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Solange Bernard-Thierry Note sur les signes corporels dans l'Inde ancienne In: Bulletins et Mémoires de la Société d'anthropologie de Paris, X° Série, tome 5 fascicule 3-6, 1954. pp. 236-249. Citer ce document / Cite this document : Bernard-Thierry Solange. Note sur les signes corporels dans l'Inde ancienne. In: Bulletins et Mémoires de la Société d'anthropologie de Paris, X° Série, tome 5 fascicule 3-6, 1954. pp. 236-249. doi : 10.3406/bmsap.1954.2640 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bmsap_0037-8984_1954_num_5_3_2640

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signes corporels dans l'Inde ancienne

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  • Solange Bernard-Thierry

    Note sur les signes corporels dans l'Inde ancienneIn: Bulletins et Mmoires de la Socit d'anthropologie de Paris, X Srie, tome 5 fascicule 3-6, 1954. pp. 236-249.

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    Bernard-Thierry Solange. Note sur les signes corporels dans l'Inde ancienne. In: Bulletins et Mmoires de la Socitd'anthropologie de Paris, X Srie, tome 5 fascicule 3-6, 1954. pp. 236-249.

    doi : 10.3406/bmsap.1954.2640

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bmsap_0037-8984_1954_num_5_3_2640

  • NOTE SUR LES SIGNES CORPORELS DANS L'INDE ANCIENNE

    par M Solange BERNARD-THIERRY Membre de l'cole franaise d'Extrme Orient

    Dans une tude consacre au tatouage et sa valeur sociale ou magico-religieuse en Asie du Sud-Est (1), Mlle Marcelle Bouteiller rappelait que les tatouages et, d'une manire gnrale, les mutilations volontaires du corps humain, avaient reu diverses interprtations : soit que, comme Tylor (2), on y voie le tmoignage d'une aberration mentale propre aux socits primitives ; soit que, avec Ranke, on y reconnaisse une tentative pour modeler le corps humain l'image d'un animal totmique, c'est--dire de l'anctre du clan ; soit encore qu'avec Harrison, on intgre ces pratiques dans un concept religieux, en particulier un cule du soleil. Alors que Lacassagne ne voyait dans le tatouage qu'un besoin de parure, l'assouvissement d'un instinct d'approbation, Decary affirmait la valeur thrapeutique et prophylactique des mutilations tgument?ires. O qu'il soit pratiqu et tudi, le tatouage se trouvait situ l'intrieur de cycles culturels, religieux ou sociologiques.

    Dterminant les motifs qui expliquent le maintien de cette technique au Laos, au Siam, au Cambodge et en Birmanie, Mlle Bouteiller a assign un double but la mutilation volontaire :

    1 un but de conformisme social, li l'ide de dignit virile ;

    (1) Bouteiller (M*1 M.). < Le tatouage : technique et valeur sociale ou magico- reUgfeuse dans quelques socits d'Indochine (Laos, Siam, Birmanie et Cambodge). BtOklin et Mmoire de la Socit d'Anthropologie de Paris, t. IV, 10* srie, 1953.

    X$) Diffrentes interprtations cites par le Dr Huard et Nguyn-Xun-Nguyn : propos de tatouages ; Bulletin Trav. Inst. Indochinois, lude de .1942, fasc. 1, et par Vallois (H. V.)-. Compte rendu de Dembo (A.) et Imbblloni (J.). Deftmnaciones intencionales del cuerpo humano de caractr etnico , Buenos* Ayres, 1938, in V Anthropologie, 1939, pp. 407-408.

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    . 2e un but d'ordre magique, une recherche d'immunisation; d'apport surnaturel spcial et de pouvoirs exceptionnels (1).

    C'est la fois cette qute de puissance et l'ide d'une tentative

  • 238 socit d'anthropologie de paris

    dance (1). L'auteur, Varhamihira, trace le portrait de cinq tres extraordinaires, cinq hommes ns sous l'influence de certaines plantes et dans lesquels on reconnat un reflet de la majest primitive du grand Purusha . L'un d'eux, Malavya, a les cuisses et les bras semblables la trompe d'un lphant, ses mains descendent jusqu' ses genoux, la chair cache et remplit les jointures de ses membres, tout son corps brille d'un clat gal, il a la taille fine, son visage est haut de 13 angula (2) et large de 10 entre les deux-oreilles ; ses yeux sont brillants, ses joues belles, ses dents gales et blanches, sa lvre infrieure point trop charnue (3) . Un autre, Bhadra, a la dmarche du roi des lphants..., ses sourcils sont gaux et se rejoignent ; ses cheveux, noirs et boucls, naissent un un dans chaque pore ; il a l'organe de la gnration cach ; ses pieds et ses mains portent ces signes : une charrue, un pilon, une massue, une pe, une conque, une roue, un lphant, un monstre marin, un lotus, un char (4). _

    II n'y a rien d'tonnant ce que les devins, avec l'esprit systmatique qui leur est propre dans l'Inde, aient dress des lists de marques physiques, en nombre variable et prsentant certaines divergences entre elles, et qu'ils aient utilis ces listes pour lire la destine des hommes. Dans le manuel cit prcdemment figure un aperu d'une smiologie tire de l'aspect extrieur et des particularits physiques de l'homme, notamment la complexion, la vois, le temprament, la charpente, la douceur du contact, le teint, la physionomie, la taille, le poids, le caractre, la marche (5) :

    La complexion.' les experts en signes doivent examiner la complexion des humains, celle du btail et des oiseaux, car elle annonce des effets dtermins (bons ou mauvais) : comme l'clat d'une lampe pose dans un vase de cristal, elle manifeste au dehors les qualits de sa propre lumire.

    La complexion issue de la terre (se traduit par une surface) liss des dents, de la peau, des ongles, des poils et des cheveux, ainsi que par une odeur agrable. Elle cause la satisfaction, le gain d'argent, le succs, un. progrs dans la vertu de jour en jour.

    La complexion aqueuse est douce au toucher, blanche ou

    r (1) Traductions de fragmente de la Brhatsamhit, in Anthologie Sanskrite de M. Louis Renou, Payot, 1947, p. 362-364, et et Senart (E.). Essai sur la lgende du Buddha , Paris, Leroux, 1882, p. 1 1 1 sq.

    (2) Unit d longueur quivalant la largeur du pouce. . (3) Senart (E.)., op. cit., p. 112. (4) Senart (E.), op. cit., p. 113.

    , (5) Cf. traduction de Louis Renou, in Anthologie Sanskrite, Payot, 1947, p. 362- 364:

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    blonde, plaisante voir ; elle donne chance, tendresse, plaisir et succs. Comme une mre, elle produit l'exaucement de tous les dsirs et comporte pour les humains des consquences heureuses.

    Violente et hautaine, couleur du lotus rouge, de ou du feu, jointe l'nergie, la vaillance et l'ardeur, la complexion igne conduit les hommes vers- la victoire ; elle donne rapidement la ralisation des choses souhaites.

    (La complexion) mane du vent est sale, rude, noire, malodorante, elle engendre la-, mort, les fers, la maladie, le malheur, la perte de biens. Celle qui rsulte de l'ther ressemble au cristal : toute brillante et noble, elle porte chance, c'est un vrai trsor de flicit.

    Les complexions numres proviennent de la terre, de l'eau, du feu, du vent et de l'ther. Certains enseignent qu'il y en a dix, (c'est--dire) celles susdites et en outre, dans, l'ordre, celles du soleil, de Vishnu, d'Indra, de Yama et de la Lune. Mais leurs signes et leurs effets sont, en bref, les mmes que pour les autres.

    La voix. Les rois (1) ont un timbre de voix pareil l'lphant, au taureau, une masse de chariots, au tambour ou au tambourin, au lion, au nuage qui tonne. Les hommes sans argent ni bonheur ont des voix d'nes, brises et rauques.

    Le temprament. II y a sept constituants : graisse, moelle, peau, os, sperme, sang et chair. En voici les effets pour l'homme, en bref :

    Ceux chez qui le sang domine ont les organes suivants teinte rouge : palais, lvres, gencives, langue, coin des yeux, anus, mains et pieds. Ils ont en grand nombre des plaisirs et des richesses, des femmes et des fils.

    Ceux peau grasse sont riches ; (ceux peau douce) ont chance en amour, ( peau mince) sont intelligents. Ceux chez qui-domine la moelle ou la graisse ont le corps bien fait, ils possdent des fils et des biens.

    Celui chez qui dominent les os a des os pais, il est vigoureux, beau; accompli en savoir. Ceux qui ont un sperme abondant et lourd sont heureux en amour, instruits et beaux.

    Celui chez qui la chair domine est corpulent, instruit, riche et beau.

    1 La charpente. On appelle bien charpent celui dont les jointures sont bien assembles. C'est la marque d'un homme qui jouit du bonheur.

    , . (1) Le roi eet considr ici comme un type de Surhomme : ro i tout-puissant, rgnant sur toute la terre ou sur un continent.

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    La douceur du contact Cinq parties du corps doivent prsenter un aspect lisse : la voix, la langue, les dents, les yeux, les ongles. Les hommes riches en fils, en argent, en bonne chance, les ont lisses, les pauvres les ont rugueuses.

    Le teint Un teint clatant, uni, est le fait des rois ; intermdiaire, des gens ayant des fils et du bien ; rude, des indigents ; clair, il donne chance, mais non pas s'il est trouble.

    La physionomie. C'est par le visage que se laisse sentir la physionomie. Ceux qui ont une figure de buf, de tigre, de lion bu d'aigle, ce sont des rois l'ardeur irrsistible, vainqueurs de leurs ennemis. Ceux qui ont des ttes comme des singes, des buffles, des sangliers ou des boucs, possdent des fils, de l'argent, du bonheur. S'ils ont des ttes et des corps d'nes ou de chameau, ils n'ont ni bien ni bonheur.

    La taille. Cent huit, quatre-vingt-seize et quatre-vingt- quatre, telles sont, comptes en doigts, les dimensions, haute, moyenne, ou petite, pour la taille de l'homme.

    Le poids. Un homme qui est l'aise pse un demi-bhra (1) , un homme qui souffre pse moins. Un bhra, voil le poids des gna, tout fait opulents ; un et demi, celui des souverains de la terre. Une femme de 20 ans, un homme de 25 ans, ou bien encore celui qui est dans la 4 partielle sa vie, ont leur poids et leur taille accomplis,

    Le caractre. Terre, eau, feu, vent, ther, dieux, hommes, raksas (2), pica (3} et btes, voil comment va le caractre de l'homme. En voici les marques :

    Celui qui a la nature de la terre sent la fleur agrable, il partage toutes les joies, il est ferme et de bon souffle. Celui qui a la nature de l'eau boit beaucoup d'eau, se plat aux femmes et jouit des breuvages. Celui qui a le earactre de feu est changeant, trs vif, cruel, affam, glouton. Celui qui tient du vent, mobile, maigre, tombant vite sous l'empire de la colre. Celui qui a le caractre de l'ther est malin, le visage ouvert, habile saisir les sons, le corps poreux. Celui qui tient des dieux : gnreux, peu irritable, affectueut. Celui qui tient des hommes aime le chant et les bijoux, sa nature le porte partager toujours. Celui qui tient des raksas est irascible, pervers, mchant. Des pica : changeant, sale, bavard, le corps volumineux. Celui qui tient

    (1) Le Bhra, mesure de poids = 20 tul -= 2000 pala (1 pala = 93 g 312), un emi-bhra gale donc 1000 pala, soit 93 kg 312. Un bhra quivaut 186 kg 624, et un bhra et demi, 279 kg 936.

    (2) et (3) Personnages infrieurs, dmons. dans la hirarchie brahmanique dee

  • BERNARD-THIERRY. SIGNES DANS L'iNDE

    des btes : timide, affam, vorace. Voil les types d'homme dont les experts en signes dcrivent ainsi le caractre. s La marche. Pour la marche, les rois sont comme les tigres, les cygnes, les lphants en rut, les taureaux et les paons. Ceux dont la marche est calme et sans bruit sont des matres ; les pauvres ont le pas rapide et bondissant.

    De mme, dans le chapitre consacr aux images divines, sont indiqus des signes particuliers :

    Vishnu le Seigneur doit tre reprsent avec 8 bras, ou 4 bras, ou 2 bras seulement : sa poitrine, est marque du rivatsa (1).

    Le grand Indra a... pour marque distinctive un troisime il plac obliquement sur le front.

    Le dieu des arhant (2) (Jaina) doit tre reprsent l'attitude sereine, nu, jeune et beau, avec des bras qui pendent jusqu'aux genoux et la marque du rivatsa.

    Mais des catalogues beaucoup plus systmatiques devaient tre transmis : liste des 21 signes du Grand Homme, liste des 65 marques de prosprit ornant l plante de ses pieds, et surtout liste des 32 caractristiques principales et liste des 80 marques secondaires qui furent spcialement nonces propos du Bouddha, mais non pas inventes pour lui puisqu'elles taient dj attribues au Mahpurusha des textes brahmaniques, de mme qu'au type idal du roi, le roi la roue ou cakravartin (3), dominant le monde ou un continent, gouvernant sans le bton mais selon la Loi , et pourvu de 32 particularits corporelles.

    Le texte du Lolita Vistara, qui relate la dernire existence du Bouddha Cakymuni, donne la liste complte de ces 32 signes, nonce par le devin Asita, charg de dresser l'horoscope de l'enfant. Certains de ces signes sont nettement des anomalies, d'autres, trs vagues, semblent n'avoir qu'une valeur esthtique. Mais l'ensemble compose la preuve irrfutable d'une destine exceptionnelle conduisant l'tre qui en est marqu, soit la royaut absolue, soit la saintet suprme (4) :

    1. Grand Roi, le Jeune Siddhartha (5) a la tte couronne par une protubrance du erne. De ce signe, le premier du grand homme, est dou le jeune Sarvarthasiddha (6) (fig. 1).

    (1) Marque de chance. (2) Sages, Saints. (3) Le Roi la roue , roi tout-puissant. Cf. L'Inde classique, Manuel des Elude

    Indiennes, Hanoi, 1953, t. II, 2272. (4) Lala Vistara. trad. Foucauz, Paris, Leroux, 1884, chap. VII, p. 95-96. (5) et (6) Nome du Bouddha, signifiant Celui par qui tout a t accompli .

  • 242 socit d'anthropologie de paris

    2. Ses cheveux, qui tournent vers la droite, sont boucls, d'un noir fonc et brillants comme la queue du paon ou le collyre aux reflets varis.

    3. Il a le front large et uni. / 4. Une laine, grand roi, est ne au milieu de ses sourcils ayant l'clat

    de la neige et de l'argent. 5. Il a les cils comme ceux de la gnisse. 6. L'il d'un noir fonc. 7. Quarante dents gales.

    \ * i

    *J*-

    Fig. 1. Tte de Bouddha, du style d'Amarvat (ne-iv sicle}. On distingue la protubrance crnienne, ainsi que rn entre les deux -sourcils,

    traite ici comme un volumineux grain de beaut. Les lobes des oreilles sont distendus, les cheveux boucls, le bas du visage massif comme kt mchoire d lion .

    8. Les dents sans interstices. > 9. Les dente parfaitement blanches. - '

    10. Le son de voix de Brahma. , .. - - 11. Le sens du got excellent. 12. La langue iongue et mince (1). 13. La mchoire du lion (2).

    (1) Certains textes disent mme que la langue est assez longue pour passer sur tout le visage. ,'. .

    (2) Trait souvient traduit en sculpture par le caractre massif du menton.

  • BERNARD-THIERRY. SIGNES DANS i/lNDE 24a

    14. Le bras bien arrondi. 15. Les sept protubrances (1). 16. L'entre-deux des paules large. 17. La peau fine et de la couleur de l'or. 18. Debout, sans qu'il se baisse, ses bras lui descendent jusqu'aux

    genoux.

    Fig. 2. Pieds d'une statue indienne du style d'Amarvat (ne-ive sicle). Les doigts sont a marqus des signes de prosprit, et la plante du pied marque

    de la roue.

    19. Il a la partie antrieure du corps pareille celle du lion. 20. La taille comme la tige du Nyagrodha (2).

    . 21. Ses poils naissent un un. 22. Ils sont tourns vers la droite leur extrmit suprieure. 23. La partie pubienne est cache dans une cavit.

    (1) D'autres textes disent : Les 7 parties du corps bien rebondies. Les protubrances indiques ici se trouvent aux mains, aux pieds, aux paules et la ramification du tronc. Cf. UJnde classique, op. cit., t. II, 2275, p. 535-536.

    (2) Figuier indien (Ficus bengalensis Linn.).

  • 244 socit d'anthropologie de paws -

    24. Il a les cuisses parfaitement rondes. 25. Il a la jambe de l'Ainaya, le roi des gazelles. 26. Il a les doigts longs. 27. Ses pieds ont le talon dvelopp. 28. Il a le cou-de-pied saillant. 29. Ses mains et ses pieds sont doux et dlicats. 30. Les doigts de ses pieds et de ses mains sont runis par une memb

    rane (jusqu' la lre phalange). 31. Sous la plante des deux pieds du jeune Sarvrthasiddha..., deux

    roues sont nes, belles, lumineuses, brillantes, blanches, ayant mille rais et jantes avec un moyeu (fig. 2).

    32. Il a les pieds unis et bien poss... Il est dou, grand roi, de la runion de ces 32 signes du grand

    homme... Grand roi, elles se trouvent aussi runies sur le corps du jeune S.,

    les 80 marques secondaires...

    Parmi ces 80 marques secondaires, dont la liste fait suite la prcdente dans le Laliia Vistara (1), voici les plus remarquables :

    1. Il a les ongles bombs. 2. Il a les ongles de la couleur du cuivre rouge. 7. Il a les veines caches.

    11. Il a le talon large. 14. Il a les lignes de la main profondes. 17. Il a les lvres rouges comme le fruit du Vimba. 19. Il a la langue douce, dlicate, couleur de cuivre rouge. 34. Il a le nombril profond. 39. Il a la dmarche lente de l'lphant. 40. H a la dmarch hroque du lion. 43. Il marche en se tournant vers la droite.. 44. Il a les fiance arrondis. 47. Il a le ventre endorme d'arc. 48. Il a un corps exempt de tout ce qui peut en altrer l'clat, et de

    toutes les taches noires qui pourraient le dparer. ' 49. Il a les dents canines arrondies. 52. Il a le nez prominent. 71. Il a la tte bien dveloppe. 72. Il a' les cheveux noirs. 79. Il a les cheveux boucls. 80. Les cheveux du jeune S. reprsentent les figures du rivatea (2),

    du Svastika (3), du Mandyvarta (4) et du Vardhamna (5). Ou il sera un puissant roi cakravartin (6), ou un Bouddha, le meilleur

    du monde.

    Ces deux listes, celle des 32 signes principaux et belle des 80 marques secondaires, dont en sens inverse Tune de l'autre. Toutefois, il y eut des variantes dans cet ordre, et des inter-

    (1) Laliia Vislara, op. cit., chap. VII, p. 96-99. (2)> (3)> (4) et (5). Noms de certains signes ou diagrammes apportant la chance

    et la prosprit. Cf. Burnouf (E.), Le Lotus de la Bonne Loi, p. 622 sq. (6) Cf. note (1) de la p. 10.

  • BERNARD-THIERRY. SIGNES DANS i/lNDE

    versions. Eugne Burnouf, Emile Senart, Alfred Foucher, ont longuement comment ces sortes de manuels d'horoscopie, devenus tnsuite, simples mmentos d'iconographie bouddhique. La seconde liste semble bien n'tre qu'un commentaire explicatif, un dlayage minutieux de la premire. Les devins qui avaient poilr mtier d'observer les signes corporels du sujet soumis leur examen devaient commencer leur investigation en utilisant la premire liste, puis la reprendre en sens inverse suivant la deuxime, sans omettre un dtail. D'aprs le nombre et le dosage des marques reconnues, ils pouvaient alors augurer de la chance, du pouvoir, des dons et de la destine de leur client. Il s'agissait simplement de savoir si tel humain portait les signes du Grand Homme, roi suprme ou Bouddha, et dans quelles proportions (1).

    L'iconographie, avec son abondance de reprsentations et ses exigences esthtiques, soumises parfois des influences trangres, modifia souvent la conception de certains signes : le flocon de laine entre les sourcils (rn) d'une blancheur soyeuse , d'un clat de neige et d'argent , mettant des rayons lumi- netix , devint chez les sculpteurs une simple lentille de pierre analogue un grain de beaut ou une verrue, ou fut indiqu seulement par un cercle, ou bien encore se confondit avec la jonction des sourcils (2).

    La protubrance crnienne dont le nom, ushnsha (3) signifie d'abord turban , fut conue tantt comme un chignon de boucles, contraire la tonsure monastique, tantt comme une bosse osseuse, tantt comme une flamme jaillissant du crne, une lyre, etc... Il y eut, semble-t-il, assimilation d'un ornement, attribut royal, une dformation corporelle, une marque , et ceci tout naturellement, tarit la croyance des correspondances certaines entre le physique et le surnaturel tait enracine dans les esprits. D'ailleurs, les textes brahmaniques parlaient du crne du Grand tre eomme tant pleinement dvelopp , signe d'intelligence, en forme de parasol , ou de ruche . Et que le chignon de boucles ou le turban royal aient t conus tort ou raison comme une protubrance crnienne, la confusion n'en est pas moins significative : il fallait une caractristique au crne du Surhomme .

    Les pieds et les mains (4) sont marqus de roues, de signes de

    (1) Cf. Foucher (Alfred) in La vie du Bouddha, Payot, 1949, p. 58 et 95. (2) Cf. Foucher (Alfred) in L'art grco-bouddhique du Gandhra, Paris, 1918,

    t. II, chap. XIII, p. 278-289. (3) Cf. Foucher (Alfred) in L'art grco-bouddhique du Gandhra, t. II, p. 289

    300. (4) Sur l'empreinte de pied du Bouddha, cf. Burnouf (E.), Le lotus de la Bonne

    Loi, appendice VIII, p. 622-639 ; Hodgson, Asiatic Researches, t. XVI, p. 460, note 8, et Foucher (A.), L'Art grco-bouddhique du Gandhra, p. 304 eq.

  • 246 socit d'anthropologie de paris

    prosprit, d'objets matriels (parures^ armes, meubles, attributs royaux), de vgtaux, de fleurs, d'animaux, d'astres, de personnages surnaturels. Ailleurs*, huit signes de bon augure sont placs la base des doigts de chaque pied. Ailleurs encore, c'est une sorte de protubrance arrondie que l'on distingue au creux de la main. La membrane joignant les doigts la manire de la membrane digitale des palmipdes n'a pas toujours t reprsente, le mot qui la dsigne, jla,- signifiant galement rseau, treillis, filet, spirale . Alfred Foucher a vu dans cette membrane un artifice de sculpteur tendant l'quilibre des doigts (1). Toutefois, il ne semble pas ncessaire d'isoler cette anomalie des autres. Rduire l'une ou l'autre des procds de sculpture serait nier du mme coup la liste des marques mythiques conues par le Brahmanisme bien avant l'existence d'une iconographie dtaille, et indpendamment de toute ide de reprsentation, puisque des signes concernant la voix, ou la dmarche, ou des parties caches, ne pouvaient tre destins aux arts plastiques, mais la seule divination. De toute manire, le point important signaler ici est la prminence de cette association irrmdiable entre l'aspect physique et l'individu psychique. Et ceci, en pleine contradiction dans l'Inde avec la philosophie mme du Bouddhisme pour laquelle le corps n'est qu'illusion et impermanence.

    Selon Burnouf (2) la description des traits caractristiques du Surhomme a t excute d'aprs le type idal de la beaut que se reprsentent les potes indiens , et c'est bien le type indien que ces descriptions reproduisent dans ses traits les plus gn- raux . S 'appuyant sur les recherches ethnographiques de Jac- quemont pour le Nord de l'Inde, du Dr Davy pour Geylan et du Dr Prichard, Burnouf conclut que c'est l le type emprunt la population la plus leve dans l'ordre social (3). Mais, outre que le type indien rie corresponde gure une ralit anthropologique dfinie, il est bien difficile de considrer ici la beaut comme ayant le pas sur la force et la chance. Valeur esthtique et valeur magique ne sont pas du mme ordre, et si la notion de beaut s'est dveloppe abondamment par la suite dans les ouvrages littraires de l'Inde classique, elle n'apparat pas comme essentielle dans la thorie des marques , o, par contre, le pouvoir surnaturel et la destine d'exception sont des donnes primordiales.

    Dans les pays hindouiss du Sud-Est asiatique, la tradition

    (1) Foucher (A.). L'Art grco-bouddhique du Gandhra, t. II, p. 304 sq. (2) Cf. Burnouf (E.). Le Lotus de la Bonne Loi, op. cit., appendice n VIII, p. 553-

    647. (3) Burnouf (E.), op. cit., p. 554.

  • BERNARD-THIERRY. SIGNES DANS b'iNDE 347'

    populaire a conserv la notion' des signes corporels et assimile, non seulement dans les nombreux manuels d'horoscopie et d'astrologie cambodgiens, laotiens, birmans ou siamois, ou dans des traits spciaux consacrs entirement aux marques des hommes, des femmes, des enfants, des mains, etc., mais aussi dans les manuels dits de bonne conduite et dans les contes populaires. M. Pierre Bitard a entrepris la traduction de manuels cambodgiens : Les caractristiques de l'enfant , Les caractristiques de la nourrice , ou Les 8 caractristiques de la main , dont voici le dbut (1) :

    La caractristique suprme de la main, c'est que la chair et les os soient convenablement proportionns. Si les os poussent pointu, ce n'est pas bon. Si la chair de la main ne recouvre pas parfaitement les os, on prdit : c'est mauvais, beaucoup de^ malchance . Si la chair est pleine, paisse, abondante, c'est trs bon. S'il y a beaucoup de chair et peu d'os, celui-l ne pourra jamais russir obtenir la protection de sa famille...

    Dans les contes cambodgiens, on rencontre souvent des hros, hommes, femmes ou animaux dous des marques , c'est--dire favoriss par une chance et des pouvoirs magiques exceptionnels les conduisant gnralement la royaut. C'est ainsi qu'une jeune femme doue des marques procure son mari, paresseux et vaurien, la faveur des gnies et la dcouverte d'un trsor (2). C'est ainsi qu'un coq chasseur dou des marques , aprs avoir lanc trois fois son cri, fait se prendre au pige la fille du roi en personne (3). Cette ide de chance et de force magique s'est mme confondue compltement avec celle de vertu et de mrite au sens bouddhique (4).

    Pour terminer, il faut signaler encore que certaines associations entre la couleur de la peau et la personne psychique taient connues de l'Inde ancienne. En effet, outre la couleur attribue des dieux ou des hros mythiques, on trouve dans la doctrine du Jainisme des traces de ces croyances. Voici, ce propos, ce qu'crit M. Olivier Lacombe (5) :

    Le mrite et le dmrite de l'me la marquent la faon

    (1) J'exprime ici ma vive gratitude M. P. Bitard, qui a bien voulu me communiquer ses traductions manuscrites, qui font partie d'un ensemble destin une publication prochaine. . '

    (2) Cf. Martini (F.) et Bernard (S.). Contes populaires indits du Cambodge ; G. P. Maisonneuve, Paris, 1946 : Le paresseux l'pouse vertueuse , p. 161-165.

    (3) Martini (P.) et Bernard (S.), op. cit., Les deux frres et le coq chasseur , p. 17-32.

    (4) Cf. Bernard (Solange). Quelques aspects de la chance dans les contes populaires du Cambodge , Bull, de la Soc. des Etudes indohinoises, nouvelle srie, t. XXVII, n 3, 3 trimestre 1952, p. 251-260.

    (5) Cf. L'Inde classique, Manuel des ludes indiennes, t. II, 2479, p. 654. BULL. ET MM. SOCIETO ANTHROP. DE PARIS, T. 5, 10e SERIE, 1954. 17

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    d'une teinte et s'expriment par une coloration approprie, imprgnant le corps...

    Les teintes ou couleurs principales sont au nombre de six : trois appartiennent au registre sombre et dnotent les valeurs d'en bas. Ce sont, en montant : le noir, le bleu-noir, le gris ; lea trois autres constituent le registre clair et traduisent les valeurs suprieures. Ce sont, dans l'ordre ascendant : le jaune, le rose, le blanc.

    Cette chelle de couleurs-valeurs fournit au jalnisme des possibilits iconographiques multiples et commodes. Mais son rle ne s'arrte pas l. Elle permet de caractriser et classer les tres, leurs fonctions, leurs activits.

    C'est ainsi que les habitants des rgions infernale les plus profondes sont noirs ; le bleu-noir apparat un peu plus haut, puis le gris. La couleur jaune, puis le jaune ros, puis le rose, puis le rose-blanc, puis le blanc de plus en plus intense signalent les tres, mesure qu'ils s'lvent vers le sommet de l'univers.

    La couleur rouge et l'clat de sont par ailleurs frquemment voqus propos d corps du Bouddha ou du Purusha. Quant aux prsages tirs des taches sur fa peau, ils sont bien connus, au Cambodge par exemple.

    Ainsi, oh peut constater que, dans le domaine de l'Asie du Sud-Est, conception des marques corporelles semble relativement indpendante des philosophies bouddhique et brahmanique, ainsi que die l'iconographie elle-mme. La notion primordiale, passe dans les crits populaires, est que l'tre d'lite, soit mythique, soit humain d'exception, est marqu corporelle- ment.Le passage l'ide corrlative, c'est--dire la croyance que la marque elle-mme confre la puissance magique, la chance et l'invulnrabilit, semble assez naturel. Puisque l'on sait que le dieu, ou le roi, ou l'anctre, est marqu de signes et muni d'anomalies, on se marque pour devenir comme lui invulnrable, quelles que soient les variantes de dtail dans les techniques et l'application de la marque. Le Dr Huard et M. Nguyn- Xun-Nguyn, dans leur tude A propos des tatouages (1), numrent les catgories de marques volontaires : altrations tgumentaires, altrations de la face, dformations crniennes, altrations des dents, mutilations sexuelles, mutilations de* membres, et enfin mutilations diverses, engraissement artificiel, etc.. Les tatouages de Asie du Su-Est portent de nombreux exemples de signes et d'tres mythiques issus de l'Inde. Du

    (1) Huard (Dr) et Nguyn-XuAn-Nguy^ : A propos des tatouages , Bull, de VInst. Indoch. pour Vlude de F homme. 1942, fasc. 1, p. 4-14.

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  • BERNARD-THIERRY. SIGNES DANS L'iNDE 249

    fait qu'un individu, crit le Dr Nguyn-Xun-Nguyn (1), est dcore du khout (2) ou du rakshasa (3), non seulement il se reconnat appartenir la catgorie du khoul ou du rakshasa, mais encore il se croit tre khout ou rakshasa lui-mme et avoir leurs mmes attributs. C'est ainsi que par le mcanisme d'un raisonnement par identit, celui qui porte le tatouage d'un tre symbolique est cens possder la puissance et l'invulnrabilit inhrentes cet tre..

    Donc, plutt que de rechercher un type physique correspondant la thorie des lakshana (comme, on l'a fait, voulant voir dans le Bouddha un ngrode, par exemple, cause de ses cheveux noirs et boucls, ou voulant assimiler des anomalies un type de beaut ), il semble prfrable de rechercher au contraire comment, dans l'Asie du Sud-Est, on a essay de s'identifier physiquement un tre marqu , et comment L'humain cherche devenir le mythique.

    Toutefois, il serait hasardeux de conclure dans ce domaine, o la chronologie des faits tout autant que l'investigation ethnographique sont encore incompltes. Mais, de mme qnaje Ranke qui voyait dans les tatouages et les mutilations une tentative pour modeler le corps humain l'image de l'animal totmiqu,. garantie de force et de permanence, on peut se demander sriib n'y a pas dans l'Asie hindouise du Sud-Est association plus ou moins consciente, et gnralement oublie, entre les pratiques aboutissant se marquer volontairement et la conception des marques du Grand Homme, soit pour s'identifier l'tre primordial, l'Anctre,, soit pour forcer le destin, gurir ^ 4), acqurir ta puissance et l'invulnrabilit : ce qui, en fin de compte, n'est qu'une seule et mme recherche. ,

    En bref, on peut rapprocher les deux notions et entrevoir peut" tre entre la marque mythique et le signe corporel volontaire une association du mme ordre que celle qui existe parfois entre le mythe et le rite.

    (1) Ngu yen -Xu An -Nguyn (Dr). Cottribtition l'tude des tatouages au Laos Bull, de rinsl. Indoch. pour V lude de V Homme, 1941, p. 99-111.

    (2) Nom laotien de l'oiseau mythique Garuda. (3) Personnage dmoniaques, dou de pouvoirs magiques. (4) Cf. le rle prophylactique des tatouages laotiens, in Lvy (Paul) : Les ta

    to ugcs laotiens , Bull, de VInsL Indoek. tude de Homme, 1, p. 113-11.

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    IllustrationsFig. 1. Tte de Bouddha du style d'Amarvat (II-IVe sicle}.Fig. 2. Pieds d'une statue indienne du style d'Amarvat (II-IVe sicle).