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    Archives de sciences socialesdes religions118 (avril - juin 2002)

    Varia

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    Andr Mary

    Afro-christianisme et politique del'identit : l'glise du christianismeCleste Versus celestial church ofchrist

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    Avertissement

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    Rfrence lectroniqueAndr Mary, Afro-christianisme et politique de l'identit : l'glise du christianisme Cleste Versus celestial churchof christ ,Archives de sciences sociales des religions[En ligne], 118 | avril - juin 2002, mis en ligne le 03 juin 2005,consult le 10 octobre 2012. URL : http://assr.revues.org/214 ; DOI : 10.4000/assr.214

    diteur : ditions de l'cole des hautes tudes en sciences socialeshttp://assr.revues.orghttp://www.revues.org

    Document accessible en ligne sur : http://assr.revues.org/214Ce document est le fac-simil de l'dition papier. Archives de sciences sociales des religions

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    Arch. de Sc. soc. des Rel., 2002, 118 (avril-juin) 45-56Andr MARY

    AFRO-CHRISTIANISME ET POLITIQUE DELIDENTIT : LGLISE DU CHRISTIANISME CLESTE

    VERSUSCELESTIAL CHURCH OF CHRIST

    propos de :

    SURGY (Albert de), Lglise du ChristianismeCleste. Un exemple dglise prophtique au Bnin,Paris, Karthala, 2001, 332 p.

    ADOGAME (Afeosemime U.), Celestial Church ofChrist, The Politics of Cultural Identity in a WestAfrican Prophetic Charismatic Movement, PeterLang, Studies in the Intercultural History ofChristianity, no 115, 1999, 251 p.

    Compare lhistoire ivoirienne des glises issues de la grande pope pro-phtique dHarris, la promotion nationale des glises kimbanguistes au Zare, ouencore la dimension transrgionale des glises zionistes dAfrique du Sud,lexpansion internationale, et dabord interafricaine, de lglise prophtique duChristianisme Cleste reste un phnomne tonnant.

    Louvrage dAlbert de Surgy est la premire tude densemble publie en fran-ais sur cette glise chrtienne africaine dorigine bninoise bien connue des sp-cialistes anglophones des AIC (African Independent Churches) du fait de sonexpansion considrable au Nigeria, et de sa forte prsence dans les diasporas afri-caines dEurope et des tats-Unis. Lentre bninoise que nous propose lauteurrend hommage, juste titre, aux origines de cette glise fonde au Dahomey en1947 par le Prophte Oschoffa, et au rle historique de la paroisse-mre dePorto-Novo. Une telle entre ne doit pas faire oublier cependant que, selon ses pro-pres sources, dans les annes 1990, le Nigeria (o lglise est implante depuis1952 et o le prophte fondateur sinstalle dfinitivement en 1977) comptait dj

    cinq fois plus de fidles que le Bnin, et que la Cte dIvoire elle-mme (olglise apparat ds 1950) contient sans doute aujourdhui plus de fidles (ivoi-riens, et pas seulement des migrants nigrians ou bninois) quau Bnin. Avec sesdeux mille paroisses, et ses ramifications mondiales, nul doute que le Diocse duNigeria nen dplaise la paroisse-mre et la petite nation bninoise aune position dominante au sein de cette glise. De ce point de vue ltude publie

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    par A. U. Adogame en 1999 un travail universitaire de grande qualit soutenu lUniversit de Bayrouth et nourri dun triple terrain (Nigeria, Angleterre etAllemagne) se rvle trs complmentaire. Cette tude apporte un clairage

    dcisif sur lhistoire et les dveloppements rcents de lglise au Nigeria, o ellesest impose comme lglise Aladura (glise des priants , appellation propreaux glises indpendantes du pays Yoruba) la plus importante et la plus attractivedu pays, et sur les formes de son internationalisation (sites Web et autres). Rappe-lons que Rosalind Hackett avait dj consacr ds 1978 sa thse aux transforma-tions historiques et sociologiques du charisme prophtique au sein de cette glise1.

    Parler dglise prophtique , comme le fait A. de Surgy, se conoit en partiedu fait que son fondateur, dducation mthodiste, se disait Prophte (mais aussiPasteur, ce qui signifiait pour lui chef de lglise), mais aussi parce quune de sesressources principales dans sa lutte contre les forces du mal est lactivit

    prophtique exerce par des agents attitrs, voyants, visionnaires, ou songeurs.Ce charisme dinstitution ne justifie pas selon lauteur la moindre confusion avecles glises charismatiques, et encore moins avec la mouvance protestante,vanglique ou pentectiste (qualifie de rigoriste ), qui stigmatise les Clestescomme daffreux paens ou fticheurs compromis avec les pratiques du vodou.Lefait est incontestable, surtout dans le contexte bninois, mais cest en partie le soucide rompre avec cette image qui conduit justement certains leaders rformistes, auNigeria ou en Cte dIvoire, et mme au Bnin, affirmer le caractre pentectiste ou charismatique de leur glise en insistant sur la puissance etlefficacit de lEsprit Saint qui sont au fondement de toutes leurs pratiques et sur

    les ressources quoffrent les dons de prophtie, de gurison, et de miracle pour tousles Clestes. Les rserves formules par rapport la liturgie bruyante et spectaculaire de certains vangliques, ou labsence dintrt pour le bla-blaglossolalique (sic) auquel les Clestes prfrent, il est vrai, dautres manifestationsplus corporelles des effluves de lEsprit comme les transes visionnaires, lestremblements des corps agits, ou les prires cacophoniques , sont-ils ce pointdes traits discriminants qui interdisent de penser une contamination par lespratiques pentectistes 2 ? Lvolution de lglise nigriane que nous retrace A. U.Adogame tmoigne au contraire dun mouvement manifeste de pentectisation qui semble aller de pair avec la mondialisation de lglise.

    Le rattachement de lECC (CCC, pour les anglophones, Celestial Church ofChrist) aux glises dites aladura dorigine Yoruba (al adua, ceux qui prient) nesemble pas non plus dune grande utilit pour A. de Surgy, ce qui ne manque pasde surprendre, dabord sur le fond, au regard de limportance accorde lefficacitde la prire dans sa propre tude (deux chapitres au moins recensent, sur la base

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    ARCHIVES DE SCIENCES SOCIALES DES RELIGIONS

    1 HACKETTR.I.J.,Explanation, Prediction and Control The raison dtre of a West African Inde-pendant Church The Celestial Church of Christ, M.Phil. Thesis, Kings College, Universit de Londres,1978, une thse au titre trs hortonien mais la problmatique trs wbrienne rsume dans Thirty

    Years of Growth and Change in a West African Independent Church: A Sociological Perspective , inHACKETT, ed, New Religious Movements in Nigeria, New-York, Edwin Mellen, 1987, pp. 161-177.2 Alfred DE SURGY, [2001] note 1, p. 143. Dans le numro spcial Cinquantenaire (septembre

    1997) du journalLa Dernire Barque, auquel notre auteur se rfre rgulirement, un article faisant lepoint sur Ce quest lECC et ce quelle nest pas commence par ces mots : Lglise du Christia-nisme Cleste est une glise chrtienne primitive de type pentectiste (p. 6) La contamination estbel et bien engage dans les ttes autant que dans les corps.

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    dun corpus significatif, les formes et types de prires), mais surtout du point devue de lintelligibilit des filiations historiques et culturelles. Parmi les glisesala-dura, tudies notamment par J. Peel3, merge dans les annes 1920, lglise des

    Chrubins et Sraphins sur laquelle A. de Surgy a eu loccasion de travailler aussiau Bnin (mme si elle y est moins rpandue). Or un des apports intressants deson enqute est non seulement de rappeler quOschoffa, aprs une ducationmthodiste, a frquent longuement un groupe de prires aladura et cette mmeglise, mais surtout que pratiquement toute la liturgie (du jardin de prire au pleri-nage de Nol sur la plage), toute lorganisation des grades et linstitution centraledu ministre de la vision, qui font aujourdhui loriginalit des Clestes, sont repri-ses des Chrubins et Sraphins. Sans gommer limportance du moment proph-tique, et de la retraite initiatique o Oschoffa reoit la rvlation de sa mission, onpeut considrer que lECC nest au dpart quune dissidence fomente par un

    membre des Chrubins et Sraphins, exclu de cette glise pour adultre avec unefemme qui deviendra la premire visionnaire de la nouvelle glise, le genredaffaire qui sest rpte bien des fois depuis la cration de lglise.

    Le refus affich de prendre en compte limportance de lhritage yoruba dansla gense de lECC sclaire dune autre faon lorsquon ralise quA. de Surgyarrive prsenter la biographie lgendaire du Prophte Oschoffa 4 en en faisant unsimple citoyen bninois ( lpoque dahomen) et en gommant entirement lesdbats sur lorigine yoruba de ses parents et le fait que ses grands-parents (Ojo etKoshina) taient des migrants (sans doute esclaves) issus dAbokuta et dImeko,en pays Yoruba. Lartifice des frontires coloniales a spar des populations pro-

    ches et apparentes, mais ce genre doccultation dans une histoire actuelle delglise signe une allgeance un peu trop marque au point de vue de laparoisse-mre de Porto-Novo dont les leaders nont jamais accept linstallation duProphte au Nigeria et surtout le fait quil puisse tre enterr aujourdhui dans laCit Cleste prs de la tombe de sa mre Imeko 5. La question de lidentit duprophte nest pas seulement ethnique ou ethno-nationale, mme si cette dimen-sion a pris une importance majeure avec les conflits qui entourent sa successiondepuis sa mort en 1985 et la conscration dune vritable bicphalie au sein delglise. Lentre nigriane que nous restituent les travaux de A. U. Adogamepourrait, linverse, donner limpression de cder aux revendications identitaires

    yoruba mais ce dernier tient marquer fortement sa distance par rapport la thseselon laquelle la CCC est en fait une glise yoruba . Limportant est de mieuxcomprendre comment linvention prophtique originale de lECC sinscrit danstoute une matrice culturelle yoruba et parachve lmergence de longue datedun christianisme aladura dont elle modifie en retour lesprit initial. Une telle

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    AFRO-CHRISTIANISME ET POLITIQUE DE LIDENTIT

    3 PEEL J. D. Y., Aladura: A Religious Movement Among the Yoruba, Oxford, Oxford UniversityPress, 1968.

    4 Le prophte a donn lui-mme une longue version de sa biographie le 18 janvier 1969 Makokoau Nigeria, version reprise dans le document Constitution(dit par le Diocse du Nigeria en 1980) que

    A. DESURGYne prend pas en compte en sen tenant la seule version de Lumire sur le ChristianismeCleste, autre document publi et reconnu par la Paroisse-mre de Porto-Novo en 1972.5 Que A. de Surgy accorde Benot Agbaossi, le leader et lhritier spirituel de la Paroisse Mre de

    Porto Novo, les titres de Rgent ou de Pasteur auxquels il prtend, en prcisant (au bout de trentepages) quil existe quand mme dautres prtendants ce titre, comme le fut A. Bada, du Diocse duNigeria, est une chose, mais que le mme Agbaossi soit rgulirement dsign comme le Chef delglise fait srieusement problme au regard des divisions prsentes.

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    mise en perspective, historique et culturelle, mais aussi dialectique, est depuis long-temps engage au Nigeria par dautres anthropologues comme B. Ray 6.

    Lappellation qui semble finalement avoir la faveur dA. de Surgy est celledglise afro-chrtienne , condition de ne pas confondre cette appellation com-pose avec quelque syncrtisme ou bricolage de paganisme et de christianisme.Alors que tous les crits consacrs cette glise (et les titres des travaux bninoiscits dans la bibliographie en tmoignent7) ne peuvent viter de se poser la ques-tion du syncrtisme, quitte problmatiser le terme ou le reformuler dans lespritde la tradition anthropologique, A. de Surgy rcuse catgoriquement le terme enconfortant sa dfinition la plus clricale et la plus stigmatisante (mlange confus etincohrent). Sa thse est que le Christianisme Cleste est une glise purement chr-tienne simplement adapte la mentalit africaine et ses formes dexpressioncoutumire, ou bien plus, une forme dinculturation spontane , avant la lettre,

    une inculturation par le bas , un christianisme authentique mergeant de la spiri-tualit africaine. Cela tant dit, cette posture thologique nocculte pas heureuse-ment linterrogation anthropologique fondamentale des rapports entre les conceptionset les pratiques rituelles de la religion traditionnelle du Vodu et du Fa dont A. deSurgy est un minent spcialiste et le christianisme, dont le message biblique, etmissionnaire, na rien dunivoque. Ce que lauteur essaie de nous faire comprendrecest que les Clestes sont la fois de bons chrtiens, de vrais chrtiens, et quenanmoins leurs conceptions et leurs pratiques sinscrivent dans la continuit desressources de la tradition Vodu, un paradoxe qui ne manque pas de troubler lesautres glises qui souponnent quelque compromission avec le ftichisme (un

    christianisme avec ftiches ?), mais sur lequel lethnologue apporte des donnes etdes clefs danalyse qui mritent dtre discutes attentivement.

    Sattachant reconstituer ce que pourrait tre une thologie cleste quinexiste pas de faon explicite, A. de Surgy nous explique que les Clestes sont debons chrtiens dabord parce quils croient au Diable : Constamment clbr sousun mode ngatif, par imprcations lances contre lui, Satan se rvle, pour un ChrtienCleste, aussi ncessaire au fonctionnement du monde que le principe de la sorcelleriepour un initi aux cultes vodous (p. 52). Dieu intervient comme le recourssuprme face aux puissances divines traditionnelles (Legba et autres) diabolises.On est donc demble dans un monde de rapports de forces, bonnes et mauvaises,qui sinscrit dans la continuit de la vision du monde traditionnel : Cest ainsi quela clestialit de lECC me parat ne pouvoir tre bien comprise qu la lumire desconceptions traditionnelles demeurant toujours prsentes larrire-plan (p. 59).Dans ces conceptions, ce qui permet dagir sur les vnements cest que les ner-gies spirituelles, les forces saintes, qui manent de Dieu ou de lEsprit Saint circu-lent par la mdiation des objets et des substances (eau bnite, bougies, huile sainte,pierres de St Michel, etc.), par linvestissement des corps quelles agitent (transevisionnaire), et sous le contrle suprme du pouvoir sacr dont dispose le souverain

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    ARCHIVES DE SCIENCES SOCIALES DES RELIGIONS

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    RAY Benjamin C., Aladura Christianity: A Yoruba Religion , Journal of Religion in Africa ,XXIII, 3, 1993, pp. 266-291. Il faut reconnatre que limportance des travaux anglophones consacrs cesdernires dcades la religion yoruba conduit sans doute une survaluation de la spcificit de sonidentit culturelle au regard de celle des populations apparentes.

    7 Citons entre autres la thse de Sodokin CODJO, Les syncrtismes religieux contemporains et lasocit bninoise Le cas du Christianisme Cleste, doctorat de 3e cycle, Lyon, Universit de Lyon II,1984.

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    de lglise (monopole du pouvoir de lonction). Les pratiques de voyance ou deprotection qui font appel la manipulation de ces forces saintes (visions clestes,prires de force, travaux spirituels) sont en tout point analogues , quivalen-

    tes , selon les termes dA. de Surgy, aux pratiques traditionnelles.Ce qui empcherait de les confondre pour autant avec des pratiques que lon

    dit paennes ou ftichistes , cest dune part quelles ne font pas appel auxmmes puissances que celles du Vodou, et dautre part quelles sont au serviceexclusif de la protection des sujets, deux arguments qui ne sont pas toujours trsvidents au regard mme des donnes prsentes par lauteur. La diffrence subs-tantielle entre Legba et St Michel Archange, entre les dieux vodou et les saints,est-elle ce point significative dans un monde de forces o il nest pas inconce-vable que les puissances du Vodu se rallient la cause du Christ ou que les

    pouvoirs divins confrs par Dieu puissent tre mis au service du mal. Surtout, dfaut dtre sollicites les puissances traditionnelles, une fois diabolises, sontpleinement reconnues et si lon peut dire fortifies tel point que sans elles lhomme naurait plus besoin de se remplir dune force divine qui savre indis-pensable sa sanctification (p. 52). Quant lusage purement protecteur des for-ces saintes, il est srieusement relativiser au regard de larsenal impressionnantdes prires de force et de combat dont les termes patiemment transcrits par lauteursont dune agressivit sans quivoque. Quil sagisse de dtourner la menace demort qui pse sur une personne sur une victime substitutive ou demprisonner laforce malfique dans un uf (p. 243), la dlivrance du mal passe aussi par llimi-nation de lautre perscuteur qui menace lintgrit du sujet (et pas seulement parle pardon des pchs que demandent les prires ).

    Au-del du dbat thologique (christianisme et/ou ftichisme ?) sur lequel A.de Surgy revient avec force dans sa conclusion, la question anthropologique restede savoir surtout ce quil faut conclure de ces analogies que lauteur cultive loisirentre conceptions ou pratiques traditionnelles du Vodou (ou du Fa) et ChristianismeCleste. Quil sagisse de la Bible qui assume le mme rle que les mythes ou contesde Fa (p. 61), de la retraite initiatique du Prophte en fort qui rappelle trange-ment celle des chefs de culte traditionnels, ou plus audacieux du sacrement delEucharistie prsent comme un mystre analogue la transformation dun

    ftiche (p. 59), lauteur oscille entre des formulations plus ou moins savantes entermes dquivalence fonctionnelle pour ne pas parler dhomologie structurale et un dmon de lanalogie qui procde, comme le dit Bourdieu, par ressem-blance globale et abstraction incertaine sans toujours prciser le rapport sous lequelle rapprochement (de mme que ) est pertinent ou trouve sa limite. Le raisonne-ment analogique a pour vertu de mnager des rapprochements partiels et ambigusen excluant lidentification, mais comme outil danalyse du travail symbolique,plus ou moins conscient, auquel se livrent les Clestes, il ne peut tre la clef ultime.Car il faut intgrer au moins une donne essentielle : les analogies suggres grce la connaissance approfondie du Vodou et du Fa ont sans doute quelque cho dans

    lesprit des Clestes, mais il est clair que la thse de la continuit ou lquivalencequelles sont censes tayer ne peut tre admise, et est mme totalement exclue, parles mmes Clestes. Comme le dit A. de Surgy lui-mme, et comme les fidles lerptent loisir : lglise du Christianisme Cleste se veut exclusivement fondesur la Bible (p. 59). Bien sr, les Clestes ne se privent pas daller rechercherdans la vie tribale des Hbreux, ce qui justifie leur tolrance par rapport telle pra-

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    AFRO-CHRISTIANISME ET POLITIQUE DE LIDENTIT

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    tique (la polygamie) ou le fondement de tel interdit (les couleurs rouge et noir),mais ce jeu subtil de dngation de la reprise des traditions locales et de redcou-verte du message biblique primitif obit une politique de double entente ou une

    logique paradoxale que lon mconnat si lon sarrte la construction savante decorrespondances.

    Trs au fait, pour sa part, des dbats les plus rcents qui entourent la problma-tisation des processus syncrtiques, A. U. Adogame parle de politique de lidentitfonde sur la synthse de la matrice culturelle yoruba et du message biblique. Lestravaux anthropologiques qui revisitent ces dernires annes la culture et la religionyoruba ne manquent pas mais en gnral ils sinscrivent plutt dans le souci decomprendre (ou daccompagner) une renaissance ethno-nationale yoruba qui va depair avec le mouvement noir amricain. Des travaux comme ceux de Hallgren8sur le concept de ase, la force vitale , lnergie cosmique, alimentent, malgr

    eux, lidologie de la rafricanisation des cultes ou mme les spculations de lanbuleuse du New Age. Que cette matrice culturelle yoruba puisse tre gale-ment le creuset du christianisme Aladura confirme son extrme complexit et plas-ticit. Mais l encore, la synthse que vhicule la CCC tire toute sa force, il fautle dire, du fait quelle ne se donne pas comme telle, puisquelle se veut lexpressionpure du Plein vangile . Une synthse qui nexclut pas la pratique dun dua-lisme qui se retrouve de manire exemplaire dans la construction du charisme pro-phtique dOschoffa et dans le double titre quil sest toujours donn : Prophte etPasteur. la diffrence dautres figures prophtiques africaines comme celledHarris, auquel certains de ses fidles le rattachent, Oschoffa cumule demble le

    charisme prophtique et le statut de chef dglise, gestionnaire des biens de salutdisposant entre autres du pouvoir exclusif de lonction qui dcide de toute avanceen grade au sein de lglise. Cette double autorit charismatique et bureaucratiqueest humainement assume par un vrai pre (Papa Oschoffa pour tous les Clestes)usant du pouvoir spirituel, de la force vitale (ase) et du sens du commandement(agbara) qui taient lapanage des chefs traditionnels et des babalawos,pour grerla grande famille ecclsiastique (A. U. Adogame, p. 117).

    Ce double jeu ou cette double entente se retrouve particulirement au cur duministre de la vision auquel chacun de nos deux auteurs consacre un chapitreimportant. Le visionnaire cleste remplit une fonction quasi oraculaire qui na rien voir, comme tient le souligner A. de Surgy, avec la fonction expressive de laglossolalie (le plus faible des dons pour tous les Aladura). A. U. Adogame notepour sa part que le prophtisme itinrant du messager de Dieu, porte-parole desrvlations divines, trs prsent dans les premires glises Aladura, a laiss placedans la CCC une fonction de voyance et de consultation divinatoire. la diff-rence nanmoins de la gomancie du Fa qui passe par linterprtation des signes etdes figures, mais limage de la transe matrise des vodushi, les secousses ducorps et la voix syncope sont ici le seul vhicule de la parole de lEsprit. La trans-cription des visions, dont A. de Surgy nous prsente tout un corpus, introduit enfait rapidement une liste de prescriptions ou de travaux spirituels (exposition

    du corps, bains et prires de combat) qui voquent ceux que lon accomplit dans les couvents du Vodu , la diffrence se jouant entre autres sur la couleur des bou-

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    ARCHIVES DE SCIENCES SOCIALES DES RELIGIONS

    8 HALLGREENR, The Vital Force: A Study of Ase in the Traditional and Neo-traditional Culture ofthe Yoruba People, Lund, Lund Studies in African and Asian Religions , vol. 10, 1995.

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    gies utilises ou la manire de casser les ufs La vision est enfin une grce delEsprit qui est officiellement gratuite mais lconomie de la voyance ouvre sur unmarch de biens de salut et de gurison (bougies, encens, fruits, eau sacre, parfum

    de St-Michel, etc.) qui peut transformer le visionnaire en marchand de ftiches.Seule la prire, la sanctification rgulire et la frquentation quotidienne des man-dres de la Bible sont susceptibles de renforcer et de matriser le don de vision, defournir avec le temps lintelligence de la parole divine et dviter les piges et lestentations du ftichisme.

    Expression suprme de la manifestation de la puissance de lEsprit Saint, lavision est en mme temps lobjet par excellence du soupon, le lieu de la duplicitou de la confusion entre le Diable et le bon Dieu. Les mises en garde ritres duProphte fondateur que rappelle A. U. Adogame dans son souci dintgrer les ten-sions historiques et les contradictions internes de lglise, montrent que lECC a en

    fait toujours t travaille par lobsession dpurer la vision de ses attaches paen-nes en clarifiant les rapports entre prophtie et voyance, vision et possession, sanc-tification et ftichisme. Cette lutte symbolique, comme nous lavons observ,traverse les visionnaires eux-mmes ou opposent ces derniers aux gestionnaires delinstitution. Dans les terres de mission que sont le Gabon et le Congo, New Yorkou Londres, comme au cur du Nigeria ou du Bnin, des virtuoses de lavision, souvent de jeunes lettrs migrants, des intellectuels chmeurs, limage desinitiateurs du mouvement Aladura des annes trente, interpellent les mamans qui ont fait de la consultation visionnaire leur affaire ou pourchassent les faux-prophtes, les babalawo nigrians ou les bokn bninois qui exercent leur

    compte9.La manire dont cohabitent lattachement aux ressources dune culture divina-

    toire traditionnelle et la conversion aux vertus du prophtisme des glises delEsprit reste troublante et objectivement ambigu. Tout dans cette pratique vision-naire fait penser, on la dit, au systme divinatoire du culte de Fa qui tait le noyaude la religion yoruba, et en mme temps il nen reste rien. Aucun dispositif divina-toire de tablettes et de noix palmistes, ou autres, aucune combinatoire des signes dchiffrer, aucune connaissance sotrique, ninterviennent ici. Lhabitus initia-tique et la matrise savante de la combinatoire des 256 couples de figures gomanti-ques ont laiss la place la connaissance experte du texte biblique et aux jeux demiroir des citations de versets. Les noms desorishasont remplacs par linvocationrptitive des noms saints de Jehovah ou de Jsus-Christ, ou par ceux des anges,saint Michel, saint Gabriel, saint Raphal ou saint Uriel. Les sacrifices aux dieux etles travaux des couvents du Vodu sont relays par les offrandes de fruits, la flammedes bougies et la fume de lencens, limposition de lhuile sainte et la purificationde leau bnite, mais surtout par lefficacit absolue de la prire.

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    AFRO-CHRISTIANISME ET POLITIQUE DE LIDENTIT

    9 MARY Andr, Culture pentectiste et charisme visionnaire au sein dune glise indpendanteafricaine ,Archives de Sciences Sociales des Religions, no 105, 1999, pp. 29-50. Alfred DESURGYsou-ligne quau Bnin le ministre de la vision est en grande majorit une affaire de femmes, les statuts deleaders ou dvanglistes tant rservs aux hommes, mais les grands visionnaires qui assurent ladirection spirituelle sont galement tous des hommes, une division du travail calque selon lui sur leVodou (op. cit., p. 208).

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    En labsence dune continuit matrielle, toujours masque et dnie, la simplerfrence une similitude de fonction fonde sur lattachement une religiositpragmatique qui rpond aux problmes de la vie quotidienne (sant, travail, fcon-

    dit, comme en tmoignent tous les rcits de conversion rapports par A. de Surgy),suffit-elle tayer la thse de la continuit par rapport aux attitudes traditionnel-les ? Comme le dit C. Lvi-Strauss, de telles explications fonctionnalistes confinentau truisme. On peut faire remarquer que la culture pentectiste fonctionneelle-mme traditionnellement sur la rsolution de problmes , et que cest sur-tout un point fort du no-pentectisme actuel. Il faudrait par contre faire toute saplace lambivalence qui travaille ces pratiques visionnaires et interroger de plusprs ce que devient, au cur de la consultation et du diagnostic individuel desmaux, la conception de la personne et du destin individuel, la configuration des for-ces invisibles, bnfiques et malfiques, qui taient au fondement du dispositif

    divinatoire du Fa.LECC comme la plupart des glises indpendantes africaines accordent une

    grande place, en dehors des cultes ordinaires qui sont consacrs la dlivrance desmaux, et particulirement aux problmes de fcondit, lensemble des rites depassage qui accompagnent la vie dune personne, de la naissance la mort : rite desortie de lenfant ou leve de deuil. Ce sont des lieux ou des moments o se ngo-cient de faon trs serre toutes sortes darrangements entre les conceptions tradi-tionnelles du corps et de la personne, les prescriptions bibliques et lordre rituelchrtien. Ainsi les Clestes sont connus (et mal vus ce sujet) pour refuserdadmettre la prsence impure des cadavres dans lenceinte sacre de lglise et de

    la paroisse, les rites denterrement conduisant directement du domicile du dfunt(ou de la morgue) la tombe du cimetire. Mais lors des cultes commmoratifs etdes leves de deuil qui suivent (aux 8e et 40e jours), lusage substitutif dun vieuxmatriel chrtien, le catafalque, assume, la place des autels des anctres (assin)ou des masques (egungun) traditionnels, une sorte de prsence et daccueil symbo-lique du mort (de son esprit ou de son me) dans le lieu saint, le sein dAbraham 10.Le mme genre de pratique en double se retrouve la naissance, lors de la sortie delenfant au septime jour, puisque cette fois cest la mre encore impure qui ne peutentrer dans lglise. Une devancire ou une visionnaire porte lenfant saplace.

    Dans la description des rituels qui occupe une place centrale et stratgiquedans les monographies dglise africaine et particulirement dans les deux ouvra-ges en question, lethnographe ne peut se contenter, comme on le faisait dans uncontexte de tradition orale o le texte cest le rite, de transcrire les squences rituel-les observes ou relates sans donner limpression de redoubler le travail dcrituredes clercs. Les rares crits qui circulent dans les glises africaines sont en effetprincipalement consacrs lorganisation du culte et la Constitution, de mmequaux prescriptions et ordonnancements de la liturgie, une symbiose remarquabledu ritualisme de la tradition africaine et du lgalisme bureaucratique moderne.Lenjeu anthropologique de la description des rites se situe plus que jamais sur le

    terrain de linterprtation ou de ce que C. Geertz nomme la description dense

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    10 Signalons sur ces sujets lexcellent mmoire universitaire de J. NORET :Lglise Invisible. Deuil,souci, et statut des morts chez les Chrtiens Clestes du Sud-Bnin, Bruxelles, Universit Libre deBruxelles, 2001.

  • 8/13/2019 assr-214-118-afro-christianisme-et-politique-de-l-39-identite-l-39-eglise-du-christianisme-celeste-versus-celestial-chu

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    (thick description), la restitution des couches sdimentes de signification qui tra-vaillent les objets et les gestes mobiliss.

    La prsentation dun mme rituel comme celui de la sortie de lenfant par A.de Surgy et A. U. Adogame est de ce point de vue pleine denseignements. Le pre-mier parle de la prsentation dun bb au temple o la rfrence biblique lacirconcision des juifs, dans un contexte o il nest pas question de circoncision pro-prement dite, sert de substitut au rite traditionnel de prsentation dun nouveaun, une semaine aprs sa naissance, dans la cour de lhabitation familiale (p. 123). Par rapport ce que dcrit ou prescrit la brochure Ordre des cultes et descrmoniesdite par le Sige de Porto-Novo, la lecture insiste particulirementsur la place symbolique du plateau sept bougies (qui a pour pendant la cor-beille sept fruits) qui accompagne lentre du cortge et la porteuse de lenfantdans lglise, trois bougies tant au dpart allumes, puis les quatre autres seule-ment une fois au cur du temple. La symbolique du chiffre sept (3+4) est omnipr-sente comme partout dans la liturgie cleste et les spculations sotriques delECC. Mais cest surtout la gestion des substances et des matires (leau, le sel, lemiel, prsents trois fois sur les lvres de lenfant) qui forme le rite spcifique dumoment. Du plateau des sept bougies, six seront rcupres pour le culte rservaux femmes striles du mercredi matin et leau qui a servi teindre les bougiessera mlange leau de toilette de lenfant. Le bougisme est ici le substitut duftichisme et organise la circulation de la substance sacre.

    Le mme rite est dsign par A. U. Adogame comme the rite of naming

    (Esin Isomoloruko, en yoruba), ce qui met laccent au cur du rite spcifique duversement de leau sur les lvres sur lenjeu de la nomination de lenfant (p. 165).Le nom, ou plus exactement le prnom, est cens tre rvl auparavant par unvisionnaire, et cest dailleurs galement un visionnaire (ou une visionnaire selon lesexe de lenfant) qui porte dans ses bras lenfant dans le temple. Le commentairenoublie pas lvocation biblique de la prsentation de Jsus au temple, mais il sou-ligne surtout limportance dans le monde yoruba de la consultation dIfa par lebabalawo et de la divination du nom de lenfant qui lassocie tel ou tel orisa, etdcide en dfinitive de son identit.

    Le travail de synthse auquel se rfre A. U. Adogame travail quil illustregalement dans son analyse de lEucharistie cleste (p. 212) relve surtout dunedouble rinterprtation croise, dialectique, du christianisme par la tradition yorubaet des rites yoruba par des significations chrtiennes. Cette possibilit constantedune double lecture de la liturgie, en de des justifications bibliques mises enavant, dpend, on le voit, du contexte culturel privilgi et nul doute que les rso-nances individuelles que comportent les objets, gestes ou squences rituelles pourles sujets concerns sont en fait dune grande variation. En labsence de toute tho-logie explicite, les guides liturgiques sen tenant aux prescriptions minimales (pri-res, psaumes, prdication, chants), les possibilits de surinterprtation thologiquenourries de la connaissance anthropologique des cultures locales sont galementvidentes.

    Linscription des glises prophtiques africaines dans les socits locales etnationales qui les ont vu natre et les opportunits dinternationalisation quisoffrent elles, en grande partie par le biais de la migration, constituent un autreenjeu majeur des deux tudes en prsence.

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    AFRO-CHRISTIANISME ET POLITIQUE DE LIDENTIT

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    Le Prophte Oschoffa avait dclar : Lglise du Christianisme Cleste nestla proprit daucune race, daucun pays et de personne. Cest lglise de Jsus-Christ, une glise Universelle . Mais aux yeux de la petite nation bninoise ,

    pour reprendre les termes dA. de Surgy, le discours cleste, confront au pril de llphant yoruba , cde souvent la logique de lautochtonie . Le chef duDiocse du Bnin a vocation tre le chef naturel de lglise mondiale. Les hom-mes aux soutanes blanches et aux pieds nus, le plerinage de Sm, sont des l-ments du paysage et du patrimoine national. Chaque quartier, chaque village (aumoins sur la cte, Cotonou et la rgion de Porto-Novo) a son glise. Mais cettedimension quasi-officielle et cette banalisation de limage des Clestes ne confrentpas pour autant cette glise la lgitimit dont disposent les glises catholique,protestante ou mthodiste. Il faut dire que la situation effective de schisme entre le Bnin et le Nigeria, avec destitution et excommunication rciproque des

    responsables, les scandales lis aux pratiques douteuses des vrais-faux visionnaires,aux prtendus miracles ou aux sacrifices, les affaires de corruption dans la gestiondes paroisses que la presse locale vhicule et dont elle se gausse, narrangent paslimage des soutans . Manifestement les gouvernements successifs (Krkou I,Soglo ou Krkou II) se sont lasss dintervenir pour faciliter les rconciliationsentre factions , force dtre accuss dingrence ou de trahison par les uns etles autres.

    Comme le reconnat A. de Surgy, la grande famille de lglise Cleste duBnin na rien de monolithique, elle na cess dtre soumise la segmentation.Les dissidents, les exclus, les non-orthodoxes, les oscillants, les repentis de tel ou

    tel camp sont nombreux. Lenjeu se situe rarement sur le plan thologique ou litur-gique mais se nourrit de conflits de pouvoir et de querelles de chefs paroissiauxconstamment traduits en termes de sorcellerie ou de conspiration diabolique11.Mme entre Porto-Novo, la paroisse mre, une sorte de petit Vatican , et Cotonou,la grande ville aux nombreuses et grandes glises, les tiraillements sont nombreux, lacomptition vive. Toute lhistoire nationale a t domine, notamment aprs lamort du Prophte, par les dchirements du fameux triumvirat bninois, les trois responsables nationaux , au dpart ligu contre lautre nigrian et intriguantBada : Agbaossi, lancien ; Gonalvs, le secrtaire ou le professeur , etTiamou, laide de camp de Krkou I, qui porte tout le poids de la trahison et

    des revirements qui ont fait clater lentente. Le conflit de tendance entre Badaet Agbaossi a dchir lglise bninoise elle-mme.

    La majorit des bninois reste nanmoins fidle la tendance portonovienne etagbaossiste. Il faut dire quil est devenu difficile, surtout partir des annes1996-1997 de se dire ou de safficher pro-Bada au Bnin, sans passer pour untratre non seulement son glise et son prophte mais tout simplement sonpays, terre sainte de cette glise. Compte tenu des enjeux financiers que comportele choix des lieux de plerinage et de la bndiction divine que reprsentelafflux de devises li au march de lonction, ceux qui dtournent les Clestes dumonde entier vers Imeko au Nigeria sont accuss de commettre un crime cono-

    mique contre la nation bninoise .

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    11 Sur ces questions de dissidence, Cf. HENRYC., Du vin nouveau dans de vieilles outres : par-cours dun dissident du Christianisme Cleste , Social Compass, vol. 48 (3), 2001, pp. 353-368.

  • 8/13/2019 assr-214-118-afro-christianisme-et-politique-de-l-39-identite-l-39-eglise-du-christianisme-celeste-versus-celestial-chu

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    Le Diocse du Nigeria, qui a ses propres dissidences et ses propres procs desuccession exploits par les mdias, ne doute pas de sa prtention diriger uneglise universelle qui se veut plus ouverte sur le monde et la modernit. Lglise

    nigriane nexclut pas cependant le compromis puisquelle na jamais ni que leSige Mondial devait se maintenir la Paroisse Mre de Porto-Novo. Les notionsde Paroisse Mre , de Saint-Sige , aux rsonances trs romaines, continuent jouer un rle symbolique important dans le discours de lunification. La thsedA. U. Adogame est que Bada, le successeur nigrian du Prophte, a poursuivi entant que Suprme vangliste, le processus de routinisation du charisme djengag du vivant du fondateur. Sous linfluence de cet homme dinstitution appel grer le dpt sacr, la CCC a renforc son organisation bureaucratique lchelle mondiale (paroisse, district, diocse, comit mondial). Le pasteur Bada aeu une politique systmatique de voyage et de visite dans les paroisses du monde

    entier (Londres, Paris) et dexploitation des medias par lenregistrement tlvisdes cultes, la diffusion de cassettes des sermons, louverture de sites Internet (Londres et New York). Le caractre missionnaire de lglise est dsormais expli-citement affirm par la nomination dmissaires pastoraux chargs de gagner denouveaux pays (mme la Chine...), de mme que par lorganisation volontariste decampagnes dvanglisation et de rveil. Le souci de la formation biblique desvanglistes donne lieu louverture dcoles, de sminaires et mme dun institutde thologie au Nigeria. En un mot, sur le terrain anglophone, comme le souligneA. U. Adogame (p. 84), lglise saffiche nettement comme une glise charisma-tique et vanglique vivant lheure du village global et cherchant mettre sous le

    boisseau la dimension ritualiste et ftichiste lie son ancrage paroissial et afri-cain.En ralit, dans chacun des camps en prsence, pro-bninois et pro-nigrian,

    les vieux leaders ont d faire face la contestation des jeunes lettrs, souventvisionnaires, qui se sont organiss en mouvement de la Jeunesse ChrtienneCleste . Les thmes de leur programme tournent autour de la moralisation de lavie de lglise , des conditions spirituelles de lexercice de la vision et de limpor-tance de la formation biblique, et bien sr de la dnonciation du commerce delonction (de sa suppression ventuelle) et de la gestion corrompue des comitsparoissiaux (lieux de concentration des notables). Lexigence de purification et de

    rationalisation dont ces jeunes sont porteurs ne les conduit pas toujours des posi-tions cumnistes ; elle trouve dans le discours de la rgnration ethno-nationale et lobsession de la contamination par lautre (bninois ou nigrian, selon lescamps) les voies de son affirmation12.

    En dfinitive, le conflit de succession, la comptition quil encourage enmatire dimplantation paroissiale et mme laffrontement des identits nationalesquil a rveill, ont beaucoup contribu dans la dernire dcade lexpansion et la transnationalisation de lglise. Comme pour dautres glises africaines (har-riste, kimbanguiste) la logique de la reconnaissance tend imposer la conformit

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    AFRO-CHRISTIANISME ET POLITIQUE DE LIDENTIT

    12 Le journal bninoisLa Dernire Barque, quA. de Surgy utilise abondamment comme une sourceautorise, mane en fait dun groupe de la Jeunesse Chrtienne Cleste qui sest dabord affichcomme indpendant et sest fait connatre par des positions critiques et des propos rformistes adresssinitialement toute lglise , mais qui a fini par basculer manifestement, surtout partir de la rupture de1996, dans le camp porto-novien et par soutenir des positions ethno-nationalistes parfois virulentes.

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    aux normes dune religion mondiale en renforant le contrle bureaucratique, lacodification des croyances et des pratiques.

    A. de Surgy considre que lECC reprsente une forme dinculturation spon-tane du christianisme qui pourrait servir de leon aux thologiens en qute dadap-tation du message vanglique la mentalit africaine. La synthse claire oulexpertise thologique que propose en conclusion lanthropologue en cherchant convaincre les uns et les autres ( commencer par les Clestes) que le Vodu et leChristianisme sont dune certaine faon quivalents, nengage videmment que sonauteur. Mais puisque nous sommes aussi invits nous prononcer par rapport auxvaleurs dun christianisme africain qui viendrait suppler aux dfaillances et auximpasses de lhumanisme occidental par ses vertus de tolrance, on peut quandmme se demander en quoi cette religion des forces saintes (avec ses bougies, sesonctions dhuile et ses odeurs dencens, et son parfum de Saint Michel )

    entirement mobilise par son combat contre Satan et les sorciers qui se cachentparmi nous, apporte des leons dhumanisation de la vie sociale (p. 304) ? Bienplus, peut-on vraiment faire passer la communaut cleste , cette socit parois-siale totalement hirarchise, domine par le pouvoir sacr dun souverain,excluant les femmes (trop impures) de tout accs aux fonctions suprieures, et trai-tant toute dissidence comme une manifestation du dmon, comme une formule pro-videntielle rpondant aux carences de notre organisation sociale (p. 303) ?

    Tout le monde peut faire le constat que dans lAfrique daujourdhui, la fin desrgimes de parti unique, le retrait ou la faillite de ltat dans les domaines de ldu-cation, de la sant et de la scurit des populations, le dsengagement par rapportaux associations syndicales ou politiques, favorisent le dveloppement et la multi-plication des glises qui soffrent comme les seuls refuges communautaires. Maisde l considrer cette situation comme pleine de promesses et prner le modledglise comme relais de la cit-tat, il y a un grand pas. Mme sur le terrain des politiques de lidentit , o les tats-nations noffrent plus de ressources diden-tification crdibles face au dfi de lethnisme, les prtentions des glises africaines tre porteuses dun message universel ouvert tous les frres en Christ nerussissent pas toujours passer les frontires. Toute lhistoire de lentreprise demondialisation dune glise comme lECC versus CCC montre malheureusementde faon exemplaire que celle-ci na pas russi, ce jour, surmonter ses dmonsethno-nationaux13.

    Andr MARYInstitut dtudes Africaines MMSH

    Aix-en-Provence

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    ARCHIVES DE SCIENCES SOCIALES DES RELIGIONS

    13Nous nous permettons sur ce sujet de renvoyer notre article, MARYAndr, Anges de Dieu etesprits territoriaux : une religion africaine lpreuve de la transnationalisation , Autrepart(14), 2000,pp. 71-89.