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Hyperodontie et dysplasiecléido crânienne.À propos d’un cas.
RÉSUMÉ
SUMMARY
Les auteurs rapportent le cas d’une patiente âgée de 25 ans consultant pour une réhabilitationesthétique de sa cavité buccale en raison de nombreuses malpositions, dyschromies et diastèmes.
Un orthopantomogramme objective la présence de 29 organes dentaires au maxillaire et 34 àla mandibule.
Un examen clinique général de la patiente et des examen tomodensitométrique etcéphalométrique de profil mettent en évidence l’absence des clavicules, une voûte du crâneaplanie avec accentuation des bosses frontales et pariétales, un hypertélorisme, une classe 3squelettique et une déviation de la cloison nasale. L’absence de fermeture des sutures coronaleset lambdatiques et la persistance des fontanelles confirment le diagnostic d’hyperodontie liéeau syndrome de dysplasie cléidocrânienne.
L’orthodontie et la chirurgie sont les traitements de choix avec parfois une réhabilitationprothétique.
MOTS-CLÉS : dysplasie cléidocrânienne, anomalies craniofaciales,hyperodontie, inclusions dentaires
A clinical case of a 25 year old patient with numerous malpositions, odontodysplasia anddiastema is described. A panoramic radiograph shows 29 maxillary teeth and 34 mandibular ones.
Clinical examination, CT scan and lateral cephalometry of the cranium point out the absenceof clavicle, a levelled skull vault, hyperteloric eyes, prominent frontal and parietal bossing, aclass III skeletal and nasal septum deviation. The wide coronal and lambdatic sutures and stillopen anterior fontanelle confirm the cleidocranial dysplasia diagnosis.
Surgery, removable orthodontic appliances or prosthetic strategies are the effectivetreatments.
KEY WORDS: cleidocranial dysplasia, craniofacial abnormalities, hyperodontia impacted teeth
LIBERSA Philippe
60 rue Delbassée
59830 BOURGHELLES
03 20 79 60 55
Philippe Libersa(1)
David Rozé(2)
Jean-Claude Libersa(3)
Agnès Krychowski-Rozé(4)
Service d’OdontologieCHRU Lille1 Place de Verdun59037 Lille Cedex.
(1) MCU-PH en sciences anatomiques
(2) Assistant hospitalo-universitaire ensciences anatomiques
(3) Professeur des Universités- Praticienhospitalier en chirurgie buccale
(4) Assistante hospitalo-universitaire enprévention
ARTICLESCIENTIFIQUE
125Journal dentaire du Québec Volume 40 Mars 2003
Hyperodontie et dysplasie ...ARTICLE
SCIENTIFIQUE
INTRODUCTION
La dysplasie cléidocrânienne (DCC),connue également sous le nom de syndromede Pierre Marie et Sainton est décrite pour lapremière fois en 18981. Peu fréquente2, la
transmission de cetteaffection congénitale sefait sur un mode auto-somique dominant mais30% des cas sontsporadiques. Il n’y a pasde prédominance desexe3. Outre l’examenclinique souvent révéla-teur de cette maladie,l’analyse moléculairegénétique à identifiédifférentes mutations dugène RUNX2/CBFA1 chez
les patients atteints de DCC4,5,6 considéréescomme le facteur étiologique de ce syndrome,ainsi que des caractéristiques radiographiqueset biochimiques d’hypophosphatasie7,8.Récemment, de nouvelles mutations dans legène CBFA1 montrent l’existence denombreuses variétés allèles dans cettepathologie9.
Le tableau clinique de la maladie apparaîttrès polymorphe, avec des anomaliesrelativement symétriques, et une taillelégèrement inférieure à la moyenne.
Il est dominé par untrouble du dévelop-pement osseux touchantles clavicules (agénésie10% ou hypoplasie), maisd’autres localisationssont possibles : base ducrâne (sphénoïde), rachis(spinabifida), côtes etsternum, ceinture pel-vienne et membres. Desanomalies squelettiques,en particulier des os de laface et de la voûte du
crâne sont retrouvées avec une accentuationdes bosses frontales et pariétales, un retardd’ossification des sutures et une persistancedes fontanelles10.
Les manifestations orales fréquentes(fente palatine, palais ogival, retardd’éruption dentaire, dents incluses2, émailhypoplasié, anomalies du cément11 ethyperodontie12) sont parfois à l’origine de ladécouverte de ce syndrome. Récemment, unecorrélation a été établie entre la réduction detaille des patients et le nombre de dentssurnuméraires5.
Cette observation va nous permettre demontrer les particularités cliniques généraleset dentaires liées aux DCC et d’évaluer lesproblèmes thérapeutiques qu’engendre cesyndrome.
Observation
Une patiente de 25 ans consulte pour uneréhabilitation esthétique de sa cavité orale.Ses antécédents familiaux révèlent unehyperodontie paternelle.
La patiente présente un rapport staturo-pondéral normal malgré une petite taille(1m50 pour 45 kg), une agénésie claviculairebilatérale et une légère accentuation de lalordose lombaire.
L’examen morphologique craniofacial meten évidence une voûte du crâne aplanie, desbosses frontales et pariétales accentuées, unnez proéminent dévié à gauche et unhypertélorisme (fig. 1a).
De profil, nous notons une ensellurenasale marquée et une classe 3 squelettique(fig. 1b). L’examen des articulations temporo-mandibulaires est normal.
L’examen endobuccal révèle à la palpationune légère dépression médiane au niveau dela voûte palatine et une denture mixte.
La topographie dentaire est anarchique,accompagnée de mobilités et de dyschromies.
Au contact de l’intrados de la prothèsepartielle amovible maxillaire destinée à comblerl’absence de la 21, nous notons la présenced’une incisive latérale riziforme provoquant unmanque de stabilité prothétique.
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Figure 2 : orthopantomogramme mettant en évidencel’hyperodontie
Figure 1a : vue de face du patientFigure 1b : vue de profil du patient
A B
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SCIENTIFIQUE
Le bilan radiologique (fig. 2) permet devisualiser des zones de déminéralisation
osseuse, une rupture duplancher sinusal droit, laprésence de 29 organesdentaires au maxillaire et34 à la mandibule. L’âgede maturation des germesest impossible à préciser,quelques rares microdon-ties et rhyzomicries sontconstatées. Certainsgermes sont en positiondystopique (à proximitédu sinus maxillaire, desfosses nasales, dans labranche montante ou auniveau de la basilaire).
L’examen tomodensi-tométrique confirmel’hyperodontie et précise
les rapports des organes dentaires avec lesstructures nobles.
En coupe axiale à la mandibule, nouspouvons ainsi mettre en évidence lerefoulement en vestibulaire du canalmandibulaire, la présence des germes auniveau du ramus et la rupture des corticales(fig. 3).
Au maxillaire, nousnotons la présence degermes dentaires au seinde la tubérosité et dusinus maxillaire (fig 4).
Une communicationentre le sinus maxillairedroit et la fosse nasalecorrespondante ainsi quel’absence du cornet nasalinférieur sont égalementconstatés.
Les coupes coronalesconfirment les obser-vations précédentes, de
même que l’examen céphalométrique deprofil (fig. 5) qui souligne l’absence de
fermeture des sutures coronales etlambdatiques et la présence de nombreux ossuturaux.
Le diagnostic d’hyperodontie liée ausyndrome de DCC est donc confirmé.
Le grand nombre d’inclusions dentairesnous amène à pratiquer l’avulsion sousanesthésie locale des seules dents mobiles surarcade afin de ne pas fragiliser exagérémentles structures osseuses. Les germes sousjacents accessibles sont également extraits,l’os néoformé comblant rapidement la pertedes germes. Les molaires permanentesmandibulaires sont conservées et après unereprise de traitement endodontique, uneprothèse partielle maxillaire et mandibulaireest réalisée. Une surveillance clinique etradiologique tous les 6 mois permettra decontrôler l’éruption éventuelle des germesinclus et de procéder à leurs avulsions en casd’éruption en position dystopique. Dans cecas, un rebasage de la prothèse sera alorsréalisé. Il est rare que ces structures dentairessoient fonctionnelles lors de leur évolutionsur l’arcade, leur incorporation dans le plan detraitement prothétique est donc compromise.
Discussion
L’augmentation de la formule dentaire estbeaucoup plus rare que sa réduction. Souventlimités à quelques dents surnuméraires, lescas d’hyperodontie multiples sontexceptionnels13. Ils sont généralementdécouverts par un examen radiologiquefortuit ou dans le cadre d’un dépistage d’ungrand syndrome.
Dans notre observation, nous avonsretrouvé comme il est fréquemment décrit,une hyperodontie intéressant davantage lessecteurs incisifs que molaires et prémolairesavec quelques organes dentaires atteints demicrodontie et de rhizomicries.
L’implantation anarchique des dents, ledéveloppement particulier des maxillaires, lacoexistence des dents primaires etpermanentes, posent le problème de la
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Figure 3 : TDM mandibulaire en coupe axiale : rupture de lacorticale vestibulaire
Figure 4 : TDM maxillaire en coupe axiale : inclusion dentairedans la paroi postérieure du sinus maxillaire droit
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réhabilitation esthétique et fonctionnellechez ces patients. Les dents surnumérairesrestent fréquemment incluses en raison d’uneankylose ostéo-dentaire causée par untrouble du tissu parodontal14.
La motivation de consultation de cespatients est généralement d’ordre esthétiqueen raison du pronostic favorable de cesyndrome, compatible avec une existence etune espérance de vie normale. Deuxapproches thérapeutiques sont envisagées :
Certains auteurs comme Belcastro3
préconisent en cas d’hyperodontie limitée, destraitements associant lachirurgie et l’orthodontie, afinde mettre sur arcade les dentspermanentes. Cependant, latraction dentaire est parfoisinefficace en raison del’ankylose ostéo-dentaire15. Sila traction est possible, lerésultat nécessite ensuite untraitement par multi-attachesafin de procéder à l’harmo-nisation de l’arcade.
Chez les patients nedésirant pas entreprendre untraitement orthodontique,l’avulsion progressive desgermes en éruption estconseillée, complétée par lapose d’une prothèse amoviblerégulièrement rebasée.
L’hyperodontie syndromique est beaucoupplus rare que l’hyperodontie localisée(mesiodens, molaire surnuméraire). Elle peutêtre présente également dans les syndromesoro-digito-facial de type 1, de Sturge-Weber,de Down, et de Gardner16.
Le syndrome oro-digito-facial detype 1 ou syndrome de Papillon-Leage et Psaume
Caractérisé par une déficience mentale,une clinodactylie (inclinaison latérale del’extrémité d’un ou plusieurs doigts ou orteils)
et une syndactylie (absence de séparationentre les doigts ou les orteils), il est léthalchez le mâle. Des fentes partielles labiales,linguales, palatines, une hyperodontie, deshypoplasies de l’émail et des freins buccauxmultiples peuvent compléter le diagnostic. Laconduite à tenir est orientée vers la correctionplastique des fentes buccales, les soinsdentaires et prothétiques.
Le syndrome de Sturge-Weber
Il associe un angiome de la face, unangiome méningé homolatéral indispensableau diagnostic et souvent un angiomechoroïdien. Une hyperplasie gingivale, unehypertrophie des procès alvéolaires, uneéruption prématurée des dents permanenteset une hyperodontie constituent lesmanifestations buccales de ce syndrome.L’attitude thérapeutique se résume à desmesures symptomatiques. (traitement del’épilepsie)
- Le syndrome de Down ousyndrome de la trisomie 21
Si les manifestations buccales peuventévoquer la DCC, l’état mental anormal etl’aberration chromosomique permettentd’éliminer ce diagnostic ;
- Le syndrome de Gardner oupolypose rectocolique familiale
Il peut être caractérisé au niveau buccalpar des ostéomes mandibulaires ou frontauxd’évolution lente, un retard d’éruptiondentaire et une hyperodontie. Il s’accompagnefréquemment de kystes épidermoïdesmultiples, de tumeurs desmoïdes et defibromatoses mésentériques ou rétro-péritonéales à transformation maligne. Leurexérèse chirurgicale est complétée parfois parune radiothérapie.
Conclusion
Devant un cas d’anomalie dentaire denombre, de position et une morphologie
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Figure 5 : Téléradiographie de profil mettant en évidencel’absence de soudure des sutures coronales etlambdatiques.
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Hyperodontie et dysplasie ...
craniofaciale dysharmonieuse, l’examenclinique devra impérativement être complétépar des clichés radiographiques ettomodensitométriques afin d’évaluer lestroubles au sein des maxillaires.
En présence d’une hyperodontieimportante, les signes morphologiquesassociés seront systématiquement recherchésafin de confirmer le diagnostic éventuel deDCC.
L’approche thérapeutique sera fonction del’hyperodontie et de la motivation despatients, et mettra en œuvre l’associationchirurgie-orthodontie ou chirurgie-réhabilitation prothétique.