres, puis à partir de 1501, dansl'ancien hôtel du chancelier Rolin, (actuelles Archives départemen-tales). Joseph Garnier écrit « qu'on les retrouvait encore au 18e

siècle, telles qu'elles avaient été établies » 5. Elles sont agrandies en1758, par l'achat d'une maison voisine appelée hôtel Moisson, puisBernardon. La façade sur la rue est édifiée dans le prolongement decelle de l'Hôtel de Ville, par l'architecte de la Province, Pierre-JosephAntoine, en 1765. A cette époque, les prisons municipales sontréunies autour de deux cours, avec un préau, (fig. 3)

3- Le château. C'est la forteresse construite sur ordre de LouisXI, lors du rattachement de la Bourgogne à la France (à l'emplace-ment de la poste et du boulevard de la Trémouille). Au 18e siècle, sielle a perdu son rôle défensif, elle peut être considérée, toutes pro-portions gardées, comme la Bastille dijonnaise. Elle accueille, parlettres de cachet, des détenus illustres : la duchesse du Maine, petite-fille du Grand Condé, de 1719 à 1720 6, Mirabeau en 1776, le

5. GARNIER (J.), « Les deux Hôtels de Ville de Dijon », M.C.A.C.O., t IX,1874-1877, p. I à 112.

6. PIEPAPE (L. de), La duchesse du Maine, Paris, 1910, p. 197-198. La duchessefut enfermée dans le château de Dijon le 13 janvier 1719 à la suite de sa participation,avec son mari, à la conspiration, dite de Cellamare, ourdie contre le Régent.

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FIG. 1, 2.- plan des prisons de la Conciergerie. A.D.C.O., 4 N 4(cliché Bernard Sonnet)

chevalier d'Eon ou le marquis de Saint Huruge. Mais les conditionsde détention sont assez douces, contrairement à celles qui existentdans les autres prisons.

4- D'autres lieux peuvent être considérés comme des lieux d'en-fermement : ainsi le Refuge, le Bon Pasteur, réservés aux femmes(rues de la Manutention et Jean-Baptiste Baudin actuelles), etl'Hôpital général qui accueille les mendiants et vagabonds depuis lesédits sur le grand renfermement de 1669. Mais l'Intendant, faute demoyens, doit fermer les locaux du Saint-Esprit, lieu de détentionordinaire situé dans l'enceinte de l'hôpital.

Enfin, la tour saint Nicolas, qui verrouillait la rue du mêmenom, (rue Jean-Jacques Rousseau), n'a retenu des prisonniers deguerre qu'au début du 18e siècle, et le couvent de la Visitation n'aaccueilli des suspects que durant la Terreur.

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DEUXIÈME Hô'

Fie. 3.- plan du rez-de-chaussée de l'hôtel de ville(actuelles Archives départementales), (cliché Bernard Sonnet)

FIG. 4.- plan de Dijon en 1839. Arch.mun. Dijon, Portefeuille des plans de Dijon.(cliché Bernard Sonnet)

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En résumé, à la fin du 18e siècle, on peut estimer que les véri-tables prisons sont celles qui relèvent du Parlement et celles de laville. Elles totalisent 4712 admissions entre 1774 et 1789, déductionfaite des évasions fréquentes dues à la vétusté des locaux ! (fig. 4)

LA SITUATION EN FRANCE À PARTIR DE LA RÉVOLUTION

La Révolution tente d'améliorer le système carcéral, travailauquel les encyclopédistes et les juristes ont apporté leur contribu-tion. Le 25 septembre 1791, le code de police municipale et correc-tionnelle marque un infléchissement pour les peines de prison.Celles-ci remplacent les châtiments corporels (sans pour autant lessupprimer), « en vertu des principes de l'égalité des peines devant laLoi et la Justice et de la personnalisation du châtiment » 7.

La situation évolue à partir de l'Empire. Le code d'instructioncriminelle de 1808, le code pénal de 1810, mis en place par le comtede Montalivet, ministre de l'intérieur 8, puis leur révision en 1832,apportent un relatif adoucissement des sanctions. Ces améliorationssont dues aux travaux statistiques, scientifiques, hygiénistes,conduits par des aliénistes, comme Cabanis et Esquirol, qui introdui-sent alors l'idée de traitement du délinquant ; par Auguste Comte, quidéveloppe la physique sociale, que l'on nommera plus tard socio-logie. Il faut compter aussi sur la pression des idées libérales, quis'expriment par le mouvement philanthropique, créé en 1819 et lerôle majeur tenu par la Société royale pour l'amélioration des prisons.Les écrivains romantiques, dont Victor Hugo 9 et la presse, s'empare-ront du sujet, qui deviendra alors un enjeu public.

Mais on constate néanmoins que le carcan subsiste jusqu'en1832, ainsi que les chaînes de forçats en 1836 et l'exposition publiqueen 1848, sans parler des peines corporelles comme la gêne, le pilori,les fers.

En ce qui concerne l'architecture carcérale, un décret de 1810renforce le système pénitentiaire en créant deux catégories d'établi s-

7. DIDIER (Marie-Laurence), Les prisons dijonnaises sous la restauration etla monarchie de Juillet. 1818-1843, DEA Sciences juridiques et politiques.Histoire du Droit sous la direction du professeur Jean Bart. Dijon 1993-1994.

8. A.D.C.O., 4N3/13.9. HUGO (V.), « La prison des condamnés à mort », Choses vues, Paris, 1847.

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sements : les maisons de longues peines (Clairvaux, Fontevraud) etcelles réservées aux peines d'un an au plus, catégorie qui concerne laprésente étude. Plus que jamais, le législateur reste persuadé que laprison permet de soustraire le condamné aux mauvaises influencesextérieures et à la perversité.

C'est la Restauration qui s'intéresse plus particulièrement à laconcrétisation des projets carcéraux. Ainsi, en 1829, l'architecteLouis-Pierre Baltard (père de l'architecte des halles de Paris) publiele premier traité sur les prisons, L'architectonographie des prisons, etconstruit la prison de Perrache, à Lyon en 1830. Puis la Monarchie deJuillet sera la plus attentive à l'édification des prisons. En 1831, 1836,1837, des missions sont déléguées, entre autres, à Alexis de Tocque-ville et à l'architecte Abel Blouet, pour étudier le système péniten-tiaire des Etats-Unis, où deux principes s'affrontent alors.

- l'un est appelé pennsylvanien, du nom de l'état où la prison deCherry Hill fut construite de 1823 à 1829 par l'architecte Havilandselon un modèle influencé par le Panopticon, ouvrage théorique deJérémie Bentham, paru en 1791 l0. Il s'agit d'une prison circulaire, ouradio-concentrique, dans laquelle les cellules sont surveillées depuisle centre de la circonférence par un seul homme. Dans ce premiersystème, prévaut la pratique de l'isolement complet de l'individu encellule particulière. Alexis de Tocqueville émet des doutes sur cette :« Ponéropolis, ou ville des méchants, curative et bienfaisante ».D'autres prisons s'inspirant de ce modèle seront construites à Londres( prison de Pentonville), à Louvain, à Genève et à Paris, ( prison dela Petite Roquette, par l'architecte Hippolyte Lebas, bâtie de 1826 à1836, démolie en 1974).

— l'autre système appelé auburnien, du nom de la ville d'Auburn,proche de New-York où une prison de ce type fut construite de 1816à 1826, présentant une formule mixte : cellules individuelles la nuitet ateliers en commun le jour. La prison Mazas, élevée à Paris en1850 (détruite en 1898) par Jacques-Emile Gilbert et Jean-FrançoisLeconte constituera une approche à la française de cette conceptioncarcérale.

Par une circulaire du 2 octobre 1836, sous la pression des phi-lanthropes, partisans du premier système, le ministre de l'intérieur,

10. BENTHAM (J.), Panopticon, or the Inspection House, Londres, 1791.Présenté à l'Assemblée législative et traduit la même année en français. JérémieBentham fut, pour cette raison, fait citoyen français par la Convention. La pros-périté de ce modèle est patente dans la maison d'arrêt de Bois d'Arcy (Yvelines),construite en 1980, avec un poste central de surveillance.

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Adrien-Etienne de Gasparin, décide la construction de prisons dépar-tementales, de type cellulaire, soit sur un plan circulaire, soit enétoile. La circulaire ministérielle est complétée par celle du 9 août1841 que le secrétaire d'Etat, Duchâtel adresse aux préfets, accom-pagnée d'un recueil de plans ". Duchâtel expose que « C'est lacellule qui est la partie la plus importante de tout projet...car chaquecellule n'est autre chose qu'une prison particulière ». Il définit ainsile programme sur lequel toute une génération d'architectes pensera laprison cellulaire. En particulier les architectes Abel Blouet, quipublie un traité sur les prisons en 1841, et Harou-Romain fils, avecun projet de prison panoptique en 1843, avec son ouvrage Instructionet programme pour la construction de maisons d'arrêt et de justice.

Toutefois ce modèle de prison cellulaire sera édifié non pas surun plan circulaire, jugé trop onéreux et limitant le nombre decellules l2, mais sur un plan en étoile, formé de branches plus oumoins nombreuses partant d'un pavillon central où est situé logique-ment le poste d'inspection, au-dessus duquel est placée une chapelle.La morale de l'époque tenait à ce que la notion d'amendement et derédemption, déjà exprimée par le plan en croix, soit concrétisée parla position du poste d'observation et de l'autel l3.

LA SITUATION À DIJON DEPUIS LA RÉVOLUTION

Des cinq prisons précitées, trois subsistent au début du19e siècle, dont l'état, depuis l'Ancien Régime, est toujours aussidéplorable :

1- La maison d'arrêt et de correction, terme qui se substitue à laprison municipale, ci-dessus décrite, installée dans l'hôtel de ville. Le

11. Code des Prisons, 9 août 1841. Circulaire contenant l'envoi d'unProgramme et d'un Atlas de plans pour la construction de maisons d'arrêt cellu-laires.

12. L'application de ce système reviendra à l'architecte André Berthier avecla prison d'Autun (1847-1856), seul exemple en France, tardif, de plan circulaire.(Inscrite sur l'inventaire supplémentaire des monuments historiques le 29 octobre1975).

13. En ce qui concerne l'utilisation d'anciennes abbayes comme lieu dedétention, FOUCAUT (O.), « Iconographie de l'architecture : la prison française duXIXe siècle, dernier avatar du couvent », Gazette des Beaux-Arts, Paris, 1994.

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préfet écrit, dans une lettre adressée au maire le 10 prairial an 13, «jesais qu'on a dit de cette maison qu'elle répugnait trop à l'humanitépour en pouvoir donner la description, que son défaut de salubritéconnue et ses cachots souterrains suffiraient pour en faire désirer lasuppression ». Ces cachots dénommés « galbanum » étaient destinésaux condamnés à mort. Comme prison municipale, elle accueille lescondamnés par voye de police provenant des trois cantons de Dijon.Comme prison militaire de la 18e division, à partir de l'an XI jusqu'en1840, elle accueille des militaires condamnés voyageant sousl'escorte de la gendarmerie et ceux prévenus de crimes et de délitsgraves. Elle sera transférée en 1840 dans l'ancien couvent des Car-mélites, (actuelle COMADI), puis démolie en 1846 à la suite dudéplacement de la mairie dans l'ancien logis du roi en 1831. En août1819, le commandant de la place et du château de Dijon, Brunet deMonthelie, demande des subsides au comte de Girardin, préfet de laCôte d'Or, afin d'effectuer des réparations urgentes, puisque « l'expé-rience a déjà démontré la bienveillance efficace avec laquelle vousfournissez, les dépenses qui ont pour but l'amélioration des prisons etpar suite radoucissement du sort des prisonniers ». Les travaux sontapprouvés, en particulier la pose d'une rampe en bois «...qui valaitmieux qu'une rampe en fer, laquelle offrirait la même sûreté dansl'usage et ne pourrait jamais fournir aux prisonniers de moyensd'évasions » l4. L'ancienne chapelle, dont la grille tient lieu de sépa-ration, sert pendant le jour d'atelier ou d'ouvroir. Les lieux sont siétroits, qu'il est nécessaire de sortir les différentes classes de détenusà tour de rôle.

2 - La maison d'arrêt, attenante au Palais, établie à l'emplace-ment de la Chambre des Comptes, accueille les prévenus et lescourtes peines, arrivant non seulement de la Côte-d'Or, mais aussid'autres départements voisins. On constate à la lecture de nombreuxrapports, dont celui du 5 mai 1820 15 les carences alimentaires ethygiéniques, « les lieux d'aisance nouvellement construits sontplaines », la surpopulation carcérale : 20 prisonniers par chambre, lapromiscuité due à la disposition des bâtiments, entraînant des « actesde rébellion » (rébellion), des épidémies, des évasions fréquentesdues au mauvais état des murs percés avec des barres de fer. Unmanque de surveillance par le concierge. Il existait en principe un

14. A.D.C.O., 4 N 4/126 bis.15. A.D.C.O., 4 N4 126 ; rapport du 5 mai 1820.

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Fie 5.- Maison de justice, édifiée à l'emplacement des prisons de la conciergeriepar Félix Vionnois de 1873 a 1874. Etat vers 1900.

(cliché Bernard Sonnet)

quartier pour les hommes, une infirmerie, une cour pour les galeux,des cachots ; pour les femmes, des chambres, une salle commune,une cour ; les enfants sont enfermés dans un secteur séparé l6.

Un premier projet de restauration des bâtiments est demandé en1816 par le préfet, mais il reste sans suite. Seules quelques répara-tions urgentes sont effectuées, des fours pour la désinfection desvêtements sont installés, ainsi qu'un appareil fumigatoire pour lagale. Ces travaux sont assortis de promesses concernant le chaulagedes murs plusieurs fois par an, afin d'éviter les épidémies etsupprimer les miasmes. De 1825 à 1839, des ouvrages sont enfineffectués, mais d'une façon incohérente.

3- La maison de justice. Elle était réservée aux détenus de laCôte-d'Or et d'autres départements condamnés à la chaîne. Consta-

16. Les prisonniers avaient une botte de paille tous les 4 mois puis, à partirde 1837, 2 draps, une couverture en laine en été et 2 en hiver étaient attribués, ini-tiative appliquée difficilement, comme le constate une note de 1846. Les lits sontencore très rares et souvent loués par le concierge, à ceux qui en ont les moyens,parfois par deux détenus qui se partagent la même couche. Le régime alimentaire,700g de pain de munitions, 600 pour les femmes, 1 litre de soupe en deux rations,entraîne fatalement des carences. A.D.C.O., 4 N4 4/ 126. Bien que ce tableau aitété peint en 1890, Vincent Van Gogh, avec son tableau la ronde des prisonniers(Moscou, Musée Pouchkine), a su traduire la permanence de la misère carcérale.

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tant l'état de cette prison, située au sud-ouest du palais de justice, àl'angle des rues Madeleine et Conciergerie (rues Amiral-Roussin etJean-Baptiste Liégeard actuelles), le Conseil général procède àl'achat de maisons pour la transformer en prison départementale,« pénétré de l'urgence qu'il y a de séparer les enfants des hommes,pour mettre fin aux actes scandaleux auxquels cette réunion a tropfréquemment donné lieu ». Ces acquisitions, qui ont lieu de 1835 à1838, requièrent la suppression de l'impasse dite de la conciergerieou des prisons l7. Ce n'est qu'en 1847 que le préfet demande aunouvel architecte du département, Jean-Philippe Suisse18, de fournirun projet de prison départementale. Suisse objecte que cela lui paraît« difficile à réaliser compte tenu de l'espace insuffisant nécessairepour compléter le palais » (de justice), étant déjà chargé de sa res-tauration et de son agrandissement ; en conséquence, il dresse « unautre projet derrière le palais, pour une maison cellulaire simple-ment destinée aux prévenus et aux accusés » et il « reporte ailleursla prison des condamnés, ou prison départementale .» Pour lamaison cellulaire, Jean-Philippe Suisse présente deux projets en 1865et 1868, qui sont rejetés par le ministre de l'intérieur. Un 3e projet, duà son successeur Félix Vionnois, sera retenu, car l'architecte secontente d'aménager de 1873 à 1874, la maison de justice. Cesbâtiments seront démolis entre les deux guerres pour laisser place au

17. A.D.C.O., 4 N 124, plans des prisons dites de la conciergerie, établis parPierre-Paul Petit, architecte du département, le 15 octobre 1836.

18. SUISSE (Jean-Philippe). (Gorze (Moselle), 9.07.1807- Dijon,25.10.1882.) Elève de Paccard et André à l'Ecole nationale des Beaux-Arts deParis. Il succède à Pierre-Paul Petit comme architecte départemental de la Côte-d'Or et diocésain en 1847. Menacé de révocation en 1848, il est soutenu par unepétition des ouvriers de la ville de Dijon. Mais il doit abandonner son poste en1870. Outre la maison d'arrêt de la rue d'Auxonne, on lui doit celle de Beaune(démolie en 1980), le château de Belan-sur-Ource, celui de Vesvrottes à Beire-le-Châtel (1842, disparu en 1968), la construction ou l'entretient des édifices dépar-tementaux, la restauration de la salle des pas-perdus du Palais de justice de Dijon(à partir de 1852). Il est décoré de la légion d'honneur par Napoléon III, lors de savenue à Dijon le 15 août 1860, pour cette restauration et pour la construction de laprison. {Revue générale de l'architecture et des travaux publics, sous la directionde César Daly, T. XVIII, p. 188). Il est souvent confondu avec son fils, Charles-Louis (Paris, 1846-Chenôve, 9 août 1906), architecte diocésain lui aussi, archi-tecte en chef des Monuments historiques, peintre de talent. Je remercie MellesFrançoise Vignier, conservateur général honoraire du patrimoine, MartinePlouvier, conservateur du patrimoine aux archives nationales et Sonia Dollinger,archiviste de la ville de Beaune pour leur aide précieuse dans la recherche biogra-phique de cet architecte méconnu.

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tribunal correctionnel. Seul, le portail d'entrée sera conservé etremonté rue Jean-Baptiste Liégeard l9. (fig. 5)

CONSTRUCTION DE LA MAISON D'ARRÊTOU PRISON DÉPARTEMENTALE

1- Les rapports préliminaires. La construction d'une nouvellemaison d'arrêt n'ayant pas été résolue en 1847, le préfet de la Côted'Or réitère sa demande en 1849. Il présente à Jean-Philippe Suisseles recommandations du conseil d'arrondissement de Dijonexprimées dans un rapport le 6 août précédent, suivant les instruc-tions définies par la circulaire du 19 août 1841, laquelle prescrit quedes maisons d'arrêt de type cellulaire doivent être construites danstous les départements, pour l'incarcération de 150 détenus,condamnés aux peines d'un an et moins. Le rapporteur du Conseilexpose sa nécessité « sous le rapport de la salubrité et celui de ladémoralisation des détenus. Le défaut de ressources, l'attente de laLoi sur le régime de l'emprisonnement, les événements politiques ontretardé ce projet.» Il dresse un constat effrayant, destiné à convaincreles esprits sceptiques, citant « l'état déplorable des prisons actuelles(situées à proximité du palais), où les personnes de tout âge,condition, moralité, sont confondues pêle-mêle, où les abus sontsignalés et qui à cause des horribles et mystérieuses associations, quis'y créent, deviennent souvent une école du vice et des crimes dont lasociété a bientôt à souffrir. »

Le rapporteur assure que le moment est favorable, sans avoir àaugmenter l'impôt qui pèse sur les contribuables. Il cite les exemplesde maisons de détention bâties sur des plans nouveaux, en Belgique,en Angleterre, aux Etats-Unis, en Suisse, appelés systèmes cellu-laires et se réfère à l'ouvrage de MM Beaumont et de Tocqueville,paru en France en 1833. Il expose les deux régimes en concurrence,déjà cités : le régime d'Auburn, incluant la séparation des détenus lanuit, le travail en commun le jour, avec silence obligé, mais pourlequel il faut « souvent employer les châtiments corporels » pourl'obtenir... et le régime de Philadelphie (ou pennsylvanien), avec

19. Le Bien Public, 18 août 1875. « La nouvelle maison d'arrêt », parNicolas Fétu. L'auteur dénonce « les fioritures » dont Vionnois a orné lesbâtiments et en particulier le portail. Celui-ci relève de l'architecture parlante. Ilest destiné à frapper l'imagination par son allure monumentale, ses pierres àbossages et ses chaînes sculptées.

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séparation continue pendant la nuit et le jour, mais comportant « letravail isolé pour en tempérer la rigueur ». Toutefois, ce systèmen'est possible que pour les condamnés à des peines d'un an et moins,car le rapporteur ajoute, sur un ton pathétique : « l'isolement completinduit des altérations profondes dans la santé des détenus s'il seprolonge pendant un certain nombre d'années. L'expérience a montréque le prisonnier s'y consume dans le marasme, son intelligences'éteint, l'idiotisme, la démence, la mort même en sont souvent lasuite ! »

Enfin, si le rapport conclut que « les deux systèmes ont chacunleurs avantages et leurs inconvénients », les membres de la commis-sion, considérant que « le premier (auburnien), réclame particulière-ment et souvent des punitions corporelles », optent pour le secondprojet de type pennsylvanien 20.

2- Les projets. Le 27 août 1849, Jean-Philippe Suisse adresse unprojet se conformant aux exigences ministérielles et au rapport duConseil général. La future prison comprendra 152 cellules, y compris8 de punition, 6 grands préaux, un bâtiment d'administration et deservice, avec vestibule, guichet, cuisine, office, lavoir. Quant à lasituation géographique, l'architecte expose que « son plan peut s'ap-pliquer à l'emplacement du jardin de la gendarmerie » ( qui occupaitalors l'ancien château) et ajoute que, « si le Département voulaitconserver ces restes de construction du moyen-âge, l'acquisition d'unha de terrain serait suffisante. » II propose en conséquence lequartier saint Bernard, « à cause de la proximité de la gendarmerieet de la ville. »

Le 18 mai 1850, Jean-Philippe Suisse reçoit de nouvelles ins-tructions pour la rédaction définitive de son projet : il doit assurer unisolement des détenus, plus complet que celui de la prison de Beaune,qu'il a construite précédemment (démolie en 1975), le terrain surlequel la prison sera bâtie doit être étendu à trois hectares, les préauxseront plus nombreux. Des critiques lui sont adressées sur d'autrespoints, comme ceux concernant les chemins de ronde, la hauteur desmurs, les cours de service, les emplacements du corps de garde. Il luiest aussi demandé des cellules pour 200 prisonniers, des infirmeries,magasins, locaux pour les soeurs de Charité. Le 7 mai 1851, Le

20. On constatera toutefois assez rapidement que ce projet est dispendieux,car il nécessite trois fois plus de place et augmente les coûts en matériaux néces-saires pour la construction des cellules individuelles.

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Conseil des Bâtiment Civils et le ministre de l'Intérieur approuventles plans de la maison d'arrêt, sous réserves de quelques modifica-tions concernant l'épaisseur des murs, pour un coût total estimé à587 718 Fr21.

3- Recherche d'un emplacement. Une commission est chargéepar le Conseil général de rechercher un terrain propice à l'installationde la prison. Cinq lieux sont retenus : le long de la route de Langres,derrière la caserne des Capucins (caserne Vaillant, avenue duDrapeau) ; sur un clos, chemin de Mirande (à l'angle de la rue deMirande et du boulevard Voltaire), rejeté en raison de la demanded'indemnités trop élevées et de l'impossibilité d'agrandissement ; auCreux d'Enfer, refusé, en raison de la situation sur une montagne(sic), nécessitant des murs trop élevés ; au faubourg saint Bernard,rue de Montigny, entre les rues de Fontaine et d'Ahuy, projet proposépar Suisse, mais qui est écarté car le quartier est en plein développe-ment ; enfin, sur un clos, situé dans la plaine à l'extrémité dufaubourg saint Pierre, appelé ancienne maison de Retraite, qui appar-tient à l'Evêque de Dijon 22. Le terrain, entouré de murs, consiste enbâtiments, cours, jardins, aisances et dépendances, sur un peu plus dequatre hectares en nature de terres labourables et luzerne. Sur le côténord, il est longé par la rue d'Auxonne actuelle et le cours du Suzon.Le sol est constitué par une couche de gravier solide ; les hautes eauxn'arrivant qu'à 1,70 m au dessous du sol, il sera possible d'établir ledallage des souterrains prévus à 1,30 m en contrebas du sol naturel.Le rapport est donc favorable à l'achat du clos ; la seule objectionprésentée, l'éloignement par rapport à la caserne de gendarmerie, estbalayée par la construction d'un corps de garde de 60 hommes à côtéde la prison. La vente du terrain est approuvée par décret de LouisNapoléon le 30 janvier 1852. L'acte est signé le 17 avril 1852, pour

21. A.D.C.O., 4 N 4/127, 4 N 4/12822. Domaine des Jésuites. C'est grâce au legs de Pierrette Gauthier, le 10

octobre 1681, que les Jésuites acquièrent ce terrain pour y édifier « une maisonservant de retraite à tous ceux qui voudraient en profiter. » Une clôture est crééeen 1725 entourant des bâtiments qui sont construits en 1727. Des allées sonttracées par la ville en 1755, dans le prolongement de celles de Montmuzard etprennent alors le nom du domaine ; une place ovale en face de la porte d'entrée estégalement établie. (Arch. mun. Dijon, J 27.) Le pont est reconstruit sur le Suzonpar Thomas Dumorey (A.D.C.O. C 4082). La propriété est cédée aux Lazaristesen 1769 (A.D.C.O., 67 H 1003), puis confisquée par la Nation, pour être amodiéele 6 fructidor an IV et passer ainsi à divers particuliers, dont l'évêque de Dijon(A.D.C.O., II V 25).

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F i e 6.- plan masse de la maisond'arrêt. A.D.C.O., 4 N 4(cliché Bernard Sonnet)

FIG. 1.- porterie de la maison d'arrêt. A.D.C.O., 4 N 4(cliché Bernard Sonnet)

FIG. 8.- bâtiment d'administration de la maison d'arrêt. A.D.C.O., 4 N 4(cliché Bernard Sonnet)

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FiG. 9.- plan d'ensemble par Jean-Philippe Suisse. A.D.C.O., 4 N 4(cliché Bernard Sonnet)

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FIG. 10.- coupe longitudinale. A.D.C.O., 4 N 4(cliché Bernard Sonnet)

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Fie 11.- coupe transversale. A.D.C.O., 4 N 4{cliché Bernard Sonnet)

FiG. 12.- Vue aérienne. Avril 1958. A.D.C.O., 1193 W 71(cliché Bernard Sonnet)

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34 000 F, en l'étude de Maître Rouget, par Monseigneur François-Victor Rivet et le préfet, le baron de Bry.

4- Les bâtiments. Les bâtiments, dont l'axe est déterminé parcelui de la grande allée de la Retraite qui est en face, (fig. 6) com-prennent : un pavillon pour le logement du portier et corps de gardeentourés d'un mur circulaire (fig. 7), puis une cour de 45 m par 85 mconduisant au bâtiment d'administration (fig. 8), dans lequel sontsitués les caves, cuisines, dessertes, pièces diverses, logements detous les gens de service, ensuite une galerie couverte et fermée allantà la prison. Celle-ci forme une croix (fig. 9, 10) dont les brasrayonnent à partir d'une rotonde centrale de 13m de diamètre. L'en-semble contient 200 cellules, y compris huit cellules de punitionconfinées dans le soubassement, retrouvant les bonnes dispositionsdécriées auparavant. Chaque bras, long de 41,60 m, est formé d'unegalerie, de trois étages de balcons sur lesquels ouvrent les portes de48 cellules, (fig. 11, 12) Une tour de forme octogonale est édifiée aucentre de la rotonde, comprenant un poste d'observation au premierniveau et, au-dessus, une chapelle, avec colonnes en fonte, chapi-teaux, corniche et frise, partie inférieure vitrée, desservie par unescalier hélicoïdal. Dans le soubassement, outre les cellules depunition déjà évoquées, sont établies deux salles de bains, deux sallesde désinfection des vêtements, les calorifères, du même type queceux de la préfecture, car ils ont donné entière satisfaction et, sous larotonde, des dégagements. Entre les ailes extérieures sont situés despréaux couverts ou non couverts, des jardins d'isolement pour lesgardiens. Sur les flancs de ces ailes et c'est là une des grandes préoc-cupations de Charles Suisse qui leur consacre trois pages, sontdisposées des fosses d'aisances à deux étages dont la vidange serafaite par les jardins. Enfin, divers bâtiments annexes sont élevésalentour. L'ensemble est ceint par un mur de 5 m de haut avec unchemin de ronde. En ce qui concerne les dispositions particulières, onnote que les murs extérieurs ont une épaisseur de 0,60 m, les murs derefends 0, 45 m. Chaque cellule, de 2,30 m x 4,10 m et 3 m dehauteur, 3,40 m entre chaque niveau, ouvre sur la galerie par uneporte à deux vantaux. L'un d'eux est entrebâillé en direction de lachapelle afin que les détenus puissent assister à la messe 23. Lescellules sont voûtées en briques, hourdées au mortier bâtard, enduitesen plâtre. Le sol, en planches de madriers de sapin sur soliveaux en

23. Je remercie M. le bâtonnier François de Monjour de m'avoir rappelé quecet usage était encore en vigueur dans les années 1950.

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chêne, est isolé des voûtes du niveau inférieur. L'éclairage est procurépar une fenêtre haute. L'hygiène est assurée par un siège d'aisanceformé par une cuvette en fonte à bascule, placé du côté des mursgoutterots et par un bassin en pierre avec un tuyau d'eau. L'architectea pris soin de faire passer ces tuyaux dans les murs, en particulierceux des vidanges, pour éviter les inconvénients des prisons deBeaune et de Chalon-sur-Saône, sans préciser lesquels (le gel ?).Enfin, dernière pointe de confort, le chauffage est assuré par unebouche de chaleur, alimentée par 4 calorifères, avec reprise d'airextérieur, « afin qu'il ne soit pas vicié »...

Le devis précise en outre que le comble de la rotonde, forméd'une charpente en fer, doit être couvert en zinc sur un voligeage enbois, surmonté d'un lanterneau vitré, les ailes, en tuiles plates d'Alt-kirch. Quant aux galeries, supportées par des consoles en fontegarnies d'un plancher en chêne, elles sont bordées par un garde-corpsen fer et reliées par des ponts; on y accède par 9 escaliers.

L'éclairage naturel est assuré par de grandes baies situées auxextrémités des galeries ; mais l'éclairage artificiel n'est pas précisé.

5- Les travaux. Les travaux sont adjugés le 27 mai 1852 24 et lesouvrages supplémentaires le 17 janvier 1853. On a fait appel princi-palement à des entreprises dijonnaises, mais les lots maçonnerie etserrurerie sont adjugés à des maisons parisiennes. Le devis insiste surla qualité des matériaux qui doivent être employés : pour les pierres,qui viennent des carrières de Dijon ou de Larrey, pour les fers quiseront de première qualité, bien travaillés, à boulons rivés, colletsrenforcés, calibres observés rigoureusement. Des plus-values sontconsenties pour les serrures de portes des cellules, « plus compli-quées que celles prévues au devis ». Le 27 août 1855, Jean-PhilippeSuisse fait état des travaux presque achevés pour le gros-œuvre.

Le 28 janvier 1856, le ministre de l'Intérieur, Persigny, demandeun projet complémentaire afin d'élever le mur d'enceinte à 6 m au lieude 5. Une note regrette le système de siège dans chaque cellule, pourune prison où la séparation individuelle ne doit exister que la nuit, enapplication du nouveau régime pénitentiaire établi en 1853 25. Eneffet, depuis l'instauration du régime impérial, l'augmentationsensible de la population carcérale entraîne un surcoût de la construc-tion. Par ailleurs la prison n'est plus considérée comme un lieu derédemption, mais de répression.

24. A.D.C.O., 4N4/128.25. Circulaires des 17 août 1853, 13 mai et 11 août 1854.

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6- Le mobilier. Le mobilier d'une cellule, est composé d'un liten fer, de 1,90 m par 0,70m, fixé au mur et pouvant se rabattre, d'unmatelas en toile de coton rayé, garni de 12 kg de zostère 26, d'untraversin, de deux couvertures, l'une en laine grise, l'autre en coton,un drap plié en deux, un escabeau et une table en chêne « arrêtée »(sic) au plancher par deux fortes équerres, une tablette en sapin pourdéposer les vêtements, un rideau en toile, avec tringle et le sièged'aisance déjà décrit. Les ustensiles consistent en un gobelet de ferétamé et un balai d'un mètre (sans manche !)27.

Sur la réclamation que le directeur adresse au préfet, des sépa-rations grillées sont posées au parloir pour empêcher les visiteurs depasser des objets prohibés aux détenus. On a en effet trouvé de lacharcuterie cachée sous la casquette de l'un d'entre eux (7 mars1857) 28 !

En 1859, un devis supplétif est donné pour la construction desmurs des préaux et du chemin de ronde. La même année, l'aménage-ment d'une place ovale au carrefour formé par la rue d'Auxonne etles allées de la Retraite, ainsi que la couverture du Suzon, sontprojetés suivant les plans de Jean-Philippe Suisse. Cette opération nesera réalisée que du côté de la prison, car la ville refusera, en 1860,d'aménager l'autre partie sous le prétexte que ses ressources sontinsuffisantes 29.

CONCLUSION

Au cours de cette recherche de la prison idéale, Dijon apparaîtainsi comme un exemple et une exception. Jean-Philippe Suisse aappliqué scrupuleusement les instructions de la circulaire de 1841 ;mais la construction de sa prison se place à une période charnière, oùles idées philanthropiques n'ont déjà plus cours, où les gestionnairesl'emportent momentanément sur les réformateurs. En effet, dès 1853,des modifications sont apportées pour augmenter les capacitésd'accueil, abolissant ainsi les dispositions d'internement cellulairecontinu au profit d'un régime communautaire. Par la suite, la loi de1875 généralise l'emprisonnement cellulaire, c'est à dire l'isolement

26. Nom savant du varech.27. A.D.C.O., 4N4/128.28. A.D.C.O., 8 M, rapports de police.29. A.D.C.O., ici, aménagement d'une place ovale, 1859-1860. Plans.

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total. Mais son application sera si lente qu'il faut attendre... la loi du15 juin 2000, qui rappelle que chaque cellule doit être occupée par undétenu. Comme l'écrit un historien des prisons : « une prison modèleen chasse toujours une autre ». Ce chantier permanent doit permettrede résoudre cette immense question : « punir sans déshumaniser »30.

(Séance du 14 février 2001)

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

Le nombre d'ouvrages écrits sur les prisons étant très important,n'ont été retenus que ceux qui traitent plus particulièrement de l'ar-chitecture carcérale et ceux relatifs à la maison d'arrêt de Dijon.

FOUCART (J.), Les graffiti de la rue d'Auxonne. Dijon, 1965.FOUCART (B.), « Architecture carcérale et architectes fonctionnalistes

en France au XIXe siècle », Revue de l'Art, 1976, n° 32.GAUCHAT (Roger), « Les quartiers extérieurs de Dijon », M.C.A.C.O.,

t. XXII, p. 191, t. XXVI, p. 404.MARQUES (C), « Les lieux de détention à Dijon au fil des siècles »,

Le Bien Public, 14 mars 1999.PETIT (J.-G.), Ces peines obscures : la population pénale en France.

1780-1875, éd. Fayard. Paris, 1990.

30. Reconstruire pour moderniser l'institution pénitentiaire. Introductionpar Madame Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Plaquetteéditée par le ministère de la Justice, ca 2001.