Attac. Normalisation et supranationalité. Essai autour du G8

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Normalisation et supranationalité Essai autour du G8 Thibault Le Texier – <[email protected]> Document de travail Juillet 2007

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Normalisation et supranationalité

Essai autour du G8

Thibault Le Texier – <[email protected]>

Le G8, l’Etat, le marché

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Document de travail Juillet 2007

T. Le Texier 3

Table des matières

Un monde d’Etats ............................................................................... 4

Chapitre 1 — Fonds, formes, fonctions, moyens, fin ......................... 8 Ambivalence de la forme .................................................................................... 10

Réduit et ouvert, 10. — Privé et public, 14. — Informel et stable, 22. Ambivalence du fond........................................................................................... 23

Stabilité monétaire, sécurité énergétique, libéralisation commerciale, 23. — Et le reste, 31.

Polyvalence des fonctions .................................................................................. 32 Compréhension, 32. — Coordination, 40. — Direction, 43. — Impulsion, 44.

Polyvalence des moyens .................................................................................... 47 Discours signalétique et normatif, 47. — Maîtrise et modulation du corset institutionnel supranational, 52.

Chapitre 2 — Le G8 et le champ supranational ............................... 59 Désordonner ....................................................................................................... 65

La morale, 65. — Le droit, 71. — Les institutions publiques, 75. Normatiser .......................................................................................................... 83

Un univers de discours, 85. — Un univers de principes, 91. Normaliser ........................................................................................................ 100

Les institutions publiques, des organisations parmi d’autres ; le gouvernement, un mode de gestion comme un autre, 102. — Les institutions publiques comme groupes d’intérêt ; le gouvernement comme administration, 108. — L’Etat de droit ; le gouvernement de l’environnement structurel, institutionnel et humain du marché, 111. — Les institutions publiques et le hors-marché ; le gouvernement et les dysfonctionnements du marché, 124.

Un monde de marché ....................................................................................... 130 Ordre du marché, 130. — Totalité du marché, 133. — Logique du marché, 139. — Vérité du marché, 141.

Raison du champ supranational .....................................................144

Annexes............................................................................................150

1. Bibliographie et sources ............................................................................... 150 Documents officiels, 150. — Ouvrages sur le G8, 150. — Ouvrages généraux, 151. — Articles et rapports cités, 154.

2. Recherche d’occurrences dans les déclarations officielles .......................... 163

3. Acronymes .................................................................................................... 164

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Un monde d’Etats Esquisser une analyse des relations internationales à partir d’une institution peut apparaître comme une grossière erreur de méthode. Pourquoi courir le risque des explications circulaires, enfermées dans la trame et la logique des blocs, condamnées à escamoter, finalement, les relations derrière les organisations ? C’est pourtant ainsi que la plupart de ces entreprises commencent et finissent depuis près de quatre siècles, rivées à la figure de l’Etat et au concept de domination, ne voyant de relations qu’entre Etats et de domination toujours, d’hégémonie, d’autorité, d’agglomérations que d’Etats, rebondissant d’un bloc institutionnel à un autre ou se cantonnant aux fonctions dominatrices et reproductrices de l’institution, ne cessant jamais de tourner en rond autour du grand trou noir de la contrainte étatique. De fait, depuis Platon et Aristote, la politique est largement pensée comme une relation de domination entre gouvernants et gouvernés. Au cours du haut Moyen Age européen, cette domination a été rapportée à l’Etat, et sa compréhension à la mise en lumière des modalités ou de la nature de cette autorité. L’histoire contée de l’Occident a été, depuis lors, celle d’une captation progressive par les instances publiques des relations de pouvoir et de leur compréhension. Point de référence et ordonnateur suprême des pratiques autant que des réflexions politiques, le pouvoir étatique a modulé, institutionnalisé, digéré peu à peu les différents champs et instruments de pouvoir et de la vie humaine tels que la guerre et l’armée, la sécurité et la police, la justice et le droit, l’économie et les marchés, le territoire et les infrastructures, la population et l’hygiène, le lien social et la sphère publique. Il est devenu la mesure du pouvoir à l’échelle nationale aussi bien qu’extranationale, et la science politique est largement restée, jusqu’à nos jours, une science de l’autorité de l’Etat, attachée qu’elle était à sa face interne (système de police) ou externe (dispositif diplomatico-militaire)1. La domination était l’arbre qui faisait la forêt politique, l’Etat était le clou qui faisait tenir l’architecture internationale et n’autorisait son analyse qu’en termes de marteau, selon l’idée que le sens de l’histoire et le sens commun ne peuvent se regarder que comme dans un miroir. Maniant des universaux forgés par la philosophie, le droit puis la science politique – tels les Etats et la domination, donc, la société civile, le droit, la représentation, la puissance, le pouvoir, la souveraineté, la légitimité, la légalité, la guerre, l’équilibre des puissances… – et des événements historiques – de la bataille de Marignan à la Première Guerre mondiale, du traité de Westphalie au Protocole de Kyoto… –, la pensée des relations internationales a consisté pour une grande part à expliquer les seconds par les premiers ou inversement, voire les premiers par les premiers et

1 Même le courant cosmopolitique contemporain, où s’inscrivent par exemple par D. Held, R.

Harvey, et U. Beck et qui abolit l’espace national au profit d’un espace transnational, applique paradoxalement à ce dernier les principes et les schèmes politiques propres à l’Etat. Les acteurs transnationaux embarqués dans ces analyses sont soit étatiques, soit non étatiques (le secteur privé regroupant, quoi qu’ils en disent, autant les groupes à but lucratif que non lucratif). S’il y a réseaux, associations, ensembles, c’est toujours par rapport à l’Etat qu’ils sont définis.

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réciproquement1. Au cours du XIXe siècle et dans la seconde moitié du XXe, des notions tirées de l’économie, de la physique, de la biologie et de l’informatique – gestion, intérêt, jeu, acteur, performance, coûts de transaction, utilité, champ, milieu, organisme, force, information… – et la prise en compte de phénomènes difficilement rabattables sur la catégorie d’Etat, comme la culture et l’environnement, sont venus modifier la donne sans que les règles d’explication en soient globalement modifiés2. Les termes pivots de puissance, de pouvoir, de domination, ou encore d’hégémonie continuaient la plupart du temps d’être acceptés sans jamais faire les frais, même modestes, d’une interrogation sur les réalités auxquelles ils peuvent différemment renvoyer, sur quoi ces réalités s’exercent et sur quoi elles se fondent. Le « comment » continuait de divertir la plupart des énergies, et le dévoilement tantôt de l’hégémon tantôt de la nature de l’équilibre international de façonner la majorité des recherches en sciences politiques tout autant que les référents des pratiques politiques à l’échelle internationale3. La focalisation depuis quatre siècles de la pensée politique sur l’Etat-nation, vainqueur de toutes les autres formes d’organisation, avait gommé tout un imaginaire de continuités, de conflits et de frontières qui s’en affranchissait.

1 De l’avis, par exemple, d’un penseur pourtant iconoclaste du politique, la domination, caractérisée

par son mode de légitimation, reste une modalité majeure de la compréhension du politique, sinon de la société. En ce sens, si elle veut rencontrer la docilité d’un groupe social donné et avoir la possibilité de pouvoir durer, la domination doit être fondée en légitimité. Un célèbre auteur contemporain a repris cette idée qu’un régime politique ne peut assurer sa stabilité qu'en « cherchant à éveiller et à entretenir la croyance en sa légitimité. » D’après cette lecture, la domination du G8 serait moins de caractère rationnel ou légal, traditionnel ou héréditaire, que de caractère charismatique et exemplaire. (M. Weber, Economie et Société, Vol. 1, 1921, p.289 ; J. Habermas, La Technique et la Science comme « idéologie », 1973, p.40)

2 Ainsi, selon d’influents penseurs libéraux contemporains tels que Keohane, les principes régissant la coopération internationale obéissent-ils à des règles quasi-scientifiques : la coopération est tributaire d’intérêts partagés ; elle s’accroît en proportion du déclin de la puissance dominante et du nombre de coopérants ; leur multiplication accroît les coûts de transaction, réduit la pertinence de l’information et sa lisibilité. D’après un sondage paru il y a un an dans le journal Foreign Policy, Keohane était, pour la moitié des universitaires américains interrogés, le penseur le plus influent. (R. Keohane, After Hegemony: Cooperation and Discord in the World Political Economy, 1984 ; S. Peterson, M. J. Tierney, D. Maliniak, “Inside the Ivory Tower”, Foreign Policy, November/December 2005)

3 Entre un premier schème, réaliste, forgé à partir de la notion d’hégémonie, et un second, libéral-institutionnel, basé sur la coopération interétatique, se tient depuis près de trois siècles un débat théorique sur la forme idéale d’organisation de l’internationalité : la première reposerait sur l’équilibre des puissances ; la seconde sur la force et conduirait historiquement à la guerre généralisée. Les enjeux de cette joute ne sont pas la possibilité du changement mais ses modalités (l’obligation mutuelle plutôt que la démonstration de force unilatérale) et le cadre d’apparition des conflits. D’un côté, d’après des théories « réalistes » aussi diverses et influentes que celles de John Locke, Jeremy Bentham, John Stuart Mill, Woodrow Wilson, Fernand Braudel, Susan Strange, Samuel Huntington, Francis Fukuyama ou encore Joseph S. Nye, le principe selon lequel le monde a toujours été sous la coupe d’un hégémon serait à la science politique moderne ce que la loi universelle de la gravitation est à la physique. Il existe ainsi un schéma traditionnel de l’hégémonie mondiale selon lequel une puissance – urbaine ou stato-urbaine jusqu’au milieu du XVIIIe siècle et depuis étatique – concentre ressources et pouvoirs. D’un autre côté, les conceptions institutionnalistes et libérales affirment l’interdépendance des Etats et leur nécessaire coopération à travers la trame des institutions internationales. Selon une telle lecture procédurale, la « gouvernance » devrait, à terme, remplacer le gouvernement.

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Selon ces différentes démarches, l’étude du G8 consisterait à le passer au tamis des concepts politiques traditionnels et modernes pour en questionner la légitimité ou en évaluer la performance1, à mettre en lumière l’équilibre des puissances qui s’y fait jour et les rapports de force qu’il implique2, à conjecturer à partir d’indicateurs souvent contradictoires sur l’hégémonie montante ou déclinante des Etats qui le composent3, à dénouer les compromis et les marchandages qui ont permis telle décision ou telle mise en œuvre, les décisions et les mises en œuvres qui ont mené à telle situation, etc.4, tout en ignorant la nature protéiforme de ce qui fait la « puissance », et le fait que le terme même n’est cité qu’à quatre reprises par le G85. La méthode adoptée ici est autre, du moins partiellement, l’analyse du G8 nécessitant de sortir du discours circulaire qui indexe à la figure étatique universaux et événements. Ce n’est pas que l’Etat soit en voie de disparition, c’est qu’il est insuffisant à entendre l’espace mondial, non plus que ces « universaux » soient inopérants, mais infiniment subjectifs, c’est-à-dire aucunement universels. 1 C’est le cas par exemple des ouvrages de Nicholas Bayne sur le G8 (R. D. Putnam & N. Bayle,

Hanging Together: Co-operation and Conflict in the Seven-Power Summit, 1984 ; N. Bayne, Hanging In There: The G7 and G8 Summit in Maturity and Renewal, 2000 ; _ Staying Together: The G8 Summit Confronts The 21st Century, 2005)

2 Certains, comme Nicolas Bayne et Robert Putnam, privilégient la thèse de l’hégémonie américaine ; d’autres, comme Alison Bailin, affirment que les mécanos institutionnels sont bien, toujours, une question d’équilibre des puissances. Pour preuve de ces deux démonstrations, les Etats-Unis ont été le fer de lance de la création du G20 pour contrer le poids de l’Europe au sein du Comité international monétaire et financier du FMI et du G10. Précisément, l’outil quantitatif privilégié par ce type d’étude semble assez ambivalent pour prouver à peu près tout et son contraire, la multiplication des lois pouvant par exemple, pour reprendre le mot de Tacite, signifier que l’Etat se décompose (Corruptissima res publica, plurimæ leges) ou au contraire qu’il se renforce, et les alliances pouvant être lue comme des coalitions de pouvoirs faiblissants ou la constitution d’un pouvoir supérieur. (Tacite, Annales, III, 27)

3 Cf. A. Bailin, From Traditional To Group Hegemony, 2005 ; M. Fratianni, J. Kirton, P. Savona, A. M. Rugman, New Perspectives On Global Governance, 2005 ; E. Kokotsis, Keeping International Commitments, 1999

4 C’est le cas des approches chronologiques du G8, privilégiées dans la plupart des ouvrages susmentionnés.

5 La puissance du G8, ce sont d’abord, à en croire les ouvrages qui y sont consacrés, des chiffres. Ses membres possèdent respectivement plus de 40 % et plus de 50 % des droits de vote au sein de la Banque mondiale et du FMI, représentent les deux tiers du PIB mondial et cumulent vingt-sept mille milliards de dollars de PNB annuel, abritent les sièges sociaux des principales multinationales de la planète, réalisent 50 % des échanges de biens et de services dans le monde, rassemblent les deux premières puissances culturelles anglophones de la planète, détiennent quatre des cinq sièges permanents au Conseil de sécurité et sont les principaux créanciers des pays pauvres de la planète, qui leur remboursent chaque année près de quatre cents milliards de dollars. Néanmoins, aucun critère isolé ne saurait justifier la composition du G8. Selon le paramètre économique et industriel, la Chine, l’Inde et le Brésil y auraient aujourd’hui droit à une place de choix, et l’Italie, la France et le Canada pourraient demander à intégrer le G77. Selon le critère financier, ni la France, ni l’Italie ni la Russie ne devraient en être. Démocratique ? Dehors la Russie. Culturel ? Certes le G8 s’appuie sur le rayonnement culturel anglo-saxon et le réseau faiblissant des pays francophones, mais il faudrait y inclure au moins un pays hispanophone ou du moins latino-américain tel que le Brésil et un pays musulman comme l’Indonésie. Si c’est le critère démographique, l’Inde, la Chine et l’Indonésie y ont leur place, aux côtés des Etats-Unis et de la Russie, mais pas des autres. Si c’est le critère militaire, l’Allemagne et le Japon, deux pays sans armée en 1975, n’aurait dû en être.

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Ce qui se passe à mon sens dans la seconde moitié du XXe siècle, c’est que ni l’Etat ni la domination ne peuvent fonctionner comme les premiers principes d’intelligibilité du politique. S’y ajoutent, alors que semble s’ouvrir un champ supranational au-dessus des Etats et en dehors de leur total contrôle, des acteurs et des mécanismes de régulation jusqu’ici mal identifiés par les radars de la science politique. Ce qui impliquerait de refuser de penser le pouvoir en termes de gouvernement ou comme un ensemble d’interdits, et de reconnaître pour l’occasion son aspect créateur. La fixation sur la politique comme domination, ou même sous sa forme atténuée et intraduisible en français de « leadership », sur l’Etat comme parangon moderne de cette domination, sur la loi comme principale instrument de domination de l’Etat : voilà ce dont ce travail, avec l’aide de son objet, entend se défaire. Pour mener à bien cette tâche, il faut à mon sens tirer de l’analyse de la pratique du gouvernement telle qu’elle se donne à lire dans le fonctionnement et le discours du G8 une grille d’intelligibilité de son discours et du champ qu’il informe ; essayer de mettre à jour, à partir du G8, une certaine logique, une mécanique des rapports de pouvoir à l’échelle internationale, une certaine structure du champ de ces relations, moins en termes de causalités que de contextes, de séries, d’effets de champ, de phénomènes structurants. Le G8, de par sa pratique et son discours, invite à entreprendre non pas une histoire des relations « inter-nationales » mais une analyse de l’évolution du champ stratégique d’effectivité des phénomènes « supra-nationaux », à sortir d’une analyse des relations internationales en termes d’Etat et de domination comme il faudrait libérer l’analyse de l’Etat du principe de souveraineté pour voir ce que serait une raison des relations supranationales qui ne soit pas une autre forme de la raison d’Etat. Bref, le G8 me semble compréhensible non pas à la lumière mais à l’ombre de cette étatisation. Bref, de l’expression « relations internationales », ne gardons d’abord que le terme « relations ». Une première partie se pliera aux schémas directeurs de l’analyse politique traditionnelle des relations internationales et du pouvoir, selon le double axe institutionnel (qu’est-ce que le G8 ?) et normatif (qu’est-ce qui légitime le G8, ou du moins le justifie ?). Dans un second temps, il s’agira d’extraire de ce canevas une analyse du pouvoir à l’échelle supranationale, au moyen notamment de la catégorie de normativité et au travers du phénomène de marché tel qu’il se donne à lire dans les déclarations de notre instance. Par souci d’historicité, et peut-être aussi à rebours des études de la mondialisation qui, à la manière des romans d’initiation, voient dans chaque changement une nouveauté, je ne m’interdirai pas d’aborder l’histoire dans son temps long. Enfin, des nécessités d’argumentation et de pédagogie résultent un appareil de note conséquent qui n’alourdira pas trop, je l’espère, votre lecture1.

1 Pour plus de commodité, la référence complète des ouvrages, articles et sources cités est

renvoyée en annexe 1.

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Chapitre 1 Fonds, formes, fonctions, moyens, fin

25 mars 1973. Le secrétaire américain au Trésor, George Shultz, invite à Washington, dans la bibliothèque de la Maison Blanche, les ministres français, britannique et allemand des Finances pour une discussion informelle sur les problèmes monétaires internationaux. L’année suivante, leur homologue japonais rejoint le « Groupe de la bibliothèque », et apparaît à cette occasion dans les journaux l’expression « groupe des Cinq », ou G5. Ces réunions, informelles et de taille modeste, servent très probablement de patron à la rencontre convoquée en novembre 1975, au château de Rambouillet, par le Président français Valéry Giscard d’Estaing et le Chancelier de l’Allemagne fédérale Helmut Schmidt, qui avaient participé aux réunions du Groupe de la bibliothèque en tant que ministres des Finances. Les autres dirigeants des pays membres G5 et celui de l’Italie vont y « discuter des affaires du monde » dans une « ambiance décontractée1 ». Le G7, appelé alors aussi « Sommet économique mondial », est né, quoique le Canada n’y soit admis que l’année suivante. En 1978, le club convie l’Union européenne à titre d’observateur. La Russie, invitée depuis 1991, membre à part entière pour les discussions politiques à partir de 1994, rejoindra complètement le club en 1998, le G7 devenant G8. Espace limité propice à l’observation, le G8 offre l’avantage d’être relativement dénudé2. Outre qu’il paraît être au cœur de la régulation économique mondiale depuis un tiers de siècle, s’ajoute le fait qu’il est un objet peu étudié par les chercheurs, un sujet souvent mal compris par les journalistes, aussi prompt à en dénoncer la vacuité qu’à réserver un billet et une chambre dès connus le lieu et la date du prochain sommet, et largement ignoré du « public ». Voilà qui répondrait à la question du choix du G8 comme opérateur pour traverser le champ supranational et aborder les formes contemporaines de normatisation. Pour ce qui est de savoir pourquoi y a-t-il le G8 plutôt que rien alors que les Etats-Unis semblent tout-puissants, du moins dans le camp occidental, alors qu’existent un maillage diplomatique mondial, des institutions internationales publiques sorties de la seconde guerre mondiale, un réseau supranational d’institutions privées telles que le groupe de Bilderberg et la Commission Trilatérale, des ensembles régionaux et des organismes multilatéraux de coopération, la réponse est à suivre et ne peut être pour l’instant que partielle. Mettons que les Etats-Unis, en dépit de leur importance économique, n’ont plus semblé en mesure, au début des années 70, d’assumer

1 « Historique du G8 », site officiel du sommet d’Evian, 2003 2 Les déclarations finales, comptes-rendus, conférences de presse, et compositions des délégations

des sommets sont disponibles à l’adresse : <http://www.g7.utoronto.ca/francais/index.html>.

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seuls le rôle de stabilisateur économique mondial1. Mettons aussi que les institutions supranationales, qu’elles fussent ou non formelles ou publiques, sont apparues aux membres du G8 soit bureaucratiques, soit rééquilibrées au désavantage des anciennes puissances, soit bloquées par la nécessité d’un impossible consensus, soit condamnées à la confidentialité, sinon au secret, soit réutilisables quoi qu’il en soit. Car le G7 n’est pas sorti tout armé de la cuisse des Jupiters de la politique internationale. De même que le Congrès de Vienne a été une référence de la Conférence de paix de Paris en 1918 et l’expérience de la SDN (Société des Nations) au cœur de la création de l’ONU (Organisation des Nations unies), les géniteurs du G8 ont tiré les leçons de la foisonnante histoire institutionnelle du troisième quart du XXe siècle et de modèles de coopération interétatiques bien antérieurs2. Constitué en rejet de la bureaucratie et la relative démocratie de l’ONU, du formalisme de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques)3 et des IFI (Institutions financières internationales) ainsi que de leur limitation thématique, du secret des appareils diplomatiques, de l’impératif géographique des ensembles économiques régionaux, du déséquilibre du G104, de la contrainte des modèles de coopération, de l’armature branlante et relativement inefficace du système juridique international, de l’inefficace et bruyant recours aux armes, le G7 serait cette instance protéiforme et multifonction – au risque d’être contradictoire et de se disperser – qui résiste aux schèmes classificatoires en vigueur dans les sciences politiques5. Plurivalent, tel serait l’adjectif qui lui

1 Il est à cet égard significatif que ce pays, qui était à l’origine des principaux montages

institutionnels supranationaux depuis la Seconde Guerre mondiale, ne fût qu’indirectement au fondement du G8.

2 A la fin de la Première Guerre mondiale, dans la perspective de la Conférence de Paris, le ministère des Affaires étrangères anglais avait commanditée une étude du Congrès de Vienne pour servir d’exemple à ses délégués. Le Secrétaire d’Etat américain Henry Kissinger aurait de même influé le débat sur la forme à venir du G7 en défendant le modèle du concert européen à la Bismarck sur lequel il avait fait sa thèse de doctorat.

3 En 1973, l’OCDE, forum de coopération comprenant les 24 pays les plus industrialisés, avait été prise au dépourvu par la décision des membres de l’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) de réduire leur production annuelle et s’était trouvée bloquée par sa règle de décision à l’unanimité et le refus de ses membres de lui fournir les chiffres de leurs réserves et de leur consommation énergétiques. Désagréments qui conduisirent à la création dans la douleur, en novembre 1974, de l’AIE (Agence internationale de l’énergie).

4 Huit membres sur les onze en comptant la Suisse étaient européens, ce qui conduisit très probablement les Etats-Unis à faire entrer le Canada dans le G6 en dépit de son importance économique secondaire.

5 On peut distinguer trois catégories principales d’instances supranationales. a) Les institutions internationales, constituées d’Etats, basées sur des traités ou des accords internationaux, formalisées et plus ou moins institutionnalisées sur le modèle étatique, généralement ouverte à la coopération avec les acteurs non gouvernementaux, entendent assurer la paix et le commerce international au moyen d’une réglementation juridique. b) Les institutions diplomatiques, constituées de représentants d’Etats, sortes de conférences de diplomates continues, sont souples, évolutives, réformables et visent à la coordination des politiques, à la préparation des décisions, à la formalisation ainsi qu’à la signalisation de positions communes au moyen de réunions ad hoc et de déclarations. c) Les institutions privées qui, rassemblant des groupes ou des individus, basées sur des convergences d’intérêt, souples, évolutives, réformables et parfois secrètes, ont vocation à créer

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conviendrait le mieux. Car le G8, c’est un groupe, c’est un club, c’est un forum, c’est un processus, c’est un théâtre. A la fois réduit et ouvert, public et privé, informel et stable, économique et politique, dogmatique et pragmatique, instrument de compréhension, de coordination, de direction et d’impulsion, organe de discours et créateur d’instances, supranational et infra-politique, sa figure et sa puissance sont troubles.

Ambivalence de la forme

Réduit et ouvert La longue histoire des relations politiques semble obéir à une règle intangible : les puissants et les vainqueurs préfèrent régler les affaires du monde entre eux1. Il semblerait également que ce soit une règle de la physique des relations politiques que la consistance et l’étendue d’un consensus sont inversement proportionnelle au nombre de participants2.

des liens entre leurs membres et à faire circuler de l’information ainsi qu’à influencer les opinions publiques ou les dirigeants politiques au moyen de leur expertise et d’actions de lobbying.

1 Pour ne considérer que deuxième moitié du deuxième millénaire et le champ international uniquement, on peut citer les Traités de Tordesillas (1494), de Westphalie (1648) et de Versailles (1919), le Congrès de Vienne (1815) ainsi que les conférences de Berlin (1885) et de Yalta (1945). Au Congrès de Vienne par exemple, alors qu’étaient présents près de deux cents princes et plus de deux cent chefs de missions diplomatiques, les négociations se sont déroulées entre huit pays. Les vaincus de la Première Guerre mondiale n’ont même pas été convié aux pourparlers qui ont abouti au traité de Versailles. Et le projet onusien a été mis en forme en 1941 par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, puis avec l’Union soviétique à partir de 43 et avec la Chine l’année suivante.

2 L’expérience onusienne a pu par exemple servir à démontrer que le dénominateur commun devenait plus minimaliste à mesure que l’institution quadruplait le nombre de ses membres. Dans le cas du G8, cette limitation des participants concerne également les délégations, les sommets n’accueillant à l’origine qu’un nombre très limité de participants. Depuis les années 80, un nombre croissant de chefs de gouvernement se sont plaints de l’inflation des délégations, tels John Major, qui est allé jusqu’à proposer en 1992 que les sommets n’aient plus lieu tous les ans et de n’y réunir que les chefs d’Etat. L’année suivante, les participants avouaient : « nos Sommets devraient être moins solennels, avec moins de participants, moins de documents et de déclarations, et davantage de temps consacré aux discussions informelles entre nous, de manière à ce qu'ensemble, nous puissions mieux répondre aux grandes questions qui nous préoccupent tous. Nous avons l'intention d'organiser nos futurs Sommets dans cet esprit. » En 1996, le Président français confiait aux journalistes « qu'il y a eu une dérive du G7 qui a pris des allures beaucoup trop formelles et qu'il y aurait probablement intérêt, effectivement, à revenir l'esprit qui avait été celui de M. Giscard d'Estaing lorsqu'il a fait le premier G7, c'est-à-dire des réunions beaucoup plus personnelles et beaucoup moins médiatisées. » Alors que les sommets de 1998 et 1999 avaient permis de procéder à des réformes organisationnelles, il a fallu attendre 2002 pour que le Canada promette, à l’issue de la rencontre de Gênes (qui avait accueilli plus de deux mille participants dont huit cents pour la délégation américaine et six cents pour la japonaise, contre dix-huit participants en tout à Rambouillet), que le sommet qu’il organiserait l’année suivante en reviendrait à de moindres proportions. Les critiques avait alors été nombreuses, à la fois internes et externes, quant à la disproportion des sommets au regard des résultats atteints. Pour exemple, le 23 juillet 2001, à l’issue du sommet, un éditorial du Financial Times s’intitulait “For slimmer and

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Le G8 repose sur la limitation des participants, autant au niveau des représentés que des représentants. Minorité se protégeant contre la majorité, l’universalisme auquel prétend le G8 n’est pas celui de ses membres. G5 en 1973 et 1974, puis G6 en 1975 sous l’insistance des dirigeants italiens, G7 l’année suivante avec la cooptation américaine du Canada, enfin G8 quand la présence de la Russie aux sommets a été officialisée en 1998, fermant, pour l’heure, la porte derrière elle. Depuis, de l’aveu de Tony Blair, se tient « un débat constant sur le changement de la structure formelle du G81 », c’est-à-dire principalement sur l’acceptation en tant que membres à part entière de l’Inde, du Brésil, de la Chine et pourquoi pas d’un pays africain. Si ce débat n’est toujours pas tranché, c’est sans doute que le G8 a les moyens de discuter et de coopérer avec les autres pays du monde au travers des instances internationales et supranationales ainsi que du maillage diplomatique mondial, mais aussi qu’en dépit du nombre réduit de ses membres le consensus n’a pas toujours été aisé au sein du G8, les années 80 marquant par exemple un recul de la coordination. Similairement, il est notable que le G7, le G5 et même un G3, comprenant les Etats-Unis, l’Allemagne et le Japon, subsistent à l’intérieur G8, en particulier en ce qui concerne les questions économiques2. Ce club étant cimenté par des intérêts et des objectifs – économiques – communs, son ouverture à des pays partageant les préoccupations de ses membres ne pouvait être perpétuellement repoussée3. C’est en 2000 qu’un pas significatif a été franchi avec l’invitation de représentants africains à un « dialogue élargi4 » avec le G81.

sporadic summits” Qu’à cela ne tienne, il y avait entre deux et trois mille délégués au sommet de 2007. (G7, « Déclaration économique : Un engagement renforcé pour l'emploi et la croissance », Tokyo, 9 juillet 1993 ; J. Chirac, « Conférence de presse de M. Jacques Chirac Président de la République à l'issue du Sommet de Lyon », Lyon, 29 juin 1996)

1 T. Blair, “Edited Transcript of the Final Press Conference by Prime Minister Tony Blair”, Sea Island, June 10, 2004

2 Dans le domaine commercial, des réunions quadrilatérales ont lieu, à partir de 1978, qui réunissent le Canada, les Etats-Unis, le Japon et l’Union européenne. Depuis 1982, elles ont lieu trois à quatre fois par an quoiqu’à un rythme annuel irrégulier. De même, en 1975, l’Italie n’avait pu participer aux discussions sur les questions financières. (Cf. “Trade Ministers' Quadrilateral Meetings and Related Documents”, G8 Information Center)

3 Chirac avouait en 2004 que « parler des grandes affaires du monde, notamment sur le plan économique, aujourd'hui, sans entendre ou sans associer à notre réflexion des pays comme la Chine, comme l'Inde, comme le Brésil, comme d'autres, cela ne marche pas tout à fait. » Ce que confirma Poutine l’année suivante : « discuter des questions commerciales internationales ou des finances mondiales sans, disons, la Chine et l’Inde, est plutôt difficile » (J. Chirac, « Conférence de presse à l'issue du Sommet », Sea Island, 10 juin 2004 ; V. Putin, “Meeting with Russian and Foreign Media Following the G8 Summit”, Gleneagles, 8 July 2005)

4 D’où est sorti l’idée du NEPAD (Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique). A Gênes, le G8 a reconnu la nécessité de répondre au NEPAD par le Plan d'action de Gênes et nommé des représentants personnels pour l'Afrique. Ont suivi en 2002 un Plan d’action pour l’Afrique et l’année suivante un Forum pour le partenariat avec l'Afrique. Une déclaration de 2007 mettait ainsi en avant le fait que, « depuis la fin des années 1990, les sommets du G8 ont accordé à l'Afrique une très grande priorité. » Entre 2000 et 2005, l’aide à l’Afrique des membres du G8 a effectivement doublé. (Pour un aperçu de l’action du G8 en faveur de l’Afrique à partir de la fin des années 90, voir l’Annexe I de la « Déclaration sur l’Afrique ». (Gleneagles, 8 juillet 2005,

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C’est en effet sous la forme d’invitation à des discussions que les pays non membres du G8 participent aux sommets, et parfois, souvent, seulement à titre symbolique2. Ainsi la formule du dialogue élargi a été dupliquée depuis : en amont du sommet d’Evian, en 2003, un G28 a réuni des pays du Sud ; depuis 2004 se tient un tel dialogue avec le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord3, et l’année suivante a été lancé avec la Chine, le Brésil, l’Inde, le Mexique et l’Afrique du Sud un G8+5 dédié à la résolution les questions climatiques après 2012. Les puissances régionales telles que Chine, le Brésil, l’Inde, l’Australie, le Mexique, l’Afrique du Sud et le Nigeria sont conviées individuellement à l’occasion de « dialogues de haut niveau », le président chinois Hu Jintao ayant été par exemple invité en 2003, 2005, 2006 et 2007. En 2007 le G8 a même lancé, au sein de l’OCDE, « une nouvelle forme de coopération spécifique avec les grandes économies émergentes » sur la base d’un « dialogue thématique4 » qui a représenté « un pas important vers un partenariat égal et durable en vue de construire les conditions générale d’une économie mondiale compétitive5 ». Les non membres du G8 sont aussi invités à participer aux plans d’actions et aux instances informelles que le club a mis en place depuis sa création, en fonction des convergences d’intérêt se dessinant au fil du temps. De l’avis d’une ancienne « sherpa » de la délégation canadienne, l’architecture du G8 étendu se composerait de trois cercles : un G3 formé par les Etats-Unis, l’Allemagne et le Japon en charge de la conduite générale des affaires et de la gestion des crises, le G8 actuel pouvant inclure la Chine, et un dernier cercle de puissances régionales telles que le Brésil, l’Inde, l’Australie, l’Afrique du Sud ou encore le Nigeria6. Sauf que l’ouverture dépasse les chefs d’Etats et de gouvernement pour s’entendre à des représentants d’institutions internationales, d’ensembles régionaux et d’organisations, lucratives ou non, du secteur privé. Si l’Union européenne a par exemple été admise dès 1978 à titre d’observateur, il faut attendre 1996 pour que soient invités le secrétaire général de l’ONU, le président de la Banque mondiale ainsi que les directeurs du FMI (Fonds monétaire international) et de l’OMC (Organisation mondiale du commerce). Les années 2000 voient un accroissement conséquent de la participation de ces « chefs » d’entités

pp.17-18 ; _ « Croissance et responsabilité en Afrique », Heiligendamm, 8 juin 2007)

1 Quoique, en juin 1999, ait eu lieu une réunion commune des Ministres des Affaires étrangères du G8 et du Mouvement des pays non alignés.

2 En 2003, le Président français avouait à des représentants syndicaux le sens de cette ouverture : « D'où l'idée d'inviter à Evian une douzaine de pays pour qu'ils puissent faire entendre, même brièvement, et c'est peut-être plus le principe que le fond qui est important, leur point de vue dans la gestion de la planète, dans la gestion du monde. » J. Chirac, « Propos introductifs du Président de la République lors de la réunion de travail avec les organisations syndicales dans le cadre de la préparation du Sommet du G8 à Evian », Palais de l'Elysée, 25 avril 2003, je souligne.

3 G8, « Partenariat pour le progrès et pour un avenir commun avec la région du Moyen-Orient élargi et de l'Afrique du Nord », Sea Island, 9 juin 2004

4 G8, « Croissance et responsabilité dans l'économie mondiale », Heiligendamm, 7 juin 2007 5 “Joint Statement by the German G8 Presidency and the Heads of State and/or Government of

Brazil, China, India, Mexico and South Africa”, Heiligendamm, June 8, 2007 6 Citée in J. Kirton, “The G7 and China in the Management of the International Financial System”,

November 1999

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internationales1. En la matière, les organisations supranationales privées telles que les multinationales et les grandes ONG gardent un statut particulier et ne sont admises que très exceptionnellement à la table des négociations, le dialogue ayant préférablement lieu en marge des sommets2. Premièrement, si le G7 n’a pas attendu que termes « ONG » et « société civile » fassent leur apparition dans les documents officiels du G7, en 1995, pour leur ouvrir les bras, leur véritable rapprochement n’eut lieu qu’à la fin des années 903. En dix ans, le changement est nettement perceptible4. Le grand tournant semble avoir lieu en 1998. Face aux soixante-dix mille personnes mobilisées par la campagne Jubilee 2000 contre la dette, Tony Blair, qui présidait le sommet du G8 à Birmingham, organisa des consultations et adressa une lettre de félicitation à la campagne5. Deux ans plus tard le Japon, présidant au sommet d’Okinawa, procédait à des consultations préliminaires avec des responsables d’ONG – procédure devenue standard depuis –, nommait un directeur général responsable de la participation de la société civile au sommet, parrainait des événements extérieurs où étaient impliquées des organisations de la société civile et établissait un centre destiné aux ONG pour la durée du sommet. Cette collaboration fut encore renforcée à l’occasion du sommet de Kananaskis en 2002, le site officiel de ce sommet comportant une rubrique « discussion avec les citoyens » et le gouvernement canadien ayant financé le Sommet des peuples (G6B) qui avait lieu en parallèle. En 2003, le président Chirac rendait « hommage au travail important qui a été fait par le contre sommet6 ». Au cours de la rencontre de Gênes, en 2001, une déclaration reconnaissait et louait déjà « le rôle que les manifestations et les débats pacifiques

1 Par exemple, le 17 juillet 2006, le sommet du G8 a accueilli, en plus des dirigeants du Brésil, de la

Chine, de l'Inde, du Mexique et de l'Afrique du Sud, « les chefs de l’Union africaine, de la Communauté des États indépendants, de l’Agence internationale de l’énergie, de l'Agence internationale de l'énergie atomique, des Nations unies, de l’UNESCO, de la Banque mondiale, de l’Organisation mondiale de la santé et de l'Organisation mondiale du commerce. » (G8, « Conclusion de la présidence », Saint-Pétersbourg, 17 juillet 2006)

2 Et n’en étant pas pour autant moins important, du moins selon les participants aux sommets. Ainsi, en 2001, le ministre italien des Affaires étrangères est allé jusqu’à qualifier le sommet de Gênes de « G8 ouvert » pour souligner l’importance du dialogue entre les représentants du G8 et les participants au contre sommet. (“Italian ministers meet protesters before G8 summit”, Reuters newswire, 28 June 2001, cite in P. Hajnal, “Civil Society at the 2001 Genoa G8 Summit”, Autumn 2001, p.4)

3 Dès 1985, le G7 réagit aux contestataires par l’ouverture en invitant l’association londonienne The Other Economic Summit, qui avait organisé le premier contre-sommet du G7 un an auparavant.

4 Par exemple, en 1990, à un journaliste qui lui faisait remarquer la forte présence de groupes environnementaux en marge du sommet et leur déception quant aux décisions prises, le Président américain répondit qu’il trouvait leur « système d’évaluation totalement et essentiellement absurde ». Lors du sommet suivant aux Etats-Unis, sept ans plus tard, on pouvait lire dans le communiqué final : « À la Session extraordinaire des Nations unies, nous chercherons, avec le concours actif des groupes environnementalistes, à dégager un consensus en vue d'un accord international comportant des normes universelles élevées pour atteindre ces objectifs » en matière de destruction et de dégradation des forêts. (G. Bush, “News Conference of President Bush”, Houston, July 11, 1990 ; G7, « Communiqué », Denver, 22 juin 1997)

5 G8, “Response By the Presidency on Behalf of the G8 to the Jubilee 2000 Petition”, May 16, 1998 6 J. Chirac, « Conférence de presse à l’issue du sommet d’Evian », Evian, 3 juin 2003

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ont joué, par exemple en mettant à l'ordre du jour international des questions telles que l'allégement de la dette.1 ». Avant que le communiqué final n’ouvre les portes du G8 au secteur privé proprement dit, affirmant sa foi en « l'importance fondamentale d'un débat public ouvert sur les grands problèmes auxquels nos sociétés sont confrontées. […] Nous favoriserons les solutions innovatrices fondées sur un partenariat étendu avec la société civile et le secteur privé.2 » Les entreprises participent en effet aux activités du G8 depuis 20003. Le G8, quoique ait été multiplié le nombre des invitations aux sommets ces dernières années, reste un club. Et qui dit club dit distinction, soit limitation des membres, et c’est le cas. Deux membres de plus en trois décennies, quand les institutions internationales publiques ont, en moyenne, quadruplé le nombre des leurs en soixante ans, cela reste modeste.

Privé et public « Le G8, c'est un club, ce n'est pas une autorité ou une institution.4 » Cette évidence, rappelée aux journalistes par le président français en 2003, n’éclaire pas pour autant la nature précise ni le positionnement du G8 dans l’espace constitué des relations internationale. C’est un club, donc ensemble de personnes, donc aussi un organisme privé. Mais, en même temps, c’est un peu plus que cela, parce que ses participants

1 G8, « Déclaration des dirigeants du G8 », Gênes, 21 juillet 2001 2 G8, « Communiqué du G8 », Gènes, 22 juillet 2001 3 Le communiqué final du sommet d’Okinawa, en 2000, préconisa l’ouverture – « Nous devons

former un nouveau partenariat avec le reste du monde, et particulièrement avec les pays en développement, les organisations internationales et la société civile, y compris le secteur privé et les organisations non gouvernementales (ONG) » – et la pratiqua : au moment où le gouvernement japonais assurait la bonne marche du contre sommet associatif, se tenaient des réunions entre les dirigeants du G8 et quelques autres de pays du Sud et des représentant du secteur privé. Outre les chefs d’Etats du G8 et les représentants du G77, du Mouvement des non-alignés, de l’ASEAN et de l’Union européenne ainsi que les directeurs de la Banque mondiale, du PNUD, de la CNUCED, on trouve assis autour de la table les PDG de Sony, Cisco Systems et Sun Microsystems, le président du cabinet de conseil Andersen et le président de la fondation Markle, très investie dans les technologies de l’information et de la communication. Comme l’indique le cabinet du Premier ministre japonais, parmi les participants à la table-ronde qui a précédé le sommet figurent, en plus des invités non-gouvernementaux précités, d’autres géants des nouvelles technologies comme Toshiba, IBM et Fujitsu ainsi que le président-fondateur du Forum économique mondial. Selon le communiqué officiel, « le mot-clé durant la réunion a été le “partenariat” ». Les associations, les entreprises et des organismes supranationaux privés comme le Forum économique mondial participent également à la DOT Force, initiative pour réduire le fossé numérique dans le monde lancée en 2000. Des entreprises du secteur privé y représentent le gouvernement de leur pays, tel Accenture pour le Royaume-Uni et Siemens pour l’Allemagne. (G8, « Communiqué », Okinawa, 23 juillet 2000 ; “Summit Meeting in Tokyo Among President Olusegun Obasanjo of the Federal Republic of Nigeria, President Thabo Mbeki of the Republic of South Africa, President Abdelaziz Bouteflica of the Democratic People's Republic of Algeria, Prime Minister Chuan Leekpai of the Kingdom of Thailand and G8 Leaders”, Tokyo, July 20, 2000 ; G8, “Digital Opportunities for All: Meeting the Challenge” Report of the Digital Opportunity Task Force (DOT Force), including a proposal for a Genoa Plan of Action, Genoa, 11 May 2001)

4 J. Chirac, « Conférence de presse à l’issue de la première journée du G8 », Evian, 2 juin 2003

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sont des personnages officiels, parce que la dimension nationale des sommets et des déclarations est importante et que leur publicité est un élément de leur efficacité. Depuis 1975, des chefs d’Etat et de gouvernement se retrouvent à titre privé, sans mandat officiel, sous l’œil de milliers de journalistes1. Un club privé dont les participants se réclament de leur éminente stature publique invite à s’interroger sur ce qui différencie un Etat et son représentant, ce qui, chez ce représentant, distingue la figure publique de l’existence privée, et sur la nécessité pour des chefs d’Etat et de gouvernement de se retrouver ainsi au lieu de mandater leurs ministres. Les dirigeants participant au G8 se sont toujours plu à souligner la limitation au minium du protocole (séances photo et conférence de presse), le caractère amical et chaleureux de leurs rencontres, et de citer en référence les dix-huit participants réunis au sommet de Rambouillet en 19752. Sur les sites officiels des sommets, la traditionnelle photo des participants s’intitule « Photo de famille3 » et non de groupe. Basé, en sa qualité de club, sur les relations personnelles, et non pas tant diplomatiques, le G8 semble, à en croire ses animateurs, la seule instance supranationale offrant à la négociation politique une dimension humaine. Non négligeable, cette dernière invite à mettre en lumière, au-delà des structures et des blocs, l’importance des personnes, sinon des personnalités. Une analyse sociologique du G8 en termes interpersonnels aurait par exemple l’avantage de mettre en lumière ce que Bourdieu appelait des « effets de corps4 », ainsi que la proximité des participants au G8 avec le secteur privé5, dont les médias1, et le fait 1 D’abord officieuse, la participation aux sommets du G8 a fait dans certains cas jurisprudence et

est acceptée par les Parlements nationaux dont certains, telle la Chambre des Lords anglaise, exigent un compte-rendu des sommets à leur issue.

2 Entre autres exemples, citons Ronald Reagan, s’adressant aux journalistes, lors du sommet de Williamsburg en 1983 : « Nous étions là, assis aussi proche l’un de l’autre que nous le sommes maintenant, dans l’amitié vraiment chaleureuse et personnelle qui s’est développée entre nous. » François Mitterrand, l’année précédente justifiait ces « relations d'amitié indispensables pour qui dispose d'une responsabilité aussi étendue que la nôtre. » (R. Reagan, “Interview With American and Foreign Journalists at the Williamsburg Economic Summit Conference in Virginia”, May 31, 1983, U.S., Department of State, Bulletin, No. 2076 (July 1983): 20-22, je souligne ; F. Mitterrand, « Déclaration à la Presse de M. le Président de la République [française] à l'Issue du Sommet des Pays industrialisées », 6 juin 1982, in Ministère des Relations extérieures, La Politique étrangère de la France: textes et documents, avril-mai-juin 1982, Paris, La Documentation française, 1982, pp.122-124)

3 Voir par exemple la page « Family Photo » du site du sommet de Gênes et celle du sommet d’Evian intitulée « Photos de famille ». (Adresses respectives : <http://www.g8italia.it/_en/docs/WJSGP173.htm> ; <http://www.g8.fr/evian/francais/navigation/le_sommet_2003/images_du_sommet_a_telecharger/photos_de_famille.html>)

4 Un exemple, pris en dehors du G7, de cet effet de corps : Zbigniew Brzezinski, l’ancien conseiller national à la sécurité de Jimmy Carter, tous deux membres de la Trilatérale, note dans ses mémoires que « tous les décideurs important en matière de politique étrangère de l’administration Carter avaient appartenu à la Commission Trilatérale ». (P. Bourdieu, « Effet de champ et effet de corps », Actes de la recherche en sciences sociales, 1985, p.73 ; Z. Brzezinski, Power & Principle, 1983, p. 289)

5 En 2002, l’ ancien Vice-président de la Banque mondiale et économiste en chef de Bill Clinton, demandait en ce sens : « qui parle pour le pays ? Au FMI, ce sont les ministres des Finances et les gouverneurs des Banques centrales ; à l’OMC, les ministres du Commerce. Chacun de ces ministres est étroitement lié à une communauté bien précise dans son pays. [Les ministres des

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que les relations internationales ne sont, après tout, que des relations humaines – les petits arrangements entre élites internationales étant, de fait, le quotidien pluricentenaire de la politique internationale. Il est en ce sens légitime de considérer les institutions internationales moins comme des blocs que comme des espaces où se croisent des flux de personnes, et de compléter, à l’occasion, l’analyse institutionnelle d’une prosopographie2. Dans le cas qui nous occupe, cela aurait en outre l’avantage d’éclairer la contingence de certaines décisions, sinon du fonctionnement et du champ d’action du G83. Car il s’inscrit dans cette tradition de personnalisation des relations internationales, selon laquelle il est aujourd’hui plus naturel de téléphoner à un homologue politique, fût-il considéré comme un ennemi, que d’organiser un référendum. L’instance navigue en eaux troubles, entre le réseau des institutions internationales, où derrière les individus il y a toujours des Etats, et celui des clubs supranationaux et

Finances et les gouverneurs des Banques centrales] viennent des firmes financières et, après avoir servi l’Etat, ils y retournent. » Pour ne prendre qu’un exemple, George Shultz, qui est à l’initiative du prototype du G7 qu’a été le « groupe de la Bibliothèque », participera aux sommets de 1975 et 1976 comme sherpa des deux délégations américaines conduites par Gerald Ford, puis, de 1983 à 1988, en tant que secrétaire au Trésor de Reagan. De 1974 à 2006, il occupe également différentes fonctions (dont celles de Président et de Directeur) au sein de Bechtel, sixième plus grande entreprise américaine. Aujourd’hui conseiller du président George W. Bush, il est également membre des Conseils d’administration du Fremont Group, de Gilead Sciences, de Accretive Health, de Unext.com et de Charles Schwab Corporation. Il est également président du Conseil international de la Banque d’affaire J. P. Morgan et du Comité consultatif de Accenture Energy. Enfin, en plus de différents postes universitaires à l’Université de Stanford et au Massachusetts Institute of Technology, il est membre de think tanks et groupes de lobbying tels que la Hoover Institution, de l’American Enterprise Institute, de la New Atlantic Initiative, et du Comité pour la libération de l’Iraq. (J. Stiglitz, La Grande désillusion, 2002, pp.51-52)

1 Les liens personnels des dirigeants et des journalistes peuvent également être forts. Bill Clinton, par exemple, lors de la conférence de presse finale de Denver, en 1997, connaît par leur prénom les dix journalistes américains à qui il donne la parole. (W. Clinton, “President Clinton's Final Denver Summit Press Conference”, Denver, June 22, 1997)

2 Ainsi, par exemple, les ministres des Finances des pays membres du G8 et les gouverneurs de leur Banque centrale se réunissent deux fois par an en marge des réunions de printemps et d'automne du FMI et de la Banque mondiale, représentent également leur pays au Club de Paris, au cours des réunions ministérielles des ensembles régionaux concernés, etc. ; leurs ministres des Affaires étrangères se rencontrent depuis 1984 en marge de la session d’automne de l’Assemblée générale des Nations unies, et les ministres de l’Economie du G7 plus quelques autres élus (dont les représentants des groupes de pression) se retrouvent lors de « mini-» et « micro- » ministérielles au sein de l’OMC, ou encore lors des réunions commerciales du Quad (UE, Japon, Etats-Unis, Canada).

3 La place grandissante des questions politiques dans l’agenda du G8 à partir de 1982 pourrait par exemple s’expliquer par le roulement de ses participants. Précisément, ainsi que le rappelle Robert Putnam, « à l’époque des sommets de Londres et de Bonn en 1977 et 1978, six des huit participants (en comptant le président de la Commission européenne Roy Jenkins) étaient d’anciens ministres des Finances, pour qui la discussion de questions macroéconomiques était naturelle. » En revanche, complète l’ancienne sherpa de la délégation canadienne, lors du sommet de Versailles en 1982 « aucun chef de gouvernement [du G7] n'avait jamais été ministre des Finances ». (R. Putnam, “Western Summitry in the 1990: American Perspectives”, April-June 1994 ; S. Ostry, « La mondialisation et le G8 : Kananaskis marquera-t-il le début d'une nouvelle orientation ? », March 2002)

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des instances informelles où se croisent dirigeants politiques, patrons de grandes entreprises, experts en tous genre et responsables d’ONG de bonne taille. Le fonctionnement du G8 serait ainsi autant compréhensible à la lumière du Prince de Machiavel que du Léviathan de Hobbes. C’est un de ses paradoxes : à la différence des membres des instances internationales privées comme le Club de Bilderberg ou la Commission Trilatérale, les individus y participant tournent au gré des vents électoraux. Et pourtant la partition toujours demeure et continue de mettre en musique le perpétuel désordre du monde. Ronald Reagan n’est pas Jimmy Carter ni Bill Clinton George W. Bush, Romano Prodi n’est pas plus Silvio Berlusconi que Jacques Chirac François Mitterrand, ni Tony Blair Margaret Thatcher, mais si les uns sont plus unilatéralistes ou multilatéralistes, pacifistes ou guerriers, la « continuité de l’Etat » semble la règle. On peut également expliquer une telle constance du fond des politiques macroéconomiques par la pénétration des principes d’économie libérale au sein des élites internationales dont participe le G7 en tant que centre de formation des dirigeants et mire des discours économiques supranationaux. Ce n’est, à ce stade de la réflexion, qu’une simple hypothèse. Le G8, contrairement aux organisations internationales, n’est pas basé sur un acte constitutif officiel qui, définissant ses compétences et moyens, a généralement la forme d’un traité, d’un pacte ou d’une charte. De même, ses procédures diffèrent des procédés habituels consistant en accords entre membres transposés dans leurs systèmes légaux après ratification par leurs organes parlementaires. Le G8, non constitutionnel, si tant est que le droit international public puisse être considéré comme une constitution ? On peut s’étonner d’un tel choix en ce qu’il limite grandement les capacités d’action, de décision et de contrainte du G81. A en croire l’historien de l’AIE (Agence internationale de l’énergie), institution créée un an avant le G6 visant elle aussi à régler la crise du pétrole, « parmi les différentes formes possibles d’organisation permanente – une fondation privée, une entreprise, une organisation non gouvernementale ou quelque autre arrangement ne permettant pas de jouir des avantages de décisions légalement contraignantes et d’être reconnue comme une organisation intergouvernementale publique soumise au droit international – aucune ne s’était montrée satisfaisante.2 » Les avantages d’une existence privée se seraient montrés, dans le cas du G8, supérieurs aux désagréments de l’abandon de la personnalité juridique internationale. Certes, selon le jargon du site Internet du sommet de 2005, le G8 « n’est pas une entité légale et il n’existe pas de règles de procédure formelles. Cela veut dire qu’il ne rivalise pas avec les organisations officielles telles que les Nations unies ou l’Organisation mondiale du commerce.3 » Mais, aurait pu ajouter le rédacteur de cette définition, d’être a-légal et officieux lui confère en retour la liberté de n’être pas contraint ni par la formalité procédurale d’une instance publique, ni par les institutions internationales ni même par droit international. Gagner en liberté et en efficacité ce

1 Chirac avouait à la presse en 2005 qu’« à l'origine, c'est vrai que les principaux pays industrialisés

avaient décidé de se réunir pour, je ne dirais pas gérer, naturellement, parce qu'ils n'ont pas vocation à décider, mais pour analyser ensemble les problèmes économiques, pour renforcer la solidarité ». (J. Chirac, « Point de presse », Gleneagles, 7 juillet 2005, je souligne)

2 R. Scott, History of the IEA: The First 20 Years - Volume I : Origins and Structure, 1994, p.41 3 Perthshire G8 Summit, “FAQ: What makes the G8 Summit different from other political

meetings?”

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qui est perdu en légalité et en légitimité : telle serait, a priori, la justification de son caractère privé. Il est, d’un autre côté, hors de doute que les participants au G8 jouent de l’ambiguïté de rencontres privés entre les personnages publics parmi les plus influents du monde. Le G8 ne se situe jamais d’emblée dans la sphère supranationale, entendant plutôt mener sa tâche « tant sur le plan national qu'international1 ». Ceux que les promesses du G8 engagent, ce sont les gouvernements des pays qui en sont membres2. Ceux qu’elles aimeraient impliquer ensuite, ce sont les secteurs privés rattachés à leurs bases nationales, avec qui les liens sont souvent forts3. Ceux qu’elles concernent généralement enfin, ce sont les pays non membres du club. Réciproquement, au sein du G8, les intérêts nationaux sont prépondérants, et patent le patriotisme économique de ses membres4. La dimension nationale est consubstantielle aux sommet. Le dirigeant accueillant une rencontre étant en charge de son agenda, il en profite généralement pour mettre en avant des questions d’intérêt national et, pourquoi pas, rehausser son prestige domestique auprès de journalistes qui majoritairement ses compatriotes. Enfin, au contraire de la plupart des instances supranationales privées, le G8 ne repose pas sur le secret mais sur la publicité.

1 Cette citation, extraite de la déclaration économique de 1989, se retrouve, à quelques variantes

près, dans des déclarations de 1975, 1977 ou encore de 1996. (« G7, « Déclaration économique », Paris, 16 juillet 1989 G6, « Déclaration de Rambouillet », Rambouillet, 17 novembre 1975 ; G7, « Déclaration économique : Perspectives de l'économie mondiale », Londres, 8 mai 1977 ; J. Chirac, « Déclaration du Président : Pour plus de sécurité et de stabilité dans un monde plus solidaire », Lyon, 29 juin 1996)

2 On lit par exemple, en 1977 : « Nous engageons nos gouvernements à atteindre des objectifs de croissance et des stabilisations ». (G7, « Déclaration économique : Perspectives de l'économie mondiale », Londres, 8 mai 1977)

3 Dans le cadre du Forum mondial pour des partenariats public-privé pour lutter contre le terrorisme, par exemple, les membres du G8 travaillent « chacun avec [son] secteur privé ». En 1992, ils invitaient « les entreprises des pays industrialisés à profiter des possibilités d'investissement dans les PECO ». (G8, « Déclaration du Sommet du G8 sur la lutte contre le terrorisme - La sécurité à l'ère de la mondialisation », Heiligendamm, 8 juin 2007 ; G7, « Déclaration économique. Agir ensemble pour une croissance plus forte et un monde plus sûr », Munich, 8 juillet 1992)

4 En 1979, le Premier ministre japonais confiait que, « dans les domaines autres que le pétrole, nous avons discuté de questions telles que l’inflation et l’emploi – nous montrant très fortement intéressés à protéger les démocraties industrielles ». La défense des intérêts de chacun n’étant pas systématiquement celle de tous, on peut également entendre en conférence de presse des déclarations comme celle-ci du Président français, en 2007 : « j'ai dit au Président Bush que je me battrai pour défendre nos intérêts comme lui se bat pour défendre les intérêts des Américains ». Les déclarations contiennent enfin à l’occasion, en plus des mesures et objectifs conjoints, des propositions détaillées concernant les différents pays membres du G8. (M. Ohira, “Prime Minister Ohira's Concluding Statement at the Joint News Conference”, Tokyo, June 29, 1979 ; N. Sarkozy, « Conférence de presse finale de M. Nicolas Sarkozy », Heiligendamm, Allemagne, vendredi 8 juin 2007)

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L’effectivité du G8 semble tributaire de la diffusion de ses déclarations, reléguant au rang d’antiquité les arcana imperii dont parlait Tacite1. Cette diplomatie secrète, qui semble pourtant inhérente à la pratique du pouvoir, avait été jugée par le promoteur de la Société des Nations, Woodrow Wilson, responsable de la Première Guerre mondiale. Si la SDN n’a pu y mettre un terme, l’ONU, qui en assurera la succession, paraît bien coiffée au poteau par un G8 escamotant le secret des négociations et des divergences derrière l’éclatante publicité des consensus et des décisions2. Privé du pouvoir juridique, le G8 est comme condamné au pouvoir déclamatif. Pour assurer la publicité de ses signaux et prévenir les arguments de non-recevoir, le G8 diffuse généreusement ses déclarations grâce à la couverture étendue que lui assure la présence croissante des médias3. Si les participants au sommet se félicitent de leur travail4, l’hôte du sommet de 1989 regrettera qu’elle ne gâche un peu

1 Même si la transparence des secrets du pouvoir reste ambiguë, à l’instar de ces déclarations à la

presse de Poutine en 2005 : « notre travail perdrait son sens s’il devait se tenir constamment devant les cameras. Un travail ouvert, intensif et substantiel est impossible même avec une seule caméra tournant en continu. C’est tout simplement impossible. […] Nous n’avons absolument pas de secrets. Il n’y a pas de sujets qui sont cachés au public. Tout ce dont nous discutons est rendu public et expliqué dans ses moindres détails. Il est hors de question que moi-même ou n’importe lequel de mes collègues essaie d’éviter de répondre. Tout est ouvert. (V. Putin, “Meeting with Russian and Foreign Media Following the G8 Summit”, Gleneagles, July 8, 2005)

2 En dépit du souhait d’ouverture de l’ONU, les réunions officieuses (c’est-à-dire sans procès-verbaux) du Conseil de sécurité de l’ONU sont institutionnalisées par Dag Hammarskjöld et ancrées dans le fonctionnement du CS après 1989. (Cf. J. Leprette, « La France au Conseil de sécurité », in A. Lewin (Ed), La France et l'ONU depuis 1945, 1995, p. 169)

3 Le sommet de 1976 donne lieu à une conférence de presse, et les déclarations finales du président du G7 sont formalisées à partir de 1979. Si les déclarations du G8, aussi appelées « communiqués », n’étaient pas, précisément, des communiqués de presse, pourquoi prendraient-ils généralement le soin de dérouler les acronymes employés, quand bien même il est douteux qu’un participant au G8 ignore ce que cachent les lettres F.M.I. ? Le sommet de 1976 donne lieu à une conférence de presse, et les déclarations finales du président du G7 sont formalisées à partir de 1979. (Cf. pour la première conférence de presse, H. Kissinger et W. Simon, “News Conference by Secretary Kissinger and Treasury Secretary Simon”, Puerto Rico, June 28, 1976)

4 En 1980, s’adressant aux journalistes présents, le premier ministre italien commencera sa conférence de presse avec ces mots : « De la part des chefs de gouvernement, je vous remercie tous non seulement d’avoir été là, mais de votre collaboration à ce sommet à travers l’information que vous, la presse, avez fournie. » Deux ans plus tard, Mitterrand la congratule en ce qu’elle « nous a beaucoup honorés en retransmettant avec beaucoup de célérité et, j'espère aussi, d'exactitude, l'ensemble de nos travaux. » En 2003, Chirac avouait implicitement les fins et les moyens du G8 : « on a clairement affirmé que nous avions une approche et une analyse communes et une volonté commune d'engager des politiques coordonnées et cohérentes de croissance. Et cela, c'est un élément psychologique majeur. C'est un message auquel les investisseurs, les consommateurs sont directement sensibles d'autant qu'il est bien entendu relayé, notamment, par la presse. » (F. Cossiga, “Prime Minister Cossiga's Concluding Statement”, Venice, 23 juin 1980 ; F. Mitterrand, « Conférence de presse de M. le Président de la République à l'issue du Sommet des pays industrialisés », Versailles, 6 juin 1982 ; J. Chirac, « Conférence de presse à l’issue du sommet d’Evian », Evian, 3 juin 2003)

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l’« initimité » de ces rencontres, alors qu’il cite le chiffre de six mille journalistes présents cette année là1. Pour preuve de l’effectivité de ce relais, citons un morceau de prose du G8 qui a fait le tour des principaux journaux du monde, et ce à plusieurs reprises quoiqu’en plus de quatre-vingt jours et parfois légèrement modifiée :

Les taux de change devraient refléter les fondamentaux économiques. Une volatilité excessive et des mouvements désordonnés sont indésirables pour la croissance économique. Nous continuons de surveiller les marchés des changes et de coopérer de façon appropriée. Dans ce contexte, nous soulignons que plus de flexibilité est souhaitable pour les principaux pays ou régions économiques qui manquent d'un telle flexibilité, pour promouvoir un ajustement large et lisse du système financier international, fondé sur des mécanismes de marché.

Ce paragraphe, cité in extenso, est le quatrième de la déclaration des ministres des Finances et des gouverneurs des Banques centrale du G7 du 20 septembre 20032. Apparemment anodin, rappelant une fois de plus les « fondamentaux » intangibles de la libéralisation financière et de la croissance économique, il hante depuis les déclarations du G7 Finances, les enceintes financières internationales et les grands médias3. Il est par exemple récité par le président de la BCE (Banque centrale européenne) devant le Comité pour les affaires économiques et monétaires du Parlement européen, le 16 février 20044, ainsi que par le directeur du FMI quelques jours plus tard, qui le qualifie à l’occasion de « bon langage5 », puis à nouveau par le président de la BCE et son vice-président en novembre6 et enfin par un membre du bureau de la BCE devant la Chambre internationale de commerce à la fin de l’année7. A la mi-2005, suite à des réunions en octobre 2004 et en février 2005 avec le G7 Finances, la Banque centrale chinoise, cible implicite de ces appels répétés, réforme son régime de change, et se trouve félicitée en ce sens par le G78. Cela ne

1 Ce n’aura été, sans doute, qu’une autre coquetterie de l’ancien Président français. (F. Mitterrand,

« Conférence de presse de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'issue du XVe sommet des pays industrialisés », Paris, 16 juillet 1989)

2 G7 Finance Ministers and Central Bank Governors, “Statement”, Dubai, September 20, 2003 3 Ainsi réapparaît-il mot pour mot dans les déclarations du G7 Finances du 7 février 2004, du 24

avril 2004, du 5 février 2005, du 16 avril 2005 et du 1er octobre 2005. (G7 Finance Ministers and Central Bank Governors, _ “Statement” , Boca Raton FL, February 7, 2004 ; _ “Statement” , Washington DC, April 24, 2004 ; _ “Statement”, London, February 5, 2005 ; _ “Statement”, Washington, April 16, 2005 ; _ “Statement”, Washington, D.C., October 1, 2004)

4 J.-C. Trichet, “Testimony before the Committee on Economic and Monetary Affairs of the European Parliament”, Brussels, 16 February 2004

5 H. Köhler, “Transcript of a Press Conference by Horst Köhler”, Tokyo, 25 February 2004 6 J.-C. Trichet and L. Papademos, “Introductory statement to the press conference”, Frankfurt am

Main, 4 November 2004 7 G. Tumpel-Gugerell, “The Euro. Financial Strength and Weakness from a Global Perspective”,

Speech delivered at the International Chamber of Commerce, Houston, 6 December 2004 8 G7 Finance Ministers and Central Bank Governors, “Statement on the Meeting with Chinese

Counterparts”, Washington, DC, 1 October 2004 ; _ “Statement on the Meeting with Chinese Counterparts, London, 5 February 2005 ; _ “Statement Regarding China's Reform of Its Currency Regime”, July 21, 2005

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semblant toutefois pas suffisant, la dernière phrase du paragraphe sera modifiée en septembre 20051 aux fins de pointer explicitement la Chine et de lui signifier la ferme volonté du G7 de la voir relâcher plus encore le contrôle de sa monnaie. Ainsi reformulé, le paragraphe réapparaît dans les déclarations du 3 décembre 2005, du 21 avril 2006, du 16 septembre 2006, du 10 février 2007 et du 13 avril 20072. Sous ces deux formes, il a été déclaré au total presque dix fois. Alors qu’en février 2004 ce paragraphe n’avait attiré l’attention que de Reuters, de l’Associated Press, de RFI ou du New York Times3, sa version remodelée est citée d’abord en avril et en mai 2006 par le Wall Street Journal, l’International Herald Tribune, la BBC, The Independant, CBS News ou encore l’Associated Press4, puis, à partir de l’automne 2006, entre autres par le Washington Post, la BBC, le quotidien russe Kommersant, l’International Herald Tribune, le Taipei Times, le New York Times, Le Monde, le Financial Times et CNN5. Qu’est-ce à dire ? Peut-être seulement, comme l’affirmait le Président français lors du sommet de Lyon en 1996, que « la pédagogie c'est la répétition6 », et que les signaux envoyés par le G8 doivent bien finir, à être si bien relayés, par atteindre leurs récepteurs. Mais cela pourrait tout aussi bien signifier que la Russie laisse les Etats-Unis et l’Europe, principaux acteurs concernés par la politique monétaire chinoise, se débrouiller avec elle, et que le G8 est tout sauf un bloc. Ainsi, de 2004 à 2007, pendant que le G8 moins la Russie affirme, réaffirme et re-déclare à plus de dix reprises le paragraphe en question, le G7 plus la Russie n’en pipe mot. Enfin, pourrait encore signifier que la Chine a les moyens de se permettre de résister à la

1 G7 Finance Ministers and Central Bank Governors, “Statement”, Washington, D.C., 23 September,

2005 2 G7 Finance Ministers and Central Bank Governors, _ “Statement”, London, 3 December 2005 ;

_ “Statement”, Washington, 21 April 2006 ; _ “Statement”, Singapore, 16 September 2006 ; _ “Statement”, Essen, 10 February 2007 ; _ “Statement”, Washington, 13 April 2007

3 “G7 Leaders Unlikely To Stop Euro & Yen Rally Against The Dollar”, Reuters, 4 February 2004 ; “U.S., allies reach compromise on falling dollar”, Associated Press, February 8, 2004 ; « La BCE sous pressions politiques », Radio France International, 26 février 2004 ; “G-7 Statement Signals Worry About Dollar”, New York Times, February 8, 2004, p.12

4 “G-7 Ministers Warn of Risks To Global Growth”, The Wall Street Journal, April 21st, 2006 “Commentary: Accommodating China is a crucial affair for IMF”, International Herald Tribune, 25 April 2006 ; “OECD warns on global imbalances”, BBC News, 22 May 2006 ; “Fasten your seatbelts: the road could get bumpy”, The Independent, 15 May 2006

5 “Treasury Warns G-7 About Iran”, Washington Post, September 17, 2006; “G7 ministers up pressure on China”, BBC News, 11 February 2007 “Economic Prognosis”, Kommersant, March 5, 2007; “G-7 recommends vigilance on hedge funds”, International Herald Tribune, 11 February 2007 ; “G7 calls for more flexible yuan”, Taipei Times, Singapore, 17 September, 2006, p.11 ; “U.S. Asks Finance Chiefs to Limit Iran’s Access to Banks”, New York Times, 17 September 2006 ; « Manque de coopération contre le yen faible », Le Monde, 18 février 2007 ;

“Beijing sees trade surplus rise”, Financial Times, 12 February 2007 ; “G7 to China: Ease grip on exchange rate”, CNN, 10 February 2007

6 J. Chirac, « Conférence de Presse de M. Jacques Chirac Président de la République », Lyon, 28 juin 1996

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performativité des déclarations du G7 en matière monétaire. Mais ces questions de rapports de force ne sont pas, ai-je dit, le propos de cette esquisse.

Informel et stable L’informalité du G8, soit sa liberté par rapport au protocole et aux règles contraignantes du droit international, semble être une de ses caractéristiques majeures du G81. Mais elle n’est pas en soi une nouveauté institutionnelle. Le G8 ne serait même, selon le site officiel du sommet de 2003, « qu'un club de discussion et de concertation parmi beaucoup d'autres2 ». Des clubs supranationaux tels que le Groupe de Bilderberg3, le Club de Paris4, le Club de Rome5, le Forum économique mondial6 ou encore la Commission trilatérale7 ont eu ce caractère informel avant lui, et le Club de Londres8 ou le TransAtlantic Business Dialogue9 après. Plus largement, de la même manière que le droit a succédé à la morale, cette informalité du champ supranational est comme historiquement première. Les règles informelles, qu’elles aient pour nom jus cogens (règles coutumières), gentlemen agreements, accords informels ou ententes cordiales, ont régi les relations internationales bien avant l’invention du droit de la guerre. Aujourd’hui encore, à une époque de législation furieuse et de normativité à tout va, elles demeurent

1 Selon le site Internet du sommet de 2005, « ce qui rend le G8 inhabituel c’est son informalité. Les

dirigeants se rencontrent dans un cadre relaxant, largement dégagé de toute bureaucratie. » (“FAQ: What makes the G8 Summit different from other political meetings?”, Perthshire G8 Summit, 2005)

2 Site du sommet d’Evian, « Questions sur le G8 », 2003 3 Créé en 1954 par le prince Bernhard des Pays-Bas et David Rockefeller, ce groupe rassemble des

membres des familles royales européennes, des dirigeants d’entreprises dans les domaines militaire, énergétique, médical, de l’assurance et bancaire, des responsables politiques en charge de ministères clés (défense, finance, politique étrangère) ainsi que des membres plus influents des médias, des universités et des instituts de recherche. Il se réunit toujours annuellement et généralement à quelques jours du G8. Ses membres, au nombre actuel d’une centaine, sont choisis uniquement par cooptation.

4 Groupe informel sans règlement intérieur ni existence juridique créé en 1956, ce club d’Etats créanciers de dettes publiques est en contact étroit avec le FMI. (Cf. <http://www.clubdeparis.org>)

5 Le Club de Rome fut fondé le 8 avril 1968. Il regroupe des membres de l'establishment international de 25 pays (soit une cinquantaine de personnes). Cette association internationale fut également créée par la famille Rockefeller qui le finance encore de nos jours. (Cf. <http://www.clubofrome.org/>)

6 Créé en 1971, le FEM regroupe les principaux acteurs politiques et économiques de la planète – bien qu’il représente majoritairement les intérêts américains et européens. (Cf. <http://www.weforum.org/>)

7 Fondée en juillet 1973 à l’initiative de David Rockefeller (qui en est administrateur à vie) et de Zbigniew Brzezinski (alors ministre des affaires étrangères de Ronald Reagan), la Trilatérale se veut un organe privé de concertation et d’orientation de la politique internationale des pays de la triade (Etats-Unis, Europe, Japon). (Cf. <http://www.trilateral.org>)

8 Le Club de Londres réuni des créanciers bancaires privés se réunissent pour négocier ensemble leurs créances sur un débiteur public. Il a été fondé en 1976.

9 Le TABD assure, depuis 1995, un dialogue entre les multinationales, les Etats-Unis et l’Union européenne. (Cf. <http://www.tabd.com>)

T. Le Texier 23

étonnamment peu changeantes. C’est que la politique a ses raisons que les citoyens vont sans savoir. Cœur de la diplomatie, elles sont, plus encore, derrières toutes les décisions politiques quelles qu’elles soient, et souvent aussi contraignante que les règles formelles1. La logique des relations internationales, loin d’être gravée dans le marbre, semble avoir pareillement pris la forme d’alliances à géométrie variable. L’histoire de la seconde moitié du XXe siècle et du G7 ne nous contredira pas2. A la différence des instances supranationales classiques, qu’il s’agisse de clubs ou d’institutions formalisés, il n’a ni règlement intérieur arrêté ni aucune structure administrative, pas même un secrétariat permanent3. Exempt de toute bureaucratie institutionnalisée, il offre cet avantage d’être souple, évolutif et réformable à l’envi – contrairement par exemple aux Nations unies dont la refonte, à l’ordre du jour depuis sa création, constitue l’un des casse-tête centraux de la pensée politique internationale, qu’elle soit issue d’instances publiques ou privées. Il est pour autant surprenant que le G7 n’ait jamais été institutionnalisé, à la différence par exemple au G77, autre forum informel supranational, qui a été doté d’une légitimité et d’un secrétariat par ses participants pour lui permettre de parler d’une seule voix dans les instances internationales publiques. Le G7 a également toujours gardé informelles ses relations avec la société civile – au sens large du terme –, alors que des organisations telles que l’OCDE, l’ONU ou encore les IFI collaborent avec les organisations de la société civile dans le cadre d’arrangements formels. Comme si cette informalité générale était condition de sa liberté4. Comme si légitimité et efficacité se contredisaient, ou du moins étaient en rivalité.

Ambivalence du fond

Stabilité monétaire, sécurité énergétique, libéralisation commerciale La donnée première des alliances a toujours été géographique, c’est-à-dire généralement aussi culturelle. Dans leur écrasante majorité, les instances

1 Ainsi, par exemple, en raison d’un accord informel en vigueur depuis la création des institutions

de Bretton Woods à la fin de la Seconde guerre mondiale, les Américains choisissent le président de la Banque mondiale alors que les Européens désignent celui du FMI.

2 Par exemple l’URSS, alliée de la Seconde Guerre mondiale, est l’ennemi du bloc de l’Ouest de la guerre froide, alors même que l’Allemagne, l’Italie et le Japon ont la carrière inverse, et que la Russie finira par s’introduire dans ce club très fermé.

3 Dans la pratique, les fonctions de secrétariat et la logistique sont assurées par le pays hôte ; la préparation est assurée par les délégations d’une année sur l’autre, permettant un fonctionnement continu ; il existe des règles informelles d’organisation des sommets annuels (où et quand a lieu la rencontre, qui parle le premier, comment et quoi voter, etc.). Ainsi, chaque année, le membre du groupe qui en assure la présidence accueille et organise ce temps fort du G8 qu’est son sommet annuel, en définit l'ordre du jour et les modalités de traitement de chaque sujet, en coordonne les travaux, lui sert de porte-parole et décide ou non d’y associer des pays non membres ainsi que des organisations non étatiques.

4 C’est une opinion que partagerait Ján Kubiš, secrétaire de l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) de 1999 à 2002, qui expliquait en 2000 : « nous [l’OSCE] avons un grand avantage comparatif : c’est notre flexibilité, une flexibilité permise par la nature politique de l’Organisation. » (Cité in OSCE, “OSCE: For Human Dignity”, Vienna, 2000)

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supranationales sont, ou ont été, basées sur une cohérence géographique, même si leurs membres ne partageaient pas toujours leurs frontières1. Dans les années 60 et 70, les cartels des matières premières se cimenteront autour d’intérêts économiques et non d’une cohérence géographique. Cet appariement spécifique qui nous occupe, qui va pour partie contrer leur influence, obéit à de telles règles d’attraction. La cohérence géographique du « camp » formé par le G8 n’est que seconde. Il acte la partinence première du critère économique et, à la manière de la Commission Trilatérale, le nouveau commerce triangulaire entre l’Amérique du Nord, l’Europe et le Japon auquel s’ajoutent les « nouveaux pays industrialisés ». Un Président américain a beau dire que les membres du G8 sont « unis par des valeurs communes2 », la proximité morale et culturelle reste moindre entre les Etats-Unis et le Japon qu’entre l’Italie et l’Espagne3. De même, en 2003, un mois et demi avant le sommet d’Evian, un Président français mettait en avant, afin d’expliquer le choix des pays invités, deux « critères […] qui, au total, permettront de rassembler, entre les Huit et les Douze qui viendront [ils seront en fait treize], quelque chose qui est de l'ordre de 80 % de la richesse mondiale et de 80 % de la population.4 » Les membres du G8 ne représentant que 14 % de la population mondiale, et moins de 10 % si l’on y retranche la Russie, l’un de ces critères est sans doute plus relatif que l’autre. C’est un fait incontestable : la raison d’être, les moyens, l’objet et le projet du G8 sont d’abord économiques, et de manière générale la création des différents « G » relève de cette même diplomatie économique5. Le paramètre économique, qui en justifie la forme autant qu’il en détermine le fond, se décline dans la déclaration de 1975 en « intérêts commun » et en « problèmes économiques communs6 », auxquels s’ajoutent à partir des années 80 une prise de conscience de la nature économique partagée par les Etats représentés : leur haut degré d’industrialisation7. Les intérêts communs aux membres du G8 relèvent de la

1 C’est le cas fréquent des alliances militaires qui, visant à encercler l’ennemi à la manière de la

Triplice et la Triple Entente, n’ont pas été scellées entre pays limitrophes 2 Les déclarations des sommets ayant lieu sur le sol américain mettent généralement en avant un

certain nombre de valeurs. En 1983, la déclaration économique débutait ainsi : « Nos nations sont unies dans leur attachement à la démocratie, à la liberté individuelle, à la créativité, aux valeurs morales, à la dignité humaine, ainsi qu'au développement personnel et culturel. C'est pour préserver, soutenir et répandre ces valeurs communes que notre prospérité est importante. » (G. W. Bush, “Press conference”, Sea Island, June 10, 2004 ; G7, « Déclaration économique : Vers une croissance soutenue et plus d'emplois », Williamsburg, 30 mai 1983)

3 Dans un ouvrage comme Le Choc des civilisations, où l’exercice semble pourtant consister à donner au paramètre culturel une importance première, l’auteur se contente de dessiner des ensembles régionaux. (Cf. S. Huntington, Le Choc des civilisations, 1996)

4 J. Chirac, « Propos introductifs du Président de la République , lors de la réunion de travail avec les organisations syndicales dans le cadre de la préparation du Sommet du G8 à Evian », Palais de l'Elysée, 25 avril 2003

5 En 2004, Tony Blair déclarait à cet égard au Parlement anglais que « Le G8 a été créé à l’origine pour discuter de questions économiques. » (T. Blair, “Prime Minister's statement to the House on the G8 Sea Island Summit”, London, 14 June 2004)

6 G6, « Questions économiques et financières », Rambouillet, 17 novembre 1975 7 Alors que les premières déclarations se contentaient de faire la liste des pays représentés et de

leurs intérêts et objectifs communs, les années 80 voient apparaître la définition du G7 comme sommet économique mondial (ou annuel ou sommet des pays industrialisés) et comme la réunion

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maîtrise du système économique international, c’est-à-dire aussi bien du prix des matières premières que des institutions internationales à vocation économique, ce contrôle devant leur assurer la prospérité. Les problèmes communs sont compréhensibles à la lumière du dérèglement de ce système, et partant de son plus difficile gouvernement. Précisément, il s’agit d’abord pour le G6 puis le G7 de répondre à la spéculation, à la récession et à l’inflation provoquées par la fin du système de Bretton Woods, aux problèmes d’approvisionnement énergétique suite au premier choc pétrolier, ainsi qu’au risque de voir le protectionnisme faire chuter le volume du commerce international. Stabilité monétaire, sécurité énergétique et libéralisation du commerce forment le noyau dur des préoccupations du G81. Premièrement, l’émission de monnaie et le contrôle des changes a constitué, depuis le XVIe siècle et en dehors de courtes périodes où ils furent privés, une importante prérogative royale puis étatique2. Depuis la création des institutions de Bretton Woods en 1944, la monnaie est un sujet de préoccupation grandissant et la lutte contre la spéculation une priorité internationale3. Entre la décision prise par Nixon de laisser flotter le dollar en 1969 et la reconnaissance par les pays riches de la

des « Chefs d'Etat et de Gouvernement des sept grands pays industrialisés ». La première mention de ce statut apparaît dans la déclaration finale du sommet de 1980, dont les participants se présentent comme les « représentants de sept grands pays industriels du monde libre ». (G7, « Déclaration finale », Venise, 23 juin 1980)

1 Dès 1975, la déclaration indique que les participants se sont attachés à « définir les nouveaux efforts qui sont nécessaires dans les domaines du commerce international, des questions monétaires et des matières premières, y compris l'énergie. » Sept ans plus tard, le Président français, tout en relevant l’extension des thématiques abordées, en soulignait le noyau dur : « Nous avons étudié ce que l'on appelle l'état du monde, certaines zones sensibles où se jouent la paix et la guerre, nous avons étudié les relations entre l'Est et l'Ouest, nous avons étudié les relations entre le Nord et le Sud et nous avons débattu des problèmes qui nous sont propres, problèmes économiques, financiers, commerciaux touchant particulièrement aux domaines de la monnaie et du commerce. » (G6, « Déclaration de Rambouillet », Rambouillet, 17 novembre 1975 ; F. Mitterrand, « Déclaration à la presse de M. Le Président de la République à l'issue du sommet des pays industrialisés », Versailles, 6 juin 1982)

2 « Au cours des XIVe et XVe siècle, note Gabriel Ardant, beaucoup de seigneurs abandonnèrent leur frappe. Au XVIe siècle, à quelques exceptions près, toutes les monnaies françaises étaient frappées pour le compte du monarque. « Un phénomène analogue s’observait dans les autres pays européens. » (G. Ardant, Histoire financière de l’Antiquité à nos jours, 1976, p.105)

3 Un « Pool de l’or » regroupe ainsi les principales Banques centrales décidées à coordonner leurs efforts pour maintenir la parité de l’or à 35 dollars l’once en intervenant sur les marchés, comme le voulait le système de l’étalon de change-or. Créé en 1961, ce pool fut dissous en mars 1968, la spéculation s’avérant la plus forte. Puis, suite à une importante demande de conversion de dollars en or par les européens et les japonais (mais en raison aussi, très sûrement, de la guerre du Vietnam, du déficit de la balance des paiements américaine et de la spéculation sur le marché des changes contre le dollar au profit du mark allemand), le président Nixon abandonna l’étalon or le 15 août 1971. Cette décision, conduisant à la fluctuation des monnaies, signait de fait la fin du système de Bretton Woods, l’un de ses mandats d’origine étant la régulation des flux de capitaux par le principe des parités fixes fondé sur la définition en or de la valeur des monnaies. Le 1er avril 1978, le FMI officialisera l’anarchie monétaire décidée deux ans plus tôt par les Accords de la Jamaïque.

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désindexation de l’or par les accords de la Jamaïque en 1976, les Etats occidentaux vont céder le contrôle de l’émission de la monnaie au profit des Banques centrales. L’Etat ne maîtrise plus que de manière aléatoire le taux de change de sa monnaie, elle devient objet de spéculation, la libération des marchés monétaires entraîne la libération du marché des capitaux qui elle-même provoque la mise en concurrence des marchés du travail, bref l’anarchie monétaire a désorganisé les marchés. Dans les années 30, l’abandon par les grandes puissances de ce principe de stabilité économique qu’est l’étalon or avait contribué au retour généralisé des pratiques protectionnistes et, finalement, selon des observateurs tels que Karl Polanyi1, à la Seconde Guerre mondiale. C’est très sûrement dans le souvenir de ce douloureux dénouement que les principales puissances économiques de la planète ont commencé de se réunir, à partir de 19732. Par la suite, les plus importantes « interventions coordonnées » du G7 auront lieu dans le domaine de la monnaie. La fin du système de Bretton Woods a fait apparaître un trou noir dans le système des régulations publiques supranationales : les mouvements de capitaux. Il a, par suite, et avec l’aide du G7, conduit au renversement du mandat du FMI, désormais chargé de faciliter la libéralisation des capitaux et des investissements, et plus de garantir que les gouvernements seront en mesure de réguler ces flux. L’abandon de l’étalon or peut en ce sens être considéré comme la clé de compréhension de la contre-réforme libérale du dernier quart du XXe siècle, dont le G7 sera l’un des principaux acteurs. Deuxièmement, l’énergie va constituer une préoccupation majeure et constante du G8. Durant la révolution industrielle, le principal paramètre énergétique introduit dans les schémas de compréhension de l’économie est la force de travail humaine3. Après cette longue prééminence de l’énergie humaine, le charbon devient au XIXe siècle la première ressource énergétique utilisée par l’industrie. Au milieu du XXe siècle, le faible coût du pétrole, le rythme soutenu de l’activité économique, le danger que représente pour le Japon et l’Europe une dépendance exclusive au charbon, dont les coûts marginaux de production augmentent, incitent les industriels à s’en détourner peu à peu. A la fin des années 50, le renversement est effectué dans presque tous les pays industrialisés – à l’exception notable de l’URSS, qui continue de privilégier le charbon puis, à partir de 1958, le gaz naturel. Aux Etats-Unis, le pétrole assure 40% des besoins en énergie primaire ; dans l’Europe des Neuf et au Japon, 65%. Depuis sa constitution en cartel en 1960, l’OPEP réalise 90% des échanges de pétrole dans le monde. A l’automne 73, il décide unilatéralement de quadrupler le prix de ce produit essentiel, entraînant une importante inflation dans les pays consommateur et la mise en lumière d’un autre de leurs intérêts mutuels : la stabilité des approvisionnement en énergie4.

1 K. Polanyi, La Grande transformation, 1944 2 L’objectif primordial du G6, en 1975, est en effet de « contrecarrer le désordre des marchés ou

les fluctuations erratiques des taux de change » et d’assurer la stabilité des prix. (G6, « Déclaration de Rambouillet », Rambouillet, 17 novembre 1975)

3 Au XVIIIe siècle, James D. Stewart est l’un des premiers économistes à mettre en lumière la séparation, dans la conception des conditions de production, entre la propriété et la force de travail. C’est le cas encore chez Marx. Adam Smith, dans son célèbre ouvrage de 1776, n’emploie jamais le terme « énergie » par rapport à l’industrie ou au commerce.

4 Dans un pays comme le Japon, qui importe alors 99% du pétrole qu’il consomme, l’inflation atteint 24%.

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La question n’est pas la formulation d’une politique énergétique commune mais la constitution d’un groupe d’intérêt énergétique1. Dans ce cas aussi, les intérêts sont durables et partagés, et l’énergie restera une constante de l’agenda du G72. On peut en ce sens supputer que l’entrée de la Russie dans le club est moins due à son arsenal nucléaire ou à sa démographie qu’au fait qu’elle produit 15 % du pétrole ainsi que 30 % du gaz naturel consommés dans le monde et qu’elle est, selon son actuel président, « le leader mondial du marché de l’énergie.3 » Troisièmement, le maintien et le renforcement d’un commerce international est une cause et une conséquence de l’existence du G8. Les Etats-Unis, qui dominent le commerce international depuis les années 30, préfèrent une coordination macroéconomique qu’une régulation. Ils sont en ce sens opposés, lors de la réunion de La Havane en 1947, à la création du troisième pilier de Bretton Woods, l'OIC (Organisation Internationale du Commerce), au profit de l’Accord du GATT (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce), qui privilégie les concessions réciproques4. Au moment de la création du G6, le commerce international est affecté par la désorganisation des marchés et le renchérissement du pétrole, qui ont conduit à un retour des tentations protectionnistes au milieu des années 705. Deux axes vont structurer son action en matière de commerce : sa libéralisation à travers le soutien au GATT, la mise en forme et la bonne marche de l’OMC (Organisation mondiale du commerce), et l'intégration des pays en voie de développement ou émergents au

1 Pour mémoire, la CECA (Communauté économique du charbon et de l’acier) ainsi que le projet

énergétique Euratom ont été au cœur de la construction européenne. On peut noter néanmoins que des choix énergétiques communs ont pu être, à l’occasion, promus par le G7. La déclaration de 1979 comprenait, par exemple, « l'engagement d'augmenter, dans toute la mesure du possible, l'utilisation, la production et le commerce du charbon ». En février 74, Nixon proposa sans succès la création d’une OPIP (Organisation des pays importateurs de pétrole). (G7, « Déclaration des chefs d'Etat ou de Gouvernement », Tokyo, 29 juin 1979)

2 On peut lire dès 1975 : « L'expansion économique mondiale est manifestement liée à la disponibilité croissante de sources d'énergie. Nous sommes résolus à assurer à nos économies les ressources énergétiques nécessaires à leur croissance. » Et dans la déclaration de 1977, les représentants des Etats membres du G7 notent que le déficit de leur balance des paiements « ne sera réduit qu'en diminuant notre dépendance à l'égard du pétrole importé et en augmentant la capacité d'importation des pays producteurs de pétrole. » Il n’est qu’à voir également la place qu’occupent les questions énergétiques dans son ordre du jour depuis sa création. Par exemple, le chapitre sur l’énergie fait douze paragraphes en 1978, celui sur la politique monétaire internationale n’en fait que trois. En 1980, les proportions sont passées à dix-sept pour cinq. En 1981 le chapitre monétaire a disparu et le chapitre énergétique occupe toujours huit paragraphes. Ces préoccupations sont lui d’avoir disparu, et le sommet de 2006 a porté en grande partie sur la « sécurité énergétique ». (G6, « Déclaration de Rambouillet », Rambouillet, 17 novembre 1975 ; G7, “Declaration: Downing Street Summit Conference”, London, May 8, 1977 ; G8, « Sécurité énergétique mondiale », Saint-Pétersbourg, 16 juillet 2006

3 V. Putin, “Meeting with Russian and Foreign Media Following the G8 Summit”, Gleneagles, July 8, 2005

4 Le GATT, dominé par les 23 pays qui en sont à l’origine, visait principalement à favoriser la libéralisation du commerce des biens par la diminution des barrières douanières.

5 Pour la première fois depuis trente ans, le volume du commerce mondial diminue (de 5%). Cet infléchissement, qui frappe durablement les esprits, se reproduira de 1981 à 1983.

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commerce mondial ainsi que leur conversion aux principes de l’économie de marché1. Dans un premier temps, il va s’agir pour les membres du G7 de combattre les différentes formes de protectionnisme et de d’être la locomotive du Tokyo Round, nouveau cycle de libéralisation multilatérale du commerce lancé par le GATT en 19732. La lutte contre le protectionnisme et pour la libéralisation est une obsession du G7 depuis sa création. Son argumentation sur ces sujets est d’une constance exemplaire3. En matière inverse, les affirmations des avantages de la libéralisation ne sont ni moins tranchées ni plus justifiées4.Tout aussi constants sont sa promotion

1 Le soutien aux mesures visant à « accélérer la transition vers une économie de marché » des

pays d’Europe de l’Est – et ce notamment à travers « la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), qui a pour mandat de faciliter la transition vers des économies ouvertes, orientées vers le marché, et d'encourager l'initiative privée dans les pays d'Europe centrale et orientale attachés à la démocratie » – est par exemple un des thèmes dominants des sommets de 1989 à 1993. (G7, « Déclaration économique », Houston, 11 juillet 1990 ; _ « Déclaration économique », Londres, 17 juillet 1991)

2 Selon la déclaration finale du sommet de Rambouillet : « Nous devons chercher à rétablir l’augmentation du volume des échanges commerciaux, maintenir un système d’échanges ouvert et renfoncer la croissance et la stabilité des prix. […] Les négociations commerciales multilatérales devraient être accélérées [et] devraient viser à obtenir le plus haut niveau possible de libéralisation des échanges. » Il faut toutefois tempérer le volontarisme de cette déclaration en précisant que les principaux Etats alors tentés par le protectionnisme en sont signataires. (G6, « Déclaration de Rambouillet », Rambouillet, 17 novembre 1975)

3 En 1977, on apprend par exemple que « les politiques protectionnistes provoquent le chômage, accroissent l'inflation et minent le bien-être de nos populations. ». Selon la déclaration économique de l’année suivante, « les problèmes économiques qui se posent au monde d'aujourd'hui ne peuvent être résolus par la rechute dans le protectionnisme, qu'il soit ouvert ou masqué. » Selon celle de 1982, « si nous étions dans un monde idéal, le système monétaire international serait stable, le protectionnisme serait banni ». A Bonn en 1985, le G7 réaffirme que « le protectionnisme ne résout pas les problèmes ; il les crée. » Quinze ans plus tard, à Houston, le ton n’est pas moins péremptoire quand le G7 martèle qu’il rejette « le protectionnisme sous toutes ses formes. » (G7, « Déclaration économique : Perspectives de l'économie mondiale », Londres, 8 mai 1977 ; _ « Déclaration des chefs d'Etat et de Gouvernement », Bonn, 17 juillet 1978 ; F. Mitterrand, « Rapport de M. le Président de la République [française] au sommet des pays industrialisés : technologie, emploi et croissance », Versailles, 5 juillet 1982 ; G7, « Déclaration économique : Vers une croissance soutenue et plus d'emplois », Bonn, 4 mai 1985 ; _ « Déclaration économique », Houston, 11 juillet 1990)

4 La déclaration économique de 1989 égrène les mesures indispensables : « des réformes fiscales, la modernisation des marchés financiers, le renforcement des politiques de la concurrence et la réduction des rigidités dans tous les secteurs, y compris l'énergie, l'industrie et l'agriculture, sont nécessaires ». Dans celle de 1994 : « L'ouverture des marchés stimule la croissance, crée des emplois et accroît la prospérité. » Dans celle de 1996, « la mondialisation est un atout majeur pour l'avenir de nos pays comme pour l'ensemble de la planète. » Dans la déclaration sur le commerce de 2004, « la libéralisation du commerce est un facteur déterminant de la prospérité mondiale. » Dans la déclaration économique de 1998, alors que la crise financière asiatique s’étend à l’Amérique latine : « la stabilité pourra être rétablie moyennant la mise en oeuvre intégrale des programmes convenus avec le FMI », c’est-à-dire la poursuite des politiques de libéralisation qui sont une des causes principales dédites crises. La même année, les ministres des

T. Le Texier 29

de l’adhésion au GATT « du plus grand nombre de pays » et son « engagement de renforcer le système ouvert de commerce multilatéral représenté par le GATT et de maintenir son rôle effectif1 ». Pour ce faire, le G7 en a dicté l’agenda, fixé les objectifs, animé les Rounds, invité les participants et élaboré les instruments2. Il a même promu, à partir de la fin des années 80, son remplacement par une « organisation commerciale internationale » qui aurait trois avantages par rapport au GATT : elle ne régirait pas uniquement le commerce des marchandises, mais aussi le commerce des services, la propriété intellectuelle ou encore les investissements directs étrangers ; elle serait indépendante de l’ONU ; elle serait dotée d’un tribunal et ses lois seraient plus contraignantes encore. De l’avis du G7, la libéralisation, si elle ne concerne au début que les pays de l’OCDE et certains types de biens, doit s’étendre, impérativement, d’une part à tous les signataires du GATT ainsi qu’aux pays en développement, et de l’autre à tous les biens et services. Dès la fin du Tokyo Round, le G7 reprend les idées qu’il a laissées de côté devant les réticences d’une majorité des membres du GATT. En 1978, on peut lire ainsi que « la mise en place dans de nombreux domaines de nouveaux mécanismes de consultation et de règlement des différends aboutirait à un niveau nettement plus élevé d'équité et de discipline dans le système des échanges

Finances et les gouverneurs des Banques centrales du G8, applaudissent au récent accord sur les services financiers et affirment en dépit des évidences que « l’ouverture des marchés financiers dans les pays émergents aux entreprises étrangères contribuera significativement à leur stabilité financière. » (G7, « Déclaration économique », Paris, 16 juillet 1989 ; _ « Déclaration économique », Naples, 9 juillet 1994 ; _ « Communiqué économique : Réussir la mondialisation au bénéfice de tous », Lyon, 28 juin 1996 ; G8, « Déclaration du G8 sur le commerce », Sea Island, 9 juin 2004 ; _ « Communiqué », Birmingham, 17 mai 1998 ; G7 Finance Ministers and Central Bank Governors, “Statement”, London, February 21, 1998)

1 La déclaration de 1979 est à ce premier égard sans ambiguïté : « Nous voulons renforcer le GATT tant pour contrôler l'application des accords conclus dans le cadre des négociations commerciales multilatérales qu'à titre d'instrument de mise en oeuvre de toute nouvelle politique destinée à maintenir le libre commerce international. La pleine adhésion du plus grand nombre possible de pays à ces accords et au système pris dans son ensemble, sera la bienvenue. » (F. Mitterrand, « Conférence de presse de M. le Président de la République à l'issue du Sommet des pays industrialisés », Versailles, 6 juin 1982 ; G7, « Déclaration des chefs d'Etat ou de Gouvernement », Tokyo, 29 juin 1979)

2 A titre d’exemple, le communiqué économique de 1985 annonçait qu’« un nouveau round au sein du GATT devrait commencer dès que possible. La plupart d'entre nous pensent que cela devrait être en 1986. Nous sommes convenus qu'il serait utile qu'une réunion préparatoire de hauts fonctionnaires ait lieu au GATT avant la fin de l'été, afin de parvenir à un large consensus sur les thèmes et les modalités de telles négociations. Nous sommes également convenus que la participation active d'un nombre important de pays développés et en développement à de telles négociations est essentielle. » L’année suivante, on peut lire : « Le nouveau cycle de négociations unilatérales devrait traiter entre autres la question des échanges de services, les aspects commerciaux du droit de propriété intellectuelle et l'investissement direct étranger. » Et en 1990 : « Nous cherchons à obtenir la participation la plus large possible des pays en développement dans les négociations et leur plus grande intégration dans le système commercial multilatéral. » (G7, « Déclaration économique : Vers une croissance soutenue et plus d'emplois », Bonn, 4 mai 1985 ; _ « Déclaration économique », Tokyo, 6 mai 1986 ; _ « Déclaration économique », Houston, 11 juillet 1990)

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internationaux. Une application uniforme des règles du G.A.T.T. est vitale et nous irons dans ce sens dès que possible.1 » En 1982, c’est l’idée de libéraliser les services et les flux financiers qui revient par la fenêtre2. L’année suivante, le G7 martèle sa volonté de lancer un nouveau cycle de négociation. Ce sera fait trois ans plus tard en dépit des réticences, encore une fois, d’une majorité membres du GATT. En 1987, il apparaît nécessaire au G7 de renforcer l’Accord et sa portée contraignante, d’y inclure « le commerce des services, les mesures concernant les investissements liés au commerce et les droits de la propriété intellectuelle », de faire des efforts pour libéraliser l’agriculture, mais aussi de le doter de « capacités de régler les différends3 ». L’année suivante, l’idée de créer une organisation internationale est implicitement émise 4. Les statuts de l’OMC prendront un peu plus forme en 1990 à Houston ; la création d’une « organisation commerciale internationale » n’y sera plus une option5. Le critère industriel peut être considéré par certains analystes comme la base de l’identité des membres du G8, leurs intérêts convergents en matières monétaire, énergétique et commerciale restent largement plus centraux pour justifier de leurs rencontres annuelles et de celles des G7 ministériels6.

1 Il faut pourtant attendre 1981 pour que le secrétariat du GATT prépare une note sur les « règles

d'origine », c’est-à-dire l’harmonisation des régulations commerciales. (G7, « Déclaration des chefs d'Etat et de Gouvernement », Bonn, 17 juillet 1978)

2 Au sommet de Versailles émerge en effet un consensus sur « une plus grande liberté des flux de biens, de services et de capitaux ». (G7, « Engagement monétaire international », Versailles, 6 juillet 1982)

3 G7, « Déclaration économique », Venise, 10 juin 1987 4 « Nous accordons une haute priorité au renforcement du GATT proprement dit. Il est essentiel

que le GATT devienne une organisation plus dynamique et plus efficace, davantage axée sur les politiques, faisant une plus large place à l'intervention des Ministres et entretenant des relations plus étroites avec les autres organisations internationales. Les règles du GATT doivent être renforcées pour que chacun accepte les obligations qui en découlent et pour garantir le règlement rapide, efficace et équitable des différends et l'application des recommandations. » (G7, « Déclaration économique », Toronto, 21 juin 1988)

5 « En ce qui concerne les nouveaux domaines, rappelle la déclaration économique de 1990, l'objectif est de mettre au point de nouvelles règles et procédures, dans le cadre du GATT, comprenant : un cadre de règles contractuellement applicables pour libéraliser les échanges de service, sans exclure aucun secteur a priori, un accord pour réduire les effets de distorsion des échanges découlant des mesures concernant les investissements liés au commerce, et un accord pour établir des normes et une mise en oeuvre efficace de tous les droits de propriété intellectuelle. […] Le résultat final serait un ensemble unique de règles multilatérales applicables à toutes les parties contractantes au GATT […]. La vaste gamme des résultats importants, que nous recherchons dans tous ces domaines, exigera l'engagement de renforcer encore le cadre institutionnel du système commercial multilatéral. Dans ce contexte, le concept d'une organisation commerciale internationale devrait être abordé à la fin des Négociations d'Uruguay. » (G7, « Déclaration économique », Houston, 11 juillet 1990)

6 Il est reconnu que les déclarations économiques sont toujours plus longues que les déclarations politiques, et les documents portant le titre « Communiqué » sont par exemple de fait les déclarations économiques. Dans la même perspective, les ministres du Commerce ainsi que ceux des Finances et les gouverneurs des Banques centrales ont toujours joué un rôle central au sein du G7. Les premiers se réunissent en forums autonomes à partir de 1982. Suite aux succès des Accords du Plaza en 1985, les seconds se retrouvent trois à quatre fois par an indépendamment

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Et le reste Les questions proprement politiques sont, à l’origine, absentes des déclarations du G7, en dépit d’un réchauffement du contexte géopolitique après l’accalmie des années 71-73. Quand elles apparaissent, à la fin des années 70, elles relèvent de considérations marginales1. De manière générale, la mise à l’ordre du jour de questions politiques et sociales dans les années 80 n’est pas à lire comme un signe de bonne santé du G7 ou la simple conséquence du changement de pedigree de ses participants, qui ne sont plus majoritairement économistes. De fait, du sommet de 1982 à celui de 1988, sinon jusqu’au milieu des années 90, la routine s’installe, les attentes à l’égard du G7 sont moindres et son impact s’amenuise. Parmi les explications plausibles : l’accession au pouvoir de Margaret Thatcher et de Ronald Reagan qui, sceptiques quant au potentiel de la coordination internationale, croyaient, aux dires d’un Président français, « en la priorité absolue du marché et souhaitaient limiter la mise en place des politiques économiques2 » ; le leadership des Etats-Unis sur le G7 jusqu’au milieu des années 903 ; la prolifération des sommets internationaux dans les années 80 ; la distinction des rencontres des chefs d’Etat et celle des ministres des Finances à partir du sommet de Tokyo en 1986, les premiers préoccupés par le formalisme et semblant ne venir que pour la séance photo, les seconds tendant à la bureaucratisation du processus ; l’explosion du nombre de participants aux délégations ; et l’utilisation des sommets aux fins de publicité personnelle par les chefs d’Etat, notamment les anglo-saxons. Si des considérations sur l’équilibre Est-Ouest apparaissent dans les années 80 et que le forum des ministres des Affaires étrangères du G7 est rendu autonome en 1984, ce n’est qu’après les attentats du 11 septembre 2001 que le G8 investit pleinement le champ politique des relations internationales et que, selon un

des sommets de chefs d’Etat et de gouvernement. En comparaison, le G7 des ministres de la Justice et de l’Intérieur ne se réunit, sporadiquement, que depuis 1997.

1 Le communiqué sur la piraterie aérienne, délivrée en 1978, est considéré comme la première déclaration politique du G7. Suivront des déclarations sur la prise d’otages de diplomates et les réfugiés indochinois, cubains et afghans (1979, 1980) et la guerre d’Afghanistan (1980). La première distinction entre déclaration économique et déclaration politique apparaît en 1981. (Cf. G7, « Déclaration sur la piraterie aérienne », Bonn, 17 juillet 1978 ; _ “Special Statement of the Summit on Indochinese Refugees”, Tokyo, June 28, 1979 ; _ « Déclarations sur les détournements d'avions », Venise, 22 juin 1980 ; _ « Déclaration sur l'Afghanistan », Venise, 22 juin 1980)

2 La prédominance des thèses monétaristes au cours des années 80 explique également l’intérêt décroissant pour la coordination fiscale. Quand bien même, l’administration Reagan aura été la plus protectionniste des administrations américaines après la seconde Guerre mondiale. (Cité in C. Touron, « La remise en cause du G7 », 10 avril 2003)

3 On en veut pour preuve, en autres exemples que les consultations ayant précédé la mise en place par le gouvernement américain des plans Baker (1985) et Brady (1989) contre la dette ainsi que la résolution de la crise du peso mexicain en 1994-95 ont plus concerné les grandes banques de Wall Street que les autres membres du G7. Décrivant ces quinze années, un ancien directeur exécutif du FMI notait que « le G7 tamponnait alors les décisions déjà prises par les Etats-Unis, et à leur tour les institutions de Bretton Woods tamponnaient les déclarations du G7. » (A. Kafka, “Governance of the Fund”, in UNCTAD, The International Monetary and Financial System: Developing Country Perspectives, cité in R. Culpeper, “Systemic Reform At A Standstill: A Flock Of ‘Gs’ In Search Of Global Financial Stability”, June 2000, p.9)

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observateur, « le G8 remplace lentement mais sûrement l’ONU et son Conseil de sécurité comme l’institution dominante en matière de gouvernance mondiale de la sécurité.1 » Jusque là, la coordination politique du bloc de l’Ouest est laissée à l’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique Nord) et à la CSCE (Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe), plutôt qu’à l’ONU, paralysée par l’absence de consensus entre les cinq membres du Conseil de sécurité et dont le champ de réflexion et d’intervention fut pratiquement réduit aux actions d’urgence, de police et de reconstruction. Avec le temps, le G7 a étendu son champ d’intérêt jusqu’à parler virtuellement de toute question de dimension internationale : transition vers l’économie de marché des pays de l’ancien bloc soviétique, trafic de drogue, réduction de la dette, environnement, aide humanitaire, réforme du système financier international, gestion du plutonium, droits humains, sécurité nucléaire, corruption, transferts d’armes, nouvelles technologies, réforme de l’ONU, blanchiment d’argent, clonage humain, stations spatiales, hydrochlorofluorocarbones, développement, prévention et résolution des conflits2… Cet élargissement de son champ de vision reste partiel et partial, puisque la mise à l’agenda de ces thématiques dépend du bon vouloir du pays assurant la présidence et, de plus en plus, de l’opinion publico-médiatique. Il a en revanche gardé tout au long de son histoire sa vocation économique – ses objectifs restant, par-delà les aléas de l’histoire, de promouvoir le libéralisme économique tout en préservant la stabilité des prix, de renforcer l’architecture financière internationale, de coopérer dans la surveillance du marché des changes, et d’encourager les pays en développement à adopter leurs recommandations économiques et financières. Dans un mouvement circulaire alliant pensée et praxis, le G8 assure la quadruple fonction de compréhension, de coordination, de direction et d’impulsion, le tout au moyen d’un discours normatif et signalétique, d’une maîtrise du corset institutionnel internation et d’une diffusion de sa propre norme organisationnelle à l’échelle supranationale.

Polyvalence des fonctions

Compréhension Se connaître et se comprendre soi-même, connaître et comprendre les autres, se faire connaître et se faire comprendre : il y a, dans le G8, un peu de ces réunions d’experts qui ont pullulé à la fin du XXe siècle et consistent à forger un point de vue dominant sous forme de déclaration ou de rapport ainsi qu’à nouer des relations personnelles. On peut y voir également une continuation en même temps qu’un renversement du statut classique de l’information au sein des relations interétatiques. Quand les statistiques sont apparues, au XVIIe siècle, pour permettre au souverain d’évaluer sa puissance à travers la connaissance du montant des richesses et de la

1 J. Kirton, “From Collective Security to Concert: The UN, G8 and Global Security Governance”, 28

October 2005, p.3 2 Pour une analyse de l’évolution de l’agenda du G8, lire: P. Hajnal and J. Kirton, “The Evolving

Role and Agenda of The G7/G8: A North American Perspective”, Spring 2000

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quantité de population de son royaume, il était indispensable que ce savoir de ce que l’on appelle aujourd’hui les ressources d’un Etat restât inconnu de ses rivaux, et inversement pour ce pays de connaître celles des autres1. L’échange d’information au sein du G8 et au-delà s’inscrit encore pour partie dans cette guerre de l’information. De ses débuts à la fin de la Guerre froide, comme le rappelle la déclaration du sommet de 1982, il s’agissait pour les membres du G7 d’échanger « des informations au sein de l'OCDE sur tous les aspects de [leurs] relations économiques, commerciales et financières avec l'URSS et l'Europe orientale2 », et, en ce sens, de constituer des statistiques supranationales susceptibles d’informer le bloc de l’Ouest sur les mensurations et la santé économiques de son rival. Le G8 encourage en ce sens également, depuis les années 80, à un important échange d’information sur les activités à caractère criminel, en particulier celles des réseaux terroristes et mafieux3. Mais cet aspect de l’échange d’information est toujours resté secondaire par rapport à un partage d’information sur les politiques nationales qui appuyait le renforcement de ces politiques tout en facilitant ajustements et concessions mutuels4. Reconnaissant, dès la fin de la seconde guerre mondiale, leur interdépendance économique et les effets collatéraux des leurs politiques domestiques, les membres de l’OCDE ont entrepris de se dévoiler mutuellement les secrets de leurs richesses et de leurs stratégies5. A cet échange réciproque d’information s’ajoute un mécanisme de surveillance de l'application des codes et des normes dans le cadre des consultations sous chapitre IV du FMI, qui permet aux membres du G8 de disposer d’informations économiques sur ceux de l’institution de Washington. Sa promotion musclée du principe de

1 Le terme « statistique » vient, étymologiquement, du mot « Etat ». 2 G7, « Déclaration finale », Versailles, 6 juin 1982 3 Margaret Thatcher, parlant de la lutte contre le terrorisme, déclarait en 1984 que « par-dessus

tout nous devons avoir un plus proche échange d’information et une plus proche coopération entre pays. » (M. Thatcher, “Press Conference Given by Prime Minister Mrs. Margaret Thatcher At the End of the Economic Summit”, London on 9 June 1984)

4 On lit par exemple, dans une déclaration des Ministres des finances et des gouverneurs des banques centrales du G7, que « le secteur public devra faire preuve d'une plus grande transparence dans l'élaboration des politiques économiques et la divulgation des statistiques et grands indicateurs économiques ». (Ministres des finances et des gouverneurs des banques centrales du G7, « Déclaration », Ottawa, 30 Octobre 1998)

5 Les Statuts de l’OCDE, reconnaissant par ailleurs cette interdépendance économique, stipulent que ses membres doivent « se tenir mutuellement informés [et] se consulter d'une manière continue ». En 1981, le Premier ministre canadien avouait également en conférence de presse : « Nous avons eu des discussions très compréhensives et franche pendant nos réunions. Nous n’avons pas essayé de cacher nos divergences. Nous réalisons que nous avons à faire à des économies de nature différentes et qui réagissent différemment à l’évolution de la situation. Nous nous sommes accordés sur le fait que nous ne pouvions revitaliser nos économies en nous isolant les uns des autres. Nous nous sommes accordés sur les fondamentaux et nous réalisons que nous devons prendre en compte dans nos politiques l’impact qu’elles peuvent avoir sur nos partenaires. » (OCDE, « Convention relative à l'Organisation de coopération et de développement économiques », Paris, 14 décembre 1960, art. 3 ; P. E. Trudeau, “Prime Minister Trudeau's Concluding Statement”, Ottawa: July 21, 1981)

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transparence n’est d’ailleurs pas sans rappeler qu’il rime avec surveillance1. Depuis les années 90, le G8 a augmenté sa pression sur les autres pays pour qu’ils divulguent leurs informations économiques, en encourageant par exemple les conditionnalités du FMI et en profitant des crises financières2. La crise asiatique a par exemple été principalement interprétée par le G7 comme une double crise de l’information : mauvaise information de l’opinion publique et mauvaise information des marchés et des institutions internationales3. Elle a été l’occasion de traduire les

1 « La surveillance des économies des États membres par le FMI — dans le cadre d'un dialogue

avec les autorités nationales — a évolué pour prendre en compte un ensemble de normes et codes destinés à guider la politique économique dans un grand nombre de domaines relevant de la solidité du secteur financier, de la transparence des politiques financière, monétaire et budgétaire, de la diffusion des données et du gouvernement d'entreprise. » (FMI, « Réforme du FMI : changement et continuité », 12 avril 2000)

2 En 1995, les membres du G7 priaient le FMI « d'établir des délais-repères pour la publication en temps opportun de grandes données économiques et financières ; de mettre en place une procédure pour que soient identifiés régulièrement et publiquement les pays qui s'y conforment ; d'insister pour que les pays membres produisent en temps voulu des rapports complets sur des ensembles de données types, de fournir des conseils plus avisés à tous les gouvernements en matière de politiques et d'adresser des messages plus francs aux pays qui semblent éviter de prendre les mesures nécessaires. » L’année suivante, le G7 pouvait se montrer satisfait des réformes entreprises par le FMI sur ses conseils : « Les capacités de surveillance du FMI ont été améliorées, des normes pour la diffusion des informations économiques et financières aux marchés ont été fixées ». Quand bien même, deux ans plus tard, le G7 Finances profitait de la crise asiatique pour inviter la communauté internationale à aller plus loin encore, souhaitant « que les pays fournissent de l'information descriptive de plus grande qualité sur leurs systèmes financiers, leurs marchés, leurs institutions, leurs lois et les autres aspects du secteur financier, y compris des détails sur les contrôles bancaires, les procédures suivies en cas de faillite et la culture de crédit, les compétences et la structure des secteurs bancaires, et notamment la relation entre les banques et le gouvernement et le secteur industriel. » (G7, « Communiqué », Halifax, 16 juin 1995 ; _ « Communiqué économique : Réussir la mondialisation au bénéfice de tous », Lyon, 28 juin 1996 ; G7 Finance, « Le renforcement de l'architecture du système financier mondial », Rapport des Ministres des Finances du G7 aux Chefs d'État ou de Gouvernement du G7 en prévision de leur réunion à Birmingham en mai 1998)

3 Selon le communiqué final du sommet de 1998, « une des grandes leçons à tirer de ces événements réside dans l'importance de saines politiques économiques, de la transparence et d'une bonne gestion des affaires publiques, autant d'éléments qui améliorent le fonctionnement des marchés financiers, la qualité des décisions économiques ainsi que la compréhension et l'appui des populations à l'égard de politiques judicieuses, et qui ce faisant favorisent la confiance. » La même année, le G7 Finances affirme que « s’ils avaient été mieux et plus vite informés de ces faits, les marchés internationaux et les institutions financières internationales auraient peut-être été mieux en mesure d'évaluer les risques en Asie et ailleurs. » Suite à ces crise, le rapport de référence du G7 Finance sur la réforme de l’architecture financière internationale précise que, « pour que les marchés financiers et les économies de marché fonctionnent bien, il est essentiel de pouvoir compter sur une information exacte et rapide. » Il considère par exemple « hautement prioritaires […] des mesures en vue de rendre plus transparents le fonctionnement du FMI lui-même et les politiques économiques des pays qui en sont membres, notamment par la publication d'un plus grand nombre de documents du conseil. » Cette ouverture du FMI ne résulte donc pas, comme on a pu le dire, d’une pression de groupes de pression associatifs, mais des nécessités du marché. (G8, « Communiqué », Birmingham, 17 mai 1998 ;

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principes généraux mis en avant pour améliorer l’information des marchés (transparence, surveillance, supervision, “reporting”) en principes particuliers qui sont considérés par le G7 Finances comme autant de « standards auxquels devraient aspirer tous les pays du monde1 ». Dans cette perspective, le gouvernement en est souvent réduit à n’être, selon les mots de la Banque mondiale, qu’« une source d’information primordiale2 », au même titre que les institutions supranationales publiques3. De manière générale, les clubs et autres forums, à la manière des services diplomatiques, ont pour principal objet cet échange de vues – et ce renforcement des liens personnels entre leurs participants que j’ai précédemment abordé4. Les déclarations et les participants aux sommets ont souvent rappelé l’objectif et l’intérêt communs d’une « compréhension mutuelle5 » qui dépassait le simple cadre du G86.

G7 Finances, « Le renforcement de l'architecture du système financier mondial », 15 mai 1998 ; _ « Le renforcement de l'architecture financière internationale », Cologne, 18-20 juin 1999)

1 G7 Finance Ministers, “Conclusions of G7 Finance Ministers”, London, 9 May 1998 ; Cf. “Ten Key Principles for International Financial Information Exchange”, HM Treasury Press Release, May 1998

2 World Bank, Governance and Development, 1992, p.39 3 En 1998, le G7 Finance, demande « instamment au FMI et aux autres tribunes d'examiner des

moyens de surveiller efficacement les mouvements de capitaux, y compris ceux à court terme, dans le but d'informer le marché et d'en favoriser la stabilité. » Deux ans plus tard, selon le FMI lui-même, « mieux informer les marchés est un objectif majeur des réformes du système financier international et des réformes engagées dans le FMI ces deux dernières années. » (G7 Finances, « Le renforcement de l'architecture du système financier mondial », 15 mai 1998 ; FMI, « Réforme du FMI : changement et continuité », 12 avril 2000)

4 Raymond Barre déclarait, à propos du sommet de la Guadeloupe en janvier 1979, où quatre chefs d'État ou Premiers ministres se sont réunis « à titre privé » pour évoquer, entre autres, la crise des euromissiles et la situation iranienne : « De telles réunions informelles ne sont pas inutiles ; elles n'ont pas pour objet de prendre des décisions qui s'imposent à d'autres pays ; elles permettent cependant une meilleure compréhension personnelle entre les responsables des pays concernés. » (R. Barre, Interview au journal Le Devoir, Montréal, 5 février 1979, p.2)

5 G7, « Déclaration finale de la conférence internationale de Porto Rico », Porto Rico, 28 juin 1976 ; G7, « Déclaration économique », Toronto, 21 juin 1988

6 Selon un Président français, la création du G7 « a été précisément décidée afin que les responsables du monde qui se réunissent, se connaissent, se connaissent mieux. » La déclaration de 1984 ne disait pas autre chose : « Le but principal de ces rencontres est de permettre aux Chefs d'Etat et de Gouvernement de se rassembler et de discuter des problèmes, des perspectives et des possibilités économiques offerts à nos pays et au monde. Nous sommes parvenus à une meilleure compréhension des positions et des conceptions de chacun, mais aussi à un large accord sur les objectifs fondamentaux de nos politiques respectives. » La déclaration économique de 1988 précisait la finalité dernière de ce type d’entendement, affirmant que « la compréhension mutuelle que nous avons acquise lors de nos réunions a été profitable à tous nos pays à l'ensemble de la communauté mondiale ». Ce qui semblait déjà une évidence en 1975, étant donné que « des rapports de coopération et une meilleure compréhension entre les pays en développement et le monde industrialisé sont fondamentaux pour la prospérité de chacun. » Plus largement, un autre Président français affirmait en 1996 qu’« il est aujourd'hui [normal], surtout si l'on veut élaborer un nouvel ordre international qui consiste simplement à intégrer les évolutions qui s'imposent, qu'il y ait une plus grande concertation entre les grandes organisations internationales et les gouvernements. » (F. Mitterrand, « Conférence de presse de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'issue du XVe sommet des pays industrialisés », Paris, 16 juillet 1989 ;

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En ce sens, les engagements contenus dans les déclarations finales du G8 ne peuvent être considérées comme une finalité en soi des sommets, le cheminement jusqu’à elles semant beaucoup de sous-produits1. Car un dialogue n’est pas forcément une négociation, et les sommets n’entendent pas formuler systématiquement un consensus, mais bien toujours connaître les positions de chacun. Les participants invités aux sommets, qu’il s’agisse de chefs d’Etats ou de dirigeants d’instance, le sont principalement pour exposer leurs vues2. Et, dans une certaine mesure, l’enceinte onusienne ne représente aux yeux du G8 qu’un « forum utile », selon le mot de de Gaulle3. Cette compréhension n’est pas seulement mutuelle, mais conjointement compréhension du monde. D’abord au sens où le G8, à travers ses déclarations, prend acte d’une certaine réalité de l’ordre des choses : un monde des plus en plus ouvert et changeant, donc de plus en plus compliqué, donc de moins en moins compréhensible4. C’est, d’un côté, très pragmatiquement qu’il avoue son impotence, et de l’autre très médiatiquement qu’il fait part de ses préoccupations, de son chagrin, de sa compassion et de sa solidarité5. Par exemple, après avoir parlé du cancer en 1984 et des stupéfiants en 1985, le G7 commence à se préoccuper du Sida en 1987, indiquant qu’il est « peut-être l'un des plus gros problèmes de santé dans le monde6 », et répondant par là au cri d’alarme sur les risques du Sida lancé l’année passé de Paris par deux milles experts. Selon les recommandations faites lors de ce sommet, un Comité International d'éthique sur le sida est formé en 1989 par le G7, l’OMS (Organisation mondiale de la santé) et quelques autres Etats7, à la

G7, « Déclaration Economique », Londres, 9 juin 1984 ; _ « Déclaration économique », Toronto, 21 juin 1988 ; G6, « Déclaration de Rambouillet », Rambouillet, 17 novembre 1975 ; J. Chirac, « Conférence de presse de M. Jacques Chirac, Président de la République, à l'issue du Sommet de Lyon », Lyon, 29 juin 1996)

1 A en croire Reagan, la victoire du camp capitaliste serait l’un de ces sous-produits, étant due selon lui à la capacité des membres du G7 de se « serrer les coudes » (hanging together) face au bloc communiste.

2 A l’issue du sommet de 2003, Chirac expliquait par exemple à la presse : « nous nous sommes réunis à vingt-et-un chefs d'Etat, dimanche, pour essentiellement entendre ce qu'ils avaient à dire ». (J. Chirac, « Conférence de presse à l’issue de la première journée du G8 », Evian, 2 juin 2003)

3 Ainsi, en 1987, le G7 admet que « la CNUCED VII offre une enceinte de discussion avec les pays en développement en vue de parvenir à une compréhension commune des problèmes majeurs et des questions politiques qui caractérisent l'économie mondiale. » (G7, « Déclaration économique », Venise, 10 juin 1987)

4 Le communiqué du sommet de 2000 parle d’« un univers sans cesse plus mondialisé, aux défis de plus en plus complexes ». (G8, « Communiqué », Okinawa, 23 juillet 2000)

5 En 1989, parlant de la répression des étudiants massés place Tienanmen, le G7 déclarait : « Nous comprenons et partageons la grave préoccupations de la population de Hong-Kong à la suite de ces événements. ». La même années, soit onze ans après que des inondations ont fait 10 000 morts et vingt millions de sans abri dans la vallée du Gange, il dira son émoi devant « les inondations catastrophiques qui dévastent périodiquement le Bangladesh ». (G7, « Déclarations politiques », Paris, 15 juillet ; G7, « Déclaration économique », 1989)

6 G7, « Déclaration sur le SIDA », Venise, 10 juin 1987 7 Cf. G7, « Déclaration économique », Paris, 16 juillet 1989

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suite de quoi le sujet disparaît des déclarations du G7 pendant sept ans. En juillet 2001, trois mois après le lancement par Kofi Annan d’un Fonds mondial contre le Sida, les membres du G7 lancent leur propre mécanisme, le Fonds mondial de lutte contre le VIH/sida, le paludisme et la tuberculose1 – quand bien même la déclaration de 1987 affirmait que « l'Organisation mondiale de la santé (OMS) constitue le meilleur forum pour rassembler les efforts internationaux de lutte au niveau mondial contre le SIDA ». Ne précisant aucun calendrier de réalisation, le Fonds du G8 n’est doté que d’un milliard et trois cents millions de dollars, alors qu’un article paru dans la revue Science peu de temps auparavant estimait que la lutte contre le sida uniquement et uniquement dans les pays « en développement » nécessitait au bas mot neuf milliards de dollars par an, le Fonds onusien prévoyant d’en récolter dix2. Les seules promesses de don des membres du G8 pour l’année 2001-2002 ne s’élevaient qu’à six cent trente-quatre millions de dollars, soit pas même la moitié de la somme prévue. En dépit de l’engagement pris en 2003 de « renforcer le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme3 », ces promesses s’élevaient à peine à un milliard en 2007, et entre temps l’Italie avait cessé de verser son obole. En janvier 2007, la contribution des membres du G8 au Fonds depuis sa création dépassait à peine quatre milliards4. Par ailleurs, seule une moitié des membres du G8 figurent parmi les dix premiers contributeurs au programme des Nations unies contre le Sida, et celui-ci n’a pas même pas réussi à glaner, auprès de l’ensemble des Etats, un milliard de dollars en dix ans5. Vingt ans après leur première déclaration sur le sujet, le G8 marquera son intérêt pour la XVIe Conférence internationale sur le sida, qui réunirait plus de vingt mille experts à Toronto en août 20066. Entre temps, le Sida était devenu la première cause de mortalité dans le monde. C’est sans doute puisqu’il n’est question, dans bien des cas, que de parler pour ne rien faire et de seulement montrer son intérêt, que les femmes des dirigeants du G8 se sont réunies autour de Laura Bush parallèlement au sommet officiel de Sea Island. Là, les femmes de leurs maris ont discuté, avec des femmes ministres d’Iraq et d’Afghanistan, de l’éducation et de la santé des femmes et des enfants au Moyen-Orient7. La répétition des speech act semble induire autant l’existence d’un speech art que d’un marché du discours où se tiendrait une bataille des déclarations. L’ONU elle-même peut-être comprise, disais-je précédemment, comme une arène où les joutent

1 « Nous sommes déterminés à rendre le fonds opérationnel avant la fin de l'année. Nous avons

engagé 1,3 milliard de dollars à cette fin. » (G8, « Communiqué », Gênes, 22 juillet 2001) 2 La même année, Médecins sans frontières a également condamné vertement cette proposition en

particulier et l’approche des questions de santé par le G8 en général. (Cf. J. Sachs, « Arrêtez de compter vos dollars ! », Courrier international, 2 août 2001, article original paru dans le Financial Times ; MSF, “G8 window dresses while poor die from lack of medicines”, 23 July 2001)

3 J. Chirac, « Conclusion de la présidence », Evian, 3 juin 2003 4 Dont près de la moitié en provenance des Etats-Unis. (Source : The Global Fund, “The Global

Fund to Fight AIDS, Tuberculosis and Malaria - Pledges”, 2007 5 Source : UNAIDS, “Donor contribution table. 1995-2005” 6 G8, « Lutte contre les maladies infectieuses », Saint-Pétersbourg, 16 juillet 2006 7 Cf. entre autres interviews : L. BUSH, “Interview with First Lady by Terry Moran”, ABC News, Sea

Island, June 9, 2004

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sont d’abord oratoires et les résolutions de l’Assemblée générale purement symboliques1. Cette prolifération des discours n’est donc pas seulement le fait d’une l’inflation médiatique gourmande d’images fortes et de slogans, mais aussi le corollaire d’une concurrence des discours pour l’imposition de normes et finalement d’un dogme. De plus, l’extension du champ des considérations du G7 dans les années 80 et 90 a entraîné logiquement la réponse de groupes qui y voyaient une incursion dans leurs domaines de préoccupation ou qui souhaitaient au contraire que le G7 se penchât sur leurs problèmes puisqu’il se penchait sur ceux des autres2. A la Bourse de ce marché discursif ainsi constitué, les pays non-membres du G8 aussi bien que les opinions publiques ont obligé notre instance, en faisant monter le prix de certaines revendications, à prendre des positions, quand bien même elles ont pu être contradictoires et sont restées, souvent, oratoires3. 1 Par exemple, la Déclaration sur le droit au développement affirmait en 1986 le droit de tous les

peuples « d’assurer librement leur développement, économique, social et culturel » et d’exercer « leur droit inaliénable à la pleine souveraineté sur toutes leurs richesses et leurs ressources naturelles » ainsi que le droit et le devoir de chaque État de « formuler des politiques de développement national appropriées ayant pour but l’amélioration constante du bien-être de l’ensemble de la population ». Parce qu’elle s’oppose à la logique de l’OMC et du FMI et met les gouvernements l’ayant adoptée en porte-à-faux avec ces organisations, cette déclaration fait actuellement l’objet de critiques virulentes. (Cf. ONU, « Déclaration sur le droit au développement », Résolution 41/128 du 4 décembre 1986)

2 On peut faire en ce sens l’hypothèse que le G8 a commencé à faire l’objet de contestations de la part des ONG de développement parce qu’il a incorporé à son discours, au début des années 80, des questions politiques et sociales que différentes organisations non gouvernementales considéraient comme leur pré-carré. (Pour mémoire, le G8 aborde pour la première fois la question du développement des pays pauvres lors du sommet de Venise en 1980, celles l’environnement et du « fardeau de la dette » quatre ans plus tard.)

3 Par exemple, ce n’est qu’en 1988, soit six après le déclenchement de la « crise de la dette », et sous la pression des pays touchés par celle-ci, que la dette des pays « en développement » est devenu un « sujet de préoccupation économique et politique » méritant plus que le paragraphe habituel sur la nécessité de soutenir la libéralisation de l’économie mondiale, les ajustements structurels menés sous l’égide des institutions de Bretton Woods ainsi que le rééchelonnement des dettes consenties par le Club de Paris (dont tous les pays du G8 sont membres) – mesures qui vont à l’encontre de leur reconnaissance que « la fuite des capitaux est un problème essentiel » et qu’il faut « protéger la souveraineté des Etats ». L’engagement de consacrer au moins 0,7% du produit national brut à l’aide publique au développement (APD) a également été porté par les pays non membres du G8, avant de devenir un cheval de bataille des ONG tiers-mondistes. Adopté en 1970 par les Nations unies et inclus dans les Objectifs du millénaire en 2000, cet objectif fut réaffirmé à plusieurs reprises au sein des instances internationales, comme au sommet de Rio en 1992 et à Johannesburg dix ans plus tard. Si, en 1987, la déclaration du G7 de Venise cite explicitement ce chiffre, dix ans plus tard, à Denver, il n’est plus question que de « flux substantiels ». C’est peut-être que, au sein de l’OCDE, seuls cinq pays respectent cet engagement, et qu’aucun d’eux n’est membre du G8. Alors même que les pays membres de l’OCDE ont doublé leur revenu par habitant en quarante ans, l’aide qu’ils envoient aux pays pauvres a diminué sur la même période. Entre 1992 et 2002, en termes réels, l’APD a chuté de plus de 30%. Pour exemple, de l’aveu même des ministres du développement du G8, « l'aide française au développement est passée de 0,64% du PIB en 1994 à 0,32% en 2000. » Par comparaison, selon une étude de l’ONG Development Initiatives, « tous les donateurs sauf le Danemark, dépensent au moins le double de leur budget d’aide en dépenses militaires. Le Royaume-Uni leur consacre 8 fois plus, la France 9, l’Italie 15, la Grèce 23 et les Etats Unis 33. ». A Monterrey, un an après que la déclaration du sommet de Gênes ait rappelé l’engagement de 0,7%, les pays de l'Union européenne et les Etats-Unis revoyaient ces

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La dernière et plus tardive forme de compréhension qu’entend susciter le G8, c’est celle des opinions publiques, nécessaire à l’obtention de leur confiance et de leur appui. Cet effort pédagogique semble, lui aussi, induit par la complexité des phénomènes de mondialisation, mais aussi par l’absence d’évidence de leurs bienfaits et la mobilisation d’une frange de l’opinion publique en marge des sommets. Dans les déclarations du G8, les populations sont majoritairement considérées comme des objets passifs et partiellement malléables, la notion de « participation », quand elle est référée aux peuples, s’appliquant uniquement à ceux des pays africains ou aux fruits de la croissance. Les populations apparaissent toutefois de temps à autre comme susceptible d’émettre une opinion ou de comprendre la nécessité des politiques menées par le G81. On peut y voir l’influence des contre sommets qui, contrairement aux manifestations, visent à l’élaboration d’un contre discours ainsi qu’à la diffusion d’un message qui peut confiner à l’expertise2 ; comme

objectifs à la baisse, promettant de porter leur APD d’ici 2006 pour les premiers à 0,39% et pour les seconds à 0,13% – mais ces derniers ont une excuse : selon le département d’Etat américain, ils n'ont jamais souscrit à l'objectif de l'ONU. (G7, « Déclaration économique » ; _ « Déclaration économique », Paris, 16 juillet 1989 ; F. Mitterrand, « Rapport de M. le Président de la République [française] au sommet des pays industrialisés : technologie, emploi et croissance », Versailles, 5 juillet 1982 ; G7, « Communiqué », Denver, 22 juin 1997 ; Ministres du Développement du G8, « Principaux points évoqués », Paris, 23-24 avril 2003 ; T. German and J. Randel (Ed), The reality of aid 2002: Focus on Conditionality and Ownership, 2002, p.155 ; Département d'Etat américain, « L'aide à l'étranger des Etats-Unis », Washington, 3 mai 2005)

1 En 1981, le G7 projetait de faire des efforts pour « faire mieux comprendre cette nécessité [de maintenir et dans certains cas d’augmenter l’aide publique au développement] par nos opinions publiques. » Sept ans plus tard, la déclaration économique notait que la « surveillance [des réformes structurelles par l'OCDE] serait particulièrement utile pour faire mieux comprendre les réformes au public en révélant l'incidence de celles-ci sur les budgets des Etats, les prix à la consommation et les échanges internationaux. » En 1998, face aux émeutes provoquées par la crise financière, le G7 Finances encourageait « le FMI et la Banque mondiale à chercher des moyens d'expliquer davantage leurs politiques et façons de procéder en public – afin de mieux faire comprendre leur rôle dans l'économie mondiale. » Enfin, une déclaration de 2005 admettait que « la population doit être tenue au courant [des attaques terroristes] et, le cas échéant, prévenue et alertée. » (G7, « Déclaration économique », Ottawa, 21 juillet 1981 ; G7, « Déclaration économique », Toronto, 21 juin 1988 ; G7 Finances, « Le renforcement de l'architecture du système financier mondial », Rapport des Ministres des Finances du G7 aux Chefs d'État ou de Gouvernement du G7 en prévision de leur réunion à Birmingham en mai 1998 ; G8, « Déclaration du G8 sur la lutte contre le terrorisme », Gleneagles, 8 juillet 2005, p.3)

2 Par exemple, le CRID (Centre de recherche et d’information pour le développement), plate-forme rassemblant une cinquantaine d’ONG françaises, affichait à l’été 2003 lors du SPAM (Sommet pour un autre Monde) l’objectif de « permettre à des acteurs de la société civile de faire connaître leurs propositions sur les thèmes abordés par le G8 ». En 2005, la coalition britannique « G8 Alternatives », qui organisait le sommet alternatif à celui de Gleaneagles, mit en avant le même « souci d’éducation et de participation ». En 2002, les organisateurs du contre sommet de Calgary interprétaient ainsi les récentes actions de la mouvance altermondialiste : « De Seattle à Davos, de Prague à Genève, le mouvement anti-capitaliste force les institutions du G8 à répondre aux attentes et aux questions des peuples. » De manière générale, les premiers contre sommets ont moins été de larges rassemblements militants que des réunions d’experts. (CRID, « Face au G8 : Le Sommet pour un autre Monde », Crid’Infos, n° 15, avril 2003 ;

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on peut voir dans l’existence de ces contre sommets l’apparition d’une opinion publique supranationale, militante et formée. De manière générale, cette pédagogie de la mondialisation reste marginale par rapport au marketing de la mondialisation, qui consiste principalement à centrer les communications et les conférences de presse sur les éléments les plus généreux des déclarations1.

Coordination « Naturellement – confiait à la presse, en 2003, un Président français – ces G8 n'ont jamais eu pour vocation d'être une sorte de directoire du monde. Il s'agissait simplement, pour les plus responsables sur le plan économique, de coordonner leur action dans le sens de l'intérêt général.2 » Les déclarations elles-mêmes répètent continûment qu’« une collaboration étroite et une meilleure coordination entre les démocraties industrielles sont nécessaires3 » du fait de l’interdépendance et de l’intégration croissante des Etats. Mais aussi, lit-on entre les lignes des communications du G8, du fait de la multiplication des acteurs nationaux et supranationaux, de la transversalité des questions économiques, politiques, sociales, et d’une certaine désorganisation du système international4. Sorte de grand coordonnateur, le G8 agence, met en musique et en ordre, organise le partage des tâches et de l’information, faisant travailler ensemble représentants des Etats des institutions internationales, ces institutions et ces Etats eux-mêmes, les institutions internationales entre elles, les agences de l’ONU, le secteur public et le secteur privé, ne s’interdisant aucune hybridation5. Gage de cohérence et

J. Brown, membre du comité national de « G8 Alternatives », « Edinburgh 2005 : une semaine d’action contre le G8 », propos recueillis par Yannick Bovy, Comité pour l’annulation de la dette du tiers monde ; Cf. également G. Hubbard, “Message from the organisers of G8 Alternatives”, 2005 ; Calgary Organizers, “Countering the G8 Summit 2002, Kananaskis, Alberta, Canada: A Call To Action”, 2002)

1 Par exemple les déclarations à la presse faites lors du sommet de Gleneagles et la présentation des résultats du sommet au Parlement anglais par Tony Blair mettaient systématiquement en avant l’aide à l’Afrique et la lutte contre le réchauffement climatique, quand bien même les déclarations officielles concernaient également l’économie mondiale, le pétrole, le commerce, la non-prolifération, le piratage, la lutte contre le terrorisme ou encore le Moyen-Orient.

2 Et il ajoutait, deux jours plus tard : « notre action consiste précisément à rendre nos actions cohérentes. » (J. Chirac, « Conférence de presse à l'issue de la réunion du dialogue élargi », Evian, 1er juin 2003 ; _ « Conférence de presse à l’issue du sommet d’Evian », Evian, 3 juin 2003)

3 G7, « Déclaration finale de la conférence internationale de Porto Rico », Porto Rico, 28 juin 1976 4 Ce sont parfois les chefs d’Etat qui font ce travail de lecture. Ainsi, commentant la déclaration

économique de 1982, Mitterrand précisait le sens du « principe de la coordination et de l'ordonnancement : ordonner, ce n'est pas seulement coordonner un système monétaire international (expression qu'on n'avait pas retrouvée depuis très longtemps dans une déclaration de ce type), c'est prévoir un système efficace à moyen terme. » Il est à cet égard éloquent que, suite aux crises financières des années, le G7 ait surtout amplifié le dialogue entre instances supranationales, experts et praticiens. » (F. Mitterrand, « Conférence de presse de M. le Président de la République à l'issue du Sommet des pays industrialisés », Versailles, 6 juin 1982)

5 Double fonction de compréhension et de coordination ainsi résumée en 1993 : « Nous attachons du prix à ces Sommets car ils nous fournissent l'occasion d'échanger des idées, d'élaborer des

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d’efficacité, la coordination est à son sens toujours souhaitable et si possible continue1. Elle est le pendant nécessaire de la coopération, qu’elle n’abolit pas mais que le G8 laisse principalement aux Etats et aux instances supranationales, car lui-même n’a pas vocation à agir2. Les activités de coordination du G8 sont donc doubles : coordination des politiques nationales et coordination du système supranational. Premièrement, au milieu des années 70, le système institutionnel international étant grippé du fait de la fin du système de Bretton Woods et de la paralysie de l’ONU, l’échelle de décision et les moyens d’action réinvestirent logiquement ce champ premier du politique depuis le XVIe siècle : l’espace national. La coordination des politiques économiques nationales – ce qu’il appelle à plusieurs reprises ses « efforts individuels » – est un élément majeur de l’action du G83. D’abord et toujours économique, cette coordination des politiques nationales s’est progressivement essayée aux domaines énergétique, sécuritaire, environnemental, judiciaire, scientifique… Ainsi, en plus des réunions systématiques des ministres des Finances et des gouverneurs des Banques centrales, des ministres du commerce et des Affaires étrangères, on compte à partir de la fin des années 80 des réunions thématiques comme celles des ministres de la Justice et de l’Intérieur, de l'Environnement, de la Recherche et de l'Emploi, du Développement, de l’Education et même des représentants de leurs Académies des sciences. Ces sommets ministériels thématiques symbolisent la recherche d’opportunités de coordination, et leur existence sporadique dit aussi combien la politique proprement dite reste encore largement nationale quand l’économie est devenue supranationale. Deuxièmement donc, l’action du G8 se situe dans des cadres institutionnels plus larges, et la collaboration au sein du G8 n’empêche pas la coopération au sein des instances internationales, au contraire. Bien que le G8 n’ait, en apparence, aucun pouvoir décisionnel, il est de son aveu même un lieu privilégié de construction d’un consensus sur les décisions qui seront ensuite prises au sein des IFI, du GATT –

positions communes et d'approfondir la compréhension entre nous. » (G7, « Déclaration économique : Un engagement renforcé pour l'emploi et la croissance », Tokyo, 9 juillet 1993)

1 Les déclarations du G8, loin de constituer des points finaux, se situent à la fois en amont et en aval des décisions et des passages à l'acte, les sommets n’étant pour leur part qu’un temps de cette coordination perpétuelle. Même en étant en parfaite symbiose, comme expliquer par exemple que, le 2 juin 2003, les chefs d’Etat et de gouvernement du G8 aient pu mettre au point en une seule journée quatre déclarations et dix plans d’action sur des sujets aussi complexes et divers que le commerce, la lutte contre le terrorisme, l’eau, la santé, la lutte contre la famine, l’environnement marin et la sécurité maritime, la science et la technologie au service du développement durable, la sécurité des transports et des sources radioactives, la lutte contre la corruption et la prolifération des armes de destruction massive ?

2 On peut également lire dans la déclaration de 1977 : « Nous rechercherons cette coopération [avec les pays non-membres du G7] au sein des institutions internationales appropriées, comme les Nations unies, la Banque mondiale, le FMI, le GATT et l’OCDE ». (G7, “Declaration: Downing Street Summit Conference”, London, May 8, 1977)

3 La déclaration de 1992 note en ce sens : « la coordination des politiques économiques et financières est un élément central de notre stratégie commune ». (G7, « Déclaration économique. Agir ensemble pour une croissance plus forte et un monde plus sûr », Munich, 8 juillet 1992)

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puis de l’Organisation mondiale du commerce – et de l’ONU1. A l’inverse, ces instances sont aussi des lieux de concertation et de dialogue2. « Dans un monde marqué par une interdépendance croissante », pour reprendre le constat de la déclaration de 1975, et parce que l’armature juridico-institutionnelle était remise en question, le G8 a entrepris d’être le chef d’orchestre qui mette en musique l’ensemble du système. Il vise ainsi, dès ses débuts, à accorder les instruments et à mettre en cohérence les activités des acteurs supranationaux, et ce non au moyen de lois mais de « signaux », selon son propre terme – signaux envoyés tantôt aux pays en développement, tantôt aux marchés, tantôt à l’URSS, tantôt aux institutions financières internationales, tantôt aux entreprises, tantôt aux Etats tentés par le protectionnisme, tantôt aux sociétés civiles, tantôt aux Banques centrales, tantôt au secrétaire général de l’ONU… Par exemple, jusqu’à l'Accord du Plaza en septembre 1985, le G5 est resté dans le domaine monétaire, selon le FMI, « la principale instance de coordination politique des grands pays industrialisés3 ». A partir de 1986, loin de disparaître, ce rôle va être confié au G7 Finances. Ce « nouveau processus de coordination » – qui va se réunir jusqu’à quatre fois par an, les ministres ayant pour mandat d’« intensifier leurs efforts de coordination » – a en effet été autonomisé pour permettre de « poursuivre des politiques plus cohérentes et mutuellement compatibles ». En ce sens, continue la déclaration économique de 1987, « depuis Tokyo [en 1986], les pays du sommet ont intensifié leur coordination des politiques économiques afin d'assurer la cohérence interne des politiques nationales et leur compatibilité au niveau international.4 » De même, la fin de la Guerre froide n’a pas mené à un relâchement de la coordination mais à son renforcement5. Cette coordination permanente du système international tendant à se confondre avec sa troisième fonction principale : la direction.

1 Selon le site officiel du G8 d'Évian 2003, l’existence du G8 est ainsi justifiée « parce qu'il a une

forte capacité de concertation et d'impulsion, particulièrement en matière économique, et qu'une bonne entente entre les membres du G8 est indispensable au bon fonctionnement des grandes organisations internationales ». (« Questions sur le G8 », 2003)

2 La déclaration de 2007 stipule en ce sens que le « programme [du G8 pour la stabilité et la croissance] s'appuie sur les discussions au sein du FMI et d'autres instances internationales. » (G8, « Croissance et responsabilité dans l'économie mondiale », Heiligendamm, 7 juin 2007)

3 FMI, « Guide des comités, groupes et clubs », Fiche technique, août 2006 4 Comme le souligne la déclarations économique de 1989, « par les accords du Plaza et du Louvre

[en septembre 1985 et février 1987], nos pays sont convenus de poursuivre des politiques de surveillance et de coordination ». Ces accords ont ainsi mené à « l'intensification du processus de coordination des politiques, initiée lors du Sommet de Tokyo, en 1986, puis renforcée au Sommet de Venise » l’année suivante. Car, notait le G7 en 1986, « il est important qu'il y ait une coordination étroite et permanente des politiques économiques entre les sept pays du sommet. Nous nous félicitons des exemples récents d'amélioration de la coordination entre le groupe des cinq Ministres des Finances et les Banques centrales ». Avant de se réjouir que « les progrès de la coordination apportent leur contribution au processus d'amélioration permanente du fonctionnement du système monétaire international. » (G7, « Déclaration économique », Venise, 10 juin 1987 ; _ « Déclaration économique », Toronto, 21 juin 1988 ; _ « Déclaration économique », Tokyo, 6 mai 1986 ; _ « Déclaration économique », Paris, 16 juillet 1989)

5 La déclaration économique de 1992 dit en ce sens : « La dimension internationale des défis, ainsi que l'interdépendance, exigent une coopération au niveau mondial. L'étroite coordination de nos

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Direction Le G8 ne se contente pas de jouer les chefs d’orchestre, il est aussi compositeur. Ses déclarations entendent ainsi instituer une vision du monde et une supervision de la mondialisation1. Littérature très lue, les déclarations, plans d’actions et autres communiqués définissent année après année les champs de déterminations des problèmes et ceux des compétences à mettre en œuvre pour leur résolution, déterminant les questions du moment et leurs réponses nécessaires, répartissant les tâches en fonction des instances qui leurs correspondent, fixant un agenda et des valeurs de référence, distinguant ce qui est politique de ce qui est économique, rejetant le reste dans les limbes2. Présentant toujours un sens général de la direction souhaitée, les déclarations s’allongent à partir de 1987, détaillant les trains de réformes que le G7 aimerait voir menés suivant les catégories de pays et étendent encore leur champ de considération3. Alors que le G7 reconnaît en 1989 que les sommets ont permis de « lancer de nouvelles idées4 », les déclarations économiques en viennent progressivement à ressembler à des cours d’économie libérale à usage des récalcitrants5 ; elles donnent en outre des ordres explicites assortis d’un calendrier

politiques, partie intégrante de cette coopération, est plus importante que jamais. » Ce que confirmait le G7 Finances l’année suivante : « La coordination des politiques économiques et financières qui s’est développée entre nous a gagné en importance à mesure que les économies devenaient plus interdépendante. » (G7, « Déclaration économique. Agir ensemble pour une croissance plus forte et un monde plus sûr », Munich, 8 juillet 1992 ; G7 Finance Ministers, “Strengthening G-7 Cooperation to Promote Employment and NonInflationary Growth: G-7 Finance Ministers' Report to the Tokyo Summit”, July 8, 1993)

1 Selon un spécialiste reconnu du G8, « la “direction politique” est l’essence même du sommet en tant que forum de délibération privée mais de déclaration publique ». (J. Kirton, “Contemporary Concert Diplomacy: The Seven-Power Summit and the Management of International Order”, March 1989)

2 Les « plans d’action » établis par le G8 sont minutieusement étudiés par les instances internationales. La dernière Assemblée parlementaire de l’OTAN a par exemple sens examiné le rapport du G8 sur « Les engagements du G8 en faveur des pays en développement ». (Cf. OTAN, « Assemblée parlementaire de l’OTAN », 52e session annuelle 2006, Québec, 13-17 novembre 2006)

3 Selon une recherche du centre d’étude du G8 de l’Université de Toronto, si les « Déclarations économiques » issues entre 1975 et 1981 comptaient en moyenne 37 paragraphes, celles faites entre 1982 et 1986 comportaient toutes moins de 20 paragraphes, puis dépassaient les trente à partir de 1987 et les 50 à partir de 1989 (à l’exception du sommet de Tokyo en 1993 et de Birmingham en 1998). Les déclarations émises lors des deux sommets ayant lieu aux Etats-Unis au cours de la décennie 90 en comptaient 84 et 90, en dépit du souhait émis à Tokyo d’en revenir à des déclarations de taille plus modeste. De même, selon le comptage réalisé par l’Institut de recherche sur le G8 de l’Université de Toronto, les déclarations émises entre 1975 et 1981 comptaient en moyenne 31 engagements, puis 34 de 1982 à 1988, 53 de 1989 à 1995, 91 de 1996 à 2002 et 232 de 2003 à 2006. (Cf. J. Kirton John, E. Kokotsis and M. M. Malleson, “G7/8 Summit Commitments, 1975–2006. Complete Data Set”, 31 August 2006)

4 G7, « Déclaration économique », Paris, 16 juillet 1989 5 Citons par exemple in extenso deux paragraphes de la déclaration économique du sommet de

Houston en 1990 : « Les pays dont les balances des paiements courants sont largement déficitaires devraient contribuer au processus d'ajustement en réduisant les déficits budgétaires et entreprendre des réformes structurelles pour encourager l'épargne privée et accroître la concurrence.

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d’exécution à la Banque mondiale et au FMI. Les déclarations, rapports et autres communiqués se multiplient à partir de 1996 conservent cet aspect programmatique et directif. Si l’on peut parler d’hégémonie du G8, au sens où la direction qu’il pointe, vous êtes pour ou contre ou vous n’êtes rien.

Impulsion « Nous sommes maintenant un empire, et quand nous agissons, nous créons notre propre réalité1 ». Ces propos d’une assistante de George W. Bush, se rapportant aux Etats-Unis, résonnent étrangement avec ceux d’un secrétaire d’Etat américain à la Justice, qui affirmait à la presse en 2004 que « la communauté du G8 est une communauté de leadership. Cette organisation ne vise pas à être une organisation mondiale, mais quand le G8 agit, il influence les activités et les conduites des autres.2 » Le président français, lors du même sommet, parlait d’un « G8 qui n'est pas un organisme directeur du monde naturellement, mais qui est un organisme qui, par l'importance des nations qui le composent, l'importance économique, politique, a une certaine vocation à prendre des initiatives, à suivre les choses, à donner des impulsions, à nourrir une réflexion, à affirmer une certaine vision du monde de demain.3 » Ce rôle d’impulsion n’est autre que la réalisation de cet imaginaire de la puissance qu’il met en forme à travers ses fonctions corollaire de compréhension et de direction4. Et avec succès encore5. Les déclarations du G8 ne sont pas de paroles en l’air, mais des signaux précis à vocation performative. En matière économique, ces espoirs ont souvent été réalisés par les exécutifs du FMI, de la Banque mondiale, du GATT et de l’ONU – sans parler de l’OTAN et de l’OSCE. Quelques exemples seulement. Le principe des taux de change flottants, adopté en novembre 1975 au cours du sommet de Rambouillet, fut

« Des pays à large excédent extérieur devraient contribuer au processus d'ajustement par une croissance soutenue et non inflationniste de la demande intérieure accompagnée de réformes structurelles permettant d'améliorer les conditions fondamentales de la croissance et de l'ajustement et de favoriser l'augmentation des investissements liés à l'épargne. » (G7, « Déclaration économique », Houston, 11 juillet 1990)

1 R. Suskind, New York Times Magazine, 17 October 2004 2 G8 Ministers of Justice and Interior Ministers, “Press Conference”, Washington DC, 11 May 2004 3 Il avait affirmé, l’an passé : « nous sommes des gens de bonne volonté qui ont conscience que

leur action dans le monde peut être soit cohérente, soit incohérente. Si elle est incohérente, ça sera au détriment de tout le monde, si elle est cohérente, ça sera au bénéfice de tout le monde. » Le site de l’Elysée précise dans cette perspective que le G8 « exerce un rôle d'impulsion et d'orientation politique ». (J. Chirac, « Conférence de presse à l'issue du Sommet », Sea Island, 10 juin 2004 ; J. Chirac, « Conférence de presse à l’issue du sommet d’Evian », Evian, 3 juin 2003 ; Elysée, « Présentation du G8 », 2007)

4 Le communiqué de 1998 note en ce sens: « nous avons l'intention de concrétiser en tous points la vision que nous avons dépeinte à Lyon et à Denver ». Affirmation assez importante pour être reprise lors du somme de l’année suivante dans une « Fiche d'information médias ». (G8, « Communiqué », Birmingham, 17 mai 1998 ; « Fiche d'information médias », Cologne, 7 juin 1999)

5 Les membres du G7 se félicitaient ainsi, en 1996 : « Nos pays ont contribué de façon décisive aux progrès de la libéralisation des économies et de la mondialisation. » (G7, « Communiqué économique : Réussir la mondialisation au bénéfice de tous », Lyon, 28 juin 1996)

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avalisé par le Comité intérim du FMI en janvier 1976 et conduisit trois mois plus tard au deuxième amendement des Statuts de l’institution. En 1995, le G7 a décidé de mobiliser des fonds d’urgence supplémentaires dans le cadre des Accords généraux d'emprunt instituées trente-trois ans auparavant. Comme pour le cas de ces Accords, le FMI les a établis formellement. De même, selon un observateur, tous les programmes de réduction de dette arrêtés par le G7 ont été acceptés par l’ensemble des membres de la Banque mondiale et du FMI1. Les réformes du FMI proposées en 1995 par le G7 d’Halifax ont quasiment toutes été mises en place en moins d’une année2. Celles concernant l’ONU ont été largement suivies également3. En matière commerciale, cette performativité du discours du G8 se vérifie encore. Par exemple en 1987, l’année suivant le lancement de l’Uruguay Round, le G7 affirme la nécessité de renforcer les Accords et leur portée contraignante ainsi que d’y inclure « le commerce des services4 ». En 1991, il indique qu’« il est primordial d'avancer rapidement |sur] un consensus sur un accord général portant sur le commerce des services5 ». On aurait pu prendre également l’exemple parlant des services financiers : le 15 février 1997 est conclu à l’OMC d’un « accord historique » sur la libéralisation des produits des technologies de l'information et des services de télécommunication, dont le gain est estimé à 1.000 milliards de dollars sur dix ans6.

1 Cf. N. Bayne, “Reforming the International Financial Architecture: The G7 Summit’s Successes

and Shortcomings”, in M. Fratianni, P. Savona and J. Kirton (Ed), Governing Global Finance: New Challenges, G7 and IMF Contributions, 2002, p.7

2 Ainsi, lors du sommet de Lyon en 1996, le G7 Finances pouvaient se montrer satisfait : « l'amélioration du système d'alerte est en cours de mise en œuvre ; les capacités de surveillance du FMI ont été améliorées ; le FMI a établi des normes pour la publication des données économiques et financières, et les pays sont en train d'y souscrire sur une base volontaire ; afin de mieux réagir aux crises, un mécanisme financier d'urgence, destiné à accélérer les procédures, a été mis en place au FMI ; [et un accord de principe prévoit] le doublement des ressources disponibles au titre des Accords généraux d'emprunt. » Cet accord sera établi formellement par le bureau du FMI en janvier 1997. (Ministres des Finances du G7, « Rapport des Ministres des Finances du G7 aux Chefs d'Etat et de Gouvernement sur la stabilité monétaire internationale », Lyon, 28 juin 1996)

3 Les réformes que le G7 a proposées en 1995 et 1996 ont été, dans leur majorité, implémentées dès 1997 par l’institution, pourtant réputée être irréformable et en dépit d’une large opposition interne. On peut citer par exemple la création du Département des affaires économiques et sociales regroupant trois départements antérieurs, le regroupement des locaux et des administrations des Nations Unies sur le terrain, le développement des partenariats avec les secteurs public et privé, la réorientation de la CNUCED (Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement) vers la promotion du développement par les échanges commerciaux et les investissements, la création d’un poste de vice-secrétaire général, et le dégraissage de l’administration, environ un millier de postes restés vacants en 1996 ayant été définitivement supprimés en 1997. (Sources : ONU, « Documents du Secrétaire général sur la réforme » ; G7, « Communiqué », Halifax, 16 juin 1995 ; Cf. également, « Bilan des réformes des Nations unies dans le domaine économique et social », in G7, « Déclaration du Président : Pour plus de sécurité et de stabilité dans un monde plus solidaire », Lyon, 29 juin 1996)

4 G7, « Déclaration économique », Venise, 10 juin 1987 5 G7, « Déclaration économique », Londres, 17 juillet 1991 6 « Les négociations sur les télécommunications aboutissent à un accord historique », OMC Focus,

n°16, Février 1997, pp.1-3

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Au sommet de Denver, en juin de la même année, les membres du G8 s’en félicitent et font savoir « qu'il serait avantageux pour tous les pays membres de l'OMC de conclure, avant la fin de la présente année, une entente sur les services financiers1 » Six mois plus tard, un accord lui aussi jugé « historique » sur la libéralisation des services financiers était effectivement conclu à l’OMC2. On aurait pu enfin considérer la cas de la propriété intellectuelle, dont l’entrée dans les accords du GATT a été orchestrée par le G7, alors même qu’une institution onusienne spécialisée, l’OMPI (Organisation mondiale de la propriété intellectuelle), est en charge de ces questions depuis 1967, et que de l’avis entre autres de l’ancien Vice-président de la Banque mondiale, « des enjeux comme la propriété intellectuelle n’auraient jamais dû faire partie de l’Uruguay Round3 ». D’après un papier de travail rédigé par quatre économistes membres du Bureau de la Réserve fédérale américaine, « les résultats concrets de ce processus [d’extension du champ d’intérêt du G8 au-delà de la surveillance macroéconomique et des marchés de change] incluent un accroissement des prêts du FMI à la Russie, l’adoption de la convention de l’OCDE contre la corruption, l’initiative PPTE [Pays pauvres très endettés] et le nouveau Forum de stabilité financière. […] De plus, le réseau de contacts construit par le processus du G7 s’est montré inestimable dans la réponse à des crises impromptue telle que le besoin de sécurisé les fonds de la

1 G7, « Relever les défis financiers et économiques mondiaux : déclaration des Sept au sommet de

Denver », Denver, 21 juin 1997 2 « L’OMC conclut un accord historique sur les services financiers », OMC Focus, n°25, décembre

1997, pp.1-2 3 Dès 1982, Mitterrand envisage devant ses camarades du G7 l’idée d’harmoniser les législations en

matière de propriété intellectuelle. En 1986, le G7 pense que « le nouveau cycle de négociations unilatérales devrait traiter entre autres la question des échanges de services, les aspects commerciaux du droit de propriété intellectuelle et l'investissement direct étranger. » Les années suivantes ne feront que confirmer ces orientations et la question des droits de propriété intellectuelle sera de fait incluse dans les négociations de l’Uruguay Round. La déclaration de Houston, en 1990 est éloquente sur ce point. En plus de formaliser leur intention de transformer le GATT en Organisation mondiale du commerce, les pays du G7 insistent sur la nécessité d’y inclure « un accord pour établir des normes et une mise en oeuvre efficace de tous les droits de propriété intellectuelle ». Au lendemain de la création de l’OMC, le G7 persiste et signe en encourageant « les travaux visant notamment les normes techniques, la propriété intellectuelle et les marchés publics. » L’année suivante, satisfait des accords et soulignant « l'importance d'une protection adéquate des droits de propriété intellectuelle », il enjoint l’OMC à élargir le spectre de ses travaux « en appliquant effectivement et en renforçant les règles en matière de propriété intellectuelle ». De 1992 à 1995 la préoccupation pour la propriété intellectuelle disparaît des déclarations du G7, alors que se menaient les pourparlers ayant abouti à la signature, le 15 avril 1994, de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC). (J. E. Stiglitz, "Social Justice and Global Trade", Far Eastern Economic Review, March 2006, p.22 ; F. Mitterrand, « Rapport de M. le Président de la République [française] au sommet des pays industrialisés : technologie, emploi et croissance », Versailles, 5 juillet 1982 ; G7, « Déclaration économique », Tokyo, 6 mai 1986 ; _ « Déclaration économique », Houston, 11 juillet 1990 ; _ « Communiqué », Halifax, 16 juin 1995 ; _ « Communiqué économique : Réussir la mondialisation au bénéfice de tous », Lyon, 28 juin 1996)

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Guerre du Golfe en 1990-91, le paquet de sauvetage pour le Mexique en 1994-95, et des paquets similaires pour la Thaïlande, la Corée et l’Indonésie en 1997-98.1 » Les réunions du G7 puis du G8 ont enfin permis la création d’instances privées telles que le GAFI (Groupe d’action financière) et le FSF (Forum de stabilité financière), qui seront autant de vecteurs et de relais d’impulsions sur lesquelles nous reviendrons plus loin. L’effectivité du G8 interroge. Comment un organisme privé, dépourvu de tout pouvoir juridique, parvient-il à imposer un système de régulation à l’ensemble des acteurs du champ supranational ? Les moyens du G8 sont triples : un discours à la fois normatif et signalétique, encadrant les acteurs du marché d’un ensemble de « principes de base » et les coordonnant aux moyens de signaux ; une maîtrise du corset juridico-institutionnel international et la mise en place d’une réseau parallèle d’instances privées supranationales ; la possession des moyens traditionnels et contemporains de la puissance économique. De la même manière que ses fonctions se renforcent mutuellement, sa compréhension du monde étant une direction de celui-ci, et la force de ses impulsions étant proportionnelle à celle de la coordination de ses membres, ces moyens, se complétant et se renforçant2, forment une grille de coercition tridimensionnelle – morale, juridique et pratique – et circulaire : le discours du G8 émet des normes qui sont approuvées, justifiées et promues par des instances créées par le G8 lui-même, ces organismes créant eux-mêmes, à leur tour, de nouvelles normes qui seront approuvées, justifiées et promues par le G8.

Polyvalence des moyens

Discours signalétique et normatif Au « droit de garder le silence », le G8 a substitué le droit de parler de tout. Discours total, il l’est aussi par l’étendue de ses fonctions normatives. D’une part c’est un discours à vocation morale, discours de proclamation de principes généraux et d’affirmation d’une vision, de positionnement, de compréhension et de direction générale, d’imposition d’une morale et finalement de justification3. De l’autre, c’est 1 L. H. Meyer, B. M. Doyle, J. E. Gagnon and D. W. Henderson, “International Coordination of

Macroeconomic Policies: Still Alive in the New Millenium?”, International Finance Discussion Papers, April 2002, p.22

2 La concordance de la série normative large et de la série juridique est par exemple lisible dans cet extrait de la déclaration économique de 1992 : « Nous demandons aux PECO [Pays d’Europe centrale et orientale] de développer leurs relations économiques, entre eux, avec les nouveaux Etats indépendants de l'ex-URSS et plus largement, sur la base des principes d'une économie de marché et conformément aux règles du GATT. […] Nous demandons aux nouveaux Etats de développer un secteur privé efficace […]. Il est essentiel, pour attirer l'investissement privé, d'établir la confiance et d'élaborer un cadre juridique fiable. » (G7, « Déclaration économique. Agir ensemble pour une croissance plus forte et un monde plus sûr », Munich, 8 juillet 1992

3 Il n’est qu’à voir, au-delà du G8, comme la notion de « gouvernance » a été utilisée pour restaurer la confiance dans les principes du libéralisme économique en faisant porter la responsabilité de l’échec des plans d’ajustements structurels et la succession des crises financières aux Etats qui les avaient subis, en leurs qualités de mauvais gestionnaires corrompus.

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aussi un discours signalétique, programmatique, plus précisément directif, informatif, concret, chiffré, daté. Monologues giratoires et encerclant, les déclarations du G8 n’ont, en elles-mêmes, aucune valeur juridique, sinon même contraignante. Certes ses membres peuvent, sur un point ou un autre, s’engager à telle ou telle autre mesure domestique, ou se déclarer prêt à défendre telle ou telle position au sein des institutions internationales, il ne s’agit ni de lois, ni de résolutions, ni de pactes, ni de traités ni d’aucune autre forme de texte juridiquement impératif1. On remarque en ce sens qu’il est généralement moins question de mettre en œuvre que de favoriser la mise en œuvre, d’inviter à mettre en œuvre, de proposer de mettre en œuvre ou encore d’applaudir à la mise en œuvre. Sur le fond – un fond qui est l’histoire du monde contemporain – il ne s’agit que de déclamer un texte devant un parterre de spectateurs attentifs. Le G8 est ce théâtre : sur la scène des sommets, ses auteurs-acteurs2 y espèrent, prennent note, déplorent, veillent, reconnaissent, affirment, réaffirment, confirment, soutiennent, insistent, souhaitent, invitent, enjoignent, appellent, encouragent, demandent, s’engagent, pressent, exhortent, se montrent résolus, soucieux, inquiets… mais, en tant que tels, ne font que ce qu’ils peuvent, soit, dans l’ensemble, que ce que leurs parlements respectifs les autorisent à faire3. Ordonnant, redondant, imprécateur, justificateur, légitimant, constituant, ce discours est d’abord un discours de positionnement. Les déclarations, faites au nom de tous, ne seront pas respectées de l’ensemble, et tous le savent alors qu’ils les déclament. Il s’agit de mettre en forme un consensus qui a valeur d’indication et de programme autant que d’avertissement à ceux qui n’en tiendraient pas compte. Mais après tout, disait Michel Foucault, « guider, prescrire, enseigner, sauver, enjoindre, éduquer, fixer le but commun, formuler la loi générale, marquer dans les esprits, leur proposer ou leur imposer des opinions vraies et droites, c’est ce que fait n’importe quel pouvoir4 ».

1 Par exemple, les leçons tirées par le ministre des Affaires étrangères anglais de la crise financière

asiatique se résument à un slogan et dix principes. En mai 1998, alors que la crise perdurait, il avait en effet deux raisons de se réjouir : d’une part du lancement par le G8 des « Dix principes pour l’échange international d’information financière », de l’autre du fait que « l’ouverture est maintenant le slogan (watchword) du changement en économie politique ». (“Ten Key Principles for International Financial Information Exchange”, HM Treasury Press Release, May 1998 ; R. Cook, Foreign Secretary, Press Conference, United Kingdom, May 9, 1998. En anglais, watchword signifie slogan mais aussi cri de guerre.)

2 Le mot latin d’acteur, actor, vient par confusion de auctor, « qui agit », « qui parle », « qui produit ».

3 La quasi-totalité des paragraphes des déclarations du G8 commencent par des formules telles que « Nous demandons », « Nous invitons », « Nous appelons », « Nous rappelons », « Nous lançons un appel », « Nous soutenons », « Nous avons la conviction », « Nous croyons », « Nos nations souhaitent », « Nous nous engageons », « Nous encourageons », « Nous réaffirmons », « Nous prenons note », « Nous reconnaissons », « Nous insistons », « Nous sommes résolus », « Nous veillerons », « Les pays concernés devraient », « Il convient de prendre les mesures suivantes », « Il serait utile que »… Ces invitations, mises en garde, suggestions et autres rappels sont de temps à autre renforcés d’adverbes et de conjonctions tels que « instamment », « vivement », « constamment », « chaleureusement », « de façon pressante »….

4 M. Foucault, Sécurité, territoire, population, Cours au Collège de France, 1977-1978, 2004, pp.170-171

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Comme l’expliquent les ministres des Finances du G7, les communiqués, « indiquant des actions coordonnées », servent à « envoyer des signaux appropriés aux agents économiques1 ». Cette signalétique permettant au G8, d’année en année, aussi bien d’affirmer une vision que de superviser la mise en acte de ses recommandations. Adossé aux forces économiques, politiques et culturelles de ses auteurs, le discours du G8 occupe dans cet écheveau une position privilégiée, et, disons-le, quasi-divine. S’il se diffuse ainsi de manière d’abord transcendante, du haut de ses « sommets » vers les profondeurs du classement économique mondial, il se déploie aussi horizontalement, les signaux dont il est porteur, semblables à des ondes radio, entendant se faire comprendre des interlocuteurs auxquels ils sont destinés – pays en développement, marchés, URSS, institutions financières internationales, entreprises, Etats tentés par le protectionnisme, pays endettés, ONG, Banques centrales, secrétaire général de l’ONU… Il n’y a donc pas lieu, à mon sens, de distinguer entre un discours moral à finalité uniquement cosmétique, sinon dilatoire, et un discours programmatique en direction des décideurs, mais simplement entre différents signaux et différentes ondes. D’où par exemple la disparité entre les comptes-rendus des sommets par les médias ainsi que la différence entre les éléments mis en avant dans les déclarations, dans les conférences de presse et dans les comptes-rendus devant les Parlements quand ceux-ci ont lieu. Pour ne prendre que deux exemples, la mise en avant de valeurs telles que la « sauvegarde de la dignité humaine » et l’aveu d’un « attachement à l'idéal d'un monde pacifique, juste, démocratique et prospère2 » ne sont pas distinguables de l’affirmation des dogmes selon lesquels « la liberté des flux d'investissement accroît la prospérité mondiale en venant compléter l'ouverture du système commercial international », « des réformes fiscales, la modernisation des marchés financiers, le renforcement des politiques de la concurrence et la réduction des rigidités dans tous les secteurs, y compris l'énergie, l'industrie et l'agriculture, sont nécessaires », « l'ouverture des marchés stimule la croissance, crée des emplois et accroît la prospérité », « la mondialisation est un atout majeur pour l'avenir de nos pays comme pour l'ensemble de la planète » ou d’après lesquels encore « le protectionnisme ne résout pas les problèmes ; il les crée.3 » Il ne s’agit pas, d’un côté, de boniments dénués de valeur opératoire arrachées par quelque front de défense des droits de l’homme, et de l’autre de vérités programmatiques ayant valeur de parole divine. Il s’agit dans les deux cas de signaux, de stimuli, et de référentiels d’action.

1 G7 Finance Ministers, “Strengthening G-7 Cooperation to Promote Employment and Non-

Inflationary Growth”, Report to the Tokyo Summit, July 8, 1993 2 G7, « Relever les défis financiers et économiques mondiaux : déclaration des Sept au sommet de

Denver », Denver, 21 juin 1997 ; G7, « Déclaration politique », Londres, 17 juillet 1991

3 G7, « Déclaration économique », Houston, 11 juillet 1990 ; _ « Déclaration économique », Paris, 16 juillet 1989 ; _ « Déclaration économique », Naples, 9 juillet 1994 ; _ « Communiqué économique : Réussir la mondialisation au bénéfice de tous », Lyon, 28 juin 1996 _ « Déclaration économique : Vers une croissance soutenue et plus d'emplois », Bonn, 4 mai 1985

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Gardons ces deux exemple. Premièrement, quand en juillet 1981, soit moins d’un an après la création de Solidarność, les membres du G7 affirment, au nom de leur attachement aux valeurs du libéralisme politique, qu’ils soutiennent les « individus privés de leur liberté1 », le signal envoyé est simple – même s’il est crypté, diplomatie oblige : les pays du G7 soutiennent les initiatives des mouvements syndicaux, religieux, environnementalistes et pacifistes d’Europe de l’Est qui s’opposent au déni de démocratie opposé par les régimes communistes qui y règnent2. Deuxièmement, dans le cas du libre-échange, il s’agit dès 1975, « au moment où des [« mauvaises »] pressions en vue d'un retour au protectionnisme se développent3 » de réaffirmer les « bons » principes de libre-échange qui prévalent dans le cadre de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques). Selon ce double exemple, il n’est pas étonnant que le G7 ait parlé de droits de douanes avant de parler de droits de l’homme4. Le G8 se comporte à nouveau ici en adjuvant du marché, et se montre inspiré par cette idole, fidèle suppléant, ne se livrant finalement qu’à l’interprétation et au commentaire des signaux du marché, tel le prêtre après l’oracle. Car l’émetteur final de signaux, c’est le marché, sorte d’antenne radio d’envergure mondiale diffusant ses messages dans la langue universelle du profit et des prix5. De même que pour Hayek, les prix constituent aux yeux du notre instance un medium de transmission d’une infinité d’informations, indiquant aux acteurs où, quand et comment investir, le marché étant semblable à une ruche, et le G8 à sa reine6. Le problème est que l’univers de discours dont hérite le G8 est pour le moins impropre à charger les signaux du marché du poids de la vérité. Tâche centrale, donc : modifier leur cadre de réception et d’interprétation. Mais avant, le G8

1 G7, « Déclaration politique », Ottawa, 21 juillet 1981 2 En 1975, la déclaration finale de la conférence d’Helsinki n’avait pas fait autre chose lorsqu’elle

avait affirmé, en soutien aux mouvements dissidents d’Europe de l’Est qui avaient eux-mêmes réclamé cet appui en se revendiquant du mouvement des droits civiques américain, « l'importance universelle des droits de l'homme et des libertés fondamentales […], y compris la liberté de pensée, de conscience, de religion ou de conviction pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion. » De tels signaux de soutien seront encore envoyés par le G7 à la fin de la décennie. On peut ainsi lire, dans la déclaration politique de 1988, ce message très directement adressé à l’URSS : « La paix véritable ne saurait reposer seulement sur le contrôle des armements. Elle doit être ancrée dans le respect des droits fondamentaux de l'Homme. » (CSCE, « Acte final de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe », Helsinki, 1er août 1975, pp.6-7 ; G7, « Déclaration politique », Toronto, 20 juin 1988)

3 G6, « Déclaration de Rambouillet », Rambouillet, 17 novembre 1975 4 Les droits de douane sont mentionnés dès 1975, les droits de l’homme pour la première fois en

1981. Pour prendre un exemple plus récent, un communiqué de 2007 a envoyé un signal extrêmement fort en direction de l’Iran qui écartait la voie militaire, le G8 affirmant avoir « pris l'engagement de régler les problèmes de prolifération régionale par la voie diplomatique. » (G8, « Déclaration de Heiligendamm sur la non-prolifération », Heiligendamm, 8 juin 2007)

5 La déclaration économique de 1987 précise en ce sens que « l'objectif à long terme [de la restructuration l’agriculture] est de permettre aux signaux du marché d'influer sur l'orientation de la production agricole, au moyen d'une réduction progressive et concertée du soutien à l'agriculture ». (G7, « Déclaration économique », Venise, 10 juin 1987)

6 Par référence à la célèbre fable des abeilles, que Hayek avait assidûment lue. (Cf. B. de Mandeville, La fable des abeilles, ou Les fripons devenus honnêtes gens, 1705)

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s’emparant d’une arme discursive dévalorisée au motif qu’elle ne serait qu’idéologie ou rhétorique, il va lui falloir revaloriser le jeu des signes et le discours lui-même1. D’abord, par la répétition de principes et de mesures ainsi que par la fixation de leur cadre d’interprétation. Car un discours est, par définition, voué aux aléas des événements et aux incertitudes des parcours. Etymologiquement parlant, le discours n’est pas acheminé selon un parcours droit et cohérent, mais il est dans sa nature et sa fonction une entité flottante et disparate qui donne lieu à un rapport hétérogène avec d'autres discours2. Le G8 contrecarre cet effet de dispersion des signaux par l’institution, déclaration après déclaration, de ce que nous avons appellerons une grammaire. Ensuite, donc, le G8 leste son discours de sa grille d’intelligibilité. En un sens, tout discours est vecteur d’une norme, façonne un principe d’interprétation, filtre, institue une grammaire, soit finalement une morale. Celui du G8 a mis en place, au fil du temps, une grammaire multidimensionnelle, à la fois pyramidale et transversale, divisante et synthétisante, « générative » au sens où elle permet de dérouler une infinité de principes à partir d’un ensemble restreint d’universaux. A un premier niveau, le plus abstrait, apparaissent des principes moraux. Se basant sur des référents tels que la responsabilité ou l’équité, « les principes communs de la liberté et du respect des droits individuels ainsi que le désir de tous les hommes de vivre en paix dans un régime de droit3 » ou encore « l'idéal d'un monde pacifique, juste, démocratique et prospère4 », le G8 élabore, au fil de ses déclarations, une morale minimaliste à prétention universelle, la promotion de principes généraux dessinant les contours d’une communauté qui doit englober, à terme, l’ensemble des acteurs de la mondialisation5. Ce premier jeu de principes moraux – et universels, sinon naturels selon leur porte-voix – se décline d’abord en autant de « principes politiques et économiques fondamentaux6 » tels que la propriété, la liberté d’entreprise, des échanges et du marché, le développement, l’intégration, le partenariat, la concurrence, la souveraineté, les droits humains, l’Etat de droit. la sécurité, l’ingérence, la participation, la transparence. Ensuite, les principes économiques et politiques de la démocratie de marché seront progressivement déclinés en autant de normes

1 En 2005, Jack Straw, ministre des Affaires étrangères anglais se plaignait par exemple en ces

termes : « Je suis ministre des Affaires étrangères du Royaume-Uni depuis plus de quatre ans. Durant la plus grande partie de cette période la question du Moyen-Orient, je suis triste de le dire, a été traitée au niveau rhétorique. » (J. Straw and J. Wolfensohn, “The Roadmap Is Alive”, Edited transcript of a joint press conference by Foreign Secretary Jack Straw and the Quartet's Special Envoy to the Middle East, Jim Wolfensohn, London, June 23, 2005)

2 Le terme « discours » vient du latin discursus, composé de la racine currere (« action de courir ») et du préfixe dis (« de divers côtés »).

3 G7, « Déclaration politique », Toronto, 20 juin 1988 4 G7, « Déclaration politique », Londres, 17 juillet 1991 5 Le communiqué de 1997 signale par exemple : « Nous ferons porter nos énergies sur le

renforcement de l'adhésion aux normes et principes qui régissent la coopération internationale et nous travaillerons ensemble à prendre des mesures efficaces à l'encontre de ceux qui compromettent la réalisation de ces objectifs. » (G7, « Communiqué », Denver, 22 juin 1997)

6 G7, « Déclaration économique. Agir ensemble pour une croissance plus forte et un monde plus sûr », Munich, 8 juillet 1992

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sectorielles particulières1. Telles les idées des philosophes-rois, les principes du G8 se réalisent en autant de mesures. Il en résulte une armature normative à la fois cohérente et circulaire dont le dessin général a prétention, semble-t-il, à être un sens commun. Ce quasi-monopole du sens de la mondialisation est reconnu par les adversaires mêmes du G8, et la contre-expertise et les contre-discours semblent autant de wagons condamnés à raccrocher tant bien que mal la locomotive de la grammaire la mieux cotée2. Les résistances ont beau inventer un million de nouvelles manières de faire, elles restent tributaires des quelques manières de dire et aux valeurs morales les plus élevées – au sens boursier du terme.

Maîtrise et modulation du corset institutionnel supranational La conversion des non membres du G8 aux principes de l’économie de marché va d’abord consister à les faire entrer dans un corset institutionnel qu’ils dominent, et ce pour des raisons principalement historiques3. Avec succès, puisque si vingt-trois

1 Citons, entre autres, les « principes de base de surveillance financière », les « principes de

gouvernance et de structure d'entreprise », les « principes de base récemment approuvés par l'OCDE sur la régie des sociétés », les « principes de saine conduite des affaires publiques », les « principes généraux de bonnes pratiques de politique sociale », les « principes de la responsabilité des entreprises dans la prévention des conflits », les « principes de saine gouvernance, de sélectivité et de reddition de comptes », et les « principes de la gestion des sources radioactives dans des conditions de sûreté et de sécurité ». (G7 Finances, « Le renforcement de l'architecture du système financier mondial », Rapport des Ministres des Finances du G7 aux Chefs d'État ou de Gouvernement du G7 en prévision de leur réunion à Birmingham en mai 1998 ; _ « Le renforcement de l'architecture financière internationale. Rapport des ministres des Finances du G7 au Sommet économique de Cologne », Cologne, 18-20 juin 1999 ; _ « Déclaration des ministres des finances et des gouverneurs des banques centrales du G7 », 30 octobre 1998 ; Ibid ; _ « Le renforcement de l'architecture financière internationale. Rapport des ministres des Finances du G7 au Sommet économique de Cologne », op. cit. ; Ministres des Affaires étrangères du G8, « Initiatives prises par le G8 à Miyazaki pour la prévention des conflits », 13 juillet 2000 ; G7 Finances, « Déclaration », Prague, le 23 septembre 2000 ; G8, « Non-Proliferation des armes de destruction massive. Garantir la sécurité des sources radioactives - Plan d'action du G8 », Evian, 2 juin 2003)

2 Le PNUD, en 1993, se ralliait à ce sens commun, consentant qu’« à ce jour, les marchés libres constituent le mécanisme d’échange de biens et de services le plus efficace ». Plus radical encore, Ricardo Petrella, figure majeure de l’altermondialisme, avouait en ce sens en 1999 : « Le système dominant, lui, a deux forces extraordinaires. La première, c’est la maîtrise du langage, la maîtrise du discours analytique – il nous dit ce qui se passe – et aussi du discours normatif – il nous dit ce qu’il faut faire. […] Et nous utilisons le même langage. Nous sommes bien piégés et dominés par cette maîtrise qu’ils ont de la narration. » (UNDP, Human Development Report 1993, 1993, p.30 ; F. Houtart et F. Polet (Ed), L’Autre Davos, 1999, p.116)

3 Le co-auteur de l’une des principales études officielle de l’histoire de la Banque mondiale écrit à ce titre que, « comme dans tous les clubs, les règles des institutions multilatérales reflètent les préférences de leurs fondateurs. » Et les trois quarts des pays membres de l’ONU, du GATT, du FMI et de la Banque mondiale n’ayant pas participé à leur fondation, ils n’y sont, semble-t-il,

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pays ont signé les accords du GATT en 1947, l’OMC comptait soixante-dix-sept membres à sa création au 1er janvier 1995 et, douze ans plus tard, cent cinquante. De même des quarante-quatre pays qui ont ratifié les accords de Bretton Woods en 1944, on est passé à cent quatre-vingt-cinq en 2006. Ce succès est sans doute attribuable au maniement expert des ces armes économiques en forme de stimulants que sont les conditionnalités1, les « incitations au marché2 », les impôts et les taxes, le soutien aux investissements privés3, la récompense sonnante et trébuchante4 ou au contraire les sanctions telles que la menace du retrait de crédits, d’investisseurs et de marchés5. La guerre économique est une guerre de basse intensité. Qu’il s’agissent d’Etats, d’organisations internationales, de la société civile ou de simples individus, il n’est jamais question, en matière économique, que de favoriser, de stimuler, d’indiquer, de préconiser, d’encourager. Cette impulsion générale du sens l’architecture

qu’au titre d’éternels invités. (D. Kapur, “Who Gets to Run the World?”, Foreign Policy, November/December 2000, p.48)

1 Concernant les IFI, les conditionnalités valent surtout par leur finalité. Une déclaration de 1995 notait en ce sens qu’« il importe, en ce qui a trait à la conditionnalité, que ces mécanismes permettent de rétablir rapidement la confiance du marché et l'accès aux capitaux du secteur privé » De la même manière, en 1998, une déclaration du G7 Finances invitait le secteur privé à « élaborer des mécanismes de financement conditionnel axés sur le marché ». (G7, « Examen des institutions financières internationales », Halifax, 16 juin 1995 G7 Finances, « Déclaration », 30 Octobre 1998)

2 La déclaration économique de 1986 rappelle par exemple l’importance du « renforcement d'incitations orientées vers le marché », et celle de 1991, parlant de l’URSS, que « des réformes visant à développer l'économie de marché sont essentielles pour créer des stimulants incitant au changement ». (G7 Finances, « Mesures visant à contrer le recours abusif au système financier mondial, Rapport des ministres des Finances du G-7 aux chefs d'État et de gouvernement », Okinawa, 21 Juillet 2000 ; G7, « Déclaration économique », Tokyo, 6 mai 1986 ; _ « Déclaration économique », Londres, 17 juillet 1991)

3 Le G8 estime à cet égard que « les investissements directs étrangers peuvent contribuer à restructurer les économies des pays en développement et des pays d'Europe centrale et orientale ». (G7, « Déclaration économique », Houston, 11 juillet 1990)

4 Les flux d’argent sont en ce sens le meilleur indicateur de l’humeur du G8. Le président du sommet de Kananaskis affirmait par exemple en 2002 : « nous avons bon espoir qu'en tout la moitié ou plus de notre nouvelle aide au développement pourrait aller aux nations de l'Afrique qui sont gouvernées avec justice, qui investissent dans leur capital humain et promeuvent la liberté économique. » Une déclaration du G8 Finances proposait en 2003 de « récompenser la bonne gouvernance » quand le plan d’action pour l’Afrique de 2005 prenait garde à ce qu’on ne « récompense pas [l]es mauvaises politiques. » De manière générale, le G7 met systématiquement en avant les intérêts de telle ou telle politique. En dehors du G8, c’est une pratique tout aussi courante. En décembre 2001 par exemple, le ralliement du Pakistan aux Etats-Unis et l’arrêt de son soutien aux Talibans lui vaudront une restructuration de sa dette par le Club de Paris. (G8, « Conclusions de la présidence », Kananaskis, 26 juin 2002 ; G7 Finances, « Déclaration », Deauville, le 17 mai 2003 ; Représentants personnels pour l’Afrique du G8, « Plan d’action pour l’Afrique », Rapport conjoint sur l’état d’avancement des travaux, Gleneagles, 8 juillet 2005 Club de Paris, « Pakistan. Traitement de la dette », 14 décembre 2001)

5 Ces sanctions étant généralement réservées à des questions politiques, et en premier lieu le respect des droits de l’homme. Le G7 a ainsi sanctionné la Chine après la répression d’étudiants place Tienanmen.

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internationale est la seconde facette de l’usage de l’instrument institutionnel1. Son troisième aspect, c’est l’émulation, c’est-à-dire la diffusion de la forme – et de la norme – institutionnelle que représente le G8. De la même manière que l’Union européenne est depuis sa création le paradigme majeur des regroupements régionaux2, le G8 est devenu, au cours de la fin du XXe siècle, le modèle des instances informelles supranationales, modulant son champ d’existence sur la sienne propre de la même manière qu’une fonction se créé un organe à son image. Certes le G7 ne fut pas le premier forum délibératif informel créé après la seconde Guerre mondiale. Au G103, inauguré en 1961 et qui fut très certainement le moule institutionnel dans lequel s’est coulé le G7, voire le prodrome du nouvel ordre supranational, succéda comme par un jeu de miroir le G774. Jusqu’au milieu des années 70, de même que les clubs de pays principalement consommateurs fleurissaient5, les pays principalement producteurs s’organisèrent aussi6. Depuis, les

1 Selon le président du très respecté Institut Nord-Sud, « rien de conséquent ne se produit dans les

organisations internationales formellement constituée ayant des capacités opérationnelles – le FMI, la Banque mondiale, la Banque pour les règlements internationaux – sans le consentement préalable, et généralement le soutien actif, des “G” (ici entendu comme l’expression abrégée de tous les groupes délibératifs et comités dominés par les principaux pays industriels) ». (R. Culpeper, “Systemic Reform At A Standstill: A Flock Of ‘Gs’ In Search Of Global Financial Stability”, Commonwealth Secretariat/World Bank Conference on Developing Countries and Global Financial Architecture, 22-23 June 2000, p.5)

2 Du moins dans l’esprit de ses promoteurs. A peine élu Président français, Sarkozy déclara par exemple que « ce qui a été fait pour l'Union de l'Europe il y a 60 ans, nous allons le faire aujourd'hui pour l'union de la Méditerranée. » (N. Sarkozy, « Discours salle Gaveau », 6 mai 2007)

3 Fondé pour gérer les Accords généraux d'emprunt, le G10 (G7 + Belgique, Suède, Pays-Bas, Suède et Suisse) soutint rapidement un accord mettant à disposition de ses membres six milliards de dollar pour faire face à une récession du système monétaire international. Le G7 le reprit rapidement en main pour lui permettre de contourner le FMI. Les monnaies des pays membres du G5 constituaient par ailleurs le panier de calcul du Droit de tirage spécial, un instrument de réserve international créé par le FMI en 1969 pour compléter les réserves officielles existantes des pays membres. Sorte de monnaie internationale, le DTS sert aujourd’hui encore d'unité de compte au FMI et à certains autres organismes internationaux. (Cf. FMI, « Droits de tirage spéciaux (DTS) », Fiche technique, août 2006)

4 Le G77 a été créé à l’occasion de la première CNUCED (Conférence des Nations unies pour la croissance et le développement), en mai 1964, pour défendre les intérêts économiques des pays participant au Mouvement des non-alignés. Il se dota rapidement de structures formelles pour pouvoir agir officiellement sous ce chapeau commun au sein des institutions et organisations internationales.

5 Le C20 (ou Comité des 20), créé en 1972 par le G10 en vue de réformer les IFI après la fin du système de Bretton Woods, ne dura que deux ans. Le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire, ou Comité de Bâle tout court, fut également lancé par les Gouverneurs des Banques centrales du G10 au sein de la Banque des règlements internationaux à Bâle.

6 Issu du G77 et visant à contrecarrer l’influence du G10, le G24 fut lancé en 1971 pour coordonner la position des pays en développement sur les questions qui ont trait au système monétaire et financier international et pour veiller à faire valoir leurs intérêts dans les négociations monétaires internationales. Se réunissant deux fois par an, en amont des réunions bisannuelles du FMI et de la Banque mondiale, il publie un communiqué exposant les vues des pays en développement. Bien que ce soit le G15 qui représente le G77 auprès des Organisations de Bretton Woods, le G24

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principales instances supranationales privées ont été soit créées par le G7, soit selon le même patron. C’est d’abord par essaimage que le G8 a pu diffuser une norme jusque là réservée aux réunions officieuses entre personnalités officielles. Là encore le G8 a trouvé son style démiurgique propre, et ne sème pas comme l’ONU, en Fonds, Commissions, Institutions spécialisées, Organes subsidiaires et autres instances rattachés à un tronc administratif commun1. Calquée sur le modèle organisationnel du marché, la forme serait plutôt celle du rhizome2. Ici la souplesse est de mise. Il ne s’agit pas de récréer ce monstre bureaucratique qu’est l’ONU. Plutôt que d’administrations, d’organisations, de programmes, d’unions, il sera question de « mécanismes », d’« instances », de « plans », d’« initiatives » et de « partenariats ». N’ayant aucun pouvoir, sinon subliminal et indirect, de création d’une organisation internationale, le G8 va créer à son image, c’est-à-dire des instances supranationales privées productrices de normes. Citons le MTCR (Régime de contrôle de la technologie des missiles)3, le GAFI4, le G245, le G206 et le FSF7, le

peut être considéré comme le principal contrepoids face au G7 jusqu’au début des années 90. Son pouvoir n’est aujourd’hui plus que marginal.

1 Citons entre autres : Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture, Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (1945), Fonds des Nations Unies pour l'enfance, Organisation mondiale de la santé (1946), Organisation maritime internationale (1948), Agence internationale de l'énergie atomique (1957), Programme alimentaire mondial (1963), Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (1964), Programme des Nations unies pour le développement (1965), Organisation des Nations unies pour le développement industriel (1967), Programme des Nations unies pour l’environnement (1972), Fonds international de développement agricole (1977), Cour pénale internationale (2002).

2 Telle que, par exemple, Deleuze et Guattari ont pu l’opposer à la forme racine. (G. Deleuze et F. Guattari, Mille plateaux, 1980)

3 Ce regroupement informel et volontaire de pays a été lancé en avril 1987. Il vise à mettre en œuvre les directives de contrôle de transferts d'équipements et de technologies afin de limiter les risques de prolifération des armes de destruction massive. Il compte aujourd’hui trente-quatre pays. (Cf. <http://www.mtcr.info/>)

4 Le GAFI (Groupe d’action financière) a été fondé par le G7 en 1989 pour « contrer l’utilisation criminelle du système financier ». Il a depuis élaboré des recommandations qui sont considérées comme des standards mondiaux. (Cf. <http://www.fatf-gafi.org/>)

5 Créé lors du sommet de Paris en 1989, le G24 est un forum chargé de fournir un appui technique et financier aux pays d’Europe de l’Est pour les aider dans leur transition vers l’économie de marché.

6 Le G20 est un forum informel réunissant des ministres des Finances et des gouverneurs de Banques centrales. Il se veut une tribune de discussion entre pays industrialisés et émergents. Outre les membres du G8, le G20 comprend l'Afrique du Sud, l'Arabie saoudite, l'Argentine, l'Australie, le Brésil, la Chine, la Corée du Sud, l'Inde, le Mexique, la Turquie, la Communauté européenne, le FMI et la Banque mondiale. Il a été précédé de deux rencontres éphémères : le G22, qui s’est réuni à Washington d’avril à octobre 1998 pour essayer de remédier à la crise financière, et sa formule élargie, le G33, qui ne dura que de mars à avril 1999. (Cf. <http://www.g20.org/>)

7 Le Forum de Stabilité Financière a été créé en février 1999 à l’initiative des ministres des Finances et des gouverneurs des Banques centrales des pays du G7. Rassemblant autorités monétaires et financières, superviseurs et régulateurs des grandes places financières, ainsi que diverses institutions ou organisations internationales, le Forum représente une instance de coordination et de coopération visant à apprécier les facteurs conjoncturels et structurels de vulnérabilité et les

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NEPAD1, la DOT Force2, le Groupe de sûreté et de sécurité nucléaire3, le Forum pour le partenariat avec l’Afrique4, le GACT5, le Forum pour l’avenir6, le Consortium pour les infrastructures en Afrique7 ou encore l’Initiative globale pour combattre le terrorisme nucléaire1.

dynamiques du système financier mondial, en vue d’identifier et de coordonner les actions à entreprendre pour répondre aux enjeux majeurs. Plus sélectif que le G20, le FSF a un champ de compétence plus large, examinant les questions des fonds spéculatifs, des flux de capitaux et des paradis fiscaux. (Cf. <http://www.fsforum.org/>)

1 Le NEPAD (Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique) a été imaginé lors d’une rencontre à Tokyo le 20 juillet 2000 entre les représentant du MNA et le G8. Les représentants du NEPAD ont rencontré les dirigeants du G8 tous les ans depuis, notamment dans le cadre du Plan d’action pour l’Afrique. Selon les propres mots du président négérian, « en conséquence de notre première réunion à Tokyo, nous avons mis en place ce qui s’appelle aujourd’hui le NEPAD ». (“Joint press conference by Abdelaziz Bouteflika, President of Algeria, John Agyekum Kufor, President of Ghana, Olusegun Obasanjo, President of Nigeria, Abdoulaye Wade, President of Senegal, Thabo Mvuyelwa Mbeki, President of South Africa, and Yoweri Kaguta Museveni, President of Uganda at the G8”, Sea Island, June 10, 2004 ; Cf. également “Summit Meeting in Tokyo Among President Olusegun Obasanjo of the Federal Republic of Nigeria, President Thabo Mbeki of the Republic of South Africa, President Abdelaziz Bouteflica of the Democratic People's Republic of Algeria, Prime Minister Chuan Leekpai of the Kingdom of Thailand and G8 Leaders”, Tokyo, July 20, 2000)

2 La Digital Opportunity Task Force, inaugurée parallèlement à la Charte d’Okinawa en 2000, vise à réduire le fossé numérique dans le monde.

3 Le Nuclear Safety and Security Group (NSSG), établi en 2002, entend fournir, en collaboration avec les institutions internationales concernées, des informations techniques et des conseils stratégiques sur les dangers en matière de sûreté et de sécurité dans l’usage de l’énergie nucléaire.

4 Lancé lors du Sommet d’Evian en 2003, le Forum pour le partenariat avec l’Afrique rassemble les dirigeants des pays créditeurs de l’OCDE (soit environ 98 % à l'aide publique au développement accordée à l'Afrique) et les dirigeants des pays membres du NEPAD, ainsi que les représentants personnels des dirigeants du FMI, de l'OCDE, de l'ONU, de la Banque mondiale, de l’OMC, les dirigeants des huit communautés régionales économiques reconnues par l’Union Africaine et le Président de la Banque Africaine de développement. Il constitue de fait une agence de l’OCDE. (Cf. l’adresse même du site du Forum : <http://www.oecd.org/pages/0,2966,fr_37489563_37489442_1_1_1_1_1,00.html>)

5 Le Groupe d'action contre le terrorisme a été créé par le G8 en juillet 2003 en appui du CCT (Comité contre le terrorisme) du Conseil de sécurité de l'ONU.

6 En dépit d’un désaccord entre la position européenne et le plan pour un « Grand Moyen-Orient » (Great Middle East) défendu par Washington, le Forum pour l’avenir a été créé par le G8 le 10 juin 2004 dans le cadre du « Partenariat pour le progrès et un avenir commun avec les gouvernements et les peuples du Moyen-Orient élargi et de l'Afrique du Nord » proposé par le G8 aux Etats de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient élargi. Ce projet initialement baptisé « Grand Moyen-Orient », s’appelle maintenant BMENA (Broader Middle East and Nord Africa), et doit se traduire à terme par une mobilisation accrue de la communauté internationale dans le soutien aux réformes politiques, économiques et sociales engagées. (Cf. G8, « Partenariat pour le progrès et pour un avenir commun avec la région du Moyen-Orient élargi et de l'Afrique du Nord », Sea Island, 9 juin 2004)

7 Le Consortium, lancé en 2005 à l’initiative du G8 sous l’impulsion du Royaume-Uni et d’acteurs africains (Union africaine, Banque africaine de développement, NEPAD et diverses Communautés économiques régionales), est un partenariat tripartite entre les donateurs bilatéraux, les Agences multilatérales et les institutions africaines. Ce n’est pas un organisme de financement, mais une

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De l’autre côté, comme le confirmait le président brésilien à la presse en 2003, « on [les pays non-membres du G8] n’a pas besoin d’attendre que nous invite le G8 pour nous réunir.2 » Par exemple, le G21, fondé en 2003 et constitué de pays à fort potentiel d’exportation comme la Chine, l’Inde et l’Afrique du Sud, combat le protectionnisme déguisé des pays les plus industrialisés3. Autre exemple, le D8, ou Developing Eight, est un G8 constitué de pays musulmans4. Loin de regarder ces instances comme autant de rivales, le G8 les encourage5. Les membres du G8 sont également à l’origine de tels regroupements plus ou moins ponctuels et souvent très informels6. Ils peuvent également susciter des coalitions directement dédiées à y trouver une oreille attentive. D’abord sous la forme des contre sommets telle qu’elle a été instaurée par le TOES (The Other Economic

« plate-forme pour négocier l’obtention de financements plus importants de la part des donateurs pour les projets et programmes d’infrastructure en Afrique ». (Cf. <http://www.icafrica.org/> ; “Role of the Consortium and next steps”, London, 5 May 2005)

1 Lancé par les présidents Bush et Poutine en juillet 2006 pour « accélérer le développement de la capacité de partenariat pour combattre la menace globale de terrorisme nucléaire. » En octobre 2006, le G8 et cinq autre pays étaient parvenus à un accord de principe sur l’initiative. (“Joint Statement by George Bush and Vladimir Putin on the Global Initiative to Combat Nuclear Terrorism”, Saint-Petersburg, July 15, 2006)

2 L. I. Lula da Silva, « Conférence de presse », Evian, 2 juin 2003 3 En 1998, sous l’impulsion des Etats-Unis, le G21 et l’Egypte ont formé le G22 pour permettre aux

pays non-membres du G8 de participer à la formulation de solutions concernant les aspects internationaux de la crise financière des marchés émergents. Ces groupes disposent selon les occasions d’un réel pouvoir d’influence – le G90, autre extension du G21, ayant par exemple fait échouer les négociations de l’OMC à Cancún en 2003 – même si ce pouvoir est nécessairement limité par les grandes puissances – le G22, autre exemple, ne discutant que de la de stabilité monétaire des économies périphériques et laissant de côté la réforme du système financier international.

4 Officiellement créé en 1997, il regroupe le Bangladesh, l’Egypte, l’Indonésie, l’Iran, la Malaisie, le Nigeria, le Pakistan et la Turquie, et vise à améliorer leur position dans l’économie mondiale, à diversifier et à créer de nouvelles opportunités commerciales, à accroître la participation de ces pays aux décisions internationales et à améliorer le sort de leurs populations. Pour marginal qu’il semble être, le D8 regroupe à peu près la même quantité de population que le G8 (Cf. <http://www.mfa.gov.tr/d-8/>).

5 « Nous encourageons, dit précisément la déclaration économique de 1988, la mise en place de processus informels qui faciliteraient des discussions multilatérales sur les questions d'intérêt mutuel et favoriseraient les actions de coopération nécessaires. » (G7, « Déclaration économique », Toronto, 21 juin 1988)

6 Citons, entre autres, le « groupe des six », chargé de régler la question du nucléaire nord-coréen et constitué des Etats-Unis, du Japon, de la Russie, de la Chine, de la Corée du Sud et de la Corée du Nord ; l’UE3 qui, rassemblant l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni, est notamment actif sur le dossier du nucléaire iranien ; le CCNA (Conseil de Coopération Nord-Atlantique), forum de consultation problèmes de sécurité sur le continent européen lancé par l’OTAN en 1991 et composé des membres de ce derniers, de ceux de la CEI (Communauté des Etats indépendants et de l’Albanie, soit en tout 36 pays. On peut citer encore le très baroque Quartet, lancé en avril 2002 pour tenter de régler le conflit Israélo-palestinien par les Etats-Unis, la Russie, l’Union européenne et l’ONU. Cette instance, réunissant deux Etats, un ensemble régional et l’institution représentative de tous les Etats du monde, donc aussi des autres membres du Quartet, est une monstruosité institutionnelle. Enfin, l’influent Council on Foreign Relations américain a proposé, dans la même perspective, de remplacer le G8 par une nouvelle Quadrilatérale formée des États-Unis, de l’Union européenne, de la Chine et du Japon.

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Summit) en 19841 ; puis en 2007, avec la création d’un G8 patronal2. Dans la même perspective, un J8 (Junior 8) réunit depuis 2005, à l’initiative de l’UNICEF et de la banque d'investissement Morgan Stanley, des enfants membres du G8 et de pays en développement pour parler du développement économique de l’Afrique, du sida, du changement énergétique et de l’efficacité énergétique ou encore de la propriété intellectuelle et de la responsabilité sociale des entreprises3.

1 Les contre sommets ont institutionnalisé des l’année suivante à Tokyo, et chaque année depuis à

l’exception de 1986. Eloignés des enceintes du sommet officiel jusqu’en 1988, ces contre sommets ne sortent de la confidentialité qu’en 1989, les réunions confinées entre experts se muant en ateliers pédagogiques ouverts au public. Cette forme de contestation est bientôt devenue récurrente au sein de ce qui ne s’appelait encore pas la mouvance altermondialiste, si bien que et les réunions annuelles du FMI et de la Banque mondiale, les ministérielles de l’OMC ou encore les sommet des chefs d’État et de gouvernement d’Amérique latine, de la Caraïbe et de l’Union européenne donnent lieu à autant de contre événements. La pratique semble si paradigmatique qu’il y eut huit contre sommets lors du sommet du G7 de Lyon en 1996 et que le Forum social mondial, pendant du Forum économique mondial et contre sommet parmi les contre sommets, fait lui-même l’objet d’un contre sommet.

2 Le G8 patronal, constitué des syndicats patronaux des pays du G8 et de l’Union européenne, a été entendu par le sommet de Heiligendamm, qui s’est félicité « de la déclaration commune des milieux d'affaires de tous les pays du G8 sur des stratégies des industries et des milieux d'affaires du G8 pour promouvoir la protection de la propriété intellectuelle et pour prévenir la contrefaçon et le piratage ». (G8, « Croissance et responsabilité dans l'économie mondiale », Heiligendamm, 7 juin 2007)

3 Cf. <http://www.j8summit.com/>

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Chapitre 2 Le G8 et le champ supranational

Le G8 n’est ni une institution ni une organisation, mais un groupe d’intérêt informel, officieux et illégal situé à la lisière entre les secteurs public et privé. En interne, système d’échange plus que de décision, le G8 remplit une fonction diplomatique d’instauration de relations amicales et d’un consensus entre les représentants des grandes puissances industrielles En externe, il formule un discours à la fois programmatique et de positionnement largement relayé par les médias, tisse une trame d’instances privées parallèle à l’armature institutionnelle publique, répartit et coordonne les tâches entre les acteurs du marché au moyen de différents signaux. Cette normatisation et cette normalisation étant aux fins d’une liberté, d’une centralité et d’une effectivité accrues du marché. Illégitime mais efficace, privé mais écouté, ignorant mais programmatique, dogmatique mais pragmatique, transversal mais sélectif, antenne relais mais aussi chef d’orchestre, le G8 a fait de ses limites apparentes autant d’indéniables forces. S’y ajoutent une nature révolutionnaire et une valeur expérimentale : sans secrétariat ni siège, sans pacte ni traité originel, sans statuts ni charte, sans même d’objectifs ni de mémoire, il se veut un réseau déterritorialisé, fluide, adaptatif et souple plutôt qu’une structure bureaucratique et difficilement réformable, pratique les partenariats évolutifs plus volontiers que les alliances contraignantes, favorise les projets sur les programmes et repose, à l’image du camp anti-soviétique, moins sur un cadre doctrinal formel que sur des principes à prétention universelle. Cette géométrie et cette géographie variables lui autorisent une gouvernabilité fluide et adaptative, une globalité regardante, une ubiquité discrète et finalement une universalité univoque. En deux mots et une image, pour reprendre cette métaphore de la navigation si prisée depuis l’antiquité grecque lorsque l’on parle de gouvernement, il y a entre le G8 et les organisations internationales du milieu du XXe siècle à peu près la même différence qu’entre un zodiac et un paquebot. Un extrait parmi d’autre d’une déclaration du G8 cette nature et ce fonctionnement : « Nous désirons construire un partenariat mondial, basé sur des valeurs communes, et renforcer l'ordre international. Notre objectif est de soutenir la démocratie, les Droits de l'Homme, l'Etat de Droit et une gestion économique saine qui, ensemble, constituent la clé de la prospérité. Pour parvenir à cet objectif, nous encourageons un système véritablement multilatéral, sûr et adaptable, dans lequel les responsabilités seront largement et équitablement partagées. La nécessité d'avoir un système des Nations unies plus fort et plus efficace et de porter une plus grande attention à la prolifération et au transfert des armements est essentielle pour réaliser notre objectif.1 » Tout est dit : partenariat souple et non alliance, basé sur des principes et non sur le droit, se donnant pour finalité non la paix ou la justice, l’éradication de la pauvreté ou le bien-être des populations, mais la prospérité – la démocratie, les Droits de l'Homme, la responsabilité, l'Etat de Droit et une gestion

1 G7, « Déclaration économique », Londres, 17 juillet 1991

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économique saine n’étant qu’autant de moyens, dans un monde où l’ONU est réduite à contrôler la prolifération et le transfert des armements. Cette inversion par rapport aux objectifs contredit jusqu’aux statuts de l’OCDE, qui reconnaissent « que la puissance et la prospérité de l'économie sont essentielles pour atteindre les buts des Nations unies1 », et non les buts des Nations unies essentiels pour atteindre la prospérité. Le G8 opère, en regard, un étrange retour dans le temps ; retour au droit coutumier, retour aux figures du Prince et du philosophe-roi, retour au conciliabule des puissants – sans pour autant retrouver les chemins balisés du colonialisme ou de l’impérialisme. Mais n’est-il pas logique que le G8 ait investi le domaine des relations internationales où ses pouvoirs propres vont être effectifs, ce champ à finalité économique, à effectivité normative, circulant à travers un réseau d’instances et de régulation privées qu’il a investit, informé et finalement consacré ? Car le G8 fait également sens au niveau international en sa qualité expérimentale et paradigmatique pour les questions de mécano institutionnel et d’organisation des organisations. Les forums informels, principalement dans le domaine économique2, se sont multipliés ces trente dernières années. Pouvoir instituant, le G8 a reconfiguré l’espace supranational à son image, comme si, à l’étatisation de cet espace succédait sa « G8-isation », l’instance constituant de plus en plus le fond et la norme d’un monde de G où le rêve d’une institution totalisante a cédé la pas à la réalité de batailles entre groupes d’intérêts par normes privées et instances supranationales interposées3, où le pouvoir n’est plus lié à un titre, à une réputation ou une potentialité mais à une effectivité, à une phénoménalité. Si le G8 devait être un personnage, ce serait Mercure4. Du latin merx (commerce), équivalent romain d’Hermès, le dieu grec du commerce, Mercure était aussi entremetteur et dieu de l’éloquence, et s’est trouvé investit peu à peu, comme son modèle hellénique, de l’ensemble des intérêts tant terrestres que célestes, dénouant les querelles amoureuses et guerrières, président aux assemblées et aux jeux, conduisant les âmes aux Enfers et protégeant les voyageurs. A la manière du dieu, le G8 a capté les différentes fonctions de régulation des intérêts et des flux. Institution accordéon qui semble tenir dans un mouchoir de poche, être presque, à

1 OCDE, « Convention relative à l'Organisation de coopération et de développement

économiques », Paris, 14 décembre 1960 2 Même si des regroupements informels existent aujourd’hui dans tous les domaines. Pour

exemple, l’AOSIS (Alliance des petits Etats insulaires), créé en 1991 face à la menace de la montée du niveau des mers, ne dispose ni d’un secrétariat, ni d’une charte formelle, ni d’un budget régulier.

3 Lors du sommet de Sea Island en 2004, le président nigérian désigna par exemple l’UA (Union africaine) par l’expression : « ce club distingué ». (O. Obasanjo, “Joint press conference by Abdelaziz Bouteflika, President of Algeria, John Agyekum Kufor, President of ghana, Olusegun Obasanjo, President of Nigeria, Abdoulaye Wade, President of Senegal, Thabo Mvuyelwa Mbeki, President of South Africa, and Yoweri Kaguta Museveni, President of Uganda at the G8”, Sea Island, June 10, 2004)

4 Les analyses du pouvoirs et de domination se font généralement selon quatre axes balisés : les principes de différenciations qui impliquent des possibilités d’action sur les autres – différences de statut, différences de richesses, différence de place dans les processus de production, etc. ; les objectifs visés – généralement le maintien ou l’acquisition d’une position avantageuse ; les moyens employés en vue de cette fin – violence, discours, et autres subtilités de coercition et d’influence ; les formes de cette domination – quelles que soient ces institutions.

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en croire les médias, un épiphénomène, une marginalité, chacun de ses sommets un non événement, le G8 est le noyau mou d’institutions publiques que ses membres dominent de loin et d’instances privées qu’il a créé de toutes pièces ou soutenues dans leurs tâches. Il tient ensemble l’espèce humaine et l’individu, les principes les plus abstraits et les recommandations les plus détaillées, l’action sur les cadres réglementaires apparemment les plus infrangibles et la régulation des situations de vie les plus nouvelles. Multidimensionnel par essence et par conviction, il parle d’innombrables sujets selon des dimensions multiples – au risque de se limiter à la parole ou de ne plus être entendu. L’élément central, la fin et le moyen justifiant cette nature, ces modes de fonctionnement et cette dynamique inédite, c’est le développement de l’économie de marché, l’acceptation universelle de l’économie comme fin du politique et le libre marché comme principe régulateur général, centralité ordonnatrice, schéma d’organisation et de direction des activités humaines, principe d’entendement de l’histoire immédiate et récente, sinon de la nature humaine elle-même, comme ont pu l’être l’Etat jusqu’ici et le divin avant lui1. Selon sa propre analyse, le G8 est à l’image de son temps : révolutionnaire. « L'économie mondiale, diagnostique la déclaration économique de 1995, a radicalement changé au cours des cinquante dernières années. Sous l'action des changements technologiques, la mondialisation a entraîné une interdépendance économique accrue, aussi bien au niveau de certaines politiques autrefois considérées comme purement intérieures qu'à celui des interactions entre domaines de politiques. Le défi principal consiste donc à gérer cette interdépendance, tout en travaillant dans le sens des marchés, et à reconnaître le nombre croissant d'intervenants majeurs. Cela est particulièrement important pour la stabilité macroéconomique et financière mondiale.2 » Voilà une pair de paradoxes : des Etats, revendiquant la fin de l’intégrité et de la souveraineté étatique, se mettent au service des marchés, et en même temps que ces derniers sont hissés au rang de principe central de fonctionnement de l’économie, de référence des choix politiques et finalement de grille d’intelligibilité du monde, naît le G7, soit un mécanisme de compréhension, de coordination, de direction et d’impulsion dont les membres se reconnaissent pour valeurs et principes communs le « renforcement de la discipline des marchés et [l’]efficacité de la régulation3 ». Que vaut donc la double affirmation d’une toute puissance du marché autorégulateur et d’une nécessaire administration économique ?

1 Le G8, selon cette voie, ayant mis la main sur le triptyque démocratie de marché-sécurité-

prospérité, pourrait rimer avec le système trifonctionnel qui définissait l’unité cosmologique du peuple indo-européen. Précisément, selon Dumézil, la civilisation indo-européenne trouve son unité dans la triade sacré-souverain, défense-guerrier, fécondité-producteur. (Cf. G. Dumézil, Mythe et Epopée, vol. I : L'idéologie des trois fonctions dans les épopées des peuples indo-européens, 1968)

2 G7, « Communiqué », Halifax, 16 juin 1995 3 « L'intégrité du secteur privé, le renforcement de la discipline des marchés, la transparence

accrue par le biais de l'amélioration de la communication financière, l'efficacité de la régulation et la responsabilité sociale des entreprises sont les principes communs qui constituent les fondations d'une croissance macro-économique soutenable. » (G8, « Pour la croissance et une économie de marche responsable. Déclaration du G8 », Evian, 2 juin 2003)

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Eh bien peut-être tout simplement que l’on ne passe pas d’un système à un autre par un claquement de doigts, fussent-ils ceux des dirigeants de grandes puissances industrielles de la planète. Mais aussi, sans doute, que le marché ne s’autorégule que dans un univers préalablement régulé. Le G8 n’est pas le simple comptable de la mondialisation, ni même uniquement son cabinet de gestion. Le monde dont il hérite en 1975, étatisé à l’extrême et en tous sens juridicisé, est bien mal ajusté au libre marché. Avant de pouvoir reconfigurer l’environnement selon les principes du libéralisme économique, il lui est nécessaire de contester, d’enrayer et finalement de casser le système existant, autant au niveau de ses principes qu’à ceux de ses pratiques et de ses instruments. Première tâche du G8 donc : la déconstruction – ou plus exactement la continuation de la déconstruction amorcée par les décolonisations, l’effondrement du système de Bretton Woods et la constitution de prix du marché pour les matières premières. Deuxième tâche du G8 : la normatisation – ou plus exactement la re-normatisation, le système stato-juridique étant bien une forme de normatisation. Cette re-normatisation est d’abord symbolique, opérant dans le champ des signes et des principes ; puis pratique, le G8 actant de fait l’existence d’instances supranationales non étatiques, redéfinissant les autorités publiques et la division du travail entre organisations supranationales au profit du secteur privé et toujours aux fins d’une bonne marche du marché. Ce serait cela, au fond, le cœur de la méthode néolibérale : la dérégulation n’est qu’un préalable à la normatisation, et la normatisation un prérequis de la normalisation, de même que la coordination et l’intervention permanente sont d’autant plus nécessaires que l’armature juridico-institutionnelle est affaiblie. Le système normatif qui lui succède n’est pas un système de droit, n’est pas lié à un territoire, n’est pas le produit de l’Etat, mais un ensemble de normes à usages multiples et à géométrie variable, mouvantes, globales, non contraignantes, ou plutôt auto-contraignante, la rétribution et la sanction, c’est-à-dire grossièrement la justice, étant assurées par le marché, c’est-à-dire les acteurs eux-mêmes. Investissant et remodelant le champ anarchique des relations supranationales, privilégiant les instances aux institutions, une morale universaliste à un droit international public attaqué de toutes part, les invitations aux homologations, les déclarations aux conventions, traités et résolutions, le G8 renie un aspect important de l’héritage institutionnel qui court du traité de Westphalie aux accords de San Francisco. Il n’est plus ici question d’un concert des Nations voué à la coexistence pacifique des Etats et des peuples, mais bien d’un orchestre désétatisé conduit par un organisme privé au service du marché. De l’atténuation de la concomitance du territoire, de l’Etat et de la loi, il ne faudrait pas conclure à la transnationalisation généralisée, non plus qu’à la mort du Léviathan sous les coups du marché d’une part et de la société de l’autre, selon un double phénomène d’intégration et de sécession. Il faudrait sans doute, à l’inverse, récuser le triptyque en vogue mettant face-à-face les entreprises et la société civile sous l’arbitrage de l’Etat. Ce dernier n’est pas qu’un figurant dépouillé de ses moyens de réglementation juridico-politique face aux régulations économiques des unes et symbolique de l’autre. Dans un ordre de marché, les places sont loin d’être aussi univoques et figées. Les acteurs s’interpénètrent, l’un est toujours visible dans l’autre, et aucun ne saurait survivre seul. Plus encore, L’Etat, LA société civile, LE capital, sont autant d’abstractions inopérantes. Derrière ces notions monolithiques employées à tort au singulier, les combinaisons des acteurs, de leurs

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regroupements, de leurs moyens, de leurs stratégies et de leur efficace demandent à être appréhendés dans leur mouvement et leur multiplicité1. Le G8 se situe sur cette frontière. Il est élément de rupture autant que de stabilité. Prenant acte d’une réalité du monde mais aussi de sa malléabilité, de son « adaptabilité », se situant d’emblée à côté des institutions internationales, hors du droit et au-delà des Etats, l’instance serait moins une institution que le coordinateur de l’abscisse et de l’ordonnée d’un espace supranational en gestation, plus un ensemble de relations protéiforme qu’une organisation proprement dite, plus un espace lui-même qu’une entité. Elle invite en ce sens à refuser d’analyser le pouvoir en termes négatifs et binaires d’interdiction, d’oppression, de domination ou d’hégémonie, ni les relations internationales dans une perspective de blocs institutionnels et de rapports de force, pour leur préférer une dynamique de rapports de pouvoir, réversibles dans leurs usages stratégiques. Devant un tel objet, la science politique ne peut se limiter à être une alchimie de la domination, une arithmétique des puissances, une géographie des Etats et une mécanique des institutions. Elle doit accueillir une physique des rapports, des entre-deux, des écarts, des flux entre pôles mouvants et changeants. Un moyen de s’aérer ainsi serait de déployer le plus complètement possible l’éventail des sciences humaines. En réaction à une étatisation des analyses du pouvoir conséquente de l’étatisation du monde, du politique et de l’économie, en réaction à une analyse en termes de blocs institutionnels et pas tant géographiques ou idéologiques, cette seconde partie entreprend de désétatiser, de « désinstitutionaliser », et d’« hétérogénéiser » – si ces barbarismes me sont permis – l’analyse des relations internationales pour les rendre à leur mobilité, à leur mouvement et à leur réversibilité. Si géopolitique il demeure au terme de cette analyse, ce ne sera plus au sens de géographie politique, mais de géométrie politique, de géométrie variable des relations supranationales. Sortir des institutions, sortir des territoires, appréhender la jungle de sigles non pas comme une pyramide de blocs, mais comme un plan où se croisent des flux d’argent, de personnes, d’idées forces, où la notion de pouvoir ne peut être limitée à un couple de critères, où celle de puissance est toujours relative, l’un et l’autre étant selon les cas politiques, historiques, économiques, démographiques, militaires, culturels, symboliques, et ces différentes modalités se combinant pour leur façonner des visages en nombre quasiment infini. L’étude du champ supranational correspond en ce sens à identifier les principes d’exercice de pouvoir qui en règlent le fonctionnement et y arbitrent les rapports de pouvoir, tout en gardant à l’idée sa porosité et la duplicité des acteurs qui s’y meuvent – et partant l’appartenance de chaque Etat de la planète à différents réseaux principalement politiques, économiques et culturels, de chaque instance à des systèmes normatifs rivaux, complémentaires et toujours mobiles, du représentant de chacun d’eux à diverses familles. La croyance en une infaillible continuité de l’Etat, en la prééminence des intérêts nationaux et en la réalité dernière des espaces régionaux a pu gommer l’effectivité de ces intérêts et la continuité d’autres. Pour n’en prendre que deux : continuité sociale et intérêts personnels, continuité économique et intérêts financiers, appellent une sociologie des relations

1 De nouveau le structuralisme semble échouer à rendre compte de la spécificité de cet ordre.

Admettant que les lieux sont premiers par rapport aux entités qui les occupent, en quête des invariants, soucieux des immobilités, il est à mon sens contre-indiqué pour qui voudrait se mouvoir dans un univers de relations toujours incertaines et changeantes.

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internationales et le dévoilement de la porosité qui existe entre groupes, leur consanguinité, et la multiplicité des intérêts qui guident leurs éléments. Les institutions, dans cette perspective, ne seraient que des instruments, non pas des Léviathans ayant leur vie propre, plutôt des machines sans autre vie ni but que ceux de leurs pilotes et de leurs mécaniciens de l’heure. La foi en l’Etat comme référent suprême de régulation a logiquement conduit à étatiser l’espace mondial, quand la question s’est posée en pratique de constituer des institutions œuvrant à cette échelle. Institutions internationales conçues comme des « méta-Etats », même d’abord comme des institutions d’Etats, et pensées comme telles. En ce sens, le structuralisme a sans doute représenté le pendant cognitif du positivisme institutionnel incarné par l’ONU. Dans les années 60 – peut-être parce que la construction d’une Europe institutionnelle a fait apparaître qu’elle s’était maintenue comme système depuis le XVIIe siècle sans institution supranationale, sans même de réunions régulières, mais en vertu de relations diplomatiques permanentes et d’échanges privés entre individus de différentes nations – le post-structuralisme et le post-modernisme ont semblé constitué les corollaires théoriques de nouvelles configurations de pouvoir, horizontales, réticulaires, réciproques et à double tranchant1. Au croisement de ces analyses du pouvoir qui ont comme tiré les conclusions de l’expérience soviétique et du printemps 68, il y avait l’affirmation de la prééminence de la domination sur l’hégémonie et d’une certaine fin de l’Etat, non pas comme institution, mais comme nœud de compréhension du politique. Le pouvoir, depuis, semble éthéré, détaché de la matérialité des institutions et des représentations, palais, parlements, sièges sociaux, dilué dans le labyrinthe des réseaux et dans l’emboîtement des relations, dynamique, et dans le même temps relocalisé, réimplanté jusque dans les profondeurs insondables de l’individu. Un pouvoir qui ne frappe plus de l’éclat de son évidence, mais qui demande à être débusqué, attrapé, démasqué. Un pouvoir qui appelle non plus une géographie ou une géométrie et moins encore une économie, mais une physique. Situant mon analyse dans cette mouvance théorique, je préférerai l’échelle supranationale à l’échelle internationale et la notion d’instance publique à celle d’Etat ; je saisirai cette opportunité pour tester la fonctionnalité des notions de « gouvernance » et de « gouvernementalité » ; je m’intéresserai aux champs de force et aux systèmes de valorisation des forces, leurs rapports n’opérant qu’à partir de ceux-ci ; je privilégierai le balayage d’espace au démontage de structure, considérant le G8 non plus comme une forme de domination massive et homogène mais comme la pièce d’un réseau d’influence qui le subsume ; je ne parlerai pas d’idéologie ni de vérité, mais de savoir, de croyance, de véridiction, donnant une importance particulière à l’espace discursif qu’investit et informe le G8, prenant le discours comme pratique politique à part entière, non comme signifié du politique mais comme l’un de ses signifiants. Le tout en essayant, dans la mesure du possible, de m’extraire de la logique hégémonique des causalités et du retour aux origines.

1 Par exemple, le couple Guattari-Deleuze et les réseaux par rapport aux structures, la

déterritorialisation face à l’assignation, le nomadisme face l’Etat, les flux remplaçant les blocs et les lignes de fuite les frontières ; Foucault et le biopouvoir plutôt que le pouvoir extérieur, les sociétés de contrôle plutôt que les sociétés de discipline, le souci de soi comme production préalable à toute résistance ; Bourdieu anticipant et prolongeant ces travaux en sociologie ; de Certeau et les micro-résistances ; Debord et le capitalisme comme mirage de la liberté, l’écologie comme politique, le Conseil plutôt que l’Etat et l’entreprise, etc.

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Désordonner Premier acte, première entreprise, la déréglementation du champ supranational. Le monde dont se saisit le G8, à sa création, est réglementé de toutes parts et à toutes les échelles. Cette déréglementation, qui n’est pas tant une dérégulation qu’une désétatisation et une désinstitutionnalisation, notre instance va la coordonner du côté des principes de l’autorité politique, du côté des droits nationaux et internationaux, enfin du côté des institutions publiques qui le portent.

La morale Si les évolutions du droit sont, en politique, un bon indicateur des changements structurels, les modifications dans l’ordre de la morale le sont autrement plus. Les principes structurant de l’autorité politique que sont la souveraineté, l’intégrité, la légalité, la stabilité ou encore la légitimité se déplacent, dans le discours du G8, de la sphère publique vers la sphère privée. Le G8, s’il mène une véritable politique des principes, ne revendique pas lui-même ces valeurs1. Au Moyen Age, à travers la réactivation du droit romain et la consécration de la figure du monarque, apparaît une théorie juridico-politique de la souveraineté. Qu’il fut d’ordre divin ou qu’il émanât du peuple, le principe est resté, jusqu’au XXe siècle, l’âme du Léviathan. Plus tardive, la conception moderne de l’intégrité territoriale est née, au XVIIe siècle, autour du traité de Westphalie. Trois cents ans plus tard, au croisement de ces deux principes politiques centraux, la notion d’autodétermination des peuple fit partie intégrante des « quatorze points » de Wilson qui la défendit ardemment à la conférence de Paris en 1919. Quoique reconnue par la SDN puis l’ONU, elle sera remise en question dans la seconde moitié du XXe siècle, et particulièrement par le G82.

1 Le Président français, lors du sommet d’Evian en 2003, rappelait par exemple en ce sens à la

presse que « le G8 n'a pas de légitimité particulière » – affirmation qu’il répètera à trois reprises à la presse au cours de ce sommet. (J. Chirac, « Conférence de presse à l’issue de la première journée du G8 », Evian, 2 juin 2003)

2 Selon le premier paragraphe de son Article 2, la Charte des Nations unies est « fondée sur le principe de l'égalité souveraine de tous ses Membres ». Le « droit à l’autodétermination » fut reconnu par l’institution en 1951, et la non-ingérence dans les affaires intérieures a été constamment rappelée par l’ONU. Ainsi, le paragraphe 7 de l'Article 2 de la Charte des Nations unies, stipule que l’organisation ne peut « intervenir dans des affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d'un Etat ». La non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats est par exemple affirmée par la Convention de Vienne de 1969 et la Résolution 2625 (XXV) du 24 novembre 1970. Plus récemment, la « Résolution 54/168 », adoptée par l’AG de l’ONU le 12 décembre 1997, rappelle le « Respect des principes de la souveraineté nationale et de la non-ingérence dans les affaires intérieures des États en ce qui concerne les processus électoraux ». Et bien qu’elles aient pu être présentées comme l’entrée dans le droit international du droit d’ingérence, la résolutions 43/131 du 8 décembre 1988 instituant une « assistance humanitaire aux victimes de catastrophes naturelles et de situations d'urgence du même ordre » ainsi que la résolution 45/100 du 14 décembre 1990 prévoyant la mise en place de « couloirs humanitaires » réaffirment au contraire les principes de souveraineté, d’intégrité territoriale et d’indépendance.

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Parce que le droit de la guerre est le premier espace de développement du droit international, parce que le « droit international humanitaire » n’est pas autre chose, il constitue un excellent terrain d’observation de ces glissements de principes et de la déconstruction du droit international public qui leur est conséquente. En la matière, le vocabulaire même de la guerre a été remodelé ces dernières années. On ne parle plus d’illégalité mais d’irrégularité, plus de soldat ou de membre d’une armée mais d’ennemi combattant, de force armée au lieu d’armée, et le terme même de conflit s’est substitué à celui de guerre. La notion d’ingérence, qui défie à la fois les principes de souveraineté et d’intégrité, trouve dans ce nouvel écheveau conceptuel une place de choix. La seule ingérence reconnue internationalement est celle prévue, à titre exceptionnel, par la Charte des Nations unies et autorisée par son Conseil de sécurité au titre du Chapitre VII. Elle permet certaines interventions tout en soulignant la nécessaire préservation de la souveraineté nationale1. A la fin du XXe siècle, à mesure que le principe de sécurité, qui renvoie aux populations d’une part et aux groupes terroristes de l’autre, remplace celui de défense, qui ne renvoyait qu’aux Etats, la protection des individus pourra être invoquée pour justifier l’ingérence d’Etats dans les affaires intérieures d’un autre, et les droits humains être substitués au droit international. Le G8 n’est pas étranger à ce glissement. En dépit de déclarations de principes selon lesquelles « tous les peuples devraient pouvoir librement décider de leur destin sans intervention étrangère2 », c’est dès 1985 que le G8 a défendu, dans le domaine humanitaire, un droit d’ingérence qui ne sera formulé comme tel que huit ans plus tard3. La Guerre froide achevée, ce point de doctrine cosmopolitique fut traduit au sein de l’OCSE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe)4. Lors du sommet de Lyon en 1996, le Président français alla plus loin encore, affirmant que l’« on ne peut pas faire de distinction entre la politique intérieure et la politique extérieure5 ». Quatre ans plus

1 L’intervention militaire étrangère durant la Première Guerre du Golfe a par exemple été légitime

en ce sens qu’elle a reçu l’accord unanime du Conseil de sécurité. 2 Le communiqués du G8 rappellent à plus de dix reprises, entre 1980 et 2003, l’importance de

« l'intégrité territoriale » des Etats. Encore en 2004, alors que les Etats-Unis sont en pleine Seconde Guerre d’Irak, leur secrétaire d’Etat à la Défense admettait lui-même, à la fin d’une réunion des ministres des Affaires étrangères du G8, que « le changement ne peut pas être imposé du dehors ». (G7, « Déclaration politique », Ottawa, 21 juillet 1981 ; C. Powell, “Chair’s introduction and press conference”, G8 Summit, Washington, May 14, 2004)

3 La déclaration économique du sommet de Bonn affirme en effet que « les obstacles politiques dans les pays concernés ne doivent pas entraver la distribution des denrées alimentaires à ceux qui ont faim. » (G7, « Déclaration économique : Vers une croissance soutenue et plus d'emplois », Bonn, 4 mai 1985)

4 En 1991 et 1992, les Etats membres de la CSCE ont ainsi reconnu « catégoriquement et irrévocablement que les engagements contractés dans le domaine de la dimension humaine […] ne relèvent pas exclusivement des affaires intérieures de l'Etat en cause ». (CSCE, « Document de Moscou », 1991, p.2 ; CSCE, « Document de Helsinki. Les défis du changement », 1992, p.4)

5 Assertion que tempérait le Président américain l’année suivante en estimant que, « en cette nouvelle ère, la politique intérieure et la politique étrangère sont de plus en plus entremêlées ». Avant d’ajouter : « Pour être forts chez nous, nous devons conduire le monde. Et pour pouvoir conduire le monde, nous devons avoir chez nous une économie forte et dynamique ainsi qu’une société qui règle ses problèmes de manière agressive et efficace. » (J. Chirac, « Conférence de

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tard, le Secrétaire général de l’ONU était apparemment converti à la « croyance partagée que la sécurité nationale est indissociable de la sécurité internationale1 ». Le G8 peut dès lors utiliser l’espace supranational pour remettre en question la pertinence première du territoire national. A partir de l’intervention au Kosovo en 1999, encouragée par le G8 et qui deviendra rapidement le paradigme des nouvelles interventions militaires, la sécurité sélective – par ses terrains d’intervention – se substitue à la sécurité collective et la prééminence de l’ONU en matière de maintien de la paix, reconquise durant les années 90, lui est à nouveau disputée par des instances régionales telles que l’OSCE et l’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique Nord)2. Exemple du travail mené par le G8 de redéfinition des principes qui sous-tendent l’action politique depuis quatre siècle et des instances internationales qui les entendent les incarner depuis soixante ans maintenant, une déclaration du G8 de Cologne admet que ce sont les ministres des Affaires étrangères du G8 qui ont rédigé l’ébauche de la Résolution onusienne 1244, qui autorise l’ingérence dans le conflit yougoslave 3. Si le G8 ne promeut jamais de la souveraineté étatique que lorsqu’elle est discutable, sinon douteuse4, la réduction du principe de légalité à la défense des intérêts commerciaux du G8 a tôt fait de le vider également de son sens.

Presse de M. Jacques Chirac Président de la République », Lyon, 28 juin 1996 ; W. Clinton, “President Clinton's Final Denver Summit Press Conference”, June 22, 1997)

1 Kofi Annan avançait en ce sens que « si le crime franchit toutes les frontières, la loi et l’ordre doivent en faire autant. » C’est une opinion aujourd’hui largement admise que les groupes criminels organisés profitent des forces de la mondialisation financière et de la faiblesse de la mondialisation politique. Ainsi, selon le directeur exécutif de l’Office des Nations unies pour le contrôle des drogues et la prévention du crime, si d’un côté « les groupes criminels organisés ont réussi à exploiter la libéralisation économique et l'ouverture des frontières qui ont servi de tremplin aux grandes sociétés multinationales », de l’autre « qu'une composante transnationale intervienne dans un acte criminel, et c'est assez pour que la machine des poursuites judiciaires se grippe. » (La citation dans le corps du texte est de John Ashcroft, Secrétaire d’Etat américain à la Justice, in Ministres de la Justice et de l’Intérieur du G8, “Press Conference”, Washington DC, May 11, 2004 ; “UN tackles organised crime”, BBC News, 12 December 2000 ; P. Arlacchi, « Criminalité organisée : les États montent au créneau », juin 2001)

2 Dans un communiqué sur le Darfour publié en juillet 2005 à Gleneagles, oubliant l’ONU, les dirigeants du G8 et de l'Union africaine affirmaient à propos de cette dernière qu’« il n’y a pas d’autre tribune pour résoudre ce conflit. » (G8 et Union africaine, « Soudan », 8 juillet 2005, Gleneagles, p.1)

3 Adoptée deux jours plus tard, cette résolution détermine également les principes généraux de la solution politique de la crise et prévoit l’instauration d’une administration intérimaire au Kosovo. L’annexe 1 de cette résolution n’est autre que le texte intégral de la déclaration publiée par le Président de la réunion des ministres des affaires étrangères du G8 tenue au Centre de Petersberg le 6 mai 1999. La même année, les ministres des Affaires étrangères du G8 confirmaient que l’« impulsion ainsi créée [par le plan de paix proposé à la Yougoslavie et à la Serbie par l’Europe et la Russie] a permis à [leur] réunion de Cologne, “Gürzenich”, le 8 juin 1999 de préparer une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies ». (G8 Affaires étrangères, « Réunion des Ministres des Affaires étrangères du G8 à Cologne, “Guerzenich”. Conclusions », 10 juin 1999 ; Conseil de sécurité des Nations Unies, « Résolution 1244 (1999) », 10 juin 1999, je souligne)

4 Le G8 parle ainsi de la souveraineté de l’Afghanistan en 1980, de celle du Liban en 1982, 1989, 2004, 2005 et 2006, du Yemen en 1994, des pays issus de l'ex-République yougoslave en 2001,

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Il peut d’abord être choquant que, depuis sa création, le G8 se soit plus intéressé à l’illégalité des détournements d’avions, des coupes de bois, des contrefaçons ou des stupéfiants qu’aux génocides, aux guerres civiles, aux paradis fiscaux ou encore aux trente-cinq coups d’Etat qui ont eu lieu en Afrique entre 1975 et 1989 ; ou que le seul droit qu’il faille absolument respecter, à en lire les déclarations du G8, est le droit commercial, et que le terme « cadre légal » renvoie presque systématiquement aux institutions de Bretton Woods et non au droit international. Le principe de légalité et d’unicité du droit est remis en cause par le développement de procédures parallèles. Pour garder l’exemple guerrier, en 2004, en pleine « lutte contre le terrorisme », les ministres de la Justice et de l’Intérieur du G8 attendent que « les membres du G8 recommandent que les systèmes légaux tiennent compte, dans les cas exposés ci-dessous, de l’usage de techniques d’investigation spéciales […] aussi bien que d’autres mesures critiques dont l’efficacité facilitera l’investigation et la poursuite du crime et du terrorisme sérieux et organisés.1 » Ces « techniques d’investigation spéciales2 » ont été par exemple mises en œuvre par la CIA en Europe pour transférer vers des Etats pratiquant la torture des personnes soupçonnées de participation à des activités terroristes. Selon le rapporteur de la Commission des questions juridiques et des droits de l’homme de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, « les Etats-Unis d’Amérique estiment que ni les instruments classiques de la procédure et du droit pénal, ni les dispositions du droit de la guerre (qui implique notamment le respect des Conventions de Genève) ne sont à même de faire face à la menace terroriste. Ils ont par conséquent introduit des nouveaux concepts juridiques, comme “ennemi combattant” et “restitution“, notions totalement inconnues en droit international et contraires aux principes juridiques fondamentaux en vigueur sur notre continent.3 » La notion de « combattants illégaux » a aussi été utilisée pour désigner les Talibans puis les prisonniers de Guantanamo Bay qui, en leur qualité de combattant sont soumis au régime pénal militaire, ce qui permet de contourner les procédures légales en cours aux Etats-Unis, mais dont l’« illégalité » proclamée les soustrait le cas échéant au statut de prisonnier de guerre garanti par la troisième Convention de Genève4. Ainsi,

de l’Iraq en 2001, 2003 et 2004, de la Géorgie en 2003 et de la Palestine en 2004. De la même manière, le G8 parle à plusieurs reprises de la souveraineté des pays en développement sur leurs ressources naturelles, de la souveraineté des pays débiteurs, de la souveraineté des Etats en Etat de guerre civile, ou encore de la souveraineté des Etats en matière de stabilité financière, de lutte contre le financement du terrorisme et de développement tout en insistant sur un partage des responsabilité avec la société civile.

1 G8 Ministers of Justice and Interior Ministers, “Recommendations on Special Investigative Techniques and other Critical Measures for Combating Organized Crime and Terrorism”, Washington DC, May 11, 2004, p.1, je souligne.

2 Aussi qualifiées de « série de procédures parallèles » par le Président américain. (Cité par le Président de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, in R. van der Linden, « Le Président de l’APCE réagit à la reconnaissance par George Bush de l’existence de prisons secrètes de la CIA », Conseil de l’Europe, 7 septembre 2006)

3 Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, « Allégations de détentions secrètes et de transferts interétatiques illégaux de détenus concernant des Etats membres du Conseil de l’Europe », Commission des questions juridiques et des droits de l’homme, 12 juin 2006, p.2

4 Sur les violations du droit international commises par les Etats-Unis depuis le 11 septembre 2001, Cf. Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, « Légalité de la détention de personnes par

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dans un décret du 13 novembre 2001, George W. Bush affirme qu’« il n’est pas praticable d’appliquer aux commissions militaires relevant de cet ordre les principes légaux et les règles de la preuve généralement admis dans les procès pénaux ayant lieu dans les tribunaux américains.1 » Ou, selon l’adage de Cicéron : Inter arma silent leges (Les lois se taisent quand parlent les armes). Les ministres de la Justice et de l’Intérieur du G8 rappelaient pourtant, en 2004, qu’« aucune organisation ni aucun individu engagés dans un conflit soutenant le terrorisme ne devraient être au-delà de l’application de la loi2 ». Ce qui, de fait, est le cas. Ce sont les Etats qui peuvent, grâce à ces glissements de principes, être commodément hors-la-loi, puisqu’ils rendent possible à un Etat de faire la guerre à des individus tout en confinant le droit de la guerre à un droit des Etats3. Dans le domaine commercial, le G8 a encouragé la possibilité de guerres entre Etats et entreprises, et la mise en place d’un système réglementaire international contribuant à déposséder les Etats de leurs prérogatives en matière commerciale4. Plus largement, il a organisé l’échange des principes politiques et des principes économiques, comme nous le verrons plus loin.

les États-Unis à Guantanamo Bay », Commission des questions juridiques et des droits de l’homme, 8 avril 2005

1 G. W. Bush, “Military Order of November 13, 2001. Detention, Treatment, and Trial of Certain Non-Citizens in the War Against Terrorism”, Federal Register, 16 November, 2001

2 G8 Ministers of Justice and Interior Ministers, “Recommendations for Enhancing the Legal Framework to Prevent Terrorist Attacks”, Washington DC, May 11, 2004, p.1

3 Adoptée par le Congrès américain le 18 septembre 2001, la Résolution commune dite « d’Autorisation d’usage de la force militaire » permet aux Etats-Unis d’« employer toutes les forces nécessaires et appropriées à l’encontre des nations, organisations ou personnes qu’il estime avoir prémédité, autorisé, commis ou prêté assistance aux attaques terroristes du 11 septembre 2001, ou abrité ces organisations ou individus ». En revanche, selon un memorandum du 7 février 2002, la Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre « s’applique à des conflits impliquant des “Hautes Parties contractantes”, qui ne peuvent être que des Etats. » Le mémorandum va plus loin, indiquant que « la guerre contre le terrorisme inaugure un nouveau paradigme selon lequel des groupes d’envergure internationale commettent des actes horribles contre des civils innocents », ce qui « nécessite, affirme le président Bush, de repenser le droit de la guerre », de manière à pouvoir l’ignorer dans les cas de lutte contre des groupes armés ne relevant pas d’un Etat. (“Authorization for Use of Military Force”, 107th Congress, Public Law 107-40, 18 September 2001 ; G. W. Bush, “Humane Treatment of Taliban and al Qaeda Detainees”, Memorandum, February 7, 2002, p.1 ; Cf. « Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre », adoptée le 12 août 1949 par la Conférence Diplomatique pour l'élaboration de Conventions internationales destinées à protéger les victimes de la guerre, réunie à Genève du 21 avril au 12 août 1949)

4 Pour ce qui est de la guerre économique, un exemple. En 1996, le G7 appelait de ses vœux l’« accord multilatéral sur l'investissement [AMI] prévoyant un haut niveau de protection et de libéralisation des investissements ainsi qu'un mécanisme efficace de règlement des différends ». Ce mécanisme donnait entre autres la possibilité, en cas de non-respect, à une entreprise de traîner en justice, dans un premier temps devant le Tribunal de la Chambre du commerce international, un pays pour l’obliger soit à verser des compensations soit à modifier sa législation. Pour ce qui est des prérogatives économiques, la promotion par le G8 du système du GATT puis de l’OMC, ainsi que des ensembles économiques régionaux s’est accompagnée d’un appel à la disparition de la souveraineté monétaire, de l’intégrité territoriale en matière commerciale et de l’autodétermination des politiques économiques.

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Plus marginal encore, le principe de légitimité apparaît à peine dix fois dans les déclarations officielles du G8. (Il est à cet égard paradoxal que les altermondialistes, présentés parfois comme de dangereux révolutionnaires, sinon des terroristes1, se montrent plus légalistes que le G8 lui-même, dénonçant par exemple sans nuance le recours à la violence des groupes anarchistes présents dans les manifestations contre le G82, et ce d’autant plus qu’elle a conduit les organisateurs des sommets, suite au bilan du sommet de Gênes, à se barricader dans des endroits de plus en plus inaccessibles et donc à éloigner le contre sommet du sommet officiel et de sa cohorte de journalistes3.)

1 On a pu ainsi lire et entendre, dès le lendemain du 11 septembre 2001 : « on ne peut pas ne pas

penser que ceux qui ont perpétré ces attentats pouvaient avoir manipulé quelques-uns des manifestants de Gênes. » (France Inter, 12 septembre 2001) ; « En s’attaquant à un tel symbole [les Twins Towers] les terroristes rejoignent le discours des antimondialistes ». (« La responsabilité au cœur des stratégies publicitaires », Le Figaro économie, 13 septembre 2001) ; « L’horreur de ces avions détournés souligne l’absurdité de cette violence contre la mondialisation. Diaboliser de manière violente les Etats-Unis et les organisations du commerce mondial s’apparente à présent à une entreprise potentiellement meurtrière ». (Herald Tribune, 22 septembre 2001) ; « En France, José Bové fait arracher les cultures sensées être OGM par ses partisans, sous l’œil bienveillant des gendarmes, il démonte le McDo, sous prétexte de battre la mondialisation. Ce n’est pas la même échelle que les attentats de New York, certes, mais cela procède du même esprit. » (Le Figaro, 14 septembre 2001) ; « Il faut aussi combattre cet amalgame qui confond le peuple américain avec le grand Satan des islamistes et des intellectuels : l’impérialisme. » (« L’anti-américanisme tue aussi », Nouvel Observateur, 20-26 septembre 2001, p.63) ; « On nous expliquera demain que, si la taxe Tobin, avait été adopté, Ben Laden aurait retenu ses kamikazes. » (« Tous coupables ? Non ? », Le Monde, 26 septembre). Pour une analyse de ce phénomène de criminalisation, Cf. N. Bayon et J. P. Masse, « L’altermondialisme au prisme de l’exceptionnalisme : les effets du 11 septembre 2001 sur le mouvement social européen », Challenge, mardi 5 octobre 2004

2 Lors du Sommet de Gênes par exemple, les violences ont provoqué la mort d’un manifestant, Carlo Giuliani, fait 230 blessés de part et d’autre, entraîné 280 arrestations et causé des dommages estimés à 40 millions de dollar. La réprobation des ONG fut générale. (Cf. Oxfam International, “Violence doesn't help”, press release, 20 July 2001 ; Drop the Debt, “Verdict on Genoa summit”, press release, 22 July 2001 ; Doctors Without Borders, 'Violence grants no perspectives,' press release, Genoa, 20 July 2001, cités in P. Hajnal, “Civil Society at the 2001 Genoa G8 Summit”, International Journal, Autumn 2001, p.7)

3 Ainsi, l’année suivant le sommet de Gênes, le Canada organisait le sommet dans un village de montagne du Canada accessible par une route unique dûment gardée. En 2003, les Suisses ont dépensé 26,2 millions d'euros pour la sécurité du sommet d’Evian, fermé l'espace aérien au-dessus du Lac Leman et interdit la navigation. « Rien qu'à Genève, précise un journaliste suisse, près de 5 600 soldats, le plus grand déploiement de troupes depuis la Seconde Guerre mondiale, prêteront main-forte à 2200 policiers.3 » En 2004, quand bien même Sea Island est inatteignable par les opposants au sommet, l’armée a installé des batteries de missiles antiaériens Avenger, la marine américaine et des gardes-côtes étaient en patrouille autour de l’île et au moins 20.000 agents et soldats protégeaient le site. Selon l’Atlanta Journal Constitution, « le même système de défense a été mis en place pendant deux ans pour protéger Washington et New York d’attaques terroristes aériennes. » (Cité par P. Randrianarimanana, « Que faut-il attendre du sommet de Sea Island ? », Revue de presse du Courrier international, 8 juin 2004). En 2005 à Gleaneagles, dix ans après le sommet d’Halifax où l’on avait pu voir les délégués déambuler dans la rue, le Royaume-Uni dépense 220 millions d’euros pour la sécurité du sommet. Conséquence directe de ces retranchements : les contre-sommets ont lieu dans des endroits différents – Calgary lors du sommet de Kananaskis, Annemasse lors de celui d’Evian, Brunswick

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Ces nouvelles morales de la guerre et du commerce conduisent logiquement au développement d’un droit parallèle à géométrie variable, avec ses exceptions et ses sauf-conduits, qui ne peut être pleinement efficace sans la remise en question préalable et de ce pilier principal du droit qu’est l’Etat, et de ce droit lui-même.

Le droit Qui dit le droit à l’échelle supranationale ? Avant les grandes expéditions du XVe siècle, le droit international est essentiellement un droit des empires et de la jungle soumis à la volonté du dieu chrétien. Le droit des gens, ou jus gentium (ou Völkerrecht ou encore Law of Nations), qui ne verra le jour qu’après le traité de Westphalie, s'applique aux Etats dans leurs relations mutuelles – et dans une certaine mesure à d'autres entités telles que les organisations intergouvernementales à l’exclusion des groupes privés et des individus. Mise en acte de l’idée selon laquelle les Etats européens sont comme des individus au sein d’une société sans véritable ordre supérieur, c’est lui qui va commencer de régler la coexistence des Etats, puis bientôt leur coopération1. Les institutions internationales sorties de la Seconde guerre mondiale étaient encore pour une large part des institutions du XVIIIe et du XIXe siècle. Il s’agissait de créer un cadre juridique contraignant s’imposant aux Etats, et partant aux conglomérats étatiques, aux entreprises et aux marchés. Le droit faisait la loi, la loi régnait sur tout, par le biais d’une organisation juridique pyramidale qui s’était substituée à la juxtaposition de droits nationaux et de règles coutumières internationales. Certes, ces institutions marquaient une évolution de l’ordre westphalien en permettant l’émergence de la supranationalité dans des domaines d’importance vitale et en reconnaissant l’importance d’acteurs apparus à la fin du XVIIIe, les organisations supranationales non gouvernementales2. Mais les résolutions de l’ONU restaient purement indicatives, les prérogatives étatiques dominaient encore largement et l’abandon de la souveraineté nationale semblait encore impensable en dépit des appels d’un Hans Kelsen à subsumer les droits nationaux sous une Constitution internationale3.

lors de celui de Sea Island et Edinburgh lors de celui de Gleaneagles – et sont donc moins médiatisés.

1 Cf. par exemple E. de Vatel, Le droit des gens ou Principes de la loi naturelle appliqués à la conduite et aux affaires des nations et des souverains, 1758 ; F. von Holtzendorff et A. Rivier, Introduction au droit des gens : recherches philosophiques, historiques, et bibliographiques, 1889

2 L’Union des associations internationales sera créée en 1910, et dès les débuts de la SDN elles s’invitèrent aux réunions. L’OIT (Organisation internationale du travail) reconnut par exemple dès 1919 les associations professionnelles comme des acteurs du jeu international.

3 Les trente-trois Traités signés dans le cadre de la Société des Nations résument en ce sens autant les enjeux de l’époque que la modestie de ses ambitions. Signalons par exemple la Convention concernant certaines questions relatives aux conflits de lois sur la nationalité, le Protocole relatif aux obligations militaires dans certains cas de double nationalité, la Convention destinée à régler certains conflits de lois en matière de chèques, la Convention relative au droit de timbre en matière de lettres de change et de billets à ordre, la Convention internationale pour la répression du faux monnayage, la Convention et Statut sur la liberté du transit, la Convention relative au jaugeage des bateaux de navigation intérieure, la Convention sur l'unification de la signalisation routière, etc. (Cf. entre autres H. Kelsen, Théorie générale des normes, 1979 ;

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Ces institutions sont en quelque sorte condamnées à boiter, non seulement parce qu’elles sont forcément incomplètes1, mais aussi parce que les instruments légaux internationaux n’incluent pas toujours de clauses de vérification et de sanction, ou ne disposent pas des moyens de mener à bien ces tâches2. Enfin parce que le droit est condamné à la lente évolution des mentalités. Quand bien même ils s’en font les hérauts, voire les instigateurs, et qu’ils en sont toujours le référent culturel – car le droit n’est pas, comme le juriste précité l’avait rêvé, qu’une technique de régulation détachée de tout fondements moraux et idéologiques –, les membres du G8 ne se glissent pas sans réticence dans le corset de la législation internationale lorsqu’elle est en leur défaveur3. Le G8 n’est pas schizophrène. En tant que G8 il enjoint l’ensemble des Etats à respecter le droit. Ses membres, eu égard à leurs intérêts et à leurs pouvoirs, ne sont en aucun cas contraints par de telles déclarations, et le plus riche d’en eux le premier. Les Etats-Unis, au regard de leur soutien aux instruments législatifs internationaux, de leur ratification et de leur respect, sont sans doute le principal « Etat voyou » de la planète4.

Cf. ONU, « Traités multilatéraux déposés auprès du Secrétaire général », Partie II, « Traités de la Société des Nations »)

1 Joseph Paul-Boncourt, ancien délégué de la France à la SDN, dira par exemple en 1946 que si la SDN avait été un « tribunal sans gendarme », l’ONU serait un « gendarme sans tribunal ». (Cité par M. Merle, « La presse et l’opinion publique française face à l’ONU », in A. Lewin (Ed), La France et l'ONU depuis 1945, 1995, p.329)

2 Le droit international édicté par l’ONU a ainsi été largement bafoué tout au long de la seconde moitié du XXe siècle. La CIJ (Cour internationale de justice) de La Haye, établie en 1945 par l'article 92 de la Charte des Nations unies selon lequel elle « constitue [son] organe judiciaire principal », devait à l’origine « régler conformément au droit international les différends qui lui sont soumis », soit principalement le non-respect des Conventions internationales. La France en 1974 puis les Etats-Unis en 1986 ont retiré leur déclaration facultative de juridiction obligatoire suite à des décisions contraires à leurs intérêts. De la même manière, la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités entre Etats et organisations internationales ou entre organisations internationales, qui stipule entre autre le caractère obligatoire des traités signés vis-à-vis des Etats parties et réaffirme le devoir de non-ingérence dans les affaires intérieures des membres de l’ONU, n’est toujours pas entrée en vigueur – mais l’article 16 de la Société des Nations sur l’application des Traités a-t-il jamais été respecté ? (« Statuts de Cour internationale de justice », art. 38)

3 Par exemple, ni les Etats-Unis, ni la Russie ni le Japon ne sont parties au Statut de Rome de la CPI (Cour pénale internationale), entrée en vigueur le 1er juillet 2002 et qui a pour mandat de juger les individus et non les Etats, à la différence de la CIJ. La Convention internationale pour la répression des actes de terrorisme nucléaire, lancée à l’initiative de la Russie, n’a été à l’heure actuelle ratifiée, d’entre les membres du G8, que par celle-ci. Les non membres du G8 ne sont pas en reste et critiquent, pour certains, les droits de l’homme hier et ceux de l’environnement aujourd’hui comme autant d’obstacles à leur développement dont n’ont pas ou que peu souffert les membres du G8.

4 Pour les références à suivre, cf. Site des Traités des Nations unies ; « États-Unis d'Amérique. Traités : Ratifications et réserves » in Internet des droits humains, Bilan des droits de la personne : le système des Nations unies, publication réalisée par l'Internet des droits humains en collaboration avec le Ministère canadien des Affaires étrangères et du Commerce international, 2003 ; Ministère des Affaires étrangères français, « Liste des accords multilatéraux dans le domaine de l’environnement », janvier 2005

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Premièrement, les Etats-Unis ont refusé leur signature à de nombreux textes juridiques internationaux1. Non contents de ne pas ratifier ces instruments de droit international, ils se sont dans certains cas battus contre leur signature2. Ensuite, les Etats-Unis peuvent ne ratifier que très tardivement certains instruments juridiques internationaux3. Et quand ils le font enfin, ils conditionnent généralement leur adhésion, tout comme la plupart des membres du G8, à l’introduction de clauses affirmant la primauté de leur Constitution nationale, ce qui leur permet virtuellement, selon leur interprétation de celle-ci, de s’opposer à l’application de n’importe quel traité international4. Cela les autorise même à retirer leur signature, contrairement aux usages du droit international5. Enfin, la ratification de ces instruments n’entraîne évidemment pas leur plus total respect. Les Etats-Unis sont rarement les seuls membres du G8 à n’avoir pas signés ou ratifié les instruments susmentionnés, et les engagements pris par les membres du G8, l’étant la plupart du temps sans l’accord de leur Parlement, n’ont qu’une valeur oratoire6. Les seules cinq dernières années nous en donnent nombre d’exemples.

1 Entre autres, ils n’ont pas ratifié à ce jour le Traité d’Ottawa sur les mines antipersonnelles, le

Traité d'interdiction complète des essais nucléaires (la Russie non plus), la Convention relative aux droits de l’enfant (seul pays au monde avec la Somalie), la Convention pour l'élimination de toutes les formes de discriminations à l'égard des femmes, le Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, le traité d’interdiction complète des essais nucléaires, la Convention sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités, les principaux instruments internationaux traitant des produits et déchets toxiques (la Convention de Bâle et ses amendements, la Convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants, la Convention de Rotterdam sur la procédure de consentement éclairé préalable en matière de commerce international des pesticides et produis chimiques dangereux), ou encore la Convention d’Espoo sur l'évaluation de l'impact sur l'environnement dans un contexte transfrontalier.

2 C’est le cas de la Convention sur la préservation des forêts, au Protocole de Kyoto, du Statut de Rome permettant la mise en place de la Cour pénale internationale et de la Convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. A ce jour, parmi les membres du G8, seuls le Canada et la France l’ont ratifiée, quand bien même, Lors du sommet d’Okinawa, ils avaient rappelé en chœur : « Nous reconnaissons et respectons l'importance de la diversité dans l'expression linguistique et créatrice. Nous saluons le travail réalisé dans ce domaine par les organisations internationales, et en particulier celui de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO). » (G8, « Communiqué », Okinawa, 23 juillet 2000 ; Cf. UNESCO, « Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Liste des Etats parties », Paris, 20 octobre 2005)

3 Ainsi le Pacte relatif aux droits civils et politiques, adopté par l’ONU en 1966, n’a été ratifié par le Congrès américain qu’en 1992.

4 A cet égard, les Etats-Unis ont soumis leur ratification de la Convention sur la pêche et la conservation des ressources biologiques de la haute mer à la condition que « cette ratification ne devra pas être interprétée comme portant atteinte à la faculté d'appliquer le principe d'abstention » ; soit, en termes non-diplomatiques, à la condition de leur permettre de ne pas appliquer la Convention en question. (ONU, « Convention sur la pêche et la conservation des ressources biologiques de la haute mer », Genève, 29 avril 1958)

5 Ainsi se sont-ils retirés en 2001, par exemple, du traité ABM (Anti Ballistic Missile Treaty) de 1972. 6 Mais faut-il rappeler que le Sénat américain n’a jamais ratifié le traité de Versailles, et que par

suite les Etats-Unis n’ont jamais intégré la SDN alors que le président Wilson en avait été le plus ardent promoteur ?

Le G8, l’Etat, le marché

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Les résolutions peuvent être signées, les conventions ratifiées, le respect du droit international par les membres du G8 n’est pas garanti pour autant. Bafoué, il l’est aussi bien au niveau de l’ONU, nous l’avons vu, de l’OMC, par exemple dans le cas des subventions agricoles et à l’exportation, ou encore des IFI, dont les membres du G8 sont loin d’appliquer à la lettre les préceptes. Au-delà de la confirmation de l’existence d’un droit à deux vitesses, la principale conséquence du non respect du droit international est sa relégation au rang de norme parmi d’autres1. Pour exemple de l’existence de ces doubles standards, le G8 range régulièrement dans la catégorie de « dépenses improductives2 » les dépenses de défense, suivant en ce sens l'article 26 de la Charte des Nations unies entend « favoriser l'établissement et le maintien de la paix et de la sécurité internationales en ne détournant vers les armements que le minimum des ressources humaines et économiques du monde ». Pourtant, entre 2004 et 2008, les dépenses militaires représentent près de la moitié du budget discrétionnaire américain, soit en moyenne 400 milliards de dollars, contre moins de 60 milliards pour l’éducation et moins de 70 pour la santé3. Tous les membres du G8 à l’exception du Canada figurent parmi les dix pays ayant les plus importantes dépenses militaires dans le monde4. En 2003, les pays du G8 abritaient les vingt-cinq plus grandes firmes mondiales de l’armement et soixante-dix-huit parmi les cents premières5, réalisant aujourd’hui à eux huit 90 % des exportations d’armes dans le monde. Sur les cinq pays européens qui ont réalisé, en 2001, un tiers des exportations d’armes légères dans le monde, quatre sont membres du G8. Outre Atlantique, selon un chercheur français, « plus de 80 % des armes légères confisquées au Mexique à la suite de crimes, et pratiquement toutes les armes légères récupérées en Jamaïque, trouvaient leur origine aux Etats-Unis6 », où 200 millions d’armes légères sont en circulation. Et grâce en grande partie à la Russie, quatrième exportateur d’armes dans le monde, on compte dans les Balkans une arme légère pour trois habitants7. Dans ce contexte, il est compréhensible que le G8, réuni à Denver en 1997, ait promis de « lutter contre le trafic illicite d'armes à feu, en envisageant un nouvel instrument international8 ». Le 31 mai 2001 c’était chose faite : l’Assemblée générale des Nations unies adoptait une résolution contre la fabrication et le trafic illicite d’armes à feu, de leurs pièces,

1 Dans les discours du G8, les lois internationales mêmes sont généralement désignées comme des

normes. Les déclarations officielles du G8 n’emploient par exemple jamais le terme de « droit du travail » mais, systématiquement, celui de « normes fondamentales du travail ».

2 G7, « Communiqué », Halifax, 16 juin 1995 ; _ « Communiqué économique : Réussir la mondialisation au bénéfice de tous », Lyon, 28 juin 1996 ; G7, « Communiqué », Denver, 22 juin 1997

3 Relevant directement du Congrès, le budget discrétionnaire compte pour un tiers du budget total des Etats-Unis. (Source : US Office of Management and Budget, “Summary Tables”, The Executive Office of the President, Washington D.C.)

4 Source : Stockholm International Peace Research Institute, SIPRI Yearbook 2006, “Chapter 8. Military expenditure”

5 Source : “The 100 largest arms-producing companies, 2004”, in Stockholm International Peace Research Institute, SIPRI Yearbook 2005

6 B. Valverde, « Le trafic illicite d’armes légères », Université Paris I, septembre 2004, p.46 7 Source : International Action Network on Small Arms 8 G7, « Communiqué », Denver, 22 juin 1997

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éléments et munitions1. Bien que chaudement souhaité par le G8, ce Protocole additionnel à la Convention contre la criminalité transnationale organisée n’a été signé ni par la France, ni par les Etats-Unis ni par la Russie, et n’a été ratifié que par l’Italie. Pour sa part, la Convention elle-même n’a toujours pas été ratifiée par le Japon2. Et les Etats-Unis se sont, cette année encore, opposés à la Convention des Nations unies pour mettre un terme au trafic illicite d'armes légères et de petit calibre, arguant que cela irait à l'encontre des droits des citoyens à posséder des armes légères, et refusent toute mesure qui empêcherait les gouvernements de livrer ce type d'armes à des mouvements rebelles.

Les institutions publiques Tel serait l’Etat, en ce début de XXIe siècle : un pouvoir qui n’a plus rien de divin mais qui, trop humain, fait apparaître ses limites, ses contraintes, son irréductible instabilité, et finalement son impuissance. L’histoire de l’Occident depuis le XVIIe siècle serait, à y regarder encore, autant celle d’une étatisation des sociétés que de leur résistance à ce phénomène. L’économie, aune de la puissance étatique au XVIIe siècle, va logiquement devenir l’argument et l’instrument de sa limitation un siècle plus tard. Dès le début du XVIIe siècle, l’inflation institutionnelle de l’Etat a été combattue par les mercantilistes, l’économie politique devenant la discipline critique de l’omnipotence étatique3. Le libéralisme sera ce plaidoyer pour un moindre gouvernement, et une réflexion sur les moyens d’y parvenir. Deux instruments majeurs se détacheront : d’une part le marché, qui selon les physiocrates doit être le juge de la politique et le principe des lois. De l’autre, la société elle-même, que des penseurs comme Hegel et Ricardo distingueront de l’Etat. Cette « société civile », dans l’esprit de ses nouveaux théoriciens, est régie par des lois essentiellement économiques auxquelles elle doit soumettre l’Etat4. L’idéal d’une organisation politique mondiale qui a couru du XVIIe au XXe siècle s’est d’abord heurté à la réalité de l’équilibre européen. Depuis la seconde guerre mondiale et la création de l’OECE (Organisation européenne de coopération économique) en 1948 puis l’année suivante du Conseil de l’Europe, cet équilibre n’est plus la grande affaire. La balance qui se trouve brisée au début des années 70, la stabilité perdue qui a conduit à la création du G8 et qu’il entend retrouver, c’est celle du marché mondial. Ici encore, le marché va être utilisé pour contrecarrer la puissance publique. Le G8 est en effet, depuis ses débuts, obsédé par la recherche d’un équilibre qui concerne moins les blocs de l’Est et de l’Ouest que les marchés. S’il va ôter à l’ONU

1 « Protocole contre la fabrication et le trafic illicites d'armes à feu, de leurs pièces, éléments et

munitions, additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée », ONU, New York, 31 mai 2001

2 « Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée », ONU, New York, 15 novembre 2000

3 Cf. M. Foucault, Sécurité, territoire, population, Cours au Collège de France, 1977-1978, 2004 4 La société civile est aujourd’hui généralement redéfinie, dans la continuité de ces premières

lumières, comme une société de consommation. Pour Ulrich Beck par exemple, la pièce centrale de la société civile est le « consommateur politique ». La nouveauté, c’est que cette société de consommateurs ne s’opposent plus seulement à l’Etat mais aussi aux secteurs financiers et marchand. (U. Beck, Pouvoir et contre-pouvoir à l’ère de la mondialisation, 2003, p.34)

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ses prérogatives, s’il en extraira les institutions de Bretton Woods puis en fera, au même titre que l’ONU, des organisations supranationales parmi d’autres, s’il va soutenir fermement le GATT et contribuer à la création de l’OMC, c’est encore et toujours de stabilité macroéconomique qu’il s’agit. Les autorités publiques, loin d’être dissoute dans l’ordre du marché, sont nécessaires à l’instauration d’un environnement propice son épanouissement1. Elles ne peuvent cependant y suffire et se montrent à l’occasion bien inefficaces2. Le dernier quart du siècle assistera en ce sens à la remise en cause de la capacité des autorités publiques à résoudre les crises économiques et à prévenir leurs néfastes retombées. Après quarante ans de protectionnisme, les thèses néolibérales en profiteront pour préconiser la totale soumission du gouvernement à l’économie. A elle de fonder le gouvernement, de produire le droit public, d’organiser l’adhésion des citoyens-agents à leur système de gouvernement et de rendre intelligible le social. Le marché, ce lieu privilégié de l’intervention étatique depuis le Moyen Age, ne va pas s’autonomiser un peu plus par rapport à lui, mais l’annexer presque entièrement. Alors que les instances publiques étaient la base du système juridique international, l’ordre du marché obéit à sa propre architecture normative, et le G8 va en ce sens organiser le contournement des organismes juridictionnels publics au profit d’instances de normatisation privées. Ce n’est que lors du sommet d’Halifax en 1995, où fut abordée pour la première fois formellement la question de la réforme du système international, que le G7 a fait montre de sa volonté de travailler plus profondément au travers d’institutions internationales réformées selon ses vues. Six mois après l’entrée en vigueur de l’OMC, ce signal n’était sans doute pas inutile. Mais le système international, dominé par ses membres, ne pouvait être le seul instrument de la contre-réforme libérale initiée par le G7. Qu’on en juge : l’ONU ? conquise par ses nouveaux membres ; le FMI ? diminué par l’abandon de la parité fixe des monnaies ; la Banque mondiale ? dominée par les keynésiens ; le GATT ? foncièrement lent à la tâche, restreint dans sa composition et son champ d’action, attaqué de toutes parts. Limitation de l’ONU à la sécurité, réorientation des IFI vers l’environnement humain et institutionnel du marché, renforcement du GATT puis OMC seront les trois axes de la refonte du système international entreprise par les membres du G7. Premièrement, les institutions internationales, modelées selon l’image et la volonté de leurs Etats fondateurs, se sont d’abord voulues porteuses d’une paix réduite à un cessez-le-feu et garantie par le droit, source supposée de tout équilibre depuis la

1 La dénationalisation de l’économie et l’autonomisation de la sphère marchande expérimentées en

Amérique latine et menées en Amérique du Nord, en Europe occidentale puis occidentale et centrale, enfin en Afrique, sont par exemple l’œuvre des Etats. Dans le cas du G8, la privatisation des entreprises dont le capital est majoritairement détenu par l’Etat a été opérée en masse aux Etats-Unis dans la deuxième moitié des années 70, au début des années 80 en Angleterre puis en France, en Italie et en Allemagne.

2 C’est du moins l’avis de la Commission française des finances, pour qui, « en réaction à la globalisation de l'économie, la réponse politique ne peut en effet que dépasser le cadre étatique traditionnel. » (Commission des Finances, de l’Economie générale et du Plan, « Rapport d’information sur la régulation de la mondialisation financière », enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 14 juin 2000)

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naissance des pensées contractuelles au XVIIe siècle1. Si elles ont rarement taillé de toutes pièces un droit international, elles ont capté puis codifié une morale des relations internationales, droit coutumier doté de l’autorité que l’habitude confère à certains arrangements. Dans la seconde moitié du XXe siècle, de même que l’Etat avait capté, depuis le XVIe siècle, le champ et les instruments du pouvoir, l’ONU et les organisations régionales vont de la même manière « supranationaliser » des instruments de régulation privés et publics2. A la différence de la SDN, qui restait une organisation à dominante européenne et au champ d’action modeste, l’ONU se voudra un organisme mondial dans sa composition et transversal dans ses attributions. Une sorte d’organisation totale. L’histoire a montré que plus l’institution s’accroissait en membres, plus se fondateurs en limitaient le mandat, plus elle se subdivisait en différentes branches et plus elle saucissonnait sa prétention à l’universalité. Selon le premier article de sa Charte, l’ONU a pour objectifs de maintenir la paix et la sécurité internationales, de développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l'égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes, de réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes internationaux d'ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire et enfin d’être un centre où s'harmonisent les efforts des nations vers ces fins communes. De ces objectifs ne semblent demeurer aujourd’hui qu’une préoccupation pour la lutte contre le terrorisme et le maintien de la paix3. Les membres du G7 n’ont pas voulu recréer une ONU bis, bien au contraire, et le forum a été fondé moins en réaction qu’en parallèle de l’organisation. Il n’aura donc de cesse, depuis sa création, non pas tant de la concurrencer que de la vider de sa substance4. Disposant de trois puis quatre des cinq veto du Conseil de sécurité, 1 Encore au milieu du XXe siècle, le droit de la guerre instauré à Nuremberg devait être, selon ses

concepteurs, au fondement du nouvel ordre international. 2 Par exemple, l’UIT (Union internationale du télégraphe), organisme privé créé en 1865, sera

rattachée à l’ONU en 1947, de même que l’OMM (Organisation météorologique internationale), née en 1873 et internationalisée en 1947 aussi, l’UPU (Union postale universelle), constituée en 1874 et internationalisée en 1948, ou encore l’UIOOPT (Union internationale des organismes officiels de propagande touristique), fondée en 1925 et internationalisée en 1975. Les ensembles régionaux et les Banques régionales qui se multiplient à partir de la fin des années 50 vont, à des degrés divers, internationaliser des fonctions nationales comme l’émission de monnaie ou le contrôle des changes et des frontières.

3 L’ONU reste, selon un communiqué de 2007, la « seule organisation ayant l'envergure et le champ d'action nécessaires pour parvenir à un accord universel sur la condamnation du terrorisme et pour traiter efficacement les principaux aspects de la menace terroriste d'une manière globale ». La même année, un autre communiqué réaffirmait « le rôle essentiel du Conseil de sécurité des Nations Unies pour relever le défi de la prolifération » et la « nécessité cruciale de veiller au respect du système multilatéral des traités ». (G8, « Rapport sur le Soutien du G8 à la lutte antiterroriste des Nations unies », Heiligendamm, 8 juin 2007 ; _ « Déclaration de Heiligendamm sur la non-prolifération », Heiligendamm, 8 juin 2007)

4 On peut lire dans le communiqué de 1996 que « les domaines d'intervention prioritaires pour les Nations Unies sont notamment l'éradication de la pauvreté, l'emploi, le logement, la fourniture de services de base, tout particulièrement ceux qui sont liés à l'éducation et à la santé, la protection du statut de la femme et de l'enfant et l'aide humanitaire dans son ensemble. Les Nations unies ont également un rôle fondamental à jouer pour la promotion de la démocratie, des droits de l'homme et de l'Etat de droit, la protection de l'environnement, l'aide d'urgence et la stabilisation après un conflit, l'assistance technique destinée à faciliter la participation des pays les plus

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actionnaires majoritaires, principaux pourvoyeurs de fonctionnaires, rédacteurs des résolutions majeures, réformateurs à l’occasion, les membres du G8 ont toujours gardé un réel pouvoir d’influence sur l’institution. Il est très probable que la grosse machine bureaucratique onusienne1 ait présenté aux yeux des fondateurs du G6 l’autre désavantage d’être envahie par les pays nouvellement indépendant qui en avaient fait une tribune pour leur revendications économiques et qui, loin d’en renverser le fonctionnement, l’alourdissait encore un peu plus2. Parmi les expériences institutionnelles dont le G7 a tiré leçon, il est sûr que l’ONU a moins fait figure de modèle que de contre-exemple. Sous le patronage des Etats-Unis, le G7 a sorti les IFI de l’ONU, marginalisé l’Assemblée générale et le Conseil économique et social ainsi que les pays du Sud investis dans les questions de développement, asphyxié financièrement l’institution en basant ses ressources non plus sur des estimations budgétaires mais sur des contributions volontaires3, et finalement réduit son mandat à la sécurité1, c’est-à-dire

pauvres aux échanges commerciaux et financiers internationaux. » Si l’on compare ce mandat à la Charte des Nations unies, il y a lieu de parler de minoration. En effet, selon le premier article de celle-ci, l’ONU a pour objectifs de maintenir la paix et la sécurité internationales, de développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l'égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes, de réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes internationaux d'ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire et enfin d’être un centre où s'harmonisent les efforts des nations vers ces fins communes. L’Assemblée générale de l’institution, semble-t-il en deuil de ces ambitions, admettait en 2005 devoir « transformer l’ONU en cet instrument de prévention des conflits qui a toujours été sa vocation ». (G7, « Communiqué économique : Réussir la mondialisation au bénéfice de tous », Lyon, 28 juin 1996 ; Assemblée générale des Nations unies, « Dans une liberté plus grande : développement, sécurité et respect des droits de l’homme pour tous », Rapport du Secrétaire général, 24 mars 2005, p.30)

1 Il est vrai qu’avec son secrétariat divisé en quatorze départements et bureaux, ses quinze institutions spécialisées, ses quatre conseils, ses sept fonds, ses six programmes, ses cinq instituts de recherche et de formation, ses six organisations subsidiaires, ses deux tribunaux pénaux ad hoc, son université, sa conférence, son haut-commissariat, sa Cour internationale de Justice, ses trois offices, ses huit commissions techniques, ses cinq commissions régionales, ses comités permanents et organes ad hoc, ses quatre organisations apparentés, ses plus de cent trente représentations dans le monde, ses deux mille cinq cent organisations non gouvernementales affiliées, ses entreprises accréditées et autres organismes, instances, forums divisions et sous divisions, le tout rassemblant quelques cinquante mille fonctionnaires, l’ONU semble aussi inadaptée aux défis du XXIe siècle qu’un tank Sherman aux combats de rue.

2 En avril 1974, le discours du Président algérien Boumediene à l’Assemblée générale des Nations unies, qui justifiait la reprise en main par les pays du tiers monde de leurs richesses propres, est souvent considéré comme la seconde entrée sur la scène diplomatique du « Sud » après la Conférence de Bandung en 1955. Cette intervention conduira en effet à l’approbation, la même année et par cette même Assemblée, d’une Déclaration et un Programme d’action pour un nouvel ordre économique international (NOEI) ainsi qu’une Charte des droits et devoirs économiques des Etats, qui proclamait leur souveraineté sur leurs ressources naturelles.

3 En 1991, on lit ainsi sous la plume du G8 : « Revitalisées, les Nations unies auront un rôle central à jouer dans le renforcement de l'ordre international. Nous nous engageons à rendre les Nations unies plus fortes et plus efficaces en vue de protéger les Droits de l'Homme, de sauvegarder la paix et la sécurité pour tous et de dissuader l'agression. » A l’époque de cette déclaration, les Etats-Unis ont plus de 250 millions de dollars d’arriérés auprès de l’ONU. Ils lui en doivent aujourd’hui un milliard, sur un budget annuel s’élevant de nos jours, pour l’organisation et de ses

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au développement et au « maintien de la paix2 ». De fait, au cours des années 70, l’ONU fut déclarée incompétente en matière de politique macroéconomique, de régulation financière et monétaire, de commerce, de gestion du règlement de la dette externe et de politique de développement au profit des institutions de Bretton Woods, de l’OCDE, de l’OTAN et du GATT3. Telle est l’incompréhension logique que peut susciter l’histoire de l’ONU : comment le Conseil d’administration du monde a-t-il pu devenir son simple agent de sécurité ? L’ONU a semble-t-il été si décrédibilisée qu’elle est même attaquée dans ses derniers retranchements sécuritaires4. En dépit d’un discours légaliste et révérencieux5, le G7 ne semble reconnaître à l’ONU que l’importance d’un simple

agences, à 20 milliards de dollars – somme qui équivaut à 0,075 % des PNB réunis des membres du G8. Les sommet d’Halifax, de Lyon et de Denver ont eu beau rappeler entre temps que « le système des Nations unies doit reposer sur une ferme assise financière, ce qui exige le paiement intégral et en temps opportun », il est toujours en déficit chronique. Et le meilleur moyen de le combler n’est pas, à en croire les déclarations du G7, d’être à jour de contribution, mais d’en réduire le budget. A cet égard, « des réductions des dépenses et du personnel [ont été] envisagées » pour l’exercice 1996-1997. (G7, « Déclaration politique », Londres, 17 juillet 1991 ; G7, « Communiqué », Denver, 22 juin 1997 ; G7, « Déclaration du Président : Pour plus de sécurité et de stabilité dans un monde plus solidaire », Lyon, 29 juin 2006)

1 L’ONU est ainsi passée en soixante ans de la Collective security (non agression et défense commune face à l’agression) à la Comprehensive security (désarmement, démobilisation, démilitarisation), pour aboutir à la Human security (satisfaction des besoins fondamentaux et préservation de l’environnement). Sa réforme à venir consistera dans l’ensemble à adopter la doctrine de la Global security (lutte contre les « menaces contre la sécurité », soit les menaces d'ordre économique et social au premier rang desquelles la pauvreté, les conflits entre Etats, les conflits internes, les armes nucléaires, radiologiques, chimiques et biologiques, le terrorisme et la criminalité transnationale organisée).

2 « Nous croyons, annonçait le premier Ministre canadien en 1995, que le moment est propice a un examen – par les Nations unies et leurs Etats membres – du rôle futur de cette organisation. […] Le maintien de la paix est une fonction vitale de l'ONU. » Pourtant, la notion de maintien de la paix ne figure pas plus dans la Charte de l’ONU que les termes de terrorisme et de crime organisé. Elle a été inventée par l'ancien secrétaire général Dag Hammarskjöld et le Canadien Lester Pearson pour mettre fin à la guerre de Suez en 1956. Elle sera utilisée durant la suite de la Guerre froide pour contourner la paralysie du Conseil de sécurité. (J. Chrétien, « Remarks by Prime Minister Jean Chrétien », Halifax, 17 juin 1995)

3 Non contentes de marginaliser l’ONU, certains membres du G7 lanceront contre elle à la fin des années 70 une campagne diffamatoire consistant à la décrédibiliser en matière de politique économique, de régulation financière, monétaire et commerciale et de règlement de la dette extérieure. En matière militaire, cette marginalisation des Nations unies a eu lieu dès 1949 avec la création de l’OTAN. Les pays du tiers monde ont eux aussi leur part de responsabilité, puis c’est sur leur insistance que l’ONU se recroqueville, à partir des années 70, sur des débats souvent purement économiques.

4 Rôle auquel l’ONU a bien dû se résigner, comme en témoigne l’important rapport de personnalités mandatées par le Secrétaire général de l’institution, qui place au premier rang de ses préoccupations les questions de sécurité. (Cf. High-Level Panel on Threats, Challenges and Change, « Un monde plus sûr : notre affaire à tous », ONU, 2 décembre 2004)

5 En 1994, dans la déclaration du président du G8, le Premier Ministre italien avait par exemple affirmé : « Nous soulignons l'importance du consentement de toutes les parties dans les opérations de maintien de la paix et réitérons la nécessité de respecter en toutes circonstances la souveraineté et l'intégrité territoriale. Nous mettons également l'accent sur le fait qu'un mandat

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guide, d’un référent, d’un exemple, et point du tout celle d’un chef1. Le Kosovo et la Seconde Guerre d’Irak sont à cet égard emblématiques, l’OTAN et plus encore les Etats-Unis paraissant résignés à faire de l’ONU une organisation parmi d’autre, sinon à la réduire à néant2. L’ONU, IFI incluse, OMC exclue, est réduite aux opérations de police et de développement3. Et encore, même le champ du développement lui est disputé par le G8, qui a par exemple créé son propre fonds de lutte contre les maladies infectieuses seulement trois mois après le lancement d’un mécanisme onusien similaire ; et même sa fonction centrale de forum de discussion lui est contestée par les ensembles régionaux et les groupes d’intérêts informels dont le G8 a encouragé la création. Deuxièmement, les institutions de Bretton Woods ont longtemps constitué, en dépit de la fin de leur système, une pièce importante des stratégies du G7. De manière générale, le G8 a constamment cherché à confiner les IFI dans les limites leur mandat, tout en essayant de le modifier en faveur des mécanismes du marché4. Les

des Nations unies est nécessaire quand les forces de maintien de la paix peuvent être confrontées à la nécessité de faire usage de la force au-delà des exigences de l'autodéfense. » (G7, « Déclaration politique », Naples, 10 juillet 1994)

1 Des déclarations du G8 affirment par exemple en 1985, 1992, 1994, 2002, 2003 et 2004 la nécessité de réaliser les opérations de maintien de la paix « conformément à la Charte des Nations unies », mais pas forcément de le faire sous mandat de l’ONU ni même avec son accord.

2 En 1975, l’ONU est par exemple absente du grand débat qui aboutira à la signature de l’Acte final de la Conférence d’Helsinki ; elle ne joue aucun rôle dans le règlement du conflit vietnamien, ni dans le rapprochement israélo-égyptien qui débouchera sur les Accords de Camp David en 1978. Ses Casques bleus sont bousculés par l’armée turque à Chypre en 1974 puis en 1982 à la frontière du Liban par les forces israéliennes. En 1979, sa condamnation de l’invasion soviétique de l’Afghanistan sera sans effet. En 1991, elle sera exclue du règlement du conflit israélo-palestinien, qui va se dérouler sur les seules auspices des Etats-Unis. Douze ans plus tard, au moment de l’invasion de l’Irak par les forces américano-britanniques, on a même pu entendre en ce sens, dans la bouche d’un néo-conservateur francophile très influent à Washington, : « Merci, mon Dieu, pour la mort des Nations unies ». Ce qui mourra avec Saddam Hussein, continuait le conseiller du Pentagone, « c’est le mythe des Nations unies comme fondement d’un nouvel ordre international », ruines dont il faudra cependant extraire, conserver et comprendre « les décombres intellectuels du concept libéral de sécurité atteint par un droit international et appliqué par des institutions internationales ». (R. Perle, "Thank God for the death of the UN", The Guardian, 21 mars 2003)

3 « Les institutions multilatérales, précise la déclaration économique de 1995, jouent un rôle capital en assurant un leadership intellectuel, en fournissant des avis stratégiques et en mobilisant des ressources au profit des pays déterminés à parvenir au développement durable. L'ONU et les institutions de Bretton Woods devraient s’appuyer sur leurs points forts respectifs. L'ONU offre un forum unique pour la réalisation d'un consensus sur les priorités globales, défend les valeurs fondamentales et répond aux besoins développementaux et humanitaires. Les institutions de Bretton Woods ont un rôle particulier à jouer pour promouvoir la stabilité macroéconomique, favoriser l'instauration d'environnements propices au développement durable et pour mobiliser et transférer des ressources aux fins du développement. » (G7, « Communiqué », Halifax, 16 juin 1995)

4 « Nous encouragerons le FMI et la Banque mondiale, confirme la déclaration économique de 1995, à se concentrer sur leur mandat premier (de façon générale, la politique macro-économique pour le FMI et les politiques structurelles et sectorielles pour la Banque mondiale) ». (G7, « Communiqué », Halifax, 16 juin 1995)

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grands pays industrialisés ont, en particulier, fait du FMI le fer de lance de l’ouverture des bases de données économiques et des marchés des pays non membres du G71. Notamment sous l’influence de Keynes, le mandat initial du FMI était de renforcer la stabilité mondiale et de veiller à ce que les pays menacés d’une récession eussent les moyens financiers de mettre en œuvre des politiques expansionnistes. Si le G7, par ses recommandations, a quasiment retourné les mandats du FMI en le transformant en machine à imposer les principes du libéralisme économique, il n’a jamais pu modifier ses statuts en ce sens. Ce n’est pas faute de ne pas avoir essayé. A Denver, en 1997, la déclaration du G7 note par exemple : « D'ici les prochaines réunions annuelles de la Banque mondiale et du FMI à Hong Kong, nous tenterons de parvenir à un accord de fond sur les éléments clés d'un amendement aux Statuts du FMI qui donnerait à celui-ci le mandat précis de favoriser la libéralisation des comptes de capital pour relever les nouveaux défis des marchés financiers mondiaux. Nous sommes satisfaits des progrès réalisés par le FMI quant au renforcement du contrôle et à l'amélioration de la transparence. En accordant une attention accrue aux problèmes du secteur financier qui pourraient avoir des effets macro-économiques sensibles et en favorisant la saine gestion des affaires publiques et la transparence, le FMI aidera à prévenir les crises financières.2 » Dans une recommandation publiée en septembre 1997 – soit deux mois après le déclenchement de la crise asiatique – par le Comité intérimaire, où siègent que vingt-quatre gouverneurs pour cent quatre-vingt-un membres, « le Conseil d’administration est invité à achever ses travaux sur un projet d’amendement des Statuts du FMI qui ferait de la libéralisation des mouvements de capitaux l’un des buts de l’institution et étendrait par voie de conséquence son domaine de compétence en établissant pour les pays membres des obligations soigneusement définies et appliquées avec cohérence en matière de libéralisation desdits mouvements de capitaux. » L’année suivante, le Rapport annuel du FMI mentionne la tenue d’un séminaire réunissant « des hauts fonctionnaires gouvernementaux et des représentants du secteur privé, des milieux universitaires et d’organisations internationales, ainsi que des hauts fonctionnaires du FMI et des membres de la direction et du Conseil 1 En 1998, alors que la crise financière asiatique s’étend à l’Amérique latine, le G8 continue

d’affirmer que « la stabilité pourra être rétablie moyennant la mise en oeuvre intégrale des programmes convenus avec le FMI. » En 2000, alors que le FMI avait perdu un peu plus de son prestige suite aux nombreuses crises financières de la fin des années 90, le G8 le présentait encore comme une « institution universelle ». Les évolutions récentes tendent à faire reconnaître que l’institution n’a plus qu’une importance de second rang. Le montant des prêts octroyés par le FMI est passé de 103 à 20 milliards entre 2003 et 2006. Entre 2005 et 2007, le Brésil, l’Argentine, la Serbie, l’Uruguay, les Philippines, l’Indonésie et le Venezuela ont ainsi remboursé la totalité de leur dette, marquant par là leur souhait de se libérer de sa tutelle. Plus encore, verrons-nous plus loin, le FMI a été progressivement contourné par des instances comme le G10 puis le Comité de Bâle, le FSF, le G20 et le GAFI, mais également l’OMC. (G8, « Communiqué », Birmingham, 17 mai 1998 ; G7, « Déclaration du G7 », Okinawa, le 21 juillet 2000)

2 G7, « Relever les défis financiers et économiques mondiaux : déclaration des Sept au sommet de Denver », Denver, 21 juin 1997 Conformément à l’avis du Comité intérimaire du FMI : « Le Comité intérimaire a adopté lors de sa réunion d’avril 1997, ce qui constitue une étape importante, le concept d’un amendement des Statuts investissant formellement le FMI de la mission de promouvoir la libéralisation des mouvements de capitaux et donnant au FMI les compétences appropriées en matière de mouvements de capitaux. » (Fonds monétaire international, Rapport annuel 1997, 1997, p.43)

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d’administration. » Selon le rapport, « en dépit de l’énorme enthousiasme, manifesté en faveur d’un amendement des Statuts par les représentants des organismes tant officiels que privés1 », celui-ci n’aura pas lieu. Des doutes subsistent en effet sur la nécessité de modifier les Statuts pour libéraliser, les plans d’ajustement structurels le permettant déjà. Afin de renforcer ce dispositif, les membres du G8 ont fait savoir en juin 1997 « qu'il serait avantageux pour tous les pays membres de l'OMC de conclure, avant la fin de la présente année, une entente sur les services financiers2 ». Six mois plus tard, un accord « historique » sur la libéralisation des services financiers était effectivement conclu à l’OMC3. Ne devant bénéficier qu’à l’Europe et aux Etats-Unis, les pays pauvres n’étant pas concurrentiels en la matière, cet accord aura pour effet d’affaiblir les réglementations publiques des marchés des capitaux des pays émergents alors en récession et de marginaliser un peu plus le FMI tout en renforçant l’OMC. Sous l’impulsion, à partir de 1995, du Secrétaire au Trésor américain Robert Rubin, et à la suite des crises financières des années 90, qui ont fait « ressortir les lacunes dans [leur] dispositif institutionnel4 », les membres du G7 ont entrepris de renforcer le système financier international5. Ce renforcement a moins consisté à soutenir le FMI qu’à étoffer l’agenda des rencontres supranationales, à accroître le rôle du secteur privé et des marchés de capitaux, à édicter des codes, des normes et des règles de procédures ou encore à créer ces deux instances supranationales privées que sont le G20 et FSF6. Troisième organisation prévue par les accords de Bretton Woods, l’OIC (Organisation internationale du commerce) n’a jamais vu le jour bien que sa charte ait été approuvée en mars 1948. Comme dans le cas de la SDN, le Congrès américain rejette une innovation dont son exécutif est à l’initiative. Le GATT, la même année, prendra en charge la question des obstacles douaniers aux commerces de biens. Ses Rounds de négociation seront constamment soutenus par le G7.

1 Fonds monétaire international, Rapport annuel 1998, 1998, pp.84, 83 et 86 2 G7, « Relever les défis financiers et économiques mondiaux : déclaration des Sept au sommet de

Denver », Denver, 21 juin 1997 3 « L’OMC conclut un accord historique sur les services financiers », OMC Focus, décembre 1997,

pp.1-2 4 G7, « Communiqué », Halifax, 16 juin 1995 5 En 2003 encore, Chirac parlait de la nécessité d’« assurer des progrès dans le fonctionnement des

marchés financiers internationaux ». (J. Chirac, « Propos introductifs du Président de la République , lors de la réunion de travail avec les organisations syndicales dans le cadre de la préparation du Sommet du G8 à Evian », Palais de l'Elysée, 25 avril 2003)

6 En 1994 et 1995, l’effondrement des marchés financiers au Mexique a en effet montré « l'importance d'une intervention énergique pour contrer de telles crises ». Selon les ministres des Finances du G7, le renforcement du système financier international passe par quatre séries de mesures : a) la participation du secteur privé à la prévention et au règlement des crises, b) la surveillance et la mise en oeuvre de normes et de codes, c) l’accès aux marchés de capitaux et d) la réforme des banques multilatérales de développement (G7, « Communiqué », Halifax, 16 juin 1995 ; Ministres des Finances du G7, « Le renforcement du système financier international et des banques multilatérales de développement. Rapport des ministres des Finances du G-7 aux chefs d'État et de gouvernement », Rome, Italie, 7 juillet 2001)

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Contrairement au projet d’OIC, l’OMC, dont nous avons vu qu’elle avait été appelé de ses vœux et mise en forme par les déclarations du G7, embrasse l’ensemble du commerce, et pas seulement le commerce international, abolissant de fait la distinction entre commerce national et surpranational. Contrairement au GATT, l’OMC ne dépend pas de l’ONU1, est dotée d’un pouvoir de contrainte juridique2 et couvre un champ d’application beaucoup plus large, et qui plus est statutairement ouvert. Avec le soutien des membres du G8, et à sa manière, l’OMC ne déréglemente que pour re-réglementer, réutilisant les réglementations étatiques, mais en les expurgeant des protections des droits sociaux et de l’environnement. La règle commerciale devient règle générale. Telle est la pièce maîtresse du dispositif institutionnel international imaginé par le G8 : une organisation mondiale du commerce par le biais d’une institution aux champs et aux moyens d’action et de coercition renforcés et étendus. Cette première reconfiguration de l’ordre international a pour principale conséquence une certaine mise à plat des prérogatives d’institutions constituées comme une sorte d’étage au-dessus des Etats, et réciproquement une mise en relief d’un G8 qui, généraliste, transversal et facilement réformable, n’en paraît que mieux équipé pour « gérer » la mondialisation3. Est-ce un paradoxe ou une conséquence logique ? Les Etats, aujourd’hui quatre fois plus nombreux qu’en 1945, semblent deux fois moins déterminant dans l’espace supranational, et les lignes conceptuelles dessinant la grille générale d’intelligibilité de l’espace supranational ont bougé, la distinction désormais opérante n’étant plus entre le champ étatique et le champ non étatique, entre la sphère publique et la sphère privée, entre le national et l’international, mais entre le local et le mondial, le marché et le hors-marché4.

Normatiser La dérèglementation que nous avons pu observer ne signifie pas dérégulation mais nouvelle forme de régulation, par la coordination plutôt que la coopération, au moyen 1 L’accord instituant l’OMC ne mentionne qu’une fois l’organisation, pour dire qu’il « sera enregistré

conformément aux dispositions de l’article 102 de la Charte des Nations unies ». (« Accord instituant l’Organisation mondiale du commerce », article XVI, paragraphe 6)

2 L’Organe de règlement des différends (ORD) de l’OMC est plus efficace à soumettre les Etats à ses jugements que les organismes internationaux en matière de droits humains ou la Cour internationale de justice. En revanche, les crimes économiques ne font l’objet d’aucune définition internationale reconnue, ne relève d’aucune juridiction internationale ni d’aucune convention.

3 On peut désormais voir, par exemple, des alliances ponctuelles entre Etats et organisations, à la manière du Quartet, et des instances internationales participer à des partenariats en tant qu’observateurs, comme c’est le cas de l’Agence internationale de l’énergie, qui a un statut d’observateur auprès de l’Initiative globale pour combattre le terrorisme nucléaire.

4 Que la ministre des Affaires étrangères américaine affirme qu’« il est évident que l’économie mondiale doit continuer à croître. » ou que ce soient les ministres des Finances qui portent la déclaration du G8 au lendemain des attentats du 11 septembre, voilà qui n’est pas anodin. (C. Rice, “Press Briefing“, Savannah, June 7, 2004 ; Ministers of Finance and Central Bank Governors, “Statement of G7 Ministers of Finance and Central Bank Governors on attacks in United States”, September 12, 2001)

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de la norme plutôt que du droit, au sein d’un système plus référentiel que contraignant. Bref, en remplacement d’un code juridique, une morale et pourquoi pas une éthique. Le G7 participe pleinement d’un passage d’un étatisme juridico-civil régi par des lois contraignantes à une mondialisation éthico-privée régie par des vertus et des normes dépourvues d’obligations et d’appareils de sanction. N’ayant pas de pouvoir législatif, c’est très logiquement qu’il privilégie le pouvoir normatif. Il s’agit en effet moins pour lui de modifier le droit international ou les statuts de tel ou tel organe (en tant que club il n’a pas officiellement ce pouvoir) que de diffuser ses normes. Ce qui n’est pas sans conséquence sur la logique même du pouvoir1. Dans le monde souple rêvé par le G8, la signalétique des conduites supranationales ne repose plus sur un code de la route en forme de droit interétatique, stable et sanctionné par des autorités publiques. Elle s’incarne plutôt dans un jeu de normes volontaires détachées de la tutelle de l’Etat et ne se figeant pas dans une forme intangible, mais plutôt en une jurisprudence qui, perpétuellement, réajuste les conduites. Le droit, cette grande affaire du Moyen Age jusqu’au XIXe siècle, fait place à la norme. Le G7 opère un étrange retour au jus cogens au sens originaire du terme, c’est-à-dire à une certaine moralisation des relations supranationales, à une régulation informelle et volontaire à géométrie variable, le mode contractuel et consensuel remplaçant peu à peu le mode juridique, le développement de chartes, de codes de conduites, de bonnes pratiques comme autant de modèles ayant valeur d’exemple et autres systèmes de normatisation se substituant à l’armature juridique établie2. L’élément qui va justifier la déréglementation du système juridico-étatique et l’adoption d’un modèle éthico-normatif, qui va sélectionner règles et les acteurs du jeu puis sanctionner leurs conduites, cet élément n’est pas le G8, c’est encore le marché. Non pas au centre du monde mais aux côtés du marché, le G8 va jouer les interprètes, toujours ambivalent en ce que, d’une part, ses membres sont des

1 « Il tombe sous le sens, écrit à cet égard Bertrand de Jouvenel, que le Pouvoir joue dans la

société un tout autre rôle selon qu’il fait ou non des lois, qu’il dicte des normes de conduite ou se borne à les faire respecter. » (B. de Jouvenel, Du pouvoir. Histoire naturelle de sa croissance, 1945, p.339)

2 Les codes de conduite ont été inventés dans les années 30 par la Chambre de commerce internationale. Pour prendre le cas des « bonnes pratiques » (ou « pratiques exemplaires » ou encore « pratiques optimales »), le G8 laissait entendre en 2004, dans un texte sur l’Initiative pour la facilité et la sécurité des voyages internationaux (SAFTI) où l’expression « bonnes pratiques » revenait à sept reprises, le principe de sa méthode générale en la matière : « Identifier et adopter les bonnes pratiques au sein du G8, puis promouvoir ces bonnes pratiques à l'échelle internationale », et ce quels que soient les domaines. Il appelait par exemple en 1999 à la mise en exergue de « pratiques exemplaires internationales en matière de gestion de la dette » et soutenait, en 1996, les « travaux de l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe pour l'élaboration d'un modèle commun de sécurité ». Le G8 est également à l’origine de la Charte d'Okinawa sur la société mondiale de l'information, de la Charte de Turin pour un vieillissement actif et de la Charte du prêt responsable. (G8, « Initiative du G8 pour la facilité et la sécurité des voyages internationaux (SAFTI) », Sea Island, 9 juin 2004 ; G7 Finances, « Le renforcement de l'architecture financière internationale. Rapport des ministres des Finances du G7 au Sommet économique de Cologne », Cologne, 18-20 juin 1999 ; G7, « Déclaration du Président : Pour plus de sécurité et de stabilité dans un monde plus solidaire », Lyon, 29 juin 1996)

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acteurs du marché, et de l’autre qu’il se pare d’une neutralité pour l’occasion très onusienne. L’univers du G8, ce n’est pas tant le champ économique que le discours, son instrument étant la normatisation et sa finalité la bonne marche du marché autorégulé.

Un univers de discours Dans le second quart du XXe siècle, deux courants contradictoires ont contribué à mettre en lumière l’importance d’un même phénomène. L’école autrichienne, notamment par l’influente voix de Hayek, a critiqué le modèle de l’« équilibre général » théorisé par Walras au motif qu’il négligeait un paramètre majeur du marché, à la fois sève et fruit de celui-ci : l’information. La supériorité du marché sur toute autre forme d’organisation résulterait en premier lieu de sa capacité à capter l’information portée par les acteurs économiques et à la rediffuser sous la forme de signaux, dont les prix sont les principaux. Les travaux de l’Ecole de Francfort, quoique d’inspiration quasi-inverses, pointaient l’apparition d’une société de l’information et de la communication ainsi que d’une économie du savoir et des représentations1. L’utilisation de l’arme discursive par le G8 s’inscrit évidemment dans l’expansion de cet univers de discours – car mettre le marché au cœur du système, c’est hisser l’information au rang d’instrument de régulation – mais n’est pas compréhensible à sa seule lumière. Il faut lui ajouter, entre autres, l’intensification d’un dialogue devenu permanent au niveau supranational2 ainsi que l’impératif nouveau de transparence, de diplomatie ouverte et de publicité des décisions notamment suscité par la nécessité d’une compréhension partagée entre les acteurs du marché et la lutte pour la sauvegarde occidentale du monopole du sens commun de la mondialisation3.

1 Le G8 le reconnaît lui-même et a plusieurs fois vanté, sinon exagéré, les bienfaits de cette

« société de l'information mondiale ». « Les services et les technologies de l'information et de la communication, affirme la déclaration du président de 1996, sont susceptibles d'apporter une contribution significative à la promotion du développement durable dans tous les pays. Ils peuvent contribuer à répondre aux besoins fondamentaux de l'être humain, développer les ressources humaines, promouvoir la croissance économique, favoriser la démocratie participative et une presse libre. Ils doivent promouvoir la diversité culturelle et linguistique, ainsi qu'une concurrence dynamique. » Le G7 a aussi remarqué comme, dans un mouvement circulaire, « la révolution de l'information et de la technologie ainsi que la mondialisation des marchés ont accru l'interdépendance économique. » Et il a pu également, à l’occasion, en reconnaître les dangers, notamment en 1982 par la bouche de Mitterrand qui s’inquiétait que, « déjà, les deux premières banques d'images alimentent la quasi-totalité des stations de télévision dans le monde, [et que] plus de trois-quarts des informations de presse émanent de cinq agences. Généralisée, cette tendance naturelle conduira, dès la fin de la décennie, au contrôle de l'industrie mondiale de la communication par une vingtaine de firmes. » (G7, « Communiqué », Halifax, 16 juin 1995 ; _ « Déclaration du Président : Pour plus de sécurité et de stabilité dans un monde plus solidaire », Lyon, 29 juin 1996 ; _ « Déclaration économique », Toronto, 21 juin 1988 ; F. Mitterrand, « Rapport de M. le Président de la République [française] au sommet des pays industrialisés : technologie, emploi et croissance », Versailles, 5 juillet 1982)

2 Le Conseil de sécurité de l’ONU se réunit par exemple au moins une fois par semaine. 3 « Il devient urgent, selon une communication des représentants du Mouvement des non-alignés,

de nous entendre sur la méthodologie de mesure et d'harmonisation des processus économiques,

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Tous ces phénomènes, que le G8 a parfaitement pris en compte dès sa création, restent encore des causalités, et la formation même d’un marché du discours n’est que le moyen d’influer sur l’issue d’une bataille qu’ont aurait dite, il y a cinquante ans, idéologique, et qu’il faudrait peut-être plutôt nommer religieuse. Non que cet univers du discours soit un univers parallèle, mais que les acteurs qui l’animent se trouvent dépossédés de sa vérité fondamentale. Le G8, un organe de discours, un organe religieux ? Le discours est toujours déjà immédiatement une pratique historique ; comme tel, il est inséparable de son contexte extralinguistique, c'est-à-dire principalement du contexte de pouvoir qui lui est indissolublement lié. Les choses dites ne surgissent pas selon les seules lois de la pensée et n’occupent pas seulement une fonction de signalisation, mais elles apparaissent selon tout un jeu de relations qui caractérisent un discours. Le G8 a chargé la parole, simple acte locutoire, d’une vérité première, en même temps que s’en trouvait relativisé le savoir expert que la « Troisième voie » des années 1940 avait promu au rang de conscience du monde1. Car si les déclarations du G8 ne sont ni des démonstrations ni des argumentations, elles ne s’en inscrivent pas moins dans cette pratique plus vieille que la politique : la déclamation du discours vrai. Dans la plupart des sociétés humaines, le pouvoir sur les mots et celui sur les hommes vont de pair. Dans le cas du G8, la compétence légitime et la qualification linguistique ne résultent pas, comme dans les relations sociales décrites par exemple par Bourdieu, de déterminants culturels ni de la possession d’un quelconque savoir2. En matière d’expertise le G8 se nourrit au sein d’institutions contrôlées par ses membres telles que l’OCDE, les IFI, l’ONU et ses quelques cinq cents banques de données. Par leurs capacités de récupération, de capitalisation, de concentration, de production, de codification, de catégorisation, de formalisation, de représentation, d’objectivation et de diffusion d’un savoir en forme de statistiques, de rapports, d’instruments de mesure, d’outils d’analyse et autres, ce sont elles qui fournissent les

méthodologie acceptable pour tous les pays et à usage universel. […] Il importe ici de trouver dès le début un langage économique commun, procéder à un échange réciproque d'information, y compris sur les questions d'indicateurs de base du développement économique, de la régulation des liens de crédit et d'aide au tiers monde afin d'assurer la compatibilité méthodologique des données statistiques en tant que point de départ de la collaboration. » « L'interrelation des réseaux, se réjouissait en ce sens Mitterrand, conduit les sociétés les plus diverses à entrer en communication, à mieux se connaître, à mieux se comprendre. » (“Press Release from Presidents Abdou Diouf, Mohamed Hosni Mubarak, Carlos Andrés Perez, and Prime Minister Rajiv Gandhi”, Paris, July 13, 1989 ; F. Mitterrand, « Rapport de M. le Président de la République [française] au sommet des pays industrialisés : technologie, emploi et croissance », Versailles, 5 juillet 1982)

1 Au-delà du G8, on a pu voir dernièrement la Banque mondiale, qui se faisait jusque là le porte-parole zélé d’une « minorité » silencieuse parce que réduite au silence, revaloriser le discours des bénéficiaires de ses programmes au travers du document Voices of the Poor. Prétendant rendre la parole à qui elle appartient tout en s’assurant une représentativité populaire en même temps qu’une validation a posteriori de ses choix stratégiques, elle a pu revendiquer en outre, à la suite de ce rapport, le titre de « Banque qui écoute », dernier attribut de sa sagesse et nouvel argument de son autorité. (Lancé pour préparer le Rapport sur le développement 2000/2001, Voices of the Poor compile une analyse de témoignages recueillis auprès de quarante mille « pauvres » lors d’évaluation, de rapports de mission et d’analyses de cas. Cf. <http://www1.worldbank.org/prem/poverty/voices/>)

2 Cf. P. Bourdieu, Langage et pouvoir symbolique, 1991

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principales données publiques dans le monde, ce sont sur leurs branches réflexives qu’ont (re-)fleuri les notions de « développement durable », de « gouvernance » et de « société civile », et partant que le petit monde qui pense sur le grand a revu quelque peu ses schémas dominants d’intelligibilité du réel, tout comme les politiques publiques en ont été réorientées. Mais le discours du G8 n’est pas déclamé depuis les hauteurs de l’hégémonie cognitive que ces institutions ont acquises. A la différence encore d’autres instances telles que l’OMC où, la technicité des questions nécessitant la mobilisation d’une importante expertise au sein des commissions spécialisées, la démocratie internationale (« un pays = une voix ») peut être sacrifiée à l’expertocratie (« un expert = une voix »), le G8 ne fait pas un usage qualifiant et disqualifiant du savoir. Ce rôle, il le laisse au marché. Au contraire, le G8 reconnaît une limite naturelle à sa science, sinon au savoir en général, affirme une impossibilité de tout savoir qui rend les décisions gouvernementales si bancales et parfois si inefficaces, et le marché si important. J’ai avancé que les déclarations du G8 peuvent donner à lire une certaine vision du monde et une prise en compte de certaines réalités, qu’elles participent de la production d’une rationalité dominante ; on y trouve également en regard un aveu permanent et implicite de son incompréhension de leur complexité juridique, économique et technique – une ignorance finalement toute humaine des arcanes de l’humanité1. Ce philosophe-roi qu’est le G8 représente moins un gouvernant éclairé par la sagesse, la raison ou le divin, moins un connaisseur des lois ou de son royaume, qu’un plombier veillant sur les canaux d’information et de communication de toutes sortes et un relais de signaux en provenance du marché et en direction de ses acteurs. Sous ce second rapport, le G8 affirme et confirme le pouvoir de simplement dire, agence à nouveaux frais le lien entre la mise en forme et la mise en acte, à cet endroit où la politique se distingue de l’action. Son pouvoir ne brille pas de la lueur des décrets, des traités, des pactes, des conventions, des résolutions ou des

1 La déclaration de 1976 stipule qu’il s’est agi, au cours du sommet, « d'accroître notre

compréhension des problèmes économiques et des politiques correctives nécessaires ». En 1980, le G7 avouait que « pour élaborer notre politique économique, il nous faut mieux comprendre les effets à long terme de la croissance démographique ». En 1984, il s’agissait « de soutenir et de renforcer dans les organisations internationales appropriées, particulièrement à l'OCDE, les travaux permettant de mieux comprendre les sources et les modalités du changement économique ». En 1989, de « comprendre et protéger l'équilibre écologique ». En 1994, d’« améliorer notre compréhension des nouveaux sujets [pris en compte par l’OMC] à commencer par l'emploi et la clause sociale ». En 2005, à propos de l’Afrique, d’une « meilleure compréhension de la fragilité des États ». En 2005, de « mieux comprendre ce qui incite des individus à intégrer ces réseaux [terroristes] ». En 2006, de « mieux comprendre les modes de développement des marchés de l'énergie » et, parlant du « réseau énergétique mondial », de « mieux comprendre ses points faibles ». (G7, « Déclaration finale de la conférence internationale de Porto Rico », Porto Rico, 28 juin 1976 ; _ « Déclaration finale », Venise, 23 juin 1980 ; _ « Déclaration Economique », Londres, 9 juin 1984 ; _ « Déclaration économique », Paris, 16 juillet 1989 ; _ « Déclaration économique », Naples, 9 juillet 1994 ; Représentants personnels pour l’Afrique du G8, « Plan d’action pour l’Afrique », Rapport conjoint sur l’état d’avancement des travaux, Gleneagles, 8 juillet 2005, p.5 ; G8, « Déclaration du G8 sur la lutte contre le terrorisme », Gleneagles, 8 juillet 2005, p.2 ; _ « Sécurité énergétique mondiale », Saint-Pétersbourg, 16 juillet 2006)

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protocoles, mais de celle des déclarations, des communiqués et des conférences de presse. Son discours n’est pas de type législatif mais normatif. Il s’agit de dire le vrai, le beau, le bien, et seulement de le dire. Les actes sont laissées aux participants au marché. En ce sens, le G8 opère moins une sublimation de la politique spectacle qu’une actualisation de la politique théâtrale du XVIIe siècle, sinon de formes antérieures de représentation politique telles que le rituel religieux. Les déclarations du G8 relèvent du discours de l’exégète, dont la répétition corrige les éventuelles erreurs d’interprétation, instituent une lignée, une somme qui n’est autre que le commentaire intéressé des signaux envoyés par l’émetteur central : l’oracle-marché. Ce discours vise à qualifier et disqualifier, à susciter l’adhésion aux dogmes qu’il professe, non en fonction de vérités scientifiquement démontrées, mais de croyances1. Son pouvoir ne découle pas d’un savoir des richesses ou de la possession des statistiques, ni même de leur analyse. Le G8 n’a pas de prolégomènes vérifiables, il n’a que des croyances et des opinions en forme de science révélée et de bon sens, de sens commun, socle premier des multiples dogmes détaillés2. La promotion d’une armature de croyances où les principes généraux sont déclinés en une infinité de principes spécifiques dont découlent autant de politiques souhaitables, tous ces éléments se renforçant mutuellement et constituant une sorte de champ de force encerclant, tend à l’acquisition d’une hégémonie symbolique qui lui permettra d’accroître et de consolider son camp, en vue bien sûr de gagner la guerre économique. Le G8 a cet autre chose de religieux : opérant une structuration du réel selon des catégories historiquement constituées et moralement signifiantes, il donne de lui et des autres, de « nous » et d’« eux », une certaine représentation, et donc selon les cas une justification du comportement des « uns » qui sonne pour celui des « autres » comme une promesse de représailles. C’est en ce sens que l’on pourrait aussi parler d’idéologie3. Mais parce que l’idéologie n’est qu’une facette de ce discours en lui-même opératoire, je préfère parler de religion. La parole performative est d’essence divine ; le verbe créateur, c’est d’abord la parole du Dieu4. Depuis trente ans, le G8 brigue ce titre de parole créatrice divine, cet intuitus originarius qui donne vie à ce qu’il énonce. C’est en cela que le discours du G8 peut être dit mythique, si l’on entend le mythe comme un discours auquel est attribué une vérité absolue, incontestable, dérivant de l’autorité de sa source 1 Chaque année depuis sa création, le G7 condamne à cet égard les tares du protectionnisme et

vante les mérites de la libéralisation sans qu’aucun argumentaire ne vienne jamais justifier ses affirmations péremptoires. (Cf. notes n°3 et n°4 pp.28-29)

2 Ce bon sens est si bien partagé que Gorbatchev, dès 1991, y est converti. Il écrit à ce titre au G7 : « cette vue [parlant du rôle important que l’ancien bloc soviétique peut jouer dans les relations économiques internationales] ne vise pas à refléter notre vision des réalités contemporaines. Je n’ai pas l’intention de citer de multiples arguments pour prouver que l’élan vers une économique unique et véritablement mondiale rencontrerait nos intérêts communs. A l’époque où nous sommes, c’est évident. » (M. S. Gorbachev, “Personal Message from President Mikhail S. Gorbachev to Heads of State or Government Attending the G7 Meeting in London”, 12 July 1991)

3 Etymologiquement, le terme « idéologie » vient de eidos, c’est-à-dire de ide : voir (idéa en latin), et de logos : raison. Eidos signifie en ce sens : traduisant le monde en idées, en abstractions, en concepts.

4 La Bible dit à ce sujet : « Au commencement était le Verbe et le Verbe était avec Dieu. » (Jean, 1 : 1)

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d’énonciation. Le mythe, dans le sens religieux du terme, est un discours performatif qui fait être ce dont il parle, non pas dans un monde possible, comme le fait la fiction, mais dans le monde réel, et notamment sur les hommes1. Selon la classification de Max Weber, la domination du G8 est ici de type moins rationnel que traditionnel, avec ses invocations de type chamanique, son édification et sa consolidation d’idoles, son marché-dieu, sa morale en formes de principes régulateurs et de mécanismes de véridiction, ses dons de prédiction et son pouvoir d’influer sur les éléments, son désir de susciter une croyance et une adhésion des individus à son projet, sinon leur soumission à une force dont la raison leur est impénétrable2. En même temps, les déclarations du G8 paraissent former moins une cosmologie, entendue comme un « ensemble de récits mythiques ou de conjectures scientifiques, cherchant à expliquer l'origine et l'évolution de l'univers », qu’une cosmologie, soit une « doctrine fondamentale de la nature qui étend un système commun de déterminations aux sujets et aux choses, mêlant des déterminations de choses, comme l'idée de nature, et des déterminations de sujet, comme l'idée d'appétit3 ». Ici encore, le discours du G8 peut être dit religieux, au sens où, en plus de la faire, il écrit et réécrit l’histoire. Il y a celle de la fin du XXe siècle, à l’occasion réécrite4. Mais d’abord l’histoire immédiate5. Les indications du G8 visent à être utilisées, pas à être archivées6. Bien qu’inscrites dans l’histoire et condamnées à leur dimension historique, elles ne se réfèrent pas à un âge d’or, et moins encore à une mythologie. C’est un discours du présent, sinon de l’instant. En ce sens aussi les déclarations du G8 forment, sommet après sommet, moins un corpus qu’une grammaire, non un tissu de mensonges mais la trame d’une vérité choisie, un livre d’histoires sur le

1 Freud ne parlait pas d’autre chose lorsqu’il écrivait : « Une origine divine est attribuée aux

prescriptions de la civilisations, elles sont élevées à une dignité qui dépasse les sociétés humaines, et étendues à l’ordre de la nature et à l’évolution de l’univers. » (S. Freud, L’avenir d’une illusion, 1948, p.26)

2 Mitterrand affirmait par exemple en ce sens, en 1982 : « nous pouvons prévoir, organiser le changement, coordonner les mutations ». Selon Hayek , « une civilisation complexe comme la nôtre est nécessairement basée sur l’adaptation de l’individu à des transformations dont il ne peut saisir ni la cause ni la nature ». (F. Mitterrand, « Rapport de M. le Président de la République [française] au sommet des pays industrialisés : technologie, emploi et croissance », Versailles, 5 juillet 1982 ; F. A. Hayek, La Route de la servitude, 1943, p.147)

3 Définitions du dictionnaire ATILF du CNRS 4 « Il y a cinquante ans, à Bretton Woods, des dirigeants visionnaires mettaient en place des

institutions qui ont donné à nos pays deux générations de liberté et de prospérité. Ils avaient fondé leurs efforts sur deux grands principes intangibles : la démocratie et la liberté des marchés. » Ces principes n’apparaissent point dans les statuts ni de la Banque mondiale ni du FMI. Le principe de liberté des marchés et n’a été partiellement restauré, après quarante ans de protectionnisme, qu’au début des années 70. (G7, « Déclaration économique », Naples, 9 juillet 1994 ; World Bank Group, “Articles of Agreement” ; Fonds monétaire international, « Statuts »)

5 « L'intégration mondiale, avoue par exemple le communiqué de 1998, est un phénomène que nous avons encouragé et façonné ». (G8, « Communiqué », Birmingham, 17 mai 1998)

6 C’est en ce sens que le G8 est si peu préoccupé de la mémoire des déclarations que le site Internet sur lequel elles sont disponibles dans leur quasi-totalité est celui de l’Université de Toronto.

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monde et d’histoire du monde. Le vrai en soi n’existe pas, pas plus que le bien ou le beau. L’histoire est moins ce qui a lieu que ce que l’on en dira, et bien sûr ce que l’on en taira1. Le discours du G8 peut bien se tromper quand il se fait devin, il aura toujours, à quelque moment, raison2. Cette écriture de l’histoire immédiate n’est pas purement symbolique, et si l’absence de signaux est encore un signal, on pourrait voir l’efficace du silence à travers la médiatisation marginale d’événements historiques que le G8 a toujours délaissés, comme, par exemple, le coup d’Etat en Argentine en 1986, les guerres de Tchétchénie ou encore le génocide au Timor oriental3. C’est ainsi que le G8 entend écrire et réécrire l’histoire indépendamment des faits – non pas en les niant, mais simplement en organisant la publicité des uns, l’interprétation des autres et le passage à la trappe des derniers. Les déclarations peuvent donc être floue, contradictoires, revues, leurs éléments qui sont là pour durer ne sont jamais dits une fois pour toute mais sans cesse répétés. Elles peuvent donc n’être pas respectées de leurs locuteurs, l’essentiel est la fixation de normes dont le G8 attend des autres le respect4.

1 Une phrase attribuée à Napoléon est à cet égard pleine de sens : « La vérité de l'histoire ne sera

probablement pas ce qui a eu lieu, mais seulement ce qui sera raconté ». 2 « Une croissance économique modérée, vaticinait le G7 en 1981, est probable dans l'année qui

vient » Un an plus tard, un rapport avalisé par le G7 notait que « depuis le sommet d'Ottawa, cinq millions d'hommes et de femmes ont perdu leur emploi, chez l'un et l'autre d'entre nous ». (G7, « Déclaration économique », Ottawa, 21 juillet 1981 ; « Rapport de M. le Président de la République [française] au sommet des pays industrialisés : technologie, emploi et croissance », Versailles, 5 juillet 1982)

3 Pour ne prendre que ce dernier exemple, alors que l’occupant indonésien pourchassait les factions indépendantistes des provinces d’Aceh et Papua, décimant, entre 1975 et 1999, un tiers de la population du Timor Oriental, soit entre 250.000 et 300.000 personnes, et en déportant 300.000 autres vers le Timor occidental, le G7 n’a commencé à parler de l’Indonésie qu’en 1998 pour déplorer la répression des émeutes survenues à la suite de la crise financière, et du Timor en 1999 après l’accord du 5 mai 1999 sur l'avenir du Timor oriental. Un tel passage à l’as de ce petit pays, pendant que le G7 apportait, en regard, son soutien au Cambodge lors des sommets de 1981, 1988, 1989 et 1992, peut sans doute s’expliquer par le fait que les Etats membres du G7 ont soutenu économiquement, politiquement et militairement le régime de Suharto depuis son accession au pouvoir en 1967. Dans les années 90, les prêts de la Banque mondiale à l’Indonésie ont atteint un milliard de dollars. L’ex-directeur de la Banque, Paul Wolfowitz, a été ambassadeur a Djakarta de 1986 à 1989. Après la chute du régime de Suharto en 1998, s’étant partiellement retiré du pays (par exemple, l’investissement direct du Japon en Indonésie était quatre fois plus élevé en 1996 qu’en 2000) et le Timor allant vers son indépendance, les membres du G8 ont pu prendre la parole pour donner enfin leur « appui aux efforts du peuple timorais pour édifier une nation durable ». (Sources : Human Rights Watch, “East Timor: Key Documents” ; N. Chomsky: “On East Timor”, Speech Recorded at M.I.T., April 11, 1995, 56 min., Powers and Prospects. Reflections on Human Nature and the Social Order, Chapter 6 & 7 ; World Bank, “Indonesia Country Brief”, September 2006 ; The Ministry of Foreign Affairs of Japan, “Japan-Indonesia Relations”, February 2007 ; Ministres des Affaires étrangères du G8, « Conclusions », Rome, 18-19 juillet 2001)

4 Ce que disait Foucault à propos de l’Antiquité semble valable au sujet du G8 : « Chez les Grecs du VIe siècle, le discours vrai – au sens fort et valorisé du mot – le discours vrai pour lequel on avait respect et terreur, celui auquel il fallait bien se soumettre, parce qu’il régnait, c’était le discours prononcé par qui de droit et selon le rituel requis ; c’était le discours qui disait la justice et attribuait à chacun sa part ; c’était le discours qui non seulement annonçait ce qui allait se passer,

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Religieux, le G8 l’est encore au sens où le G8, soutenant l’idée qu’il existe une nécessaire fluidité du droit et de la politique, d'un aménagement perpétuel par le récit de l'événement passé et à venir, mais seulement présent dans les mots, avoue dans le même temps que cette fluidité, cette « flexibilité », il ne peut la trouver dans ce type de texte traditionnel qu’est l’injonction juridique, qui a vocation à fixer, à tenir, à perdurer. Elle repose dans la représentation annuelle et unique d’une pièce où se multiplient, avec le temps, les actes et les acteurs, les G8 thématiques préparant, répétant, depuis le milieu des années 80 et jusqu’à quatre fois par an, la grande représentation, en attendant l’année prochaine. Dans ce rituel du discours, dans ce refrain aménagé de rencontres en rencontres où certains vers semblent inamovibles, où d’autres changent au gré des réactions des spectateurs, dans ce Congrès de Vienne sans cesse réactivé, dans ce texte repris à l’infini, ce chant du monde en devenir et comme toujours accouché, il y a la promesse d’une harmonie retrouvée. Religieux, le G8 l’est enfin au sens où le pouvoir public est soudain comme enserré dans cette trame normative qui s’est développée en dehors de lui et qu’il est tenu de respecter. Non seulement le G8 a fait du discours une pièce centrale du champ supranational, mais il agit sur les dogmes ayant cours sur le marché symbolique. Au croisement de ses fonctions de compréhension, de coordination et direction, le G8 a forgé un instrument juridiquement non contraignant sous les traits d’un discours normatif et signalétique. En un mot : une morale – terme ici utilisé à titre provisoire.

Un univers de principes On peut distinguer, à la suite de Foucault1, trois mécanismes de contrôle des conduites. Premièrement, le code légal, phénomène qui a dominé du Moyen Age jusqu’au XVIIIe siècle consistant à poser une loi et une sanction en cas d’infraction de celle-ci. Deuxièmement, la discipline, pensée positive qui devient réellement importante au XVIIIe, ajoute à la loi un ensemble des procédés de surveillance et de correction. Troisièmement la sécurité, mécanisme contemporain, insère la déviation dans une série d’événements probables et les réactions à l’infraction dans un calcul de coût, remplaçant la distinction binaire entre permis et défendu par la fixation d’une moyenne optimale et de limites acceptables. Selon cette classification, penser le G8 reviendrait à admettre que le code légal est partiellement caduc, que la discipline est devenue, du côté politique, une question domestique et du côté économique un enjeu supranational, enfin que la sécurité est la question globale la plus pertinente. Le G8 est-il, en ce sens, moins proche de l’ONU que de cette SDN qui a été, selon un de ses facilitateurs et prix Nobel de la paix, « avant tout une grande puissance morale2 » ? Une morale est un ensemble de principes régissant les comportements des membres d’un groupe. C’est un instrument de codage, d’orientation, de blocage, de répartition des dynamiques, qui renvoie tout autant à la règle d’un jeu qu’à une religion ou à un code de la route. La politique, au sens étymologique, n’est au fond

mais contribuait à sa réalisation, emportait avec soi l’adhésion des hommes et se tramait ainsi avec le destin. » (M. Foucault, L’Ordre du discours, 1972, p.17)

1 Cf. M. Foucault, Cours au Collège de France, de 1975 à 1979 2 Léon Bourgeois, discours de mars 1921, cité par Bernard Bourgeois, « L’apport de la pensée

française à une organisation collective du monde », in A. Lewin (Ed), La France et l'ONU depuis 1945, 1995, pp.51

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qu’une question de morale1. Toute morale est en quelque manière binaire. Elément instituant d’un groupe et ciment de celui-ci, elle trace des lignes blanches et jaunes comme autant de frontières entre les communautés ainsi qu’entre actions prescrites et interdites. Enfin, elle doit également proposer aux membres du groupe un projet formulé en termes de valeurs déclinées en autant de travaux, de formes d’organisation de la communauté, de rites, de calendriers… Une morale ne peut donc, par définition, être universelle. « Bien » agir consiste toujours pour un individu à ajuster sa liberté et sa volonté à une structure communautaire et à ce qu’elle considère comme son bien commun, indépendamment de ce qu’en pensent d’autres structures communautaire, et quand bien même cette communauté coïnciderait avec l’espèce humaine. Bref, selon la phraséologie moderne, une morale n’est pas qu’un simple inventaire de principes mais une mobilisation psychique qui détermine une forme particulière d’adhésion au collectif. Sous l’effet de l’accroissement des communautés, il est probable que l’instrument moral ait été dans l’impossibilité de garantir la survie de leurs membres. Il y eut, semble-t-il, nécessité d’un système de type juridique. Le droit constitue l’ensemble des règles de conduite définies par les hommes pour régir les rapports sociaux et qui sont sanctionnées par une contrainte publique. Dans une société régie par le droit, la sanction est déléguée à une autorité supérieure, le référentiel de conduite formalisé en codes et en lois dont le contrôle est soumis non plus aux membres du groupe dans leur ensemble mais d’une part à la surveillance d’une institution – que l’on nomme en Occident la « police » – et de l’autre, en cas de non-respect, à la sanction d’une seconde institution – que l’on nomme, toujours en Occident, la « justice », ce dernier terme désignant dans l’antiquité la vertu, le contrôle de soi-même, c’est-à-dire encore l’éthique. Droit coutumier hier, normes aujourd’hui, la morale peut légitimement prétendre au titre de boussole des relations internationales. Parler d’une communauté internationale c’est poser la question d’une morale globale, quoique la chose semble utopique à l’heure de notre instance. Car l’universalité mondialisée à laquelle prétend la morale du G8 fait face à un éclatement des communautés selon des lignes politiques, culturelles, économiques, religieuses… qui, loin de respecter les frontières, traversent jusqu’à l’existence de tout individu. L’abandon de l’outil juridique dans les domaines extra-économiques est peut-être intelligible à la lumière de ce monde parcellaire qui ne peut plus prétendre à l’uniformité plus ou moins détaillée du droit international, comme si la loi n’avait été qu’un épisode juste assez long pour prouver, aux yeux des dirigeants occidentaux et notamment anglo-saxons, l’inefficacité de cet instrument de régulation de la vie humaine. Contre les législateurs d’hier, un discours de la vertu retrouve, avec le G8, ses lettres de noblesses ; et les lois qui demeurent en dehors de l’espace de marché de n’y paraître que plus impotentes. En lieu et place du droit international déconstruit, le G8 pose une morale à prétention universelle et à justification économique2. Il y a un peu des libéraux du XVIIIe siècle dans ce positionnement de la morale comme finalité de l'action économique et de l'action économique hors d’atteinte de la morale. Car cette morale n’est nullement un 1 Rousseau avait raison en ce sens d’affirmer que « ceux qui voudront traiter séparément la

politique et la morale n’entendront jamais rien à aucune des deux. » (J.J. Rousseau, Émile ou de l'éducation, 1762, livre IV)

2 « Nous sommes conscients, avoue par exemple une déclaration de 1984, des responsabilités morales qui vont avec le succès économique. » (G7, « Déclaration sur les valeurs démocratiques », Londres, 8 juin 1984)

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retour aux principes de la vertu ou de la vita civitas ; utilitariste et technicienne, elle n’a d’autre fin en soi que de servir la bonne marche du marché. Faut-il y voir un nouveau succès du libéralisme ? Faut-il y voir l’influence américaine, les Etats-Unis n’ayant jamais vraiment fait quelque chose sans l’alibi de leurs principes ? Ou celle du secteur privé, qu’il soit à but lucratif ou non, dont la puissance contemporaine a conduit à revendiquer un peu plus qu’un second rôle ? S’agit-il d’un changement de route ou seulement d’un changement de chauffeur ? Il n’existe aucune loi, aucun traité, aucun pacte, aucune convention qui ait été endossé par l’ensemble des Etats de la planète, et encore moins respecté par tous ceux qui l’avait reconnu1. Cela n’a pas empêché le G8 de rêver d’universalité : luttant sans relâche contre le protectionnisme normatif, le G8 a fait de l’intériorisation de ses principes la clé de voûte de ses relations avec les autres pays2. Cette universalité, que la situation de Guerre froide semblait rendre « idéologique », lui a paradoxalement été servie sur un plateau par l’URSS elle-même, sans doute trop

1 La Convention relative aux droits de l'enfant, texte juridique international ayant été ratifié le plus

largement, ne l’a toujours pas été par les Etats-Unis et la Somalie. Le Traité de non-prolifération nucléaire, second texte juridique international pouvant prétendre au titre d’« universel », n’a jamais été signé par l'Inde, le Pakistan et Israël, et la Corée du Nord a encore amenuisé ses prétentions en s’en retirant le 10 janvier 2003. La Charte des Nations unies, si elle a été ratifiée par l’ensemble des membres de l’ONU, n’a pas en soi de valeur juridique. Enfin l’« individualisme » sous-tendant la Déclaration universel des droits de l’homme est critiquée par de nombreux pays qui affirment la préséance du groupe sur l’individu. (« Convention relative aux droits de l'enfant », ONU, New York, 20 novembre 1989 ; « Liste des Etats ayant adhéré au traité [de non prolifération nucléaire] ou l'ayant ratifié à la date du 1er mars 2005 », ONU, mai 2005)

2 Il parle lui-même, et pour tout le monde, de « valeurs universelles » et de « valeurs globales ». Pour ne citer que quelques exemples, le G8 met régulièrement en avant « les principes universels de la liberté, de la démocratie, des droits humains et de l’Etat de droit » et « les aspirations universelles à la prospérité et à la sécurité ». Il réaffirme en ce sens, en 1996, son « profond attachement au caractère universel de l'ensemble des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dont la promotion et la protection constituent une préoccupation légitime de la communauté internationale. » Il insiste, en 1998, sur le fait que « les droits humains sont universels […]. Nous continuerons à promouvoir la mise en place universelles des droits humains et des libertés fondamentales ». On pouvait également lire en 2004, s’agissant de la réforme du Moyen-Orient : « Les valeurs inscrites dans le Partenariat que nous proposons sont universelles. La dignité humaine, la liberté, la démocratie, l'état de droit, le développement économique et la justice sociale sont des aspirations universelles qui sont inscrites dans les textes internationaux pertinents, tels que la Déclaration universelle des droits de l'homme. » Et l’année suivante, toujours au sujet du Moyen-Orient et toujours au sujet des mêmes principes, la Secrétaire d’Etat américaine aux Affaires étrangères confirmait que « ces valeurs et ces aspirations sont universelles. » (G7, “Tokyo Summit Political Declaration: Striving For A More Secure and Humane World“, Tokyo, July 8, 1993 ; _ « Communiqué », Halifax, 16 juin 1995 ; _ « Déclaration du Président : Pour plus de sécurité et de stabilité dans un monde plus solidaire », Lyon, 29 juin 1996 ; G8 Foreign and Finance Ministers, “Conclusions”, May 9, 1998 ; G8, « Partenariat pour le progrès et pour un avenir commun avec la région du Moyen-Orient élargi et de l'Afrique du Nord », Sea Island, 9 juin 2004 ; C. Rice, “G8 Foreign Ministers’ Press Conference”, London, June 23, 2005)

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pressée de redresser son économie avec les bons soins de ses adversaires d’hier1. Le bloc soviétique rentré dans son giron, le G8 est seul à postuler au rôle de porte-parole du « courant principal de l'opinion internationale2 ». Ses membres, « unis autour de certaines valeurs universelles – la démocratie, le respect des droits de l'homme et de l'économie de marché3 » – n’auront dès lors de cesse de faire ratifier ces principes par l’ensemble des Etats de la planète, jusqu’aux pays arabes, que les idéologues néo-conservateurs américains présentent pourtant comme étant les plus éloignés. Et avec succès encore4. Qu’importe qu’un membre souligne que « les valeurs imposées ne s'assimilent jamais [et que] vouloir que la liberté, le respect des droits de l'homme, l'état de droit s'imposent dans un pays, c'est d'abord respecter la liberté et l'indépendance de ce pays.5 », un autre répliquera qu’il est « moralement justifié que nous [le G8] étendions la démocratie6 ». Et la ligne générale sera conservée. L’universalisation des normes promues par le G8 n’opère pas, à la manière du droit international et quand bien même il s’agit des droits de l’homme, sur les seuls éléments publics. Prétendant encadrer l’ensemble des activités humaines, ils visent tout autant les acteurs privés. Les déclarations du G8 constituent le référentiel minimaliste, les « lignes directrices7 » de toute politique : leur grille de compréhension, leur justification et leur finalité. Après une remise en question de la pertinence absolue de l’Etat et de l’instrument juridique, la rerégulation opérée par le G8 est supranationale et indirectement contraignante. Certes, rappelait un Président français, « la morale ne s'est pas encore totalement substituée à la politique8 ». Mais on ne peut que constater, parallèlement à l’affirmation des principes libéraux, la prolifération des standards émis par des institutions privées sous l’œil bienveillant du G89.

1 « Traditionnellement, écrit par exemple en 1989 Mikhaïl Gorbatchev au membres du G7, pour

résoudre les contradictions économiques entre Etats il était suffisant de trouver un équilibre sur la base des intérêts strictement nationaux. Toutefois, aujourd'hui un tel équilibre serait précaire si on essayait de l'asseoir sur autre chose que les intérêts universels de l'humanité. » (M. S. Gorbatchev, « Lettre adressée au Président de la République Française », Paris, 14 juillet 1989)

2 G8, « Déclaration régionale », Birmingham, 15 mai 1998 3 Selon le site officiel du G8 d'Evian 2003. (« Questions sur le G8 », 2003) 4 En 2004, le Président nigérian Obasanjo déclarait par exemple : « Nous embrassons la

démocratie comme la meilleure forme de gouvernement pour nous tous en Afrique ». (O. Obasanjo, “Joint press conference by Abdelaziz Bouteflika, President of Algeria, John Agyekum Kufor, President of ghana, Olusegun Obasanjo, President of Nigeria, Abdoulaye Wade, President of Senegal, Thabo Mvuyelwa Mbeki, President of South Africa, and Yoweri Kaguta Museveni, President of Uganda at the G8”, Sea Island, June 10, 2004)

5 J. Chirac, « Éléments d'intervention du Président de la République concernant le Grand Moyen Orient, "GMO" », Sea Island, juin 2004

6 T. Blair, “Prime Minister's statement to the House on the G8 Sea Island Summit”, 14 June 2004 7 Terme qui revient à quarante-quatre reprises dans les déclarations officielles du G8. 8 F. Mitterrand, « Conférence de presse de M. François Mitterrand, Président de la République, à

l'issue du XVe sommet des pays industrialisés », Paris, 16 juillet 1989 9 En 1997 par exemple, le G7 se réjouit après que le « le Comité de Bâle des règles et pratiques de

contrôle des opérations bancaires a établi un ensemble de “principes de base” qui contribueront considérablement à l'adoption de meilleures normes de prudence à l'échelle mondiale ». (G7,

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Les principes clés de la morale défendue par le G8 ne sont pas, nous l’avons vu, ces principes structurant de l’action politique depuis les XVIe et XVIIe siècles que sont la souveraineté, l’intégrité, la légalité et la légitimité, mais l’intérêt, l’efficacité, la rentabilité, la transparence et l’intégration. A en lire ses déclarations, il n’est plus question, s’agissant de la sphère politique, d’intégrité mais d’ouverture, de développement, de progrès, d’innovation et d’adaptation ; non plus de légitimité mais de capacité et de qualité ; non plus de représentation mais de reconnaissance et de participation ; non plus de légalité mais d’efficacité ; non plus de souveraineté mais de propriété, d’intérêt et de responsabilité ; non plus d’autorité mais de liberté ; non plus d’indépendance mais d’interdépendance, de transparence et de surveillance ; non plus de solidarité mais de concurrence ; non plus d’alliance mais de coordination, de coopération et de partenariat ; non plus de gouvernement mais de gestion et de gouvernance ; non plus d’une politique mais d’un plan d’action1. Les principes moraux sont également réduits soit à l’ombre d’eux-mêmes, l’égalité étant par exemple limitée à l’égalité entre les sexes, soit associés à et bientôt remplacés par leurs traductions fonctionnelles, la démocratie cédant le pas à la bonne gouvernance et à la primauté du droit, la préservation de l’environnement à la gestion durable des ressources naturelles2. Et c’est encore un paradoxe : au moment où, pour reprendre ces exemples, la démocratie et la protection de l’environnement sont élevées au rang de norme politique universelle, les voilà réduites à leurs aspects fonctionnels et procéduraux. Etrange retournement : les principes utilitaristes et techniques coiffant les activités économiques et les valeurs cardinales de la pratique politique échangent leur place.

« Relever les défis financiers et économiques mondiaux : déclaration des Sept au sommet de Denver », Denver, 21 juin 1997)

1 Voici quelques exemples de principes importants selon les représentants personnels pour l’Afrique du G8 : « Il faut adopter une démarche globale et cohérente, comportant des mesures relativement aux ressources, au commerce, aux conflits, à l’amélioration des capacités et à la gouvernance. Nous devons renforcer nos partenariats avec un plus grand nombre de pays qui adhèrent à la même vision que celle du NEPAD et qui ont la capacité de réaliser des progrès rapidement. Nous concluons en suggérant des domaines où une action plus importante et efficace est requise si nous voulons concrétiser la vision de notre partenariat avec l’Afrique. » Le rapport emploie ainsi soixante-treize fois les termes « finance » et « financement », soixante fois les terme « partenariat » et « partenaire », cinquante-deux fois le terme « capacité », quarante-cinq fois le terme « ressource », trente-sept fois les termes « économie » et « économique », trente-deux fois les termes « efficacité » ou « efficace », trente-quatre fois le terme « sécurité », vingt-sept fois les termes « gestion » et « gérer », dix-huit fois le terme « gouvernance », dix-sept fois le terme « coordination », dix-sept fois aussi les termes « secteur privé » et « entreprise », quatorze fois le terme « transparence », treize fois le terme « responsabilité ». En regard, le terme « Etat » n’est utilisé que dix-sept fois, les termes « droits », « loi » et « légal » quinze fois, les termes « social » et « société » huit fois, et pas une fois les termes « souveraineté », « légitimité », « indépendance », « citoyen », « peuple » et « nation ». (Représentants personnels pour l’Afrique du G8 « Plan d’action pour l’Afrique - Rapport conjoint sur l’état d’avancement des travaux », Londres, 1er juillet 2005, je souligne. Pour un tel exercice à l’échelle des déclarations officielles, voir l’Annexe 2.)

2 Un tel déplacement est lisible, par exemple, dans une déclaration de 2007 où le G8 s’engage à « promouvoir les valeurs universelles que sont le respect des droits de l'homme, les libertés fondamentales, la paix, la démocratie, la bonne gouvernance, l'égalité entre les sexes, la primauté du droit, la solidarité et la justice ainsi que la gestion durable des ressources naturelles. » (G8, « Croissance et responsabilité en Afrique », Heiligendamm, 8 juin 2007)

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Concurrence des territoires et des systèmes juridiques – et non plus seulement des Etats, comme c’est le cas depuis leur apparition –, rentabilité des systèmes de santé et d’éducation, souveraineté monétaire, intégrité des marchés… la démocratie et le marché partageant la même valeur cardinale de liberté et le même principe d’auto-ajustement1. En mêlant allègrement ces principes et ces domaines dans un discours circulaire et tautologique, le G8 vise explicitement à fondre dans un même bloc un libéralisme politique basé sur un sujet de droits constituant du souverain et un libéralisme économique basé sur un sujet libre et rationnel constituant du marché, ce au profit du second et aux fins d’un « nouveau sens partagé de la communauté2 » qui vaudrait pour la pierre philosophale de la mondialisation3. Précisément, les principes « fondamentaux » devenant, après la disparition du bloc de l’Est, des valeurs « universelles », la démocratie de marché a été hissée au rang de fin et de moyen de l’humanité, moteur des actions humaines et principe de leur compréhension4. Ici encore, l’effectivité du G8 n’est compréhensible qu’une fois l’instance resituée dans la trame des institutions internationales que ses membres manœuvrent. A la fin des années 80, la démocratie devient ainsi par exemple le leitmotiv des instances internationales, sous l’appellation contrôlée de gouvernance5. 1 Les déclarations du G8 parlent ainsi à plusieurs reprises d’emprunts, de contrats obligataires, de

dettes et de crédits souverain(e)s ; d’intégrité des IFI, des marchés et du secteur privé ; d’intérêts, d’attentes, de moyens de subsistances et de besoins légitimes ; d’indépendance des IFI, des médias, des systèmes monétaires et économiques, etc.

2 G8, « Communiqué », Okinawa, 23 juillet 2000 3 On lit ainsi, en 1992 : « la liberté politique et la liberté économique sont étroitement liées et se

renforcent mutuellement […] Les conditions ont rarement été aussi favorables pour établir une paix durable, garantir le respect des droits de l'homme, faire appliquer les principes de la démocratie, assurer la liberté des marchés, vaincre la pauvreté et préserver l'environnement. ». En 1990 : « Nous saluons sans réserve l'expansion de la démocratie pluraliste, la pratique d'élections libres, la liberté d'expression et de réunion, le respect accru des droits de l'homme, la primauté du droit, et la reconnaissance croissante des principes d'une économie fondée sur la liberté et la concurrence. Ces événements proclament avec éclat les droits inaliénables de l'homme : lorsque les hommes sont libres de choisir, ils choisissent la liberté. » Ou encore, en 2000 : « un engagement durable envers la paix et les principes fondamentaux de la démocratie, la primauté du droit, les droits de la personne et une économie ouverte demeurent indispensables ». (G7, « Déclaration politique », Munich, 7 juillet 1992 ; _ « Déclaration économique », Houston, 11 juillet 1990 ; _ « Déclaration économique. Agir ensemble pour une croissance plus forte et un monde plus sûr », Munich, 8 juillet 1992 ; Ministres des Affaires étrangères du G8, « Initiatives prises par le G8 à Miyazaki pour la prévention des conflits », 13 juillet 2000)

4 « Au cours du dernier quart du XXe siècle, affirme le communiqué de 2000, l'économie mondiale a connu une prospérité sans précédent, la guerre froide a pris fin et la mondialisation a engendré un nouveau sens partagé de la communauté. Ces développements sont principalement attribuables à la propagation dans le monde des principes et des valeurs de base que nous avons constamment préconisés : la démocratie, l'économie de marché, le progrès social, le développement durable et le respect des droits de la personne. » (G8, « Communiqué », Okinawa, 23 juillet 2000)

5 Le terme de gouvernance apparaît pour la première fois dans le corpus de la Banque en 1989 dans un rapport sur une Afrique sub-saharienne en proie à des crises à répétition, notamment dans le domaine politique. Dès 1990, le ministre des Affaires étrangères britannique, Douglas Hurd, met la gouvernance à l’honneur dans un discours prononcé en juin à l’Overseas Development Institute. Il y explique entre autres choses que la transition post-communiste en

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Certes, dès la fin des années 50 et tout au long de la décennie suivante, de nombreux analystes débattent des liens entre démocratie et développement économique, soulignant pour la plupart l’importance du second pour la première1. Certes, en 1961, les vingt membres de l’OCDE s’étaient déjà réunis, sur la base des principes « de l’économie de marché et de la démocratie pluraliste2 ». Mais jamais l’idée que le marché non seulement s’autorégule mais règle l’ensemble des activités humaines n’avait été avancée avec une telle force, sinon par les auteurs néolibéraux de l’Ecole de Fribourg (ou ordo-libéraux) puis ceux de l’Ecole de Chicago3. Les ensembles régionaux constitués dès la fin des années 1940 reposaient sur un équilibre fébrile entre l’espace d’utilité et l’espace de la souveraineté. Dans la pensée professée par le G8, le premier constitue le second. Plutôt qu’une morale utilitariste, au sens où la morale promue par le G8 ne vise pas à maximiser le bien-être des acteurs en présence et où l’utilité commune disparaît sous l’utilité privée, le G8 promeut des principes fonctionnels ordonnés à celui d’intérêt. D’un côté, une morale fonctionnaliste, dans la mesure où les référents généraux sont pris sous leur aspect procédural, la démocratie n’étant par exemple pas un idéal mais un système d’organisation4, et où les valeurs morales sont rabattues sur des principes fonctionnels tels que l’efficacité, la stabilité, la rapidité, la cohérence, la simplicité, l’appropriation, l’alignement, l’harmonisation, la gestion fondée sur les résultats, l’évaluation des risques, l’obligation de rendre compte ou l’imputabilité, ces principes devenant du même coup des instruments de sélection et de mesure qui doivent permettre de résoudre les problèmes politiques et sociaux au moyens de

Europe de l’Est « prouve amplement que les libéralisations économiques et politiques sont inséparables », et souhaite que l’attribution de l’aide au développement prenne en compte le bilan de son pays récipiendaire en matière de « pluralisme, de redevabilité (accountability), de respect des législations, des droits de l’homme et des principes du marché. » En juin 1990, le Conseil de l’Europe réuni à Dublin s’empare de la question des conditionnalités politiques et se clôt par une déclaration sur l’importance des droits de l’homme et de la bonne gouvernance en Afrique. En novembre de la même année, USAID, premier bailleur gouvernemental américain, fait des « progrès vers la démocratie » une condition d’attribution de ses prêts. Un auteur américain a pu parler, à propos de ce début des années 90, de « troisième vague de démocratisation ». (P. Landell-Mills, R. Agarwala, S. Please, Sub-Saharan Africa: From Crisis to Sustainable Growth: A Long-Term Perspective Study, The World Bank, 1989 ; Discours de D. Hurd cite in J. Hughes, “EU enlargement conditionality and coercive Europeanization in the Central and Eastern European transition States”, London School of Economics, March 2003, p.10 ; S. Huntington, The Third Wave: Democratisation in the Late Twentieth Century, 1991)

1 Cf. par exemple M. S. Lipset, “Some Social Requisites of Democracy: Economic Development and Political Legitimacy”, American Political Science Review, vol. 53, March 1959, pp.69-105

2 « L’OCDE », OCDE, 2006, p.8 3 Constitué vers 1933 à Fribourg, le premier courant regroupe entre autres W. Eucken, F. Böhm,

W. Röpke, A. Rüstow, L. Miksch et A. Müller-Armack. Le second groupe, plus informel, rassemble à partir des années 50 des auteurs comme M. Friedman, G. Stigler, F. Knight, T. Sowell, R. Coase, R. Posner, R. Lucas Jr. ou encore G. Stanley Becker. Le G8 opère une synthèse entre ces deux courants modernes du libéralisme, le premier insistant sur des valeurs fondamentales et le second sur des doctrines économiques, et notamment monétaristes.

4 La Charte de Paris adoptée le 21 novembre 1990 par les trente-quatre Etats de la CSCE, engage par exemple ses signataires à « édifier et raffermir la démocratie comme seul système de gouvernement ». (CSCE, « Charte de Paris pour une nouvelle Europe », 21 novembre 1990, p.3, je souligne.)

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solutions technico-économiques1. De l’autre, une morale de l’intérêt, notion beaucoup plus centrale que celle d’utilité dans la grammaire du G82. Ce sont les « nœuds communs de l’intérêt3 » qui sont au départ et à l’aboutissement de l’action et des agrégations4. C’est l’intérêt qui arbitre entre le critère de l’utilité et de le principe de l’échange. Entre les groupes d’intérêts auxquels s’adresse le G8 – gouvernements, banques, industries, syndicats, consommateurs, associations… – il n’y a pas préséance de principes selon une hiérarchie établie, ni d’accords et de désaccords en fonction de négociations, il y a des intérêts qui convergent et des intérêts qui se heurtent. Si l’on collabore, si l’on discute, si l’on échange, s’il l’on fait la guerre ou la paix, c’est parce qu’on y a, à un moment donné, tout intérêt. Les réformes proposées aux non membres du G8 le sont en ce sens dans « leur intérêt » et la coopération interétatique se résumé à la recherche d’« intérêts mutuels » et d’« avantages communs » pour des groupes de pays5 ou pour tous les pays de la planète, « l’intérêt de l’économie mondiale6 » ayant valeur d’intérêt général, au bien commun se substituant le « bénéfice de tous7 ». Mais l’intérêt n’est pas une mesure uniquement

1 S’il peut y avoir, dans les déclarations du G8, mise en avant du critère d’utilité, le critère

d’efficacité est par exemple largement plus présent. Selon mes calculs, les termes renvoyant à l’utile apparaissent presque six cents fois dans les déclarations officielles, ceux se rapportant à l’utilité seulement à une cinquantaine de reprises. A en croire par exemple le G7 Finances, il y a coordination parce que c’est efficace (« Les interventions, écrivent-ils en 2006, ont plus de chances d'être efficaces lorsqu'elles sont coordonnées »). On assiste même à une substitution du critère de réussite au principe de légitimité ou, pour parler en ces termes managériaux qu’affectionne le G8, d’une obligation de résultats à une obligation de moyens. Chirac disait à cet égard, parlant du vote de la résolution de l’ONU sur le transfert de souveraineté en Irak : « Ce n'était pas, naturellement, la question de savoir qui avait tort ou qui avait raison. C'est un problème d'efficacité. » (Ministres des Finances du G7, « Rapport des Ministres des Finances du G7 aux Chefs d'Etat et de Gouvernement sur la stabilité monétaire internationale », Lyon, 28 juin 2006 ; J. Chirac, « Point de presse », Sea Island, 9 juin 2004)

2 Elle revient plus de cent soixante fois dans les déclarations officielles. 3 D. Ricardo, Des principes de l'économie politique et de l'impôt, 1817, p.86 4 Et ces agrégats peuvent être très divers par leur taille et leur composition. En 2006 par exemple,

le G8 distinguait, en matière de piratage, entre « les intérêts des pays, des consommateurs et des milieux d’affaires ». Concernant le mobile, par exemple, du partenariat avec les pays arabes, on lit en 2005 : « Compte tenu en outre de l’importance que revêt la région s’agissant de nos propres intérêts, il est indispensable que nous encouragions la nouvelle dynamique de changement ». (G8, « Combattre le piratage et la contrefaçon pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle », Saint-Pétersbourg, 16 juillet 2006 ; _ « Partenariat pour le progrès et pour en avenir commun avec la région du Moyen-Orient élargi et de l'Afrique du nord », Gleneagles, p.1)

5 Dans les déclarations du G8, la notion d’« intérêt mutuel » s’applique aux pays membres du G8, aux pays en développement, aux pays du bloc soviétique, aux pays exportateurs de pétrole, aux nouveaux pays industrialisés d’Asie, aux pays donateurs et aux pays bénéficiaires de l’aide au développement, etc.

6 G7, « Déclaration économique », Ottawa, 21 juillet 1981 7 Allusion au titre de la déclaration économique de 1996. Dans cette perspective, rappelle la

déclaration économique de 1984, « renforcer le système commercial libre et ouvert [est] dans l'intérêt mutuel de toutes les économies, industrialisées et en développement ». On lit encore, dans une déclaration de 2005, qu’« il est primordial pour chacun de nos pays et le monde entier

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économique mais l’étalon de toute chose. Intérêts politique, intérêts de sécurité1, « intérêts des générations actuelles et futures » en matière d’environnement2, intérêts culturels3, intérêts des peuples4, intérêts nationaux des Etats, intérêt économique du secteur privé, etc. Il faudrait donc parler, en substitut des sphères de souveraineté, non pas de sphères d’utilité mais de sphères d’intérêt qui s’étendent de l’échelle individuelle à celle de l’espèce, sinon de la vie sur Terre dans son ensemble. Une fois posées les frontières symboliques de ce cadre général, l’activité normative peut être libéralisée sans risque. Ainsi ouverte aux différents acteurs supranationaux, elle voit surgir d’une part ces « entrepreneurs de normes5 » que sont les organisations du secteur non lucratif, et de l’autre une « loi globale sans Etat6 » regroupant les règles privées d’échanges entre multinationales ou en leur sein ainsi que les standards internationaux et les règles plus ou moins formalisées par les associations d’entreprises et les instances d’arbitrage comme la Chambre de commerce internationale. Appelée aussi lex mercatoria, cet ensemble normatif vieux d’au moins cinq siècle a progressivement colonisé le champ juridique et contribué à faire du droit commercial supranational, tel qu’établi aujourd’hui par l’OMC, le paradigme du droit international et le sommet de la pyramide juridique mondiale. En deçà du droit des échanges, l’ensemble général dessiné par ces normes privées dénuées de mécanismes formels de sanction est généralement appelé soft power. Selon un rapport présenté devant l’Assemblée générale de l’ONU, « ces initiatives peuvent être considérées comme l’expression encore largement expérimentale d’une

que l’économie mondiale soit vigoureuse. » (G7, « Communiqué économique : Réussir la mondialisation au bénéfice de tous », Lyon, 28 juin 1996 ; _ « Déclaration économique », Londres, 9 juin 1984 ; G8, « Économie mondiale et pétrole » Gleneagles, 8 juillet 2005, p.1)

1 Les relations Est-Ouest correspondent à « un équilibre complexe d'intérêts et de risques. » et « doivent être compatibles avec nos intérêts en matière de sécurité. » (G7, « Déclaration économique » , Ottawa, 21 juillet 1981 ; G7, « Déclaration finale », Versailles, 6 juin 1982)

2 G7, « Déclaration économique », Londres, 17 juillet 1991 3 Exemple : « Pour maximiser les avantages de l'interaction culturelle, nous devons encourager nos

peuples à apprendre à vivre ensemble, en favorisant l'intérêt, la compréhension et l'acceptation des cultures différentes. » (G8, « Communiqué », Okinawa, 23 juillet 2000)

4 Le G8 déclarait en 2002 ne pas vouloir collaborer « avec des gouvernements qui ignorent les intérêts et la dignité de leur peuple. ». Dans le même ordre d’idées, la Déclaration de Sana’a, émise dans le cadre du « Partenariat pour le progrès et un avenir commun avec les gouvernements et les peuples du Moyen-Orient élargi et de l'Afrique du Nord », lancé par le G8 en raison « l’importance que revêt la région s’agissant de [ses] propres intérêts », interprète ainsi la Déclaration des droits de l’homme : « les systèmes démocratiques protègent les droits et intérêts de chacun sans discrimination, en particulier les droits et intérêts des groupes défavorisés et vulnérables ». (G8, « Plan d'action pour l'Afrique du G8 », Kananaskis, 27 juin 2002 ; _ « Partenariat pour le progrès et pour un avenir commun avec la région du Moyen-Orient élargi et de l'Afrique du Nord », Sea Island, 9 juin 2004 ; “Sana'a Declaration on Democracy, Human Rights and the Role of the International Criminal Court”, issued by the Inter-Governmental Regional Conference on Democracy, Human Rights and the Role of the International Criminal Court, held in Sana'a, Yemen , on 10-12 January 2004)

5 B. Pouligny, « Le rôle des ONG en politique internationale », La Revue Projet, printemps 2002 6 Cf. G. Teubner (Ed), Global Law Without State, 1996

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pratique naissante de réglementation et de mise en place administrative, globale et volontaire, qui existe dans un certain nombre de domaines où le système intergouvernemental n’a pas suivi le rythme des changements rapides des attentes sociales.1 » D’où il ne faudrait pas conclure que le système intergouvernemental est déjà condamné, devant la course folle de la mondialisation, à une obsolescence toute proche.

Normaliser C’était d’abord une question de méthode : le pouvoir du G8 semblant dénué de face externe, ne point s’exercer sur un peuple, ne pas constituer de sujets, ne pas considérer le champ international comme sa propriété exclusive, mais se brancher sur la pyramide des opérateurs existants aux échelles internationales, régionales et nationales, sur un écheveau juridico-politique hérité dont il n’a jamais voulu réformer que les échelons les plus élevés et les fonctions les moins spécifiques, bref puisque ça ne pouvait être celle de l’Etat, de quelle lumière éclairer le G8 ? en quels termes l’analyser ? législature, gouvernement, gouvernance, gouvernementalité même, ou marché ? Le G8 ne suit ni les principes anarcho-capitalistes qui ne veulent accorder aux pouvoirs publiques qu’un strapontin ni ceux keynésiens qui placent entre leurs mains froides les principaux leviers de l’économie. Les institutions publiques sont des acteurs du jeu économique, le pouvoir gouvernemental se donne comme un pouvoir économique, mais à une position de monopole public le G8 entend substituer une situation de concurrence ; à un rôle de régulation du marché il va préférer la tâche de régulation pour le marché, au statut d’Etat-providence correcteur du marché, celui d’Etat mercantiliste créateur du marché. A ses yeux, la majorité des Etats, incapables d’administrer convenablement leur territoire national, le sont également s’agissant du champ supranational. Pour les autres, cet espace est synonyme de compétition avec une multitude de groupes d’intérêts. L’évolution de l’Etat souhaitée par le G8 est donc double : à la fois un retour à sa forme primitive, où il n’était paré que des instruments de la justice et de la guerre, et une nouveauté radicale, puisqu’il se trouve détaché d’une part importante de ses capacités juridiques et de sa territorialité. Les Etats, assène le G8, doivent changer, quelle que soit leur hétérogénéité2. Trop forts dans les pays industrialisés, pas assez dans les pays en développement, leur interventionnisme sera quoi qu’il en soit réorienté du domaine du marché vers le

1 J. Ruggie, “Business and Human Rights: Mapping International Standards of Responsibility and

Accountability for Corporate Acts”, Report of the Special Representative of the Secretary-General on the issue of human rights and transnational corporations and other business enterprises, Summary, 9 February 2007, p.16

2 Il est inutile de comparer, dans le discours du G8, la figure des Etats qui s’effondrent, « Etats fragiles », « Etats faillis », aux Etats membres du G8, au contraire toujours trop enclins à user de leurs moyens d’intervention, toujours soupçonnable d’un totalitarisme économique qu’il s’agit de sans cesse conjurer. (Cf. G8, « Croissance et responsabilité en Afrique », Heiligendamm, 8 juin 2007)

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hors-marché, et leur extériorité au marché revue, le tout selon un triple axe : modulation de l’environnement structurel, institutionnel et humain du marché, participation au marché comme n’importe quel autre groupe d’intérêt, prise en charge des marges de la populations sorties du marché et des dysfonctionnements de ce dernier. Si nous parlons tout au long de cette partie d’institutions publiques plutôt que d’Etats, les organisations interétatiques sont évidemment concernées. Cette triple fonction est ainsi lisible dans la reformulation ou le recentrement de leur mandat : à l’ONU la sécurité et le maintien de la paix ; à la Banque mondiale la prise en charge des services sociaux dans les pays en développement ; au FMI et à l’OMC la régulation des marchés financiers. Plus encore, cette répartition est également repérable entre les institutions privées sur lesquelles s’appuie le G8 telles son shadow government. Au GACT, à l’Initiative globale pour combattre le terrorisme nucléaire et au GAFI la sécurité ; au Comité de Bâle, au G20 et au FSF la régulation des marchés financiers ; aux plans, forums, initiatives et autre consortium régionaux, les infrastructures de base. On la retrouve enfin dans le secteur privé, où ONG, banques, multinationales – dont les médias –, cabinets d’audit ou de notation se mêlent aussi bien d’assistance, de sécurité et de développement que de régulation des marchés. Derrière ces mécanos institutionnels se tapissent quelques évidences apparemment indiscutables : la démocratie est l’horizon unique des formes politiques, que des élections libres suffisent à asseoir ; l’Etat est soluble dans le gouvernement, sinon dans l’administration ou la gouvernance1 ; le marché autorégulateur est la meilleure forme d’organisation des échanges quels qu’ils soient. Bref, au-delà de la modulation des institutions, il y a une refonte de l’art de gouverner.

Les institutions publiques, des organisations parmi d’autres ; le gouvernement, un mode de gestion comme un autre Discours et valeurs, standards et principes : où que l’on se tourne, une fois dans l’univers du G8, il s’agit toujours de signes, il s’agit toujours de normes. A la concurrence entre systèmes juridiques nationaux s’est ajoutée depuis le XIXe siècle une concurrence entre ensembles normatifs privés. Normes postales, normes de communication, lex mercatoria, tout un ensemble de règles privées a préexisté au système juridique international, d’abord cantonné au seul droit de la guerre. C’est un fait : l’Etat n’a jamais évolué seul dans la sphère supranationale. Dès la fin du XVIIIe siècle pour les associations et bien avant pour les Banques et les sociétés de commerce, les acteurs privés n’ont pas attendu la vague contemporaine de mondialisation pour pénétrer ce champ. Mais le pouvoir royal puis l’Etat en restaient néanmoins les contremaîtres et le centre de gravitation, qu’il s’agisse des expéditions maritimes, des compagnies coloniales, de la présence d’ONG au Congrès de Vienne et à la Conférence de San Francisco ou de la manière dont la

1 « Nos efforts viseront surtout, prédit le communiqué de 1997, à encourager la bonne

administration des affaires publiques et l'État de droit, à renforcer la société civile, à accroître la participation des femmes à la vie politique et à stimuler le soutien du secteur privé et des syndicats pour la démocratie, particulièrement dans les jeunes démocraties et les sociétés en conflit. » (G7, « Communiqué », Denver, 22 juin 1997)

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SDN a pu accueillir pour tirer parti de leur expérience des groupes d’intérêts privés comme la Chambre de commerce internationale ou la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté1. L’ONU est la première institution internationale à avoir formalisé ses relations avec les acteurs privés. Jamais défini par l’organisation alors qu’il est de son invention, le terme « ONG » recouvrait implicitement les organisations qui n’étaient ni des gouvernements ni les créations de gouvernements et dont les objectifs n’étaient pas principalement commerciaux2. Un récent rapport d’un groupe d’experts sur les relations entre l’ONU et la société civile notait, dans la même perspective, qu’« il n’existe pas de définition “correcte” de termes tels que “société civile” », ajoutant que « les frontières entre les acteurs [non étatiques] sont poreuses3 », et ce d’autant plus que, depuis le Pacte mondial (Global Compact) de 1999, l’ONU a ouvert ses portes au monde entrepreneurial. Plus encore, ayant réduit les principaux acquis du droit international à des normes indicatives, l’institution a également rendu perméable la frontière entre acteurs étatiques et non étatiques4. L’ancien Secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, avouait au Forum économique mondial de 1999 qu’« autrefois, l'ONU n'avait à faire qu'avec les gouvernements. Nous savons 1 Cette dernière organisation a réussi à jouer un rôle officiel dans les conférences économiques

tenues par la SDN en signant par exemple certains des actes finaux de ses conférences, avant de s’en faire éjecter avec le retour, vers 1933, des nationalismes.

2 Pourtant, en dehors de l’article 71 qui donne la possibilité à l’ECOSOC (Conseil économique et social) de « consulter les organisations non gouvernementales qui s'occupent de questions relevant de sa compétence », elle ne reconnaît aux ONG qu’un rôle d’observation, d’appui opérationnel et de diffusion d’information. Les ONG n’ont eu, depuis la création de l’ONU, aucune possibilité de participer au fonctionnement de ses principaux organes en dehors de l’ECOSOC, et les groupes de travail de l’Assemblée générale leur sont généralement fermés quand bien même ces groupes prennent des décisions sur la base des propositions formulées lors des sommets des années 90 auxquels elles ont fortement participé. Ces sommets thématiques internationaux peuvent être considérés comme l’incubateur du mouvement altermondialiste. Pour les citer : la Conférence sur l'environnement et le développement (Sommet planète Terre, juin 1992, Rio de Janeiro), celle sur les droits de l'homme (juin 1993, Vienne), celle sur la population et le développement (septembre 1994, Le Caire), le Sommet mondial pour le développement social (mars 1995, Copenhague), la quatrième Conférence mondiale sur les femmes (septembre 1995, Beijing) et la deuxième Conférence sur les établissements humains ou Habitat II (juin 1996, Istanbul), le Sommet mondial de l’alimentation (1996, Rome), le Sommet sur le climat (1997, Kyoto), le Sommet du millénaire (septembre 2000, New York), la troisième Conférence des Nations unies sur les pays les moins avancés (mai 2001, Bruxelles), la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance (septembre 2001, Durban), la Conférence sur le financement du développement (mars 2002, Monterrey) et le Sommet mondial sur le développement durable (septembre 2002, Johannesburg).

3 “We the peoples: civil society, the United Nations and global governance”, Report of the Panel of Eminent Persons on United Nations–Civil Society Relations, June 2004, p.13

4 Dans sa résolution 56/76, l’Assemblée générale de l’ONU « invite le Secrétaire général à continuer de rechercher le point de vue de partenaires pertinents, en particulier le secteur privé, sur la manière d’améliorer leur coopération avec les Nations unies. » Depuis, le droit international onusien a été résumé, à l’intention des entreprises, en neuf principes non contraignants. (UN General Assembly, “Resolution 56/76. Towards global partnerships”, Resolution adopted by the General Assembly on its Fifty-sixth session, 24 January 2002 ; “Business and Human Rights: A Progress Report”, Office of the United Nations High Commissioner for Human Rights, Geneva, January 2000 ; Cf. site du Global Compact : <http://www.unglobalcompact.org/>)

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désormais que la paix et la prospérité ne peuvent être atteintes sans des partenariats faisant intervenir les gouvernements, les organisations internationales, la communauté des affaires et la société civile. Dans le monde d'aujourd'hui, nous dépendons les uns des autres.1 » A la fin du XXe siècle se confirme un glissement de l’action des groupes d’intérêts du champ para-gouvernemental vers l’espace du marché2. Les instances publiques ne sont plus les lieux de passage obligés du local au supranational. Si bien que la distinction fondamentale entre le public et le privé semble céder le pas à une distinction entre le local et le mondial. De même, le remplacement progressif du terme ONG par celui de société civile induit une distinction, de la part des ONG, non plus entre le gouvernemental et le non gouvernemental, mais entre le lucratif et le non lucratif3, ainsi qu’un repositionnement général qui les rapproche des autorités publiques, du moins en ce qui concerne leur financement. Promoteur d’un système basé sur l’espace de l’échange et le critère de l’intérêt, le G8 a inauguré des types de partenariats inédits, largement soutenu l’essor supranational des acteurs privés et organisé leur coopération autant que leur mise en concurrence. Il a su s’ouvrir, dans la seconde moitié des années 90, aux ONG et au secteur privé. Du côté non lucratif, le G8 a pu tirer parti de la contestation. Car après tout, financer, inviter, accréditer, écouter, récupérer, n’était-ce pas une manière pour ce pouvoir de faire du contre-pouvoir organisé une oxymore ? Le secteur privé, pour sa part, est l’un des principaux destinataires des signaux envoyés par le G8, qui ne cesse de l’encourager à se supranationaliser4.

1 De même, selon un rapport du Rapport du Secrétaire général des Nations unies endossé par

l’Assemblée générale, « les États souverains sont les éléments de base, indispensables, du système international. […] Les États ne peuvent toutefois pas faire le travail seuls. Nous avons besoin d’une société civile active et d’un secteur privé dynamique. […] Nous avons également besoin d’institutions intergouvernementales régionales et mondiales agiles et efficaces, capables de mobiliser une action collective et de la coordonner. » (K. Annan, « Adresse au Forum économique mondial », 31 janvier 1999, cité in UN, “Multi-Stakeholder Partnerships and UN-Civil Society Relationships. Collection of Materials from the Multi-Stakeholder Workshop on Partnerships and UN-Civil Society Relationships”, New York, February 2004, p.34 ; Assemblée générale des Nations unies, « Dans une liberté plus grande : développement, sécurité et respect des droits de l’homme pour tous », op. cit., p.7)

2 Cette affirmation serait à nuancer à la lumière de la centralité accordée à l’instrument juridique et à la régulation étatique par nombre d’organisations de la société civile.

3 La distinction organisationnelle n’étant non plus vraiment pertinente, à l’heure où les ONG se sont mises aux techniques de management les plus modernes et pratiquent, à la manière d’entreprises et de consortiums, fusions, acquisitions, filialisation, etc.

4 Par exemple, la déclaration de 1992 invitait « les entreprises des pays industrialisés à profiter des possibilités d'investissement dans les PECO [Pays d’Europe centrale et orientale]. » En 2004, le G8 suggérait que « permettre au secteur privé d'aider les plus démunis devrait être inscrit systématiquement dans tous les efforts d'aide au développement », alors que le G7 Finances se faisait plus impératif : « nous exhortons les BMD [Banques multilatérales de développement] à inclure significativement les avis du secteur privé dans les plans d’assistance. » (G7, « Déclaration économique. Agir ensemble pour une croissance plus forte et un monde plus sûr », Munich, 8 juillet 1992 ; G8, « Plan d'action du G8 : appliquer l'esprit d'entreprise à l'éradication de la pauvreté », Sea Island, 9 juin 2004 ; G7 Finance, “ Statement of G7 Finance Ministers and Central Bank Governors”, April 23-24, 2004, Washington DC)

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A la fin des années 90, après une période où la collaboration se limitait souvent à l’échange d’information et au trafic d’influence, les acteurs privés associatifs et entrepreneuriaux sont invités par le G8 à participer à ces formes de coopération lâche et flexible que sont les partenariats. Partenariats entre institutions publiques, partenariats entre instances privées, partenariats public-privé, « points de contact1 », tout est permis tant l’informalité ne connaît pas les contraintes de l’institutionnalisation2. C’est dans cet « esprit de partenariat3 » que le secteur privé – et particulièrement sa branche lucrative – est promu au rang de partenaire incontournable en matière de développement4, de lutte contre le terrorisme5 et le piratage6, de santé7, de recherche8, d’éducation1, d’environnement2… La première

1 Les membres du G8 entend en ce sens désigner, « dans chacun de [leurs] pays, des points de

contact qui pourront faciliter l'échange d'idées et de connaissances, tout en reconnaissant que la participation du secteur privé à la conception de ces partenariats est l'un des principaux moyens d'assurer un arrimage efficace entre l'enseignement supérieur et les besoins de la société mondiale de l'innovation. » (G8, « L'éducation au service des sociétés novatrices du XXIe siècle », Saint-Pétersbourg, 16 juillet 2006)

2 En 2004 par exemple, le G8 entend, dans les pays du Sud, « aider à établir des liens entre entreprises pour promouvoir des projets commercialement viables et pour mettre en relation investisseurs, exportateurs et fournisseurs de services grâce à des réunions d'entrepreneurs et à des réunions sectorielles plus restreintes ». (G8, « Plan d'action du G8 : appliquer l'esprit d'entreprise à l'éradication de la pauvreté », Sea Island, 9 juin 2004)

3 G7, « Déclaration économique. Agir ensemble pour une croissance plus forte et un monde plus sûr », Munich, 8 juillet 1992

4 Le passage du politique d’aide publique au développement à un soutien au secteur privé dans les pays pauvres est très nettement visible dans les déclarations du G8. En 2005, celle sur l’Afrique affirmait en ce sens que « l’entreprise privée est l’un des principaux moteurs de la croissance et du développement » et que l’on peut donc, par exemple, prévenir les conflits en « maximisant l’apport des entreprises locales et multinationales à la paix et à la stabilité ». (G8, « Déclaration sur l’Afrique », Gleneagles, 8 juillet 2005, pp.10 et 4)

5 Pour atténuer les conséquences néfastes des attaques terroristes, le G8 notait en 2005 que « les gouvernements et les entreprises doivent établir des plans de continuité, notamment pour bien protéger les systèmes économiques et financiers. » Le G8 insistaient à ce titre, l’année suivante, sur « l'importance qu'il y a, dans notre monde sans frontières, de travailler en étroite collaboration avec les partenaires du secteur privé pour combattre le terrorisme », et prévoyait le lancement imminent d’un « Forum mondial pour l'établissement de partenariats entre le gouvernement et les entreprises pour lutter contre le terrorisme ». (G8, « Déclaration du G8 sur la lutte contre le terrorisme », Gleneagles, 8 juillet 2005, p.3 ; G8, « Déclaration du G8 sur la lutte contre le terrorisme », Saint-Pétersbourg, 16 juillet 2006)

6 Le G8 entend pour ce faire « améliorer la coordination des stratégies contre le piratage et la contrefaçon et assurer une étroite coopération entre les agents d’application, y compris par la mise en commun des analyses des risques et des pratiques exemplaires et une coopération accrue aux frontières internationales, et entre les gouvernements et le secteur privé ». (G8, « Réduire le piratage et la contrefaçon par des mesures plus efficaces pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle », Gleneagles, 8 juillet 2005, p.2)

7 Le G8 se montre prêt, en 2006, à collaborer « avec les gouvernements, les entreprises du secteur privé et les organisations non gouvernementales dans des partenariats entre secteurs public et privé afin d'élargir les interventions et les programmes de lutte contre le paludisme ». (G8, « Lutte contre les maladies infectieuses », Saint-Pétersbourg, 16 juillet 2006)

8 En 2006, le G8 indique vouloir « utiliser stratégiquement les dépenses publiques pour attirer des fonds privés en R&D [recherche et développement], y compris dans le secteur de l'éducation, et

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conséquence de cette privatisation progressive des champs d’action des autorités publiques est un aplanissement de la hiérarchie coutumière entre pouvoirs publics et instances privées – encore que cette catégorisation soit discutable aux yeux du G8, qui ne voit que « groupes d’intérêts », « acteurs du marché » et « parties prenantes » pouvant prétendre à l’égalité3. Sauf que – et c’est la seconde conséquence – cette privatisation conduit à une montée en puissance des acteurs privés, résultat logique de leur rôle dans le déboulonnage des prérogatives publiques, de l’ouverture de nouveaux marchés et de la délégation aux instances créées par le G8 des tâches de décision, de réglementation et de surveillance auparavant confiées aux institutions publiques4. L’évolution est identique à l’échelle nationale et supranationale : le simple échange d’information devient coordination, la coordination devient coopération, la coopération devient concurrence et la concurrence aboutit à la subordination de l’instance la moins adaptée au marché par l’autre, cette dernière bénéficiant généralement en outre d’un environnement institutionnel favorable et du soutien du G85. Cette concurrence est totale, au sens

[faciliter] le resserrement de la coopération entre les universités et l'industrie. » (G8, « L'éducation au service des sociétés novatrices du XXIe siècle », Saint-Pétersbourg, 16 juillet 2006)

1 Afin d’assurer la bonne marche des entreprises, le G8 soulignait en 1999 « la nécessité de développer une culture entrepreneuriale dans le secteur de l'enseignement ». En 2006, il déclarait : « Nos gouvernements encourageront le dialogue et les synergies avec les entreprises, le milieu de l'enseignement supérieur et les syndicats afin de concevoir de saines politiques en matière d'enseignement supérieur et de ressources humaines. » (G8, « Charte de Cologne : apprentissage continu - objectifs et aspirations », Communiqué de presse, Cologne, 19 juin 1999 ; G8, « L'éducation au service des sociétés novatrices du XXIe siècle », Saint-Pétersbourg, 16 juillet 2006)

2 Dès 1987, le G7 encourage « le programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE) à instituer le Forum d'échange d'informations et de consultation ceci en coopération avec l'Organisation internationale de Normalisation (ISO) et le Conseil international des Unions scientifiques (CIUS), et avec l'assistance d'autres organisations internationales et de pays intéressés ». (G7, « Déclaration économique », Venise, 10 juin 1987)

3 Lors du sommet du G8 de 2004, le chef du gouvernement turc ira jusqu’à déclarer aux journalistes que « les gouvernements régionaux, les ONG et les organisations patronales devraient être acceptés comme des partenaires égaux. » (R. T. Erdogan, “Press conference”, Savannah, June 9, 2004)

4 Un plan d’action de 2004 préconise en ce sens d’« appuyer le dialogue avec les gouvernements, la société civile et le secteur privé pour remédier aux obstacles réglementaires et en matière d'infrastructures ». (G8, « Plan d'action du G8 : appliquer l'esprit d'entreprise à l'éradication de la pauvreté », Sea Island, 9 juin 2004)

5 Dans le cas du FMI par exemple, un communiqué de 1995 note : « Dans le passé, on a relevé ce défi [de la stabilité financière] en recourant à un réseau d'institutions et d'arrangements dont le FMI, la BRI, le G7, le G10 et l'OCDE. Ces groupes ont énormément renforcé la collaboration entre les décisionnaires et les organes de surveillance et de réglementation des marchés financiers, et amélioré la circulation de l'information entre eux. » On a ensuite pu observer la montée en puissance d’acteurs privés comme les Fondations (celle de Bill et Melinda Gates pesant par exemple aujourd’hui plus lourd que le FMI) mais surtout d’instances privées telles que le G20, le Comité de Bâle, le GAFI (Groupe d'action financière) et le FSF (Forum de stabilité financière), dont les recommandations et les normes dictent de plus en plus les politiques financières internationales. On lit par exemple, dans la déclaration du G7 Finances en 2001 : « Nous nous réjouissons de la récente décision des conseils d'administration du FMI et de la Banque mondiale

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où elle s’exerce entre les toutes les instances1, aux échelles locale, nationale, régionale et mondiale, aussi bien dans l’accès aux ressources2 que dans le champ discursif3. La troisième conséquence est donc un affaiblissement notable du système juridique par rapport à un système normatif parallèle qui prend logiquement le dessus dès lors que sont largement acceptés les principes de liberté du marché et d’adaptabilité des différentes instances à celui-ci4. Standards souples et non contraignants contre droit

[institutions publiques] de reconnaître les 40 recommandations du GAFI comme étant la norme internationale à adopter en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux. » De même, le FSF a établi en mars 2000 une liste de douze normes prioritaires pour la stabilité financière, normes qui reprenaient largement les quarante recommandations du GAFI. Selon le ministre de l’Economie et des Finances français de l’époque, « Ces 12 normes constituent le “noyau dur” de règles universelles à appliquer à moyen terme. » En 2007, face à l’expansion des fonds spéculatifs et après avoir salué « la mise à jour du Rapport de 2000 du Forum de stabilité financière (FSF) sur les Fonds à haut effet de levier (FHE) », le G8 en soutient les recommandations, oubliant apparemment le FMI tout en tenant compte « des exigences d'amélioration des pratiques définies par les secteurs officiel et privé. » Certains vont même plus loin dans ce genre d’observations. Pour citer le président du très respecté Institut Nord-Sud, « les deux instances créée par le G7 en 1999 – le Forum de stabilité financière et le G20 – sont aujourd’hui les principaux vecteurs de la réforme financière internationale ». (G7, « Examen des institutions financières internationales », Halifax, 16 juin 1995 ; G7 Finances, « La lutte contre l'abus du système financier international. Rapport des ministres des Finances du G7 aux chefs d'État et de gouvernement », Rome, Italie, 7 juillet 2001 ; L. Fabius, « Discours de Monsieur Laurent Fabius, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie au Comité monétaire et financier international », 24 septembre 2000 ; G8, « Croissance et responsabilité dans l'économie mondiale », Heiligendamm, 7 juin 2007 ; R. Culpeper, “Systemic Reform At A Standstill: A Flock Of ‘Gs’ In Search Of Global Financial Stability”, op. cit., p.12)

1 Soutenu par le G7 en 1996, l’Accord multilatéral sur l'investissement permettait la mise en compétition des Etats et des entreprises. Autre exemple, ainsi que le rappelle une déclaration du G8, « le GACT [Groupe d'action contre le terrorisme, créé par le G8 en 2003] a accepté de faciliter la mise en oeuvre des normes et des pratiques de l’OACI [Organisation de l’aviation civile, instance onusienne donc publique] en matière de sécurité des documents. Il a aussi examiné les efforts déployés par les organisations régionales pour adopter les normes de l’OACI. » (G8, « Initiative pour la facilité et la sécurité des voyages internationaux. Rapport d’étape du Sommet », Gleneagles, 8 juillet 2005, p.8)

2 Par exemple, les associations humanitaires sont de plus en plus concurrencées par les entreprises privées dans le domaine de la provision de services de base.

3 Il est inutile de rappeler ici les actions de plaidoyer menées par les ONG contre les entreprises, mais peut-être seulement que ce fiel oratoire est à double sens. En 1998, par exemple, dans déclaration signée par 450 dirigeants de sociétés transnationales, la Chambre de commerce internationale se montrait préoccupée de ce que « l’émergence de groupes de pression militants risque d’affaiblir l’ordre public, les institutions légitimes et les processus démocratiques. » (“The Geneva Business Declaration. Statement by Helmut O. Maucher, President of the International Chamber of Commerce, at the conclusion of the Geneva Business Dialogue”, Geneva, 24 September 1998)

4 Le cas des codes de conduite relatif au travail est à cet égard éclairant. En 2001, selon une étude de l’OIT sur 258 codes de conduite, « seuls quelques uns des codes passés en revue font référence aux normes internationales de travail », et un tiers seulement « contenait des références au droit d’association et/ou de négociation collective. ». Ils n’étaient, selon cette même étude, que 15% trois ans plus tôt. (M. Urminsky, “Self-regulation in the workplace: Codes

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international uniforme dont la violation est passible de sanctions. Les Etats, semble-t-il, votent eux-mêmes pour la première solution1. Plus encore, certains ne verraient pas d’un mauvais œil la transformation des droits humains et environnementaux en simples standards, arguant du fait que les pays industrialisés ont pu atteindre leur niveau de « développement » sans être soumis à ces contraintes juridiques – quand bien même ils rechignent à se délester de leurs privilèges comme les y incite le G72. La dernière conséquence consiste précisément en une redéfinition complète de l’Etat et de la pratique du gouvernement.

Les institutions publiques comme groupes d’intérêt ; le gouvernement comme administration Les autorités publiques sont soumises aux mêmes règles de concurrence dans la provision des services publics, soumises aux mêmes impératifs de transparence, d’efficacité et de rentabilité dans la gestion de ses finances3, et soumises aux mêmes règles d’agrégation suivant les intérêts que n’importe quel autre groupe évoluant dans la sphère supranationale. Elles sont devenues elles-mêmes des groupes d’intérêt qu’il faut gouverner comme des entreprises. L’Etat lui-même n’est plus, selon le mot de Hayek, qu’« une organisation parmi les autres4 », un agrégat

of conduct, social labeling and socially responsible investment”, Geneva, International Labour Office, 2001, p.23 et p.26)

1 Par exemple, après les attentats du 11 septembre 2001, c’est une institution privée, le GAFI, qui a mené la lutte contre le financement du terrorisme, plutôt que l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, qui est un organisme public. Et le GAFI est parti en guerre avec ses armes propres, à savoir des standards. Ainsi, le 6 octobre 2001, le G7 Finances émettait un plan d’action visant à juguler le financement du terrorisme qui reprenait, dans ses grandes lignes, la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, – convention que seul le Royaume-Uni avait alors ratifiée parmi les membres du G8 et que le Japon et le Canada n’avaient même pas signée. Début février 2002, selon les ministres des Finances et les gouverneurs des banques centrales du G7 « deux cents autres pays et administrations [s’étaient joints] aux pays du G7 pour exprimer leur appui à la lutte contre le financement du terrorisme », alors même qu’ils n’étaient même pas une vingtaine à avoir ratifié la Convention de l’ONU. (Adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU le 9 décembre 1999, la Convention n’est entrée en vigueur que le 22 avril 2002. A cette date, ne l’avaient ratifiée ni les Etats-Unis, ni l’Allemagne, ni le Japon, ni l’Italie, ni la Russie. Le 11 septembre 2001, ils n’étaient que quatre Etats à l’avoir ratifiée.) En septembre de la même année, un rapport du G8 affirmait que, depuis un an, « plus de 160 pays et administrations ont mené des actions concrètes pour geler les avoirs de terroristes », alors qu’il n’étaient que 45 à avoir ratifié la Convention de l’ONU. Les recommandations du GAFI ont été en revanche approuvées par la Commission des Nations unies pour la prévention du crime et la justice pénale. (Cf. « Plan d'action : Rapport sur les progrès de la lutte au financement du terrorisme », in G7 Finances, « Déclaration », Ottawa, 9 février 2002 ; « Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme », 1999 ; G7, “G7 Combating the Financing of Terrorism: First Year Report”, Press Release, 27 September 2002)

2 En 2002 par exemple, le G8 encourageait « les pays du Sud à coopérer entre eux et à collaborer avec les institutions internationales et la société civile, y compris le secteur des entreprises ». (G8, « Plan d'action pour l'Afrique du G8 », Kananaskis, 27 juin 2002)

3 En anglais, le terme efficiency signifie à la fois efficacité et rentabilité. 4 F. A. Hayek, Droit, législation et liberté. Tome 3 : L’ordre politique d’un peuple libre, 1979, p.167

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d’intérêts divers qu’il lui incombe d’administrer, et l’intérêt national qu’un intérêt parmi d’autres à l’échelle supranationale. Le fait de s’occuper d’intérêts a un nom : la gestion. En politique, cette pratique se nomme « gouvernance1 ». Derrière cette notion, depuis l’entrée dans la « révolution managériale2 », dans l’interstice entre l’Etat et le gouvernement, se trame comme une rationalisation économique du gouvernement et une technicisation administrative des pouvoirs publiques. En lieu et place de celle de gouvernement, la grille d’intelligibilité que la notion de gouvernance promeut est celle de la gestion, le gouvernement se trouvant limité à la gestion des ressources et à l’administration des biens, et ce nouvel art de gouverner moins inspiré des principes de la navigation que des méthodes modernes du management. L’art de gouverner est apparu, au XVIe siècle, dans la continuité des gouvernements existant – gouvernement de soi, d’une famille, d’une maison, des enfants, d’un couvent, d’une magistrature, d’un navire… Il a consisté en un sens à transposer au niveau des institutions publiques l’« économie » au sens étymologique, c’est-à-dire l’administration, la gestion de la maison, de ses individus, de ses biens et de ses richesses3. Il était en ce sens légitime de distinguer entre gouvernement et Etat, gouverner et administrer. Avec la gouvernance, point du tout. Le gouvernement se confond avec l’administration, et la gestion recouvre entièrement, sur le plan du marché, le champ public4. Précisément la gouvernance, c’est-à-dire le gouvernement d’une instance publique en tant qu’elle est un acteur du marché, opère à un triple niveau : cadre normatif général5, architecture institutionnelle6, bonnes pratiques détaillées7. Lorsque la notion de gouvernance apparaît dans le discours du G8, en 1999, elle fait déjà preuve de beaucoup de souplesse, désignant la réforme institutionnelle de la direction des IFI, la gestion publique dans les pays du Sud, la lutte contre la pauvreté, la prévention et la gestion des crises, à la fois élément de stabilité et

1 Apparu en français au XIIIe siècle, le terme a été popularisé en politique par la Banque mondiale

à la fin des années 90. Il apparaît à cent cinq reprises dans les déclarations officielles. 2 Cf. J. Burnham, The managerial revolution or what is happening in the world now, 1941 3 Le terme « économie » vient du grec oîkos : « maison », et nomos : « administration ». 4 Dans les déclarations du G8, le terme « gestion » s’applique autant à des organisations

(institutions internationales, Etats, ensembles urbains, entreprises, camps de réfugiés) qu’à des phénomènes (flux migratoires, changements climatiques), des abstractions (environnement, ressources naturelles et humaines, affaires publiques, risques) et des situations ou des processus (opérations de maintien de la paix, situations d’après conflit).

5 Le G8 parle de « cadres bien conçus de gouvernance politique et économique ». En 2004, à propos de la réforme des IFI, le Secrétaire américain au Trésor John Snow déclarait : « Nous voulons des institutions qui donnent des résultats basés sur les principes modernes du management. ». (G8, « Lutte contre la famine, en particulier en Afrique - Plan d'action du G8 », Evian, 2 juin 2003 ; J. Snow, “Statement”, April 23-24, 2004, Washington DC)

6 Le G8 promeut à de multiples reprises le « développement d'institutions fonctionnelles et exemptes de corruption qui soient rentables, transparentes et comptables de leurs actions devant le public ». (G8, « Communiqué », Cologne, 20 juin 1999)

7 Le terme de « bonnes pratiques » revient à trente-neuf reprises dans les déclarations du G8.

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« complément au processus de libéralisation1 ». La gouvernance va par la suite s’appliquer principalement aux pays pauvres et servir à regrouper sous un chapeau commun les « normes mondiales en matière de démocratie2 », qui consistent en quelques principes (liberté, participation, transparence, responsabilité, redevabilité ou imputabilité…) déclinés en une multitude de pratiques souvent purement formelles (multipartisme, élections, bonne gestion publique, institutions efficaces…) et en autant de conditionnalités politiques dans l’attribution de prêts aux pays pauvres (Etat de droit, droits humains, lutte contre la corruption…)3. Le G8, notamment par le lancement de plateformes comme le NEPAD ou le Forum pour l’avenir et avec l’aide également des IFI, a fortement contribué à ce que cet ensemble de « mesures synergiques4 » – autrement dit circulaires – soient intériorisées par les pays non membres du G85.

1 G7, « Déclaration du G7 », Collogne, 18 juin 1999 ;

G8, « Communiqué », Cologne, 20 juin 1999 2 Expression reprise par le Plan d’action pour l’Afrique de 2002 – où le terme gouvernance apparaît

vingt-deux fois – de l’acte constitutif du NEPAD : « le continent prend l’engagement de respecter les normes mondiales en matière de démocratie, dont les principales composantes sont le pluralisme politique, l’existence de plusieurs partis politiques et de plusieurs syndicats, l’organisation périodique d’élections démocratiques libres, justes et transparentes ». (G8, « Plan d'action pour l'Afrique du G8 », Kananaskis, 27 juin 2002 ; « Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique », Abuja, octobre 2001, p.17)

3 En 1997, les ministres des Affaires étrangères du G7, s’agissant du Congo, déclarent que leurs « gouvernements seront prêts à aider à la reconstruction des institutions nationales dans la mesure où les nouvelles autorités se montreront attachées aux réformes démocratiques, ce qui comprend la tenue d'élections, l'adoption de politiques économiques saines, la gestion responsable des affaires publiques et le respect des droits de la personne, y compris la protection des réfugiés. » Cinq ans plus tard, le G8 détaille les modalités d’attribution de son aide publique : « Nos partenaires seront choisis en fonction de résultats mesurables. Cela nous amènera à concentrer nos efforts sur les pays qui se montreront attachés politiquement et financièrement à la bonne gouvernance et à la primauté du droit, qui investiront dans leur capital humain et qui poursuivront des politiques propres à stimuler la croissance économique et à réduire la pauvreté. » L’année suivante, le G8 confirmait cette adoption de conditionnalités politiques : « les décisions que nous prendrons en ce qui concerne l'utilisation des fonds [d’aide publique au développement] seront fonction de notre appréciation des engagements pris par les pays en matière de transparence et de bonne gouvernance ». (Ministres des Affaires étrangères du G7, « Rapport d’étape », Denver, 21 juin 1997 ; G8, « Plan d'action pour l'Afrique du G8 », Kananaskis, 27 juin 2002 ; _ « Lutter contre la corruption et améliorer la transparence. Déclaration du G8 », Evian, 2 juin 2003 ; Cf. note n°1, p.97)

4 Le Plan d’action pour l’Afrique de 2002 note qu’« un lien a été clairement établi entre la bonne gouvernance, des politiques rationnelles, l'efficacité de l'aide et un développement réussi. » En 2005, toujours au sujet de l’Afrique, le G8 affirmait que « la stabilité, la paix et une meilleure gouvernance sont nécessaires pour que le secteur privé se développe et crée des emplois : lorsque le secteur privé est florissant, davantage de revenus peuvent être investis dans la santé et l’éducation ; et lorsque plus de gens sont en bonne santé et possèdent les compétences nécessaires, la capacité de gouvernance s’en trouve renforcée. » (G8, « Plan d'action pour l'Afrique du G8 », Kananaskis, 27 juin 2002 ; _ « Déclaration sur l’Afrique », Gleneagles, 8 juillet 2005, p.2)

5 La Déclaration de Sana’a, émise par une conférence d’Etats arabes et citée par le G8 en 2004, reprend pleinement les principes de cette triple normatisation : « Les fondements des systèmes démocratiques sont des assemblées élues périodiquement qui représentent les citoyens de

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Ce qui se dessine, derrière ce triple niveau de régulation, c’est l’application méthodique des principes du gouvernement d’entreprise à la structure décisionnelle et au fonctionnement d’une organisation quelle qu’elle soit, aux fins d’une meilleure adaptation aux marchés1. Plus que d’uniformisation, on peut ici parler de libéralisation du politique, sinon de son « économisation », la population n’étant par exemple plus qu’une variable économique, le multipartisme et les élections constituant d’abord un moyen de garantir la concurrence politique, et la promotion d’« une bonne gouvernance, où le secteur privé et la société civile peuvent jouer un rôle productif2 » un moyen d’élargir cette concurrence au secteur non gouvernemental. L’utilisation du terme « gouvernance mondiale » renvoie de fait, dans la littérature institutionnelle et académique, à ce grand marchandage entre groupes d’intérêt au niveau international. Déjà, au XIXe siècle, les utopistes faisaient remarquer que dans une économie industrielle et non plus agraire l'intérêt général de la société coïncide avec celui des producteurs et que la rationalité économique risque fort de l'emporter sur l’art politique pour substituer, selon l’expression de Saint-Simon, « l'administration des choses au gouvernement des hommes3 ». Mais après tout, demandent les économistes libéraux depuis presque trois siècles, l’Etat étant un organisme de production, qu’il s’agisse de ressources matérielles ou humaines, pourquoi ne pas lui appliquer les règles du gouvernement d’entreprise comme on lui avait appliqué les règles du gouvernement de troupeau, de l’enfant ou encore de la famille ? Le fulgurant succès du vocable gouvernance a rendu aujourd’hui la question purement rhétorique.

manière équitable et assurent leur participation pleine et entière, des organes exécutifs responsables et attachés aux principes de bonne gouvernance, et un pouvoir judiciaire indépendant ». (“Sana'a Declaration on Democracy, Human Rights and the Role of the International Criminal Court”, op. cit., citée in G8, « Plan du G8 à l'appui de la réforme », Sea Island, 9 juin 2004)

1 Déjà, en 1984, la Déclaration sur les valeurs démocratiques proclamait la croyance du G7 en « un système de démocratie qui, grâce aux élections libres, assure un choix authentique, la libre expression des opinions et la capacité de répondre et de s'adapter au changement sous tous ses aspects. » En 20020, le Plan d’action pour l’Afrique se faisait plus explicite, affirmant que « des institutions fiables et une bonne gouvernance sont indispensables pour attirer des investissements privés importants ou à long terme. » (G7, « Déclaration sur les valeurs démocratiques », Londres, 8 juin 1984 ; G8, « Plan d'action pour l'Afrique du G8 », Kananaskis, 27 juin 2002)

2 G8, « Communiqué », Cologne, 20 juin 1999 3 Cette thèse de Saint-Simon sera reprise, comme bien d’autres, par Comte dans le cadre de sa

« philosophie positive ». Elle apparaît également chez Engels sous la forme d’une critique de la centralisation mathématique de la gestion et de la politique (« Le gouvernement des personnes fait place à l’administration des choses et à la direction d’opérations de production »). Ce n’était pas le cas de Saint-Simon, qui avançait également que « les industriels sont les seuls capables de régler l'administration des affaires publiques conformément aux intérêts de la très grande majorité de la nation, conformément à l'intérêt des producteurs. » (C.-H. de Saint-Simon, La physiologie sociale, 1813, pp.5 et 190 ; F. Engels, L’Anti-Dühring. Tome 3, 1878, p.46)

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L’Etat de droit ; le gouvernement de l’environnement structurel, institutionnel et humain du marché Selon les thèses inspirées par les ordo-libéraux1, gouverner consiste à agir sur une infrastructure réglementaire, sur une architecture institutionnelle et sur une population aux fins d’une meilleure adaptation de ces différents éléments aux mécanismes du marché. En un sens, ces paramètres ne sont que des rouages du marché, et l’Etat n’en est pas forcément un plus important que les autres. Tout en rejetant les appels de certains de ces auteurs à une autorité « super-nationale » voire à un « Etat mondial2 », le G8 adhère aux moindres contours de cette approche environnementale de l’économie. Il va lui aussi agir sur un cadre général, des facteurs, et pas directement sur les acteurs qui s’y meuvent, en préconisant l’abandon du contrôle public positif en forme d’injonctions pour un contrôle négatif en terme de limites générales à l’action. Il n’est donc pas question pour lui de déstructurer les pouvoirs publics, mais de les restructurer au profit du marché3. Car bien qu’il se veuille autorégulateur, il convient de lui ajuster tout un ensemble de variables, sans quoi il s’emballe, il se désorganise et finit par provoquer des crises4.

1 En 1943, bien qu’il en ait déjà la réponse, Hayek posait par exemple la question « de savoir si,

dans ce but [faire le plan des activités humaines], il vaut mieux que le gouvernement se borne à créer des conditions offrant les meilleurs chances aux connaissances et aux initiatives des individus, en sorte de leur permettre, à eux individus, de faire les meilleurs plans possibles ; ou si l’utilisation rationnelle de nos ressources requiert une direction et une organisation centrales de toutes nos activités, conformément à une épure délibérément élaborée. » Il confirmera, trente-six ans plus tard, que « la tâche du pouvoir est de créer un cadre dans lequel les individus et les groupes puissent fructueusement travailler à leurs objectifs propres ». (F. A. Hayek, La Route de la servitude, 1943, p.32 ; _ Droit, législation et liberté. Tome 3 : L’ordre politique d’un peuple libre, 1979, p.166)

2 F. A. Hayek, La Route de la servitude, Ch. XV : « Les perspectives d’un ordre international » ; L. Von Mises, Le Libéralisme, 1927, Ch. 3, § 10 : « La Société des Nations »

3 Par exemple, selon le communiqué de 1997, « il est essentiel que nous adoptions des politiques économiques saines et que nous procédions aux réformes structurelles qui s'imposent pour permettre aux marchés de fonctionner convenablement ». La même année, un autre communiqué enjoignait tous les pays à « faire davantage pour améliorer l'efficacité du marché des produits et de l'emploi au moyen de réformes structurelles. » (G7, « Communiqué », Denver, 22 juin 1997 ; _ « Relever les défis financiers et économiques mondiaux : déclaration des Sept au sommet de Denver », Denver, 21 juin 1997)

4 En 1997 et 1998 par exemple, la crise asiatique va mettre en relief la nécessité de réglementations étatiques pour encadrer les marchés financiers, sans que soit pour autant remis en question l’impératif de libéralisation. Suite à cette crise, les membres du G7, souvent par la voix de leurs ministres des Finances, répètent la nécessité de « renforcer la réglementation financière » et insistent sur leur responsabilité d’« améliorer les conditions propices à un fonctionnement adéquat du système financier et monétaire mondial ». Le G7 admet en ce sens que ces conditions doivent être aménagées par les pouvoirs publics, donc que le marché lui-même ne les suscite pas. Le rapport d’octobre 1998 du G7 Finances préconisait à cet égard six « mesures concrètes pour renforcer l'architecture financière internationale » qui correspondaient à autant de corrections du fonctionnement des marchés. Fin 1998, dans une adresse au Comité exécutif du FMI, les ministres des finances du G7 notaient que « la poursuite de bonnes politiques monétaire, fiscale et de taux de change est un préalable essentiel à la prévention et à la résolution des crises. Cependant, l’expérience récente démontre que des réformes structurelles et un cadre institutionnel solide sont aussi nécessaires pour rendre les marchés plus flexibles et

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Le « système », la « structure », ces termes ne désignent plus dans son vocabulaire que l’armature, l’environnement, le milieu, des conditions générales favorables1. Ce « système libéral du commerce international2 » n’est pas une réalité tangible, c’est un environnement double dont on peut créer et modifier une face. Car le marché constitue également un environnement s’agissant des acteurs qui s’y meuvent. Mais il n’est pas question d’influer directement sur lui, comme peut le faire la puissance publique dans une économie dirigée. Il s’agit de modifier l’environnement du marché, l’« environnement commercial3 », cet environnement des entreprises dans un monde où tout est entreprise, bref ce « climat4 » général qui dépend de facteurs aussi divers que l’esprit d’entreprise, les cadres légaux, l’accès au marché, les possibilités même

ouverts à la concurrence, pour éliminer les subventions et les régulations gouvernementales systémiques qui déforment l’allocation des ressources, et pour fournir une infrastructure financière efficace. » Le G7 reconnaît clairement ici le but de ces mesures est moins de prévenir et de résoudre les crises que de libéraliser les marchés – alors qu’il admet par ailleurs que ces crises sont en partie dues à une libéralisation financière inadaptées aux mécanismes de régulation existant dans les pays pauvres et émergents. (G7 Finances, « Le renforcement de l'architecture financière internationale. Rapport des ministres des Finances du G7 au Sommet économique de Cologne », Cologne, 18-20 juin 1999 ; Les six mesures en question sont : « 1. Renforcer et réformer les institutions financières internationales et les arrangements financiers internationaux ; « 2. Améliorer la transparence et promouvoir les pratiques exemplaires ; « 3. Renforcer la réglementation financière dans les pays industrialisés ; « 4. Renforcer les politiques macroéconomiques et les systèmes financiers dans les marchés émergents ; « 5. Améliorer la prévention et la gestion des crises et mettre à contribution le secteur privé ; « 6. Promouvoir des politiques sociales afin de protéger les pauvres et les plus vulnérables. » (Cf. G7 Finance Ministers and Central Bank Governors, “Declaration”, October 30, 1998 ; IMF Executive Directors of the G7 countries, “Memorandum on the Work Program on Strengthening the Architecture of the International Monetary System”, Letter to the IMF Director and Executive Board, October 30, 1998)

1 En 2007, le Rapport d'étape commun des représentants personnels pour l'Afrique employait le terme en parlant de « paysage institutionnel ». (« Annexe : Synthèse du Rapport d'étape commun des représentants personnels pour l'Afrique », Heiligendamm, 8 juin 2007)

2 G7, « Déclaration économique : Perspectives de l'économie mondiale », Londres, 8 mai 1977 3 G7, « Communiqué », Denver, 22 juin 1997 4 C’est le G8 lui-même qui file la métaphore environnementale, parlant à plusieurs reprise du

« climat d'investissement » et du « climat des affaires », mais aussi plus marginalement du « climat des négociations », du « climat de liberté » ou encore du « climat de confiance ». Il a même lancé en 2005 une « Facilité d’amélioration du climat des investissements de l’Union africaine et du NEPAD ». Selon le rapport de la Commission pour l’Afrique, qui avait proposé cette Facilité alors qu’elle était présidée par Tony Blair, « une des principales responsabilités des gouvernements d’Afrique consiste à créer un environnement favorable au secteur privé ». Les représentants personnels pour l’Afrique du G8 pensent de même que « l’un des défis que représente l’amélioration du climat d’investissement consiste à accroître la performance institutionnelle et la gouvernance à tous égards, et plus particulièrement dans le secteur financier. » (Cf. G8, « Déclaration sur l’Afrique », Gleneagles, 8 juillet 2005 ; Commission pour l’Afrique, Notre intérêt commun. Rapport de la Commission pour l’Afrique, 11 mars 2005, p.276 ; Représentants personnels pour l’Afrique du G8, « Plan d’action pour l’Afrique », Rapport conjoint sur l’état d’avancement des travaux, Gleneagles, 8 juillet 2005, p.13)

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de n’importe quelle action1. Précisément, les politiques structurelles du G8 vont se concentrer sur trois mécanismes majeurs de soutenir l’économie mondiale : la concurrence, l’adaptation de l’offre et la demande et la libéralisation de l’investissement et des marchés2. L’approche environnementale consistant à rendre 1 Le thème de la gouvernance et ses corollaires – l’Etat de droit, la lutte contre la corruption, la

transparence, le renforcement de la loi, la gestion du secteur public, etc. – n’est compréhensible qu’à la lumière de l’effort pour créer un cadre favorable à l’investissement privé et à l’accès des entreprises privées aux marchés, et notamment aux marchés publics. On lit par exemple dans une déclaration du sommet de 2004 : « Les gouvernements du G8 travaillent avec plusieurs pays en développement pour développer des partenariats volontaires afin de les aider dans leurs efforts pour augmenter la transparence et utiliser ainsi de manière avisée les ressources publiques. Ces efforts porteront essentiellement sur la transparence des budgets publics, y compris les recettes et les dépenses, les marchés publics, les concessions publiques et l'octroi de licences. » Un communiqué de 2007 développe les mesures nécessaires : « si l'on veut que le secteur privé se développe et crée des emplois plus nombreux et plus qualifiés, il convient de mettre en place le cadre institutionnel et juridique d'une économie et d'une société démocratiques et stables. Les éléments requis pour ce faire sont notamment la primauté du droit et l'efficacité des services publics, l'existence d'infrastructures adaptées et le bon fonctionnement du marché financier et du marché des capitaux, l'adoption de mesures garantissant la concurrence et protégeant les droits de propriété, et l'existence d'un système judiciaire indépendant et exempt de corruption. » (G8, « Lutter contre la corruption et améliorer la transparence », Sea Island, 10 juin 2004 ; G8, « Croissance et responsabilité en Afrique », Heiligendamm, 8 juin 2007)

2 Déjà, en 1979, « les mesures requises [pour améliorer à long terme l'efficacité de la production et la souplesse des économies des membres du G8] pourront comporter des incitations accrues aux investissements, à la recherche et au développement, des mesures destinées à faciliter le transfert des capitaux et de la main-d'œuvre d'industries déclinantes vers des industries nouvelles, des politiques de régulation de nature à éviter toute gêne inutile aux investissements et à la productivité, une diminution de la croissance des dépenses courantes dans certains secteurs publics, et l'élimination d'obstacles aux échanges internationaux et aux mouvements de capitaux. » La déclaration économique de 1987 ajoute : « Nous convenons également de la nécessité de politiques structurelles efficaces, en particulier pour créer des emplois. A cette fin, nous devons : « - promouvoir la concurrence afin d'accélérer l'ajustement industriel ; « - réduire les déséquilibres majeurs entre l'offre et la demande agricoles ; « - encourager les investissements créateurs d'emplois ; « - améliorer le fonctionnement des marchés du travail ; « - promouvoir l'ouverture plus grande des marchés intérieurs ; « - encourager l'élimination des imperfections et des restrictions sur les marchés des capitaux et l'amélioration du fonctionnement des marchés financiers internationaux. » Le sommet de l’année suivante G7 confirmait la volonté du G7 de poursuivre « les réformes structurelles en supprimant les barrières, les mesures de contrôle et les réglementations inutiles ; en développant la concurrence, tout en atténuant les effets négatifs sur des groupes sociaux ou des régions ; en éliminant, notamment grâce à des réformes fiscales, les dispositions décourageant le travail, l'épargne et l'investissement ; et en améliorant l'éducation et la formation. » Même son de cloche en 1993, alors que les membres du G7 endossent « le rapport établi par [leurs] ministres des Finances qui met l'accent sur une large gamme de réformes structurelles, parmi lesquelles : « - une plus grande efficacité du marché du travail ; « - l'amélioration de l'éducation et de la formation ; « - l'encouragement à l'épargne et à l'investissement ; « - le maintien et l'amélioration du système commercial multilatéral ; « - la réduction des subventions ; « - la prise en compte de l'impact économique du vieillissement de la population ;

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les acteurs et les comportements « compatibles » avec ces politiques quel qu’en soit le domaine1. Le maître mot, on l’aura compris, est l’ajustement. Pourtant, cet ajustement perpétuel de l’environnement à la dynamique du marché ne semble jamais suffisant tant l’« adaptabilité », cette faculté de soumission aux évolutions de la dynamique du marché, est un horizon de perfection que même les pays du G8 n’atteindront sans doute jamais2. Telle est leur vision : les réglementations forcément trop rigides, les mentalités toujours trop lentes à évoluer, le monde sans cesse plus complexe, voilà autant de paramètres concordant qui condamnent la planète à toujours avoir un tour de retard sur le marché, les sociétés à des « ajustements structurels permanents3 »,

« - la maîtrise des dépenses globales de santé ; « - l'amélioration de l'efficacité des marchés financiers tout en assurant leur stabilité ; « - le développement de la coopération internationale dans le domaine de l'environnement. » En 2003 encore, la recette avait peu changé : « Il faut pour ce faire [renforcer l'économie mondiale] accorder une importance accrue aux réformes structurelles et à la réactivité de nos économies. Nous réaffirmons notre engagement : « - à mettre en oeuvre des réformes structurelles sur les marchés du travail, des produits et des capitaux ; « - à réformer nos systèmes de retraite et de santé pour faire face au défi commun que constitue le vieillissement de la population ; « - à améliorer la productivité en misant sur l'éducation et l'apprentissage tout au long de la vie, en créant un environnement favorable à l'épanouissement de l'esprit d'entreprise, en encourageant la concurrence et en incitant les acteurs publics et privés à investir dans la connaissance et l'innovation ; « - à renforcer la confiance des investisseurs en améliorant le gouvernement d'entreprise, la discipline des marchés et la transparence ». (G7, « Déclaration des chefs d'Etat ou de Gouvernement », Tokyo, 29 juin 1979 ; _ « Déclaration économique », Venise, 10 juin 1987 ; _ « Déclaration économique », Toronto, 21 juin 1988 ; _ « Déclaration économique : Un engagement renforcé pour l'emploi et la croissance », Tokyo, 9 juillet 1993 ; J. Chirac, « Conclusion de la présidence », Evian, 3 juin 2003)

1 Pour exemple, selon le ministre de la Justice et lobbyiste John Ashcroft, « les gouvernements corrompus créent des environnements dans lesquels les organisations criminelles et terroristes peuvent se développer. La lutte contre le fléau de la corruption promeut la stabilité, contribue à la stabilité ainsi qu’à la prospérité. » La responsabilité des entreprises est elle aussi une question d’environnement. Les gouvernements peuvent donc la stimuler « en créant un environnement permettant aux entreprises d'agir de manière responsable ». (G8 Ministers of Justice and Interior Ministers, “Press Conference”, Washington DC, May 11, 2004 ; _ « Pour la Croissance et une Economie de marche Responsable. Déclaration du G8 », Evian, 2 juin 2003)

2 Comme ils l’avouaient eux-mêmes en 1996, « malgré tous les progrès déjà accomplis en matière de réformes structurelles, nos économies ont encore une capacité d'adaptation insuffisante. » (G7, « Communiqué économique : Réussir la mondialisation au bénéfice de tous », Lyon, 28 juin 1996)

3 « Annexe : renforcement de la coopération monétaire pour la stabilité et la croissance », in G7, « Déclaration économique : Vers une croissance soutenue et plus d'emplois », Williamsburg, 30 mai 1983

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et le G8 à « veiller à ce que nos institutions et nos structures s'adaptent à l'évolution rapide de la technologie et de l'économie qui caractérise le monde d'aujourd'hui.1 » Loin d’être obsolètes, les structures classiques de réglementation que sont les institutions publiques sont donc parfaitement nécessaires au bon fonctionnement du marché. Mais il ne s’agit plus pour elles d’intervenir directement sur le marché, pour en limiter par exemple les phénomènes de concurrence ou fixer les prix. Elles vont plutôt être en charge du champ général où celui-ci va se déployer. et leurs actions ordonnatrices vont se limiter aux conditions d’existence du marché, soit des facteurs structurels (niveau de développement, organisation économique et sociale, régime politique et juridique, infrastructures, techniques, climat économique), institutionnels (architecture institutionnelle et réglementaire, méthodes de gestion) et humains (éducation, santé, mentalités). Adaptation de l’environnement structurel, institutionnel et humain aux règles du marché, tel va être le rôle principal des instances publiques aux yeux du G82. Comme s’il s’appliquait sans cesse à parler autant pour l’espèce humaine que pour n’importe quel individu. Les politiques ne font donc pas tout. Leur succès dépend de variables qui sont d’abord générales3. C’est la première série de facteurs que va prendre en compte le G8 : paramètres macroéconomiques et macro-politiques, configuration des sociétés. Dans son approche à la fois pragmatique et quasi-religieuse du monde, refoulant toute perspective historique ou culturelle, il les prend comme un donné immédiat pour les passer au tamis des grands mythes établis, tels le progrès, le développement et l’économie de marché, en vue de les rendre modulables puis de les moduler à sa guise4. Plus encore, les « secteurs clés de l'infrastructure – l'énergie, les télécommunications, les services financiers, les transports et la santé5 » –, qui font partie intégrante de l’environnement du marché, sont également

1 Cette adaptation est semble-t-il une fatalité, tant « le changement structurel est la conséquence

inévitable de ces progrès » technologiques et de la mondialisation. (G8, « Communiqué », Birmingham, 17 mai 1998 ; _ « Croissance et responsabilité dans l'économie mondiale », Heiligendamm, 7 juin 2007)

2 « Nos économies, affirme la déclaration économique de 1992, sont toutes entravées par des rigidités structurelles qui limitent nos taux de croissance potentiels. Il faut encourager la concurrence. Il faut créer un environnement plus favorable à l'initiative privée. Il faut réduire l'excès de réglementation qui étouffe l'innovation, l'esprit d'entreprise et la créativité. » (G7, « Déclaration économique. Agir ensemble pour une croissance plus forte et un monde plus sûr », Munich, 8 juillet 1992)

3 En 1986, la déclaration économique est forcée de « tenir compte du caractère structurel et interdépendant des problèmes actuels ». « La coopération internationale, lit-on dans celle de 1988, ne vise pas seulement les politiques macro-économiques. Les réformes structurelles complètent les politiques macro-économiques, renforcent leur efficacité et créent les conditions d'une croissance plus vigoureuse. Nous devons étudier collectivement nos progrès en matière de réformes structurelles et chercher sans relâche à intégrer la politique structurelle dans notre processus de coordination économique. » En un sens, toute action du G8 sur l’environnement du marché est structurelle. Nous emploierons néanmoins le terme dans son sens restreint. (G7, « Déclaration économique », Tokyo, 6 mai 1986 ; G7, « Déclaration économique », Toronto, 21 juin 1988)

4 La structure de la production doit ainsi être réformée, aux yeux du G8, pour répondre aux demandes du marché. L’agriculture, l’industrie et les services sont ainsi envisagés comme autant de variables ajustables.

5 G8, « Communiqué », Cologne, 20 juin 1999

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ajustables au moyen d’« investissements de base, tant publics que privés1 ». Car, ici encore, la privatisation et l’ouverture aux capitaux étrangers est une mesure clé des politiques du G8. Conditions majeures d’utilisation des ressources, ces paramètres structurels et infrastructurels ne sont donc en rien des fatalités. Certes, il est encore impossible de modifier le climat d’une région, sinon involontairement. Mais en dehors de ces paramètres externes, tout est possible. Même cette « rigidité structurelle » première qu’est le territoire national est potentiellement adaptable aux nécessités du marché2. Notons enfin que ces « réformes structurelles3 », étant par définitions globales et transversales4, doivent s’appliquer à tous les pays5 et être endossées par l’ensemble des institutions publiques6. Elles supposent une réforme radicale de l’Etat, sinon de l’art de gouverner. Car en plus d'« incitations orientées vers le marché7 », l’instrument juridique va être mis à contribution de ces diverses réformes.

Réactivant la conception grecque puis anglaise du gouvernement par les lois plutôt que par les hommes, le G8 va limiter l’Etat à l’Etat de droit et le gouvernement à la législature, c’est-à-dire les cantonner à la production d’un cadre légal permettant le libre jeu des forces du marché. Les institutions publiques n’ont plus à être, en vertu de leur héritage, les régisseuses de l’ensemble réglementaire et normatif mondial, mais les simples organisatrices d’un jeu dont le marché va être l’arbitre. Le droit, dans cette perspective, ne constituera la force de contrainte de la puissance publique mais l’instrument de délimitation de son champ d’intervention et de modulation de l’environnement du marché8. Les institutions internationales, notamment à travers la promotion d’une « bonne gouvernance9 » vont œuvrer à la diffusion mondiale de ces

1 G7, « Déclaration économique », Londres, 17 juillet 1991 2 Le terme de « structure » renvoie surtout à la forme générale des économies nationales.

L’ouverture des frontières aux flux commerciaux et financiers, que le G8 a défendu sans relâche, prouve aisément qu’elles ne sont pas un donné intangible de l’économie. L’adaptation des structures nationales à la division internationale du travail en est un autre exemple.

3 Le terme apparaît quarante-huit fois dans les déclarations officielles. 4 « Nous sommes soucieux, déclaraient les membres du G7 en 1996, de renforcer l'efficacité des

politiques visant à stimuler la croissance et l'emploi. Ceci exige d'agir sur un vaste éventail de politiques structurelles dans le cadre de politiques macroéconomiques saines. » (G7, « Communiqué économique : Réussir la mondialisation au bénéfice de tous », Lyon, 28 juin 1996)

5 « L'aide publique, lit-on par exemple dans la déclaration économique de 1996, doit notamment être dirigée vers l'éducation, la santé, les infrastructures de base et la construction de l'Etat de droit. » (G7, « Déclaration finale : Nouveau partenariat pour le développement », Lyon, 29 juin 1996)

6 Le G7 se félicite en ce sens, en 1988, « des nouveaux développements de la surveillance des réformes structurelles par l'OCDE. » (G7, « Déclaration économique », Toronto, 21 juin 1988)

7 G7, « Déclaration économique », Tokyo, 6 mai 1986 8 Dans le domaine économique, cette délimitation va correspondre à la condamnation de la

planification ainsi qu’à la revalorisation moins des institutions judiciaires que des instances d’arbitrage.

9 Le premier rapport détaillé de la Banque mondiale sur la gouvernance comprenait trois axes principaux : la redevabilité [accountability], le cadre légal du développement, ou Etat de droit, et l’information et la transparence. On peut lire dans ce rapport : « Des différentes définitions de

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pratiques gouvernementale. Une fois encore, ce sont les impératifs du marché qui seront invoqués pour justifier de tels « ajustements structurels1 ». Ne nous méprenons pas : la question n’est pas de savoir si la planification est ou non souhaitable : elle est inévitable, et dans la majorité des cas la réforme des systèmes juridiques, sinon constitutionnelle, est indispensable2. Dans les pays européens membres du G8, les politiques dirigistes qui ont été favorisées après la Seconde

l’Etat de droit, deux dimensions principales émergent : l’une instrumentale, qui se concentre sur les éléments formels nécessaires à l’existence d’un Etat de droit, l’autre substantielle, qui renvoie au contenu du droit et à des concepts tels que la justice (par exemple, un jugement en bonne et due forme), l’impartialité (les principes d’égalité), et la liberté (droits civils et politiques). » La Banque se limitant, du fait de son mandat, sur la première de ces dimensions. Deux ans plus tard, en 1994, le second rapport de fond de la Banque sur la gouvernance reprenait ces trois axes et y ajoutait un nouveau : la gestion des services publics. (World Bank, Governance and Development, 1992, p.30 ; _ Governance: The World Bank's experience, 1994)

1 Défendus par les IFI à partir du début des années 80, ces ajustements ne sont pas autre chose que l'imposition d’un tel modèle institutionnel aux pays qu’elles assistent.

2 « Il faut, souligne le communiqué de 1998, que la libéralisation et la restructuration destinées à favoriser l'efficience et un environnement concurrentiel reposent sur des cadres législatifs et réglementaires nationaux » Pour ce faire, des réformes constitutionnelles ont été nécessaires en Europe orientale et centrale. Dès 1990, le G7 pointe la nécessité d’une « restructuration, dans le sens du marché, des économies de l'Europe centrale ». La Constitution de certains de ces pays, comme la Roumanie, interdisant la propriété privée des moyens de productions, la première tâche des institutions supranationales sera de les modifier. En Tchécoslovaquie, une Constitution révisée en ce sens avec l’aide de la Banque mondiale a été appliquée à partir du 1er mai 1990. L’année suivante, une fois membres des IFI tous les pays d’Europe centrale et orientale, à l’exception de l’Albanie, les réformes commencent sous les encouragements du G7. Il note par exemple en 1991 que « ces programmes [de stabilisation macroéconomique] soient accompagnés de réformes structurelles telles que la privatisation et la restructuration des entreprises nationalisées, l'amélioration de la concurrence et le renforcement des droits de propriété. » Cinq ans plus tard, le G7 se montrait « heureux de voir que les économies en transition progressent vers l'instauration de conditions macro-économiques stables et la mise en oeuvre de réformes structurelles. » Une telle politique sera ensuite promue en Afrique et au Moyen-Orient. On en trouve le résumé dans le « Partenariat pour le progrès et pour en avenir commun avec la région du Moyen-orient élargi et de l'Afrique du nord » : « nous reconnaissons l’importance que revêt un investissement régional soutenu dans la réforme structurelle et dans la poursuite de la transition vers des économies diversifiées, animées par le secteur privé. Conjugué à des mesures visant à gérer les coûts sociaux de la transition, l’objectif est de permettre à la population de la région de bénéficier pleinement de la mondialisation. Nous nous tenons prêts à épauler les efforts déployés pour lever les obstacles à la croissance dans la région, notamment grâce à la libéralisation du commerce et de l’investissement à l’échelle régionale, au renforcement des systèmes financiers, à la réforme réglementaire, à de saines politiques macroéconomiques et à l’intégration économique régionale. Parallèlement à des politiques régionales visant à améliorer la qualité de l’éducation et à faciliter l’accès à la formation professionnelle, ces mesures renforceront la capacité des entreprises d’améliorer la compétitivité de la région au plan mondial. » (G8, « Communiqué », Birmingham, 17 mai 1998 ; G7, « Déclaration économique », Houston, 11 juillet 1990 ; _ « Déclaration économique », Londres, 17 juillet 1991 ; _ « Relever les défis financiers et économiques mondiaux : déclaration des Sept au sommet de Denver », Denver, 21 juin 1997 ; G8, « Partenariat pour le progrès et pour en avenir commun avec la région du Moyen-orient élargi et de l'Afrique du nord », Gleneagles, 8 juillet 2005, p.3)

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Guerre mondiale ont profondément modifié les structures juridiques et économiques, et leur réforme est indispensable à la mise en place d’une économie de marché1. Peu importe que l’affirmation de la prééminence du libre-échange sur la planification soit constamment contredite par une remise en cause de l’efficacité du marché et des politiques dirigistes, l’invocation de la « discipline des marchés » et la nécessité, dans certains cas, de procéder à des « interventions appropriées en matière de politiques2 », voire de s’ingérer, par le biais des IFI, dans les affaires politiques des Etats non membres du G8 est constante3. La seule question est de déterminer les finalités de la planification : adapter la société au marché ou le marché à la société. C’est là, très grossièrement, l’essentiel du débat entre libéraux et keynésiens. Le dernier élément de l’environnement sur lequel doivent agir les institutions publiques, c’est l’individu, et plus généralement la population. Le facteur humain, dans la nomenclature du G8, est d’abord un élément clé de la production. L’homme, en tant que force de travail et créateur de richesse, est une ressource primordiale.

1 Cinquante ans après la Seconde Guerre, quand le G7 soulignait que « des initiatives telles que la

réforme de la réglementation peuvent tout particulièrement contribuer à la libéralisation des échanges et à la croissance économique, du fait que seraient ainsi éliminés les obstacles administratifs et structurels qui entravent la concurrence mondiale », il ne pensait pas qu’aux autres. Deux sommets plus tard, il notait en ce sens que « la France, l'Allemagne et l'Italie […]devront intensifier les réformes structurelles afin de réduire les obstacles à la création d'emplois et d'accroître l'efficacité des mesures gouvernementales et, si nécessaire, redéfinir le rôle du gouvernement dans leurs économies, entre autres par une réforme de leur fiscalité et de leurs programmes sociaux. » Et deux ans après encore, il réitérait son appel, notant que « certains de nos pays doivent renforcer leurs politiques macroéconomiques par de vigoureuses mesures structurelles qui améliorent les incitatifs de marché pour tous les acteurs économiques. De telles mesures seront des conditions préalables de l'amélioration de la croissance de l'emploi et du climat d'investissement. » (G7, « Communiqué », Halifax, 16 juin 1995 ; G7, « Relever les défis financiers et économiques mondiaux : déclaration des Sept au sommet de Denver », Denver, 21 juin 1997 ; G7, « Déclaration du G7 », Cologne, 18 juin 1999)

2 L’un des chapitres de la déclaration économique de 1995 s’intitule en ce sens « Renforcer la surveillance et la réglementation des marchés financiers ». Citons également, entre autres, dans une déclaration de 1982 : « Nous sommes prêts, si nécessaire, à procéder à des interventions sur les marchés des changes pour contrecarrer des situations de désordre » ; dans une de 1983 : « nous sommes disposés à mettre en oeuvre des interventions coordonnées sur les marchés des changes » ; ou encore, dans une autre de 1996 : « Une réglementation prudentielle renforcée et une meilleure surveillance des marchés financiers sont essentielles pour protéger la stabilité du système monétaire et financier international. » En matière de productivité et d’emploi, le G7 souligne en 1983 la nécessité d’ (G7, « Examen des institutions financières internationales », Halifax, 16 juin 1995 ; _ « Engagement monétaire international », Versailles, 6 juillet 1982 ; _ « Déclaration sur le rétablissement économique », Williamsburg, 30 mai 1983 ; _ « Communiqué économique : Réussir la mondialisation au bénéfice de tous », Lyon, 28 juin 1996)

3 « Des conseils clairs et directs sur les plans d'action à adopter, lit-on dans un communiqué de 1995, devraient être dispensés [par le FMI] à tous les gouvernements, et en particulier à ceux qui semblent éviter de prendre les mesures qui s'imposent en matière de politiques. » (G7, « Examen des institutions financières internationales », Halifax, 16 juin 1995)

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Son environnement, celui auquel les instances publiques doivent s’employer à le préparer, c’est un marché international du travail en complète évolution1. Suite au choc pétrolier de 1973, il est un signal que ce marché envoie chaque année et que le G7 entend sans distorsion : les chiffres du chômage2. A cette situation, qui n’a fait qu’empirer au fil des ans, le G8 ne voit que deux explications, et partant deux remèdes. D’abord, la faible croissance, les « rigidités sur le marché du travail3 » et les obstacles aux flux de capitaux, qui empêchent une allocation efficace des ressources humaines et financières. Une simple question de politiques macroéconomiques et de réglementation4. Deuxièmement, et ce n’est qu’une conséquence de l’inadéquation des marchés du travail national, l’inadaptation des systèmes de formation aux débouchés professionnels. Simple question de régulation aussi ? Dans une certaine mesure seulement, parce qu’il s’agit pour le G8 de faire appliquer la recette universelle des politiques structurelles défendues par les libéraux allemands et de Chicago : libéralisation et mise en concurrence des marchés du travail, adaptation de l’offre de formation à la demande du marché, laisser-aller des flux financiers et incitation à l’investissement productif5. Réorientant dès le début des

1 En 1989, dans une lettre au G7, Gorbatchev explique déjà que, « tout comme d’autres pays,

l’Union soviétique cherche à résoudre les tâches consistant à adapter son économie nationale à une nouvelle structure de la division internationale du travail en gestation ». (M. S. Gorbatchev, « Lettre adressée au Président de la République française », Paris, 14 juillet 1989)

2 La question de l’emploi est au cœur des préoccupations du G8 depuis ses débuts. On peut ainsi lire dès 1975 que « la tâche la plus urgente consiste à assurer le redressement de nos économies et à réduire le gaspillage de ressources humaines que provoque le chômage. ». En 1977 : « Notre tâche la plus urgente est de créer des emplois tout en continuant de réduire l'inflation. […] Nous nous efforcerons, tant sur le plan national que par le biais des organismes internationaux, de faire prévaloir des solutions de nature à créer des emplois et des avantages pour les consommateurs » Un chapitre de la déclaration économique de 1978 est consacré aux thèmes « Croissance, emploi et inflation ». En 1980, les membres du G7 notent que l’amélioration de l’emploi est leur « objectif principal » et l’année suivante que la lutte contre le chômage est « la première de [leurs] priorités » avec celle contre l’inflation. Ils vont jusqu’à parler de plein emploi en 1982 et créent à cet occasion un « Groupe de travail sur la Technologie, la Croissance et l'Emploi » qui aboutira au lancement, deux ans plus tard, du « G7 emploi ». Depuis, ce dernier réunit presque chaque année les ministres de l’Emploi et des Finances du G7. (G6, « Déclaration de Rambouillet », Rambouillet, 17 novembre 1975 ; G7, « Déclaration économique : Perspectives de l'économie mondiale », Londres, 8 mai 1977 ; _ « Déclaration des chefs d'Etat et de Gouvernement », Bonn, 17 juillet 1978 ; _ « Déclaration finale », Venise, 23 juin 1980 ; _ « Déclaration économique », Ottawa, 21 juillet 1981 ; _ « Déclaration finale », Versailles, 6 juin 1982)

3 G7, « Déclaration Economique », Londres, 9 juin 1984 4 En 1993, selon le G7, « réduire le chômage nécessite donc une double stratégie : mener des

politiques macro-économiques prudentes afin de promouvoir une croissance non inflationniste et durable, et entreprendre des réformes structurelles afin d'améliorer l'efficacité des marchés, en particulier de ceux du travail. » (G7, « Déclaration économique : Un engagement renforcé pour l'emploi et la croissance », Tokyo, 9 juillet 1993)

5 « Tout en utilisant les signaux du marché, lit-on en 1983, pour prendre des décisions économiques efficaces, nous prendrons des mesures en vue d'améliorer la formation et la mobilité des travailleurs en portant une attention spéciale à l'égard du chômage des jeunes, ainsi que pour promouvoir des ajustements structurels permanents ». Seize ans plus tard, les chanteurs avait changé, pas la chanson : « Les chances que la croissance économique génère

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années 80 leurs activités vers une économie du savoir et des services, selon les signaux que leur envoient les marchés et suivant le cours de cette « révolution technologique [qui] commande l'évolution de nos économies, de nos modes de vie et de pensée, de nos systèmes de référence », les membres du G7 ne se contentent pas de restructurer leur agriculture, leur industrie, leurs services, leur système de formation ou leurs infrastructures ; ils s’emploient à « construire une nouvelle civilisation.1 » Reste à y faire adhérer les membres de l’ancienne. Le deuxième champ d’intervention sera donc la doxa, le sens commun, qu’il s’agira d’ajuster à la cosmologie néolibérale. Car derrière le discours programmatique des politiques structurelles, se trouve sa justification quasi-scientifique. L’homme, en tant qu’être sociable, rationnel et émotif en quête d’un projet qui puisse lui procurer le sentiment d’appartenance à une communauté et finalement le bien-être – le G8 n’emploie jamais le terme « bonheur » –, cette donnée du marché est susceptible d’être modifiable au moyen d’incitations mais aussi de discours2. Cette justification vise autant la population en général que l’individu en particulier, car là encore l’action du G8 se dédouble. La population n’est, sous la plume du G8, qu’une autre infrastructure3. Mais, semble-t-il, d’un type ambivalent. D’un côté, la population est réduite à la condition de force d’inertie passive condamnée à l’avancée laborieuse des mentalités et aux phénomènes irrépressibles des réalités de la nature humaine sur lesquels le marché n’a que peu d’effet, voire se montre contreproductif. De l’autre, comme c’était le cas depuis son apparition en Occident comme sujet de l’exercice du pouvoir, au XVIIIe

plus d'emplois augmentent de pair avec l'adaptabilité de nos économies. C'est pourquoi nous appuyons vigoureusement l'élimination des rigidités structurelles sur les marchés du travail, des capitaux et des produits, la promotion de l'esprit d'entreprise et de l'innovation, l'investissement dans le capital humain, la réforme des régimes d'imposition et de prestations pour renforcer les incitatifs économiques et encourager l'emploi, et le développement d'une société du savoir innovatrice. » (« Annexe : renforcement de la coopération monétaire pour la stabilité et la croissance », in G7, « Déclaration économique : Vers une croissance soutenue et plus d'emplois », Williamsburg, 30 mai 1983 ; G8, « Communiqué », Cologne, 20 juin 1999)

1 On peut lire dès 1982 : « Il importe d'exploiter les immenses perspectives ouvertes par les nouvelles technologies, en particulier ce qui concerne la création d'emplois ». Le dernier paragraphe de la déclaration économique du sommet de Versailles ne parle effectivement que de cela, et, comme je le disais plus haut, un « Groupe de travail sur la Technologie, la Croissance et l'Emploi » y a vu le jour. (F. Mitterrand, « Rapport de M. le Président de la République [française] au sommet des pays industrialisés : technologie, emploi et croissance », Versailles, 5 juillet 1982 ; G7, « Déclaration finale », Versailles, 6 juin 1982)

2 Il s’agit donc de la convaincre du bien fondé de ces politiques structurelles. La déclaration économique de 1981 entend que les membres du G7 œuvrent « pour une meilleure acceptation de l'énergie nucléaire par le public » et note déjà l’importance, toujours en matière énergétique, de « convaincre [les] populations de la nécessité de certains changements : changement dans les anticipations de croissance et de gains, changement dans les méthodes de gestion et dans les structures industrielles, changement dans la nature et l'échelle des investissements et changement dans l'offre et la consommation d'énergie. » Changements qui naturellement sont consécutifs à l’évolution du marché énergétique. Dix-sept ans plus tard, le G8 réaffirmera la nécessité d’obtenir « la compréhension et l'appui des populations à l'égard de politiques judicieuses ». (G7, « Déclaration économique », Ottawa, 21 juillet 1981 ; G8, « Communiqué », Birmingham, 17 mai 1998)

3 Les déclarations officielles parlent ainsi quatre fois de l’« infrastructure sociale ».

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siècle, la population est un élément de calcul de la productivité et une composante de la richesse nationale ; c’est une variable générale et modulable dans ses multiples dimensions, dont il faut moins comprendre la dynamique que l’accorder aux signaux des marchés1. L’élément de calcul central, dans cette perspective, est autant la quantité de population que sa qualité, deux paramètres sur lesquels le G7 se penche simultanément alors que le premier a disparu des manuels d’économie depuis plus d’un siècle2. Selon lui, la rapide expansion démographique est un problème strictement limité aux pays pauvres et une variable que l’on peut ajuster au moyen de politiques structurelles et de leviers économiques3. Selon le second paramètre – la qualité du « cheptel humain », autrement dit son niveau de « développement » –, la population reste bien un élément de calcul de la productivité, de même que la santé et l’éducation. Le terme qui désigne le mieux cette partie active et souple de la population, c’est la société civile dans son sens large. Dans son sens restreint, la société civile est un jardin des plantes et les institutions publiques leurs jardiniers. A ces dernières, selon les communiqués du G8, de les implanter, de les renforcer, de les restaurer suite à un conflit, de les soutenir pour leur permettre de contribuer à l’efficacité du marché, principalement comme fournisseur d’information sur les populations vulnérables et d’expertise dans les enceintes internationales, ce dernier rôle ayant déjà été avalisé par la SDN4. D’autre

1 Au-delà des considérations de taille et de capacité, on trouve par exemple, en 2003, la prise en

compte de l’impact psychologique de phénomènes comme l’utilisation d’armes radioactives par des terroristes : « En tout état de cause, l'effet psychologique sur la population serait considérable, bien au-delà des conséquences radiologiques ou chimiques réelles, limitées en soi. La communauté internationale doit donc impérativement se soucier de la sécurité de ces sources. » (G8, « Non-proliferation des armes de destruction massive. Garantir la sécurité des sources radioactives - Plan d'action du G8 », Evian, 2 juin 2003)

2 Après que Ricardo et Malthus eurent mis en en avant la nécessité d’une limitation démographique, la croyance dans les progrès scientifiques et le bon sens de la population en firent une donnée marginale. « La croissance démographique, précise Galbraith, cessa donc d’être un problème économique majeur et ne posa plus que des problèmes résiduels d’espace et d’environnement. On se préoccupa plutôt de la qualité du cheptel humain, dans la mesure où elle contribuait à l’expansion économique. On en vint à parler d’investissement en capital humain à propos des dépenses de santé et d’éducation. […] En conséquence, leurs coûts et leurs bénéfices furent soumis à un calcul économique en apparence aussi rigoureux que ceux qui concernaient les usines et les machines, auxquels rien ne prouvait qu’ils fussent inférieurs en valeur économique. » (J. K. Galbraith, Théorie de la pauvreté de masse, 1979, pp.60-61)

3 Le G7, très préoccupé, à plusieurs reprise, par l’essor démographique de régions comme le Moyen-Orient, proposait par exemple en 1990 d’y réduire la croissance de la population par l’éducation primaire, le renforcement du pouvoir des femmes et l’intégration économique. (G7, « Déclaration économique », Houston, 11 juillet 1990)

4 En 1995, dans la déclaration qui voit apparaître pour la première fois le terme « société civile », on apprend que le G7 souhaite que les institutions multilatérales « appuient des réformes gouvernementales qui garantissent […] la mise en place d'une société civile active ». L’année suivante, il est question du « renforcement de la société civile ». Dans les déclarations postérieures, le G8 inclura régulièrement le secteur privé dans celui de cette société civile que d’aucuns voudraient limiter aux associations, aux moyens d’incises telles que : « la société civile, y compris le secteur privé et les organisations non gouvernementales ». (G7, « Communiqué », Halifax, 16 juin 1995 ; _ « Communiqué économique : Réussir la mondialisation au bénéfice de tous », Lyon, 28 juin

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part, en tant que prestataires de services humanitaires ou de développement, les organisations de la société civile bénéficient de la privatisation des services de santé et d’éducation, facilitant, dans certains cas, l’accès au marché par l’amélioration de l’employabilité et de la solvabilité des bénéficiaires de leurs entreprises1. La société civile se situe donc à la frontière entre le marché et le hors-marché ; d’où, sans doute, cette ambiguïté du terme, dans lequel le G8 fait parfois entrer le secteur privé. Pris très largement, la notion est substituée à celle de société, et même de peuple, et signifie une collection d’individus plus qu’une communauté2. Après la population et la société civile, le dernier et principal élément de l’environnement humain du marché, c’est l’individu. Adaptable, compatible, réactif, mobile, telle est le monde économique, tel doit être son habitant, le travailleur. Parce que l’individu est partie intégrante de l’infrastructure économique, le gouvernement peut influer sur ses comportements, au moyen d’incitations économiques et réglementaires, mais aussi enrichir son capital, par le biais de l’éducation et de la formation. Bref, il peut « perfectionner les ressources humaines3 ». Si le G7 se préoccupe dès 1980 de cette « amélioration des compétences humaines4 », c’est au cours des années 90 qu’il se décide à investir d’avantage dans les individus5. « L'adaptabilité, l'employabilité et la gestion du changement, lit-on dans le communiqué de 1999, seront les plus grands défis que nos sociétés auront à relever au XXIe siècle. La mobilité sur les plans professionnel, culturel et communautaire sera essentielle. Et le passeport de la mobilité sera l'éducation et l'apprentissage continu pour tous.6 » L’éducation est la pierre angulaire d’un dispositif consistant à adapter les individus aux marchés dans toutes leurs dimensions, quoique de manière hétérogène7. En accroissant le capital humain des individus et

1996 ; G8, « Communiqué », Okinawa, 23 juillet 2000)

1 « Les ONG, qui sont les mieux à même d'agir au plus près des populations, peuvent contribuer utilement au développement des ressources humaines et des communautés locales. » (G8, « Charte d'Okinawa sur la société mondiale de l'information », Okinawa, 21 juillet 2000)

2 Des auteurs ont récemment proposé, en lieu et place du terme de société civile, celui de « multitude », ce qui n’est à mon sens qu’une autre manière de peu parler du peuple et beaucoup de l’individu. (Cf. M. Hardt et A. Negri, Multitude, guerre et démocratie à l’âge de l’Empire, 2004)

3 G8, « Sécurité énergétique mondiale », Saint-Pétersbourg, 16 juillet 2006 4 G7, « Déclaration finale », Venise, 23 juin 1980 5 On lit par exemple en 1994 : « nous investirons plus dans les individus, en développant une

meilleure formation initiale ; en améliorant les compétences, en améliorant le passage de l'école au travail ; en impliquant totalement les employeurs dans la formation, et comme il en a été convenu à Détroit, en encourageant chacun à apprendre tout au long de la vie ». Deux ans plus tard apparaît la notion de « capital humain ». (G7, « Déclaration économique », Naples, 9 juillet 1994 ; _ « Communiqué économique : Réussir la mondialisation au bénéfice de tous », Lyon, 28 juin 1996)

6 G8, « Communiqué », Cologne, 20 juin 1999 7 Le communiqué de 1997 est très clair sur ce point : « Des mesures qui élargissent l'accès à un

enseignement et à une formation de haute qualité et qui assurent une plus rapide réaction des marchés de l'emploi aux conditions économiques permettront à nos populations de mieux s'adapter à tous les types de changements structuraux. », mais aussi parce qu’elle favorise la compréhension mutuelle à l'échelle mondiale, sous-tend les sociétés démocratiques et encourage

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partant les « capacités humaines1 » de leur pays, elle permet l’adaptation du facteur humain de production aux conditions de cette production et aux besoins des différents marchés2. Ce qui est en soit, semble-t-il, une nécessité de la bonne marche du capitalisme depuis la Révolution industrielle. La nouveauté de la Révolution technologique, c’est l’individuation de la gestion de l’offre et la nécessité d’une main d’œuvre intellectuellement adaptée à la “knowledge economy”3. Ce n’est plus la population comme réservoir de main d’œuvre à qui il suffit d’assurer, le cas échéant, les moyens de subsister ; c’est un individu qui n’est plus, à une certaine limite de ce discours, un être vivant mais le lieu de croisement de deux flux d’investissement. L’un, entrant, fait de lui un produit4. L’autre, sortant, un consommateur, ou plutôt un producteur, un investisseur, car la consommation est encore production – de plaisir individuel et de richesse collective5. En somme, l’individu est une entreprise dotée de ressources propres, son « capital humain », ayant pour horizon perpétuel l’« employabilité6 », sorte de solvabilité de soi-même, de moyen d’être toujours sur le marché quelles que soient ses évolutions. Et là

le respect de la primauté du droit », l’éducation « est essentielle au développement du capital humain, et constitue un facteur incontournable de la croissance économique, de la productivité et de la cohésion des nations. » (G7, « Communiqué », Denver, 22 juin 1997 ; G8, « L'éducation au service des sociétés novatrices du XXIe siècle », Saint-Pétersbourg, 16 juillet 2006)

1 G7, « Déclaration économique », Ottawa, 21 juillet 1981 2 Selon la Banque mondiale par exemple, l’économie d’un pays est à l’image de son système

éducatif, le cycle tripartite des études épousant la division ternaire des activités économiques. A cet égard, en 1996, « les pays à bas salaires ont le plus bénéficié des investissements pour développer leur éducation primaire, alors que dans les pays à salaires moyens ce furent les investissements pour développer leur éducation secondaire qui furent les plus rentable socialement. Dans les pays à revenus élevés, les investissements pour étendre l’accès à l’éducation tertiaire produisirent les meilleurs retours. » (A. Vawda, P. Moock, P. Gittinger and H. Patrinos, Economic Analysis of World Bank Education Projects and Project Outcomes, Washington D.C., February 2001, p.10)

3 En 2006, on peut lire ainsi : « En ce nouveau millénaire, la gestion des stratégies du savoir est aussi nécessaire que celle des ressources éducatives plus traditionnelles – personnel, finances et installations. Les systèmes d'éducation doivent donc être de plus en plus axés sur le développement des capacités intellectuelles, en ce qui concerne non seulement la maîtrise du contenu, mais aussi le traitement, l'adaptation et l'utilisation de l'information ainsi que, et cela importe encore davantage, la création de nouvelles connaissances. » (G8, « L'éducation au service des sociétés novatrices du XXIe siècle », Saint-Pétersbourg, 16 juillet 2006)

4 En ce sens, note la déclaration économique de 1996, « l'investissement dans l'homme est aussi vital que l'investissement en capital ». En 1999, les Ministres des Affaires étrangères du G8 reconnaissent eux-mêmes « l'importance d'investir dans les personnes et dans l'infrastructure sociale ». (G7, « Communiqué économique : Réussir la mondialisation au bénéfice de tous », Lyon, 28 juin 1996 ; G8 Affaires étrangères, « Réunion des Ministres des Affaires étrangères du G8 à Cologne, “Guerzenich”. Conclusions », 10 juin 1999)

5 Les termes relatifs à la consommation sont ainsi généralement employés s’agissant d’un pays et s’agissant d’énergie.

6 Les ministres des Finances, de l'Économie, du Travail et de l'Emploi du G8 ont tenu à Londres, en février 1998, une conférence sur la croissance, l'employabilité et l'inclusion. Deux ans plus tôt, Chirac avait avoué : « Cette notion d'employabilité, que je me refuse à utiliser parce que je trouve que le mot est très laid, mais c'est cela l'idée, c'est-à-dire la formation permanente, a beaucoup progressé. »

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encore, le G8 entend modifier les schémas d’action moins par l’édiction de lois que par l’aménagement d’infrastructures et la proposition d’un projet – par exemple, dans le cas de l’économie du savoir, en favorisant une « interaction dynamique entre la science et les affaires1 », c’est-à-dire une annexion des lieux de formation aux lieux de production. L’Etat, s’il peut mener d’importantes réformes structurelles, n’en reste pas moins soumis au système de marché, comme n’importe quel autre acteur. Niant la nature des choses et la liberté des hommes par l’affirmation de leur possible adaptabilité et de l’exigence dernière de compatibilité au marché, le G8 revient sur deux des principaux constituants du développement du capitalisme au XVIIIe siècle.

Les institutions publiques et le hors-marché ; le gouvernement et les dysfonctionnements du marché La provision de moyens de survie aux membres d’une communauté par cette communauté elle-même est probablement un atavisme plurimillénaire, et par conséquent une charge difficilement retirable à l’autorité politique2. Il est cependant possible de la limiter au minimum, c’est-à-dire de maintenir en vie les populations face aux dangers de la pauvreté, des catastrophes naturelles ou humaines et du terrorisme. Le marché semblant en effet inefficace face aux aléas de la vie, la puissance publique, au cours des siècles, a nationalisé des « entreprises » privées telles que les armées et les compagnies de sapeurs pompiers. Tâche traditionnelle de l’Etat depuis sa constitution, la sauvegarde de l’intégrité corporelle des membres de sa population reste une préoccupation du G8. De manière générale, dans son langage, la protection est ambivalente. D’abord très négatif, sous la forme du protectionnisme, le terme devient plus ou moins positif en lieu et place de la protection de l’environnement, des vols internationaux, de la propriété intellectuelle ou des économies du G8, la notion de « protection sociale » n’apparaissant dans les déclarations du G7 qu’en 1992 et n’y ayant jamais vraiment d’importance3. La déclaration économique de 1985 a beau évoquer le défi de « réduire les inégalités sociales4 », la « justice sociale » dont parle à plusieurs reprises le G8 est moins une morale égalitariste consistant à assurer une redistribution des richesses entre les membres de la société qu’une charité tour à tour intéressée et résignée5. Des tâches régaliennes de police, dans le sens que le mot a du XVIIe à la fin du XVIIIe siècle, 1 G8, « Croissance et responsabilité dans l'économie mondiale », Heiligendamm, 7 juin 2007 2 Par exemple, selon l’anthropologue Malinowski, « à bien des égards, les subsistances ne sont

jamais non plus, même dans les tribus primitives, une affaire exclusivement domestique ». (B. Malinowski, Une théorie scientifique de la culture, 1944, p.71)

3 G7, « Déclaration économique. Agir ensemble pour une croissance plus forte et un monde plus sûr », Munich, 8 juillet 1992

4 G7, « Déclaration économique : Vers une croissance soutenue et plus d'emplois », Bonn, 4 mai 1985

5 « La pleine égalité pour le plus grand nombre, écrivait Hayek en 1976, signifie inévitablement la soumission égale des multitudes aux ordres d’une quelconque élite qui gère leurs intérêts. Alors que l’égalité des droits dans un gouvernement limité est possible en même temps qu’elle est la condition de la liberté individuelle, la revendication d’une égalité matérielle des situations ne peut être satisfaite que par un système politique à pouvoirs totalitaires. » (F. A. Hayek, Droit Législation et Liberté, Tome II : Le mirage de la justice sociale, 1976, p.100)

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c’est-à-dire de prise en charge de l’accroissement, de la survie, de la bonne santé et de l’activité de la population, le G8 souhaite que les institutions publiques n’en conservent principalement que deux : la survie de la population et sa mise au travail. Précisément, la dernière fonction que le G8 réserve aux pouvoirs publics et aux gouvernements, c’est respectivement la gestion des phénomènes et individus tombant hors du marché ainsi que la prévention et la correction des dysfonctionnement de celui-ci. La distinction ici opérante, aux yeux du G8, n’est plus entre l’étatique et le non étatique, mais entre le marché et le hors-marché, entre l’Etat et le gouvernement. Le premier devient reconnaissable à son extériorité par rapport au marché, le second à l’efficacité de sa prévention des accidents du marché. Premièrement, les institutions publiques doivent assurer aux populations la sécurité contre les dangers extérieurs ou naturels, la prise en charge des secteurs de l’économie où le marché est inefficace et la protection de ceux qui tombent hors du marché, c’est-à-dire les « populations vieillissantes et [les] citoyens indigents1 » aussi bien que « les handicapés2 ». La préservation de la vie, le « droit à la vie3 », est d’abord, dans la bouche du G8, un impératif de survie4. Sous cet angle, la population figure dans les déclarations comme une entité étonnamment passive. Population souffrante, affamée, en guerre, privée de démocratie qu’est la population des pays « en développement », mais aussi population des pays « industrialisés », pour sa part vieillissante, en proie aux stupéfiants, menacée par le terrorisme5. Toujours, quoi qu’il en soit, cette image d’une population démunie, d’une population vulnérable, population condamnée à hanter l’espace du hors-marché que la puissance publique doit protéger, doit prendre en charge. Dans le cas où les personnes sont irrémédiablement hors marché, il s’agira d’une protection « spéciale » plus encore

1 G7, « Communiqué », Halifax, 16 juin 1995 2 Cf. G8, « Croissance et responsabilité dans l'économie mondiale », Heiligendamm, 7 juin 2007 3 Mentionné en 1776 dans la Déclaration d’indépendance américaine, ce droit est aujourd’hui

reconnu par de nombreux textes internationaux. L’article 3 de la Déclaration Universelle des droits de l'homme de 1948 stipule par exemple que « tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne ». Ce droit figure également dans l’article 2 de la Convention européenne des droits de l'homme de 1950, dans d’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 ou encore dans l’article 4 de la Convention américaine des droits de l'homme de 1969, dans l’article 6 de la Convention internationale des droits de l’enfant ou encore dans l’article premier du Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits des femmes de 2003.

4 « La protection efficace des personnes, lit-on en 1999, tant sur le plan individuel que collectif, demeure au centre de notre programme. Le G8 est déterminé à lutter contre les causes sous-jacentes des menaces multiples à la sécurité des personnes, et s'est engagé à créer un milieu où les droits fondamentaux, la sécurité et la survie même de toutes les personnes sont garantis. » (G8 Affaires étrangères, « Réunion des Ministres des Affaires étrangères du G8 à Cologne, “Guerzenich”. Conclusions », 10 juin 1999)

5 Pour prendre cet exemple, le Japon a fait du vieillissement une préoccupation répétée du G8. C’est dans la déclaration du sommet de Tokyo, en 1993, que « l'impact économique du vieillissement de la population » apparaît. Pour répondre à cet enjeu, c’est également le Japon qui a lancé l’idée, au sommet de Lyon en 1996 mais dans le cadre de l’OCDE, d’une « Initiative pour un monde solidaire ». (G7, « Déclaration économique : Un engagement renforcé pour l'emploi et la croissance », Tokyo, 9 juillet 1993)

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que « sociale1 ». Dans les autres, la protection véritablement sociale doit être une porte d’accès au marché. Bref, l’autorité publique ne peut assurer que la survie de sa population, la « vie bonne » est conditionnée à l’accès au marché du travail. Deuxièmement, la frange de la population qui semble toujours à la limite du marché est laissée aux bons soins des services sociaux2. Il ne s’agit plus pour les institutions de maintenir en vie mais de renforcer, d’éduquer, de convaincre, de tenter sans relâche de réinsérer les individus dans le marché du travail3. Cet investissement dans un capital humain aux dividendes incertains apparaît tard dans les déclarations du G84. Il oscille toujours entre une prise en charge par les instances publiques et

1 Selon une déclaration politique de 1989, par exemple, « les droits de l'enfant, des handicapés et

des personnes âgées requièrent une protection spéciale ». (G7, « Déclarations politiques », Paris, 15 juillet 1989)

2 Pour reprendre l’exemple du vieillissement, les politiques préconisées par le G8 oscillent entre la prise en charge par des organismes sociaux et l’adaptation des personnes en question. Ainsi, en 1995, il était question d’en « assurer la protection » et les membres du G7 concédait que « certains de nos pays doivent prendre des mesures pour veiller au maintien de leurs régimes de retraite et de leurs programmes de sécurité sociale, et pour garantir l'accessibilité des fonds de pension du secteur privé ». En revanche, lors du sommet de Denver en 1997, « l'investissement en capital humain et, notamment, la maximisation des possibilités de formation permanente, ont été avancés comme moyens de faciliter la préparation continue au travail des adultes d'âge mûr. » (G7, « Communiqué », Halifax, 16 juin 1995 ; _ « Communiqué », Denver, 22 juin 1997)

3 On lit par exemple, à neuf ans d’intervalle : « Des mesures qui élargissent l'accès à un enseignement et à une formation de haute qualité et qui assurent une plus rapide réaction des marchés de l'emploi aux conditions économiques permettront à nos populations de mieux s'adapter à tous les types de changements structuraux. » Puis en 2006 : « Nous allons préparer nos populations respectives à tirer avantage du changement grâce à une acquisition continue du savoir. Nous renforcerons les liens entre l'apprentissage, la formation en entreprise et le marché du travail […]. L'éducation de la population et de la main-d’œuvre est d'une importance vitale. » On remarque aussi, en 1991, que selon Gorbatchev le principal obstacle à la transition de l’économie Russe est le fait que « de large secteurs de la population ne sont pas préparés à embrasser l’économie de marché ». Enfin, à la suite du Tsunami de décembre 2004, le G8 affirme qu’il faut « rendre la population davantage en mesure de résister à des événements similaires dans l’avenir ». (G7, « Communiqué », Denver, 22 juin 1997 ; G8, « L'éducation au service des sociétés novatrices du XXIe siècle », Saint-Pétersbourg, 16 juillet 2006 ; M. Gorbachev, “Personal Message from President Mikhail S. Gorbachev to Heads of State or Government Attending the G7 Meeting in London”, 12 July 1991 ; G8, « Intervention du G8 à la suite de la catastrophe dans l'océan Indien et mesures de réduction des risques de catastrophe dans l'avenir », Gleneagles, 8 juillet 2005, p.1)

4 Le terme de « capital humain » n’apparaît lui-même qu’en 1996 dans les déclarations du G7, et celui de « ressources humaines » à quatre reprises seulement avant cette date. En dépit de déclamations sur le cancer, les stupéfiants, et les maladies infectieuses, la santé est une considération marginale généralement mêlée à l’éducation ou à l’environnement. Ce n’est qu’en 2000 qu’elle apparaît aux yeux du G8 comme « un élément capital du développement économique », le communiqué ajoutant que « la santé est essentielle à la prospérité. Une bonne santé contribue directement à la croissance économique, tandis qu'une mauvaise santé favorise la pauvreté ». De l’aveu même des ministres du Développement du G8, c’est « depuis le sommet d'Okinawa [que] la santé est à l'ordre du jour des sommets du G8 ». (G8, « Communiqué », Okinawa, 23 juillet 2000 ; Ministres du Développement du G8, « Principaux points évoqués », Paris, 23-24 avril 2003)

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une autre par les acteurs privés1. Lutter contre la pauvreté consiste par exemple dans le discours du G8 à mettre sur le marché du travail les populations marginales2. Plus encore, un véritable programme d’aide sociale doit promouvoir un « degré plus grand de responsabilité et d'initiative au niveau personnel », c’est-à-dire prétendre remettre les chômeurs au travail, et non constituer une réserve de main d’œuvre3. C’est pourquoi cette « dimension sociale de la mondialisation4 » est généralement laissée au G8 Emploi. Le marché, une fois de plus, constituera le cœur de la solution, à la fois moyen et fin. Car le mouvement est double, et si les populations ne viennent pas au marché, il faut que le marché viennent à elles. Que les instances publiques ait la responsabilité de protéger les citoyens contre la violence, les épidémies et catastrophes naturelles, de la bonne tenue d’infrastructures telles que les routes ou les hôpitaux, du bon fonctionnement de services publics tels que les transports en commun et les télécommunications ou encore de la fourniture d’information comme les statistiques ou les certificats de qualité, qu’elles aient été

1 La déclaration de 1995 avertit par exemple que « certains de nos pays doivent prendre des

mesures pour veiller au maintien de leurs régimes de retraite et de leurs programmes de sécurité sociale, et pour garantir l'accessibilité des fonds de pension du secteur privé. » Et un plan d’action de 2003 annonce que le G8 travaillera « en partenariat avec les pays en développement, le secteur privé, les organisations multilatérales et les organisations non gouvernementales (ONG) pour atteindre ces objectifs [énoncés lors du Sommet du millénaire et du Sommet mondial sur le développement durable] en matière de santé. » (G7, « Communiqué », Halifax, 16 juin 1995 ; G8, « Santé - Plan d'action du G8 », Evian, 2 juin 2003)

2 Parlant de « la dimension sociale de la mondialisation », le G8 déclarait en 2007 que « la protection sociale constitue un investissement dans l'avenir économique du pays et un moyen efficace de lutter contre la pauvreté. Elle suppose une protection adéquate contre les grands risques de la vie et une couverture adéquate pour tous afin d'améliorer l'éducation et la santé. La protection sociale peut contribuer à améliorer l'employabilité individuelle et à garantir que les personnes en mesure de travailler obtiennent une aide adéquate pour trouver un emploi et acquérir les compétences requises par le marché du travail. » (G8, « Croissance et responsabilité dans l'économie mondiale », Heiligendamm, 7 juin 2007)

3 Le communiqué de 1994 assurait en ce sens que les membres du G7 feront « en sorte que [leurs] systèmes de protection sociale favorisent le travail ». Le communiqué de 1998 affirmait la volonté du G8 de « prendre des mesures pour aider les jeunes, les chômeurs chroniques et les autres groupes touchés durement par le chômage à trouver du travail ». En 1999, le G8 entendait « ménager des filets de protection sociale qui soutiennent l'emploi, prévenir le chômage de longue durée par une action précoce, faciliter la recherche d'un emploi en offrant de l'information sur le marché du travail et des services d'aide à l'emploi, promouvoir l'apprentissage continu et de nouvelles formes d'organisation du travail, assurer à tous les travailleurs un accès égal au marché, y compris les nouveaux venus et les travailleurs plus âgés, et faire avancer le dialogue social. […] Les politiques de sécurité sociale, y compris les filets de protection sociale, doivent être suffisamment solides pour encourager et aider les individus à épouser le changement et la libéralisation à l'échelle mondiale et améliorer leurs chances sur le marché du travail, tout en renforçant la cohésion sociale. » (G7, « Déclaration économique », Naples, 9 juillet 1994 ; G8, « Communiqué », Birmingham, 17 mai 1998 ; _ « Communiqué », Cologne, 20 juin 1999)

4 En novembre 2000, ce sont par exemple les ministres du Travail du G8 qui ont entériné la Charte de Turin pour un vieillissement actif. (G8 labour, “Shaping the Social Dimensions of Globalisation: Chair's Conclusions”, Dresden, May 6-8, 2007 ; _ “G8 Turin Charter: ‘Towards Active Ageing’", Turin, Italy, November 10-11, 2000)

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mandatées et collectent généralement des impôts pour ce faire, tout cela ne signifie pas qu’elles aient à agir elles-mêmes1. Cependant, le marché n’est pas si automatiquement bénéfique qu’on pourrait le croire. Les théories du marché autorégulateur reposent en effet sur des hypothèses utopiques telles que la rationalité absolue des agents économiques et la concurrence pure et parfaite. La réalité, différente, sonnant souvent comme un échec de ces constructions abstraites2, le G8 entend d’une part adapter cette réalité au marché, comme j’ai tenté de l’expliquer précédemment, et de l’autre, par prudence, adapter quelque peu le marché à cette réalité. Le G8 va donc charger les gouvernements de canaliser, réguler, réglementer, bref, discipliner le marché. C’est le dernier aspect de cette redéfinition de l’Etat et du gouvernement auquel il se livre. Il n’est pas question de brider les marchés mais d’en réduire les dangers et de définir le cadre général dans lequel leur liberté sera la plus efficiente3. Le gouvernement doit d’abord limiter les effets distordant induits par les mécanismes protectionnistes mis en place après la Seconde guerre tels que les subventions et les barrières tarifaires. Ensuite, il a la responsabilité de mettre en place « des politiques économiques

1 La sous-traitance au secteur privé et l’ouverture de ces domaines au marché sont tout à fait

recommandées par le G8. En 2004, pour mettre un terme aux famines en Afrique au XXIe siècle, il préconise par exemple de libérer « les pouvoirs du marché » L’année suivante, les représentants personnels pour l’Afrique du G8 recommandaient à ses membres de « placer la conception et l’application des réformes commerciales au centre de leurs stratégies d’allégement de la pauvreté ». En 2006, il affirmait que « le paludisme est à la fois évitable et traitable par des interventions économiques éprouvées ». En 2007, que « les investissements du secteur privé sont et resteront le premier moyen de déploiement et de diffusion des technologies. » (Représentants personnels pour l’Afrique du G8, « Plan d’action pour l’Afrique », Rapport conjoint sur l’état d’avancement des travaux, Gleneagles, 8 juillet 2005, p.18 ; G8, « Mettre un terme au cycle de la famine dans la corne de l'Afrique, augmenter la productivité agricole et promouvoir le développement rural dans les pays connaissant l'insécurité alimentaire », 10 juin 2004 ; _ « Lutte contre les maladies infectieuses », Saint-Pétersbourg, 16 juillet 2006 ; G8, « Croissance et responsabilité dans l'économie mondiale », Heiligendamm, 7 juin 2007)

2 En 1982 par exemple, le Président français tirait cet inquiétant portrait de l’humanité : « Dans le monde en crise, nos sept pays ne sont pas épargnés et la tendance n'est pas à l'amélioration : depuis le sommet d'Ottawa, cinq millions d'hommes et de femmes ont perdu leur emploi, chez l'un et l'autre d'entre nous. La production, l'investissement et les échanges stagnent, le protectionnisme menace, les monnaies s'installent dans le désordre, les taux d'intérêt atteignent des niveaux empêchant toute croissance créatrice d'emploi. L'égoïsme devient la règle. « Dans les pays du Sud, les conditions de survie se sont aggravées : près de 30 millions d'êtres humains sont morts de faim. » (F. Mitterrand, « Rapport de M. le Président de la République [française] au sommet des pays industrialisés : technologie, emploi et croissance », Versailles, 5 juillet 1982)

3 La notion de risque, utilisée principalement en référence à l’arme nucléaire dans les années 70 et 80, est d’abord employée au cours des années 90 pour désigner ces effets systémiques néfastes des fluctuations des marchés financiers que les crises financières à répétition ont mis en lumière. En 1995, un communiqué du G7 avouait dans cette perspective que « la libéralisation des marchés de capitaux, le changement technologique et l'innovation financière ont transformé le paysage financier mondial – ce qui s'accompagne de grands avantages, mais aussi de nouveaux risques. » (G7, « Examen des institutions financières internationales », Halifax, 16 juin 1995)

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saines, fondées sur le marché1 », telles que la lutte contre l’inflation et la réduction du déficit budgétaire. Enfin, il ne s’agit nullement pour le gouvernement d’assurer le plein-emploi, le maintien du pouvoir d’achat ou l’équilibre de la balance des paiements, mais une certaine stabilité des prix en contrôlant l’inflation, c’est-à-dire, en dernier ressort, les taux de change. Depuis qu’ils sont flottants, suite à l’abandon de l’étalon or, les taux de change font l’objet de discours contradictoires de la part de notre instance. D’un côté ils doivent être « économiquement corrects », c’est-à-dire refléter les conditions et les « données économiques fondamentales », et de l’autre le G8 n’a de cesse d’appeler à des interventions sur leur cours, conformément à l'article 4 des Statuts du FMI2. Il avoue lui-même que « les IFI sont conçues pour faciliter de plusieurs façons ce genre d'intervention3 ». C’est même une de leur raison d’être. Le G8, dont les principaux appels à intervenir économiquement concernent les taux de change, se montre pour le coup très keynésien, d’autant que si la nécessaire coopération des principales devises sur un marché des changes dérégulé est l’une des explication de la création du G7, son rôle correctif et assuranciel s’étend au-delà des marchés monétaires4. 1 En ce sens, « la poursuite de saines politiques monétaires et financières nationales est la voie la

plus efficace vers une stabilité accrue des marchés des changes. » (G7, « Examen des institutions financières internationales », Halifax, 16 juin 1995)

2 Les membres du G6 réunis en 1975 affirmaient que leurs « autorités monétaires agiront pour contrecarrer le désordre des marchés ou les fluctuations erratiques des taux de change ». Trois ans plus tard, l’ambiguïté s’installait : « Bien que les taux de change doivent réagir aux changements intervenant dans les situations économiques et financières de base des différentes nations, les autorités monétaires de nos pays continueront à intervenir dans la mesure nécessaire pour empêcher les désordres sur les marchés des changes. » En 1983, les participants au sommet de Williamsburg se déclaraient « disposés à mettre en oeuvre les interventions coordonnées sur les marchés des changes », et trois ans plus tard, retombant dans la contradiction, ils « recommandent que les mesures correctives s'appuient avant tout sur les conditions économiques fondamentales sous-jacentes tout en réaffirmant l'engagement pris à Williamsburg en 1983 d'intervenir sur les marchés des changes lorsque ce sera utile. » Dix ans plus tard, les ministres des Finances du G7 confirmeront que « les interventions sur le marché des changes peuvent s'avérer efficaces et même décisives dans certaines circonstances ». (G6, « Déclaration de Rambouillet », Rambouillet, 17 novembre 1975 ; G7, « Déclaration des chefs d'Etat et de Gouvernement », Bonn, 17 juillet 1978 ; G7, « Déclaration économique : Vers une croissance soutenue et plus d'emplois », Williamsburg, 30 mai 1983 ; _ « Déclaration économique », Tokyo, 6 mai 1986 ; Ministres des Finances du G7, « Rapport des Ministres des Finances du G7 aux Chefs d'Etat et de Gouvernement sur la stabilité monétaire internationale », Lyon, 28 juin 1996)

3 G7, « Examen des institutions financières internationales », Halifax, 16 juin 1995 4 Pour ne nous en tenir qu’à cinq années de la décennie 80, on note une préoccupation constante

pour l’amélioration du fonctionnement des marchés internationaux. En 1984, les membres du G7 encouragent « le fonctionnement efficace du marché du travail » et invitent leurs ministres des Finances à rechercher des « moyens d'améliorer le fonctionnement du système monétaire international ». L’année suivante, on retrouve l’impératif « essentiel d'améliorer le fonctionnement du système monétaire international », et en 1986 encore, il est question d’« améliorer le fonctionnement du système monétaire international et des échanges mondiaux ». En 1987, le G7 invoque à nouveau « l'amélioration du fonctionnement des marchés financiers internationaux » et combien « il est important d'améliorer le fonctionnement des marchés des produits de base ». Enfin, en 1988, il parle toujours du « processus d'amélioration permanente du fonctionnement du

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Un monde de marché Telle est la ligne de conduite des membres du G8 : s’en remettre « essentiellement […] aux mécanismes du marché, en les complétant en cas de besoin par des mesures gouvernementales1 ». Le marché en question, qu’il soit conçu comme une création politique ou comme une institution sociale spontanée semblable au langage et à la morale, n’est jamais ce modèle abstrait cher aux libéraux classiques dans lequel l’« équilibre général » résulte d’une certaine fixité des paramètres économiques. A en croire la littérature économique répandue depuis près d’un siècle, c’est une dynamique incertaine et fragile, contingente, dont l’ordre n’est pour le moins pas spontané. Tout l’enjeu du G8, semble-t-il, consiste à montrer que cet « ordre du marché2 » est non seulement possible, mais encore qu’il est préférable à l’ordre des Etats. Ce monde de marché que le G8 conçoit comme l’horizon indépassable de l’espèce humaine est intelligible selon quatre perspectives principales : comme ordre, comme totalité, comme logique et comme vérité.

Ordre du marché Meilleur moyen d’orienter les objets, le volume et le rythme de production, meilleur instrument d'allocation des ressources, meilleure garantie de la prospérité, le marché libre apparaît immédiatement aux yeux du G8 comme la forme d’organisation la plus performante face aux déboires économiques de ses membres. Au marché la tâche d’assurer l’ordre dans la production et la distribution des biens et de services, elles-mêmes commandées par les prix, voilà le credo du G8. Cela suppose tout un ensemble de modifications – faut-il dire de mutations ? – au cœur des systèmes humains : le mobile du profit de la part des individus ; l’ouverture du champ de la concurrence à tous les prétendants ; la monnaie fonctionnant comme pouvoir d’achat et les prix comme autant d’indicateurs ; une « marketisation » des mots et des choses, soit des marchés pour tous les secteurs de la production et de la consommation, sur lesquels l’offre de biens disponibles à un prix donné sera égale à la demande au même prix ; des marchés enfin qui sont connectés et constituent un

système monétaire international ». (G7, « Déclaration économique », Londres, 9 juin 1984 ; G7, « Déclaration économique : Vers une croissance soutenue et plus d'emplois », Bonn, 4 mai 1985 ; G7, « Déclaration économique », Tokyo, 6 mai 1986 ; G7, « Déclaration économique », Venise, 10 juin 1987 ; G7, « Déclaration économique », Toronto, 21 juin 1988)

1 G7, « Déclaration économique », Ottawa, 21 juillet 1981 2 Hayek nommait cet ordre catallarchie. Selon lui, le terme viendrait du grec katallatein (ou

katallassein) signifiant « faire de l'ennemi un ami » puis, par extension, « échanger ». La notion de « catallaxie », inventée par Hayek, correspond à « l'ordre engendré par l'ajustement mutuel de nombreuses économies individuelles sur un marché. Une catallaxie est ainsi l'espèce particulière d'ordre spontané produit par le marché à travers les actes des gens qui se conforment aux règles juridiques concernant la propriété, les dommages et les contrats. » (F. A. Hayek, Droit, législation et liberté. Tome 2 : Le Mirage de la Justice sociale, 1976, p. 131).

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unique grand marché ; toute production destinée à la vente sur le marché, tous les revenus tirés de cette vente, les pouvoirs publics n’intervenant qu’aux marges de cette mécanique1. Le marché dont il est question n’est pas tant le marché en général, cet échange d’intérêts privés qui a toujours coexisté aux sociétés quoique très longtemps à petite échelle, mais une somme de marchés : marché des biens, marché des services, marchés financiers, marché du travail, marché immobilier, mais aussi marché des technologies, marché des ressources naturelles, marché des relations internationales, marché linguistique et symbolique, marché normatif… Existant déjà pour certains depuis le Moyen Age, ces marchés étaient toujours en quelque manière astreints, limités, régulés par la puissance publique. Mais la nouveauté n’est l’apparition de marchés autorégulateurs en lieu et place de marchés régulés, comme ce fut le cas à la fin du XVIIIe siècle, non plus que la dimension mondiale et le volume colossal des échanges commerciaux, comparables à ceux de la fin du XIXe siècle, ni encore le pouvoir de la haute finance, déjà si puissante entre 1815 et 1929, ni même la victoire idéologique du libéralisme économique sur le planisme d’Etat. Ce qui change radicalement, c’est l’apparition d’un marché mesure de toute chose, ordonnateur des activités humaines les plus bénignes et des regroupements territoriaux, des règles internationales et des vérités légitimes, de la forme de l’architecture institutionnelle mondiale et d’une morale à prétention universelle, à la fois moyen et fin, instrument et système, tel un mouvement circulaire, infini et comme totalitaire. Les marchés créent, justifient, renforcent et vérifient les marchés. Les marchés produisent et distribuent les ressources, sanctionnent et récompensent les conduites. Ici l’échange subsume la production et la consommation2. Ici la préservation de la paix n’est plus qu’un moyen au service de l’efficience des marchés, c’est-à-dire finalement de la prospérité ; ici une géographie militaire et idéologique cède le pas à un plan d’immanence économique, où la conquête vise des marchés et non des territoires, alors même que la géographie était jusqu’ici fatalité de la politique, et la géopolitique rationalité de la politique internationale. Ici, la vérité des prix du marché se surimpose aux structures culturelles des sociétés et aux comportements des Etats. Ici l’appât du gain est le nerf de toute guerre. Ici la stabilité économique s’est substituée à l’équilibre militaire, les Bourses aux gouvernements, les flux aux espaces et les échanges aux produits, les relations aux acteurs et l’individu au groupe, la solvabilité au bien-être, l’économie au politique et au social. Vous êtes ici, dans un monde plat, fini, que l’être de la « mondialisation » a reconduit à la limite des grillages nationaux pour les uns, au néant de l’individu aux prises avec son petit égoïsme privé pour les autres. Afin de faire du marché total et autorégulateur, somme des différents marchés nationaux, régionaux, thématiques et symboliques, la pièce maîtresse de ce nouveau système, le G8 va imposer, sommet après sommet, l’idée qu’il existe une raison du marché, sinon une naturalité de celui-ci, comme il y a pu avoir une raison d’Etat et une naturalité du divin. Le système que façonne cette raison du marché semble

1 La déclaration économique de 1992 résume « les fondements d'une économie de marché […] :

privatisation, réforme agraire, mesures visant à promouvoir l'investissement et la concurrence, protection sociale appropriée de la population. » (G7, « Déclaration économique. Agir ensemble pour une croissance plus forte et un monde plus sûr », Munich, 8 juillet 1992)

2 L’OMC s’occupe par exemple du développement du commerce (échanges) et non du développement par le commerce (production).

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étrangement simple. Basé sur des marchés libres, mu par l’intérêt privé et visant à la prospérité, il paraît avoir supplanté depuis au moins une vingtaine, un système basé sur les Etats, mu par l’intérêt national et visant à l’équilibre des puissances. Ce nouvel ordre mondial, loin de toute spontanéité, a été une entreprise de longue haleine. Le cœur des lois, des traités, des pactes et des institutions, c’est, au fond, toujours et encore, moins la paix que le rétablissement et le maintien d’un certain ordre. Les déclarations du G8 n’y font pas exception. Suite à l’ordre juridico-étatique défaillant de la SDN et de l’ONU, notre instance va proposer, en réponse à l’épineuse question de l’organisation, de l’ordonnancement, et finalement de l’ordre que lui pose le désordre du système des marchés au milieu des années 70, une réorganisation de ceux-ci et finalement des institutions nationales aussi bien qu’internationales. Pour autant, l’ordre que dessine le G8 de déclarations en déclarations n’est pas un ordre international mais un jeu supranational, au sens où les institutions publiques n’en constituent plus le cœur mais des acteurs parmi d’autres, le droit une norme parmi d’autres, et les valeurs politiques telles que la souveraineté ou l’intégrité des principes parmi d’autres. Un grand jeu des libertés et des intérêts soumis aux règles du marché, c’est-à-dire aux normes et aux contrats. Ce serait une erreur d’interprétation que d’attribuer au G8 le titre de « directoire du monde ». Ce rôle global de compréhension, de direction, de coordination et de régulation, c’est au marché qu’il revient si l’on en croit son adjuvant en chef. Ce serait également une erreur de voir dans la « gouvernance mondiale » un gouvernement du monde ou de la mondialisation. Ceux-ci n’ont pas à être gouvernés, mais administrés. Le G8 a pris acte de la mort du Roi et se limite à l’intendance, s’occupe principalement d’économie puisque tout le reste en découle et y revient1. La gouvernance résumerait ce déplacement d’un gouvernement étatique du monde à sa simple gestion concertée. « Gouverner le monde sans gouvernement2 », ce serait l’administrer sans ces contraintes attachées à la figure étatique que sont la loi, le territoire, la légitimité. Car il y a bien disjonction entre l’Etat et le gouvernement, entre l’espace politique et l’espace économique, entre valeurs et principes, et retournement de la préséance des premiers sur les seconds. La finalité du développement des forces productives, de l’équilibre des puissances ou encore de la liberté des échanges n’est plus la paix ou l’accroissement des richesses de l’Etat mais le bon fonctionnement du marché mondial et autorégulateur, et partant la sauvegarde du cœur du système supranational : le capitalisme. Il y a là comme un renversement des fins et des moyens. La supervision minutieuse de ce passage des principes, des vérités et des sceptres du champ politique au champ économique est pour le moins surprenante. Pourquoi les Etats les plus puissants ont-ils ainsi organisé leur propre pillage ? Nécessité d’une guerre économique dont l’arbitre, les colonisés d’hier étant aujourd’hui des

1 On lit par exemple, sous la plume d’une membre de l’OCDE, que « les Principes [de gouvernance]

de l'OCDE mettent l’accent sur la croissance économique comme un point de départ et un but à atteindre. » (M. Mesnard, « Gouvernance d'entreprise, investissement et croissance. Les principes de l’OCDE et leur utilisation », 2002)

2 Cf. R. Rhodes, “The new governance: governing without government”, in Political Studies, Vol. 44, September 1996, pp. 652-667 ; H. Reinicke, Global Public Policy: Governing without Government?, 1998

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concurrents, ne peut plus être l’ancien empire ? Aveu d’échec, sinon d’impuissance, du modèle d’économie de guerre face aux troubles économiques du début des années 70 ? Pragmatisme, l’expérience du marché autorégulé ayant permis d’éviter, tout de même, une seconde crise de 29 ? Intérêt bien compris, la loi de la jungle du marché étant celle du plus fort, et donc à l’avantage des membres du G8 ? Sans favoriser une hypothèse sur une autre, on peut verser au crédit de cette dernière que si, selon l’ancien ministre des Affaires étrangères anglais, « nous vivons désormais dans un monde dominé par les banques privées et les flux financiers1 », ces banques et ces flux sont encore principalement occidentaux, libéraliser ne signifiant pas se brancher sur une économie mondialisée mais se soumettre aux Bourses de New York, de Londres et de Tokyo, et qu’à la liberté de l’économie correspond une économie des libertés qui n’est pas à l’avantage des pays dominés, les mouvements de population que Smith incluait dans le libre-échange restant par exemple très relatifs lorsqu’ils sont dirigés vers l’Occident. Il faudrait en ce sens distinguer, à la manière de Braudel, capitalisme et économie de marché. L’économie de marché, c’est l’échange transparent, le capitalisme, c’est l’échange faussé. Le marché auto-régulateur mondial n’est-il pas ce que l’historien appelait un « contre-marché », au sens où il subvertit les économies sous-jacentes sur lesquelles il s’appuie2 ? Si le capitalisme a longtemps eu besoin de l’Etat, il semblerait que ce soit maintenant l’Etat qui a besoin du capitalisme.

Totalité du marché A partir de l’âge classique, l’économie a été pensée, avec le caméralisme par exemple, dans la sphère d’une souveraineté politique, puis avec les physiocrates par rapport à une telle souveraineté, ou rapportée à la population sur laquelle elle s’exerçait, quand bien même les échanges commerciaux et financiers débordaient les frontières de l’une et les appartenances de l’autre. Qu’il s’agisse du nombre d’habitants, des objets du commerce, de la répartition de l’impôt, il était question de séries enserrées dans les frontières d’un Etat. Que l’on relise les projets d’organisations internationales : elles parlent plus de coopération entre Etats, voire plus romantiquement entre peuples, que de coexistence de populations. Au XVIIIe siècle, l’idée qu’il existe un marché autorégulateur avait conduit à distinguer entre espace économique et espace public, la première devenant indépendante de la seconde et le droit reconnaissant une sphère d’autonomie des individus. Au XXe siècle, cette idée va s’accompagner de l’affirmation d’une primauté de l’espace économique sur la sphère publique, mais aussi sur les sphères individuelle et naturelle – et plus encore de la capacité de résolution des problèmes des secondes par les moyens du premier. Comme toute chose tend à devenir une question d’économie, pour lequel il est possible d’appeler le marché à trancher d’autorité, une proportion toujours plus large des activités humaines est détournée des efforts

1 R. Cook, Foreign Secretary, Press Conference, United Kingdom, May 9, 1998 2 A côté du marché local et « transparent », il existe selon lui un marché « supérieur »,

« sophistiqué », « dominant », une « sphère de circulation » différente qu’il nomme private market ou « contre-marché » et qui, cherchant « à se débarrasser des règles du marché traditionnel, souvent paralysantes à l’excès ? », ne laisse finalement qu’une faible place à la concurrence. (F. Braudel, La Dynamique du capitalisme, 1985, pp.56-58)

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politiques vers des efforts productifs1. Et le G8 d’applaudir à cette triple annexion par le marché de la nature, de la société et des institutions publiques qu’il a sans relâche promue. Premièrement, la nature continue de faire l’objet d’une lecture marchande que Marx pouvait déjà regretter. Dans le système capitaliste, la nature est en effet partie intégrante de la sphère économique en sa qualité de ressource disponible pour la production. Selon le discours du G8, autant la nature que les mesures visant à sa préservation doivent être intégrées dans divers marchés et ne plus se limiter aux activités productives2. Si la prise en compte de la disponibilité et du coût des ressources naturelles n’est pas pour surprendre, l’intégration dans des mécanismes de marché des « externalités négatives », c’est-à-dire d’un champ laissé jusque-là aux marges du marché, est aussi nouvelle que paradoxale : à le lire, les pluies acides, la pollution des mers et le réchauffement climatiques sont autant d’aubaines économiques3. C’est à partir de 1981 que le G8 s’intéresse à l’environnement4. En dépit d’un soutien rhétorique aux mesures gouvernementales et à l’agence onusienne en charge de

1 Renversement d’une phrase de Hayek : « Comme toute chose tend à devenir une question de

politique, pour lequel il est possible d’appeler le gouvernement à trancher d’autorité, une proportion toujours plus large des activités humaines est détournée des efforts productifs vers des efforts politiques ». (F. A. Hayek, Droit, législation et liberté. Tome 3 : L’ordre politique d’un peuple libre, 1979, p.165, je souligne)

2 « La protection de l'environnement, allègue le communiqué de 1989, est inséparable du commerce, du développement, de l'énergie, de l'agriculture, des transports et de la planification économique [de même que] les investissements liés à la protection de l'environnement devraient contribuer à la croissance. » (G7, « Déclaration économique », Paris, 16 juillet 1989)

3 Les externalités sont les avantages (externalités positives) et les inconvénients (externalités négatives) induits par la production et/ou la consommation de biens ou de services mais non pris en compte dans le prix de vente de ces biens ou services.

4 La déclaration de 1981 est la première à réellement faire cas de la sauvegarde de l’environnement : « Dans la définition de nos politiques économiques à long terme, nous devrons nous attacher à sauvegarder l'environnement et les ressources de notre planète. » En 1985, le G7 déclarait avoir en matière environnementale des « sujets de préoccupation tels que les changements climatiques, la protection de la couche d'ozone et le traitement des déchets chimiques, toxiques et des déchets dangereux. » Deux ans plus tard, le G8 s’intéresse également à d’autres « problèmes d'environnement de portée mondiale, tels que la diminution de l'ozone stratosphérique, les modifications climatiques, les pluies acides, les espèces menacées, les substances dangereuses, la pollution aérienne et la pollution des eaux, et la destruction des forêts tropicales. » En 1989, au cours du « premier sommet vert » selon The Economist, il affirmait que « la conclusion d'une convention cadre sur l'évolution du climat, destinée à fixer des orientations ou principes généraux, s'impose d'urgence », puis en 1990 réitérait son « soutien à la négociation d'une Convention cadre sur les changements climatiques », ou reconnaissait encore en 2001 et 2002 « que le changement climatique constitue un problème pressant qui nécessite une solution mondiale ». (G7, « Déclaration économique », Ottawa, 21 juillet 1981 ; _ « Déclaration économique : Vers une croissance soutenue et plus d'emplois », Bonn, 4 mai 1985 ; _ « Déclaration économique », Venise, 10 juin 1987 ; "The First Green Summit", The Economist, 15 July 1989, p.11, cité in H. Ullrich and A. Donnelly, “The Group of Eight and the European Union: The Evolving Partnership”, 1998 ; G7, « Déclaration économique », Paris, 16 juillet 1989 ; _ « Déclaration économique », Houston, 11 juillet 1990 ;

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l’environnement, il favorise très largement des solutions axées sur le marché1. Il ne s’agit pas seulement de privatiser les dommages causés à l’environnement, mais de résoudre les problèmes environnementaux créés par la technique et le marché au moyen d’un surcroît de technique et de marché. La raréfaction des ressources naturelles est soluble dans l’augmentation des ressources techniques, humaines et financières. Efficacité énergétique, responsabilisation des individus et augmentation du commerce sont les trois piliers de la lutte contre ces dommages environnementaux qui menacent la prospérité2. L’oxymore de « développement durable » signifie, dans la bouche du G8, le rêve d’une synthèse vertueuse de marchés aussi divers que ceux du travail, des

G8, « Communiqué du G8 », Gênes, 22 juillet 2001 ; _ « Conclusions de la présidence », Kananaskis, 26 juin 2002)

1 On peut lire dans cette la déclaration de 1991 que « les considérations d'environnement devraient être intégrées dans toutes les politiques mises en oeuvre par les gouvernements », et qu’il conviendrait de « renforcer les institutions internationales traitant d'environnement y compris le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE), au cours de la prochaine décennie ». Ce soutien au PNUE a été réaffirmé lors des sommets de 1987, 1989, 1990, 1995, 1996, 1997, 2000 et 2003. Résultat : les contributions au PNUE durant la décennie 90 ont été jugées instables et imprévisibles par le programme lui-même. Sa principal source de financement, le Fond pour l’environnement, a vu ses contributions augmenter de 59 à 65 millions de dollars entre 1991 à 1994 puis décroître drastiquement jusqu’à 41 millions en 2000, pour revenir en 2006 légèrement en dessous de leur niveau de 1991. L’organisme est toujours cantonné, faute de moyen, à un rôle de facilitateur des négociations et de production d’information, laissant le champ libre à bon nombre d’acteurs pour intervenir dans ce domaine parmi lesquels la Banque mondiale (au travers du Fond mondial pour l’environnement), les secrétariats relatifs aux grands Accords multilatéraux sur l’environnement et l’OMC, dont l’Organe de régulation des différends tend à être saisi de plus en plus fréquemment sur des conflits impliquant un aspect environnemental. Le projet d’une Organisation mondiale de l’environnement, s’il est défendu entre autres par la France et l’Allemagne, fait face à l’opposition des Etats-Unis. (G7, « Déclaration économique », Londres, 17 juillet 1991 ; Sources : UNEP, “Financing of UNEP”, 2007 ; UNEP, “Financing of UNEP”, 2007 ; _ “Contributions to UNEP's Environment Fund 1973 - 2006”, January 26, 2007)

2 Dès 1984, le G7 invitait « le groupe de travail sur la technologie, la croissance et l'emploi à […] identifier les projets possibles de coopération industrielle visant à développer des techniques économiques de réduction des dommages causés par l'environnement. » Le communiqué du G8 Environnement de 2003 affirme par exemple que « des nouvelles technologies plus propres et plus efficaces peuvent contribuer aux efforts actuels faits par les pays pour améliorer la qualité de la vie, réduire la pollution, améliorer l’efficacité de l’utilisation des ressources, réduire les émissions de gaz à effet de serre ». En 2005, il s’agit de prendre « des mesures pour développer les marchés des technologies énergétiques propres, pour les rendre plus abordables pour les pays en développement et pour aider les communautés vulnérables à s'adapter aux incidences des changements climatiques. » Enfin, il n’hésite pas à lier développement du commerce et protection de l’environnement, comme par exemple lors du sommet de Londres en 1991 où il fut avancé que « des marchés ouverts contribuent à générer les ressources nécessaires à la protection de l'environnement », ainsi que lors de celui d’Evian, en 2003, qui fut l’occasion d’ affirmer que « le système commercial multilatéral […] contribue considérablement à la croissance, à la stabilité et au développement durable au niveau international depuis plus de cinquante ans ». (G7, « Déclaration économique », Londres, 9 juin 1984 ; G8 Environnement, « Communiqué », Paris, 27 avril 2003 ; G8, « Conclusions de la Présidence », Gleneagles, 8 juillet 2005 ; G7, « Déclaration économique », Londres, 17 juillet 1991 ; G8, « Commerce. Plan d'action du G8 », Evian, 2 juin 2003)

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ressources, de l’énergie, de la pollution, des techniques, des biens et des services1. La nature, ainsi doublement intégrée dans un système d’offre et de demande, de coûts et de bénéfices, n’a plus en elle-même ni finalité ni raison d’être2. Et sa meilleure chance de survie est sans doute, selon un tel point de vue, d’être pleinement intégrée aux marchés, c’est-à-dire privatisée jusqu’à sa dernière cellule. Hors du marché point de salut, ni pour la nature ni, deuxièmement, pour les individus. Nous avons déjà pu voir comme les populations et les individus sont annexés aux marchés et comme seconds par rapport à lui, jamais suffisamment ajustés, réactifs à et compréhensifs de ses mécanismes et de ses nécessités. Dans un certain sens, la lutte contre les incidences sociales du changement climatique devient seconde par rapport aux « grandes opportunités qu'offre une stratégie efficace visant à faire face au changement climatique3 ». L’économie de marché appelle une pareille société de ressources et d’investissements, où l’espace public a cédé la place à l’espace privé, ou du moins à un espace public non politique. Plus que d’une société marchande ou de marché, il faudrait parler d’une société d’entreprises. Alors qu’il avait constitué, dans les sociétés dites « primitives », le ferment d’une sphère publique en connectant les communautés domestiques, l’espace du marché acquiert, dans le dernier quart du XXe siècle et sous les encouragements du G8, la préséance sur un espace du droit et de la souveraineté politique libéralisé4. L’espace juridique, lui-même ouvert à la concurrence, est hiérarchisé à nouveaux frais au profit du droit des échanges et comme vidé de sa substance5. De même que le Code de la route ne s’applique pas à la circulation dans un parc privé, les espaces détenus par des entités privées, quand bien même ils sont « publics » (théâtre, cinéma, magasin, terrain de sport), n’en sont pas moins susceptibles d’être soumis à d’autres règles de fonctionnement que celles définies par les autorités publiques. Le développement des normes et le non respect de la loi affirmant en renfort que la puissance publique,

1 Cf. par exemple, G8, « Plan d'action de Gleneagles : Changement climatique, énergie propre et

développement durable », Gleneagles, 8 juillet 2005 2 Par exemple, la déclaration économique de 1989 précise que les « changements climatiques

[mettent] en danger l'environnement et donc l'économie », et celle de 2007 que le changement climatique et la sécurité énergétique constituent « deux enjeux interdépendants majeurs ». (G7, « Déclaration économique », Paris, 16 juillet 1989 ; G8, « Croissance et responsabilité dans l'économie mondiale », Heiligendamm, 7 juin 2007)

3 Et cette déclaration de continuer : « Des économies robustes, ainsi qu'un large éventail d'instruments, tels que des mécanismes de marché, notamment les échanges de permis d'émission, des incitations fiscales, ainsi que des mesures réglementaires, la coopération en matière de technologies et une vision commune à long terme, constituent autant d'éléments déterminants pour orienter les décisions d'investissement, permettre le lancement sur le marché de nouvelles technologies, améliorer la sécurité énergétique et promouvoir le développement durable, ainsi que pour ralentir, stabiliser et enfin réduire de manière significative les émissions mondiales de gaz à effet de serre. » (G8, « Croissance et responsabilité dans l'économie mondiale », Heiligendamm, 7 juin 2007)

4 Les déclarations du G8 obéissent elles-mêmes à la distinction entre la sphère économique et la sphère politique, et privilégient systématiquement la première sur la seconde..

5 Les membres du G7 réunis à Denver en 1997 affirmaient à cet égard que « le cadre de réglementation devrait être mieux harmonisé à l'évolution du marché. » (G7, « Relever les défis financiers et économiques mondiaux : déclaration des Sept au sommet de Denver », Denver, 21 juin 1997)

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qu’elle soit nationale ou internationale, n’est plus en droit d’intervenir dans les champs concernés, celle-ci n’a plus le monopole ni de la violence légitime, ni de la pensée sociale claire, ni de la proposition et de la réalisation d’un projet de société. L’espace public a été libéralisé. Troisièmement, la promotion du modèle de marché comme principe de régulation des relations interindividuelles aussi bien qu’internationales conduit logiquement à une organisation des sociétés sur la base de groupes et d’échanges d’intérêts. Au fond, tant que le marché y trouve à prospérer, peu importe la forme d’un régime politique, son organisation sociale, son niveau de développement et ses infrastructures1. Peu importent les changements à la tête des pays, qu’ils soient ou non membres du G8, tant qu’est assurée la continuité des politiques économiques. Peu importe le gouvernement tant qu’on a la bonne gouvernance. Peu importe l’intention ou les moyens pourvu qu’on obtienne un résultat satisfaisant selon les critères du marché. La démocratie, l’égalité entre les sexes, l’accès aux soins, ne sont pas des fins en soi, mais des variables manipulées pour permettre le bon fonctionnement des marchés ou influer sur d’autres variables, le but étant toujours la prospérité, seule justification jusqu’ici valable du capitalisme2. Le politique, dès lors, peut être pleinement soumis à l’économie. Il ne s’agit plus d’économie dirigée mais de politique dirigée, de politique surveillée. On peut également parler de politique privatisée. Il existe, dans le domaine strictement économique, ce que Noam Chomsky nomme « Sénat virtuel3 » : quelques grands investisseurs financiers tels que les fonds de pension sont en mesure, depuis la libéralisation des flux de capitaux, de sanctionner ou de récompenser des politiques sociales et économiques au moyen de simples transferts de fonds. Il existe également, une fois aplanie la souveraineté étatique et logiquement introduits les secteurs privés dans la bataille des intérêts, la tentation d’une nouvelle forme de démocratie. Une démocratie de marché qui serait une véritable démocratie économique ou censitaire, une démocratie adaptée à une société d’entreprises où l’influence d’un individu est tributaire de son compte en banque, où acheter un produit c’est voter pour son vendeur ; une démocratie qui fonctionnerait, à la manière des IFI, sur le modèle d’une société par actions ; une démocratie dont les principes libéraux limiteraient les pouvoirs du peuple comme ils avaient limité ceux du roi4.

1 Par exemple, il fut un temps où l’un des économistes phare de la Banque mondiale, Deepak Lal,

pouvait privilégier l’attribution de prêts aux régimes dictatoriaux, jugés plus à même de faire taire la grogne provoquée par les ajustements structurels. Hayek lui-même a pu écrire qu’un régime autoritaire était plus favorable aux libertés qu’un régime démocratique.

2 Pour exemple, s’« il est nécessaire d’améliorer la qualité de l’air et de l’eau », c’est peut-être « afin d’aider les personnes atteintes de maladies respiratoires », mais c’est aussi pour « réduire les coûts liés à la santé ». (G8, « Plan d'action de Gleneagles : Changement climatique, énergie propre et développement durable», Gleneagles, 8 juillet 2005, p.1)

3 N. Chomsky, « Sénat virtuel et tyrannie privée », entretien enregistré à Montréal au printemps 1998 et diffusé sur les ondes de CIBL (Radio libre de Montréal), propos recueillis et traduits par N. Baillargeon ; Cf. aussi N. Chomsky, “The World After Iraq Invasion”, Speaks at CU-Boulder, April 5, 2003

4 « La fonction du libéralisme dans le passé, vaticinait Herbert Spencer à la fin du XIXe siècle, a été de mettre une limite au pouvoir des rois. La fonction du vrai libéralisme dans l’avenir sera de limiter les pouvoirs du parlement. » (H. Spencer, L’Individu contre l’Etat, 1885, p.79)

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Il n’est pas étonnant qu’une telle forme de gouvernement soit d’abord promue par le secteur privé. Quand par exemple, lors du Forum économique mondial de Davos de 1994, le directeur général du GATT puis président du groupe financier Goldman Sachs dénonçait « cette forme de Directoire écartant la majorité des peuples du monde de la gestion des affaires économiques globales1 », il prônait moins la démocratie participative en lieu et place des sommets du G7 que la privatisation du pouvoir au profit des principaux acteurs de l’économie2. En 1975, un rapport de la Commission Trilatérale mettait déjà, dans cette perspective, en garde contre une « crise de la démocratie » dont la résolution, selon ses conclusions, passait par une participation des citoyens – ou plutôt des « parties prenantes » (stakeholders) – à la vie politique proportionnelle à leur contribution au système capitaliste3. Principe d’une démocratie censitaire que les Etats ont déjà intégré à l’échelle internationale4. Le projet du G8, qui tisse une trame normative et institutionnelle privée parallèle à l’armature publique et transfère peu à peu de la seconde à la première les leviers de régulation économique, s’inscrit dans une logique comparable. Le monopole étatique de la coercition étant légitime même aux yeux de libéraux tels que Hayek, la privatisation du pouvoir apparaît totale une fois que l’argument de

1 Peter Sutherland est aussi membre du Groupe de Bilderberg et président d’honneur de la

Commission Trilatérale. (P. D. Sutherland, "Global trade - the next challenge", address to the World Economic Forum, Davos, 28 January 1994, in GATT, News of the Uruguay Round, Geneva, 28 January 1994)

2 David Rockefeller, fondateur du groupe Bilderberg, de la Commission Trilatérale et du Council on Foreign Relations, pensait plus explicitement, dans le magazine Newsweek international, que « quelque chose doit remplacer les gouvernements et le pouvoir privé me semblent l’entité adéquate pour le faire ». (D. Rockefeller, “New Rules of the Game: Looking for New Leadership”, Newsweek International, February 1st, 1999)

3 La crise en question, à en croire le rapport, n’a rien à voir avec l’abstentionnisme ou le repli vers la sphère privée, au contraire, puisque « le fonctionnement efficace d’un système démocratique requiert en général un certain niveau d’apathie et de non-participation de la part de certains individus et groupes.» Le fait est, selon ce rapport, que le pendule oscillant entre la dictature absolue et la démocratie absolue est allé trop loin dans le second sens, cette crise relevant ainsi d’un « excès de démocratie » résultant lui-même de cinq facteurs : l’accroissement, au cours des années 60 et 70, d’une classe moyenne éduquée et participative ; l’éveil d’une conscience politique au sein différents groupes (femmes, jeunes, minorités ethniques ou régionales) ; la diversification des moyens employés par les groupes de pression pour arriver à leurs fins ; une plus grande croyance de ces groupes dans l’obligation pour le gouvernement de répondre à leurs attentes ; des revendications de plus en plus élevées. Le rapport proposant, à titre de solution : « En pensant au public politique de demain, nous devrions penser à un public dont les institutions parlementaires représentatives sont liés de quelque manière à des institutions qui ne sont en elles-mêmes ni représentatives ni parlementaires […] les syndicats et les grandes entreprises. (M. Crozier, S. Huntington and J. Watanuki, The crisis of Democracy: Report on the Governability of Democracies to the Trilateral Commission, 1975, pp.114, 113 et 193)

4 Pour ne citer que deux exemples. En 2000, le Danemark a revendiqué la direction du PNUD au motif que l’UE y contribue plus que les Etats-Unis, à qui le poste revient traditionnellement. Le G20, dans une déclaration visiblement influencée par la Chine, le Brésil et l’Inde qui a servi de ligne de conduite de la réunion des Comités directeurs du FMI et de la Banque mondiale fin 2006, réaffirmait « le principe selon lequel la structure de gouvernance des insitutions de Bretton Woods – à la fois les quotas et la représentation – devrait refléter de tels changements de poids économique. » (G-20, “The G-20 Statement on Reforming the Bretton Woods Institutions”, 15-16 October 2005, p.2)

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« transparence » a permis de transférer dans les mains du marché les instruments de coercition et de sanction1. Précisément, une nouvelle économie de la récompense et du blâme accompagne cette morale utilitariste dépouillée de toute recherche du bien-être individuel ou collectif, et remplace les anciens mécanismes de sanction juridique.

Logique du marché La discipline enferme et restreint. Le dispositif de sécurité laisse faire, mais non tout faire ; il détermine un niveau à partir duquel le laisser-faire est préférable. Postulant une nécessité du mouvement, de la liberté entendue comme une capacité de circulation, il a quelque chose d’empirique et de pragmatique. En même temps, il est sans doute moins question d’un calcul des coûts entre la répression et le laisser-aller de l’infraction que d’une sanction permanente à travers le marché lui-même, et en l’espèce par les prix. L’ORD est en ce sens un organe de sécurité, lui qui statue moins par rapport à une règle que par rapport à une jurisprudence évolutive, c’est-à-dire moins en fonction d’un code écrit que d’un code en train de s’écrire et d’une histoire mouvante. Au niveau individuel, l’ordre ne peut non plus perdurer sans un certain sentiment de justice, que le marché va permettre de réinscrire dans le corps des hommes par le biais d’une éthique de la responsabilité. Le marché comme système d’échange et de répartition instaure ainsi un double mécanisme de justice : contrôle immanent de soi-même et de ses pairs, rétribution et sanction par le marché transcendant. A lire les ordolibéraux, le planisme étatique constituerait la pire forme d’injustice, récompensant les mauvais travailleurs et sanctionnant les bons selon un principe égalitaire à leurs yeux utopique et dangereux. A l’égalité préférez l’équité. A la redistribution des richesses préférez leur concentration : elle stimulera les forces productives. Ainsi, à la solidarité préférez la compétition. Selon cet ordre « difficile à comprendre, avouait Arendt, pour nous [européens], car nous associons au concept l’égalité le concept de justice et non pas celui de liberté2 », s’il faut bien compter sur autrui, c’est comme acteur du marché, s’il y a bien dépendance, c’est à l’égard du marché, s’il y a connexion des hommes et des sociétés, c’est sur le mode de l’échange marchand et de la mise en concurrence ; une concurrence qui n’est modérée par aucune solidarité du fait de la distance entre les peuples, une dépendance qui ne procure aucun sentiment de sécurité, un alter ego qui est potentiellement un ennemi. Une société où le mythique contrat social originaire est remplacé par une infinité de contrats ponctuels, où le marché libre constitue comme un retour à un état de nature après ce summum civilisationnel qu’a été l’Etat, c’est-à-

1 Au président du G24 qui indiquait, lors d’une réunion du Comité monétaire et financier

international du FMI en 2000, que son « groupe croit que le respect des normes et des codes devrait rester un choix volontaire de la part de chaque membre », le ministre des Finances américain fit remarquer qu’« alors que la communauté des Etats peut aider à encourager les pays à progresser dans la mise en place [des standards internationaux], la punition du marché se révélera à terme l’incitation la plus efficace. » (C. Saito, "Second Meeting of the International Monetary and Financial Committee”, Prague, September 2000 ; L. H. Summers, “Statement by Treasury Secretary Lawrence H. Summers to the International Monetary and Finance Committee”, Prague, September 2000)

2 H. Arendt, Qu’est-ce que la politique ?, 2001, p.77

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dire l’institutionnalisation quasi-totale des moyens et des fins de la vie humaine. Forme normale, expression juridique et symbole de l’échange, le contrat remplacerait peu à peu le droit dans son rôle de sécurisation des existences et des biens sur lequel elles reposent. A la tentation universaliste du second succéderait la propension individualiste du premier. Dans le même temps qu’il semble appartenir au projet politique du G8 de libérer les citoyens des règles contraignantes du droit, il paraît paradoxalement les responsabiliser en déléguant l’autorité de la décision, de l’application et de la sanction à des instances qui lui sont inaccessibles. Si les individus sont responsables, c’est en tant qu’ils se conduisent rationnellement dans un univers de marché. Qu’est-ce à dire ? Reprenons la distinction qu’opérait Bergson entre une morale close (ou statique), faite d'interdits et d'obligations quasi mécaniques, expression de la pression sociale, adoptant comme modèle de bonheur celui de la fourmi dans la fourmilière et une morale ouverte (ou dynamique), morale de l'action et en situation que d’autres nomment « éthique »1. Durkheim distinguait de même entre une solidarité mécanique, « où la personnalité individuelle est absorbée dans la personnalité collective », et une solidarité organique, « où l’individualité du tout s’accroît en même temps que celle des parties.2 » Weber notait une semblable différence entre une éthique de la conviction, morale de l’obéissance et de la bonne conscience relevant de la rationalité instrumentale et de l’impératif catégorique kantien, et une éthique de la responsabilité qui, situant la dimension éthique d’un acte non dans l'acte lui-même ni ses intentions mais dans ses conséquences et son contexte, relève de l’impératif hypothétique et de la subjectivité3. Selon ces auteurs, la seconde forme de morale, de solidarité ou d’éthique se devait, historiquement, de remplacer la première4. 1 « Il y a une morale statique, qui existe en fait et à un moment donné, dans une société donnée,

elle s'est fixée dans les mœurs, les idées, les institutions ; son caractère obligatoire se ramène, en dernière analyse à l'exigence, par la nature, de la vie en commun. Il y a d'autre part une morale dynamique, qui est élan, et qui se rattache à la vie en général, créatrice de la nature qui a créé l'exigence sociale. » (H. Bergson, Deux sources de la morale et de la religion, p.286)

2 E. Durkheim, De la division du travail social, 1893, p.101 3 Selon Weber, « toute activité orientée selon l'éthique peut être subordonnée à deux maximes

totalement différentes et irréductiblement opposées. Elle peut s'orienter selon l'éthique de la responsabilité ou selon l'éthique de la conviction. […] il y a une opposition abyssale entre l'attitude de celui qui agit selon les maximes de l'éthique de conviction – dans un langage religieux nous dirions : “Le chrétien fait son devoir et en ce qui concerne le résultat de l'action il s'en remet à Dieu“, – et l'attitude de celui qui agit selon l'éthique de responsabilité qui dit : “Nous devons répondre des conséquences prévisibles de nos actes.” […] Lorsque les conséquences d'un acte fait par pure conviction sont fâcheuses, le partisan de cette éthique n'attribuera pas la responsabilité à l'agent, mais au monde, à la sottise des hommes ou encore à la volonté de Dieu qui a créé les hommes ainsi. Au contraire le partisan de l'éthique de la responsabilité comptera justement avec les défaillances communes de l'homme […] et, il estimera ne pas pouvoir se décharger sur les autres des conséquences de sa propre action pour autant qu'il aura pu les prévoir. » (M. Weber, Le savant et le politique, 1919, pp.172-173)

4 Durkheim écrit en ce sens : « Non seulement, d’une manière générale, la solidarité mécanique lie moins fortement les hommes que la solidarité organique, mais encore, à mesure qu’on avance dans l’évolution sociale, elle va de plus en plus en se relâchant. » Puis : « C’est donc une loi de l’histoire que la solidarité mécanique, qui d’abord est seule ou à peu près, perde progressivement du terrain, et que la solidarité organique devienne peu à peu prépondérante. » (E. Durkheim, De la division du travail social, op. cit., pp.124 et 149)

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Dans la perspective du G8, les prérogatives des pouvoirs publics sont minées par la libéralisation de leur champ d’effectivité au bénéfice d’organismes privées c’est-à-dire, en dernière instance, de l’individu lui-même. Cet acteur qui fait son entrée sur la scène supranationale avec le parrainage du G8 n’est pas l’homme abstrait de la Charte des Nations unies. C’est un individu qui, conformément aux valeurs du G8, est d’abord un Homo œconomicus, soit un acteur libre, rationnel et doté d’un solide esprit d’entreprise1. En un en sens, cet acteur est lui-même une entreprise. Dotée d’un « capital humain » et de « possibilités de formation2 », c’est-à-dire d’adaptation, chaque entreprise individuelle est en concurrence sur le marché du travail et doit s’ajuster à ses évolutions. Selon cette orientation éthique, la responsabilité individuelle n’est pas dissoute dans une responsabilité communautaire ou institutionnelle et les valeurs ne disparaissent pas sous le projet particulier. Mais en regard, la contrainte du marché s’exerce de manière individuelle et sans frein. Le corollaire de cette consécration de l’homme économique, c’est la réduction drastique de l’espace des libertés publiques. On peut alors se demander ce qui reste de l’espace politique quand sont ainsi démontées les lois, qui valaient autrefois comme autant de frontières, ce que se réserve une société dont la sphère publique en est réduite à n’être que la marge irréductible d’une sphère privée totalisante.

Vérité du marché S’il y a un cerveau de la mondialisation, s’il existe une langue commune au travers les continents, s’il est un sens commun global, ce n’est plus celui ou celle des institutions publiques, qui ont perdu leur monopole de l’information et de l’intelligibilité du monde, c’est bien, aux yeux du G8, le marché. Le marché comme lieu de formation de la seule vérité objective qui soit, celle des prix, comme lieu de résolution des conflits, comme incubateur des innombrables et complexes informations que lui fournissent ses différents acteurs, comme mécanisme de transformation de l’information en savoir et, finalement, de la marche du marché en histoire. Le Léviathan, ce n’est plus l’Etat, c’est la société elle-même, corps mondial aux parties autonomes et ignorantes du secret de l’équilibre de l’ensemble, le marché occupant la place du dieu. Les desseins de la providence marchande leur étant fermés, ces acteurs n’en restent pas moins de précieux informateurs. A travers eux, 1 Dès le deuxième paragraphe de la déclaration de 1975, le G6 affirmait son attachement à la

liberté individuelle. « Nous sommes fidèles, affirmaient encore les membres du G7 en 1985, à notre engagement de garantir une forme de société dans laquelle l'initiative et l'esprit d'entreprise de chacun puissent se développer ». En matière éducative, par exemple le G8 pense qu’« à toutes les étapes de l'apprentissage, l'accent devrait être mis sur l'importance de la créativité, de l'esprit d'entreprise ». Et « l’esprit d’entreprise est essentiel au développement » également. (G6, « Déclaration de Rambouillet », Rambouillet, 17 novembre 1975 ; G7, « Déclaration politique faite à l'occasion du 40ème anniversaire de la fin de la seconde guerre mondiale », Bonn, 3 mai 1985 ; G8, « Charte de Cologne : apprentissage continu - objectifs et aspirations », Communiqué de presse, Cologne, 19 juin 1999. Dans le domaine de l’éducation, lire également le plan d’action du G8 intitulé : « Appliquer l'esprit d'entreprise à l'éradication de la pauvreté », Sea Island, 9 Juin 2004 ; G7 Finance, “Statement”, May 23, 2004, New York)

2 G7, « Communiqué », Denver, 22 juin 1997

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aucun contrat social, puisqu’il est impossible pour chacun de se représenter les conditions générales de la vie collective, mais un ordre social spontané dont les économistes classiques font remonter l’origine à l’état de nature. Entre eux, les seuls liens de l’échange libre et des contrats perpétuellement scellés, brisés, repris. En eux, un appel à une adaptation inconsciente sous la pression des besoins et la guidance des signaux du marché, sans qu’aucune action extérieure vienne régler les jeux de l’échange. Le G8, lui-même forum d’échange d’information entre soi et émetteur de signaux pour les autres, ne cesse d’en appeler à une libéralisation du marché de l’information, à une fluidification de la circulation des signes entre tous et en direction des marchés, à une transparence de ses acteurs eux-mêmes1. Mais parce qu’un corps dont les cellules réagiraient aux moindres stimuli serait parfaitement désordonné, l’intervention d’organes intermédiaires est nécessaire pour amplifier certains signaux, en tempérer d’autres, combiner leur ensemble, les moduler, les stopper si besoin. Les instances publiques peuvent encore jouer marginalement ce rôle en mettant en forme l’environnement des échanges selon un cadre général que le G8 a lui-même fixé, mais ce sont d’abord le G8, ses organisations affidées et quelques autres acteurs privés du marché qui formulent, interprètent et modifient continuellement les indicateurs issus du marché, les informations financières diffusées par le FMI et les agences de notation balisant par exemple le champ des possibles des investisseurs étrangers. Enfin, le marché, consommateur et producteur d’information, ne fonctionne pas uniquement dans un réseau de signaux mais aussi de croyances concernant autant la nature humaine que l’intelligibilité des petites histoires et de la Grande. En un sens, sur ce marché symbolique, les valeurs structurantes promues par le G8 sont des valeurs comme les autres, dont le cours varie, quoique plus lentement que les autres, sur la Bourse des vérités révélées2. Dès le XVIIe siècle, au paradigme des alliances familiales et religieuses et des rivalités entre princes succèdent une analyse des Etats en termes de concurrence et d’alliances ponctuelles, puis au XVIIIe une compréhension du commerce en termes de compétition entre particuliers. Parallèlement, à partir du XVIIIe, le marché va devenir le lieu et le mécanisme de formation de la vérité, les prix dont il va en quelque sorte libérer la formation devenant la mesure de la pertinence et de la justesse des actions gouvernementales. Le critère juridique, jusque là détenteur de cette vérité de l’action du gouvernement, va être remplacé par le critère d’intérêt. Cette notion avait pu être utilisée, dès le Moyen Age puis plus encore par les

1 En 1981 par exemple, le G7 envisage « favorablement l'amélioration de la compréhension et de la

collaboration avec les pays exportateurs de pétrole, dans l'intérêt de l'économie mondiale. » Deux ans plus tard, il encourage « une coopération plus étroite et l'échange d'informations en temps utile entre les institutions internationales, en particulier entre le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement (BIRD) et le GATT. » (G7, « Déclaration politique », Ottawa, 21 juillet 1981 ; _ « Déclaration économique : Vers une croissance soutenue et plus d'emplois », Williamsburg, 30 mai 1983)

2 Après trois décennies d’appel à l’abandon de toute forme de protectionnisme, le G8 a pu revenir sur ses positions. Le Président français a notamment avancé, en 2005, que « l'Afrique n'est pas prête pour le libre-échange avec les pays développés ». (J. Chirac, « Afrique et financement du développement: Eléments d'intervention de Jacques Chirac », Gleneagles, Troisième séance plénière, 8 juillet 2005)

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moralistes au XVIIe, comme grille d’intelligibilité des comportements sociaux. Elle va informer la grille d’intelligibilité de l’ensemble des comportements humains. Un monde de marché compris à l’aune des principes du marché, c’est ainsi que ce démiurge produit sa propre vérité, que sa prophétie s’auto-justifie, s’auto-réalise et s’auto-vérifie, constituant un sens à la fois commun et historique. Participant pleinement de la production de cette rationalité dominante, le G8 invite par exemple à relire l’histoire supranationale selon la grille d’intelligibilité du marché et à déceler entre les lignes de la Guerre froide, ou du moins celles de ses deux dernières décennies, une guerre mondiale économique. Dans la littérature du G8, la guerre militaire apparaît en effet en marge, les bruits de bottes sont un bruit de fond qui noircit rarement plus de trois paragraphes1. La guerre économique, guerre larvée, couvée, sans cesse reprise et désamorcée, est en revanche un nœud de ses déclarations. C’est là que se dessinent et se légitiment la géométrie des alliances, la portée des mesures, la recomposition des espaces de pouvoir, le déploiement des arsenaux les plus divers. L’Etat, suivant cette lecture, ce n’est plus la puissance qui a, entre le XVe et le XVIe siècle, réalisé la centralisation, l’institutionnalisation et la professionnalisation des forces armées, le monopole des instruments de coercition restant jusqu’au XXe siècle une de ses prérogatives majeures. Désormais son pouvoir est de participer à une guerre économique moins internationale que supranationale. La guerre n’est plus la forme et le fond inavoués de toute relation sociale telle que l’ont dessinée les théories du pouvoir de la fin du XVIe jusqu’au XXe siècle, mais l’origine et le moyen de toute relation économique. Il y a là un retournement des principes physiocratiques qui ont dominé le XVIIIe siècle et qui voyaient dans le commerce l’enrichissement mutuel, la stabilité, le « jeu gagnant-gagnant » dirait-on de nos jours. L’économie est au principe et à la conclusion de la guerre. Depuis le XIXe siècle, même la guerre civile, ou du moins les conflits sociaux, sont réinterprétés à la lumière de la guerre économique, de même les rapports entre espaces continentaux, entre cultures… Cette conception binaire de la société, qui court aujourd’hui des altermondialistes aux néo-conservateurs, ne doit pas cacher que la rationalité dominante est toujours chancelante et jamais innocente, en tout cas toujours digne d’être interrogée. Car la vérité n’est jamais, somme toute, que la conséquence indirecte de la victoire d’un camp sur l’autre.

1 Cette dimension est si bien rejetée en périphérie des discussions que le rôle du G8 comme

premier fournisseur et consommateur d’arme dans le monde n’apparaît pas dans l’ouvrage d’Attac sur le sujet, l’association étant pourtant prompte à dénoncer la moindre visée guerrière derrière le moindre mouvement des puissances mondiales. (Attac, Le G8 illégitime, 2003)

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Raison du champ supranational Il ne s’agit pas seulement d’éprouver ici, sous forme d’esquisse et en guise de conclusion, une vision économique de l’espace et de l’histoire supranationaux, mais bien mon hypothèse liminaire d’une raison économique de cette histoire et de cet espace. L’histoire de l’espace occidental depuis le haut Moyen Age, que je présentais d’abord comme la longue étatisation des dimensions économiques, sociales et politiques de la vie humaine, peut également être lue, avec Braudel par exemple, comme « son entrée progressive dans les rationalités du marché, de l’entreprise, de l’investissement capitaliste jusqu’à l’avènement d’une Révolution industrielle qui a coupé en deux l’histoire des hommes.1 » Certes, bien malin qui peut dire, balayant du regard l’histoire de l’humanité, qui de la poule économique et de l’œuf politique est à l’origine de l’autre, tant ces sphères se chevauchent, tantôt se renforçant, tantôt se combattant, mais toujours allant d’un même pas. Il est toutefois possible, à l’échelle supranationale, de déceler les ressorts de leur consanguinité. L’économie de marché transnationale est décelable dans l’Antiquité grecque, au moment où la République romaine et l’empire chinois des Han étendent leurs activités commerciales au-delà de leurs frontières militaires. Mais jusqu’au XVIe siècle, à l’apogée des très grandes foires, ce commerce transcontinental reste parcellaire et discontinu. C’est en se développant outre-Atlantique, pendant le XVIIe siècle, qu’il modifie la configuration du champ supranational, au moment même où le traité de Westphalie acte l’existence d’une physique des Etats. Ne se regroupant plus selon leurs liens strictement familiaux ou religieux mais selon des convergences ponctuelles d’intérêts, les Etats européens ne sont plus condamnés à la rivalité entre princes sur fond d’une hiérarchie tendant à l’intégration impériale et chrétienne, mais coexistent pacifiquement dans leur multiplicité. La paix ne dérivera plus, croit-on désormais, de la recomposition d’une unité perdue mais d’une pluralité d’éléments interdépendants. Le but n’est plus d’accroître la puissance et la richesse du souverain, mais de maintenir la stabilité de puissances qui, tout en correspondant encore à une certaine forme de domination, ne se mesure plus d’abord en termes démographiques ou militaires, mais en termes économiques. Les schémas de pensée forgés autour des notions d’équilibre des puissances et des pouvoirs, de force monétaire et de concurrence économique entre Etats datent de la fin du XVIIe siècle. Le marché extranational, comme principe d’extension d’une Europe non plus tributaire d’un équilibre des puissances mais d’un enrichissement collectif, fer de lance des nationalismes économiques, principe de sa construction institutionnelle et de la société – à travers la définition des limitations pratiques du gouvernement comme la constitution, le parlement, l’opinion, la presse ou les commissions –, va informer les projets de paix et d’organisations internationales au XVIIIe siècle, qui consisteront dans l’ensemble en de vastes réflexions sur l’ouverture

1 F. Braudel, Civilisation matérielle, économie et capitalisme, XVe-XVIIIe siècles. Tome 1 : Les

structures du quotidien, 1979, p.7

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et l’organisation d’un marché mondial, seules garanties de la paix perpétuelle en Europe. Depuis le XIVe siècle, l’économie mondiale était dominée par des cités. C’était Venise, Anvers, Gênes, Amsterdam ; à partir du milieu du XVIIIe siècle, ce ne sera pas tant Londres que l’Angleterre ; ce sont, depuis 1929, les Etats-Unis. La puissance commerciale, ainsi nationalisée, peut apparaître aux yeux des physiocrates comme un paramètre constitutif de la puissance étatique, alors même que fleurit un marché indépendant du contrôle des autorités urbaines mais tributaire des pouvoirs publics. L’espace supranational est international, c’est le lieu d’affaires commerciales entre Etats, mais aussi le champ de bataille de leurs rivalités multiples. Quand bien même le nerf de la guerre est toujours économique, son muscle reste essentiellement militaire et les chefs politiques, même encore dans l’immédiate après-Seconde-Guerre, des chefs de guerre, des stratèges militaires, voire des généraux, mais non pas des chefs de partis en forme d’entreprises. Les relations économiques sont, elles, plus facilement envisagées sous l’angle de l’hégémonie que sous celui de la guerre. Au XIXe siècle, le Congrès de Vienne et à sa suite la paix de cent ans, où les guerres sont aussi rares que courtes, vont à la fois reconstituer le vieux modèle de l’équilibre des puissances et consacrer le lien entre paix et commerce en permettant d’assurer les échanges économiques même par temps de guerre. Le capitalisme financier, qui ne prend véritablement son essor qu’à partir du milieu du siècle, apparaît comme un défenseur majeur de la paix. La distinction est faible entre objectifs économiques et politiques des gouvernements. La circulation monétaire, la balance des échanges, les empires coloniaux ou encore le contrôle des mers restent autant de moyens d’en assurer la puissance – mais non pas d’abord le profit. Il n’est alors pas question d’un possible changement, ou de l’usage ou non de la force, ni même de l’alternative entre réformisme et réaction, mais des modalités du changement, obligation mutuelle ou démonstration de force unilatérale1. Le XXe siècle, avait prédit Lénine, serait un siècle de guerres et de révolutions. Les périodes d’affrontements internationaux qui déchirent sa première moitié sont précédées, constituées et succédées d’un retour au protectionnisme sous les aspects d’une guerre douanière. Après la Seconde Guerre mondiale – ou devrions-nous dire internationale –, la centralisation supranationale semble aussi nécessaire pour assurer la paix que la centralisation nationale l’était hier pour la conduite de la guerre et pour le redressement économique du pays aujourd’hui. Quoique la coopération internationale et l’intensification des échanges renaissent dans le troisième quart du XXe siècle, elles semblent cantonnées au rôle d’adjuvant de la puissance des nouveaux blocs et de l’entreprise de sauvegarde de la paix. Le cadre général d’intelligibilité des relations supranationales de la seconde moitié du XXe siècle est souvent confiné à la Guerre froide et à la mondialisation, la première appartenant encore, selon une majorité d’observateurs, au domaine des rivalités armées, la seconde relevant d’une compétition plus strictement économique. Il est cependant possible de n’y voir que deux faces d’une seule et même guerre économique – au sens où ses moyens et ses fins sont essentiellement économiques.

1 C’est du moins l’interprétation que donnera Kissinger du Congrès de Vienne dans sa thèse. (Cf. H.

Kissinger, A World Restored: Metternich, Castlereagh, and the Problems of Peace 1812-22, 1957)

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A partir des années 70 la guerre militaire, horizon jusqu’alors inamovible des relations interétatiques, change de configuration. Le feu nucléaire l’ayant rendue très hypothétique au niveau mondial, elle semble se retirer dans cette « périphérie » chère au cœur des néo-marxistes, comme si la démesure des moyens militaires avait dépassé la finalité guerrière, que les conflits n’étaient plus possibles qu’à la marge, entre ou contre des puissances de second rang, voire qu’entre membres d’une même nation. Elle s’est également peu à peu désétatisée, et la constitution d’entités supranationales en charge de la paix entre nations, symbolisée par la création d’une organisation de la paix à vocation universelle, a pu favoriser la remise en question de cette prérogative régalienne1. Elle s’est, enfin, « économicisée », comme si la guerre mondiale ne pouvait plus être autre chose qu’une compétition essentiellement économique, une guerre entre pays producteurs et pays consommateurs, entre ensemble économiques régionaux, entre groupes d’intérêts, à coups d’accords commerciaux et par entreprises nationales interposées, sur le champ de bataille des marchés et des bourses, les moyens de production convoqués comme autant d’armes de guerres2. Jusqu’à la crise monétaire de 1971, les Occidentaux contrôlent un important commerce mondial où les prix des matières premières sont à la fois bas et stables. Si l’espace international devient alors peu à peu un espace supranational, il faudrait d’abord, plutôt que de mondialisation, parler de régionalisation. Aux alliances militaires des années 50 et 60 se sont ajoutées, et bientôt substituées, les accords économiques3. Exemplaire de ces nouveaux agrégats, le G7, à la différence de la SDN et de l’ONU, ne vise pas à assurer la paix entre tous mais à renforcer un camp en guerre par le doux commerce triangulaire et la fortification européenne4.

1 En matière de privatisation de la guerre, on assiste par exemple au recours au mercenariat pour

sa conduite, aux associations humanitaires pour la gestion des populations civiles en zone de guerre, et notamment des réfugiés, ainsi qu’aux entreprises privées pour les tâches de reconstruction et d’exploitation des ressources acquises. Les forces militaires, d’origine nationales, sont également placées de plus en plus souvent sous commandement supranational, et les politiques de défense régionalisées.

2 Les libéraux américains virent en ce sens dans le développement économique le véritable antidote au communisme, par exemple au Vietnam.

3 Dans le domaine militaire, citons l’IADB (Inter-American Defense Board) créée en 1942, le TIAR (Tratado Interamericano de Asistencia Reciproca) en 1947, l’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique Nord) et l’OEA (Organisation des Etats américains) en 1948, le SICA (Sistema de la Integraciόn Centroamericana) en 1951, ainsi que les multiples Banques régionales qui se sont constituées ensuite sur le modèle de la BID (Banque interaméricaine de développement), elle même fondée en 1959. Dans le domaine économique, l’Europe fut le parangon des alliances régionales et le GATT (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce). Au Conseil de l’Europe, fondé en 1948, succédèrent entre autres la CEE (Communauté économique européenne) en 1957, l’AELE (Association européenne de libre échange) en 1959, l’ASEAN (Association des nations du sud-est asiatique) en 1967, la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest), le groupe ACP (Afrique-Caraïbes-Pacifique) et le SELA (Système économique latino-américain) en 1975.

4 Cette guerre étant évidemment économique. Des attributs de sa puissance, les paramètres politico-militaires semble secondaires, puisque le G8 regroupe l’Italie, le Japon et l’Allemagne, qui sont trois vaincus de la Seconde Guerre mondiale, puis la Russie, vaincue de la Guerre froide. A sa création, ni l’Allemagne ni le Japon ne disposent d’une armée. Plus encore, il n’existe à l’heure actuelle qu’un seul acteur militaire d’envergure mondiale, et même l’Europe compte sur lui pour assurer sa défense.

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Dans le tiers monde les territoires nouvellement indépendants réaménagent les anciens espaces coloniaux comme un Bernard-l’hermite une coquille vide. Neuf ans après sa constitution, le Mouvement des non alignés s’arme du G77, et au début des années 70 la dégradation des termes de l’échange et l’exemple de l’accord pétrolier de Téhéran suscitent une solidarité chez les pays producteurs les plus démunis ; se multiplient alors les nationalisations, éclosent les uns après les autres des cartels de matières premières (coton, sucre, caoutchouc, cacao, café…). Ce que l’on appelle généralement la « crise du pétrole » signifie un renchérissement du prix de l’énergie moins dû au renforcement d’un cartel de vendeurs qu’à l’affaiblissement de l’influence économique et politique du cartel des acheteurs et à la constitution d’un prix du marché pour le pétrole en particulier et l’énergie en général – ou au moins un rapprochement entre le prix de l’énergie et le prix du marché. Ce sont donc les pays « sous-développés » producteurs qui amènent les pays « développés » consommateurs sur le terrain d’une guerre économique qui vise moins la possession de ressources naturelles que la constitution d’une rente d’un côté et de l’autre la sécurité des approvisionnements. « Pays producteurs » et « pays consommateurs », « cartels », « approvisionnement », « sécurité énergétique » : après 1973, le dictionnaire des relations internationales se charge de mots inconnus jusqu’alors. Le nouvel ordre international est résolument économique1. La mise en lumière de la cohérence de ces nouveaux groupes d’intérêts à géographie variable fait éclater les catégories de premier, deuxième et tiers monde, de même que celle d’intérêt économique, qui ne signifiera plus strictement le commerce mais aussi l’énergie, la monnaie, le travail… Suite aux accords de la Jamaïque en 1976 et à la création d'un système monétaire européen en 1978, il faut distinguer en outre deux grands ensembles monétaires : celui de l’OCDE, sous domination américaine, et celui des autres, régi par le FMI2. La Conférence des chefs d’Etat du Nord et du Sud, qui a lieu à Cancun en décembre 81, alors que la valeur du commerce international a baissé cette année de 1 %, sonne le glas de la coopération multilatérale et remet au goût du jour le protectionnisme. Dans la première moitié des années 80, la paralysie de l’OPEP se répercute sur les autres cartels, dont nombre se disloquent comme ceux du

1 Allusion au nouvel ordre économique international (NOEI), dont un programme d’action est

approuvé par l’Assemblée générale de l’ONU en 1974. 2 En avril 1976, les amendements du FMI, prenant acte de la fin du système de Bretton Woods,

redonnaient à chaque pays sa souveraineté monétaire tout en étendant par ailleurs le droit de regard de l’institution de Washington sur les politiques économiques menées par ses membres, stabilité financière oblige. Ils ont également élevé de 18 à 53 le nombre de sujets requerrant la majorité qualifiée – soit 70 ou 85% des voix, ce qui revenait à accorder un droit de veto de fait aux membres du G7, et en particulier aux Etats-Unis en ce qu’ils ont toujours disposé de plus de 15 % des votes au sein du FMI. Si bien qu’une distinction implicite y apparut entre pays débiteurs et pays créanciers, les premiers devenant particulièrement attentifs aux recommandations de l’institution du fait de ses nouvelles prérogatives en matière de surveillance, et les seconds, principalement les pays les plus industrialisés, quasiment indifférents. Aussi, par exemple, si d’un côté les prêts consentis à la fin des années 90 par le FMI à la Russie et à l’Indonésie – deux pays que ses propres conseils avaient plongés dans une crise économique profonde – ont été assortis de plus de cents conditions chacun, allant de la privatisation des services aux politiques fiscales en passant par les procédures de banqueroute et les allocations budgétaires en matière de santé et d’éducation, de l’autre côté les Etats-Unis font depuis 2000 la sourde oreille aux demandes répétées de l’institution de réduction de leur déficit budgétaire et commercial.

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phosphate, du soja, du café, du cuivre et du cacao. A son arrivée au pouvoir, en mars 1985, Gorbatchev fait rapidement savoir que sa priorité est à la modernisation de l’économie soviétique, et elle passe par une coopération avec les pays occidentaux fournisseurs de haute technologie. L’Uruguay Round, qui court de septembre 1986 à avril 1994, élargissant le champ du GATT à l’agriculture, à la propriété intellectuelle et aux services, prépare l’avènement de la pièce maîtresse du nouveau dispositif économique. A la différence des IFI et du GATT, cette organisation mondiale du commerce n’appartient pas à l’organisation mondiale de la paix, et sonne comme l’aveu que la première n’est plus une composante de la seconde. Pendant ce temps, la Guerre froide est remportée par épuisement économique de l’un des combattants, et dès décembre 1989 Bush plaide pour une coopération renforcée entre les deux pays et avec l’Europe, ainsi que pour l’entrée de la Russie dans le G71. Gorbatchev, qui cinq mois plus tôt s’était montré converti à l’économie de marché, ne tardera pas à concocter pour son pays un programme de réforme à partir de recettes libérales2. Désormais, les amis des amis de mes amis étant nos amis, et mes amis étant potentiellement mes ennemis, chaque pays est, d’une manière ou d’une autre et bien qu’à des degrés divers, l’obligé de tous les autres et son concurrent potentiel. Cette économie concurrentielle de marché est devenue le mécanisme régulateur des relations supranationales. Non plus sous la forme d’une concurrence entre Etats, sur le modèle de la rivalité entre l’Angleterre, l’Allemagne, l’Espagne et la France entre le XVIe et le XIXe siècle, mais entre groupes d’intérêts dont les Etats ne sont que des éléments. Tout au long de son histoire, le capitalisme s’est nourri de cette supranationalité qui affaiblit la réglementation étatique, qui éloigne le producteur du consommateur, qui dissout toute solidarité, qui permet de sauter facilement d’un marché à un autre au gré des profits espérés. Cette supranationalité qui signifie que le droit, l’Etat les organisations internationales sont des phénomènes parmi d’autres. Cette supranationalité qui affirme que la politique vient a posteriori, que la démocratie et la paix sont des effets secondaires de la prospérité. Cette supranationalité, qu’il a promue en lieu et place de l’internationalité, tel est le grand œuvre du G8. Pour revenir à notre hypothèse, l’idée que la guerre économique est la matrice de l’espace supranational est plausible, et selon certains observateurs pas uniquement dans la limite du dernier tiers du XXe siècle3. Il apparaît pourtant que les objectifs

1 Cf. Conférence de Malte des 2-3 décembre 1989. 2 Comme il l’écrit au président du G7, « ce programme inclut des avancées majeures telles que :

« - la stabilisation macroéconomique de la situation financière et monétaire « - la libéralisation des prix et la normalisation du marché de la consommation « - la désétatisation, la privatisation et la démonopolisation de la production « - la mise en place d’une réforme agraire « - l’ouverture de l’économie aux marchés mondiaux. » (M. S. Gorbachev, “Personal Message from President Mikhail S. Gorbachev to Heads of State or Government Attending the G7 Meeting in London“, 12 July 1991)

3 En 1942, un rapport de la Société des Nations avançait que « le commerce a été constamment considéré comme une forme de guerre, comme une grande partie de bataille, plutôt que comme une activité coopérative dont l’extension devait profiter à tous. Cette seconde forme était la prémisse sur laquelle les conférences ayant succédé à la guerre basèrent leurs recommandations

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politiques ont globalement prévalu sur les mesures économiques jusqu’aux années 70 – et le Plan Marshall en est une parfaite illustration s’il en faut encore une –, ne serait-ce qu’en raison du contrôle public du champ supranational. Il semble qu’il y ait eu enfin, à défaut d’une complexification réelle des relations internationales, une modification de leur lecture qui a rendu la grille d’intelligibilité proposée par la Guerre froide inapte à comprendre le dernier quart du XXe siècle. Ce serait le mystère de la mondialisation que cette promesse d’une communauté humaine enfin réunie ait été concédée à un moment où l’humanité se donne à comprendre sous la forme de réseaux complexes aux ramifications multiples et multiformes, alors que l’infini des potentialités humaines que semble ouvrir cette globalisation généralisée du commerce et des communications cache en réalité l’entrée dans un monde aux frontières et aux ressources finies, limité à sa réalité économique, enfermé dans chacun de ses atomes individuels ; et qu’à l’horizon longtemps cru indépassable de la mort par les armes s’est substituée, non pas la paix du commerce mais bel et bien, pour une majorité des êtres humains, cette mort économique que l’on nomme pauvreté.

– une prémisse acceptée par tous en théorie mais répudiée par presque tous en pratique. Elle a été répudiée en pratique parce que, à mesure que la question se posait d’occasion en occasion, il apparut trop évident que le gouvernement qui n’utilisait pas son pouvoir de négociation se retrouvait toujours en seconde position. » (League of Nations, “Commercial Policy in the Interwar Period: International Proposals and National Policies“, Geneva, 1942, p.120, cité in A. Bailin, From Traditional To Group Hegemony: The G7, The Liberal Economic Order And The Core-Periphery Gap, 2005, p.80)

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Annexes

1. Bibliographie et sources

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2. Recherche d’occurrences dans les déclarations officielles Ces données quantitatives se rapportent aux déclarations officielles des sommets du G8 de 1975 à 2007 inclus. Elles ne concernent pas les conférences de presse, déclarations de la présidences, rapports et déclarations des groupes ministériels. Elles ne sont réellement parlantes que couplées à l’analyse qualitative développée tout au long de l’ouvrage, les principes subissant sous la plume du G8 des déplacements conséquents. Par exemple, le terme stabilité renvoie plus aux taux de changes, au prix de l’énergie et aux marchés financiers qu’aux territoires en guerre, aux gouvernements faibles et aux réglementations juridiques. En ce sens, la mise en regard des termes est indicatives et nullement en soi démonstrative. Les occurrences des termes choisis dessinent néanmoins la carte des thématiques et des référents chers aux membres du G8 ainsi que les trous noirs de leurs considérations.

échelles

national 419 124 local 537 régional international 1670 1344 mondial

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acteurs

secteur public 30 156 secteur privé Etat 506 573 marché

pays 2480 nation 0

société 195 65 société civile 258 entreprise

40 ONG

population 115 172 personne peuple 85 73 individu

ONU 604 588 IFI CNUCED 15 55 GATT

129 OMC

principes

intégrité 28 182 ouverture légitimité 16 394 capacité

119 qualité représentation 151 308 participation

légalité 31 737 efficacité souveraineté 31 280 intégration 304 responsabilité

autorité 79 206 liberté indépendance 63 36 interdépendance

228 transparence

110 surveillance stabilité 351 109 adaptation

équilibre 133 118 innovation solidarité 25 69 concurrence humanité 17 91 humanitaire

utilité 59 237 intérêt défense 45 803 sécurité

pratiques

alliance 17 290 coordination traité 71 737 coopération pacte 25 566 partenariat

gouvernement 520 104 gouvernance administration 65 272 gestion

politique [n.] 313 442 plan

Le G8, l’Etat, le marché

164

programme 414 238 projet 351 initiative

droit 565 325 norme

thèmes

politique 772 1448 économie social 217

environnement 497

1102 développement 837 finance 804 énergie 664 croissance 568 commerce 559 emploi 479 terrorisme 438 armement 414 éducation et formation 381 technologie 284 démocratie

225 monnaie paix 347 186 conflit

40 guerre

3. Acronymes ACP (groupe Afrique, Caraïbes, Pacifique) AELE (Association européenne de libre échange) AIE (Agence internationale de l’énergie) ALECE (Accord de libre-échange centre-européen) AOSIS (Alliance des petits Etats insulaires - Alliance of small island states) APEC (Coopération économique Asie Pacifique) ASEAN (Association des nations du sud-est asiatique) BERD (Banque européenne pour la reconstruction et le développement) BID (Banque interaméricaine de développement) CARICOM (Communauté des Caraïbes) CCI (Chambre de commerce internationale) CCNA (Conseil de Coopération Nord-Atlantique) CE (Conseil de l'Europe) CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) CEE (Communauté économique européenne)

T. Le Texier 165

CEI (Communauté des Etats indépendants) CNUCED (Conférence des Nations unies pour la croissance et le développement) CSCE (Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe) DOT Force (Digital Opportunity Task Force) DTS (Droits de tirage spéciaux) FEM (Forum économique mondial) FMI (Fonds monétaire international) FSF (Forum de stabilité financière) GAFI (Groupe d’action financière) GATT (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce) IADB (Inter-American Defense Board) IFI (Institutions financières internationales) ISO (Organisation internationale de normalisation) MNA (Mouvement des non-alignés) MTCR (Régime de contrôle de la technologie des missiles) NEPAD (Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique) NSSG (Nuclear Safety and Security Group) OCDE (Organisation européenne de coopération économiques) OEA (Organisation des Etats américains) OECE (Organisation européenne de coopération économique) OIT (Organisation internationale du travail) OMC (Organisation mondiale du commerce) ONU (Organisation des Nations unies) OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) ORD (Organe de règlement des différends) OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) OTAN (Organisation du traité de l'Atlantique Nord) OUA (Organisation de l'Unité Africaine) SDN (Société des Nations) SELA (Système économique latino-américain) SICA (Sistema de la Integraciόn Centroamericana) TABD (TransAtlantic Business Dialogue) TIAR (Tratado Interamericano de Asistencia Reciproca) UA (Union africaine) UE (Union européenne)