ArtigoHatoum

download ArtigoHatoum

of 3

description

brasil

Transcript of ArtigoHatoum

L'Amazonie pour tout horizonLE MONDE|21.08.2008 16h03 Mis jour le21.08.2008 16h03|ParJean-Pierre LangellierChaque matin, Milton Hatoum part envoyage. Assis chez lui, au 12etage d'un immeuble qui domine le quartier de l'universit de Sao Paulo, il retrouve Manaus, sa ville natale, 2 470 km de l. Stylo en main, les souvenirs l'envahissent. Il voit les pirogues sebalancersur les igaraps, les bras du fleuve mer, l'Amazone, n des eaux mles du sombre rio Negro et du boueux rio Solimoes. Prs du ponton, il aperoit les joueurs de dominos, autour d'une caisse de bire. Sur les quais, il entend les cris des camelots et devine les bruits lointains de la vieille ville.L'air chaud l'touffe, la torpeur l'assoupit. Il sent sur sa peau le souffle du vent humide qui frle son hamac. Plus tard, il guette les ombres qui s'allongent dans le soir. Il respire les relents de poussire et de moisi, les parfums d'huile chaude et de bois vert et la forte odeur du hachis de tortue cuisant dans sa graisse. Lorsque tombe la pluie paisse, il perd de vue les les du fleuve, derrire l'horizon des arbres, infini.Depuis qu'il crit, et encore plus depuis qu'il a fait de l'criture - en 1999 - son mtier plein temps, Milton Hatoum, 55 ans, poursuit cet change silencieux avec son pass, avec sa ville tant aime, qu'il quitta l'ge de 15 ans, en compagnie de deux copains, pourallers'inscriredans un lyce de Brasilia. Avec alors en tte l'ide dedevenirarchitecte -"J'aimaisdessineretpeindre. J'imitais mal Renoir. Et Picasso, horriblement"- unprojetqu'il n'accomplira jamais, malgr des tudes appropries Sao Paulo. A la place, il construira, tardivement, une oeuvre littraire qui rencontrera le succs.Quitter Manaus, saisi par un irrpressible dsir de dpart, fut"la grande rupture"de sa vie. Une sparation salutaire qui lui a permis plus tard d'trereconnu."L'Amazonie est trop vaste, trop loigne. Elle isole. A Sao Paulo, je suis plus prs de mon diteur et de mes lecteurs, au coeur de la vie culturelle du pays."Mais, au-del de sonvoyageimaginaire quotidien, il retourne Manaus plusieurs fois par an :"Ma boussole m'indique toujours le nord."Une phrase d'un crivain admir, Joao Guimaraes Rosa (1908-1967), mise en exergue un deseslivres, rsume son ubiquit :"Je suis d'o je suis n. Je suis d'ailleurs."Il fautprendrecet ailleurs au pied de la lettre : l'ascendance de Milton Hatoum est libanaise. Son pre a quitt Beyrouth en 1939 sur le dernier bateau, parti juste avant que la guerre n'clate. Pour s'installerau fin fond de l'Amazonie, Rio Branco, dans une ville o son propre pre avait vcu au dbut du sicle. Il a pous sa mre, une maronite de Manaus, o ils sont revenus aprs un an pass Rio Branco, un lieu trop dur pour une jeune marie.Milton Hatoum a reu la tolrance en hritage :"J'ai pudcouvrir, enfant, les autres enmoi-mme."Son pre, musulman chiite duqu dans un collge chrtien, chose rare son poque, a conduit sa mre l'glise Manaus chaque dimanche durant un demi-sicle. Pendant la messe, dans savoiture, il coutait sur une cassette des versets du Coran.A Beyrouth, l'crivain a retrouv cinquante-deux membres de safamille. Ses parents l'ont laiss libre dechoisirsa religion. Il a tranch pour la seule qui vaille, la littrature. L'migration libanaise lui inspira son premier romanRcit d'un certain Orient(Le Seuil, 1993)."Au Brsil, se rjouit-il,on dilue vite ses origines."A 12 ans, Milton dcouvre Flaubert grce son professeur de franais, MmeLiberalina. Sa mre, Naha, aujourd'hui ge de 80 ans, lui offre les oeuvres compltes de Machado de Assis (1839-1908), le pre de la littrature moderne brsilienne, achet un colporteur. A 17 ans, Milton publie son premier pome dans un journal de Brasilia. A la mme poque, il crit un texte endfensede la fort amazonienne, que l'armeaupouvoircommence dtruiresans mnagement.A Manaus, un libraire s'tonne, rjoui devoirque l'ouvrage d'un jeune natif de la ville, totalement inconnu, figure parmi ses meilleures ventes. Bien plus tard, Naha avouera qu'elle faisaitacheterchaque jour plusieurs exemplaires du livre, destins ses amis, pourstimulerson fils.En 1979, Milton Hatoum fuit la dictature militaire et, grce uneboursedu gouvernement espagnol, part pour l'Europe: Madrid, Barcelone, puisParis, o il restera plus de trois ans. Dans sa chambre de la rue du Temple, il se sent soudain plus libre d'criresur leBrsil, qu'il voit clairement"avec les yeux de la mmoire".Tenirla ralit distance l'aide mieux lacomprendre.En 1999, dix ans aprs son premier roman, Milton joue son va-tout. Il quitte Manaus, o il tait revenuenseigner, abandonne son confortableemploi, retrouve Sao Paulo et achveDeux frres(Le Seuil, 2003). Le livre est une russite littraire, intgr d'emble dans les programmes scolaires, et un succs commercial. Quelque 60 000 exemplaires vendus ce jour, un score trs honorable, mme pour l'immense Brsil."Ce livre m'a sauv", dit-il. Son troisime roman,Cendres d'Amazonie(Actes Sud, 318 p., 21,50 ), lui aussi, a trs bien march.Cette anne, Milton Hatoum a enfant son best-seller dans la prestigieuse collection "Mythes" de l'diteur cossais Canongate. Ce livre de commande,Orfaos do Eldorado(Les orphelins de l'Eldorado), lanc dj dans dix-sept pays, dont laRussieet laChine, dpassera sans doute le million d'exemplaires. EnFrance, les droits appartiennent Flammarion, qui ne l'a pas encore traduit. Aprs un premier jet, l'auteur a"coup au scateur"pourrespecterle calibrage impos par l'diteur, celui d'une longue nouvelle, soit une centaine de pages.Ce livre remonte aux sources des lgendes indiennes. Milton Hatoum transfigure en fiction le mythe amazonien de la splendide Cit enchante, modle d'harmonie sociale o se perd, au fond d'un lac, Dinaura, l'hrone aime du narrateur. Jeune adolescent, l'auteur avait entendu, dans la bouche d'un conteur, cette fable"venue de loin, dans l'espace et le temps".Dans l'esprit de Marcel Proust et du"mentir-vrai"cher Mario Vargas Llosa, Milton Hatoum entrelace les ingrdients de la mmoire : les rcits familiaux, l'exprience vcue et les souvenirs d'enfance,"le seul vrai paradis perdu". Comme son hros Ranulfo, il"travaille avec l'imagination des autres et la(sienne)". Ses personnages, solitaires, sont empreints d'une nostalgie dsenchante.Comme ses compatriotes amazoniens Dalcidio Jurandir (1909-1979) hier, ou Marcio Souza (n en 1946) aujourd'hui, Milton Hatoum dteste le regard strotyp port sur leur rgion, vue comme un pays sauvage en marge de l'Histoire."Manaus est une fille de l'Europe avec laquelle elle a toujours maintenu des liens trs troits. Quant l'Amazonie, c'est le contraire d'un paradis perdu. La fort, c'est trs dur, et il vaut mieux laregarderde loin."Les Brsiliens, ajoute-t-il, ont une vision aussi exotique que les autres. L'Amazonie symbolise, leurs yeux, un lieu d'utopie, l'ultime frontire d'"un rve national de souverainet". Une chimre qu'il s'emploie dmythifier.Milton Hatoum dplore l'abme littraire qui spare son pays de ses voisins hispanophones."Les Sud-Amricains ignorent presque tout de notre littrature, alors que nous lisons la leur. La faute en revient en partie au Brsil, qui n'a jamais promu sa langue. Leslivres, pourtant, devraientjeterdes ponts entre nos peuples."Cet"optimiste dsespr"se rjouit en songeant aux quelques milliers d'excellents lecteurs qui suffisent lgitimerla littrature. Il garde aussi en mmoire le conseil de Jorge Amado :"Ignore les commentaires des critiques. Les bonslivressont assez grands pour sedfendreeux-mmes."

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/livres/article/2008/08/21/l-amazonie-pour-tout-horizon_1086253_3260.html#BKtkXjwpXcIy42Lp.99

1